Voyage du jeune Anacharsis en Grèce,
de l'abbé Barthélemy (1788).
CHAPITRE 34
Voyage de Béotie ; l’antre de Trophonius, Hésiode, Pindare.
On voyage avec
beaucoup de sûreté dans toute la Grèce ; on trouve des auberges dans les
principales villes, et sur les grandes routes : mais on y est rançonné sans
pudeur. Comme le pays est presque partout couvert de montagnes et de collines,
on ne se sert de voitures que pour les petits trajets ; encore est-on souvent
obligé d’employer l’enrayure. Il faut préférer les mulets pour les
voyages de long cours, et mener avec soi quelques esclaves, pour porter le
bagage.
Outre que les Grecs s’empressent d’accueillir les étrangers, on trouve dans
les principales villes des proxènes chargés de ce soin : tantôt ce sont des
particuliers en liaison de commerce ou d’hospitalité avec des particuliers d’une
autre ville ; tantôt ils ont un caractère public, et sont reconnus pour les
agents d’une ville ou d’une nation qui, par un décret solennel, les a
choisis avec l’agrément du peuple auquel ils appartiennent ; enfin, il en est
qui gèrent à-la-fois les affaires d’une ville étrangère et de quelques-uns
de ses citoyens.
Le proxène d’une ville en loge les députés ; il les accompagne par-tout, et
se sert de son crédit pour assurer le succès de leurs négociations ; il
procure à ceux de ses habitants qui voyagent, les agréments qui dépendent de
lui. Nous éprouvâmes ces secours dans plusieurs villes de la Grèce. En
quelques endroits, de simples citoyens prévenaient d’eux-mêmes nos désirs,
dans l’espérance d’obtenir la bienveillance des Athéniens, dont ils
désiraient d’être les agents ; et de jouir, s’ils venaient à Athènes,
des prérogatives attachées à ce titre, telles que la permission d’assister
à l’assemblée générale, et la préséance dans les cérémonies
religieuses, ainsi que dans les jeux publics. Nous partîmes d’Athènes dans
les premiers jours du mois munychion, la 3e année de la 105e
olympiade (1). Nous arrivâmes le soir même à Orope
par un chemin assez rude, mais ombragé en quelques endroits de bois de
lauriers. Cette ville, située sur les confins de la Béotie et de l’Attique,
est éloignée de la mer d’environ 20 stades (2).
Les droits d’entrée s’y perçoivent avec une rigueur extrême, et s’étendent
jusqu’aux provisions que consomment les habitants, dont la plupart sont d’un
difficile abord et d’une avarice sordide.
Près de la ville, dans un endroit embelli par des sources d’une eau pure, est
le temple d’Amphiaraüs. Il fut un des chefs de la guerre de Thèbes, et comme
il y faisait les fonctions de devin, on supposa qu’il rendait des oracles
après sa mort. Ceux qui viennent implorer ses lumières, doivent s’abstenir
de vin pendant trois jours, et de toute nourriture pendant 24 heures. Ils
immolent ensuite un bélier auprès de sa statue, en étendent la peau sur le
parvis, et s’endorment dessus. Le dieu, à ce qu’on prétend, leur apparaît
en songe, et répond à leurs questions. On cite quantité de prodiges opérés
dans ce temple : mais les Béotiens ajoutent tant de foi aux oracles, qu’on ne
peut pas s’en rapporter à ce qu’ils en disent.
À la distance de 30 stades (3), on trouve, sur une
hauteur, la ville de Tanagra, dont les maisons ont assez d’apparence. La
plupart sont ornées de peintures encaustiques et de vestibules. Le territoire
de cette ville, arrosé par une petite rivière nommée Thermodon, est couvert d’oliviers
et d’arbres de différentes sortes. Il produit peu de blé, et le meilleur vin
de la Béotie. Quoique les habitants soient riches, ils ne connaissent ni le
luxe, ni les excès qui en sont la suite. On les accuse d’être envieux : mais
nous n’avons vu chez eux que de la bonne foi, de l’amour pour la justice et
l’hospitalité, de l’empressement à secourir les malheureux que le besoin
oblige d’errer de ville en ville. Ils fuient l’oisiveté, et détestant les
gains illicites, ils vivent contents de leur sort. Il n’y a point d’endroit
en Béotie, où les voyageurs aient moins à craindre les avanies. Je crois
avoir découvert le secret de leurs vertus ; ils préfèrent l’agriculture aux
autres arts.
Ils ont tant de respect pour les dieux, qu’ils ne construisent les temples que
dans des lieux séparés des habitations des mortels. Ils prétendent que
Mercure les délivra une fois de la peste, en portant autour de la ville un
bélier sur ses épaules : ils l’ont représenté sous cette forme dans son
temple, et le jour de sa fête on fait renouveler cette cérémonie par un jeune
homme de la figure la plus distinguée ; car les Grecs sont persuadés que les
hommages que l’on rend aux dieux, leur sont plus agréables quand ils sont
présentés par la jeunesse et la beauté. Corinne était de Tanagra : elle
cultiva la poésie avec succès. Nous vîmes son tombeau dans le lieu le plus
apparent de la ville, et son portrait dans le gymnase. Quand on lit ses
ouvrages, on demande pourquoi, dans les combats de poésie, ils furent si
souvent préférés à ceux de Pindare : mais quand on voit son portrait, on
demande pourquoi ils ne l’ont pas toujours été.
Les Tanagréens, comme les autres peuples de la Grèce, ont une sorte de passion
pour les combats de coqs. Ces animaux sont chez eux d’une grosseur et d’une
beauté singulières ; mais ils semblent moins destinés à perpétuer leur
espèce, qu’à la détruire, car ils ne respirent que la guerre. On en
transporte dans plusieurs villes ; on les fait lutter les uns contre les autres,
et pour rendre leur fureur plus meurtrière, on arme leurs ergots de pointes d’airain.
Nous partîmes de Tanagra, et après avoir fait 200 stades (4),
par un chemin raboteux et difficile, nous arrivâmes à Platée, ville autrefois
puissante, aujourd’hui ensevelie sous ses ruines. Elle était située au pied
du mont Cithéron, dans cette belle plaine qu’arrose l’Asopus, et dans
laquelle Mardonius fut défait à la tête de 300000 perses. Ceux de Platée se
distinguèrent tellement dans cette bataille, que les autres Grecs, autant pour
reconnaître leur valeur que pour éviter toute jalousie, leur en déférèrent
la principale gloire. On institua chez eux des fêtes, pour en perpétuer le
souvenir ; et il fut décidé que tous les ans on y renouvellerait les
cérémonies funèbres en l’honneur des Grecs qui avaient péri dans la
bataille.
De pareilles institutions se sont multipliées parmi les Grecs : ils savent que
les monuments ne suffisent pas pour éterniser les faits éclatants, ou du moins
pour en produire de semblables. Ces monuments périssent, ou sont ignorés, et n’attestent
souvent que le talent de l’artiste, et la vanité de ceux qui les ont fait
construire. Mais des assemblées générales et solennelles, où chaque année
les noms de ceux qui se sont dévoués à la mort, sont récités à haute voix,
où l’éloge de leur vertu est prononcé par des bouches éloquentes, où la
patrie enorgueillie de les avoir produits, va répandre des larmes sur leurs
tombeaux ; voilà le plus digne hommage qu’on puisse décerner à la valeur ;
et voici l’ordre qu’observaient les Platéens en le renouvelant. À la
pointe du jour, un trompette sonnant la charge, ouvrait la marche : on voyait
paraître successivement plusieurs chars remplis de couronnes et de branches de
myrte ; un taureau noir, suivi de jeunes gens qui portaient dans des vases du
lait, du vin et différentes sortes de parfums ; enfin, le premier magistrat des
Platéens, vêtu d’une robe teinte en pourpre, tenant un vase d’une main, et
une épée de l’autre. La pompe traversait la ville, et parvenue au champ de
bataille, le magistrat puisait de l’eau dans une fontaine voisine, lavait les
cippes ou colonnes élevées sur les tombeaux, les arrosait d’essences,
sacrifiait le taureau ; et après avoir adressé des prières à Jupiter et à
Mercure, il invitait aux libations les ombres des guerriers qui étaient morts
dans le combat ; ensuite il remplissait de vin une coupe ; il en répandait une
partie, et disait à haute voix : « Je bois à ces vaillants hommes qui sont
morts pour la liberté de la Grèce. » Depuis la bataille de Platée, les
habitants de cette ville s’unirent aux Athéniens, et secouèrent le joug des
Thébains qui se regardaient comme leurs fondateurs, et qui, dès ce moment,
devinrent pour eux des ennemis implacables. Leur haine fut portée si loin, que
s’étant joints aux Lacédémoniens pendant la guerre du Péloponnèse, ils
attaquèrent la ville de Platée, et la détruisirent entièrement. Elle se
repeupla bientôt après ; et comme elle était toujours attachée aux
Athéniens, les Thébains la reprirent, et la détruisirent de nouveau, il y a
17 ans. Il n’y reste plus aujourd’hui que les temples respectés par les
vainqueurs, quelques maisons et une grande hôtellerie pour ceux qui viennent en
ces lieux offrir des sacrifices. C’est un bâtiment qui a 200 pieds de long
sur autant de large, avec quantité d’appartements au rez-de-chaussée et au
premier étage. Nous vîmes le temple de Minerve construit des dépouilles des
perses, enlevées à Marathon. Polygnote y représenta le retour d’Ulysse dans
ses états, et le massacre qu’il fit des amans de Pénélope. Onatas y peignit
la première expédition des Argiens contre Thèbes. Ces peintures conservent
encore toute leur fraîcheur. La statue de la déesse est de la main de Phidias,
et d’une grandeur extraordinaire : elle est de bois doré ; mais le visage,
les mains et les pieds sont de marbre. Nous vîmes dans le temple de Diane, le
tombeau d’un citoyen de Platée, nommé Euchidas. On nous dit à cette
occasion, qu’après la défaite des Perses, l’oracle avait ordonné aux
Grecs d’éteindre le feu dont ils se servaient parce qu’il avait été
souillé par les barbares, et de venir prendre à Delphes celui dont ils
useraient désormais pour leurs sacrifices. En conséquence, tous les feux de la
contrée furent éteints ; Euchidas partit aussitôt pour Delphes ; il prit du
feu sur l’autel, et étant revenu le même jour à Platée, avant le coucher
du soleil, il expira quelques moments après ; il avait fait mille stades à
pied (5). Cette extrême diligence
étonnera sans doute ceux qui ne savent pas que les Grecs s’exercent
singulièrement à la course, et que la plupart des villes entretiennent des
coureurs, accoutumés à parcourir dans un jour des espaces immenses.
Nous passâmes ensuite par la bourgade de Leuctres et la ville de Thespies, qui
devront leur célébrité à de grands désastres. Auprès de la première s’était
donnée, quelques années auparavant, cette bataille sanglante qui renversa la
puissance de Lacédémone : la seconde fut détruite, ainsi que Platée, dans
les dernières guerres. Les thébains n’y respectèrent que les monuments
sacrés ; deux entre autres fixèrent notre attention. Le temple d’Hercule est
desservi par une prêtresse, obligée de garder le célibat pendant toute sa vie
; et la statue de ce Cupidon, que l’on confond quelquefois avec l’amour, n’est
qu’une pierre informe, et telle qu’on la tire de la carrière ; car c’est
ainsi qu’anciennement on représentait les objets du culte public.
Nous allâmes coucher dans un lieu nommé Ascra, distant de Thespies d’environ
40 stades (6) : c’est un hameau dont le séjour est
insupportable en été et en hiver ; mais c’est la patrie d’Hésiode. Le
lendemain, un sentier étroit nous conduisit au bois sacré des muses : nous
nous arrêtâmes, en y montant, sur les bords de la fontaine d’Aganippe,
ensuite auprès de la statue de Linus, l’un des plus anciens poètes de la
Grèce : elle est placée dans une grotte, comme dans un petit temple. à
droite, à gauche, nos regards parcouraient avec plaisir les nombreuses demeures
que les habitants de la campagne se sont construites sur ces hauteurs.
Bientôt pénétrant dans de belles allées, nous nous crûmes transportés à
la cour brillante des muses : c’est là en effet que leur pouvoir et leur
influence s’annoncent d’une manière éclatante par les monuments qui parent
ces lieux solitaires, et semblent les animer. Leurs statues, exécutées par
différents artistes, s’offrent souvent aux yeux du spectateur. Ici, Apollon
et Mercure se disputent une lyre ; là, respirent encore des poètes et des
musiciens célèbres, Thamyris, Arion, Hésiode et Orphée autour duquel sont
plusieurs figures d’animaux sauvages, attirés par la douceur de sa voix.
De toutes parts s’élèvent quantité de trépieds de bronze, noble
récompense des talents couronnés dans les combats de poésie et de musique. Ce
sont les vainqueurs eux-mêmes qui les ont consacrés en ces lieux. On y
distingue celui qu’Hésiode avait remporté à Chalcis en Eubée. Autrefois
les Thespiens y venaient tous les ans distribuer de ces sortes de prix, et
célébrer des fêtes en l’honneur des muses et de l’amour.
Au dessus du bois coulent, entre des bords fleuris, une petite rivière nommée
Permesse, la fontaine d’Hippocrène, et celle de Narcisse où l’on prétend
que ce jeune homme expira d’amour, en s’obstinant à contempler son image
dans les eaux tranquilles de cette source.
Nous étions alors sur l’Hélicon, sur cette montagne si renommée pour la
pureté de l’air, l’abondance des eaux, la fertilité des vallées, la
fraîcheur des ombrages et la beauté des arbres antiques dont elle est
couverte. Les paysans des environs nous assuraient que les plantes y sont
tellement salutaires, qu’après s’en être nourris, les serpents n’ont
plus de venin. Ils trouvaient une douceur exquise dans le fruit de leurs arbres,
et surtout dans celui de l’andrachné.
Les muses règnent sur l’Hélicon. Leur histoire ne présente que des
traditions absurdes : mais leurs noms indiquent leur origine. Il paraît en
effet que les premiers poètes, frappés des beautés de la nature, se
laissèrent aller au besoin d’invoquer les nymphes des bois, des montagnes,
des fontaines, et que cédant au goût de l’allégorie, alors généralement
répandu, ils les désignèrent par des noms relatifs à l’influence qu’elles
pouvaient avoir sur les productions de l’esprit. Ils ne reconnurent d’abord
que trois muses, Mélèté, Mnèmé, Aoedé : c’est-à-dire, la méditation,
ou la réflexion qu’on doit apporter au travail ; la mémoire qui éternise
les faits éclatants ; et le chant qui en accompagne le récit. À mesure que l’art
des vers fit des progrès, on en personnifia les caractères et les effets. Le
nombre des muses s’accrut, et les noms qu’elles reçurent alors se
rapportèrent aux charmes de la poésie, à son origine céleste, à la beauté
de son langage, aux plaisirs et à la gaîté qu’elle procure, aux chants et
à la danse qui relèvent son éclat, à la gloire dont elle est couronnée (7).
Dans la suite, on leur associa les grâces qui doivent embellir la poésie, et l’amour
qui en est si souvent l’objet.
Ces idées naquirent dans un pays barbare, dans la Thrace, où, au milieu de l’ignorance,
parurent tout-à-coup Orphée, Linus, et leurs disciples. Les muses y furent
honorées sur les monts de la Piérie ; et de là étendant leurs conquêtes,
elles s’établirent successivement sur le Pinde, le Parnasse, l’Hélicon,
dans tous les lieux solitaires où les peintres de la nature, entourés des plus
riantes images, éprouvent la chaleur de l’inspiration divine. Nous quittâmes
ces retraites délicieuses, et nous nous rendîmes à Lébadée, située au pied
d’une montagne, d’où sort la petite rivière d’Hercyne, qui forme, dans
sa chute, des cascades sans nombre. La ville présente de tous côtés des
monuments de la magnificence et du goût des habitants. Nous nous en occupâmes
avec plaisir ; mais nous étions encore plus empressés de voir l’antre de
Trophonius, un des plus célèbres oracles de la Grèce ; une indiscrétion de
Philotas nous empêcha d’y descendre. Un soir que nous soupions chez un des
principaux de la ville, la conversation roula sur les merveilles opérées dans
cette caverne mystérieuse. Philotas témoigna quelques doutes, et observa que
ces faits surprenants n’étaient pour l’ordinaire que des effets naturels. J’étais
une fois dans un temple, ajouta-t-il ; la statue du dieu paraissait couverte de
sueur : le peuple criait au prodige : mais j’appris ensuite qu’elle était
faite d’un bois qui avait la propriété de suer par intervalles. à peine
eut-il proféré ces mots, que nous vîmes un de nos convives pâlir, et sortir
quelques moments après : c’était un des prêtres de Trophonius. On nous
conseilla de ne point nous exposer à sa vengeance, en nous enfonçant dans un
souterrain dont les détours n’étaient connus que de
ces ministres (8).
