MAXIME DE TYR
DISSERTATIONS
DISSERTATION XVIII.
Faut-il rendre l'Injustice pour l'Injustice
(1).
Εἰ τὸν ἀδικήσαντα ἀνταδικητέον.
« L'HOMME est-il plus en sûreté derrière le rempart de la justice, que
derrière celui de l'oblique friponnerie (2) ? À vrai dire, je suis indécis
sur cette question (3) ». À la bonne-heure, Pindare, qu'à vos yeux, il y ait
sujet d'incertitude et d'indécision entre la justice et la friponnerie, et que
vous mettiez l'or en balance avec un vil plomb. Vous n'étiez qu'un poète ; bon
à composer, ou des couplets pour des danseurs, ou des hymnes triomphales pour
des tyrans (4). Vous n'étiez occupé que du choix des mots, de la mesure, du
rythme des vers, de la pompe et de la justesse des images. Mais celui qui
n'attache pas plus d'intérêt à la danse, au chant, au plaisir de la poésie,
que les enfants n'en attachent à leurs jeux; celui qui désire de donner de
l'accord et de la mesure à son âme, de mettre de l'ordre et de la convenance
dans ses actions et dans tous les détails de sa vie, celui-là n'aura
certainement pas l'idée de mettre en question : « Si le rempart de la justice
est plus ou moins sûr». Mais il dira, en parodiant vos vers, « Oui, le
rempart de la justice est le plus sûr; et l'homme ne doit jamais se placer
derrière celui de l'oblique friponnerie ». En effet, cette dernière ne peut
pas plus escalader le rempart de la justice, que les Aloïde (5) n'escaladèrent
les cieux. En vain ils entassèrent le Mont Ossa sur le dont Olympe, et le Mont
Olympe sur le Mont Pélion. Ils demeurèrent toujours aussi loin des cieux, que
la friponnerie l'est de la justice. Or, la justice appartient à l'homme de
bien, et la friponnerie au méchant. La justice est pure dans ses éléments; la
friponnerie n'est qu'un faux alliage. La force est l'apanage de la justice; la
faiblesse est l'attribut de la friponnerie. La première est utile, et la
seconde est nuisible. |
Πότερον δίκα τεῖχος ὕψιον,
ἢ σκολιαῖς ἀπάταις ἀναβαίνει
ἐπιχθόνιον γένος ἀνθρώπων,
δίχα μοι νόος ἀτρεκίαν εἰπεῖν.
Σὺ μέν, ὦ Πίνδαρε, ἀμφισβητεῖς πρὸς
ἑαυτὸν περὶ ἀπάτης καὶ δίκης, παραβάλλων χρυσὸν χαλκῷ· ποιητὴς γὰρ
ἦσθα· καὶ δεινὸς ᾠδὴν συντιθέναι χορῷ, καὶ τυράννοις ποιεῖν ἐπινίκια
ᾄσματα, καί σοι ἐμέλησεν ὀνομάτων μέτρου, καὶ ἁρμονίας μελῶν, καὶ
ῥυθμοῦ σχημάτων· ἀνδρὶ δὲ ὅτῳ χορὸς μὲν καὶ ᾠδὴ καὶ ἡ ἐκ μελῶν ἡδονὴ
χώραν ἔχει ὅσην περ καὶ τοῖς παισὶν τὰ ἀθύρματα, μέλει δὲ αὐτῷ
μέτρου ψυχῆς καὶ ῥυθμοῦ καὶ μέλους καὶ σχήματος τοῦ περὶ τὰς πράξεις
καὶ τὸν ἄλλον βίον, οὐδ´ ἂν τὴν ἀρχὴν εἰς νοῦν ἔλθοι
τουτὶ τὸ ἀπόρημα
πότερον δίκα τεῖχος ὕψιον
ἢ μή· ἀλλ´ οὑτωσὶ φαίην ἂν μεταλαβὼν
τὸ ᾆσμα τὸ σόν, ὅτι
καὶ δίκα τεῖχος ὕψιον,
καὶ σκολιαῖς ἀπάταις ἀναβαίνειν
ἐπιχθόνιον γένος ἀνθρώπων,
ἀλλ´ ἀπρόσβατόν τι χρῆμα τῇ ἀπάτῃ ἡ
δίκη, ὥσπερ τοῖς Ἀλωΐδαις ὁ οὐρανός· καὶ ὤνησεν αὐτοὺς οὐδὲν ἡ Ὄσσα
ἐπιτεθεῖσα τῷ Ὀλύμπῳ, καὶ ὁ Ὄλυμπος τῷ Πηλίῳ, ἀλλὰ ἀπεῖχον τοῦ
οὐρανοῦ, ὅσον ἀπέχει ἀπάτη δίκης. Οὐκοῦν τῶν μὲν ἀγαθῶν ἡ δίκη, τῶν
δὲ μοχθηρῶν ἡ ἀπάτη· καὶ δόκιμον μὲν ἡ δίκη, κίβδηλον δέ τι ἡ
ἀπάτη· καὶ ἰσχυρὸν μὲν ἡ δίκη, ἀσθενὲς δὲ ἡ ἀπάτη· καὶ τὸ μὲν
ὠφέλιμον, τὸ δὲ οὔ. |
II. Celui donc qui aime la justice et qui est investi de ce rempart de
Pindare, lorsqu'il aura injustement éprouvé quelque mal, cherchera-t-il à
prendre sa revanche ? Voyons, qu'ai-je dit? Prenons garde qu'il ne se puisse pas
que le même individu fasse et reçoive une injustice en même temps (6). Car,
s'il en est de faire et de recevoir une injustice, comme de donner et de
recevoir des coups, comme de faire et de recevoir une blessure (7), rien
n'empêche que le même individu ne fasse et ne reçoive une injustice en même
