DÉMOSTHÈNE
XXXII.
APOLLODORE CONTRE STÉPHANOS
I
XXX. Apollodore contre Polyclès | TOME II | XXXIII. Apollodore contre Stéphanos II |
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XXXI APOLLODORE CONTRE STÉPHANOS I ARGUMENT On a vu, dans l'argument du plaidoyer pour Phormion, toute l'histoire de la querelle entre Phormion et Apollodore. Débouté de sa demande et condamné à l'épobélie, Apollodore fait une dernière tentative pour revenir contre la chose jugée, au moyen de l'action en faux témoignage, dont nous avons déjà fait connaître les règles. (Voy. le troisième plaidoyer contre Aphobos, et le plaidoyer contre Evergos et Mnésibule.) Avant tout, il fallait faire tomber un des témoignages au moyen d'une action dirigée contre le faux témoin, δίκη ψευδομαρτυριῶν. Cette action purement civile tendait uniquement à des dommages-intérêts dont la fixation était' abandonnée à l'appréciation du juge. Elle n'entraînait l'atimie qu'à la troisième condamnation. En effet le faux témoignage pouvait résulter d'une erreur et ne supposait pas nécessairement une intention coupable. L'action publique ne se donnait que pour le faux commis par les témoins instrumentales, au sujet de l'existence d'une assignation (γραφὴ ψευδοκλητείας). Stéphanos, cousin germain de la femme d'Apollodore, avait déposé comme témoin dans le procès contre Phormion. Apollodore le prend à partie et s'efforce de prouver que le témoignage est faux. Stéphanos a dit qu'Apollodore s'était refusé à compulser le testament de Pasion. Cela est invraisemblable. Apollodore n'avait aucun intérêt à s'y refuser. En second lieu, Stéphanos a dit que Phormion avait fait à Apollodore, devant l'arbitre, sommation de compulser le testament. Mais cette sommation était inutile, car la règle est de n'avoir recours à cette procédure que pour ce qui ne peut pas être fait à l'audience du tribunal ; or, rien n'était plus simple pour Phormion que de produire le testament devant le tribunal et d'y faire entendre comme témoin le dépositaire de la pièce. Enfin, Stéphanos a déclaré qu'il était présent quand Phormion a sommé Apollodore de compulser le testament de Pasion. Il aurait dû dire : l'acte qualifié de testament. Que savait-il, en effet, si l'acte présenté était bien réellement le testament de Pasion, si ce n'était pas un acte faux et supposé? Il n'aurait pu le savoir que s'il avait assisté comme témoin instrumentaire à la confection du testament. Il a donc ainsi attesté l'existence d'un fait qu'il ne pouvait pas connaître. Le témoignage de Stéphanos doit donc être écarté comme étant sans valeur, et par suite Phormion reste chargé de prouver l'authenticité des pièces qu'il a produites, c'est-à-dire du testament et de l'acte de location de la banque ; or, ces actes sont faux, et la preuve du faux résulte de l'invraisemblance des dispositions contenues dans ces actes. Il en est de même de la prétendue décharge dont Phormion s'est prévalu, car, s'il avait réellement obtenu décharge, il se serait fait remettre les titres, à savoir le testament et le bail, et les aurait détruits. Apollodore en vient ensuite aux personnalités, contre Stéphanos, d'abord, puis contre Phormion ; enfin, contre son jeune frère Pasiclès, qui n'a pas voulu se joindre à lui pour plaider contre Phormion. A la violence inouïe de ces attaques on voit qu'Appllodore tente un effort désespéré. Elles rentrent cependant dans la discussion de la cause, car il s'agit de prouver que Stéphanos et Phormion ont été capables, l'un de faire un faux témoignage, l'autre de le provoquer. Mais cette violence même sert à faire mieux ressortir la faiblesse de la cause. Les deux premiers moyens n'étaient que des subtilités et ne supportent même pas l'examen. Le troisième moyen était le seul concluant, mais Stéphanos répondait victorieusement qu'il avait attesté une seule chose, à savoir: l'existence de la sommation; que si, dans son témoignage, il était question de testament, c'était d'une manière incidente, et en termes purement énonciatifs; qu'au surplus, d'autres avaient attesté l'existence du testament, et que c'étaient ces autres témoignages et non le sien qui avaient fait la conviction des juges. Apollodore ne trouve rien de sérieux à répondre à ces objections et n'a plus d'autre ressource que l'invective et la diffamation, contre Stéphanos, Phormion et Pasiclès. Pour les questions relatives à la date et à l'authenticité de ce discours, nous renvoyons à l'argument du discours suivant. PLAIDOYER [1] Athéniens, victime d'un faux témoignage, traité par Phormion d'une manière indigne et odieuse, je me présente devant vous pour obtenir justice contre ceux qui m'ont ruiné. Je vous prie tous, je vous supplie et je vous conjure. D'abord, écoutez-moi avec bienveillance, car c'est une grande chose pour des plaideurs malheureux, comme moi, de pouvoir parler des torts qu'ils ont soufferts, et de trouver en vous des auditeurs bien disposés; ensuite faites-moi droit, si mes griefs vous paraissent réels. [2] Je vous prouverai que Stéphanos ici présent a porté un faux témoignage, qu'il a fait cela pour gagner un honteux profit, et qu'il suffît de ses propres paroles pour le convaincre, tant le fait est évident. Je vais essayer de vous dire, depuis le commencement, et aussi brièvement que possible, tout ce qui s'est passé entre Phormion et moi. Écoutez, et vous reconnaîtrez que Phormion est un malhonnête homme et que ces gens-ci sont de faux témoins. [3] Juges, mon père en mourant m'avait laissé une grande fortune. Phormion en était détenteur, et, de plus, il épousa ma mère pendant que j'étais absent pour un service public, comme triérarque (01). Comment se fit cette union ? Peut-être ne convient-il pas à un fils parlant de sa mère d'entrer à ce sujet dans trop d'explications. De retour ici, j'appris tout, je vis ce qui s'était fait; mon indignation, mon ressentiment [4] éclatèrent. Je ne pus pas intenter d'action civile, car en ce moment il n'y avait pas d'actions; vous aviez tout remis à d'autres temps, à cause de la guerre (02). Je portai donc contre Phormion, devant les thesmothètes, une accusation d'outrage (03). Le temps marchait, l'instruction traînait en longueur, il n'y avait toujours pas d'actions civiles; cependant ma mère a de lui des enfants. Alors, car nous dirons devant vous, juges, la vérité tout entière, ma mère se mit à me parler souvent de Phormion; elle cherchait à m'adoucir, elle me priait. Phormion parlait aussi pour lui-même; son langage était modeste et humble. [5] Pour couper court, juges, il prit des engagements qu'il ne tint pas, il s'arrangea pour ne pas rendre les fonds qui formaient le capital de la banque, et je fus forcé de lui intenter une action dès que cela devint possible. Alors Phormion, sentant que tout va se révéler, et qu'il sera convaincu de s'être conduit envers nous d'une manière infâme, ourdit la trame que vous savez, et suborne Stéphanos que voici pour porter un faux témoignage contre moi. D'abord, à l'action intentée contre lui il opposa l'exception tendant à la faire déclarer non recevable; ensuite, il produisit de faux témoins pour prouver le fait d'une décharge de ma part, te payement d'un loyer imaginaire, la réalité d'un testament qui n'a jamais existé. [6] Il prit sur moi l'avantage de parler le premier, grâce à la fi de non-recevoir qui renverse les rôles des parties ; il lut ces témoignages et tout ce qu'il crut pouvoir servir à sa cause, et ses mensonges séduisirent les juges à ce point qu'ils ne voulurent même pas nous laisser dire un seul mot. Condamné à l'épobélie sans même avoir pu prendre la parole, je me retirai, Athéniens, le cœur plein de dépit et d'amertume, et je ne crois pas que personne au monde en ait jamais éprouvé autant (04). [7] Mais, en y réfléchissant, il me semble que ceux qui m'ont alors jugé sont bien excusables ; — moi-même