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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

DÉMOSTHÈNE

 

PLAIDOYERS CIVILS

 

XX

 

 

PLAIDOYER CONTRE EVERGOS ET MNÉSIBULE

 

 XIX.  Darios contre Dionysodore TOME I XXI.  Callistrate contre Olympiodore

 

 

 

 

texte grec

 

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XX

PLAIDOYER CONTRE EVERGOS ET MNÉSIBULE

ARGUMENT

Il s'agit encore ici d'un procès de faux témoignage. Nous avons déjà expliqué comment cette action pouvait être intentée et quelles en étaient les conséquences. Le faux témoin pouvait être condamné à des dommages-intérêts par la δίκη ψευδομαρτυρίας, le suborneur par la δίκη κακοτεχνιῶν. Dans certains cas déterminés la condamnation d'un faux témoin entraînait la rétractation du premier jugement, ἀναδικία.

L'orateur étant allé pratiquer une saisie chez Théophème s'est pris de querelle avec lui. On en est venu aux coups et les deux parties s'intentent réciproquement une action pour voies de fait, δίκη αἰκίας. L'instruction des deux actions se fait simultanément, mais distinctement devant deux arbitres différents. Au moment où l'arbitre va rendre sa sentence sur l'action intentée par l'orateur, Théophème imagine une ruse pour faire passer son action la première. Il oppose à la demande de l'orateur une exception dilatoire appuyée d'un serment; c'est ce qu'on appelait παραγραφὴ καὶ ὑπωμοσία (a). Si l'arbitre passe outre et renvoie les parties à l'audience, le défendeur a en pareil cas le droit de faire défaut et de former ensuite opposition dans les dix jours (μὴ οὖσαν δίκην ἀντιλαγχάνειν). Il faut alors que l'instruction soit recommencée devant l'arbitre. Par ce moyen Théophème arrive à ses fins. L'action de son adversaire est remise, la sienne est portée à l'audience. Il produit un témoignage constatant qu'il a offert de livrer à la question une servante qui a tout vu, et que l'on tour a refusé cette offre. Ce refus constituait aux yeux des Athéniens la plus décisive de toutes les preuves. L'orateur est condamné à payer à Théophème 1,100 drachmes à titre de dommages-intérêts, plus l'épobélie et les prytanies ou frais, soit en tout 4,313 drachmes et deux oboles. Quant à l'action intentée par l'orateur, elle se trouve ainsi préjugée; aussi on ne voit pas que les parties y aient donné suite. L'orateur insiste à la vérité pour que Théophème lui livre l'esclave, mais cela n'est que pour la forme.

Evergos et Mnésibule, l'un frère, l'autre beau-frère de Théophème, ont attesté la sommation faite par lui au sujet de l'esclave. L'orateur les poursuit en faux témoignage. Son argumentation est fondée sur trois moyens. En premier lieu, si Théophème avait réellement offert son esclave, pourquoi l'orateur ne peut-il pas obtenir qu'elle lui soit livrée aujourd'hui? En second lieu, c'est bien peu de deux témoins pour attester un acte aussi important. En troisième lieu enfin, si Théophème avait voulu livrer son esclave, il l'aurait amenée avec lui devant l'arbitre. Or, aucun témoin ne l'y a vue.

Ce dernier point parait être l'explication de toute la procédure. Il est probable que le délai demandé par Théophème était fondé précisément sur une maladie ou une absence de l'esclave qu'il offrait de livrer. La loi d'ailleurs n'exigeait sans doute pas que la sommation eût lieu en présence de l'esclave. Enfin, on s'explique très bien qu'après avoir obtenu gain de cause sur son action, Théophème ne voulût plus livrer son esclave. Il était bien évident que le tribunal ne se déjugerait pas si la seconde affaire était portée devant lui.

Après les moyens de droit viennent les personnalités. Dans une affaire de faux témoignage elles paraissent moins déplacées qu'ailleurs. L'orateur s'efforce de dépeindre ses adversaires comme des gens violents, et il profite de l'occasion pour plaider de nouveau sa première affaire. Il y joint le récit de ce qui s'est passé depuis l'action intentée. Ses adversaires sont venus, eux aussi, pratiquer chez lui une saisie, et se sont livrés à toutes sortes d'excès et de violences. Leur conduite en cette circonstance donne à penser qu'ils sont bien capables d'avoir fait un faux témoignage, et que Théophème était bien dans son tort.

La date du procès est facile à déterminer. La décision en exécution de laquelle l'orateur est allé pratiquer une saisie chez Théophème est une décision du Conseil, rendue sous l'archonte Agathoclès, en 356. L'action de Théophème a sans doute été jugée l'année suivante, et l'action en faux témoignage a dû être intentée presque immédiatement. Le plaidoyer qu'on va lire a donc été prononcé en 355.

Quant à l'auteur, il est très douteux. Déjà dans l'antiquité Harpocration attribuait ce plaidoyer à Dinarque. A. Schaefer, conduit par l'analogie du style, pense que l'auteur pourrait bien être Apollodore, fils du banquier Pasion, dont nous lirons plus loin les plaidoyers au nombre de sept, et qui cotte fois aurait écrit pour un autre. J. Sigg, dans une dissertation toute récente, soutient la même thèse (b). Nous ne nous engagerons pas dans cette voie de conjectures, qui ne s'appuient sur aucune donnée positive. Ce qu'il y a de certain, c'est que le plaidoyer a été réellement prononcé.

PLAIDOYER

[1] Les lois ont fait sagement, à mon sens, juges, lorsqu'elles ont permis aux plaideurs de recommencer la lutte une dernière fois au moyen des actions en faux témoignage. Si quelqu'un a trompé les juges en produisant des témoins qui attestent des faits faux, ou des sommations qui n'ont pas été faites, ou des témoignages qui n'ont pas été fournis conformément à la loi, il ne faut pas que cette manoeuvre lui profite. Celui qui en a souffert peut discuter les témoignages, se présenter devant vous, prouver que les témoins ont attesté des faits faux au sujet de l'affaire, obtenir une condamnation contre eux, et s'ouvrir ainsi une action de dol contre celui qui les a produits (01). [2] C'est pourquoi les lois ont modéré en ce cas la somme à payer par le demandeur qui perd son procès (02). Elles ne veulent pas que l'élévation des frais détourne les parties lésées de poursuivre les témoins pour faux témoignage. C'est pour la même raison qu'elles ont menacé le défendeur de peines énormes si les témoins sont convaincus, et vous paraissent avoir attesté des faits faux (03). [3] Cela, juges, est de toute justice. En effet, lorsque vous votez sur un procès vous considérez les témoins, et vous ajoutez foi aux dépositions qu'ils viennent faire. Il faut que vous ne soyez pas trompés, et que ceux qui se présentent devant vous ne soient pas injustement condamnés. C'est pourquoi le législateur a rendu les témoins responsables. Et maintenant je vous prie de m'écouter avec bienveillance. Je vais vous expliquer toute cette affaire depuis le commencement, et vous verrez par là quels torts j'ai eus à souffrir, comment les juges ont été trompés, comment ces hommes que voici ont attesté des faits faux.

