Vivre ses passions : l'amour

 

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La matrone d'Ephèse

PÉTRONE : L'antiquité s'est montrée fort avare de renseignements sur l'auteur du Satiricon. Pétrone fut contemporain et familier de Néron(?).

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Mélange de prose et de vers. Des contes et des nouvelles sont intercalés en hors-d'oeuvre. Le conte de la matrone d'Ephèse nous rapporte la désolation d'une veuve arrachée au désespoir par un jeune et beau soldat amoureux d'elle.

Scitis quid plerumque soleat temptare humanam satietatem. Quibus blanditiis impetraverat miles ut matrona vellet vivere isdem etiam pudicitiam eius aggressus est. Nec deformis aut infacundus iuvenis castae videbatur, conciliante gratiam ancilla ac subinde dicente :
         Placitone etiam pugnabis amori ?
Quid diutius moror ? Ne hanc quidem partem corporis mulier abstinuit victorque miles utrumque persuasit. Iacuerunt ergo una non tantum illa nocte qua nuptias fecerunt sed postero etiam ac tertio die, praeclusis videlicet conditorii foribus, ut quisquis ex notis ignotisque ad monumentum venisset putasset expirasse super corpus viri pudicissimam uxorem.

   vocabulaire

Vous savez ce qui la plupart du temps éprouve habituellement la satiété humaine. Avec ces mêmes flatteries avec lesquelles le soldat avait obtenu que la matrone veuille vivre, il s'attaqua à sa vertu. Pour la veuve le jeune homme ne semblait pas laid et savait parler et la servante en bonne entremetteuse lui disait souvent :
"Combattras-tu même un amour qui te plaît ?
A quoi bon tarder? La femme ne put conserver cette partie même du corps et notre soldat victorieux la persuada sur l'un et l'autre chapitre. Ils dormirent donc ensemble non seulement la nuit où ils se marièrent, mais aussi le lendemain et le troisième jour, toutes les portes du sarcophage fermées soigneusement, bien entendu ; si bien que quiconque, ami ou inconnu, fût venu jusqu'au monument, il aurait pensé que la très chaste épouse avait expiré sur le corps de son mari.

PÉTRONE, Satiricon, CXII, 1-3.

 



La Matrone d’Ephèse.

1. Dans Ephèse il fut autrefois
Une dame en sagesse, en vertu sans égale
Et selon la commune voix
Ayant su raffiner sur l'amour conjugale.
Il n'était bruit que d'elle et de sa chasteté ;
On l'allait voir par rareté ;
C'était l'honneur du sexe : heureuse sa patrie !
Chaque mère à sa bru l'alléguait pour patron ;
Chaque époux la prônait à sa femme chérie ;
D'elle descendaient ceux de la Prudoterie,
Antique et célèbre maison.

(...) Cette dame, devenue veuve, est inconsolable et décide de se laisser mourir. Un soldat, préposé à la garde d'un voleur mis en croix, entend des gémissements. Il essaye de consoler la dame et sa servante. Celle-ci se rend la première à ses raisons et s'adresse alors à sa maîtresse.

Madame, ce dit-elle, un penser m'est venu :
Qu'importe à votre époux que vous cessiez de vivre ?
Croyez-vous que lui-même il fût homme à vous suivre,
Si par votre trépas vous l'aviez prévenu ?
Non madame ; il voudrait achever sa carrière.
La nôtre sera longue encor si nous voulons.
Se faut-il, à vingt ans, enfermer dans la bière ?
Nous aurons tout loisir d'habiter ces maisons.
On ne meurt que trop tôt, qui nous presse ? Attendons.
Pendant cet hyménée un voleur se hasarde
d'enlever le dépôt commis aux soins du garde :
Il en entend le bruit, il y court à grands pas ;
Mais en vain : la chose était faite.
Il revient au tombeau conter son embarras,
Ne sachant où trouver retraite.
L'esclave alors lui dit, le voyant éperdu :
-L'on vous a pris votre pendu ?
Les lois ne vous feront, dites-vous, nulle grâce ?
Si madame y consent, j'y remédierai bien.
Mettons notre mort en sa place,
Les passants n'y connaîtront rien.
Et n'en déplaise au bon Pétrone,
Ce n'était pas un fait tellement merveilleux
Qu'il en dût proposer l'exemple à nos neveux.
Cette veuve n'eut tort qu'au bruit qu'on lui vit faire,
Qu'au dessein de mourir, mal conçu, mal formé ;
Car de mettre au patibulaire
Le corps d'un mari tant aimé,
Ce n'était pas peut-être une si grande affaire :
Cela lui sauvait l'autre, et, tout considéré,
Mieux vaut goujat debout qu'empereur enterré.