je ne sais pas si j'aurais pu décider autrement qu'ils ne l'ont fait, sans connaître ce qui s'est passé et seulement à entendre les témoignages. — Ceux-là seuls sont haïssables qui, par leurs faux témoignages, ont fait tout le mal. Pour les autres témoins, j'en parlerai le jour où je les prendrai à partie ; aujourd'hui c'est sur les faits dont Stéphanos a déposé que j'entreprends de vous éclairer. [8] Prends cette déposition et donnes-en lecture pour que je puisse y rattacher ma discussion. Parle. Et toi, arrête l'écoulement de l'eau. TÉMOIGNAGE. « Stéphanos fils de Ménéclès, d'Acharnes, Endios fils d'Épigénès, de Lamptra, Scythès fils de Harmatée, de Kydathénéon (05), déclarent qu'ils étaient présents devant l'arbitre Tisias, d'Acharnea, lorsque Phormion fit sommation à Apollodore de reconnaître que la pièce jointe au procès par lui, Phormion, était bien la copie du testament de Pasion, ou s'il s'y refusait, de compulser (06) le testament même de Pasion apporté devant l'arbitre par Amphias, gendre de Céphisophon. Mais Apollbdore ne voulut rien vérifier. La pièce dont il s'agissait était bien la copie du testament de Pasion. » [9] Vous avez entendu la déposition, juges, et à coup sûr, quand même vous n'y verriez d'ailleurs rien d'extraordinaire, il y a une chose tout au moins qui doit vous surprendre, c'est qu'au commencement il est question d'une sommation, et, à la fin, d'un testament. Je crois cependant nécessaire de montrer d'abord la fausseté de ce qui constitue en quelque sorte le fait capital de la déposition, j'arriverai ensuite à parler du reste. [10] La déposition porte que Phormion a fait sommation de compulser le testament; que la pièce était produite devant l'arbitre Tisias par Amphias, gendre de Céphisophon ; que je me suis refusé au compulsoire; enfin que le testament dont l'existence a été attestée est la copie de celui dont il vient d'être parlé. Suit la teneur du testament. [11] Quant à la question de savoir si la sommation m'a été faite ou non par Phormion, je n'en dis rien encore, non plus que de celle de savoir si le testament est vrai ou faux. Je vous ferai voir tout à l'heure ce qui en est; je prends d'abord ce chef de leur déposition, qui consiste à dire que j'ai refusé de compulser l'acte. Voyons, je vous prie. Pourquoi se serait-on refusé à compulser l'acte? Sans doute afin que le testament ne fût pas connu des juges. Si donc ces hommes n'avaient pas attesté l'existence du testament en même temps que celle de la sommation, on comprendrait que je me fusse refusé à compulser l'acte. [12] Mais puisqu'ils attestaient en même temps l'existence du testament, puisque les juges devaient entendre lire la déposition tout entière, à quoi mon refus pouvait-il me servir? A rien, évidemment. Au contraire, Athéniens, supposons que mes adversaires ne m'eussent adressé aucune sommation, qu'ils se fussent contentés d'avancer le fait, et qu'un tiers fût venu leur fournir un écrit qualifié de testament, [13] c'était à moi de faire sommation et de compulser l'écrit. Alors, de deux choses l'une : ou bien les témoignages ne se seraient pas trouvés conformes à l'acte écrit, et en ce cas j'aurais pris à témoins plusieurs des assistants, et de l'imposture manifeste sur ce point j'aurais conclu qu'on vous en imposait aussi sur les autres; ou bien l'acte se serait trouvé conforme, et en ce cas j'aurais demandé que l'auteur de la production se présentât lui-même comme témoin. S'il y eût consenti, je l'aurais pris à partie; s'il eût tergiversé, je n'avais pas besoin d'autre preuve pour démontrer l'imposture. De la sorte, je m'assurais l'avantage de n'avoir affaire qu'à une seule personne ; tandis qu'en faisant comme ces gens-là disent que j'ai fait, j'avais affaire à plusieurs. Est-il un seul d'entre vous qui préférât cette dernière chance à la première? Pour, moi, je ne le pense pas. [14] Vous n'avez donc pas le droit de croire cela d'un autre. Et en vérité, Athéniens, quand ce qui fait agir est la colère, ou l'amour du gain, l'emportement, l'ardeur à la lutte, alors on agit diversement, chacun selon son caractère; mais en l'absence de toute passion, et à calculer de sang-froid ce que l'intérêt conseille, peut-on être assez insensé pour négliger le parti qui peut être utile, et pour prendre celui qui doit rendre la lutte plus difficile? Ainsi, cela n'est ni sensé, ni raisonnable; personne ne l'aurait fait; et pourtant c'est là ce qu'ils témoignent de nous. [15] Si leur témoignage est suspect en ce qu'il affirme mon refus de compulser l'écrit, il ne l'est pas moins en ce qu'il parle d'une sommation en même temps que d'un testament. Personne de vous n'ignore assurément que les sommations ont été imaginées pour toutes les procédures qui ne peuvent s'accomplir devant vous (07). [16] Par exemple, la question ne peut être appliquée devant vous, il faut nécessairement avoir recours à une sommation pour y procéder. Si un fait a été commis ou s'est passé hors du territoire, il faut encore nécessairement faire sommation de se rendre, par mer ou par terre, sur le lieu où le fait a été commis (08). Il en est de même dans toutes les circonstances semblables. Mais quand il est possible d'agir devant vous et sous vos yeux, quoi de plus simple que de tout livrer à la publicité de l'audience? [17] Mon père est mort à Athènes, l'instance arbitrale avait lieu au Pœcile (09), les témoignages dont il s'agit portent qu'Amphias a présenté l'écrit à l'arbitre. Si cela était vrai, il aurait fallu que l'écrit fût joint au procès et que l'auteur de la production déposât comme témoin. De la sorte, les juges auraient pu se décider, d'après l'évidence, au seul aspect des sceaux, et moi, si quelqu'un m'eût fait tort, j'aurais eu à qui m'en prendre. [18] Mais ce n'est pas ainsi qu'on a procédé. Ce qui manque, c'est un témoin qui ait fait une déclaration complète et qui en réponde; c'est une déposition qui se suffise à elle-même, comme on en fait quand on dit la vérité. Chacun vient dire sa part du tout, en homme prudent, qui compte bien échapper ainsi à toutes poursuites. L'un déclare qu'il a un acte sur lequel est écrit « Testament de Pasion »; l'autre vient de la part du premier produire cet acte, mais ne sait pas s'il est vrai ou faux. [19] Ceux-ci enfin, en attestant la sommation, ont profité de la circonstance pour attester subrepticement le testament. Mais si par ce moyen ils ont réussi à faire croire aux juges que c'était bien le testament de mon père, s'ils m'ont empêché d'obtenir la parole pour me défendre, par là aussi ils se trouvent pris en flagrant délit de mensonge, car ils ne s'attendaient pas à ce qui se passe en ce moment (10). Pour vous prouver que je dis vrai, prends-moi la déposition de Céphisophon. TÉMOIGNAGE. « Céphisophon fils de Céphalon, d'Aphidna, dépose qu'il lui a été laissé par son père un écrit intitulé « Testament de Pasion. » [20] C'était, juges, une chose bien simple, pour celui qui rendait ce témoignage, d'ajouter: « Voici cet écrit qu'il produit lui-même », et de joindre la pièce au procès. Sans doute il a pensé que ce serait là un mensonge intolérable, et que vous pourriez bien l'en punir; tandis qu'attester simplement la remise d'un testament lui paraissait chose indifférente et sans conséquence. Mais c'est cela même qui révèle et accuse toute la manœuvre A l'imposture. [21] Si le testament eût porté ces mots : « Cet acte appartient à Pasion et à Phormion », ou « adressé à Phormion », ou quelque indication semblable, on comprendrait que Céphisophon l'eût gardé pour le remettre à Phormion; mais si, comme l'a déclaré Stéphanos, on y lisait seulement ces mots : « Testament de Pasion », comment expliquer que je ne l'eusse pas détruit (11), sachant que j'allais bientôt plaider, sachant d'ailleurs que le testament, si c'en était un, était contraire à nies intérêts; comment, dis-je, ne