Quelques jours après on nous avertit qu’un Thébain allait dscendre dans la
caverne ; nous prîmes le chemin de la montagne, accompagnés de quelques amis,
et à la suite d’un grand nombre d’habitants de Lébadée. Nous parvînmes
bientôt au temple de Trophonius, placé au milieu d’un bois qui lui est
également consacré. Sa statue qui le représente sous les traits d’Esculape,
est de la main de Praxitèle. Trophonius était un architecte qui, conjointement
avec son frère Agamède, construisit le temple de Delphes. Les uns disent qu’ils
y pratiquèrent une issue secrète, pour voler pendant la nuit les trésors qu’on
y déposait, et qu’Agamède ayant été pris dans un piège tendu à dessein,
Trophonius, pour écarter tout soupçon, lui coupa la tête, et fut quelque
temps après englouti dans la terre entr’ouverte sous ses pas. D’autres
soutiennent que les deux frères ayant achevé le temple, supplièrent Apollon
de leur accorder une récompense ; que le dieu leur répondit qu’ils la
recevraient sept jours après ; et que le septième jour étant passé, ils
trouvèrent la mort dans un sommeil paisible. On ne varie pas moins sur les
raisons qui ont mérité les honneurs divins à Trophonius : presque tous les
objets du culte des Grecs ont des origines qu’il est impossible d’approfondir,
et inutile de discuter. Le chemin qui conduit de Lébadée à l’antre de
Trophonius, est entouré de temples et de statues. Cet antre, creusé un peu au
dessus du bois sacré, offre d’abord aux yeux une espèce de vestibule
entouré d’une balustrade de marbre blanc, sur laquelle s’élèvent des
obélisques de bronze. De là on entre dans une grotte taillée à la pointe du
marteau, haute de huit coudées, large de quatre (9).
C’est là que se trouve la bouche de l’antre ; on y descend par le moyen d’une
échelle ; et parvenu à une certaine profondeur, on ne trouve plus qu’une
ouverture extrêmement étroite : il faut y passer les pieds, et quand, avec
bien de la peine, on a introduit le reste du corps, on se sent entraîner avec
la rapidité d’un torrent, jusqu’au fond du souterrain. Est-il question d’en
sortir ? On est relancé la tête en bas, avec la même force et la même
vitesse. Des compositions de miel qu’on est obligé de tenir, ne permettent
pas de porter la main sur les ressorts employés pour accélérer la descente ou
le retour : mais pour écarter tout soupçon de supercherie, les prêtres
supposent que l’antre est rempli de serpents, et qu’on se garantit de leurs
morsures, en leur jetant ces gâteaux de miel.
On ne doit s’engager dans la caverne que pendant la nuit, qu’après de
longues préparations, qu’à la suite d’un examen rigoureux. Tersidas, c’est
le nom du Thébain qui venait consulter l’oracle, avait passé quelques jours
dans une chapelle consacrée à la fortune et au bon génie, faisant usage de
bains froids, s’abstenant de vin et de toutes les choses condamnées par le
rituel, se nourrissant des victimes qu’il avait offertes lui-même.
À l’entrée de la nuit on sacrifia un bélier, et les devins en ayant
examiné les entrailles, comme ils avaient fait dans les sacrifices
précédents, déclarèrent que Trophonius agréait l’hommage de Tersidas, et
répondrait à ses questions. On le mena sur les bords de la rivière d’Hercyne,
où deux jeunes enfants âgés de 13 ans, le frottèrent d’huile, et firent
sur lui diverses ablutions ; de là il fut conduit à deux sources voisines,
dont l’une s’appelle la fontaine de Léthé, et l’autre la fontaine de
Mnémosyne : la première efface le souvenir du passé, la seconde grave dans l’esprit
ce qu’on vdroit ou ce qu’on entend dans la caverne. On l’introduisit
ensuite tout seul, dans une chapelle où se trouve une ancienne statue de
Trophonius. Tersidas lui adressa ses prières, et s’avança vers la caverne,
vêtu d’une robe de lin. Nous le suivîmes à la faible lueur des flambeaux
qui le précédaient : il entra dans la grotte, et disparut à nos yeux.
En attendant son retour, nous étions attentifs aux propos des autres
spectateurs : il s’en trouvait plusieurs qui avaient été dans le souterrain
; les uns disaient qu’ils n’avaient rien vu, mais que l’oracle leur avait
donné sa réponse de vive voix : d’autres au contraire n’avaient rien
entendu, mais avaient eu des apparitions propres à éclaircir leurs doutes. Un
citoyen de Lébadée, petit-fils de Timarque disciple de Socrate, nous raconta
ce qui était arrivé à son aïeul : il le tenait du philosophe Cébès de
Thèbes, qui le lui avait rapporté presque dans les mêmes termes dont Timarque
s’était servi. J’étais venu, disait Timarque, demander à l’oracle ce qu’il
fallait penser du génie de Socrate. Je ne trouvai d’abord dans la caverne qu’une
obscurité profonde. Je restai longtemps couché par terre, adressant mes
prières à Trophonius, sans savoir si je dormais ou si je veillais :
tout-à-coup j’entendis des sons agréables, mais qui n’étaient point
articulés, et je vis une infinité de grandes îles éclairées par une
lumière douce ; elles changeaient à tout moment de place et de couleur,
tournant sur elles-mêmes, et flottant sur une mer, aux extrémités de laquelle
se précipitaient deux torrents de feu. Près de moi s’ouvrait un abîme
immense, où des vapeurs épaisses semblaient bouillonner, et du fond de ce
gouffre s’élevaient des mugissements d’animaux, confusément mêlés avec
des cris d’enfants, et des gémissements d’hommes et de femmes.
Pendant que tous ces sujets de terreur remplissaient mon âme d’épouvante,
une voix inconnue me dit d’un ton lugubre : Timarque, que veux-tu savoir ? Je
répondis presque au hasard : tout ; car tout ici me paraît admirable. La voix
reprit : les îles que tu vois au loin sont les régions supérieures : elles
obéissent à d’autres dieux ; mais tu peux parcourir l’empire de Proserpine
que nous gouvernons, et qui est séparé de ces régions par le Styx. Je
demandai ce que c’était que le Styx. La voix répondit : c’est le chemin
qui conduit aux enfers, et la ligne qui sépare les ténèbres de la lumière.
Alors elle expliqua la génération et les révolutions des âmes : celles qui
sont souillées de crimes, ajouta-t-elle, tombent, comme tu vois, dans le
gouffre, et vont se préparer à une nouvelle naissance. Je ne vois, lui dis-je,
que des étoiles qui s’agitent sur les bords de l’abîme ; les unes y
descendent, les autres en sortent. Ces étoiles, reprit la voix, sont les âmes
dont on peut distinguer trois espèces ; celles qui s’étant plongées dans
les voluptés, ont laissé éteindre leurs lumières naturelles ; celles qui
ayant alternativement lutté contre les passions et contre la raison, ne sont ni
tout-à-fait pures, ni tout-à-fait corrompues ; celles qui n’ayant pris que
la raison pour guide, ont conservé tous les traits de leur origine. Tu vois les
premières dans ces étoiles qui te paraissent éteintes, les secondes dans
celles dont l’éclat est terni par des vapeurs qu’elles semblent secouer,
les troisièmes dans celles qui, brillant d’une vive lumière, s’élèvent
au dessus des autres. Ces dernières sont les génies ; ils animent ces heureux
mortels qui ont un commerce intime avec les dieux. Après avoir un peu plus
étendu ces idées, la voix me dit : jeune homme, tu connaîtras mieux cette
doctrine dans trois mois ; tu peux maintenant partir. Alors elle se tut : je
voulus me tourner pour voir d’où elle venait, mais je me sentis à l’instant
une très grande douleur à la tête, comme si on me la comprimait avec violence
: je m’évanouis, et quand je commençai à me reconnaître, je me trouvai
hors de la caverne. Tel était le récit de Timarque. Son petit-fils ajouta que
son aïeul, de retour à Athènes, mourut trois mois après, comme l’oracle le
lui avait prédit. Nous passâmes la nuit et une partie du jour suivant à
entendre de pareils récits : en les combinant, il nous fut aisé de voir que
les ministres du temple s’introduisaient dans la caverne par des routes
secrètes, et qu’ils joignaient la violence aux prestiges, pour troubler l’imagination
de ceux qui venaient consulter l’oracle.
Ils restent dans la caverne plus ou moins de temps : il en est qui n’en
reviennent qu’après y avoir passé deux nuits et un jour. Il était midi ;
Tersidas ne paraissait pas, et nous errions autour de la grotte. Une heure
après, nous vîmes la foule courir en tumulte vers la balustrade : nous la
suivîmes, et nous aperçûmes ce Thébain que des prêtres soutenaient et
faisaient asseoir sur un siège, qu’on nomme le siége de Mnémosyne ; c’était
là qu’il devait dire ce qu’il avait vu, ce qu’il avait entendu dans le
souterrain. Il était saisi d’effroi ; ses yeux éteints ne reconnaissaient
personne : après avoir recueilli de sa bouche quelques paroles entrecoupées,
qu’on regarda comme la réponse de l’oracle, ses gens le conduisirent dans
la chapelle du bon génie et de la fortune. Il y reprit insensiblement ses
esprits ; mais il ne lui resta que des traces confuses de son séjour dans la
caverne, et peut-être qu’une impression terrible du saisissement qu’il
avait éprouvé ; car on ne consulte pas cet oracle impunément. La plupart de
ceux qui reviennent de la caverne, conservent toute leur vie un fond de
tristesse que rien ne peut surmonter, et qui a donné lieu à un proverbe ; on
dit d’un homme excessivement triste : il vient de l’antre de Trophonius.
Parmi ce grand nombre d’oracles qu’on trouve en Béotie, il n’en est point
où la fourberie soit plus grossière et plus à découvert ; aussi n’en
est-il point qui soit plus fréquenté.
Nous descendîmes de la montagne, et quelques jours après nous prîmes le
chemin de Thèbes : nous passâmes par Chéronée, dont les habitants ont pour
objet principal de leur culte, le sceptre que Vulcain fabriqua par ordre de
Jupiter, et qui de Pélops passa successivement entre les mains d’Atrée, de
Thyeste et d’Agamemnon. Il n’est point adoré dans un temple, mais dans la
maison d’un prêtre : tous les jours on lui fait des sacrifices, et on lui
entretient une table bien servie.
De Chéronée nous nous rendîmes à Thèbes, après avoir traversé des bois,
des collines, des campagnes fertiles, et plusieurs petites rivières. Cette
ville, une des plus considérables de la Grèce, est entourée de murs, et
défendue par des tours. On y entre par sept portes : son enceinte (10)
est de 43 stades (11). La citadelle est placée sur
une éminence, où s’établirent les premiers habitants de Thèbes, et d’où
sort une source, que, dès les plus anciens temps, on a conduite dans la ville
par des canaux souterrains.
Ses dehors sont embellis par deux rivières, des prairies et des jardins : ses
rues, comme celles de toutes les villes anciennes, manquent d’alignement.
Parmi les magnificences qui décorent les édifices publics, on trouve des
statues de la plus grande beauté ; j’admirai dans le temple d’Hercule la
figure colossale de ce dieu, faite par Alcamène, et ses travaux exécutés par
Praxitèle ; dans celui d’Apollon Isménien, le Mercure de Phidias, et la
Minerve de Scopas. Comme quelques-uns de ces monuments furent érigés pour d’illustres
Thébains, je cherchai la statue de Pindare. On me répondit : nous ne l’avons
pas, mais voilà celle de Cléon, qui fut le plus habile chanteur de son
siècle. Je m’en approchai, et je lus dans l’inscription, que Cléon avait
illustré sa patrie. Dans le temple d’Apollon Isménien, parmi quantité de
trépieds en bronze, la plupart d’un travail excellent, on en voit un en or
qui fut donné par Croesus, roi de Lydie. Ces trépieds sont des offrandes de la
part des peuples et des particuliers : on y brûle des parfums ; et comme ils
sont d’une forme agréable, ils servent d’ornements dans les temples.
On trouve ici, de même que dans la plupart des villes de la Grèce, un
théâtre, un gymnase ou lieu d’exercice pour la jeunesse, et une grande place
publique : elle est entourée de temples et de plusieurs autres édifices dont
les murs sont couverts des armes que les thébains enlevèrent aux Athéniens à
la bataille de Délium : du reste de ces glorieuses dépouilles, ils
construisirent dans le même endroit un superbe portique, décoré par quantité
de statues de bronze.
La ville est très peuplée (12); ses habitants
sont, comme ceux d’Athènes, divisés en trois classes : la première comprend
les citoyens ; la seconde, les étrangers régnicoles ; la troisième, les
esclaves. Deux partis, animés l’un contre l’autre, ont souvent occasionné
des révolutions dans le gouvernement. Les uns, d’intelligence avec les
lacédémoniens, étaient pour l’oligarchie ; les autres, favorisés par les
Athéniens, tenaient pour la démocratie. Ces derniers ont prévalu depuis
quelques années, et l’autorité réside absolument entre les mains du peuple.
Thèbes est non seulement le boulevard de la Béotie, mais on peut dire encore
qu’elle en est la capitale. Elle se trouve à la tête d’une grande
confédération, composée des principales villes de la Béotie. Toutes ont le
droit d’envoyer des députés à la diète, où sont réglées les affaires de
la nation, après avoir été discutées dans quatre conseils différents. Onze
chefs, connus sous le nom de béotarques, y président ; elle leur accorde
elle-même le pouvoir dont ils jouïssent : ils ont une très grande influence
sur les délibérations, et commandent pour l’ordinaire les armées. Un tel
pouvoir serait dangereux, s’il était perpétuel : les béotarques doivent,
sous peine de mort, s’en dépouiller à la fin de l’année, fussent-ils à
la tête d’une armée victorieuse, et sur le point de remporter de plus grands
avantages. Toutes les villes de la Béotie ont des prétentions et des titres
légitimes à l’indépendance ; mais, malgré leurs efforts et ceux des autres
peuples de la Grèce, les Thébains n’ont jamais voulu les laisser jouir d’une
entière liberté. Auprès des villes qu’ils ont fondées, ils font valoir les
droits que les métropoles exercent sur les colonies ; aux autres, ils opposent
la force, qui n’est que trop souvent le premier des titres, ou la possession,
qui est le plus apparent de tous. Ils ont détruit Thespies et Platée, pour s’être
séparées de la ligue béotienne, dont ils règlent à présent toutes les
opérations, et qui peut mettre plus de 20000 hommes sur pied. Cette puissance
est d’autant plus redoutable, que les Béotiens en général sont braves,
aguerris, et fiers des victoires qu’ils ont remportées sous Épaminondas :
ils ont une force de corps surprenante, et l’augmentent sans cesse par les
exercices du gymnase. Le pays qu’ils habitent est plus fertile que l’Attique,
et produit beaucoup de blé d’une excellente qualité. Par l’heureuse
situation de leurs ports, ils sont en état de commercer, d’un côté, avec l’Italie,
la Sicile et l’Afrique ; et de l’autre, avec l’Égypte, l’île de
Chypre, la Macédoine et l’Hellespont.
Outre les fêtes qui leur sont communes, et qui les rassemblent dans les champs
de Coronée, auprès du temple de Minerve, ils en célèbrent fréquemment dans
chaque ville, et les Thébains entre autres en ont institué plusieurs dont j’ai
été témoin : mais je ne ferai mention que d’une cérémonie pratiquée dans
la fête des rameaux de laurier. C’était une pompe ou procession que je vis
arriver au temple d’Apollon Isménien. Le ministre de ce dieu change tous les
ans ; il doit joindre aux avantages de la figure ceux de la jeunesse et de la
naissance. Il paraissait dans cette procession avec une couronne d’or sur la
tête, une branche de laurier à la main, les cheveux flottants sur ses
épaules, et une robe magnifique : il était suivi d’un choeur de jeunes
filles qui tenaient également des rameaux, et qui chantaient des hymnes. Un
jeune homme de ses parents le précédait, portant dans ses mains une longue
branche d’olivier, couverte de fleurs et de feuilles de laurier : elle était
terminée par un globe de bronze qui représentait le soleil. à ce globe, on
avait suspendu plusieurs petites boules de même métal, pour désigner d’autres
astres, et trois cent soixante cinq bandelettes teintes en pourpre, qui
marquaient les jours de l’année ; enfin, la lune était figurée par un globe
moindre que le premier, et placé au dessous. Comme la fête était en l’honneur
d’Apollon ou du soleil, on avait voulu représenter, par un pareil trophée,
la prééminence de cet astre sur tous les autres. Un avantage remporté
autrefois sur les habitants de la ville d’Arné, avait fait établir cette
solennité. Parmi les lois des Thébains, il en est qui méritent d’être
citées. L’une défend d’élever aux magistratures tout citoyen qui, dix ans
auparavant, n’aurait pas renoncé au commerce de détail ; une autre soumet à
l’amende les peintres et les sculpteurs qui ne traitent pas leurs sujets d’une
manière décente ; par une troisième, il est défendu d’exposer les enfants
qui viennent de naître, comme on fait dans quelques autres villes de la Grèce.
