retour à l'entrée du site   table des matières des penseurs de la Grèce de Theodor Gomperz

 

 

Gomperz, Theodor (1832-1912)
Les penseurs de la Grèce : histoire de la philosophie antique

trad. de Aug. Reymond,... ; et précédée d'une préf. de M. A. Croiset,...
Griechische Denker : eine Geschichte der antiken Philosophie
2e éd. rev. et corr.
Paris : F. Alcan ; Lausanne : Payot, 1908-1910

livre III  (chapitres 3 et 4)livre III (chapitre 6)

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE V

Les Sophistes.

1. Les sophistes. Ce que le sophiste écrivait et enseignait. Il était à moitié professeur, à moitié journaliste. - II. Ce qui, en réalité, était commun aux sophistes. Raisons de la répugnance qu'ils inspirent. Attaques de Platon contre les sophistes. Ses divers procédés de polémique. Les sophistes combattus par le vieux Platon. Variations de sens des mots « sophiste » et « sophistique ». - III. Les sophistes n'ont été ni des bretteurs intellectuels ni des retordeurs de mots. L'écrit Sur l'Art. - IV. Prodicos de Céos. Il est associé à Anaxagore. La synonymique de Prodicos. Sa philosophie morale. - V. Hippias d'Élis. Un parallèle à l'époque de la Renaissance. Le Dialogue troyen. - VI. Le sophiste Antiphon. Nouveaux fragments. Antiphon est à l'antipode de Calliclés.

I

Si fertile qu'ait été le Vme siècle en productions littéraires, il s'en faut de beaucoup qu'il ait été un siècle livresque. Le Grec aimait mieux - à cette date encore - s'instruire par les oreilles que par les yeux. La race des rhapsodes s'éteignait peu à peu, mais un nouveau personnage commençait à prendre leur place dans la vie publique des Hellènes. Vêtu, comme le rhapsode, d'un manteau de pourpre, le « sophiste » se rendait à Olympie ou ailleurs, et là, devant ses compatriotes accourus en grand nombre pour assister aux jeux, il récitait, non plus les anciens poèmes épiques, mais les discours d'apparat dont il était l'auteur (01). Dans les réunions moins nombreuses, mais plus intimes, il faisait des conférences extrêmement étudiées sur les questions scientifiques ou sociales les plus diverses (cf. p. 178). A ce fait se rattacha la révolution qui se produisit peu avant le dernier tiers du siècle dans le domaine de l'enseignement. Aux exigences plus grandes de la vie politique, au développement des besoins intellectuels ne suffisait plus la connaissance élémentaire de la lecture, de l'écriture et du calcul, qui, avec la musique et la gymnastique - auxquelles vint s'ajouter plus tard le dessin (02) - formait toute la culture de la jeunesse. Aucun établissement officiel ou privé ne tenait lieu de nos écoles secondaires et de celles de nos écoles supérieures dont le programme embrasse l'ensemble des études.
Le moment vint où des hommes pleins de talent et d'originalité cherchèrent à combler cette lacune. Des maîtres se formèrent qui, se rendant de ville en ville, groupaient les jeunes gens autour d'eux et leur donnaient des leçons. L'adolescent y était initié aux éléments des sciences positives, aux doctrines des philosophes-naturalistes, à l'interprétation et à la critique des oeuvres poétiques, aux distinctions grammaticales, que l'on commençait justement à établir, aux subtilités de la métaphysique. Mais le centre de cet enseignement était formé, cela va de soi, par la préparation à la vie pratique et surtout à la vie publique. Ainsi Protagoras d'Abdère, le plus ancien et le plus éminent de ces maîtres itinérants dont le nom nous soit connu, formule ainsi, dans un dialogue de Platon, le but de son enseignement : « Prudence dans les choses domestiques, afin que le jeune homme puisse un jour administrer au mieux sa maison ; prudence dans les choses civiles, afin qu'il devienne aussi capable que possible de discuter et de gérer les affaires de la cité (03) ». En un mot, ce qui formait le noyau de cet enseignement, c'étaient les sciences morales et politiques, ou du moins les rudiments qui en existaient déjà alors ou qu'on venait d'en créer. Or l'âme de la politique pratique, c'était l'art oratoire, dont nous avons déjà fait voir la haute signification et le constant exercice (cf. p. 401-2). Il était donc bien naturel que ces hommes qui s'appelaient eux-mêmes « sophistes », c'est-à-dire maîtres ou professeurs de sagesse, ne bornassent pas leur activité à l'enseignement de la jeunesse. Les mêmes facultés, les mêmes connaissances qui les rendaient capables d'enseigner, leur permettaient aussi de se signaler comme orateurs et comme écrivains. C'était d'ailleurs une nécessité de leur condition de se dépenser sans compter dans ces multiples directions, car, ne recevant absolu-ment aucun salaire de l'État, ils en étaient réduits à leurs propres forces; en outre, ils séjournaient plus souvent parmi des étrangers que parmi leurs concitoyens, et pour acquérir leur place au soleil, ils étaient obligés de lutter contre une âpre concurrence et contre le discrédit qui s'attachait souvent à leur personne. Il n'existe pas, dans le monde actuel, de terme de comparaison exact. Le sophiste se distingue du professeur d'aujourd'hui aussi bien par l'absence de tout rapport, avantageux - ou nuisible, avec l'État, que par l'impossibilité où il se trouvait de se borner à une spécialité. Comme savants, la plupart d'entre eux étaient à peu près universels ; comme orateurs et comme écrivains, ils étaient, ainsi que nos journalistes, toujours prêts à entrer en lice et à affronter un combat. Moitié professeur, moitié journaliste, telle est la formule qui nous donne peut-être la meilleure idée, à nous modernes, de ce que c'était qu'un sophiste au Vme siècle. Ces hommes recueillaient des applaudissements très vifs, et un succès matériel des plus considérables ; les plus distingués d'entre eux provoquaient un enthousiasme délirant auprès des jeunes gens de la Grèce, toujours très sensibles à la beauté de la forme et à la culture de l'esprit. L'apparition d'un de ces coryphées que, si nous en croyons Platon, l'on portait en triomphe, mettait en émoi au près et au loin la jeunesse athénienne. Déjà avant le lever du soleil, à ce que nous raconte un dialogue de ce philosophe, un jeune homme d'excellente famille se précipite dans la maison, puis dans la chambre à coucher de Socrate et éveille celui-ci en criant : « Tu sais déjà la grande nouvelle? » Le sage se dresse, effrayé, sur sa couche : « Au nom du ciel ! Tu ne viens pourtant pas m'annoncer un malheur? - Dieu m'en garde ! Le plus grand bonheur. Il est arrivé. - Qui? - Le grand sophiste d'Abdère ». Et le jeune homme prie Socrate d'intercéder pour lui auprès du célèbre Protagoras pour que celui-ci l'admette au nombre de ses disciples. Aussitôt le jour venu, les deux hommes se rendent dans la maison du riche Callias, dont l'étranger est l'hôte. Ils la trouvent déjà dans la plus vive agitation. Protagoras se promène en long et en large sous le portique, flanqué à droite et à gauche de trois amis des plus distingués, parmi lesquels le maître de la maison et les deux fils de Périclès, et suivi d'une foule d'adorateurs de second ordre. « Et rien, remarque en plaisantant le Socrate de Platon, ne me réjouit autant que de voir quel soin les jeunes gens prenaient pour laisser toujours le pas au Maître, et comment, aussitôt la tête du cortège arrivée à une extrémité de la halle, la suite se partageait et se séparait pour se refermer immédiatement et avec ordre derrière le grand homme et ses compagnons. » Dans les divers appartements de la maison, d'autres sophistes tiennent leur cour, entourés chacun, comme la reine d'un bal, d'un cercle d'admirateurs. Socrate présente sa requête dans le style familier de la conversation, et l'artiste en langage lui répond aussitôt par un discours assez long, très étudié et prononcé sur un ton mesuré et solennel; une discussion philosophique s'engage entre les deux hommes, tandis que les assistants courent chercher tous les bancs, tous les sièges de la maison et s'assoient en cercle pour jouir de cette fête des oreilles et de l'esprit. Protagoras laisse à l'assemblée le soin de décider s'il doit répondre à Socrate d'une manière concise ou d'une manière discursive, par un mythe ou par un simple discours. Dès qu'il commence à parler, ses auditeurs, dans une attente anxieuse, se suspendent à ses lèvres : à peine a-t-il fini qu'éclate une tempête d'applaudissements longtemps contenus. Tel est le tableau que nous a fait Platon (04), et auquel la magie de son style assure une impérissable jeunesse. Son récit accuse une forte teinte de caricature, mais il est facile, néanmoins, d'y retrouver les traits de la réalité.