[4] Je voudrais par-dessus tout ne pas avoir d'affaires; mais, si l'on m'y force, je suis heureux d'avoir à attaquer des hommes qui ne vous sont pas inconnus. J'aurai plus à dire aujourd'hui pour dévoiler leur caractère que, pour démontrer la fausseté de leur témoignage. A propos de ce témoignage, quand je dis qu'ils ont attesté des faits faux, j'en trouve la preuve dans leur manière d'agir, et je n'ai pas besoin de produire, à cet égard, d'autres témoins qu'eux-mêmes. [5] Ils pouvaient en effet se tirer d'affaire et se dispenser de se présenter devant vous où il y a des chances à courir. Ils avaient un moyen de confirmer leur témoignage par leur propre fait, mais ils n'ont pas voulu s'en servir, c'était de livrer la servante. Ils ont déclaré l'avoir offerte, avec sommation, devant l'arbitre Pythodore de Kédae (04). Théophème, si l'on en croit leur sommation, était prêt à la livrer, et je consentais à la recevoir, ainsi que les témoins présents alors l'ont déclaré devant le tribunal et vous le déclareront encore aujourd'hui. Théophème a reconnu la vérité de leur déclaration, car il n'a soulevé aucune discussion à ce sujet, et ne les poursuit pas en faux témoignage. [6] Eux-mêmes reconnaissent assez clairement, dans leur témoignage, que je consentais à recevoir la servante, mais que Théophème demanda un délai, ce que je ne voulus pas accorder. Eh bien, cette servante, que je consentais à recevoir, et que Théophème offrait de livrer, à ce que disent ces hommes, mais que personne n'a jamais vu livrer réellement, ni alors devant l'arbitre, ni depuis devant le tribunal, ni en quelque autre lieu que ce soit, les témoins que voici ont attesté que Théophème consentait à la livrer et en faisait offre avec sommation.

[7] Les juges ont cru que ce témoignage était vrai et que j'avais reculé devant les déclarations que cette femme aurait faites si elle eût été appliquée à la question, au sujet des actes de violence, et sur le point de savoir lequel d'entre nous a le premier porté la main sur l'autre. Car c'est là ce qu'on entend par actes de violence (05). Eh bien, ne faut-il pas que ces témoins aient attesté des faits faux, puisque même aujourd'hui ils n'osent pas livrer réellement cette femme, conformément à la sommation qu'ils ont prétendu avoir été faite par Théophème et dont ils lui ont rendu témoignage? Ne faut-il pas qu'ils confirment par leur fait la vérité de leur témoignage, qu'ils fassent mettre les témoins hors de cause en livrant cette femme, [8] que cette femme qui n'a pas été exhibée alors soit enfin mise à la question au sujet des actes de violence pour lesquels je poursuis Théophème? Ne voyez-vous pas enfin que la preuve résulte précisément du langage alors tenu par Théophème pour tromper les juges? Il a dit, en effet, dans le procès relatif aux actes de violence, que les témoins qui avaient vu les faits et qui venaient les attester au moyen d'une déclaration écrite, selon la loi, étaient de faux témoins, subornés par moi; qu'au contraire cette femme qui, elle aussi, avait vu les faits, disait la vérité; qu'en effet, elle ne viendrait pas déposer au moyen d'une note écrite (06), mais qu'elle apporterait le plus fort de tous les témoignages, étant interrogée à la question sur le point de savoir d'où sont venus les premiers coups. [9] Voilà ce qu'il disait, avec force paroles, et en produisant des témoins, et c'est ainsi qu'il a trompé les juges; or, il est démontré aujourd'hui que tout cela est faux. En effet, il n'ose pas livrer réellement cette femme que, d'après les témoins entendus, il consentait à livrer. Il a mieux aimé voir son frère et son beau-frère poursuivis en faux témoignage, que de livrer réellement cette femme et de les tirer ainsi d'affaire de plein droit, sans avoir besoin de discours ni de prières, ni d'efforts calculés pour vous tromper et éviter une condamnation. [10] Et pourtant, j'avais plus d'une fois fait sommation et réquisition pour que cette femme me fût livrée; je m'étais déclaré prêt à la recevoir, non seulement alors, mais après le jugement, et le jour où j'ai payé à ces hommes le montant de la condamnation, et dans l'action que j'ai intentée à Théophème pour actes de violence, et dans l'instruction de l'action en faux témoignage. Quant à eux, ils faisaient semblant de ne pas m'entendre. Tandis qu'en paroles ils attestaient des faits faux, en réalité ils s'abstenaient de livrer la femme. Ils savaient bien, en effet, que si cette femme était 'appliquée à la question, ils se trouveraient convaincus d'être les auteurs et non les victimes du délit. Pour preuve de ce que j'avance, on va vous lire les témoignages de ces faits.

TÉMOIGNAGES.

[11] Vous venez d'entendre les témoignages desquels il résulte que j'ai à plusieurs reprises fait sommation et réquisition afin d'obtenir cette femme, et que personne ne me l'a livrée. Mais il y a aussi des présomptions assez fortes pour vous convaincre que mes adversaires ont fait un faux témoignage. C'est ce que je vais vous montrer. Si ce qu'ils disent était vrai, si en effet Théophème avait fait sommation, et offert de livrer la femme dont il s'agit, à coup sûr ils n'auraient pas trouvé suffisant que le fait fût attesté par deux témoins seulement le beau-frère et le frère. Ils auraient appelé d'autres personnes en grand nombre. [12] En effet, l'arbitrage se faisait dans l'Héliée, lieu où siègent les arbitres pour les tribus Oenéide et Erechthéide (07). Dr, à toute sommation de ce genre, au moment où a lieu la livraison réelle d'un esclave amené à cet effet, il y a toujours beaucoup de personnes debout au premier rang de la foule, écoutant ce qui se dit. Ils n'auraient donc pas manqué de témoins s'il y avait eu rien de vrai dans le fait qu'il s'agissait d'attester.

[13] Maintenant, juges, ils ont déclaré dans le même témoignage que je n'avais pas consenti à un ajournement, tandis que Théophème en demandait un pour livrer la femme dont il s'agit. Je vais vous prouver que cela n'est pas vrai. Si la sommation dont ses témoins ont affirmé l'existence eût été adressée par moi à Théophème avec mise en demeure de livrer l'esclave, [14] Théophème aurait bien pu me répondre en ces termes-là, non sans apparence de raison, et demander que l'arbitrage fût remis au premier jour pour qu'il eût le temps d'amener l'esclave et de m'en faire livraison. Mais c'est toi-même, Théophème, qui, si l'on en croit les témoins, as offert de livrer cette femme, et c'est moi qui n'ai pas consenti à la recevoir. Comment donc? tu es le maître de cette femme, tu viens pour faire la sommation dont tes témoins ont affirmé l'existence, tu es forcé, pour établir ton droit, de recourir à cette femme, [15] tu n'as pas un seul autre témoin pour déclarer que c'est moi qui ai le premier porté la main sur toi, et tu te présentes devant l'arbitre sans amener cette esclave; tu n'en fais pas la livraison réelle et effective, toi qui es son maître? Tu dis bien avoir fait la sommation, mais personne n'a vu cette esclave, dont tu t'es servi pour tromper les juges en faisant dire par de faux témoins que tu avais offert de la livrer.

[16] Voilà donc un premier fait constant: Cette femme n'était pas présente avec toi en ce moment-là, et les boites ont été scellées avant qu'elle eût paru. Maintenant peux-tu dire du moins que plus tard tu l'as amenée, soit à l'agora, soit au tribunal ? Car, si tu ne l'avais pas alors auprès de toi, tu devais assurément la livrer plus tard, faire constater par des témoins ton intention de soumettre cette femme à la question décisoire, conformément à ta sommation ; et enfin, faire mettre dans la boîte et la sommation et le témoignage, établissant ton consentement à livrer cette femme. Eh bien, au moment de comparaître en justice as-tu amené cette femme devant le tribunal? [17] Il le fallait pourtant, si tu avais réellement fait sommation comme on le dit. Au moment où l'on tire au sort les membres des tribunaux, il fallait amener cette femme, faire intervenir le héraut, me mettre en demeure de donner la question si je voulais, et prendre à témoins les juges entrant au tribunal pour constater que tu étais prêt à livrer. Mais au lieu de cela il a trompé par ses discours, il a produit de faux témoins, et aujourd'hui même il n'ose pas encore livrer cette femme, quoique je l'en aie sommé et requis à plusieurs reprises, comme vous, l'ont déclaré les témoins qui étaient là présents. Relis-moi les témoignages.

