Flodoard ORDERIC VITAL

 

HISTOIRE DE NORMANDIE

 

TROISIEME PARTIE : LIVRE XII (PARTIE II)

livre XII partie I - LIVRE XII partie III

Œuvre mise en page par Patrick Hoffman

Texte latin de Migne.

 

ORDERIC VITAL

 

 

 

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XI. Henricus rex nonnullos rebelles Normannos ad obsequium reducit. De veteri Rothomago.

Interea Henricus rex Ebroas potenter obsedit, ipsiusque nepos Tedbaldus, comes palatinus, pacificare discordantes sategit; unde solerti consilio fiduciaque Amalricum ad regem adduxit, qui protinus reconciliatus regi arcem ultro reddidit, et ipse totum avunculi sui comitatum gaudens recepit. Porro Eustachius et Juliana, uxor ejus, cum amicis consiliati sunt, et ad obsidionem, amicorum instinctu, properaverunt, nudisque pedibus ingressi tentorium regis ad pedes corruerunt. Quibus repente rex ait: « Cur super me sine meo conductu introire ausi estis, quem tot tantisque injuriis exacerbastis? » Cui Eustachius respondit: « Tu meus es naturalis dominus. Ad te ergo, dominum meum, venio securus, servitium meum tibi fideliter exhibiturus, et rectitudinem pro erratibus, secundum examen pietatis tuae, per omnia facturus. » Amici pro genero regis supplicantes adfuerunt. Richardus quoque, filius regis, pro sorore sua supplex accessit. Clementia vero cor regis ad generum et filiam emollivit, et benigniter reflexit. Mitigatus itaque socer genero dixit: « Juliana revertatur Paceium, et tu mecum venies Rothomagum, ibique meum audies placitum. » Nec mora jussio regis completa est, et rex Eustachio sic locutus est: « Propter honorem Britolii quem Radulfo Britoni, cognato tuo, dedi, quem fidelem et probissimum in necessitatibus meis contra hostes comprobavi, in Anglia tibi per singulos annos recompensabo CCC marcos argenti. » Post haec praefatus heros in pace zetis et muris Paceium munivit, multisque divitiis abundans, plus quam XX annis vixit. Porro Julianae post aliquot annos lascivam quam duxerat vitam, habitumque mutavit, et sanctimonialis in novo Fontis-Ebraldi coenobio facta, Domino Deo servivit.

Hugo de Gornaco, et Rodbertus de Novo Burgo, caeterique rebelles, ut fortiores se viderunt defecisse, et fortitudine ac sensu super omnes regem incessisse, comperta sociorum defectione, praeteritorum actuum poenitudinem egere, et tam per se quam per amicos misericordiam regis postulavere. Protinus ille, qui Deum timebat, et pacis justitiaeque cultor erat, baronibus pro errore supplicibus pepercit, et indultis reatibus in amicitiam eos benigniter recepit.

In Stephanum, comitem de Albamarla, qui solus adhuc resistebat, exercitum rex aggregavit, et in loco qui Vetus Rothomagus dicitur, castrum condere coepit, quod Mata-Putenam, id est devincens meretricem, pro despectu Hadvisae comitissae nuncupavit. Ejus enim instinctu praefatus consul contra dominum cognatumque suum regem rebellavit, et Guillelmum Clitonem atque Balduinum Flandritam in castris suis receptos diutius adjuvit. Qui, postquam regem super se cum exercitu venire cognovit, prudentum consultu amicorum, regi humiliter satisfecit, et ille, condonatis omnibus, cum pace triumphans recessit.

De Veteri Rothomago, unde hic mentio jam facta est, tangam quod in priscis Quiritum historiis relatum est. Caius Julius Caesar Caletum, unde Caletensis pagus adhuc vocabulum retinet, obsedit, diuque totis nisibus impugnavit. Et quia illuc de omni Gallia implacabiles inimici confluxerant, qui caedibus et incendiis ac frequentibus injuriis offenderant, et irremissibiliter Caesarem irritaverant, ipse urbem pertinaciter impugnavit, cum incolis cepit funditusque destruxit. Caeterum ibi, ne provincia praesidio nudaretur, munitionem construxit, quam a Julia, filia sua, Juliam Bonam nuncupavit; sed barbara locutio Illebonam, corrupto nomine, vocitavit. Inde IX fluvios, Guitefledam et Talam, quae Dun modo dicitur, Sedanam et Belnaium atque Sedam, Guarennam et Deppam et Earam pertransivit, Oceanique littus usque ad Aucum flumen, quod vulgo dicitur Ou, perlustravit. Solers denique princeps, postquam commoditatem patriae perscrutatus suis consulit, urbem ad subsidium Quiritum aedificare decrevit, quod Rodomum, quasi Romanorum domum, vocitavit. Accitis itaque artificibus, spatium quantitatis ejus mensus est, latomisque cum macionibus illic ad opus agendum dispositis, profectus est. Interea Rutubus, potens saevusque tyrannus, inexpugnabile, ut putabatur, municipium super montem juxta Sequanam servabat, per quod circumjacentem provinciam, navesque per proximum flumen meantes coercebat. Quod audiens Caesar, illuc cum exercitu festinavit, et castellum, quod Rutubi Portus appellabatur, expugnavit. Cujus oppidi specimen et ruinas solers indigena perspicue cognoscit. Caesar autem de praedicto loco caementarios et artifices alios revocavit, nobilemque metropolim super Sequanam Rothomagum condidit, et priori vico super Aucum usque in hunc diem solum nomen reliquit.

Haec, quia de Veteri Rothomago, ubi Henricus rex castellum in hostes inchoavit, sed illis protinus reconciliatis inceptum opus intermisit, ad notitiam posteritatis mentionem feci, de priscorum relationibus adjeci. Nunc autem ad res nuper gestas, ut coepi, redibo, et pro posse meo antiquos scriptores sequens, laborem meum aetati futurae offero.

Omnes Normanni qui contra regem, ut dictum est, rebellaverant, ipsum in omnibus fortiorem experti sunt, meliusque quam olim consilium captantes, tam per se quam per amicos veniam petierunt, et supplices a rege indultis reatibus recepti sunt. Inviti siquidem Guillelmum Clitonem cum Helia, paedagogo suo, in exsilio reliquerunt, sed aliter potentissimi principis pacem habere nequiverunt.

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Pendant ce temps-là, le roi Henri assiégea vivement Evreux, et Thibaut, comte palatin, son neveu, s'appliqua à ramener la paix entre les princes divisés. En conséquence, d'après de sages conseils et la confiance qu'il inspirait, il conduisit devant le Roi Amauri, qui, s'étant réconcilié aussitôt avec ce monarque, lui rendit volontiers sa forteresse, et reçut avec joie tout le comté de son oncle. Eustache et Juliane sa femme se réconcilièrent aussi avec le Roi ainsi que leurs partisans; d'après l'invitation de leurs amis, ils se hâtèrent de se rendre au siége, et là, entrant pieds nus dans la tente du Roi, ils se jetèrent à ses genoux. Henri leur dit aussitôt: «Pourquoi vous êtes-vous permis, sans mon sauf-conduit, de vous introduire auprès de moi, que vous avez aigri par tant et de si grands outrages?» Eustache fit cette réponse: «Vous êtes mon seigneur suzerain; c'est donc avec sécurité que je me présente à vous en cette qualité, disposé que je suis à vous rendre fidèlement mes services, et prêt à vous satisfaire en toutes choses pour mes fautes selon la décision de votre bonté.» Quelques amis intervinrent pour supplier le Roi en faveur de son gendre. Richard, fils de Henri, l'implora aussi pour sa sœur. La clémence amollit le cœur du monarque en faveur de son gendre et de sa fille, et le fléchit avec bonté. En conséquence, le beau-père adouci dit à son gendre: «Que Juliane retourne à Paci; vous viendrez à Rouen avec moi, et là vous entendrez ma décision.» L'ordre du Roi fut exécuté aussitôt; puis il parla à Eustache en ces termes: «Je vous donnerai en Angleterre trois cents marcs d'argent chaque année, pour vous dédommager du fief de Breteuil, dont j'ai fait don à Raoul-le-Breton votre parent, que j'ai toujours trouvé, à mon besoin, fidèle et brave contre mes ennemis.» Ensuite ce chevalier fortifia tranquillement Paci de retranchemens et de murs, et, comblé de richesses, vécut plus de vingt ans. Quant à Juliane, au bout de quelques années, elle renonça à la vie lascive qu'elle avait menée et changea de conduite; puis, devenue religieuse dans le nouveau couvent de Fontevrault, elle y servit Dieu.

Hugues de Gournai, Robert du Neubourg et les autres rebelles, se voyant abandonnés des plus braves, considérant que le Roi l'emportait sur tous par son courage et sa prudence, et ayant appris la défection de leurs alliés, se repentirent de leurs actions passées; et, tant par eux-mêmes que par leurs amis, implorèrent la miséricorde du Roi. Aussitôt ce prince, qui craignait Dieu et qui aimait la paix et la justice, pardonna à ces barons qui demandaient grâce pour leurs erreurs, et, après leur avoir pardonné leurs fautes, il leur rendit avec bonté son amitié.

Le Roi rassembla une armée contre Étienne, comte d'Aumale, qui seul résistait encore. Il commença la construction d'un château dans le lieu que l'on appelle le vieux Rouen, et, par mépris pour la comtesse Hedvise, il le nomma Mâte-Putain51, c'est-à-dire, vainqueur de la courtisane. En effet, par l'inspiration de cette comtesse, Etienne s'était révolté contre Henri, son seigneur et son parent, et long-temps avait secondé Guillaume Cliton, ainsi que Baudouin de Flandre, qu'il avait reçus dans ses places. Ayant appris que le Roi marchait sur lui avec une armée, il lui fit, de l'avis prudent de ses amis, une humble satisfaction; et le prince, après avoir pardonné à tout le monde, triomphant pacifiquement, s'en retourna.

Je dirai quelque chose, d'après ce qui est rapporté dans les anciennes histoires romaines, sur le vieux Rouen, dont je viens de faire mention. Caius Jules César assiégea Calet, d'où le pays de Caux a pris son nom et le conserve encore, et attaqua long-temps cette place de toutes ses forces. Comme il s'était réuni là, de toutes les Gaules, d'implacables ennemis qui offensaient ce Romain par le meurtre, l'incendie, ainsi que par de fréquens outrages, et qui l'irritaient d'une manière impardonnable, il pressa opiniâtrément la place, la prit ainsi que ses habitans, et la détruisit de fond en comble. Toutefois, pour que la province ne fut pas privée de défense, il construisit une forteresse que, du nom de sa fille Julie, il appela Julie-Bonne; mais, par une locution barbare, ce nom corrompu fut remplacé par celui d'Illebonne. De là, il traversa neuf fleuves, la Quiteflede52, la Tale, que maintenant on appelle le Dun, la Saanne, la Vienne53, la Seye, la Varenne54, la Dieppe55, et l'Eaulne56; puis il parcourut le rivage de l'Océan jusqu'a la rivière d'Auc, que l'on appelle vulgairement Ou57. L'habile capitaine romain, ayant reconnu l'avantage du pays, s'occupa des intérêts des siens, et résolut de bâtir une ville pour leur défense; et il l'appela Rodomus, comme pour désigner une habitation de Romains58. En conséquence, ayant réuni des ouvriers, il mesura l'espace nécessaire, et partit après avoir mis à l'ouvrage des tailleurs de pierres et des maçons. Pendant ce temps-là Rutubus, tyran puissant et cruel, occupait, sur une montagne près de la Seine, une forteresse qu'il croyait imprenable, et au moyen de laquelle il opprimait le pays voisin, ainsi que les vaisseaux qui naviguaient sur le fleuve. César, ayant eu connaissance de ce tyran, marcha contre lui avec une armée, et prit son château, que l'on appelait le port de Rutubus59. Les habitans du pays, quand ils ont quelque science, reconnaissent clairement les traces et les ruines de cette place. Alors César rappela les maçons et les autres ouvriers qu'il avait placés à Rodomus, fit bâtir sur la Seine la noble métropole de Rouen, et laissa le premier nom, qui s'est conservé jusqu'à ce jour, à la première de ces villes qui se trouve sur la rivière d'Auc.

Pour l'instruction de la postérité, j'ai, d'après les relations des anciens60, fait cette mention du vieux Rouen, où le roi Henri commença un château contre ses ennemis, mais qu'il abandonna aussitôt après s'être réconcilié avec eux. Maintenant je vais revenir aux événemens récens dont j'ai commencé le récit; et, suivant les antiques écrivains autant qu'il est en mon pouvoir, j'offre mon travail aux âges futurs.

Tous les Normands, qui, comme nous l'avons dit, s'étaient révoltés contre le Roi, le trouvèrent supérieur en toutes choses, et, se réglant d'après de meilleurs avis qu'auparavant, ils sollicitèrent leur pardon tant par eux-mêmes que par leurs amis; leurs prières furent bien accueillies par le Roi, qui leur pardonna leurs fautes. Ils abandonnèrent, malgré eux à la vérité, Guillaume Cliton et son gouverneur Hélie, qui restèrent en exil; mais ils ne purent à d'autres conditions faire la paix avec le puissant monarque d'Angleterre.

 

 

XII. (1119) Henricus rex cum Calixto papa colloquium habet.--Pax inter reges Franciae et Angliae componitur.

Mense Novembri, Calixtus papa in Neustriam venit, et Gisortis cum rege colloquium de pace habuit. Magnificus rex illum honorifice suscepit, et ejus ad pedes pronus accessit, eumque reverenter honoravit, quem universalis Ecclesiae pastorem, sibique consanguinitate propinquum agnovit. Quem papa humiliatum benigniter erexit, in nomine Domini benedixit, datoque pacis osculo, inter mutuos amplexus uterque exsultavit. Denique ad colloquium competenti hora ventum est, et sic papa regem alloqui exorsus est:

« In consilio Remensi cum sanctis praesulibus, aliisque proceribus et filiis Ecclesiae Dei, qui gratanter per nostram invitationem illuc convenerant, de salute fidelium tractavi, et pro pace communi me laboraturum summopere promisi. Ad has igitur partes, gloriose fili, festinus accessi, et oro clementiam omnipotentis Dei, ut ipse conatus nostros benigniter videat, ac ad generalem totius Ecclesiae suae commoditatem salubriter dirigat. In primis magnificentiam tuam obsecro ut pie nobis consentias, et inimicis tuis pacem per nos poscentibus, ut veri Salomonis haeres, pacificus fias. »

 Cumque rex apostolicis jussionibus promisisset se libenter obtemperaturum, papa sermonis sui tale sumit exordium: « Lex Dei, cunctis provide consulens, imperat ut unusquisque jus suum legitime possideat; sed res alienas non concupiscat, nec alii quod sibi fieri non vult faciat. Synodus ergo fidelium generaliter decernit, et a sublimitate tua, magne rex, humiliter deposcit ut Rodbertum, fratrem tuum, quem tu vinculis jamdiu tenuisti, absolvas, eique et filio ejus ducatum Normanniae, quem abstulisti, restituas. »

His auditis, respondit rex: « Praeceptis vestris, reverende Pater, rationabiliter obsecundabo, ut ab initio spopondi. Nunc tamen rogo ut diligenter audiatur quae vel qualiter egi. Fratrem meum ducatu Normanniae non privavi; sed haereditarium jus patris nostri armis vindicavi, quod non frater meus neque nepos sibi possidebant, sed pessimi praedones et sacrilegi nebulones miserabiliter devastabant. Nullus honor sacerdotibus, aliisque servis Dei impendebatur; sed pene paganismus per Normanniam passim diffundebatur. Coenobia, quae antecessores nostri pro animabus suis fundaverant, destruebantur, et religiosi claustrales, deficiente alimonia, dispergebantur. Ecclesiae vero spoliabantur, et pleraeque cremabantur, et inde latitantes protrahebantur. Parochiani truces mutuis ictibus trucidabantur, et superstites, defensore carentes, in tot desolationibus lamentabantur. Talis itaque ferme VII annis aerumna Neustriam afflixit, nec ulli liberam intus vel extra securitatem habere permisit. Frequens autem religiosorum deprecatio ad me convolavit, meque ut pro amore Dei desolatae plebi suffragarer incitavit, multisque precatibus ne pessimos latrones super innocuos debacchari diutius paterer, obsecravit. Compulsus itaque in Normanniam transfretavi, et ab inclytis consulibus, Guillelmo Ebroicensi, atque Rodberto Mellentensi, aliisque legitimis optimatibus susceptus, desolationem paterni juris videns dolui; sed indigentibus subvenire nisi per arma bellica non potui. Frater enim meus incentores totius nequitiae tuebatur, et illorum consilia, per quos vilis et contemptibilis erat, admodum amplectebatur. Gunherius nimirum de Alneio et Rogerius de Laceio, Rodbertus quoque de Belismo, aliique scelesti Normannis dominabantur, et sub imaginatione ducis praesulibus omnique clero cum inermi populo principabantur. Illos siquidem quos ego de transmarina regione pro nefariis exturbaveram factionibus, intimos sibi consiliarios, et colonis praesides praefecit innocentibus. Innumerae caedes et incendia passim agebantur, et dira facinora, quae inexperti pene incredibilia putant. Fratri meo mandavi saepius ut meis uteretur consultibus, eique totis adminicularer nisibus. Sed ille, me contempto, meis contra me potitus est insidiatoribus. Ego autem, tanta videns scelera praevalere, servitium meum sanctae matri Ecclesiae nolui subtrahere, sed officium quod mihi divinitus injunctum est studui multis salubriter exercere. Fortiter igitur armis et ignibus praeliando, Bajocas Gunherio ahstuli, et Cadonum Engerranno filio Iberti, aliaque oppida, tyrannis pugnando compressis, conquisivi, quae pater meus in suo dominio possiderat; sed frater meus perjuris lecatoribus ea tradiderat, et ipse tam pauper ut clientum suorum stipe indigeret remanserat. Tandem Tenerchebraicum, speluncam daemonum, obsedi, quo Guillelmus, Moritolii comes, fratrem meum adduxit contra me cum exercitu grandi; contra quos in campo Famelico in nomine Domini pro defensione patriae dimicavi. Ibi nimirum, juvante Deo, qui benevolos conatus meos novit, adversarios superavi, ambosque consules, fratrem meum et consobrinum, cum plurimis desertoribus nostris cepi, et huc usque, ne per eos mihi vel regno meo scandalum oriretur, diligenter custodivi. Sic haereditatem patris mei, totumque dominium ejus recuperavi, paternasque leges observare secundum voluntatem Dei ad quietem populi ejus elaboravi. Fratrem vero meum non, ut captivum hostem, vinculis mancipavi, sed ut nobilem peregrinum, multis angoribus fractum in arce regia collocavi, eique omnem abundantiam ciborum et aliarum deliciarum, variamque supellectilem affluenter suppeditavi. Quinquennem vero filium ejus Heliae, genero ducis, commendavi, optans ipsum sensus, omnisque probitatis et potentiae provectu filio meo in omnibus adaequari. Helias autem, instinctu complicum suorum, nepotem meum mihi subripuit, totoque sancti Sidonii honore, quem possidebat, relicto, ad exteros aufugit, et quantum potuit multis incursibus me molestavit; sed, prohibente Deo, necdum praevaluit. Francos atque Burgundiones, aliasque gentes in me commovit; sed plura sibi, ni fallor, quam mihi detrimenta procuravit. Nepotem meum multoties accersivi, et per plures legatos amicabiliter rogavi ut ad curiam meam securus veniret, et cum filio meo regalium divitiarum particeps fieret. Tres etiam in Anglia comitatus obtuli, ut illis principaretur, et, inter aulicos oratores educatus, luculenter experiretur quanti sensus et probitatis erga divites et egenos in futuro aestimaretur, et quam rigide principalem justitiam et militarem disciplinam amplecteretur. Ille vero quae obtuleram respuit, et inter extraneos fures mendicus exsulare, quam mecum deliciis perfrui maluit. Malorum omnium quae commemoravi testes sunt agri inculti, domus combustae, villae devastatae, ecclesiae dirutae, populique moerentes pro amicorum interfectionibus, opumque suarum direptionibus. Haec, domine papa, Sanctitas vestra sapienter discutiat, et utile consilium his qui praesunt et qui subjacent sollicite conferat! »

Solerter auditis sermonibus regis, papa obstupuit, et facta ejus, prout narraverat, collaudavit. « Nunc, inquit, de duce et filio ejus sufficienter audivimus; sed, de his ad praesens silentes, ad alia tendamus. Rex Francorum conqueritur foedus quod inter vos erat, male ruptum esse, et multa sibi regnoque suo detrimenta injuste per tuos satellites illata esse. » Respondit rex: « Pactum amicitiae quod inter nos erat, ipse prior violavit. Hostes meos pluribus modis contra me corroboravit, hominesque meos, ut in me cervices suas erigerent, promissis et persuasionibus animavit. Commissa tamen si vult emendare, et amicitiae foedus amodo inviolabiliter observare, paratus sum admonitionibus vestris in omnibus obsecundare. »

Gavisus papa super his, adjecit: « Conqueritur item rex de injuria quam Tedbaldus comes, nepos tuus, ei fecit, cum Nivernensem comitem de obsidione remeantem comprehendit, quam rex ipse cum praesulibus Galliae super Thomam de Marla tenebat, ut coerceret eum a nequitiis quas innocuis infligebat. » « Nullas, inquit rex, occasiones requiram, quin ad quietem et pacem paternis admonitionibus vestris obediam, et Tedbaldum, nepotem meum, qui justitiae verus amator est, vobis ad omne bonum subjiciam. Guillelmum etiam, alium nepotem, ut pacem habeat commoneo, eique per vestram Sublimitatem illa quae per alios jam saepius obtuli, adhuc offero, quia et vobis in omnibus satisfacere cupio, et communem populi quietem, et nepotis ut prolis prosperitatem desidero. »

Denique papa legatos suos regi Francorum et optimatibus suis destinavit, et responsa regis Anglorum, paci competentia, renuntiavit. Omnes igitur gavisi sunt. Superfluum mihi videtur orationem protelare, ut multa enodem loquacitate quanta fuerit laetitia plebi, guerris conquassatae, dum, sedata belli tempestate, blanda redierit serenitas pacis, diu desideratae. Confirmata itaque concordia principum, castella, quae vi seu dolo capta fuerant, dominis suis restituta sunt, et omnes capti tempore belli ex utraque parte milites liberati sunt, et de carcere proprios penates repetere cum gaudio permissi sunt.

