Le barreau à Rome

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Le procès de Virginie (445 A.C.N.)

Origine et évolution de la profession d'avocat

TITE-LIVE : Tite-Live est né à Padoue, mais a vécu à Rome au temps d'Auguste. C'était un honnête homme, un patriote enthousiaste, un admirateur du temps passé ; il est l'auteur d'une Histoire romaine en 142 livres allant des origines de Rome jusqu'à 9 P.C.N. et dont il reste 35 livres.

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Un des décemvirs, Appius Claudius, s'éprend d'une jeune plébéienne, fille du centurion Lucius Verginius. Virginie est fiancée à Icilius, ancien tribun de la plèbe. Appius entreprend de la séduire mais sans succès ; il décide alors de recourir à une ruse : il charge son client Marcus Claudius de réclamer la jeune fille comme esclave et de s'opposer à toute demande de liberté provisoire ; l'absence du père lui semble laisser le champ libre à l'injustice

Ad tribunal Appi perventum est. Notam iudici fabulam petitor, quippe apud ipsum auctorem argumenti, peragit : "Puellam domi suae natam furtoque inde in domum Vergini translatam suppositam ei esse ; id se indicio compertum adferre probaturumque vel ipso Verginio iudice, ad quem maior pars iniuriae eius pertineat ; interim dominum sequi ancillam aequum esse". Advocati puellae, cum Verginium rei publicae causa dixissent abesse, "biduo adfuturum si nuntiatum ei sit, iniquum esse absentem de liberis dimicare", postulant ut "rem integram in patris adventum differat; lege ab ipso lata vindicias det secundum libertatem, neu patiatur virginem adultam famae prius quam libertatis periculum adire".

iudici : ce terme est employé improprement, car l'affaire n'est encore qu'in iure, où l'on décide s'il y a lieu à procès, et non in iudicio, où se tranchera le débat.
puerum supponere : faire une substitution d'enfant
vindicias secundum libertatem dare : accorder la revendication en faveur de la liberté = accorder l'état provisoire de personne libre

   vocabulaire

On arrive au tribunal d'Appius. Le demandeur expose la fable bien connue du juge, l'auteur lui-même, bien entendu, de cette comédie : "La jeune fille, née dans sa maison, mais ensuite enlevée et transportée chez Verginius, a été présentée à celui-ci comme sa propre fille. Il allègue ces faits après en avoir eu connaissance par une dénonciation, et il en apportera la preuve même si Verginius en personne est appelé à en juger, lui qui est la principale victime de cette action frauduleuse. Entre-temps, il est juste qu'une esclave suive son maître." Les défenseurs de la jeune fille firent remarquer que Verginius était absent pour le service de l'Etat, qu'il serait là le lendemain si on l'avertissait, et qu'il était injuste de débattre, en son absence, du sort de sa fille. Ils demandent (à Appius) de remettre toute l'affaire jusqu'à l'arrivée de son père, d'accorder la liberté provisoire en fonction de la loi qu'il a lui-même promulguée, et de ne pas tolérer qu'une jeune fille adulte voie sa réputation mise en péril avant sa liberté.

TITE-LIVE, III, 44, 9-12.

 

Les données de base du procès sont les suivantes :

1° Quand un individu est en litige, tout citoyen romain peut "revendiquer" en justice sa liberté (c'est l'adsertor libertatis) ; et, au cas où il n'obtiendrait pas gain de cause, la revendication peut être assumée par un autre, sans limitation du nombre des adsertores.

2° L'action de l'adsertor libertatis détermine, de la part du magistrat (in iure), une attribution provisoire de l'individu en litige (vindiciae), et cette attribution doit se faire "dans le sens de la liberté" (secundum libertatem), c'est-à-dire en faveur de l'adsertor libertatis, qui noue d'ailleurs le procès en son propre nom, par l'engagement d'une "somme consacrée" (sacramentum), en principe très peu élevée (50 as) dans ce cas spécial, quelle que soit la valeur de l'individu en litige.

