retour à l'entrée du site   table des matières des penseurs de la Grèce de Theodor Gomperz

 

 

Gomperz, Theodor (1832-1912)
Les penseurs de la Grèce : histoire de la philosophie antique

trad. de Aug. Reymond,... ; et précédée d'une préf. de M. A. Croiset,...
Griechische Denker : eine Geschichte der antiken Philosophie
2e éd. rev. et corr.
Paris : F. Alcan ; Lausanne : Payot, 1908-1910

livre III  (chapitre 1)-  livre III (chapitre 4)

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE III

Les Rejets de la Philosophie de la Nature.

1. Systèmes éclectiques. Diogène d'Apollonie. Fragments étendus de ce philosophe. Éclectisme et exclusivisme. Caractères de la nouvelle philosophie.- II. Hippon et les Omnivogants de Kratinos. Archélaos et Métrodore. - III. Interprétation allégorique d'Homère.

I

L'atomistique était la conclusion des efforts de plusieurs siècles pour résoudre le problème de la matière. On pourrait croire qu'une hypothèse qui devait se maintenir plus de deux mille ans satisfit aussi les contemporains et servit immédiatement de point de départ pour de nouveaux progrès. Mais de nombreux obstacles s'y opposaient. Ni l'art expérimental, ni les disciplines mathématiques n'étaient encore assez avancés pour activer le développement du germe fécond que contenait l'atomistique. Une autre circonstance qui devait entraver le règne de la nouvelle doctrine, c'était la considération profondément enracinée dont jouissaient ses vieilles rivales. Les formes changeantes qu'avait revêtues les unes après les autres le monisme de la matière étaient faites, sans doute, comme nous avons essayé de le montrer plus haut (p. 184), pour se détruire successivement les unes les autres, pour ébranler l'autorité exclusive de chacun des systèmes anciens, et même pour provoquer un scepticisme de nature à mettre en question le témoignage des sens eux-mêmes et, par là, la base de la doctrine qui leur était commune. Mais un autre effet encore devait se produire. Des résultats purement négatifs ou même seulement sceptiques ne satisfont communément qu'une faible partie des esprits avides de connaître. D'ailleurs, à la discordance des théories particulières d'un Thalès, d'un Anaximène, d'un Héraclite, etc., s'opposait la concordance de leurs prémisses fondamentales. Pendant ce temps, en outre, d'autres doctrines importantes et soutenues par des hommes de valeur, avaient fait leur apparition. Rien n'était plus naturel que d'essayer de réconcilier entre elles ces autorités, en mettant au premier plan les éléments qui leur étaient communs et en s'efforçant de faire disparaître ce qui les séparait en les transformant pour les mettre d'accord. Cette tendance fut favorisée par un fait : on avait parcouru tout le cycle des solutions par lesquelles peuvent s'expliquer les vieilles énigmes du monde, de celles, du moins, qu'admettait le degré de connaissance auquel on était alors parvenu. Compromis et éclectisme, telle est la devise qu'adopteront les nombreux systèmes qui vont maintenant éclore, et qui forment à proprement parler la conclusion de l'époque de recherche dont les diverses étapes nous ont si longtemps arrêtés.
Nous avons déjà fait la connaissance d'un de ces philosophes éclectiques, Hippasos, qui s'est forcé de mettre Héraclite d'accord avec Pythagore (p. 158). Nous allons rencontrer d'autres représentants de cette tendance. Le plus remarquable d'entre eux est Diogène d'Apollonie (01). Cet homme avide de science était né en Crète, l'île lointaine qui avait joué un rôle en vue au début de l'histoire des beaux-arts, mais qui ne s'était point encore fait connaître dans le développement littéraire de la Grèce. Il se rendit à Athènes, attiré peut-être par la considération dont y jouissait Anaxagore; et la liberté de pensée dont il y fit preuve l'exposa aux mêmes dangers que le grand Klazoménien. Un fragment étendu, relatif à l'anatomie, de son livre Sur la Nature de l'Homme nous montre qu'il était au courant de la science médicale de ce temps et fait supposer qu'il exerçait lui-même l'art de guérir. Il se donna pour tâche de réconcilier Anaxagore avec Anaximène ou, pour parler plus exactement, la doctrine du Nous du premier avec la doctrine de la matière du second. En une mesure moindre, il a été aussi influencé par Leucippe, auquel il a emprunté la théorie du tourbillon qui forme les mondes, et que rappelle l'expression de « nécessité », pour laquelle Diogène manifeste une certaine prédilection. Les plaisanteries des auteurs comiques, qui ne l'ont point épargné, et l'écho que sa doctrine a trouvé dans les drames d'Euripide aussi bien que dans les ouvrages médicaux nous prouvent surabondamment qu'il était au nombre des figures les plus en vue de l'époque de Périclès.
Nous n'en sommes pourtant pas réduits à ces témoignages indirects pour nous faire une idée de son système qui, il faut le dire, était dépourvu de toute originalité marquée et de toute cohésion intime. Nous possédons encore des restes relativement importants de son ouvrage principal Sur la Nature; ils se distinguent par une simplicité digne, par la précision et la clarté ; la préface du livre nous montre d'ailleurs que l'auteur visait à ces qualités. Aussi ces fragments nous permettent-ils de nous rendre un compte étonnamment net des motifs et de la méthode de son enquête, et nous disent-ils souvent en termes exprès ce que, relativement à ses prédécesseurs, nous n'avons pu établir qu'indirectement. Cela est vrai surtout du motif fondamental du monisme de la matière, dont Diogène s'efforce de prouver la vérité dans les termes suivants : « Si ce qui est maintenant dans ce monde, terre, eau et toutes les autres choses qui se révèlent existantes dans ce monde, si une de ces choses était différente des autres, différente par sa propre nature et non pas plutôt la même, mais altérée et transformée à tout propos, alors les choses ne pourraient se mélanger les unes aux autres, et aucune d'elles ne pourrait être utile ou nuisible aux autres ; alors aucune plante ne pourrait sortir de la terre, aucun animal, aucune chose ne pourraient naître s'ils n'étaient pas les mêmes d'après leur composition. Mais toutes ces choses procèdent du même, et, par la transformation, deviennent autres en d'autres temps, pour redevenir enfin le même ». Mais, en même temps, l'argument téléologique d'Anaxagore a fait sur lui l'impression la plus pro-fonde : « Car il est impossible que toute chose eût été distribuée sans intelligence (plus exactement sans intervention d'un Nous) de telle façon qu'elle eût une mesure : l'hiver et l'été, la nuit et le jour, la pluie, le vent et l’éclat du soleil. Et quiconque réfléchit au reste trouvera que l'organisation en est aussi belle que possible ».
Mais la doctrine du Nous d'Anaxagore ne suffit pas à le satisfaire, et il s'est cru forcé de la compléter en retournant à la plus ancienne théorie de l'air d'Anaximène. Deux motifs peuvent l'avoir déterminé à ce parti. La théorie de la matière d'Anaxagore lui a sans doute paru aussi absurde et mal fondée qu'elle l'est en réalité. Nous sommes en droit de le conclure du fait qu'il l'abandonna. Mais il voulait évidemment que le Nous, ou principe ordonnateur de l'univers, fût lié à l'une des formes matérielles qui nous sont connues; ainsi seulement, sa souveraineté, et surtout sa diffusion et son action universelles lui paraissaient intelligibles et explicables. C'est ce qu'il nous dit dans les termes suivants, sans aucune équivoque : « Et ce qui possède l'intelligence (voir plus haut) me paraît être ce que les hommes appellent air, et c'est ce qui, à mon sens, conduit et gouverne tout. Car c'est de lui, me semble-t-il, que procède le Nous ; c'est (par le moyen de ce véhicule) qu'il pénètre partout, ordonne tout et se trouve en tout. Et il n'y a pas une seule chose qui n'y participe, mais il n'en est pas deux qui y participent de la même manière. Car il y a beaucoup de variétés aussi bien de l'air lui-même que de l'intelligence. En effet, il présente des états divers, tantôt plus chaud, tantôt plus froid ; tantôt plus sec, tantôt plus humide ; tantôt plus tranquille, tantôt animé d'un mouvement plus rapide ; et il offre encore d'autres et d'innombrables différences aux points de vue de l'odeur et de la couleur. D'ailleurs l'âme de tous les êtres vivants est formée du même élément, à savoir de l'air, et cet air est plus chaud que l'air extérieur qui nous entoure, beaucoup plus froid cependant que celui qui entoure le soleil. Mais cette chaleur n'est égale chez aucun des animaux, et pas égale non plus chez les hommes, si on les compare les uns aux autres. La différence n'est pas considérable ; assez grande toutefois pour qu'il n'y ait pas entre eux parfaite égalité, mais seulement ressemblance. Mais rien de ce qui se transforme ne peut, de l'un, devenir l'autre avant d'être devenu le même (02) ». En d'autres termes : le passage d'une forme matérielle particulière à une autre a pour condition nécessaire et pour transition le passage par la forme fondamentale ou primitive de la matière. « Comme donc, continue Diogène, la transformation est multiple, les êtres vivants sont multiples et divers, et, par suite du grand nombre des transformations, ils ne se ressemblent ni par leur aspect, ni par leur genre de vie, ni par l'intelligence. Néanmoins ce par quoi ils vivent, voient et entendent tous est une seule et même chose, et le reste de leur intelligence leur vient à tous du même principe » - à savoir de l'air. La preuve de ces dernières affirmations nous est fournie par la conclusion d'un autre fragment, déjà cité partiellement plus haut : « D'ailleurs, il y a aussi de cela des preuves solides. L'homme et les autres animaux vivent en respirant, par l'air. Et celui-ci est pour eux aussi bien âme qu'intelligence... Et quand il se sépare d'eux, ils meurent, et l'intelligence les abandonne ». Cette essence première a aussi été appelée par Diogène un « corps (ou matière) éternel et immortel », une autre fois un « être grand, puissant, éternel, immortel et multiscient » ; occasionnellement aussi une « divinité ».
La connaissance de toutes les théories particulières de l'Apolloniate, exposées par lui non seulement dans les deux ouvrages mentionnés plus haut, mais encore dans la Théorie du Ciel, n'offrirait pas un grand intérêt pour nos lecteurs (03). C'était un érudit, et son esprit mobile s'est exercé dans tous les domaines alors explorés des sciences de la nature. De tous côtés, il recevait des impulsions; il apprenait de tous les maîtres, et quoiqu'il ne sût pas, à proprement parler, concilier et surmonter les contradictions de ces multiples doctrines, il leur imprima cependant à toutes son cachet. Toutes les voies d'investigation suivies par ses prédécesseurs le conduisent à son principe, l'air. Dans cette combinaison de largeur de vues et d'exclusivisme, d'éclectisme sans choix et de conséquence obstinée, se trouve le secret de son succès. « Celui qui apporte beaucoup de choses apporte quelque chose pour chacun. » Explication mécanique de l'univers, conception téléologique de la nature, monisme de la matière et soumission de celle-ci à un principe intelligent - tout cela et bien d'autres choses encore, était enveloppé. dans les plis de son manteau. La théorie d'une matière primordiale unique était familière depuis plusieurs générations aux esprits cultivés de la Grèce ; elle n'est pas abandonnée. La supposition d'un principe directeur et se proposant un but passait depuis peu, aux yeux de beaucoup, pour indispensable ; elle n'est point repoussée. La naissance du Kosmos suivant les lois d'une nécessité aveugle avait été exposée avec éclat, et ce système avait trouvé des adhérents au près et au loin ; une petite place lui est réservée dans la nouvelle philosophie. Le tourbillon de Leucippe doit s'y comporter en frère avec le Nous d'Anaxagore aussi bien que celui-ci avec le dieu-air d'Anaximène. Mais les esprits attachés aux vieilles croyances- n'avaient pas, eux non plus, à s'effrayer de cette science d'un nouveau genre. Car Homère, à ce que soutenait Diogène, ne s'était pas proposé de raconter des mythes, mais avait enveloppé dans ses récits poétiques une vérité plus haute (04). Son Zeus n'est pas autre chose que l'air. En d'autres termes, le philosophe s'engageait aussi dans la voie de l'interprétation allégorique de la poésie et de la foi nationales. En cela, il a été un précurseur de l'école stoïcienne, qui, par l'intermédiaire des Cyniques, lui doit encore bien des doctrines physiques particulières.
Et maintenant, la contre-partie du tableau : l'exclusivisme poussé aux plus extrêmes limites, et qui ne veut reconnaître dans tous les phénomènes, physiques, cosmologiques, physiologiques et même psychiques, que l'action d'un principe matériel unique. L'air est pour Diogène le véhicule de toutes les perceptions des sens. Il avait, suivant sans doute en cela l'exemple de Leucippe, expliqué la vision par une impression que l'objet perçu produit sur la pupille par l'intermédiaire de l'air. Mais, à cette explication, il ajoute un détail qui lui est particulier : la pupille, selon lui, communique cette impression à l'air qui se trouve dans le cerveau. Quant à considérer celui-ci comme le centre proprement dit de la sensation, il l'avait probablement, soit dit en passant, appris d'Alcméon. Diogène connaît aussi l'inflammation du nerf optique et la cécité qui en est la conséquence. Il expliquait la chose en disant que la veine enflammée - car pour lui le nerf était une veine - empêchait l'entrée de l'air dans le cerveau, et qu'en raison de cela la perception visuelle ne s'accomplissait pas, bien que l'image apparût sur la pupille. À l'en croire, si l'homme se distingue par une intelligence plus haute, c'est parce qu'il marche debout et, grâce à ce fait, respire un air plus pur, tandis que les animaux, ayant habituellement la tête penchée, aspirent un air souillé par l'humidité de la terre. La même chose est vraie, quoique dans une moindre mesure, des enfants, à cause de leur petite taille. Même pour l'explication des émotions, Diogène recourt à l'air et à son action sur le sang. Lorsque la constitution de l'air le rend peu propre à se mélanger au sang, et que, par suite, celui-ci devient moins mobile et s'épaissit, nous éprouvons une impression douloureuse; dans le cas contraire, lorsque le mouvement du sang est accéléré par l'air, nous ressentons une impression de plaisir. Ici nous nous arrêtons dans notre analyse. Si cette théorie, pour les motifs indiqués plus haut, a exercé une profonde influence sur les contemporains, les défauts qu'elle présente n'ont pas plus échappé à la critique incisive de la postérité qu'au persiflage de la muse comique. Pourquoi, s'écrie Théophraste dans le judicieux examen qu'il fait de la psychologie de Diogène (05), les oiseaux ne nous dépassent-ils pas en raison si c'est la pureté de l'air respiré qui décide de la finesse et de l'excellence des dons intellectuels? Pourquoi le cours de nos pensées ne change-t-il pas du tout au tout chaque fois que nous changeons de demeure, et selon que nous respirons l'air des montagnes ou celui des marécages? Et, cette fois, Aristophane s'accorde d'une manière frappante avec le savant disciple d'Aristote. Dans les Nuées, représentées en 423, il crible des traits les plus acérés de sa satire les manifestations les plus diverses de la « période des lumières », et, comme on l'a déjà remarqué depuis longtemps, il n'a garde de ménager l'Apolloniate. L'exclamation sacrilège : « Le Roi, c'est le Tourbillon qui a détrôné Zeus ! ». Socrate planant au-dessus de la terre dans un panier, afin de respirer un air inaccessible aux souillures de l'humidité terrestre et de s'insuffler ainsi la plus pure intelligence ; - la déesse « Respiration », vers laquelle les disciples de Socrate tendent les mains avec des prières ; - les Nuées enfin avec les longs nez dont le poète a eu soin de les affubler afin de leur faire respirer le plus possible de l'esprit de l'air ; - tout autant d'épigrammes dirigées contre Diogène, et qui, sans aucun doute, ont provoqué au théâtre d'Athènes des explosions de rire et des salves d'applaudissements.

