Aristote : Catégories

ARISTOTE

LOGIQUE. TOME UN

PLAN DES CATÉGORIES

Traduction française : BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

Introduction aux catégories par Porphyre - Catégories

 

 

 

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CATEGORIES.

 

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PLAN DES CATÉGORIES

SECTION PREMIÈRE

PROTHÉORIE

On appelle homonymes les êtres qui ont un nom identique et une essence différente. On appelle synonymes les êtres qui ont un nom et une essence identiques. Ainsi un homme réel et un homme en peinture sont homonymes : car tous deux s'appellent du nom d'homme; mais la notion de leur essence est différente. L'homme et le bœuf, au contraire, sont synonymes en tant qu'animaux : car si l'on veut définir ce qui les fait être animaux l'un et l'autre, on donnera pour tous les deux une définition pareille. On appelle paronymes les êtres qui tirent d'un autre être leur appellation nominale, avec un simple changement de terminaison. Grammairien est paronyme de grammaire; courageux, de courage.

Les mots peuvent être isolés les uns des autres, ou combinés entre eux. Les choses, en tant que sujets et attributs, peuvent se classer en quatre espèces : 1° Les unes sont par elles-mêmes et peuvent servir d'attributs. 2° Les autres ne le sont point par elles-mêmes et ne peuvent servir d'attributs. 3° Les troisièmes ne sont point par elles-mêmes, et peuvent servir d'attributs. 4° les dernières enfin sont par elles-mêmes, et ne peuvent servir d'attributs. Cette quatrième chose comprend les individus, c'est-à-dire, tous les objets tels que la réalité les présente à nos sens. La première renferme les substances universelles, les deux autres ne renferment que les accidents particuliers et universels, qui n'ont pas d'être par eux seuls, et qui ne sont qu'à la condition d'être dans un autre que soi.

Tout ce qui peut se dire de l'attribut, se dit également du sujet. Les différences sont diverses pour des genres divers : mais les différences qui constituent un genre sont identiques pour toutes les espèces subordonnées a ce genre.

SECTION DEUXIÈME

THÉORIE

Les mots, quand ils sont isolés, ne peuvent exprimer qu'une des dix choses suivantes :

1° La substance

2° La quantité

3° La qualité

4° La relation

5° Le lieu

6° Le temps

7° La situation

8° L'état

9° L'action

10° La passion.

Ces mots pris chacun à part n'emportent avec eux aucune idée d'affirmation ni de négation, de vérité ni d'erreur. C'est la combinaison seule qui leur donne ce caractère que par eux-mêmes ils n'ont pas.

La substance, dans le sens le plus spécial de ce mot, est l'individu, qui est par lui-même. et qui ne peut servir d'attribut à quoi que ce soit. Telle est la substance première. Les substances secondes comprennent les espèces formées des individus, et les genres formés des espèces. Les attributs des substances premières leur sont synonymes, quand ils sont des substances secondes; ils ne leur sont pas synonymes dans le cas contraire. Les substances premières, les individus, servent à tout le reste de sujets soit d'attribution, soit d'inhérence. Sans les substances premières, le reste n'a ni existence réelle ni existence logique. L'espèce est plus substance que le genre, parce qu'elle est plus rapprochée de la substance première, et parce qu'elle est plus semblable à cette substance. L'espèce renferme les individus, et elle soutient à l'égard du genre la même relation que la substance première soutient à son égard. Les espèces d'ailleurs ne sont ni plus ni moins substances les unes que les autres. Les substances premières sont entre elles dans un égal rapport. Les espèces et les genres sont les seules substances secondes, parce que seuls ils expriment encore la nature de la substance première, et qu'ils jouent à l'égard des accidents le même rôle que la substance première joue relativement à eux. La substance a six propriétés : 1° Elle n'est point dans un sujet autre qu'elle-même: elle est en soi, propriété qui convient aussi à la différence. 2° La substance reçoit des attributs synonymes; la différence, également. 3° La substance désigne toujours quelque chose de réel. Ceci ne convient qu'aux substances premières; les substances secondes désignent, non pas la chose en soi, mais la chose qualifiée déjà d'une manière essentielle. 4° La substance n'a pas de contraire. 5° La substance n'est susceptible ni de plus ni de moins: elle ne peut être ni plus ni moins ce qu'elle est. 6° La propriété spéciale de la substance, c'est de pouvoir, tout en restant une seule et même substance, recevoir les contraires. Le même homme a tour à tour chaud et froid, Sans cesser d'être un seul et même homme. La pensée et la parole semblent recevoir les contraires, puisque la même pensée, la même assertion, peuvent être tantôt fausses et tantôt vraies. Mais il faut remarquer que c'est par suite d'un changement extérieur que la pensée et la parole peuvent ainsi changer elles-mêmes. C'est parce que l'objet lui-même auquel elles s'appliquent vient à changer qu'elles sont vraies d'abord, fausses ensuite. La substance reçoit les contraires par un changement tout intérieur, par un changement qui se fait en elle, et qu'elle souffre tout en restant une et identique.

