Xénophon, traduit par Chambry

XENOPHON

HELLENIQUES

LIVRE IV.

Traduction française · Pierre Chambry.

 

autre traduction : Talbot

 

CHAPITRE PREMIER

AGÉSILAS RAVAGE LA PHRYGIE, PROVINCE DE PHARNABAZE, ET FAIT ALLIANCE AVEC OTYS, ROI DE PAPHLAGONIE. HÈRIPPIDAS S'EMPARE DU CAMP DE PHARNABAZE, MAIS PROVOQUE PAR SA CUPIDITÉ LA DÉFECTION DES PAPHLAGONIENS. ENTREVUE DE PHARNABAZE ET D'AGÉSILAS. PHARNABAZE REPROCHE AUX LACÉDÉMONIENS LEUR INGRATITUDE. AGÉSILAS ÉVACUE LA PROVINCE DE PHARNABAZE (ANNÉE 395 AV. J.-C.).

1. Agésilas arriva avec l'automne dans la Phrygie de Pharnabaze. Il brûla et pilla le pays et prit des villes, les unes par la force, les autres du consentement des habitants. 

2. Spithridatès l'ayant assuré que, s'il voulait l'accompagner en Paphlagonie, il déciderait le roi des Paphlagoniens à s'aboucher avec lui et en ferait un allié, Agésilas s'y rendit avec empressement, car il désirait depuis longtemps détacher quelque nation de la domination du roi. 

3. Quand il fut arrivé en Paphlagonie, Otys vint à lui et conclut une alliance avec lui, car, appelé par le roi, il avait refusé de monter le rejoindre. Sur les conseils de Spithridatès, Otys laissa à Agésilas mille cavaliers et deux mille peltastes. 

4. Agésilas sut gré de ce service à Spithridatès et lui posa cette question : « Dis-moi, Spithridatès, ne donnerais-tu pas ta fille à Otys ? — Beaucoup plus volontiers, répondit Otys, qu'il ne prendrait la fille d'un exilé, lui qui commande à un si grand pays et à une si grande armée. » 

5. Cette fois, il ne fut pas parlé davantage du mariage. Mais lorsque Otys, sur le point de partir, vint prendre congé d'Agésilas, celui-ci se mit à converser avec lui devant les trente, après avoir écarté Spithridatès. 

6. « Dis moi, Otys, lui demanda-t-il, de quelle famille Spithridatès est-il issu ? » Otys répondit qu'il n'était sous ce rapport inférieur à aucun Perse. « Et son fils, reprit Agésilas, as-tu vu comme il est beau ? — Sans doute, puisque j'ai dîné avec lui hier soir. — On dit que sa fille est plus belle encore. 

7. — Oui, par Zeus, répondit Otys, elle est belle.  — Eh bien, moi, reprit Agésilas, puisque tu es devenu notre ami, je te conseille de prendre sa fille pour femme, puisqu'elle est très belle, et qu'il n'y a rien de plus charmant pour un mari. En outre, c'est la fille d'un homme de haute naissance et qui est assez puissant pour se venger des injures de Pharnabaze en le chassant, comme tu vois, de tout son territoire. 

8. Sache bien, poursuivit-il, que s'il est capable de se venger de cet homme qui était son ennemi, il pourrait aussi faire du bien à un ami. Dis-toi aussi que, si ce mariage se fait, ce n'est pas seulement lui que tu auras pour allié, mais aussi moi-même et les autres Lacédémoniens, et, puisque nous sommes les maîtres de la Grèce, la Grèce tout entière. 

9. Et puis, si tu suis mon conseil, qui pourrait jamais faire un plus magnifique mariage ? Quelle épousée fut jamais escortée d'autant de cavaliers, de peltastes et d'hoplites que le sera ta femme se rendant en ta maison ? » 

10. Otys lui demanda : « Ce que tu dis là, Agésilas, agrée-t-il aussi à Spithridatès ? — Par les dieux, répondit Agésilas, ce n'est pas lui qui m'a chargé de t'en parler; mais c'est que moi, malgré le vif plaisir que j'éprouve à me venger d'un ennemi, je crois en goûter un plus vif encore, quand je trouve quelque bien à faire à mes amis. 

11. — Pourquoi donc, demanda Otys, ne t'informes-tu pas auprès de lui si cela lui agrée également ? — Hèrippidas et vous autres, dit Agésilas, allez le disposer à vouloir ce que nous voulons. 

12. Ils se levèrent et allèrent l'endoctriner. Comme ils restaient longtemps : « Veux-tu, Otys, dit Agésilas, que nous le fassions venir ici ? — Il sera, je crois, beaucoup plus facilement persuadé par toi que par tous les autres ensemble. » Alors Agésilas appela Spithridatès et les autres. 

13. Aussitôt qu'ils furent entrés, Hèrripidas prit la parole : « À quoi bon, Agésilas, te rapporter en détail tout ce qui a été dit ? En somme, Spithridatès dit qu'il fera volontiers tout ce que tu trouveras bon.

14. — Eh bien, reprit Agésilas, je trouve bon que toi, Spithridatès, tu donnes ta fille à Otys, et puisse le ciel favoriser cette union! et que toi, tu la prennes pour femme. Toutefois nous ne pourrons pas t'amener la jeune fille par terre, avant le printemps. — Mais par Zeus, s'écria Otys, on peut, si tu veux, la faire venir par mer dès à présent. » 

15. À ces mots, ils se tendirent et prirent la main droite pour ratifier leur accord et Otys s'en retourna chez lui. Aussitôt Agésilas, qui avait remarqué son impatience, équipa une trière et ordonna au Lacédémonien Callias d'emmener la jeune fille. Quant à lui, il prit la route de Dascylion, où se trouvait le palais de Pharnabaze, entouré de plusieurs gros villages bien approvisionnés, avec des chasses magnifiques, soit dans des parcs fermés, soit dans des lieux ouverts. 

16. Autour coulait un fleuve rempli de poissons de toute espèce. Il y avait aussi une grande quantité de volatiles pour ceux qui pouvaient chasser aux oiseaux. C'est là qu'Agésilas passa l'hiver, tirant les vivres nécessaires à son armée, soit de l'endroit même, soit d'autres où il envoyait fourrager. 

17. Or un jour que ses soldats enlevaient des vivres sans se soucier de l'ennemi et sans être sur leurs gardes, parce que jusque-là ils n'avaient jamais subi d'échec, Pharnabaze, les trouvant éparpillés dans la plaine, tomba sur eux avec deux chars armés de faux et environ quatre cents cavaliers. 

18. Les Grecs les voyant venir sur eux se concentrèrent en courant en un corps d'à peu près sept cents hommes. Sans hésiter, Pharnabaze fait avancer ses chars, se met lui-même derrière avec ses cavaliers et donne l'ordre de charger les Grecs.

19. Les chars pénètrent dans la masse et la dispersent et en un instant les cavaliers abattent une centaine d'hommes; les autres s'enfuient vers Agésilas, qui heureusement était à proximité avec ses hoplites. 

20. Trois ou quatre jours après, Spithridatès reçoit l'avis que Pharnabaze est campé à Kauè, grand bourg, éloigné d'environ cent soixante stades, et il le communique aussitôt à Hèrippidas. 

21. Celui-ci, désireux de se distinguer par quelque exploit, demande à Agésilas de lui donner environ deux mille hoplites, autant de peltastes, les cavaliers de Spithridatès, les cavaliers paphlagoniens et tous les Grecs qu'il pourrait décider à le suivre. 

22. Agésilas les lui ayant promis, il fit un sacrifice, qu'il termina le soir, après avoir obtenu des présages favorables. Puis il ordonna à ses hommes de se réunir après le dîner devant le camp. Mais comme il faisait sombre, il ne sortit même pas la moitié chacun des corps de troupes.

23. Cependant, pour ne pas donner à rire au reste des trente, en renonçant à son dessein, il partit avec les troupes qu'il avait. 

24. Au point du jour, il fondit sur le camp de Pharnabaze, tua un grand nombre d'hommes de l'avant-garde, composée de Mysiens, mit en fuite l'armée et s'empara du camp, où il trouva un grand nombre de coupes et d'autres objets tels que pouvait en avoir Pharnabaze. Il prit en outre un important bagage et des bêtes de somme qui le portaient. 

25. Pharnabaze en effet, craignant toujours, s'il s'établissait quelque part, d'être cerné et assiégé, allait tantôt d'un côté, tantôt de l'autre et dissimulait soigneusement ses campements. 

26. Comme les Paphlagoniens et Spithridatès ramenaient le butin qu'ils avaient fait, Hèrippidas, ayant aposté des taxiarques et des lochages, leur enleva tout ce qu'ils avaient pris, afin d'apporter une grosse quantité de butin aux crieurs chargés de le vendre. 

27. Les barbares ne supportèrent pas l'affront. Se considérant comme lésés et outragés, ils plièrent bagage pendant la nuit et s'en allèrent à Sardes chez Ariaios, en qui ils avaient confiance, parce qu'Ariaios s'était révolté contre le roi et lui avait fait la guerre (121). 

28. Rien ne fut plus pénible pour Agésilas au cours de cette campagne que la défection de Spithridatès, de Mégabatès (122) et des Paphlagoniens. 

29. Il y avait un certain Apollophanès de Cyzique qui était depuis longtemps l'hôte de Pharnabaze et qui vers ce temps-là était devenu aussi l'hôte d'Agésilas. Il dit à Agésilas qu'il pensait pouvoir amener Pharnabaze à une entrevue avec lui pour lier amitié. 

30. Quand il eut exposé son dessein, il obtint d'Agésilas une trêve et une garantie et il amena avec lui le satrape à un endroit fixé. Agésilas et les trente l'y attendaient, assis par terre dans le gazon. Pharnabaze se présenta vêtu d'un habit de grand prix. Comme ses serviteurs allaient étendre sous lui des coussins, sur lesquels les Perses s'assoient mollement, il eut honte de son luxe devant la simplicité d'Agésilas et il s'assit, lui aussi, par terre sans plus de façon. 

31. Ils se saluèrent d'abord; ensuite Pharnabaze ayant tendu la main droite, Agésilas tendit aussi la sienne. Puis Pharnabaze prit le premier la parole, car il était le plus âgé. 

32. « Agésilas, dit-il, et vous tous Lacédémoniens ici présents, j'ai été votre ami et votre allié, quand vous étiez en guerre avec les Athéniens. J'ai fortifié votre flotte, en vous fournissant des subsides; sur terre j'ai combattu à cheval avec vous et poursuivi les ennemis jusqu'à la mer, et vous ne pouvez me reprocher, comme à Tissapherne, aucune duplicité ni dans mes actes ni dans mes paroles. 

33. Voilà ce que j'ai été pour vous, et aujourd'hui je suis réduit par vous à ne pas même trouver de quoi manger dans mon propre territoire, à moins de ramasser, comme les bêtes, quelque bribe de ce que vous pouvez avoir laissé. Les belles demeures, les parcs remplis d'arbres et de gibier que m'a laissés mon père et qui faisaient mes délices, je vois tout cela complètement rasé ou brûlé. Si je ne comprends pas ce qui est saint et ce qui est juste, apprenez-moi comment de pareils actes viennent d'hommes qui savent payer les bienfaits qu'ils ont reçus. » 

34. Tel fut son discours. Tous les trente demeurèrent confus devant lui et gardèrent le silence. Alors Agésilas, au bout de quelques instants, lui répondit : « Tu n'ignores pas, je pense, Pharnabaze, que, dans les Etats grecs aussi, beaucoup d'hommes sont liés entre eux par l'hospitalité et que ces hommes, quand leurs Etats sont en guerre, combattent avec leur patrie même contre leurs hôtes et qu'il arrive parfois qu'ils s'entretuent. Nous aussi, qui sommes aujourd'hui en guerre avec votre roi, nous sommes contraints de regarder comme ennemi tout ce qui lui appartient. Mais pour toi personnellement, nous donnerions tout pour être tes amis. 

35. Si tu ne devais que changer de maître et passer de la domination du roi sous la nôtre, moi-même je ne te le conseillerais pas; mais, en fait, tu peux, en te mettant avec nous, jouir de tes possessions sans te prosterner devant personne et sans avoir de maître. Or être libre, cela vaut, à mon avis, tous les biens. 

36. Cependant nous ne te demandons pas d'être libre et pauvre, mais de profiter de notre alliance pour augmenter, non pas la puissance du roi, mais la tienne, et de subjuguer tes compagnons d'esclavage actuels pour en faire tes sujets. Si donc tu devenais à la fois libre et riche, que te manquerait-il pour être parfaitement heureux ? 

