Le droit romain à travers le temps

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Période républicaine
Des XII Tables à la fin de la République

Lex Canuleia (445 A.C.N.)

TITE-LIVE : Tite-Live est né à Padoue, mais a vécu à Rome au temps d'Auguste. C'était un honnête homme, un patriote enthousiaste, un admirateur du temps passé ; il est l'auteur d'une Histoire romaine en 142 livres allant des origines de Rome jusqu'à 9 P.C.N. et dont il reste 35 livres.

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En 445, Caius Canuleius, un tribun de la plèbe dynamique et particulièrement éloquent, propose deux lois visant à protéger le peuple contre l'arbitraire du patriciat et à établir une plus grande équité entre les classes :
1. abrogation de la loi interdisant le conubium (une des dernières lois des XII Tables : NE CONUBIUM ESTO)
2. la possibilité qu'un des deux consuls soit plébéien.
Par ces deux revendications, Canuleius entreprend de saper les bases de la puissance patricienne.

 Anni principio et de conubio patrum et plebis C. Canuleius tribunus plebis rogationem promulgavit, qua contaminari sanguinem suum patres confundique iura gentium rebantur,- et mentio, primo sensim inlata a tribunis, ut alterum ex plebe consulem liceret fieri, eo processit deinde ut rogationem novem tribuni promulgarent, "ut populo potestas esset, seu de plebe seu de patribus vellet, consules faciendi" : id vero si fieret, non volgari modo cum infimis, sed prorsus auferri a primoribus ad plebem summum imperium credebant.

 vocabulaire

Au début de l'année, le tribun de la plèbe Canuleius rendit publique une proposition de loi au sujet du droit de mariage entre patriciens et plébéiens, projet par lequel les patriciens estimaient que leur sang était souillé et que les droits des familles étaient bouleversés; et la motion qui avait d'abord été avancée timidement par les tribuns et qui demandait que l'un des deux consuls pût être originaire de la plèbe, finit par avoir tant de succès que les neuf tribuns présentèrent un projet de loi demandant que le peuple eût la faculté d'élire des consuls, soit plébéiens, soit patriciens, à son gré. Si cela venait à se faire, les patriciens étaient persuadés que le pouvoir suprême non seulement était offert indistinctement aux citoyens de rang inférieur, mais était encore arraché complètement à l'élite pour être transféré à la plèbe.  

TITE-LIVE, IV, 1, 1-3
 

conubium,ii : le droit de mariage, c'est-à-dire la faculté de contracter un mariage civil romain et de jouir des prérogatives attachées à une telle union.
rogatio,ionis :
1. la question, la demande - 2. la proposition de loi (litt. demande adressée au peuple par un magistrat) - rogationem promulgare,o,avi,atum : rendre publique une proposition de loi
contaminare,o,avi,atum : mélanger, mêler - corrompre, souiller
confundere,o,fudi,fusum : mêler, mélanger
iura gentium : le droit des gentes, les droits gentilices (ne pas confondre avec le droit des gens)
mentio,ionis : la motion - mentionem inferre,o,intuli,illatum : soumettre une motion. Cette expression s'emploie en parlant d'un sénateur qui recommande à l'attention du sénat une question et prie le président, ou, si celui-ci s'y refuse, les autres magistrats compétents d'en saisir officiellement le sénat.
sensim peu à peu, modérément, timidement
eo procedere,o,cessi,cessum ut + subj. : en venir à ce point que, avoir du succès au point de
volgari = vulgari
* A l'origine, il n'y avait que des gentes patriciennes. Leurs membres avaient certains droits religieux et politiques, comme par exemple les auspices, et conséquemment l'imperium, les sacerdotes, la connaissance du droit, certains sacrifices.