II

Si maintenant l'on nous demande ce qui, en fait, était commun aux divers sophistes, nous répondons : rien absolument que leur profession et que les conditions imposées à son exercice par les circonstances générales de l'époque. À part cela, le seul lien qui les réunit était celui qui les réunissait à beaucoup de non-sophistes, c'est-à-dire leur participation au mouvement intellectuel contemporain. Il n'est pas juste, il est même absurde de parler d'un esprit sophistique, d'une morale sophistique, d'un scepticisme sophistique, etc. Quel miracle eût pu faire que les sophistes, c'est-à-dire !les maîtres qui se faisaient payer pour instruire la jeunesse, eussent entre eux des affinités intellectuelles et morales plus fortes qu'avec les autres représentants dé la pensée d'alors, quand l'un était venu de la colonie d'Abdère, en Thrace, l'autre d'Élis en Péloponnèse, un troisième de la Grèce centrale, un quatrième de la Sicile ? Ce que l'on peut à priori présumer, c'est que les maîtres et les écrivains acclamés de cette époque, comme ceux des autres époques, devaient surtout suivre les tendances nouvelles et destinées à triompher plutôt que les tendances dont le déclin avait déjà commencé. Et, de fait, il en a été ainsi. Dépendants comme ils l'étaient de leur public, les sophistes devaient se faire les organes des idées qui, si elles n'étaient pas déjà régnantes, étaient du moins en voie de le devenir. II n'est donc pas absolument illégitime de considérer les représentants de cette profession en général. comme les propagateurs des « lumières » , quoique, certainement, tous les sophistes ne fussent pas les champions des idées avancées, et que tous ces champions fussent bien moins encore des sophistes. Nous verrons d'ailleurs que la plupart d'entre eux, en raison précisément de cette dépendance, gardèrent une attitude plutôt modérée, et que pas un seul d'entre eux n'en vint à ce radicalisme politique et social que Platon et les Cyniques ne craignirent pas de proclamer.
Les mots « sophiste » et « sophistique » ont une histoire dont nos lecteurs doivent acquérir quelque connaissan de sous peine d'être égarés par quelques fallacieuses associations d'idées. Dérivé indirectement de l'adjectif sofñw (sage) et directement du verbe sofÛzesyai (imaginer, inventer) le mot sofist®w ou sophiste désigne à l'origine celui qui, dans n'importe quel domaine, se signale par des travaux éminents. Ainsi ce nom fut appliqué aux grands poètes, aux grands philosophes, aux musiciens fameux, et aux sept hommes d'État ou hommes privés que leurs profondes maximes avaient fait qualifier de Sages (05). Une nuance de défaveur commença de bonne heure à se répandre sur ce mot ; toutefois ce ne fut sûrement tout d'abord qu'une légère nuance.. Car autrement, Protagoras et ses successeurs ne se le fussent pas eux-mêmes donné. Mais cette défaveur, qui devait bientôt s'accentuer notablement, dérivait de diverses causes. D'abord, toute tentative de pénétrer les secrets de la nature éveillait la méfiance des esprits religieux. Les philosophes naturalistes étaient considérés comme suspects au point de vue théologique, et d'autres mots encore, qui, à l'origine, avaient une signification neutre , comme météorologue (investigateur du ciel), prirent un sens accessoire fâcheux. « Ne pas croire à la divinité » et « étudier le ciel », étaient deux choses associées comme équivalentes dans le décret du peuple dirigé contre Anaxagore et présenté par Diopeithès (06). Y a-t-il lieu de s'étonner que les spéculations nouvelles, relatives aux problèmes de la connaissance et aux questions de morale et de droit, attirassent à leurs auteurs le reproche d'indiscrète curiosité ? À cette appréhension des dangers réels ou prétendus que pouvait faire courir la poursuite de la science en général, s'ajouta la répulsion qu'inspiraient, pour beaucoup de motifs, les hommes voués, par profession, à la recherche scientifique et à la vulgarisation de leurs découvertes. Les Grecs se sont fait de tout temps une conception aristocratique de la vie. Encore moins que les autres nations chez lesquelles existait l'esclavage, ils ont eu de l'estime et de la considération pour l'activité rétribuée. « Ce sont les Corinthiens qui méprisent le moins les artisans, les Lacédémoniens qui les méprisent le plus », nous dit Hérodote quand il se demande si les Hellènes n'ont pas appris des Égyptiens leur dédain de l'industrie. À Thèbes, une loi refusait l'éligibilité aux magistratures à quiconque ne s'était pas abstenu pendant dix ans de tout marché; et ni Platon ni Aristote ne croyaient pouvoir accorder l'entière possession des droits civiques aux artisans et aux trafiquants. La considération sociale n'était compatible qu'avec un très petit nombre de professions salariées, dont la principale était la médecine (07). On regardait comme particulièrement honteux de consacrer, contre payement, son activité intellectuelle au service d'un autre. Il semblait qu'il y eût là un manque de dignité, une servitude voulue. Lorsque le logographe ou avocat fit sa première apparition, il ne fut pas moins poursuivi que le sophiste par les plaisanteries de la comédie. Celui qui, comme l'orateur Isocrate, avait exercé un certain temps cette profession, cherchait à en faire oublier, autant que possible, le souvenir ; lorsque le même Isocrate se vit obligé d'ouvrir une école d'éloquence, il versa, à ce que l'on dit, des larmes de honte en touchant ses premiers honoraires. Cela nous rappelle les scrupules qu'éprouvèrent Lord Byron et les aristocratiques fondateurs de l'Edinburgh Review lorsqu'on leur paya leurs premiers articles (08). Une troisième source de défaveur se trouvait dans la jalousie de ceux qui n'avaient pas le moyen de s'offrir l'enseignement des sophistes et qui, dès lors, étaient ou croyaient être en état d'infériorité, pour l'administration affaires publiques ou pour la défense de leurs intérêts privés, à l'égard de leurs rivaux ou de leurs adversaires mieux partagés. Sous ce rapport, on a comparé très justement la situation des sophistes, dans la processive Athènes, à celle qu'auraient les maîtres d'armes dans une communauté où le duel serait devenu une institution. À ces mobiles spontanés, mais dont l'action est restée dans l'ombre, s'est enfin ajoutée la volonté délibérée d'une personnalité puissante, dont l'arme a été un génie littéraire de premier ordre. Platon n'a eu que du mépris pour la société qui l'entourait. Les plus grands hommes d'État de sa ville lui ont paru médiocres; médiocres ses poètes et ses philosophes. Sa principale préoccupation a été de séparer de la façon la plus absolue, d'isoler pour ainsi dire au moyen d'un fossé et d'une palissade sa doctrine et son école, hors desquelles il n'y avait pas pour lui de salut, de tout ce que l'on pouvait confondre avec elles, de tout ce qui pouvait même faire songer à elles. Doué des plus brillantes facultés, issu d'une des plus nobles familles de l'Attique, il aurait pu prendre à la vie publique une part importante et glorieuse ; il préféra « s'entretenir à voix basse, dans l'obscurité d'une école, avec quelques jeunes gens », éplucher des mots et fendre des idées en quatre (09). Il en a été certainement blâmé, mais nul, à coup sûr, ne l'en a plus sévèrement blâmé que ses plus proches parents. Pour lui, il ne visait qu'à une chose : opposer le plus vivement possible ses efforts, dans lesquels il espérait une renaissance de l'humanité; à tout ce qui lui paraissait tendre à des buts moins élevés. Loin de séparer son maître Socrate des sophistes , l'opinion des contemporains en avait fait le type même du sophiste; nous aurons plus tard l'occasion de voir comment Platon a réussi, non sans quelque violence, à lui assurer une place à part aux yeux de la postérité.
L'art satirique de Platon use de tous les moyens, grossiers ou fins. Ses attaques contre les sophistes sont encore plus remarquables par leur étendue que par leur intensité. Pas un représentant de cette classe ne peut s'introduire sur la scène de ses dialogues sans y être accueilli par quelque témoignage de mépris ou, du moins, sans y être tourné en ridicule. Je me trompe : cette règle souffre une exception. Faute de se surveiller, et comme par mégarde, Platon a laissé échapper l'expression d'une considération réelle à l'égard d'un sophiste. Dans le Lysis, il donne à Mikkos le titre d'ami et de panégyriste de Socrate, et le qualifie d'homme habile et d'excellent sophiste (10). À part cela, Mikkos nous est totalement inconnu, et nous sommes peut-être en droit d'ajouter que c'est grâce à son insignifiance qu'il a échappé aux coups. Dans toutes les autres occasions, le disciple de Socrate donne libre carrière à sa malice. Quand son oeil d'Argus n'aperçoit absolument rien de blâmable dans les théories d'un sophiste, il trouve moyen d'en amuser la galerie en les lui faisant exposer mal à propos ou d'une manière importune ; c'est ainsi qu'il en use avec Hippias et avec Prodicos. La faible santé du second est pour lui un objet de moquerie aussi bien que l'universalité des dons intellectuels du premier. Il paie sans restriction à la grande figure de Protagoras le tribut de respect que commandait son honorabilité personnelle; mais il propose à la raillerie du lecteur, avec une mimique achevée, la nuance archaïque et surannée de son éloquence, en exposant à la lumière la plus crue toutes les faiblesses réelles ou prétendues de ses raisonnements. Mais, le plus souvent, Platon fait ressortir les traits les plus choquants pour le sens aristocratique de ses concitoyens et surtout des hommes de sa société. Il affectionne les allusions au côté professionnel, et, pour lui, mercenaire et mercantile, de l'activité des sophistes, au salaire qu'ils se faisaient payer. Quand ce salaire est modeste, il y voit une preuve de la médiocrité de l'enseignement donné ; quand il est élevé, c'est une récompense disproportionnée et imméritée (11). Nos lecteurs ont déjà vu combien peu la modestie était la vertu de cette époque, et combien peu elle était celle de Platon lui-même (cf. p. 336). Il est donc bien probable que les sophistes, eux aussi, réduits comme ils l'étaient à se créer une position dans des circonstances difficiles, laissaient percer un peu de suffisance dans leur attitude. Il faut croire également qu'entre les membres de cette classe éclataient des jalousies et des rivalités comme entre les représentants de toutes les professions encombrées. Mais cela ne signifie pas que l'on fasse un tableau fidèle et complet de la sophistique en se contentant de décrire les formés que prenait chez elle une faiblesse humaine qui se manifeste partout ailleurs. Ne pourrait-on pas recourir au même système pour décrier les successeurs actuels des sophistes, nous voulons dire les professeurs et les écrivains populaires, ou même les avocats et les députés ? Le mépris de Platon pour les sophistes peut aller de pair avec le dédain de Schopenhauer pour les professeurs de philosophie, et avec les attaques d'Auguste Comte contre les Académiciens.
Sur un point, cependant, la critique de Platon porte juste incontestablement. Dans les luttes dialectiques qu'il fait engager aux sophistes contre Socrate, les premiers succombent presque toujours. Quoique tous ces dialogues ne soient que de pures fictions, nous ne pouvons douter de la réalité historique du fait. Car la supériorité dialectique de Socrate est le fondement incontesté de sa gloire et de l'influence durable qu'il a exercée sur la postérité. Mais voici qui est bien étrange : dans ceux de ses écrits où Platon laisse de côté l'arme légère de la moquerie pour attaquer ses adversaires avec les plus grosses pièces de son arsenal, non seulement il ne fait plus mention de Protagoras, d'Hippias, de Prodicos, etc., mais la sophistique elle-même prend un aspect essentiellement différent. Tandis que les anciens et vrais sophistes s'étaient montrés tout à fait incapables de procéder à la façon de Socrate et de remettre leur interlocuteur à sa place en l'interrogeant, nous nous trouvons en présence de sophistes particulièrement habiles à ce jeu. La clef de cette énigme est depuis longtemps trouvée. L'activité littéraire de Platon s'étend sur un espace de plus d'un demi-siècle. Rien d'étonnant donc que les sophistes auxquels s'adressent les ouvrages de sa vieillesse soient tout autres que ceux dont s'étaient occupés les plus anciens de ses dialogues. Cela est même d'autant plus naturel que les premiers sophistes étaient une race en train de disparaître au moment où le philosophe prenait la plume. En effet, trois au moins des comédies dirigées contre les tendances des sophistes et contre leurs innovations pédagogiques furent écrites dans la décade précisément où se place la naissance de Platon. Les Convives d'Héraclès d'Aristophane furent représentés quelques semaines avant (hiver de 427) ; les Nuées, quatre ans, et les Flatteurs d'Eupolis six ans après (423 et 421). Nous ne saurions donc être surpris que le penseur athénien, dans une phase plus avancée de sa vie, ait songé très peu à ces sophistes, mais beaucoup aux autres, c'est-à-dire aux philosophes qu'il détestait, et qu'il prenait dès lors plaisir à appeler de ce nom malsonnant. Bref, les « sophistes » combattus avec tant d'amertume dans le Sophiste et dans les ouvrages analogues, ce sont les disciples de Socrate et les disciples de ses disciples, et avant tout l'ennemi mortel de Platon, Antisthène et son groupe (12) ! Platon a mis tout son art à établir des rapports entre ces sophistes-ci et ceux auxquels ce nom appartenait légitimement, mais aucun lecteur attentif de l'Euthydème et du Sophiste ne peut manquer d'apercevoir ce qu'il y a d'artificiel dans cette tentative.
Comme cela est facile à comprendre, Aristote hérita de l'emploi de ce mot : il n'y a pas un seul passage dans ses nombreux écrits où le terme de « sophiste » désigne expressément un membre de cette ancienne génération ; au contraire, au moins une fois, parlant du système des honoraires, il oppose vivement Protagoras, et de la manière la plus honorable pour lui, aux « sophistes ». Il se sert de ce mot dans trois sens : dans le sens ancien et naïf qui n'implique aucune espèce de blâme, puisqu'il l'a lui-même appliqué aux sept Sages ; secondement, pour désigner un certain nombre de philosophes qui, pour la plupart, lui étaient peu sympathiques, par exemple Aristippe, un des disciples de Socrate ; enfin, et dans la plupart des cas, il dénomme ainsi précisément les « Éristiques », c'est-à-dire ces dialecticiens ergoteurs qui sont sortis des écoles d'Antisthène et d'Euclide, disciple de Socrate fixé à Mégare, et avec lesquels il a été toute sa vie en conflit (13). Or comme ces philosophes exerçaient surtout leur esprit à combiner des raisonnements captieux et faux, il est arrivé que non seulement les mots sophiste et sophistique (substantif), mais encore les mots sophisme et sophistique (adjectif) ont acquis, dans la polémique dirigée par le vieux Platon et par Aristote contre les Éristiques, la signification défavorable, qui dès lors est restée prédominante. Jusqu'à la fin de l'antiquité, le nom de sophiste a gardé la valeur que lui avait donnée le dernier de ces philosophes. Parfois encore, à cette date, il a été employé dans son sens primitif et neutre, sinon précisément honorable ; et même, à certains moments, surtout à l'époque impériale, où régnait la jeune sophistique, ce sens l'emportait ; mais, dans la grande majorité des cas, on s'en servait comme terme d'injure plus ou moins blessant. C'est dans ce sens d'ailleurs que Platon a déjà été traité de sophiste par ses adversaires et par ses rivaux, les orateurs Lysias et Isocrate (14), qu'Aristote l'a été par l'historien Timée ; son cousin Callisthène par Alexandre-le-Grand; Anaxarque, le disciple de Démocrite, par l'Aristotélicien Hermippos ; le Socratique Eubulidès par Épicure ; l'Académicien Carnéade par le Stoïcien Posidonius, et en général tous les philosophes, sans exception, par leurs contradicteurs. Le fondateur du christianisme lui-même n'a-t-il pas été rangé parmi les « sophistes » par Lucien ?