l'aurais-je pas détruit, moi héritier de tous les biens de mon père, et par conséquent de ce testament, s'il était de mon père? [22] Si donc il a été remis à Phormion, s'il porte le nom de Pasion, si nous l'avons laissé subsister, c'est qu'il est faux, c'est que Céphisophon a fait un faux témoignage. Mais laissons Céphisophon ; ce n'est pas à lui que j'ai affaire en ce moment, et son témoignage ne parle pas de ce que portait le testament. [23] Et pourtant, Athéniens, voyez comment de cette déposition résulte un nouveau motif pour repousser celle de Stéphanos. Le même témoin, qui affirme être détenteur de l'acte, n'a pas osé déclarer que la pièce produite par Phormion fût une copie de l'original confié à sa garde ; les autres ne peuvent pas dire qu'ils ont assisté à la confection de l'acte, et n'ont pas vu compulser l'acte devant l'arbitre, puisqu'eux-mêmes ont déclaré que je n'ai pas voulu compulser. Venir déclarer, après cela, que la pièce produite était bien la copie de l'acte, n'est-ce pas se convaincre soi-même de mensonge? [24] Maintenant, Athéniens, si l'on examine les termes de la déposition écrite, on aperçoit combien tout est calculé pour faire croire qu'à tort ou à raison, mon père a pris en effet les dispositions dont il s'agit. Prends la déposition elle-même et lis, en t'arrêtant quand je te dirai de le faire, pour que je puisse tirer argument du texte même. TÉMOIGNAGE. « .... témoignent qu'ils étaient présents devant l'arbitre Tisias, quand Phormion fit sommation à Apollodore de dire s'il contestait que la pièce produite fût une copie du testament de Pasion. » [25] Arrête. Rappelez-vous bien ces mots « du testament de Pasion ». Si les témoins voulaient dire la vérité, en admettant qu'il y ait eu sommation., ce qui n'est pas, je vais vous dire en quels termes ils auraient dû déposer. Reprends la lecture de la déposition, depuis le commencement. TEMOIGNAGE. « .... témoignent qu'ils étaient présents devant l'arbitre Tisias. » Nous en témoignons, disent-ils, et effectivement nous étions présents. Poursuis. « .... lorsque Phormion à fait sommation à Apollodore. » Sur ce point encore, s'il y avait eu réellement sommation, leur témoignage serait régulier. « .... de dire s'il conteste que la pièce produite soit la copie du testament de Pasion. » [26] Arrête ici. Il était impossible à qui que ce fût d'attester ce fait, à moins d'avoir assisté à la confection du testament de mon père. Autrement, le témoin eût dit tout d'abord : « Que savons-nous s'il existe un testament de Pasion ? » Il eût demandé que Phormion écrivît, tant au procès-verbal d'enquête qu'au commencement de la sommation : « De dire s'il conteste que la pièce produite soit une copie du testament que Phormion prétend avoir été laissé par Pasion » et non pas « du testament de Pasion ». De ces deux façons de parler, l'une attestait l'existence du testament, et c'est bien ce qu'ils voulaient; l'autre attestait seulement le dire de Phormion. Or, il y a certes une grande différence entre dire qu'une chose est, et dire que Phormion l'affirme. [27] Voulez-vous savoir quel intérêt ils avaient à supposer un testament? Écoutez-moi un moment. D'abord, Athéniens, Phormion voulait se soustraire aux conséquences de la séduction qu'il avait exercée sur une personne dont je ne dois pas prononcer le nom, vous le savez sans que je le dise; en second lieu, il voulait rester en possession des biens qui, provenant de mon père, étaient passés dans les mains de ma mère ; enfin il voulait se rendre maître de tous nos autres biens. Qu'il en soit réellement ainsi, c'est ce dont vous serez convaincus quand vous aurez entendu la lecture du testament. Cet acte, vous le verrez, ne ressemble pas au testament d'un père qui règle le sort de ses fils; c'est le fait d'un esclave qui a dissipé le bien de ses maîtres, et qui cherche à se soustraire au châtiment. [28] Lis le testament même dont ces hommes ont attesté l'existence en attestant celle de la sommation. Et vous, juges, gardez bien le souvenir de ce que je dis. TESTAMENT. « Pasion d'Acharnes a disposé ainsi qu'il suit : Je donne ma femme Archippé à Phormion ; je donne en outre en dot à Archippé un talent qui m'est dû à Péparèthe, un talent qui m'est dû ici, une exploitation rurale de cent mines, les servantes, les joyaux d'or et tout ce qui lui appartient dans la maison. Je donne tout cela à Archippé (12). » Vous avez entendu, Athéniens, le montant de la dot, un talent dû à Péparèthe, un talent ici (13), une exploitation rurale de cent mines, des servantes, des joyaux d'or. « Je lui donne tout cela », dit l'acte, et « tout ce qui lui appartient », et par cette clause il m'enlève la faculté de faire aucune recherche sur l'importance des biens laissés. [29] Je vais maintenant vous faire connaître l'acte par lequel Phormion avait pris de mon père la banque en location. Cette pièce, toute fausse qu'elle est, vous fera voir que le prétendu testament n'est qu'une fable. Le bail que je vous montrerai est celui que Phomion lui-même a produit, et non un autre, en un mot, celui qui ajoute que mon père doit à Phormion onze talents pris sur les dépôts. Voici, je pense, en quoi consistait la combinaison. [30] Tous les biens qui se trouvaient dans la maison paternelle, il s'en est emparé, au moyen du testament, comme de biens donnés en même temps que ma mère, ainsi que vous venez de l'entendre. Quant aux capitaux qui se trouvaient dans la banque, qui étaient connus de tout le monde et qu'on ne pouvait dissimuler, il se les est appropriés en se faisant reconnaître par mon père pour créancier, et de la sorte il peut dire qu'il s'est légalement mis en possession de toutes les valeurs qui seront trouvées entre ses mains. Vous imaginez peut-être, aux solécismes qu'il fait en parlant, que c'est un barbare, un pauvre homme. Barbare, oui, pour haïr ceux qu'il devrait servir. Mais pour faire le mal et conduire une manœuvre souterraine, il ne le cède à personne. [31] Prends le bail et lis, j'entends celui qu'ils ont fait joindre à la procédure de la même manière que le testament, au moyen d'une sommation. BAIL DE LA BANQUE. « Conditions auxquelles la banque a été louée à Phormion par Pasion. Phormion payera aux enfants de Pasion un loyer annuel de deux talents et quarante mines, et de plus il donnera ses soins à la gestion journalière de la banque. Il ne pourra faire aucune opération pour son compte personnel sans la permission des enfants de Pasion. Pasion doit en banque onze talents au compte de dépôts. » [32] Telles sont, juges, les conventions qu'il a produites, et aux termes desquelles il prétend avoir loué la banque. Vous voyez, par cette lecture, qu'il payait un loyer annuel de deux talents et quarante mines, indépendamment des soins qu'il donnait à la gestion journalière ; de plus, il s'interdisait de faire aucune opération pour son compte personnel sans notre permission. Enfin, l'acte ajoute que Pasion doit onze talents au compte de dépôts. [33] Eh bien, se serait-on jamais soumis à payer un loyer si élevé pour une table en bois, un emplacement, des registres? Aurait-on jamais pris celui-là même qui avait grevé la banque d'un si énorme passif pour mettre tout le reste entre ses mains? Car si une pareille somme manquait dans la caisse, c'est pendant sa gestion qu'elle avait manqué. Vous savez tous que déjà du temps où mon père dirigeait la banque, Phormion était assis et travaillait au comptoir. Il méritait donc d'aller tourner la meule (14), plutôt que de recueillir le reste. Mais je laisse cela, et tout ce que j'aurais encore à dire sur les onze talents qui, loin d'être dus par mon père, ont été détournés par Phormion. [34] Je n'ai lu l'acte que pour prouver la fausseté du testament, et c'est sur ce point que j'appellerai votre attention. Il est écrit, dans cet acte, que Phormion ne pourra