37. — Faut-il donc, répondit Pharnabaze, vous répondre franchement ce que je compte faire ? — La franchise sied à un homme tel que toi. — Eh bien, dit-il, si le roi envoie un autre général et me met sous ses ordres, je veux alors être votre ami et votre allié; mais s'il me confie le commandement - tant est grand, paraît-il, le pouvoir de l'ambition — vous pouvez être sûrs que je ferai la guerre contre vous le mieux qu'il me sera possible. » 

38. En entendant ces mots, Agésilas lui prit la main et lui dit : « Plût aux dieux, noble satrape, qu'un homme tel que toi devînt notre ami! Mais sache du moins une chose, c'est que je vais évacuer ton territoire le plus vite possible et qu'à l'avenir, même si la guerre continue, tant que nous aurons un autre ennemi à combattre, nous ne toucherons ni à toi ni aux tiens. » 

39. Cela dit, il mit fin à l'entrevue. Alors Pharnabaze monta à cheval et se retira; mais le fils qu'il avait eu de Parapita et qui était encore un beau jeune homme, resta en arrière et courant à Agésilas : « Tu es mon hôte, Agésilas, s'écria-t-il, je te prends pour tel. — Et moi, j'accepte. — Ne l'oublie donc pas, dit le jeune homme », et aussitôt il prend son javelot, il en avait un beau, et le donne à Agésilas. Celui-ci le reçoit, et enlevant le magnifique caparaçon du cheval de son secrétaire Idaios, il le donne en échange au jeune homme, qui aussitôt sauta sur son cheval et courut après son père. 

40. Lorsque par la suite un de ses frères, profitant de l'absence de Pharnabaze, l'eut dépouillé de son domaine et exilé, le fils de Parapita, Agésilas l'entoura de soins, et, comme le jeune homme s'était épris du fils d'Eualcès, un Athénien, il fit par égard pour lui tous ses efforts pour faire admettre à la course d'Olympie cet enfant qui était le plus grand de tous (123). 

41. Ainsi qu'il l'avait dit à Pharnabaze, Agésilas quitta aussitôt le pays. On était aux approches du printemps. Arrivé dans la plaine de Thèbè, il plaça son camp près du sanctuaire d'Artémis d'Astyres et là, il se mit à rassembler de toutes parts des troupes considérables pour renforcer celles qu'il avait. Il se préparait en effet à pénétrer le plus loin possible dans l'intérieur de l'Asie, dans l'espoir de détacher du roi tous les peuples qu'il laisserait derrière lui.

CHAPITRE II

AGÉSILAS EST RAPPELÉ. LES ATHÉNIENS, LES BÉOTIENS, LES ARGIENS, LES CORINTHIENS CONFÉDÉRÉS CONTRE LES LACÉDÉMONIENS SONT BATTUS A CORINTHE (395-394 AV. J.-C.).

1. Tandis qu'Agésilas était occupé à ces préparatifs, les Lacédémoniens, ayant appris d'une manière certaine que l'argent était arrivé en Grèce et que les villes les plus considérables s'étaient liguées pour leur faire le guerre, jugèrent que l'État était en danger et crurent qu'il était nécessaire d'entreprendre une campagne. 

2. En même temps qu'ils s'y préparaient, ils envoyèrent à Agésilas Epicydidas. Dés son arrivée, celui-ci lui exposa l'état général des affaires et lui transmit l'ordre de la ville de marcher en toute hâte au secours de sa patrie. 

3. En entendant cela, Agésilas fut vivement contrarié, en songeant de quels honneurs et de quelles espérances il était frustré. Il n'en convoqua pas moins les alliés; il leur montra les ordres qu'il avait reçus de la ville et leur dit qu'il était obligé d'aller au secours de sa patrie. « Cependant, ajouta-t-il, si les choses tournent bien, soyez assurés, mes alliés, que je ne vous oublierai pas et que je reviendrai pour achever ce que vous désirez. » 

4. En entendant ces paroles, beaucoup se mirent à pleurer, mais ils votèrent tous d'aller avec Agésilas au secours de Lacédémone, et, si les choses se passaient bien là-bas, de le ramener avec eux en Asie. 

5. Ils se préparèrent donc à l'accompagner. Quant à lui, il laissa en Asie Euxénos comme harmoste, avec au moins quatre mille hommes de garnison pour qu'il pût garder les villes. Mais s'apercevant lui-même que la plupart des soldats désiraient rester plutôt que de marcher contre des Grecs, comme il voulait néanmoins emmener avec lui les meilleurs et le plus grand nombre d'entre eux, il proposa des prix aux villes qui lui enverraient les meilleures troupes, ainsi qu'aux lochages des mercenaires qui le suivraient dans son expédition avec le loche d'hoplites, d'archers et de peltastes qui serait le mieux armé. Il fit aussi dire aux hipparques que celui qui lui procurerait l'escadron le mieux monté et le mieux armé recevrait aussi un prix de sa main. 

6. Il ajouta que le choix des gagnants se ferait en Chersonèse, quand ils auraient passé d'Asie en Europe, pour leur faire bien entendre qu'ils devaient choisir avec soin les soldats qui devaient faire partie de l'expédition. 

7. Les prix étaient, pour la plupart, des armes de luxe pour hoplites et cavaliers; il y avait aussi des couronnes d'or. Tous ces prix ne coûtaient pas moins de quatre talents. Cette grosse dépense eut pour effet de provoquer la fabrication d'armes de grand prix pour l'armée. 

8. L'Hellespont franchi, il établit pour juges les Lacédémoniens Ménascos, Hèrippidas et Orsippos et un homme de chacune des villes alliées. Quand les prix eurent été distribués, Agésilas s'avança avec son armée par la même route que le roi, quand il marcha contre la Grèce. 

9. Vers le même temps, les éphores levèrent une armée. Comme Agésipolis (124) était encore enfant, l'État en confia le commandement à Aristodémos, parent et tuteur du jeune prince. 

10. Tandis que les Lacédémoniens passaient la frontière, leurs adversaires rassemblés firent une réunion pour délibérer sur la manière la plus avantageuse pour eux d'engager la bataille. 

11. Le Corinthien Timolaos y prit la parole. « Il me semble, alliés, dit-il, qu'il en est des Lacédémoniens comme des fleuves. Les fleuves, près de leurs sources, sont petits et faciles à franchir, mais, à mesure qu'ils s'avancent, d'autres fleuves, en s'y jetant, rendent leur courant plus fort. 

12. De même les Lacédémoniens, quand ils sortent de leur ville, sont seuls, mais en s'avançant et s'adjoignant les villes, ils deviennent plus nombreux et plus difficiles à combattre. Je vois aussi, ajouta-t-il que, quand on veut détruire les guêpes, si l'on essaye de leur donner la chasse quand elles sortent de leur nid, on en reçoit force piqûres; mais si l'on met le feu au guêpier, quand elles sont encore dedans, on s'en rend maîtres sans en souffrir aucun mal. D'après ces exemples, j'estime que le mieux serait de livrer bataille à Lacédémone même, si c'est possible, sinon le plus près de Lacédémone que nous pourrons. » 

13. On trouva qu'il avait bien parlé et l'on vota sa proposition. Mais pendant qu'ils discutaient sur le commandement et qu'ils se mettaient d'accord sur combien de rangs il fallait ranger toute l'armée, de peur que les divers contingents des villes, en donnant trop de profondeur à leur phalanges, ne s'exposassent à être enveloppés par les ennemis, les Lacédémoniens, ayant déjà pris avec eux les Tégéates et les Mantinéens, s'avançaient par la route entre les deux mers (125). 

14. Les deux armées en marche parvinrent presque en même temps, celle des Corinthiens et de leurs alliés à Némée, celle des Lacédémoniens et de leurs alliés à Sicyone. Les Lacédémoniens s'étant jetés sur le territoire de Corinthe du côté d'Epieiceia, les gymnètes ennemis leur firent d'abord beaucoup de mal en leur décochant des traits et des flèches d'une position dominante. 

15. Mais quand les Lacédémoniens furent descendus près de la mer, ils s'avancèrent par là à travers la plaine en saccageant et brûlant le pays. Les ennemis s'approchant établirent leur camp en se couvrant d'un ravin. Quand les Lacédémoniens s'avançant ne furent plus qu'à dix stades de leurs adversaires, ils campèrent eux aussi et se tinrent tranquilles. 

16. Je vais maintenant détailler les effectifs des deux partis. Les Lacédémoniens avaient réuni environ six mille hoplites, près de trois mille Éléens, Triphyliens, Acroréiens et Lasioniens, quinze cents Sicyoniens, des Epidauriens, des Trézéniens, des Hermioniens et des Haliens au nombre d'au moins trois mille. Ils avaient en outre environ six cents cavaliers de Sparte, suivis d'environ trois cents archers crétois et d'au moins quatre cents frondeurs de Marganes, de Létrines et d'Amphidoles. Les Phliasiens ne s'étaient pas joints à eux sous prétexte d'une trêve sacrée. Telles étaient les forces du côté des Lacédémoniens. 

17. Les ennemis avaient rassemblé environ six mille hoplites athéniens, des Argiens qu'on évaluait à sept mille, à peu près cinq mille Béotiens, vu l'absence des Orchoméniens, environ trois mille Corinthiens et pas moins de trois mille hommes levés dans toute l'Eubée. Telles étaient leurs forces en infanterie lourde. Quant aux cavaliers, il y en avait à peu près huit cents de Béotie, vue l'absence des Orchoméniens, environ six cents d'Athènes, une centaine de Chalcidiens de l'Eubée et une cinquantaine de Locriens Opuntiens. Les troupes légères aussi étaient plus nombreuses du côté des Corinthiens et de leurs alliés, car ils avaient avec eux des Locriens Ozoles, des Mèliens et des Acarnaniens. 

18. Tels étaient les effectifs des deux partis. Tant que les Béotiens occupèrent l'aile gauche, ils ne se pressèrent pas du tout d'engager la bataille; mais quand les Athéniens se trouvèrent vis-à-vis des Lacédémoniens (126) qu'eux-mêmes tinrent l'aile droite et furent rangés en face des Achéens, ils déclarèrent aussitôt que les entrailles étaient favorables et firent passer l'ordre de se préparer au combat. Et tout d'abord, dédaignant la formation sur seize rangs, ils donnèrent à leur phalange une profondeur extrême; ensuite ils avancèrent sur leur droite pour déborder l'ennemi avec leur aile. Les Athéniens, craignant d'être séparés, suivirent le mouvement, bien qu'ils comprissent qu'ils risquaient d'être enveloppés. 

19. Pendant quelque temps, les Lacédémoniens ne s'aperçurent pas de l'approche des ennemis, parce que l'endroit était boisé; mais ayant entendu le péan, ils les reconnurent alors et firent aussitôt passer l'ordre à tout le monde de se préparer à combattre. Quand ils furent rangés dans la formation prescrite à chaque contingent par les chefs lacédémoniens, on leur donna l'ordre de suivre leur chef de file. Alors les Lacédémoniens aussi obliquèrent à droite et ils allongèrent tellement leur aile que les Athéniens se trouvèrent en face des Lacédémoniens avec six tribus (127) et que les quatre autres se virent en face des Tégéates. 

20. Quand il n'y eut plus qu'un stade entre les deux armées, les Lacédémoniens, suivant leur usage, immolèrent une chèvre à la Chasseresse (128) et marchèrent à l'ennemi en courbant pour l'envelopper la partie débordante de leur aile. Quand on en vint aux mains, tous les alliés des Lacédémoniens furent vaincus par leurs adversaires. Seuls, les Pellèniens, opposés aux Thespiens, combattirent de sorte que des deux côtés il y eut des hommes tués sur place. 

21. Quant aux Lacédémoniens, ils battirent ceux des Athéniens qu'ils trouvèrent en face d'eux et les ayant enveloppés avec la partie débordante de leur aile, ils en tuèrent un grand nombre, et comme ils n'avaient pas souffert, ils marchaient en bon ordre. Ils passèrent sur les derrières des quatre tribus d'Athéniens avant qu'elles fussent revenues de la poursuite, en sorte qu'elles ne subirent pas d'autres pertes que celles qu'elles avaient eues dans leur rencontre avec les Tégéates. 

22. Mais les Lacédémoniens tombèrent sur les Argiens qui revenaient et, comme le premier polémarque allait les attaquer de front, quelqu'un, dit-on, cria de laisser passer les premiers. On le fit et, frappant les Argines sur leur flanc découvert, tandis qu'ils passaient en courant, ils en tuèrent un grand nombre. Ils attaquèrent de même les Corinthiens qui revenaient, et ils tombèrent encore sur une partie des Thébains de retour de la poursuite et ils leur tuèrent beaucoup de monde.

23. A la suite de leur défaite, les vaincus se réfugièrent d'abord vers les murs de Corinthe, puis, les Corinthiens leur ayant fermé les portes, ils revinrent camper dans leur ancien camp. De leur côté, les Lacédémoniens revenant à l'endroit où ils en étaient d'abord venus aux mains avec les ennemis, y élevèrent un trophée. Telle fut l'issue de cette bataille.

CHAPITRE III

AGÉSILAS, HARCELÉ DANS SA MARCHE PAR LA CAVALERIE THESSALIENNE, LA MET EN DÉROUTE. CONON BAT À CNIDE LA FLOTTE LACÉDÉMONIENNE. BATAILLE DE CORONÉE. EXPÉDITION DE GYLIS EN LOCRIDE; IL EST BATTU ET TUÉ (ANNÉE 394 AV. J.-C.).