Au mois de novembre, le pape Calixte vint en Normandie, et eut à Gisors avec Henri une entrevue concernant la paix. Ce monarque magnifique reçut le pape avec une grande pompe, se prosterna à ses pieds, et honora respectueusement celui qu'il reconnaissait pour le pasteur de l'Église universelle, et qui lui était uni par les liens du sang. Le pape le releva avec bonté, le bénit au nom du Seigneur; et, lui ayant donné le baiser de paix, ils s'embrassèrent mutuellement. Ils se rendirent ensuite à l'entrevue au moment convenable, et tel fut le discours que le pape tint au roi:

«Je me suis occupé du salut des fidèles au concile de Rheims, de concert avec de saints prélats, plusieurs autres grands et quelques enfans de l'Eglise de Dieu, qui, sur notre invitation, s'y étaient réunis avec plaisir; j'ai promis que j'emploierais tous mes efforts pour rétablir la paix générale. En conséquence je me hâte, mon glorieux fils, d'arriver dans ces contrées; j'implore la clémence du Dieu tout-puissant pour qu'il voie avec bonté nos efforts, et nous dirige salutairement vers le bien général de toute son Eglise. Je prie d'abord votre magnificence d'écouter nos avis avec piété, et, comme un digne héritier du véritable Salomon, de vous montrer pacifique envers vos ennemis qui, par notre bouche, vous demandent la paix.»

Quand le Roi eut promis d'obtempérer de cœur à ce que le pape lui prescrirait, celui-ci continua ainsi son discours; «La loi de Dieu, qui pourvoit prudemment à toutes choses, ordonne que chacun possède légitimement son bien, mais ne desire pas celui d'autrui, et ne fasse pas aux autres ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui fît. C'est pourquoi le concile a décidé généralement et demande humblement, grand Roi, à votre sublimité, que vous mettiez en liberté votre frère Robert, que vous retenez en prison depuis long-temps, et que vous rendiez à lui et à son fils le duché de Normandie, que vous leur avez enlevé.»

Le Roi répondit à ce discours: «Ainsi que je vous l'ai promis d'abord, révérend père, j'obéirai à vos ordres autant que la raison me l'indiquera. Maintenant je vous prie d'écouter attentivement ce que j'ai fait, et comment je me suis comporté. Je n'ai point privé mon frère du duché de Normandie; mais j'ai réclamé les armes à la main l'héritage de notre père, que ni mon frère ni mon neveu ne possédaient par eux-mêmes, car il était misérablement dévasté par de criminels brigands et de sacriléges scélérats. On ne rendait plus d'honneurs aux prêtres ni aux autres serviteurs de Dieu; les mœurs des Gentils avaient presque envahi toute la Normandie. Les monastères que nos ancêtres avaient fondés pour le salut de leurs ames, étaient détruits, et les religieux étaient dispersés faute d'alimens. Les églises étaient dépouillées, la plupart étaient livrées aux flammes, et on en tirait avec violence ceux qui y cherchaient une retraite. Les habitans cruels s'entr'égorgeaient, et ceux qui survivaient au meurtre, privés de défenseurs, se lamentaient au milieu de tant de désolations. Telle fut, pendant près de sept ans, l'infortune qui affligea la Neustrie, et qui ne permit à personne de trouver au dedans ou au dehors ni liberté ni sécurité. Alors les prières réitérées des ministres de Dieu parvinrent jusqu'à moi, m'engagèrent à secourir, pour l'amour du Ciel, les peuples désolés, et m'invoquèrent instamment, pour que je ne souffrisse pas plus long-temps que des brigands criminels exerçassent sur l'innocence l'excès de leurs fureurs. Ainsi sollicité, je passai en Normandie, bien accueilli par deux illustres comtes, Guillaume d'Evreux et Robert de Meulan, ainsi que par d'autres seigneurs loyaux: je m'affligeai de voir la désolation du territoire de mes aïeux; mais je ne pus venir au secours des malheureux qu'en recourant à la voie des armes. Mon frère protégeait les fauteurs de toutes les perversités, et il suivait surtout les conseils de ceux qui l'avilissaient et le rendaient méprisable. C'est ainsi que Gunhier d'Aunai, Roger de Laci, Robert de Bellême, et quelques autres scélérats opprimaient les Normands, et, sous un fantôme de prince, commandaient aux prélats, à tout le clergé, au peuple sans défense. Ceux même que, pour leurs entreprises criminelles, j'avais chassés des contrées d'outremer, mon frère les choisit pour ses conseillers intimes, et leur remit le gouvernement des peuples innocens. On commettait partout des incendies, des meurtres sans nombre, et d'atroces forfaits, qu'à moins de les avoir vus, on regarderait comme incroyables. J'ai souvent mandé à mon frère de recourir à mes avis, et que je le seconderais de tous mes efforts; mais il m'a méprisé, et a dirigé contre moi mes ennemis. Voyant tant de crimes prévaloir, je n'ai pas voulu refuser mes services à l'Eglise notre sainte mère; mais je me suis appliqué à remplir salutairement, pour l'utilité générale, les devoirs que Dieu même m'a prescrits. Ainsi, combattant vaillamment avec le fer et le feu, j'ai enlevé Bayeux à Gunhier et Caen à Enguerrand, fils d'ilbert. En combattant les tyrans comprimés, j'ai conquis plusieurs autres places qui faisaient partie du domaine de mon père. Mon frère les avait livrées à de parjures adulateurs, et lui-même était resté tellement pauvre qu'il ne pouvait payer les salaires de ses domestiques. Enfin j'ai assiégé Tinchebrai, véritable caverne de démons, où Guillaume, comte de Mortain, amena mon frère contre moi avec une grande armée: au nom du Seigneur et pour la défense de la patrie, je leur livrai bataille. Là, avec l'aide de Dieu, qui connaît la pureté de mes entreprises, j'ai vaincu mes ennemis; j'ai fait prisonniers deux comtes, mon frère et mon cousin, avec plusieurs seigneurs qui m'avaient trahi, et, jusqu'à ce moment, je les ai soigneusement gardés en prison, de peur qu'ils ne suscitassent, soit à moi, soit à mes Etats, quelques malheurs. Ainsi j'ai recouvré l'héritage de mon père et tout son domaine, et je me suis appliqué à observer ses lois selon la volonté de Dieu, pour le repos de son peuple. Je n'ai point chargé de chaînes mon frère, comme un ennemi captif; je l'ai placé dans un château royal, comme un noble pélerin brisé par de longues infortunes, et lui ai largement fourni des alimens en abondance, toutes sortes de délices, et les divers objets qui pouvaient lui être agréables. J'ai confié son fils, âgé de cinq ans, à Hélie, gendre de mon frère, desirant le traiter en tout comme mon fils, en lui procurant la sagesse, la valeur et la puissance. Mais Hélie, poussé par ses complices, m'a ravi mon neveu, et, abandonnant le château de Saint-Saens qu'il possédait, il s'est enfui chez les étrangers; puis, autant qu'il l'a pu, il m'a chagriné par de nombreuses attaques. Toutefois, empêché par Dieu même, il n'a réussi en rien. Il a armé contre moi les Français, les Bourguignons et d'autres peuples; mais, si je ne me trompe, il s'est fait plus de mal qu'à moi. J'ai souvent réclamé mon neveu; je l'ai fait prier amicalement par plusieurs envoyés de venir avec sécurité à ma cour, et d'y partager avec mon fils les richesses royales. Je lui ai même offert trois comtés en Angleterre, pour qu'il en fût le prince; je l'ai engagé à venir s'instruire avantageusement au milieu de mes conseillers, pour apprendre combien il aura besoin par la suite de prudence et de sagesse envers les riches et les pauvres, comment il doit exercer avec sévérité la justice souveraine et maintenir la discipline militaire. Tout ce que je lui ai offert, il l'a repoussé, et il préfère l'exil du mendiant parmi les brigands de l'étranger au partage des délices de la cour. Les témoins des nombreuses calamités dont je vous ai entretenu, ce sont des champs incultes, des habitations incendiées, des villages dévastés, des églises démolies, et des peuples gémissant du massacre de leurs amis et du pillage de leurs biens. Seigneur pape, que votre sainteté examine sagement ces choses, et donne, dans sa sollicitude, une décision favorable à ceux qui commandent comme à ceux qui obéissent.»

Après avoir entendu avec attention le discours du Roi, le pape fut plongé dans l'étonnement, et donna beaucoup d'éloges à la conduite qu'il avait tenue, et dont il lui avait fait part. «Maintenant, dit-il, nous en avons suffisamment appris sur ce qui concerne le duc Robert et son fils; ne nous en occupons plus, et parlons d'autres choses. Le Roi des Français se plaint de ce que vous avez injustement rompu le traité fait entre vous, et de ce que, par vos soldats, vous avez, avec iniquité, causé de grands dommages à ses Etats et à lui-même.» Le Roi répondit: «Louis a violé le premier le traité d'amitié qui nous liait. Il a en plusieurs manières prêté des forces à mes ennemis; il a engagé, à force de promesses et d'instigations, mes vassaux à se soulever. Toutefois, s'il veut réparer ses torts, et désormais observer inviolablement nos traités, je suis prêt à obéir en toutes choses à vos avis.»

Le pape se réjouissant de ces dispositions, ajouta: «Le roi Louis se plaint en outre de l'injure qu'il a reçue du comte Thibaut, votre neveu, qui a fait prisonnier le comte de Nevers à son retour du siége que le Roi lui-même, avec les prélats de France, avait entrepris contre Thomas de Marie, pour l'empêcher de se livrer aux actes iniques qu'il commettait sur les innocens.» Le roi Henri reprit: «Je ne négligerai aucune occasion de céder à vos conseils paternels, pour parvenir à la paix et à la tranquillité; et, pour le bien, je soumettrai à vos ordres Thibaut, mon neveu, qui est un sincère observateur de la justice. J'avertis aussi Guillaume Cliton, mon autre neveu, de profiter de la paix, et je lui offre encore, par l'entremise de votre Sublimité, ce que je lui ai déjà souvent offert par d'autres personnes, parce que je desire que vous ayez satisfaction en toutes choses, et parce que je cherche la paix générale pour mon peuple, et le bonheur de mon neveu, comme s'il était mon fils,»

Enfin, le pape envoya ses légats au roi des Français, ainsi qu'à ses seigneurs, et lui fit part des réponses du roi d'Angleterre, qui étaient favorables à la paix. En conséquence tout le monde fut comblé de joie. Il me paraît superflu de m'étendre en longs discours pour expliquer en beaucoup de mots quelle fut l'allégresse du peuple, que les guerres avaient désolé, quand il vit l'agréable sérénité d'une paix longtemps desirée succéder aux tempêtes des guerres enfin calmées. En conséquence, la concorde s'étant affermie entre les princes, les châteaux, qui avaient été pris par violence ou par ruse, furent restitués à leurs maîtres, et tous les guerriers, qui de part et d'autre avaient été faits prisonniers pendant la guerre, furent mis en liberté, et eurent la permission de quitter leur prison pour retourner chez eux en joie.

XIII. Rothomagense concilium. Clerici in archiepiscopum insurgunt.

Verum invidus et inquietus Satanas, qui primum nominem per serpentem decepit (Gen. III) , postquam reges et armipotentes athletas gratia Dei pacificatos videns doluit, zizania lethalis discordiae inter sacerdotes in templo Dei sparsit.

Goisfredus enim archiepiscopus, postquam de concilio Remensi Rothomagum rediit, tertia Novembris hebdomada synodum tenuit, et, institutionibus apostolicis exacuminatus, in presbyteros suae dioecesis acriter exarsit. Nam inter caetera concilii capitula quae protulit, omne consortium feminarum penitus eis interdixit, et in transgressores terribilem anathematis sententiam vibravit. Cumque presbyteri tam grave pondus nimium abhorrerent, et inter se pro corporum et animarum discrimine conquerentes mussitarent, archiepiscopus Albertum quemdam eloquentem, quia nescio quid fari coeperat, jussit comprehendi, et mox in ergastulo carceris retrudi. Praefatus enim praesul erat Brito, in multis indiscretus, tenax et iracundus, vultu gestuque severus, in increpatione austerus, procax et verbositate plenus. Cum autem reliqui sacerdotes, insolita re visa, nimis obstupuissent, et presbyterum sine reatus accusatione et legitima examinatione velut furem de templo trahi ad carcerem vidissent, nimiumque perterriti, quid agendum esset ignorarent, dubitantes utrum sese defendere seu fugere deberent, furibundus praesul de cathedra surrexit, de synodo concitus exivit, satellitesque suos quos ad hoc prius instruxerat, advocavit. Protinus illi cum fustibus et armis in ecclesiam irruerunt, et in conventiculum clericorum mutuo colloquentium irreverenter ferire coeperunt. Porro, quidam illorum, poderibus suis induti, per coenosos urbis vicos ad hospitia sua cucurrerunt; alii vero, podiis vel lapidibus, quos ibi forte invenerant, arreptis, repugnare conati sunt. Clientes autem quod ab inermi coronatorum choro convicti fugissent erubuerunt, et indignantes coquos ac pistores et vicinos asseclas actutum asciverunt, et recidivum certamen in sacris temere penetralibus reiteraverunt. Quoscunque in ecclesia vel coemeterio repererunt, justos vel injustos, percusserunt, vel impegerunt, vel alio quolibet modo injuriati sunt. Tunc Hugo de Longavilla, et Anschetillus de Cropus, aliique nonnulli senes maturi et religiosi in aede sancta praestolabantur, et de confessione vel aliis utilibus causis vicissim loquebantur, seu diurnales horas ad laudem Dei ex debito modulabantur. Vecordes autem famuli stolide in eos impetum fecerunt, contumeliis affecerunt, et vix a caede retractis manibus illis pepercerunt, quia flexis genibus misericordiam flebiliter ipsi postulaverunt; ipsi protinus dimissi, cum sociis qui praecesserant, quantocius de urbe fugerunt, nec licentiam, nec benedictionem episcopi praestolati sunt; sed diros rumores parochianis et pellicibus suis retulerunt, atque ad comprobandam fidem vulnera et liventes laesuras in corporibus suis ostenderunt. Archidiacones vero et canonici, civesque modesti, de infanda caede contristati sunt, et divinis compatiebantur cultoribus, qui dedecus inauditum perpessi sunt. Sic in sinu sanctae matris Ecclesiae sacerdotum cruor effusus est, et sancta synodus in debacchationem et ludibrium conversa est. Nimis conturbatus archipraesul in triclinio receptus delituit; sed paulo post, ubi fugatis, ut dictum est, clericis sedatus furor quievit, progressus, aquam accepta stola benedixit, et ecclesiam quam contaminaverat, cum tristibus canonicis reconciliavit. Clamor seditionis exsecrabilis ad aures principis pervenit, sed ille, aliis intentus negotiis, rectitudinem laesis facere distulit.

Cependant le jaloux et séditieux Satan, qui, par l'entremise du serpent, trompa le premier homme, s'affligeant de voir les rois et les puissans guerriers ramenés à la paix par la grâce divine, sema la zizanie de discordes mortelles, parmi les prêtres, dans le temple de Dieu même.

L'archevêque Goisfred, revenu du concile de Rheims à Rouen, tint un synode dans la troisième semaine de novembre, et, vivement pressé par les injonctions du pape, poursuivit rigoureusement les prêtres de son diocèse. En effet, entre autre décrets du concile qu'il fit connaître, il leur défendit absolument tout concubinage avec les femmes, et lança contre les transgresseurs la terrible sentence de l'anathême. Comme les prêtres répugnaient beaucoup à une si grave privation, et que, se plaignant entre eux de la difficulté d'accorder leur corps et leur ame, ils éclataient en murmures, l'archevêque fit saisir et jeter aussitôt dans le cachot de la prison un certain Albert, prêtre éloquent, qui avait commencé je ne sais quel discours. Ce prélat était un Breton indiscret, entêté, colère, sévère dans son air et son attitude, dur quand il blâmait, dépourvu de retenue, et grand parleur. Quand les autres prêtres eurent vu cette action extraordinaire, ils éprouvèrent un excessif étonnement; et, voyant que, sans accusation de crime, sans examen légal, on entraînait un prêtre, comme un voleur, du temple à la prison, effrayés outre mesure, ils ne savaient ce qu'ils avaient à faire, incertains qu'ils étaient s'ils devaient ou se défendre ou s'enfuir. Alors le prélat furibond se leva de son siége, sortit en courroux du concile, et appela ses satellites qu'il avait d'avance préparés à cet événement. Aussitôt ces hommes se précipitèrent dans l'église avec des armes et des bâtons, et, sans nul égard, se mirent à frapper sur l'assemblée des clercs, qui causaient entre eux. Quelques uns de ces ecclésiastiques, revêtus de leur soutane, coururent chez eux à travers les rues fangeuses de la ville; quelques autres saisissant des barreaux de fer ou des pierres, qui se trouvaient là par hasard, se mirent en disposition de résister, et poursuivirent sans répit les lâches satellites, qui s'enfuirent jusque dans les appartemens. Les gens de l'archevêque rougirent d'avoir été vaincus par une faible troupe de tonsurés et d'avoir pris la fuite: ils rassemblèrent aussitôt, remplis d'indignation, les cuisiniers, les boulangers et les ouvriers du voisinage; puis, ils eurent la témérité de recommencer le combat dans les lieux les plus sacrés. Tous ceux qu'ils trouvèrent dans l'église ou le parvis, ils les frappèrent, innocens ou coupables, et les renversèrent ou les outragèrent de quelque manière que ce fût. Hugues de Longueville, Anschetil de Cropus61, et quelques autres vieillards prudens et religieux, se trouvaient dans l'église, et s'entretenaient ensemble de la confession ou d'autres choses utiles, ou bien récitaient à la louange de Dieu, comme ils le devaient, leurs heures diurnales. Les lâches satellites de l'archevêque furent assez insensés pour se jeter sur eux; ils les accablèrent d'outrages, et peu s'en fallut qu'ils ne les égorgeassent, quoiqu'ils demandassent miséricorde, à genoux et les larmes aux yeux. Ces vieillards, relâchés avec ceux qui les avaient précédés, quittèrent Rouen au plus vite; ils n'attendirent ni l'autorisation ni la bénédiction du prélat; ils communiquèrent ces tristes nouvelles à leurs paroissiens et à leurs concubines; et, pour justifier leurs rapports, ils firent voir les blessures et les contusions livides qui couvraient leur corps. Les archidiacres, les chanoines, et les citoyens sages s'affligèrent de cet assassinat cruel; ils compatirent à la douleur des pasteurs divins qui avaient éprouvé ces affronts inouïs. Ainsi, dans le sein de la sainte mère Eglise, le sang des prêtres coula, et le saint concile dégénéra en un théâtre de moqueries et de fureurs. L'archevêque, troublé à l'excès, retiré dans sa chambre, s'y cacha; mais peu de temps après, quand la fureur, calmée par la fuite des clercs, ainsi que nous l'avons dit, eut fait place à la tranquillité, il se rendit à l'église, prit son étole, répandit de l'eau bénite, et, réuni à ses chanoines attristés, il réconcilia l'église qu'il avait souillée. Le bruit de cette exécrable sédition parvint jusqu'aux oreilles du prince; mais, occupé d'autres affaires, il différa de rendre justice à ceux qui étaient lésés.

