RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE 

 

ALLER à LA TABLE DES MATIÈRES DE MAXIME DE TYR

 

       

MAXIME DE TYR

 

DISSERTATIONS

 

 

 

 

DISSERTATION XIV.

Qu'est-ce que l'Esprit familier de Socrate (1) ?

Vous vous étonnez que Socrate eût un Esprit familier qui l'aimait, qui lui faisait prévoir l'avenir, qui l'accompagnait partout, qui était comme de moitié avec lui dans toutes ses pensées; Socrate, cet homme si distingué par la propreté de son corps, par les bonnes qualités de son âme, par l'austérité de sa manière de vivre, par la sagacité de son intelligence, par le charme harmonieux de ses discours, par sa piété envers les Dieux, par son respect pour ses semblables (2). Eh ! pourquoi vous en étonnez-vous, tandis que d'un autre côté vous ne vous étonnez point qu'à Delphes, une femme du peuple, la première venue; à Dodone, un Thesprotien; dans le Temple de Jupiter Ammon, un Lybien ; à Claros (3), un Ionien; à Xanthe (4) un Lycien ; à Ismenès, un Béotien (5) ; soient chaque jour dans le commerce le plus intime avec les Dieux, et qu'ils sachent parfaitement non seulement ce qu'ils doivent eux-mêmes, ou faire, ou ne pas faire; mais encore qu'ils rendent des oracles, soit en public, soit en particulier, sur la conduite que doivent tenir ceux pour l'intérêt desquels ils sont consultés? Est-ce parce que la Pythonisse, assise sur un trépied (6), remplie du souffle des Dieux, répond, avec cet appareil, aux questions qui lui sont faites? Est-ce parce que dans l'Ionie l'interprète des Dieux puise de l'eau dans une fontaine, la boit, et prononce ensuite son oracle? Est - ce parce qu'à Dodone, s'il faut en croire les Thesprotiens, on doit avoir passé la nuit sur la dure, ne pas s'être lavé les pieds, rendre un culte religieux à un chêne, pour apprendre de lui à lire dans l'avenir ?

II. Dans l'antre de Trophonius (7), (car le demi-Dieu de ce nom avait aussi son oracle, dans la Béotie, auprès de la ville de Lébadie) dans cet antre, celui qui avait besoin de consulter le Dieu était revêtu d'une espèce de grande robe de pourpre, qui lui descendait jusqu'aux pieds. Il prenait des gâteaux dans ses deux mains : il était introduit, ventre à terre, au travers d'une fort étroite ouverture : après qu'il avait vu certains objets, et qu'il avait entendu certaines paroles, on le retirait de l'antre ; et il était lui-même son propre oracle. Dans cette contrée de l'Italie, qu'on appelait la Grande-Grèce, auprès d'un lac nommé Aorne (8), était un antre fatidique; et les prêtres de cet antre empruntaient de leurs fonctions le nom d'évocateurs des âmes, sous lequel ils étaient connus. Là, aussitôt que celui qui venait consulter l'oracle était arrivé, il se mettait en oraison, il égorgeait des victimes, il faisait des libations, et évoquait l'âme quelconque d'un de ses parents ou de ses amis. Alors paraissait dans l'obscurité un spectre, difficile à distinguer, mais ayant le don de la parole et celui de prédire l'avenir. Aussitôt qu'il avait répandu à la question qui lui était adressée, il disparaissait. Homère semble avoir connu cet antre, et y avoir con-duit Ulysse (9), mais, par une licence poétique, il a transporté le lieu de la scène loin de la mer qui nous environne.

III. Si tout ce que nous venons de dire de ces divers oracles est vrai, comme cela l'est réellement, (car certains d'entr'eux sont encore aujourd'hui ce qu'ils étaient autrefois ; et des autres, il nous en reste des monuments non équivoques, qui attestent la réputation et la vogue dont ils (10) jouissaient); il est étonnant que personne n'ait songé à regarder ce qu'on en raconte, comme des absurdités et des inepties, qu'on n'ait point élevé le moindre doute à cet égard; que fidèle, au contraire, à l'opinion reçue de son temps, chacun soit venu consulter les oracles ; qu'après avoir entendu leur réponse; on y ait ajouté foi; qu'après y avoir ajouté foi, on ait exécuté ce qu'ils prescrivaient; qu'après avoir exécuté ce qu'ils prescrivaient, on leur ait donné des témoignages de vénération : et que, s'il s'agit d'un homme doué du plus heureux naturel, dont la conduite ait été dirigée par la moralité la mieux ordonnée, par la philosophie la plus vraie, par une âme parfaitement organisée (11), et que les Dieux aient jugée digne d'être en commerce avec un Esprit familier, on regarde cela comme un prodige, et l'on refuse de croire que cet Esprit familier ait servi d'oracle à cet homme dans tout ce qui pouvait l'intéresser personnellement; tandis qu'on ne voit point qu'un Esprit familier du même genre (12) ait été l'oracle, ni des Athéniens délibérants sur les affaires générales de la Grèce, ni des Lacédémoniens impatients de connaître le sort d'une expédition militaire; ni des Athlètes allant combattre aux Jeux Olympiques, curieux de savoir qui remporterait la victoire ; ni des Plaideurs en instance devant les tribunaux, empressés d'être instruits s'ils gagneraient leur procès; ni des Spéculateurs avides de s'enrichir, et d'être informés d'avance du succès de leurs spéculations; ni de tous ceux qui se livrent à toutes sortes d'entreprises, sans nul motif raisonnable de confiance, et qui, chaque jour, viennent là-dessus fatiguer les Dieux. Peut-être, aussi, l'Esprit familier de Socrate, était-il capable de répondre à tant de questions, s'il avait le don de lire dans l'avenir. Car le plus habile médecin est, sans doute, celui qui n'est pas moins propre à traiter les maladies des autres, qu'à traiter les siennes. Il en est de même des constructeurs de bâtiments, des faiseurs de boucliers, et de tous ceux qui exercent les autres arts ou professions. Mais l'avantage de Socrate consistait en ce qu'associé par son intelligence aux pensées des Dieux, et ayant placé, par une conséquence de ses relations de son commerce avec eux, ce qui le regardait personnellement dans la sphère du Beau moral, il ne montrait aux autres hommes aucun sentiment de jalousie, et leur prêtait son secours, lorsqu'il leur était nécessaire.

IV. Eh bien, dira-t-on, nous accordons que cela soit ainsi, que Socrate, par sa vertu, par ses moeurs, par le mérite supérieur de ses qualités, ait été jugé digne d'être en commerce avec un Esprit familier. Mais nous désirerions savoir quel était cet Esprit-là. Vous le saurez : mais auparavant répondez-moi. Pensez-vous qu'il existe dans la Nature des êtres de ce genre, comme il existe des Dieux, des hommes, et des brutes; ou non? Car il serait ridicule de demander ce que c'était que l'Esprit familier de Socrate, si vous n'admettiez point l'existence des êtres de cette nature. Ce serait comme si un insulaire, qui n'aurait jamais vu de cheval, et qui ignorerait entièrement ce que c'est que ce quadrupède, entendant dire que le Roi de Macédoine avait Bucéphale, qu'il le montait sans qu'il remuât, tandis qu'il ne se laissait monter par nul autre (13), demandait ce que c'était que ce Bucéphale. Celui à qui une semblable question serait adressée, ne saurait comment s'y prendre, pour peindre l'image d'un cheval aux yeux de quelqu'un qui n'en aurait jamais vu.

