Cicéron, Philippiques

 

CICÉRON

SEPTIÈME PHILIPPIQUE.

autre traduction (Nisard)

sixième - huitième

 

 

 

SEPTIÈME PHILIPPIQUE.

 

 

 

 

I. Des objets peu importants, mais sans doute nécessaires, pères conscrits, sont soumis à notre délibération. Le consul a fait un rapport sur la voie Appienne et sur la monnaie; un tribun du peuple, sur les Luperques. Quoique dans de telles affaires la discussion soit facile, mon esprit cependant s'écarte du sujet préoccupé qu'il est d'intérêts plus sérieux. Nous sommes arrivés, Pères conscrits, au plus grand péril ; je dirais presque à la dernière extrémité. Ce n'est pas sans raison que j'ai toujours redouté cette députation, que je ne l'ai jamais approuvée. Que nous apportera son retour? Je l'ignore; mais qui ne voit combien l'attente jette de langueur dans les esprits? Ils ne restent pas oisifs ceux qui s'affligent de voir le sénat renaître à l'espérance de son antique autorité, de voir l'union de ce corps avec le peuple romain, l'Italie animée d'un même esprit, les armées bien disposées, les généraux, tout dévoués. Ils fabriquent déjà des réponses d'Antoine, et les soutiennent. Selon les uns, il demande qu'on licencie toutes les armées. Si bien que nous lui avons envoyé des députés, non pour qu'il obéit et qu'il obtempérât aux injonctions du sénat, mais pour qu'il nous fît des conditions, pour qu'il nous imposât des lois, pour qu'il nous commandât d'ouvrir l'Italie aux nations étrangères, et cela quand il existe encore, lui dont nous avons plus à craindre que d'aucune nation. Selon d'autres, il nous remet la Gaule Cisalpine, et demande la Transalpine. Fort bien! pour qu'il y trouve non seulement des légions, mais des nations entières à mener contre Rome. D'autres enfin prétendent que désormais ses demandes sont modérées. Il appelle sans hésiter la Macédoine sa province, parce qu'on en a rappelé son frère Caïus. Mais quelle est la province d'où ce brandon de discorde ne puisse faire éclater un incendie? Aussi ces mêmes hommes, se donnant l'air de citoyens prévoyants, de sénateurs zélés, disent que j'ai entonné la trompette guerrière. Ils se font les champions de la paix, et voici leur raisonnement : Il ne fallait pas irriter Antoine; c'est un homme pervers et hardi; les citoyens malintentionnés sont d'ailleurs très nombreux (et ceux qui parlent ainsi peuvent se compter les premiers dans ce nombre) ; il nous avertissent de nous tenir en garde contre eux. Quoi donc! quand vous pouvez punir des citoyens pervers, sera-t-il plus prudent d'avoir toujours à les redouter?

II. Ceux qui parlent de la sorte s'étaient autrefois, par leur légèreté, acquis un renom de popularité; d'où l'on peut conjecturer qu'ils ont toujours été dans l'âme opposés au bien-être de l'État, et qu'ils n'ont jamais été volontairement populaires. Autrement, d'où vient que des hommes qui furent très populaires pour des actes criminels, aujourd'hui qu'il s'agit d'un intérêt très populaire, d'un point qui intéresse le salut du peuple romain, préfèrent à la popularité la réputation de mauvais citoyens? Moi qui fus toujours, comme vous le savez, l'adversaire des voeux imprudents de la multitude, la belle cause que je défends m'a rendu populaire. Et pourtant on les appelle, on plutôt ils s'appellent eux-mêmes consulaires : titre honorable qui ne convient qu'à ceux qui savent en soutenir toute la dignité. Eh quoi! vous favoriserez un ennemi public? Il vous communiquera par lettres ses espérances de succès? Vous montrerez ces lettres avec joie? vous en ferez lecture? vous les donnerez même à de mauvais citoyens pour qu'ils en prennent copie? vous augmenterez leur audace? vous affaiblirez l'espérance et le courage des gens de bien? et, après cela, vous vous croirez consulaire, ou sénateur, ou même citoyen? Il prendra mes paroles en bonne part, C. Pansa, notre brave, notre excellent consul, car je ne parlerai qu'avec les dispositions d'un ami. Lui-même, quelle que soit notre intimité, si je ne voyais en lui un consul qui fût homme à consacrer toutes ses veilles, tous ses soins, toutes ses pensées au salut de la république, je ne le regarderais pas comme consul. Quoique entre nous, dés sa première jeunesse, une liaison et des rapports habituels, joints à la conformité de nos goûts pour d'honorables études, nous aient unis l'un à l'autre; quoique l'incroyable activité qu'il a déployée dans les plus terribles dangers de la guerre civile ait prouvé qu'il s'intéressait non seulement à ma sûreté, mais à ma gloire ; eh bien, ce même Pansa, comme je l'ai dit, s'il n'agissait comme il le fait dans ses fonctions de consul, j'oserais refuser de le reconnaître pour consul. Maintenant, je déclare non seulement qu'il est consul, mais le meilleur consul et le plus distingué dont j'aie ouï parler; non que d'autres n'aient eu le même courage et des intentions aussi droites; mais ils n'ont pas rencontré une telle occasion de manifester ce courage et ces intentions. A sa grandeur d'âme, à sa fermeté, à sa sagesse s'est offerte la crise la plus redoutable. Ce qui surtout fait la gloire du consulat, c'est de gouverner l'État, sinon dans des circonstances favorables, du moins dans des conjonctures décisives. Or, fut-il jamais, Pères conscrits, conjoncture plus décisive que celle où nous nous trouvons ?