Il faut que le père les présente au magistrat, en prouvant qu’il est
lui-même hors d’état de les élever ; le magistrat les donne pour une
légère somme au citoyen qui en veut faire l’acquisition, et qui dans la
suite les met au nombre de ses esclaves. Les Thébains accordent la faculté du
rachat aux captifs que le sort des armes fait tomber entre leurs mains, à moins
que ces captifs ne soient nés en Béotie ; car alors ils les font mourir. L’air
est très pur dans l’Attique, et très épais dans la Béotie, quoique ce
dernier pays ne sait séparé du premier que par le mont Cithéron : cette
différence paraît en produire une semblable dans les esprits, et confirmer les
observations des philosophes sur l’influence du climat ; car les Béotiens n’ont
en général, ni cette pénétration, ni cette vivacité qui caractérisent les
Athéniens, et peut-être faut-il en accuser encore plus l’éducation que la
nature. S’ils paraissent pesants et stupides, c’est qu’ils sont ignorants
et grossiers : comme ils s’occupent plus des exercices du corps que de ceux de
l’esprit, ils n’ont ni le talent de la parole, ni les grâces de l’élocution,
ni les lumières qu’on puise dans le commerce des lettres, ni ces dehors
séduisants qui viennent plus de l’art que de la nature. Cependant il ne faut
pas croire que la Béotie ait été stérile en hommes de génie : plusieurs
Thébains ont fait honneur à l’école de Socrate ; Épaminondas n’était
pas moins distingué par ses connaissances que par ses talents militaires. J’ai
vu dans mon voyage quantité de personnes très instruites, entre autres Anaxis
et Dionysiodore, qui composaient une nouvelle histoire de la Grèce. Enfin, c’est
en Béotie que reçurent le jour Hésiode, Corinne et Pindare.
Hésiode a laissé un nom célèbre et des ouvrages estimés. Comme on l’a
supposé contemporain d’Homère, quelques-uns ont pensé qu’il était son
rival : mais Homère ne pouvait avoir de rivaux. La Théogonie d’Hésiode,
comme celle de plusieurs anciens écrivains de la Grèce, n’est qu’un tissu
d’idées absurdes, ou d’allégories impénétrables. La tradition des
peuples situés auprès de l’Hélicon, rejette les ouvrages qu’on lui
attribue, à l’exception néanmoins d’une épître adressée à son frère
Persès, pour l’exhorter au travail. Il lui cite l’exemple de leur père,
qui pourvut aux besoins de sa famille, en exposant plusieurs fois sa vie sur un
vaisseau marchand, et qui, sur la fin de ses jours, quitta la ville de Cume en
Éolie, et vint s’établir auprès de l’Hélicon. Outre des réflexions
très saines sur les devoirs des hommes, et très affligeantes sur leur
injustice, Hésiode a semé dans cet écrit beaucoup de préceptes relatifs à l’agriculture,
et d’autant plus intéressants, qu’aucun auteur avant lui n’avait traité
de cet art. Il ne voyagea point, et cultiva la poésie jusqu’à une extrême
vieillesse. Son style élégant et harmonieux flatte agréablement l’oreille,
et se ressent de cette simplicité antique, qui n’est autre chose qu’un
rapport exact entre le sujet, les pensées et les expressions.
Hésiode excella dans un genre de poésie qui demande peu d’élévation ;
Pindare, dans celui qui en exige le plus. Ce dernier florissait au temps de l’expédition
de Xerxès, et vécut environ 65 ans. Il prit des leçons de poésie et de
musique sous différents maîtres, et en particulier sous Myrtis, femme
distinguée par ses talents, plus célèbre encore pour avoir compté parmi ses
disciples, Pindare et la belle Corinne. Ces deux élèves furent liés, du moins
par l’amour des arts ; Pindare, plus jeune que Corinne, se faisait un devoir
de la consulter. Ayant appris d’elle que la poésie dpit s’enrichir des
fictions de la fable, il commença ainsi une de ses pièces : « Dois-je chanter
le fleuve Isménus, la nymphe Mélie, Cadmus, Hercule, Bacchus, etc. ? » Tous
ces noms étaient accompagnés d’épithètes. Corinne lui dit en souriant : «
Vous avez pris un sac de grains pour ensemencer une pièce de terre ; et au lieu
de la semer avec la main, vous avez, dès les premiers pas, renversé le sac. »
il s’exerça dans tous les genres de poésie, et dut principalement sa
réputation aux hymnes qu’on lui demandait, soit pour honorer les fêtes des
dieux, soit pour relever le triomphe des vainqueurs aux jeux de la Grèce.
Rien peut-être de si pénible qu’une pareille tâche. Le tribut d’éloges
qu’on exige du poète, doit être prêt au jour indiqué ; il a toujours les
mêmes tableaux à peindre, et sans cesse il risque d’être trop au dessus ou
trop au dessous de son sujet : mais Pindare s’était pénétré d’un
sentiment qui ne connaissait aucun de ces petits obstacles, et qui portait sa
vue au delà des limites où la nôtre se renferme.
Son génie vigoureux et indépendant ne s’annonce que par des mouvements
irréguliers, fiers et impétueux. Les dieux sont-ils l’objet de ses chants ?
Il s’élève, comme un aigle, jusqu’au pied de leurs trônes : si ce sont
les hommes, il se précipite dans la lice comme un coursier fougueux : dans les
cieux, sur la terre, il roule pour ainsi dire, un torrent d’images sublimes,
de métaphores hardies, de pensées fortes, et de maximes étincelantes de
lumière. Pourquoi voit-on quelquefois ce torrent franchir ses bornes, rentrer
dans son lit, en sortir avec plus de fureur, y revenir pour achever paisiblement
sa carrière ? C’est qu’alors semblable à un lion qui s’élance à
plusieurs reprises en des sentiers détournés, et ne se repose qu’après
avoir saisi sa proie, Pindare poursuit avec acharnement un objet qui paraît et
disparaît à ses regards. Il court, il vole sur les traces de la gloire ; il
est tourmenté du besoin de la montrer à sa nation. Quand elle n’éclate pas
assez dans les vainqueurs qu’il célèbre, il va la chercher dans leurs
aïeux, dans leur patrie, dans les instituteurs des jeux, par-tout où il en
reluit des rayons, qu’il a le secret de joindre à ceux dont il couronne ses
héros : à leur aspect, il tombe dans un délire que rien ne peut arrêter ; il
assimile leur éclat à celui de l’astre du jour ; il place l’homme qui les
a recueillis au faîte du bonheur ; si cet homme joint les richesses à la
beauté, il le place sur le trône même de Jupiter ; et pour le prémunir
contre l’orgueil, il se hâte de lui rappeler que revêtu d’un corps mortel,
la terre sera bientôt son dernier vêtement. Un langage si extraordinaire
était conforme à l’esprit du siècle. Les victoires que les Grecs venaient
de remporter sur les Perses, les avaient convaincus de nouveau, que rien n’exalte
plus les âmes, que les témoignages éclatants de l’estime publique. Pindare
profitant de la circonstance, accumulant les expressions les plus énergiques,
les figures les plus brillantes, semblait emprunter la voix du tonnerre, pour
dire aux états de la Grèce : ne laissez point éteindre le feu divin qui
embrase nos coeurs : excitez toutes les espèces d’émulation ; honorez tous
les genres de mérite ; n’attendez que des actes de courage et de grandeur de
celui qui ne vit que pour la gloire. Aux Grecs assemblés dans les champs d’Olympie,
il disait : les voilà ces athlètes qui, pour obtenir en votre présence
quelques feuilles d’olivier, se sont soumis à de si rudes travaux. Que ne
ferez-vous donc pas, quand il s’agira de venger votre patrie ?
Aujourd’hui encore, ceux qui assistent aux brillantes solennités de la Grèce
; qui voient un athlète au moment de son triomphe ; qui le suivent lorsqu’il
rentre dans la ville où il reçut le jour ; qui entendent retentir autour de
lui ces clameurs, ces transports d’admiration et de joie, au milieu desquels
sont mêlés les noms de leurs ancêtres qui méritèrent les mêmes
distinctions, les noms des dieux tutélaires qui ont ménagé une telle victoire
à leur patrie ; tous ceux-là, dis-je, au lieu d’être surpris des écarts et
de l’enthousiasme de Pindare, trouveront sans doute que sa poésie, toute
sublime qu’elle est, ne saurait rendre l’impression qu’ils ont reçue
eux-mêmes.
Pindare, souvent frappé d’un spectacle aussi touchant que magnifique,
partagea l’ivresse générale ; et l’ayant fait passer dans ses tableaux, il
se constitua le panégyriste et le dispensateur de la gloire : par là tous ses
sujets furent ennoblis, et reçurent un caractère de majesté. Il eut à
célébrer des rois illustres et des citoyens obscurs : dans les uns et dans les
autres, ce n’est pas l’homme qu’il envisage, c’est le vainqueur. Sous
prétexte que l’on se dégoûte aisément des éloges dont on n’est pas l’objet,
il ne s’appesantit pas sur les qualités personnelles ; mais comme les vertus
des rois sont des titres de gloire, il les loue du bien qu’ils ont fait, et
leur montre celui qu’ils peuvent faire. « Soyez justes, ajoute-t-il, dans
toutes vos actions, vrais dans toutes vos paroles (13)
; songez que des milliers de témoins ayant les yeux fixés sur vous, la moindre
faute de votre part serait un mal funeste. » C’est ainsi que louait Pindare :
il ne prodiguait point l’encens, et n’accordait pas à tout le monde le
droit d’en offrir. « Les louanges, disait-il, sont le prix des belles actions
: à leur douce rosée, les vertus croissent, comme les plantes à la rosée du
ciel ; mais il n’appartient qu’à l’homme de bien de louer les gens de
bien. » Malgré la profondeur de ses pensées et le désordre apparent de son
style, ses vers dans toutes les occasions enlèvent les suffrages. La multitude
les admire sans les entendre, parce qu’il lui suffit que des images vives
passent rapidement devant ses yeux comme des éclairs, et que des mots pompeux
et bruyants frappent à coups redoublés ses oreilles étonnées : mais les
juges éclairés placeront toujours l’auteur au premier rang des poètes
lyriques ; et déjà les philosophes citent ses maximes, et respectent son
autorité.
Au lieu de détailler les beautés qu’il a semées dans ses ouvrages, je me
suis borné à remonter au noble sentiment qui les anime. Il me sera donc permis
de dire comme lui : « J’avais beaucoup de traits à lancer ; j’ai choisi
celui qui pouvait laisser dans le but une empreinte honorable. »
Il me reste à donner quelques notions sur sa vie et sur son caractère. J’en
ai puisé les principales dans ses écrits, où les Thébains assurent qu’il s’est
peint lui-même. « Il fut un temps, où un vil intérêt ne souillait point le
langage de la poésie. Que d’autres aujourd’hui soient éblouis de l’éclat
de l’or ; qu’ils étendent au loin leurs possessions : je n’attache de
prix aux richesses que lorsque, tempérées et embellies par les vertus, elles
nous mettent en état de nous couvrir d’une gloire immortelle. Mes paroles ne
sont jamais éloignées de ma pensée. J’aime mes amis ; je hais mon ennemi,
mais je ne l’attaque point avec les armes de la calomnie et de la satire. L’envie
n’obtient de moi qu’un mépris qui l’humilie : pour toute vengeance, je l’abandonne
à l’ulcère qui lui ronge le coeur. Jamais les cris impuissants de l’oiseau
timide et jaloux n’arrêteront l’aigle audacieux qui plane dans les airs. Au
milieu du flux et reflux de joies et de douleurs qui roulent sur la tête des
mortels, qui peut se flatter de jouir d’une félicité constante ? J’ai
jeté les yeux autour de moi, et voyant qu’on est plus heureux dans la
médiocrité que dans les autres états, j’ai plaint la destinée des hommes
puissants, et j’ai prié les dieux de ne pas m’accabler sous le poids d’une
telle prospérité : je marche par des voies simples ; content de mon état, et
chéri de mes concitoyens, toute mon ambition est de leur plaire, sans renoncer
au privilège de m’expliquer librement sur les choses honnêtes, et sur celles
qui ne le sont pas. C’est dans ces dispositions que j’approche
tranquillement de la vieillesse ; heureux si, parvenu aux noirs confins de la
vie, je laisse à mes enfants le plus précieux des héritages, celui d’une
bonne renommée ! »
Les voeux de Pindare furent remplis ; il vécut dans le sein du repos et de la
gloire. Il est vrai que les Thébains le condamnèrent à une amende, pour avoir
loué les Athéniens leurs ennemis, et que dans les combats de poésie, les
pièces de Corinne eurent cinq fois la préférence sur les siennes ; mais à
ces orages passagers succédaient bientôt des jours sereins. Les Athéniens et
toutes les nations de la Grèce le comblèrent d’honneurs ; Corinne elle-même
rendit justice à la supériorité de son génie. À Delphes, pendant les jeux
pythiques, forcé de céder à l’empressement d’un nombre infini de
spectateurs, il se plaçait, couronné de lauriers, sur un siège élevé, et
prenant sa lyre, il faisait entendre ces sons ravissants qui excitaient de
toutes parts des cris d’admiration, et faisaient le plus bel ornement des
fêtes. Dès que les sacrifices étaient achevés, le prêtre d’Apollon l’invitait
solennellement au banquet sacré. En effet, par une distinction éclatante et
nouvelle, l’oracle avait ordonné de lui réserver une portion des prémices
que l’on offrait au temple.
Les Béotiens ont beaucoup de goût pour la musique ; presque tous apprennent à
jouer de la flûte. Depuis qu’ils ont gagné la bataille de Leuctres, ils se
livrent avec plus d’ardeur aux plaisirs de la table : ils ont du pain
excellent, beaucoup de légumes et de fruits, du gibier et du poisson en assez
grande quantité pour en transporter à Athènes. L’hiver est très froid dans
toute la Béotie, et presque insupportable à Thèbes ; la neige, le vent et la
disette de bois en rendent alors le séjour aussi affreux qu’il est agréable
en été, soit par la douceur de l’air qu’on y respire, soit par l’extrême
fraîcheur des eaux dont elle abonde, et l’aspect riant des campagnes qui
conservent longtemps leur verdure. Les Thébains sont courageux, insolents,
audacieux et vains : ils passent rapidement de la colère à l’insulte, et du
mépris des lois à l’oubli de l’humanité. Le moindre intérêt donne lieu
à des injustices criantes, et le moindre prétexte à des assassinats. Les
femmes sont grandes, bien faites, blondes pour la plupart : leur démarche est
noble, et leur parure assez élégante. En public, elles couvrent leur visage de
manière à ne laisser voir que les yeux : leurs cheveux sont noués au dessus
de la tête, et leurs pieds comprimés dans des mules teintes en pourpre, et si
petites, qu’ils restent presque entièrement à découvert : leur voix est
infiniment douce et sensible ; celle des hommes est rude, désagréable, et en
quelque façon assortie à leur caractère.
On chercherait en vain les traits de ce caractère dans un corps de jeunes
guerriers, qu’on appelle le bataillon sacré : ils sont au nombre de 300,
élevés en commun, et nourris dans la citadelle aux dépens du public. Les sons
mélodieux d’une flûte dirigent leurs exercices, et jusqu’à leurs
amusements. Pour empêcher que leur valeur ne dégénère en une fureur aveugle,
on imprime dans leurs âmes le sentiment le plus noble et le plus vif.