TEMOIGNAGES

[18] Je veux maintenant, juges, vous raconter mon procès avec Théophème et vous faire voir comment ce procès a pris naissance. La condamnation que Théophème a injustement obtenue, en trompant les juges, frappe non pas moi seulement, mais encore et du même coup le conseil des Cinq-Cents ; il a ainsi porté atteinte à l'autorité de vos tribunaux, à celle de vos décrets et de vos lois, il a ébranlé la foi due à vos magistrats et aux déclarations inscrites sur les stèles (08). Comment? c'est ce que je vais vous apprendre, point par point. [19] Jamais, à aucune époque, je ne m'étais trouvé en relations avec Théophème. Nous n'avons ni banqueté ensemble ni fait ensemble l'amour ou la débauche. Ce n'est donc ni le ressentiment de certains procédés, ni l'emportement d'une jeunesse ardente qui m'ont déterminé à pénétrer dans sa maison. Non, j'obéissais à vos décrets, au Conseil, à la loi, lorsque j'ai fait des actes d'exécution contre plusieurs, et en particulier contre lui, pour leur faire restituer à l'État des agrès de galères. Comment cela? C'est ce que je vais vous expliquer. [20] Un jour les galères étaient en partance. Au même instant ordre est donné d'expédier des renforts en toute hâte. Or, on manquait, à l'arsenal, d'agrès pour les navires. Les détenteurs de ces agrès, tenus de les restituer, ne les avaient pas rendus. De plus, on ne trouvait pas à acheter au Pirée, en quantité suffisante, les voiles, les étoupes, les cordages qui servent à l'équipement d'une galère. Chaeredème rédige alors le décret que voici, pour faire rentrer les agrès servant aux navires, et les conserver à l'État. Lis-moi le décret.

DÉCRET.

[21] Après l'adoption de ce décret, le magistrat délégua et assigna aux administrateurs de l'arsenal les recouvrements à faire sur les personnes qui devaient des agrès à l'État. Ceux-ci leur tour en firent la répartition entre les triérarques désignés pour partir et les administrateurs des Symmories (09). En effet la loi de Périandre qui règle l'organisation des Symmories exige et prescrit la prise eu charge du matériel à recouvrer, et en outre un autre décret du peuple enjoignait de répartir entre nous, en proportion de ce que chacun de nous avait à fournir, les débiteurs à poursuivre. [22] Je me trouvais alors triérarque (10) et l'administrateur de ma Symmorie. Démocharès de Paeania (11) faisait partie de la même Symmorie, et devait des agrès à l'État, conjointement avec Théophème que voici, comme ayant été triérarque avec lui. En conséquence le magistrat les trouvant tous les deux inscrits sur la stèle comme devant des agrès à l'État, les ayant pris en charge du magistrat précédent, nous en fit la remise conformément à la loi et aux décrets. [23] Je ne pouvais donc me dispenser de les prendre en charge. Jusque-là, en effet, j'avais fait maintes fois pour vous le service de triérarque et je n'avais jamais reçu d'agrès de l'arsenal. Je m'en étais toujours fourni, à mes frais, quand j'en avais besoin, pour avoir le moins d'affaires possible avec l'État. Mais cette fois, aux termes des décrets et de la loi, j'étais forcé de prendre en charge le recouvrement. [24] Pour preuve de ce que j'avance je vais vous produire comme témoins le décret et la loi, ensuite le magistrat même qui a fait la remise et qui a introduit l'affaire devant le tribunal, enfin les membres de la Symmorie dont j'étais administrateur et triérarque. Lis-moi ces pièces.

LOI, DÉCRET, TÉMOIGNAGE.

[25] J'étais donc bien forcé de prendre en charge les débiteurs de l'État. Vous venez d'entendre sur ce point la loi et les décrets. Que la remise m'ait été faite par le magistrat, c'est ce que ce dernier vous a déclaré lui-même. La première question que vous ayez à examiner, juges, est donc celle de savoir qui de nous deux avait tort, ou moi qui étais forcé d'exécuter Théophème, ou Théophème qui devait depuis longtemps des agrès à l'État, et ne les rendait pas. [26] Si vous examinez cette question dans tous ses détails, vous verrez que Théophème était de tout point dans son tort, et ce n'est pas seulement moi qui vous le dis, c'est le Conseil, c'est le tribunal qui ont jugé et décidé cela. Une fois chargé de ce recouvrement par le magistrat, j'allai trouver Théophème et je commençai par lui réclamer les agrès. Mais, malgré cet avis, il ne voulut rien rendre. L'ayant donc un jour rencontré aux environs de l'Hermès qui est placé près de la petite porte (12), je le citai à comparaître devant les apostoles et devant les administrateurs de l'arsenal, autorités qui étaient alors chargées d'introduire devant le tribunal les contestations relatives aux agrès. [27] Pour preuve de ce que j'avance je vais vous produire comme témoins ceux qui ont fait la citation.

TÉMOINS.

La citation donnée par moi vient de vous être attestée par ceux qui l'ont faite. Voici maintenant comment l'affaire fut introduite devant le tribunal. Prends-moi le témoignage des apostoles et du magistrat.

TÉMOIGNAGE.

[28] J'avais craint d'éprouver des difficultés de la part de Démocharès de Paenia; et en effet, jusqu'à sa comparution devant le tribunal il ne voulut rien entendre, mais quand il eut comparu et qu'il se vit condamné, il restitua la portion des agrès qui était à sa charge. Au contraire je n'aurais jamais cru que Théophème poussât jamais la mauvaise foi jusqu'à oser détourner les agrès qui appartiennent à l'État, et il accumule, comme vous le voyez, les procès et les contestations. Étant là, présent devant le tribunal, lorsque l'affaire y fut introduite, il ne se défendit pas, il ne conclut même pas à ce qu'un autre fut mis en son lieu et place pour soutenir le procès, ce qu'il devait faire s'il prétend que ces agrès sont détenus par un autre, et que ce n'est pas à lui à les rendre. Il laissa les juges aller aux voix, et prononcer une condamnation. [29] Mais, une fois sorti de l'audience, il ne s'exécuta pas plus qu'auparavant. Son calcul était celui-ci : se cacher et se mettre ainsi à l'abri de poursuites, pour le moment, jusqu'à ce que j'eusse pris la mer, avec les navires ; gagner ainsi du temps, faire retomber sur moi le fardeau de sa dette personnelle, et me forcer de restituer ces agrès, soit après mon retour ici, soit même auparavant, au membre de la Symmorie qui viendrait prendre le navire à ma place. Et en effet, que répondre à ce dernier, produisant les décrets, les lois, prouvant par là que c'était à moi de faire rentrer ces agrès ? [30] Et lorsque après un long temps écoulé, de retour ici, je l'aurais poursuivi, Théophème eût dit alors qu'il avait tout restitué, et pour prouver la restitution il eût invoqué des présomptions tirées de l'urgence et de la nécessité du service. « Je n'avais jamais eu pour lui, aurait-il dit, ni complaisance ni amitié. » Je n'aurais donc pas sursis; et aussi bien pourquoi faire, moi, chargé d'une triérarchie envers l'État, administrateur de ma Symmorie, en présence des décrets et de la loi que vous connaissez, aurais-je sursis à exécuter Théophème? [31] Ayant donc fait ce calcul, Théophème commença par ne pas rendre les agrès, et se tint caché. Il espérait que plus tard il ferait échouer ma demande, de plus il comptait recourir au serment, et se débarrasser de moi par un parjure, comme il a déjà fait pour d'autres. Car il n'y a pas d'homme plus âpre ni plus intraitable en affaires que ce Théophènie. Il l'a bien prouvé par ses actes. En effet, étant débiteur de ces agrès envers l'État, il a d'abord dit que la charge revenait à Apharée, mais il s'est abstenu de requérir que ce dernier fût mis en cause. Il savait bien qu'il serait convaincu de mensonge s'il se présentait devant le tribunal. [32] Apharée était en état de prouver que Théophème avait réglé avec lui le compte du prix et avait reçu de lui les agrès, au moment de la transmission du service, de l'un à l'autre. Aujourd'hui Théophème soutient qu'il a remis les agrès à Démocharès, et il intente une action aux enfants mineurs de Démocharès, ce dernier étant mort. Mais lorsque Démocharès vivait, Théophème n'a pas requis qu'il fût mis en cause, quoique poursuivi lui-même par moi en restitution des agrès. Il se ménageait le prétexte du long temps écoulé, pour arriver à retenir les agrès appartenant à l'État. Pour preuve de ce que j'avance on va vous lire les témoignages.