La quantité est de deux espèces, discrète et continue. Les parties dont elle se compose ont position dans l'espace, ou n'en ont pas. La quantité discrète comprend le nombre et la parole; la quantité continue comprend la ligne, la surface, le corps, le temps et l'espace. La quantité discrète n'a pas de terme commun où ses parties puissent se réunir; la quantité continue a toujours un terme commun de ce genre. Les parties de la ligne se réunissent dans le point; les parties de surfaces, dans la ligne, etc. Le présent unit le passé et l'avenir. Les quantités dont les parties ont position sont la ligne, la surface, le solide et l'espace. Pour le nombre, le temps, la parole les parties qui les composent n'ont pas position. Les quantités dont on vient de parler sont les seules vraies quantités; les autres ne sont qu'accidentelles et apparentes : une analyse attentive les réduit aux premières. - La quantité a trois propriétés : 1° Elle n'a pas de contraires, non plus que la substance. Peu n'est pas le contraire de beaucoup, comme on pourrait le croire : car peu et beaucoup, petit et grand, ne sont pas des quantités, ce ne sont que des relatifs; et il serait facile de le prouver par les conséquences absurdes où entraînerait la thèse opposée. 2° La quantité n'est pas susceptible d'être plus ou moins quantité. 3° La propriété spéciale de la quantité, c'est de pouvoir être dite égale et inégale.

Les relatifs sont, d'après la définition vulgaire, les êtres qui sont dits d'autres êtres. Le double est le double de la moitié : la science est la science de ce qui est su. Les relatifs ont quatre propriétés. 1° Ils reçoivent les contraires : le vice est le contraire de la vertu. Mais il y a des exceptions; le double, le triple, etc., n'ont pas de contraires. 2° Ils sont susceptibles de plus et de moins : mais il y a aussi des exceptions. 3° Une propriété générale des relatifs, c'est qu'ils s'appliquent toujours à des termes réciproques. Le père est le père du fils, le fils est le fils du père. Cette réciprocité n'est pas toujours aussi apparente. Quelquefois la langue n'a pas de mot spécial, et alors il faut en forger un, pour que la relation devienne évidente, en ayant soin d'ailleurs de bien distinguer à l'avance l'élément auquel la relation doit essentiellement s'appliquer. 4° Les relatifs coexistent toujours simultanément. On peut objecter que l'objet qui est su est antérieur à la science qui le sait; l'objet senti, antérieur à la sensibilité qui le sent. L'objection est vraie; mais c'est seulement parce que la première définition des relatifs est inexacte. Il faut donc définir les relatifs, non pas d'après la forme des mots qui les expriment, mais d'après leur essence propre, et dire que les relatifs sont les êtres qui ne sont ce qu'ils sont que par leur rapport à un autre. Il n'y a double que quand il y a moitié, père que quand il y a fils, etc. Les relatifs ainsi entendus coexistent, et il s'ensuit que dès que l'un est connu d'une manière déterminée, l'autre l'est également. Cette seconde définition a de plus l'avantage d'exclure de la catégorie de la relation, des parties des substances qu'on pourrait quelquefois y comprendre par erreur. La théorie des relatifs est d'ailleurs fort délicate, et offre de réelles difficultés.