III. Moi donc qui conseillai toujours la paix, moi pour qui la paix, surtout la paix entre concitoyens, quoique désirable à tous les honnêtes gens, l'a été particulièrement (car ma carrière est toute pleine de travaux entrepris soit au barreau, soit au sénat, pour repousser les dangers qui menaçaient mes amis ; c'est là ce qui m'a procuré les premiers honneurs de l'État, une fortune médiocre, et peut-être quelque gloire) ; eh bien, moi qui puis me dire le nourrisson de la paix; moi qui, sans prétendre n'en faire accroire, dois tout ce que je suis à la paix entre citoyens (je sens tout le danger de ce que je vais dire; je redoute, Pères conscrits, la manière dont vous le prendrez, mais en considération de mon désir constant de soutenir, d'augmenter votre gloire, je vous prie, je vous conjure, Pères conscrits, si d'abord mes paroles vous semblent un peu dures, ou même incroyables de la part de M. Cicéron, de vouloir bien les accueillir sans en être blessés; en second lieu, de ne pas rejeter ma proposition avant que j'aie eu le temps de la développer) ; moi donc, je le répète encore, qui ai toujours fait l'éloge de la paix, qui l'ai toujours conseillée, je ne veux point de paix avec M. Antoine. J'augure bien, Pères conscrits, du reste de mon discours, puisque vous m'avez laissé sans m'interrompre franchir ce pas dangereux. Pourquoi donc ne veux-je point la paix? Parce qu'elle est honteuse, parce qu'elle est périlleuse, parce qu'elle ne peut exister. Tandis que je développe ces trois points, je vous demande, Pères conscrits, cette attention bienveillante que vous m'accordez toujours. Quoi de plus honteux que l'inconstance, la légèreté, l'inconséquence dans les particuliers, et surtout dans le corps entier du sénat? Or, quoi de plus inconséquent que de vouloir tout à coup établir des relations de paix avec un homme que vous avez récemment, non par des paroles, mais par des actes, et par un grand nombre de décrets, déclaré ennemi public? A moins qu'en décernant à C. César des honneurs bien mérités et bien légitimes sans doute, mais cependant extraordinaires et immortels, uniquement parce qu'il avait levé une armée contre M. Antoine, vous n'ayez pas déclaré Antoine ennemi publie; à moins qu'Antoine n'ait pas été par vous déclaré ennemi public, quand vous avez loué, dans un décret émané de votre autorité, les vétérans qui avaient suivi César; à moins encore qu'Antoine n'ait pas été par vous déclaré ennemi public, lorsqu'à nos braves légions, pour avoir quitté cet homme qu'on appelait consul de la république et qui n'en était que l'ennemi, vous avez promis des congés, de l'argent, des terres.