faire pour son compte aucune opération de banque sans notre permission. Cette clause prouve la fausseté du testament. Eh quoi ! les profits que Phormion devait réaliser en dirigeant la banque, Pasion a voulu qu'ils revinssent à ses propres enfants, et non à Phormion ; c'est pour cela que défense est faite à Phormion de faire pour son compte aucune opération de banque, afin qu'il ne puisse commettre aucun détournement à notre préjudice ; et après cela, tous les profits que Pasion avait réalisés et laissés dans la banque, il aurait pris ses mesures pour que Phormion les recueillît! [35] Il a retenu les profits de Phormion, qu'on pouvait lui laisser sans honte, et il lui aurait donné sa femme, ce qui est le comble de l'infamie! Gratifié par vous du droit de cité, il vient après cela jouer le rôle d'un esclave qui donne à son maître, non d'un maître qui donne à son esclave, si tant est qu'il ait rien donné, et il ajoute une dot supérieure à toutes celles qui se donnent ici (15) ! [36] Et pourtant, n'était-ce pas déjà assez pour Phormion de recevoir la main de sa maîtresse? Et pour mon père, eût-il reçu autant d'argent qu'on prétend qu'il en a donné, les dispositions qu'on lui prête n'en seraient pas plus raisonnables. Ainsi les présomptions, les dates, les faits, tout concourt à prouver le faux, et voilà cependant ce que n'a pas craint d'attester Stéphanos ici présent. [37] Après cela, il va disant partout que Nicoclès déclare avoir géré la tutelle aux termes du testament, que Pasiclès déclare avoir été en tutelle aux termes du testament. Mais, à mon sens, cela même prouve que tous ces témoins n'ont dit la vérité ni les uns ni les autres. Déclarer qu'on a géré la tutelle aux termes du testament, qu'on a été en tutelle aux termes du testament, c'est faire clairement entendre que l'on connaît le testament . [38] Pourquoi donc attestiez-vous dans la sommation l'existence d'un testament, et ne laissiez-vous pas faire cette déclaration par Nicoclès et Pasiclès? Et s'ils disent qu'ils n'ont pas su ce que portait le testament, comment pouvez-vous l'avoir su, vous que l'affaire ne concernait en aucune façon? Pourquoi donc les uns disent-ils ceci et les autres cela ? Je l'ai déjà expliqué. On se partageait les rôles à jouer, et les témoins n'hésitaient pas à déclarer, l'un qu'il avait géré la tutelle aux termes du testament, l'autre qu'il avait été en tutelle aux termes du testament, [39] mais en s'abstenant l'un et l'autre de faire connaître ce que contenait ce testament écrit par Phormion. Un autre a pu dire que Pasion a laissé à son fils un écrit intitulé Testament. D'autres encore ont pu déclarer des faits du même genre. Quand il s'est agi d'attester l'existence d'un testament supposé par un faussaire en vue de voler une si grande fortune, de corrompre une femme, d'épouser sa propre maîtresse, toutes choses indignes et honteuses, tous ont reculé, à l'exception de ceux-ci qui ont imaginé la sommation. C'est à eux qu'il faut demander compte de toutes ces manœuvres et de toutes ces fraudes. [40] Et maintenant, Athéniens, aux charges, aux preuves que je fournis pour vous montrer la fausseté du témoignage de Stéphanos, j'ajoute les pratiques mêmes de celui qui a produit Stéphanos comme témoin. Écoutez donc ce qu'a fait cet homme-là. Comme je le disais en commençant, vous allez voir qu'ils se trouvent convaincus par leur propre bouche. Phormion a repoussé par une exception l'action dans laquelle ces témoignages ont été rendus. Il a soutenu qu'elle n'était pas recevable, parce que je lui avais donné décharge de toutes réclamations. [41] Cela est faux, j'en suis sûr, et je le prouverai quand j'attaquerai ceux qui ont rendu ce témoignage; mais il n'est pas possible à Stéphanos de tenir le même langage. Et quand bien même vous croiriez à la réalité de cette décharge, c'est alors surtout que la fausseté du témoignage de Stéphanos, et de ses déclarations au sujet d'un prétendu testament, vous paraîtra plus claire que le jour. En effet, peut-on être insensé à ce point de se faire donner décharge devant témoins pour assurer sa libération, et de laisser subsister contre soi dans un dépôt dûment scellé les contrats, le testament, tous les actes à raison desquels on s'est fait donner décharge? [42] Ainsi donc l'exécution est inconciliable avec tous les témoignages, et le bail que je vous lisais tout à l'heure est inconciliable avec le testament que voici. Dans toutes leurs démarches on ne voit rien de logique, pas d'unité, rien de conséquent avec soi-même. D'où il faut conclure que tout cela n'est qu'une invention et une fable. [43] Ainsi, quant à la vérité des faits attestés, ni Stéphanos, ni personne autre pour lui ne peut, à mon sens, la prouver. Mais, à ce que j'apprends, son système de défense se réduit à dire que s'il répond d'une sommation, il ne répond pas d'un témoignage, et que de tous les faits écrits dans la procédure il en est deux seulement sur lesquels il ait à s'expliquer : Est-il vrai que Phonnion m'ait adressé cette sommation, oui ou non ? Est-il vrai que je ne l'aie pas acceptée ? C'est là, dira-t-il, tout ce qu'il a attesté, rien de plus. Quant au reste, c'est Phormion qui a fait la sommation. Les faits attestés à cette occasion sont-ils vrais ou faux ? C'est une question dont lui, Stéphanos, n'a pas à s'occuper. [44] A ce langage, à cette impudente défense, je veux dès à présent répondre quelques mots pour vous mettre à l'abri d'une surprise. D'abord, lorsqu'il viendra vous dire qu'il ne répond pas de tous les faits, rappelez-vous bien ceci : Lorsque la loi prescrit de rédiger un procès-verbal des dépositions, c'est afin qu'on ne puisse rien ajouter à ce qui est écrit, ni rien en retrancher. C'est alors, c'est à cet instant même qu'il aurait dû faire effacer les faits étrangers à sa déposition. Aujourd'hui que la mention est faite, il est trop tard pour nier. [45] Songez encore à ceci : Me permettriez-vous de prendre te procès-verbal en votre présence, et d'y ajouter un mot? Non certes. Eh bien, vous ne pouvez pas davantage permettre à Stéphanos d'en retrancher un seul. Comment condamnerez-vous jamais pour faux témoignage si le témoin peut dire tout ce qu'il veut et ne répond de son témoignage qu'autant qu'il veut ? Mais la loi n'a pas fait cette distinction, et vous ne devez pas l'accueillir. Ce que vous avez le droit de faire, c'est d'adresser à Stéphanos une seule question : « Qu'est-ce qui est écrit? Que porte ton témoignage? Prouves-en la vérité. ». Et d'ailleurs, dans tes conclusions de défense (16), tu as écrit toi-même ceci : « J'ai attesté la vérité lorsque j'ai attesté ce qui est écrit au procès-verbal. » Tu n'as pas dit : tel ou tel fait parmi ceux qui sont écrits au procès-verbal. [46] Pour prouver qu'il en est ainsi, prends-moi ces conclusions. Lis. « Apollodore fils de Pasion, d'Acharnes, contre Stéphanos fils de Ménéclès, d'Acharnes; action en faux témoignage. Montant de la demande, un talent. Stéphanos a fait un faux témoignage contre moi lorsqu'il a attesté ce qui est écrit au procès-verbal. » « Moi, Stéphanos, fils de Ménéclès, d'Acharnes : j'ai dit la vérité lorsque j'ai attesté ce qui est écrit au procès-verbal. » Voilà ce qu'il a dit lui-même dans ses conclusions en défense. Rappelez-vous bien ces termes, et quand il voudra vous induire en erreur avec ses subterfuges, gardez-vous d'y croire, ne croyez que la loi et ce que lui-même a dit dans ses conclusions. [47] Ils parleront encore, je le sais, des faits à raison desquels j'ai primitivement intenté mon action. Ils me traiteront de sycophante. Je vous ai dit, moi, et je vous ai montré en détail comment Phormion a forgé cette prétendue location pour conserver en sa possession le capital de la banque. Quant aux autres faits, il ne m'est pas possible d'en parler, alors que j'ai à convaincre mes adversaires