3° Mais le cas de Virginie est particulier. Elle passe pour ingenua ; mais, du fait de sa condition de fille non mariée, elle se trouve in potestate de son père. Et, si cette paternité se révèle fausse, elle tombera sous la dominica potestas de l'affranchi M. Claudius. De toute façon, l'attribution provisoire ne saurait donc se faire secundum libertatem : si son père est présent, elle doit évidemment jouer en sa faveur ; mais, en son absence, personne ne peut être préféré au maître prétendu.

(cf. BAYET, Tite-Live, Histoire Romaine, Paris, Les Belles Lettres, tome III, p. 136).

ORIGINE DU BARREAU (d'après M. GRELLET-DUMAZEAU, Le Barreau romain, Paris, 1858, pp. 34-60.)

Un des premiers soins de Romulus avait été de créer cent sénateurs, auxquels on ajouta cent autres lors de la fusion entre Romains et Sabins. Le nombre sera porté à trois cents par Tarquin le Superbe. Ces sénateurs, appelés Patres, constituèrent la souche des premières gentes (= patriciens). Le reste des citoyens forma la plèbe.

M.GRELLET-DUMAZEAU explique très bien les rapports entre les deux classes :

Les patriciens, selon Denis d'Halicarnasse, remplissaient les fonctions du sacerdoce, géraient les magistratures, rendaient la justice, administraient l'Etat et veillaient aux intérêts de la cité. Quant aux plébéiens, ils cultivaient les terres, prenaient soin des troupeaux et exerçaient les travaux manuels. Comme les patriciens étaient investis de l'autorité et de toutes les prérogatives qui s'y rattachent, le chef de l'Etat, prévoyant des conflits entre la classe des privilégiés et celle qu'il avait reléguée dans un rang subalterne, imagina de les rapprocher par un lien, qui, en associant des intérêts opposés, devait empêcher l'antagonisme résultant de l'inégalité des conditions : il créa l'institution du patronat. Voici les renseignements que les anciens nous ont laissés de cette institution. Chaque plébéien fut tenu de désigner un Père avec qui il pourrait former un contrat d'association réglé d'après les bases suivantes : le plébéien s'engageait à fournir toutes les choses nécessaires à l'entretien de la maison du patricien, à doter ses filles, à payer sa rançon et celle de ses fils quand ils étaient pris par l'ennemi, à acquitter pour lui le montant des condamnations judiciaires de toute nature, en un mot, à subvenir à toutes ses dépenses, eu égard aux dignités dont il était revêtu. De son côté, et par réciprocité, le patricien contractait l'obligation de veiller aux intérêts du plébéien présent ou absent, de protéger sa personne et ses biens et particulièrement de le défendre en justice contre toute espèce de trouble apporté à la jouissance de ses droits. Par ces conventions, il s'établissait une sorte de famille civile régie en grande partie d'après le droit qui réglait les rapports entre le père et ses enfants. Les associés ne pouvaient s'accuser entre eux, porter témoignage l'un contre l'autre, combattre dans des camps opposés, émettre des votes contraires. Ce contrat était sacré ; celui qui le violait était puni de la peine des traîtres ; il était permis de lui courir sus, et de le tuer comme une victime dévouée aux dieux infernaux. Le Pater, au point de vue de ses rapports avec le plébéien ainsi placé sous sa protection, fut appelé Patronus, patron ; le plébéien, dans la même corrélation d'idées, reçut le nom de Cliens, client.

Le contrat paraît disproportionné : le client semble avoir beaucoup trop de charges en échange d'avantages fort occasionnels, comme la défense en justice. Aussi, certains commentateurs suggèrent-ils que le client devait probablement jouir du droit de cultiver les terres du patron : il aurait donc été un colon d'une espèce particulière.

A cette clientèle s'ajouta, avec le temps et l'accroissement de la population, une classe nouvelle qui ne put s'intégrer au cadre initial, une masse flottante qu'il fut impossible d'absorber dans le patronat.

Tous les plébéiens, clients ou non, firent cause commune, car leur situation devint rapidement insupportable. Les meilleurs garanties des privilèges du patriciat étaient le monopole de la richesse territoriale, la possession exclusive des hautes magistratures, l'application arbitraire des coutumes, cachées avec soin. La plèbe s'efforça de battre en brèche ces privilèges en exigeant la création de tribuns de la plèbe et la codification du droit (loi des XII Tables). Dès l'instant où le droit fut connu et publié, il devint possible à tous les citoyens de connaître et d'étudier les lois : l'assistance judiciaire du patron cessa d'être indispensable au client et au colon. La profession d'avocat devint donc indépendante et sui generis. Le procès de Virginie offre un exemple remarquable de cette évolution :.