TÉMOIGNAGES.

[33] Je songeais à tout cela ; on me disait d'ailleurs, et en cela on parlait par expérience, de quoi Théophème était capable dans les affaires d'intérêt. Voyant donc que je ne pouvais obtenir la remise des agrès, j'allai me présenter aux apostoles, au Conseil et au peuple, en disant : « Théophème refuse de me remettre les agrès que le tribunal l'a condamné à restituer. » Tous les autres triérarques qui n'avaient pas obtenu la restitution des agrès par ceux qui en étaient débiteurs se présentèrent en même temps devant le Conseil. Il fut dit beaucoup de paroles, et enfin le Conseil répondit par un décret qu'on va vous lire et qui nous autorisait à exécuter par tous les moyens possibles.

DÉCRET.

[34] Le décret fut fait dans le Conseil, personne ne l'attaqua comme illégal, et il devint ainsi définitif. Je me présentai alors à Evergos, frère de Théophème, puisque je ne pouvais découvrir Théophème lui-même, et armé du décret, je commençai par lui réclamer les agrès, en lui enjoignant d'avertir Théophème. Je laissai encore passer quelques jours, après quoi, voyant qu'au lieu de rendre les agrès il se jouait de moi, j'amenai des témoins, et je lui demandai s'il avait partagé avec son frère ou s'ils se trouvaient encore dans l'indivision. [35] Evergos me répondit qu'il avait partagé, et que Théophème avait pris un domicile séparé, tandis que lui était resté avec leur père. Je m'informai donc du domicile de Théophème, et je m'y rendis accompagné d'un agent qui me fut donné par le magistrat. N'ayant pas trouvé Théophème chez lui, je dis à la femme qui était venue nous ouvrir d'aller le chercher où il était. C'est cette femme que, si l'on en croit ses témoins, Théophème aurait offert de livrer, mais dont je ne puis obtenir la remise, malgré mon insistance, pour vous faire connaître la vérité sur le point de savoir lequel de nous deux a le premier porté la main sur l'autre. [36] Théophème arriva sur les pas de cette femme. Je lui réclamai les agrès dont j'avais l'état, ajoutant que j'étais sur le point de prendre la mer, et je lui fis voir le décret du Conseil. A ces mots, au lieu de restituer il se mit à proférer des menaces et des injures. Je dis alors à l'agent de voir s'il passait quelques citoyens dans la rue, et de les appeler pour être témoins de ce qui se disait. [37] Puis je requis de nouveau Théophème ou de me suivre de sa personne devant les apostoles et le Conseil, ajoutant que s'il prétendait ne rien devoir il s'arrangerait avec ceux qui l'avaient fait prendre en charge et qui m'avaient contraint à le poursuivre, ou de restituer les agrès, faute de quoi je déclarai que j'allais saisir des gages, selon les lois et les décrets. Comme il refusait de s'exécuter, je m'apprêtai à emmener la femme qui se tenait debout sur le seuil de la porte, et qui était allée le chercher. [38] Théophème me l'arracha. Je lâchai prise aussitôt et. je voulus entrer dans la maison afin d'y saisir quelque gage qui répondît des agrès. En effet, la porte restait ouverte, Théophème se trouvant toujours là, sur le point d'entrer. J'avais d'abord eu le soin de lui demander s'il n'était pas marié (13). Au moment où j'entrais, Théophème me frappa du poing sur la figure, et moi, prenant à témoins toutes les personnes présentes, je me défendis. [39] Pour montrer que je dis vrai, et que Théophème a le premier porté la main sur moi, où chercher des preuves sinon dans l'interrogatoire de cette femme que Théophème aurait offert de livrer, si l'on en croit les déclarations de ces hommes que vous voyez? Avec ce témoignage, Théophème se présenta le premier devant le tribunal, car je m'étais bien gardé de recourir à une exception, ou de demander une remise (14), moyens qui ne m'avaient pas réussi dans des procès antérieurs; Théophème trompa donc les juges, prétendant que les témoins produits par moi faisaient de faux témoignages, et qu'on saurait la vérité en appliquant à la question la femme dont il s'agit. [40] Tel est le langage qu'ils tenaient alors, mais aujourd'hui bien différente est leur façon d'agir. En effet, j'ai beau réclamer cette femme, je ne puis en obtenir la remise. Mes témoins vous l'ont déclaré. Eh bien; puisqu'ils ne veulent pas livrer cette femme, qu'ils prétendent avoir offerte eux-mêmes, je veux encore vous produire les témoins qui m'ont vu frappé le premier par Théophème. Or, c'est là précisément ce qui constitue la violence, qu'un homme ait porté le premier la main sur un autre; à plus forte raison lorsque cet autre procédait à des actes d'exécution d'après la loi et vos décrets. Lis-moi les décrets et le témoignage.

DÉCRETS, TÉMOIGNAGE.

[41] Me voyant ainsi arrêté dans ma saisie par la résistance de Théophème, et frappé par lui, je me rendis au Conseil, je montrai la trace des coups et je dis comment j'avais été traité, au moment où j'exigeais la restitution d'agrès dus à la République. Le Conseil fut très irrité du traitement que j'avais reçu et de l'état où il me voyait. Il pensa qui l'outrage s'adressait moins à moi qu'à lui-même, au peuple qui avait rendu le décret, et à la loi qui avait enjoint de faire rentrer les agrès. [42] Il m'engagea donc à porter plainte (15), et chargea les prytanes (16) de citer Théophème à deux jours de délai, comme ayant enfreint les lois et mis obstacle au départ de l'escadre en refusant de restituer les agrès, en m'arrachant les gages saisis, enfin en me frappant, alors que je procédais contre lui à des mesures d'exécution, au nom d'un service public. En conséquence, le jugement eut lieu dans le Conseil, sur la plainte portée par moi, la parole fut donnée à chacun de nous, les conseillers votèrent au scrutin secret, et là Théophème fut convaincu et reconnu coupable. [43] Le Conseil allait ensuite voter à main levée sur la question de savoir s'il renverrait Théophème devant un tribunal ou s'il lui infligerait l'amende de cinq cents drachmes, que la loi l'autorisait à prononcer, mais alors tous ces hommes se mirent à prier, à supplier, à faire intercéder de tous côtés. Ils donnèrent sur-le-champ, et à l'audience même du Conseil, l'état des agrès dus par eux, et quant aux coups portés, ils promirent d'accepter pour arbitre le premier Athénien que je désignerais. Je voulus bien alors faire réduire à vingt-cinq drachmes l'amende infligée à Théophème. [44] Pour prouver ce que j'avance, je prie tous ceux d'entre vous qui ont été membres du Conseil sous l'archontat d'Agathoclès de confirmer mon récit à ceux qui siègent près d'eux, et je vais vous produire comme témoins tous ceux que j'ai pu retrouver parmi ceux qui ont été du Conseil à cette époque.