XIV. Henricus rex in Angliam transfretat. Horrendum Candidae navis naufragium.

Henricus rex, [1120] in Normannia rebus post multos labores optime dispositis, decrevit transfretare, et tironibus ac praecipuis militibus, qui laboriose fideliterque militaverant, larga stipendia erogare, et quosdam, amplis honoribus datis in Anglia, sublimare. Unde classem continuo jussit praeparari, et copiosam omnis dignitatis militiam secum comitari.

Interea Radulfus de Guader, metuens perfidiam Normannorum, super quos, ipsis pro Eustachii favore prioris heri nolentibus, agitabat dominatum, et pensans quod Guader et Montemfortem et alia oppida et ingentes haberet ex patrimonio suo possessiones in regione Britonum, consilio et voluntate regis, Richardo, ejus filio, filiam suam pepigit, et Britolium atque Gloz et Liram, totumque honorem in Neustria sibi debitum cum illa donavit. Verum istud consilium imbecille et frivolum fuit, quia Deus, qui cuncta bene gubernat, aliter ordinavit. Nam puella, de qua mentio fit, Rodberto, comiti Legrecestrae, postmodum nupsit, et plurimis cum illo annis vixit.

Ingenti classe in portu qui Barbaflot dicitur, praeparata et nobili legione in comitatu regis austro flante aggregata, VII Kalendas Decembris [1120], prima statione noctis, rex et comites ejus naves intraverunt, et carbasa sursum levata ventis in pelago commiserunt, et mane Angliam, quibus a Deo concessum fuit, amplexati sunt.

In illa navigatione triste infortunium contigit, quod multos luctus et innumerabiles lacrymas elicuit. Thomas, filius Stephani, regem adiit, eique marcum auri offerens, ait: « Stephanus, Airardi filius, genitor meus fuit, et ipse in omni vita sua patri tuo in mari servivit. Nam illum, in sua puppe vectum, in Angliam conduxit, quando contra Haraldum pugnaturus, in Angliam perrexit. Hujusmodi autem officio usque ad mortem famulando ei placuit, et ab eo multis honoratus exeniis, inter contribules suos magnifice floruit. Hoc feudum, domine rex, a te requiro, et vas quod Candida-Navis appellatur, merito ad regalem famulatum optime instructum habeo. » Cui rex ait: « Gratum habeo quod petis. Mihi quidem aptam navim elegi, quam non mutabo; sed filios meos, Guillelmum et Richardum, quos sicut me diligo, cum multa regni mei nobilitate, nunc tibi commendo. »

His auditis, nautae gavisi sunt, filioque regis adulantes, vinum ab eo ad bibendum postulaverunt. At ille tres vini modios ipsis dari praecepit. Quibus acceptis, biberunt, sociisque abundanter propinaverunt, nimiumque potantes inebriati sunt. Jussu regis multi barones cum filiis suis puppim ascenderunt, et fere trecenti, ut opinor, in infausta nave fuerunt. Duo siquidem monachi Tironis, et Stephanus comes cum duobus militibus, Guillelmus quoque de Rolmara, et Rabellus Camerarius, Eduardus de Salesburia, et alii plures inde exierunt, quia nimiam multitudinem lascivae et pompaticae juventutis inesse conspicati sunt. Periti enim remiges quinquaginta ibi erant, et feroces epibatae, qui jam in navi sedes nacti turgebant, et suimet prae ebrietate immemores, vix aliquem reverenter agnoscebant. Heu! quamplures illorum mentes pia devotione erga Deum habebant vacuas,

Qui maris immodicas moderatur et aeris iras.

Unde sacerdotes, qui ad benedicendos illos illuc accesserant, aliosque ministros qui aquam benedictam deferebant, cum dedecore et cachinnis subsannantes abigerunt; sed paulo post derisionis suae ultionem receperunt Soli homines, cum thesauro regis et vasis merum ferentibus, Thomae carinam implebant, ipsumque ut regiam classem, quae jam aequora sulcabat, summopere prosequeretur, commonebant. Ipse vero, quia ebrietate desipiebat, in virtute sua, satellitumque suorum confidebat, et audacter, quia omnes qui jam praecesserant praeiret, spondebat. Tandem navigandi signum dedit. Porro schippae remos haud segniter arripuerunt, et alia laeti, quia quid eis ante oculos penderet nesciebant, armamenta coaptaverunt, navemque cum impetu magno per pontum currere fecerunt. Cumque remiges ebrii totis navigarent conatibus, et infelix gubernio male intenderet cursui dirigendo per pelagus, ingenti saxo quod quotidie fluctu recedente detegitur et rursus accessu maris cooperitur, sinistrum latus Candidae-Navis vehementer illisum est, confractisque duabus tabulis, ex insperato, navis, proh dolor! subversa est. Omnes igitur in tanto discrimine simul exclamaverunt; sed aqua mox implente ora, pariter perierunt. Duo soli virgae qua velum pendebat manus injecerunt, et magna noctis parte pendentes, auxilium quodlibet praestolati sunt. Unus erat Rothomagensis carnifex, nomine Beroldus, et alter generosus puer, nomine Goisfredus, Gisleberti de Aquila filius.

Tunc luna in signo Tauri nona decima fuit, et fere IX horis radiis suis mundum illustravit, et navigantibus mare lucidum reddidit. Thomas nauclerus post primam submersionem vires resumpsit, suique memor, super undas caput extulit, et videns capita eorum qui ligno utcunque inhaerebant, interrogavit: « Filius regis quid devenit? » Cumque naufragi respondissent illum cum omnibus collegis suis deperisse: « Miserum, inquit, est amodo meum vivere. » Hoc dicto, male desperans, maluit illic occumbere, quam furore irati regis pro pernicie prolis oppetere, seu longas in vinculis poenas luere. In aquis penduli Deum invocabant, et mutua sese cohortatione animabant, et finem sibi a Deo dispositum tremuli exspectabant.

Frigida gelu nox illa fuit, unde tener albeolus post longam tolerantiam frigore vires amisit, sociumque suum Deo commendans, relapsus in pontum obiit, nec ulterius usquam comparuit. Beroldus autem, qui pauperior erat omnibus, renone amictus ex arietinis pellibus, de tanto solus consortio diem vidit, et mane a ternis piscatoribus faselo receptus, terram solus attigit. Deinde aliquantulum refocillatus, seriem tristis eventus curiose sciscitantibus enucleavit, et postea fere XX annis cum alacritate vixit.

Rogerius, Constanciensis episcopus, Guillelmum, filium suum, quem rex unum ex quatuor principalibus capellanis jam suis effecerat, fratrem quoque suum, et tres egregios nepotes ad damnatam judicio Dei navem conduxerat, ipsosque et consortes eorum, licet floccipenderent, pontificali more benedixerat. Ipse, aliique multi qui adhuc simul in littore stabant, et rex, sociique ejus, qui jam in freto elongati fuerant, terribilem vociferationem periclitantium audierunt; sed causam usque in crastinum ignorantes, mirati sunt, et inde mutuo indagantes tractaverunt.

Lugubris rumor, per ora vulgi cito volitans, in maritimis littoribus perstrepit, ac ad notitiam Tedbaldi comitis, aliorumque procerum aulicorum pervenit. Sed in illa die sollicito regi, multumque percunctanti nuntiare nemo praesumpsit. Optimates vero seorsum ubertim plorabant, charos parentes et amicos inconsolabiliter lugebant; sed ante regem, ne doloris causa proderetur, vix lacrymas cohibebant. Tandem sequenti die, solertia Tedbaldi comitis, puer flens ad pedes regis corruit; a quo rex naufragium Candidae-Navis causam esse luctus edidicit. Qui, nimia mox animi angustia correptus, ad terram cecidit; sed ab amicis sublevatus et in conclavim ductus, amaros planctus edidit. Non Jacob de amissione Joseph tristior exstitit, nec David pro interfectione Ammon vel Absalon acerbiores questus deprompsit. Tanto itaque patrono plorante, omnibus regni filiis palam flere licuit, et hujusmodi luctus multis diebus perduravit. Guillelmum Adelingum, quem Anglici regni legitimum haeredem arbitrati sunt, tam subito lapsum cum flore specialis nobilitatis omnes generaliter plangunt. Jam adolescens fere XVII annorum pubescebat. Jam generosam Mathildem sibi pene coaevam conjugem duxerat. Jam jussu patris hominium totius regni optimatum laetus acceperat. In illo paternus amor, populique spes secura quiescebat. Verum, quae superna majestas de suo plasmate inculpabiliter disponit, rea peccatorum lippitudo investigare vel intueri nequit, donec scelerosa hominum captivitas, sicut piscis hamo, vel avis laqueo, irretita sit, et miseriis undique irremediabiliter involuta sit. Dum enim praestolatur longaevitatem, beatitudinem et sublimitatem, subito incurrit citam perniciem, miseriam et dejectionem, ut in quotidianis eventibus ab initio mundi usque in hodiernum diem, tam modernis quam antiquis approbationibus manifestam liquido advertere possumus ostensionem.

Moestus rex filios et electos tirones, praecipuosque barones plangebat, maximeque Radulfum Rufum, et Gislebertum de Oximis lugebat, et eorum strenuitates saepius iterando cum fletibus recitabat. Optimates subjectaeque plebes plorabant dominos, pignora et cognatos, notos et amicos, sponsae sponsos, dilectaeque conjuges dulces maritos. Inutiles threnos non curo multiplicare. Unius tantum egregii versificatoris brevem camoenam nitor hic adnotare:

Accidit hora gravis, Thomaeque miserrima navis,
Quam male recta terit, rupe soluta perit.
Flebilis eventus, dum nobilis illa juventus
Est immersa mari perditione pari.
Jactatur pelago regum generosa propago,
Quosque duces plorant, monstra marina vorant.
O dolor immensus! Nec nobilitas, neque census
Ad vitam revocat, quos maris unda necat.
Purpura cum bysso liquida putrescit abysso;
Rex quoque quem genuit, piscibus esca fuit;
Sic sibi fidentes ludit Fortuna potentes.
Nunc dat, nunc demit; nunc levat, inde premit.
Quid numerus procerum, quid opes, quid gloria rerum,
Quid, Guillelme, tibi forma valebat ibi?
Marcuit ille decor regalis et abstulit aequor
Quod factus fueras, quodque futurus eras.
Inter aquas istis instat damnatio tristis,
Ni pietas gratis coelica parcat eis.
Corporibus mercis animae si dona salutis
Nactae gauderent, moesta procul fierent
Certa salus animae verum dat tripudiare
His bene qui charos commemorant proprios.
Hinc dolor est ingens humana quod inscia fit mens,
An requies sit eis quod quatit uda Thetis.

Quis mortalium potest sufficienter referre quot pro tam infausto casu ploraverint terrigenae, seu quot possessiones ad multorum damna genuinis haeredibus fuerint destitutae? Guillelmus enim et Richardus, ut dictum est, periclitati sunt filii regis, et soror eorum Mathildis, uxor Rotronis Moritoniae consulis; Richardus quoque, Cestrae comes juvenis, multa probitate et benignitate laudabilis, cum uxore sua Mathilde, quae soror erat Tedbaldi, palatini comitis; Othverus etiam, frater ejus, Hugonis Cestrae comitis filius, tutor regiae prolis et paedagogus, ut fertur, dum repentina fieret ratis subversio, nobiliumque irreparabilis demersio, adolescentulum illico amplexatus est, et cum ipso in profundum irremeabiliter prolapsus est. Theodericus puer, Henrici nepos imperatoris Alemannorum, et duo elegantes filii Yvonis de Grentemaisnil, ac Guillelmus de Rodelento, consobrinus eorum, qui jussu regis transfretabant pro recipiendis in Anglia fundis patrum suorum; Guillelmus cognomento Bigod, cum Guillelmo de Pirou, dapifero regis; Goisfredus Ridel et Hugo de Molinis, Rodbertus Malconductus et nequam Gisulfus, scriba regis, aliique plures multae ingenuitatis, fluctibus absorpti sunt; quorum miserabilem casum parentes, necessariique, consortes et amici planxerunt, qui desolationes et damna, per diversas regiones, eorum in morte persenserunt. Ibi, ut fertur, decem et octo mulieres perierunt, quae filiae, vel sorores, aut neptes, seu conjuges regum vel comitum floruerunt. Sola pietas me compulit ista narrare, diligentiaque stimulor haec sequenti aevo certis apicibus allegare, quoniam tetra vorago neminem absorbuit de mea consanguinitate, cui lacrymas affectu sanguinis effundam, nisi ex sola pietate.

Incolae maritimi, ut certitudinem infortunii compererunt, fractam navem cum toto regis thesauro ad littus pertraxerunt, et omnia quae ibidem erant, praeter homines, salva prorsus reperta sunt. Deinde pernices viri VII Kalendas Decembris 1120 dum Christiana plebs solemnia sanctae celebrat Catharinae, virginis et martyris, quaerentes somata perditorum, avide discurrunt per littora maris; sed non invenientes, muneribus fraudabantur peroptatis. Opulenti magnates nandi gnaros et famosos mersores obnixe quaerebant, et magnos census eis spondebant, si charorum suorum cadavera sibi redderent, ut ea dignae sepulturae traderent.

Municipes Moritolii prae caeteris suos obnixe quaesierunt, quia pene omnes illius comitatus barones et electi optiones perierunt. Solus comes, ut dictum est, quia diarria molestabatur, et duo milites, Rodbertus de Salcavilla et Gualterius, egressi sunt, Deique nutu, aliis qui remanserant pereuntibus, in puppe regis prospere transfretaverunt. Richardus autem comes et pauci alii post plurimos dies longe a loco perditionis inventi sunt, sicuti fluctus quotidie saevientes eos asportaverunt, et per varia indumenta, quibus vestiti fuerant, a notis recogniti sunt.

Le roi Henri, après tant de travaux, ayant parfaitement mis ordre à ses affaires en Normandie, résolut de repasser la mer, de récompenser libéralement les soldats et les principaux chevaliers qui avaient combattu péniblement et fidèlement, et de les élever en dignité en leur donnant de grands biens en Angleterre. En conséquence, il fit aussitôt préparer une flotte, et se fit accompagner par une nombreuse troupe de militaires de tout rang.

Sur ces entrefaites, Raoul de Guader, craignant la perfidie des Normands, qu'il gouvernait malgré eux à cause de l'attachement qu'ils conservaient à Eustache, leur ancien seigneur, pensant d'ailleurs qu'il aurait de son patrimoine en Bretagne Guader62, Montfort63, d'autres places et de grandes terres, fiança sa fille à Richard, fils du Roi, par le conseil et de l'aveu de ce monarque, et lui donna pour dot Breteuil, Glos, Lire, et tout ce qui lui revenait en Normandie. Mais ce projet n'eut pas de suite, parce que Dieu, qui gouverne bien toutes choses, en ordonna autrement. En effet, cette jeune fille épousa par la suite Robert, comte de Leicester, et vécut avec lui plusieurs années.

Une grande flotte ayant été équipée dans le port que l'on appelle Barfleur64, et la noble élite des compagnons du Roi s'étant réunie le 7 des calendes de décembre (25 novembre), au commencement de la nuit, par un vent du sud, le Roi et sa suite s'embarquèrent; on livra aux vents, sur la mer, les voiles tendues, et le matin ceux à qui Dieu le permit embrassèrent la terre anglaise.

Dans cette navigation, il arriva un cruel événement qui excita un grand deuil, et fit couler des larmes innombrables. Thomas, fils d'Etienne, alla trouver le Roi, et, lui offrant un marc d'or, lui dit: «Étienne, fils d'Airard, était mon père, et toute sa vie il servit le vôtre sur la mer. Ce fut lui qui, sur son vaisseau, le porta en Angleterre, quand il s'y rendit pour combattre Harold. Ce fut dans un tel emploi que, jusqu'à la mort, ses services furent agréables à Guillaume, et que, comblé de ses présens, il vécut avec magnificence parmi ses compatriotes. Seigneur Roi, je vous demande la même faveur: j'ai pour votre service royal un vaisseau parfaitement équipé, que l'on appelle la Blanche-Nef65.» Le Roi lui fit cette réponse: «J'agrée votre demande. Toutefois j'ai choisi un navire qui me convient, je ne le changerai pas; mais je vous confie mes fils Guillaume et Richard, que j'aime comme moi-même, ainsi que beaucoup de nobles de mon royaume.»

A ces mots, les matelots furent comblés de joie; et se rendant agréables aux fils du Roi, ils lui demandèrent du vin. Le prince leur en fit donner trois muids: quand ils les eurent reçus, ils burent, en firent part abondamment à leurs camarades, et, en usant à l'excès, ils s'enivrèrent. Par l'ordre du Roi, beaucoup de barons s'embarquèrent avec ses fils sur la Blanche-Nef; près de trois cents personnes, à ce que je pense, se trouvèrent réunies sur ce fatal bâtiment. Deux moines de Tyron, Étienne, comte de Mortain, avec deux chevaliers, Guillaume de Roumare, le chambellan Rabel, Édouard de Salisbury et plusieurs autres quittèrent le vaisseau, parce qu'ils remarquèrent qu'il contenait trop de jeunes gens étourdis et légers. On y comptait cinquante rameurs habiles, ainsi qu'un équipage arrogant, qui, s'emparant des siéges, encombrait le vaisseau, et, privé de raison par l'ivresse, n'avait plus d'égards pour personne. Hélas! combien ces ames étaient dénuées d'une pieuse dévotion envers Dieu,

Qui maris immodicas moderatur et aeris iras66.

Aussi ces passagers chassèrent-ils avec affront et par de grands éclats de rire les prêtres qui étaient venus pour les bénir, ainsi que les autres ministres qui apportaient de l'eau bénite; mais ils ne tardèrent pas à subir la peine de leurs moqueries. Les hommes seuls avec le trésor du Roi et les muids de vin remplissaient le vaisseau de Thomas, et le pressaient de suivre de près le navire du Roi, qui déjà sillonnait les flots. Thomas, que le vin avait privé de sa raison, se confiait dans son habileté et celle de ses gens, et promettait audacieusement qu'il dépasserait tous ceux qui le précédaient. Enfin, il donna le signal du départ. Aussitôt les matelots saisirent promptement leurs rames, et pleins de joie, dans l'ignorance où ils étaient du malheur qui était devant leurs yeux, ils disposèrent les agrès, et poussèrent le vaisseau avec une grande impétuosité sur les flots. Comme les rameurs, pleins de vin, déployaient toutes leurs forces, et que le malheureux pilote s'occupait mal de la direction du gouvernail, le flanc gauche de la Blanche-Nef toucha violemment sur un grand rocher que tous les jours le reflux met à nu, et qu'ensuite recouvre la marée montante. Deux planches ayant été enfoncées, le vaisseau fut, hélas! à l'improviste submergé. Dans un si grand danger, tout le monde ensemble poussa des cris affreux; mais l'eau ne tarda pas à leur remplir la bouche, et ils périrent tous également. Deux hommes seuls se saisirent de la vergue qui soutenait la voile, et, y restant suspendus une grande partie de la nuit, ils attendirent qu'il leur vînt un secours quel qu'il flût. L'un de ces hommes était un boucher de Rouen, nommé Bérold, et l'autre le noble jeune homme Goisfred, fils de Gislebert de L'Aigle.

Alors la lune était à son dix-neuvième jour dans le signe du Taureau: pendant près de neuf heures, elle éclaira le monde de ses rayons, et rendit la mer brillante aux yeux des navigateurs. Le pilote Thomas, après avoir plongé dans les flots, reprit des forces; rendu à sa raison, il éleva la tête au-dessus de l'eau, et voyant ceux qui se tenaient attachés à la vergue, les interrogea en ces mots: «Qu'est devenu le fils du Roi?» Les deux naufragés lui ayant répondu qu'il avait péri, ainsi que tous ses compagnons, il reprit: «Désormais il m'est affreux de vivre.» A ces mots, dans l'excès de son désespoir, il aima mieux mourir en ce lieu, que de s'exposer à la fureur du monarque irrité de la perte de ses enfans, ou de subir les longues souffrances des fers. Suspendus sur les flots, Bérold et Goisfred invoquaient Dieu, s'encourageaient par de mutuelles exhortations, et, tremblans, attendaient la fin que Dieu leur destinait.

Cette nuit fut froide et glacée: aussi le jeune Goisfred, après avoir beaucoup souffert de la rigueur du temps, recommandant à Dieu son compagnon, retomba dans les flots, et ne reparut plus. Quant à Bérold, qui était un pauvre homme, vêtu d'un habit de peaux de mouton, seul de tant de monde, il conserva la vie: le matin, ayant été recueilli par trois pêcheurs dans leur barque, il fut le seul qui gagna la terre. Ensuite, s'étant un peu remis, il raconta en détail ce triste événement aux curieux qui l'interrogèrent, et depuis vécut près de vingt ans en bonne santé.