II

Un autre poète comique, plus âgé qu'Aristophane, Kratinos, l'ami de la dive bouteille, a consacré une de ses pièces à tourner en dérision la philosophie de son temps. Cette pièce était intitulée : Ceux qui voient tout (Panñptai), nom qui, à proprement parler, était réservé à Zeus et au gardien d'Io, Argus aux cent yeux, et qui, cette fois, caractérise non sans amertume les jeunes philosophes qui entendent pousser l'herbe (06). Les « Voyants » qui formaient le chœur du drame étaient reconnaissables déjà à leur masque : deux têtes et d'innombrables yeux. Cette fois-ci le plastron des railleries était Hippon, surnommé l'Athée, qui était venu à Athènes de l'Italie méridionale ou de Samos. Peut-être le poète lui avait-il adjoint quelques autres victimes. Nous ne savons que peu de chose de ce penseur; il n'y a pas longtemps que nous possédons de lui un fragment, excessivement court d'ailleurs; Aristote le compte au nombre des esprits lourds ; c'est à peine s'il le juge digne, vu la « pauvreté de sa pensée », de figurer parmi les philosophes. Nous le rangeons parmi les éclectiques parce qu'il se montre préoccupé de combiner les théories de Parménide et celles de Thalès (07). Au début du processus cosmique, il place en effet l'« humide » et il en fait sortir le « froid » et le « chaud » (eau et feu); le feu joue le rôle de principe actif et créateur; l'eau représente la matière passive.
Plus près de Diogène que d'Hippon, se trouvait Archélaos (08), Athénien ou Milésien qui passe pour disciple d'Anaxagore, mais qui a transformé les doctrines de celui-ci sur des points essentiels et les a, pour ainsi dire, ramenées à de plus anciens modèles. C'est surtout en ce qui touche à la cosmogonie qu'il s'écartait de son maître. Selon lui, ce n'est pas du dehors que le Nous a pénétré dans la matière pour l'organiser et en former un Kosmos. Si nous comprenons bien les témoignages de nos autorités, Archélaos le considérait plutôt comme inhérent à la matière dès l'origine, et par là il se rapproche des plus anciens représentants de la philosophie de la nature et, en même temps, on a le droit de l'ajouter, de l'esprit des antiques conceptions helléniques relatives à l'univers. En raison de ce fait et du désir de voir dans la matière un principe divin - désir que ne pouvait satisfaire la dispersion de la matière dans les « semences » infiniment petites ou dans les atomes de Leucippe - il était naturel que, à peu près comme Diogène d'Apollonie, il cherchât à jeter un pont entre la doctrine d'Anaxagore et celle d'Anaximène. Il ne nie pas les innombrables éléments que le Klazoménien avait appelés « semences» ou homéoméries; mais les grandes formes matérielles qui avaient joué le principal rôle dans le système des « physiologues » reviennent au premier plan. La plus immatérielle, en quelque sorte, des matières, l'air, devait avoir été la forme primordiale de ces « semences », et en même temps le siège du Nous, le principe intellectuel qui a inauguré la formation du monde. De cette forme matérielle intermédiaire sont sortis par raréfaction et par condensation, c'est-à-dire par la séparation ou la réunion des « semences », le feu et l'eau, supports du mouvement et du repos. Est-il nécessaire de faire remarquer qu'Archélaos a été influencé en ceci par des pensées non seulement d'Anaximène, mais encore de Parménide, si ce n'est même d'Anaximandre? Il essaya aussi, et en cela il semble avoir fait preuve d'une originalité plus grande, de décrire les débuts de la société humaine et d'exposer les notions fondamentales de la morale et de la politique. Mais nous aurons à revenir sur ce sujet à un autre propos.

III

Le désir de réconcilier le nouveau avec l'ancien, cette fois-ci la nouvelle science avec l'ancienne foi, se trahit aussi chez un autre disciple d'Anaxagore, Métrodore de Lampsaque, dont l'interprétation allégorique d'Homère nous choque au premier abord par son extravagance (09). Quels motifs ont bien pu l'amener à identifier Agamemnon avec l'éther, Achille avec le soleil, Hector avec la lune, Paris et Hélène avec l'air et la terre, et même à voir dans Déméter, Dionysos et Apollon des parties du corps animal, à savoir le foie, la rate et la bile? Nous ne le savons pas. Ces explications nous rappellent les écarts les plus désordonnés de l'interprétation mythique de nos jours, et aussi les témérités analogues d'autres époques, où l'impossibilité de maintenir debout la vérité littérale de récits sacrés a poussé à n'y voir que l'enveloppe d'un tout autre noyau. Songez au Judéo-grec Philon d'Alexandrie qui, dans le jardin d'Eden, a vu la sagesse divine, dans les quatre fleuves qui en sortent les quatre vertus cardinales, dans l'autel et dans le tabernacle les objets intelligibles de la connaissance, etc. Ernest Renan remarque avec raison, à propos de l'interprétation allégorique de Philon, que ce système, si gros de conséquences, et qui paraît si bizarre à nos esprits imprégnés de science, n'est pas fondé sur l'arbitraire, mais sur un sentiment de piété. « Plutôt que de renoncer à des croyances chères » (nous pouvons ajouter : à l'autorité d'écrits hautement considérés) « il n'y a pas de fausse identification, de biais complaisant qu'on n'admette (10) ». On recourt même à des interprétations qui paraissent délirantes à quiconque reste en dehors du cercle des croyants.
Pour revenir à Métrodore, il s'est engagé avec une hardiesse croissante dans une voie ouverte longtemps avant lui. Avant la fin du VIe siècle, Théagène de Rhégium avait déjà essayé de sauver à l'aide de l'interprétation allégorique l'autorité d'Homère, si vivement combattue par Xénophane (11). Le combat des dieux décrit dans le XXme livre de l'Iliade avait choqué au plus haut point. Comment? Les puissances célestes, dans lesquelles on s'était habitué de plus en plus à voir les représentants d'un ordre naturel et moral unique, en seraient venues à une mêlée corps à corps? La saine raison et le sentiment moral ne pouvaient pas ne pas être offensés de cette idée. Il fallait mettre fin à ce scandale. On eut recours à un expédient. Le poète, dit-on, avait compris sous le nom de dieux, en partie les éléments hostiles les uns aux autres, en partie les qualités contraires de la nature humaine. Héphaistos, le dieu du feu, Poséidon, le maître de la mer, Apollon et Artémis, le frère et la sœur si souvent identifiés avec le dieu du soleil et la déesse lunaire, quoiqu'ils ne se confondissent peut-être pas avec eux à l'origine,. le fleuve Xanthe avaient pris part à ce combat ; il n'en fallait pas davantage pour donner un certain air de vérité à la première partie de cette interprétation ; on trouva ensuite des ressources inépuisables dans l'étymologie, qui se montrait si accommodante dans l'antiquité ; enfin l'on se livra à toutes sortes de considérations moralisantes, parmi lesquelles cette idée, digne d'un Elihu Burritt, qu'Arès, le dieu de la guerre, est la personnification de la déraison, et par conséquent l'antagoniste de la raison, incarnée dans Athéné. C'est à ce propos précisément que se présente à nous le nom de Théagène ; il fut le premier apologète des poèmes homériques. Démocrite et Anaxagore n'ont pas dédaigné non plus de contribuer pour leur petite part à l'interprétation allégorique de la poésie nationale ; nous avons déjà fait mention de Diogène d'Apollonie ; dans Antisthène, le disciple de Socrate, nous rencontrerons un nouveau représentant de cette tendance qui, passant de l'école cynique à l'école stoïcienne, y a acquis le plus extraordinaire développement. 

CHAPITRE IV

Les Débuts de la Science de l'Esprit.

1. Coup d'œil rétrospectif sur l'histoire de la civilisation. Rhétorique et politique. Progrès des lumières. - II. Obstacles que rencontrait ce nouveau mouvement scientifique. La technique supplante l'empirisme. - III. La spéculation aux époques reculées. Les débuts de la culture. Point de vue organique et point de vue mécanique. - IV. Théorie du contrat social. Comparaison avec Locke et Marsilius. Origine de la théorie du contrat social. - V. Origine du langage. Théorie naturelle et théorie conventionnelle. Démocrite adversaire de la théorie naturelle. Critique de la théorie du langage de Démocrite. Illustration des théories du langage. Vérité relative des deux théories. - VI. « Nature » et « convention ». Nombreux sens du mot « nature ». Relativisme en morale et en politique. - VII. Théorie du droit naturel. Le culte des héros de Carlyle et l'absolutisme de Haller.- VIII. Diagoras de Mélos. Souveraineté de la réflexion. Projets de réforme politique.

I

Les essais toujours plus nombreux de compromis entre l'antique tradition nationale et la nouvelle conception du monde et de la vie nous permettent de mesurer la profondeur de l'abîme qui s'était ouvert entre les deux. Nos lecteurs ont pu suivre les progrès de ce divorce. Ils savent comment s'est accrue, dans le silence, la connaissance expérimentale de la nature ; ils savent quel riche aliment l'esprit critique a tiré de la spéculation approfondie des philosophes, de l'élargissement de l'horizon intellectuel dû aux progrès de la géographie et de l'ethnographie, de la lutte des écoles médicales, et de la confiance plus grande qu'elles accordèrent, les premières, à la perception sensible aux dépens des suppositions arbitraires de toute espèce. Ici il est nécessaire d'étendre un peu nos regards et de mentionner brièvement les transformations que la vie politique et sociale des Grecs avait subies depuis l'époque de la tyrannie (cf. pp. 7-10).
À Athènes, que nous devrons désormais considérer comme le centre de la vie intellectuelle des Hellènes, la lutte des classes s'était terminée, comme ailleurs, par la victoire de la bourgeoisie. Les privilèges des nobles avaient été de plus en plus écartés; l'influence de la fortune mobilière, fruit du commerce et de l'industrie, s'était sans cesse accrue aux dépens de celle de la propriété foncière. Grâce à l'afflux de la campagne et aux immigrations, la population des villes devint toujours plus dense ; les résidents étrangers, et parmi eux d'anciens esclaves, entrèrent en grand nombre dans les rangs des citoyens. Les réformes de Clisthène (509 av. J.-C.), qui suivirent de près la chute des Pisistratides, eurent précisément pour but la fusion de tous ces éléments. Les guerres médiques marquent une étape essentielle dans ce développement, qui devait aboutir à la démocratie absolue. Pour aller avec quelque chance de succès au devant de l'ennemi national supérieur en puissance, il fallait mobiliser toutes les forces disponibles. Les effets considérables qu'avait produits autrefois la création de l'infanterie pesamment armée des bourgeois aux dépens de la cavalerie des nobles, devaient se renouveler par l'emploi des masses pour l'équipage de la flotte. L'obligation, pour tous, de concourir à la défense de la patrie, entraîna, dans le cours de peu d'années, l'accession de tous aux droits politiques. Bientôt, forte de sa marine, Athènes se trouva à la tête d'une Confédération qui modifia aussi bien les conditions économiques que les conditions politiques de son existence. Des monopoles commerciaux productifs, les riches recettes tirées des droits d'entrée et de sortie, des tributs et des frais de justice imposés aux alliés, enfin, de temps en temps, la répartition d'un territoire enlevé à quelque membre révolté de la Confédération, telles étaient les sources de revenus au moyen des-quelles on subvenait à l'entretien d'une nombreuse population de citoyens. La démocratie instituée sur cette base devint le modèle qui fut imité à maintes reprises par les États dépendants d'Athènes, et même en dehors d'eux. Mais, que le sceptre fût tenu par la démocratie absolue ou par la démocratie modérée, la puissance de la parole devint bientôt, dans presque toute la Grèce, le principal moyen de gouvernement. Plus que cela. Car ce n'était pas seulement dans le conseil et dans l'assemblée du peuple que la parole était efficace ; dans les tribunaux populaires, où siégeaient souvent des centaines de jurés, c'était une arme dont l'habile maniement augmentait les chances de victoire. Le don, l'exercice de l'éloquence n'étaient pas seulement la seule voie pour arriver à la puissance et à l’honneur; c'était aussi la seule protection contre l'injustice, quelle qu'elle fût. Quiconque manquait de cette arme était, dans sa propre patrie et au sein de la paix la plus profonde, aussi exposé aux attaques que s'il se fût précipité dans le tumulte d'une bataille sans glaive et sans bouclier. Il était donc tout naturel que, dans les démocraties de cette époque, la rhétorique fût pour la première fois cultivée comme une profession, et qu'elle prît aussitôt une place importante et même prépondérante dans l'éducation de la jeunesse (12).
Mais la rhétorique offre un double aspect : elle est à moitié dialectique, à moitié stylistique. Pour la posséder véritablement, il ne suffisait pas de disposer de tous les moyens d'expression ; il fallait aussi se rendre maître de la pensée, se familiariser avec les multiples points de vue qui font sentir leur influence dans les divers départements de la vie publique. Toutefois la tendance de « l'esprit nouveau » ne s'épuisait pas non plus dans l'ardeur croissante avec laquelle on s'appliquait à acquérir la culture formelle. La vie politique offrait à la recherche et à la pensée un nouveau et riche contenu. Une foule de problèmes découlaient de la transformation des conditions politiques et sociales. On s'en empara et on les discuta avec une vraie passion. Chacun était en effet intéressé aux résultats de la discussion, et le conflit des opinions et des sentiments n'était pas moins vif que la lutte des intérêts. Et de même que le mouvement intellectuel créé par la rhétorique, servante de la politique, rayonnait dans plusieurs sens, de même, et à un plus haut degré encore, celui que créa la science politique elle-même. Quand on s'était demandé ce qui, dans tel cas particulier, dans telles ou telles circonstances don-nées, était équitable et droit, il n'y avait plus qu'un pas à faire pour se poser cette question plus générale : « Qu'est-ce qui, dans la vie politique en général, est équitable et droit? » Et il était impossible que la curiosité, le besoin de savoir, éveillés dans le domaine politique, s'arrêtassent aux limites de celui-ci ; impossible qu'ils ne s'étendissent pas à d'autres et finalement à tous les cercles de l'activité humaine. En d'autres termes, l'étude de la politique conduisit à celle de l'économie, de l'éducation, des arts et surtout à celle de la morale. Mieux encore : après s'être appliquée aux règles de l'action humaine, l'étude en vint à rechercher la source de ces règles, à scruter les origines de l'État et de la société. Souvenons-nous enfin, pour nous faire une idée complète des facteurs qui agissent ici, des conditions intellectuelles de l'époque. Le sens critique, hostile à toute autorité, avait acquis une grande force, et il devait, dans les conditions que nous révèle la vie sociale et politique du Ve siècle, se renforcer encore et notablement. La base de toute critique est la comparaison. Or, les guerres médiques, en mettant les Grecs en contact avec des populations étrangères, leur en fournirent de nombreux éléments. L'essor du commerce, le développement des relations personnelles dans le cercle de la confédération navale à la tête de laquelle se trouvait Athènes, jouent un rôle peut-être plus considérable encore sous ce rapport. Des portions étendues et lointaines de la Grèce se trouvaient maintenant réunies en une seule ligue. Un courant ininterrompu amenait au chef-lieu les habitants de l'Asie Mineure et des îles ; un courant contraire emportait les citoyens athéniens dans toutes les parties de la Confédération. La réunion de masses d'hommes appartenant pour une bonne part à des races et à des états différents, dans les centres urbains, devait, en provoquant l'échange des informations et des sentiments, produire ce que l'on a excellemment appelé le frottement des esprits. Enfin, il faut faire mention de cette circonstance encore que les guerres médiques furent suivies d'une invasion de cultes étrangers, et que, ensuite de cela, le nombre des sectes religieuses s'accrut considérablement à Athènes; que les citoyens, les métèques et les étrangers fusionnèrent aussi sous ce rapport, que la religion nationale perdit sa domination exclusive, et qu'ainsi, indirectement du moins, un grand pas se trouva fait dans le sens de l'émancipation des esprits (13).