temps. Mais si, d'un côté, en ce qui concerne les coups et les blessures ; il
existe une sorte d'identité physique qui rend le même individu susceptible, en
même temps, d'action et de passion; et que, d'un autre côté, il en soit,
plutôt, de faire et de recevoir une injustice, comme il en est de voir et
d'être vu; (car, tout ce qui a le don de la vue, voit, mais ce qui est vu, ne
voit pas toujours) nous aurons plus de raison de dire qu'il en est de faire et
de recevoir une injustice, comme de convaincre et d'être convaincu (8). Celui
qui connaît la vérité convainc, celui qui l'ignore est convaincu. Or, de
même que ce ne serait point à celui qui connaît la vérité à être
convaincu, ni à celui qui l'ignore à convaincre ; de même, faire une
injustice et la recevoir, ne sauraient appartenir à la même personne. |
Ὅτῳ δὴ μέλει δίκης, καὶ περιβέβληται
τουτὶ τὸ Πινδάρου τειχίον, οὗτος ἕλοιτο ἄν ποτε ἀδικηθεὶς ἀμύνασθαι
ἐκ τῆς ἴσης; φέρε ἴδω τι καὶ λέγων· μὴ γὰρ οὖν καὶ ἀδικεῖσθαι αὐτῷ
θέμις ᾖ. Εἰ μὲν γὰρ τὸ ἀδικεῖν καὶ τὸ ἀδικεῖσθαι τοιοῦτόν ἐστιν,
ὁποῖον τὸ τύπτειν καὶ τύπτεσθαι, καὶ τέμνειν καὶ τέμνεσθαι, οὐδὲν
δεινὸν τὸν αὐτὸν καὶ δραστικὸν ὁμοῦ εἶναι ἀδικίας καὶ παθητικόν· εἰ
δ´ ἐνταῦθα ὁ αὐτὸς μὲν τῇ κοινότητι τῆς φύσεως ἐνέργειαν καὶ πάθος,
ἑκάτερον αὐτῶν, καταδέχεται, ἔοικεν δὲ τὸ ἀδικεῖν καὶ ἀδικεῖσθαι
πολὺ μᾶλλον τῷ ὁρᾶν καὶ ὁρᾶσθαι, ὁ μὲν γὰρ τὸ μετέχον ὄψεως, τὸ δὲ,
ὁρώμενον, οὐ πάντως καὶ ὁρᾷ, ἢ μᾶλλον οὑτωσὶ λέγωμεν, ὅτι ἔοικεν τὸ
ἀδικεῖν καὶ ἀδικεῖσθαι τῷ ἐλέγχειν καὶ ἐλέγχεσθαι· ἐλέγχει μὲν γὰρ ὁ
τὸ ἀληθὲς εἰδώς, ἐλέγχεται δὲ ὁ ἀγνοῶν· καὶ ὡς οὐκ ἂν εἴη οὔτε τοῦ
τἀληθὲς εἰδότος τὸ ἐλέγχεσθαι, οὔτε τοῦ τἀληθὲς οὐκ εἰδότος τὸ
ἐλέγχειν, οὕτως οὐδὲ τὸ ἀδικεῖν εἴη ἂν καὶ τὸ ἀδικεῖσθαι τοῦ αὐτοῦ. |
III. Puis donc que faire et recevoir une injustice n'appartient point à la
même personne, et que l'homme de bien n'est pas une même personne avec le
méchant, auquel des deux attribuerons - nous l'une et l'autre de ces deux
choses? Dirons-nous que le méchant commet l'injustice, et que l'homme de bien
la souffre ? ou bien, dirons-nous que le méchant commet, à la vérité,
l'injustice, mais qu'il n'est pas clair auquel des deux, du méchant ou de
l'homme de bien, il appartient de la souffrir? Partons de ce point de vue.
Commettre une injustice envers quelqu'un, c'est lui ôter ce qui constitue son
bien (9). Or, ce qui constitue le bien de quelqu'un, qu'est-ce autre chose que
la vertu ? Mais la vertu ne saurait être enlevée. Celui donc qui possède la
vertu ne pourra souffrir d'injustice, ou bien, commettre une injustice envers
quelqu'un, n'est pas lui enlever ce qui constitue son bien. Car le bien ne peut
être ni enlevé, ni arraché, ni ravi, ni volé. À la bonne heure : l'homme de
bien ne peut donc recevoir d'injustice de la part du méchant, puisque celui-ci
ne peut lui rien enlever. Reste donc, ou que personne ne puisse éprouver
d'injustice, ou que le méchant seul puisse l'éprouver de la part de son
semblable. Mais le méchant n'a rien de ce qui constitue le bien; et l'injustice
consiste à. enlever ce qui constitue le bien. Celui qui n'a rien qu'on puisse
lui enlever, ne peut, sous ce rapport, éprouver aucune injustice. |
Ἐπεὶ τοίνυν οὐ τοῦ αὐτοῦ, ἀλλ´ ἑτέρου,
ὁ δὲ χρηστὸς τῷ πονηρῷ οὐχ ὁ αὐτός, ποτέρῳ πότερον προσθήσομεν; ἆρα
τὸ μὲν ἀδικεῖν τῷ πονηρῷ, τὸ δὲ ἀδικεῖσθαι τῷ χρηστῷ; ἢ τὸ μὲν
ἀδικεῖν τοῦ μοχθηροῦ, τὸ δὲ ἀδικεῖσθαι οὔπω δῆλον ὁποτέρου αὐτοῖν,
οὑτωσὶ δὲ θεασώμεθα. Ἀδικία ἐστὶν ἀφαίρεσις ἀγαθοῦ· τὸ δὲ ἀγαθὸν τί
ἂν εἴη ἄλλο, ἢ ἀρετή; ἡ δὲ ἀρετὴ ἀναφαίρετον. Οὐκ ἀδικηθήσεται
τοίνυν ὁ τὴν ἀρετὴν ἔχων, ἢ οὐκ ἔστιν ἀδικία ἀφαίρεσις ἀγαθοῦ· οὐδὲν
γὰρ ἀγαθὸν ἀφαιρετόν, οὐδὲ ἀποβλητόν, οὐδὲ ἑλετόν, οὐδὲ ληϊστόν.