L'inquiétude des patriciens se justifiait-elle ? Quels arguments avançaient-ils pour expliquer leur opposition à ces projets de loi ? cf. TITE-LIVE, IV, 2, 5-10 :

Quelles entreprises audacieuses, sans mesure, forme un Canuléius ! Fusion des familles, bouleversement des auspices publics et privés, si bien qu'il n'y ait plus rien de franc, rien de pur; que toute distinction sociale soit abolie et qu'on ne reconnaisse plus ni les siens ni soi-même. A quoi tendent, en effet, ces mariages mixtes ? A vulgariser des sortes d'accouplements, comme chez les bêtes, entre nobles et plébéiens. De sorte que celui qui en naîtra ne saura plus à quel sang, à quel culte il appartient; moitié noble, moitié plébéien, il ne sera pas même d'accord avec lui-même.
Mais c'était trop peu de bouleverser les lois divines et humaines; c'est maintenant au consulat que s'attaquent les meneurs de la foule. Au début il ne s'agissait que de prendre un des deux consuls dans la plèbe, simple parole en l'air pour tâter le terrain; voici maintenant un projet de loi autorisant le peuple à prendre les consuls soit dans la noblesse, soit dans la plèbe, à son gré. Et on nommera évidemment les plébéiens les plus séditieux; ainsi les Canuléius, les Icilius seront consuls ! Puisse la bonté du grand Jupiter ne pas laisser le pouvoir de la majesté royale tomber aussi bas ! Ils sont prêts à souffrir mille morts, plutôt que d'accepter un tel déshonneur. A n'en pas douter, si leurs ancêtres, eux aussi, avaient pu prévoir que toutes leurs concessions rendraient la plèbe non plus conciliante, mais plus âpre à présenter des revendications de plus en plus injustes après un premier avantage, ils auraient dès le début accepté la lutte à tout prix, plutôt que de se laisser imposer de telles lois.

Lectures complémentaires : FUSTEL DE COULANGES, La Cité antique, pp. 343, 358 :

N'accusons pas plus que de raison les patriciens, et ne supposons pas qu'ils aient froidement conçu le dessein d'opprimer et d'écraser la plèbe. Le patricien, qui descendait d'une famille sacrée et se sentait l'héritier d'un culte, ne comprenait pas d'autre régime social que celui dont l'antique religion avait tracé les règles. A ses yeux, l'élément constitutif de toute société était la gens, avec son culte, son chef héréditaire, sa clientèle. Pour lui, la cité ne pouvait pas être autre chose que la réunion des chefs des gentes. Il n'entrait pas dans son esprit qu'il pût y avoir un autre système politique que celui qui reposait sur le culte, d'autres magistrats que ceux qui accomplissaient les sacrifices publics, d'autres lois que celles dont la religion avait dicté les saintes formules...
Les moeurs tendaient à l'égalité. On était sur une pente où l'on ne pouvait plus se retenir. Il était devenu nécessaire de faire une loi pour défendre le mariage entre les deux ordres : preuve certaine que la religion et les moeurs ne suffisaient plus à l'interdire. Mais à peine avait-on eu le temps de faire cette loi, qu'elle tomba devant une réprobation universelle.
Quelques patriciens persistèrent bien à alléguer la religion : "Notre sang va être souillé, et le culte héréditaire de chaque famille en sera flétri; nul ne saura plus de quel sang il est né, à quels sacrifices il appartient; ce sera le renversement de toutes les institutions divines et humaines". Les plébéiens n'entendaient rien à ces arguments, qui ne leur paraissaient que des subtilités sans valeur. Discuter des articles de foi devant des hommes qui n'ont pas la religion, c'est peine perdue. Les tribuns répliquaient d'ailleurs avec beaucoup de justesse : "S'il est vrai que votre religion parle si haut, qu'avez-vous besoin de cette loi ? Elle ne vous sert de rien; retirez-la, vous resterez aussi libres qu'auparavant de ne pas vous allier aux familles plébéiennes". La loi fut retirée. Aussitôt les mariages devinrent fréquents entre les deux ordres. Les riches plébéiens furent à tel point recherchés que, pour ne parler que des Licinius, on les vit s'allier à trois gentes patriciennes, aux Fabius, aux Cornélius, aux Manlius. On put reconnaître alors que la loi avait été un moment la seule barrière qui séparât les deux ordres. Désormais, le sang patricien et le sang plébéien se mêlèrent.
Dès que l'égalité était conquise dans la vie privée, le plus difficile était fait, et il semblait naturel que l'égalité existât de même en politique. La plèbe se demanda donc pourquoi le consulat lui était interdit, et elle ne vit pas de raison pour en être écartée toujours.

