Le barreau à Rome

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Déontologie de l'avocat

La morale de l'éloquence

CICERON : M. Tullius Cicero fut avocat, homme politique, écrivain. Durant les dernières années de sa vie, aigri par son divorce et sa mise à l'écart de la vie politique, Cicéron va se consacrer à la rédaction d'ouvrages théoriques sur l'art oratoire et sur la philosophie. Au fil de ses lectures, Cicéron choisit son bien où il le trouve ; il est en philosophie un représentant de l'éclectisme.

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Atque etiam hoc praeceptum officii diligenter tenendum est ne quem umquam innocentem iudicio capitis arcessas ; id enim sine scelere fieri nullo pacto potest. Nam quid est tam inhumanum quam eloquentiam a natura ad salutem hominum et ad conservationem datam, ad bonorum pestem perniciemque convertere? Nec tamen ut hoc fugiendum est, item est habendum religioni nocentem aliquando, modo ne nefarium impiumque, defendere ; vult hoc multitudo, patitur consuetudo, fert etiam humanitas. Iudicis est semper in causis verum sequi, patroni non numquam veri simile etiamsi minus sit verum, defendere.

arcessere aliquem iudicio capitis : intenter un procès capital à quelqu'un
ne ... arcessas :
proposition complétive expliquant praeceptum
nullo pacto = nullo modo

habere religioni (D. de but) + inf : avoir scrupule de

modo = dummodo + subj. (s/e defendas) :
pourvu que
minus verum :
assez peu vrai

   vocabulaire

Cette règle obligatoire doit être scrupuleusement respectée, à savoir que jamais on ne doit intenter à un innocent un procès capital. Cela, en effet ne peut en aucun cas se faire sans que l'on commette un crime. Car qu'y a-t-il d'aussi inhumain que de détourner l'éloquence, ce don de la nature destiné à procurer aux hommes salut et sauvegarde, vers la ruine et la perte des gens de bien? Toutefois, si cette première attitude doit être évitée, il n'est pas exact qu'on doive pour autant avoir le même scrupule à défendre parfois un coupable, pourvu qu'il ne soit ni un impie ni un sacrilège ; c'est ce que veut la foule, ce que tolère la coutume, ce qu'implique même l'humanité. Le propre du juge est de toujours, dans les procès, suivre à la trace la vérité, le rôle de l'avocat est de soutenir parfois le vraisemblable même s'il est assez loin de la vérité.

CICÉRON, De Officiis, 51

LA BRUYÈRE, Caractères, XIV, 52 : Un innocent condamné est l'affaire de tous les honnêtes gens.

GRELLET-DUMAZEAU, Le Barreau romain, pp. 238-239 :

Quintilien pose en principe que l'homme de bien ne doit plaider que de bonnes causes, et cependant il autorise l'avocat à dissimuler la vérité en certains cas ; par exemple, lorsqu'il est plus profitable à la société de pardonner que de punir, ou lorsqu'une action, bonne en elle-même, doit néanmoins être réprimée par le juge, si l'on ne parvient pas à le convaincre qu'elle n'a pas été commise. (II,15)
Cette proposition, que son auteur qualifie lui-même de scabreuse, fut de tout temps acceptée par le barreau ancien comme reposant sur une notion vraie de morale. Cicéron, généralisant davantage, veut que l'avocat puisse se retrancher dans la vraisemblance ...
Mais dans la pratique les avocats allèrent plus loin, et on est forcé de reconnaître qu'ils y étaient autorisés par certains traités sur la matière ... Les mêmes ouvrages enseignent l'art de flétrir ou de justifier la torture suivant les besoins de la cause, d'inventer des fables contre l'adversaire, de glisser dans l'esprit du juge des insinuations calomnieuses, l'art enfin d'immoler la vérité au triomphe de l'orateur : ce qui faisait dire à Celse que la récompense de l'avocat n'était pas dans le témoignage de sa conscience, mais dans le gain de son procès ... On se faisait peu de scrupule de plaider le pour et le contre sur le même fait.

CICÉRON, Pro Cluentio, 139 :

Ce serait s'abuser étrangement que de rechercher dans nos plaidoyers des opinions qui nous appartinssent en propre ; notre langage est celui de la cause et de la circonstance, jamais celui de l'homme ni de l'avocat; car si la cause pouvait parler d'elle-même, nul n'aurait recours à une voix étrangère. Si l'on fait usage de notre ministère, c'est pour que nous plaidions, non d'après nos impressions personnelles, mais d'après les faits particuliers du procès et les exigences qu'ils comportent.  