LA FONTAINE, Contes et nouvelles.

http://www.gelahn.asso.fr/docs72.html

Il y avoit une Dame à Ephese en si grande réputation de chasteté, que les femmes mesme des Païs voisins venoient la voir par curiosité, comme une merveille.  Cette Prude ayant perdu son Mary, ne se contenta pas, selon la coustume, d'assister au convoy toute eschevelée, et de se battre la poictrine devant le peuple; elle voulut suivre le deffunct jusqu'au monument, et après l'avoir mis dans un sepulchre à la maniere des Grecs, garder le corps, et pleurer nuict et jour auprès de luy; se desolant de la sorte, et resoluë de se laisser mourir de faim, les parens, les amis ne l'en sçeurent destourner; les Magistrats, rebuttez les derniers, l'abandonnerent, et une femme si illustre, pleurée de tous comme une personne morte, passoit desja le cinquiesme jour sans manger.  Une suivante fidele et affectionnée estoit tousjours auprès de la miserable, qui mesloit ses larmes aux siennes, et renouvelloit la lumiere toutes les fois qu'elle venoit à s'esteindre.  On ne parloit donc d'autre chose dans la Ville, et tout le monde demeurait d'accord, que c'estoit le premier exemple d’amour et de chasteté, qu'on eut jamais veu .
Il arriva qu'en ce mesme temps, le Gouverneur de la province fist attacher en croix quelques voleurs, tout proche de cette mesme cave, où la vertueuse Dame se desoloit sur le corps de son cher Espoux.  La nuict suivante, comme un soldat qui gardoit les croix, de peur que les corps ne fussent enlevez, eut apperceu de la lumiere dans le monument, et entendu les plaintes d'une personne affligée, par un esprit de curiosité, commun à tous les hommes, il voulut sçavoir qui ce pouvoit estre, et ce qu'on y faisoit; il descend donc au sepulchre, et surpris à la veuë d'une fort belle femme, il demeure d'abord espouvanté, comme si ç'eut esté quelque phantosme; puis ayant veu un corps mort estendu devant ses yeux, considéré des larmes, un visage deschiré avec les ongles, et toutes les autres marques de désolation, s'imaginant à la fin, ce que c'estoit, qu'une pauvre affligée s'abandonnait aux regrets, et ne pouvoit souffrir sans désespoir la mort de celuy qu'elle avoit perdu, il apporte son petit soupper au monument, et commence à l'exhorter de ne perseverer pas d'avantage dans une douleur inutile, et des gemissemens superflus; que la sortie de ce monde estoit la mesme pour tous les hommes ; qu'il falloit aller tous en mesme lieu; et ces autres raisons, dont on a coustume de guerir les esprits les plus malades.  Mais elle, irritée encore par une consolation si peu attendue, redouble son deüil, se deschire l'estomach avec plus de violence, et s'arrache les cheveux, qu'elle jette sur ce misérable corps.  Le Soldat ne se rebutte point pour cela, et avec les mesmes exhortations il essaye de luy faire prendre quelque nourriture jusqu'à ce que la suivante, gaignée sans doute par l'odeur du vin autant que par son discours , tendit la main à celuy qui les invitoit si obligeamment; et comme elle eut repris quelque vigueur par le boire et le manger, vint à combattre elle-mesme l'opiniastreté de sa Maistresse.  Et que vous servira cela, dit-elle, de vous laisser mourir de faim, de vous ensevelir toute vive, et rendre à la destinée une ame, qu'elle ne redemande pas encore ?

Pensez-vous que des Morts les insensibles cendres 
Vous demandent des pleurs et des regrets si tendres ?

Quoy ! vous voulez ressusciter un mort contre l'ordre de la nature ? Croyez-moy, deffaites-vous d'une foiblesse, dont les seules femmes sont capables, et joüissez des avantages de la lumiere, tant qu'il vous sera permis.  Ce corps que vous voyez devant vous, montre assez le prix de la vie, et vous avertit que vous devez mieux la mesnager.  Personne n'escoute à regret quand on la presse de manger en de pareilles occasions, et on se laisse persuader aisément de vivre: ainsi cette femme, extenüée par une si longue abstinence, laissa vaincre son obstination, et se remplit de viande avec la mesme avidité que la suivante, qui s'estoit rendue auparavant.  Au reste vous sçavez quelles tentations viennent d'ordinaire après le repas.  Avec les mesmes armes qu'employa le soldat pour combattre son désespoir, avec les mesmes il attaque sa pudicité; et le jeune homme ne paroissoit à la prude ny desagreable, ny sans esprit; la suivante n'oubliant rien pour luy rendre de bons offices, et disant ensuite à sa Maistresse,

Songez, songez à vous, voyez vostre interest,
Et ne combattez pas un amour qui vous plaist.