II

Telles sont, pour autant que nous pouvons en juger, les circonstances dans lesquelles s'est accompli le plus puissant progrès dans la vie intellectuelle de la Grèce et de l'humanité. À côté de sa sœur aînée, la science de la nature, une science nouvelle, la morale ou science de l'esprit, vint prendre place, et presque dès le début dans toute son ampleur. Mais non toutefois sans une sérieuse limitation de son contenu. Car, issue des nécessités de la vie, cette science ne pouvait démentir sa dépendance du sol nourricier de l'expérience pratique. De là la fraîcheur, l'abondance de sève qui la caractérise, mais en même temps aussi, le manque de rigueur logique, de plénitude systématique qu'elle accuse. Une autre chaîne encore pesait sur elle : c'était le besoin de s'exprimer toujours selon les règles d'une diction parfaite, et quoique cette chaîne fût tissée de fleurs, elle ne s'est pas moins fait sentir. À part peut-être les logographes de profession, il n'existait pas alors de public s'occupant spécialement de ces questions. Les logographes, il est vrai, avaient à leur disposition des manuels secs et prosaïques, mais composés d'une manière méthodique. À part cela, tout ce qui fut créé dans d'autres domaines s'adressait aux cercles les plus étendus des gens cultivés, dont le goût raffiné devait être flatté par toute espèce d'artifices de style. Or, l'union entre la beauté et la vérité ne peut subsister d'une manière durable que sur les hauteurs de la connaissance. Il est particulièrement difficile de fonder une science, surtout une science dont les notions fondamentales requièrent avant tout une extrême précision et une délimitation stricte, et d'en rendre les doctrines immédiatement populaires. D'excellents esprits se sont efforcés de parer à ces difficultés, par exemple le sophiste Prodikos, dont les études sur la synonymique ont rendu de si grands services, mais surtout un fils de l'époque qui nous occupe, celui dont l'action, pour avoir été la moins prétentieuse, n'en a pas moins été la plus féconde. Nous avons nommé Socrate, le fils de Sophroniskos. Dans ses conversations sans apprêt, il prenait occasion des choses les plus simples et les plus familières pour s'élever aux considérations les plus hautes, mais il interrompait à chaque instant le cours de la pensée pour en sonder la profondeur et en éprouver la limpidité ; ses questions barraient, si l'on peut dire, la route à tout concept qui ne pouvait présenter son passeport, manifestaient toutes les incertitudes latentes, faisaient ressortir toutes les contradictions cachées ; et ainsi il contribua plus que tout autre au travail de clarification et d'épuration des concepts fondamentaux qui, à cette date, était nécessaire avant tout.
Si Socrate, que nous ne pourrons étudier que beaucoup plus tard d'une manière approfondie, était bien supérieur en cela à la plupart de ses contemporains, il était, sur un autre point, en complet accord avec eux. Nous voulons parler de la très haute estime dans laquelle il tenait l'intelligence et la raison, de ce que l'on pourrait, nous semble-t-il, nommer à juste titre son intellectualisme. C'est là, sans doute, le trait le plus caractéristique de cette époque. En même temps que la confiance engendrée par la critique et le mépris de l'autorité, la finesse de la pensée s'était grandement développée. D'abord, il est vrai, sur le sol de l'Italie et de la Sicile. Les subtiles démonstrations de Zénon d'Élée sont encore toutes fraîches dans la mémoire de nos lecteurs. Auparavant déjà, à peu près un demi-siècle plus tôt, le législateur Charondas, de Catane (14), s'était acquitté de sa mission d'une manière qu'Aristote caractérise par ces mots : « Il a surpassé même les législateurs d'aujourd'hui par sa précision et sa subtilité ». Un exemple parmi plusieurs. Charondas avait réparti la tutelle des orphelins entre les parents paternels et maternels de telle façon que les premiers eussent à gérer la fortune, les seconds à veiller sur la personne de leurs pupilles. Ainsi l'administration des biens était confiée à ceux qui, en qualité d'héritiers présomptifs, avaient le plus grand intérêt à ce qu'elle fût augmentée, tandis que la vie et la santé des orphelins étaient remises à ceux qui ne pouvaient avoir aucun vil motif à les compromettre. Dès lors, l'art de vivre, qui consiste à subordonner à des règles intelligentes toutes les actions, s'était constamment développé. Le temps était venu où I'empirisme routinier devait céder de plus en plus à la norme consciente. Il n'y eut guère de domaine de la vie qui restât à l'abri de cette tendance. Là où l'on ne réforma pas, on codifia. Mais, en général, les deux choses marchèrent de front. Partout les ouvrages spéciaux firent leur apparition. Les manuels furent composés en grand nombre. Tout ce qui est du ressort de l'activité humaine fut soumis à des préceptes, et, si possible, ramené à des principes, la préparation des repas comme I'exécution des oeuvres d'art, l'exercice de la promenade comme la direction des opérations militaires.
Quelques exemples illustreront ce que nous venons de dire. Mithaikos avait réduit en système l'art culinaire ; le philosophe Démocrite avait traité de la tactique et du maniement des armes ; Hérodikos de Sélymbria de la diététique comme discipline séparée de la médecine ; même l'art de soigner les chevaux avait tenté un écrivain nommé Simon. Toutes les branches des beaux-arts furent exposées théoriquement. Lasos d'Hermione, qui, déjà au VIe siècle, avait à la fois augmenté les moyens de l'expression musicale, et en avait fondé la théorie, trouva plusieurs successeurs, parmi lesquels l'ami personnel de Périclès, Damon, et Hippias d'Élis, qui faisait des leçons sur la rythmique et l'harmonie. Même Sophocle, précédé par un certain Agatharchos à part cela inconnu, ne dédaigna pas d'écrire sur la technique de la scène; et le grand sculpteur Polyclète, dans son Canon, donna aux principales proportions du corps humain une expression numérique. Démocrite avait formulé la théorie de la peinture et de la perspective scénique; et ce dernier sujet avait aussi été traité par Anaxagore. L'agriculture, qu'Hésiode avait le premier choisie pour sujet d'une oeuvre littéraire, et dont il avait exposé la méthode dans son Calendrier rustique (les Oeuvres et les Jours), devint pour Démocrite l'objet d'une oeuvre philosophique. Ceux mêmes qui pratiquaient la mantique ou divination se virent dotés de prescriptions théoriques. Rien ne devait plus être laissé à la merci de l'arbitraire et du hasard. L'architecture des villes trouva son réformateur dans Hippodamos de Milet, un original qui croyait bon d'afficher son originalité, et qui la faisait paraître jusque dans sa manière de se vêtir et de porter ses cheveux. Ce novateur recommandait le système des rues tirées au cordeau et se croisant à angle droit, système qui nous paraît symboliser la tendance de plus en plus prépondérante de soumettre toutes choses aux règles de la raison (15).

III

Une époque inquiète et avide de nouveautés en arrive à se demander pour ainsi dire spontanément d'où dérivent le droit, la morale et la loi, sur quoi est fondé leur caractère impérieux. Quelles sont, se demande-t-elle ensuite, les normes suprêmes qui doivent diriger l'aspiration, partout éveillée, à une réforme ? Cette recherche des origines fait remonter l'esprit pensant aux débuts mêmes de la race humaine. La légende populaire et la poésie didactique avaient depuis longtemps représenté sous les couleurs les plus brillantes les ravissements d'un âge d'or. Hésiode est pour nous le plus ancien représentant de cette tendance du sentiment et de la pensée à auréoler le lointain passé. Cette tendance s'accorde fort bien avec la tristesse, le pessimisme, qui forment le fond de son caractère et de celui de ses auditeurs. Car c'est précisément pour échapper aux soucis, aux misères de la vie de tous les jours que l'esprit des Grecs, comme celui d'autres peuples, s'envole aux champs élyséens de la félicité future ou d'un passé où tout était allégresse (cf. pp: 88-91). L'image des temps primitifs est bien différente aux yeux d'un âge épris de criticisme, heureux des résultats de sa culture, et qui espère d'autres progrès encore, des progrès illimités. Celui qui se sent supérieur à ses ancêtres, qui se sent fier, qui se targue peut-être de ses propres lumières, est peu porté à chercher son idéal dans le lointain crépusculaire du passé, de le regarder avec admiration ou même avec un regret douloureux. Cette tendance du sentiment ne va pas sans quelques intuitions vraies. Ce fut bientôt une conviction générale, pour ne pas dire un lieu commun évident par soi-même, qu'au début de l'histoire régnait la barbarie. De la sauvagerie, de l'animalité, l'espèce humaine s'est élevée lentement, insensiblement, aux premiers degrés, puis à des degrés toujours plus hauts de civilisation. Lentement, insensiblement - ainsi s'exprime la pensée scientifique qui ne croit plus à des interventions merveilleuses, surnaturelles ; ainsi s'exprime-t-elle surtout lorsque ses investigations dans le domaine de la nature lui ont appris que les plus petits effets, en s'accumulant, conduisent à de grands résultats. Nous rappelons à ce propos que nous avons trouvé chez Anaximandre les rudiments de la théorie de la descendance (p. 61), que Xénophane pouvait être rangé parmi les géologues anti-catastrophiques, et qu'il avait, sur le développement de la civilisation, des vues auxquelles on pourrait appliquer la même épithète (pp. 174-75). Chez un écrivain médical, nous avons rencontré la même manière de voir relativement aux progrès de l'art culinaire, qui distingue l'homme d'aujourd'hui de ses grossiers ancêtres et du monde animal (cf. p. 315-16).« Les hommes des cavernes, auxquels la charrue était aussi étrangère que les outils de fer en général, qui dans leur rudesse et leur violence ne reculaient pas devant l'anthropophagie, sont devenus des civilisés qui cultivent le blé, plantent la vigne, ont appris à se construire des demeures, à fortifier leurs villes, et finalement à rendre aux morts les honneurs de la sépulture. » Voilà comment le poète tragique Moschion, qui, il est vrai, appartient déjà au IVe siècle, décrit les premières étapes de la civilisation ; mais il ne se prononce pas nettement sur la question de savoir si celle-ci est un présent de Prométhée, le Titan ami des hommes, ou s'il faut y voir le produit de la nécessité ou de la longue pratique et de l'accoutumance graduelle, dans laquelle la « Nature » a joué le rôle de « maîtresse ». Des pensées analogues avaient déjà préoccupé des esprits éminents du Vie siècle ; nous pouvons du moins le conclure des vers par lesquels s'ouvrait le Sisyphe de l'homme d'État athénien et poète dramatique Kritias, ainsi que du titre d'un livre perdu de Protagoras d'Abdère Sur l'état primitif de la race humaine, auquel Moschion semble justement faire allusion au début du fragment dont nous parlons plus haut : « Que l'état primitif de l'humanité vous soit dévoilé ». On pourrait qualifier d'organique la conception du progrès de la culture, qui prédomine chez Moschion. Car si, comme on l'a remarqué, ce poète touche en passant la légende de Prométhée, il insiste surtout sur les effets produits par la nature, la nécessité, l'habitude, et surtout par « le temps qui engendre tout et nourrit tout ». Ici prévaut l'idée du développement, dont l'ordre social est regardé comme le fruit ; c'est ainsi que Kritias a appelé « l'éclat radieux du ciel étoilé » la « belle oeuvre du sage artiste », c'est-à-dire précisément du Temps.
La solution que Protagoras donnait à ces problèmes présentait en quelque mesure un autre caractère. Par opposition au point de vue organique, on pourrait qualifier le sien de mécanique ou, dans le sens que nous donnons à ce mot, d'intellectualiste. La réflexion, le dessein, l'invention prennent la place de la Nature, de la force spontanée et inconsciente de l'habitude. C'est du moins la conclusion que nous tirons avec une certitude approximative de l'imitation qu'a faite Platon de cette description (16). Sans doute, cette imitation n'est pas sans une teinte de persiflage, mais précisément, en exagérant, en travestissant les traits de l'original, la caricature les fait saisir et reconnaître. Les hommes des temps primitifs, y lisons-nous à peu près, ne pouvaient soutenir victorieusement le combat avec les bêtes sauvages, « parce qu'ils ne possédaient pas encore l'art du gouvernement, dont l'art militaire forme une partie ». Ils se nuisaient les uns aux autres pour cette même raison « qu'ils ne possédaient pas encore l'art du gouvernement ». Le larcin du feu, que la légende attribue à Prométhée, est interprété d'une manière allégorique : le Titan dérobe la « sagesse de l'art » dans l'appartement où Athéna et Héphaistos l'exerçaient. S'il déroba aussi le feu pour le donner aux hommes, ce fut uniquement parce que la sagesse de l'art n'eût été pour eux qu'un faible avantage sans cet agent matériel. Plus loin, lorsque Zeus fait descendre sur la terre le « Droit » et la « Pudeur », Hermès, chargé de les transmettre aux hommes, demande s'il doit leur distribuer à tous également ce don précieux ou s'il doit le répartir entre eux de la manière dont sont répartis les arts, c'est-à-dire si pour un seul maître ou expert il doit y avoir beaucoup de profanes. Et il en est ainsi dans ce qui précède comme dans ce qui suit. C'est par « l'art » que les hommes commencèrent à émettre des sons articulés et à créer le langage. Par « art », par « sagesse » ou par « vertu » - ces mots sont évidemment employés comme équivalents et mis intentionnellement les uns pour les autres - ils bâtissent des maisons, gouvernent l'État, satisfont aux obligations morales. L' « art » et ceux qui l'exercent, les « maîtres» - deux mots auxquels s'attache une idée manuelle qui rappelle davantage nos métiers que l'art au sens moderne - d'un côté, la Nature et le hasard, de l'autre, forment un contraste permanent. À travers toute la caricature platonicienne perce la conception de la vie que nous sommes suffisamment préparés à rencontrer à cette époque : ce respect extraordinaire et exagéré, qui sent le maître d'école et le pédant, de la raison, de la réflexion, de tout ce qui peut s'apprendre et se ramener à une règle. C'est là une façon d'entendre la vie qui convient parfaitement à l'enfance des sciences intellectuelles et morales. Nous la rencontrerons encore plus d'une fois dans cette époque, mais chez aucun penseur elle ne s'est plus développée, ne s'est plus fortement accentuée que chez Socrate.