de faux témoignage. Il ne me reste plus assez de temps. [48] Mais vous-mêmes vous ne devez pas consentir à les écouter sur ce sujet, et vous comprendrez cela si vous songez en vous-mêmes qu'il est trop facile pour eux de parler de faits étrangers à la poursuite, comme il l'a été pour Phormion de gagner son procès en faisant lire de faux témoignages. Ils ont tort dans un cas comme dans l'autre, et personne ne dira le contraire. Ce qui est juste, c'est ce que je propose en ce moment. Écoutez et jugez. [49] Puisqu'ils m'ont fermé la bouche quand je voulais prouver mes griefs, qu'ils n'exigent pas de moi aujourd'hui ce que j'aurais dû pouvoir dire alors! qu'ils prouvent la sincérité des témoignages par lesquels ils m'ont fermé la bouche! Si je discute mon action, ils veulent que je prouve la fausseté de leurs témoignages; si j'attaque ces témoignages, ils me rappellent à la discussion de mes griefs primitifs. Cela n'est ni juste, ni convenable pour vous. [50] Vous avez juré de juger, non sur les faits qu'il plairait au défendeur de vous soumettre, mais sur ceux qui font l'objet de la poursuite. Or, pour connaître la poursuite, il faut s'attacher à l'action intentée par le poursuivant, c'est-à-dire à l'action en faux témoignage que j'ai intentée contre Stéphanos. Qu'il ne s'écarte donc pas de la question, qu'il ne parle pas de ce qui est étranger au procès; s'il se permet de le faire, vous ne devez pas le souffrir. [51] Ne trouvant nulle part de bonnes raisons à donner pour sa défense, il viendra sans doute vous dire qu'après avoir succombé sur l'exception, j'ai tort de poursuivre ceux qui ont témoigné de l'existence du testament, qu'en effet les témoignages qui ont entraîné dans le temps la décision des juges sont ceux qui portaient sur la décharge et non ceux qui portaient sur le testament. Mais je n'ai pas besoin de vous rappeler, Athéniens, qu'en pareil cas vous avez l'habitude d'examiner le fond des affaires tout autant que les moyens d'exception. Or, c'est sur le fond que ces hommes ont rendu contre moi de faux témoignages; et c'est par là qu'ils ont rendu impuissante ma défense sur l'exception. [52] De plus, n'y a-t-il pas dans ce langage quelque chose d'absurde? Quand tous ont rendu faux témoignage s'agit-il de montrer lequel a été le plus nuisible? Ne s'agit-il pas plutôt de prouver que chacun d'eux a dit vrai? Qu'un autre ait fait plus de mal, je le veux. Ce ne serait pas une raison pour que Stéphanos échappât à toute condamnation. Il n'y peut échapper qu'à une condition, C'est de prouver qu'il a dit la vérité. [53] Maintenant, Athéniens, savez-vous pourquoi Stéphanos mérite surtout d'être frappé? Écoutez-moi. C'est toujours une chose grave de porter un faux témoignage contre qui que ce soit, mais contre un parent c'est chose bien plus grave encore et plus intolérable. L'homme qui fait cela ne viole pas seulement les lois écrites, il brise les liens de la nature. [54] Eh bien, c'est ce qu'a fait Stéphanos, et je vais le prouver. Sa mère et le père de ma femme sont frère et sœur. Ma femme est donc sa cousine. Ses enfants et les miens sont issus de germains. S'il voyait ses parentes réduites par l'indigence à une situation fâcheuse, ne vous semble-t-il pas qu'il aurait dû faire ce que beaucoup d'autres ont déjà fait, les doter sur son patrimoine et les marier (17)? Au lieu de cela, il a mieux aimé porter faux témoignage pour les empêcher de recueillir ce qui leur revenait. Les relations de la parenté ont eu moins d'empire sur lui que l'opulence de Phomion. Pour prouver que je dis vrai, [55] prends-moi le témoignage de Dinias et lis. Appelle Dinias. TÉMOIGNAGE. « Dinias fils de Théomneste, d'Athmonon (18), témoigne qu'il a donné sa fille à Apollodore en légitime mariage, et jamais il n'a vu ni su qu'Apollodore ait donné décharge à Pbormion de tous ses griefs contre lui. » [56] Admirez, juges, à quel point Dinias ressemble à Stéphanos (19) ! Sa fille, les enfants de sa fille, moi-même, qui suis son gendre, nous invoquons en vain son témoignage. Il ne veut même pas dire ce qui est vrai, pour ne pas perdre un parent. Pour Stéphanos, c'est autre chose. Il n'a pas hésité à porter un faux témoignage contre moi. Il n'a eu d'égard pour personne, pas même pour sa mère, et il réduit à la dernière indigence les parents qui lui tiennent parce côté.
[57] Maintenant, le coup le plus rude, celui qui m'a le plus accablé
lorsque je plaidais, juges, le voici. En vous le disant, je vous
ferai voir encore mieux l'improbité de cet homme, et d'ailleurs,
j'éprouve une sorte de consolation à rappeler devant vous ces
douloureux souvenirs. Le témoignage sur lequel je comptais, et qui
fournissait à ma cause son plus ferme appui, ne se trouva pas dans
la boîte. [58] Accablé de ce coup, je ne pus d'abord faire autre chose
que de soupçonner une prévarication de la part du magistrat, qui
aurait soustrait une pièce. Mais d'après ce que j'ai su depuis, je
suis certain que la soustraction a été commise devant l'arbitre par
ce Stéphanos que voici, au moment où je m'étais levé de ma place
pour faire prêter serment à un témoin (20).
En preuve de ce que j'avance, j'invoque d'abord le témoignage de
ceux qui étaient là et qui ont tout vu, [59] car je ne pense pas qu'ils
veuillent se rétracter sous la foi du serment (21).
Si cependant ils se respectent assez peu pour le faire, le greffier
vous lira ma sommation. Par la vous les prendrez en flagrant délit
de parjure, et en même temps il sera prouvé pour vous que Stéphanos
a soustrait la déposition. Eh bien, Athéniens, celui qui s'est fait
voleur pour rendre service à autrui, que ne fera-t-il pas pour son
propre compte (22)? [60] Lis le témoignage,
puis la TÉMOIGNAGE. « .... déposent qu'ils sont amis et familiers de Phormion, et qu'ils étaient présents chez l'arbitre Tisias lorsque fut rendue la sentence arbitrale entre Apollodore et Phormion. Ils ont vu Stéphanos commettre la soustraction de pièce dont il est accusé par Apollodore. » Confirmez cette déposition, ou rétractez-la, sous la foi du serment. RÉTRACTATION AVEC SERMENT. [61] Je m'y attendais bien, juges, et l'empressement qu'ils mettent à se rétracter ne me surprend pas. Eh bien, il faut les convaincre de parjure. Prends-moi cette autre déposition et cette sommation. Lis. TÉMOIGNAGES. « .... déclarent qu'ils étaient présents lorsque Apollodore a sommé Stéphanos de livrer son esclave domestique pour qu'il fût mis à la question relativement à la soustraction de la pièce dont il s'agit, et qu'Apollodore était prêt à régler par écrit les conditions de l'interrogatoire; que, malgré la sommation d'Apollodore, Stéphanos refusa de livrer son esclave, et répondit à Apollodore : Si tu crois que je t'ai fait tort en quoi que ce soit, tu peux plaider contre moi. » SOMMATION. [62] Vit-on jamais, juges, en présence d'une accusation si grave un homme fort de sa conscience refuser de livrer son esclave à la question ? Dès qu'il recule devant cette épreuve il est par là même convaincu d'être l'auteur de la soustraction. Eh bien, croyez-vous qu'on soit arrêté par la crainte de passer pour faux témoin, quand on n'a pas rougi d'être reconnu pour un voleur? ou qu'on refuse aux prières d'un ami le secours d'un faux témoignage, quand on a déjà fait une mauvaise action spontanément et sans y être poussé par un autre? [63] C'est donc justement, Athéniens, que vous le punirez à raison de tous ces faits, mais d'autres motifs, et bien plus puissants encore, doivent vous rendre sévères à son égard. Examinez, et voyez quelle vie il a menée. Tant que le banquier Aristolochos a fait de bonnes affaires Stéphanos réglait son pas sur celui de cet homme et se courbait devant lui, beaucoup d'entre vous le savent. [64] Mais lorsque Aristolochos fut ruiné et exproprié, après ce désastre dont Stéphanos et ses pareils étaient en grande partie la