Roger, évêque de Coutances, avait conduit à la Blanche-Nef, condamné par un jugement de Dieu, son fils Guillaume, que le Roi avait nommé un de ses quatre principaux chapelains, son frère et trois neveux d'un rang distingué; et, quoiqu'il les estimât fort peu, il les avait bénis pontificalement eux et leurs compagnons. Ce prélat et beaucoup d'autres personnes, qui étaient encore réunis sur le rivage, le Roi lui-même et ses compagnons, qui étaient déjà loin en pleine mer, entendirent les horribles cris de détresse des naufragés; mais, ignorant la cause de ce bruit, ils restèrent dans l'inquiétude jusqu'au lendemain, et s'occupèrent entre eux de ce qui pouvait y donner lieu.

Un bruit lugubre, répandu promptement parmi le peuple, courut sur le rivage de la mer: il parvint à la connaissance du comte Thibaut et des autres seigneurs de la cour; mais ce jour même personne n'osa en faire part au Roi, qui était fort inquiet, et qui faisait beaucoup de questions. Les grands versaient à l'écart des larmes abondantes; ils plaignaient, sans pouvoir les consoler, leurs parens et leurs amis; mais, en présence du Roi, de peur de déceler la cause de leur douleur, ils arrêtaient avec beaucoup de peine l'effusion de leurs pleurs. Enfin, le jour suivant, par l'entremise adroite du comte Thibaut, un enfant se jeta en pleurant aux pieds du Roi, et lui dit que la cause du deuil qu'il voyait provenait du naufrage de la Blanche-Nef. Dans l'excès des angoisses de son ame, Henri tomba par terre; mais, relevé par ses amis, il fut conduit dans son appartement, où il donna un libre cours à l'amertume de ses plaintes. Jacob ne fut pas plus triste de la perte de Joseph; David ne jeta pas de cris plus affreux pour le meurtre d'Amon ou d'Absalon. Aussi, en voyant couler les pleurs d'un si grand prince, tous les enfans du royaume ne dissimulèrent plus leurs douleurs, et ce deuil dura un grand nombre de jours. Tout le monde regrettait généralement Guillaume Adelin, que l'on avait considéré comme l'héritier légitime du royaume d'Angleterre, et qui était tombé si subitement avec la fleur de la plus haute noblesse. Ce prince n'avait pas encore dix-sept ans, et déjà il avait épousé la noble Mathilde, qui était presque de son âge; déjà, par l'ordre de son père, il avait reçu avec joie l'hommage de tous les grands du royaume. Objet de l'amour de son père, il était pour le peuple l'espoir de la sécurité. Le coupable aveuglement des pécheurs cherche en vain à découvrir et à pénétrer ce que la suprême et infaillible Majesté a décidé de son ouvrage; l'homme criminel est saisi comme le poisson par le hameçon, ou l'oiseau par le filet, et de toutes parts il se trouve sans ressources accablé de misère. Pendant qu'il se promet la vieillesse, le bonheur et l'élévation, il éprouve soudain une mort prématurée, la misère et l'abaissement: c'est ce dont nous pouvons trouver clairement la preuve manifeste, chez les modernes comme chez les anciens, dans les événemens journaliers qui se sont passés depuis le commencement du monde jusqu'à nos jours.

Le Roi, dans sa douleur, regrettait ses enfans, une jeunesse d'élite, ses principaux barons, surtout Raoul-le-Roux et Gislebert d'Exmes; souvent, les larmes aux yeux, il recommençait le récit de leurs prouesses. Les grands, ainsi que les sujets, regrettaient leurs seigneurs, leurs supérieurs, leurs parens, leurs connaissances et leurs amis; les fiancées pleuraient ceux qui devaient recevoir leur main; les femmes chéries, leurs époux bien aimés. Je ne prendrai pas la peine de multiplier ces douloureux récits; je rapporterai ici seulement quelques vers d'un poète distingué:

«L'heure fatale est arrivée. Le déplorable vaisseau de Thomas, gouverné par une main égarée, périt brisé sur un rocher. Evénement fatal, qui, dans une perte commune, plonge au fond des mers une noble jeunesse. Les fils des rois deviennent le jouet des flots, et, pleurés par les premiers de l'Etat, ils servent de pâture aux monstres de la mer. O douleur sans mesure! ni la noblesse, ni la fortune, ne peuvent rappeler à la vie ceux qui sont morts dans les flots de la mer. La pourpre et le lin vont pourrir dans le liquide abîme, et les poissons dévorent celui qui naquit du sang des rois. C'est ainsi que la fortune se joue de ceux qui se confient à ses faveurs: elle donne, elle ravit; elle élève, elle abaisse. A quoi te servent, ô Guillaume, et le nombre des seigneurs qui te servent, et les richesses et la gloire humaine, et la beauté dont tu fus pourvu! Cet éclat royal s'est flétri, et la mer engloutit à la fois ce que tu fus et ce que tu devais être. Une affligeante damnation poursuit ces malheureux dans les ondes, à moins que la bonté divine ne daigne leur pardonner. Si, au prix du naufrage des corps, les ames acquéraient le bien du salut, elles auraient sujet d'éloigner la tristesse. La certitude du salut des ames donne en effet véritablement lieu de se réjouir à ceux qui s'intéressent à leurs parens chéris, tandis que c'est pour l'ame humaine un grand motif de douleur que d'ignorer si le repos des justes est réservé à ceux que Thétis engloutit dans ses ondes.»

Est-il quelqu'un qui puisse rapporter, comme il convient, quels furent les pleurs des mortels pour une si fatale catastrophe, ou quels biens furent privés de leurs héritiers naturels au détriment de tant de monde? En effet, comme nous l'avons dit, on vit périr Guillaume et Richard, fils du Roi, leur sœur Mathilde, femme de Rotrou, comte de Mortagne, le jeune Richard, comte de Chester, si digne d'éloges pour ses prouesses et sa bonté, et sa femme Mathilde, qui était sœur de Thibaut, comte palatin. Otver son frère, fils de Hugues, comte de Chester, gouverneur du prince royal, prit dans ses bras cet enfant, au moment où fut tout à coup submergée la Blanche-Nef, et où s'engloutirent à jamais tant de nobles personnages; il s'enfonça avec son élève au fond des mers d'où ils ne reparurent plus. Le jeune Thierri, neveu de Henri, empereur des Allemands; deux fils charmans d'Yves de Grandménil, et Guillaume de Rhuddlan, leur cousin, qui, par l'ordre du Roi, passaient la mer pour prendre en Angleterre possession des biens de leurs pères; Guillaume surnommé Bigod, avec Guillaume de Pirou, sénéchal du Roi, Goisfred-Ridel et Hugues de Moulins, Robert Mauconduit, le méchant Gisulfe secrétaire du Roi, et plusieurs autres personnages d'une grande distinction furent engloutis au fond des flots. Cette déplorable catastrophe excita la douleur de leurs parens, de leurs connaissances intimes et de leurs amis, qui, à cette occasion, répandirent la désolation et le dommage dans diverses contrées. On rapporte qu'il y périt dix-huit femmes qui avaient l'avantage d'être filles, ou sœurs, ou nièces, ou femmes de monarques et de comtes. Ce n'est que par commisération que je me détermine à raconter ces choses, et l'exactitude m'engage à en transmettre un récit fidèle à la postérité. En effet, l'horrible gouffre n'enleva personne de ma famille pour qui je doive répandre des larmes à cause des liens du sang, ému que je suis seulement par la pitié.

Les habitans de la côte, ayant acquis la certitude de cet événement désastreux, traînèrent au rivage le vaisseau fracassé avec tout le trésor du Roi; tout ce qui était dans le bâtiment, à l'exception des hommes, fut trouvé en bon état. Ensuite, des hommes légers à la course, le 7 des calendes de décembre (25 novembre), pendant que le peuple chrétien célébrait la fête de sainte Catherine vierge et martyre, coururent avec empressement sur le rivage de la mer, pour y trouver les corps des naufragés; mais n'ayant rien découvert, ils furent trompés dans l'espoir qu'ils avaient d'être récompensés. Les seigneurs riches cherchaient partout d'habiles nageurs et des plongeurs renommés; ils leur promettaient de fortes sommes, s'ils pouvaient leur rendre les cadavres des personnes qui leur étaient chères, pour leur donner dignement les honneurs de la sépulture.

Les habitans de Mortain, surtout, mirent beaucoup de zèle dans leurs recherches, parce que presque tous les barons de ce comté et ses personnages de distinction avaient péri sur la Blanche-Nef. Le seul comte de Mortain, comme nous l'avons dit, étant affligé de la diarrhée, avait quitté le bâtiment, ainsi que Robert de Sauqueville67 et Gaultier, par la permission de Dieu; tandis que les autres périssaient, ceux-ci, qui étaient restés, passèrent heureusement la mer sur un vaisseau du Roi. Plusieurs jours après le naufrage, on trouva loin de là le comte Richard68 et un petit nombre d'autres. Les flots journellement agités les poussèrent à la côte, et les personnes de leur connaissance les reconnurent aux divers vêtemens qu'ils portaient.

 

 

XV. Calixtus papa in Italiam revertitur. Henrici regis matrimonium. Eventus varii. Dissensiones in abbatia Cluniacensi exortae.

Anno ab Incarnatione Domini 1120, indictione XIII, Calixtus papa, ecclesiasticis rebus in Gallia bene dispositis, Italiam adiit, et ingens nobilium utriusque ordinis agmen secum duxit, et a Romanis favorabiliter susceptus, apostolicam sedem quinque annis rexit. Hic multa bona opera, juvante Deo, peregit, et specialis Ecclesiae temporibus nostris, lux et virtutum exemplar emicuit. Burdinum, pseudopapam, Sutriae tyrannidem contra Ecclesiam exercentem, comprehendit, et in coenobio quod Cavea dicitur, ne contra catholicorum pacem aliquo modo ganniret, intrusit. Ibi religiosorum habitatio est monachorum, quibus est secundum regularem ritum abundantia ciborum, et omnium quibus indiget humana necessitas, affluentia rerum. Ille vero locus extrinsecus inaccessibilis est, et nemo illuc nisi per unum aditum ingredi potest, ideoque monasterium istud Cavea praesagialiter appellatum est. Sicut enim leones vel ursi, aliaeque indomitae ferae in cavea coarctantur, ne, pro libitu suo libere discurrentes, in homines seu pecudes crudeliter grassentur, sic agrestes et indisciplinati, qui, sicut onagri solitudinis, per diversa lascivientes noxie vagantur, in hac scholari cavea sub jugo Dei regulariter vivere coguntur.

Henricus rex, amissa conjuge et libero, uxorem ducere consultu sapientum decrevit, egregiamque puellam, Adelidem, filiam Godefredi Lovenensium ducis, desponsavit. Regalibus insigniis celebre redimitus, eam sibi Christiano ritu copulavit, et regina, ministerio sacerdotum consecrata, XV annis in regno floruit; sed aliis rebus abundans, optata sobole huc usque caruit.

Honores defunctorum prudens rex provide vivis distribuit. Uxores enim eorum, aut filias, sive neptes, tironibus suis cum patrimoniis conjunxit, et sic plures consolatus, ultra spem liberaliter sublimavit.

Rannulfus Bajocensis obtinuit comitatum Cestrae, cum toto patrimonio Richardi comitis, quia ipse contiguus haeres erat, utpote nepos ex Mathilda, sorore Hugonis comitis. Hic Luciam, Rogerii filii Geroldi relictam, conjugem habuit, de qua Guillelmum Rannulfum genuit, cui comitatum Cestrae, totumque citra mare vel ultra patrimonium suum moriens dimisit.

Fulco, Andegavorum comes, postquam pacem cum rege Anglorum pepigit, et conjunctione prolis utriusque, ut jam dictum est, amicitiam firmavit, de salute sua sollicitus, Deo nihilominus reconciliari peroptavit. Scelerum ergo quae fecerat, poenitentiam agere studuit, terraque sua conjugi tenerisque pueris, Joffredo et Heliae, commissa, Jerusalem perrexit, ibique, militibus Templi associatus, aliquandiu permansit. Inde cum licentia eorum regressus, tributarius illis ultro factus est, annisque singulis XXX libras Andegavensium illis largitus est. Sic venerandis militibus, quorum vita corpore et mente Deo militat, et, contemptis omnibus mundanis, sese martyrio quotidie praeparat, nobilis heros annuum vectigal divino instinctu erogavit, et plures alios Gallorum proceres hujusmodi exemplo ad simile opus laudabiliter incitavit.

Post concilium Remense, de quo jam plura litteris caraxata sunt, Lugdunensis primas, et Masconensis, aliique plures episcopi Cluniacensibus molestissimi facti sunt. Nam plura quae alii dederant eis abstulerunt, et clericis, qui semper invident monachis, farraginem rebellionis praestiterunt. Per dioeceses suas illis contumelias irrogarunt, et tam per se quam per suffectos perfectiales acriter oppresserunt. Unde fratres, damna et injurias ferre impotes, contristati sunt, et quasi oves de faucibus luporum ad caulas monasterii confugerunt. Inter eos etiam ingens dissensio in penetralibus claustri exorta est. Quidam contra Poncium archimandritam zelo commoti sunt, ipsumque apud Calixtum papam Romae accusaverunt quod in actibus suis vehemens esset ac prodigus, et monasticos sumptus immoderate distraheret in causis inutilibus. Quod ille audiens, nimis iratus est, et, abbatis officio inconsulte coram papa relicto, peregre profectus est. Hierosolymis autem et in monte Thabor, aliisque sacris locis aliquandiu commoratus est in Palaestina, ubi Dominus Jesus cum pauperibus Nazaraeis corporaliter conversatus est.

Papa, Poncio sine licentia et benedictione sua imprudenter abeunte, ira incaluit, et Cluniacensibus ut idoneum sibi rectorem eligerent praecepit. Porro illi Hugonem, probatissimae vitae senem, sibi abbatem praefecerunt, quem, post tres menses defunctum, in aquilonali climate periboli sepelierunt, et in arcu lapideo, super eum constructo, epitaphium hujusmodi adnotaverunt:

Hic Cluniacensis jacet abbas Hugo secundus,
Patre Besontinus, Lugdunensis genitrice,
Relligione nitens, grandaevus, amore, pioque
Semper ovans cultu, tibi, summe Creator, inhaesit.
In requie tecum modo felix vivat in aevum!

Deinde Cluniacenses Petrum, religiosum monachum, nobilem et eruditum, sibi elegerunt magistrum, cujus jam plurimo tempore gessere magisterium.

Poncius vero abbas in Judaea magnae opinionis habitus est, ac fama religionis ejus et sublimitatis inter exteras etiam gentes divulgata est. Deinde, ut se habet humana instabilitas, sponte relictis prophetarum et apostolorum sedibus, repedavit in Gallias, ubi adventus ejus causa multorum mentes effecit turbidas. Nam ipse, postquam de partibus Eois remeavit, Cluniacum, ut fratres et amicos viseret, adivit. Tunc instinctu Satanae foeda dissensio inter fratres exorta est. Bernardus Grossus eo tempore prior erat, qui, ut fertur, fomes et incentor seditionis erat. Quidam enim Poncium honorifice ut abbatem suum suscipere decreverunt; alii vero contradicentes obnixe restiterunt. Milites autem et comprovinciales, tam rustici quam burgenses, illo veniente gavisi sunt, quem pro affabilitate sua et dapsilitate oppido dilexerunt. Illi nimirum, schismate monachorum comperto, in monasterium irruerunt, et Poncium, licet ipse hoc noluisset, suosque violenter introduxerunt. Proh dolor! furibundi monastica septa irruperunt, et, velut urbe armis capta hostium viribus, ad praedam cucurrerunt, ac supellectilem et utensilia servorum Dei nequiter diripuerunt. Dormitorium et crontochium et reliqua coenobitarum abdita, quae hactenus laicos latuerunt, nunc viris et mulieribus, non solum honestis, sed etiam scurris ac meretricibus, patuerunt.

Ipsa die terribile prodigium illic contigit. Ingens basilicae navis, quae nuper edita fuerat, corruit; sed, protegente Deo, neminem laesit. Sic pius Dominus omnes pro temeraria invasione insperata ruina terruit, sua tamen omnes immensa benignitate salvavit. Populus itaque diffusus ubique discurrebat, et impudenter illicita exercebat. Porro divina manu ab immanis casus contritione illaesus evasit, miroque modo reservatus, poenitere postmodum potuit. Petrus vero abbas absens erat, et in longinquas regiones abierat, pro multorum utilitate fratrum, quorum curam susceperat. Ad quem suae partis monachi festinaverunt, et damna cum injuriis Dei servis turpiter illata, seriatim intimaverunt. Ille autem non Cluniacum, sed Romam impigre perrexit, et papae [Honorio II] rem gestam, attestantibus monachis quae perpessi fuerant, elucidavit. Quod audiens papa, nimis contristatus est, tam pro dedecore monachorum, quam pro reatu populi, qui legem Dei praevaricatus est. Deinde Poncium protinus accersiit, ad examen apostolicae sedis astare praecepit, rationem redditurus unde impetitus fuerit. At ille Romam veniens, papam adire distulit, dieque denominato ad placitum submonitus venire renuit.

Romanus igitur pontifex Petrum cum apicibus apostolicis et dignitatibus Cluniacum destinavit, monachisque ut in omnibus ei secundum regulam sancti Patris Benedicti obsequerentur, mandavit. At illi, jussa complentes, abbatem victoria elatum susceperunt, cujus imperii jugum, divinae legi laudabiliter militantes, huc usque perferunt. Contemptorem vero Poncium post aliquot dies, missis satellitibus suis, comprehendit, et in carcere retrusit; qui non multo post, enormi moerore affectus, aegrotavit, ibique, multis illum lugentibus, vitam finivit. Igitur, ut quidam dicit:

Principium fini solet impar saepe videri,

quisque debet precibus et votis Deo, qui summum bonum est, medullitus commendari, ut qui coepit in nobis bonum, perficiat, confirmet, ac inter adversa seu prospera protegat, quatenus fidelis agonitheta bravium supernae haereditatis feliciter percipiat.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1120, le pape Calixte, ayant mis ordre aux affaires ecclésiastiques de France, retourna en Italie, emmenant avec lui une nombreuse compagnie de nobles de tout état, et, favorablement accueilli par les Romains, il occupa cinq ans le siége apostolique. Avec l'aide de Dieu, il fit beaucoup de bonnes œuvres, et, de nos temps, brilla comme le flambeau de l'Eglise suprême et le modèle de toutes les vertus. Il fit saisir l'anti-pape Burdin qui exerçait contre l'Eglise la tyrannie à Sutri. Il le fit enfermer dans Je couvent que l'on appelle Cavée69, afin qu'il ne fît aucune mauvaise entreprise contre la paix chrétienne. Ce monastère est habité par des religieux, qui, conformément à leur règle, ont une grande abondance de mets et de toutes les choses dont a besoin la nature humaine. Ce lieu, au dehors est inaccessible, et personne n'y peut pénétrer que par un seul sentier. C'est pourquoi ce monastère a été appelé Cavée comme par pressentiment. En effet, comme les lions, les ours et les autres bêtes féroces sont renfermés dans une fosse, de peur que, laissés en liberté et courant à leur gré, ils n'attaquent cruellement les hommes ou les troupeaux, de même les hommes sauvages et sans discipline, qui, comme l'onagre, errent sans frein et de tous côtés selon leurs penchans, sont forcés de vivre régulièrement dans cette fosse scholastique, sous le joug de Dieu.

Le roi Henri ayant perdu sa femme et son fils, résolut, d'après l'avis des sages, de contracter un nouveau mariage: il demanda une belle princesse nommée Adelide, fille de Godefroi, duc de Louvain. Revêtu des insignes de la royauté, il l'épousa avec les cérémonies chrétiennes; et la reine, consacrée par le ministère des prêtres, brilla quinze ans dans le royaume: mais, quoique favorisée en toute autre chose, elle n'a pas, jusqu'à ce jour, obtenu d'enfans comme elle le desirait.

Le Roi distribua avec prudence les biens de ceux qui étaient morts dans le naufrage, à ceux qui leur survécurent. Il donna en mariage à de jeunes chevaliers, avec ces biens, les épouses, les filles ou les nièces des défunts; et, consolant ainsi beaucoup de personnes, il les éleva libéralement au delà de leurs espérances.

Ranulfe de Bayeux obtint le comté de Chester avec tout le patrimoine du comte Richard, parce qu'il était son plus proche héritier, en qualité de neveu issu de Mathilde sœur du comte Hugues. Il épousa Lucie, veuve de Roger, fils de Gérold, de laquelle il eut Guillaume Ranulfe, auquel il laissa en mourant le comté de Chester, et tout son patrimoine des deux côtés de la mer.

Foulques, comte d'Angers, avait fait la paix avec le Roi des Anglais; et ces princes ayant consolidé, comme nous l'avons dit, leur amitié par l'union de leurs enfans, le premier, inquiet de son salut, desira se réconcilier avec Dieu. En conséquence, il s'appliqua à faire pénitence des crimes qu'il avait commis, et, confiant son comté à sa femme et à ses jeunes enfans, Geoffroi et Hélie, il partit pour Jérusalem, où il resta quelque temps attaché aux chevaliers du Temple. Ensuite, retourné chez lui avec leur permission, il se fit volontairement leur tributaire, et chaque année leur paya trente livres angevines. C'est ainsi qu'en faveur de ces vénérables chevaliers, qui toute leur vie combattent pour Dieu de corps et d'ame, et se préparent journellement au martyre par le mépris de tous les biens du monde, le noble seigneur paya un tribut annuel, d'après l'inspiration divine, et détermina louablement, par son exemple, plusieurs autres seigneurs français à imiter sa générosité.