IV

À qui avons-nous besoin de dire qu'il est contraire à l'histoire de projeter ainsi à l'aurore indécise du genre humain les conquêtes d'une époque de maturité intellectuelle? Non pas que l'on ait pu jamais se dispenser de l'esprit d'invention, du génie de quelques individus. Bon nombre des plus remarquables progrès, que notre âge de raison considère comme des choses toutes naturelles, ont été sans aucun doute l'œuvre de héros anonymes de la civilisation, et nous nous associons volontiers à l'hymne enthousiaste qu'entonne Georges Forster en l'honneur du grand inconnu qui, le premier, a dompté le cheval et l'a plié au service de l'homme (17). Mais aux services exceptionnels rendus par quelques esprits supérieurs s'ajoutèrent les progrès lents et insensibles dus à la foule des hommes modestement doués, qui gravissaient, pour ainsi dire, les échelons donnés par la Nature elle-même. Aussi est-ce une erreur complète, démentie par les faits, que de vouloir placer au début du développement ce qui n'appartient qu'à sa fin, nous voulons dire la possession du système ou de l'ensemble de règles qui constitue proprement un art pratique. Et pourtant ce défaut de sens historique caractérise souvent les grandes époques d'émancipation intellectuelle. Involontairement, ces époques forment le passé à leur image et se plaisent à peindre l'enfance de notre race sous les traits d'une précoce sagesse.
C'est alors aussi qu'on voit apparaître la doctrine du contrat social. Les esprits qui se sont affranchis du joug de la tradition, qui ont presque complètement secoué l'autorité du surnaturel, et qui, dans les institutions politiques et sociales, ne voient que les moyens de fins humaines, ne sont que trop enclins à méconnaître la différence des temps et à prêter à leurs plus lointains ancêtres leurs propres façons de penser et d'agir. L'individu comme tel n'a aucune signification à l'origine ; il ne vaut que comme membre d'une famille, d'une horde ou d'une tribu ; son appartenance au groupe dont il forme un des éléments est conditionnée par sa naissance ou lui est imposée de force ; il ne peut être question pour lui de libre choix et de détermination volontaire, mais seulement d'obéissance aveugle. Mais les apôtres des « lumières » méconnaissent absolument cet état de choses et s'en font justement l'image contraire. Parfois cette tendance naturelle est singulièrement fortifiée par les exigences de la politique pratique. Nous nous demandons si nos yeux ne nous trompent point quand nous lisons, par exemple, les deux dissertations de John Locke (1632-1704) Sur le Gouvernement civil (18). Ce penseur sagace et profond soutenait avec le plus grand sérieux que la communauté politique est issue sans exception de l'accord volontaire, de l'élection libre des gouvernements, du libre choix des formes de gouvernement, et il pliait, avec autant de zèle que d'insuccès, les faits historiques et les données de l'ethnographie au service de cette thèse erronée. Mais sa théorie ne nous cause plus qu'un faible étonnement quand nous envisageons ses adversaires, les théoriciens de l'absolutisme. Eux aussi sont sur le terrain de la fiction, et d'une fiction encore beaucoup plus absurde que celle de Locke. Adam - prétendaient les défenseurs du droit divin - avait reçu du Créateur la plénitude de la puissance royale et l'avait transmise à tous les monarques de la terre. Et la question fut discutée alors absolument comme s'il n'y avait de choix qu'entre ces deux opinions contraires à l'histoire et à la raison, et comme si l'une des deux devait nécessairement former le terrain du droit actuel. Occasionnellement, il est vrai, cette idée, la seule juste, se fait jour dans l'esprit de Locke que « la conclusion de ce qui a été à ce qui devrait être de droit n'a pas grande force ». Mais cette lueur ne l'empêche pas de discuter la cause de la liberté politique pendant des centaines de pages, comme si elle devait subsister ou succomber selon que sa théorie pseudo-historique triomphait ou était vaincue. Pour ne pas parler des nombreux intermédiaires de ce grand mouvement, rappelons qu'il en a été de même à I'aurore de la philosophie moderne, au commencement du XIVe siècle. Marsilius de Padoue (né vers 1270), contemporain de Pétrarque, bien qu'un peu plus âgé que lui, et ami du hardi frère mineur Guillaume d'Occam, écrivit un traité intitulé le Défenseur de la Paix (19), qu'il dédia à Louis de Bavière, et dans lequel il s'efforça d'établir la doctrine du contrat social. Lui aussi était persuadé qu'il fallait reconnaître la souveraineté populaire et la prétendue base historique qu'il lui donnait, pour trouver le terrain juridique sur lequel seul on pouvait combattre avec quelque chance de succès les prétentions de la hiérarchie romaine et assurer le triomphe d'une monarchie limitée seulement par un frein semi-constitutionnel ou démocratique. La tendance exactement opposée avait produit des effets analogues à une date un peu antérieure. Dans le but de subordonner le pouvoir laïque à l'autorité ecclésiastique, elle avait travaillé à répandre cette idée que l'État était sorti du trouble causé par le péché du premier homme, qu'il n'avait point été institué par Dieu, mais qu'il ne devait sa naissance qu'à la nécessité où l'on s'était trouvé de parer, par un contrat social, à l'anarchie dans laquelle on vivait.
Si quelqu'un venait nous dire : « Vous userez de la faculté que vous avez de marcher debout à la condition seulement que vous n'ayez jamais, au temps où vous étiez bébés, marché sur vos quatre pattes », nous aurions le droit d'être quelque peu surpris. Mais nous ne le serions guère moins que l'on voulût interdire aux hommes d'aujourd'hui le libre choix dans les affaires politiques sous le prétexte que leurs plus lointains aïeux ne l'auraient pas exercé. Nous venons de voir comment cette façon de penser - qui dérive, non pas peut-être d'un mépris, mais bien au contraire d'une estime très exagérée du droit positif - a fait son apparition dans les temps modernes. Tout le monde sait qu'elle atteignit son point culminant chez Rousseau, le précurseur de la Révolution française. Si cette justification de la théorie du contrat social était étrangère à l'antiquité, la théorie elle-même ne le lui était pas. Nous en avons déjà découvert la racine psychologique. Réduite à ses éléments, cette théorie peut être exprimée sous la forme d'une question et d'une réponse, et la réponse est en elle-même tout à fait ingénue et libre de toute tendance, mais teintée d'erreur par le manque de sens historique. « Comment nos ancêtres sont-ils arrivés, se demanda-t-on, à renoncer à leur - prétendue - indépendance individuelle et à consentir aux limitations de cette indépendance que leur imposait l'organisation politique ? - Ils ont, répondit-on, accepté ce désavantage en échange d'un avantage plus grand ; ils ont renoncé en une certaine mesure à leur propre liberté pour être protégés des abus de liberté des autres, pour préserver de la violence des autres leur vie et leur propriété propres et celles des leurs». Nous nous trouvons ici en présence d'un cas particulier d'une tendance intellectuelle d'une grande portée, mais  grosse d'erreurs. Quand une chose remplit un but, on est tenté, en vertu d'une fausse généralisation, de croire qu'elle doit nécessairement son existence à quelque dispensation intentionnelle, dirigée précisément vers ce but. Platon connaît déjà cette théorie; il la place, au commencement du IIme livre de la République, dans la bouche de son frère Glaucon, auquel il fait dire : « Comme les hommes se font du tort les uns aux autres, et pâtissent les uns des autres, les plus faibles, ne pouvant éviter les attaques des plus forts, ni les attaquer à leur tour, jugèrent qu'il était de l'intérêt commun d'empêcher qu'on ne fit et qu'on ne reçût aucun dommage (20) ». De là prirent naissance les lois et les conventions ; à cause de cela, ce qui était ordonné par la loi fut appelé juste et droit ; et telle est l'essence, telle fut l'origine de la justice. Épicure s'est approprié cette théorie, et comme il doit énormément à Démocrite, on est tenté de supposer qu'ici encore il marche sur les traces de son grand prédécesseur. Toutefois, pour le moment du moins, cette conjecture ne peut prétendre à la certitude, ni même à un haut degré de probabilité.