P. GRIMAL, L'Amour à Rome, Paris, Hachette, 1963, pp. 69 et 77 :

Pendant les trois premiers siècles de Rome, les alliances entre une famille patricienne et une famille plébéienne demeurèrent interdites. La raison en est assez claire; elle ne réside point, sans doute, en un orgueil de caste, mais dans le caractère même du mariage et le sentiment que, patriciens et plébéiens n'étant pas religieusement équivalents, deux êtres appartenant à ces deux ordres ne pouvaient former un couple harmonieux au regard de la divinité, ni mettre en commun des statuts que leur inégalité rendait inconciliables.
Car - et ce principe demeura dans le droit classique - la femme n'acquiert point automatiquement par mariage la condition juridique de son mari. Elle conserve pleinement son statut personnel; sa personnalité n'est nullement "absorbée" par celle de l'homme qui devient son compagnon, et cela se marque dans le fait qu'elle ne prend point le nom gentilice de sa nouvelle famille, mais, plus indépendante que les épouses modernes, conserve celui de sa naissance...
On s'est souvent demandé l'origine de cette prescription singulière. Peut-être est-ce, là encore, une fiction légale, imaginée pour créer un mariage sans manus, dans lequel la femme ne deviendrait pas la "pupille" de son mari, mais conserverait son statut juridique personnel.
Cette création d'un mariage sans manus, si importante dans l'évolution des moeurs romaines, est attribuée par la tradition aux décemvirs qui, vers le milieu du Ve siècle avant Jésus-Christ, rédigèrent les lois des Douze Tables, il se peut même qu'elle soit plus ancienne, et que les décemvirs se soient bornés à inscrire dans leur code un état de fait. Il est bien probable que ce régime fut imaginé pour répondre à des situations pratiques qui rendaient difficile le maintien de l'autorité maritale dans toute sa rigueur. On soupçonne que l'autorisation de conclure des mariages légitimes entre patriciens et plébéiens, officiellement accordée par la Lex Canuleia en 445 avant Jésus-Christ, n'est pas sans rapport avec l'assouplissement du vieux mariage patriarcal. Il est concevable que le père d'une jeune patricienne ait répugné à transmettre son autorité au mari plébéien qu'elle pouvait être amenée à épouser, et qui n'était pas son égal, du moins au regard des dieux. Une épouse qui échappait à la manus du mari demeurait en effet soumise à celle de son père; elle continuait de participer à la religion de la maison où elle était née. Mais cela entraînait aussi une autre conséquence : en vertu de son autorité traditionnelle, le père de la jeune femme conservait la faculté de rompre le mariage de sa fille à sa propre convenance, sans le consentement des époux. Ce droit, qui nous paraît exorbitant, persista jusqu'au second siècle de notre ère; il ne fut définitivement aboli qu'au temps des Antonins...
Loin d'être inspirée par des intentions libérales et le désir de donner à la femme son indépendance juridique, cette innovation des juristes du Ve siècle témoigne surtout de la répugnance qu'ils éprouvaient à diminuer les prérogatives du père de famille, et de leur ingéniosité à sauvegarder l'intégrité de la "maison" patricienne.
Mais, dans la réalité, il en résulta une véritable révolution qui, à longue échéance, eut pour effet d'émanciper en pratique la femme mariée.
 