Il faut que chaque guerrier se choisisse dans le corps un ami auquel il reste
inséparablement attaché. Toute son ambition est de lui plaire, de mériter son
estime, de partager ses plaisirs et ses peines dans le courant de la vie, ses
travaux et ses dangers dans les combats. S’il était capable de ne pas se
respecter assez, il se respecterait dans un ami dont la censure est pour lui le
plus cruel des tourments, dont les éloges sont ses plus chères délices. Cette
union presque surnaturelle, fait préférer la mort à l’infamie, et l’amour
de la gloire à tous les autres intérêts. Un de ces guerriers, dans le fort de
la mêlée, fut renversé le visage contre terre. Comme il vit un soldat ennemi
prêt à lui enfoncer l’épée dans les reins : « Attendez, lui dit-il en se
soulevant, plongez ce fer dans ma poitrine ; mon ami aurait trop à rougir, si l’on
pouvait soupçonner que j’aye reçu la mort en prenant la fuite. » Autrefois
on distribuait par pelotons les 300 guerriers à la tête des différentes
divisions de l’armée. Pélopidas, qui eut souvent l’honneur de les
commander, les ayant fait combattre en corps, les Thébains leur durent presque
tous les avantages qu’ils remportèrent sur les Lacédémoniens. Philippe
détruisit à Chéronée, cette cohorte jusqu’alors invincible ; et ce prince,
en voyant ces jeunes Thébains étendus sur le champ de bataille, couverts de
blessures honorables, et pressés les uns contre les autres dans le même poste
qu’ils avaient occupé, ne put retenir ses larmes, et rendit un témoignage
éclatant à leur vertu, ainsi qu’à leur courage. On a remarqué que les
nations et les villes, ainsi que les familles, ont un vice ou un défaut
dominant, qui, semblable à certaines maladies, se transmet de race en race,
avec plus ou moins d’énergie ; de là ces reproches qu’elles se font
mutuellement, et qui deviennent des espèces de proverbes. Ainsi, les Béotiens
disent communément que l’envie a fixé son séjour à Tanagra, l’amour des
gains illicites à Orope, l’esprit de contradiction à Thespies, la violence
à Thèbes, l’avidité à Anthédon, le faux empressement à Coronée, l’ostentation
à Platée, et la stupidité à Haliarte.
En sortant de Thèbes, nous passâmes auprès d’un assez grand lac, nommé
Hylica, où se jettent les rivières qui arrosent le territoire de cette ville :
de là nous nous rendîmes sur les bords du lac Copaïs, qui fixa toute notre
attention. La Béotie peut être considérée comme un grand bassin entouré de
montagnes, dont les différentes chaînes sont liées par un terrain assez
élevé. D’autres montagnes se prolongent dans l’intérieur du pays ; les
rivières qui en proviennent se réunissent la plupart dans le lac Copaïs, dont
l’enceinte est de 380 stades (14), et qui n’a
et ne peut avoir aucune issue apparente. Il couvrirait donc bientôt la Béotie,
si la nature, ou plutôt l’industrie des hommes, n’avait pratiqué des
routes secrètes pour l’écoulement des eaux.
Dans l’endroit le plus voisin de la mer, le lac se termine en trois baies qui
s’avancent jusqu’au pied du mont Ptoüs, placé entre la mer et le lac. Du
fond de chacune de ces baies partent quantité de canaux qui traversent la
montagne dans toute sa largeur ; les uns ont 30 stades de longueur (15),
les autres beaucoup plus : pour les creuser ou pour les nettoyer, on avait
ouvert, de distance en distance sur la montagne, des puits qui nous parurent d’une
profondeur immense. Quand on est sur les lieux, on est effrayé de la
difficulté de l’entreprise, ainsi que des dépenses qu’elle dut
occasionner, et du temps qu’il fallut pour la terminer. Ce qui surprend
encore, c’est que ces travaux, dont il ne reste aucun souvenir dans l’histoire,
ni dans la tradition, doivent remonter à la plus haute antiquité, et que dans
ces siècles reculés, on ne voit aucune puissance en Béotie, capable de former
et d’exécuter un si grand projet. Quoi qu’il en soit, ces canaux exigent
beaucoup d’entretien. Ils sont fort négligés aujourd’hui (16)
: la plupart sont comblés, et le lac paraît gagner sur la plaine. Il est très
vraisemblable que le déluge, ou plutôt le débordement des eaux, qui du temps
d’Ogygès inonda la Béotie, ne provint que d’un engorgement dans ces
conduits souterrains. Après avoir traversé Oponte et quelques autres villes
qui appartiennent aux locriens, nous arrivâmes au pas des Thermopyles. Un
secret frémissement me saisit à l’entrée de ce fameux défilé, où quatre
mille Grecs arrêtèrent durant plusieurs jours l’armée innombrable des
Perses, et dans lequel périt Léonidas avec les trois cents Spartiates qu’il
commandait. Ce passage est resserré, d’un côté, par de hautes montagnes ;
de l’autre, par la mer : je l’ai décrit dans l’introduction de cet
ouvrage (17). Nous le parcourûmes plusieurs fois ;
nous visitâmes les thermes ou bains chauds qui lui font donner le nom de
Thermopyles ; nous vîmes la petite colline sur laquelle les compagnons de
Léonidas se retirèrent après la mort de ce héros. Nous les suivîmes à l’autre
extrémité du détroit jusqu’à la tente de Xerxès, qu’ils avaient résolu
d’immoler au milieu de son armée.
Une foule de circonstances faisaient naître dans nos âmes les plus fortes
émotions. Cette mer autrefois teinte du sang des nations, ces montagnes dont
les sommets s’élèvent jusqu’aux nues, cette solitude profonde qui nous
environnait, le souvenir de tant d’exploits que l’aspect des lieux semblait
rendre présents à nos regards ; enfin, cet intérêt si vif que l’on prend
à la vertu malheureuse : tout excitait notre admiration ou notre
attendrissement, lorsque nous vîmes auprès de nous les monuments que l’assemblée
des amphictyons fit élever sur la colline dont je viens de parler. Ce sont de
petits cippes en l’honneur des trois cents Spartiates, et des différentes
troupes grecques qui combattirent. Nous approchâmes du premier qui s’offrit
à nos yeux, et nous y lûmes : « C’est ici que quatre mille Grecs du
Péloponnèse ont combattu contre trois millions de Perses. » Nous approchâmes
d’un second, et nous y lûmes ces mots de Simonide : «Passant, vas dire à
Lacédémone que nous reposons ici pour avoir obéi à ses saintes lois. » Avec
quel sentiment de grandeur, avec quelle sublime indifférence a-t-on annoncé de
pareilles choses à la postérité ! Le nom de Léonidas et ceux de ses trois
cents compagnons ne sont point dans cette seconde inscription ; c’est qu’on
n’a pas même soupçonné qu’ils pussent jamais être oubliés. J’ai vu
plusieurs Grecs les réciter de mémoire, et se les transmettre les uns aux
autres. Dans une troisième inscription, pour le devin Mégistias, il est dit
que ce Spartiate, instruit du sort qui l’attendait, avait mieux aimé mourir
que d’abandonner l’armée des Grecs. Auprès de ces monuments funèbres est
un trophée que Xerxès fit élever, et qui honore plus les vaincus que les
vainqueurs.
Voyage de Thessalie ; amphictyons, magiciennes, rois de Phéres, vallée de Tempé.
En sortant des
Thermopyles, on entre dans la Thessalie. Cette contrée, dans laquelle on
comprend la Magnésie et divers autres petits cantons qui ont des dénominations
particulières, est bornée à l’est par la mer, au nord par le mont Olympe,
à l’ouest par le mont Pindus, au sud par le mont Oeta. De ces bornes
éternelles partent d’autres chaînes de montagnes et de collines qui
serpentent dans l’intérieur du pays. Elles embrassent par intervalles des
plaines fertiles, qui par leur forme et leur enceinte ressemblent à de vastes
amphithéâtres. Des villes opulentes s’élèvent sur les hauteurs qui
entourent ces plaines ; tout le pays est arrosé de rivières, dont la plupart
tombent dans le Pénée, qui, avant de se jeter dans la mer, traverse la fameuse
vallée connue sous le nom de Tempé. à quelques stades des Thermopyles, nous
trouvâmes le petit bourg d’Anthéla, célèbre par un temple de Cérès, et
par l’assemblée des amphictyons (19) qui s’y
tient tous les ans. Cette diète serait la plus utile, et par conséquent la
plus belle des institutions, si les motifs d’humanité qui la firent établir,
n’étaient forcés de céder aux passions de ceux qui gouvernent les peuples.
Suivant les uns, amphictyon qui régnait aux environs, en fut l’auteur ;
suivant d’autres, ce fut Acrisius, roi d’Argos. Ce qui paraît certain, c’est
que dans les temps les plus reculés, douze puissantes nations du nord de la
Grèce, telles que les Doriens, les Ioniens, les Phocéens, les Béotiens, les
Thessaliens, etc. formèrent une confédération, pour prévenir les maux que la
guerre entraîne à sa suite. Il fut réglé qu’elles enverraient tous les ans
des députés à Delphes ; que les attentats commis contre le temple d’Apollon
qui avait reçu leurs serments, et tous ceux qui sont contraires au droit des
gens dont ils devaient être les défenseurs, seraient déférés à cette
assemblée ; que chacune des douze nations aurait deux suffrages à donner par
ses députés, et s’engagerait à faire exécuter les décrets de ce tribunal
auguste. La ligue fut cimentée par un serment qui s’est toujours renouvelé
depuis. « Nous jurons, dirent les peuples associés, de ne jamais renverser les
villes amphictyoniques, de ne jamais détourner, soit pendant la paix, soit
pendant la guerre, les sources nécessaires à leurs besoins ; si quelque
puissance ose l’entreprendre, nous marcherons contre elle, et nous détruirons
ses villes. Si des impies enlèvent les offrandes du temple d’Apollon, nous
jurons d’employer nos pieds, nos bras, notre voix, toutes nos forces contre
eux et contre leurs complices. » Ce tribunal subsiste encore aujourd’hui
à-peu-près dans la même forme qu’il fut établi. Sa juridiction s’est
étendue avec les nations qui sont sorties du nord de la Grèce, et qui,
toujours attachées à la ligue amphictyonique, ont porté dans leurs nouvelles
demeures le droit d’assister et d’opiner à ses assemblées. Tels sont les
Lacédémoniens : ils habitaient autrefois la Thessalie ; et quand ils vinrent s’établir
dans le Péloponnèse, ils conservèrent un des deux suffrages qui appartenaient
au corps des Doriens, dont ils faisaient partie. De même, le double suffrage
originairement accordé aux Ioniens, fut dans la suite partagé entre les
Athéniens et les colonies ioniennes qui sont dans l’Asie mineure. Mais quoiqu’on
ne puisse porter à la diète générale que 24 suffrages, le nombre des
députés n’est pas fixé ; les athéniens en envoient quelquefois trois ou
quatre.
L’assemblée des amphictyons se tient au printemps, à Delphes ; en automne,
au bourg d’Anthéla. Elle attire un grand nombre de spectateurs, et commence
par des sacrifices offerts pour le repos et le bonheur de la Grèce. Outre les
causes énoncées dans le serment que j’ai cité, on y juge les contestations
élevées entre des villes qui prétendent présider aux sacrifices qu’elles
font de concert, ou qui, après une bataille gagnée, voudraient en particulier
s’arroger des honneurs qu’elles devraient partager. On y porte d’autres
causes, tant civiles que criminelles, mais sur-tout les actes qui violent
ouvertement le droit des gens. Les députés des parties discutent l’affaire ;
le tribunal prononce à la pluralité des voix ; il décerne une amende contre
les nations coupables : après les délais accordés, intervient un second
jugement qui augmente l’amende du double. Si elles n’obéissent pas, l’assemblée
est en droit d’appeler au secours de son décret, et d’armer contre elles
tout le corps amphictyonique, c’est-à-dire, une grande partie de la Grèce.
Elle a le droit aussi de les séparer de la ligue amphictyonique, ou de la
commune union du temple. Mais les nations puissantes ne se soumettent pas
toujours à de pareils décrets. On peut en juger par la conduite récente des
Lacédémoniens. S’étant emparés en pleine paix, de la citadelle de Thèbes,
les magistrats de cette ville les citèrent à la diète générale. Les
Lacédémoniens y furent condamnés à 500 talents d’amende, ensuite à 1000
qu’ils se sont dispensés de payer, sous prétexte que la décision était
injuste.
Les jugements prononcés contre les peuples qui profanent le temple de Delphes,
inspirent plus de terreur. Leurs soldats marchent avec d’autant plus de
répugnance, qu’ils sont punis de mort et privés de la sépulture, lorsqu’ils
sont pris les armes à la main ; ceux que la diète invite à venger les autels,
sont d’autant plus dociles, qu’on est censé partager l’impiété, lorsqu’on
la favorise ou qu’on la tolère. Dans ces occasions, les nations coupables ont
encore à craindre qu’aux anathèmes lancés contre elles, ne se joigne la
politique des princes voisins, qui trouvent le moyen de servir leur propre
ambition, en épousant les intérêts du ciel.
D’Anthéla, nous entrâmes dans le pays des Trachiniens, et nous vîmes aux
environs les gens de la campagne occupés à recueillir l’hellébore précieux
qui croît sur le mont Oeta. L’envie de satisfaire notre curiosité, nous
obligea de prendre la route d’Hypate. On nous avait dit que nous trouverions
beaucoup de magiciennes en Thessalie, et sur-tout dans cette ville. Nous y
vîmes en effet plusieurs femmes du peuple, qui pouvaient, à ce qu’on disait,
arrêter le soleil, attirer la lune sur la terre, exciter ou calmer les
tempêtes, rappeler les morts à la vie, ou précipiter les vivants dans le
tombeau. Comment de pareilles idées ont-elles pu se glisser dans les esprits ?
Ceux qui les regardent comme récentes, prétendent que dans le siècle dernier,
une thessalienne nommée Aglaonice, ayant appris à prédire les éclipses de
lune, avait attribué ce phénomène à la force de ses enchantements, et qu’on
avait conclu de là que le même moyen suffirait pour suspendre toutes les lois
de la nature. Mais on cite une autre femme de Thessalie, qui, dès les siècles
héroïques, exerçait sur cet astre un pouvoir souverain ; et quantité de
faits prouvent clairement que la magie s’est introduite depuis longtemps dans
la Grèce.
Peu jaloux d’en rechercher l’origine, nous voulûmes, pendant notre séjour
à Hypate, en connaître les opérations. On nous mena secrètement chez
quelques vieilles femmes, dont la misère était aussi excessive que l’ignorance
: elles se vantaient d’avoir des charmes contre les morsures des scorpions et
des vipères, d’en avoir pour rendre languissants et sans activité les feux d’un
jeune époux, ou pour faire périr les troupeaux et les abeilles. Nous en vîmes
qui travaillaient à des figures de cire ; elles les chargeaient d’imprécations,
leur enfonçaient des aiguilles dans le coeur, et les exposaient ensuite dans
les différents quartiers de la ville. Ceux dont on avait copié les portraits,
frappés de ces objets de terreur, se croyaient dévoués à la mort, et cette
crainte abrégeait quelquefois leurs jours. Nous surprîmes une de ces femmes
tournant rapidement un rouet, et prononçant des paroles mystérieuses. Son
objet était de rappeler le jeune Polyclète, qui avait abandonné Salamis, une
des femmes les plus distinguées de la ville. Pour connaître les suites de
cette aventure, nous fîmes quelques présents à Mycale ; c’était le nom de
la magicienne. Quelques jours après, elle nous dit : Salamis ne veut pas
attendre l’effet de mes premiers enchantements ; elle viendra ce soir en
essayer de nouveaux ; je vous cacherai dans un réduit, d’où vous pourrez
tout voir et tout entendre. Nous fûmes exacts au rendez-vous. Mycale faisait
les préparatifs des mystères : on voyait autour d’elle des branches de
laurier, des plantes aromatiques, des lames d’airain gravées en caractères
inconnus, des flocons de laine de brebis teints en pourpre, des clous détachés
d’un gibet, et encore chargés de dépouilles sanglantes, des crânes humains
à moitié dévorés par des bêtes féroces, des fragments de doigts, de nez et
d’oreilles arrachés à des cadavres, des entrailles de victimes, une fiole
où l’on conservait le sang d’un homme qui avait péri de mort violente, une
figure d’Hécate en cire, peinte en blanc, en noir, en rouge, tenant un fouet,
une lampe, et une épée entourée d’un serpent, plusieurs vases remplis d’eau
de fontaine, de lait de vache, de miel de montagne, le rouet magique, des
instruments d’airain, des cheveux de Polyclète, un morceau de la frange de sa
robe ; enfin quantité d’autres objets qui fixaient notre attention, lorsqu’un
bruit léger nous annonça l’arrivée de Salamis.
Nous nous glissâmes dans une chambre voisine. La belle Thessalienne entra
pleine de fureur et d’amour : après des plaintes amères contre son amant et
contre la magicienne, les cérémonies commencèrent. Pour les rendre plus
efficaces, il faut en général que les rites aient quelque rapport avec l’objet
qu’on se propose. Mycale fit d’abord sur les entrailles des victimes
plusieurs libations avec de l’eau, avec du lait, avec du miel : elle prit
ensuite les cheveux de Polyclète, les entrelaça, les noua de diverses
manières ; et les ayant mêlés avec certaines herbes, elle les jeta dans un
brasier ardent. C’était là le moment où Polyclète, entraîné par une
force invincible, devait se présenter et tomber aux pieds de sa maîtresse.