TÉMOIGNAGES.

[45] Vous voyez, juges, combien je me montrai accommodant avec ces hommes. Et pourtant le décret prononçait la confiscation des biens non seulement contre les détenteurs d'agrès qui refuseraient de les rendre à l'État, mais encore contre les propriétaires qui refuseraient de vendre les leurs. Tant on se trouvait alors dépourvu d'agrès dans notre ville. Us-moi le décret.

DÉCRET.

A mon retour de l'expédition, juges, Théophème ne voulant pas constituer d'arbitre au sujet des coups que j'avais reçus de lui, je l'assignai et j'intentai contre lui l'action de voies de fait (17). Il m'assigna de son côté, et les deux actions furent portées devant les arbitres (18). Là, au moment où la sentence allait être rendue, Théophème présenta une exception, et offrit de prêter serment pour obtenir une remise, tandis que moi, n'ayant rien à me reprocher, plein de confiance, je me présentai devant vous (19). [46] Théophème produisit alors le témoignage dont il s'agit. (II n'a pu le faire souscrire que par son frère et son beau-frère.) Il fit croire qu'il était prêt à livrer la servante. Il se donna l'apparence d'un homme inoffensif, et parvint ainsi à tromper les juges. Maintenant je vous demande une chose juste : Vous allez prononcer sur le témoignage, vous allez dire s'il est vrai ou faux, eh bien, examinez en même temps le fond de l'affaire, depuis le commencement. [47] La preuve, à mon sens, ne peut être faite que par les moyens auxquels Théophème avait alors recours, c'est-à-dire par la question donnée à la servante. On ne peut savoir que par là lequel des deux a le premier porté la main sur l'autre. C'est là en effet ce qu'on entend par actes de violence. Et si je poursuis les témoins en faux témoignage, c'est pour avoir déclaré que Théophème était disposé à livrer la servante, tandis qu'il ne l'a jamais livrée ni devant l'arbitre ni depuis, malgré mes demandes réitérées. lis méritent donc de subir double peine, l'une pour avoir trompé les juges en produisant de faux témoignages fournis par un frère et un beau-frère; l'autre pour m'avoir fait tort, à moi empressé de fournir les liturgies, d'exécuter vos ordres, de me mettre au service des lois et de vos décrets.. Je ne suis pas le seul qui ait été chargé par le magistrat de faire rentrer des agrès à l'État. J'ai agi contre Théophème. D'autres triérarques ont exécuté d'autres débiteurs qui leur avaient été délégués. Pour vous le prouver, lis-moi leurs dépositions.

TÉMOIGNAGES.

[49] Maintenant, juges, je veux vous faire connaître comment ils se sont conduits à mon égard. Condamné envers eux sur cette action. par le faux témoignage de ces hommes que je poursuis en ce moment, j'allai trouver Théophème au moment où la dette allait devenir exigible, et je le priai de m'accorder un sursis de quelques jours; je lui dis ce qui était vrai, que je m'étais procuré les fonds nécessaires pour le payer, mais qu'il m'était échu une triérarchie, [50] qu'il fallait faire partir la galère en toute hâte, et que le stratège Alcimaque m'enjoignait de tenir ce navire prêt pour son service personnel. J'employai donc à cette dépense la somme que j'avais réunie pour payer Théophème, et en même temps je priai ce dernier de m'accorder un sursis jusqu'à ce que j'eusse fait partir le navire. Il se montra facile et accommodant. « Rien ne s'oppose à cela, me dit-il, mais, quand tu auras fait partir le navire, procure-toi des fonds pour me payer à mon tour. » [51] Fort de cette réponse de Théophème, et du sursis obtenu, mais comptant, par-dessus tout, sur mon attaque en faux témoignage, et sur son refus de livrer la servante, j'étais convaincu qu'il continuerait à laisser les choses en l'état. Je fis donc partir la galère, et, quelques jours après, ayant réuni la somme, je m'approchai de lui et je l'invitai à me suivre à la banque pour y recevoir le montant de la condamnation. Pour preuve de ce que j'avance on va vous lire les témoignages.

TÉMOIGNAGES.

[52] Mais au lieu de me suivre à la banque et de recevoir le montant de la condamnation, Théophème part, et saisit mes moutons au pâturage, cinquante bêtes à poil fin avec leur berger et tout ce qui dépend de la bergerie. Il saisit ensuite un esclave domestique portant une aiguière d'airain d'un grand prix qui m'avait été prêtée par son propriétaire. Ce gage ne leur parut pas encore suffisant. [53] Ils se rendirent à ma terre (je fais valoir à côté de l'hippodrome, et j'habite là depuis mon enfance.). Ils coururent d'abord s'emparer des esclaves, mais ceux-ci leur échappèrent et s'enfuirent de différents côtés. Ils se dirigèrent alors vers la maison, et jetèrent bas la porte qui conduit au jardin. C'étaient Evergos ici présent, frère de Théophème, et son beau-frère Mnésibule, qui n'avaient aucun jugement contre moi, ni aucun droit de toucher à rien qui fût ma propriété. Ils pénétrèrent jusqu'au lieu où étaient ma femme et mes enfants, et emportèrent tout ce qui me restait de meubles dans ma maison. [54] Ils comptaient bien saisir davantage, et faire main basse surtout l'ameublement de ma maison qui était autrefois beaucoup plus considérable; mais à la suite des liturgies, des contributions, des dépenses faites par empressement à vous servir, une partie de ces objets a été mise en gage, et une autre a été vendue. Tout ce qui restait encore a été emporté par eux. [55] Ce n'est pas tout, juges. Ma femme prenait σon repas avec mes enfants dans ma cour, et avec elle ma vieille nourrice, bonne et fidèle créature, affranchie par mon père. Depuis son affranchissement elle avait eu un mari avec lequel elle vivait. Devenue veuve, avancée en âge et n'ayant personne pour la nourrir, elle était revenue chez moi. [56] Je ne pouvais vraiment pas laisser dans le besoin celle qui avait été ma nourrice, ni oublier celui qui avait soigné mon enfance. A ce moment, d'ailleurs, j'allais prendre la mer comme triérarque. J'avais ainsi une personne sûre à laisser dans la maison auprès de ma femme qui ne demandait pas mieux. Elles étaient donc là prenant leur repas dans la cour lorsque tout à coup ces hommes s'élancent, s'emparent d'elles, saisissent les meubles. Les autres servantes (elles étaient à l'étage supérieur où elles habitent), entendant le bruit, fermèrent l'appartement. Evergos et Mnésibule n'y pénétrèrent pas, mais ils emportèrent les meubles qui garnissaient le reste de la maison. [57] Ma femme leur faisait défense de toucher à ces meubles, disant qu'ils étaient à elle, et faisaient partie de sa dot, sur estimation (20). « Vous avez, ajouta-t-elle, cinquante moutons avec l'esclave et le berger. C'est plus qu'il n'en faut pour répondre de la condamnation. » Un voisin qui venait de frapper à la porte avait tout raconté à ces femmes. Elle leur dit encore que l'argent destiné à les payer était déposé à la banque; Elle savait cela par moi. « Attendez ici, poursuivit-elle, ou envoyez l'un de vous chercher mon mari, et vous ne sortirez qu'en emportant votre argent mais laissez là les meubles, et n'enlevez rien de ce qui est, à moi, alors surtout que vous avez entre les mains bien plus que le montant de la condamnation. » [58] Ma femme eut beau dire, ils ne s'arrêtèrent pas. Loin de là. Ma nourrice avait pris la petite coupe qui était à côté d'elle et dont elle se servait pour boire. Voyant ces hommes dans la maison, elle mit cette coupe sous ses vêtements pour qu'ils ne pussent la saisir. Théophème et son frère Evergos que voici l'aperçurent, lui arrachèrent la coupe et la maltraitèrent [59] à ce point qu'elle eut les bras et les poignets tout en sang. Ils lui tordaient les Mains et, la traînaient par terre pour lui enlever la coupe. Elle a porté au cou des traces de strangulation, et des contusions sur la poitrine. Ils ont poussé la méchanceté au point de serrer la gorge à cette vieille femme et de la frapper sans merci jusqu'à ce qu'ils lui eussent arraché la coupe. [60] Les serviteurs des voisins entendaient les cris et voyaient ma maison mise au pillage. Les uns montèrent sur les toits pour appeler les passants au secours. D'autres allèrent sur le chemin qui est de l'autre côté, et voyant passer Hagnophile, l'engagèrent à entrer. Hagnophile s'approcha sur l'invitation du domestique d'Anthémion qui est mon voisin. Il n'entra pas dans la maison, ne se croyant pas autorisé à le faire en l'absence du maître, mais il se tint sur le terrain d'Anthémion, et de là il vit enlever mes meubles, et aperçut Evergos et Théophème sortant de ma maison. [61] Ils ne se bornèrent pas, juges, à enlever mes meubles, ils emmenèrent jusqu'à mon fils, le prenant pour un esclave, jusqu'à ce qu'un de mes voisins, Hermogène, les ayant rencontrés, leur dit que c'était mon fils. Pour preuve de ce que j'avance on va vous lire les témoignages.