Après le concile de Rheims, dont j'ai déjà écrit beaucoup de choses, l'archevêque de Lyon, l'évêque de Mâcon, et plusieurs autres évêques vexèrent beaucoup les moines de Cluni: car ils leur enlevèrent un grand nombre de domaines qui leur avaient été donnés par d'autres personnes, et fournirent aux clercs, qui sont toujours envieux des moines, toutes sortes de sujets de rébellion. Dans leur diocèse, ils les accablèrent d'outrages, et les opprimèrent cruellement tant par eux-mêmes que par leurs subordonnés. C'est pourquoi les frères, ne pouvant supporter tant de pertes et d'injures, furent contristés, et comme des brebis s'enfuirent loin de la gueule des loups vers le bercail du monastère. Mais même parmi eux il s'éleva une grande dissension dans la retraite du cloître; quelques moines se révoltèrent contre l'abbé Pons; ils l'accusèrent à Rome, auprès du pape Calixte, de ce que, dans sa conduite, il s'était montré violent et prodigue, et avait sans mesure dépensé les revenus de la maison pour des choses inutiles. Pons, apprenant ces choses, entra dans une excessive colère, et, déposant à la légère sa charge d'abbé entre les mains du pape, il partit pour les contrées étrangères. Il resta quelque temps à Jérusalem, sur le mont Thabor et dans d'autres lieux saints en Palestine, où le Seigneur Jésus avait habité corporellement avec les pauvres Nazaréens.

Le pape, voyant Pons partir imprudemment sans permission et sans sa bénédiction, s'échauffa de colère, et ordonna aux moines de Cluni de se choisir un abbé convenable. Ils élurent Hugues, vieillard d'une vie sans tache, qui mourut au bout de trois mois, et qu'ils ensevelirent sous la muraille du nord de leur église. Sur son tombeau en pierre ils placèrent l'épitaphe suivante:

«Ci-gît Hugues, second abbé de Cluni, dont le père était de Besançon et la mère de Lyon: éclatant en piété, vieillissant dans l'amour divin, toujours gai dans l'exercice du culte, il vous fut toujours attaché, souverain Créateur. Puisse-t-il vivre avec vous en repos, heureux pour l'éternité!»

Ensuite les moines de Cluni élurent pour abbé Pierre, moine religieux, noble et savant, qui avait déjà été long-temps à leur tête.

L'abbé Pons jouit d'une grande considération en Judée; la renommée de sa piété et de son élévation d'ame se répandit chez les peuples étrangers. Ensuite, comme se comporte l'humaine inconstance, il abandonna volontairement la terre des prophètes et des apôtres, et retourna en France, où son arrivée occasiona beaucoup de trouble dans les esprits. A son retour des contrées orientales, il se rendit à Cluni pour voir ses frères et ses amis. Alors, par l'inspiration de Satan, une hideuse dissension s'éleva parmi les moines. Ils avaient à cette époque pour prieur Bernard-le-Gros, qui passa pour être le boute-feu et le provocateur de la sédition. Il en résulta que quelques religieux résolurent de recevoir Pons avec de grands honneurs, comme leur abbé, tandis que d'autres, au contraire, le repoussaient avec opiniâtreté. Les chevaliers et les gens du pays, tant paysans que bourgeois, se réjouirent de son arrivée, parce qu'ils l'aimaient beaucoup à cause de son affabilité et de sa magnificence: ayant appris la division qui régnait parmi les moines, ils fondirent sur le couvent, où ils introduisirent violemment et malgré lui Pons et les siens. Quelle douleur! ces furibonds franchirent les murs du couvent, et, comme dans une ville conquise par les armes de l'ennemi, ils coururent de toutes leurs forces au butin, et pillèrent méchamment le mobilier et les utensiles des serviteurs de Dieu. Alors le dortoir, l'infirmerie et les autres appartemens secrets des cénobites, qui, jusque-là avaient été interdits aux laïques, furent ouverts non seulement aux hommes et aux femmes honnêtes, mais encore aux bouffons et aux courtisanes.

Le même jour, il arriva un terrible prodige. La grande nef de l'église, qui avait été bâtie depuis peu, s'écroula; mais, par la protection de Dieu, n'écrasa personne. Ainsi le Seigneur, dans sa bonté, épouvanta, par un désastre inattendu, tous ceux qui s'étaient rendus coupables de cette téméraire invasion: toutefois, dans son immense bonté, il sauva ce qui lui appartenait. Le peuple errait dans toute la maison, et se livrait impudemment au désordre. Cependant la main de Dieu le préserva intact de la mort qu'il eût reçue de cette affreuse catastrophe, et, sauvé par ce miracle, il eut la possibilité de se repentir par la suite. L'abbé Pierre était alors absent: il était parti pour les contrées lointaines, afin de servir le grand nombre de ses frères qui étaient confiés à ses soins. Les moines de son parti se rendirent en hâte auprès de lui, et lui racontèrent avec détail tous les accidens et les outrages que les serviteurs de Dieu avaient honteusement éprouvés. Sans perdre de temps, Pierre alla non à Cluni, mais à Rome, et fit clairement connaître au pape ce qui s'était passé, en s'appuyant du témoignage des moines qui en avaient été les victimes. Le pape, entendant ce récit, fut excessivement contristé, tant à cause des outrages dont les moines avaient été l'objet, qu'à cause des péchés du peuple qui avait prévariqué contre la loi de Dieu. Il manda promptement Pons, et lui ordonna de comparaître au jugement du siége apostolique, pour répondre aux accusations dirigées contre lui. Arrivé à Rome, Pons difïéra de se présenter au pape, et refusa, quoique sommé de le faire, de venir au tribunal le jour fixé.

En conséquence le pontife romain envoya Pierre à Cluni avec des lettres apostoliques et les insignes de sa dignité, et manda aux moines d'obéir à cet abbé en toutes choses selon la règle du saint père Benoît. Ils exécutèrent les ordres du pape, et reçurent leur abbé triomphant de sa victoire; et, combattant louablement pour la loi divine, ils portent encore le joug de son pouvoir. Quelques jours après, le pape fit arrêter par ses soldats Pons, qui méprisait ses ordres, et il le fit mettre en prison. Celui-ci, peu de temps après, affecté d'un profond chagrin, tomba malade, et mourut dans les fers, au grand regret de beaucoup de gens. Aussi, comme dit un certain poète:

Principium fini solet impar sœpè videri70.

Chacun doit recommander Pons intérieurement par des prières et des vœux à Dieu, qui est le souverain bien, afin qu'il accomplisse en nous le bien comme il l'a commencé; qu'il le confirme, et qu'il le protège dans l'adversité comme dans le bonheur, jusqu'à ce que le fidèle champion entre heureusement dans le sentier de l'héritage céleste.

 

 

XVI. De monasteriis Crulandiae, Uticensi et quibusdam aliis. De archiepiscopatu Cantuariensi. Summus Anglorum erga monachos favor.

Indictione XIII, die Dominica, circa tertiam, dum missae canerentur, IV Kalendas Octobris [1119] terrae motus in Anglia magnus factus est, et muri, maceriaeque basilicarum per IV comitatus fissae sunt. Hoc nempe Cestra et Scrobesburia, Herforda et Gloucestra, eisque adjacentes provinciae viderunt et senserunt, nimioque terrore exsangues incolae contremuerunt. Sequenti tempore, plures ecclesiarum hierarchae in Anglia vel Neustria migraverunt, et aliis onus praelationis, quod avide gestaverant, disponente Deo, dimiserunt.

Goisfredus Aurelianensis, Crulandiae abbas, vir pius et jucundus, Nonis Junii migravit; cui Guallevus frater Gaii patricii, de nobili Anglorum prosapia, successit. Alboldus etiam Hierosolymitanus, Beccensis monachus, Sancti Edmundi, regis et martyris, de Bedrici-Rure abbas, subito mortuus est. Post quem Anselmus, Anselmi archiepiscopi nepos, regimen plurimo tempore sortitus est. Defuncto Rodberto de Limesia, Merciorum episcopo, Rodbertus cognomento Peccatum, successit. Quo mortuo, Rogerius, nepos Goisfredi de Clintona, regimen suscepit. Post obitum Turoldi, Burgensis abbas, egregius Mathias de monte Sancti Michaelis praefuit. Cui Joannes, Sagiensis monachus, litteris admodum instructus, successit. Quo defuncto, rex Henrico, cognato suo, Burgum commendat, qui Sancti Joannis Baptistae Angeliaci abbas exstiterat; sed a monachis et a Guillelmo, Pictavensi duce, expulsus fuerat. Post Fulcheredum, qui primus abbas Scrobesburiense coenobium in Dei cultu ordinavit, Godefredus, Sagiensis monachus, pastoralem curam suscepit. Quo paulo post morte subita praevento, Herbertus gubernaculum rudis abbatiae usurpavit. Guntardo autem, Torneiensis ecclesiae strenuo rectore, defuncto, Rodbertus Pruneriensis subrogatus est, qui de Uticensi coenobio, quia bene litteratus et eloquens ac honestus erat, ad ecclesiae regimen assumptus est.

Tempore Paschalis papae, Radulfus, Doroberniae archiepiscopus, ad regem in Neustriam venit, et inde Romam, licet jam tumore pedum infirmaretur, proficisci coepit. Caeterum, obiter auditis de occasu papae rumoribus, legatos Romam destinavit. Ipse vero Rothomagum remeavit, et fere tribus annis in Normannia deguit. Ibi quondam dum moraretur, in translatione Sancti Benedicti, quae a monachis festive agitur, finita missa, dum vestimentis exueretur, acuta passione subito percussus obmutuit, et post aliquot dies, arte medicorum ei multipliciter impensa, loqui coepit; sed linguae officium nunquam plene postea recuperavit. Deinde duobus annis paralysi aegrotavit, et vehiculo satis opportune aptato delatus, ad sedem suam inter suorum manus decubuit.

Tandem, anno ab Incarnatione Domini 1123, indictione I, Radulfus achiepiscopus, XIII Kalendas Novembris, Cantuariae obiit. Cui Guillelmus Curbuliensis, canonicus regularis, post aliquot annos successit. Ecce antiquus mos, pro invidia qua clerici contra monachos urebantur, depravatus fuit. Augustinus enim monachus, qui primus in Anglia Christum praedicavit, ac Edelbertum regem et Sabertum, nepotem ejus, cum populis Cantiae et Lundoniae ad fidem Christi convertit, jussu Gregorii papae primas metropolitanus totius Britanniae floruit. Omnes exinde usque ad Radulfum, Doroberniae archiepiscopum, praeter Frigeardum et Odam atque Stigandum, fuerunt monachi. Frigeardus quippe, capellanus Lotherae regis, ad praesulatum fuit electus, et Romam ut ab Agathone papa consecraretur destinatus; deinde, datis a papa induciis decem dierum, exspectans benedictionem, interea decidit in lectum, et sine praesulatus unctione exhalavit spiritum. Oda vero, pro nobilitate et morum benignitate, de clero assumptus, et archipraesul est consecratus; qui, postquam omnes antecessores suos monachos fuisse comperit, libenter ac devote habitum mutavit, et religiosus monachus ac archipraesul usque ad mortem Deo militavit. Stigandus autem, Emmae reginae capellanus, admodum saecularis et ambitiosus exstitit; qui primum Lundoniae, postmodum Cantuariae cathedram invasit. Verum a Romano papa nunquam pallium habuit, imo ab Alexandro papa interdictus, Haraldum profanavit, dum in regem benedicere debuit. Quapropter idem, sicut a se exaltatus intumuit, sic a Deo humiliatus et confusus ingemuit; nam, Guillelmo primo in regno confirmato, clarescentibus culpis judicio synodi depositus est, unde nec in catalogo pontificum computandus est.

Angli monachos, quia per eos ad Deum conversi sunt, indesinenter diligentes honoraverunt, ipsique clerici reverenter et benigne sibi monachos praeferri gavisi sunt. Nunc autem mores et leges mutatae sunt, et clerici, ut monachos confutent et conculcent, clericos extollunt.

Circa haec tempora, Rogerius, Uticensis abbas, aevo et aegritudine fractus, a pristino robore decidit, et pastoralis curae sarcina exonerari summopere desideravit. Unde duos honorabiles monachos, Ernaldum de Telliolo et Gislebertum de Sartis, in Angliam misit, et per eos hujuscemodi litteras, quas Radulfo Laurentio edere jusserat, regi destinavit:

Glorioso suo domino, regi Anglorum HENRICO, humilis ROGERIUS, Uticensium indignus minister, ab eo salvari qui dat salutem regibus! Quoniam, ut ait Apostolus (Rom. XIII. 1) , « non est potestas nisi a Deo; quae autem sunt, a Deo ordinatae sunt, » utilitati domus Dei ab omni potestate ordinate providendum est. Ego igitur, mi domine, qui huc usque, licet indignus, Deo disponente, sub vestrae moderationis nobili regimine, Uticensis ecclesiae fratribus abbatis vice ministravi, quique magis mihi oneri quam honori, vestra ope suffultus, jam per longa tempora adversa et prospera incubui, modo senio fessus, corpore debilitatus, metuens ecclesiae magis obesse quam prodesse, dum et mores humani cum temporum vicissitudine variantur, consilio Patrum spiritualium, archiepiscopi Rothomagensis, episcopi Lexoviensis, plurimorum insuper abbatum, et diversorum ecclesiastici ordinis virorum, vestram supplex deposco clementiam quatenus, mei miserendo quem hactenus, quantulumcunque licet, vos dilexisse probastis, me amodo inutilem et minus idoneum a tanto onere liberum reddatis, et juxta vobis a Deo donatam sapientiam congruum et idoneum pastorem domui Dei provideatis. Verum, ne praetextu talium videar quasi indomitorum rabiem propriae requiei providendo subterfugere, eorum charitati et obedientiae et simplicitati testimonium coram Deo perhibeo; quippe qui, et lacte et solido cibo abundanter uberibus matris Ecclesiae educati, ad omnia Dei, patrisque spiritualis mandata tractabiles inveniuntur, et obedienter pacifici. Solam, praecellentissime rex, imbecillitatis et senectutis meae miseriam et impossibilitatem opponens, supplico ne id efficere differatis, orans obnixe, quantumlibet peccator, Regem regum quatenus ad hoc ipsum vobis cooperari dignetur. Valete.

Benevolus utique rex, debilitate simplicis et religiosi senis audita, condoluit, et directis apicibus, ut bonum, sibique competentem eligerent abbatem, coetui monachorum imperavit. Legatis itaque reversis, LXVI monachi in Dei nomine congregati sunt, et lectionem sancti Patris Benedicti de ordinando abbate diligenter audierunt. Denique venerabilis abbas Rogerius et spirituales filii ejus de salute animarum tractaverunt, et unum ex semetipsis in nomine Domini ad supplendas vices abbatis assumpserunt. Guarinum namque de Sartis, cognomento Parvum, sibi abbatem praeposuerunt, et in hoc apostolos imitati sunt, qui Mathiam Parvum Dei ad complendum duodenarium numerum, qui sacratus est, divino nutu sortiti sunt. Supradicti autem duo senes electum fratrem Joanni, episcopo Lexoviensi. jussu conventus exhibuerunt, et cum ejus licentia mare inter hiemis frigora et tempestates transfretaverunt, regemque, qui Nordanhymbriam tunc perlustrabat, per longa lutosaque itinera quaesierunt, eumque in festivitate Sancti Nicolai, Myrrheorum praesulis, Eborachae repererunt. Porro illustris rex, auditis quae fecerant monachi, electionem concessit, et electo fratri per consilium Turstini, Eboracensis archiepiscopi, abbatiam donavit, attestante Stephano, Carnotensi abbate, qui postmodum patriarcha fuit. Deinde rex omnes monasticas res et dignitates ac privilegia, quae praedecessores sui hactenus habuerant, ei concessit, et chartam hujusmodi, sigillo regali signatam, contra aemulos erogavit:

HENRICUS, rex Anglorum, JOANNI, episcopo Lexoviensi, et STEPHANO comiti Moritolii, et RODBERTO de Haya, et omnibus baronibus et fidelibus suis Normanniae, salutem. Sciatis me dedisse Guarino abbati et concessisse abbatiam Sancti Ebrulfi. Et volo et praecipio firmiter ut bene et in pace et quiete et honorifice teneat, cum ecclesiis et decimis et terris et nemore et plano et omnibus rebus suis, sicut unquam aliquis antecessorum suorum melius et quietius et honorificentius tenuit. Testibus Turstino, archiepiscopo Eboracensi, et Guillelmo de Tancardivilla, et Guillelmo de Albinneio. Apud Eboracum.

Guarinus itaque, sublimi auctoritate potentis sceptrigeri corroboratus, in Normanniam remeavit, Quadragesimalem observantiam cum fratribus peregit, et in die Dominicae Ascensionis a Joanne, episcopo Lexovii, benedictionem recepit, et exinde labores et dolores pastoralis curae perpeti edidicit. In primis pie laudandus est quod venerabili Rogerio seni benigniter servivit, eique per tres annos, quibus postmodum supervixit, in cunctis, ut patri filius et magistro discipulus, obsecundavit. Mansuetus enim senex in camera sua, ut pridem solebat, psalmis et orationibus, piisque colloquiis vacabat. Idoneum sacerdotem sibi capellanum et confabulatorem habebat, a quo missam, officiumque canonicum in oratorio Sancti Martini audiebat, et cum quo de mysticis Scripturarum aenigmatibus, vel syntagmatum floribus, interrogando vel respondendo, tractabat. Et quia pondus exteriorum curarum semper sibi noxium et importabile judicaverat, nunc salubriter et honorifice liber Deo gratias agebat, et quanto liberior, tanto securior, supremae diei metam gaudens exspectabat.

Tandem anno Dominicae Incarnationis 1126, indictione IV, praefatus senior gravius solito aegrotavit, oleoque sacro perunctus, aliisque rebus quae servo Dei competunt, pleniter expletis, Idus Januarii migravit. Discipulus et successor didascali animam Deo cum suis consodalibus commendavit, et solemnes exsequias rite celebravit. Sequenti vero die corpus ejus in capitulum delatum est, ibique secus Osbernum abbatem reverenter tumulatum est. Versibus hexametris epilogum brevem super illo edidi, in quo plus veritati quam concinnae sonoritati intendere malui. Benigno quoque Salvatori pro illo sic orando, et bona divinitus illi inserta recolendo, effudi.

Mitem, sincerumque Patrem, rex Christe, Rogerum
Salva, nam pro te toleravit multa benigne.
Rura, domos et velle suum dimisit egenus,
Teque sequi studuit per iter virtutis anhelus.
Gervasiusque pater illi fuit, Emmaque mater,
In quibus emicuit morum jubar, et decus amplum.
Presbyter instructus documentis ultro Rogerus,
Sumpsit ovans almi monachile jugum Benedicti.
Multa diu mores ejus possedit honestas,
Qua meruit sociis praeponi rector et abbas.
Praesule nam facto Serlone Salaribus, iste
Coenobii sancti regimen suscepit Ebrulfi.
Quinquies undenis monachus bene floruit annis,
Unde ter undenis Utici fit pastor ovilis.
Hic monachos novies denos in discipulatu
Suscepit, rigidoque regi docuit monachatu.
Simplex et dulcis, studiisque nitens bonitatis,
Quos monuit verbis, exemplis profuit almis.
Denique confectus senio, terris sua membra
Deposuit, Jani duodena luce peracta.
Abstersis culpis, bone Rex, da gaudia lucis.
Pacis amator erat; rogo, nunc in pace quiescat! Amen.

Dans la treizième indiction, le 4 des calendes d'octobre (28 septembre), un jour de dimanche, vers tierce, pendant que l'on chantait la messe, l'Angleterre éprouva un grand tremblement de terre; les murs et les maçonneries des églises furent lézardés dans quatre comtés. En effet, Chester, Shrewsbury, Hereford, Glocester, et les provinces voisines le virent et le sentirent, et les habitans et les peuples pàlissans tremblèrent d'une excessive terreur. Par la suite, plusieurs dignitaires des églises passèrent en Angleterre ou en Neustrie, et, par la disposition de Dieu, remirent à d'autres le fardeau de la prélature qu'ils avaient porté avec ambition.