1. Cependant Agésilas ayant quitté l'Asie se portait en diligence au secours de Sparte. Il était à Amphipolis lorsque Dercylidas lui apporta la nouvelle que, chez eux aussi, les Lacédémoniens étaient vainqueurs et qu'ils n'avaient perdu que huit des leurs (129), tandis que les ennemis avaient eu un très grand nombre de morts; mais il ne lui cacha pas qu'il avait péri un assez grand nombre d'alliés.

  2. Agésilas lui demanda : « Ne crois-tu pas, Dercylidas, que nous ferions bien d'informer au plus vite de cette victoire les villes qui nous envoient leurs troupes ? — On peut présumer en effet, répondit Dercylidas, que cette nouvelle fortifierait leurs bonnes dispositions. — Eh bien, n'es-tu pas celui qui conviendrait le mieux pour porter la nouvelle, puisque tu as assisté à la bataille ? » Il accueillit avec joie cette proposition, car il était grand amateur de voyage. « Tu n'as qu'à me l'ordonner, répondit-il. — Eh bien, je te l'ordonne, dit Agésilas, et je te prie de leur annoncer aussi que, si les choses marchent bien ici, nous reviendrons comme nous l'avons promis. » 

3. En conséquence, Dercylidas se rendit d'abord dans l'Hellespont. Quant à Agésilas, il traversa la Macédoine et arriva en Thessalie. Là, les gens de Larisa, de Crannon, de Scotoussa et de Pharsale, alliés des Béotiens, et tous les Thessaliens, sauf ceux d'entre eux qui étaient réfugiés à l'étranger, le suivirent en le harcelant. 

4. Jusque-là, Agésilas avait mené son armée en carré long, tenant la moitié de sa cavalerie en tête et l'autre en queue. Mais comme les Thessaliens gênaient sa marche en chargeant l'arrière-garde, il fit aussi passer en queue les cavaliers du front, à l'exception de sa garde. 

5. Mais quand les deux armées se furent rangées l'une en face de l'autre, les Thessaliens, jugeant qu'il n'était pas sage de s'attaquer à des hoplites avec de la cavalerie seulement, tournèrent bride et se retirèrent au pas. 

6. Leurs adversaires les suivirent avec une grande circonspection. Mais Agésilas, voyant la faute qu'ils commettaient les uns et les autres, envoie sa garde, composée de cavaliers très solides, avec l'ordre de dire aux autres de charger à toute vitesse et de prendre part eux-mêmes à la poursuite, sans donner à l'ennemi le temps de se retourner. 

7. Quand les Thessaliens se virent charger sans s'y attendre, les uns prirent la fuite, les autres se retournèrent et d'autres essayant de le faire furent pris en flanc. 

8. Leur chef, Polycharmos de Pharsale, qui s'était retourné, périt en combattant avec son escorte. Sa mort fut suivie d'une immense déroute des Thessaliens, dont les uns périrent et d'autres furent faits prisonniers. Le reste ne s'arrêta pas avant d'avoir atteint le mont Narthacion. 

9. Alors Agésilas dressa un trophée entre Pras et le Narthacion, et il s'y arrêta content de son ouvrage, parce qu'il avait battu les peuples les plus fiers de leur cavalerie avec les cavaliers qu'il avait recrutés lui-même. Le lendemain, franchissant les monts Achéens de la Phthie, il fit tout le reste de sa route à travers un pays ami jusqu'aux frontières de la Béotie. 

10. Comme il était à l'entrée de ce pays, le soleil se montra sous la forme d'un croissant de lune et Agésilas reçut la nouvelle que les Lacédémoniens avaient été vaincus sur mer et que leur amiral, Pisandre, avait été tué. On lui fit aussi le rapport de la bataille : 

11. les deux flottes s'étaient abordées dans les parages de Cnide; Pharnabaze, qui était navarque, y était avec les vaisseaux phéniciens, et Conon, avec la flotte grecque, avait été rangé devant lui.

12. Pisandre avait disposé ses vaisseaux en face de l'ennemi; mais, en voyant qu'ils étaient de beaucoup inférieurs en nombre (130) à ceux des Grecs commandés par Conon, les alliés, qui étaient à l'aile gauche, avaient immédiatement pris la fuite; lui-même, après en être venu aux mains avec les ennemis, avait eu sa trière endommagée à coups d'éperon et avait été poussé à la côte. Tous les autres qui avaient été de même poussés à la côte avaient abandonné leurs vaisseaux et s'étaient sauvés à Cnide comme ils avaient pu; mais lui avait été tué en combattant sur son vaisseau. 

13. En apprenant cela, Agésilas en fut d'abord vivement affligé; cependant, réfléchissant que la plus grande partie de son armée était bien disposée à partager ses succès, mais que, si elle était témoin de quelque revers, elle n'était pas forcée d'y prendre part, il déguisa la vérité et dit que Pisandre avait été tué, mais qu'il avait été vainqueur dans le combat naval. 

14. Et en disant cela, il immola un boeuf pour la bonne nouvelle et envoya des viandes du sacrifice à beaucoup de gens. La conséquence fut qu'au cours d'une escarmouche avec l'ennemi ses troupes, encouragées par le bruit que les Lacédémoniens étaient vainqueurs sur mer, remportèrent la victoire. 

15. Les forces qu'Agésilas avait en face de lui étaient composées de Béotiens, d'Athéniens, d'Argiens, de Corinthiens, d'Ænianes, d'Eubéens et de gens des deux Locrides. Agésilas avait avec lui une more de Lacédémoniens venue de Corinthe, une demi-more venue d'Orchomène, en outre les néodamodes de Lacédémone qui l'avaient accompagné dans sa campagne, et avec eux le contingent de mercenaires que commandait Hèrippidas et ceux des villes grecques d'Asie et des villes d'Europe qu'il avait pris en passant; enfin de l'endroit même il avait reçu aussi des hoplites d'Orchomène et de Phocide. Les peltastes d'Agésilas étaient beaucoup plus nombreux; quant à la cavalerie, elle était à peu près égale en nombre des deux côtés. 

16. Telles étaient les forces des deux partis. Je vais décrire aussi la bataille et comme elle fut différente de toutes les batailles de notre temps (131). Ce fut dans la plaine de Coronée que la rencontre eut lieu entre les troupes d'Agésilas qui venaient du Céphise, et celles des Thébains qui venaient de l'Hélicon. Agésilas tenait l'aile droite de son armée, et les Orchoméniens étaient à l'extrémité de son aile gauche. De leur côté, les Thébains étaient à l'aile droite et les Argiens à la gauche. 

17. Les deux armées s'approchèrent d'abord dans le plus grand silence; mais quand elles furent à environ un stade l'une de l'autre, les Thébains, poussant le cri de guerre, s'élancèrent au pas de course. Quand il n'y eut plus que trois plèthres entre elles, les troupes d'Hèrippidas se détachèrent en courant de la phalange d'Agésilas, et avec elles les Ioniens, les Éoliens et les Hellespontins. Ils prirent tous part à la charge et, arrivés à une portée de pique, ils mirent en fuite ceux qui leur faisaient face. Pour les Argiens, ils n'attendirent pas les hommes d'Agésilas et s'enfuirent vers l'Hélicon. 

18. En ce moment, quelques-uns des mercenaires couronnaient déjà Agésilas, quand on lui annonça que les Thébains, ayant taillé en pièces les Orchoméniens, étaient dans le train des bagages. Aussitôt, retournant sa phalange il marcha à leur rencontre. De leur côté, les Thébains, voyant que leurs alliés s'étaient réfugiés près de l'Hélicon, voulurent percer jusqu'à eux et se massant ensemble, ils s'avancèrent résolument. 

19. Ici l'on peut dire qu'Agésilas donna une preuve incontestable de courage, mais il ne prit pas le parti le plus sûr. Il pouvait laisser passer les Thébains qui voulaient forcer le passage, puis les poursuivre et tuer les derniers. Il ne le fit pas et heurta les Thébains de front. Dès lors, boucliers contre boucliers, on se pousse, on se bat, on tue, on est tué. À la fin cependant, une partie des Thébains se fait jour jusqu'à l'Hélicon, mais beaucoup sont tués dans leur retraite. 

20. Quand la victoire se fut déclarée en faveur d'Agésilas, comme on l'emportait lui-même blessé vers sa phalange, quelques cavaliers accoururent lui dire qu'environ quatre-vingts soldats ennemis s'étaient réfugiés dans le temple d'Athéna avec leurs armes, et lui demandèrent ce qu'il fallait faire. Et lui, bien que couvert de blessures, n'oublia pas pour cela le respect dû aux dieux et donna l'ordre de les laisser aller où ils voudraient et ne permit pas qu'on violât le droit d'asile. À ce moment, comme il était déjà tard, on dîna et on se coucha. 

21. Le lendemain matin, Agésilas commanda au polémarque Gylis de ranger l'armée sous les armes et d'ériger un trophée, à tous les hommes de se couronner en l'honneur du dieu et à tous les joueurs de flûte de jouer de leurs instruments, ce qui fut fait. Les Thébains envoyèrent des hérauts demander une trêve pour relever leurs morts. Sur leur prière, elle leur fut accordée et Agésilas se rendit à Delphes, où il consacra au dieu la dîme du butin, laquelle ne s'élevait pas à moins de cent talents. Pendant ce temps le polémarque Gylis qui commandait l'armée se retira en Phocide, et de là envahit la Locride. 

22. Pendant tout le jour, les soldats pillèrent dans les villages les meubles et les vivres; mais vers le soir, comme les Lacédémoniens se retiraient les derniers, les Locriens les suivirent en les criblant de pierres et de javelots. Comme les Lacédémoniens se retournant et les poursuivant en avaient tué quelques-uns, ils cessèrent de les suivre par derrière, mais ils leur lancèrent des traits de positions dominantes. 

23. Les Lacédémoniens essayèrent de leur donner la chasse jusque sur les hauteurs; mais l'obscurité survenant, ils se retirèrent, et les uns tombèrent à cause de l'inégalité du terrain, d'autres parce qu'ils ne voyaient pas devant eux, d'autres encore percés de traits. Là périt le polémarque Gylis, ainsi que Pellès, un homme de son escorte, et en tout environ vingt Spartiates, les uns atteints par des pierres, les autres par des traits. Si même ils n'avaient pas été secourus par ceux qui dînaient dans le camp, ils risquaient de périr tous jusqu'au dernier.

CHAPITRE IV

MASSACRE DES ARISTOCRATES À CORINTHE. LES PARTISANS DES LACÉDÉMONIENS LEUR OUVRENT LES PORTES DE CORINTHE. LES LACÉDÉMONIENS FONT UN GRAND CARNAGE DE LEURS ENNEMIS SOUS LES MURS DE CETTE VILLE. LA GUERRE SE POURSUIT AVEC DES ARMÉES DE MERCENAIRES. IPHICRATE, AVEC SES PELTASTES, ÉPOUVANTE PHLIUNTE ET RAVAGE L'ARCADIE. LES ATHÉNIENS REBÂTISSENT LES LONGS MURS DE CORINTHE. AGÉSILAS LES ABAT DE NOUVEAU (ANNÉES 392-391 AV. J.-C.).

1. Après cette campagne, les divers contingents de l'armée furent renvoyés dans leurs cités respectives et Agésilas rentra par mer dans sa patrie. Cependant la guerre se poursuivit entre les Athéniens, les Béotiens, les Argiens et leurs alliés qui avaient pour base Corinthe, et les Lacédémoniens et leurs alliés qui avaient pour base Sicyone. Mais comme les Corinthiens voyaient que leur territoire était ravagé et qu'ils perdaient beaucoup de monde à cause du voisinage continuel des ennemis, tandis que leurs alliés vivaient en paix et recueillaient les récoltes de leurs champs, la plupart et les meilleurs d'entre eux se mirent à désirer la paix et à se réunir pour se communiquer leur réflexions. 

2. Mais les Argiens, les Athéniens, les Béotiens et ceux des Corinthiens qui avaient eu part aux largesses du roi et ceux qui avaient été les principaux fauteurs de la guerre, comprenant que, s'ils ne se débarrassaient pas des partisans de la paix, la ville courait le risque de passer de nouveau au parti de Lacédémone, décidèrent alors d'organiser des massacres, et d'abord ils conçurent le dessein le plus impie du monde. Chez les autres peuples on n'exécute pas un jour de fête religieuse même les cri­minels condamnés légalement. Eux choisirent le dernier jour des Eucleia (132), parce qu'ils pensaient trouver sur la place publique un plus grand nombre d'hommes à massacrer. 

3. Au signal donné, les meurtriers, à qui l'on avait indiqué ceux qu'ils devaient tuer, tirèrent leurs épées et les frappèrent soit debout dans le cercle, soit assis, soit au théâtre, soit même parfois sur leur siège de juges des jeux. Quand ce massacre fut connu, les aristocrates cherchèrent un refuge, les uns près des statues des dieux qui étaient sur la place publique, les autres près des autels. Là, sans égard à l'usage, ces monstres impies, instigateurs et exécuteurs du complot, les égorgèrent même dans ces asiles sacrés, si bien que certains citoyens qui n'étaient pas frappés, mais qui étaient respectueux de la légalité, furent consternés à la vue d'une telle impiété. 