IV. Quoi donc! quand Brutus, qui, par la prédestination de sa race et de son nom, semble né pour délivrer la république; quand l'armée, qui sous ses ordres, combattait Antoine pour la liberté du peuple romain ; lorsque la Gaule, cette excellente et fidèle province, ont été par vous comblés des plus magnifiques éloges, n'avez-vous pas alors déclaré Antoine ennemi? Et quand vous avez ordonné que les consuls, l'un ou l'autre, ou tous les deux, partissent pour la guerre, quelle guerre y avait-il, si Antoine n'était pas l'ennemi? Où donc est allé notre brave consul, A. Hirtius, mon collègue et mon ami? et dans quel état de débilité, de maigreur! Mais l'énergie de son âme n'a tenu aucun compte de l'affaiblissement de son corps. Sans doute il a trouvé juste que, pour la liberté du peuple romain, cette existence, dont il devait la conservation aux voeux du peuple romain, fût mise en péril. Et quand vous avez décrété des levées dans toute l'Italie, quand vous avez supprimé tous les motifs d'exemption, n'avez-vous point alors déclaré Antoine l'ennemi public? Vous voyez au milieu de Rome des manufactures d'armes; des soldats armés suivent le consul, en apparence pour sa protection, de fait et réellement pour la nôtre; tous les citoyens, sans chercher à s'excuser, s'empressent de donner leurs noms, de se soumettre à votre autorité; et l'on n'a pas déclaré Antoine ennemi public? Mais nous lui avons envoyé des députés. Dieux! quel est mon malheur? Pourquoi ce sénat que j'ai toujours loué, suis-je forcé de le blâmer? Quoi! pensez-vous, Pères conscrits, que cette députation ait eu l'approbation du peuple romain? Ne comprenez-vous pas, n'entendez-vous pas que la proposition que j'ai faite est réclamée avec instance? cette proposition qu'un grand nombre d'entre vous approuvèrent la veille, pour se laisser circonvenir le lendemain par un vain espoir de paix. Quelle honte que des légions envoient des députés au sénat, et le sénat à M. Antoine ! Pourtant notre députation n'en est pas une, à vrai dire; c'est une signification de la perte qui le menace, s'il ne se soumet au sénat. Qu'importe, puisque, après tout, l'opinion la plus rigoureuse a prévalu? Mais si tout le monde a pu voir les députés partir, tout le monde ne connaît pas la teneur de votre décret.

V. Il vous faut donc garder votre constance, votre fermeté, votre persévérance; il vous faut reprendre cette antique austérité; car l'autorité du sénat réclame l'honneur, la décence, la gloire, la dignité, dont il a été privé trop longtemps. Mais notre excuse était dans l'oppression; misérable excuse, sans doute juste toutefois : maintenant nous n'en avons plus. Nous semblions délivrés d'une domination royale, et nous nous vîmes ensuite pressés bien plus terriblement par les armes d'un ennemi domestique. Ces armes, nous les avons repoussées; mais ce n'est pas assez; il faut les lui arracher. Si nous ne pouvons le faire (je parlerai en sénateur et en Romain), sachons mourir; car quelle honte pour la république, quelle infamie, quelle tache indélébile, s'il est permis à M. Antoine d'opiner dans le sénat, au rang des consulaires ! Pour ne point parler, en effet, des crimes innombrables de son consulat dans Rome, durant lequel il dissipa scandaleusement les deniers publics, rappela des exilés sans loi, vendit les impôts, enleva des provinces au peuple romain, mit des royaumes à l'encan, imposa par la violence des lois à l'État, investit avec ses satellites ou repoussa le sénat; pour ne pas parler dis-je, de tous ces forfaits, ne songez-vous pas que l'homme qui a attaqué Modène, la colonie la plus dévouée du peuple romain; qui a assiégé un général du peuple romain, consul désigné; qui a ravagé les campagnes ; qu'un tel homme, s'il était admis au sein de cet ordre qui tant de fois, et pour ces mêmes causes, l'a déclaré ennemi, ce serait pour le sénat le comble de la honte et de l'infamie ? Assez dit sur la honte: je vais, selon l'ordre que j'ai adopté, parler à présent du danger, que l'on doit fuir sans doute moins que la honte, mais qui toutefois frappe davantage les esprits du commun des hommes.