Goisfred d'Orléans, abbé de Croyland, homme pieux et gracieux, partit le jour des nones de juin (5 juin): il eut pour successeur Guallève, frère de Gaïus, prince issu d'une noble famille anglaise. Albold de Jérusalem, moine du Bec, abbé de Saint-Edmond71, vint à mourir subitement; après lui, Anselme, neveu de l'archevêque du même nom, gouverna long-temps l'abbaye. Robert deLyme, évêque des Merciens, étant mort, il fut remplacé par Robert, surnommé Peccatum, à la mort duquel Roger, neveu de Goisfred de Clinton, fut nommé abbé. Après le décès de Turold, l'illustre Mathias du Mont-SaintMichel devint abbé de Bury72, et eut pour successeur Jean, moine de Saint-Martin de Séès, profondément instruit dans les lettres. A sa mort, le Roi confia Bury à Henri, son cousin, qui avait été abbé de Saint-Jean-d'Angeli, d'où il avait été expulsé par les moines et par Guillaume, comte de Poitiers. Après Fulchered, qui, premier abbé de Shrewsbury, avait réglé le culte divin dans ce monastère, Godefroi, moine de Séès, en prit le gouvernement: étant mort subitement peu de temps après, Herbert usurpa le gouvernail de cette abbaye naissante. Guntard, habile chef du couvent de Thorney, ayant cessé de vivre, Robert de Prunières lui fut subrogé, tiré qu'il fut du couvent d'Ouche pour gouverner cette église, parce qu'il était très-lettré, éloquent et de bonnes mœurs.

Du temps du pape Pascal, Raoul, archevêque de Cantorbéry, alla trouver le Roi en Normandie, et de là partit pour Rome, quoiqu'il souffrît déjà de l'enflure des pieds. Ayant en route entendu parler de la mort du pape, il dépêcha des envoyés à Rome. Quant à lui, il retourna à Rouen, et passa près de trois ans en Normandie. Pendant son séjour, il arriva que, à la translation de Saint-Benoît, qui est fêtée par les moines, après la messe, pendant qu'il quittait ses vêtemens pontificaux, il fut soudain frappé d'un mal aigu, perdit la parole, et, au bout de quelques jours, la recouvra en partie, grâces aux secours de toute espèce que lui procurèrent les médecins; mais il ne reprit jamais parfaitement, depuis cette époque, l'usage de sa langue. Ensuite il resta deux ans paralytique; puis, dans un chariot assez commode, il se fît transporter à son siége, où il garda le lit bien soigné par les siens.

Enfin, l'an de l'incarnation du Seigneur 1123, l'archevêque Raoul mourut à Cantorbéry le 13 des calendes de novembre (le 20 octobre). Aubout de quelques années, il eut pour successeur Guillaume, chanoine régulier de Corbeil. Les antiques règles furent violées à cause de l'envie qui animait les clercs contre les moines. En effet, le moine Augustin, qui le premier prêcha le Christ en Angleterre, et convertit à la foi chrétienne le roi Edelbert et Sabert son neveu, avec les peuples de Kent et de Londres, fut établi, par ordre du pape Grégoire, primat métropolitain de toute la Grande-Bretagne. C'est pourquoi tous les archevêques de Cantorbéry, jusqu'à Raoul, à l'exception de Frigeard, d'Oda et de Stigand, appartinrent à l'ordre monastique. Frigeard, chapelain du roi Lothaire, fut élu à cet archevêché, et envoyé à Rome pour y être consacré par le pape Agathon. Là, ayant reçu du pape un délai de dix jours, il tomba malade en attendant la bénédiction, et rendit l'ame sans avoir reçu l'onction épiscopale. Quant à Oda, il fut tiré du clergé, à cause de sa noblesse et de la douceur de ses mœurs, et il fut consacré archevêque; mais, ayant appris ensuite que tous ses prédécesseurs avaient été moines, il changea d'habit volontiers et dévotement; puis, jusqu'à la mort, il combattit pour la cause de Dieu, et comme moine, et comme archevêque. Stigand, chapelain de la reine Emma, était tout mondain et ambitieux: il usurpa d'abord la chaire de Londres, puis ensuite celle de Cantorbéry; mais il ne reçut jamais le pallium du pape de Rome: au contraire, interdit par le pape Alexandre, il fit grand tort à Harold en le bénissant roi. Comme il s'enfla d'orgueil pour avoir été élevé par lui-même, de même il eut à gémir dans sa confusion, après avoir été humilié par la main de Dieu; car Guillaume Ier s'étant affermi sur le trône, Stigand fut déposé par jugement du concile à cause de l'évidence de ses fautes: aussi ne doit-il point être compté sur le catalogue des évêques.

Les Anglais honoraient et chérissaient les moines, parce qu'ils leur devaient leur conversion au Christ; les clercs eux-mêmes se réjouissaient respectueusement et avec bienveillance de la préférence accordée aux cénobites. Maintenant, au contraire, les mœurs et les lois sont changées, et les clercs élèvent les leurs, afin de confondre et d'écraser les moines.

Vers ce temps-là, Roger, abbé d'Ouche, brisé par l'âge et la maladie, perdit son ancienne vigueur, et desira vivement être débarrassé de la charge du soin pastoral. C'est pourquoi il envoya en Angleterre deux moines honorables, Ernauld du Tilleul et Gislebert des Essarts73, et adressa par eux, au Roi, cette lettre, qu'il fit écrire par Raoul Laurent:

«L'humble Roger, ministre indigne de l'abbaye d'Ouche, à son glorieux seigneur Henri, roi des Anglais, salut au nom de celui qui donne le salut aux rois. Comme il n'y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu, selon ce que dit l'apôtre, toute puissance doit pourvoir avec soin à faire tourner à l'avantage de la maison du Seigneur les choses qui ont été par lui ordonnées. Moi donc, seigneur, qui, jusqu'à ce jour, tout indigne que j'en suis, mais par la providence de Dieu, ai rempli les fonctions d'abbé de mes frères de l'église d'Ouche, sous le noble gouvernement de votre puissance; moi qui, soutenu de votre assistance, pendant longtemps, dans l'adversité comme dans le bonheur, me suis acquitté de ces fonctions plus onéreuses qu'honorables, maintenant, accablé de vieillesse, faible de corps, craignant de nuire à l'Eglise plutôt que de lui être utile, et voyant changer les mœurs au milieu des vicissitudes des temps, d'après le conseil de mes pères spirituels, l'archevêque de Rouen et l'évêque de Lisieux, de plusieurs abbés, et de divers personnages de l'ordre ecclésiastique, j'implore humblement votre clémence afin qu'ayant pitié de moi, à qui vous avez prouvé jusqu'à ce jour quelque affection, vous me délivriez, moi désormais inutile et devenu moins capable, du poids d'un si lourd fardeau, et que vous donniez à la maison du Seigneur un pasteur habile et convenable, conformément à la sagesse qui vous a été défi partie par Dieu même. Toutefois, de peur que, sous le prétexte de telles choses, je ne paraisse vouloir me soustraire à la rage des furieux en ne m'occupant que de mon repos, je porte ici, en présence de Dieu, témoignage de leur charité, de leur obéissance et de leur simplicité, puisque, par les soins maternels de l'Eglise, nourris abondamment de lait et d'alimens solides, on les trouve dociles à tous les ordres de Dieu et de leurs pères spirituels auxquels ils obéissent en paix. Excellent monarque, d'après la déclaration que je vous fais de ma misère, et de l'impossibilité d'agir où me réduisent la faiblesse et la décrépitude, je vous prie de ne pas différer de me rendre ce bon office. Tout pécheur que je suis, je prie instamment le Roi des rois pour qu'il daigne coopérer avec vous au service que j'attends. Salut.»

En conséquence, le Roi, plein de bienveillance, apprenant l'état d'affaiblissement du saint et religieux vieillard, compatit à son sort, et ordonna, par des lettres directes, aux moines d'Ouche d'élire un bon abbé qui pût lui convenir. Au retour des députés, soixante-six moines se réunirent, au nom de Dieu; ils écoutèrent attentivement la leçon du saint père Benoît sur l'ordination des abbés. Enfin le vénérable abbé Roger et ses fils spirituels s'occupèrent du salut des ames, et, au nom du Seigneur, chargèrent l'un d'eux des fonctions d'abbé. Ils nommèrent à cette place Guérin des Essarts, surnommé le Petit; et ils imitèrent en cela les apôtres qui, par l'inspiration divine, tirèrent au sort Mathias, le petit de Dieu, pour accomplir le nombre douze! Les deux vieillards dont nous avons parlé présentèrent, par l'ordre du couvent, le frère qui avait été élu, à Jean, évêque de Lisieux, et, avec sa permission, passèrent la mer au milieu du froid et des tempêtes de l'hiver; ils allèrent chercher le Roi, qui parcourait alors le Northumberland, voyagèrent dans des chemins longs et fangeux, et le trouvèrent à York le jour de la fête de Saint-Nicolas, évêque de Mire. L'illustre monarque, ayant appris ce qu'avaient fait les moines, approuva l'élection, et donna, par le conseil de Turstin, archevêque d'York, l'abbaye d'Ouche au frère élu: il eut pour témoin Etienne, abbé de Chartres, qui, par la suite, devint patriarche. Ensuite le Roi lui accorda tous les biens du couvent, les dignités et les priviléges que ses prédécesseurs avaient eus jusques alors; puis il donna la charte suivante, à laquelle il fit mettre le sceau royal pour la rendre authentique contre les envieux:

«Henri, roi des Anglais, à Jean, évêque de Lisieux, à Etienne, comte de Mortain, à Robert de La Haye, à tous ses barons et sujets féaux de la Normandie, salut. Sachez que j'ai donné et concédé à l'abbé Guérin l'abbaye de Saint-Evroul, et que je veux et ordonne positivement qu'il la tienne convenablement, en paix, librement et honorablement. A York, en présence de Turstin, archevêque d'York, de Guillaume de Tancarville, et de Guillaume d'Aubigni.»

En conséquence, Guérin, fort de la souveraine autorité du puissant monarque, revint en Normandie, accomplit, avec ses frères, l'observance du Carême; puis, le jour de l'Ascension du Seigneur, reçut la bénédiction de Jean, évêque de Lisieux, et apprit ensuite à supporter les travaux et les douleurs du soin pastoral. On doit surtout le louer pieusement d'avoir servi avec bonté le vénérable vieillard Roger; et, pendant les trois ans qu'il vécut encore, de lui avoir obéi en toutes choses, comme un fils à son père, comme un disciple à son maître. Le bon vieillard s'occupait dans sa chambre, comme il en avait eu autrefois l'habitude, de psaumes, d'oraisons et de pieux entretiens. Il avait avec lui un bon prêtre qui lui servait de chapelain et faisait la conversation; il entendait sa messe et l'office canonique dans l'oratoire de Saint-Martin, et traitait, soit par demandes, soit par réponses, des mystères de l'Ecriture et des fleurs des traités ascétiques. Comme il avait toujours jugé nuisible et insupportable le poids des affaires extérieures, maintenant, libre de soin, il rendait grâces à Dieu sagement et honorablement; et, non moins tranquille que libre, il attendait avec joie le terme du jour suprême.

Enfin, l'an de l'incarnation du Seigneur 1126, ce pieux vieillard devint plus malade qu'à l'ordinaire; puis, oint de l'huile sainte, et ayant pleinement accompli les autres cérémonies qui conviennent à un serviteur de Dieu, il mourut le jour des ides de janvier (13 janvier). Le disciple et le successeur de ce maître, ainsi que ses compagnons, recommandèrent son ame à Dieu, et célébrèrent avec pompe de solennelles obsèques. Le lendemain son corps fut porté dans le chapitre, et inhumé avec respect à côté de l'abbé Osbern. J'ai composé sur lui envers hexamètres une inscription abrégée dans laquelle j'ai préféré m'attacher plutôt à la vérité qu'à l'élégance d'une poésie sonore. En priant ainsi le bon Sauveur, et en me rappelant par la grâce de Dieu le bien qu'il a fait, je me suis exprimé en ces termes:

«O Christ! roi des rois! sauvez Roger, ce père doux et sincère, qui, pour vous, a supporté beaucoup de choses avec bonté. Il renonça pour la pauvreté à ses biens, à ses maisons et à sa volonté; il courut à perdre haleine par les sentiers de la vertu pour s'appliquer à vous suivre. Il eut pour père Gervais, et pour mère Emma, dans lesquels brillèrent l'éclat des mœurs et l'étendue des biens. Instruit par de saintes leçons, le prêtre Roger prit avec joie le joug monacal du bienheureux Benoît. Pendant sa longue carrière, il se distingua par l'honnêteté de ses mœurs, et mérita ainsi de devenir le guide et l'abbé de ses compagnons. En effet, Serlon étant devenu évêque de Séès, Roger prit le gouvernement du monastère de Saint-Evroul. Moine illustre pendant cinq fois onze années, il fut pasteur du bercail d'Ouche pendant trente-trois ans. Il admit au noviciat quatre-vingt-dix moines, et leur enseigna à se soumettre au joug rigide de la règle. Toujours simple, doux, et brillant du zèle de la bonté, ceux qu'il instruisit par ses discours, il les soutint par de bons exemples. Enfin, accablé par la vieillesse, il déposa ses membres dans la terre quand Janus eut terminé sa douzième journée. Monarque plein de bonté, effacez les fautes de Roger; donnez-lui les joies de la lumière; je vous prie que maintenant il repose en paix comme il en fut l'ami.»

 

 

XVII. Novae in Henricum regem rebelliones.

Anno ab Incarnatione Domini 1122, indictione X, iterum malignitatis spiritu redivivus bellorum turbo exoritur, et vesanis caedibus bestialiter exagitatis humanus cruor flebiliter effunditur. Pessima Erynnis, inventa sibi sede in cordibus pestilentum, debacchatur, et rursus homines in sui suorumque perniciem insurgere intendit et hortatur. Inquieti enim pace populique quiete contristantur, et ipsi, dum aliorum fastus pessundare conantur, justo Dei judicio, suis plerumque missilibus enecantur. Vere caeci et vecordes sunt qui bella in pace cupiunt, qui miseriam in beatitudine ut sitiens potum perquirunt, et bonum, quandiu habuerint, quid sit nesciunt; quod cum amiserit, summopere requirunt; sed, aerumnis afflicti, expiscantes reperire nequeunt. Unde pro irrecuperabili damno lugubres fiunt, et inconsolabiliter flebunt.

Plures itaque, cernentes quod legitimus haeres Henrici regis occubuerit, et ipse rex, in senium vergens, legitima prole caruerit, Guillelmum, nepotem ejus, toto amore complectuntur, et ad ipsum sublimandum totis nisibus convertuntur. Ipse rex filios Rodberti, comitis Mellenti, quem multum dilexerat et a quo ipse in primordio regni sui admodum adjutus et consolatus fuerat, post mortem patris ut propriam sobolem dulciter educavit, geminisque pubescentibus, Gualeranno et Rodberto, arma militaria dedit. Gualerannus quippe totum citra mare possedit patris sui patrimonium; in Gallia scilicet Mellenti consulatum, in Neustria vero Bellum-Montem, eique subjacens patrimonium. Porro frater ejus Rodbertus, in Anglia comitatum Legrecestrae habuit; cui rex Amiciam, Radulfi de Guader filiam, quae Richardo, filio ejus, pacta fuerat, donavit, et Britolium cum subjacentibus fundis adjecit.

Idem rex Mathildem, nurum suam, cum summa dulcedine coluit, et in Anglia, quandiu ipsa voluit, cum honore maximo detinuit. Verum, post aliquot annos, ipsa parentes suos videre desiderans, Andegavem adiit, ibique, natalis soli amore innexa, aliquantulum deguit. Tandem, instinctu Goisfredi, Carnotensis episcopi, post decem annos desponsationis suae saeculum reliquit, et sanctimonialis in coenobio Fontis-Ebraldi conelesti sponso libera inhaeret ac deservit. Haec, ut dictum est, duodenis, ut reor, adolescentulo in aestate nupsit, et nondum sex mensibus expletis, imberbis maritus naufragio periit. Benevolus vero rex illam quasi filiam suam enutrivit, eamque diutius penes se custodivit, ut sublimi potentique marito copularet, ac super omnem parentelam suam divitiis et honoribus sublimaret. Verum meliori consilio usa est, quae coelesti sponso, Dei Virginisque Filio, connexa est. Erat enim prudens et pulchra, eloquens et bene morigerata, multisque decenter honestatibus redimita. Cujus in bonis utinam consummatio sit hominibus optabilis, et Deo placita!

Eodem tempore, Amalricus, Ebroicensis comes, animi nimiam amaritudinem gerebat quod praepositos atque gravaringos in terra sua nimium furere videbat. Insolitas enim exactiones imponebant, ac pro libitu suo judicia pervertebant; summis et mediocribus multas gravedines inferebant; sed haec non sua virtute, imo timore regis et potestate, agitabant. Nam ipse, talium nescius, in Anglia demorabatur; ejus tamen metu militaris audacia comprimebatur, dolens quod tanta rabies gastaldorum super incolas grassaretur. Officiales mali praedonibus pejores sunt: pagenses nempe latrunculos, fugiendo seu divertendo, devitare possunt; versipelles vero bedellos nullatenus sine damno declinare queunt.

Animosus igitur Amalricus Fulconem, Andegavorum comitem, suum scilicet nepotem, expetiit, ipsumque persuasibilibus verbis commonuit ut Guillelmo, Rodberti ducis filio, Sibyllam, filiam suam, conjungeret, cujus probitas et pulchritudo ac summa ingenuitas imperio digna existeret. At ille avunculo suo facile acquievit, et accersito juvene cum paedagogis et pedisequis suis, natam ei suam pepigit, et cum eadem, donec haereditarium jus nancisceretur, Cenomannicum consulatum concessit. Deinde Amalricus omnes quoscunque potuit, ad consortium suae partis contraxit, multosque ad hoc, ut se levitas habet Nomannorum, faciles et pronos invenit.

Gualerannus itaque, comes Mellenti, et Guillelmus de Rolmara, Hugo de Monte-Forti et Hugo de Novo-Castello, Guillelmus Lupellus et Baldricus de Braio, Paganus de Gisortis, et plures alii fraudulenter mussitantes, clam prius consiliati sunt; sed paulo post in manifestam rebellionem, ad detrimentum sui, proruperunt. Gualerannus comes specimen tirocinii sui ardenter ostentare optavit; sed hoc sine dubio insipienter inchoavit, dum contra dominum nutritiumque suum rebellavit, et, inimicorum ejus adjutor, arma primum contra illum ferali dextra levavit. Tres quippe sorores suas, ut illae legaliter consolarentur, et ipse nihilominus in omnes undique contribules suos corroboraretur, tribus praecipuis dederat oppidanis, quibus homines et municipia, multaeque divitiae suppeditantur. Una scilicet data est Hugoni de Monte-Forti, et alia Hugoni de Novo-Castello, filio Gervasii, tertia vero Guillelmo Lupello, Ascelini filio, qui post mortem Rodberti Goelli, fratris sui, adeptus est cum toto patrimonio arcem de Ibreio.

Guillelmus de Rolmara terram matris suae, quam Rannulfus Bajocensis, vitricus suus, pro comitatu Cestrae regi reddiderat, repetiit, aliamque possessionem, Corviam nuncupatam, in Anglia requisivit. Sed postulanti rex non acquievit; imo injuriosa illi respondit. Iratus itaque juvenis protinus in Neustriam transfretavit, et opportuno tempore reperto, a rege recessit, multorumque adminiculo fretus, de Novo-Mercato guerram in Normannos acerrime exercuit. Biennio utique praedis et incendiis, hominumque capturis irae suae satisfecit, nec ab hujusmodi molimine cessavit, donec ei rex competenter satisfecit, et magnam partem juris quod poposcerat restituit.

Mense Septembri, Amalricus et Gualerannus, aliique quos supra memoravi ad Crucem Sancti Leudfredi convenerunt, ibique generalem conjurationem pariter fecerunt.

Clandestinae fraudes regem non latuerunt. Mense igitur Octobri rex ingentem militiam Rothomagi ascivit, et de urbe progressus Dominico, postquam comedit, ignorantibus cunctis quo ire vellet, vel quid meditaretur, Hugonem de Monte-Forti vocavit, sibique mox assistenti, ut munitionem castri Montis-Fortis sibi redderet, imperavit. At ille, quia doli erat conscius, detecta fraude subito fit anxius, et, quid in tam brevi ageret articulo temporis nescius, annuit tandem jussis regalibus. Timebat enim quod, si renuisset, protinus vinculis subjacuisset. Rex autem amicos cum illo praemisit fideles, qui reciperent munitionum claves. Ille vero ut a conspectu regis elongatus evanuit, celeri dextrario currente vectus, in introitu silvae socios reliquit. Deinde per compendium quod melius noverat, illos praevenit, nec de equo descendit, sed fratri suo et uxori, aliisque clientibus castrum diligenter servare praecepit. « Rex, inquit, huc venit cum sua virtute; contra quem munitionem hanc fortiter tenete. » Inde festinus Brionnam convolavit, et relatis casibus Gualerannum comitem ad apertum certamen armavit. Redeuntibus autem amicis, qui se dolebant fraudibus Hugonis delusos, animosus rex cito jussit armari milites suos, et aggredi castrenses imparatos. In duobus primis diebus tota villa combusta est, et munitio usque ad arcem capta est. Rodbertus filius regis, et Nigellus de Albinneio magnum agmen de Constantino, aliisque provinciis adduxerunt, et Radulfus de Ganda, aliique obsessi crebris assultibus acriter intus molestati sunt. Denique, ut se omni conjuratorum auxilio destitutos viderunt, intra mensurnam obsidionem, saniori consilio potiti, pacem fecerunt, et in amicitia regis recepti, turrim ei reddiderunt. Inde rex Pontem-Aldemari adiit, et sex septimanis castrum viriliter obsedit.