Virginie, injustement réclamée comme fille d'une femme esclave, comparait assistée de Numitorius, son oncle, et d'Icilius, son fiancé. Numitorius fait valoir lui-même les moyens de défense qui touchent aux choses les plus délicates du droit ; il réclame un sursis de deux jours pour faire prévenir le père de Virginie, retenu hors de Rome pour le service de la république, et demande que sa nièce lui soit provisoirement confiée, à la charge de donner bonne et valable caution de la représenter au jour fixé pour sa comparution ; il ajoute que cette prétention est littéralement conforme à la loi des XII tables, laquelle dispose qu'avant le jugement définitif, le défendeur est maintenu de droit en possession. C'est ainsi que le patricien Appius se vit arrêté dans ses odieux desseins par sa propre loi, et forcé d'en ordonner l'exécution sur la plaidoirie d'un simple plébéien...

Le premier résultat de la publication des lois fut de faire passer l'assistance judiciaire des mains du patricien aux mains des parents et des amis du plaideur. Les uns et les autres se rendirent d'abord devant le tribunal du magistrat, faisant escorte à celui qui comparaissait, et se présentant comme "appelés" par lui ; ils formaient l'advocatio. Tite-Live rapporte que Virginie parut devant le décemvir cum ingenti advocatione. Mais comme bientôt certains hommes se livrèrent d'une manière spéciale à l'étude de la législation, en dehors des patriciens, il arriva tout naturellement qu'on les consulta avant d'intenter un procès, comme le client consultait son patron. Un plaideur n'ayant ni parents ni amis capables de défendre ses intérêts, "appela" son conseil à se charger lui-même de la cause, et la gagna. Encouragés par ce succès, d'autres l'imitèrent ; et c'est ainsi que la profession se forma.