V

Dans un domaine tout à fait voisin, l'esprit de Démocrite s'est manifesté d'une manière analogue. Nous voulons parler de la question de l'origine du langage. Sur ce point, dans l'antiquité, deux partis ennemis se trouvaient en présence. Leur divergence d'opinion représentait de la façon la plus étonnante ce que John-Stuart Mill a appelé un « échange de demi-vérités (21) ». Les uns soutenaient que le langage résulte de la nature elle-même, les autres qu'il découle d'une simple convention. La première de ces formules impliquait deux opinions très différentes : la formation du langage ne dérive pas d'un dessein délibéré, mais d'une impulsion instinctive et spontanée, telle était la première ; - le rapport primordial et naturel entre le son et la signification est encore reconnaissable et démontrable dans les formes actuelles du langage, c'est-à-dire dans les mots grecs, telle était la seconde.
Pour les linguistes de nos jours, la première de ces assertions est aussi exacte que la seconde est fausse. Que l'on songe à la difficulté que nous éprouvons à déterminer avec une entière certitude des racines vraiment primitives. Même dans celles que l'analyse comparée attribue à la langue indo-européenne originelle, nous ne sommes presque jamais sûrs d'avoir des produits réellement primordiaux de l'instinct de la parole, des produits dépourvus de toute histoire antérieure. Et combien cependant les conditions dans lesquelles nous nous trouvons sont-elles plus favorables que celles où se trouvaient les philologues grecs, qui ne savaient presque jamais qu'une langue, et auxquels, outre les moyens de la comparaison, manquaient encore ceux d'une analyse sûre et pénétrante ! En face du problème de l'origine du langage, qui ne peut être, encore aujourd'hui, considéré comme définitivement résolu, ils étaient aussi désarmés qu'en face de celui de l'origine des êtres organisés, mais ils ne l'abordèrent pas avec moins de confiance. Dans l'un comme dans l'autre cas, ils tombèrent dans l'illusion de considérer comme simple ce qui était en réalité des plus compliqué, et de voir un début dans ce qui n'était que le terme final d'un long développement. Le résultat ne pouvait être et ne fut qu'une jonglerie avec des étymologies insoutenables. Impuissants à lutter contre les difficultés matérielles de la tâche, ils étaient en outre en proie à une cause subjective et irrésistible d'erreur, nous voulons dire l'association qui se fait habituellement dans l'esprit entre le mot et sa signification. Ils nous rappellent ce Français qui estimait sa langue maternelle beaucoup plus naturelle que l'allemand, parce qu'elle appelle pain ce qui est réellement du pain, tandis que l'allemand lui donne le nom de Brot. Et même quand ils s'efforcèrent de traiter la question d'une manière plus rationnelle, quand ils essayèrent, non pas d'établir l'origine des mots - ce qui n'avait donné aucun résultat quelconque - mais d'analyser les impressions produites par ces derniers, ils furent victimes de nouvelles illusions et n'obtinrent pas un seul résultat sérieux. À ces étymologistes dont Platon raille les spéculations dans son Cratyle, il arriva exactement, même là où leurs essais ont une certaine plausibilité, ce qui arrive aux étymologistes amateurs de nos jours. N'a-t-on pas prétendu, par exemple, trouver dans le verbe rouler une imitation du char ou du tonnerre qui roulent? Or le verbe rouler vient du bas-latin rotula, diminutif de rota, la roue, et rota, comme l'allemand Rad (même signification) est dérivé de la même racine que l'adjectif rasch (rapide) ; par conséquent la ressemblance de son est absolument fortuite. Héraclite passe pour avoir été le plus ancien représentant de cette théorie si étrangement mêlée de vérité et d'erreur. Mais il est probable qu'il l'a présupposée tacitement, sans la formuler expressément et sans chercher à la défendre. Dans la consonance des mots, il voit sans aucun doute une indication de la parenté des idées auxquelles ils correspondent, comme le montrent quelques-uns de ses fragments qui, précisément à cause de cela, sont intraduisibles (cf. pourtant p. 71-2). Pareillement, il se réjouit de voir sa doctrine de la coexistence des contraires préfigurée dans la langue, le grec désignant du même mot (bÛow et biñw) tantôt la vie, tantôt l'arc, qui est un instrument de mort (22). Toutefois il est pour le moins douteux qu'il ait discuté l'origine des formations linguistiques, et qu'il ait exprimé sa manière de voir à ce sujet. Mais comme en toute activité humaine il voyait une image et une émanation de l'activité divine, il devait être bien loin de regarder comme artificielle l'expression, par les sons, des phénomènes psychiques, et il n'aurait probablement pas manqué de combattre ceux qui prétendaient le contraire, s'ils avaient déjà manifesté leur opinion à son époque.
Mais cela est peu croyable. En effet, c'est Démocrite que l'on indique comme l'auteur ou comme le plus ancien représentant de cette contre-théorie. Nos sources nous font aussi connaître, au moins dans ses grandes lignes, l'argumentation qu'il opposait à l'origine naturelle du langage. Le sage Abdéritain remarquait d'abord que bien des mots offrent plusieurs sens et que, d'autre part, beaucoup de choses peuvent être désignées par des noms différents. Ensuite, il constatait que les dénominations des objets changent parfois dans le cours du temps et enfin qu'à certains objets, à certains concepts ne correspondent pas de termes appellatifs. Il est facile de voir à quoi tendent les deux premiers de ces quatre arguments. Si, comme on l'a supposé, il était vrai qu'il y ait toujours un rapport interne et nécessaire entre le mot et la chose qu'il sert à nommer, il ne pourrait se faire que la même combinaison de sons désignât des objets différents, comme c'est le cas, par exemple, pour les mots mousse et foudre. Cette supposition était aussi contredite par le fait qu'un seul et même objet peut être désigné de plusieurs façons différentes ; c'est ainsi que nous appelons le même espace tantôt chambre, tantôt salle, le même objet tantôt siège, tantôt chaise, le même animal tantôt jument, tantôt cavale, tantôt dogue, tantôt chien. Le troisième argument n'est guère qu'une variante du premier. Car il importe peu que le même objet possède en même temps plusieurs dénominations ou qu'il les prenne successive-ment, comme c'est le cas, par exemple, pour le tabac qui, aux XVIme et XVIIme siècles, s'appelait pétun, pour le lapin qui a été pendant longtemps le connil, ou le renard qui était le goupil. Mais la quatrième preuve semble sortir du cadre de cette argumentation. Car si des objets ou des concepts restent anonymes, y a-t-il argument à en tirer contre l'existence d'un lien interne entre le nom et la chose nommée? Ici, pensons-nous, l'objection de Démocrite doit avoir été dirigée contre une idée autre et plus compréhensive. Si le langage, semble-t-il avoir voulu dire, était un don de la Divinité ou un produit de la Nature, nous devrions trouver dans ses créations un plus haut degré de finalité qu'elles n'en révèlent en réalité. Ici défaut, là surabondance, inconstance et variation, et finalement absence absolue du moyen correspondant à une fin donnée, voilà l'image que nous offrent cent fois les créations imparfaites de I'imagination humaine, mais non celles que nous sommes en droit d'attribuer à l'action de la Nature ou à la providence des Puissances divines. Sous une forme moderne et scientifique, la pensée de Démocrite, telle que nous la comprenons, pourrait être exprimée par cette courte formule : « Le langage n'est pas un organisme, car l'expérience nous montre dans les organismes un degré beaucoup plus élevé de perfection que nous n'en trouvons en lui. » En dépit de sa répugnance à admettre n'importe quelle cause finale, le philosophe atomiste pouvait faire cette concession à la téléologie.
Cette critique incisive de la théorie de l'origine naturelle du langage ne s'applique, il est vrai, à celle-ci que sous sa forme la plus grossière et la plus imparfaite. Les hommes n'ont pas été contraints pour ainsi dire par une nécessité irrésistible de nommer les objets par leurs noms actuels et non par d'autres, voilà ce qu'il a démontré, et pour cela il aurait suffi, en vérité, de faire remarquer l'existence de langues différentes dans les divers pays du monde. D'autre part, la doctrine de Démocrite n'est pas plus exempte que celle de ses contradicteurs du vice fondamental de cette théorie. Lui aussi confond ce qui est originel avec ce qui est devenu, lui aussi méconnaît ce que nous appelons évolution linguistique. Pour se tirer des difficultés que soulève la théorie qu'il combat, il se voit obligé d'admettre une hypothèse qui n'en entraîne pas de moins sérieuses. Le langage, suivant lui, est d'origine purement conventionnelle. Les hommes des temps primitifs se sont entendus pour attribuer aux choses telles ou telles dénominations afin d'avoir désormais un moyen de communiquer entre eux et de s'instruire. Mais comment ont-ils pu, objectaient déjà les critiques de l'antiquité, et en particulier Épicure (23), s'entendre sur les noms à donner aux choses aussi longtemps qu'ils manquaient du principal moyen d'entente, c'est-à-dire précisément du langage ? Devons-nous, se demande l'auteur épicurien d'un livre gravé sur la pierre et récemment découvert, nous représenter le « donneur de noms » à peu près comme un maître d'école qui montre à ses élèves tantôt un caillou, tantôt une fleur dont il leur indique les noms en leur recommandant de les fixer dans leur mémoire ? Quel motif pouvaient avoir les hommes ainsi instruits pour s'en tenir inviolablement à ces noms ? Comment ceux-ci pouvaient-ils parvenir intacts et sans déformation à la lointaine postérité ou même seulement aux habitants des parties extrêmes du pays ? Ou bien faut-il supposer que cet extraordinaire enseignement était donné en même temps à une grande foule d'hommes ? Serait-ce alors par le moyen de l'écriture, qui cependant ne pouvait pas précéder la création du langage? Ou bien les masses d'hommes disséminées sur un grand territoire se réunissaient-elles sur un seul point à une époque où manquaient tous les moyens perfectionnés de communication ? Nous ignorons en quelle mesure l'exposition de Démocrite méritait les railleries qui lui étaient si abondamment prodiguées. Il est bien possible qu'il se soit abstenu de développer sa pensée jusque dans le détail, et qu'il se soit contenté d'apposer à la théorie confuse de l'origine naturelle du langage qu'il avait trouvée établie et que, dans son ensemble, il devait condamner, la théorie de l'origine conventionnelle, seule solution qui lui restât pour résoudre le problème. Il était réservé précisément à Épicure de dissiper la profonde obscurité qui entourait cette question, et, en admettant un élément linguistique naturel et un élément conventionnel, de débrouiller l'écheveau autant qu'il était possible de le faire avec les moyens imparfaits dont disposait l'antiquité. Quand nous en serons arrivés à ce philosophe, il conviendra d'envisager plus sérieusement ce problème, d'exposer plus en détail et de compléter l'explication, exacte en principe, qu'il en donnait, en nous référant aux résultats que nous devons à l'étude comparée des langues.
Un exemple seulement pour mettre en lumière ce que l'on entend par éléments naturels et éléments conventionnels du langage. La langue indo-européenne primitive possédait une racine pu, à laquelle s'attachait la signification de purifier. Nous supposons, ce qui est pour le moins très probable, que cette racine n'est pas dérivée, mais vraiment originelle, et nous nous permettons d'exprimer une conjecture sur la manière dont elle a acquis sa signification fondamentale. Quand, avec la bouche elle-même, organe de la parole, nous voulons faire disparaître d'une surface plane quelconque les grains de poussière qui la souillent, nous soufflons dessus. Si nous opérons avec énergie, c'est-à-dire en avançant et en rapprochant les lèvres, nous produisons des sons comme p, pf ou encore pu. C'est ainsi que cette syllabe a pu, sinon dû, acquérir sa signification primordiale. Supposé qu'il en ait été réellement ainsi, une certaine position, un certain mouvement des organes de la parole a, dans ce cas, comme dans une foule d'autres sans doute, formé le lien qui a uni l'un à l'autre le son et la signification. À notre avis, d'ailleurs, cette imitation de mouvements a été la source de beaucoup la plus féconde du langage, une source beaucoup plus féconde que l'imitation de sons simplement entendus et non produits par l'homme, comme cela est arrivé, par exemple, pour le nom du coucou ou pour le verbe miauler. On peut d'ailleurs différer d'opinion sur ce point. Mais, certainement, ce sont là des spécimens de ce que, d'une manière tout à fait rationnelle et sans aucun mélange de mysticisme, nous pouvons appeler l'élément naturel du langage.
Mais aussitôt que nous envisageons les nombreux jets qu'une racine primitive comme celle-là a poussés dans les diverses langues indo-européennes, nous voyons apparaître l'action de l'arbitraire, de la sélection, du bon plaisir, en un mot, de la convention. Car, à côté de cette façon d'exprimer l'action de purifier, nous en voyons surgir quantité d'autres qui dénomment précisément la même opération, quoique avec des nuances très différentes. Personne n'aurait l'idée de prétendre que le Romain devait se servir de l'adjectif purus (pur), dérivé de cette racine, ou que le Romain et le Grec devaient se servir des substantifs poena et poinè (punition) qui en sont également formés. On peut concéder seulement que beaucoup d'emplois de ces mots, en particulier leur alliance avec des expressions désignant l'âme, la disposition d'esprit ou le sentiment (mens pura, pureté d'âme, purity of mind, etc.), correspondent tout à fait au sens premier de la racine et nous en offrent pour ainsi dire un reflet. Pour exprimer la punition dans le sens d'expiation religieuse ou de purification, les dérivés de cette racine paraissent aussi mieux appropriés en soi que ceux des racines qui expriment la même activité, mais avec l'idée accessoire de l'emploi de forces matérielles plus grossières, par exemple que les verbes balayer ou laver. Il ne peut être question ici de n'importe quelle nécessité, quelle contrainte, mais seulement de tendances qui auraient tout aussi bien pu être annihilées par les hasards de l'usage que rendues victorieuses par ses changeantes faveurs. Plus nous descendons dans l'histoire d'une langue, pour arriver enfin aux formations nouvelles des époques postérieures ou du temps présent, plus les hasards enchevêtrés d'un long processus historique gagnent en importance, et plus s'évanouit la force de la tendance primitive inhérente à l'élément naturel pour faire place au caprice de ceux qui parlent ou qui écrivent. Car une fois qu'un mot, en raison de l'usage populaire ou de l'emploi qu'en ont fait des écrivains d'autorité, a été approprié à un cercle précis d'idées, il reste désormais acquis à l'expression de ces idées. C'est ainsi que les mots deviennent de plus en plus de simples signes conventionnels, des médailles effacées, et dont l'empreinte originelle ne peut souvent être retrouvée et renouvelée que par la perspicacité géniale des artistes en langage, et surtout des poètes. Dans d'autres cas, un effluve de leur parfum d'autrefois voltige encore autour de ces fleurs desséchées de la pensée, guide le sentiment moins affiné du peuple et permet à celui-ci de les employer à propos. Revenons à notre racine et à ses dérivés. Si l'un des derniers dentifrices a reçu le nom de puritas, c'est uniquement en raison du bon plaisir de son inventeur. Mais même dans le français peine et surtout dans l'expression à peine, de même que dans le mot allemand Pein (souffrance), il n'est plus possible de retrouver un vestige de la signification primitive. Les Puritains anglais ont reçu ce nom parce qu'ils s'efforçaient de rétablir les institutions ecclésiastiques dans leur forme originelle, dépouillée de toutes les adjonctions ultérieures, dans leur pureté. La nuance exprimée par la racine linguistique n'a eu, dans le choix de ce nom, qu'une influence à peine sensible; mais elle a réagi ensuite d'une manière tacite et inconsciente, puisque cette dénomination a été bientôt transportée dans le domaine éthique, que l'on a commencé, et que l'on n'a jamais cessé dès lors, de parler du puritanisme moral.
Mais l'argument tiré par Démocrite de la pluralité de sens de beaucoup de mots est loin d'être toujours concluant, même dans les cas d'identité de racines originelles et non dérivées; c'est ce que nous montrera l'exemple auquel nous avons déjà eu recours. Quand nous soufflons quelque chose, ce n'est pas toujours dans l'intention de nettoyer un objet; nous le faisons aussi dans le but, ou - si notre action est instinctive ou involontaire - avec ce résultat d'éloigner de nous un objet que nous trouvons laid ou répugnant. À cause de cela, ce geste est devenu chez beaucoup de peuples, à ce qu'assure Darwin (24), le symbole de la répugnance et du mépris ; c'est pourquoi aussi les sons auxquels ce geste donne naissance, comme le pfui des Allemands ou le pooh des Anglais et des naturels australiens servent à exprimer par le langage ces sentiments de l'âme. Pareillement, des mots grecs et latins qui désignent les mauvaises odeurs (pus, putride, putréfaction, pyémie) sont empruntés à la même racine. Et comme la source de formation des langues, pour ne plus couler que faiblement, n'est pas encore complètement tarie, l'anglais commence à employer cette interjection comme verbe ; aussi l'insulaire qui veut manifester un peu rudement ses doutes sur la loyauté des intentions de son interlocuteur peut-il réunir les deux significations fondamentales de ce geste et de ce son dans cette seule petite phrase : « I pooh-pooh the purity of your intentions. »