cause, alors que le fils d'Aristolochos était accablé de procès, Stéphanos ne lui est jamais venu en aide et n'a rien fait pour lui. Un Apolexis, un Solon (23), le premier venu, sont gens plus secourables. Il tourna donc ses regards vers Phormion ; il entra dans la maison de cet homme qu'il choisissait de préférence à tous les Athéniens. Il est allé à Byzance, comme représentant de Phormion (24), lorsque les Byzantins retenaient les navires de ce dernier, il a plaidé le procès de Phormion contre les gens de Chalcédoine (25). N'est-il pas évident qu'il vient encore pour le compte de Phormion porter un faux témoignage contre moi ? [65] Eh bien, cet homme qui se fait le flatteur des riches pour les abandonner ensuite, au premier revers de fortune, qui parmi tant de braves et honnêtes citoyens n'en trouve pas un seul dont il consente à être l'égal, et court s'incliner devant les pareils de Phormion, qui ne s'inquiète pas de savoir s'il fera du tort à ses proches, ni s'il se donnera par sa conduite un mauvais renom dans le monde, en un mot qui n'a pas autre chose en vue que le moyen de s'enrichir, cet homme ne doit-il pas vous inspirer une aversion profonde, comme l'ennemi commun de tout le genre humain? Pour moi, c'est mon avis. [66] Et quel motif, Athéniens, a pu le déterminer à commettre des actes si honteux? Il a voulu se dérober à ses devoirs de citoyen et dissimuler sa fortune, réaliser des profits secrets par le moyen de la banque et en même temps s'affranchir des charges de chorège et de triérarque et de tous les services qu'il convient de rendre à son pays (26). Et il y a réussi. En voici la preuve : possesseur d'une fortune suffisante pour donner à sa fille une dot de cent mines (27), on ne l'a jamais vu s'acquitter pour vous d'une liturgie quelconque, si mince qu'elle fût. Et pourtant, combien n'est-il pas plus beau de se montrer plein d'émulation et de zèle à remplir ses devoirs de citoyen, que de se faire flatteur ou faux témoin ? Mais pour gagner, il n'y a rien qu'il ne fasse. [67] Pour vous, Athéniens, cette bassesse doit vous inspirer plus d'indignation chez des riches que chez des pauvres. Ces derniers ont pour eux l'excuse du besoin auprès de ceux qui font la part de la faiblesse humaine. Mais ceux qui se font fripons tout en ayant largement de quoi vivre, comme cet homme, n'ont pas de prétexte dont ils puissent se couvrir. On ne peut trouver à leur conduite d'autre mobile que l'avarice, la convoitise, l'orgueil, l'assurance puisée dans leurs brigues qu'ils croient assez fortes pour se mettre au-dessus des lois. Mais rien .de tout cela n'est bon pour vous ; ce qui est bon, c'est que le faible, s'il lui est fait tort, puisse obtenir justice contre le riche, et cela sera, si vous frappez ceux qui, comme lui, de riches qu'ils étaient se sont faits fripons. [68] Quand vous le voyez composer sa figure et marcher d'un air bourru le long des maisons, gardez-vous de le prendre pour un sage, ce n'est qu'un avare. Lorsqu'on n'a pas éprouvé de malheurs et qu'on ne manque pas du nécessaire, on n'irait pas, à mon sens, jouer un pareil personnage si l'on n'avait fait, à part soi, la réflexion et le raisonnement que voici : marcher comme tout le monde et naturellement, n'être pas négligé de sa personne, c'est encourager le passant à s'approcher, à solliciter, à demander un service ; composer sa figure et se donner un air bourru, c'est tenir sûrement les gens à distance. [69] Ces airs qu'il prend ne sont donc pas autre chose qu'un masque dont il se couvre, et on voit par là même à quel point son caractère est âpre et dur. La preuve est toute faite : parmi un si grand nombre d'Athéniens, toi, Stéphanos, bien plus riche que tu ne méritais de l'être, peux-tu en nommer un seul à qui tu sois venu en aide? pour qui tu aies contribué (28) ? à qui tu aies fait quelque bien? [70] Aucun. Mais tu fais l'usure et tu spécules sur les malheurs et les embarras d'autrui; c'est ainsi que tu as exproprié ton oncle Nicias de sa maison paternelle, que tu as enlevé à ta belle-mère tout ce qu'elle avait pour vivre, et que tu as concouru à mettre sur le pavé le fils d'Archédème. Jamais on n'a montré autant de rigueur pour faire rentrer un capital après l'échéance, que tu en as mis à exiger les intérêts. Et cet homme que vous voyez en tout si hargneux et si féroce, vous l'avez pris en flagrant délit, et vous ne le puniriez pas! Vous feriez là, juges, une triste chose, et ce ne serait plus de la justice. [71] Maintenant, Athéniens, il faut prendre aussi à partie Phormion, qui a suborné Stéphanos, et lui demander un compte sévère de sa conduite, après vous être bien convaincus que c'est un fripon et un ingrat. Vous le savez tous, si cet homme, alors qu'il était à vendre, eût été acheté par un cuisinier ou par quelque autre artisan, il eût appris le métier de son maître et serait aujourd'hui bien loin de sa fortune présente. [72] Mais il fut acheté par notre père qui était banquier, qui lui apprit à lire et à écrire, qui lui enseigna son art et mit à sa disposition des capitaux considérables. C'est ainsi qu'il devint riche, grâce au hasard qui l'avait envoyé vers nous et qui devint la source de toute son opulence. [73] Eh bien, au nom des dieux, n'est-ce pas une chose indigne, une chose horrible? De barbare, nous en avons fait un Grec, d'esclave, nous en avons fait un ami de la maison, nous l'avons conduit à une si grande fortune, et il nous abandonne, nous, plongés dans la détresse et la misère, lui riche et opulent. Cette fortune qu'il nous doit, il se refuse effrontément à nous en faire part. [74] Pour lui, il n'a pas balancé à épouser sa maîtresse, à entrer dans le lit de celle qui, le jour où il fut acheté, répandit les figues sèches sur sa tête (29), à écrire un acte qui constitue à son profit une dot de cinq talents, indépendamment des biens considérables que possédait ma mère et dont il est devenu le maître, — n'est-ce pas là en effet le sens de cette clause qu'il a insérée dans le testament : « Je donne tout le surplus, sans exception ni réserve, à Archippé » ? — et il n'a pas un regard de pitié pour mes filles condamnées par la pauvreté à vieillir dans ma maison sans trouver de dot. [75] S'il était pauvre et moi riche, et que je vinsse à mourir, ses fils auraient le droit de réclamer mes filles pour épouses (30). Les fils de l'esclave obtiendraient les filles de leur maître. Ne sont-ils pas leurs oncles, puisque Phormion a épousé ma mère? Mais aujourd'hui que nous sommes dans la détresse, il refusera de doter mes filles, il compte, il calcule ce que j'ai de bien. [76] C'est là en vérité la plus inconcevable de ses prétentions. Jusqu'à ce jour il n'a pas encore voulu rendre compte de la fortune qu'il nous a enlevée et il oppose une exception à notre demande pour la faire déclarer non-recevable ; mais il fait le calcul de ce que j'ai reçu en partage dans la succession paternelle. En général, c'est au maître qu'il appartient de rechercher ce que font ses esclaves ; ici, au contraire, c'est l'esclave qui recherche ce que fait son maître afin de prouver que ce dernier est un débauché et un prodigue. [77] Assurément, Athéniens, si je considère ma figure, ma démarche précipitée, ma voix bruyante, je ne me range pas parmi les favorisés de la nature. Je suis inférieur à beaucoup d'autres par ces défauts qui sont désagréables à autrui sans m'être d'aucun avantage (31), mais si vous remarquez la sage modération que j'apporte dans mes dépenses personnelles, vous me trouverez bien plus réglé dans ma vie que Phormion et ses pareils. [78] Quant aux dépenses qu'il s'agit de faire pour l'État et pour vous, je les fais, comme vous le savez, le plus largement que je puis. Je n'ignore pas, en effet, qu'à vous qui êtes nés citoyens, il suffit de remplir les liturgies en se conformant aux lois; mais nous autres