V. Eh quoi ! ceux qui ne savent que penser de l'Esprit familier de Socrate, n'ont donc jamais entendu Homère dire les mêmes choses que, Socrate disait de lui-même ; dire d'Achille, que discourant dans un Conseil de guerre, il s'emporta contre Agamemnon, il tira son glaive pour le frapper, et que son bras fut retenu par une puissance divine. Or, par cette puissance divine, il entend Minerve. « Elle accourut », dit-il, « au secours du fils de Pélée, lorsqu'elle le vit en colère; elle se mit derrière lui, et le prit par sa blonde chevelure (14) ». C'est également de Minerve qu'il parle, lorsqu'il dit de Diomède « J'ai fait disparaître le nuage qui t'offusquait auparavant les yeux, afin que tu puisses facilement distinguer un homme d'un Dieu (15) ». Ailleurs, lorsque Télémaque est sur le point de se présenter chez un Roi beaucoup plus âgé que lui, dont l'aspect va lui en imposer, et auquel il ne saura quel discours tenir, son compagnon lui dit : « Télémaque, votre esprit vous offrira une partie de ce que vous devrez dire, et un Dieu vous suggérera le reste (16) » ; et il ajoute la raison pourquoi Télémaque doit compter sur cette auguste assistance ;« car je ne pense point que vous soyez venu au monde, ni que vous vous soyez conservé jusqu'à ce moment, sans l'intervention des Dieux (17) ». Ailleurs il dit, en parlant d'Achille : « La Déesse Junon fit naître ce projet dans son esprit (18) » : ailleurs il dit, au sujet de Diomède : « Minerve donna de la force et de l'intrépidité à Diomède, fils de Tydée (19) » : et dans un autre endroit, il dit du même Héros : « Minerve donna de l'agilité à ses membres, à ses pieds, et à ses mains (20) ». Vous voyez combien de personnes ont été en contact immédiat avec les Dieux.

VI. Voulez-vous que nous laissions Socrate de côté, et que nous demandions à Homère, le plus illustre des poètes, que veut dire tout cela ? L'Esprit familier de Socrate était unique, ingénu, propre à un seul individu, il ne se communiquait point à tout le monde (21). Tantôt il dissuadait de passer un fleuve (22) ; tantôt il proposait des délais, lorsqu'il s'agissait de l'amour d'Alcibiade (23) ; tantôt il déconseillait une défense que l'on voulait entreprendre; tantôt il ne s'opposait pas à une mort décidée (24). Chez Homère, au contraire, le Dieu n'y est point borné à un seul individu, à une seule conjoncture, il n'y est point unique, il n'y intervient point pour des bagatelles. Il est attaché à plusieurs personnages, il se montre en diverses circonstances, il y porte différents noms, il s’y présente sous des apparences très variées, il y parle tantôt un langage, tantôt un autre. Admettrez-vous donc quelqu'un de ces Dieux, et croirez-vous que Minerve, que Junon, qu'Apollon, que la Discorde, et tous les autres Dieux d'Homère sont quelque chose? Ne pensez pas que je vous demande si vous croyez que cette Minerve ressemble à celle qui est la fille du ciseau de Phidias, et qui ne le cède point à celle qu'Homère décrit dans ses vers, et qu'il nous peint, comme une jeune personne d'une grande beauté, ayant les yeux bleus, d'une haute taille, ceinte de son Égide, coiffée d'un casque, tenant une lance, armée d'un bouclier : ni si vous croyez que Junon ressemble à celle qui sortit du ciseau de l'Argien Polyclète, ayant les cuisses blanches, les bras d'ivoire, de très beaux yeux, des vêtements magnifiques, une prestance de reine, et pour siège un trône d'or : ni si vous croyez qu'Apollon soit comme le représentent les peintres et les statuaires, un très beau garçon, ne portant point de chlamyde, armé d'un arc, et les pieds séparés l'un de l'autre, comme s'il marchait (25). Je ne fais point de questions de cette nature. Je ne vous présume pas assez peu de sagacité pour ne pas apercevoir la vérité, et pour ne pas réduire à sa mesure ce que l'énigme enveloppe. Mais je vous demande si vous pensez réellement que tous ces emblèmes, toute cette nomenclature de Dieux, ne signifient que l'intervention de la puissance des Dieux qui prêtent, nuit et jour, leur assistance à des hommes privilégiés. Car, si vous n'admettez aucune intervention de ce genre, c'est déclarer la guerre à Homère, c'est renverser les oracles, c'est n'avoir aucune foi aux présages, c'est rejeter le pronostic des songes, c'est abandonner Socrate à lui-même. Mais, si, sans regarder tout cela comme incroyable, comme impossible, - vous n'en êtes pas plus éclairé sur ce qui concerne Socrate, je changerai de question, et je vous demanderai, si vous ne regardez pas Socrate comme digne d'avoir un Esprit familier, ou si vous regardez comme impossible ici ce qui vous paraît possible ailleurs. Mais, dès que vous avez admis cette possibilité, vous admettrez les droits de Socrate, et vous ne leur ôterez rien. Si donc la chose est possible, et que Socrate y ait des droits, il ne nous reste plus, une fois fixés sur ce qui concerne Socrate, qu'à rechercher, en général, en quoi consiste la nature de son Esprit familier.

VII. Je dirai ci-après tout ce que je pense là-dessus (26). Quant à présent, rentrons en nous-mêmes, et approfondissons ce point-ci, afin de mieux saisir ce qui fera la matière de la Dissertation suivante, savoir, que les Dieux ont distribué aux hommes le vice et la vertu, comme à des athlètes dans l'arène, l'un pour être le salaire des penchants pervers, et des âmes adonnées à la méchanceté, l'autre pour être la récompense des âmes honnêtes, des inclinations saines, lorsqu'elles se distinguent par les bonnes moeurs et la probité (27). C'est aux hommes de cette dernière classe que les Dieux veulent prêter leur assistance. C'est avec eux qu'ils veulent vivre dans une sorte de communauté, étendant sur eux leur main protectrice et leur vigilance. Ils conservent l'un par des présages, l'autre par des augures, celui-ci par des songes, celui-là par des vaticinations (28), cet autre par des sacrifices. Car il est impossible à l'âme humaine de tout soumettre au creuset de la raison, enveloppée, comme elle est, dans cette seconde vie (29), de nombreux, d'épais nuages, plongée dans l'abîme, dans le gouffre des maux d'ici-bas, par lesquels elle est incessamment tourmentée. Quel est le coureur assez leste et assez sûr de ses pieds, pour ne pas tomber, en courant, dans une excavation masquée, dans une fosse cachée, dans une tranchée, dans un précipice ? Quel est le pilote assez habile, assez confiant dans son art, pour faire une traversée sans éprouver ni tourmente, ni tempête, ni bourrasque, ni coup de vent? Où est le médecin assez profond dans la médecine, pour rassurer contre des maladies inapparentes et inattendues, lorsqu'en naissant l'une de l'autre, comme elles le font quelquefois, elles déconcertent toutes les combinaisons, tous les raisonnements de l'art? Où est l'homme assez vertueux, pour faire, sans nul faux pas, sans nulle chute, le trajet de la vie, sujette à mille accidents, comme le corps, livrée à mille incertitudes, comme la navigation., encombrée d'obstacles, comme les chemins, sans avoir besoin, au milieu de tout cela, ni de médecin, ni de pilote, ni d'un Dieu qui lui serve de guide? La vertu est sans doute une fort belle chose, très facile à acquérir (30), d'une très grande efficace. Mais elle se mélange avec un élément mauvais en soi, vague d'ailleurs, et dénué de consistance; élément auquel les hommes donnent le nom de fortune, chose également aveugle et fugitive (31), qui rivalise avec la vertu, qui entre en concurrence avec elle, qui est son antagoniste, et qui souvent même l'agite et la tourmente. De même que dans les airs un nuage, qui se place au-dessous des rayons du soleil, nous en dérobe la lumière, et que tout invisible qu'est alors le soleil à nos yeux ; il ne laisse pas de conserver son éclat ; de même la vertu, lorsqu'elle est traversée par les coups de la fortune, conserve bien d'ailleurs toute sa beauté, mais le nuage ténébreux qui se répand autour d'elle l'obscurcit et la masque. C'est alors qu'elle a besoin qu'un Dieu vienne à son secours, combatte pour elle, et se constitue son champion et son auxiliaire.