Après l’avoir attendu vainement, Salamis initiée depuis quelque temps dans
les secrets de l’art, s’écrie tout-à-coup : je veux moi-même présider
aux enchantements. Sers mes transports, Mycale ; prends ce vase destiné aux
libations, entoure-le de cette laine. Astre de la nuit, prêtez-nous une
lumière favorable ! Et vous, divinité des enfers, qui rodez autour des
tombeaux et dans les lieux arrosés du sang des mortels, paraissez terrible
Hécate, et que nos charmes soient aussi puissants que ceux de Médée et de
Circé ! Mycale, répands ce sel dans le feu, en disant : je répands les os de
Polyclète. Que le coeur de ce perfide devienne la proie de l’amour, comme ce
laurier est consumé par la flamme, comme cette cire fond à l’aspect du
brasier ; que Polyclète tourne autour de ma demeure, comme ce rouet tourne
autour de son axe ; jette à pleines mains du son dans le feu : frappe sur ces
vases d’airain. J’entends les hurlements des chiens ; Hécate est dans le
carrefour voisin ; frappe, te dis-je, et que ce bruit l’avertisse que nous
ressentons l’effet de sa présence. Mais déjà les vents retiennent leur
haleine, tout est calme dans la nature ; hélas, mon coeur seul est agité ! ô
Hécate ! ô redoutable déesse ! Je fais ces trois libations en votre honneur ;
je vais faire trois fois une imprécation contre les nouvelles amours de
Polyclète. Puisse-t-il abandonner ma rivale, comme Thésée abandonna la
malheureuse Ariane ! Essayons le plus puissant de nos philtres : pilons ce
lézard dans un mortier, mêlons-y de la farine, faisons-en une boisson pour
Polyclète ; et toi, Mycale, prends le jus de ces herbes, et vas de ce pas le
répandre sur le seuil de sa porte. S’il résiste à tant d’efforts réunis,
j’en emploierai de plus funestes, et sa mort satisfera ma vengeance. Après
ces mots, Salamis se retira. Les opérations que je viens de décrire étaient
accompagnées de formules mystérieuses que Mycale prononçait par intervalles :
ces formules ne méritent pas d’être rapportées ; elles ne sont composées
que de mots barbares ou défigurés, et qui ne forment aucun sens.
Il nous restait à voir les cérémonies qui servent à évoquer les mânes.
Mycale nous dit de nous rendre la nuit à quelque distance de la ville, dans un
lieu solitaire et couvert de tombeaux. Nous l’y trouvâmes occupée à creuser
une fosse, autour de laquelle nous la vîmes bientôt entasser des herbes, des
ossements, des débris de corps humains, des poupées de laine, de cire et de
farine, des cheveux d’un thessalien que nous avions connu, et qu’elle
voulait montrer à nos yeux. Après avoir allumé du feu, elle fit couler dans
la fosse le sang d’une brebis noire qu’elle avait apporté, et réitéra
plus d’une fois les libations, les invocations, les formules secrètes. Elle
marchait de temps en temps à pas précipités, les pieds nus, les cheveux
épars, faisant des imprécations horribles, et poussant des hurlements qui
finirent par la trahir ; car ils attirèrent des gardes envoyés par les
magistrats qui l’épiaient depuis longtemps. On la saisit, et on la traîna en
prison. Le lendemain nous nous donnâmes quelques mouvements pour la sauver ;
mais on nous conseilla de l’abandonner aux rigueurs de la justice, et de
sortir de la ville.
La profession qu’elle exerçait est réputée infâme parmi les Grecs. Le
peuple déteste les magiciennes, parce qu’il les regarde comme la cause de
tous les malheurs. Il les accuse d’ouvrir les tombeaux pour mutiler les morts
: il est vrai que la plupart de ces femmes sont capables des plus noirs
forfaits, et que le poison les sert mieux que leurs enchantements. Aussi les
magistrats sévissent-ils presque toujours contre elles. Pendant mon séjour à
Athènes, j’en vis condamner une à la mort ; et ses parents, devenus ses
complices, subirent la même peine. Mais les lois ne proscrivent que les abus de
cet art frivole ; elles permettent les enchantements qui ne sont point
accompagnés de maléfices, et dont l’objet peut tourner à l’avantage de la
société. On les emploie quelquefois contre l’épilepsie, contre les maux de
tête, et dans le traitement de plusieurs autres maladies. D’un autre côté,
des devins autorisés par les magistrats, sont chargés d’évoquer et d’apaiser
les mânes des morts. Je parlerai plus au long de ces évocations, dans le
voyage de la Laconie.
D’Hypate, nous nous rendîmes à Lamia ; et continuant à marcher dans un pays
sauvage, par un chemin inégal et raboteux, nous parvînmes à Thaumaci, où s’offrit
à nous un des plus beaux points de vue que l’on trouve en Grèce ; car cette
ville domine sur un bassin immense, dont l’aspect cause soudain une vive
émotion. C’est dans cette riche et superbe plaine que sont situées plusieurs
villes, et entre autres Pharsale, l’une des plus grandes et des plus opulentes
de la Thessalie. Nous les parcourûmes toutes, en nous instruisant, autant qu’il
était possible, de leurs traditions, de leur gouvernement, du caractère et des
moeurs des habitants. Il suffit de jeter les yeux sur la nature du pays, pour se
convaincre qu’il a dû renfermer autrefois presqu’autant de peuples ou de
tribus, qu’il présente de montagnes et de vallées. Séparés alors par de
fortes barrières, qu’il fallait à tous moments attaquer ou défendre, ils
devinrent aussi courageux qu’entreprenants ; et quand leurs moeurs s’adoucirent,
la Thessalie fut le séjour des héros, et le théâtre des plus grands
exploits. C’est là que parurent les centaures et les lapithes, que s’embarquèrent
les argonautes, que mourut Hercule, que naquit Achille, que vécut Pyrithoüs,
que les guerriers venaient des pays les plus lointains se signaler par des faits
d’armes.
Les Achéens, les Éoliens, les Doriens de qui descendent les Lacédémoniens, d’autres
puissantes nations de la Grèce, tirent leur origine de la Thessalie. Les
peuples qu’on y distingue aujourd’hui sont les Thessaliens proprement dits,
les Oetéens, les Phthiotes, les Maliens, les Magnètes, les Perrhèbes, etc.
Autrefois ils obéissaient à des rois ; ils éprouvèrent ensuite les
révolutions ordinaires aux grands et aux petits états : la plupart sont soumis
aujourd’hui au gouvernement oligarchique.
Dans certaines occasions, les villes de chaque canton, c’est-à-dire de chaque
peuple, envoient leurs députés à la diète, où se discutent leurs intérêts
: mais les décrets de ces assemblées n’obligent que ceux qui les ont
souscrits. Ainsi, non seulement les cantons sont indépendants les uns des
autres, mais cette indépendance s’étend encore sur les villes de chaque
canton. Par exemple, le canton des Oetéens étant divisé en 14 districts, les
habitants de l’un peuvent refuser de suivre à la guerre ceux des autres.
Cette excessive liberté affaiblit chaque canton, en l’empêchant de réunir
ses forces, et produit tant de langueur dans les délibérations publiques, qu’on
se dispense bien souvent de convoquer les diètes. La confédération des
Thessaliens proprement dits, est la plus puissante de toutes, soit par la
quantité des villes qu’elle possède, soit par l’accession des Magnètes et
des Perrhèbes qu’elle a presque entièrement assujettis.
On voit aussi des villes libres qui semblent ne tenir à aucune des grandes
peuplades, et qui trop faibles pour se maintenir dans un certain degré de
considération, ont pris le parti de s’associer avec deux ou trois villes
voisines également isolées, également faibles.
Les Thessaliens peuvent mettre sur pied 6000 chevaux et 10000 hommes d’infanterie,
sans compter les archers qui sont excellents, et dont on peut augmenter le
nombre à son gré ; car ce peuple est accoutumé dès l’enfance à tirer de l’arc.
Rien de si renommé que la cavalerie thessalienne : elle n’est pas seulement
redoutable par l’opinion ; tout le monde convient qu’il est presque
impossible d’en soutenir l’effort. On dit qu’ils ont su les premiers
imposer un frein au cheval, et le mener au combat ; on ajoute que de là s’établit
l’opinion qu’il existait autrefois en Thessalie des hommes moitié hommes,
moitié chevaux, qui furent nommés centaures. Cette fable prouve du moins l’ancienneté
de l’équitation parmi eux ; et leur amour pour cet exercice est consacré par
une cérémonie qu’ils observent dans leur mariage. Après les sacrifices et
les autres rites en usage, l’époux présente à son épouse un coursier orné
de tout l’appareil militaire.
La Thessalie produit du vin, de l’huile, des fruits de différentes espèces.
La terre est fertile au point que le blé monterait trop vite, si l’on ne
prenait la précaution de le tondre, ou de le faire brouter par des moutons.
Les moissons, pour l’ordinaire très abondantes, sont souvent détruites par
les vers. On voiture une grande quantité de blé en différents ports, et
surtout dans celui de Thèbes en Phthiotie, d’où il passe à l’étranger.
Ce commerce, qui procure des sommes considérables, est d’autant plus
avantageux pour la nation, qu’elle peut facilement l’entretenir et même l’augmenter
par la quantité surprenante d’esclaves qu’elle possède, et qui sont connus
sous le nom de pénestes. Ils descendent la plupart de ces Perrhèbes et de ces
Magnètes, que les Thessaliens mirent aux fers après les avoir vaincus ;
événement qui ne prouve que trop les contradictions de l’esprit humain. Les
Thessaliens sont peut-être de tous les Grecs ceux qui se glorifient le plus de
leur liberté, et ils ont été des premiers à réduire les Grecs en esclavage.
Les Lacédémoniens aussi jaloux de leur liberté, ont donné le même exemple
à la Grèce. Les pénestes se sont révoltés plus d’une fois : ils sont en
si grand nombre, qu’ils inspirent toujours des craintes, et que leurs maîtres
peuvent en faire un objet de commerce, et en vendre aux autres peuples de la
Grèce. Mais ce qui est plus honteux encore, on voit ici des hommes avides voler
les esclaves des autres, enlever même des citoyens libres, et les transporter
chargés de fers dans les vaisseaux que l’appât du gain attire en Thessalie.
J’ai vu, dans la ville d’Arné, des esclaves dont la condition est plus
douce. Ils descendent de ces Béotiens qui vinrent autrefois s’établir en ce
pays, et qui furent ensuite chassés par les Thessaliens. La plupart
retournèrent dans les lieux de leur origine : les autres, ne pouvant quitter le
séjour qu’ils habitaient, transigèrent avec leurs vainqueurs. Ils
consentirent à devenir serfs, à condition que leurs maîtres ne pourraient ni
leur ôter la vie, ni les transporter dans d’autres climats ; ils se
chargèrent de la culture des terres sous une redevance annuelle. Plusieurs d’entre
eux sont aujourd’hui plus riches que leurs maîtres.
Les Thessaliens reçoivent les étrangers avec beaucoup d’empressement, et les
traitent avec magnificence. Le luxe brille dans leurs habits et dans leurs
maisons : ils aiment à l’excès le faste et la bonne chère ; leur table est
servie avec autant de recherche que de profusion, et les danseuses qu’ils y
admettent, ne sauraient leur plaire qu’en se dépouillant de presque tous les
voiles de la pudeur.
Ils sont vifs, inquiets, et si difficiles à gouverner, que j’ai vu plusieurs
de leurs villes déchirées par des factions. On leur reproche, comme à toutes
les nations policées, de n’être point esclaves de leur parole, et de manquer
facilement à leurs alliés : leur éducation n’ajoutant à la nature que des
préjugés et des erreurs, la corruption commence de bonne heure ; bientôt l’exemple
rend le crime facile, et l’impunité le rend insolent.
Dès les temps les plus anciens ils cultivèrent la poésie : ils prétendent
avoir donné le jour à Thamyris, à Orphée, à Linus, à tant d’autres qui
vivaient dans le siècle des héros dont ils partageaient la gloire : mais
depuis cette époque, ils n’ont produit aucun écrivain, aucun artiste
célèbre. Il y a environ un siècle et demi que Simonide les trouva insensibles
aux charmes de ses vers. Ils ont été dans ces derniers temps plus dociles aux
leçons du rhéteur Gorgias ; ils préfèrent encore l’éloquence pompeuse qui
le distinguait, et qui n’a pas rectifié les fausses idées qu’ils ont de la
justice et de la vertu.
Ils ont tant de goût et d’estime pour l’exercice de la danse, qu’ils
appliquent les termes de cet art aux usages les plus nobles. En certains
endroits les généraux ou les magistrats se nomment les chefs de la danse (20).
Leur musique tient le milieu entre celle des Doriens et celle des Ioniens ; et
comme elle peint tour-à-tour la confiance de la présomption, et la mollesse de
la volupté, elle s’assortit au caractère et aux moeurs de la nation. à la
chasse, ils sont obligés de respecter les cigognes. Je ne relèverois pas cette
circonstance, si l’on ne décernait contre ceux qui tuent ces oiseaux, la
même peine que contre les homicides. étonnés d’une loi si étrange, nous en
demandâmes la raison ; on nous dit que les cigognes avaient purgé la Thessalie
des serpents énormes qui l’infestaient auparavant, et que sans la loi on
serait bientôt forcé d’abandonner ce pays, comme la multiplicité des taupes
avait fait abandonner une ville de Thessalie dont j’ai oublié le nom.
De nos jours, il s’était formé dans la ville de Phéres, une puissance dont
l’éclat fut aussi brillant que passager. Lycophron en jeta les premiers
fondements, et son successeur Jason l’éleva au point de la rendre redoutable
à la Grèce et aux nations éloignées. J’ai tant ouï parler de cet homme
extraordinaire, que je crois devoir donner une idée de ce qu’il a fait, et de
ce qu’il pouvait faire.
Jason avait les qualités les plus propres à fonder un grand empire. Il
commença de bonne heure à soudoyer un corps de 6000 auxiliaires qu’il
exerçait continuellement, et qu’il s’attachait par des récompenses quand
ils se distinguaient, par des soins assidus quand ils étaient malades, par des
funérailles honorables quand ils mouraient. Il fallait, pour entrer et se
maintenir dans ce corps, une valeur éprouvée, et l’intrépidité qu’il
montrait lui-même dans les travaux et dans les dangers. Des gens qui le
connaissaient, m’ont dit qu’il était d’une santé à supporter les plus
grandes fatigues, et d’une activité à surmonter les plus grands obstacles ;
ne connaissant ni le sommeil, ni les autres besoins de la vie, quand il fallait
agir ; insensible, ou plutôt inaccessible à l’attrait du plaisir ; assez
prudent pour ne rien entreprendre sans être assuré du succès ; aussi habile
que Thémistocle à pénétrer les desseins de l’ennemi, à lui dérober les
siens, à remplacer la force par la ruse ou par l’intrigue ; enfin rapportant
tout à son ambition, et ne donnant jamais rien au hasard.
Il faut ajouter à ces traits, qu’il gouvernait ses peuples avec douceur, qu’il
connut l’amitié au point que Timothée, général des athéniens, avec qui il
était uni par les liens de l’hospitalité, ayant été accusé devant l’assemblée
du peuple, Jason se dépouilla de l’appareil du trône, vint à Athènes, se
mêla comme simple particulier avec les amis de l’accusé, et contribua par
ses sollicitations à lui sauver la vie.
Après avoir soumis quelques peuples, et fait des traités d’alliance avec d’autres,
il communiqua ses projets aux principaux chefs des Thessaliens. Il leur peignit
la puissance des Lacédémoniens, anéantie par la bataille de Leuctres, celle
des Thébains hors d’état de subsister longtemps, celle des Athéniens
bornée à leur marine, et bientôt éclipsée par des flottes qu’on pourrait
construire en Thessalie. Il ajouta que par des conquêtes et des alliances, il
leur serait facile d’obtenir l’empire de la Grèce, et de détruire celui
des Perses, dont les expéditions d’Agésilas et du jeune Cyrus avaient
récemment dévoilé la faiblesse. Ces discours ayant embrasé les esprits, il
fut élu chef et généralissime de la ligue Thessalienne, et se vit bientôt
après à la tête de 20000 hommes d’infanterie, de plus de 3000 chevaux, et d’un
nombre très considérable de troupes légères. Dans ces circonstances, les
thébains implorèrent son secours contre les Lacédémoniens. Quoiqu’il fût
en guerre avec les Phocéens, il prend l’élite de ses troupes, part avec la
célérité d’un éclair, et prévenant presque partout le bruit de sa marche,
il se joint aux Thébains, dont l’armée était en présence de celle des
Lacédémoniens. Pour ne pas fortifier l’une ou l’autre de ces nations, par
une victoire qui nuirait à ses vues, il les engage à signer une trêve ; il
tombe aussitôt sur la Phocide qu’il ravage, et après d’autres exploits
également rapides, il retourne à Phéres couvert de gloire, et recherché de
plusieurs peuples qui sollicitent son alliance. Les jeux pythiques étaient sur
le point de se célébrer ; Jason forma le dessein d’y mener son armée. Les
uns crurent qu’il voulait imposer à cette assemblée, et se faire donner l’intendance
des jeux : mais comme il employait quelquefois des moyens extraordinaires pour
faire subsister ses troupes, ceux de Delphes le soupçonnèrent d’avoir des
vues sur le trésor sacré ; ils demandèrent au dieu comment ils pourraient
détourner un pareil sacrilège : le dieu répondit que ce soin le regardait. À
quelques jours de là Jason fut tué à la tête de son armée, par sept jeunes
conjurés, qui, dit-on, avaient à se plaindre de sa sévérité.