4. Il arriva ainsi que beaucoup de vieillards furent tués, parce qu'ils se trouvèrent les plus nombreux sur la place; car les jeunes, sur l'avis de Pasimèlos, qui avait eu quelque soupçon de ce qui devait arriver, se tenaient tranquillement au Cranion (133). Mais quand ils entendirent les cris et virent venir à eux des gens qui fuyaient le massacre, ils montèrent au pas de course vers l'Acrocorinthe et repoussèrent une attaque dirigée contre eux par les Argiens et les autres. 

5. Comme ils délibéraient sur ce qu'ils devaient faire, un chapiteau tomba d'une colonne, sans qu'il y eût ni vent, ni tremblement de terre, et, comme ils sacrifiaient, les présages furent tels que les devins déclarèrent qu'il valait mieux quitter la place. Et tout d'abord ils se retirèrent avec l'intention de se bannir du territoire de Corinthe. Mais, persuadés par leurs amis, leurs mères et leurs soeurs accourus auprès d'eux et par ceux mêmes qui étaient au pouvoir, qui leur promirent sous la foi du serment qu'on ne leur ferait aucun mal, un certain nombre revinrent chez eux. 

6. Cependant, quand ils virent la tyrannie des gens au pouvoir et s'aperçurent que leur ville n'existait plus, parce qu'on arrachait les bornes de leur territoire et qu'on appelait leur patrie Argos au lieu de Corinthe et qu'enfin ils étaient contraints de devenir citoyens d'Argos, ce dont ils n'avaient nulle envie, alors que dans leur ville ils avaient moins de pouvoir que des métèques, il y en eut un certain nombre qui pensèrent qu'une telle vie n'était plus tenable, et qu'en essayant de refaire de Corinthe, leur patrie, ce qu'elle était autrefois, de lui rendre la liberté, de la purifier des assassins et de la doter d'un bon gouvernement, ils feraient une action méritoire; que, s'ils pouvaient venir à bout de ce dessein, ils sauveraient leur patrie, et que, s'ils échouaient, ils obtiendraient du moins une mort très glorieuse en poursuivant les plus beaux et les plus grands des biens. 

7. Deux hommes donc, Pasimèlos et Alciménès, se glissant par le lit d'un torrent, entreprirent de s'aboucher avec Praxitas, polémarque des Lacédémoniens, qui se trouvait avec sa more en garnison à Sicyone. Ils l'assurèrent qu'ils pouvaient lui ménager une entrée dans les remparts qui descendaient à Léchaion. Praxitas, qui savait déjà que ces deux hommes étaient dignes de foi, crut à leur parole et, après s'être arrangé pour que la more qui allait quitter Sicyone y fût maintenue, il prépara son entrée. 

8. Le jour où les deux hommes, servis à la fois par la chance et par l'intrigue, furent chargés de garder la porte où s'élevait le trophée, Praxitas se présenta à la tête de sa more, des Sicyoniens et des exilés de Corinthe. Arrivé devant la porte, il n'osa entrer et décida d'envoyer un homme de confiance examiner ce qui se passait à l'intérieur. Les deux Corinthiens le firent entrer et lui montrèrent tout sans restriction, si bien que l'homme rapporta que les choses étaient bien sincèrement ce qu'ils avaient dit. Sur cette déclaration, il entre. 

9. Mais comme les murs étaient très écartés l'un de l'autre, les Lacédémoniens, en se rangeant, trouvèrent qu'ils étaient trop peu nombreux. Alors ils élevèrent une palissade et creusèrent un fossé comme ils purent pour se couvrir, en attendant le secours de leurs alliés. Il y avait d'ailleurs derrière eux une garnison de Béotiens dans le port. Le jour qui suivit la nuit où ils avaient pénétré dans la ville s'écoula sans combat; mais le lendemain les Argiens vinrent en masse à la rescousse. Ils trouvèrent les Lacédémoniens rangés en bataille sur leur droite, à côté d'eux les Sicyoniens et les exilés de Corinthe au nombre d'environ cent cinquante, près du mur de l'est. Les mercenaires d'Iphicrate et, près d'eux, les Argiens se rangèrent en face d'eux près du mur de l'est, tandis que les Corinthiens de la ville occupaient l'aile gauche. 

10. Pleins de mépris pour l'ennemi, à cause de leur nombre, ils s'ébranlèrent aussitôt, bousculant les Sicyoniens, arrachant la palissade et les poursuivant jusqu'à la mer, où ils en firent un grand carnage. L'hipparmoste Pasimachos, qui n'avait qu'une poignée de cavaliers, voyant les Sicyoniens écrasés, fit attacher ses chevaux à des arbres et, prenant les boucliers des vaincus, marcha contre les Argiens avec ceux qui voulurent le suivre. En voyant les sigmas gravés sur les boucliers, les Argiens, croyant avoir affaire aux Sicyoniens, étaient sans aucune crainte. On dit qu'à ce moment Pasimachos s'écria : « Par les deux dieux, Argiens, ces sigmas vous tromperont », et qu'il s'élança sur eux. En combattant ainsi avec peu d'hommes contre beaucoup, il fut tué avec plusieurs soldats de sa suite. 

11. Cependant les exilés corinthiens, victorieux des troupes qui leur étaient opposées, s'étaient glissés vers la ville et étaient parvenus près du mur d'enceinte. De leur côté, les Lacédémoniens, s'étant aperçus que les troupes opposées aux Sicyoniens avaient le dessus, sortirent au secours de leurs alliés, en gardant la palissade à leur gauche. Quand les Argiens apprirent que les Lacédémoniens étaient derrière eux, ils firent volte-face et ressortirent en courant de la palissade. Alors ceux d'entre eux qui étaient à l'extrême droite, frappés sur leur côté découvert par les Lacédémoniens, furent tués, tandis que les autres massés près du rempart se retiraient en grand désordre vers la ville; mais étant tombés sur les exilés corinthiens et les ayant reconnus pour des ennemis, ils se détournèrent à nouveau. Là, certains d'entre eux montant au haut du mur par les échelles sautaient en bas et étaient tués, d'autres poussés vers les échelles périssaient sous les coups de l'ennemi, d'autres encore, se foulant aux pieds les uns les autres, étaient étouffés. 

12. Les Lacédémoniens n'étaient pas embarrassés pour trouver qui tuer; car en cette occasion le dieu leur avait procuré un travail tel qu'ils n'en auraient jamais osé souhaiter. À voir livrée entre leurs mains cette masse d'ennemis terrifiés, affolés, offrant leur flanc découvert, sans qu'aucun songeât à combattre, tous au contraire se prêtant de toute manière à périr, comment ne pas croire à une intervention divine ? En ce jour, en effet, tant de gens périrent en un court espace de temps que les hommes, accoutumés à voir des monceaux de blé, de bois, de pierres, virent alors des monceaux de cadavres. Les Béotiens qui gardaient le port furent tués aussi, les uns sur les remparts, les autres sur les toits des chantiers où ils étaient montés. 

13. Ce massacre fini, les Corinthiens et les Argiens emmenèrent leurs morts à la faveur d'une trêve. Les alliés des Lacédémoniens arrivèrent alors. Quand toutes les troupes furent réunies, Praxitas décida d'abord d'abattre une partie des murs suffisante pour donner passage à une armée, puis il les emmena par la route de Mégare et prit d'assaut d'abord Sidunte, ensuite Crommyon, et, après avoir mis une garnison dans ces places, il revint en arrière; puis il fortifia Epieiceia, afin qu'elle servît de forteresse aux alliés pour protéger leur territoire. Alors il licencia l'armée et reprit lui-même le chemin de Lacédémone. 

14. Dès lors, les deux partis renoncèrent aux grandes armées et les villes envoyèrent des garnisons, les unes à Corinthe, les autres à Sicyone pour garder les remparts. Les uns et les autres avaient des mercenaires grâce auxquels ils menaient la guerre avec vigueur. 

15. Ce fut alors qu'Iphicrate envahit le territoire de Phliunte et dans une embuscade qu'il avait dressée, tandis qu'il pillait le pays avec une poignée d'hommes et que les habitants de la ville accouraient imprudemment à la rescousse, il en tua tellement que les Phliasiens qui ne recevaient point auparavant les Lacédémoniens dans leurs murs, de peur qu'ils ne fissent rentrer ceux qui se disaient exilés pour laconisme, eurent une telle peur du parti des Corinthiens qu'ils appelèrent les Lacédémoniens et leur abandonnèrent garde de leur ville et de leur citadelle. Ceux-ci cependant, si bien disposés qu'ils fussent à l'égard des exilés, ne parlèrent pas une seule fois de les ramener, tout le temps qu'ils occupèrent la ville, et, quand elle parut être rassurée, ils s'en allèrent, laissant la ville et ses lois dans l'état où ils les avaient reçues. 

16. Cependant Iphicrate et ses troupes envahirent l'Arcadie sur plusieurs points, enlevant du butin et attaquant les villes; car les hoplites arcadiens ne sortaient jamais à leur rencontre, tant ils avaient peur des peltastes. De leur côté, les peltastes craignaient tellement les Lacédémoniens qu'ils ne s'approchaient jamais des hoplites à une portée de trait; car il était arrivé un jour que les plus jeunes des Lacédémoniens, leur ayant donné la chasse de cette distance, en avaient atteint et tué un certain nombre. 

17. Les Lacédémoniens méprisaient les peltastes, mais ils méprisaient plus encore leurs alliés. Un jour en effet que les Mantinéens s'étaient portés à la rencontre de peltastes qui avaient fait une sortie du haut du rempart qui s'étend jusqu'à Léchaion, ils avaient reculé sous les javelines et quelques-uns avaient été tués en fuyant. Aussi les Lacédémoniens se permettaient même de railler leurs alliés, disant qu'ils avaient peur des peltastes comme les petits enfants des croque-mitaines. Eux-mêmes, partant de Léchaion avec une more et les exilés corinthiens, battaient la campagne tout autour de la ville de Corinthe. 

18. De leur côté, les Athéniens, redoutant la puissance des Lacédémoniens, et, craignant qu'après avoir abattu les longs murs de Corinthe, ils ne vinssent chez eux, pensèrent qu'ils ne pouvaient rien faire de mieux que de relever les murs abattus par Praxitas. Ils vinrent donc en masse avec des maçons et des architectes et en quelques jours refirent un très beau mur du côté de Sicyone et de l'occident; quant au mur oriental, ils le rebâtirent avec moins de hâte. 

19. De leur côté, les Lacédémoniens, considérant que les Argiens récoltaient les fruits de leur pays et se complaisaient à la guerre, firent une expédition contre eux. Agésilas la conduisit, et, après avoir ravagé tout leur territoire, il franchit immédiatement les montagnes par la route de Ténéa à Corinthe et détruisit les remparts relevés par les Athéniens. Son frère Téleutias l'accompagnait par mer avec environ douze vaisseaux. Aussi félicitait-on leur mère, parce que le même jour l'un de ses fils s'était emparé sur terre des murs des ennemis et l'autre sur mer de leurs vaisseaux et de leurs arsenaux. Cela fait, Agésilas licencia l'armée des alliés et ramena à Sparte les troupes nationales

CHAPITRE V

DANS UNE NOUVELLE EXPÉDITION CONTRE CORINTHE, AGÉSILAS S'EMPARE DU PEIRAION. IPHICRATE ANÉANTIT UNE MORE LACÉDÉMONIENNE (ANNÉE 390 AV. J.-C.).

1. Quelque temps après, les Lacédémoniens, informés par les exilés que les gens de la ville avaient tout leur bétail au Peiraion (134) et l'y tenaient en sûreté et que beaucoup en tiraient leur subsistance, firent une nouvelle expédition contre Corinthe, et ce fut encore Agésilas qui la conduisit. Il se rendit d'abord à l'Isthme, parce que c'était le mois où l'on célèbre les jeux isthmiques, et c'étaient justement les Argiens qui offraient le sacrifice à Poseidon (135), comme si Argos était Corinthe. Mais quand ils surent qu'Agésilas approchait, ils laissèrent là sacrifice et banquet et se retirèrent en grand effroi dans la ville par la route qui mène à Cenchrées (136). 

2. Agésilas les vit et néanmoins ne les poursuivit pas, mais il s'installa dans le temple, sacrifia lui-même au dieu et attendit que les exilés de Corinthe eussent accompli en l'honneur de Poseidon le sacrifice et les jeux. Mais quand Agésilas fut parti, les Argiens recommencèrent les jeux isthmiques et il y eut cette année-là des luttes où les mêmes hommes furent vaincus deux fois et d'autres où les mêmes furent deux fois proclamés vainqueurs. 