VIII.. Or, DIEU, celui qui est proprement ainsi (32) nommé, et qui est vraiment tel, ne change jamais de place. Il gouverne les Cieux et tout ce qui en compose l'ordonnance (33). Il existe une seconde espèce de substances immortelles, auxquelles il a donné l'être, qu'on appelle Dieux du second ordre, et qui sont placés dans l'intervalle qui sépare la terre des cieux :substances, inférieures à DIEU, mais. supérieures à l'homme; ministres des volontés de DIEU, mais qui commandent aux volontés de l'homme; placées très proche de DIEU, mais veillant sur l'homme avec le plus grand soin. Car l'être mortel aurait été éloigné de la contemplation et du commerce des choses célestes, de tout l'intervalle qui le sépare de l'être immortel, si ces substances du second ordre, comme un intermédiaire harmonique, ne s'interposaient par des rapports qui les attachent à l'un et à l'autre, et ne servaient comme de point de contact des deux côtés, pour faire arriver la faiblesse humaine jusqu'au Beau divin. Il en est, je pense, comme des Barbares, qui sont séparés des Grecs, par le non-usage de la langue. Mais les interprètes, en apprenant la langue des uns et des autres, leur servent tour-à-tour à se faire entendre, et établissent entr'eux les plus familières communications. De même les Dieux du second ordre s'interposent entre Dieu et l'homme, et sont entendus de l'un et de l'autre. Tels sont les Dieux qui se présentent à l'homme, qui conversent avec lui, qui ne se séparent point de lui, au milieu des vicissitudes de sa carrière mortelle, et qui lui administrent des Secours, selon qu'il est nécessaire qu'ils interviennent dans les affaires humaines. Au reste, ces Dieux sont en très grand nombre. « Il est sur la terre un nombre infini d'immortels ministres de Jupiter (34) ». Les uns servent à la guérison des malades, les autres à fixer l'incertitude de ceux qui sont en perplexité, ceux-ci font connaître les choses cachées, ceux-là aident les hommes dans leurs travaux, ou les accompagnent dans leurs voyages. Il en est pour les Cités, il en est pour les campagnes. Il en est pour la, mer, il en est pour le continent. Ceux-ci sont logés, l'un dans un corps, l'autre dans un autre corps; celui-ci chez Socrate, celui-là chez Platon; Celui-ci chez Pythagore, celui-là chez Zénon, et ce dernier chez Diogène. L'un est pusillanime, l'autre est philanthrope, l'un est politique, l'autre est militaire. Telles sont les inclinations naturelles des hommes, telles sont celles de ces Dieux : « Semblables à des étrangers tantôt sous un extérieur, tantôt sous un autre, ils parcourent les Cités, pour inspecter les bonnes et les mauvaises actions des hommes (35). Mais quand on a une âme où habitent le vice et la méchanceté, aucun de ces Dieux n'y vient établir son domicile pour la diriger (36).

DISSERTATION XV.

Qu'est-ce que l'Esprit familier de Socrate (37) ?

VOYONS; demandons à cet Esprit familier, (car il a de la philanthropie, et il est accoutumé à répondre par l'intermédiaire du corps humain, comme le fait Isménias (38) par l'intermédiaire des flûtes) demandons-lui, ainsi qu'Ulysse chez Homère (39), « Êtes-vous un Dieu ou un homme ? Si vous êtes quelqu'un des Dieux qui habitent l'immense Olympe, nous n'avons pas besoin de vous en demander davantage. Nous savons à quoi nous en tenir. Mais, si vous êtes quelqu'un des mortels qui habitent sur la terre (40), êtes-vous un être susceptible d'éprouver les mêmes impressions que nous, de parler la même langue que nous, de naître comme nous, et de ne vivre qu'autant que nous; ou bien, attaché à la terre pour y faire uniquement votre séjour, êtes-vous d'ailleurs, sous le rapport de l'essence, supérieur aux êtres qui la peuplent? Car la substance des Dieux subalternes n'est point composée de chair, (il faut répondre (41) pour eux, ils l'ordonnent ainsi) ni d'os (42), ni de sang, ni d'aucun autre de ces éléments capables d'être séparés, dissous, fondus, et par cela même de s'évanouir. En quoi consiste-t-elle donc? Commençons par considérer la nécessité de l'existence de ces Dieux du second ordre. Ce qui est passible est contraire à ce qui est impassible : ce qui est mortel est contraire à ce qui est immortel : ce qui est dénué de raison est contraire à ce qui est raisonnable : ce qui est insensible est contraire à ce qui a du sentiment : ce qui est sans âme est contraire à ce qui en a une. Tout ce qui a une âme réunit donc deux de ces qualités; ou ce qui est immortel est impassible; ou ce qui est passible est immortel; ou ce qui est mortel est passible; ou ce qui est sensible est dénué de raison ; ou ce qui a une âme est impassible : telle est la marche de la nature. Elle descend insensiblement, et par gradation, de ce qui est supérieur et plus recommandable à ce qui l'est moins. Retrancher quelqu'un de ces intermédiaires, ce serait saper la nature dans ses fondements. De même, dans la série harmonique des sons, c'est des consonances intermédiaires que dépend celle des deux extrémités du diapason (43) ; en descendant des sons les. plus aigus aux sons les plus graves; c'est en appuyant ce passage sur les sons intermédiaires, qu'on le rend mélodieux pour l'oreille et les instruments.