III

L'histoire de cette variation de sens n'est pas racontée ici pour la première fois. Mais il est nécessaire de s'y arrêter, de l'envisager avec toujours plus d'exactitude et de détail afin de l'imposer une fois pour toutes, fût-ce malgré eux, aux lecteurs compétents. Car beaucoup de savants, obligés d'admettre la vérité des faits que nous venons d'exposer, ne s'empressent pas moins de l'oublier ou n'en tiennent aucun compte. Plus d'un commence par reconnaître loyalement et sans détour que l'équivoque du nom de « sophiste » et l'usage défavorable qu'on en fit de plus en plus ont causé un tort grave à ceux qui le portaient au Vme siècle, et que nous leur devons une réhabilitation. Mais, pour être reconnue, cette dette n'est pas payée : l'écrivain rentre dans le cercle habituel de ses idées et parle de ces hommes à peu près comme si, en réalité, ils n'avaient été que des bretteurs intellectuels, comme s'ils avaient joué sans scrupule sur les mots ou enseigné des doctrines pernicieuses. L'esprit a beau vouloir, il n'oppose qu'une faible résistance aux habitudes invétérées de la pensée. En vérité, les sophistes sont nés sous une mauvaise étoile. Ils ont payé de siècles d'outrages une heure bien courte de triomphant succès. Deux ennemis particulièrement redoutables se sont conjurés contre eux : le caprice de la langue et le génie d'un grand, si ce n'est du plus, grand écrivain de tous les temps. Sans doute, en tirant les fusées de son esprit et de son ironie, le fils d'Ariston ne pouvait pas prévoir que les créations ailées de sa merveilleuse fantaisie et de son exubérance juvénile seraient un jour invoquées comme de graves témoignages historiques. Il jouait son jeu avec des vivants, non avec des morts.
Mais les sophistes sont devenus pour nous des morts, et c'est le troisième et le plus funeste des malheurs dont le sort les a frappés. Ces maîtres itinérants n'ont pas fondé d'écoles. Ils n'ont pas eu des disciples fidèles pour veiller sur leurs écrits et préserver leur mémoire. Quelques siècles déjà après eux, il ne subsistait de leurs productions littéraires que de misérables fragments. De ces fragments, il ne nous est parvenu que quelques phrases mutilées, de sorte que nous manquons presque absolument de témoignages impartiaux sur le rôle qu'ils ont joué.
Avant d'étudier individuellement les sophistes, et de nous familiariser avec leurs personnes et leurs doctrines, nous avons à mentionner ici un monument littéraire qui ne nous est pas parvenu, il est vrai, sous le nom d'un sophiste, mais qui, indépendamment des conjectures que l'on peut faire sur le nom de son auteur, est tout à fait propre à nous donner une idée d'une portion au moins de la littérature sophistique. La collection hippocratique, composée, nos lecteurs s'en souviennent, d'un grand nombre d'écrits disparates, en renferme un que nous pouvons, avec une entière certitude, attribuer à ce cercle et à cette époque. C'est un petit traité Sur l'Art (c'est-à-dire sur l'art de guérir), destiné à défendre la médecine contre les attaques auxquelles elle a été en butte dès le premier moment (15). L'Apologie de la Médecine présente tous les caractères que nous sommes en droit de rencontrer dans le produit intellectuel d'un sophiste de cette époque. Ce n'est pas tant un ouvrage qu'un discours ; il est fait pour être entendu plutôt que lu; aussi le plan en est-il extrêmement clair et l'exécution de tous points parfaite. On ne saurait, pour cette raison déjà, y voir l'œuvre d'un médecin, mais d'autres circonstances encore enlèvent tout doute à cet égard. En terminant, l'auteur oppose le discours qu'il vient de tenir « aux preuves de fait données par les médecins » ; en prenant congé d'eux poliment, pourrait-on dire, il leur témoigne son respect et réclame à son tour le leur pour lui-même et pour ses confrères. Il renvoie d'avance à un discours qu'il se propose d'écrire au sujet des autres arts. À propos d'une discussion sur la théorie de la connaissance, - qui, soit dit en passant, nous montre en lui un adversaire de Mélissos, - il fait allusion à un travail plus approfondi sur cette question, et il est difficile de ne pas supposer qu'il en est également l'auteur. Il est tellement habitué aux joutes oratoires qu'il s'imagine toujours avoir devant les yeux un adversaire dont il faut prévenir les objections. Sa culture est encyclopédique, et il saisit avidement toutes les occasions qui lui permettent de sortir du cadre étroit de son thème immédiat, et, tantôt par de brèves allusions, tantôt sous une forme plus développée, il répand d'une main prodigue ses pensées sur les questions les plus variées. Ainsi, dans l'espace de quelques pages, il touche au problème de I'origine du langage comme à celui de la causalité, au rôle du hasard dans les actions humaines, au rapport de la perception sensible à la réalité objective, des dispositions naturelles aux moyens de culture, des industries aux matériaux qu'elles emploient, etc., etc. On peut avec raison l'appeler à moitié rhéteur, à moitié philosophe. Mais il est difficile de ne pas remarquer aussi certains traits qui dénoncent le maître d'école. L'habitude d'enseigner se trahit par le ton assuré qui ne s’abandonne jamais, et par la peine qu'il se donne pour distinguer et définir avec précision les idées nouvelles à mesure qu'il les introduit. Les efforts qu'il fait visiblement, et avec succès d'ailleurs, pour donner à son style du rythme et de l'harmonie nous rappellent que la prose soutenue était encore loin d'avoir brisé les entraves du vers. D'autre part, la structure régulière, compassée de la phrase, l'anxieuse séparation de l'ensemble en petites sections, et le relief donné aux pensées et aux mots essentiels témoignent que l'art de la prose était encore dans son enfance. Ce traité, avec son éloquence pleine de pensées et sa recherche de la perfection de la forme, nous fait comprendre l'enthousiasme qu'excita cette nouvelle méthode d'exposition et l'impression puissante qu'en reçurent les esprits. Mais nous ne pouvons manquer de remarquer, d'autre part, les faiblesses et les côtés fâcheux de ce genre littéraire, et combien il était propre à fournir des armes aux adversaires. L'emphase du rhéteur, la forte dose de suffisance qu'il affiche, la jactance avec laquelle il parle de sa « sagesse » et de son « savoir » - comme autrefois s'en était glorifié le rhapsode Xénophane - tout cela était peu fait pour plaire à un goût raffiné. L'impétuosité de l'éloquence, glissant rapidement sur les parties faibles de la pensée, semblait n'offrir qu'une garantie limitée de la solidité des démonstrations. Une certaine prédilection pour les tournures extraordinaires et pour les termes violents de la polémique pouvait passer pour une recherche de l'effet. Le style des rhéteurs, avec ses formes un peu rigides, avec sa régularité un peu gauche, sa couleur un peu criarde, rappelait les oeuvres de la sculpture archaïque et devait bientôt vieillir. Quand Platon, et, jusqu'à un certain point, Isocrate auront créé une langue plus riche et plus harmonieuse, à l'allure plus libre et plus hardie, d'une architecture plus puissante, celle du sophiste produira une impression de froideur, de puérilité, et même de répulsion.