qui vous devons le droit de cité, nous sommes obligés de nous acquitter des liturgies en gens qui veulent témoigner leur reconnaissance. Cesse donc de me reprocher ce dont je pourrais avec juste raison me faire un mérite. [79] A mon tour, Phormion, je te demanderai ceci : Quel citoyen ai-je séduit et corrompu par un marché honteux ? Parle. Qui ai-je rendu indigne de ce droit de citoyen qui m'a été accordé et du droit de parler au peuple (32), comme ce malheureux que tu as souillé de tes vices ? De qui ai-je corrompu la femme, comme tu l'as fait tant de fois, témoin entre autres celle à qui cet ennemi des dieux a élevé un monument près de celui de la femme de son maître, au prix de deux talents et plus? Il n'a pas compris qu'au lieu de servir de monument à une sépulture, cet édifice ne servirait qu'à rappeler les torts de cette femme envers son époux, et la complicité de Phormion. [80] Et après avoir fait cela, après avoir produit de si éclatants témoignages de ton orgueil, tu oses fouiller dans la vie d'un autre ! Le jour, ta conduite est régulière ; mais la nuit tu fais ce que la loi punit de mort. C'est un méchant homme, Athéniens, méchant et vicieux depuis le jour où il a mis le pied hors du marché aux esclaves (33). En voici la preuve. S'il eût été honnête, il serait resté pauvre après avoir administré la fortune de son maître. Aujourd'hui, au contraire, après avoir eu entre les mains des capitaux assez considérables pour qu'il ait pu prendre sur ces capitaux, sans qu'il y parût, les grands biens qu'il possède, il considère ces biens, non comme un emprunt à restituer, mais comme un patrimoine légitime. [81] Et pourtant, au nom des dieux, supposons que je t'eusse traîné devant la justice comme un voleur pris sur le fait, avec ta fortune sur le dos, comme si tu pouvais la porter, et que je t'eusse contraint, ou de confesser tes détournements, ou de faire connaître l'origine de cette fortune, de qui aurais-tu prétendu la tenir ? Tu ne l'as pas reçue de ton père, tu ne l'as pas trouvée par hasard, tu ne peux pas dire qu'elle te fût déjà venue, à aucun titre, lorsque tu es arrivé chez nous, car tu n'étais qu'un barbare acheté au marché. Ainsi, tu as mérité pour tes méfaits de périr par la main du bourreau. Tu as sauvé ta tête, et acquis le droit de cité avec notre argent, tu as été appelé à l'honneur de procréer des enfants qui fussent les frères de ton maître, et après cela tu m'as opposé une exception pour faire déclarer non-recevable l'action que j'avais formée contre toi en restitution de mes biens. Ce n'est pas tout. [82] Tu as dit du mal de nous, tu as recherché ce qu'était mon père. Qui de vous, Athéniens, pourrait supporter ces choses sans indignation ? Car, enfin, s'il est juste que je me regarde moi-même comme étant au-dessous de vous tous, j'ai bien le droit, je le pense, de me regarder comme au-dessus de lui, et s'il n'est inférieur à nul autre, il est au moins inférieur à moi. Nous serons tout ce qu'il te plaira, je le veux; toi, tu as servi comme esclave. [83] Mais peut-être quelqu'un d'entre eux va me dire encore que mon frère Pasiclès ne réclame rien à Phormion, au sujet des mêmes affaires. Je vais donc vous parler de Pasiclès, Athéniens, et je ne tairai rien, mais avant tout je vous prie et je vous conjure de me pardonner, si, parvenu à ce comble de misère d'être insulté par mes propres esclaves, je ne puis plus retenir des paroles que jusqu'à ce jour je feignais de ne pas entendre lorsqu'elles étaient prononcées devant moi. [84] Oui, je crois que Pasiclès est mon frère, comme issu de la même mère, mais je ne suis pas sûr que nous ayons le même père, et je crains précisément que sa naissance ne soit le premier des attentats que Phormion a commis contre nous. Et lorsque Pasiclès vient faire cause commune avec un esclave pour ruiner son frère, lorsqu'il s'oublie lui-même et se met aux pieds de ceux qui devraient être aux siens, ne se rend-il pas justement suspect ? Ôte donc de devant mes yeux ce fantôme de Pasiclès. Qu'il s'appelle ton fils et non ton maître, mon adversaire, puisqu'il le veut ainsi, et non mon frère ! [85] Je le repousse loin de moi et je me réfugie vers ceux que mon père m'a laissés pour amis et pour soutiens, vers vous, juges. Écoutez-moi. Je vous en prie et je vous en conjure avec instance. Ne nous laissez pas, moi et mes filles, dans la misère où nous sommes, devenir un objet de risée pour nos esclaves et pour les flatteurs de cet homme. Mon père vous donna autrefois mille boucliers. il vous a souvent rendu des services. Un jour, il vous offrit volontairement cinq galères, prit les équipages à ses frais et supporta toutes les charges de la triérarchie. Si je rappelle ces faits, ce n'est pas pour faire sentir que vous nous devez de la reconnaissance, — c'est nous qui vous en devons, — mais pour qu'on sache ce qui m'arrive après tant de services rendus. Prenez-y garde, cela pourrait devenir fâcheux pour vous-mêmes.
[86] J'aurais beaucoup à dire sur tous les
outrages que j'ai soufferts, mais je vois que l'eau va manquer. Je
me bornerai donc à vous dire le mot qui me paraît le plus propre à
vous faire comprendre l'énormité de mon injure. Que chacun de vous
rentre en lui-même et pense à l'esclave qu'il a laissé à la maison ;
qu'il se suppose ensuite traité par cet esclave comme nous l'avons
été par celui-ci. Le sien s'appelle Syros ou Mânès, — quel nom vous
dirai-je encore ? — le mien s'appelle Phormion. Voilà toute la
différence. Quant au fait, il est le même. Des esclaves d'un côté,
un esclave de l'autre. Vous êtes maîtres, je suis maître aussi.
[87] La
justice que chacun de vous demanderait pour lui-même, trouvez bon
que je l'obtienne aussi en ce jour. Quant à celui qui m'a dépouillé,
par son faux témoignage, au nom des lois, au nom des serments que
vous avez prêtés en venant siéger ici comme juges, frappez-les, et
faites-en un exemple pour les autres. Rappelez- vous tout ce que
vous avez entendu de notre bouche, tenez-vous en garde contre toutes
les manœuvres qu'ils emploieront pour vous faire prendre le change ;
ayez un mot tout prêt pour repousser chacun de leurs moyens. S'ils
viennent dire : « Notre témoignage n'a pas porté sur tous les faits,
» répondez-leur : « Comment se fait-il alors que cela soit écrit au
procès-verbal ? Pourquoi n'avez-vous pas fait supprimer cette
mention ? [88] Pourquoi n'avez-vous pas déposé de protestation entre les
mains des magistrats? » S'ils prétendent avoir attesté, l'on
qu'il a été soumis à la tutelle prescrite par le testament, l'autre
qu'il a géré cette tutelle, un troisième qu'il est le dépositaire du
testament, demandez-leur quel est ce testament et quels en sont les
termes. En effet, ce que les faux témoins que voici ont déclaré, les
autres ont évité d'en parler dans leurs dépositions. S'ils cherchent
à vous émouvoir de pitié, dites-vous que votre pitié doit être
réservée pour la victime et non pour les coupables. Si vous faites
cela, vous me viendrez en aide, vous mettrez un terme aux basses
complaisances de ces hommes, et vous-mêmes, vous aurez satisfait au
srement que vous avez prêté. |