II. Pensez donc qu'il en est de l'ordre de la nature, comme de celui de la plus parfaite harmonie; et placez DIEU dans la classe de la substance impassible et immortelle, les Dieux subalternes dans la classe de la substance immortelle et passible, l'homme dans la classe de la substance passible et mortelle, la brute dans la classe de la substance dénuée de raison et sensible, la plante dans la classe de la substance qui a une âme, et qui est impassible. Pour le moment, nous laisserons à l'écart tout le reste; et nous ne nous occuperons que des Dieux du second ordre, que nous disons tenir le milieu entre DIEU et l'homme. Voyons, s'il est un moyen de les retrancher de l'échelle des êtres, sans détruire les extrémités. DIEU est-il immortel d'un côté, et passible de l'autre ? Nullement. Mais il est immortel et impassible à la fois (44). Et l'homme est-il mortel d'un côté, et impassible de l'autre? Nullement. Il est bien mortel, mais il n'est pas impassible. Que deviendra donc la substance qui est en même temps immortelle et passible? Car il doit nécessairement exister une substance qui tienne de DIEU et de l'homme, supérieure à l'homme, inférieure à DIEU, s'il doit exister une analogie entre ces deux extrêmes. Deux choses, en effet, étant distinctes et séparées par leur nature, elles ne pourront jamais se rapprocher l'une de l'autre, à moins qu'un intermédiaire commun ne vienne les mettre réciproquement en contact.

III. C'est comme si je disais : il existe une substance que nous appelons feu, et qui est à la fois chaude et sèche. Le froid est le contraire du chaud. L'humide est le contraire du sec. II est donc impossible de changer du feu en eau, ou de l'eau en feu. Il ne serait pas plus aisé de changer le froid en chaud, ni l'humide en sec (45). Telle est la contrariété que la Nature a établie elle-même entre ces choses. Mais elle leur a donné l'air, comme pour servir entr'elles de conciliateur. Il emprunte du feu la chaleur, de l'eau l'humidité; par-là s'opère le rapprochement et la communication : par-là s'effectue la transition, le passage, du feu à l'air par la chaleur, et de l'air à l'eau par l'humidité. D'un autre côté, l'air est chaud et humide, et la terre est froide et sèche. Or la sécheresse est le contraire de l'humidité, comme la froideur est le contraire de la chaleur (46). L'air ne se changerait donc jamais en terre, si la nature n'eût placé, entre l'un et l'autre, l'eau qui leur sert comme d'arbitre, qui les concilie, qui les unit, en- recevant, de la part de l'air, l'humidité, de la part de la terre la froideur. Voici le succinct abrégé de tous les rapports du même genre. Chacune de ces choses étant composée de deux éléments contraires, on prend toujours de l'un une de ses parties, et l'on l'ajoute ensuite à l'autre: l'on sépare l'un de l'autre à moitié, et l'on rapproche l'un de l'autre dans la même proportion. C'est ainsi que les choses contraires entr'elles, et inalliables, se rapprochent néanmoins, se combinent ensemble, comme le feu avec l'air sous le rapport de la chaleur, comme l'air avec l'eau sous le rapport de l'humidité, comme l'eau avec la terre sous le rapport de la froideur, comme la terre avec le feu sous le rapport de la sécheresse. De même ici DIEU est en contact avec les Dieux du second ordre, sous le rapport de l'immortalité; les Dieux du second ordre sont en contact avec l'homme, parce qu'ils sont passibles, comme lui. L'homme est en contact avec la brute, parce que la brute est sensible comme l'homme; la brute est en contact avec la plante, parce que la plante a une âme, comme la brute (47).

IV. Portons nos regards, si l'on veut, sur l'économie du corps humain, nous verrons là encore que la nature n'a rien de brusque dans sa marche; et qu'elle a besoin du secours de quelques intermédiaires, pour opérer ses combinaisons et ses résultats. Le cheveu et l'ongle, par exemple, sont plus tendres que l'os, plus ténus que les nerfs, plus secs que le sang, plus rudes que les chairs. En un mot, en toutes choses, où il existe de l'ordre et de l'harmonie, il faut des intermédiaires. Il en faut dans la musique vocale, dans les humeurs du corps humain, dans les couleurs (48), dans le rythme poétique, dans les décorations, dans les passions, dans les discours. À la bonne heure: Cela étant donc ainsi réglé, si DIEU est impassible et immortel, et que l'homme soit mortel et passible, il faut de toute nécessité qu'entre DIEU et l'homme, existe une substance ou impassible et mortelle, ou immortelle et passible. Or la première de ces deux choses est impossible. Car il ne pourrait jamais se faire que ce qui est impassible coexistât avec ce qui est mortel. Il faut donc qu'il existe des Dieux subalternes, substances à la fois passibles et immortelles, en contact avec DIEU, du côté de l'immortalité, en contact avec l'homme, du côté de la passibilité.

V. Voici le moment de dire comment les Dieux du second ordre sont passibles et immortels à la fois. Commençons par l'immortalité. Tout ce qui périt, est ou dissous, ou fondu, ou coupé, on rompu, ou transformé : ou dissous, comme le limon par l'eau; ou rompu, comme les champs par la charrue ; ou fondu, comme la cire par le soleil ; ou coupé, comme une plante par un fer tranchant ; ou transformé, comme l'eau en air et l'air en feu. Or, il faut que la substance des Dieux du second ordre, si'elle doit être immortelle, ne puisse être ni dissoute, ni fondue, ni coupée, ni rompue, ni transformée. Car si elle éprouvait quelqu'un de ces accidents, adieu son immortalité : or, comment les éprouverait-elle, si la substance d'un Dieu de ce genre n'est autre chose qu'une âme dépouillée de corps? Car, si le corps, périssable de sa nature, ne périt point tant qu'elle reste avec lui, il s'en faut beaucoup qu'elle soit susceptible de périr elle-même. Pendant que leur union dure, c'est le corps qui est soutenu, et c'est l'âme qui soutient. Car, si l'âme soutenait autre chose, et qu'elle ne se soutint pas elle-même, que serait la chose qui la soutiendrait, et comment concevoir que l'âme eût une âme? Pendant que l'un est conservé par l'autre, tant qu'il en est soutenu, il faut, de toute nécessité, que cette action de soutenir cesse, lorsqu'elle est arrivée à une chose qui en soutient une autre, et qui se soutient elle-même. Sinon, où s'arrêterait le raisonnement dans une progression qui irait à l'infini ? C'est tout comme si l'on conçoit un vaisseau lancé au milieu des flots, de manière qu'il soit néanmoins attaché à quelque roche, à l'aide de plusieurs cordages, dont l'un tient à l'autre, jusqu'à la roche, point fixe et solide, où se termine leur connexion.