Parmi les Grecs, les uns se réjouirent de sa mort, parce qu’ils avaient
craint pour leur liberté ; les autres s’en affligèrent, parce qu’ils
avaient fondé des espérances sur ses projets. Je ne sais s’il avait conçu
de lui-même celui de réunir les Grecs, et de porter la guerre en Perse, ou s’il
l’avait reçu de l’un de ces sophistes qui depuis quelque temps se faisaient
un mérite de le discuter, soit dans leurs écrits, soit dans les assemblées
générales de la Grèce. Mais enfin ce projet était susceptible d’exécution,
et l’évènement l’a justifié. J’ai vu dans la suite Philippe de
Macédoine donner des lois à la Grèce ; et depuis mon retour en Scythie, j’ai
su que son fils avait détruit l’empire des Perses. L’un et l’autre ont
suivi le même système que Jason, qui peut-être n’avait pas moins d’habileté
que le premier, ni moins d’activité que le second.
Ce fut quelques années après sa mort que nous arrivâmes à Phéres, ville
assez grande et entourée de jardins. Nous comptions y trouver quelques traces
de cette splendeur dont elle brillait du temps de Jason ; mais Alexandre y
régnait, et offrait à la Grèce un spectacle dont je n’avais pas d’idée,
car je n’avais jamais vu de tyran. Le trône sur lequel il était assis,
fumait encore du sang de ses prédécesseurs. J’ai dit que Jason avait été
tué par des conjurés : ses deux frères Polydore et Polyphron lui ayant
succédé, Polyphron assassina Polydore, et fut bientôt après assassiné par
Alexandre qui régnait depuis près de onze ans, quand nous arrivâmes à
Phéres. Ce prince cruel n’avait que des passions avilies par des vices
grossiers. Sans foi dans les traités, timide et lâche dans les combats, il n’eut
l’ambition des conquêtes que pour assouvir son avarice, et le goût des
plaisirs, que pour s’abandonner aux plus sales voluptés. Un tas de fugitifs
et de vagabonds noircis de crimes, mais moins scélérats que lui, devenus ses
soldats et ses satellites, portaient la désolation dans ses états et chez les
peuples voisins. On l’avait vu entrer à leur tête, dans une ville alliée, y
rassembler, sous divers prétextes, les citoyens dans la place publique, les
égorger, et livrer leurs maisons au pillage. Ses armes eurent d’abord
quelques succès ; vaincu ensuite par les Thébains, joints à divers peuples de
Thessalie, il n’exerçait plus ses fureurs que contre ses propres sujets ; les
uns étaient enterrés tout en vie ; d’autres, revêtus de peaux d’ours ou
de sangliers, étaient poursuivis et déchirés par des dogues dressés à cette
espèce de chasse. Il se faisait un jeu de leurs tourments, et leurs cris ne
servaient qu’à endurcir son âme. Cependant il se surprit un jour prêt à s’émouvoir
: c’était à la représentation des troyennes d’Euripide ; mais il sortit
à l’instant du théâtre, en disant qu’il aurait trop à rougir, si, voyant
d’un oeil tranquille couler le sang de ses sujets, il paraissait s’attendrir
sur les malheurs d’Hécube et d’Andromaque.
Les habitants de Phéres vivaient dans l’épouvante et dans cet abattement que
cause l’excès des maux, et qui est un malheur de plus. Leurs soupirs n’osaient
éclater, et les voeux qu’ils formaient en secret pour la liberté, se
terminaient par un désespoir impuissant. Alexandre, agité des craintes dont il
agitait les autres, avait le partage des tyrans, celui de haïr et d’être
haï. On démêlait dans ses yeux, à travers l’empreinte de sa cruauté, le
trouble, la défiance et la terreur qui tourmentaient son âme. Tout lui était
suspect ; ses gardes le faisaient trembler ; il prenait des précautions contre
Thébé son épouse, qu’il aimait avec la même fureur qu’il en était
jaloux, si l’on peut appeler amour la passion féroce qui l’entraînait
auprès d’elle. Il passait la nuit au haut de son palais, dans un appartement
où l’on montait par une échelle, et dont les avenues étaient défendues par
un dogue qui n’épargnait que le roi, la reine, et l’esclave chargé du soin
de le nourrir. Il s’y retirait tous les soirs, précédé par ce même esclave
qui tenait une épée nue, et qui faisait une visite exacte de l’appartement.
Je vais rapporter un fait singulier, et je ne l’accompagnerai d’aucune
réflexion. Eudémus de Chypre, en allant d’Athènes en Macédoine, était
tombé malade à Phéres : comme je l’avais vu souvent chez Aristote, dont il
était l’ami, je lui rendis pendant sa maladie tous les soins qui dépendaient
de moi. Un soir que j’avais appris des médecins, qu’ils désespéraient de
sa guérison, je m’assis auprès de son lit : il fut touché de mon
affliction, me tendit la main, et me dit d’une voix mourante : je dois confier
à votre amitié un secret qu’il serait dangereux de révéler à tout autre
qu’à vous. Une de ces dernières nuits, un jeune homme d’une beauté
ravissante m’apparut en songe ; il m’avertit que je guérirais, et que dans
cinq ans je serais de retour dans ma patrie : pour garant de sa prédiction, il
ajouta que le tyran n’avait plus que quelques jours à vivre. Je regardai
cette confidence d’Eudémus, comme un symptôme de délire, et je rentrai chez
moi pénétré de douleur.
Le lendemain, à la pointe du jour, nous fûmes éveillés par ces cris mille
fois réitérés : il est mort, le tyran n’est plus ; il a péri par les mains
de la reine. Nous courûmes aussitôt au palais ; nous y vîmes le corps d’Alexandre,
livré aux insultes d’une populace qui le foulait aux pieds, et célébrait
avec transport le courage de la reine. Ce fut elle en effet qui se mit à la
tête de la conjuration, soit par haine pour la tyrannie, soit pour venger ses
injures personnelles. Les uns disaient qu’Alexandre était sur le point de la
répudier ; d’autres, qu’il avait fait mourir un jeune thessalien qu’elle
aimait ; d’autres enfin, que Pélopidas, tombé quelques années auparavant
entre les mains d’Alexandre, avait eu, pendant sa prison, une entrevue avec la
reine, et l’avait exhortée à délivrer sa patrie, et à se rendre digne de
sa naissance ; car elle était fille de Jason. Quoi qu’il en soit, Thébé,
ayant formé son plan, avertit ses trois frères Tisiphonus, Pytholaüs et
Lycophron, que son époux avait résolu leur perte ; et dès cet instant, ils
résolurent la sienne. La veille, elle les tint cachés dans le palais : le
soir, Alexandre boit avec excès, monte dans son appartement, se jette sur son
lit, et s’endort. Thébé descend tout de suite, écarte l’esclave, et le
dogue, revient avec les conjurés, et se saisit de l’épée suspendue au
chevet du lit. Dans ce moment, leur courage parut se ralentir ; mais Thébé les
ayant menacés d’éveiller le roi s’ils hésitaient encore, ils se jetèrent
sur lui, et le percèrent de plusieurs coups.
J’allai aussitôt apprendre cette nouvelle à Eudémus, qui n’en parut point
étonné. Ses forces se rétablirent : il périt cinq ans après en Sicile ; et
Aristote, qui depuis adressa un dialogue sur l’âme à la mémoire de son ami,
prétendait que le songe s’était vérifié dans toutes ses circonstances,
puisque c’est retourner dans sa patrie que de quitter la terre.
Les conjurés, après avoir laissé respirer pendant quelque temps les habitants
de Phéres, partagèrent entre eux le pouvoir souverain, et commirent tant d’injustices,
que leurs sujets se virent forcés d’appeler Philippe de Macédoine à leur
secours. Il vint, et chassa non seulement les tyrans de Phéres, mais encore
ceux qui s’étaient établis dans d’autres villes. Ce bienfait a tellement
attaché les Thessaliens à ses intérêts, qu’ils l’ont suivi dans la
plupart de ses entreprises, et lui en ont facilité l’exécution (21).
Après avoir parcouru les environs de Phéres, et surtout son port qu’on nomme
Pagases, et qui en est éloigné de 90 stades (22),
nous visitâmes les parties méridionales de la Magnésie ; nous prîmes ensuite
notre route vers le nord, ayant à notre droite la chaîne du mont Pélion.
Cette contrée est délicieuse par la douceur du climat, la variété des
aspects, et la multiplicité des vallées que forment, surtout dans la partie la
plus septentrionale, les branches du mont Pélion et du mont Ossa.
Sur un des sommets du mont Pélion s’élève un temple en l’honneur de
Jupiter ; tout auprès est l’antre célèbre, où l’on prétend que Chiron
avait anciennement établi sa demeure, et qui porte encore le nom de ce
centaure. Nous y montâmes à la suite d’une procession de jeunes gens, qui
tous les ans vont, au nom d’une ville voisine, offrir un sacrifice au
souverain des dieux. Quoique nous fussions au milieu de l’été, et que la
chaleur fût excessive au pied de la montagne, nous fûmes obligés de nous
couvrir, à leur exemple, d’une toison épaisse. On éprouve en effet sur
cette hauteur un froid très rigoureux, mais dont l’impression est en quelque
façon affaiblie par la vue superbe que
présentent d’un côté les plaines de la mer, de l’autre celles de la
Thessalie. La montagne est couverte de sapins, de cyprès, de cèdres, de
différentes espèces d’arbres, et de simples, dont la médecine fait un grand
usage. On nous montra une racine, dont l’odeur, approchante de celle du thym,
est, dit-on, meurtrière pour les serpents, et qui, prise dans du vin, guérit
de leurs morsures. On y trouve un arbuste dont la racine est un remède pour la
goutte, l’écorce pour la colique, les feuilles pour les fluxions aux yeux ;
mais le secret de la préparation est entre les mains d’une seule famille, qui
prétend se l’être transmis de père en fils, depuis le centaure Chiron, à
qui elle rapporte son origine. Elle n’en tire aucun avantage, et se croit
obligée de traiter gratuitement les malades qui viennent implorer son secours.
Descendus de la montagne, à la suite de la procession, nous fûmes priés au
repas qui termine la cérémonie : nous vîmes ensuite une espèce de danse
particulière à quelques peuples de la Thessalie, et très propre à exciter le
courage et la vigilance des habitants de la campagne. Un Magnésien se présente
avec ses armes ; il les met à terre, et imite les gestes et la démarche d’un
homme qui en temps de guerre sème et laboure son champ. La crainte est
empreinte sur son front, il tourne la tête de chaque côté, il aperçoit un
soldat ennemi qui cherche à le surprendre ; aussitôt il saisit ses armes,
attaque le soldat, en triomphe, l’attache à ses boeufs, et le chasse devant
lui. Tous ces mouvements s’exécutent en cadence au son de la flûte.
En continuant notre route, nous arrivâmes à Sycurium. Cette ville, située sur
une colline au pied du mont Ossa, domine sur de riches campagnes. La pureté de
l’air et l’abondance des eaux la rendent un des plus agréables séjours de
la Grèce. De là jusqu’à Larisse, le pays est fertile et très peuplé. Il
devient plus riant, à mesure qu’on approche de cette ville, qui passe avec
raison pour la première et la plus riche de la Thessalie : ses dehors sont
embellis par le Pénée, qui roule auprès de ses murs des eaux extrêmement
claires.
Nous logeâmes chez Amyntor, et nous trouvâmes chez lui tous les agréments que
nous devions attendre de l’ancienne amitié qui le liait avec le père de
Philotas.
Nous étions impatients d’aller à Tempé. Ce nom, commun à plusieurs
vallées qu’on trouve en ce canton, désigne plus particulièrement celle que
forment, en se rapprochant, le mont Olympe et le mont Ossa : c’est le seul
grand chemin pour aller de Thessalie en Macédoine. Amyntor voulut nous
accompagner. Nous prîmes un bateau, et au lever de l’aurore nous nous
embarquâmes sur le Pénée, le 15 du mois métageitnion (23).
Bientôt s’offrirent à nous plusieurs villes, telles que Phalanna, Gyrton,
Élaties, Mopsium, Homolis ; les unes placées sur les bords du fleuve, les
autres sur les hauteurs voisines. Après avoir passé l’embouchure du
Titarésius, dont les eaux sont moins pures que celles du Pénée, nous
arrivâmes à Gonnus, distante de Larisse d’environ 160 stades (24).
C’est là que commence la vallée, et que le fleuve se trouve resserré entre
le mont Ossa qui est à sa droite, et le mont Olympe qui est à sa gauche, et
dont la hauteur est d’un peu plus de 10 stades (25).
Suivant une ancienne tradition, un tremblement de terre sépara ces montagnes,
et ouvrit un passage aux eaux qui submergeaient les campagnes. Il est du moins
certain que si l’on fermait ce passage, le Pénée ne pourrait plus avoir d’issue
; car ce fleuve, qui reçoit dans sa course plusieurs rivières, coule dans un
terrain qui s’élève par degrés, depuis ses bords, jusqu’aux collines et
aux montagnes qui entourent cette contrée. Aussi disait-on, que si les
Thessaliens ne s’étaient soumis à Xerxès, ce prince aurait pris le parti de
s’emparer de Gonnus, et d’y construire une barrière impénétrable au
fleuve. Cette ville est très importante par sa situation : elle est la clef de
la Thessalie du côté de la Macédoine, comme les Thermopyles le sont du côté
de la Phocide.
La vallée s’étend du sud-ouest au nord-est ; sa longueur est de 40 stades (26),
sa plus grande largeur d’environ 2 stades et demi (27)
; mais cette largeur diminue quelquefois au point qu’elle ne paraît être que
de 100 pieds (28). Les montagnes sont couvertes de
peupliers, de platanes, de freines d’une beauté surprenante. De leurs pieds
jaillissent des sources d’une eau pure comme le cristal, et des intervalles
qui séparent leurs sommets, s’échappe un air frais que l’on respire avec
une volupté secrète. Le fleuve présente presque partout un canal tranquille,
et dans certains endroits il embrasse de petites îles, dont il éternise la
verdure. Des grottes percées dans les flancs des montagnes, des pièces de
gazon placées aux deux côtés du fleuve, semblent être l’asyle du repos et
du plaisir. Ce qui nous étonnait le plus, était une certaine intelligence dans
la distribution des ornements qui parent ces retraites. Ailleurs, c’est l’art
qui s’efforce d’imiter la nature ; ici, on dirait que la nature veut imiter
l’art. Les lauriers et différentes sortes d’arbrisseaux forment d’eux-mêmes
des berceaux et des bosquets, et font un beau contraste avec des bouquets de
bois placés au pied de l’Olympe. Les rochers sont tapissés d’une espèce
de lierre, et les arbres, ornés de plantes qui serpentent autour de leur tronc,
s’entrelacent dans leurs branches, et tombent en festons et en guirlandes.
Enfin, tout présente en ces beaux lieux la décoration la plus riante. De tous
côtés l’oeil semble respirer la fraîcheur, et l’âme recevoir un nouvel
esprit de vie.
Les Grecs ont des sensations si vives, ils habitent un climat si chaud, qu’on
ne doit pas être surpris des émotions qu’ils éprouvent à l’aspect, et
même au souvenir de cette charmante vallée : au tableau que je viens d’en
ébaucher, il faut ajouter que dans le printemps, elle est toute émaillée de
fleurs, et qu’un nombre infini d’oiseaux y font entendre des chants à qui
la solitude et la saison semblent prêter une mélodie plus tendre et plus
touchante.
Cependant nous suivions lentement le cours du Pénée, et mes regards, quoique
distraits par une foule d’objets délicieux, revenaient toujours sur ce
fleuve. Tantôt je voyais ses flots étinceler à travers le feuillage dont ses
bords sont ombragés, tantôt m’approchant du rivage, je contemplais le cours
paisible de ses ondes qui semblaient se soutenir mutuellement, et remplissaient
leur carrière sans tumulte et sans effort. Je disais à Amyntor : telle est l’image
d’une âme pure et tranquille ; ses vertus naissent les unes des autres ;
elles agissent toutes de concert et sans bruit. L’ombre étrangère du vice
les fait seule éclater par son opposition. Amyntor me répondit : je vais vous
montrer l’image de l’ambition, et les funestes effets qu’elle produit.