NOTES (01) Pasion était mort en 370-309. Le mariage de Phormion et d'Archippé doit être placé en 368. (A. Schœfer, Beilagen, p. 146, note 6.) Il est question de la première triérarchie d'Apollodore dans le plaidoyer contre Nicostrate. (02) Le cours de la justice se trouvait interrompu à cause de la guerre. Les juges, les parties, les témoins étaient au service. Toutefois, l'interruption n'était pas toujours complète; ainsi, dans le cas dont il s'agit, elle ne portait que sur les affaires civiles, à l'exclusion des actions publiques. Voy. Meier et Schœmann, p. 154 ; Meier, De bonis damnatorum, p. 190. La guerre dont il s'agit ici ne devait pas être une simple expédition maritime. Ces sortes d'expéditions n'apportaient pas une grande perturbation dans les habitudes du peuple athénien. Mais il en était autrement lorsqu'il fallait mettre en campagne un corps d'armée. En 368 les Athéniens envoyèrent à Jason, tyran de Phères, une division complète, hoplites et cavalerie, pour résister à l'invasion des Thébains en Thessalie (voy. Diod. Sic., XV, 171). (03) Γραφὴ ὕβρεως. Voy. Meier et Schœmann, p. 319. On distinguait plusieurs espères d'outrage, ὕβρις : par attentat à la pudeur, δι' αἰσχρουργίας ; par coups, διὰ πληγῶν ; par paroles, διὰ λόγων. C'est sans doute sur un fait du premier genre qu'était fondée la plainte d'Apollodore. Il accusait Phormion d'avoir séduit Archippé, car le fait de l'avoir épousée malgré la différence de situation, ne pouvait pas être considéré en lui-même comme un outrage. C'est ce qu'expliquent très bien Meier et Schœmann, p. 323. (04) Nous avons déjà expliqué tous ces .faits dans l'argument du plaidoyer pour Phormion. (05) Acharnes, dème de la tribu Œnéide, Lamplra, de la tribu Érechthéide, Kvdathénœon, de la tribu Pandionide. (06) Le texte porte ἀνοίγειν, ouvrir. Mais je n'ai pu employer le terme « faire l'ouverture du testament ». Ce terme a en français un autre sens. (07) On voit par ce texte le rôle que jouait la sommation, πρόκτησις, dans la procédure athénienne. Cette procédure était tout entière entre les mains des parties. Le juge avait un rôle purement passif et ne pouvait pas ordonner une preuve. A défaut d'interlocutoire, il fallait doue une convention entre les parties pour que la preuve fut faite et reçue contradictoirement. De là l'usage des sommations. (08) Voy. un exemple d'une sommation semblable dans le plaidoyer contre Zénothémis. (09) Ἡ ποικίλη στοά, le portique des peintures, dans l'Acropole. C'est là que siégeaient les arbitres publics. (10) La construction de cette phrase est embarrassée. G. Schaefer a essayé de corriger le texte. Sous suivons le sens indiqué par H. Wolf. (11) La loi athénienne ne prescrivait, comme on le voit, aucune mesure et ordre public pour l'ouverture et la conservation des testaments. Un testament était un écrit comme un autre, une indication des dernières intentions du défunt, mais rien de plus. C'était au testateur et aux parties intéressées à prendre des mesures pour prévenir la suppression du testament. (12) Deux talents et cent mines font déjà 22,000 francs. Le surplus pouvait valoir environ 8,000 francs. Du moins Apollodore évalue à cinq talents (30,000 francs) le total de la dot d'Archippé. Pasion donne à Archippé ce qui appartient déjà à celle-ci dans la maison. C'est une reconnaissance qu'il lui donne, en sa qualité de κύριος, et à laquelle était sans doute joint un état descriptif (ἀπογραφή). Cette disposition du κύριος; était d'ailleurs nécessaire pour imprimer aux biens dont il s'agit le caractère dotal. (13) Ces créances devaient être des créances hypothécaires. La petite île de Péparèthe, au nord-ouest de l'Eubée, était une colonie athénienne. Les Athéniens pouvaient y acquérir des immeubles et des hypothèques. On sait qu'en général et à moins de traités particuliers, ces droits (ἔκτησις) étaient refusés aux étrangers, ainsi que le droit de mariage, ἐπιγαμία. C'est ce que les Romains appelaient commercium et connubium. (14) C'était la peine infligée aux esclaves vicieux et rétifs. Ad pistrittum, ad molam. (15) Cela est vrai. La mère de Démosthène, Cléoboulé, n'avait reçu en dot que quatre-vingts mines, c'est-à-dire un talent et demi. Et cependant le père de Démosthène était riche. La mère de Mantithée avait reçu un talent. Les deux filles de Polyeucte quarante mines chacune. (16) Ἀντιγραφή Voy. Meier et Schœmann, p. 628. C'est à proprement parler le mémoire en défense. Ce mémoire était présenté par le défendeur à l'archonte ou à l'arbitre publie, qui en ordonnaient la jonction à la demande. (17) En pareil cas le donateur constituait en dot le dixième de sa fortune. C'était du moins l'usage. Voy. lsée, De Pyrrhi hered., § 51 ; Bœckh, t. I, p. 666; Meier et Schœmann, p. 416 (18) Athmonon, dème de la tribu Cécropide. (19) Ceci est dit par ironie.
(20)L'arbitre
assistait à la prestation de serment par les témoins, mais c'était la partie qui
faisait prêter le serment. L'interrogatoire était fait par les parties, comme
encore aujourd'hui en Angleterre. Le rôle du juge se bornait à écouter et à
surveiller (21) Ἐξωμοσία. Le témoin peut, devant le tribunal et sous la foi du serment, refuser de renouveler une déclaration qu'il a faite dans l'instruction devant l'arbitre. Sa rétractation l'expose seulement à une action en faux témoignage.
(22)
Je lis ici ὑπὲρ αὐτοῦ, avec Reiske et Dindorf. La correction proposée par Vœmel
dans l'édition Didot, ὑπὲρ ἄλλου του, n'est pas nécessaire et ne donne pas un
sens satisfaisant. Κακῶν ἀλλοτρίων κλέπτης est celui qui pour rendre service à
un autre fait subrepticement disparaître un écrit ou une preuve incommode pour
ce (23) Nous ne savons rien sur Ce banquier Ariatolochos, ni sur Apolexis et Solon. (24) Πρεσβεθτὴς. C'est le mandataire qui se rend en pays étranger pour le compte de son mandant Voy. le plaidoyer contre Zénothémis. Nous avons déjà fait remarquer que les Athéniens n'avaient pas de nom générique pour le mandat. Chaque espèce de mandat avait un nom particulier. (25) Phormion était donc propriétaire de navires et faisait le commerce de la mer Noire, c'est-à-dire le commerce des blés. Son prédécesseur Pasion avait de ce côté une clientèle considérable et des relations suivies avec le royaume du Bosphore. (Voy. Isocrate, Trapézitique.) (26) On sait qu'en Grèce et surtout à Athènes la grande distinction des biens était en apparents et non apparents, φανερά, ἀφανὴς οὐσία. Cette distinction était plutôt de fait que de droit. Les biens étaient considérés comme apparents ou non apparents suivant qu'ils étaient ou non atteints par les impôts sur le revenu. Ainsi les fonds placés dans une banque pouvaient être apparents ou non apparents, selon les circonstances, de même que nous avons aujourd'hui des valeurs nominatives et des valeurs au porteur. Stéphanos nous fournit un exemple du second cas. Pour le premier, nous avons l'exemple de Conon dans le plaidoyer contre Olympiodore, § 12. Voy. Hermann, t. III, § 14, et Büchsenschütz, Besitz und Erwerb, p. 38. (27) Si l'usage était réellement de constituer en dot à sa fille le dixième de sa fortune, la fortune de Stéphanos devait être de quinze à seize talents (environ 100,000 francs). (28) Nous avons déjà vu dans le plaidoyer contre Nicostrate un remarquable exemple de ces contributions entre amis pour venir au secours d'un ami malheureux ; ces dons s'appelaient ἔρανοι. Voy. Hermann, t. III, § 65, note 13. (29) Quand un nouvel esclave entrait dans la maison, une sorte de cérémonie religieuse s'accomplissait. La maîtresse de la maison répandait sur la tête de l'esclave des noix, des figues. C'était un symbole pour indiquer que la maison s'était accrue d'un nouveau convive. (30) Nous avons déjà parlé de la situation des épicières et du droit qui appartenait à leurs plus proches parents de les épouser pour continuer la famille éteinte. (31) La même pensée se trouve, en termes semblables, dans le plaidoyer de Nicobule contre Panténète. A. Schiffer, Beilagen, p. 192, traduit : « Pour ce qui est d'avoir une belle figure, la démarche aisée, la voix claire, je ne suis pas parmi les plus favorisés. » Mais marcher vite et parler trop haut étaient à Athènes le signe distinctif des gens mal élevés. Voy. Théophraste, chap. IV, Barthélemy, Anacharsis, chap. XX. (32) Le citoyen qui avait été flétri pour mauvaises mœurs était privé du droit de parler au peuple. Voy. le discours d'Eschine contre Timarque. (33) Τὸ Ἀνακεῖον, le temple de Castor et Pollux auprès duquel était le marché aux esclaves.
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