IV

Mais nous devons nous garder d'une généralisation illégitime. Il n'est pas douteux que la description ci-dessus ne renferme déjà plus d'un trait purement individuel. En tous cas, nous ferions fausse route en accordant la valeur d'un type au traité Sur l'Art, dont nous aurons à nous occuper plus loin en raison de la très grande signification de son contenu. Car, dans les détails et même dans l'esprit de leurs doctrines, les sophistes s'éloignent tellement les uns des autres que c'est par respect pour la tradition et non pour des raisons internes que nous les réunissons dans un chapitre spécial; en dépit des apparences, ils n'ont, en effet, jamais formé une classe ou une école particulière dans le cercle des philosophes grecs.
Prodicos de Céos fut envoyé en ambassade à Athènes par ses compatriotes, et il y exerça une influence considérable (16). On le regarde communément comme le moins pernicieux des sophistes. On lui fait volontiers une place particulière parmi eux, et on l'a même appelé un «précurseur de Socrate». Il eut certainement avec celui-ci des relations d'amitié, mais il n'a pas, pour cela, été traité avec moins de rigueur par Platon que ses congénères. L'« omniscient » Prodicos est, en général, dans ses dialogues, l'objet de plaisanteries mordantes, mais parfois d'un sel assez grossier. Il n'a pas été non plus à l'abri des attaques de la comédie. Dans les Fricoteurs d'Aristophane, par exemple, se trouvaient ces deux vers : « Si celui-ci n'a pas été corrompu par un livre, il l'a été par un bavard tel que Prodicos.» De même, le Socratique Eschine, dans son dialogue Callias, a pris à partie les deux sophistes Anaxagore et Prodicos - le lecteur remarquera cette association de noms - et reproché à ce dernier d'avoir fait l'éducation du politicien opportuniste Théramène, souvent décrié pour son manque de principes, mais dans lequel Aristote, à ce que nous savons depuis peu, voyait un homme d'État hautement honorable. Ici, nous avons le droit d'être surpris. Le parallélisme avec Socrate est par trop frappant. N'a-t-il pas été, lui aussi, accusé de corrompre la jeunesse, et en tout premier lieu par les auteurs comiques? Et ne l'a-t-on pas rendu responsable de la conduite d'Alcibiade et de Critias parce qu'ils avaient suivi ses leçons ? Mais ni ce parallèle, ni l'honneur qu'on a fait à Prodicos de joindre son nom à celui du vénérable Anaxagore n'auraient pu sauver sa mémoire. Ce qui l'a préservé de la condamnation, c'est la circonstance fortuite que, aux épigrammes de ses adversaires, à celles du philosophe comme à celles du poète comique, - qui d'ailleurs glorifie en un autre passage. la sagesse du sophiste - s'opposent d'autres et impartiaux témoignages.
Prodicos était un homme d'un caractère profondément sérieux, et il a exercé sur la postérité une influence durable, surtout par l'intermédiaire des Cyniques. Nous ne sommes plus en mesure de dire quels ont été ses mérites comme philosophe-naturaliste, car, de ses travaux dans ce domaine, il ne nous reste que les titres de deux ouvrages : Sur la Nature et Sur la Nature de l'Homme. Et ce n'est guère que par les allusions moqueuses de Platon que nous connaissons une autre face de son activité, son Essai de Synonymique. Il avait pris pour tache de réunir les mots de signification voisine et de les distinguer les uns des autres en notant d'une manière précise les nuances de sens qui les séparaient. Quel motif le guidait ? Était-ce désir de venir en aide aux écrivains? On nous dit qu'en effet Thucydide tira profit de ce travail. Pensait-il contribuer au progrès de la science en délimitant les divers concepts avec plus d'exactitude? Ou se proposait-il les deux buts à la fois? Nous n'en savons rien. Nous ne savons pas davantage jusqu'à quel point le succès récompensa ses efforts. La seule chose que nous puissions considérer comme certaine, c'est que son entreprise répondait à un besoin réel de l'époque. La spéculation linguistique s'était, tout comme les études cosmiques, attaquée dès le début aux problèmes les plus difficiles, à des problèmes qui, vu le degré de développement où l'on se trouvait alors, étaient absolument insolubles ; la faire descendre de ces hauteurs, lui faire étudier non pas l'origine du langage, mais la matière et les formes du langage contemporain, c'était une entreprise en soi très méritoire. Nous verrons Protagoras s'occuper de l'analyse des formes ; le premier, Prodicos a jugé bon de soumettre le trésor même de la langue à un examen scientifique. Que, par là, il ait plus ou moins contribué au perfectionnement du style, cela regarde la critique littéraire ; ce qui nous importe, à nous, c'est que sa tentative dut avoir pour effet de perfectionner l'instrument de la pensée. Il est même très regrettable que son exemple n'ait pas été suivi avec plus de zèle. Nous avons déjà vu, en étudiant les doctrines éléates, quelle abondante source d'erreur se trouvait dans l'ambiguïté des mots et dans l'absence d'une claire définition des idées exprimées par eux. Si la voie dans laquelle Prodicos s'était engagé avait été suivie avec plus d'empressement, bon nombre de ces méprises, dont les ouvrages de Platon lui-même ne sont nullement exempts, auraient pu être évitées, et nous n'aurions pas à relever tant de pseudo-démonstrations a priori et de sophismes éristiques.
Nous sommes beaucoup plus exactement renseignés sur les vues de Prodicos en matière de philosophie morale. Sa conception de la vie était triste ; il est permis de voir en lui le premier des pessimistes. C'est à lui que songe Euripide en parlant de l'homme pour qui les maux de l'existence en dépassent les biens (17). Était-ce un effet de sa constitution maladive? Ou faut-il en accuser la disposition habituelle aux habitants de file de Céos, chez lesquels le suicide était beaucoup plus fréquent que chez les autres Grecs? Nous ne savons. Quoi qu'il en soit, une vive émotion s'emparait de tous ses auditeurs lorsque, de son corps chétif, s'échappait une voix profonde et étrangement puissante, et qu'il décrivait les misères de la vie humaine (18). Les uns après les autres, il passait en revue tous les âges, parlant d'abord du nouveau-né qui salue de cris plaintifs la lumière du jour, et poursuivant jusqu'à la seconde enfance, celle de la sénilité. Enfin, il montrait dans la mort un créancier au cœur dur qui arrache à son débiteur attardé des gages successifs : un jour l’ouïe, un autre la vue, un autre enfin la souplesse des membres (19). Une autre fois, anticipant sur Épicure, il cherchait à armer ses disciples contre les épouvantements de la mort en leur expliquant qu'elle ne nous concerne ni de notre vivant, ni quand nous ne sommes plus. Car, aussi longtemps que nous vivons, elle n'existe pas pour nous, et aussitôt qu'elle existe pour nous, c'est nous qui n'existons plus pour elle. Les raisons ne lui manquaient pas d'affermir les courages par de telles exhortations. Car le but suprême de sa sagesse pessimiste n'était pas une muette résignation, ni une retraite ascétique, loin du monde : encore moins conseillait-il de pêcher dans les eaux troubles de la vie les perles chatoyantes du plaisir. Il prisait plus le travail que la jouissance, et sa conduite s'accordait avec ses principes. L'antiquité l'a vanté pour avoir, malgré la faiblesse et l'état maladif de son corps, rempli jusqu'au bout ses devoirs de citoyen. Il prit part à de nombreuses ambassades au service de sa patrie. Son modèle était Héraclès, le type de la force virile et de l'action salutaire. Sa glorification de l'ancêtre des rois lacédémoniens contribua peut-être à le faire apprécier et honorer à Sparte, malgré la « répugnance qu'on y éprouvait pour les étrangers et surtout pour ceux d'entre eux qui faisaient profession d'enseigner la sagesse. Tout le monde connaît l'apologue d'Héraclès entre le Vice et la Vertu, chef-d'œuvre d'éloquence parénétique inspiré par la rivalité d'Athéné et d'Aphrodite dans le Jugement de Pâris, de Sophocle (20). Ce récit a influencé à son tour toute l'antiquité, et il éveillé des échos jusque dans la littérature chrétienne des premiers siècles, par exemple dans le Pasteur d'Hermas. Il faisait partie d'une oeuvre intitulée les Saisons ; nous ignorons malheureusement ce qu'elle renfermait d'autre. Peut-être y trouvait-on les descriptions pessimistes dont nous avons parlé plus haut ; peut-être aussi, comme contre-partie, la description des jouissances les plus saines et les moins exposées à l'abus, des joies que nous donnent la nature et ses oeuvres. En effet, cette description ne peut guère avoir manqué dans l'éloge de l'agriculture attribué à Prodicos. Comme on le voit, nous pouvons nous faire une idée assez nette de sa conception et de son idéal de vie. Il avait vidé jusqu'au fond la coupe d'amertume de l'existence humaine. Il y oppose l'énergie virile, qui attend peu de la jouissance passive, mais cherche sa satisfaction dans ses propres efforts et surtout dans une condition simple et modeste.
Toutefois il n'était pas seulement l'éloquent prédicateur d'un idéal en partie nouveau; le subtil esprit que dénotaient ses recherches sur la « correction du langage » se manifeste aussi dans ses études de philosophie morale. Il a introduit dans l'éthique une notion qui a joué un rôle considérable dans l'école des Cyniques et de leurs successeurs, les Stoïciens : la notion des choses indifférentes en elles-mêmes, et qui n'acquièrent leur signification que par le juste emploi qu'on en fait, en se conformant aux indications de la raison (21). Parmi ces choses, il rangeait la richesse et sans doute tout ce que l'on a l'habitude d'appeler les biens extérieurs. Nous verrons plus tard combien, en cela, il se rapprochait de Socrate. Nous avons encore à mentionner une doctrine du sage de Céos, sa spéculation sur l'origine de la croyance aux dieux (22). Il conjecturait que les objets naturels qui exercent sur la vie humaine la plus durable et la plus bienfaisante influence ont été les premiers à jouir des honneurs divins, tels, par exemple, le soleil, la lune, les fleuves - à ce propos, il rappelait l'adoration dont le Nil était l'objet, - ainsi que les fruits de la terre, au sujet desquels il eût pu s'en référer aux cultes babyloniens. À ces objets naturels, il ajoutait les héros de la civilisation, déifiés par les hommes à cause des importantes et salutaires inventions dont ils ont été les auteurs. Selon lui, par exemple, Dionysos aurait été un homme qui, comme le disait encore en 1834 Jean Henri Voss, serait devenu dieu parce qu'il avait inventé le vin (23). Si, en cela, Prodicos faisait erreur, il a du moins mis à nu une des racines des croyances religieuses, le fétichisme. A-t-il admis, à la base de celles-ci, un fond objectif réel, ou bien contesté absolument la réalité du divin ? Il est presque certain qu'il se prononçait pour la première de ces alternatives. Comment comprendre, s'il en était autrement, qu'un homme aussi foncièrement religieux que Xénophon ait pu parler de Prodicos avec éloge, et qu'un représentant notable du stoïcisme, Persée, l'élève favori du fondateur de cette école panthéistique, ait approuvé, dans son livre Sur les Dieux, les doctrines que nous venons d'exposer ? Tout nous porte donc à croire que les traits de polémique contenus dans cet essai d'explication étaient dirigés contre les dieux de la croyance populaire, mais ne prétendaient point dépouiller l'univers de tout contenu divin.