TÉMOIGNAGES.

[62] J'appris, au Pirée, par les soins de mes voisins, ce qui s'était passé, je me rendis aussitôt à ma campagne. Je n'y trouvai plus ces hommes. Je vis seulement ma maison pillée, ma vieille nourrice expirante, et instruit par ma femme de tout ce qui était arrivé, j'allai le lendemain, de bonne heure, trouver Théophème en ville, accompagné de témoins. Je le mis en demeure, d'abord, de recevoir le montant de la condamnation, et de me suivre à la banque, ensuite de faire soigner la personne qu'ils avaient frappée, et d'amener un médecin qu'ils choisiraient eux-mêmes. [63] Quand je leur eus ainsi parlé et fait mes protestations, ils me dirent beaucoup d'injures, puis Théophème me suivit, non sans peine, mettant partout des empêchements, disant qu'il voulait aussi prendre des témoins (c'était encore un artifice de sa part pour gagner du temps). Aussitôt Evergos partit de la ville avec certaines gens de sa trempe, et se rendit à ma campagne. Il voulait voir si les meubles qui étaient la veille à l'étage supérieur et ne s'étaient pas trouvés dehors, n'avaient pas été, à mon retour, portés en bas, par nécessité. il renversa encore la porte déjà renversée par eux la veille, et mal assujettie depuis, et partit, enlevant le reste de mes meubles. Je n'avais pourtant jamais été condamné envers lui, il n'y avait jamais eu de relations d'affaires entre lui et moi. [64] Au même instant je payais Théophème envers qui j'avais été condamné. Après avoir remis à Théophème, en présence de nombreux témoins, onze cents drachmes pour le montant de la condamnation, cent quatre vingt-trois drachmes et deux oboles pour l'épobélie, et trente pour les prytanies (21) (je ne lui devais pas d'autres frais), en sorte qu'il reçu de moi, à la banque, treize cent treize drachmes et deux oboles, pour solde, je lui demandai de me rendre les moutons, les esclaves et les meubles qu'il m'avait pris. Mais il refusa de les rendre tant que je ne lui donnerais pas une renonciation expresse à toute répétition contre lui. et les siens, et à toutes poursuites en faux témoignage contre ses témoins. [65] Sur cette réponse je pris à témoin toutes les personnes qui se trouvaient là présentes, et je payai la condamnation, ne jugeant pas à propos de laisser passer le terme. Je ne savais pas encore qu'Evergos était allé chez moi ce jour même. J'acquittai donc le montant de la condamnation, et Théophème resta détenteur des moutons, des esclaves et des meubles qu'il avait trouvés la veille. A ce moment, un tailleur de pierre, qui travaillait à un monument funéraire près de chez moi, vint m'annoncer qu'Evergos se retirait pour la seconde fois, emportant de ma maison tout ce qui restait de meubles. Je n'avais pourtant pas d'affaire avec Evergos. [66] Pour prouver que je dis vrai, que la veille ils avaient fait une saisie chez moi, que le lendemain ils reçurent de moi l'argent (et à ce propos comment auraient-ils pu recevoir ce payement sur-le-champ, si l'argent n'eût pas été préfet si je ne les eusse pas avertis?), qu'enfin ils pénétraient de nouveau chez moi ce même jour, pendant que je payais le montant de la condamnation, on va vous lire les témoignages.

TÉMOIGNAGES.

[67] Je l'avais mis en demeure, juges, de faire donner des soins à la femme qu'il avait frappée, et d'amener un médecin. Voyant qu'ils n'en faisaient rien, j'amenai moi-même un médecin dont je me servais depuis plusieurs années, et qui soignait cette femme lorsqu'elle était malade, je lui fis voir en quel état on l'avait mise, et cela en présence de témoins. Instruit par le médecin que cette femme était perdue, j'appelai d'autres témoins, je leur fis voir en quel état on avait mis la malheureuse, et je mis de nouveau mes adversaires en demeure de lui donner des soins. Six jours après l'invasion de ces hommes dans ma maison, ma nourrice mourut. Pour preuve de ce que j'avance on va vous lire les témoignages.

TÉMOIGNAGES.

[68] Quand elle fut morte, j'allai trouver les interprètes (22) afin de savoir ce que j'avais à faire à cette occasion. Je leur racontai tout ce qui s'était passé, l'arrivée de ces hommes, le dévouement de cette femme, comment je la gardais dans ma maison, comment enfin elle avait trouvé la mort pour n'avoir pas lâché la coupe. Les interprètes, ayant entendu ce que j'avais à leur dire, me demandèrent si je voulais une interprétation seulement, ou bien un conseil. [69] « L'un et l'autre, répondis-je .» - « Eh bien, me dirent-ils, nous allons t'interpréter la loi, et nous te donnerons en même temps le conseil le plus utile. D'abord s'il existe un parent de cette femme, il doit paraître aux obsèques une pique à la main (23), et debout sur la tombe prononcer l'interdiction du coupable, puis garder la tombe pendant trois jours (24). Voici maintenant le conseil que nous te donnons : puisque le fait s'est passé en ton absence, sans autre témoins que ta femme et tes enfants, garde-toi bien de prononcer l'interdiction contre personne nominativement. Parle en général de ceux qui ont commis le meurtre (25). Garde-toi encore de porter une action devant l'archonte-roi. [70] La loi ne t'autorise pas à lε faire. Car, d'après ce que tu dis toi-même, cette femme n'est ni ta parente ni ton esclave. Or les lois portent que la poursuite appartient au parent, ou au maître. Si donc tu te présentes au Palladion pour y prêter le serment d'accusateur, toi, ta femme et tes enfants, avec des imprécations sur vous et votre maison, tu perdras l'estime de bien des gens; et si tu succombes dans ton accusation, on dira que tu es un parjure; si tu réussis on dira que tu es un envieux. Fais donc d'abord les expiations pour toi et les tiens, et ensuite supporte ce malheur avec patience. Que si tu veux tirer vengeance, emploie quelque autre moyen.» [71] Ayant reçu cette réponse des interprètes, j'examinai les lois de Dracon, inscrites sur la stèle, et je délibérai avec mes amis sur ce que j'avais à faire. Ils me donnèrent le même conseil. Je fis donc les expiations nécessaires pour purifier ma maison, selon l'interprétation donnée par les interprètes ; mais pour le surplus qui, aux termes des lois, ne me concernait pas, je me tins en repos. [72] En effet, juges, c'est aux parents jusqu'au degré d'issus de cousins que la loi impose l'obligation de poursuivre (la formule du serment indique expressément à quel degré le poursuivant est parent, même au cas où la victime est un esclave). Ces personnes sont les seules qui puissent exercer des poursuites (26). Or cette femme n'avait avec moi aucun lien de parenté, si ce n'est qu'elle avait été ma nourrice. Elle n'était même pas ma servante, car elle avait été affranchie par mon père, elle s'était mise dans son ménage et avait eu un mari. [73] Pour rien au monde je n'aurais voulu mentir devant vous ni me parjurer ni faire parjurer mon fils et ma femme; non, quand bien même j'aurais été certain de faire condamner les coupables. Mon ressentiment contre eux ne m'emporte pas jusqu'à me perdre moi-même. Mais ici ma parole ne doit pas vous suffire, je vais vous lire la loi elle-même.