ab, prép. : + Abl. : à partir de, après un verbe passif = par
absens, entis
: absent
absum, es, esse, afui
: être absent
ad
, prép. : + Acc. : vers, à, près de
adeo, is, ire, ii, itum
: aller à, vers
adfero, fers, ferre, attuli, allatum
: apporter
adsum, es, esse, adfui
: être présent, assister, aider
adventus, us
, m. : l'arrivée, la venue
adultus, a, um
: adulte
aequus, a, um
: égal, équitable (aequum est : il convient) (ex aequo : à égalité)
ancilla, ae
, f. : la servante
Appius, i
, m. : Appius
apud
, prép. : + Acc. : près de, chez
argumentum, i
, n. : 1. l'argument, la preuve 2. la chose qui est montrée, la matière, le sujet, l'objet, l'argument (sujet) d'une comédie
auctor, oris,
m. : 1. le garant 2. la source 3. le modèle 4. l'auteur, l'instigateur
biduum, i
, n. : l'espace de deux jours
causa, ae
, f. : la cause, le motif; l'affaire judiciaire, le procès; + Gén. : pour
comperio, is, ire, peri, pertum
: découvrir, apprendre
cum
, inv. :1. Préposition + abl. = avec 2. conjonction + ind. = quand, lorsque, comme, ainsi que 3. conjonction + subj. : alors que
de
, prép. + abl. : au sujet de, du haut de, de
desum, es, esse, defui
: manquer
dico, is, ere, dixi, dictum
: dire, appeler
differo, fers, ferre, distuli, dilatum
: 1. disperser, disséminer, répandre des bruits 2. différer, remettre 3. être différent (differi : être tourmenté)
dimico, as, are
: combattre, lutter, débattre
do, das, dare, dedi, datum
: donner
domi
, adv. : à la maison
dominus, i,
m. : le maître
domus, us
, f. : la maison
ei
, datif singulier ou nominatif masculin pluriel de is, ea, id : lui, à celui-ci, ce,...
eius
, génitif singulier de is, ea, id : ce, cette, son, sa, de lui, d'elle
fabula, ae
, f. : le mythe, la fable, la pièce (de théâtre), l'histoire
fama, ae
, f. : la nouvelle, la rumeur, la réputation
fero, fers, ferre, tuli, latum
: porter, supporter, rapporter
furtum, i
, n. : le vol, la dissimulation
id
, nominatif - accusatif neutre singulier de is, ea, is : il, elle, le, la, ce, ....
in
, prép. : (acc. ou abl.) dans, sur, contre
inde
, adv. : de là, donc
indicium, ii
, n : l'indication, la révélation, la dénonciation
iniquus, a, um
: inégal; défavorable; excessif; injuste
iniuria, ae
, f. : l'injustice, la violation du droit
integer, gra, grum
: non touché, sain et sauf ; de integro : de nouveau; ex integro : de fonds en comble; integrum est mihi : j'ai les mains libres
interim
, adv. : pendant ce temps, entre-temps
ipse, a, um
: (moi, toi, lui,...) même
iudex, icis
, m. : le juge
lex, legis
, f. : la loi, la (les) condition(s) d'un traité
liberi, orum
, m. pl. : les enfants (fils et filles)
libertas, atis
, f. : la liberté
maior, oris
: comparatif de magnus. plus grand. maiores, um : les ancêtres)
nascor, eris, i, natus sum
: 1. naître 2. prendre son origine, provenir
neu
, conj. : et que ne pas
nosco, is, ere, novi, notum
: apprendre ; pf. savoir
nuntio, a, are
: annoncer
pars, partis,
f. : la partie, le côté
pater, tris
, m. : le père, le magistrat
patior, eris, i, passus sum
: supporter, souffrir, être victime de, être agressé par
perago, is, ere, egi, actum
: accomplir, achever
periculum, i,
n. : 1. l'essai, l'expérience 2. le danger, le péril
pertineo, is, ere, tinui
: s’étendre jusqu’à (ad et acc.) ; appartenir à, concerner; + infinitif : il est important, pertinent de
pervenio, is, ire, veni, ventum
: parvenir
petitor, oris,
m : 1. celui qui demande, le demandeur, le postulant 2. le candidat, le compétiteur 3. le demandeur en justice
postulo, as, are
: demander, réclamer
prius
, inv. : avant, auparavant ; ... quam : avant que
probo, as, are
: éprouver, approuver, prouver
publicus, a, um
: public
puella, ae
, f. : la fille, la jeune fille
quam
, 1. accusatif féminin du pronom relatif = que 2. accusatif féminin sing de l'interrogatif = quel? qui? 3. après si, nisi, ne, num = aliquam 4. faux relatif = et eam 5. introduit le second terme de la comparaison = que 6. adv. = combien
quem
, 4 possibilités : 1. acc. mas. sing. du pronom relatif = que 2. faux relatif = et eum 3. après si, nisi, ne num = aliquem : quelque, quelqu'un 4. pronom ou adjectif interrogatif = qui?, que?, quel?
quippe
, inv. : car, assurément (- cum + subj. : puisque)
res, rei
, f. : la chose, l'événement, la circonstance, l'affaire judiciaire; les biens
se
, pron. réfl. : se, soi
secundum
, + acc : après, derrière, selon, suivant, conformément
sequor, eris, i, secutus sum
: 1. suivre 2. poursuivre 3. venir après 4. tomber en partage
si
, conj. : si
sum, es, esse, fui
: être
suppono, is, ere, posui, positum
: 1. mettre en dessous, soumettre 2. mettre à la place de ; mettre à la place faussement, substituer
suus, a, um
: adj. : son; pronom : le sien, le leur
transfero, fers, ferre, tuli, latum
: transporter, transférer, transcrire
tribunal, alis
, n. : l'estrade en demi-cercle où siégeaient les magistrats, le tribunal
ut
, conj. : + ind. : quand, depuis que; + subj; : pour que, que, de (but ou verbe de volonté), de sorte que (conséquence) adv. : comme, ainsi que
vel
, adv. : ou, ou bien, même, notamment (vel... vel... : soit... soit...)
Verginius, i,
m. : Verginius
vindiciae, arum
, f. : la revendication contradictoire devant le préteur d'un objet ou d'une chose
virgo, ginis
, f. : la vierge, la jeune fille non mariée
texte
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