V

Nous avons vu que Prodicos s'occupait d'études naturelles et linguistiques, de philosophie morale et d'histoire religieuse. Mais sa variété d'aptitudes et de travaux est surpassée, et de beaucoup, par celle que nous constatons chez Hippias, dont le génie était vraiment universel (24). Il s'est occupé d'astronomie, de géométrie et d'arithmétique ; il a écrit sur la phonétique, la rythmique et la musique ; il a discuté les théories de la plastique et de la peinture; il était versé dans la mythologie et dans l'ethnographie, et s'est appliqué à la chronologie et à la mnémotechnique. Il a écrit des exhortations morales, et il a été ambassadeur de sa ville natale, Élis, dans le Péloponnèse. Il a tenté également de la poésie, et dans les genres les plus divers : épopées, tragédies, épigrammes et dithyrambes. Enfin il n'avait pas dédaigné d'apprendre la plupart des métiers. C'est ainsi qu'il put un jour se rendre aux jeux olympiques dans un costume entièrement fait de sa main, y compris les sandales qui protégeaient ses pieds, la ceinture tressée qui entourait sa taille, et les anneaux qui brillaient à ses doigts. Enfants d'une époque qui a poussé à l'extrême le principe de la division du travail, nous avons peine à prendre au sérieux un homme qui se prétendait apte à tant de travaux divers. Mais nos ancêtres n'ont pas toujours senti et jugé comme nous. Il y a eu des temps où l'homme comptait pour beaucoup plus que son oeuvre, et où l'on ire croyait pas payer trop cher par la dispersion des forces le complet épanouissement de la personnalité, le développement intégral des talents qui sommeillent en nous, la conscience de n'être inférieur à aucune tâche, de n'être pris au dépourvu par aucune difficulté. C'est ainsi que l'on pensait à l'époque de Périclès, ainsi que l'on pensait encore à l'époque de la Renaissance italienne, qui nous offre le pendant exact d'Hippias. Le Vénitien Leone Battista Alberti (1404-1472) s'est distingué comme architecte, comme peintre, comme musicien, comme prosateur et comme poète, soit en italien soit en latin; il a fait la théorie de l'économie domestique aussi bien que celle des arts plastiques ; son esprit brillait dans les conversations, et son corps était rompu à tous les exercices gymnastiques ; enfin il s'était initié à tous les métiers du monde, « en interrogeant sur leurs secrets et sur leurs expériences les artisans de toutes sortes jusqu'aux cordonniers (25) ».On peut admettre a priori que ces travaux si divers n'étaient pas tous également excellents. L'œuvre poétique d'Hippias a disparu sans laisser de traces, sans doute parce que le mérite n'en était pas transcendant. La géométrie lui doit quelques progrès non sans valeur. Son Art mnémotechnique, dans lequel il n'avait eu d'autre prédécesseur que le poète Simonide, produisit, à ce qu'il paraît, des résultats étonnants. Grâce à cet art, il pouvait encore, à un âge très avancé, réciter sans erreur et sans aucune interversion une série de cinquante noms qu'il n'avait entendu lire qu'une fois. Il servit la chronologie en dressant la liste des vainqueurs olympiques ; ce travail répondait aux besoins de l'historiographie, qui n'avait pas encore de base solide pour la détermination des dates; à peu près à ce moment, l'historien Hellanicos fondait sa chronologie sur la succession des prêtresses d'Héra à Argos. Plutarque, il est vrai, a accusé Hippias d'inexactitude, et il nous est impossible de dire si, et dans quelle mesure, cette accusation était méritée (26). De sa « Collection » d'événements mémorables, nous ne possédons plus, à part un fragment insignifiant, que la courte préface, qui nous permet de juger de la grâce de son style et nous montre combien peu était justifié le reproche de vanité que l'on a adressé à Hippias sur la foi des moqueries de Platon. En effet, dans cette préface, il n'élève d'autre prétention que celle d'avoir glané dans les récits des poètes et des prosateurs, grecs ou non grecs, les événements les plus importants, et de les avoir classés suivant leur nature. C'est là la seule originalité dont il se flatte, la seule nouveauté qu'il déclare avoir introduite dans son ouvrage. Destiné évidemment à amuser plutôt qu'à instruire, celui-ci n'a guère fourni à l'esprit critique l'occasion de se manifester. On y rencontrait pourtant, par-ci par-là, des remarques intéressantes; l'une d'elles, conservée par hasard, nous apprend que le mot tyran a été employé pour la première fois par le poète Archiloque.
Nous savons fort peu de chose de son ouvrage Sur les noms de peuples, assez cependant pour constater qu'un travail de sèche érudition n'était pas pour effrayer ce sophiste dont l'activité s'est répandue dans tant de domaines. C'est sans doute en s'occupant des mœurs et des traditions de peuples très différents qu'Hippias en vint à attribuer tant d'importance à la distinction entre la nature et la convention dont nous avons parlé plus haut (cf. p. 422 sq.). Sa tendance, déjà mentionnée, au cosmopolitisme se manifeste dans le fait qu'il a utilisé aussi bien les sources barbares que les sources grecques, et qu'il a fait porter ses études aussi bien sur les peuples étrangers que sur les cités de sa nation. L'idéal de la vie, pour lui comme pour les Cyniques, sur lesquels s'est exercée son influence, c'est « de se suffire à soi-même ». Malheureusement, nous n'avons pas un seul reste de ses exhortations morales. Son chef-d'œuvre, dans ce domaine, était un dialogue dont le théâtre était la ville de Troie après sa conquête, et les personnages l'éloquent Nestor et Néoptolème, fils d'Achille. Dans ce Dialogue troyen, l'un des plus anciens spécimens du genre, sans doute, le vénérable prince des Pyliens donnait à l'ambitieux héritier du plus brave des Grecs une foule de sages et nobles conseils, et lui prescrivait une règle de vie. Ce moraliste trouvait un autre thème dans le parallèle entre Achille et Odysseus. Les deux héros se disputaient la palme, et elle était adjugée au premier en raison de sa véracité, vertu qui n'était communément pas très prisée parmi les Grecs. En récitant ces morceaux et des morceaux analogues, composés dans un langage choisi, mais naturel et sans aucune enflure, Hippias a remporté de vifs succès non seulement aux jeux nationaux, mais dans les parties les plus diverses du territoire grec. Un grand nombre de villes lui accordèrent le droit de cité, et il réalisa aussi des profits matériels considérables. Fait très significatif : malgré leur attachement aux anciennes idées et leur répugnance pour toutes les nouveautés, les Spartiates tinrent Hippias, comme Prodicos, en haute estime, charmés qu'ils avaient été de ses lectures historiques et morales (27).