VI. Pourrez-vous donc compter sur la paix, quand vous verrez dans Rome Antoine, ou plutôt les Antoine? A moins que vous ne méprisiez Lucius. Pour moi, je ne mépriserais pas même Caïus. Mais ce sera, je le vois bien, Lucius qui dominera. Il est, en effet, le patron des trente-cinq tribus auxquelles il a enlevé les suffrages au moyen de cette loi par laquelle il se partagea la nomination des magistrats avec C. César; il est le patron des centuries de chevaliers, qu'il a pareillement voulu dépouiller du droit de suffrage; il est le patron de ceux qui out été tribuns militaires, le patron du milieu de la rue de Janus. Grands dieux! qui pourra résister à son pouvoir, surtout quand il aura donné des terres à tous ses clients? Qui jamais s'arrogea tant d'autorité sur toutes les tribus, sur les chevaliers romains, sur les tribuns militaires? La puissance des Gracques a-t-elle été, à votre avis, plus grande que ne le serait celle de ce gladiateur? Quand je l'appelle gladiateur, ce n'est point dans le sens où l'on donne quelquefois ce nom à M. Antoine; c'est au sens propre et sans figure. Il a combattu en Asie comme mirmillon. Ayant affublé de l'armure des Thraces un de ses compagnons, son ami intime, il poursuivit dans l'arène ce malheureux qui fuyait, et lui coupa la gorge, non toutefois sans avoir reçu lui-même une blessure assez belle, comme on peut en juger par la cicatrice. Celui qui a tué son intime ami, comment, dans l'occasion, traitera-t-il un ennemi? Celui qui, pour se divertir, a commis une action si atroce, que pensez-vous qu'il fera par l'appât du pillage? Ne mettra-t-il pas derechef en décuries les mauvais citoyens? Ne remuera-t-il pas ceux qui ont reçu des terres? N'ira-t-il pas chercher les exilés? Et M. Antoine, n'est-il pas l'homme autour duquel s'empresseront d'accourir tous les scélérats? Quand il n'y en aurait pas d'autres que ceux qui sont avec lui, et ceux qui le favorisent ici ouvertement, seront-ils peu nombreux, surtout quand le secours des bons citoyens nous aura manqué, et quand ses sicaires n'attendront plus de lui qu'un signe? Pour moi, je crains fort, si nous manquons aujourd'hui de prudence qu'ils ne nous paraissent bientôt en trop grand nombre. Ni moi non plus, ce n'est pas la paix que je repousse; mais je redoute une guerre déguisée sous le nom de paix. Si donc nous voulons jouir des douceurs de la paix, il nous faut faire la guerre; si nous renonçons à la guerre, jamais nous ne jouirons de la paix.

VII. Il est de votre prudence, Pères conscrits, de voir le plus loin possible dans l'avenir. Si nous sommes établis les gardiens et comme les sentinelles avancées de l'État, c'est uniquement pour que notre sollicitude et notre prévoyance mettent le peuple romain à l'abri de toute crainte et de tout danger. Il serait honteux qu'on pût accuser le premier conseil de l'univers d'avoir manqué de prudence, surtout dans un cas aussi évident. Tels sont et nos consuls, et l'ardeur du peuple romain, et l'unanimité de l'Italie; tels sont nos généraux, et nos armées, que la république ne pourrait éprouver aucune calamité sans la faute du sénat. Pour moi, je ne manquerai point à mon devoir, j'avertirai, je prédirai, j'annoncerai; toujours je prendrai les dieux et les hommes à témoin de mes sentiments Non seulement je ferai preuve de fidélité, ce qui pourrait paraître suffisant dans un citoyen, mais pas assez toutefois dans un des premiers de l'État; je n'épargnerai ni mes soins, ni mes conseils, ni ma vigilance. , J'ai parlé du danger; je vais montrer que la paix ne peut pas même être cimentée. C'est le dernier des trois points que je me guis proposé de traiter.