Alors il me conduisit dans une des gorges du mont Ossa, où l’on prétend que
se donna le combat des Titans contre les dieux. C’est là qu’un torrent
impétueux se précipite sur un lit de rochers, qu’il ébranle par la violence
de ses chutes. Nous parvînmes en un endroit où ses vagues fortement
comprimées cherchaient à forcer un passage. Elles se heurtaient, se
soulevaient, et tombaient, en mugissant, dans un gouffre, d’où elles s’élançaient
avec une nouvelle fureur, pour se briser les unes contre les autres dans les
airs.
Mon âme était occupée de ce spectacle, lorsque je levai les yeux autour de
moi ; je me retrouvai resserré entre deux montagnes noires, arides, et
sillonnées dans toute leur hauteur par des abîmes profonds. Près de leurs
sommets, des nuages erraient pesamment parmi des arbres funèbres, ou restaient
suspendus sur leurs branches stériles. Au dessous, je vis la nature en ruine ;
les montagnes écroulées étaient couvertes de leurs débris, et n’offraient
que des roches menaçantes et confusément entassées. Quelle puissance a donc
brisé les liens de ces masses énormes ? Est-ce la fureur des aquilons ? Est-ce
un bouleversement du globe ? Est-ce en effet la vengeance terrible des dieux
contre les Titans ? Je l’ignore : mais enfin, c’est dans cette affreuse
vallée que les conquérants devraient venir contempler le tableau des ravages
dont ils affligent la terre. Nous nous hâtâmes de sortir de ces lieux, et
bientôt nous fûmes attirés par les sons mélodieux d’une lyre, et par des
voix plus touchantes encore : c’était la théorie , ou députation que
ceux de Delphes envoient de neuf en neuf ans à Tempé. Ils disent qu’Apollon
était venu dans leur ville avec une couronne et une branche de laurier
cueillies dans cette vallée, et c’est pour en rappeler le souvenir qu’ils
font la députation que nous vîmes arriver. Elle était composée de l’élite
des jeunes Delphiens. Ils firent un sacrifice pompeux sur un autel élevé près
des bords du Pénée ; et après avoir coupé des branches du même laurier dont
le dieu s’était couronné, ils partirent en chantant des hymnes. En sortant
de la vallée, le plus beau des spectacles s’offrit à nous. C’est une
plaine couverte de maisons et d’arbres, où le fleuve, dont le lit est plus
large et le cours plus paisible, semble se multiplier par des sinuosités sans
nombre. à quelques stades de distance paraît le golfe Thermaïque ; au-delà
se présente la presqu’île de Pallène, et dans le lointain le mont Athos
termine cette superbe vue. Nous comptions retourner le soir à Gonnus ; mais un
orage violent nous obligea de passer la nuit dans une maison située sur le
rivage de la mer : elle appartenait à un thessalien, qui s’empressa de nous
accueillir. Il avait passé quelque temps à la cour du roi Cotys, et pendant le
souper il nous raconta des anecdotes relatives à ce prince. Cotys, nous dit-il,
est le plus riche, le plus voluptueux et le plus intempérant des rois de
Thrace. Outre d’autres branches de revenus, il tire tous les ans plus de 200
talents (29) des ports qu’il possède dans la
Chersonèse ; cependant ses trésors suffisent à peine à ses goûts.
En été, il erre avec sa cour dans des bois, où sont pratiquées de belles
routes : dès qu’il trouve sur les bords d’un ruisseau un aspect riant et
des ombrages frais, il s’y établit, et s’y livre à tous les excès de la
table. Il est maintenant entraîné par un délire qui n’exciterait que la
pitié, si la folie jointe au pouvoir ne rendait les passions cruelles.
Savez-vous quel est l’objet de son amour ? Minerve. Il ordonna d’abord à
une de ses maîtresses de se parer des attributs de cette divinité ; mais comme
une pareille illusion ne servit qu’à l’enflammer davantage, il prit le
parti d’épouser la déesse. Les noces furent célébrées avec la plus grande
magnificence : j’y fus invité. Il attendait avec impatience son épouse : en
l’attendant, il s’enivra. Sur la fin du repas, un de ses gardes alla, par
son ordre, à la tente où le lit nuptial était dressé : à son retour, il
annonça que Minerve n’était pas encore arrivée. Cotys le perça d’une
flèche qui le priva de la vie. Un autre garde éprouva le même sort. Un
troisième, instruit par ces exemples, dit qu’il venait de voir la déesse, qu’elle
était couchée, et qu’elle attendait le roi depuis longtemps. À ces mots, le
soupçonnant d’avoir obtenu les faveurs de son épouse, il se jette en fureur
sur lui, et le déchire de ses propres mains.
Tel fut le récit du Thessalien. Quelque temps après deux frères, Héraclide
et Python, conspirèrent contre Cotys, et lui ôtèrent la vie. Les Athéniens
ayant eu successivement lieu de s’en louer et de s’en plaindre, lui avaient
décerné, au commencement de son règne, une couronne d’or avec le titre de
citoyen : après sa mort, ils déférèrent les mêmes honneurs à ses
assassins.
L’orage se dissipa pendant la nuit. à notre réveil, la mer était calme et
le ciel serein ; nous revînmes à la vallée, et nous vîmes les apprêts d’une
fête que les Thessaliens célèbrent tous les ans, en mémoire du tremblement
de terre qui, en donnant un passage aux eaux du Pénée, découvrit les belles
plaines de Larisse.
Les habitants de Gonnus, d’Homolis et des autres villes voisines, arrivaient
successivement dans la vallée. L’encens des sacrifices brûlait de toutes
parts ; le fleuve était couvert de bateaux qui descendaient et montaient sans
interruption. On dressait des tables dans les bosquets, sur le gazon, sur les
bords du fleuve, dans les petites îles, auprès des sources qui sortent des
montagnes. Une singularité qui distingue cette fête, c’est que les esclaves
y sont confondus avec leurs maîtres, ou plutôt, que les premiers y sont servis
par les seconds. Ils exercent leur nouvel empire avec une liberté qui va
quelquefois jusqu’à la licence, et qui ne sert qu’à rendre la joie plus
vive. Aux plaisirs de la table se mêlaient ceux de la danse, de la musique et
de plusieurs autres exercices qui se prolongèrent bien avant dans la nuit.
Nous retournâmes le lendemain à Larisse, et quelques jours après nous eûmes
occasion de voir le combat des taureaux. J’en avais vu de semblables en
différentes villes de la Grèce ; mais les habitants de Larisse y montrent plus
d’adresse que les autres peuples. La scène était aux environs de cette ville
: on fit partir plusieurs taureaux, et autant de cavaliers qui les poursuivaient
et les aiguillonnaient avec une espèce de dard. Il faut que chaque cavalier s’attache
à un taureau, qu’il coure à ses côtés, qu’il le presse et l’évite
tour à tour, et qu’après avoir épuisé les forces de l’animal, il le
saisisse par les cornes, et le jette à terre sans descendre lui-même de
cheval. Quelquefois il s’élance sur l’animal écumant de fureur, et malgré
les secousses violentes qu’il éprouve, il l’attère aux yeux d’un nombre
infini de spectateurs qui célèbrent son triomphe.
L’administration de cette ville est entre les mains d’un petit nombre de
magistrats qui sont élus par le peuple, et qui se croient obligés de le
flatter et de sacrifier son bien à ses caprices.
Les naturalistes prétendent que depuis qu’on a ménagé une issue aux eaux
stagnantes qui couvraient en plusieurs endroits les environs de cette ville, l’air
est devenu plus pur et beaucoup plus froid. Ils citent deux faits en faveur de
leur opinion. Les oliviers se plaisaient infiniment dans ce canton, ils ne
peuvent aujourd’hui y résister aux rigueurs des hivers ; et les vignes y
gèlent très souvent, ce qui n’arrivait jamais autrefois.
Nous étions déjà en automne : comme cette saison est ordinairement très
belle en Thessalie, et qu’elle y dure longtemps, nous fîmes quelques courses
dans les villes voisines : mais le moment de notre départ étant arrivé, nous
résolûmes de passer par l’Épire, et nous prîmes le chemin de Gomphi, ville
située au pied du mont Pindus.
Voyage d’Épire, d’Acarnanie et d’Étolie ; oracle de Dodone, saut de Leucade.
Le mont Pindus
sépare la Thessalie de l’Épire. Nous le traversâmes au dessus de Gomphi, et
nous entrâmes dans le pays des Athamanes. De là nous aurions pu nous rendre à
l’oracle de Dodone, qui n’en est pas éloigné ; mais outre qu’il aurait
fallu franchir des montagnes déjà couvertes de neige, et que l’hiver est
très rigoureux dans cette ville, nous avions vu tant d’oracles en Béotie, qu’ils
nous inspiraient plus de dégoût que de curiosité : nous prîmes donc le parti
d’aller droit à Ambracie par un chemin très court, mais assez rude. Cette
ville, colonie des Corinthiens, est située auprès d’un golfe qui porte aussi
le nom d’Ambracie (30). Le fleuve Aréthon coule
à son couchant ; au levant est une colline où l’on a construit une
citadelle. Ses murs ont environ 24 stades (31) de
circuit ; au dedans, les regards sont attirés par des temples et d’autres
beaux monuments ; au dehors, par des plaines fertiles qui s’étendent au loin.
Nous y passâmes quelques jours, et nous y
prîmes des notions générales sur l’Épire. Le mont Pindus au levant, et le
golfe d’Ambracie au midi, séparent, en quelque façon, l’Épire du reste de
la Grèce. Plusieurs chaînes de montagnes couvrent l’intérieur du pays ;
vers les côtes de la mer on trouve des aspects agréables, et de riches
campagnes. Parmi les fleuves qui l’arrosent, on distingue l’Achéron qui se
jette dans un marais de même nom, et le Cocyte dont les eaux sont d’un goût
désagréable : non loin de là est un endroit nommé Aorne ou Averne, d’où s’exhalent
des vapeurs dont les airs sont infectés. à ces traits, on reconnaît aisément
le pays où, dans les temps les plus anciens, on a placé les enfers. Comme l’Épire
était alors la dernière des contrées connues du côté de l’occident, elle
passa pour la région des ténèbres ; mais à mesure que les bornes du monde se
reculèrent du même côté, l’enfer changea de position, et fut placé
successivement en Italie et en Ibérie, toujours dans les endroits où la
lumière du jour semblait s’éteindre.
L’Épire a plusieurs ports assez bons. On tire de cette province, entre autres
choses, des chevaux légers à la course, et des mâtins auxquels on confie la
garde des troupeaux, et qui ont un trait de ressemblance avec les Épirotes ; c’est
qu’un rien suffit pour les mettre en fureur. Certains quadrupèdes y sont d’une
grandeur prodigieuse : il faut être debout, ou légèrement incliné, pour
traire les vaches, et elles rendent une quantité surprenante de lait.
J’ai ouï parler d’une fontaine qui est dans la contrée des Chaoniens. Pour
en tirer le sel dont ses eaux sont imprégnées, on les fait bouillir et
évaporer. Le sel qui reste est blanc comme la neige. Outre quelques colonies
grecques établies en divers cantons de l’Épire, on distingue dans ce pays
quatorze nations anciennes, barbares pour la plupart, distribuées dans de
simples bourgs ; quelques-unes qu’on a vues en diverses époques soumises à
différentes formes de gouvernements ; d’autres, comme les Molosses, qui,
depuis environ neuf siècles obéissent à des princes de la même maison. C’est
une des plus anciennes et des plus illustres de la Grèce : elle tire son
origine de Pyrrhus, fils d’Achille, et ses descendants ont possédé, de père
en fils, un trône qui n’a jamais éprouvé la moindre secousse. Des
philosophes attribuent la durée de ce royaume au peu d’étendue des états qu’il
renfermait autrefois. Ils prétendent que moins les souverains ont de puissance,
moins ils ont d’ambition et de penchant au despotisme. La stabilité de cet
empire est maintenue par un usage constant ; lorsqu’un prince parvient à la
couronne, la nation s’assemble dans une des principales villes ; après les
cérémonies que prescrit la religion, le souverain et les sujets s’engagent,
par un serment prononcé en face des autels, l’un de régner suivant les lois,
les autres de défendre la royauté, conformément aux mêmes lois. Cet usage
commença au dernier siècle. Il se fit alors une révolution éclatante dans le
gouvernement et dans les moeurs des molosses. Un de leurs rois en mourant ne
laissa qu’un fils. La nation persuadée que rien ne pouvait l’intéresser
autant que l’éducation de ce jeune prince, en confia le soin à des hommes
sages, qui conçurent le projet de l’élever loin des plaisirs et de la
flatterie. Ils le conduisirent à Athènes, et ce fut dans une république qu’il
s’instruisit des devoirs mutuels des souverains et des sujets. De retour dans
ses états, il donna un grand exemple ; il dit au peuple : j’ai trop de
pouvoir, je veux le borner. Il établit un sénat, des lois et des magistrats.
Bientôt les lettres et les arts fleurirent par ses soins et par ses exemples.
Les Molosses, dont il était adoré, adoucirent leurs moeurs, et prirent sur les
nations barbares de l’Épire la supériorité que donnent les lumières. Dans
une des parties septentrionales de l’Épire, est la ville de Dodone. C’est
là que se trouvent, le temple de Jupiter et l’oracle le plus ancien de la
Grèce. Cet oracle subsistait dès le temps où les habitants de ces cantons n’avaient
qu’une idée confuse de la divinité ; et cependant ils portaient déjà leurs
regards inquiets sur l’avenir ; tant il est vrai que le désir de le
connaître est une des plus anciennes maladies de l’esprit humain, comme elle
en est une des plus funestes ! J’ajoute qu’il en est une autre qui n’est
pas moins ancienne parmi les Grecs ; c’est de rapporter à des causes
surnaturelles, non seulement les effets de la nature, mais encore les usages et
les établissements dont on ignore l’origine. Quand on daigne suivre les
chaînes de leurs traditions, on s’aperçoit qu’elles aboutissent toutes à
des prodiges. Il en fallut un sans doute pour instituer l’oracle de Dodone, et
voici comme les prêtresses du temple le racontent.
Un jour deux colombes noires s’envolèrent de la ville de Thèbes en Égypte,
et s’arrêtèrent, l’une en Libye, et l’autre à Dodone. Cette dernière s’étant
posée sur un chêne, prononça ces mots d’une voix très distincte : «
Établissez en ces lieux un oracle en l’honneur de Jupiter. » l’autre
colombe prescrivit la même chose aux habitants de la Libye, et toutes deux
furent regardées comme les interprètes des dieux. Quelque absurde que soit ce
récit, il paraît avoir un fondement réel. Les prêtres égyptiens soutiennent
que deux prêtresses portèrent autrefois leurs rites sacrés à Dodone, de
même qu’en Libye ; et dans la langue des anciens peuples de l’Épire, le
même mot désigne une colombe et une vieille femme.
Dodone est située au pied du mont Tomarus, d’où s’échappent quantité de
sources intarissables. Elle doit sa gloire et ses richesses aux étrangers qui
viennent consulter l’oracle. Le temple de Jupiter et les portiques qui l’entourent,
sont décorés par des statues sans nombre, et par les offrandes de presque tous
les peuples de la terre. La forêt sacrée s’élève tout auprès. Parmi les
chênes dont elle est formée, il en est un qui porte le nom de divin ou de
prophétique ; la piété des peuples l’a consacré depuis une longue suite de
siècles.
Non loin du temple est une source qui tous les jours est à sec à midi, et dans
sa plus grande hauteur à minuit ; qui tous les jours croît et décroît
insensiblement d’un de ces points à l’autre. On dit qu’elle présente un
phénomène plus singulier encore : quoique ses eaux soient froides et
éteignent les flambeaux allumés qu’on y plonge, elles allument les flambeaux
éteints qu’on en approche jusqu’à une certaine distance (32).
La forêt de Dodone est entourée de marais ; mais le territoire en général
est très fertile, et l’on y voit de nombreux troupeaux errer dans de belles
prairies.