VI. C'est ainsi que l'âme soutient le corps, le fait surnager au milieu de la tourmente, des flots irritée qui l'agitent, et qui le ballottent. C'est elle qui le maintient là comme dans un port, et qui le conserve. Mais lorsque les nerfs sont fatigués, ainsi que le souffle vital, et les autres choses qui lui servaient comme de cordages, à l'aide desquels il avait jusqu'alors été soutenu par l'âme, il périt, il descend dans les abîmes; tandis que l'âme se sauve comme à la nage, parce qu'elle se soutient et se conserve elle-même. Dès-lors l'âme prend le nom de Dieu du second ordre, substance habitante de l'éther; où elle est transplantée en quittant la terre, comme si elle se transplantait de chez les Barbares, chez les Grecs (49), d'une Cité livrée à l'anarchie, à la tyrannie, à la sédition, dans une autre Cité, où régneraient la paix, l'ordre et un gouvernement sage. Il me paraît qu'il en est à peu près comme de cet emblème d'Homère, lorsqu'il dit que Vulcain a fabriqué un bouclier d'or, sur lequel il a représenté deux Cités, dans l'une desquelles ce ne sont que « noces, que festins (50), » que danses, que chants, que fêtes; et dans l'autre on ne voit que guerres, que querelles, que ravages, que combats, que tableaux de douleur, de gémissements, et de désespoir. Tel est le contraste entre la terre et l'éther (51). Celui-ci est un lieu de paix, qui ne retentit que des cantiques des Dieux du second ordre, et du bruit de leurs danses. La terre, au contraire, est un chaos plein de tumulte, de fracas, et de dissensions. Lorsque l'âme a été transplantée de celle-ci dans l'autre, qu'elle a été délivrée du corps, qu'elle l'a abandonné à la terre, pour le dévorer, à l'époque qui lui a été assignée, et conformément à la loi qui l'avait réglé, elle prend sa place parmi les Dieux du second ordre, après avoir quitté celle qu'elle avait dans un corps humain (52); elle contemple, dans toute la pureté de ses yeux, le spectacle qui lui est approprié, sans être offusquée par nulle enveloppe corporelle, sans être éblouie par les couleurs (53), sans être distraite par la variété des formes, sans qu'aucun épais nuage vienne intercepter ses regards ; elle contemple le beau proprement dit, de ses propres yeux; et nage dans la joie de cette contemplation. La vie d'où elle y sort lui fait pitié à elle-même. Elle s'applaudit du bonheur de la vie où elle entre. Elle éprouve le sentiment de la commisération pour les âmes de même nature qu'elle (54), qui sont encore plongées dans le tourbillon sur la terre ;.et ce sentiment de philanthropie lui fait désirer de se réunir à elles, et de leur servir comme de guide et de sauvegarde. D'ailleurs DIEU lui-même lui ordonne de se rendre sur la terre, de s'y incorporer en quelque sorte avec les hommes, quelles que soient leurs inclinations, leur condition, leurs opinions, et leur profession ; d'y être l'auxiliaire des gens de bien; d'y venger les opprimés ; d'y punir les méchants (55).

VII. Ce n'est pas que chacun des Dieux du second ordre soit propre à tout. Chacun d'eux a, ici-bas, des attributions distinctes, des fonctions particulières. Et voilà, sans doute, cette passibilité, sous le rapport de laquelle ces Dieux sont inférieurs au DIEU suprême. Ils ne veulent point changer les inclinations et les habitudes qu'ils eurent pendant qu'ils étaient sur la terre (56). Esculape professe encore la médecine. Hercule est encore la terreur des monstres et des brigands. Bacchus célèbre encore ses bacchanales. Amphilochus prédit encore l'avenir. Castor et Pollux continuent de naviguer; Minos de rendre la justice; Achille de combattre. Dans le Pont-Euxin, à l'embouchure du Danube, est une île où Achille habite (57). Là, Achille a un temple; là, Achille a des autels. On ne va à cette île que pour y offrir des sacrifices. Quand les sacrifices sont achevés, on entre dans le temple (58). Des matelots y ont vu plusieurs fois un homme qui ressemblait à un Dieu, qui avait la chevelure blonde, qui avait une allure militaire, qui était couvert de ses armes, lesquelles armes étaient d'or. D'autres ne l'ont vu en aucune manière, mais ils l'ont entendu, chantant des hymnes guerrières. D'autres l'ont vu et entendu en même temps. S'il arrive à quelqu'un de s'endormir volontairement dans l'île, Achille l'éveille, il le conduit dans sa tente, et il lui donne une fête. Patrocle verse le vin, Achille joue de sa lyre. On dit même que Thétis y assiste, ainsi que beaucoup d'autres Dieux de cet ordre. Les Troyens prétendent également qu'on voit Hector habituellement à l'entour de Troie, se promener militairement dans la campagne, revêtu de brillantes armes. Quant à moi, je n'ai vu ni Achille, ni Hector, mais j'ai vu Castor et Pollux, au-dessus d'un vaisseau, astres brillants, qui le dirigeaient au milieu de la tempête (59). J'ai vu aussi Esculape, niais non pas en songe. J'ai vu aussi Hercule, et j'étais éveillé (60).

 

(1) J'ai traduit, comme Dacier, l'Esprit familier. Formey a mieux aimé traduire, qu'est-ce quelle Démon de Socrate.
(2) Fermey n'a pas rendu tous ces détails. Heinsius lui-même, dans sa version, a laissé de côté δεινῷ δὲ φρονεῖν que Pacci a rendu par ad sapientiam aptissimi.
(3) Était-ce une ville dans le voisinage de Colophon, ainsi que le prétend Servius, dans ses Scholies sur l'Enéide, chant 3, vers 360, ou bien n'était-ce que le port même de Colophon, comme le prétend Eustathe, dans ses Scholies sur l'ouvrage de Denis le Géographe ? Quoi qu'il en soit, cet oracle de Claros devait avoir de la réputation, puisque Tacite, au second livre de ses Annales, n° 54, rapporte que Germanicus vint débarquer à Colophon, pour consulter l'oracle d'Apollon de Claros. Appellitque Colophona, ut Clarii Apollinis oraculo uteretur.
(4)  Xanthe, qu'il ne faut pas confondre avec les deux fleuves de ce nom, était, selon, Stabon, une des plus grandes villes de la Lycie, dans l'Asie mineure. Mais il paraît que ce n'était point dans cette ville qu'étaient le temple et l'Oracle d'Apollon, que Maxime de Tyr a ici en vue. Ce temple et cet Oracle étaient à Patara, ville voisine de Xanthe. Il résulte d'ailleurs du témoignage de cet historien, que cet Oracle de Patara avait tant de réputation, qu'il allait de pair avec ceux que le même Dieu avait à Délos et à Delphes. Voyez Strabon, liv. XV, p. 981, édition de Wolf; et Pomponius-Mela, lib. I. Lycia. Une chose, par exemple, bonne remarquer en passant, c'est que Strabon, en parlant de la Lycie, entre dans quelques détails sur la forme de son Gouvernement; et qu'il paraît, d'après ce qu'il en dit, que ce Gouvernement ressemblait beaucoup, pour ne pas dire trait pour trait à celui qui régit aujourd'hui les Etats-Unis d'Amérique.
(5) Ismènes était une petite ville de Béotie, ainsi appelée du fleure du même nom, qui la baignait, et sur les bords duquel Apollon avait un Oracle; d'où on lui donna le surnom d'Isménien. Voy. Étienne de Byzance, verbo Ismenes.
(6)  On connaît l'histoire de ce trépied d'or que des pêcheurs de Milet prirent d'un coup de filet, dont la capture leur avait été achetée. Débat entre les pêcheurs, qui prétendaient n'avoir entendu vendre que le poisson qui pourrait être pris, et l'acheteur du coup de filet, qui soutenait avoir entendu acheter ce qui serait pris dans le filet, quoi que ce pût être. Apollon est consulté. Il répond que le trépied doit être offert à celui qui est le premier entre les Sages. On le présente tour-à-tour à chacun des sept Sages de la Grèce, qui le refusent modestement, et il retourne à Apollon, qui est reconnu l'emporter en sagesse sur tous les hommes. Certains Auteurs ont prétendu que ce qu'on disait du trépied de la Pythonisse qu'une fiction fondée sur les trois parties du temps qu'embrassait la science fatidique, le présent, le passé et l'avenir. Voyez le Scholiaste d'Aristophane, sur le 9e vers de la comédie de Plutus
(7) Pausanias, dans le chap. 39 de ses Béotiques, ne laisse rien à désirer sur ce qui concerne l'antre de Trophonius. On doit avoir d'autant plus de foi à ce qu'il en dit; qu'il parle en témoin oculaire. « Ce n'est point, ce sont ses termes; sur des ouï-dire, que je raconte. J'ai vu de mes propres yeux. J'ai moi-même consulté cet Oracle ».
(8)   Ce nom, qui signifie étymologiquement sans oiseaux, lui vient de ce que les oiseaux qui se présentaient pour le traverser, en volant, y tombaient raides. Virgile, au 6e livre de l'Enéide, vers 238, dit, en parlant de ce lac
Quam super haud ullae poterant impune volantes
Tendere inter pennis, talis sese habitus atris
Faucibus effundens supera ad convexa ferebat.
Unde locum Graii dixerrunt nomine Aornum.