Εἶεν· οὐκ ἀδικεῖται ὁ χρηστὸς 〈οὔτε ὑπὸ τοῦ χρηστοῦ, ἀνεπιβούλευτος
γὰρ αὐτοῦ ἀρετή,〉 οὔτε ὑπὸ τοῦ μοχθηροῦ, ἀναφαίρετος γάρ· λείπεται
τοίνυν ἢ μηδὲν ἀδικεῖσθαι καθάπαξ, ἢ τὸν μοχθηρὸν ὑπὸ τοῦ ὁμοίου·
ἀλλὰ τῷ μοχθηρῷ οὐδενὸς μέτεστιν ἀγαθοῦ, ἡ δὲ ἀδικία ἦν ἀγαθοῦ
ἀφαίρεσις· ὁ δὲ μὴ ἔχων ὅ,τι, ἂν ᾖ, ἀφαιρεθῇ, οὐδὲ εἰς ὅ,τι ἀδικηθῇ
ἔχει. |
IV. Si ce n'est peut-être que l'injustice consiste moins en ce que quelque
chose soit réellement enlevé à celui qui l'éprouve, qu'elle ne consiste dans
l'intention de celui qui la commet; et qu'à ce compte le méchant puisse
éprouver une injustice de la part du méchant, quoiqu'il n'ait rien de bien
qu'on puisse lui enlever; et que, de son côté, l'homme de bien puisse
éprouver une injustice de la part du méchant, quoique ce qui constitue le bien
ne puisse lui être enlevé. J'approuve cette opinion, de faire consister
l'injustice plutôt dans l'intention de celui qui la commet, que dans ce
qu'éprouve réellement celui envers qui elle est commise. Car la loi punit non
seulement celui qui a commis l'adultère, mais encore celui qui l'a médité ;
non seulement le voleur qui a pénétré dans une maison (10), mais encore celui
qui a fait ses préparatifs pour s'y introduire (11); non seulement celui qui a
trahi sa patrie, mais encore celui qui a conspiré contre elle. Nous voilà donc
au point où nous voulions arriver, savoir, que l'homme de bien ne peut, ni
commettre, ni éprouver d'injustice. Il n'en peut commettre, parce qu'il n'en
a pas la volonté ; il n'en peut éprouver, parce que sa vertu est au-dessus de
toutes les atteintes. Tandis, au contraire, que le méchant commet l'injustice,
sans être susceptible de l'éprouver. Il la commet, par l'effet de sa
méchanceté : il ne peut l'éprouver, parce que ce qui constitue le bien est
hors de lui. En effet, si ce qui constitue le bien n'est autre chose que la
vertu, le méchant, ne possédant point la vertu, n'a rien en quoi il puisse
éprouver d'injustice. Et quand même, outre la vertu, on regarderait comme bien
les commodités du corps et les avantages extérieurs de la fortune, (il vaut
mieux ne pas les posséder, que les avoir, lorsque la vertu ne les accompagne
pas) le méchant n'en serait pas moins insusceptible d'éprouver l'injustice,
quoiqu'on lui ôtât quelqu'une de ces choses dont il fait un mauvais usage. Le
méchant peut donc commettre l'injustice sans être capable de éprouver,
puisque nous la faisons consister dans l'intention de la commettre. |
Μήποτε οὖν οὐ κατὰ τὴν ἀφαίρεσιν τοῦ
πάσχοντος ἡ ἀδικία τέτακται, ἀλλὰ κατὰ τὴν γνώμην τοῦ δράσαντος· καὶ
ὁ μοχθηρὸς ὑπὸ τοῦ μοχθηροῦ ἀδικεῖται, κἂν μὴ ἔχῃ τὸ ἀγαθόν· καὶ ὁ
χρηστὸς ὑπὸ μοχθηροῦ, ἂν ἔχῃ δὴ 〈ἀν〉αφαίρετον τὸ ἀγαθόν. Ἀποδέχομαι
τοῦ λόγου τῆς γνώμης τῷ ἡμαρτημένῳ προστιθέντος τὴν ἀδικίαν μᾶλλον ἢ
τῷ ἐπιτυχεῖ τοῦ ἔργου· καὶ γὰρ μοιχὸν κολάζει ὁ νόμος, οὐ τὸν
δράσαντα μόνον, ἀλλὰ καὶ τὸν βουληθέντα· καὶ τοιχώρυχον τὸν
ἐπιχειρήσαντα, κἂν μὴ λάθῃ· καὶ προδότην τὸν μελλήσαντα, κἂν μὴ
πράξῃ. Ἥξει τοίνυν ὁ σύμπας λόγος εἴς τι δέον. Ὁ μὲν γὰρ ἀγαθὸς οὔτε
ἀδικεῖ, οὔτε ἀδικεῖται· οὐκ ἀδικεῖ μὲν διὰ τὴν βούλησιν, οὐκ
ἀδικεῖται δὲ διὰ τὴν ἀρετήν. Ὁ δὲ μοχθηρὸς ἀδικεῖ μέν, οὐκ ἀδικεῖται
δέ· ἀδικεῖ μὲν διὰ μοχθηρίαν, 〈οὐκ ἀδικεῖται δέ, δι´ ἀπουσίαν〉
ἀγαθοῦ. Ἔτι τοίνυν, εἰ μὲν ἀγαθὸν ἡ ἀρετὴ μόνον καὶ οὐκ ἄλλό τι, ὁ
μοχθηρὸς τὴν ἀρετὴν οὐκ ἔχων οὐδ´ εἰς ὅ,τι ἀδικηθῇ ἔχει· εἰ δὲ πρὸς
τῇ ἀρετῇ καὶ ταυτὶ ἀγαθὰ τὰ περὶ σῶμα, καὶ τὴν ἐκτὸς τύχην καὶ
περιβολήν, ἀρετῆς μὴ παρούσης, βέλτιον ἀπεῖναι ταῦτα, ἢ μή· ὥστε
οὐδ´ ὣς ἀδικηθείη ἂν ὁ μοχθηρός, ἀφαιρούμενός τι τούτων, οἷς χρῆται
κακῶς. Οὐκοῦν ἀδικεῖ μέν, οὐκ ἀδικεῖται δέ, προστιθέντων ἡμῖν τῇ
βουλήσει τὸ ἄδικον, οὐ τῷ ἔργῳ. Πονηρῶν νῦν βούλεται μὲν ὁ μοχθηρὸς
ἀδικεῖν, οὐ μὴν δυνατός· βουλόμενος δέ, ἢ πρὸς τὸν ὅμοιον
ἀποτείνεται, ἢ πρὸς τὸν κρείττονα. |
V. Je dirai donc maintenant du méchant, qu'il a l'intention de commettre
l'injustice, et qu'il n'en a pas le pouvoir. Or, lorsque l'intention lui en
vient, c'est, ou envers son semblable qu'il veut la commettre, ou envers l'homme
de bien. Que fera donc ce dernier? Rendra-t-il au méchant injustice pour
injustice? Mais le méchant n'a point la chose dans laquelle seule il pourrait
l'éprouver. Car il est méchant, en ce qu'il ne possède pas cette chose.