Trois prêtresses sont chargées du soin d’annoncer les décisions de l’oracle
; mais les Béotiens doivent les recevoir de quelques-uns des ministres
attachés au temple. Ce peuple ayant une fois consulté l’oracle sur une
entreprise qu’il méditait, la prêtresse répondit : « Commettez une
impiété, et vous réussirez. » les Béotiens qui la soupçonnaient de
favoriser leurs ennemis, la jetèrent aussitôt dans le feu, en disant : « Si
la prêtresse nous trompe, elle mérite la mort ; si elle dit la vérité, nous
obéissons à l’oracle en faisant une action impie. » Les deux autres
prêtresses crurent devoir justifier leur malheureuse compagne. L’oracle,
suivant elles, avait simplement ordonné aux béotiens d’enlever les trépieds
sacrés qu’ils avaient dans leur temple, et de les apporter dans celui de
Jupiter à Dodone. En même temps il fut décidé que désormais elles ne
répondraient plus aux questions des Béotiens. Les dieux dévoilent de
plusieurs manières leurs secrets aux prêtresses de ce temple. Quelquefois
elles vont dans la forêt sacrée, et se plaçant auprès de l’arbre
prophétique, elles sont attentives, soit au murmure de ses feuilles agitées
par le zéphyr, soit au gémissement de ses branches battues par la tempête. D’autres
fois, s’arrêtant au bord d’une source qui jaillit du pied de cet arbre,
elles écoutent le bruit que forme le bouillonnement de ses ondes fugitives.
Elles saisissent habilement les gradations et les nuances des sons qui frappent
leurs oreilles, et les regardant comme les présages des événements futurs,
elles les interprètent suivant les règles qu’elles se sont faites, et plus
souvent encore suivant l’intérêt de ceux qui les consultent. Elles observent
la même méthode pour expliquer le bruit qui résulte du choc de plusieurs
bassins de cuivre suspendus autour du temple. Ils sont tellement rapprochés, qu’il
suffit d’en frapper un pour les mettre tous en mouvement. La prêtresse
attentive au son qui se communique, se modifie et s’affaiblit, sait tirer une
foule de prédictions de cette harmonie confuse.
Ce n’est pas tout encore. Près du temple sont deux colonnes ; sur l’une est
un vase d’airain, sur l’autre la figure d’un enfant qui tient un fouet à
trois petites chaînes de bronze, flexibles et terminées chacune par un bouton.
Comme la ville de Dodone est fort exposée au vent, les chaînes frappent le
vase presque sans interruption, et produisent un son qui subsiste long-temps ;
les prêtresses peuvent en calculer la durée, et le faire servir à leurs
desseins.
On consulte aussi l’oracle par le moyen des sorts. Ce sont des bulletins ou
des dés qu’on tire au hasard de l’urne qui les contient. Un jour que les
Lacédémoniens avaient choisi cette voie pour connaître le succès d’une de
leurs expéditions, le singe du roi des Molosses sauta sur la table, renversa l’urne,
éparpilla les sorts, et la prêtresse effrayée s’écria : que Les
lacédémoniens, loin d’aspirer à la victoire, ne devaient plus songer qu’à
leur sûreté. Les députés de retour à Sparte y publièrent cette nouvelle,
et jamais événement ne produisit tant de terreur parmi ce peuple de guerriers.
Les Athéniens conservent plusieurs réponses de l’oracle de Dodone. Je vais
en rapporter une, pour en faire connaître l’esprit.
« Voici ce que le prêtre de Jupiter prescrit aux Athéniens. Vous avez laissé
passer le temps des sacrifices et de la députation ; envoyez au plus tôt des
députés : qu’outre les présents déjà décernés par le peuple, ils
viennent offrir à Jupiter neuf boeufs propres au labourage, chaque boeuf
accompagné de deux brebis ; qu’ils présentent à Dioné une table de bronze,
un boeuf et d’autres victimes. » Cette Dioné était fille d’Uranus ; elle
partage avec Jupiter l’encens que l’on brûle au temple de Dodone, et cette
association de divinités sert à multiplier les sacrifices et les offrandes.
Tels étaient les récits qu’on nous faisait à Ambracie. Cependant l’hiver
approchait, et nous pensions à quitter cette ville. Nous trouvâmes un vaisseau
marchand qui partait pour Naupacte, située dans le golfe de Crissa. Nous y
fûmes admis comme passagers, et dès que le beau temps fut décidé, nous
sortîmes du port et du golfe d’Ambracie. Nous trouvâmes bientôt la presqu’île
de Leucade, séparée du continent par un isthme très étroit. Nous vîmes des
matelots qui, pour ne pas faire le tour de la presqu’île, transportaient à
force de bras leur vaisseau par dessus cette langue de terre. Comme le nôtre
était plus gros, nous prîmes le parti de raser les côtes occidentales de
Leucade, et nous parvînmes à son extrémité formée par une montagne très
élevée, taillée à pic, sur le sommet de laquelle est un temple d’Apollon
que les matelots distinguent et saluent de loin. Ce fut là que s’offrit à
nous une scène capable d’inspirer le plus grand effroi. Pendant qu’un grand
nombre de bateaux se rangeaient circulairement au pied du promontoire, quantité
de gens s’efforçaient d’en gagner le sommet. Les uns s’arrêtaient
auprès du temple, les autres grimpaient sur des pointes de rocher, comme pour
être témoins d’un événement extraordinaire. Leurs mouvements n’annonçaient
rien de sinistre, et nous étions dans une parfaite sécurité, quand
tout-à-coup nous vîmes sur une roche écartée plusieurs de ces hommes en
saisir un d’entre eux, et le précipiter dans la mer, au milieu des cris de
joie qui s’élevaient, tant sur la montagne que dans les bateaux. Cet homme
était couvert de plumes ; on lui avait de plus attaché des oiseaux, qui, en
déployant leurs ailes retardaient sa chute. à peine fut-il dans la mer, que
les bateliers empressés de le secourir, l’en retirèrent, et lui
prodiguèrent tous les soins qu’on pourrait exiger de l’amitié la plus
tendre. J’avais été si frappé dans le premier moment, que je m’écriai :
ah barbares ! Est-ce ainsi que vous vous jouez de la vie des hommes ! Mais ceux
du vaisseau s’étaient fait un amusement de ma surprise et de mon indignation.
À la fin, un citoyen d’Ambracie me dit : ce peuple qui célèbre tous les
ans, à pareil jour, la fête d’Apollon, est dans l’usage d’offrir à ce
dieu un sacrifice expiatoire, et de détourner sur la tête de la victime tous
les fléaux dont il est menacé. On choisit pour cet effet un homme condamné à
subir le dernier supplice. Il périt rarement dans les flots ; et après l’en
avoir sauvé, on le bannit à perpétuité des terres de Leucade.
Vous serez bien plus étonné, ajouta l’Ambraciote, quand vous connaîtrez l’étrange
opinion qui s’est établie parmi les Grecs. C’est que le saut de Leucade est
un puissant remède contre les fureurs de l’amour. On a vu plus d’une fois
des amants malheureux venir à Leucade, monter sur ce promontoire, offrir des
sacrifices dans le temple d’Apollon, s’engager par un voeu formel de s’élancer
dans la mer, et s’y précipiter d’eux-mêmes. On prétend que quelques-uns
furent guéris des maux qu’ils souffraient, et l’on cite entre autres un
citoyen de Buthroton en Épire, qui toujours prêt à s’enflammer pour des
objets nouveaux, se soumit quatre fois à cette épreuve, et toujours avec le
même succès. Cependant, comme la plupart de ceux qui l’ont tentée, ne
prenaient aucune précaution pour rendre leur chute moins rapide, presque tous y
ont perdu la vie, et les femmes en ont été souvent les funestes victimes. On
montre à Leucade le tombeau d’Artemise, de cette fameuse reine de Carie qui
donna tant de preuves de son courage à la bataille de Salamine. éprise d’une
passion violente pour un jeune homme qui ne répondait pas à son amour, elle le
surprit dans le sommeil, et lui creva les yeux. Bientôt les regrets et le
désespoir l’amenèrent à Leucade, où elle périt dans les flots, malgré
les efforts que l’on fit pour la sauver.
Telle fut aussi la fin de la malheureuse Sapho. Abandonnée de Phaon son amant,
elle vint ici chercher un soulagement à ses peines, et n’y trouva que la
mort. Ces exemples ont tellement décrédité le saut de Leucade, qu’on ne
voit plus guère d’amans s’engager par des voeux indiscrets à les imiter.
En continuant notre route, nous vîmes à droite, les îles d’Ithaque et de
Céphallénie ; à gauche, les rivages de l’Acarnanie. On trouve dans cette
dernière province quelques villes considérables, quantité de petits bourgs
fortifiés, plusieurs peuples d’origine différente, mais associés dans une
confédération générale, et presque toujours en guerre contre les étoliens
leurs voisins, dont les états sont séparés des leurs par le fleuve
Achéloüs. Les Acarnaniens sont fidèles à leur parole, et extrêmement jaloux
de leur liberté. Après avoir passé l’embouchure de l’Achéloüs, nous
rasâmes pendant toute une journée les côtes de l’Étolie. Ce pays où l’on
trouve des campagnes fertiles, est habité par une nation guerrière, et
divisée en diverses peuplades, dont la plupart ne sont pas grecques d’origine,
et dont quelques-unes conservent encore des restes de leur ancienne barbarie,
parlant une langue très difficile à entendre, vivant de chair crue, ayant pour
domiciles des bourgs sans défense. Ces différentes peuplades, en réunissant
leurs intérêts, ont formé une grande association, semblable à celle des
béotiens, des Thessaliens et des Acarnaniens. Elles s’assemblent tous les
ans, par députés, dans la ville de Thermus, pour élire les chefs qui doivent
les gouverner. Le faste qu’on étale dans cette assemblée, les jeux, les
fêtes, le concours des marchands et des spectateurs, la rendent aussi brillante
qu’auguste. Les Etoliens ne respectent ni les alliances, ni les traités. Dès
que la guerre s’allume entre deux nations voisines de leur pays, ils les
laissent s’affaiblir, tombent ensuite sur elles, et leur enlèvent les prises
qu’elles ont faites. Ils appellent cela butiner dans le butin . Ils
sont fort adonnés à la piraterie, ainsi que les Acarnaniens et les Locres
Ozoles. Tous les habitants de cette côte n’attachent à cette profession
aucune idée d’injustice ou d’infamie. C’est un reste des moeurs de l’ancienne
Grèce, et c’est par une suite de ces moeurs qu’ils ne quittent point leurs
armes, même en temps de paix. Leurs cavaliers sont très redoutables, quand ils
combattent corps à corps ; beaucoup moins, quand ils sont en bataille rangée.
On observe précisément le contraire parmi les Thessaliens. À l’est de l’Achéloüs,
on trouve des lions ; on en retrouve en remontant vers le nord jusqu’au fleuve
Nestus en Thrace. Il semble que dans ce long espace, ils n’occupent qu’une
lisière, à laquelle ces deux fleuves servent de bornes ; le premier, du côté
du couchant ; le second, du côté du levant. On dit que ces animaux sont
inconnus aux autres régions de l’Europe. Après quatre jours de navigation,
nous arrivâmes à Naupacte, ville située au pied d’une montagne dans le pays
des Locres Ozoles. Nous vîmes sur le rivage un temple de Neptune, et tout
auprès un antre couvert d’offrandes, et consacré à Vénus. Nous y
trouvâmes quelques veuves qui venaient demander à la déesse un nouvel époux.
Le lendemain nous prîmes un petit navire qui nous conduisit à Pagae, port de
la Mégaride, et de là nous nous rendîmes à Athènes.
1.
Au printemps de l’année 357 avant J.-C.
2. Environ trois quarts de lieue.
3. Un peu plus d’une lieue.
4. Sept lieues et demie.
5. 37 lieues et 2000 toises.
6. Environ une lieue et demie.
7. Erato signifie l'aimable ; Uranie, la Céleste ; Calliope
peut désigner l'élégance du langage ; Euterpe celle qui
plaît ; Thalie, la joie vive, et surtout celle qui règne dans
les festins ; Melpomène, celle qui se plaît aux chants; Polymnie, la
multiplicité des chants; Terpsichore, celle qui se plaît à la danse; Clio,
la gloire.
8. Peu de temps après le voyage d'Anacharsis à
Lébadée, un des suivants du roi Démétrius vint consulter cet oracle. Les
prêtres se défièrent de ses intentions. On le vit entrer dans la caverne, et
on ne l'en vit pas sortir. Quelques jours après son corps fut jeté hors de
l'antre par une issue différente de celle par où l'on entrait communément.
9. Hauteur, onze de nos pieds et quatre pouces ; largeur,
cinq pieds huit pouces.
10. Dans la description en vers de l'état de la Grèce par
Dicéarque, il est dit que l'enceinte de la ville de Thèbes était de 43
stades, c'est-à-dire d'une lieue et 1563 toises. Dans la description enprose du
même auteur (p. 14), ilest dit qu'elle était de 70 stades, c'est-à-dire 2
lieues et 1615 toises. On a supposé dans ce dernier texte une faute de Copiste.
On pourrait également supposer que l'auteur parle, dans le premier passage, de
l'enceinte de la ville basse, et que dans le second il comprend dans son calcul
la citadelle. Dicéarque ne parle point de la Thèbes détruite par Alexandre,
celle, dont il s'agit dans cet ouvrage. Mais, comme Pausanias assure que
Cassandre, en la rétablissant, avait fait relever les anciens murs, il paraît
que l'ancienne et la nouvelle ville avaient la même enceinte.
11. Une lieue mille cinq cent soixante-trois toises.
12. On ne peut avoir que des approximations sur le nombre des
habitants de Thèbes. Quand cette ville fut prise par Alexandre, il y périt
plus de six mille personnes, et plus de trente mille furent vendues comme
esclaves. On épargna les prêtres et ceux qui avaient en des liaisons
d'hospitalité ou d'intérêt avec Alexandre ou avec son père Philippe.
Plusieurs cités prirent sans doute la fuite. On peut présumer en conséquence
que le nombre des habitants da Thèbes et de son district pouvait monter à
cinquante mille personnes de tout sexe et de tout âge, sans y comprendre les
esclaves. M. le baron du Sainte-Croix regarde ce récit comme exagéré. J'ose
n'être pas de son avis.
13. La manière dont Pindare présente ces maximes peut
donner une idée de la hardiesse de ses expressions. « Gouvernez, dit-il, avec
le timon de la justice ; forgez votre langue sur l'enclume de la vérité. »
14. 14 lieues de 2500 toises, plus 910 toises.
15. Plus d'une lieue.
16. Du temps d'Alexandre, un homme de Chalcis fut chargé de les
nettoyer (Strab. lib. VI, p. 407. Steph. in Ayen).
17. Voyez dans l'Introduction de cet ouvrage, p.109 et suiv.
18. Dans l’été de l’année
357 avant J.-C.
19. Les auteurs anciens
varient sur les peuples qui envoyaient des députés à la diète générale.
Eschine, dont le témoignage est, du moins pour son temps; préférable à tous
les autres, puisqu'il avait été lui-même député, nomme les Thessaliens, les
Béotiens, les Doriens, les Ioniens, les Perrhèbes, les Magnètes, les
Locriens, les Oetéens, les Phthiotes, les Maliens, les Phocéens. Les copistes
ont omis le douzième, et les critiques supposent que ce sont les Dolopes.
20. Lucien rapporte une
inscription faite pour un Thessalien, et conçue en ces termes : « Le peuple a
fait élever cette statue à Ilation , parce qu'il avait bien dansé au combat.
»
21. Voyez dans le
chapitre LXI de cet ouvrage la lettre écrite la 4ème année de la 106èmr
olympiade.
22. 3 lieues et 1500 toises.
23. Le 10 août de l'an
357 avant J.-C.
24. Six
lieues et cent vingt toises.
25. Neuf cent soixante toises.
- Plutarque rapporte une ancienne inscription, par laquelle il parait que
Xénagoras avait trouvé la hauteur de l'Olympe de 10 stade 1 plètre moins 4
pieds. Le plètre, suivant Suidas, était la sixième partie du stade :
conséquent, de 15 toises 4 pieds 6 pouces, ôtez les 4 pieds et les 6 pouces,
reste 15 toises, qui, ajoutées aux 945 que donnent les 10 stades, font 960
toises pour la hauteur de l'Olympe. M. Bernouilil l'a trouvée de 1017 toises.
26. Environ une lieue et
demie. Je donne toujours à la lieue deux mille cinq cents toises.
27. Environ doux cent trente-six toises.
28. Environ quatre-vingt-quatorze de nos pieds.
29. Plus d’1.080.000 livres.
30. Ce golfe est le même que celui où se donna depuis la
célèbre bataille d'Actium. (Voyez-en le plan et la description dans les
Mémoires de l'académie des Belles-Lettres, t. XXXII, p. 513.)
31. 2268 toises.
32. On racontait à peu près la même chose de la fontaine
brillante située à trois lieues de Grenoble, et regardée pendant longtemps
comme une des sept merveilles du Dauphiné. Mais le prodige a disparu dès qu'on
a pris la peine d'en examiner la cause.