a, prép. : + Abl. : à partir de, après un verbe passif = par
ad, prép. : + Acc. : vers, à, près de
alter, era, erum : autre de deux
annus, i, m. : l'année
aufero, fers, ferre, abstuli, ablatum : emporter
C, = Caius, ii, m. : abréviation.
Canuleius, i, m. : Canuleius
confundo, is, ere, fudi, fusum : mêler, brouiller
consul, is, m. : le consul
contamino, as, are : - tr. - 1 - mettre en contact, mêler. - 2 - souiller (par contact), salir, infecter, gâter, corrompre, altérer, contaminer; profaner.
conubium, i, n. : - 1 - le mariage (considéré légalement). - 2 - le droit de mariage. - 3 - la liaison illégitime. - 4 - l'ente, la greffe.
credo, is, ere, didi, ditum : I. 1. confier en prêt 2. tenir pour vrai 3. croire II. avoir confiance, se fier
cum, inv. :1. Préposition + abl. = avec 2. conjonction + ind. = quand, lorsque, comme, ainsi que 3. conjonction + subj. : alors que
de, prép. + abl. : au sujet de, du haut de, de
deinde, adv. : ensuite
eo, 1. ABL. M-N SING de is, ea, is : le, la, les, lui... ce,..; 2. 1ère pers. sing. de l'IND PR. de eo, ire 3. adv. là, à ce point 4. par cela, à cause de cela, d'autant (eo quod = parce que)
et, conj. : et. adv. aussi
ex, prép. : + Abl. : hors de, de
facio, is, ere, feci, factum : faire
fio, is, fieri, factus sum : devenir
gens, gentis, f. : la tribu, la famille, le peuple
id, nominatif - accusatif neutre singulier de is, ea, is : il, elle, le, la, ce, ....
imperium, ii, n. : 1 - le commandement, l'ordre, l'injonction, l'autorité. - 2 - le droit de commander, l'autorité suprême, la puissance, la domination, la souveraineté, l'hégémonie, la suprématie, la prééminence. - 3 - le pouvoir dans l'Etat : le commandement militaire. - 4 - le pouvoir monarchique, la royauté, l'empire. - 5 - l'empire, l'Etat. - 6 - l'ordonnance (du médecin).
infero, es, ferre, tuli, illatum : porter dans, servir
infimus, a, um : le plus bas, le dernier
ius, iuris, n. : le droit, la justice
liceo, v. impers. : il est permis ; conj. + subj. : bien que
mentio, ionis, f. : la mention, le rappel
modo, adv. : seulement ; naguère, il y a peu (modo... modo... tantôt... tantôt...)
non, neg. : ne...pas
nouem, inv. : neuf
pater, tris, m. : le père, le magistrat
plebs, plebis, f. : la plèbe
populus, i, m. : 1. le peuple - 2. f. : le peuplier
potestas, atis, f. : 1. la puissance, le pouvoir 2. le pouvoir d'un magistrat 3. la faculté, l'occasion de faire qqch.
primo, adv. : d'abord, en premier lieu
primoris, e : le premier, la première
principium, ii, n. : 1. le commencement 2. le fondement, l'origine (principia, orum : la première ligne, le quartier général)
procedo, is, ere, cessi, cessum : 1 - aller en avant, s'avancer hors de, être saillant, paraître, apparaître. 2 - marcher en grande pompe, s'avancer solennellement. 3 - avancer jusqu'à un certain point, aller jusqu'à, marcher. 4 - avancer, faire des progrès, se pousser, faire son chemin, aller son train. 5 - marcher, aller (bien ou mal), prospérer, réussir. 6 - être avantageux, être utile. 7 - marcher, s'écouler (---> temps); courir (---> compte), être compté. 8 - procéder de, émaner de.
promulgo, as, are : tr. - 1 - afficher, publier, proposer (une loi). - 2 - proclamer officiellement, promulguer. - 3 - faire savoir, déclarer.
prorsus, adv. : en avant, directement, tout à fait, absolument
qua, 1. ablatif féminin singulier du relatif. 2. Idem de l'interrogatif. 3. après si, nisi, ne, num = aliqua. 4. faux relatif = et ea 5. adv. = par où?, comment?
reor, reris, reri, ratus sum : - 1 - compter, calculer. - 2 - penser, croire, juger, estimer.
rogatio, ionis, f. : 1. la demande 2. la proposition de loi 3. la prière
sanguis, inis, m. : le sang, la vigueur
sed, conj. : mais
sensim, adv. : insensiblement, peu à peu
seu, conj. : répété : soit... soit...
si, conj. : si
sum, es, esse, fui : être
summus, a, um : superlatif de magnus. très grand, extrême
suus, a, um : adj. : son; pronom : le sien, le leur
tribunus, i, m. : le tribun ; tribunus pl. : le tribun de la plèbe
uero, inv. : mais
uolgo, as, are : - tr. - a - répandre dans le public, communiquer, propager, divulguer, publier. - b - livrer au public, prostituer (son corps). - c - ravaler, avilir. - d - rendre notoire, illustrer.
uolo, uis, uelle : vouloir
ut, conj. : + ind. : quand, depuis que; + subj; : pour que, que, de (but ou verbe de volonté), de sorte que (conséquence) adv. : comme, ainsi que
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