VIII. D'abord, quelle espèce de paix peut-il exister entre M. Antoine et le sénat? De quel front vous verra-t-il? et vous, de votre part, de quels yeux le verrez-vous? Qui d'entre vous ne le hait? qui d'entre vous ne hait-il pas? Soit ! il ne hait que vous, et vous ne haïssez que lui ! Et ceux qui assiègent Modène, ceux qui font des levées en Gaule, ceux qui menacent nos propriétés, seront-ils jamais nos amis, ou nous les leurs? Se jettera-t-il dans les bras des chevaliers romains? On ignore, sans doute, leurs dispositions à l'égard de M. Antoine et le jugement qu'ils portent de lui, eux qui se sont tenus en si grand nombre sur les degrés du temple de la Concorde, eux qui vous ont excités à ressaisir la liberté, eux qui vous ont demandé avec tant d'empressement des armes, l'habit de guerre et les combats, eux qui, d'accord avec le peuple romain, m'ont appelé dans l'assemblée du peuple? Ces hommes aimeront Antoine? Antoine maintiendra quelque paix avec eux? Et que dirai-je du peuple romain tout entier, qui a complètement rempli de citoyens le Forum et m'a deux fois, d'une voix unanime, appelé à la tribune, en manifestant le plus vif désir de recouvrer la liberté? Ainsi ce que nous pouvions auparavant désirer, c'était de voir le peuple suivre nos pas; maintenant c'est lui qui nous sert de guide. Comment donc espérer que ceux qui assiègent Modène, et qui attaquent une armée et un général du peuple romain, ceux-là puissent vivre en paix avec le peuple romain? Et vivront-ils aussi en paix avec les municipes dont le zèle s'est manifesté par les délibérations qu'ils ont prises, par les soldats qu'ils ont donnés, par les subsides qu'ils ont promis, tellement que le peuple romain n'a pas lieu de regretter que dans chaque ville il n'existe point de sénat? Nous devons décerner des éloges publics aux habitants de Firmium, qui les premiers ont promis des subsides. Nous devons répondre en termes honorables aux Marrucins, qui ont déclaré infâmes ceux qui chercheraient à se dérober au service militaire. Voilà ce qui se passe dans toute l'Italie. Antoine aura sans doute une paix bien solide avec ces villes, et ces villes avec lui. Quelle discorde plus marquée? Or, avec la discorde, la paix entre citoyens peut-elle exister en aucune façon? Mais sans parler des masses, L. Visidius, chevalier romain, homme plein de mérite et de vertu, citoyen toujours dévoué, qui, j'aime à le reconnaître, a gardé ma personne et veillé sur ma tête durant mon consulat, qui a non seulement exhorté ses voisins à devenir soldats, mais qui les a mène aidés de ses moyens, un tel homme, que nous devons louer par un sénatus-consulte, pourra-t-il avoir avec Antoine des relations de paix? Et C. César, qui lui a fermé Rome? Et D. Brutus, qui lui a fermé la Gaule? Mais il s'apaisera, il s'adoucira pour la Gaule, qui l'a exclu et rejeté ! Si vous n'y prenez garde, Pères conscrits, vous verrez régner partout la haine et la discorde, source des guerres civiles. Ne désirez donc pas ce qui ne saurait être; et, par les dieux immortels! Pères conscrits, prenez garde que l'espérance d'avoir la paix aujourd'hui ne vous la fasse perdre à jamais.

IX. Quel est, dira-t-on, le but de tout ce discours? Ce que les députés ont fait, nous ne le savons pas encore. Il est vrai; mais dès aujourd'hui nous devons être vigilants, debout, tout prêts ; de coeur déjà sous les armes, pour que des flatteries, des prières ou une apparence d'équité ne viennent pas nous abuser. Il faut qu'il ait obtempéré à toutes les défenses et à tous les ordres du sénat avant de pouvoir rien demander; qu'il ait cessé d'assiéger Brutus et son armée; de ravager les villes et les champs de la Gaule; qu'il ait permis aux députés d'aller jusqu'à Brutus; qu'il ait ramené son armée en deçà du Rubicon, et qu'elle ne s'approche pas à plus de deux cents milles de Rome; qu'il se soit remis sous la puissance du sénat et du peuple romain. Dés qu'il aura fait tout cela, nous aurons tout le temps de délibérer. S'il n'a point obéi aux ordres du sénat, ce n'est pas le sénat qui lui aura déclaré la guerre, c'est lui-même qui l'aura déclarée au peuple romain. Mais, je vous en avertis, Pères conscrits, il s'agit de la liberté du peuple romain qui vous est commise, de l'existence et de la fortune des meilleurs citoyens, que, dans son insatiable cupidité et dans sa cruauté atroce, Antoine menace depuis longtemps; il s'agit enfin de votre autorité qui va s'anéantir, si vous ne savez dès aujourd'hui la maintenir. Cette horrible bête féroce est traquée, muselée; gardez-vous de la laisser échapper. Pour vous, Pansa, je vous le recommande, quoique la rare prudence qui brille en vous n'ait pas besoin d'avis (et cependant, durant l'orage, les meilleurs pilotes reçoivent les conseils des passagers), ne souffrez pas que vos préparatifs, si grands, si admirables, s'évanouissent en pure perte. Vous avez la plus belle occasion qui se soit jamais présentée à personne. Secondé par la fermeté du sénat, par le zèle de l'ordre équestre, par toute l'ardeur du peuple romain, vous pouvez écarter pour toujours de la république to te crainte et tout danger. Quant aux affaires qui font l'objet de votre rapport, je vote comme P. Servilius.