L'homme de bien ne rendra donc point au méchant injustice pour injustice, quant
à l'acte effectif, car le méchant n'a pas la chose dans laquelle il pourrait
éprouver l'injustice; il ne la lui rendra pas, non plus, quant à l'intention,
car l'homme de bien n'a pas plus l'intention de commettre l'injustice, qu'un
musicien n'a l'intention de jouer faux. En général, si c'est une méchanceté
de commettre l'injustice, c'en est une aussi de la rendre. Car on n'est pas plus
méchant en ce que l'on est le premier à commettre l'injustice (12). La rendre,
c'est être méchant avec une égale mesure de méchanceté (13). En effet, si
c'est une méchanceté de commettre une injustice, ce n'est pas une moindre
méchanceté de la rendre, quoique ce ne soit que représailles. Car, de même
qu'un bienfait envers un bienfaiteur n'en est pas moins un bienfait, quoiqu'il
ne soit qu'un acte de reconnaissance; de même, une méchanceté, en retour
d'une méchanceté, n'en est pas moins une méchanceté, quoique l'une ait
provoqué l'autre. |
Τί δὲ τῷ κρείττονι δραστέον; ἢ
ἀνταδικητέον τὸν μοχθηρόν; καὶ μὴν εἰς ὅ,τι ἀδικεῖ, οὐκ ἀδικεῖ, ὅτι
οὐκ ἔχει· ἀπουσίᾳ γὰρ ἀγαθοῦ μοχθηρὸς 〈ὁ μοχθηρ〉ὸς ἦν. Οὔτ´ οὖν κατὰ
τὸ ἔργον ἀνταδικήσει ὁ νοῦν ἔχων τὸν μοχθηρόν, οὐ γὰρ ἔχει εἰς ὅ,τι
ἀδικηθήσεται· οὔτε κατὰ τὴν βούλησιν, οὐ γὰρ ἐθέλει ἀδικεῖν χρηστὸς
ὢν οὐ μᾶλλον, ἢ αὐλητικὸς παρὰ μέρος αὐλεῖν. Καθόλου δέ, εἰ τὸ
ἀδικεῖν πονηρόν, καὶ τὸ ἀνταδικεῖν ὅμοιον· οὐ γὰρ τῷ ὑπάρξαι
πλεονεκτεῖ κατὰ πονηρίαν ὁ ἀδικῶν, ἀλλὰ τῷ ἀμύνασθαι ἐξισοῦται
κατὰ μοχθηρίαν ὁ ἀνταδικῶν. Καὶ μήν, εἰ ὁ ἀδικῶν κακῶς ποιεῖ, ὁ
ἀντιποιῶν κακῶς οὐδὲν ἧττον ποιεῖ κακῶς, κἂν ἀμύνηται. Ὥσπερ
γὰρ ἀποδιδοὺς χάριν τῷ προϋπάρξαντι οὐδὲν ἧττον εὖ ποιεῖ, κἂν
προπεπονθὼς ᾖ· οὕτως ὁ μετατιθεὶς τὴν ἀμοιβὴν εἰς κάκωσιν οὐδὲν
ἧττον κακῶς δρᾷ, κἂν προπεπονθὼς ᾖ. |
VI. Quel sera donc le terme du mal ? Car, si celui qui éprouve une
injustice, use de représailles, le mal va se trouver dans un état de
vicissitude, d'alternative, de réciprocité sans fin; et l'injustice succédera
perpétuellement à l'injustice. En vertu du droit que l'on donne à celui qui
est attaqué, de se venger de son agresseur, on fait retomber contre lui-même
le droit d'une seconde agression. Le droit devient, en effet, égal des deux
côtés. O Jupiter ! que faisons-nous, de poser la justice pour base de
l'injustice ! Jusqu'où ira le mal, et où s'arrêtera-t-il? Ne voyons-nous pas
que nous ouvrons une source intarissable de mauvaises actions, et que nous
érigeons, par toute la terre, la méchanceté en loi ! Telle fut, sans doute,
dans l'antiquité, la première origine du malheur des hommes. Les Grecs et les
Barbares se désolèrent alternativement par des incursions, des guerres, des
dévastations, des brigandages. Les premières agressions furent le prétexte de
celles qui les suivirent. Des Phéniciens vinrent, dans la Grèce, enlever la
fille d'un Roi d'Argos (14). Des Grecs allèrent, dans la Colchide, enlever la
fille d'un Roi Barbare (15). Des Phrygiens, dans le Péloponnèse, enlevèrent
une femme de Lacédémone (16). Voilà l'origine et la succession des maux.
Voilà le prétexte des guerres. Voilà les agressions qui engendrent les
agressions (17). La Grèce trouva, en effet, sa ruine dans l'opinion qu'elle
adopta sur la matière que nous traitons, et qui se répandit chez ses voisins.
Elle la trouva dans son irascibilité sans frein, dans ses implacables
ressentiments, dans sa passion pour la vengeance, dans son ignorance de la
justice. |
Τί δὲ τοίνυν ἔσται καὶ πέρας τοῦ
κακοῦ; εἰ γὰρ ὁ ἀδικηθεὶς ἀμύνεται, ἀεὶ μεταβαίνει τὸ κακὸν ἀπ´
ἄλλου πρὸς ἄλλον καὶ μεταπηδᾷ, καὶ διαδέξεται ἀδικία ἀδικίαν. Ὧι γὰρ
δικαίῳ συγχωρεῖς τῷ παθόντι ἐπεξεῖναι, τῷ αὐτῷ τούτῳ δικαίῳ
ἐπαναχωρεῖ αὖθις ἀπ´ ἐκείνου πρὸς τὸν αὐτὸν ἡ τιμωρία· τὸ γὰρ
δίκαιον ἐπ´ ἀμφοῖν ἴσον. Ὦ Ζεῦ, καὶ οἷον πεποίηκας; δικαιοσύνην ἐξ
ἀδικημάτων; καὶ ποῖ βαδιεῖται τὸ κακόν; καὶ ποῦ στήσεται; Οὐκ οἶσθα,
ὅτι πηγὴν ταύτην ἀέναον κινεῖς πονηρίας, καὶ γράφεις νόμον ἀρχέκακον
τῇ πάσῃ γῇ; Τοῦτο γὰρ ἀμέλει ἐστὶν τὸ τῶν πάλαι κακῶν τοῖς ἀνθρώποις
ἡγησάμενον, στόλων βαρβαρικῶν καὶ Ἑλληνικῶν ἐπ´ ἀλλήλους
περαιουμένων, ἁρπαζόντων, καὶ πολεμούντων, καὶ ληϊζομένων,
προκάλυμμα ποιουμένων τῆς παρούσης ἀδικίας τὴν φθήσασαν. Φοίνικες ἐξ
Ἄργους βασιλικὴν κόρην ἄγουσιν, Ἕλληνες ἐκ Κόλχων βαρβαρικὴν
παρθένον ἄγουσιν, καὶ αὖθις Φρύγες ἐκ Πελοποννήσου Λακωνικὴν
γυναῖκα. Ὁρᾷς τὴν διαδοχὴν τῶν κακῶν, καὶ τὰς προφάσεις τῶν πολέμων,
καὶ τὸν πολυπλασιασμὸν τῶν ἀδικημάτων. Τοῦτο καὶ τὴν Ἑλλάδα
συνέτριψεν αὐτήν, ἡ περὶ ἑαυτὴν δόξα ἀδικίας διαβαίνουσα ἐπὶ τοὺς
πλησίον, καὶ ἄπαυστοι θυμοί, καὶ ὀργαὶ ἀθάνατοι, καὶ τιμωρίας ἔρως,
καὶ ἀμαθία δίκης. |
VII. Oh, si ceux qui éprouvèrent ces divers outrages, avaient su que le
plus rude châtiment du méchant est dans sa méchanceté mère (18) que ce
châtiment est pire que les calamités de la guerre, que le renversement des
murailles, que le ravage des campagnes, que le détrônement des tyrans ! La
Grèce n'eût pas été en proie à tant de désastres. Les Athéniens
assiègent Potidée. Citoyens de Lacédémone, laissez-les faire. Ils s'en
repentiront un jour. N'imitez point cet attentat. N'en partagez point le blâme.