Il est question de ce lac et de l'étymologie de son nom, dans le Voyage en Italie, assez récemment publié par le citoyen Meyer, page 415. Nous remarquerons en passant que l'Imprimeur a totalement défiguré le nom grec de ce lac, et qu'au mot grec ἄορνος
, il a substitué le mot barbare, ἄοσνος.
(9) Strabon s'exprime ainsi dans son cinquième livre, page 374, « Ceux qui nous ont précédés, ont attribué à l'Aorne ce qui Homère dit de la Nécromancie. Ils ont prétendu qu'il y avait là un Oracle où, l'on se servait de l'évocation des morts, et qu'Ulysse y était venu » Voyez, en ce qui concerne la Nécromancie, le Dictionnaire encyclopédique, sous ce mot.
(10) Quelques enthousiastes ont débité qu'à l'avènement du Messie, tous les Oracles du paganisme étaient devenus muets, et avaient été par conséquent abandonnés. Si cette étrange prétention avait pu se soutenir contre les nombreuses autorités qui l'ont jusqu'ici combattue, elle serait forcée de céder ici. Car je ne pense pas qu'on puisse s'exprimer plus disertement, plus formellement que ne le fait en cet endroit Maxime de Tyr, lorsqu'il nous apprend que, de son temps, c'est-à-dire, cent cinquante ans au moins après l'avènement du Messie, la réputation et la vogue de certains Oracles étaient encore en pleine vigueur. Consultez le Traité curieux de Vandale, sur les Oracles. Vous verrez dans sa première Dissertation, qu'encore sous le règne de Constantin, les Oracles étaient suivis et vénérés par les sectaires du paganisme, mais que l'entrée de cet Empereur dans le giron de l'Église, fut le signal de leur universelle proscription et du saccagement de tous les temples où ils étaient établis.
(11) Les interprètes Latins ont lu et traduit,
τύχῃ δεξιωτάτῃ. Pacci a dit, commodaque fortuna; Heinsius, nec fortunae destitutus auxilio. Davies a judicieusement remarqué que la fortune de Socrate n'était pas telle que Maxime de Tyr eût dû lui donner l'épithète δεξιωτάτῃ. Il a pensé qu'il fallait lire ψυχῇ qui fait un meilleur sens, et je l'ai suivi.
(12) Le texte semble attribuer tous les détails qui suivent à l'Esprit familier de Socrate. J'ai cru néanmoins que le vrai sens de Maxime de Tyr, était celui que j'ai adopté, avec d'autant plus d'apparence de raison, qu'un peu plus bas, au commencement de la section VI, notre Auteur dit positivement de l'Esprit familier de Socrate, qu'il était propre à un seul individu, et qu'il ne se communiquait point à tout la monde.
(13) Maxime de Tyr aurait dû dire que Bucéphale n'était jaloux de son dos à ce point, que lorsqu'il était couvert du caparaçon et de son harnois de bataille. Super hoc equo, dit Aulu-Gelle, liv. V, chap 2, dignum memoria risum quod, ubi ornatus erat, armatusque ad proelium, haud unquam inscendi sese ab alto nisi à Rege passus sit.
(14) Ce passage est emprunté du premier chant de l'Iliade, au 197e vers. Agamemnon échauffe la colère d'Achille. Celui-ci, dans sa fureur, met en délibération dans sa tête, s'il dégainera, s'il exterminera tous les chefs de l'armée des Grecs, et Agamemnon avec eux. Junon et Minerve, témoins du haut de l'Olympe, de ce qui se passe dans la tête du héros, sentent la nécessité de venir à son secours. Minerve s'élance, et arrive assez tôt pour prendre Achille par les cheveux, et le retenir.
(15) Voyez l'Iliade, chant cinquième, vers 127.
(16) Homère a mis ces paroles dans la bouche de Mentor. Il les adresse à Télémaque, au moment où ce jeune Prince va paraître devant Nestor. Voyez l'Odyssée, chant troisième, vers 26.
(17) Voyez l'Odyssée, ibidem, vers 28.
(18) Il est question du conseil de guerre, convoqué par Achille, effrayé des maux que fit, pendant neuf jours, à l'armée des Grecs, Apollon vengeant les outrages faits à Chrysès, son Grand-Prêtre, par Agamemnon. Voyez l'Iliade; chant premier, vers 55.
(19) Voyez l'Iliade, chant cinquième, dès le premier vers.
(20) Voyez l'Iliade, ibidem, vers 122.
(21) Markland s'étonne, et avec raison, qu'on n'ait pas remarqué avant lui, qu'il y avait ici une faute grave dans le texte, et que c'était à contre-sens de la pensée de notre Auteur, qu'on lisait
δημοτικὸν, au lieu de οὐ δημοτικὸν. Il est évident, en effet, que Maxime de Tyr ne peut point avoir donné à l'Esprit familier de Socrate, deux épithètes contradictoires, comme le sont ἰδιωτικὸς et δημοτικὸς.
(22) Maxime de Tyr fait allusion ici à ce que dit Platon, dans le Phèdre, page 343.
(23) Voyez le premier Alcibiade. Dès le début, Socrate dit à Alcibiade, que c'est par une considération toute divine, qu'il a été empêché pendant plusieurs années de revenir à lui, quoiqu'il eût été un des premiers à l'aimer; et un peu plus avant, il ajouté, qu'il vient à lui, à présent que le Dieu qui le gouverne, et qui l'en a longtemps détourné, lui en donne la permission.
(24) Dans l'Apologie de Socrate, que Xénophon nous a laissée, l'historien lui fait dire, « Deux fois j'ai résolu d'entreprendre ma défense, deux fois mon Esprit familier s'y est opposé ». Dans l'ouvrage de Platon, qui a le même titre, Socrate dit, en parlant de son Esprit familier: « C'est une voix divine qui ne se fait entendre que lorsqu'elle veut me détourner de ce que j'ai résolu, car jamais elle ne m'exhorte à rien entreprendre ». Après qu'il eut entendu son arrêt de mort; dans ce qu'il adressa de particulier à ceux de ses Juges qui avaient voté pour lui, il leur fit remarquer que son Esprit familier ne l'avait empêché, ni de rien dire, ni de rien faire, de ce qu'il avait fait ou dit, dans tout ce qui venait de se passer jusques à sa condamnation, d'où il concluait qu'il lui était beaucoup meilleur de mourir que de vivre.
(25) Tels sont, en effet, les traits caractéristiques de la belle statue d'Apollon, connue sous le nom d'Apollon du Belvédère, qui nous vient, dit-on, de l'antiquité.
(26) Maxime de Tyr désigne ici la dissertation suivante, qui roule sur le même sujet que celle-ci.
(27) Heinsius n'a eu aucun égard aux trois mots qui terminent cette phrase. Probablement il les a regardés comme une sorte de pléonasme. Pacci en a pensé autrement. Il a traduit, alteram, coronam quae optimae naturae mentique ob honestas rectasque rationes proposita est.
(28) Ce mot sera facilement entendu par ceux qui connaissent la racine latine d'où il est emprunté. Je le prends ici dans un sens générique pour tout ce qui émanait, soit des Oracles proprement dits, soit des hommes qui faisaient profession de prédire l'avenir, tels que Calchas, Amphiaraüs, et autres.
(29) Voilà bien le dogme célèbre de la préexistence des âmes, qui joue un si grand rôle dans la philosophie de Platon.
(30) Pacci n'a pas rendu
εὐπορώτατον; il ne l'a peut-être pas lu dans son manuscrit.
(31) Témoins ces deux vers de Juvénal :
Si fortuna volet, fies de Rhaetore consul;
Si volet haec eadem, fies de consule Rhaetor.