La qualité est de quatre espèces: 1° C'est d'abord la capacité et la disposition : la première acquise par une longue habitude, est difficile à changer; la seconde, moins profonde, est plus variable. 2° C'est ensuite la puissance, ou l'impuissance naturelle à faire ou ne pas faire. 3° C'est en troisième lieu les qualités affectives et les affections. 4° C'est enfin la forme, la figure de chaque chose. - Les qualitatifs sont les objets dénommés d'après les qualités. - La qualité a trois propriétés. 1° Elle reçoit les contraires: la justice est le contraire de l'injustice, le blanc du noir. Mais il y a des exceptions. 2° Elle reçoit le plus et le moins: une chose blanche est plus blanche qu'une autre : mais ici encore il y a des exceptions. 3° La propriété spéciale de la qualité, est de pouvoir être dite semblable et dissemblable. - Il faut remarquer qu'il y a des termes qui peuvent être à la fois dans la qualité et dans la relation : dans la relation, par leur genre, dans la qualité, par leurs espèces propres. La science, genre de la grammaire, est dans la relation ; la grammaire, espèce de la science, est dans la qualité. Il n'y a rien d'ailleurs d'absurde à soutenir qu'un même terme puisse être à la fois et dans la relation et dans la qualité.

Les six autres catégories sont assez claires par elles seules, pour qu'il suffise de les énumérer. L'action et la passion reçoivent évidemment les contraires, le plus et le moins. Il n'est pas nécessaire de discuter les autres.

SECTION TROISIÈME

HYPOTHÉORIE

Pour compléter les études qui précèdent, il faut traiter des opposés. Ils sont de quatre espèces : les relatifs, les contraires, la privation et la possession, l'affirmation et la négation. 1° Les relatifs sont dits de choses réciproques, comme on l'a vu plus haut. 2° Les contraires ne peuvent avoir des intermédiaires, quand il faut nécessairement que l'un des deux existe ; quand l'existence de l'un des deux n'est pas nécessaire, ils pourront avoir des intermédiaires. Un nombre est pair ou impair, un homme est bien portant ou malade. Mais un corps n'est pas nécessairement blanc ou noir, et il peut y avoir des couleurs entre les deux. Les intermédiaires ont quelquefois des noms spéciaux dans la langue, et quelquefois ils n'en ont pas. 3° La privation et la possession se rapportent à un seul et même objet, qui par sa nature propre doit avoir l'un ou l'autre des opposés. La vue et l'aveuglement se rapportent à l'exil qui doit voir ou être aveugle naturellement. La privation et la possession ne sont pas du tout opposées entre elles comme les contraires. L'une ou l'autre ne doivent pas nécessairement se trouver dans le sujet : elles n'ont pas d'intermédiaires. De plus, les contraires peuvent se changer l'un dans l'autre : le blanc peut devenir noir; etc. : la privation ne devient jamais possession, ni réciproquement. L'affirmation et la négation enfin sont opposées d'une façon toute spéciale : il faut toujours que l'une soit vraie et l'autre fausse.

Le bien est le contraire du mal : mais le mal peut être aussi le contraire du mal. L'existence de l'un des contraires n'entraîne pas nécessairement l'existence de l'autre; mais tous deux ne sont applicables qu'à un seul et même objet. Ils sont donc ou dans le même genre, ou dans des genres contraires, ou bien ils sont eux-mêmes des genres: noir et blanc sont dans un même genre, la couleur ; justice et injustice sont dans des genres contraires, la vertu et le vice; le bien et le mal sont des genres contraires.

Une chose peut être antérieure à une autre de cinq façons : 1° Dans le temps. 2° En existence, quand elle est supposée par une autre chose sans que cette autre chose soit supposée par elle : un est antérieur à deux, parce que deux suppose un, et que un ne suppose pas deux. 3° En ordre : les principes précèdent les démonstrations. 4° En mérite. 5° En nature, comme l'objet exprimé par une proposition précède cette proposition même, bien que la vérité de l'un suppose la vérité de l'autre. Il y a peut-être encore quelque autre mode de priorité.

La simultanéité s'entend de trois façons: 1° Dans le temps. 2° En nature, comme double et moitié. 3° En espèce, comme terrestre et aquatique sur des espèces simultanées du genre animal.

Le mouvement a six espèces : génération, destruction, accroissement, décroissement, altération, déplacement.

La possession enfin est de neuf espèces principales, qui sont plus ou moins logiques.