3. Le quatrième jour, Agésilas conduisit son année contre le Peiraion; mais le voyant gardé par une forte garnison, il se retira après le repas du matin du côté de la ville, comme si on devait la lui livrer. Aussi les Corinthiens, craignant qu'elle ne fût réellement livrée par quelques-uns, firent venir Iphicrate avec la plupart des peltastes. Agésilas ayant su qu'ils avaient passé pendant la nuit, s'en retourna au Peiraion au point du jour. Il s'avança lui-même par les sources chaudes et fit passer une more par la crête la plus haute. Il campa cette nuit-là près des sources, et la more la passa sur les hauteurs qu'elle occupait. 

4. En cette occasion, Agésilas eut une idée, qui, sans être extraordinaire, lui valut des éloges par son opportunité. Aucun de ceux qui montaient les vivres à la more n'avait apporté de feu. Or le froid était sensible, parce que la crête était fort haute et qu'il était tombé de la pluie et de la grêle vers le soir, et parce que les soldats étaient montés avec des vêtements légers comme on en porte en été. Aussi avaient-ils froid et ils n'avaient guère envie de dîner dans l'obscurité. C'est alors qu'Agésilas leur envoya dix hommes au moins pour leur porter du feu dans des marmites. Quand ils furent montés, l'un d'un côté, l'autre de l'autre, et qu'on eut allumé beaucoup de grands feux, car il y avait du bois en abondance, tous les soldats se frottèrent d'huile et beaucoup se mirent à manger. On vit aussi cette nuit-là le temple de Poseidon en feu, mais on ignore l'auteur de l'incendie. 

5. Quand ceux du Peiraion virent les hauteurs occupées, ils ne pensèrent plus à se défendre, ils se réfugièrent tous dans le temple d'Hèra, hommes et femmes, esclaves et hommes libres, avec la plus grande partie du bétail. Agésilas s'avançait alors avec son armée le long de la mer; en même temps, la more descendant des hauteurs, s'emparait d'Oinoè, forteresse du Peiraion, et prenait tout ce qu'elle renfermait. Ce jour-là, tous les soldats se fournirent abondamment de vivres dans les campagnes. Ceux qui s'étaient réfugiés dans le temple d'Héra en sortirent pour remettre leurs personnes à la discrétion d'Agésilas. Celui-ci décida de livrer aux exilés tous ceux qui avaient participé aux massacres et de vendre tout le reste. 

6. Alors on vit sortir du temple d'Hèra une énorme foule de prisonniers, tandis qu'arrivaient de divers endroits plusieurs députations, entre autres une des Béotiens qui venaient demander ce qu'ils devaient faire pour obtenir la paix. Agésilas se montra très fier et affecta de ne pas même les voir, bien que Pharax, leur proxène, les accompagnât pour les lui présenter. Assis dans le bâtiment rond qui était près du lac, il regardait l'énorme butin qu'on emmenait. Des Lacédémoniens du camp suivaient avec leurs lances pour garder les prisonniers. Ils attiraient les yeux des assistants; car des gens qui sont heureux et vainqueurs semblent toujours dignes d'être regardés. 

7. Agésilas était encore assis et semblait fier de ce qu'il avait fait, quand un cavalier arriva sur un cheval tout baigné de sueur. Questionné par plusieurs personnes sur la nouvelle qu'il apportait, il ne répondit rien; mais, quand il fut près d'Agésilas, il sauta à bas de son cheval, courut à lui et lui raconta avec une sombre tristesse ce qui était arrivé à la more de Léchaion. À cette nouvelle, Agésilas sauta à bas de son siège, saisit sa lance et ordonna au héraut de convoquer les polémarques, les commandants de cinquante hommes et les chefs des mercenaires. 

8. Quand ils eurent accouru, il leur dit de le suivre en toute hâte, aussitôt qu'ils auraient mangé ce qu'ils pourraient, car ils n'avaient pas encore déjeuné, tandis que lui-même, sans se donner le temps de manger, prit les devants avec ses compagnons de tente. Ses gardes, qui étaient revêtus de leurs armes, le suivirent en hâte, il était en tête, eux derrière. Il avait déjà dépassé les sources chaudes et atteint la plaine de Léchaion, lorsque trois cavaliers venant à lui lui annoncent que les morts avaient été relevés. Après les avoir entendus, il donna l'ordre de déposer les armes et, après quelques instants de repos, il ramena son armée au temple d'Hèra. Le lendemain, il fit vendre les prisonniers. 

9. Puis il fit appeler les ambassadeurs béotiens et leur demanda pourquoi ils étaient venus. Ils ne parlèrent plus de la paix, mais ils lui dirent qu'ils désireraient, si rien ne s'y opposait, aller voir leurs soldats dans la ville. Agésilas se mit à rire et leur dit : « Oh! je sais bien que ce n'est pas vos soldats que vous désirez voir, mais vous voulez savoir jusqu'où va le succès de vos amis. Attendez donc, poursuivit-il; je vous y mènerai moi-même; avec moi, vous n'en saurez que mieux de quelle importance est l'affaire. » 

10. Il ne manqua pas à sa parole et, le lendemain, il conduisit son armée vers la ville. Il ne renversa pas le trophée, mais il coupa et brûla tous les arbres qui restaient et fit voir que personne n'osait sortir à sa rencontre. Cela fait, il campa près de Léchaion. Cependant il ne laissa pas les députés de Thèbes entrer dans la ville, mais il le envoya par mer à Creusis. Comme les Lacédémonien n'étaient pas habitués à de tels désastres, le deuil fut grand dans l'armée laconienne, sauf chez ceux dont le fils, les pères ou les frères étaient morts à leur poste Ceux-ci avaient l'air de vainqueurs et se promenaient, radieux et fiers de l'honneur échu à leurs maisons.

11. Voici comment la more avait essuyé ce désastre Les Amycléens ont l'habitude de retourner chez eux pou chanter le péan aux fêtes d'Hyacinthe (137), lorsqu'ils sont en campagne ou se trouvent dehors pour quelque autre motif. Aussi Agésilas avait à cette occasion laissé à Léchaion tous les Amycléens qu'il avait dans son armée. Le polémarque qui y tenait garnison chargea les troupes alliées de garder le rempart, et lui-même, avec sa more d'hoplites et sa more de cavaliers, escorta les Amycléens le long des murs de Corinthe. 

12. Quand ils furent à vingt ou trente stades de Sicyone, le polémarque, avec ses hoplites qui étaient environ six cents, reprit la route de Léchaion, après avoir ordonné à l'hipparmoste de le rejoindre avec sa more de cavaliers, quand ils auraient escorté les Amycléens aussi loin que ceux-ci le leur diraient. Ils n'ignoraient pas qu'il y avait dans Corinthe un nombre considérable de peltastes et d'hoplites; mais ils méprisaient l'ennemi à cause de leurs précédents succès et ne pensaient pas pas qu'on les attaquerait. 

13. Cependant des défenseurs de la ville, Callias, fils d'Hipponicos, chef des hoplites athéniens, et Iphicrate, commandant des peltastes, les voyant peu nombreux et dépourvus d'infanterie légère et de cavalerie, pensèrent qu'ils ne couraient aucun risque à les attaquer avec le corps des peltastes; car, si les Lacédémoniens avançaient par la route, on les anéantirait, en les attaquant à coups de javelines sur leur flanc découvert, et, s'ils essayaient de poursuivre, les peltastes, les plus agiles de toutes les troupes, échapperaient aisément aux hoplites. 

14. Leur décision prise, ils font sortir leurs hommes de la ville. Callias rangea ses hoplites en bataille à quelque distance des murs, et Iphicrate, avec ses peltastes, assaillit la more. Les Lacédémoniens, se voyant attaqués à coups de javelots et que certains des leurs étaient blessés et d'autres tués, ordonnèrent aux écuyers de les relever et de les emporter à Léchaion, et ce furent les seuls de la more qui furent véritablement sauvés. Le polémarque ordonna aux soldats des dix plus jeunes classes de poursuivre les assaillants. 

15. Mais, au cours de leur poursuite, ils n'attrapèrent personne : c'était impossible à des hoplites poursuivant des peltastes à la distance d'un trait; car Iphicrate ordonnait à ses hommes de se replier avant que les hoplites fussent près d'eux. Comme ceux-ci se retiraient en ordre dispersé, parce qu'ils s'étaient avancés chacun selon la vitesse dont il était doué, les soldats d'Iphicrate se retournaient, et les uns, faisant face à l'ennemi, le frappaient de nouveau de leurs javelots et d'autres, obliquant sur son flanc, le frappaient du côté découvert. Dès la première poursuite, ils avaient tué neuf ou dix hommes. En voyant ce cela, ils redoublèrent d'audace à presser l'adversaire. 

16. Comme ils lui faisaient beaucoup de mal, le polémarque ordonna aux quinze plus jeunes classes de charger; mais lorsqu'ils se replièrent, il en tomba encore plus que la première fois. Ils avaient déjà perdu leurs meilleures troupes, lorsque les cavaliers les rejoignirent et tentèrent avec eux une nouvelle poursuite. Mais lorsque les peltastes eurent cédé, les cavaliers manoeuvrèrent mal, car ils ne les poursuivirent pas jusqu'à ce qu'ils en eussent tué quelques-uns, mais, chargeant de front avec le détachement des hoplites, ils se retiraient en même temps qu'eux. Comme ils attaquaient comme les hoplites et souffraient les mêmes pertes, ils devenaient eux-mêmes de moins en moins nombreux et entreprenants, tandis que les ennemis devenaient plus hardis et toujours plus nombreux dans leurs attaques. 

17. Ne sachant plus que faire, les Lacédémoniens se massèrent sur une petite colline distante de la mer d'environ deux stades et de six ou sept de Léchaion. Ceux de Léchaion, les ayant aperçus, montèrent sur de petits bateaux et longèrent la côte, jusqu'à ce qu'ils furent en face de la colline. Mais les Lacédémoniens, réduits au désespoir, parce qu'ils étaient fort maltraités et périssaient sans pouvoir rien faire, voyant d'autre part les hoplites athéniens marcher contre eux, se mirent à fuir; certains d'entre eux se jetèrent dans la mer, quelques-uns parvinrent à se sauver avec les cavaliers à Léchaion. Dans tous ces combats et dans la déroute, il en périt environ deux cent cinquante. 

18. Voilà comment les choses s'étaient passées. Après cette défaite, Agésilas s'en alla avec la more ainsi éprouvée et en laissa une autre à Léchaion. Pendant le trajet jusqu'à Sparte, il entrait dans les villes le plus tard possible et il en repartait le plus matin qu'il pouvait. Parti d'Orchomène avant le jour, il passa devant Mantinée pendant qu'il faisait encore sombre, tant il pensait que les soldats seraient exaspérés de voir les Mantinéens se réjouir de leur malheur. 

19. Après ce succès, Iphicrate ne fut pas moins heureux dans ses autres entreprises. Praxitas avait établi des garnisons à Sidunte et à Crommyon, lorsqu'il avait pris ces places; Agésilas en avait mis une à Oinoè, lorsqu'il avait pris le Peiraion; Iphicrate n'en prit pas moins toutes ces places. Cependant les Lacédémoniens et leurs alliés maintinrent leur garnison à Léchaion. Mais les exilés corinthiens, à cause du désastre de la more, ne passèrent plus par terre devant Corinthe, quand ils sortaient de Sicyone; ils longeaient la côte pour se rendre à Léchaion, d'où ils partaient pour harceler ceux de la ville, qui les harcelaient à leur tour.

CHAPITRE VI

APPELÉS PAR LES ACHÉENS CONTRE LES ACARNANIENS, LES LACÉDÉMONIENS CONDUITS PAR AGÉSILAS RAVAGENT L'ACARNANIE (ANNÉE 389 AV. J.-C.).

1. Quelque temps après, les Achéens, qui possédaient Calydon, ville jadis étolienne, et qui avaient fait des Calydoniens des citoyens achéens, furent forcés d'y tenir une garnison, parce que les Acarnaniens étaient venus l'attaquer, soutenus par un certain nombre d'Athéniens et de Béotiens, dont ils étaient les alliés. Pressés par ces ennemis, les Achéens envoyèrent des ambassadeurs à Lacédémone. Arrivés dans cette ville, ils se plaignirent des mauvais procédés des Lacédémoniens. 

2. « Nous autres, Lacédémoniens, dirent-ils, nous faisons la guerre avec vous, comme vous nous le demandez, et nous vous suivons partout où vous nous conduisez. Vous, au contraire, vous avez beau nous voir assiégés par les Acarnaniens et leurs alliés, Athéniens et Béotiens, vous vous en désintéressez entièrement. Si cela continue, nous ne pourrons pas tenir. Alors, ou bien nous laisserons là la guerre du Péloponnèse et nous passerons le détroit avec toutes nos forces pour faire la guerre aux Acarnaniens et à leurs alliés, ou bien nous ferons la paix aux conditions que nous pourrons obtenir. » 

3. En parlant ainsi, ils menaçaient à mots couverts les Lacédémoniens d'abandonner leur alliance, s'ils ne recevaient pas d'eux de secours en échange. Après les avoir entendus, les éphores et l'assemblée jugèrent qu'ils ne pouvaient se dispenser de marcher avec les Achéens contre les Acarnaniens. En conséquence, ils envoyèrent Agésilas à la tête de deux mores et d'un contingent proportionnel d'alliés. 