Mais, si vous saisissez avec empressement ce prétexte, et que vous alliez vous
ranger en bataille, à Platée, prenez garde; vous allez perdre l'île de
Mélos, dans votre voisinage; vous allez vous faire dépouiller de l'île
d'Égine ; vous allez ruiner la Cité de Skione, votre alliée. Pour prendre une
ville, vous allez en bouleverser plusieurs. De même que ceux qui font le
commerce maritime payent de gros intérêts des capitaux qu'ils empruntent ; de
même, ceux qui s'abandonnent à leurs désirs de vengeance en recueillent bien
des malheurs. Actuellement, je m'adresse aux Athéniens. Vous vous êtes
emparés de l'île de Sphactérie. Eh bien, rendez à Lacédémone ses citoyens.
Soyez prudents soyez modestes, pendant que la fortune vous rit. Sinon, vous
retiendrez des Spartiates, mais il vous en coûtera des vaisseaux. Sparte!
Lysandre, ton amiral, a des succès dans l'Hellespont, et ces succès donnent de
l'accroissement à ta puissance. Mais laisse Thèbes tranquille. Sinon, tu
pleureras sur la journée de Leuctres, et sur la bataille de Mantinée. |
Ἀλλ´ εἴπερ οἱ ἀδικούμενοι ἠπίσταντο,
ὅτι τοῖς ἀδικοῦσιν μέγιστον κακὸν ἡ ἀδικία αὐτή, τοῦτ´ εἶναι πολέμου
μεῖζον, καὶ τειχῶν ἀφαιρέσεως καὶ γῆς δῃώσεως, καὶ τυραννίδος
καταστάσεως, οὐκ ἂν ἐμπέπληστο ἡ Ἑλλὰς τοσούτων κακῶν. Ποτίδαιαν
Ἀθηναῖοι πολιορκοῦσιν· ἔασον, ὦ Λακεδαιμόνιε· μεταγνώσονταί
ποτε· μὴ μιμήσῃ τὸ κακόν, μὴ μεταλάβῃς τοῦ ψόγου· ἐὰν δὲ ἀγαπᾷς μὲν
τὴν πρόφασιν καὶ ἐπὶ Πλαταιὰς ἔλθῃς, ἀπόλωλέ σοι Μῆλος νῆσος γείτων,
ἀπόλωλεν Αἴγινα νῆσος φίλη, ἀπόλωλεν Σκιώνη πόλις σύμμαχος, μίαν
πόλιν λαβὼν πολλὰς πορθήσεις. Ὥσπερ γὰρ τῶν ἐπὶ χρηματισμῷ
παραβαλλομένων ἐν θαλάττῃ οἱ τόκοι μεγάλοι τῶν δανεισμάτων, οὕτω καὶ
τῶν ἐπεξιόντων τοῖς θυμοῖς οἱ τόκοι μεγάλοι τῶν συμφορῶν. Καὶ πρὸς
τὸν Ἀθηναῖον λέγω· Σφακτηρίαν ἔχεις, ἀπόδος τῇ Σπάρτῃ τοὺς
ἄνδρας· ἕως εὐτυχεῖς, σωφρόνησον· εἰ δὲ μή, τοὺς μὲν ἄνδρας ἕξεις,
τὰς δὲ τριήρεις οὐχ ἕξεις. Λύσανδρος περὶ Ἑλλήσποντον εὐτυχεῖ, καὶ ἡ
Σπάρτη μεγάλη. Ἀλλὰ ἀπέχου Θηβῶν· εἰ δὲ μή, δακρύσεις τὴν ἐν
Λεύκτροις τύχην, καὶ τὴν ἐν Μαντινείᾳ συμφοράν· |
VIII. O puissance invisible de la justice ! ô vicissitude de ses châtiments
! De là vient que Socrate fut sans ressentiment contre Aristophane, sans
animosité contre Anytus, sans rancune contre Mélitus. Il se contenta de dire,
à haute vois, « Anytus et Mélitus peuvent me faire mourir, mais ils ne
peuvent me nuire (19) ». Car il est impossible que l'homme de bien reçoive
aucun mal du méchant. Tel est le langage de la justice; langage qui, s'il
était dans la bouche de tout le monde, ferait disparaître ces événements
tragiques, ces scènes déplorables, cette multitude, cette variété de maux et
de calamités, qui désolent l'espèce humaine. Car, de mène que parmi les
maladies du corps, celles qui gagnent de proche en proche sont les plus
dangereuses, et ont besoin de secours efficaces, pour empêcher le mal
d'attaquer les parties saines ; de même, lorsque des semences d'injustice ont
été jetées dans une famille, dans une Cité, il faut se hâter d'arrêter le
mal, si l'on veut l'empêcher de faire de nouveaux progrès (20). Une conduite
opposée causa la perte de Pélopidas, l'anéantissement des Héraclides,
l'extinction de la race de Cadmus, la destruction des Perses, la ruine des
Macédoniens et des Grecs. O maladie incurable dont les hommes sont atteints,
depuis des milliers de siècles! |
Ὢ δίκης ἀφανοῦς καὶ πλανωμένης. Διὰ
τοῦτο ὁ Σωκράτης οὐκ Ἀριστοφάνει ὠργίζετο, οὐ Μελήτῳ ἐχαλέπαινεν,
οὐκ Ἄνυτον ἐτιμωρεῖτο, ἀλλὰ ἐβόα μέγα· Ἐμὲ δὲ Ἄνυτος καὶ Μέλητος
ἀποκτεῖναι μὲν δύνανται, βλάψαι δὲ οὐ δύνανται· οὐ γὰρ θέμις ἀγαθῷ
ἀνδρὶ ὑπὸ πονηροῦ βλαβῆναι. Αὕτη φωνὴ δίκης, ἣν εἴπερ ἅπαντες ταύτην
ἐφθέγγοντο, οὐκ ἂν ἦσαν αἱ τραγῳδίαι, οὐδὲ τὰ ἐπὶ τῇ σκηνῇ δράματα,
οὐδὲ πολλαὶ καὶ παντοδαπαὶ συμφοραί. Ὥσπερ γὰρ ἐπὶ τῶν τοῦ σώματος
νοσημάτων χαλεπὰ τὰ ἑρπηστικά, καὶ δεῖ τοῦ τῆς ἐπικουρίας στασίμου,
ἵνα τὸ περιλειφθὲν σωθῇ· οὕτως ἐπειδὰν ἐμπέσῃ οἴκῳ ἢ πόλει ἀδικίας
ἀρχή, στῆναι δεῖ τὸ κακόν, εἰ μέλλει τὸ περιλειφθὲν σωθήσεσθαι.