Qui m'arreste davantage ? La bonne Dame eut la mesme abstinence en ce qui regarde cette partie de son corps; et le Soldat pleinement victorieux vint à bout de l'un et de l'autre.  Ils demeurerent donc ensemble, non seulement la premiere nuict de leur jouissance, mais encore le lendemain et le jour d'après, les portes si bien fermées, que quiconque fût venu au monument, soit connu, soit inconnu, auroit crû sans doute que la plus honneste femme du monde avoit expiré sur le corps de son Mary.
Le soldat charmé de la beauté de sa Dame, et du secret de sa bonne fortune, achettoit tout ce que son peu de bien luy pouvoit permettre; et à peine la nuict estoit-elle venue, qu'il l'apportait dans le monument.  Cependant les parens d'un de ces pendus, comme ils s'apperçeurent qu'il n'y avoit plus de garde, enleverent le corps une nuict, et luy rendirent les derniers devoirs.  Mais le pauvre soldat, qui s'estoit laissé abuser, pour demeurer trop long-temps attaché à son plaisir, voyant le lendemain une de ces croix sans cadavre, alla trouver sa Maistresse dans la crainte du supplice, et luy conta tout ce qui estoit arrivé ; qu'au reste il estoit resolu de ne point attendre sa condamnation ; et que se faisant justice luy-mesme, il alloit punir sa négligence de sa propre main.  Pour toute grace, qu'il la supplioit d'avoir soin de sa sépulture, et de luy preparer ce mesme tombeau, fatal à son espoux et à son galant.  Cette femme aussi charitable que prude: Et aux Dieux ne plaise, dit-elle, que je voye en mesme temps les funerailles de deux personnes si cheres; j'ayme mieux pendre le mort que de faire perir le vivant.  Selon ce beau discours, elle fait tirer le corps de la biere pour l'attacher à cette croix, où il n'y avoit plus rien.  Le soldat profita du conseil ingénieux d'une femme si avisée; et le lendemain tout le peuple s'estonna de quelle maniere un homme mort avoit pû aller au gibet.

SAINT-EVREMOND (1610-1703).