(32) C'est par cette sorte de périphrase que j'ai cru devoir rendu tout le sens des deux mots du texte
Θεὸς αὐτὸς. Formey a traduit, le Ciel et tout le reste de la Nature. Ce n'est pas cela, dans le système des Platoniciens. Ce n'est pas cela non plus dans le latin d'Heinsius, qui a fidèlement rendu l'original, caelum regit, omniaque in eo ordinat ac disponit. In eo n'est pas tout le reste de la Nature.
(33) Ce passage est emprunté du poème des Œuvres et des jours d'Hésiode, vers 252. Maxime de Tyr, à son ordinaire, faute d'avoir un exemplaire du poète sous la main, a tronqué le passage. Hésiode a dit : « Il est sur la terre un nombre infini d'immortels, fils de Jupiter, chargés de veiller sur les hommes ». Au reste, l'expression d'Hésiode est remarquable. À la lettre, elle signifie trente mille ; et de là, peut-être, est venue l'opinion que les païens admettaient trente mille Dieux. 
(34) Voyez ci-dessous la dernière note.
(35) C'est ainsi que s'exprime dans l'Odyssée, chant 17, vers 485 et suivants, un des amants de Pénélope, en reprochait à Antinoüs d'avoir frappé Ulysse. Maxime de Tyr n'a cité que deux vers. Pour compléter le sens, j'ai cru devoir y joindre le troisième qui les suivait
(36) Cette doctrine de Platon, concernant les Dieux du second ordre, parut si ingénieuse, si raisonnable, et en même temps si brillante, que les instituteurs du Christianisme la firent entrer dans leur plan. On voit, en effet, que St. Jean, l'Auteur de l'Apocalypse, s'est emparé de cette idée; et qu'il en a tiré grand parti dans les détails de ses merveilleuses Révélations. Il est même remarquable qu'il a enchéri sur Hésiode, qui, comme nous l'avons dit un peu plus haut, portait le nombre de ces Dieux secondaires à trente mille,
τρὶς μύριοι. St. Jean compte, parmi les douze tribus des enfants d'Israël, cent quarante-quatre mille de ceux qu'il appelle Serviteurs de DIEU ; savoir, douze mille de chaque tribu. Voyez l'Apocalypse, chap. 7. Ses Anges, ses Archanges, ses Chérubins, ses Séraphins, ses Trônes, ses Dominations, ses Principautés, ses Vertus, ses Puissances, n'ont pas une autre origine. C'est encore cette idée platonique relative à la nécessité des puissances intermédiaires entre DIEU et l'Homme qui a produit la Légende et le culte de ses coryphées; et afin qu'il ne manquât rien à l'identité de la copie et de l'original, les Anges Gardiens ont remplacé les Esprits familiers.
Paris, le 16 floréal an IX. (6 mai 1801.)
 