Τοῦτο Πελοπίδας ἐξέτριψεν, τοῦτο Ἡρακλείδας ἠφάνισεν, τοῦτο τὴν
Κάδμου οἰκίαν, τοῦτο Πέρσας ἀπώλεσεν, τοῦτο Μακεδόνας, τοῦτο
Ἕλληνας. |
IX. Quant à moi, je ne balance point à dire que, si, entre deux injustices,
l’une est plus grave que l'autre, celui qui use de représailles montre plus
de méchanceté. Car celui qui commet l'injustice, par le vice de son
éducation, a son châtiment dans le blâme qu'il recueille. Mais celui qui se
venge, encourt le même reproche de méchanceté, et il y ajoute, en outre, le
blâme que l'agresseur avait recueilli. De même que celui qui se prend corps à
corps avec un charbonnier doit nécessairement se couvrir de la cendre noire
dont ce dernier est couvert (21); de même celui qui se met aux prises avec le
méchant doit se rouler avec lui dans le même bourbier, et se salir de la même
fange. Qu'un athlète s'attaque à un autre athlète : à la bonne heure. Le
combat est égal entr'eux. La même ambition les anime. Je vois deux hommes de
même complexion, de même métier, aspirer également à l'honneur de vaincre.
Mais, lorsqu'un homme de bien entre en lice avec un méchant, ce sont deux
champions qui ne sortent pas du même gymnase, qui n'ont pas eu les mêmes
maîtres, qui n'ont pas appris les mêmes exercices, qui n'ont pas été
dressés au même genre d'escrime, qui ne courent ni après la même couronne,
ni après la même gloire. Ce combat m'afflige, les armes n'y sont point égales
: Le méchant doit nécessairement triompher. Les spectateurs et les juges sont
des médians qui lui ressemblent. Au lieu que l'homme de bien, sans talents,
sans moyens propres à une pareille lutte, n'ayant ni déloyauté, ni perfidie,
ni scélératesse, ni rien de tout ce qui produit l'avantage du méchant, et lui
assure le succès, ne peut que se montrer ridicule dans un combat où il
n'apporte, ni aptitude naturelle; ni ressources acquises, ni expérience. |
Ὢ νοσήματος διηνεκοῦς, καὶ ἐπὶ πολλὰς
περιόδους χρόνων καταλαβόντος τὴν γῆν. Ἐπιτολμήσαιμι δ´ ἂν ἔγωγε
εἰπεῖν, ὅτι εἴπερ ἐστιν ἀδικίας πρὸς ἀδικίαν ὑπερβολή, ὁ τιμωρῶν τοῦ
προϋπάρξαντος ἀδικώτερος. Ὁ μὲν γὰρ ὑπὸ ἀμαθίας ἐπὶ τὸ ἀδικεῖν ἐλθὼν
ἔχει τὴν δίκην ἐκ τοῦ ψόγου· ὁ δὲ ἐπεξιών, προσλαβὼν ἐκ τοῦ ὁμοίου
τὸ ἄδικον, ἀφῄρηκεν ἐκείνου τὸ ἐπίψογον. Ὥσπερ γὰρ τῷ μαρίλῃ
ἐμπεπλεγμένῳ τὸν συμπλεκέντα ἀνάγκη καὶ αὐτὸν συναισχῦναι τὸ σῶμα,
οὕτω καὶ ὅστις ἀδίκῳ ἀνδρὶ συμπλέκεσθαι καὶ συγκυλινδεῖσθαι ἀξιοῖ,
ἀνάγκη τοῦτον συναπολαύειν τοῦ κακοῦ, καὶ συναναπίμπλασθαι τῆς
μαρίλης. Ἀθλητῇ μὲν οὖν ἀνδρὸς προσφερομένου ἀθλητοῦ, ἐκ τῆς ἴσης
ἀγωνίας καὶ φιλοτιμίας ἀποδέχομαι· ὁρῶ γὰρ αὐτοῖς ὁμοίαν μὲν τὴν
φύσιν, παραπλησίαν δὲ τὴν μελέτην, ἰσότιμον δὲ τὴν ἐπιθυμίαν τοῦ
νικᾶν· ὅταν δὲ ἀγαθὸς ἀνὴρ πονηρῷ συμπέσῃ, οὐκ ἐκ τῆς αὐτῆς
παλαίστρας προσεληλυθὼς ἑκάτερος, οὐδὲ ὑπὸ τῷ αὐτῷ παιδοτρίβη
ἀσκηθείς, οὐδὲ τὴν αὐτὴν τέχνην ἐκμαθών, οὐδὲ τοῖς αὐτοῖς
παλαίσμασιν ἐντεθραμμένος, οὐδὲ τοῦ αὐτοῦ στεφάνου ἐρῶν, οὐδὲ τοῦ
αὐτοῦ κηρύγματος, οἰκτείρω τὴν μάχην, ἄνισος ἡ ἀγωνία. Ἀνάγκη τὸν
πονηρὸν κρατεῖν ἀγωνιζόμενον ἐν τοιούτῳ σταδίῳ, οὗ πονηροὶ μὲν
θεαταί, ἄδικοι δὲ οἱ ἀθλοθέται· ὁ δὲ ἀγαθὸς ἐν τούτοις ἄτεχνος, καὶ
ἀμαθής, καὶ ἄπορος ἀπιστίας, καὶ πανουργίας, καὶ ἀπάτης, καὶ τῶν
ἄλλων παλαισμάτων, ὑφ´ ὧν μοχθηρία κρατύνεται καὶ ἰσχυρίζεται· ὥστε
καὶ καταγέλαστος ἂν γίγνοιτο ἀντεπιχειρῶν ἀδικεῖν ὁ μὴ πεφυκὼς τὸν
ἄδικον καὶ τῇ φύσει, καὶ τῇ τέχνῃ, καὶ τῷ ἔθει. |
X. Mais, c'est pour cela même, dira-t-on, que l'homme de bien est insulté,
dénoncé par des Sycophantes, calomnié, poursuivi, dépouillé de ses biens,
jeté en prison, condamné à l'exil, à l'infamie, à la mort ! Quoi donc ! si
des enfants se faisaient un code particulier (22), composaient entr'eux un
Tribunal, et y traduisaient un homme pour le juger selon leurs lois; si ensuite,
en supposant qu'il leur plût de commettre une injustice, ils condamnaient cet
homme à être regardé comme infâme dans leur petite République, et qu'ils
confisquassent à leur profit les dés, les osselets et autres joujoux
appartenant au condamné, que devrait faire un tel homme ? Ne devrait-il pas
rire du Tribunal, des suffrages des juges, et du jugement ? Socrate en usa
ainsi, à Athènes. Il traita ses juges, comme un groupe d'enfants, jugeant et
condamnant à la mort un homme mortel (23). C'est ainsi que l'homme de bien,
l'homme juste, saura braver, d'un rire moqueur, les méchais se ruant sur lui
avec impétuosité; et qui, croyant l'accabler, ne pourront l'atteindre. S'ils
le déclarent infâme, il s'écriera avec Achille : « Je pense que Jupiter m'a
rendu plus de justice (24).» S'ils lui enlèvent ses biens, il les leur
abandonnera, comme des osselets et des joujoux. S'ils le condamnent à la mort,
il la recevra, comme de la part de la fièvre, ou de la gravelle, sans nulle
animosité contre ses assassins (25).