G. BOYER CHAMMARD, Les Avocats, Que sais-je ? nE 1659, pp. 64-68 :

Le choix des causes

L'avocat est en vérité tenu d'accepter toute affaire qui est "plaidable" en ce sens qu'elle présente le doute judiciaire qui permet de la défendre raisonnablement.
S'il est là pour l'éclairer, l'avocat n'est pas là pour la juger. Ceci est vrai aussi bien devant les tribunaux civils que devant les juridictions pénales entre lesquels on fait souvent, bien à tort, une distinction purement arbitraire.
En matière criminelle, il n'appartient pas à l'avocat de soumettre son client à un premier jugement au vu duquel il le défendra s'il le croit coupable et l'abandonnera s'il le juge innocent.
Prenons d'abord la matière criminelle. Bien entendu, quand l'accusé nie, la discussion reste entière. Mais dès lors qu'il avoue à son conseil, un grand débat de conscience peut se poser : si l'avocat abandonne subitement la défense de son client, cet abandon inexpliqué peut faire naître un doute grave dans l'esprit du public. Il reste que l'avocat peut toujours trouver au plus misérable des êtres humains qui se confient à lui des circonstances atténuantes susceptibles d'éviter une trop lourde peine, parfois le châtiment suprême.
Enfin si la culpabilité est objectivement établie, il n'est plus question de soutenir l'innocence mais de démontrer l'opportunité de circonstances atténuantes.
Un avocat est toujours et doit toujours être présent auprès de la femme ou de l'homme, effondrés, qui perdent pied, pour tirer parti à leur profit des revirements et des hasards qui peuvent se produire dans un dossier apparemment accablant.
La matière civile, pour ne point concerner d'affaires de sang, n'en réclame pas moins un avocat auprès de chaque partie qui y joue son honneur ou sa fortune.
Il convient de répondre sans ambiguïté et sans réserve à ceux qui s'interrogent sur la légitimité de la présence de l'avocat auprès des plus misérables : dans les limites tracées par une conscience droite, une voix peut toujours s'élever pour chaque accusé et pour chaque plaideur.
Est-ce à dire que l'avocat est lié à ceux qui se trouvent confiés à lui ? Certainement pas, le médecin ne l'est pas non plus, en vertu des textes qui régissent sa profession, envers les malades. Mais l'avocat ne pourrait sans scrupules se départir que si son client voulait lui faire soutenir le contraire de ce qu'il lui a librement avoué ou lui imposer, quant à ses moyens de défense, ce que Maurice Garçon a appelé "des instructions impératives qui ne lui paraissent pas justes ou conformes à ce qu'il estime légitime".
Ainsi un avocat qui défend un client mal réputé ou qui plaide une cause discutable, ne doit-il pas être au premier abord, ni soupçonné, ni blâmé.
S'il avait refusé de soutenir l'une ou d'aider l'autre, il serait comparable à un médecin qui refuserait un patient au motif qu'il serait atteint d'une maladie incurable ou répugnante.
L'avocat ne jure plus actuellement de ne défendre que les causes justes, mais d'exercer sa profession avec dignité, conscience, indépendance et humanité. Plaider n'est pas nécessairement chercher le gain du procès ou une solution favorable mais contribuer à faire rendre une décision humainement et juridiquement juste, c'est-à-dire conciliant dans toute la mesure du possible le droit et l'équité.
Comment ses propres sentiments pourraient-ils amener l'avocat à refuser un dossier ?
Ici peut être évoquée la question ingénue que tout avocat se voit poser souvent, comme si elle était décisive. "Comment, lui demande-t-on, pouvez-vous soutenir l'innocence d'un client que vous savez coupable ?" La réponse est simple. Les choses ne se passent pas ainsi dans la réalité : ce serait trop facile ou plutôt trop complexe. Un client n'avoue, sauf exception, jamais à son avocat qu'il est coupable s'il s'agit d'un procès pénal, ou qu'il a tort si l'on est en matière civile. Il ne demandera pas à un avocat de plaider l'acquittement après lui avoir avoué qu'il était l'assassin.
L'accusé se dit innocent et le défendeur en divorce se prétend la victime. L'avocat n'est pas plus sûr de détenir la vérité que le jury ou que les magistrats. Il n'en reste pas moins vrai que la connaissance personnelle qu'il a de son client et l'étude approfondie du dossier lui permettent de rechercher le résultat le plus conforme à la justice.
Ce qui peut être dit avec certitude, c'est que le cas du client qui passe en aveu confidentiel à son défenseur, alors qu'il nie effrontément devant le juge est absolument exceptionnel.
On pourrait dire ce cas négligeable dans la mesure où il ne pose pas de problèmes. Bien entendu, la conscience ne permet pas de plaider frauduleusement contre la vérité, et ce serait bien un acte frauduleux de soutenir une innocence alors qu'on connaîtrait la culpabilité. Si le client persiste dans son attitude et veut imposer de plaider ce qu'on sait faux, la solution n'est pas douteuse : le devoir de l'avocat est de refuser la cause au pénal comme au civil.