VI

Il est à peine permis de ranger Hippias d'Élis parmi les apôtres des lumières, mais il est absolument impossible de compter parmi eux le sophiste Antiphon (28). Il était regardé comme un des membres les moins importants de la confrérie, mais il n'en a pas moins été métaphysicien et moraliste, géomètre et physicien, et de plus interprète des songes et des présages ! Il a composé un ouvrage en deux livres, intitulé la Vérité. Dans les débris du deuxième, nous trouvons des théories philosophiques sur la nature, qui rappellent fortement les théories plus anciennes. Le contenu du premier était plus général ; l'auteur y traitait de questions métaphysiques et de la théorie de la connaissance. Il s'y livrait à une polémique contre la transformation des idées en hypostases ; nous ignorons, et il serait difficile de déterminer aujourd'hui qui il y visait. Voici la traduction d'un fragment qui nous a été conservé : « Celui qui examine n'importe quels longs objets ne voit pas la longueur au moyen de ses yeux et ne la reconnaît pas non plus au moyen de son esprit ». Le concept de la longueur a ici évidemment la valeur d'un type. Ce qu'Antiphon met en question dans cette phrase, c'est sans aucun doute l'existence substantielle ou objective des concepts généraux. On pourrait donc le considérer comme le plus ancien des nominalistes. Nous connaissons des déclarations très analogues, dans lesquelles Antisthène et Théopompe ont combattu la théorie platonicienne des Idées. Mais cette théorie était encore à naître lorsque Antiphon, contemporain de Socrate, prit la plume. Nous ne pouvons, par conséquent, désigner par son nom l'adversaire auquel il s'adressait, et nous devons nous contenter de rappeler que la langue, en exprimant les abstractions par des substantifs, et en leur donnant une apparence d'objectivité, a partout préparé le terrain à un naïf réalisme - dans le sens philosophique du mot (cf. p. 209) - dont nous rencontrons déjà les traces à cette époque. L'antiquité possédait aussi d'Antiphon un Art des Consolations, le premier écrit en un genre qui devait plus tard se montrer très fécond (29). Mais son ouvrage le plus considérable était sans doute celui qu'il avait intitulé Sur la Concorde, dans les fragments duquel nous retrouvons les qualités louées par les Anciens : le brillant et le cours aisé du style, l'étonnante richesse de pensée. C'était un livre de philosophie pratique, dans lequel l'auteur flagellait sans ménagement l'égoïsme, la faiblesse de caractère, l'indolence pour laquelle la vie est un jeu que l'on peut recommencer après chaque défaite, l'anarchie, le « pire des maux humains » ; et où il loue avec beaucoup de chaleur et d'éclat l'empire sur soi-même, fruit d'une connaissance approfondie des passions et, par dessus tout, la puissance de l'éducation.
La collection des fragments que nous possédons de cet ouvrage s'est considérablement augmentée il y a quelques années par suite d'une découverte aussi ingénieuse que certaine (30). Ces nouveaux fragments sont pleins d'enseignements féconds. Ils révèlent une connaissance très fine de la nature humaine, témoin, par exemple, ce joli mot : « Les hommes ne tiennent jamais à honorer qui que ce soit ; ils s'imaginent perdre par là leur propre dignité ». Mais ces longs morceaux suivis ont l'avantage, bien plus important pour nous, de nous fournir enfin un exemple des instructions morales que donnaient les sophistes. En eux, nous possédons désormais la preuve documentaire d'un fait depuis longtemps reconnu et énoncé par les, historiens les plus profonds, mais qui, jusqu'ici, ne rencontrait guère que des approbations isolées. « Les sophistes, écrivait Grote il y a déjà plus d'un demi-siècle, étaient les maîtres normaux de la morale grecque, et, en cela, ils n'étaient ni au-dessus ni au-dessous du niveau usité de leur temps (31) ». Cette généralisation est trop absolue, sans doute, et elle réduit par trop l'originalité des sophistes pris individuellement, mais il est un point qu'on n'aurait jamais dû mettre en doute : en raison de leur dépendance du grand public, c'était à peu près une impossibilité pour eux de répandre des doctrines antisociales. Ils étaient bien plutôt exposés au danger de prêcher, si l'on peut ainsi s'exprimer, des doctrines hypersociales, de sacrifier l'individu à la tyrannie de l'opinion publique ou du moins - pour ne pas exagérer leur influence - de devenir le porte-voix d'opinions tendant à ce résultat.
Telle est exactement l'impression que nous font les nouveaux fragments. On y trouve une manière de penser et de sentir inconcevable en dehors d'une société démocratique, et qui n'existe sans doute nulle part à l'heure actuelle, si ce n'est en Suisse et aux États-Unis. Le désir de se concilier la faveur de ses concitoyens, d'occuper parmi eux une place importante et honorable, s'y manifeste avec une intensité tout à fait extraordinaire. Nous n'avons pas l'intention de porter un jugement sur les côtés lumineux et sur les côtés sombres d'un pareil état social et de l'atmosphère morale qu'il produit. Nous ne pouvons pourtant nous empêcher de remarquer que, s'il exerce des effets très salutaires en réprimant les instincts nuisibles à l'ensemble et en stimulant les entreprises qui lui sont utiles, il offre, d'autre part, un danger dont on ne saurait méconnaître la gravité. Ce danger menace les domaines de la vie dans lesquels la variété du développement et la liberté d'action sont indispensables à la prospérité de l'individu et, à cause de cela, sont favorables indirectement à celle de l'ensemble. La tyrannie de la majorité a incomparablement moins menacé la liberté individuelle dans l'Athènes du Vme siècle que dans la plupart des autres pays et des autres époques historiques. Quiconque en douterait pourra s'en convaincre en lisant l'un des monuments les plus précieux que possèdent les hommes du véritable esprit de liberté : nous voulons dire l'oraison funèbre des citoyens morts pour la patrie, que Thucydide place dans la bouche de Périclès au deuxième livre de son histoire. Néanmoins, les fragments d'Antiphon qu'on vient de nous rendre nous révèlent un état d'esprit qui subordonne absolument l'individu à la communauté et, comme on serait tenté de le croire, le met à la discrétion de , la médiocrité collective. Aussi comprend-on le sentiment de résistance et de protestation qui s'empara des personnalités supérieures et conscientes de leur valeur, et les discours comme ceux que Platon prête à Calliclès, le contempteur du peuple et l'ennemi juré des sophistes, nous surprennent-ils moins qu'auparavant. Et même, dans plus d'un passage de l'Antiphon ressuscité, quand, par exemple, il combat l'opinion de ceux qui, dans l'obéissance aux lois, voient une lâcheté, il nous semble entendre une protestation contre les sentiments dont Calliclès se fait l'interprète dans le Gorgias, et que Critias et Alcibiade incarnaient dans la vie réelle.
Pour revenir à l'éducation, elle fut mise par Antiphon au tout premier rang des choses humaines. «Tel est, dit-il, le grain de semence que l'on enfouit dans le sol, tels sont les fruits que l'on peut en attendre. Si l'on enracine de nobles dispositions dans un jeune esprit, elles donnent naissance à des fleurs qui durent jusqu'à la fin, et que ne dépouille ni pluie ni sécheresse ». Ces paroles nous rappellent des pensées analogues, et exprimées en termes très semblables, du plus éminent des sophistes, Protagoras. Son nom est déjà connu de nos lecteurs; maintenant nous allons essayer d'esquisser sa figure d'une manière aussi complète et aussi fidèle que nous le permet la pauvreté de nos sources.

 