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Ἀλλὰ διὰ τοῦτο, φαίη ἄν τις, ὁ δίκαιος
ἀνὴρ προπηλακίζεται, καὶ συκοφαντεῖται, καὶ διώκεται, καὶ χρήματα
ἀφαιρεῖται, καὶ εἰς δεσμωτήριον ἐμβάλλεται, καὶ φεύγει, καὶ
ἀτιμοῦται, καὶ ἀποθνήσκει. Τί οὖν, εἰ καὶ οἱ παῖδες νόμους πρὸς
ἀλλήλους θέμενοι, καθίσαντες δικαστήριον ἑαυτῶν, ὑπάγοιεν
ἄνδρα κατὰ τοὺς αὐτῶν νόμους, κᾆτα, εἰ δόξαι ἀδικεῖν, ψηφίζοιντο
αὐτὸν ἄτιμον εἶναι ἐν τῷ τῶν παίδων δήμῳ, δημεύοιεν δὲ αὐτοῦ τὰ
παιδικὰ χρήματα, τοὺς ἀστραγάλους καὶ τὰ παίγνια, τί εἰκὸς πρᾶξαι
τὸν ἄνδρα ἐκ τοιούτου δικαστηρίου αὐταῖς ψήφοις καὶ καταδίκαις
αὐταῖς; Οὕτω καὶ ὁ Σωκράτης Ἀθηναίων κατεγέλα, ὡς παιδαρίων
ψηφιζομένων, καὶ κελευόντων ἀποθνήσκειν ἄνδρα θνητόν. Καὶ ἄλλος
ὅστις ἀγαθὸς ἀνὴρ καὶ δίκαιος καταγελάσεται γέλωτα ἀκραιφνῆ, ὁρῶν
τοὺς ἀδίκους ἐπ´ αὐτὸν ὡρμημένους σπουδῇ, οἰομένους τὶ δρᾶν, δρῶντας
δὲ οὐδέν· ἀλλὰ καὶ ἀτιμαζόντων ἐκείνων, βοήσεται τὸ τοῦ Ἀχιλλέως,
φρονέω δὲ τετιμῆσθαι Διὸς αἴσῃ·
καὶ ἀφαιρουμένων τὰ χρήματα, προήσεται
ὡς παίγνια καὶ ἀστραγάλους ἀφαιρουμένους, καὶ ἀποθανεῖται ὡς ὑπὸ
πυρετοῦ καὶ λίθου, οὐδὲν ἀγανακτῶν πρὸς τοὺς ἀποκτειννύντας.
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N O T E S.
(1) « Ce discours, dit Saint-Rhénan, dans sa préface, à la tête du
Maxime de Tyr qu'il a imprimé, Ce discours est tellement religieux, tellement
pieux, tellement chrétien, que si l'on en inculquait fréquemment les principes
dans les têtes vulgaires, il serait facile de mettre enfin un terme à cette
fureur insensée de guerroyer, qui met les Chrétiens aux prises les uns avec
les autres ». Au reste, la matière de cette Dissertation est empruntée
du Traité de Platon, intitulé, le Criton, où Socrate démontre qu'il
ne faut, ni commettre, ni rendre l'injustice, ni faire le mal, ni rendre le mal
pour le mal. Hiéroclès, dans son commentaire sur les vers dorés de Pythagore,
professe la même doctrine. Marc-Antonin, dans le premier livre de ses Réflexions
morales, n° 7, nous apprend, que « Rusticus lui a fait voir qu'il fallait
qu'il fût toujours prêt à pardonner à ceux qui l'auraient offensé ». La
philosophie ne le cède donc point, sur cet article de morale, aux préceptes du
Christianisme.
(2) Friponnerie n'est peut-être pas le mot le plus propre à rendre le mot
grec ἀπάτη .Ce dernier embrasse, dans son acception, tous les actes d'improbité qui
s'entourent de fraude, d'astuce, d'artifice, de tromperie.
(3) Ces paroles sont de Pindare. Platon les a citées, dans le second livre
de se République, ainsi que Cicéron, dans une de ses Lettres à
Atticus, ainsi qu'Eusèbe, dans le livre XV, chap. 5, de sa Préparation
évangélique. Le poète Claudien y fait allusion , dans son poème sur le quatrième
Consulat d'Honorius, vers 199. Au surplus, de la manière dont l'estimable
traducteur de la République de Platon les a rendues, tom I, pag. 81, il paraît
n'avoir pas aperçu que l’῞Υψιον
de son texte était un comparatif. Pacci a fait ici un contre-sens. Il a traduit
:
Utrum justitiae sit domus altior
Quim ut pravis homines hanc superent dolis.
(4) C'est la lettre du texte, sauf à ne pas prendre ce mot dans le sens
odieux qu'ils en français. Pacci a traduit Tyrannis; Heinsius a mieux
aimé traduire Regum, quoique, assurément, le plus grand nombre de ceux
pour lesquels Pindare a composé ses Odes, ne fussent pas plus des Rois
que des Tyrans.
(5) Quelques Auteurs les nomment les Aloades. C'étaient Otus et Ephialtes,
fils d'Alôée et d'Iphimédée, dont Virgile fait mention, au sixième livre de
l'Énéide, vers 582, où, après avoir parlé des Titans, il ajoute :
Hic et Aloidas geminos immania vidi
Corpora, qui manibus magnum rescindere coelum
Aggressi, superisque Iovem detrudere regnis.
Formey n'y a pas regardé de si près. Il les a pris pour les Titans. On peut
consulter sur les Aloïdes, Thémistius, dans la seconde de ses Oraisons,
p.36 ; Claudien, de bello Getico, vers 68 et suivants; Hyginus, fable 28,
et les autres Auteurs indiqués dans la note de Davies.
(6) Pacci paraît avoir lu, dans son manusctir αὑτῷ
avec l'esprit rude, au lieu de αὐτῷ
avec l'esprit doux. Sa version, an forte injuriam sibi ipsi quemquam inferre fas
sit, ne permet pas d'en douter. Cette leçon semble meilleure que la leçon
vulgaire, et d'un sens plus concordant avec ce qui suit. Néanmoins, il est
aisé de voir qu'elle n'est pas plenement satisfaisante. S'il m'était permis
de hasarder une conjecture, je dirais qu'il faut lire, μὴ γἀρ οὖν ἀδικεῖν καὶ ἀδικεῖσθαι αὐτῷ θέμις ᾖ
.