LOI.

[74] J'estime, juges, que maintenant la fausseté de leur témoignage est évidente pour vous par beaucoup de raisons. Mais c'est surtout en considérant leur façon d'agir qu'il est facile de s'en convaincre. Ils croyaient sans doute, juges, que s'ils saisissaient beaucoup de gages je renoncerais volontiers envers les témoins à toutes poursuites en faux témoignage, afin d'obtenir la restitution des objets saisis sur moi. [75] Lorsque je priai Théophème de consentir à une prorogation de terme il m'écouta volontiers. Ce qu'il voulait, c'était que je fusse en retard, afin de pouvoir saisir chez moi le plus possible (27). C'est pourquoi il consentit sans difficulté et tout de suite, pour m'inspirer confiance et ne pas me laisser voir son calcul. Il pensait bien que pour lui le seul moyen de mettre ses témoins à l'abri de toutes poursuites en faux témoignage était d'abuser de ma crédulité, de me prendre en défaut, et de saisir chez moi le plus possible, et il faut dire qu'il espérait trouver chez moi bien plus qu'il n'y a pris. [76] Jusque-là il avait attendu avec patience, croyant que mon argent ne serait pas prêt de sitôt, et décidé à ne pratiquer sa saisie qu'au moment où viendraient les affaires de faux témoignage. Mais, quand je l'eus mis en demeure de recevoir le montant de la condamnation, il se rendit chez moi et, au lieu de recevoir son payement, il prit mes meubles, mes esclaves, mes moutons. Or je fais valoir à côté de l'hippodrome, il n'avait donc pas un long chemin à faire. [77] A l'appui de ce que j'avance il y a une présomption très forte il a reçu l'argent de la condamnation le lendemain du jour où il avait pratiqué la saisie. Eh bien, si cet argent n'avait pas été prêt, comment aurait-il pu recevoir sur-le-champ treize cent treize drachmes et deux oboles? Ajoutez qu'il ne m'a pas rendu les gages saisis et qu'if les détient encore comme pris sur un débiteur en retard (28). Mais je n'étais pas en retard envers lui. Lis-moi en effet la loi portant que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Lis aussi le témoignage. Vous voyez donc bien que je ne pouvais plus être en retard envers lui.

LOI, TÉMOIGNAGE.

[78] Ainsi le fait de la convention par laquelle il a prorogé le terme est prouvé par les déclarations des témoins, celui de ma triérarchie vous a été attesté par mon triérarque adjoint qui vous a dit en même temps comment un vaisseau amiral a été équipé pour Alcimaque. Je n'étais donc plus en retard envers Théophème, puisqu'il m'avait accordé un délai, puisque je le payais à ce moment même. Mais j'ai affaire, juges, à un caractère intraitable, qui veut tout avoir et ne rien céder. Ils savaient bien d'ailleurs qu'en livrant la servante ils livreraient en même temps la preuve de la fausseté de leurs prétentions, et qu'en ne la livrant pas après avoir fait attester que Théophème était prêt à la livrer, ils ne pouvaient plus échapper à l'action en faux témoignage. [79] Tout ce que je vous demande, juges, si quelqu'un d'entre vous a fait partie du tribunal qui a statué sur mon affaire, c'est de montrer aujourd'hui les mêmes dispositions qu'alors. Avez-vous cru que les témoins disaient vrai, et que je cherchais à éviter la preuve qui résultait des déclarations de cette femme? Eh bien, aujourd'hui il faut venir à mon aide, car ils sont convaincus d'avoir fait un faux témoignage et ils ne veulent pas livrer cette femme. M'avez-vous su mauvais gré d'être allé à la maison de Théophème pour y saisir des gages? Eh bien, sachez-leur aussi mauvais gré de s'être rendus à la mienne. [80] Et puis, moi, quoique forcé d'agir par les lois et les décrets, j'ai pris soin de ne pas aller chez son père ni chez sa mère, et de ne rien prendre qui appartînt à son frère. Je me suis' rendu au domicile particulier de Théophème. Ne le trouvant pas chez lui, je me suis abstenu de rien enlever, je l'ai envoyé chercher et j'ai pratiqué ma saisie en sa présence, non en son absence. Quand il m'a repris les objets saisis j'ai tout abandonné, je me suis rendu au Conseil, devant l'autorité compétente, j'ai déposé ma plainte, et quand le Conseil m'eut donné raison je me contentai d'une simple restitution des agrès, consentant à un arbitrage pour les coups que j'avais reçus et à une modération de l'amende. Voilà quels ménagements j'ai eus pour eux. [81] Mais eux ils ont poussé la grossièreté et l'insolence jusqu'à entrer chez ma femme et mes enfants, alors qu'ils étaient déjà en possession de mes moutons et de mes esclaves, d'une valeur bien supérieure au montant de la condamnation, et cela après avoir consenti à une prorogation de terme, après avoir été mis par moi en demeure de recevoir le montant de la condamnation, comme les témoins vous l'ont déclaré. Ils ont envahi ma maison, emporté mes meubles, frappé ma nourrice, une vieille femme, pour une coupe, et ils gardent tout, et ils ne veulent rien rendre, quoique j'aie payé le montent de la condamnation, treize cent treize drachmes et deux oboles. [82] Enfin, ne connaissant pas ces hommes, les avez-vous pris alors pour des gens paisibles et inoffensifs? Eh bien, je vais vous lire, sur leur compte, les témoignages fournis par ceux à qui ils ont fait tort, car il ne me reste pas assez de temps pour vous en faire le récit dans ma plaidoirie. Examinez tout cela, ce que je vous ai dit, et ce que les témoins vous ont déclaré ; vous pourrez alors donner un vote conforme à la justice et à votre serment. Lis les témoignages.

TÉMOIGNAGES
 

 

(a) Pollux, VIII, 60; Lex. Rhet., Ve μὴ οὖσα δίκη. Voy. Meier et Schoemann, p. 653 et 698. A. Schaefer soutient que la seconde action devait passer avant la première et que la première se trouvait éteinte par le jugement de la seconde (Beilagen, p. 196). Mais il confond l'ἀντιγραφή avec la παραγραφή.

(b) Der Verfasser neun angeblieh von Demosthenes für Apolodor gerchriebener Reden, Leipzig 1873.