VI

Mais si important que puisse être pour nous le début de cette grande controverse sur l'origine du langage, plus importante encore est l'opposition qui s'y révèle entre la nature et la convention. Cette opposition ne nous est plus étrangère. Nous l'avons déjà rencontrée à propos de la théorie de Leucippe et de Démocrite sur la perception sensible. Là nous avons appris à voir dans l'idée de la convention le type du changeant, du subjectif et du relatif, que l'on aimait à opposer à l'immuable constance du monde objectif. Toutefois le véritable domaine de cette antithèse n'était ni celui de la perception sensible, ni celui du langage, mais celui des phénomènes politiques et sociaux. Le premier écrivain qui ait exprimé cette distinction fondamentale passe pour avoir été Archélaos, le disciple d'Anaxagore (25). Mais tout ce que nous savons avec certitude de cette face de son activité se réduit à ceci : qu'il a traité, dans le sens de cette distinction, de la beauté, de la justice et des lois et que, à ce propos, il a exposé la « séparation » entre les hommes et les autres êtres vivants, et les débuts de l'état social. Cette opposition n'est saisie qu'aux époques dans lesquelles l'esprit critique a atteint un haut degré de développement. Partout où l'autorité et la tradition exercent un pouvoir sans partage, les règles en vigueur paraissent les seules naturelles ou, pour parler plus exactement, leur relation avec la nature ne fait l'objet d'aucun doute, et même d'aucune discussion. Le Mahométan auquel la révélation d'Allah, telle qu'elle est exposée dans le Coran, apparaît comme l'autorité suprême et sans appel dans toutes les questions de religion, de droit, de morale et de politique, représente encore parmi nous, tel un fossile vivant, ce degré reculé de développement intellectuel.
Deux grandes séries d'effets découlent de cette très importante distinction. D'une part, elle fournit des armes pour la critique incisive et impitoyable à laquelle elle soumet aussitôt les lois et les mœurs ; d'autre part, elle offre une nouvelle norme, une norme suprême, pour la réforme à laquelle on tend immédiatement dans les domaines les plus divers. L'équivoque que présente le mot nature, les nombreuses interprétations qu'il permet, et dont on se rendait compte à une époque plus basse dé l'antiquité, rendent cette norme extrêmement vacillante et incertaine. Mais cette circonstance n'a fait qu'accroître la tendance des Anciens à s'en servir; il leur était facile, en effet, de comprendre sous cette formule vague et ,générale leurs aspirations, leurs désirs les plus divers. Lorsque le poète Euripide s'écrie : « C'est la nature qui l'a fait, la nature qui ne connaît pas de convention », il songe à la puissance de l'instinct, qui se moque de toutes les conventions gênantes. Mais quand il dit du bâtard : « Son nom est un opprobre, mais la nature est la même », il parle de la condition réelle des hommes et veut faire entendre qu'elle est indépendante des distinctions artificielles créées par la société. Le rhéteur Alcidamas (IVme siècle) s'exprime d'une manière analogue, mais non tout à fait identique dans son Discours messénien : « La Divinité a fait tous les hommes libres ; la nature n'en a créé aucun esclave (26) ». En écrivant cela, l'orateur était hanté de l'idée d'un prétendu état naturel primitif, dans lequel régnait l'égalité; générale ; peut-être aussi a-t-il songé à un droit naturel fondé précisément sur cette croyance ou sur quelque autre, et qui doit prévaloir sur toutes les institutions humaines.
Nous nous occuperons d'abord de l'emploi critique ou négatif qui fut fait de cette distinction. En élargissant les notions qu'on avait sur les conditions morales et politiques des diverses tribus, des diverses nations à diverses époques, les études historiques et ethnographiques avaient fait comprendre l'infinie variété des mœurs et des institutions humaines. On commença à rapprocher, non sans plaisir, les contrastes les plus saisissants. Un genre littéraire prit naissance, qui, dans l'antiquité, a atteint son apogée dans l'ouvrage du gnostique syrien Bardesane (né vers 200 après J.-C.) Sur la Destinée (27), et qui a trouvé de nombreux partisans dans le siècle des Encyclopédistes. Hérodote se plaît déjà dans de telles antithèses. Darius, nous raconte-t-il (28), demanda aux Grecs qui vivaient à sa cour à quel prix ils consentiraient à dévorer les cadavres de leurs pères. Ils répondirent qu'aucun prix ne serait assez élevé pour les y décider. Alors le roi des Perses fit appeler les représentants, en ce moment en son palais, d'une tribu de l'Inde dans laquelle l'usage commandait ce qui, aux yeux des Grecs, était un sacrilège, et leur demanda en présence de ceux-ci, par un interprète, à quel prix ils consentiraient à brûler les cadavres de leurs pères. Ils poussèrent de grands cris et prièrent le roi de ne pas même parler d'une telle horreur. L'historien tire de là cette conclusion pratique remarquable : si l'on présentait à l'ensemble des hommes toutes les coutumes existant n'importe où en les invitant à choisir les plus belles, chaque peuple, après l'examen le plus approfondi, choisirait celles qui existent déjà chez lui. Pindare, ajoute-t-il, a donc eu raison de dire : « La convention règne sur tous les hommes (29) ». La même pensée est plus développée et avec plus de piquant encore dans un traité que l'on a attribué avec probabilité à cette époque : « Si l'on ordonnait à tous les hommes de réunir en un tas tous les usages qu'ils tiennent pour bons et nobles, et ensuite d'y choisir ceux qu'ils considèrent comme mauvais et, honteux, il ne resterait rien : tout serait distribué entre tous (30) ». Il n'est guère possible d'exprimer d'une manière plus précise et plus claire cette pensée qu'aucune coutume, aucune institution, n'est assez vile ou assez odieuse pour ne pas être tenue en grande considération dans quelque fraction de l'humanité. Arrêtons-nous un instant à la conséquence libératrice de ce point de vue relativiste. Nulle part elle ne se présente à nous avec autant de force que dans les drames d'Euripide, le grand défenseur des lumières. Nous avons déjà vu combien peu d'importance a pour lui la tache de l'illégitimité de la naissance. Il ne se soucie pas davantage du stigmate qu'imprimait l'esclavage à la créature humaine. Là encore, selon lui, ce n'est qu'une affaire de nom et de convention, mais la nature elle-même n'est pas en jeu. « Ce qui déshonore l'esclave, c'est le nom seul ; pour tout le reste, un honnête serviteur ne le cède en rien à l'homme libre. » Même sentiment en ce qui touche la haute naissance et la basse extraction. « L'honnête homme est pour moi le gentilhomme ; mais quiconque ne respecte pas le droit, eût-il pour père Zeus, et même un plus illustre, est pour moi du commun. » Il s'en faut de bien peu que les barrières de la nationalité ne soient aussi brisées, et que l'on ne voie apparaître l'idéal du cosmopolitisme, que nous rencontrerons dans toute son ampleur chez les Cyniques. Cet idéal a été entrevu par Hippias d'Élis, à qui Platon fait dire : « Vous tous qui êtes présents, je vous regarde comme parents, comme frères et comme concitoyens, - selon la nature, et en dépit de la convention. Car, selon la nature, le semblable est parent du semblable ; mais la convention, ce tyran de l'humanité, nous violente bien souvent contre la nature. (31

VII

Si, dans ce qui précède, on entend par nature l'instinct social et l'originelle égalité, réelle ou prétendue, des hommes, la conception contraire ne pouvait manquer de trouver, elle aussi, ses représentants. Le plus fort l'emporte sur le plus faible; le mieux doué fait sentir sa supériorité à celui qui l'est moins. Se pouvait-il que ce fait, surtout dans une société fondée sur la conquête et sur l'esclavage, n'attirât pas l'attention et ne fût pas regardé comme découlant de l'ordre naturel ? Souvenons-nous d'Héraclite et de sa glorification de la guerre, « père et roi » de toutes choses, qui a séparé les uns des autres non seulement les dieux et les hommes, mais encore les libres et les esclaves (cf. p. 79). Le sage d'Éphèse a probablement été le premier à comprendre clairement et à exalter l'immense signification qu'a la guerre ou l'emploi de la force pour la fondation des États et pour la constitution de la société. Nous rencontrerons chez Aristote une opinion analogue, mais moins générale et troublée en outre par le préjugé nationaliste ; le grand philosophe, en effet, essaye de fonder l'esclavage sur la nature ; il le défend dans l'intérêt des esclaves eux-mêmes, qu'il juge incapables de se gouverner, et combat ceux qui ne veulent y voir que l'effet d'une convention arbitraire. Cette tendance avait-elle trouvé des représentants dans les lettres à l'époque des « lumières »? Cela est incertain, et il semble que l'on doive plutôt répondre par la négative que par l'affirmative. Platon lui-même, qui lui est hostile, choisit pour la défendre, parmi les contemporains de Socrate, non pas un écrivain ou un des maîtres de la jeunesse, mais un de leurs ennemis les plus acharnés, un politicien pratique, qui ne veut rien être que pratique, et qui nous est d'ailleurs inconnu, Calliclès (32). Il lui fait défendre avec passion dans le Gorgias le droit du plus fort. Calliclès s'en réfère à la domination que le fort exerce sur les failles; il y voit un fait qu'il déclare fondé sur la nature et qu'il décore à cause de cela du nom de « loi naturelle ». Et, dans sa bouche, la loi naturelle devient aussitôt le « droit naturel », c'est-à-dire ce qui est naturellement juste. Car, chose assez compréhensible en soi, reconnaître le fait naturel entraîne facilement l'approbation de la conduite qui en découle ; et cette tentation était fortement encouragée par la circonstance que les deux choses se confondaient presque absolument dans l'opinion des Anciens, en un domaine au moins, à savoir celui des relations internationales. On regardait en même temps comme naturel et comme permis que les États puissants soumissent et absorbassent les faibles.
Mais, dans le cas qui nous occupe, cette explication n'est certainement pas la seule. Car, tout en s'autorisant, il est vrai, du droit de conquête aussi bien que de l'exemple que nous donnent les animaux, Calliclès se sépare sur deux points essentiels d'Héraclite aussi bien que d'Aristote. Il appelle de ses vœux la soumission non pas d'une fraction, mais de l'ensemble de l'humanité, et ses sympathies vont, sinon exclusivement, du moins pour la plus grande part, aux forts et aux habiles plutôt qu'à la masse des faibles et des esprits épais. Il prend parti pour le génie, pour le « surhomme », comme on aime à dire aujourd'hui, contre la foule qui cherche à asservir son âme et à le rabaisser au niveau de sa propre médiocrité. Il exulte à la pensée que l'homme de génie, semblable à un lionceau à moitié dompté, se dresse tout à coup, fièrement, dans la plénitude de sa force, « brise ses chaînes, secoue et foule aux pieds toutes les paperasses, tout le fatras de formules et de fantasmagorie sous lequel on prétendait l'accabler, et, par droit de nature, veut être notre maître et non notre serviteur. » Ces discours trahissent le plaisir esthétique que donne la force indomptable d'une puissante nature ; ils expriment en outre le sentiment qui faisait dire au théoricien moderne de l'absolutisme : « Le règne des plus puissants est l'éternelle ordonnance de Dieu ». Mais, un peu plus loin, Platon fait soutenir à Calliclès une thèse en contradiction moins brutale avec les institutions populaires : l'homme le meilleur et le plus intelligent, dit-il, doit exercer la suprématie, non sans doute, - puisque nous ne vivons pas dans un monde idéal - sans en retirer un profit personnel. En d'autres termes, c'est aux plus capables, aux plus qualifiés qu'appartient la plus grande influence, et, par cela même, les plus hautes récompenses dans la vie politique. Toutefois, dans la suite du dialogue, le caractère de Calliclès subit une étrange transformation. Le représentant de ce culte des héros à la Carlyle, des théories politiques de Haller et du principe des aristocraties pures devient tout à coup l'apôtre d'un évangile de plaisir sans frein. Ce sentiment n'avait encore trouvé aucun défenseur à cette époque; Platon nous le donne à entendre assez clairement par cette remarque : « Tu dis là ce que les autres pensent, mais n'osent pas déclarer (33) ». Nous pouvons affirmer sans crainte que le poète-philosophe a amalgamé cette doctrine avec d'autres, qui n'ont rien de commun avec elle, pour faire paraître celles-ci sous un jour plus défavorable et plus odieux. D'autant plus sincères doivent nous apparaître les éclats de colère de Platon contre le joug d'une majorité niveleuse et du régime souvent si maladroit de la démocratie, protestation bien compréhensible contre l'organisation politique d'alors, aussi riche en ombres qu'en côtés lumineux, et qui prenait les formes les plus diverses selon la diversité des tempéraments et des caractères. Les uns étaient portés au culte des héros et faisaient d'Alcibiade leur modèle et leur idole ; les autres penchaient à faire revivre des institutions entièrement ou à moitié aristocratiques; Platon lui-même, qui haïssait du fond du cœur la démocratie, prêchait le règne utopique des philosophes. Ainsi la « nature » et le « droit naturel » étaient devenus, d'une part, l'appui et le schiboleth d'une aspiration à l'égalité qui se transformait peu à peu en cosmopolitisme, et, d'autre part, le cri de ralliement des partisans de l'aristocratie et du culte de la personnalité marquante. Les deux tendances présentaient un caractère commun : toutes deux visaient à déchirer les liens dans lesquels la puissance de la tradition avait jeté les âmes des hommes.