Adelinae vero, quia Rodberti, de Mellento comitis, filia fuit, et filio ejus Gualeranno planam tellurem tali tenore rex concessit: si Hugo pacifice ad ipsum repedaret, sibique amodo fidelis et familiaris amicus existeret. Quod audiens, Hugo sprevit temere, et exhaeredatus maluit omnibus suis carere, quam  reconciliatus regi, a quo nutritus et sublimatus fuerat, feliciter inhaerere.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1122, l'esprit de perversité fit renaître la tempête des guerres, et le sang humain coula déplorablement dans des massacres insensés dignes des bêtes féroces. La criminelle Erynnis, ayant trouvé sa place dans les cœurs, déploya ses fureurs contagieuses, alluma les feux de la rage, et poussa les hommes à leur perte et à celle de leurs frères. Dans leur turbulence, les peuples s'affligèrent de la paix et du repos, et, tout en tâchant de renverser la puissance des autres, par un équitable jugement de Dieu, ils s'égorgèrent le plus souvent avec leurs propres armes. Véritablement, sans yeux et sans cœur sont ceux qui dans la paix desirent la guerre, qui dans le bonheur recherchent les calamités, comme la soif aspire au breuvage, et ne savent point apprécier le bien tant qu'ils le possèdent. Quand ils l'ont perdu, ils le réclament vivement; mais, affligés de misères, ils ne peuvent plus le retrouver malgré leurs recherches. Aussi, reconnaissant que leur perte est irréparable, ils s'affligent et pleurent inconsolables.

Ce fut dans de telles dispositions que plusieurs personnes voyant que le légitime héritier du roi Henri était mort, et que le monarque, tournant à la vieillesse, manquait d'enfans légitimes, s'attachèrent de toute leur affection à son neveu Guillaume Cliton, et firent tous leurs efforts pour l'élever au pouvoir. Après la mort de leur père, le Roi éleva avec bonté comme ses propres enfans, et, quand ils furent parvenus à l'adolescence, arma chevaliers Galeran et Robert, tous deux fils de Robert, comte de Meulan, qu'il avait beaucoup aimé, et duquel, au commencement de son règne, il avait reçu beaucoup de secours et de consolations. Galeran posséda tout le patrimoine de son père en deçà de la mer, savoir, en France, le comté de Meulan; en Normandie, Beaumont74 et les terres adjacentes. Son frère Robert eut en Angleterre le comté de Leicester; le Roi lui donna en mariage Amicie, fille de Raoul de Guader, qui avait été fiancée à son fils Richard, et ajouta à ces dons Breteuil avec les terres qui en dépendent.

Ce même monarque traita avec une grande douceur Mathilde sa bru, et la retint en Angleterre avec de grands honneurs tant qu'elle voulut y rester; mais, au bout de quelques années, desirant voir ses parens, elle se rendit à Angers, et y resta quelque temps fixée par l'amour du pays natal. Enfin, par l'inspiration de Goisfred, évêque de Chartres, elle quitta le siècle, et, devenue religieuse au couvent de Fontevrault, elle s'attacha en liberté à l'époux céleste, et elle le sert. Ainsi que je l'ai dit, je crois qu'elle avait douze ans quand elle épousa, dans l'été, le jeune Guillaume; et six mois n'étaient pas accomplis encore quand son époux imberbe périt dans le naufrage. Le Roi, plein de bonté, l'éleva comme sa propre fille, et la garda long-temps chez lui, afin de l'unir à un mari élevé et puissant, et de la porter au faîte des richesses et des honneurs au-dessus de tous ses parens; mais elle prit un meilleur parti, en s'unissant à l'époux céleste, fils de Dieu et d'une Vierge. Cette princesse était prudente et belle, éloquente et bien élevée, et distinguée convenablement par beaucoup de bonnes qualités. Puisse la bonne fin qu'elle a faite paraître desirable aux hommes et agréable à Dieu!

Dans le même temps, Amauri, comte d'Evreux, portait dans le cœur beaucoup de ressentiment de voir les prévôts, et d'autres officiers du Roi, exercer leurs fureurs sur ses terres. Ils imposaient des exactions extraordinaires, et, selon leur fantaisie, détournaient le cours de la justice; ils faisaient supporter beaucoup de vexations aux grands et aux gens de moyen état, commettant ces indignités, non par leur propre puissance, mais par la crainte qu'inspirait le Roi et en abusant de son pouvoir. En effet, ce prince, ignorant ces désordres, restait en Angleterre. La terreur qu'il inspirait étouffait les entreprises guerrières; mais il était cruel de voir que les peuples fussent livrés à la cupidité excessive des intendans. Les mauvais officiers sont pires que des brigands. En effet les paysans peuvent éviter les voleurs par la fuite ou le déplacement; mais ils ne peuvent sans perte se soustraire aux atteintes des perfides sergens.

L'emporté Amauri alla trouver Foulques, comte d'Anjou, son neveu; il l'engagea par des insinuations adroites à marier sa fille Sibylle à Guillaume, fils du duc Robert, dont la valeur, la bonté et la naissance illustre étaient dignes d'un empire. Foulques se rendit facilement aux insinuations de son oncle, et, ayant fait venir le jeune prince avec ses gouverneurs et ses domestiques, il lui accorda sa fille, et lui donna en dot le comté du Mans, jusqu'à ce qu'il obtînt son héritage. Ensuite Amauri attira dans son parti tous ceux qu'il put déterminer, et trouva beaucoup de personnes faciles, disposées à le seconder, conformément au caractère léger des Normands.

Galeran comte de Meulan, Guillaume de Roumare, Hugues de Montfort, Hugues de Neuf-Châtel, Guillaume Louvel, Baudri de Brai, Païen de Gisors, et plusieurs autres qui murmuraient avec perfidie, se concertèrent d'abord en cachette; mais, peu de temps après, pour leur perte, ils firent éclater ouvertement leur révolte. Le comte Galeran desirait ardemment faire ses premières armes; mais, sans nul doute, il débuta follement en se révoltant contre son seigneur, qui l'avait nourri, et en levant d'abord contre lui une main cruelle pour seconder ses ennemis. Afin de leur procurer légitimement les douceurs du mariage et pour se fortifier en même temps contre tous ses voisins, il avait marié ses trois sœurs à trois châtelains illustres qui étaient puissans par leurs vassaux, leurs places fortes et leurs richesses. L'une d'elles épousa Hugues de Montfort, une autre Hugues de Neuf-Châtel, fils de Gervais, la troisième Guillaume Louvel75, fils d'Ascelin, qui, après la mort de Robert-Goël son frère, acquit le château d'Ivri avec tout son patrimoine.

Guillaume de Roumare réclama la terre de sa mère que Raoul de Bayeux, son beau-père, avait rendue au Roi pour le comté de Chester; il demanda en outre en Angleterre une autre terre nommée Corby76. Le Roi ne lui accorda point sa demande, et lui répondit des choses outrageantes. Aussi ce jeune seigneur irrité passa soudain en Normandie, et, saisissant l'occasion favorable, quitta le parti du Roi, trouva beaucoup d'alliés, et, du sein de Neuf-Marché, fit cruellement la guerre aux Normands. Pendant deux ans, il fit éclater son ressentiment par le pillage, l'incendie et la prise des hommes; il ne cessa point ses entreprises jusqu'à ce que le Roi l'eût satisfait convenablement, et lui eût restitué une grande partie des biens qu'il avait demandés.

Au mois de septembre, Amauri, Galeran et quelques autres dont j'ai parlé ci-dessus, se réunirent à la croix Saint-Leufroi, et y ourdirent une conspiration générale.

Ces menées clandestines n'échappaient point au roi Henri. C'est pourquoi, dans le mois d'octobre, il rassembla une grande armée à Rouen; puis sortant de la ville le dimanche après son repas, comme tout le monde ignorait ses projets et l'objet de son voyage, il appela à lui Hugues de Montfort, qui se présenta aussitôt, et il lui ordonna de lui remettre son château77. Ce seigneur, qui était un des conjurés, voyant sa perfidie découverte, éprouva une prompte anxiété, et, fort incertain de ce qu'il devait faire dans un si court espace de temps, il se décida à obéir aux ordres du Roi, car il craignait que son refus ne le fît aussitôt charger de fers. Alors le Roi envoya en avant, avec Hugues, des amis fidèles pour recevoir les clefs de la place. Dès qu'il se vit loin de la présence de Henri, il poussa à toute bride son rapide dextrier, et abandonna ses compagnons à l'entrée de la forêt; puis, prenant un chemin plus court qu'il connaissait parfaitement, il les prévint, et, sans descendre de cheval, il ordonna à son frère, à sa femme et à ses gens de garder soigneusement le château. Le Roi, dit-il, vient ici en force; tenez bon contre lui.» De là il courut en toute hâte à Brionne, et, ayant raconté ce qui se passait, il fit prendre les armes au comte Galeran pour en venir ouvertement au combat. Au retour de ses amis, qui se plaignaient d'avoir été trompés par la perfidie de Hugues, le Roi irrité fit armer aussitôt ses chevaliers et attaquer la garnison avant qu'elle fût préparée. Dans les deux premiers jours, toute la ville fut brûlée, et la place fut prise jusqu'au château. Alors Robert78, fils du Roi, et Néel d'Aubigni, amenèrent beaucoup de troupes du Cotentin: c'est pourquoi Raoul de Guader et les autres assiégés eurent beaucoup à souffrir, en dedans, des assauts répétés qu'on leur livra. Enfin, se voyant privés de tout secours de la part des conjurés, et adoptant une meilleure résolution, avant un mois de siége, ils firent la paix, et, reçus en grâce par le Roi, ils lui remirent la tour. De là Henri se rendit à Pont-Audemer, dont il pressa vaillamment le château pendant six semaines.

Le Roi donna une plaine terre79 à Adeline, qui était fille de Robert comte de Meulan, et à son fils Galeran, à condition que, si Hugues faisait la paix avec lui, Galeran serait désormais pour lui un ami intime et fidèle. Hugues, ayant appris cette proposition, eut la témérité de la mépriser, et préféra être privé de tous ses biens par la confiscation, que de s'attacher heureusement par la réconciliation au prince qui l'avait élevé et comblé d'honneurs.

 

XVIII. Mors Serlonis Sagiensis.

Eodem mense [1123], venerandus Serlo, postquam Salariensem episcopatum XXXII annis rexit, VII Kalendas Novembris in ecclesia Sancti Gervasii, martyris, missam cantavit. Qua finita, clericis et ministris ecclesiae vocatis, dixit: « Aetate et debilitate frangor, finemque meum mihi jam imminere intueor. Domino Deo, qui me vobis sui vicarium praeposuit, vos commendo, ac ut pro me dignanter ei clementiam exoretis obsecro. Locus amodo sepulturae mihi praeparetur, quia tempus habitationis meae jam inter vos abbreviatur. » Deinde cum clero ad aram Sanctae Dei Genitricis Mariae perrexit, ibique ante aram pastorali cambuta spatium loculi designavit, et, orationibus ad Dominum fusis, cum aspergine aquae benedictae sepulcrum sanctificavit. Protinus operarii foveam ligonibus foderunt, humumque palis egesserunt. Coementarii vero, latomique sarcofagum martulis cavarunt, et omnem apparatum ambulanti et loquenti episcopo, quasi exanimis jam jaceret, in feretro coaptarunt.

In crastinum, feria VI, in basilicam venit. Missam quam frequentaverat, celebrare voluit; plus animi quam corporis viribus vigens, amictum super caput suum posuit; sed trementibus membris tam celebre servitium inchoare timuit. Capellano igitur id officium explere Guillelmo praecepit, missaque celebrata omnes canonicos accersivit: « Ante me, inquit, post prandium convenite, quia thesaurum, quem ad usus humanos congessi de redditibus Ecclesiae, ad ejusdem nihilominus utilitatem volo legaliter distrahere. Summopere cupio, adjuvante gratia Dei, devitare ne pars iniqua inveniat aliquid super me, unde in conspectu Domini mei jure possit accusare me. Nam, sicut nudus in hunc mundum intravi, sic me decet nudum egredi, ut merear Agni vestigia liber sectari, pro cujus amore omnia jam dudum gaudens mundana reliqui. »

Ad mensam hora nona praesul resedit; sed, supernis jam anhelans, de praesentibus nil comedit. Alios autem non avide manducantes, quos nimirum tristitia repleverit, pabulo doctrinae pascens ubertim instruxit, et semen verbi Dei, utpote affluens seminiverbius, largiter dispersit. Nullam, ut reor, elegantiorem Serlone, seu facundiorem Normannia prolem protulit. Statura enim erat mediocris, et omni decore spectabilis, prout humana species exigit, terrigenaeque qui multis repletur miseriis competit. In adolescentia vero rufus fuit, in juventute cito canuit, et ante obitum suum fere L annis niveus effulsit. Erat idem tam saecularium quam divinarum eruditione litterarum doctissimus, ac ad universa quae proponebantur respondere promptissimus. In malis pertinaci admodum erat austerus, sed cum fletu scelus suum confitenti clementissimus, et more pii patris erga languentem filium mitissimus. Multa de illo bona possem dicere; sed dicta mea nequeunt ab illo mortem removere. Fatigatus ad alia tendo, incoeptique libri ad calcem ducere glisco.

Surgere de mensa post refectionem paratis nuntius adfuit, qui cardinales Romanos, Petrum et Gregorium, adesse retulit. Vigilia quippe Sanctorum Apostolorum Simonis et Judae tunc agebatur. Mox praesul clericis et dispensatoribus suis dixit: « Velociter ite, et diligenter Romanis servite, abundanter eis omnia dantes quae necessaria sunt, quia legationem domini papae, qui post Deum universalis pater est, deferunt, ipsique, qualescunque sint, magistri nostri sunt. » Solers itaque senex in occursum eorum clientes suos destinavit, et ipse sine dolore seu manifesta aegritudine, ut solebat, in cathedra sedens solus remansit. Caeteri omnes, ut jusserat, cardinalibus occurrerunt, hospitio eos honorifice susceperunt, et omnimodis, ut decuit, juxta pontificis mandatum honoraverunt. Interea, dum illis competens obsequium exhibitum est, episcopus in cathedra sedens, quasi obdormisset, defunctus est. Deinde ministri, completis omnibus, ad seniorem suum redierunt; sed ipsum jam in sede sua defunctum lacrymabiliter planxerunt. In crastinum corpus in sepulcro, jam tertia die, ut dixi, praeparato, tumulatum est a Joanne, Lexoviensi episcopo, qui de obsidione Pontis-Aldemari a rege ad hoc agendum missus est.

Defuncto Serlone, Joannes juvenis, Harduini filius, nepos praefati Joannis, episcopatum adeptus est, qui sicut aetate junior, sic eruditione litterarum longe inferior praedecessore suo aestimandus est. Hic anno Dominicae Incarnationis 1124, post Pascha, consecratus est, officiumque pontificale in episcopatu Luxoviensi primum exercere jussu avunculi sui orsus est. Nam apud Ciseium, IV Nonas Maii, ecclesiam Sancti Albini dedicavit, et inde Uticum eadem die venit. Deinde III Nonas Maii, feria II, novum crucifixum benedixit, et aedem atque aram Sanctae Mariae Magdalenae dedicavit, quam Ernaldus, nobilis et antiquus coenobita, ex procuratione sua, fideliumque largitionibus aedificavit.

Regii satellites, ut subitam mortem praefati, ut dictum est, flaminis audierunt, de munitione quam servabant, ceu corvi ad cadaver, statim accurrerunt. Thesaurum vero et quaeque in episcopio reperta sunt, ecclesiis seu pauperibus nihil erogantes, in fiscum regis omnia transtulerunt. Porro ipse castrum hostile tunc obsidebat, et plures eorum qui sibi ut familiares asseclae blandiebantur, suspectos habebat, et cognitis illorum fraudibus occultis, infidos revera censebat. Ludovicus Silvanectensis et Harcherius, regis Franciae coquus et miles insignis, Simon Trenel de Pexeio, et Lucas de Barra, aliique saevi pugnatores intus erant, multisque modis obsidentibus resistebant. Rex autem totam villam, quae maxima et ditissima erat, concremavit, et castrum acriter impugnavit. Ipse profecto solerter omnia providebat, ut juvenis tiro ubique discurrebat, et vivaciter agendis rebus insistens cunctos animabat. Carpentarios berfredum facientes docebat, in operibus defectivos improperiis subsannando redarguebat, et strenue agentes laudando ad majora ciebat. Tandem machinas erexit, crebris assultibus castrenses laesit, et usque ad deditionem coercuit. Ludovicus autem et Radulfus Durandi filius, et complices eorum cum victore pacem fecerunt, redditaque munitione, omnes cum rebus suis salvi abire permissi sunt, et quidam eorum Bellum-Montem, ubi comes erat, cum Francis abierunt.

Illic Simon de Parrona et Simon de Nealpha, Guido cognomento Malus-Vicinus et Petrus de Manlia nepos ejus, Guillelmus quoque Aculeus, aliique fere CC pugiles de Francia, comiti militabant, ad imperium ejus per collimitanea rura discurrebant, et ingentia damna rapinis et incendiis fautoribus regis inferebant. Ipsa die qua praefatum castrum redditum est, triste nefas alibi actum regi relatum est. Bellicis enim dum idem, ut dictum est, occupationibus circa Rizelam detineretur, perjurorum fraus eirca Eptam hujuscemodi factionem machinabatur.

Dans le même mois, le vénérable Serlon, après avoir gouverné trente-deux ans l'évêché de Séès, chanta une messe dans l'église de saint Thomas martyr, le 7 des calendes de novembre (26 octobre). Quand elle fut finie, il appela les clercs et les ministres de l'Eglise, et leur parla en ces termes: «Je suis brisé par l'âge et l'affaiblissement, et je m'aperçois que je touche de près au terme de ma carrière. Je vous recommande au Seigneur mon Dieu, qui m'a fait son vicaire auprès de vous, et je vous prie d'implorer dignement pour moi sa clémence. Maintenant il faut préparer le lieu de ma sépulture, parce que le temps de mon séjour parmi vous n'a plus qu'une courte durée.» Il se rendit ensuite avec le clergé à l'autel de Sainte-Marie mère de Dieu: c'est là que devant cet autel même il désigna avec sa crosse pastorale l'espace du tombeau; puis, ayant adressé au Seigneur ses prières, il sanctifia le sépulcre en l'aspergeant d'eau bénite. Aussitôt les ouvriers ouvrirent une fosse avec des pioches, et jetèrent la terre avec des pelles. Cependant les maçons et les tailleurs de pierre creusèrent un sarcophage avec leurs marteaux, pour ce prélat qui marchait et parlait encore, et ils disposèrent la tombe comme s'il eût été déjà étendu sans vie.

Le lendemain, vendredi, Serlon se rendit à la basilique; il voulut célébrer la messe comme à son ordinaire, et, plus fort de courage que de corps, il passa l'amict au dessus de sa tête; mais, comme ses membres tremblaient, il craignit de ne pouvoir commencer un si saint office. Il ordonna au chapelain Guillaume de célébrer la messe. Quand il eut fini, il manda tous les chanoines et leur dit: «Réunissez-vous auprès de moi après le dîner, parce que je veux légalement employer, pour l'avantage de l'église, le trésor que j'ai amassé de ses revenus, pour des usages temporels. Je desire vivement, avec l'aide de la grâce de Dieu, éviter que des ennemis ne trouvent sur moi quelque chose qui puisse servir à m'accuser justement en présence du Seigneur. En effet, comme je suis entré nu dans ce monde, il convient que j'en sorte nu, afin de mériter de suivre librement les traces de l'agneau, pour l'amour duquel j'ai dès long-temps, avec joie, renoncé à toutes les choses mondaines.»

A neuf heures, le prélat se mit à table; mais, aspirant déjà aux choses célestes, il ne mangea rien de ce qui était devant lui. Comme les convives mangeaient sans avidité, parce qu'ils étaient remplis d'une profonde tristesse, il les instruisit abondamment en les nourrissant du pain de la doctrine, et, comme il était éloquent et fécond, il leur distribua largement la semence de la parole divine. La Normandie, à ce que je crois, n'eut jamais d'enfant plus élégant et plus éloquent que Serlon. Il était d'une médiocre stature, agréable dans toutes ses manières, autant que l'exige l'humaine beauté, et qu'il convient à un mortel que tant de misères accablent. D'abord roux dans son adolescence, il blanchit promptement dès sa jeunesse, et, avant sa mort, pendant près de cinquante ans, il brilla de l'éclat de la neige. Très-instruit dans les lettres tant séculières que divines, il était toujours disposé à répondre à tout ce qu'on lui proposait. Ceux qui persistaient dans le mal le trouvaient très-sévère; mais il prodiguait la clémence à celui qui, les larmes aux yeux, faisait l'aveu de son crime, et il était pour lui rempli de douceur, comme un tendre père envers son fils malade. Je pourrais dire beaucoup de bien de lui; mais je ne saurais, par mes paroles, éloigner de lui la mort qui va le frapper. Dans la fatigue que j'éprouve, je me porte vers d'autres objets, et je m'attache à conduire à sa fin le livre que j'ai commencé.