(01) On a déjà vu ce qu'était l'action en faux témoignage, δίκη ψευδομαρτυριῶν, comment elle pouvait être suivie, selon les cas, d'une révision du procès primitif, ἀναδικία, ou d'une action de dol contre le suborneur, δίκη κακοτεχνιῶν.

(02) C'est-à-dire sans doute que l'action en faux témoignage n'entraîne pas l'épohélie. Le demandeur qui est débouté de sa demande ne paye que les prytanies. Voy. Meier et Schoemann, p. 384.

(03) Le faux témoin était condamné à des dommages-intérêts dont le montant était fixé arbitrairement par le juge. L'atimie pouvait être prononcée et elle était encourue de plein droit après trois condamnations.

(04) Kedae, dème de la tribu Érechthéide.

(05) Nous avons déjà parlé de l'αἰκίας δίκη ou action pour voie de fait. Elle soulevait la question de savoir laquelle des deux parties avait porté les premiers coups, ὁπότερος ἦρξε χειρῶν ἀδίκων. On remarquera l'insistance avec laquelle l'orateur revient constamment sur la définition légale.

(06)  Le témoin, à Athènes, ne prêtait pas serment, et pouvait apporter un témoignage préparé à l'avance. Dans ces circonstances, on considérait comme une preuve plus forte celle qui résultait de la question donnée aux esclaves, et qui constituait un véritable interrogatoire.

(07) On appelait Héliée le lieu où se réunissaient les héliastes ou membres des tribunaux. Comme ces tribunaux ne siégeaient qu'à certaines époques de l'année, les arbitres publics, ou du moins ceux de deux tribus sur dix s'y tenaient le reste du temps.

(08) Les lois et les décrets étaient gravés sur des stèles et exposés aux yeux de tous.

(09) Les administrateurs de l'arsenal (οἱ ἐπιμεληταὶ τῶν νεωρίων) étaient au nombre de dix, un de chaque tribu, et se renouvelaient annuellement par le sort. Voy. Boeckh, Seeurkunden, p. 48. Ils étaient comptables du matériel qu'ils prenaient en charge et qu'ils remettaient aux triérarques. L'inscription n° X du recueil des Seeurkunden contient un compte de ce genre. Voici maintenant comment toute l'opération nous parait devoir être expliquée. Le magistrat dont il s'agit ici est sans doute la commission nommée pour préparer l'expédition (οἱ ἀποστολεῖς). Ces commissaires chargent les administrateurs de l'arsenal de poursuivre les détenteurs du matériel, et les administrateurs de l'arsenal font à leur tour la répartition entre les triérarques et les administrateurs des Symmories, en sorte que chacun a sa part dans les poursuites à exercer. Le mot ἐπεκλήρωσε indique non une répartition par la voie du sort, mais une attribution, une assignation. C'est ainsi qu'en matière héréditaire il signifie l'envoi en possession.

(10) La loi de Périandre, de l'année 357, organisa, ainsi qu'on l'a déjà vu, le service des triérarchies, en substituant au service individuel le service par association. Le système était celui-ci Les douze cents plus imposés formaient la liste des triérarques. Ils étaient divisés en vingt symmories ou classes, comprenant chacune soixante noms. Chaque classe comprenait quatre syntélies ou groupes dont chacune réunissait de quatorze à seize noms. Cette organisation permettait d'établir entre les triérarques un roulement régulier; et en même temps une certaine répartition des charges.

(11) Paenia, dème de la tribu Pandionide.

(12) D'après Philochoros cité par Harpocration, il s'agit d'un Hermès placé au Pirée par les archontes qui avaient été chargés d'élever un rempart autour du Pirée.

(13) L'entrée du gynécée était interdite à tous autres qu'aux proches parents. Voy. Corn. Nepos, Praef, c. 7, et Lysias, Adv. Sim., c. 6.
 

(14) Nous avons déjà expliqué ce que c'était que la παραγραφή. Quant à l'ὑπωμοσία, c'était une demande de remise avec affirmation d'un empêchement, ce que nos anciens auteurs appellent une exoine. Ces deux procédures renversaient les rôles des parties. Du moment où elles n'étaient pas employées, le demandeur originaire parlait le premier, ce qui était considéré comme un avantage.

(15) Εἰσαγγέλλειν. Ιl s'agit d'une véritable plainte. Le Conseil reçoit la plainte et charge les prytanes de citer devant lui le débiteur récalcitrant et de le faire condamner à l'amende et à la restitution envers l'État. Le Conseil pouvait prononcer l'amende jusqu'à 500 drachmes. S'il y avait lieu d'infliger une amende plus forte, ou même la confiscation, le Conseil renvoyait aux tribunaux.

(16) Le Conseil se composait de cinq cents personnes, cinquante de chaque tribu. Les dix fractions du Conseil présidaient à tour de rôle, chacun pendant trente-cinq ou trente-six jours. C'est ce qu'on appelait πρυτανεύειν.

(17) Αἰκίας δίκη. Nous avons déjà expliqué ce que c'était. Voy. p. 246 et 247.

(18) Il n'y avait pas à proprement parler de demande reconventionnelle. On ne pouvait former de demande que par voie d'action principale. Seulement, lorsqu'il existait deux actions réciproques fondées sur le même fait, on les joignait quelquefois pour l'instruction. Mais il fallait toujours un jugement pour chaque affaire. Autrement, toutes les conditions ordinaires du vote auraient été bouleversées.

(19) C'est-à-dire que les deux actions furent disjointes. L'orateur se présente comme défendeur à l'action intentée par Théophème, et laisse surseoir au jugement de l'action intentée par lui-même.

(20) Ἐν προικὶ τετιμημένα. C'est une demande en distraction formée par la femme qui se prétend propriétaire. L'estimation des objets dotaux ne valait donc pas vente, et tant que les objets se retrouvaient en nature la femme en restait propriétaire.

(21) Nous avons déjà expliqué ce que c'était que l'épobélie. Voy. p. 2 et 30. Quant aux prytanies, πρθτανεῖα, c'étaient les sommes déposées par chacune des parties pour le salaire des juges. Le perdant remboursait au gagnant la somme consignée par celui-ci. Dans les affaires de 100 à 1,000 drachmes, les prytanies ne se montaient qu'à 3 drachmes. Dans les affaires de 1,000 à 10,000 drachmes, les prytanies s'élevaient à 30 drachmes, comme nous le voyons ici.

(22) Οἱ ἐξηγηταί. Ce sont les interprètes du droit divin et de la loi religieuse. Voy. Hermann, t 2, § 1, note 12.

(23) La pique était le symbole de la vengeance. Voy. Hermann, t. 3, § 39, note 24.

(24) C'est-à-dire jusqu'au repas des morts, qui avait lieu le troisième jour. Voy. Hermann, I. c., Rote 24.

(25) Le témoin ne peut déposer que de ce qui est à sa connaissance personnelle.

(26) Je suis ici la ponctuation de Voemel. La loi dont il s'agit est la loi de Dracon qui est citée à la fin du plaidoyer contre Macartatos. Nous reviendrons sur ce texte.

(27) Le débiteur en retard, ὑπερήμενος pouvait être saisi par son créancier, et l'échéance de la dette résultant d'une condamnation était fixée par le jugement on par une convention accessoire. Elle pouvait être prorogée par une convention nouvelle. Voy. Meier  et Scbœmann, p. 747. Le débat ne portait donc que sur l'existence de la convention. C'était une pure question de fait.

(28) Théophème prétendait sans doute que la dette était doublée par le seul fait du retard apporté au payement. C'est pourquoi il retenait les gages saisis. Le doublement de la dette, si fréquent en droit romain, était de règle en droit attique. Voy. Hermann,  t. 1, § 144, note 4.