VIII

Ici, une double question se présente à nous. Jusqu'à quel point s'est étendue cette diminution de l'autorité ? Et de quels effets a-t-elle été accompagnée ? À aucune de ces questions nous ne pouvons donner de réponse, même approximative. Mais une chose, du moins, est claire : c'est qu'aucun domaine de la vie ni de la foi ne resta à l'abri des attaques de la critique. La sceptique curiosité de l'époque n'épargna pas même les dieux. Un poète dithyrambique, Diagoras de Mélos (34), dont il ne nous est resté que quelques vers pleins du plus grand respect pour la divinité, ayant été victime d'une injure restée impunie, cessa de croire à la justice céleste. Il a donné une expression à ce changement de dispositions dans un livre dont le titre (Discours destructifs) nous fait pressentir les fureurs sacrilèges de ce dévot devenu blasphémateur. Les doutes religieux de Protagoras, exprimés sous une forme infiniment plus mesurée, nous occuperont plus tard, de même que la théorie de Prodicos sur l'origine de la religion. Le trône abandonné par l'autorité est assailli de toutes parts par la réflexion et la raison. Toutes les questions relatives à la conduite de la vie sont discutées; tout sans exception est soumis au jugement de l'intelligence. Non seulement les écrivains philosophiques et les rhéteurs, mais les poètes et les historiens nous étonnent par la subtilité de leurs arguments. La tragédie, qui, déjà chez Sophocle, trahit par-ci par-là l'influence de l'esprit nouveau, devient littéralement chez Euripide une arène de tournois intellectuels. Même Hérodote qui, nous l'avons vu, était encore, en somme, pénétré des sentiments d'un autre âge, se plaît à discuter les grandes questions qui intéressent l'humanité avec une subtilité faite pour nous étonner. Le problème du bonheur est soulevé par lui comme par Euripide, et tous deux le traitent selon des méthodes foncièrement identiques (35). Le premier, dans le dialogue de Solon et de Crésus, oppose le type abstrait de l'homme comblé de richesses, mais malheureux à tous les autres égards, à celui du pauvre à qui la destinée offre toutes ses autres faveurs; le second, dans son Bellérophon, nous montre trois personnages, bien moins artificiels, qui se disputent la palme du bonheur : l'homme de basse extraction, mais riche ; le gentilhomme pauvre, et celui qui ne possède ni l'un ni l'autre de ces avantages ; et, par une démonstration paradoxale, il nous apprend chue c'est à ce dernier qu'est dû le prix de la victoire. Dans le passage où il fait disputer trois nobles perses sur la meilleure forme de gouvernement, Hérodote prête sans doute les plus forts arguments au défenseur de la démocratie parce que celle-ci a ses préférences, mais il fait preuve d'un certain degré de culture dialectique en plaçant dans la bouche des tenants de la monarchie et de l'oligarchie des raisons qui ne sont point méprisables. Aucun thème n'était discuté alors avec plus de passion que le problème de l'éducation. Est-ce celle-ci ou sont-ce les dispositions naturelles, est-ce l'enseignement théorique ou bien est-ce la pratique et l'habitude qui sont le facteur le plus important ? Ces questions provoquaient l'intérêt le plus soutenu, et on y donnait les réponses les plus diverses. Euripide qui, en cela comme en tout, est accessible à des influences multiples, soutient que la « vertu virile » peut s'enseigner, mais il n'insiste pas moins sur la nécessité de s'habituer de bonne heure à tout ce qui est bien; une autre fois, il fait dire à l'un de ses personnages : « Ainsi la Nature est tout, et c'est en vain que l'éducation s'efforce de changer le mal en bien ». Le parallèle entre la cul­ture de l'esprit et celle des champs devient un des lieux communs de l'époque : la nature du sol est comparée aux dispositions naturelles, l'enseignement à l'ensemencement, le zèle de l'élève au travail acharné du laboureur, etc. Dans cette comparaison, sur laquelle nous aurons à revenir à l'occasion, on remarquera que les diverses thèses relatives à l'éducation, primitivement séparées, ont été déjà fondues en un seul tout. D'ambitieux projets de réforme furent aussi imaginés dans ce temps-là. Phaléas de Chalcédoine (36), dans la seconde moitié du Vme siècle, se déclarait en faveur de l'égalisation des fortunes, et faisait dans ce but des propositions qui, il est vrai, ne visaient que la fortune immobilière. La nationalisation de tout le travail industriel, c'est-à-dire son exécution par des esclaves appartenant à l'État, formait un autre article de ce programme de réformes. Un citoyen légèrement plus âgé, Hippodamos de Milet, celui qui voulait des rues en ligne droite et se croisant à angle droit, voulait aussi transformer radicalement la constitution des États. Il proposait de répartir les citoyens en trois classes : les artisans, les agriculteurs et les soldats. Un tiers seulement du sol devait être propriété particulière, le second tiers devait être réservé au service des cultes et le troisième à l'entretien des soldats. La cité, dans son ensemble, ne pouvait compter que dix mille hommes, auxquels était attribuée l'élection des magistrats. La fascination du nombre trois se manifestait aussi dans la division du code pénal en trois sections : délits contre la vie, délits contre l'honneur, délits contre la propriété, et dans celle des affaires administratives, qui devaient former également trois groupes : affaires concernant les citoyens, affaires concernant les orphelins, affaires concernant les étrangers. Pour la première fois, nous voyons figurer dans ce projet l'idée que l'État doit conférer des marques de distinction aux auteurs d'inventions utiles. Hippodamos a aussi été le premier à réclamer la création d'une cour d'appel et l'acquittement des accusés ab instantia ; enfin il proposait, mais en cela Aristote lui dénie le mérite de l'originalité, que les enfants des soldats morts à la guerre fussent élevés aux frais de l'État. Toutefois, les disciples de Socrate devaient dépasser de beaucoup toutes ces hardiesses ; c'est dans leur cercle qu'allaient prendre naissance les doutes qui sapent les bases de l'ordre social existant encore aujourd'hui.
Mais, abstraction faite des conséquences extrêmes que Platon et les Cyniques devaient faire sortir de la souveraineté de la Raison, il reste assez, dans ce que nous venons de mentionner, pour nous rappeler le radicalisme de la Révolution française. Cependant on ne peut méconnaître une différence importante. L'époque de l'émancipation grecque n'a vu se produire aucune tentative sérieuse pour mettre ses théories en pratique. A cet égard, voici un parallèle tout à fait typique. À Paris, la déesse Raison a été l'objet d'un culte, éphémère il est vrai, mais qui n'en a pas moins été réel. L'Athènes de l'époque qui nous occupe a connu aussi cette déesse, mais au théâtre seulement, dans la scène où Aristophane, persiflant Euripide, le fait prier ainsi : « Écoute-moi, Raison, et vous, organes de l'Odorat (37) ». Les autres doctrines radicales de ce temps n'ont pas davantage essayé de sortir de l'ombre des bibliothèques et des écoles pour entrer dans. le domaine de la réalité. Mais rien ne serait plus faux que de vouloir conclure de là au peu d'intensité du radicalisme antique. L'histoire du Cynisme nous montrera qu'il n'a pas manqué d'individus pour prendre au grand sérieux les théories qui rompaient le plus violemment avec la tradition. Nous verrons d'ailleurs que l'influence indirecte du radicalisme philosophique a été extrêmement grande sur le développement de la civilisation aux siècles suivants. Si cependant, tout bien considéré, la philosophie, tout en étant un puissant ferment de vie intellectuelle, n'a pas exercé son influence directement sur les faits, c'est essentiellement par suite des circonstances que nous allons énumérer. La situation économique d'alors - bien différente de celle que devait présenter Sparte au IIIme siècle - était pour le moins tolérable pour les masses; sans doute, il se produisait assez souvent de violents conflits, mais ils ne différaient pas essentiellement des luttes de classes des siècles précédents ; la surprenante acuité qu'ils prirent dans le cours de la guerre du Péloponnèse fut provoquée par les conjonctions passagères qui se produisirent dans le ciel politique. La religion était assez souple pour s'accommoder des immenses changements survenus dans le monde de la pensée. Enfin, le caractère national des Grecs, et spécialement celui des Athéniens, avait une répugnance instinctive pour tout ce qui sentait la hâte et la précipitation, un sentiment du tact et de la mesure très favorable au développement régulier des institutions. Ces remarques nous paraissent répondre d'une manière suffisante, pour le moment du moins, aux questions que nous avons soulevées plus haut. Avant de poursuivre notre étude sur ce point, il est nécessaire d'envisager quelques-unes des figures les plus marquantes de ce grand mouvement intellectuel, rhéteurs et instituteurs de la jeunesse, poètes et historiens.

 