4. Les Achéens se joignirent à lui avec toutes leurs forces. Quand Agésilas eut traversé le détroit, tous les Acarnaniens de la campagne se réfugièrent dans les villes, et tout le bétail fut emmené au loin, pour qu'il ne tombât point aux mains de l'armée. Arrivé aux frontières du pays ennemi, il envoya des députés à l'assemblée commune des Acarnaniens, à Stratos (138), pour leur déclarer que, s'ils ne renonçaient pas à l'alliance des Béotiens et des Athéniens, pour se ranger à celle des Lacédémoniens et de leurs alliés, il ravagerait leur pays d'un bout à l'autre et n'épargnerait rien. 

5. Les Acarnaniens ayant rejeté ses propositions, il mit ses menaces à exécution. Il ravagea le pays pied à pied, sans faire plus de dix ou douze stades par jour. Alors les Acarnaniens, pensant qu'ils pouvaient le faire en toute sûreté, vu la lenteur de l'armée, firent descendre leurs troupeaux des montagnes et continuèrent à cultiver la plus grande partie de leur pays. 

6. Mais quand il parut à Agésilas qu'ils étaient complètement rassurés, quinze ou seize jours après son entrée dans le pays, il partit le matin, après avoir sacrifié, fit une marche de cent soixante stades et arriva avant le soir au lac autour duquel se trouvaient presque tous les trou-peaux des Acarnaniens, et il s'empara d'une énorme quantité de troupeaux de boeufs et de chevaux et d'autre bétail de toute espèce, et fit beaucoup de prisonniers. Après cette capture, il passa en cet endroit le jour suivant, où il vendit ce qu'il avait pris. 

7. Cependant les peltastes des Acarnaniens arrivèrent en grand nombre, et, comme Agésilas était campé au flanc de la montagne, ils criblèrent son armée de traits et de pierres lancées à la fronde, de la crête où ils étaient, et, sans éprouver aucune perte, ils la forcèrent à descendre dans la plaine, bien qu'elle fût déjà en train de préparer le dîner. Ils se retirèrent pour la nuit, et les soldats lacédémoniens, ayant établi des gardes, se livrèrent au sommeil. 

8. Le lendemain, Agésilas commença la retraite. Mais les montagnes qui entourent la prairie et la plaine qui bordent le lac ne laissaient qu'un étroit passage, et les Acarnaniens, maîtres des crêtes, lançaient de leur position dominante des pierres et des javelines, puis descendant graduellement aux contreforts des montagnes, ils pressèrent et harcelèrent si fort l'armée lacédémonienne qu'elle ne pouvait plus avancer. 

9. Les hoplites et les cavaliers avaient beau quitter la phalange pour donner la chasse aux assaillants, ils ne leur faisaient aucun mal, parce que les Acarnaniens, en se repliant, se trouvaient vite en lieu sûr. Agésilas, sentant la difficulté de sortir de ce défilé, s'il restait ainsi exposé aux coups, se détermina à pour-suivre ceux qui le pressaient sur sa gauche et qui étaient très nombreux; car de ce côté, la montagne était plus accessible aux hoplites et aux cavaliers. 

10. Pendant qu'il sacrifiait, les Acarnaniens, à coups de pierres et de javelines, pressaient vivement ses soldats et s'approchant de plus près, ils en blessèrent beaucoup. Mais dès qu'il en eut donné l'ordre, les hoplites des quinze plus jeunes classes prirent leur course, les cavaliers s'élancèrent et lui-même suivit avec le reste des troupes. 

11. Alors ceux des Acarnaniens qui étaient graduellement descendus et qui lançaient des traits de loin se replièrent en hâte et furent tués en fuyant vers les hauteurs. Cependant les hoplites des Acarnaniens et le gros des peltastes, rangés en bataille sur le point le plus élevé, attendaient l'ennemi de pied ferme et non seulement ils lançaient leurs traits, mais encore ils se servaient de leurs lances comme de javelots, et ils blessèrent ainsi des cavaliers et tuèrent quelques chevaux. Mais quand ils furent sur le point d'en venir aux mains avec les hoplites lacédémoniens, ils lâchèrent pied et perdirent en cette journée près de trois cents des leurs. 

12. Là-dessus, Agésilas érigea un trophée, puis, se jetant de-ci de-là sur le pays, il coupa et brûla tout. Il attaqua même quelques villes, contraint à le faire par les Achéens, mais il n'en prit aucune. Enfin comme l'arrière-saison approchait, il évacua le pays. 

13. Cependant les Achéens estimaient qu'il n'avait rien fait, parce qu'il n'avait pris aucune ville, ni de gré, ni de force. Aussi le prièrent-ils, s'il ne voulait pas faire autre chose, de rester du moins assez longtemps pour empêcher les Acarnaniens d'ensemencer leurs terres. Il leur répondit que leur demande était contraire à leur intérêt. « Je reviendrai ici l'été prochain, dit-il; et plus les ennemis auront semé, plus ils désireront la paix. »

14. Cela dit, il se retira par terre à travers l'Etolie, par des routes où l'on ne pouvait passer ni avec beaucoup ni avec peu de troupes contre le gré des Étoliens. Mais ils le laissèrent passer dans l'espoir qu'il les aiderait à reprendre Naupacte (139). Arrivé au Rhion (140), il traversa le détroit pour regagner son pays; car les Athéniens barraient le passage de Calydon au Péloponnèse avec des trières venues des Oiniades.

CHAPITRE VII

MENACÉS D'UNE NOUVELLE INVASION PAR AGÉSILAS, LES ACARNANIENS CONCLUENT LA PAIX AVEC LES ACHÉENS ET UNE ALLIANCE AVEC LES LACÉDÉMONIENS. EXPÉDITION D'AGÈSIPOLIS CONTRE ARGOS (ANNÉE 388 AV. J.-C.).

1. L'hiver écoulé, Agésilas, suivant la promesse qu'il avait faite aux Achéens, fit, au commencement du printemps, une nouvelle levée contre les Acarnaniens. Ceux-ci, l'ayant appris, réfléchirent que leurs villes, parce qu'elles se trouvaient au milieu des terres, seraient assiégées par un ennemi qui détruirait les moissons tout aussi bien que s'il campait autour d'elles et les bloquait, et en conséquence ils envoyèrent des ambassadeurs à Lacédémone et conclurent la paix avec les Achéens et une alliance avec les Lacédémoniens. C'est ainsi que s'arrangea l'affaire avec les Acarnaniens. 

2. Après cela, les Lacédémoniens pensant qu'il ne serait pas sûr de faire une expédition contre les Athéniens ou les Béotiens, en laissant derrière eux sur les frontières de la Laconie une ville ennemie aussi puissante qu'Argos, décidèrent de faire une campagne contre elle. Quand Agèsipolis sut qu'il devait diriger l'expédition et qu'il eut fait le sacrifice qu'on offre au passage de la frontière, il se rendit à Olympie pour consulter l'oracle et demanda au dieu s'il pouvait sans impiété rejeter la trêve des Argiens, parce que ce n'était pas au temps réglé où elle tombait, mais toutes les fois que les Lacédémoniens devaient les attaquer qu'ils prétextaient les mois sacrés (141). Le dieu lui signifia (142) qu'il n'y avait pas d'impiété à rejeter une trêve alléguée injustement. De là, Agèsipolis se rendit tout droit à Delphes et demanda à Apollon s'il était, au sujet de la trêve, du même avis que son père. Le dieu répondit qu'il avait exactement le même avis. 

3. Dès lors, Agèsipolis s'étant mis à la tête de l'armée à Phliunte, car c'était là qu'on la lui avait rassemblée en attendant qu'il se fût rendu aux sanctuaires, envahit l'Argolide par Némée. Les Argiens, reconnaissant qu'ils ne pouvaient l'arrêter, envoyèrent, selon leur habitude, deux hérauts couronnés pour prétexter la trêve. Agèsipolis répondit que les dieux trouvaient leur demande injustifiée, et, repoussant la trêve, il pénétra dans leur territoire et jeta un grand trouble et un grand effroi dans les campagnes et dans la ville. 

4. Comme il dînait le premier soir en Argolide, au moment où l'on venait de faire les libations après le repas, le dieu (143) ébranla la terre. Alors le roi et ses compagnons de tente ayant entonné le péan en l'honneur de Poseidon, tous les Lacédémoniens le chantèrent. Le reste de l'armée s'attendait à quitter le pays, parce qu'Argis, après un tremblement de terre, avait évacué l'Elide. Mais Agèsipolis déclara que, si le tremblement de terre avait eu lieu avant qu'il envahît le pays, il l'aurait regardé comme une défense d'y pénétrer, mais qu'il le considérait comme un encouragement, parce qu'il s'était produit après qu'il y était entré. 

5. En conséquence le lendemain, après avoir offert un sacrifice à Poseidon, il continua d'avancer à l'intérieur du pays. Comme Agésilas avait naguère conduit une expédition contre Argos, Agèsipolis s'informa auprès. des soldats jusqu'où Agésilas s'était approché des murs et jusqu'où il avait ravagé le pays; comme un athlète au pentathle, il essayait de le surpasser en tout. 

6. Un jour il ne repassa le fossé qui entourait le mur qu'en se voyant sous les traits lancés du haut des tours. Un autre jour que la plupart des Argiens étaient allés ravager la Laconie, il s'approcha si près des portes que ceux qui les gardaient les fermèrent devant les cavaliers béotiens qui voulaient entrer, dans la crainte que les Lacédémoniens ne s'y jetassent en même temps, de sorte que les cavaliers furent contraints de se coller au mur, comme des chauve-souris, sous les créneaux. Si les Crétois n'étaient point partis pour une incursion contre Nauplie, beaucoup d'hommes et de chevaux auraient été percés de traits. 

7. Par la suite, comme Agèsipolis campait autour des enclos (144), la foudre tomba dans son camp et quelques hommes furent tués par la foudre, d'autres par la peur. Puis désirant bâtir une forteresse à l'entrée de l'Argolide, au-delà du mont Cèlousa (145), il fit un sacrifice et il trouva que le foie de la victime était sans lobes. En voyant cela, il emmena l'année et la licencia, après avoir malgré tout fait beaucoup de mal aux Argiens, en les attaquant ainsi à l'improviste.

 

 

CHAPITRE VIII

PHARNABAZE ET CONON CHASSENT DES ÎLES ET DES PLACES MARITIMES LES HARMOSTES LACÉDÉMONIENS. SEUL DERCYLIDAS SE MAINTIENT À ABYDOS ET S'EMPARE DE SESTOS. PHARNABAZE DESCEND EN LACONIE ET PREND CYTHÈRE. CONON RELÈVE LES MURS D'ATHÈNES. LES LACÉDÉMONIENS ENVOIENT ANTALCIDAS DEMANDER LA PAIX AU ROI. TIRIBAZE ARRÊTE CONON. THIBRON, ENVOYÉ EN ASIE PAR LES LACÉDÉMONIENS, EST VAINCU ET TUÉ PAR STROUTHAS. LES LACÉDÉMONIENS ET LES ATHÉNIENS SE DISPUTENT L'ÎLE DE RHODES. THRASYBULE DANS L'HELLESPONT ET À LESBOS. IL EST TUÉ À ASPENDOS. ANAXIBIOS, SUCCESSEUR DE DERCYLIDAS À ABYDOS, EST BATTU ET TUÉ PAR IPHICRATE (ANNÉES 394 à 389 AV. J.- C.).

1. Telles furent les péripéties de la guerre sur terre. Je vais raconter à présent tout ce qui se fit sur mer et dans les villes maritimes. Seulement je ne rapporterai que les actions mémorables et je laisserai de côté les actions sans importance. Tout d'abord donc Pharnabaze et Conon, après avoir battu les Lacédémoniens dans la bataille navale, firent le tour des îles et des villes maritimes, en chassèrent les harmostes laconiens et donnèrent aux villes l'assurance qu'ils n'y bâtiraient point de citadelles et qu'ils les laisseraient indépendantes. 

2. Elles reçurent avec joie ces assurances, remercièrent Pharnabaze et lui envoyèrent avec empressement des présents d'hospitalité. C'était Conon qui avait fait comprendre à Pharnabaze qu'en agissant ainsi, il aurait toutes les villes pour amies. Si l'on voyait au contraire qu'il voulait les asservir, chacune d'elles, disait-il, pourrait lui susciter beaucoup d'embarras et il courrait le risque de voir les Grecs, instruits de ses desseins, se liguer contre lui. 