NOTES
(37).Plutarque, dans une de ses Morales, a traité la même question. Apulée l'a traitée également. Ces deux Auteurs sont plus ou moins entrés dans le fond de leur sujet. Au lieu que la Dissertation qu'on va lire, ne dit pas un mot de l'Esprit familier de Socrate. Elle ne roule que sur la nature et les fonctions de ce que les Platoniciens appelaient Dieux du second ordre.
(38) Le célèbre Scholiaste d'Homère, Eustathe, nous apprend, dans ce qu'il a dit sur le neuvième vers de la partie du chant second de l'Iliade, intitulée : Κατάλογος νεῶν
, qu'lsménias s'était fait une grande réputation dans l'antiquité, par son talent à jouer de la flûte, et qu'il était originaire de Thisbé, ville voisine de la mer, limitrophe du pays des Thespiens, et adossée au mont Hélicon. Voyez ce Scholiaste, pag.268, édit. de 1542; et pag. 203 de l'édition postérieure. Voy. aussi Diogène-Laërce, liv. IV. 22, liv. VII 125.
(39) C'est le début du Discours adressé par Ulysse à la fille d'Alcinoüs, à Nausicaa, au moment où il vient de se sauver à la nage, et de prendre terre sur le rivage des Phéaciens. Voyez l'Odyssée, chant 6, vers 149.
(40) C'est encore Ulysse qui tient ce langage à Nausicaa, Ibid. vers 153.
(41) Le grec porte comme le latin d'Heinsius, jubent enim pro se ut respondeam. Formey a traduit, « Je prends ici la parole pour lui, et je le fais répondre. » Qu'est devenu jubent, plus essentiel ici que Formey ne pareil l'avoir pensé? Pourquoi n'être pas littéral, quand on n'a que du latin si aisé à traduire ?
(42) Heinsius a traduit ossibusque, et Formey, trompé par l'homophonie des mots, a écrit d'eau, au lieu d'os, ce qui est un peu différent.
(43)  Formey a traduit, « La différence qui se trouve entre le son le plus aigu et le plus grave, reposant sur ces mots qui occupent le milieu », et cela, parce que Heinsius a traduit, differentia mediis innitatur vocibus. Voilà ce que c'est que de ne pas se douter que le mot vox, vocis, a, en latin, une diversité d'acception que n'a point le terme mot en français. Car, qu'est-ce que des mots qui occupent le milieu entre le son le plus aigu et le plus grave? N’est-il pas plus clair que le jour, que c'est de sorts et non pas de mots qu'il s'agit dans ce passage?
(44) Minima, dit Heinsius, verum immortale quid, et quod a passione sit remotum. Pourquoi donc Formey a-t-il pris ici le style académique, et a-t-il traduit : « Il n'est pas moins exempt de toute passion, qu'il est à l'abri de tous les coups de la mort » ? Le didactique (et en cet endroit, le texte a ce caractère) ne comporte pas cette élégance d'élocution : Non erat his locus.
(45)  Formey ne s'est point aperçu qu'il laissait de côté cette phrase entière, qui d'ailleurs n'a point été omise par Heinsius.
(46)  Encore ici une grave inadvertance de Formey. Il a laissé cette phrase au bout de sa plume.
(47) Pour peu qu'on soit versé dans le platonisme, on sait que les Platoniciens regardaient les plantes comme ayant non seulement de la vie, mais comme ayant une âme: Maxime de Tyr s'en explique ici très disertement; car le mot
ἔμψιχος, qu'il a employé plusieurs fois, signifie proprement, qui a une âme. Heinsius l'a toujours entendu et traduit dans ce sens-là ; et néanmoins Formey, ne faisant pas attention, qu'en tout ce qui est didactique, un traducteur doit suivre rigoureusement son texte, et rendre verbum verbo, a traduit ici, « La vie (est commune), à la bête et à la plante » ce qui n'est pas selon la doctrine des Platoniciens.
(48) Markland propose de lire ici
ὀσμαῖς, odeurs, à la place de σώματα, corps. Je pense bien, comme lui, qu'il y a corruption dans le texte, mais je préfère lire χρώματα, couleurs, d'autant que plus bas, sect. VI, au lieu de σομάτων, qui se trouve dans les éditions vulgaires, l'ancien manuscrit de la Bibliothèque nationale, porte χρωμάτων ; et. que Markland remarque dans sa note, en cet endroit, que, soit Maxime de Tyr, soit Platon, soit les autres Auteurs Grecs, sont en possession d'employer dans la même phrase, les mots χρώματα, et σχήματα, qui sont en effet dans la phrase de la section VI ci-dessous.
(49) Heinsius a eu tort de traduire ici, ut si quis e Barbaris ad Graecos. Il n'y a rien dans le texte qui motive cette transition si quis. C'est à l'âme uniquement qu'appartient la phrase entière, et Pacci l'a rendue dans ce sens-là.
(50) Iliade, chant 18,vers 491.
(51) Le grec porte littéralement, l'Ether, et non pas le Ciel. C'est en effet, dans la région de l'Ether, intermédiaire entre le Ciel et la région de l'air, que les Platoniciens avaient établi le domicile des Dieux du second ordre. Formey a donc tort de mettre ici le Ciel à la place de l'Ether. Le langage des Platoniciens tient à leur théologie. Il ne faut donc pas les faire parler à contre-sens de leurs dogmes.
(52) « D'homme », dit Formey, « elle devient démon ». Ce n'est pas encore là le langage des Platoniciens. L'âme n'était pas plus l'homme que le corps ne l'était. L'homme était le composé de l'un et de l'autre.
(53)  Voyez ci-dessus la première note de la section IV.
(54) « Avec lesquelles», dit Formey, « elle a de l'affinités. » J'en demande pardon à ce traducteur. Mais entre les âmes individuellement considérées, il y a quelque chose de plus que de l'affinité.
(55)
  Hac lege, dit Heinsius, ut bonis auxilium ferant, qui injuria afficiuntur ab ea vindicent, qui inferunt puniant. C'est, en effet, le texte. Mais Formey n'a pas voulu traduire ces lignes, peut-être parce qu'il a regardé comme un sacrilège, à lui protestant, de faire empiéter les Démons, pour me servir de son expression, sur l'apanage de DIEU, et de consacrer la doctrine de la grâce admise par l'Église Romaine, en faisant remonter son origine à la doctrine de Platon. C'est ainsi que dans ces temps de ténèbres, où les manuscrits des ouvrages de l'Antiquité n'étaient qu'entre les mains des moines ; ceux-ci se permettaient, en les copiant, lorsque, d'ailleurs, ils en savaient assez pour les entendre, d'y retrancher ou d'y ajouter, selon leur caprice.
(56) Les Anciens pensaient que les âmes, séparées du corps, conservaient les mêmes goûts, les mêmes affections qu'elles avaient pendant qu'elles lui étaient unies. Platon s'en explique très disertement dans le Gorgias; et Virgile, au sixième livre de l'Enéide, fait voir à Énée, dans les Enfers, le cocher de Priam,
Etiam currus, etiam arma, tenentem;
et d'autres morts faisant encore aux Enfers ce qu'ils faisaient de leur vivant,
Quæ gratia currum
Armorumque fuit vivis, quae cura nitentes
Pascere equos, eadem sequitur tellure repostos.

(57) Arrien, dans son petit ouvrage intitulé, le Périple du Pont-Euxin, ne laisse rien à désirer touchant l'île en question. Il entre dans les plus grands détails sur le temple qu'Achille avait dans cette île, sur le genre de sacrifice qu'on lui offrait, sur l'Oracle qui était attaché à ce temple, et sur les oiseaux de mer qui en étaient comme les Sacristains. À la vérité, il ne dit rien de la particularité rapportée plus bas par Maxime de Tyr, au sujet de ceux qui s'endormaient dans cette île. Ce qui est bon à remarquer, c'est qu'Arrien déclare que tout ce qu'il en raconte, il le tient de personnes qui ont abordé dans cette île, ou qui lui en ont parlé par ouï-dire. Il ajoute que tout cela lui parait très digne de foi ; car le moyen qu'Achille, à qui Homère a donné tant d'éloges, de qui l'on raconte tant d'exploits, et qui fit à l'amitié le sacrifice de sa vie, ne soit pas au rang des Héros, ou des demi-Dieux ! C'est ainsi que les hommes faits par leurs lumières pour combattre l'ignorance et la superstition, contribuaient à en épaissir les ténèbres.
(58) Dans le texte grec, sur lequel Heinsius a traduit, il a lu
νήσου au lieu de νεώς, que Davies y a substitué, sur la foi de l'ancien manuscrit de la Bibliothèque nationale. Il eût, en effet, été bizarre d'être obligé de faire les sacrifices à bord, avant de mettre le pied dans l'île.
(59) Sénèque, dans ses Questions naturelles, liv. I, chap. I, dit, qu'au milieu d'une tempête, on voit Castor et Pollux, se placer en forme d'étoiles au-dessus des mâts, et que les marins croient que c'est par le secours de ces Dieux qu'ils échappent au danger. Arrien, dans son Périple du Pont-Euxin, que nous venons de citer, dit en effet, que Castor et Pollux se montrent réellement aux navigateurs ἐναργεῖς φαίνονται. Pline, au livre second de son Histoire naturelle, 4. 37, dit en propres termes, vidi nocturnis militum vigiliis, inhaerere pilis pro vallo effigie ea. Il parle, comme on voit, en témoin oculaire, vidi, et ne sachant comment rendre raison de ces phénomènes, il s'en tire, en disant, omnia incerta ratione et in naturae majestate abdita. Bien plus réservé en cela que le vulgaire des Docteurs, qui s'ingèrent d'expliquer ce qu'ils ne sauraient comprendre. Cette sage réflexion de Pline l'ancien en rappelle une non moins sage de Montaigne, l'Auteur des Essais: « Les miracles », dit-il, « sont, selon l'ignorance, en quoi a, nous sommes de la Nature, non selon l'être de la Nature » Liv. I, chap. 22.
(60) Voilà Maxime de Tyr, qui dit également avoir vu Castor et Pollux, en forme d'étoiles; avoir vu Esculape et Hercule. Les philosophes et les Platoniciens de profession n'étaient donc pas plus exempts que les autres de la maladie des visions.
Paris, le 18 floréal an IX.. (8 mai 1801.)