(01Diog. Laërce parle de lui, IV ch. 9, d'une manière très insuffisante, mais cite son prologue. Fragments dans Schorn (voir note sur Anaxagore) et dans Fr. Panzerbieter; Diogenes Apolloniates, Leipzig 1830; cf. en outre, à son sujet, Chr. Petersen, Hippocratis nomine quae circumferuntur scripta, etc. (Hambourg, Gymn-Progr. 1839), le travail déjà cité de Diels sur Leucippe et Démocrite, ses essais sur Leucippe et Diogène d'Apollonie (Rhein. Mus., XLII 1 sq.) et Ueber die Excerpte von Menons Iatrika (Hermès, XXVIII 527 sq.). Le témoignage capital est celui de Théophraste (Doxogr., 477, 5).  
(02
Sur le texte de ce passage légèrement corrompu, cf. nos Beitr. z. Kritik u. Erkl., etc., I 139 (= 271, Wiener Sitz.-Ber. 1875).
(03
Simplicius, auquel nous devons de nouveau presque tous les fragments, n'a pas lu la Théorie du Ciel (metevrologÛa) ni le traité perÜ ŽnyrÅpou fæsevw, mais les a seulement trouvés mentionnés dans l'oeuvre principale de Diogène (Phys., I 4, p. 151, Diels).
(04)
La remarque sur Homère se trouve dans Philodème, De la Piété, p. 70 de mon édition. Dümmler cherche à prouver, Akademika, 113, que les Stoïciens dépendent de Diogène « dans leur théorie de la perception et aussi dans leur... embryologie ». Le même auteur (ibid. 225) et Weygoldt (Archiv, I 161 sq.) étudient les rapports de Diogène avec quelques traités de la collection hippocratique. 
(05
Au sujet de la critique à laquelle Théophraste a soumis la psychologie de Diogène, voir de Sensibus, 39 sq. (Doxogr., 510 sq.). Le vers des Nuées (828 Meineke, répété 1472), est le suivant : DÝnow basileæei ton DÛ' ¤jelhlakÅw; cf. en outre 380 sq.  
(06
Fragments des Panñptai dans Kock, attic. Comic. Fragmenta, I 60 sq. - Le fragment qui se trouve dans les Scolies genevoises de I'Iliade, éd. Nicole, Genève 1891, I 198, représente l'opinion, alors très répandue, que l'eau de toutes les sources et de tontes les fontaines provient de la mer. Cf. à ce sujet Diels dans les Berl. Sitz.-Ber., 1891, 575 sq. (Ueber die Genfer Fragmente des Xenophanes und Hippon). La remarque d'Aristote se trouve à Métaph., I 3 et de Anima, 1 2.  
(07
Ma propre manière de voir repose sur la combinaison de la remarque d'Aristote, Mét., I 3, du commentaire d'Alexandre sur ce passage (p. 21, 17, Bonitz) et d'Hippolyte I 16 (Doxogr., 566, 20). L'indication instructive de ce dernier nous permet de faire entrer Hippon dans le mouvement éclectique de l'époque, tandis que la sèche et par trop concise déclaration d'Aristote faisait voir en lui un adepte étrangement attardé de Thalès. 
(08
Sur Archélaos, cf. Diog. Laërce II ch. 4; en outre Théophr., dans les Doxogr,, 479 sq., Aétius (ibid.) et Hippolyte, I 9 (ibid. 563).   
(09
L'interprétation allégorique à laquelle Métrodore soumettait Homère, je l'ai retrouvée en me basant sur la courte remarque du lexicographe Hésychius:ƒAgam¢mnvn tòn aÞy¡ra Mhtrñdvrow ŽllhgorikÅw, dans les Vol. Hercul. coll. altera, VII 90 (communiquée d'abord dans l'Academy du 15 janv. 1873. 
(10
Hist. du Peuple d'Israël, V 349.
(11
Sur Théagène et ses successeurs, cf. Bergk, Griech. Litt-Gesch., I 264 et 891. L'apologie de Théagène est mentionnée dans une scolie à Iliade, XX 67. Ce personnage, dont l'acmé (ou la naissance : gegonÅw!) est placée par Tatien, adv. Graec., c. 48, à l'époque de Cambyse, c.-à.-d. entre 529 et 522, était par conséquent aussi près de Xénophane au point de vue du temps qu'à celui de l'espace. Nous avons déjà parlé de la part de Démocrite à l'interprétation allégorique ; quant à celle d'Anaxagore, elle est attestée par une tradition dont Diog. Laërce (II 11) s'est fait l'écho, et que l'on a suspectée sans aucune raison.
(12
Dans ce chapitre et dans le suivant, j'ai reproduit quelques parties d'un ancien essai : Die griechischen Sophisten (Deutsche Jahrb., f. Politik u. Litteratur, avril 1863), en partie telles quelles, en partie avec des adjonctions ou des corrections.  
(13
Au sujet de l'invasion des cultes étrangers, cf. M. Clerc, les Métèques Athéniens, Paris 1893, 118 sq. Sur l'affection des Athéniens pour les étrangers et pour leurs dieux, Strabon, X 3, 18, p. 471. Cf. Foucart, Les associations religieuses chez les Grecs, Paris 1873, p. 57.  
(14
La question de savoir quand s'est exercée l'activité de Charondas a été étudiée récemment par Busolt, Griech. Gesch., 1279, note 1, qui n'est malheureusement pas arrivé à une solution définitive. Aristote parle de Charondas, Polit., II 12. Au sujet de sa loi sur la tutelle, cf. Diodore, XII 15. 
(15
Sur l'art de la Cuisine, de Mithaikos, voir Platon, Gorgias, 518 c. Athénée, I p. 5 b, nous a conservé quelques passages d'un traité versifié de Philoxène de Leucade sur cet art. Les livres de Démocrite Sur la Tactique et le Maniement des Armes sont mentionnés dans le catalogue de ses ouvrages, Diog. Laërce, IX 48; au même endroit sont cités ses écrits Sur la Peinture et l'Agriculture. (Les doutes de Gemoll sur l'authenticité de ce dernier ouvrage, Untersuchungen über die Quellen... der Geoponica, Berlin 1883, p. 125, me paraissent tout à fait sans fondement.) La Diététique d'Hérodikos de Sélymbria est mentionnée à plusieurs reprises par Platon, dans les traités hippocratiques, dans Galien. etc., et enfin dans le papyrus de Londres. Xénophon parle de Simon comme d'un prédécesseur dans son petit ouvrage perÜ ßppik°w. Un fragment étendu en a été étudié par W. Oder dans le Rhein. Mus., 51, p. 67-69. Lasos d'Hermione, qui vivait à la cour des Pisistratides, est nommé par Suidas comme le plus ancien théoricien de la musique. Il me paraît hors de doute, surtout d'après les citations de Philodème (cf. mon essai Zu Philodems Büchern von der Musik, Vienne 1885, 10) que Damon, dont la personnalité et la signification sont généralement connues, a également écrit sur la musique. La réserve de Bücheler (Rhein. Mus., XL 309 sq.) ne peut guère être maintenue en présence de ces passages. Il sera question plus loin d'Hippias. Au sujet du peintre Agatharchos, qui a écrit sur la décoration scénique, cf. la préface de Vitruve à son 1. VII (où il est aussi question d'Anaxagore). Sophocle a perfectionné la technique de la scène, et écrit dans tous les cas sur le choeur (Suidas s. v.). Au sujet du Canon de Polyclète, cf. Galien, de Hippocr. et Plat. placitis, V 458 Kühn ; un petit fragment en a été conservé par Philon, Mechanic. syntaxis, éd. Schône, IV 50, 5 sq. Une bibliothèque sur l'art de la divination, assez considérable à ce qu'il semble, est mentionnée par l'orateur Isocrate, Orat., 19, 5. Aristote traite d'Hippodamos de Milet, Pol., II 8. Aux écrits spéciaux appartiennent aussi les manuels de mathématiques, d'astronomie et de rhétorique, dont il n'est pas fait ici de mention particulière. 
(16
Voir le frg. 6 de Moschion dans Nauck, Trag. graec. Fragm., 2e éd., p. 812. Le grand fragment du Sisyphe de Kritias se trouve dans le même ouvrage, p. 771. L'écrit de Protagoras Sur l'Etat primitif est mentionné par Diog. Laërce IX 55. L'imitation de Platon se trouve dans son Protagoras, 320 c sq. 
(17
Voir l'introduction à la traduction allemande du Troisième Voyage de Cook, V 67 sq. de l'éd. de Gervinus. 
(18
Traités de Locke On civil government, dans le quatrième vol. de ses Œuvres complètes. Passages essentiels, pp. 398, 400, 405. A page 398, cette remarquable déclaration : « So at best an argument from what has been to what should of right be has no great force ».
(19
Le Defensor pacis, de Marsilius de Padoue, a été publié en manuscrit en 1346; mais ce livre a été néanmoins terminé avant le 11 juillet 1324; cf. O. Lorenz, Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter, 3e éd., II 349. On lit au ch. XII cette phrase mémorable : « Convenerunt enim homines ad civilem communionem propter commodum et vitae sufficientiam consequendam et opposita declinandum ». Et cette autre encore : « Quia... nemo sibi scienter nocet aut vult iniustum, ideoque volunt omnes aut plurimi legem convenientem communi civium conferenti » (ce dernier mot dans le sens du grec sumf¡ron = utilité). - Sur les anciennes formes médiévales de la doctrine du contrat social, cf. H. v. Eicken, Gesch. und System d. mittelalterl. Weltanschauung, 356 sq. - Fréd. Gentz écrivait encore : « Le contrat social est la base de la science politique générale » (cf. John Austin, The province of jurisprudence, 2e éd., I 310), mais il ajoutait à sa phrase ce correctif : « Le contrat originel n'a... nulle part été réellement conclu'». (Bieter's Berlin. Monatsschrift 1793, p. 537.) On peut considérer comme dernier représentant de la théorie du contrat originel - déjà fortement modifiée - Karl Welcker, mort en 1869; cf. Bluntschli, Gesch. d. allg. Staatsrechts, p. 538.
(20
Platon, Rép., II 358 e. - Epicure, dans Diog. Laërce, X 150, et Lucrèce, V 1017 sq. et 1141 sq.
(21) J.- S. Mill, Essays on some unsettled questions on political economy, Londres 1844, p. 157.
(22) Voir Héraclite, frg. 66, Byw. - Les arguments de Démocrite sont cités par Proclus dans son commentaire au Cratyle de Platon, p. 6 de l'éd. de Boissonade..
(23)  Le passage. essentiel d'Epicure se trouve dans Diog. Laërce, X 75 sq. À part Lucrèce, V 1026 sq. Bernays, et Origène, Contra Celsum, p. 18 sq., Spencer, voir surtout maintenant la pierre d'Œnoanda dans le Bull. de Corr. hellénique, 1892, p. 43 sq et 1897, p. 346 sq. 
(24) Darwin, The Expression of the emotions, 258 et 261 sq. 
(25) Cf. outre Diog. Laërce, II ch. 4, Hippolyte, I 9 (Doxogr., 564, 6 sq.).
(26) Euripide, frg. 920 et 168. Alcidamas, Oratores attici (éd. de Zurich), II 154.
(27) Extraits dans Eusèbe, Prep. evang., VI 10. Texte syriaque dans le Spicilegium Syriacum de Cureton. À la même catégorie appartient aussi le fragment publié dans The Flinders Petrie Papyri, I n° 9 (Dublin 1891)
.
(28) Hérodote, III 38. Remarquez aussi le soin avec lequel l'historien fait ressortir jusque dans le plus petit détail le contraste entre les moeurs égyptiennes et les grecques. II 35. Une tendance analogue et fortement marquée caractérise les descriptions d'un voyageur du moyen âge, John de Maundeville.
(29)  Le fragment de Pindare se trouve dans Bergk, Poetae. Lyr. Gr., 4e éd., I 439.   
(30) Cette citation est empruntée à ce que l'on nomme les
Dial¡jeiw. écrites en dialecte dorien (Opusc. moral., colla Orelli II 216= Mullach Fragm. phil. Gr., I 546 b, édités à nouveau par E. Weber dans les Philolog. hist. Beiträge für Curt Wachsmuth, 53 sq.). Cf. à ce sujet Rohde, Kl. Schriften, 1 327 sq., Dümmler, Akademika, 250, ainsi que mes remarques dans la Deutsche Litt. Zeitung, 1889, col. 1340.
(31
Euripide, Ion, 854 sq., et frg. 336. - Hippias, dans Platon, Protag., 337 c.  
(32
Ce que nous avons dit de l'affinité de la doctrine représentée par Calliclès avec des pensées d'Héraclite est appuyé par l'écho direct qui se trouve dans le Gorgias, 490 a : poll‹kiw ra eåw fronÇn murÛvn m¯ fronoæntvn kreÛttvn ¤stÜn, et plus loin : eÞ õ eåw tÇn murÛvn kreÛttvn du frg. 113 d'Héraclite : eåw ¤moÜ mærioi, ¤Œn ristow  , écho qui d'ailleurs n'a pas laissé d'être remarqué déjà dans l'antiquité. Cf. Olympiodori Scholia in Plat. Gorg., p. 267, éd. Jahn, dans Jähns Jahrb., XIV, vol. suppl., Leipz. 1848. Bergk, Gr. Litt. Gesch., IV 447, conjecture que Calliclès est un masque transparent de Chariclès, oligarque bien connu de ce temps-là. Cela n'est guère probable. Cette légère modification de nom n'eût servi à rien, puisque nombre de traits renseignent sur la personnalité de cet homme (voir notamment 487 c), lesquels, s'ils ne s'appliquaient pas à l'original, eussent été de mauvais goût, et, dans le cas contraire, eussent déjoué le dessein de Platon. Calliclès apparaît comme un ennemi des sophistes dans le Gorgias, 520 a, où à cette question; : oékoèn Žkoæeiw toiaèta legñntvn tÇn faskñntvn paideæein ŽnyrÅpouw eÞw Žret®n; il répond : ¦gvge. ŽllŒ tÛ ’n l¡goiw ŽnyrÅpvn p¡ri oédenòw ŽjÛvn; 
(33
Les passages cités du Gorgias se trouvent à 483 e et 492 d. Le mot intercalé entre les deux sur la domination des plus puissants est de Haller, auquel Hegel, dans sa Rechtsphilosophie (Ges. Werke, VIII 317) réplique avec autant de vivacité que d'esprit.  
(34
Nous possédons de Diagoras de Mélos cinq vers empruntés à deux poèmes différents (Philodème de la Piété, p. 85 de mon édition) et de plus (ibid.) le titre d'un troisième poème. Ces vers sont empreints des sentiments les plus pieux, et semblent donner crédit à l'anecdote rapportée par une scolie d'Aristophane (Nuées, 830, Mein.), par Sextus Empiricus (ad. Math., IR 1, 53 = 402, 17 sq. Bekker) et par Suidas, s. v. Diagoras. Celui-ci, devenu victime d'une injustice restée impunie, aurait perdu sa croyance aux dieux et à la Providence. De ses écrits en prose, nous connaissons deux titres, les ŽpopurgÛzontew et les Frægoi lñgoi (Suid., Tatien Or. ad Gr., ch. 27), qui désignent probablement un seul et même ouvrage. Il semble y avoir raillé la foi aux mystères et exposé la doctrine théologique à laquelle on donna plus tard le nom d'évhémérisme. (Pour plus de détails, voir Lobeck, Aglaophamus, 370 sq.). La seule indication chronologique précise à son sujet nous est fournie par Diodore (XIII 6) qui noms dit qu'en 415/4 les Athéniens, vivement excités par le crime des Hermocopides, mirent sa tête à prix. Cela n'est pas contredit par l'allusion renfermée dans le discours du Pseudo-Lysias contre Andocide, lequel, d'après Blass, Att. Beredsamkeit, 2e éd., I p. 562, fut composé en 399. Il est plus difficile de concilier avec cela l'allusion d'Aristophane, Nuées, 830, Mein., d'après laquelle l'impiété du poète était déjà notoire en 423 (ou en 418). Tout à fait déconcertante est l'indication de Suidas, qui place son acmé à la 78me Olympiade, et le fait en même temps tirer de l'esclavage par Démocrite, qui n'était pas encore né à cette date! Eusèbe n'est non plus d'aucun secours, car une fois il met Diagoras au nombre des philosophes-naturalistes, une autre fois, il le met en relation avec le poète lyrique Bacchylide, plaçant son acrnè tantôt à la 75me, tantôt à la 78me Olympiade (Chron., II 102 sq. Schöne). Mentionnons en passant l'anecdote que rapporte Cicéron de Nat. D., III 37, et que Diog. Laërce, VI 59, ne sait s'il doit attribuer à Diagoras ou à Diogène le Cynique. N'oublions pas non plus les amusantes contradictions dans lesquelles s'empêtre Cicéron (loc. cit. comparé avec de N. D., I 1 et I 42). - Cette question de date a été discutée dernièrement par v. Wilamowitz (Textgeschichte der griech. Lyriker, Abbandlungen der Gôttinger Gesellsch. d. Wiss. N. F., IV, 3, 80 sq.).   
(35
Hérodote, I 32. Euripide, frg. 285. En outre, Hérod., III 80 sq.; Euripide, frg. 810; Suppliantes. 911 sq. Nanek et frg. 1027. - Comparaison de la culture de l'esprit avec celle de la terre dans le pseudo-hippocratique Nñmow (IV 640, Littré), et dans Antiphon le Sophiste, frg. 134 Blass. Les dispositions naturelles, l'éducation, la connaissance, l'exercice ont déjà l'air de pièces de monnaie effacées par l'usage dans Thucydide, I 121, 3. Les opinions de Protagoras sur ce sujet nous occuperont plus tard. Culture et dispositions naturelles sont déjà réunies par l'auteur de l'écrit pseudo-hippocratique Sur l'Art (VI 16 L.). Voir en outre Démocrite (?) frgm. mor., 130 et 133, Mullach, que l'on peut rapprocher du frg. trag. adesp., 516, et de Critias, frg., 6, Bergk. Echos de toutes ces discussions dans Isocrate, Orat., 13, 17 sq., et dans Platon, Phèdre, 269 d.  
(36
Phaléas de Chalcédoine : Arist., Polit., II 7. Son époque peut être déterminée approximativement par le fait qu'il était plus jeune qu'Hippodamos (qui prÇtow tÇn m¯ politeuom¡nvn ¤nexeÛrhs¡ ti perÜ politeÛaw eÞpeÝn t°w ŽrÛsthw, loc. cit. c. 8) et qu'il est évidemment plus vieux que Platon. Dans l'analyse que fait Aristote de l'idéal politique d'Hippodamos, je ne puis rapporter qu'aux lois pénales les mots : Õeto d' eàdh kaÜ tÇn nñmvn eänai trÛa monñn: perÜ Ïn gŒr aß dÛkai gÛnontai, trÛa taèt' eänai tòn Žriymñn: ìbrin bl‹bhn y‹naton, non seulement parce que aß dÛkai suggère cette interprétation, et que les trois catégories indiquées ne peuvent servir de base qu'à une division du droit pénal, mais encore parce qu'Hippodamos, bien loin de supprimer ou de limiter les lois en vue du bien public, les a bien plutôt étendues au delà de la mesure habituelle. Et, à part cela, quelle place resterait-il autrement pour les lois constitutionnelles, administratives et civiles ? Aristote emploie également le mot nñmoi dans un sens ainsi limité au passage où il appelle Pittacos et, en termes à peu près pareils, Dracon, auteurs nñmvn Žll' oé politeÛaw (Pol., II 12), Ce que le mot mñnon, dans la citation plus haut, doit exclure, nous ne le savons pas; peut-être ces parties du droit criminel dans lesquelles les victimes - ou encore les coupables - ne sont pas des êtres humains ?  
(37)  
Dans les Grenouilles, v. 892 sq., Meineke :
aÞy¯r ¤mòn bñskhma kaÜ glÅsshw strñfigj
kaÜ jænesi kaÜ mukt°rew ôsfrant®rioi,