abstineo, es, ere, tinui, tentum : 1. tenir éloigné de 2. s'abstenir, se tenir à l'écart de
ac, conj. : et, et aussi
ad, prép. : + Acc. : vers, à, près de
aggredior, eris, i, agressus sum : aller vers, s'approcher, attaquer
amor, oris, m. : l'amour
ancilla, ae, f. : la servante
aut, conj. : ou, ou bien
blanditia, ae, f. : la flatterie, la caresse
castus, a, um : 1. pur, intègre, vertueux 2. chaste 3. pieux, religieux, saint
concilio, as, are : concilier, unir, ménager, procurer, assembler, rendre bienveillant
conditorium, ii, n. : le cercueil, le sarcophage
corpus, oris, n. : le corps
deformis, e : défiguré, difforme, laid, hideux ; avilissant, inconvenant
dico, is, ere, dixi, dictum : 1 - dire, affirmer, prononcer, exprimer; débiter, réciter. - 2 - dire le nom, nommer, appeler. - 3 - haranguer, plaider. - 4 - célébrer, chanter, raconter, décrire, composer, prédire. - 5 - fixer, assigner, établir, régler. - 6 - avertir, faire savoir, notifier. - 7 - signifier, vouloir dire. - 8 - nommer, élire, proclamer, élever au rang de.
dies, ei, m. et f. : le jour
diutius, adv. : plus longtemps (comparatif de diu)
eius, génitif singulier de is, ea, id : ce, cette, son, sa, de lui, d'elle
ergo, conj. : donc
etiam, adv. : encore, en plus, aussi, même, bien plus
ex, prép. : + Abl. : hors de, de
expiro, as, are : expirer, mourir
facio, is, ere, feci, factum : faire
foris, is,
f. : la porte (rare au sing.)
gratia, ae, f. : la grâce, la reconnaissance (gratias agere = remercier)
hic, haec, hoc : adj. : ce, cette, ces, pronom : celui-ci, celle-ci
humanus, a, um : humain
iaceo, es, ere, cui, citurus
: 1 - être étendu, être couché, être alité, être gisant (blessé ou mort), être malade. - 2 - géographiquement : iacere = esse, situm esse : être situé, s’étendre. - 3 - être abattu, être démoralisé. - 4 - rester dans l’oubli, être négligé, être abandonné. - 5 - végéter, être en ruines. - 6 - être bas (---> prix). - 7 - être calme (---> mer).
idem, eadem, idem : le (la) même
ignotus, a, um
: inconnu
ille, illa, illud : adjectif : ce, cette (là), pronom : celui-là, ...
impetro, as, are : obtenir
infacundus, a, um : qui a de la peine à s'exprimer, sans éloquence
iuvenis, is, m. : le jeune homme
matrona, ae, f. : la matrone, l'épouse, la mère de famille
miles, itis, m. : le soldat
monumentum, (-niment-) i, n. : le souvenir, l'objet chargé de garder le souvenir, le monument
moror, aris, ari : s'attarder, demeurer (nihil - : ne pas se soucier de)
mulier, is, f. : la femme
ne, 1. adv. : ... quidem : pas même, ne (défense) ; 2. conj. + subj. : que (verbes de crainte et d'empêchement), pour que ne pas, de ne pas (verbes de volonté) 3. adv. d'affirmation : assurément 4. interrogatif : est-ce que, si
nec, adv. : et...ne...pas
non, neg. : ne...pas
notus, a, um : connu, fameux, familier
nox, noctis, f. : la nuit
nuptiae, arum, f. : 1 - le mariage, les noces. - 2 - le commerce charnel. - 3 - l'accouplement (des animaux)
pars, partis
, f. : la partie, le côté
persuadeo, es, ere, asi, asum : persuader
placeo, es, ere, cui, citum : 1.plaire, être agréable (placitus, a, um : qui plaît, agréable) 2. paraître bon, agréer
plerumque, adv. : la plupart du temps
posterus, a, um : suivant ; in posterum : à l'avenir
praecludo, si, sum, ere : fermer devant qqn, à qqn, barrer
pudicissimus, a, um : superlatif de pudicus, a, um : vertueux, honnête, chaste
pudicitia, ae, f. : la chasteté, la pudeur, la moralité
pugno, as, are : combattre
puto, as, are : 1. élaguer, émonder, apurer 2. supputer 3. estimer, penser, croire 4. supposer
qua, 1. ablatif féminin singulier du relatif. 2. Idem de l'interrogatif. 3. après si, nisi, ne, num = aliqua. 4. faux relatif = et ea 5. adv. = par où?, comment?
quibus, 1. datif ou ablatif pluriel du relatif 2. Idem de l'interrogatif 3. faux relatif = et eis 4. après si, nisi, ne, num = aliquibus
quid
, 1. Interrogatif neutre de quis : quelle chose?, que?, quoi?. 2. eh quoi! 3. pourquoi? 4. après si, nisi, ne num = aliquid
quidem
, adv. : certes (ne-) ne pas même
quisquis, quidquid ou quicquid : quiconque
satietas, atis, f. : le rassasiement, le dégoût, l'ennui, la satiété
scio, is, ire, scivi, scitum : savoir
sed, conj. : mais
soleo, es, ere, solitus sum
: avoir l'habitude de (solitus, a, um : habituel, ordinaire)
subinde, adv. : vite, bientôt, immédiatement ; souvent
sum, es, esse, fui : être
super, prép. : + Abl. : au dessus de, au sujet de
tantum, adv. : tant de, tellement ; seulement
tempto, as, are : chercher à saisir, éprouver, essayer, attaquer
tertius, a, um : troisième
una, adv. : ensemble, en même temps
ut, conj. : + ind. : quand, depuis que; + subj; : pour que, que, de (but ou verbe de volonté), de sorte que (conséquence) adv. : comme, ainsi que
uterque, utraque, utrumque : chacun des deux
uxor, oris
, f. : l'épouse, la femme
venio, is, ire, veni, ventum : venir
victor, oris, m. : le vainqueur
videlicet, adv. : bien sûr, sans doute (+ prop. inf. : que...)
video, es, ere, vidi, visum : voir (videor, eris, eri, visus sum : paraître, sembler)
vir, viri
, m. : l'homme, le mari
vivo, is, ere, vixi, victum : vivre
volo, vis, velle : vouloir
texte
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