3. Pharnabaze se rendit à cet avis. Puis, ayant débarqué à Éphèse, il confia quarante trières à Conon, en lui donnant rendez-vous à Sestos, et lui-même regagna par terre son gouvernement. En effet Dercylidas, qui était depuis longtemps son ennemi, se trouvait à Abydos lors du combat naval, et au lieu de quitter son poste comme les autres harmostes, il s'était maintenu dans Abydos, qui était, grâce à lui, restée l'amie des Lacédémoniens. Il avait assemblé les Abydéniens et leur avait tenu ce langage 

4. « Citoyens, vous avez aujourd'hui l'occasion, voua qui êtes les vieux amis de notre cité, de vous montrer les bienfaiteurs des Lacédémoniens. Se montrer fidèle dans la prospérité, il n'y a rien là de surprenant; mais demeurer fidèle à des amis tombés dans le malheur, c'est là une chose dont on se souvient à jamais. N'allez pas croire pourtant, parce que nous avons été vaincus dans la bataille navale, que nous ne comptons plus pour rien. Même antérieurement, vous le savez, quand les Athéniens avaient l'empire de la mer, notre ville était capable de faire du bien à ses amis et du mal à ses ennemis. Mais plus les autre villes se seront empressées de nous tourner le dos avec la fortune, plus votre fidélité paraîtra réellement grande. Si quelqu'un de vous craint de nous voir assiégés ici par terre et par mer, qu'il réfléchisse qu'il n'y a pas encore de flotte grecque en mer, et que, si les barbares tentent de conquérir l'empire des mers, la Grèce ne le supportera pas, de sorte qu'en se défendant elle-même, elle deviendra aussi votre alliée. » 

5. Les Abydéniens ne résistèrent pas à cette exhortation, ils l'accueillirent au contraire avec enthousiasme; ils reçurent amicalement les harmostes qui venaient chez eux et ils envoyèrent chercher ceux qui se trouvaient ailleurs. Quand il y eut ainsi beaucoup d'hommes de valeur réunis dans la ville, Dercylidas passa à Sestos, qui se trouve en face d'Abydos et n'en est pas éloignée de plus de huit stades. Là, il rassembla tous ceux qui avaient obtenu des terres dans la Chersonèse grâce aux Lacédémoniens et aussi tous les harmostes qui avaient été chassés des villes d'Europe, et ils les reçut en leur disant qu'eux non plus ne devaient pas se décourager, mais songer qu'en Asie même, pays qui avait toujours appartenu au roi, il y avait Tempos, ville qui n'était pas grande, Aeges et d'autres places qui pouvaient vivre sans être sous la dépendance du roi. « En tout cas, ajouta-t-il, quelle place pourriez-vous trouver plus forte que Sestos, quelle place plus difficile à prendre ? Elle nécessiterait des vaisseaux et des troupes de terre, si on voulait l'assiéger. » Il les empêcha par de tels propos de se laisser abattre.  

6. Pharnabaze, ayant trouvé les habitants d'Abydos et de Sestos dans ces dispositions, les prévint que, s'ils ne chassaient pas les Lacédémoniens, il leur ferait la guerre. Sur leur refus d'obéir, il chargea Conon de leur fermer la mer et lui-même se mit à ravager le territoire des Abydéniens; mais, ne pouvant venir à bout de les soumettre, il s'en retourna chez lui, après avoir prescrit à Conon de se concerter avec les villes de l'Hellespont pour réunir au printemps le plus grand nombre possible de vaisseaux. Il était en effet irrité contre les Lacédémoniens à cause du mal qu'ils lui avaient fait et il désirait par-dessus tout aller dans leur pays et tirer d'eux la vengeance la plus éclatante possible. 

7. Ils passèrent l'hiver dans ces occupations. Au commencement du printemps (146), après avoir équipé un grand nombre de vaisseaux et engagé une armée de mercenaires, Pharnabaze et Conon cinglèrent par les îles vers Mèlos dont ils firent leur base d'opérations contre Lacédémone. Pharnabaze débarqua d'abord à Phères (147), dont il dévasta le territoire, puis il fit des descentes sur d'autres points de la côte et y fit tout le mal qu'il put. Mais redoutant un pays où il n'y avait pas de port, l'arrivée de l'ennemi et le manque de vivres, il se retira rapidement, mit à la voile et alla mouiller dans l'île de Cythère à Phcenicunte. 

8. La garnison de la ville des Cythéréens, craignant d'être prise de force, abandonna les murs et se retira en Laconie à la faveur d'une convention avec Pharnabaze. Celui-ci répara le rempart des Cythéréens et y laissa une garnison avec l'Athénien Nicophèmos comme harmoste. Après cela, il fit voile vers l'isthme de Corinthe, il engagea les alliés à faire la guerre avec ardeur et à se montrer fidèles au roi et, leur laissant tout l'argent qu'il avait, il mit à la voile et retourna chez lui. 

9. Mais alors Conon lui représenta que, s'il voulait bien lui confier la flotte, il l'entretiendrait aux frais des îles et, rentrant avec elle dans sa patrie, il aiderait les Athéniens à reconstruire les Longs Murs et le mur d'enceinte du Pirée. Il était sûr, disait-il, qu'on ne pouvait porter de coup plus dur aux Lacédémoniens. « Et ainsi, ajouta-t-il, tu feras plaisir aux Athéniens, et tu te vengeras des Lacédémoniens, en détruisant l'ouvre pour laquelle ils se sont donné tant de peine. » Pharnabaze, ayant entendu ces paroles, le renvoya volontiers à Athènes et lui remit en outre de l'argent pour reconstruire les remparts. 

10. Arrivé à Athènes, Conon releva une grande partie du mur, prêtant ses équipages, payant le salaire des architectes et des maçons et couvrant toutes les autres dépenses nécessaires. Il y eut aussi une partie du rempart que les Athéniens eux-mêmes et des volontaires de Béotie et d'autres États construisirent ensemble. Cependant les Corinthiens, ayant équipé des vaisseaux avec l'argent que Pharnabaze leur avait laissé, en donnèrent le commandement à Agathinos et se rendirent maîtres du golfe dans les parages de l'Achaïe et de Léchaion. 

11. Les Lacédémoniens aussi équipèrent des vaisseaux qui furent mis sous le commandement de Podanémos. Mais celui-ci fut tué dans une attaque, et Pollis, son second, ayant été blessé et s'étant retiré, Hèrippidas, prit le commandement de la flotte. Cependant Proainos le Corinthien, qui avait succédé à Agathinos, abandonna Rhion, dont les Lacédémoniens se saisirent. Ensuite Téleutias succéda à Hèrippidas et devint de nouveau maître du golfe. 

12. Quand les Lacédémoniens apprirent que Conon relevait les murs d'Athènes avec l'argent du roi, qu'il entretenait la flotte avec ce même argent et qu'il gagnait au parti d'Athènes les îles et les villes maritimes du continent, ils pensèrent que, s'ils informaient de ces faits Tiribaze, général du roi, il passerait de leur côté ou cesserait de nourrir la flotte de Conon. Dans ce dessein, ils envoyèrent auprès de Tiribaze Antalcidas, avec mission de lui apprendre ce qui se passait et d'essayer de faire la paix entre leur cité et le roi. 

13. Informés de cette démarche, les Athéniens députèrent de leur côté, avec Conon, Hermogénès, Dion, Callisthénès et Callimédon et ils engagèrent leurs alliés à envoyer aussi des députés, et il en vint de Béotie, de Corinthe et d'Argos. 

14. Quand ils furent arrivés à destination, Antalcidas dit à Tiribaze qu'il venait de la part de sa patrie demander la paix au roi, une paix telle que le roi la désirait; car les Lacédémoniens ne revendiquaient point contre le roi les villes grecques d'Asie, et il leur suffisait que toutes les îles et en général les cités grecques fussent indépendantes. « Et puisque, dirent-ils, nous consentons à de telles conditions, quelle raison pourrait avoir le roi de nous faire la guerre ou de dépenser de l'argent ? Et en effet toute expédition contre le roi est impossible aux Athéniens, si nous ne sommes pas à leur tète, et à nous-mêmes, si les villes sont indépendantes.

15. Tiribaze entendit avec un vif plaisir les propositions d'Antalcidas; mais pour ses adversaires c'étaient des mots vides de sens. Les Athéniens en effet craignaient de reconnaître l'indépendance des villes et des îles, de peur d'être privés de Lemnos, d'Imbros et de Scyros; les Thébains craignaient d'être forcés de laisser leur autonomie aux villes de Béotie, et les Argiens ne pensaient pas pouvoir, malgré le désir qu'ils en avaient, traiter Corinthe comme une possession d'Argos, si l'on concluait un tel traité et une telle paix. C'est ainsi que ce projet de paix resta sans effet et que chacun s'en retourna chez soi. 

16. Tiribaze jugeait bien qu'il y avait danger pour lui à s'allier avec les Lacédémoniens sans l'assentiment du roi. Il n'en donna pas moins de l'argent en cachette à Antalcidas, afin que les Lacédémoniens pussent équiper une flotte et que les Athéniens et leurs alliés fussent plus empressés de faire la paix. En même temps, comme les Lacédémoniens accusaient Conon de trahir le roi, il crut à leur sincérité et le fit mettre en prison. Cela fait, il se rendit chez le roi, pour lui soumettre les propositions des Lacédémoniens et l'avertir qu'il avait arrêté Conon comme traître et pour lui demander ce qu'il fallait faire sur toutes ces questions. 

17. Quand Tiribaze fut arrivé à la cour, le roi envoya Strouthas diriger les affaires maritimes. Or Strouthas était tout dévoué aux Athéniens et à leurs alliés, parce qu'il se souvenait de tout le mal qu'Agésilas avait fait au pays du roi. Quand les Lacédémoniens se furent aperçus que Strouthas leur était hostile et favorisait les Athéniens, ils envoyèrent Thibron lui faire la guerre. Thibron passa en Asie et, prenant pour base Éphèse et les villes de la plaine du Méandre, Priène, Leucophrys et Achilléion, il ravagea le territoire du roi. 

18. Mais à la longue Strouthas, ayant remarqué que Thibron sortait toujours en désordre et méprisait l'ennemi, envoya des cavaliers dans la plaine avec ordre de courir sus à l'ennemi, de saisir et d'emporter tout ce qu'ils pourraient. Thibron venait justement de déjeuner et jouait au disque avec le joueur de flûte Thersandros; car ce Thersandros n'était pas seulement un bon flûteur, mais, en imitateur des moeurs lacédémoniennes, il avait la prétention d'être fort. 

19. Strouthas, voyant que l'ennemi s'avançait en désordre et que les premiers étaient en petit nombre, se montre tout à coup avec une cavalerie nombreuse et rangée en bataille. Thibron et Thersandros furent les premiers tués. Ceux-ci tombés, le reste de l'armée tourna le dos, et les cavaliers, s'étant lancés à sa poursuite, en firent un grand carnage; quelques-uns parvinrent à se sauver dans les villes alliées, et un plus grand nombre, avertis trop tard de l'expédition, étaient restés au camp. Souvent en effet, comme cette fois, Thibron partait en incursion, sans même faire passer ses ordres. C'est ainsi que finirent ces événements. 

20. Quand ceux des Rhodiens qui avaient été bannis par la faction populaire (148) arrivèrent à Lacédémone, ils représentèrent aux Lacédémoniens qu'il serait déplorable de laisser les Athéniens subjuguer Rhodes et se renforcer d'une telle puissance. Les Lacédémoniens, reconnaissant que, si le peuple l'emportait, Rhodes entière appartiendrait aux Athéniens, tandis que, si c'étaient les riches, elle serait à eux-mêmes, équipèrent aux exilés huit vaisseaux et nommèrent Ecdicos navarque. 

21. Ils envoyèrent en même temps sur ces vaisseaux Diphridas, chargé de passer en Asie pour sauver les villes qui avaient reçu Thibron, de prendre le commandement de ce qui restait de son armée, de lever d'autres troupes où il pourrait et de faire la guerre à Strouthas. Diphridas se mit en devoir d'exécuter ces ordres et, entre autres succès, il s'empara de Tigranès, gendre de Strouthas, et de sa femme, tandis qu'ils se rendaient à Sardes. Il en obtint une forte rançon, qui lui permit aussitôt de payer des mercenaires. 

22. Ce Diphridas n'était pas moins aimable que Thibron, mais, comme général, il était plut, maître de lui et plus entreprenant. Il ne se laissait pas dominer par les plaisirs du corps et, quoi qu'il fît, il s'y donnait tout entier. Quant à Ecdicos, lorsqu'il fut arrivé à Cnide et qu'il eut appris que le peuple de Rhodes avait la main sur toutes les affaires, qu'il était maître sur terre et sur mer et possédait deux fois plus de vaisseaux que lui-même, il demeura en repos à Cnide. 

23. Informés qu'il n'avait pas assez de forces pour aider leurs amis, les Lacédémoniens ordonnèrent à Téleutias de contourner le Péloponnèse avec les douze vaisseaux qu'il avait dans le golfe près de l'Achaïe et de Léchaion, de rejoindre Écdicos, de le renvoyer, de s'occuper lui-même de ceux qui désiraient être leurs amis et de faire aux ennemis tout le mal qu'il pourrait. Téleutias, arrivé à Samos, y grossit sa flotte de quelques vaisseaux qu'il y trouva et cingla sur Cnide, d'où Ecdicos revint à Sparte. 