(01 Élien, Var. Hist., XII 32, nous raconte que Gorgias et Hippias portaient un manteau de pourpre dans les occasions solennelles. Sur l'habitude analogue des rhapsodes, cf. Platon ou Ps.-Platon, Ion, 530 b. Eustathe donne des détails plus nombreux, mais ineptement fondés, dans son comm. aux premiers vers de l'Iliade. On trouve dans Nicolas de Damas (Fragm. hist. gr., III 395, frg. 62) la description d'un rhapsode richement orné, sans doute à l’époque tout à fait primitive.  
(02
L'impulsion à l'enseignement du dessin fut donnée par le peintre sicyonien Pamphyle, qui est mentionné dans le Plutus d'Aristophane (joué en 338), v. 385 Meineke. Cf. Hermann-Blümmer, Privat-Atterthümer, pp. 324 et 473.
(03
Protagoras d'Abdère, dans le dialogue platonicien auquel il a donné son nom, 318 e. Comp. à cela le but très analogue que poursuit l'orateur Isocrate dans son enseignement, Or. 15 § 304 sq. (Orat. Att., I 289 a), ainsi que la manière dont Xénophon - lui du moins - envisage les entretiens de Socrate avec les jeunes gens (Memor., I 2, 64).
(04)
Dans le Protagoras, que nous avons librement reproduit. 
(05)  
Le rhéteur Aristide, II 407 Dindorf; réunissait déjà dans l'antiquité des exemples précieux sur l'emploi du mot sophiste. Eschyle et Sophocle désignent par là des musiciens habiles (voir les preuves dans les dict. spéciaux); à part cela, Eschyle donne aussi ce titre à Prométhée, vv. 62 et 943 Kirchhoff, non sans une certaine amertume dans ce dernier passage. Pindare l'applique à des musiciens et à des poètes Isthm., 5, 28). Le comique Cratinos comprend indistinctement sous cette dénomination tons les poètes, Homère et Hésiode compris (sofistÇn sm°now : Att. Comic. Fragm., I 12 fr. 2 Kock). Dans Athénée, XIV 621 sq.. c'est ainsi que s'appellent les acteurs de farces. L'historien Androtion a appelé Sophistes les sept Sages (Aristide, loc. cit.). Ainsi parle aussi Hérodote, implicitement du moins, de Solon, 1 29, et de Pythagore, IV 95. Simplicius, Phys., 151, 26 Diels, nous dit que Diogène d'Apollonie désignait de ce nom ses prédécesseurs. Dans Isocrate, le sophiste est l'opposé du profane et de l'homme ordinaire (Hélène, 9); cf. aussi ad Nicocl., 13, et ad Demodic., 51 (authenticité, il est vrai, douteuse). Alcidamas emploie ce terme dans un sens non moins honorable au début de son discours Sur les Sophistes
(06)  Sur ce décret, voir Plutarque, Vie de Périclès, ch. 32.  
(07)  Sur le mépris du travail manuel, cf. Hérodote II 167. Sur le décret d'exclusion de Thèbes cf. Aristote, Polit., III 5 (1278 a 25). Nous parlerons plus tard du dédain de Platon et d'Aristote pour l'activité industrielle. Il nous suffira d'en donner ici deux exemples, provisoirement :
toçw faælouw te kaÜ xeirot¡xnaw, lit-on dans la République de Platon, III 405 a; ² d¢ beltÛsth pñliw oé poi®sei b‹nauson polÛthn, dit Aristote, Polit., III 5, 1278 a 8.
(08)  
Au sujet du mépris témoigné aux logographes, cf. ce qui est raconté dans la Vie des Dix Orateurs du Pseudo-Plutarque, p. 833 c (= II,1015 Dübner) et d'une manière plus vague par Philostrate, Vit. Sophist., I 15 (II 16 Kayser) sur les sarcasmes du comique Platon à l'adresse d'Antiphon. Relativement à Isocrate, cf. Blass, Att. Beredsamkeit, 2e éd. II 14, et le passage auquel il renvoie lui-même (p. 21) du Pseudo-Plut., loc. cit. 837 b 1020, 20 Dübner). Remarquer aussi la satisfaction avec laquelle Théopompe, l'élève d'Isocrate, se vante (dans la Bibliothèque de Photius, cod. 176, p. 120 Bekk.) de son indépendance matérielle, qui l'a dispensé d'écrire des discours en vue d'un gain ou de donner des leçons comme un sophiste. - Au sujet de Lord Byron, qui raillait Walter-Scott parce qu'il se faisait payer ses ouvrages et « travaillait pour ses patrons », cf. Brandes, Hauptströmungen, etc., IV 190. Ce que je dis des fondateurs de l'Edinburgh Review est emprunté aux déclarations de Lord Jeffrey; cf. Life of Lord Jeffreg de Cockburn, I 133, 136 et II 70 (Edimbourg 1852). Chacun sait quelle répugnance Rousseau éprouvait à écrire pour de l'argent; voir ses Confessions, 1. IX. « Au XVIIme siècle, dit Scherer, Poetik, 122, la rémunération des écrivains par les libraires n'était pas encore établie; on doutait encore qu'il fût honorable d'accepter des honoraires. » Pour bien se rendre compte de l'opinion des Anciens, comparez le mot attribué à Isocrate (loc. cit.) : ÷te kaÜ ÞdÆn tòn misyòn Žriymoæmenon eäpe dakræsaw Éw " ¤p¡gnvn ¤mautòn nèn toætoiw pepram¡non, » avec Xénophon, Memor., 12, 6toçw d¢ lamb‹nontaw t°w õmilÛaw misyòn ŽndrapodistŒw ¥autÇn Žp¡kalei. - Non moins frappant est l'accord entre la déclaration de Platon, Rép., IX 590 c :banausÛa te kaÜ xeirotexnÛa diŒ tÛ, oàei, öneidow f¡rei; et celle de Xénophon, Cyneg., 13, 8 ŽrkeÝ ¥k‹stÄ sofist¯n klhy°nai, ÷ ¤sti öneidow par‹ ge toÝw eï fronoèsi. C'est ce point de vue qui nous permet de comprendre les termes insultants dans lesquels Xénophon, ibidem., I 6, 13, exprime son mépris pour les sophistes kaÜ t¯n sofÛan Ésaætvw toçw m¢n ŽrgurÛou tÒ boulom¡nÄ pvloèntaw; (cf. le pepram¡non d'Isocrate) sofistŒw Ësper pñrnouw Žpokaloèsin, tandis que, il est vrai, le même Xénophon, Mem., I 1, 11, entend simplement par sophistes les philosophes õ kaloæmenow êpò tÇn sofistÇn kñsmow, et IV 2, 1 : gr‹mmata pollŒ suneleigm¡non poitÇn te kaÜ sofistÇn tÇn eédokimvt‹tvn. Et c'est à peu près ce que Platon veut dire quand, nous montrant le jeune Hippocrate, « fils d'une grande et riche maison », avide des leçons de Protagoras, il lui fait demander s'il veut devenir lui-même un sophiste, et le fait répondre en rougissant par un « non » décidé (Protag., 312 a). Pour ne pas s'abuser sur ce point, relire la remarque de Plutarque dans la biographie de Périclès, ch. 2 : « Il n'y a pas un jeune homme bien né qui, pour avoir vu à Pise la statue de Zeus ou celle d'Héra à Argos, voulût être Phidias ou Polyclète; il ne voudrait pas même être Anacréon, Philétas ou Archiloque parce qu'il a pris plaisir à lire leurs vers ».  
(09
Cf. Platon, Gorgias, 485 d metŒ maikarÛvn ¤n gvnÛ& triÇn µ tett‹rvn ciyurÛzonta. Ces mots s'adressent à Socrate, mais, comme on l'a remarqué depuis longtemps, ils s'appliquent infiniment mieux à Platon lui-même qu'à son maître. 
(10
C'est J.-S. Mill qui a rendu attentif à ce passage (Lysis, 204 a), négligé jusqu'ici dans l'examen de la question. Voir sa discussion de l'ouvrage de Grote sur Platon (Dissert. and Discuss., III 295). Dans le Ménon, 85 b, ce sont les géomètres qui sont appelés sophistes. 
(11
Platon se moque dans l'Apologie (20 c) et dans le Cratyle (384 b) de la médiocrité des honoraires payés aux sophistes; dans le même dialogue (391 b-c) et ailleurs, il leur reproche, au contraire, de se faire payer trop cher. 
(12
Le premier, et sans doute le seul jusqu'ici, H. Sidgwick a attiré l'attention sur la transformation de sens qu'éprouve le mot sophiste chez Platon lui-même (Journal of Philology, IV p. 288 sq.). Cette étude remarquable (The Sophists) constitue sans doute encore aujourd'hui le complément le plus important à Grote, sur ce point dont on a beaucoup parlé, mais que l'on n'a guère pris en sérieuse considération, et que Sidgwick appelle avec raison « a historical discovery of the highest order ». Sans doute, la sophistique est déjà rangée dans le Gorgias parmi les arts qui relèvent de la flatterie, mais le même sort y est réservé aussi à la rhétorique et à la poésie tout entière ! Dans l'échelle des êtres, que connaît la transmigration des âmes dans le Phèdre, dialogue composé de bonne heure, le sophiste occupe une place assez inférieure; mais il est associé à l'orateur populaire! Enfin si l'Euthydème n'est pas un ouvrage de la vieillesse de Platon, il est cependant à la tête de ces dialogues dans lesquels Antisthène et les Mégariques servent de cible aux attaques. N'avons-nous pas le droit de voir dans tout cela des exceptions qui confirment la règle ?  
(13
Chacun peut voir dans l'excellent index de Bonitz l'emploi que fait Aristote du mot sophiste.  
(14
Les preuves de ce que nous disons ici se trouvent dans Isocrate, Philipp., 84; Aristote, loc. cit. ; Polybe, XII 8 ; Plutarque, Vie d'Alexandre, ch. 53 et 55, et aussi dans les Neue Bruchstücke Epikurs, publiés par nous dans les Wiener Sitz.-Ber. 1876, p. 91 sq. (p. 7 du tirage à parti ; dans Galien, IV 449 Kahn; Lucien, de Morte Peregrini, § 13. - Sur l'emploi du mot sophiste à l'époque impériale romaine, on trouve des indications précieuses dans Edw. Hatch, The influence of Greek Ideas and Usages upon the Christian Church (The Hibbert Lectures, 1888) p. 101, n. 2, Londres 1890. Exactement comme Platon se moque des honoraires élevés payés aux sophistes, les écrivains ecclésiastiques, surtout Justin et Tatien, raillent ceux que l'on payait aux philosophes et rhéteurs païens de leur temps. (V. E. Renan, Orig. du Christ., VI 483 sq.) 
(15
L'auteur a consacré au traité Sur l'Art une dissertation étendue, qui a été utilisée à plusieurs reprises dans ce paragraphe et dans le suivant. (Die Apologie der Heilkunst, Wiener Sitz.-Ber. 1890, n° IX). 
(16)
Au sujet de Prodicos, cf. avant tout le Prodikos von Keos, Vorgänger des Sokrates de Welcker, étude également remarquable par la richesse de son contenu et par l'absence de parti pris (Rhein. Mus. f. Philol. réimprimé dans les Ki. Schr., II 393 sq.) ; voir aussi le petit, mais méritoire travail de Cougny, De Prodico Ceio Socratis magistro et antecessore, Paris 1857. Nous ne possédons pas de fragments proprement dits de Prodicos, car on ne peut guère donner ce titre aux trois phases que l'on trouve dans Stobée (Floril., 1236 et II 391, Mein.) et dans Plutarque (de Sanit. præc. c. 8 =151, 4 sq. Dübner). Xénophon (Sympos., IV 26) et Platon (Théétète, 151 b, Menon, 381 d, etc.) parlent tous deux, et cette fois avec une concordance surprenante, des relations d'amitié de Socrate et de Prodicos ; toutefois le dernier, selon son habitude, ne peut relever ce fait manifestement établi sans une pointe d'ironie. La plaisanterie d'Aristophane se trouve dans les TaghnistaÛ, Kock, Att. Com. fragm., I 490. Le même poète mentionne Prodicos avec une estime particulière dans les Nuées, 361, Mein. L'allusion des Oiseaux, 692, M., ne permet aucune conclusion certaine. La citation que nous faisons dans le texte, du Callias d'Eschine nous a été fournie par Athénée, V 220 b. L'historien Diodore, lui aussi, traite Anaxagore de sophiste dans une phrase qui ne trahit aucune animosité, XII, 39, ƒAnajagñran tòn sofist¯n, did‹skalon önta Perikl¡ouw, Éw Žseboènta eÞw toç yeoçw ¤sukof‹ntoun. Relativement à l'influence de Prodicos sur les Cyniques, cf. sur tout, outre Welcker, Dümmler, Akademika, passim. Galien, I 187, II 130 et XV 325 Kühn, ne mentionne ses deux ouvrages sur la philosophie de la nature qu'en passant, et ne donne que le sens général des deux passages auxquels il fait allusion. Cic., de Orat., 32, 128, nous dit que, comme Protagoras et Thrasymachos, Prodicos s'occupait de la natura rerum. Antyllos (cité par Amm. Marc., Vit. Thuc., § 36 ; édit de Th. Krüger, II 197) affirme que Thuc. a été influencé par Prodckos. Cf. aussi Spengel, Artium scriptores, p. 53 sq.  
(17)  
Eurip. Suppliantes, 196 sq. :
¦leje g‹r tiw Éw tŒ xeÛrona
pleÛv brñtoisÛn ¤sti tÇn Žmeinñnvn