a, prép. : + Abl. : à partir de, après un verbe passif = par
ad
, prép. : + Acc. : vers, à, près de
aliquando
, adv. : un jour, une fois
arcesso, is, ere, ivi, itum
:1. faire venir, mander (arcessitus, a, um : cherché, peu naturel) 2. citer en justice, accuser
atque
, conj. : et, et aussi
bonus, a, um
: bon (bonus, i : l'homme de bien - bona, orum : les biens)
caput, itis
, n. :1. la tête 2. l'extrémité 3. la personne 4. la vie, l'existence 5. la capitale
causa, ae
, f. : la cause, le motif; l'affaire judiciaire, le procès; + Gén. : pour
conservatio, ionis
, f. : l'action de conserver, la sauvegarde
consuetudo, dinis
, f. : l'habitude
converto, is, ere, verti, versum
: tourner complètement; se convertere : accomplir une révolution
defendo, is, ere, fendi, fensum
: défendre, soutenir
diligenter
, adv. : attentivement, scrupuleusement
do, das, dare, dedi, datum
: donner
eloquentia, ae
, f. : l'éloquence
enim
, conj. : car, en effet
et
, conj. : et. adv. aussi
etiam
, adv. : encore, en plus, aussi, même, bien plus
etiamsi
, conj. : même si
fero, fers, ferre, tuli, latum
: porter, supporter, rapporter
fio, is, fieri, factus sum
: devenir
fugio, is, ere, fugi
: s'enfuir, fuir
habeo, es, ere, bui, bitum
: avoir (en sa possession), tenir (se habere : se trouver, être), considérer comme
hic, haec, hoc
: adj. : ce, cette, ces, pronom : celui-ci, celle-ci
homo, minis
, m. : l'homme, l'humain
humanitas, atis
, f. : l'humanité, l'ensemble de qualités qui font l'homme supérieur à la bête, la philanthropie
id
, nominatif - accusatif neutre singulier de is, ea, is : il, elle, le, la, ce, ....
impius, a, um
: qui manque aux devoirs de piété, impie, sacrilège
in
, prép. : (acc. ou abl.) dans, sur, contre
inhumanus, a, um
: inhumain, barbare, cruel
innocens, entis
: innocent, vertueux, inoffensif
item
, inv. : de même
iudex, icis
, m. : le juge
iudicium, ii
, n. : le jugement, la décision
minus
, adv. : moins
modo
, adv. : seulement ; naguère, il y a peu (modo... modo... tantôt... tantôt...)
multitudo, dinis
, f. : la foule, le grand nombre
nam
, conj. : de fait, voyons, car
natura, ae
, f. : la nature
ne
, 1. adv. : ... quidem : pas même, ne (défense) ; 2. conj. + subj. : que (verbes de crainte et d'empêchement), pour que ne pas, de ne pas (verbes de volonté) 3. adv. d'affirmation : assurément 4. interrogatif : est-ce que, si
nec
, adv. : et...ne...pas
nefarius, a, um
: abominable
nocens, entis
: nuisible, coupable
non
, neg. : ne...pas
nullus, a, um
: aucun
numquam
, inv. : ne... jamais
officium, ii
, n. : 1. le service, la fonction, le devoir 2. la serviabilité, l'obligeance, la politesse 3. l'obligation morale
pactum, i
, n. : le pacte, la convention, le contrat de mariage, la manière
patior, eris, i, passus sum
: supporter, souffrir, être victime de, être agressé par
patronus, i
, m. : 1. le patron, le protecteur des plébéiens 2. l'avocat, le défenseur (en justice)
pernicies, iei
, f. : la perte
pestis, is
, f. : la maladie contagieuse, l'épidémie, le fléau
possum, potes, posse, potui
: pouvoir
praeceptum, i,
n. : le précepte, la règle, la leçon
quam
, 1. accusatif féminin du pronom relatif = que 2. accusatif féminin sing de l'interrogatif = quel? qui? 3. après si, nisi, ne, num = aliquam 4. faux relatif = et eam 5. introduit le second terme de la comparaison = que 6. adv. = combien
quem
, 4 possibilités : 1. acc. mas. sing. du pronom relatif = que 2. faux relatif = et eum 3. après si, nisi, ne num = aliquem : quelque, quelqu'un 4. pronom ou adjectif interrogatif = qui?, que?, quel?
quid
, 1. Interrogatif neutre de quis : quelle chose?, que?, quoi?. 2. eh quoi! 3. pourquoi? 4. après si, nisi, ne num = aliquid
religio, onis
, f. : le scrupule religieux, la religion, la délicatesse, la conscience
salus, utis
, f. : 1. la santé 2. le salut, la conservation 3. l'action de saluer, les compliments
scelus, eris
, n. : le crime, l'attentat, les intentions criminelles, le malheur, le méfait, le scélérat
semper
, adv. : toujours
sequor, eris, i, secutus sum
: 1. suivre 2. poursuivre 3. venir après 4. tomber en partage
similis, e
: semblable
sine
, prép. : + Abl. : sans
sum, es, esse, fui
: être
tam
, adv. : si, autant
tamen
, adv. : cependant
teneo, es, ere, ui, tentum
: 1. tenir, diriger, atteindre 2. tenir, occuper 3. tenir, garder 4. maintenir, soutenir, retenir 5. lier 6. retenir, retarder, empêcher
umquam
, inv. : une seule fois ; avec une négation : jamais
ut
, conj. : + ind. : quand, depuis que; + subj; : pour que, que, de (but ou verbe de volonté), de sorte que (conséquence) adv. : comme, ainsi que
verus, a, um
: vrai
volo, vis, velle
: vouloir
texte
texte
texte
texte