24. Téleutias se dirigea ensuite sur Rhodes avec sa flotte, forte déjà de vingt-sept vaisseaux. Dans le trajet, il rencontra Philocratès, fils d'Ephialtès, qui se rendait d'Athènes à Chypre avec dix trières pour porter secours à Évagoras (149), et il lui prit tous ses vaisseaux. Tous les deux agissaient alors d'une manière absolument contraire à leurs intérêts; car les Athéniens, amis du roi, envoyaient des secours à Évagoras qui lui faisait la guerre, et Téleutias, alors que les Lacédémoniens étaient en guerre avec le roi, détruisait une flotte destinée à le combattre. Téleutias retourna alors à Cnide et y vendit son butin, puis il reprit la route de Rhodes et se mit au service de ceux de son parti. 

25. Cependant les Athéniens s'avisant que les Lacédémoniens cherchaient à reprendre des forces sur mer, envoyèrent contre eux Thrasybule de Steiria avec quarante vaisseaux. Quand il eut pris la mer, effet à plus tard son voyage à Rhodes. Il pensait en effet qu’il ne lui serait pas facile de châtier les alliés des Lacédémoniens qui occupaient une forteresse et qui étaient soutenus par Téleutias présent avec sa flotte et que, d'autre part, les amis d'Athènes ne risquaient pas de tomber au pouvoir de leurs ennemis, puisqu'ils étaient maîtres des villes, qu'ils étaient beaucoup plus nombreux et qu'ils venaient de gagner une bataille. 

26. Il fit donc voile vers l'Hellespont, et comme il n'y trouva point d'adversaire, il pensa qu'il pourrait s'y rendre utile à son pays.d'abord donc, ayant appris que Mèdocos, le roi des Odryses, et Seuthès, souverain du littoral, étaient brouillés, il les réconcilia et en fit des amis et des alliés d'Athènes. Il pensait que les villes grecques de la côte thrace, si ces rois étaient amis, seraient mieux disposées à l'égard des Athéniens. 

27. Comme tout allait bien de ce côté et que les villes d'Asie, sachant que le roi était ami des Athéniens, leur étaient favorables, il fit voile vers Byzance et afferma la dîme prélevée sur les vaisseaux qui sortent du Pont, puis il fit passer les Byzantins de l'oligarchie à la démocratie. Ainsi le peuple de Byzance voyait sans déplaisir les Athéniens séjourner en très grand nombre dans leur ville. 

28. Cela fait, il se concilia aussi l'amitié des Chalcédoniens, puis il sortit de l'Hellespont. Arrivé à Lesbos, il y trouva toutes les villes, à l'exception de Mytilène, attachées au parti des Lacédémoniens. Il ne marcha contre aucune d'elles : il voulait auparavant assembler à Mytilène les quatre cents hoplites de ses vaisseaux, les exilés des villes qui s'étaient réfugiés dans cette ville, en y adjoignant les plus robustes des Mytiléniens; il voulait aussi suggérer l'espérance aux Mytiléniens, que, s'il s'emparait des villes, ils auraient la prééminence sur toute l'île de Lesbos; aux exilés, que, s'ils marchaient tous ensemble contre chacune des villes, ils seraient à même de rentrer tous dans leur patrie; aux soldats de marine, que, s'ils faisaient de Lesbos une amie de leur cité, ils lui procureraient une source d'abondantes richesses. Après les avoir animés de la sorte, il les rangea en bataille et les conduisit contre Mèthymne. 

29. Cependant Thèrimachos, qui s'y trouvait comme harmoste des Lacédémoniens ayant appris l'arrivée de Thrasybule, prit avec lui les soldats de marine de ses vaisseaux, les Mèthymnéens eux-mêmes et tous les réfugiés de Mytilène qui se trouvaient là, et il s'avança jusqu'aux frontières à la rencontre de l'ennemi. Une bataille s'engagea, où Thèrimachos fut tué; son armée prit la fuite et perdit beaucoup de monde. 

30. À la suite de cette victoire. Thrasybule reçut la soumission de quelques villes et ravagea celles qui refusèrent son alliance et fournit ainsi de l'argent à ses troupes; puis il se hâta de gagner Rhodes. Mais, pour avoir là aussi une armée aussi solide que possible, il rançonna différentes villes, et se rendit en particulier à Aspendos, où il mouilla dans le fleuve Eurymédon. Il avait déjà reçu l'argent des Aspendiens, lorsque ses soldats, ayant causé du dommage dans la campagne, soulevèrent contre lui la colère des habitants, qui l'attaquèrent pendant la nuit, et le massacrèrent dans sa tente. 

31. Ainsi mourut Thrasybule qui avait la réputation d'être un excellent homme. Les Athéniens choisirent à sa place Agyrrios et l'envoyèrent prendre le commandement de la flotte. Cependant les Lacédémoniens, apprenant que les Athéniens avaient affermé à Byzance la dîme prélevée sur les vaisseaux venant du Pont, qu'ils étaient en possession de Chalcédoine et que les autres villes de l'Hellespont leur étaient favorables, parce que Pharnabaze était leur ami, en conclurent qu'il fallait donner leur attention à la situation. 

32. Ils n'avaient rien à reprocher à Dercylidas; mais Anaxibios, ayant gagné la faveur des éphores, réussit à se faire envoyer comme harmoste à Abydos. Il promettait, si on lui accordait des subsides et des vaisseaux, de faire la guerre aux Athéniens et de brouiller leurs affaires dans l'Hellespont. 

33. On lui donna trois trières et de quoi entretenir mille mercenaires et on l'envoya à Abydos. Arrivé là, ses opérations sur terre furent les suivantes : il rassembla des mercenaires, il détacha de Pharnabaze quelques villes de l'Éolide, il s'avança contre celles qui avaient marché contre Abydos, envahit et ravagea leur territoire. Sur mer, il compléta sa flottille avec trois autres vaisseaux qu'il équipa à Abydos et, s'il trouvait quelque part un bateau marchand des Athéniens ou de leurs alliés, il le ramenaient au port. 

34. Informé de ces faits, les Athéniens, craignant de perdre la situation que Thrasybule leur avait faite dans l'Hellespont, envoyèrent contre Anaxibios Iphicrate avec huit vaisseaux et environ douze cents peltastes, dont la plupart avaient servi sous ses ordres à Corinthe. Lorsque les Argiens eurent incorporé Corinthe dans Argos, ils avaient déclaré qu'ils n'avaient plus besoin d'eux. Iphicrate avait en effet mis à mort quelques-uns de leurs partisans. En conséquence il était revenu à Athènes et il y habitait à ce moment. 

35. Quand il fut arrivé dans la Chersonèse, Anaxibios et lui se firent d'abord la guerre en envoyant partout des corsaires. Mais, au cours des opérations, Iphicrate fut informé qu'Anaxibios était parti pour Antandros avec ses mercenaires, les Laconiens qui l'accompagnaient et deux cents hoplites d'Abydos. Ayant appris aussi qu'il avait gagné Antandros à son alliance, il soupçonna qu'après y avoir réorganisé la garde de cette place, il reviendrait sur ses pas et ramènerait les Abydéniens chez eux. En conséquence, il s'engagea de nuit dans la partie la plus déserte du territoire d'Abydos, gravit les montagnes et y dressa une embuscade. Il ordonna en même temps aux trières qui l'avaient amené, de longer au point du jour la Chersonèse, en remontant le détroit, afin de faire croire que, suivant son habitude, il avait mis à la voile pour aller recueillir de l'argent. 

36. En agissant ainsi, il ne fut pas déçu. Anaxibios en effet revint sur ses pas, bien qu'il n'eût pas, dit-on, obtenu ce jour-là des auspices favorables. Il n'en tint aucun compte, parce qu'il cheminait en pays ami vers une ville amie et parce qu'il avait appris de ceux qu'il rencontrait qu'Iphicrate remontait avec ses vaisseaux vers Proconnèse, et il s'avançait avec peu de précaution. 

37. Cependant Iphicrate ne bougea pas, tant que l'armée d'Anaxibios fut en terrain plat; mais lorsque les Abydéniens qui ouvraient la marche furent arrivés dans la plaine de Crémastès, où ils ont leurs mines d'or, que le reste de l'armée qui les suivait se trouva sur la pente de la montagne, et qu'Anaxibios commençait à descendre avec les Laconiens, alors Iphicrate s'élança de son embuscade et fondit sur lui au pas de course. 

38. Anaxibios jugea aussitôt qu'il n'y avait pas d'espoir de salut, car il voyait son année échelonnée longuement dans un défilé, et pen­sait que ceux qui étaient passés ne pourraient certainement pas remonter la pente pour le secourir, et d'ailleurs il avait remarqué l'effroi qui avait saisi tout son monde à la vue de l'embuscade. Alors il dit à ceux qui étaient près de lui : « Soldats, je trouve beau de mourir ici. Pour vous, avant d'en venir aux mains avec l'ennemi, hâtez-vous de nous sauver. » 

39. À ces mots, il prit son bouclier des mains de son écuyer et tomba sur place en combattant. Son mignon resta à ses côtés, ainsi qu'une douzaine d'harmostes lacédémoniens, qui étaient venus le rejoindre de différentes villes. Les autres Lacédémoniens périrent en fuyant, car on les poursuivit jusqu'aux portes de la ville. Il périt environ deux cents hommes des autres troupes et une cinquantaine d'hoplites abydéniens. Après cet exploit, Iphicrate se retira de nouveau dans la Chersonèse.

(121) Cf. Anabase, I, 8, 5 et II, 4, 2 et suiv.

(122) Mégabatès, fils de Spithridatès, favori d'Agésilas.

(123) Cf. Plutarque, Agésilas, 13.

(124) Agèsipolis était fils de Pausanias.

(125) L'expression ἀμφίαλον (entre deux mers) ne s'explique pas ici. On a proposé diverses corrections : τὴν Αἰγιαλείαν, τὴν ἐπ' αἰγιαλόν (par la route du bord de la mer).

(126) Pourquoi ce changement de position ? Nous l'ignorons. Xénophon n'en donne pas la raison. Il ne dit pas non plus pourquoi la formation sur seize rangs primitivement adoptée fut abandonnée.

(127) L'armée athénienne était comme le peuple divisée en 10 tribus, et l'infanterie commandée par 10 taxiarques et la cavalerie par 10 phylarques.

(128) La Chasseresse est un surnom d'Artémis.

(129) Huit Spartiates proprement dits. Diodore, XIV, 89, évalue les pertes des Lacédémoniens et de leurs alliés à 1.100 et celles de leurs adversaires à 2.800 hommes. D'après Xénophon Agésilas, 7, 5, ces derniers auraient perdu près de 10.000 hommes.

(130) D'après Diodore, XIV, 83, Pisandre avait 85 vaisseaux, Conon plus de 90.

(131) Xénophon assista lui-même à la bataille; car il faisait partie de la suite d'Agésilas.

(132) Les Eucleia étaient une fête en l'honneur d'Artémis.

(133) Le Cranion était un gymnase près de Corinthe.

(134) Le Peiraion était une péninsule montagneuse au nord-ouest de l'isthme, à l'extrémité ouest de laquelle se dressait le temple d'Hèra, près duquel il y avait un petit lac. Oinoè se trouvait dans la partie nord-est de la péninsule.

(135) C'est près du temple de Poséidon, à l'est de l'isthme, qu'on célébrait tous les deux ans les jeux isthmiques.

(136) Corinthe avait deux ports, Léchaion sur le golfe de Corinthe et Cenchrées sur le golfe Saronique.

(137) Les Hyacinthies duraient trois jours. Le premier jour, on portait le deuil d'Hyacinthe, qu'Apollon, qui l'aimait, avait tué par accident. Les deux autres jours étaient consacrés à des rondes et à des concours.

(138) Stratos, sur l'Achéloos, était alors la capitale de l'Acarnanie.

(139) Naupacte appartenait alors aux Achéens. Cf. Diodore, XV, 75.

(140) Le Rhion est un promontoire d'Étolie, en face du promontoire de même nom en Achaïe. Aussi le promontoire d'Etolie s'appelait aussi Antirrhion.

(141) Il s'agit de certaine fête commune aux peuples doriens, pendant lesquelles ils s'étaient engagés à une trêve sacrée. Les calendriers variant de peuple à peuple, le temps de la célébration de ces fêtes variait aussi.

(142) Les oracles de Zeus à Olympie consistaient en signes observés sur les victimes.

(143) Ce dieu est Poséidon, qu'Homére appelle ¤nosÛxyvn 'qui ébranle la terre).

(144)  Nous n'avons pas d'autre renseignement sur ces enclos, qui devaient être près des remparts de la ville.

(145) Le Cèlousa, que Strabon appelle Cèlossa (VIII, p. 382), était une montagne située sur le territoire de Phliunte.

(146) Au printemps de l'année — 393.

(147) Il s'agit de Phères en Messénie, moins connue que Phères en Thessalie.

(148) Les Rhodiens avaient abandonné le parti des Lacédémoniens et s'étaient donnés à Conon, en — 396. Ils avaient alors expulsé les partisans de Lacédémone. Cf. Diodore, XIV, 7, 9.

(149) Évagoras avait essayé de soumettre toute l'île de Chypre; mais les villes s'étaient adressées au roi de Perse, qui leur envoya des secours. Cf. Diodore, XIV, 98.