Il me paraît évident que le premier de ces deux infinitifs a disparu par
l'inadvertance des copistes; et le sens du passage le réclame si
impérieusement, qu'en m'étonnant d'avoir les prémices de cette idée, je
prends la liberté de l'adopter.
(7) Pacci ne doit pas avoir trouvé, dans son manuscrit, ces quatre mots, καὶ τέμνειν, καὶ τέμνεσθαι
, car il ne les a
pas rendus.
(8) Les interprètes Latins ne m'ont point paru avoir donné eux deux
infinitifs ἐλέγχειν καὶ ἐλέγχεσθαι,
l'acception qui leur convient. J'ai cru être plus dans le sens de Maxime de
Tyr, en attribuant à celui qui connaît la vérité, la fonction de convaincre,
qu'en lui attribuant la fonction de Censeur.
(9) Il faut entendre ici cette expression en italique, dans le sens
d'abstraction métaphysique, et de généralité, que lui donnent les
philosophes, et spécialement les Stoïciens.
(10) En effet, comme le dit Élien, au livre X IV, chap. 28 de ses Histoires
diverses, « Le méchant est non seulement relui qui a réellement commis
l'injustice, mais celui-là même qui en a eu l'intention. »
(11) J'ai adopté ici la correction de Markland, qui a repris Heinsius de
n'avoir pas aperçu qu'il n'était point, et ne pouvait point être question,
dans la pensée de Maxime de Tyr, d'un voleur pris en flagrant délit.
(12) Davies a judicieusement remarqué ici, que le sens, tel que le
présentent les éditions vulgaires, implique contradiction. J'ai suivi la
correction qui lui a été indiquée par ses deux manuscrits. Voyez Gataker, sur
Marc-Antonin, liv. VI, n° 6.
(13) Ceci ne va point, et ne peut point aller, jusqu'à proscrire ce qui
entre dans le droit de la défense de soi-même, dans le cas instantané d'une
agression à force ouverte. La philosophie ne peut pas vouloir que l'on prête
la gorge à un assassin, au lieu de tout faire pour échapper au danger, pas
plus que la religion qui commande à celui qui reçoit un soufflet sur une joue,
de présenter l'autre. À cet égard, le droit naturel décide, comme le dit
Quintilien, VII, chap. 4 de ses Institutions oratoires, que « la force
que l'on oppose à la force, et les autres traitements de cette nature, n'ont
rien d'injuste envers le provocateur ». Cicéron, dans son Oraison pro
Milone, a, là-dessus, un très beau passage qui renferme toute la théorie
de ce principe élémentaire du droit naturel. Est enim haec non scripta sed
nota lex, quam non didicimus, expressimus, accepimus, legimus, verum ex natura
ipsa arripuimus, hausimus, ad quam non docti, sed, facti, non instituti, sed
imbuti sumus , ut si vita nostra in aliquas insidias, si in vim, si in tela aut
latronum aut inimicorum incidisset, omnis honesta ratio esset erpediendae
salutis : silent enim leges inter arma, nec se expectari jubent, cum ei qui
expectare velit, ante injusta poena luenda sit quam jacta repetenda. On peut
consulter sur cette importante matière, Pussendorf et Grotius.
(14) Io, fille d'Inachus.
(15) Les Argonautes, qui enlevèrent Médée.
(16) Hélène. Voyez Hérodote, liv. I, n° 1 , 2, 3.
(17) « A Rome, dit quelque part J. J. Rousseau, les grandes révolutions y
vinrent des femmes ». Maxime de Tyr va plus loin. II les regarde comme la cause
originelle des malheurs de l'humanité. Horace avait dit avant lui :
Nam fuit ante Helenam cunnus teterrima belli
Causa. Lib.I, Satyr. III.
La tradition de Moïse, sur la malheureuse histoire du premier Homme,
aurait-elle donné lieu à cette opinion?
(18) Dans le Gorgias de Platon, Socrate dit, que « commettre
l'injustice est le plus grand de tous les maux » . Constantin, dans l'Oraison
de l'assemblée des Saints, chap. 15, professe la même doctrine : « Il
est, vraiment, dit-il, d'une sagesse céleste, de préférer éprouver une
injustice, que de la commettre, et d'être plus disposé, dans un cas de
nécessité, à souffrir du mal qu'à en faire. Car, en matière d'injustice, le
pis étant de la commettre, ce n'est point celui qui l'éprouve, mais celui qui
la commet, qui est le plus cruellement a puni ». Voyez Aulu Gelle, liv. XII,
chap. 9. Sénèque, de la Colère, liv. III, chap. 6; et de la
Constance, chap. 16. Cyprien, épît. 55, p. 85; et Boëce, Consolation
de la philosophie, liv. IX, p. 4.
(19) C'est par ce sublime mot de Socrate, que le Manuel d'Épictète se
termine : « O, Criton, si les Dieux le veulent ainsi, que cela soit ainsi !
Anytus et Mélitus peuvent me faire mourir, mais ils ne peuvent me nuire ».
Voyez Platon, dans l'Apologie de Socrate; Origène contre Celse,
liv. VIII, p. 383, et Arrien sur Épictète, liv. II, n°. 2.
(20) Citons, à ce sujet, une excellente pensée d'Héraclite le pleureur :
« Il faut être plus prompt à éteindre un ressentiment qu'un incendie».
(21) Davies dit ici que Plutarque, dans son Traité contre les Stoïques,
emploie une comparaison semblable. Cette comparaison, qu'on trouve au
commencement du Traité en question, diffère de celle de Maxime de Tyr, en ce
qui concerne le résultat.
(22) Voyez Dissert. 9, §. 5. Diss. 36, §. 5 ; et Arrien, sur
Épictète, IV. 7.
(23) Lorsqu'on vint annoncer à Socrate que ses juges l'avaient condamné à
la mort, il répondit : « La nature les y a condamnés eux-mêmes ».
(24) Ces paroles sont empruntées du 9e. chant de l'Iliade, vers 604.
(25) Comment résister ici à la tentation de cher des vers de ce poète
célèbre, qui s'est acquis tant de gloire, en ornant le langage philosophique
des charmes de la poésie?
Vir bonus et sapiens audebit dicere : Pentheu ,
Rector Thebarum, quid me perferre, patique,
Indignum coges ? Adimam bona , nempe pecus, rem,
Lectos, argentum. Tollas, licet. In manicis, et
Compedibus, saevo te sub custode tenebo.
Ipse Deus, simul atque volam, me solvet.
Opinor, Hoc sentit, moriar: mors ultima linea rerum est.
Horat. epist. lib. I, ep. 16.
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