(18
La voix profonde de Prodicos est mentionnée par Platon (Prot., 316 a), qui fait aussi allusion à son mauvais état de santé. Dans le même dialogue, 341 e, Platon parle de la sérieuse conception de la vie des habitants de Céos ; pour plus de détails, voir Welcker, p. 614.
(19
La description des maux de la vie et la comparaison qui s'y rattache se trouvent dans le ps.-platonicien Axiochos, 360 d sq. Sur ce qui suit immédiatement, cf. également Axiochos, 369 b; remarque analogue d'Epicure dans Diog. Laërce, X 125.Ici, toutefois, une réserve s'impose. Les dernières citations proviennent de l'Axiochos, dialogue faussement attribué à Platon. C'est un produit littéraire d'une époque relativement récente, sur le style duquel K.-F. Hermann (Gesch. u. System d. platon. Philosophie, p. 583) exprime une opinion encore trop favorable quand il y retrouve presque partout les marques du pur attique, tout en lui refusant le caractère platonicien. Ce petit dialogue date plutôt de l'époque post-alexandrine, comme semble le prouver la présence d'une masse de mots et de formes non platoniciennes et non attiques. Or, comme les idées qui y sont attribuées à Prodicos se retrouvent partiellement chez des philosophes postérieurs (p. ex. chez le cynique Cratès, chez Epicure et, apparemment du moins, aussi chez Bion de Borysthènes), on peut tout d'abord se demander si l'auteur de l'Axiochos et ces écrivains ont puisé à la même source, ou si le premier n'a pas plutôt emprunté aux seconds. C'est pour cette dernière alternative que se sont prononcés, à des dates diverses, plusieurs savants; entre autres, récemment, dans une dissertation très approfondie, et sans aucune réserve, H. Feddersen, Ueber den ps.-plat. Dialog Axiochos, Cuxhavener Realschul.-Progr. 1895. Après l'examen le plus sérieux de la question, je ne puis m'associer à ce jugement. Sans doute, il est possible que l'auteur de l'Axiochos ait attribuée à tort au vieux sophiste telle ou telle pensée ou fragment de pensée. Mais quand on lit attentivement les passages principaux, c'est-à-dire la revue des divers âges de la vie et la comparaison de la mort à un créancier, dans l'Axiochos et ensuite dans ses « sources » prétendues, et qu'on les rapproche avec soin, on ne peut se défendre de l'impression que la description du dialogue pseudo-platonicien présente tous les caractères d'une pleine originalité. L'extinction successive des fonctions vitales, par exemple, la mort partielle des organes isolés, qui précède la mort totale de l'organisme, y est comparée excellemment aux saisies, c'est-à-dire aux acomptes forcés par lesquels le créancier impatient cherche à se récupérer de l'attente du paiement complet. Extérieurement analogue, mais au fond toute différente est la comparaison de Bion; chez lui, les infirmités de l'âge sont rapprochées des mesures que prend un propriétaire de maison pour forcer son locataire à vider les lieux, quand les termes restent impayés : enlèvement des portes, privation de l'eau, etc. Ici, l'on agit sur la volonté du locataire ; on lui rend le séjour de l'immeuble désormais intolérable. Et comme à l'impitoyable procédé du propriétaire correspond la cruauté de la nature, à l'abandon de la demeure dans le premier cas doit répondre dans le second l'abandon de la vie. C'est du suicide que parle Bion, c'est le suicide qu'il recommande en cas de si pénibles afflictions, dans le passage qui nous occupe (Télés apud Stob. Florileg., V 67 = III 46 Wachsmuth-Hense). Plus l'opinion que nous avons de l'auteur de l'Axiochos est médiocre - et nous n'avons pas la moindre raison de l'apprécier bien haut - moins nous sommes porté à admettre qu'il ait su si habilement transformer et faire servir à un but essentiellement différent la comparaison de Bion, qui est excellente en son genre. Nous ne pouvons entrer ici dans de plus amples détails. Mais comme la composition du dialogue, si jeune que nous puissions le supposer, ne peut presque certainement pas être placée à une époque où les ouvrages de Prodicos, et spécialement les Saisons, auxquelles nous devons surtout songer ici, étaient déjà oubliés, nous ne pouvons guère douter que les paroles mises dans la bouche du sophiste ne correspondissent bien au caractère essentiel de son opinion sur la vie; et, en fait, elles s'accordent bien avec l'idée que nous nous sommes faite de lui d'après l'apologue d'Héraclès, d'après quelques indications isolées de Platon, et d'après le témoignage non suspect d'un autre dialogue, l'Eryxias, qui, autant qu'on peut en juger par le style, remonte à une date plus ancienne que l'Axiochos. (Sur ce point, j'ai d'ailleurs le plaisir de me trouver d'accord avec Zeller (Ph. d. Gr., 5e éd., I, 1124, n. 2.)
(20
Cet apologue est rapporté par Xénoph. Memor., II 1, 21. Au sujet du modèle fourni par Sophocle, et déjà reconnu comme tel par Athénée, XII finit., cf. Nauck, Fragm. trag. Gr., 2e éd., p. 209. Cougny étudie d'une manière très approfondie l'influence de cet apologue, op. cit., p. 79 sq.; quelques détails nouveaux dans Dieterich, Nekgia, 191. Sous le titre de Saisons, Cougny, l. c. 38, comprend, non sans probabilité, les différents âges de la vie. - On a pu inférer que Prodicos avait fait l'éloge de l'agriculture d'une référence de Thémistius (tŒ kalŒ t°w gevrgÛaw, Or., XXX p. 349 Dindorf). Toutefois, dernièrement, et peut-être avec raison, Kalbfleisch a élevé des doutes à ce sujet dans le recueil de dissertations qui m'a été offert, p. 94-96.
(21
La théorie des choses indifférentes en elles-mêmes est exposée en détail et attribuée à Prodicos dans le dialogue ps.-platonicien Eryxias, avec lequel on peut comparer l'Euthydème, 279 sq.
(22) Origine de la croyance aux dieux : passages principaux dans Philodème Sur la Piété, 71 et 75 sq. de mon édition (ma restitution a été complétée par Diels, Hermès, XIII 1); une courte phrase du même auteur est traduite par Cicéron, de N. D., I 42, 118; cf. aussi Sext. Emp. adv. Math., IX 18, 39 et 52 (394, 22 ; 399, 39 et 402, 15 Bekker
(23) J.-H. Voss, Mythol. Forschungen, I 62. - Sur Persée, cf. Philodème, op. cit
(24) Au sujet d'Hippias, cf. les passages réunis par C. Müller,.Fragm. historic. Græc., II 59-63. Le n° 6 y mérite seul le nom de fragment; il nous a été conservé par Clément d'Alex. Strom., VI 745, Pott., et il a été discuté en dernier lieu par moi dans mes Beitr. z. Kritik und ErkIärung, IV 13 sq.(Wiener Sitz.-Ber. 1890, Abh. IV.) La personnalité d'Hippias est décrite dans l'Hippias minor de Platon et dans l'Hippias maior, qui est peut-être d'un autre auteur; cf. aussi Protagoras, passim; voir en outre Philostr. Vit. Sophist., 11 = II 13 sq. Kayser. Ses travaux comme géomètre sont appréciés très favorablement par Tannery, Pour l'hist. de la science hellène, 246 : « Hippias d'Elis fut un mathématicien remarquable ». Pour plus de détails, cf. Allman, Greek geometry, etc. 
(25) Sur L. B. Alberti, cf. Burckhardt, la Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, 1173 sq.
(26) Elle a été formulée dans la Vie de Numa, ch. 1, et Mahaffy s'y associe, Problems in Greek history, 68 et 225 sq.
(27) Dümmler présente dans les Akademika plus d'une observation intéressante sur le contenu positif et l'influence étendue des doctrines d'Hippias.
(28) Sur Antiphon cf. avant tout H. Sauppe, de Antiphonte sophista, Göttinger Univ.-Progr. 1867, puis les collections de fragments dans les Oratores attici, II, éd. de Zurich, et dans l'appendice des Antiphontis orationes de Blass, 2e éd., 130 sq.; cf. aussi A. Croiset, dans l'Annuaire de l'association pour l'encouragement des études grecques, 1883, 143 sq. Traces d'un réalisme naïf, cf. mon Apologie der Heilkunst, p. 24.
(29Sur l'Art des Consolations, cf. Buresch, Consolat. hist. crit., p. 72 sq. Sur le style et le contenu du traité Sur la Concorde, cf. Philostrate, Vit. Sophist, 15 (II 17, Kayser); sur la composition littéraire d'Antiphon en général, Hermogéne (Rhet. Gr., II 415 Spengel).   
(30) Le nombre des fragments d'Antiphon s'est accru grâce à Blass, qui, dans le Fest-Progr. de Kiel, de Antiphonte sophista Jamblichi auctore 1889 a, selon moi, fourni la preuve concluante que le Protreptikos de Jamblique (éd. Pistelli 95 sq.) contient de longs morceaux d'un livre de cet orateur. Il aurait pu ajouter sans crainte de se tromper que ce sont des morceaux du livre
perÜ õmonÛaw. Les objections élevées depuis contre cette attribution ne me paraissent pas fondées.   
(31) Non pas précisément Grote, mais un de ses critiques, W. Smith, dont Grote cite, en l'approuvant, la reproduction « serrée » de sa propre opinion (H. of Gr., 2e éd., VIII 549 sq.; cf. The personal lift of G. Crote, 231). À ce que Sauppe a dit (op. Cit. p. 9 sq.) de l'influence exercée sur Antiphon par les philosophes de la nature qui l'ont précédé, nous ajoutons que le frg. 94, B1. parait trahir une réminiscence des doctrines d'Empédocle. En effet, Antiphon a désigné l'ordre actuel de l'univers comme la «
di‹stasiw présentement en vigueur », et cela s'accorde exactement avec le résultat d'un examen attentif des fragments d'Empédocle, à savoir que l'état actuel de l'univers, dans lequel les éléments sont pour la plus grande part séparés les uns des autres, se trouve non pas sous le signe de l'Amitié, mais sous celui de la Discorde qui a recommencé à grandir. Comp. aussi le frg. 105, BI., où la mer est appelée une exsudation, avec l'expression d'Empédocle g°w ßdrÇta y‹lassan (v. 165, Stein). Sauppe a déjà traité, op. cit., avec une méfiance bien justifiée la remarque occasionnelle d'Origène, suivant lequel l'auteur de lƒAl®yeia aurait « supprimé la Providence ».(adv. Cels., IV c. 25). Nous nous associons absolument à son opinion, qui est qu'Origène a tiré cette pensée du livre d'Antiphon « interpretando et concludendo ». En tout cas, non seulement le frg. 108, Bl., mais encore, comme le remarque également Sauppe, et sans doute avec raison, le frg. 80, B1., tendent à montrer qu'il reconnaissait la Divinité. Que deux figures aussi disparates que celle du devin et celle du libre-penseur agressif se trouvassent réunies en une seule personne, cela est, non pas, si l'on veut, complètement impossible, mais à un si haut degré improbable que ce renseignement devrait être beaucoup mieux garanti pour paraître croyable. lin écrivain ecclésiastique pouvait voir la suppression de la Providence dans tout essai d'un philosophe naturaliste pour expliquer l'univers, - et à plus forte raison dans un essai qui, comme celui d'Empédocle, ramène à des causes naturelles la constitution, en vue d'une fin, des êtres organiques.