Comme on était prêt à quitter la table après le repas, il se présenta un domestique qui annonça la venue des cardinaux romains Pierre et Grégoire. On était alors à la veille de la fête des saints apôtres Simon et Jude. Aussitôt Serlon dit aux clercs et à ses principaux domestiques: «Allez promptement; servez avec soin les Romains, donnez-leur en abondance tout ce qui leur est nécessaire, parce qu'ils m'apportent un message de mon seigneur le pape, qui, après Dieu, est le père universel. Quels qu'ils soient, ils sont nos maîtres.» C'est ainsi que le vieillard attentif envoya ses gens à leur rencontre, et, comme il en avait l'usage, resta seul assis dans sa chaise, sans douleur et sans apparence de maladie. D'après ses ordres, tout le monde alla au devant des cardinaux; on leur offrit honorablement l'hospitalité, et on leur rendit tous les honneurs convenables, conformément au commandement du pontife. Cependant, comme on s'acquittait des devoirs que la circonstance exigeait, l'évêque, assis, mourut comme s'il se fût endormi. Les gens de Serlon, leur service terminé, retournèrent vers leur maître; mais l'ayant trouvé mort sur son siége, ils le plaignirent en pleurant amèrement. Le lendemain, son corps fut mis dans le tombeau, qui, comme je l'ai dit, était préparé depuis trois jours. Il reçut ce service de Jean, évêque de Lisieux, qu'à cet effet le Roi avait envoyé du siége de Pont-Audemer.

A la mort de Serlon, le jeune Jean, fils de Hardouin et neveu de l'évêque de Lisieux, obtint l'évêché de Séès. Comme il était moins avancé en âge, il l'était moins aussi en érudition que son prédécesseur. L'an de l'incarnation du Seigneur 1124, il fut consacré après Pâques, et, par l'ordre de son oncle, il commença à célébrer les offices pontificaux dans l'évêché de Lisieux. En effet, il dédia, le 4 des nones de mai (4 mai), l'église de Saint-Aubin à Cisei80, et de là se rendit le même jour à Ouche. Ensuite, le 3 des nones du même mois (5 mai), jour du lundi, il bénit le crucifix neuf, et dédia la chapelle et l'autel de Sainte-Marie-Madeleine, qu'Ernauld, noble et ancien cénobite, avait bâtie à ses frais et avec les largesses des fidèles.

Les satellites du Roi, ayant appris la mort subite du prélat dont nous venons de parler, quittèrent la place qu'ils gardaient, et, comme des corbeaux, accoururent vers le cadavre. Ils transportèrent au trésor du Roi celui de l'évêque et tout ce qui se trouva à l'évêché, sans rien donner aux églises ni aux pauvres. Le Roi assiégeait alors une place ennemie; il soupçonnait plusieurs de ceux qui, admis dans son intimité, lui prodiguaient les flatteries, et connaissant leurs perfides manœuvres, il les regardait à bon droit comme des hommes sans loyauté. Louis de Senlis, Harcher, grand-queux de France et chevalier distingué, Simon Teruel de Poissy, Luc de La Barre et quelques autres guerriers intrépides étaient dans la place, et la défendaient de toutes manières contre les assiégeans. Le Roi brûla toute la ville, qui était très-grande et très-riche, et attaqua vigoureusement le château. Il pourvoyait à toutes choses avec habileté, courait partout comme un jeune chevalier, et, pressant vivement l'action, encourageait chacun de ses soldats. Il enseignait aux charpentiers à construire un beffroi; il reprenait par des railleries ceux qui manquaient au travail, et par des louanges engageait à mieux faire encore ceux qui déjà faisaient bien. Enfin on dressa les machines. On livra aux assiégés des assauts fréquens et funestes pour eux, et on les força de se rendre. Alors Louis, Raoul, fils de Durand, et leurs compagnons, firent la paix avec le vainqueur. Ayant rendu la place, ils eurent la permission de se retirer en sûreté avec leurs bagages. Quelques uns d'eux allèrent, avec les Français, à Beaumont, où se trouvait le comte Galeran.

Simon de Péronne, Simon de Néaufle, Gui, surnommé Malvoisin, Pierre de Maulle son neveu, Guillaume L'Aiguillon, et près de deux cents autres chevaliers français combattaient pour le comte Galeran; d'après ses ordres ils faisaient des courses sur les terres du voisinage; et, par le pillage et l'incendie, occasionaient de grands dommages aux partisans du Roi. Le même jour où le château de Pont-Audemer se rendit, on fit connaître une action criminelle qui s'était passée ailleurs. Pendant que le Roi était retenu sur les bords de la Rîle par les occupations guerrières dont nous venons de parler, les parjures machinaient une sédition vers l'Epte.

XIX. Henricus, rebellibus et proditoribus flagellatis, Normanniam pacificat.

Placitum, feria secunda [1123], quando mercatus agitur, statutum fuit in domo Pagani de Gisortis, ad quod invitatus fuit Rodbertus de Candos, munio regii dangionis, ut a siccariis ibidem fraudulenter armatis repente inermis obtruncaretur, oppidumque protinus a latentibus cuneis totum undique invaderetur. Ipsa vero die, milites, turbis rusticorum et feminarum de circumjacentibus viculis ad forum properantium misti, burgum libere intraverunt, et a burgensibus, quibus plurimi olim noti erant, in eorum domibus simpliciter hospitio suscepti sunt, suique multitudine villam magna ex parte impleverunt. Tandem, hora proditionis, crebri nuntii Rodbertum commonebant ut festinaret; sed religiosa Isabel, uxor ejus, diu detinuit, ut de domesticis rebus tractaret. Hoc nimirum nutu Dei factum est. Rodberto itaque demorante, Baldricus ad placitum ultimus venit, aliisque adhuc tacite praestolantibus in armis, primus amictum projecit, et lorica indutus praepropere exclamavit: « Eia, milites, quod agendum est inite, et fortiter agite! » Protinus oppidanis proditio detecta est, et clamoso tumultu exorto, sibi propior ab hominibus Pagani porta violenter obtenta est. Cumque Rodbertus equum ascendisset, et proditionis ignarus ad forum venisset, armatos praedones villam depraedantes prospexit, terribilemque belli strepitum undique audivit, et perterritus ad asylum, unde nondum elongatus fuerat, quantocius confugit. Ibi tunc Amalricus comes, et nepos ejus Guillelmus Crispinus, cum suis coetibus, in montem contra munimentum armati ascenderunt, et minis plus quam factis terrere castrenses ausi sunt. Omnes pro certo qui ad hoc facinus innotuerunt, publici hostes et perjurio rei contra regem adjudicati sunt. Rodbertus autem ut eos de villa, quae munitissima erat, viribus suis ejici non posse consideravit, immisso igne proximas domos incendit, et flamma vorax, flante vento, totum burgum corripuit. Hostes itaque de septis villae projecit, et ab assultu munitionis fugavit. In tanta rerum confusione liberales et honesti burgenses Gisortis multum perdiderunt, et, consumptis domibus cum gazis, egestate attenuati sunt. Ecclesia quoque Sancti Gervasii, quam ante paucos annos Goisfredus archiepiscopus dedicaverat, combusta est.

Rex autem, ut rumores hujuscemodi audivit, de Ponte Aldemari cum exercitu suo Gisortis festinavit, ibique contra proditores suos, si reperiret eos, audacter praeliari optavit. Verum illi, ut triumphatorem, quem adhuc obsidione occupatum putabant, properare compererunt, cum timore et labore, multoque dedecore fugerunt. Deinde justitiarii regis Ebroicensem consulatum et omnes fundos proditorum invaserunt, et dominio regis mancipaverunt. Hugo, Pagani filius, cum Stephano, Moritolii consule, tunc erat, patrisque sui facinorum nescius, regi serviebat. Rex ergo ille paternum honorem concessit, perjurumque senem penitus cum Herveio, filio suo, exhaeredavit. Exinde foedus, quod papa nudius tertius inter reges pepigerat, ruptum est, et rediviva guerra feraliter inardescens utrobique exorta est. Tunc hiems pluvialis erat. Rex autem plebium labores et anxietates discretus consideravit, eisque, ne nimis fatigati more jumentorum prae nimio labore fatiscentium deficerent, pepercit. Ergo, postquam duo munitissima cum subjacentibus fundis oppida, Pontem Aldemari et Montem Fortem obtinuit, in Adventu Domini populos in pace quiescere jussit. Familias vero suas cum praecipuis ducibus per castella disposuit, eisque contra praedones tutelam provinciarum commisit. Nam Rannulfum Bajocensem constituit in Ebroarum turri, Henricum vero, Goisleni de Pomereto filium, ad Pontem-Altouci, et Odonem, cognomento Borleugum, ad praesidium Bernaici, aliosque probos athletas in aliis locis ad tutandam regionem contra incursiones inimici. Guillelmus quoque, filius Rodberti de Harulfi-Corte, regi adhaerens serviebat.

In subsequenti Quadragesima, Gualerannus comes confoederatos suos accersiit, ac nocte Dominicae Annuntiationis ad muniendam turrim de Guataevilla perrexit. Tres quippe sororios suos secum habuit, Hugonem de Novo-Castello filium Gervasii, et Hugonem de Monte-Forti, atque Guillelmum Lupellum, filium Ascelini Goelli. His omnibus comes Amalricus eminebat. Bellica cohors his ducibus victualia obsessis conduxit, munitionem quoque regis, quae arcem coarctabat, ex insperato mane impugnavit. Gualterium autem, filium Guillelmi de Gualicheri Villa, quem rex principem custodum constituerat, qui castrum super aggerem loricatus ad sepem stans acriter defendebat, ingeniosa manus uncis ferreis implicuit, irremissibiliter extraxit, captumque secum adduxit. Gualerannus comes duobus fratribus, in quibus confidebat, Herberto scilicet de Lexovio et Rogerio, cum VIII clientibus arcem commiserat. Tunc rura in circumitu devastavit, et quidquid ad cibum pertinebat, de domibus et ecclesiis rapuit, et in turrim pro subsidio custodum introduxit. Eadem etiam die, comes furibundus, ut spumans aper, Brotonam silvam intravit, et rusticos qui ligna in saltu praecidebant invenit, plurimos comprehendit, captos amputatis pedibus loripedes effecit, et sic almae festivitatis stemma temere, sed non impune, violavit.

Interea Rannulfus Bajocensis, qui Ebroicae turris munio erat, et copiosas hostium acies Guataevillam noctu isse per exploratores didicerat, continuo compares suos, Henricum et Odonem atque Guillelmum, impiger adiit, hostilem transitum eis notificavit, ac ut in reditu inimicis domini sui regium tramitem ferro calumniarentur, summopere persuasit. Illi autem cum subjectis centuriis gratanter acquieverunt, et prope Burgum Thuroldi speciose armati cum CCC militibus convenerunt, et in campo exeuntes de Brotona, et Bellum-Montem repetentes, VII Kalendas Aprilis praestolati sunt. Quos cum regii milites vidissent, et virtute, potentiaque sese sublimiores censuissent, tantae strenuitatis viros formidare coeperunt. Nonnulli tamen formidolosos corroborare ausi sunt; Odo siquidem Borleugus dixit: « Ecce adversarii regis per terram ejus debacchantur, et securi sunt, et unum de optimatibus ejus, cui defensionem regni sui commisit, captum abducunt. Quid faciemus? Nunquid illos impune depopulari totam regionem sinemus? Oportet ut pars nostrum ad pugnam descendat, et pedes dimicare contendat, et altera pars praeliatura equis insideat. Agmen quoque sagittariorum in prima fronte consistat, et hostilem cuneum, cornipedes vulnerando, retardare compellat. In hoc hodie campo cujusque pugilis audacia, vigorque palam apparebit. Si enim ignavia torpentes baronem regis ab hostibus duci vinctum sine ictu dimiserimus, quomodo ante vultum regis astare audebimus? Stipendia cum laude nostra merito perdemus, nec pane regio vesci ulterius, me judice, debemus. » Igitur omnes reliqui praeclari pugilis hortatu animati sunt, eique commilitones sui descendere cum suis annuerunt. Quod ille non recusavit, sed cum suis, a quibus valde diligebatur, pedes in armis conflictum hilariter exspectavit. Gualerannus, adolescens militiae cupidus, ubi adversarios vidit, quasi jam superasset eos, pueriliter tripudiavit. Sed Amalricus, aevo sensuque maturior, tam ipsi quam aliis minus providis bellum ita dissuasit: « Per omnes gentes! (sic enim jurabat Amalricus) laudo ut bellum devitemus. Nam si pauci cum pluribus dimicare praesumpserimus, timeo quod dedecus et damnum incurremus. Ecce Odo Borleugus cum suis descendit; scitote quia superare pertinaciter contendit. Bellicosus eques, jam cum suis pedes factus, non fugiet, sed morietur aut vincet. » Caeteri vero dixerunt: « Nonne jam dudum in planitie Anglis obviare desideravimus? En adsunt. Pugnemus, ne turpis fuga nobis improperetur et nostris haeredibus. Ecce militaris flos totius Galliae et Normanniae hic consistit. Et quis obstare nobis poterit? Absit ut hos pagenses et gregarios adeo metuamus, ut pro illis callem divertamus, aut cum ipsis praeliari dubitemus! »

Acies ergo suas ordinaverunt. In primis Gualerannus comes cum XL militibus ad eos properare voluit, sed a sagittariis equus illius sub eo sauciatus cecidit. In prima enim fronte XL architenentes caballos occiderunt, et antequam ferire possent, dejecti sunt. Comitum itaque pars cito contrita et in fugam conversa, arma et quaecunque onerabant reliquit, et quisque, prout potuit, fugae praesidio salutem suam tutavit. Ibi tunc Gualerannus consul, et duo Hugones, sororii ejus, et alii fere LXXX milites capti sunt, et in carcere regis, tenaci nexu constricti, temeritatis suae poenas diu lacrymabiliter luerunt.

Guillelmus de Grandi-Corte, filius Guillelmi Aucensis comitis, de familia regis probus eques, in hac pugna fuit, et Amalricum fugientem comprehendit. Sed viro tantae strenuitatis humana miseratione condoluit, verissime sciens quod si retineretur, de nexibus regis vix aut nunquam egrederetur. Elegit ergo, rege cum terra sua relicto, exsulare, quam egregium consulem inextricabilibus nodis nectere. Illum itaque usque ad Bellum-Montem conduxit, et extorris cum illo, ut ereptor ejus, in Francia honorabiliter permansit.

Guillelmus vero Lupellus, a quodam rustico captus, arma sua illi pro redemptione sui dedit, et ab eo tonsus instar armigeri, manu palum gestans, ad Sequanam confugit, et incognitus ad transitum fluminis pro naulo caligas suas nauclero impertivit, nudisque pedibus proprios lares revisit, gaudens quod de manu hostili utcunque prolapsus evaserit.

Rex autem, post Pascha [1124], judicium de reis, qui capti fuerant, Rothomagi tenuit, ibique Goisfredum de Torvilla et Odardum de Pino pro perjurii reatu oculis privavit. Lucam quoque de Barra pro derisoriis cantionibus et temerariis nisibus orbari luminibus imperavit. Tunc Carolus, marchio Flandriae, qui Balduino juveni in ducatu successit, cum multis nobilibus curiae regis interfuit. Infaustorum quoque condemnationi pie condoluit, atque, caeteris audacior, ait: « Rem nostris ritibus inusitatam, domine rex, facis, qui milites bello captos in servitio domini sui debilitatione membrorum punis. » Cui respondit rex: « Rem justam, domine consul, facio, et hoc manifesta ratione probabo. Goisfredus enim et Odardus consensu dominorum suorum legitimi homines mei fuerunt, perjuriique nefas ultro committentes, mihi fidem suam mentiti sunt, et idcirco nece seu privatione membrorum puniri meruerunt. Pro servanda, quam mihi juraverant, fidelitate, omnia potius quae in mundo habebant, debuissent deserere, quam ulli hominum contra jus aliquatenus inhaerere, fidemque suam nequiter prodendo, legalis heri foedus disrumpere. Lucas autem homagium mihi nunquam fecit; sed in castro Pontis Aldemari contra me nuper dimicavit. Ad postremum, pace facta, quidquid foris fecerat indulsi, et cum equis rebusque suis liberum abire permisi. At ille hostibus meis protinus adhaesit, redivivas, illis junctus, inimicitias in me agitavit, et pejora prioribus addidit. Quin etiam indecentes de me cantilenas facetus coraula composuit, ad injuriam mei palam cantavit, malevolosque mihi hostes ad cachinnos ita saepe provocavit. Nunc idcirco Deus illum mihi tradidit ut castigetur, ut a nefariis operibus cessare cogatur, aliique, dum temerarii ausus illius correptionem audierint, commode corrigantur. » His auditis, Flandriae dux conticuit, quia quid contra haec rationabiliter objiceret non habuit. Carnifices itaque jussa compleverunt. Porro Lucas ut aeternis in hac vita tenebris condemnatum se cognovit, miser, mori quam fuscatus vivere maluit, et lanistis perurgentibus, in quantum potuit, ad detrimentum sui obstitit. Tandem inter manus eorum parietibus et saxis, ut amens, caput suum illisit, et sic multis moerentibus, qui probitates ejus atque facetias noverant, miserabiliter animam extorsit.

Interea Morinus de Pino, dapifer comitis, castella ejus munivit, et ipse animosus omnes quos poterat, pertinaciter ad resistendum regi animavit. Rex autem fortis, magno congregato exercitu, mense Aprili, Brionnam obsedit, ibique duo castella continuo construxit, quibus hostes paulo post ad deditionem coegit. Illam nimirum pacem temeritas dementium fieri sine ingenti damno innocentum non pertulit, quia tota cum ecclesiis villa prius combusta fuit. Porro illi qui erant in arce de Guataevilla, reconciliati sunt regi, munitione reddita, quam rex principali disciplina humotenus dirui paulo post praecepit.

Denique rex, postquam omnia comitis municipia, praeter Bellum-Montem, sibi subjugavit, tunc consuli, qui vinctus erat, operum eventus suorum notificavit, atque per eosdem rumigerulos, ut sibi Bellum-Montem in pace reddi juberet, mandavit. Ille vero videns se puerilis levitatis frivola spe deceptum, et a fastigio pristinae potestatis merito perversitatis dejectum, metuensque, si magnanimus censor per quamlibet pervicaciam offenderetur, iterum sibi periculosius incumberet scandalum, missis fidelibus legatis, obnixe jussit Morino, procuratori rerum suarum, ut sine mora saepe memoratum castellum triumphatori subigeret sceptrigero Angligenarum. Tunc Morinus, licet sero, jussa quidem complevit, sed gratiam regis nullatenus impetrare potuit. Paedagogus enim adolescentis a rege ordinatus fuerat, eique rebellionis nequam consilium ultro suggesserat. Amisit opes quibus in Normannia nimis intumuerat, et elatus supra se, ambiens plus quam decebat, turbationem, multis insontibus nocituram, insolenter invexerat. Regali ergo censura de paterno cespite projectus, ad mortem usque in exteris exsulavit regionibus.

Rex itaque totam possessionem ditissimi consulis obtinuit in Neustria, ipsumque cum duobus sororiis suis arcta servavit custodia. Deinde post aliquod tempus ipsi tres in Angliam missi sunt, et comes atque Hugo filius Gervasii quinque annis in carcere coerciti sunt. Hugo autem de Monte-Forti jam XIII annis vinculatus gemuit, nec pro eo, quia sine occasione gravius offendit, aliquis amicorum ejus regem interpellare praesumit.

Benedictus Deus, qui cuncta bene disponit, qui salubrius quam ipsi optant mortalium cursus dirigit, et aequitatis examen in territorio Rubri-Monasterii pie contemplantibus demonstravit! Anno quippe Dominicae Incarnationis 1124 victoriam pacis amatoribus contulit, et temerarios proturbatores totius provinciae confudit, et complicum scelerosos conatus ipsorum impedimento celeri dissipavit. In illa enim septimana decreverant oppidani VII castellorum quae consita sunt in Lexovino vel Uticensi pago, in confinio scilicet ipsorum, ut se illis conjungerent ad detrimentum multorum. Hugo quippe de Plessicio jam Pontem-Erchenfredi dolose invaserat, et auxilium a confoederatis rebellibus fiducialiter exspectabat. Sic municipes Sappi, Benefactae et Orbecci, aliique plures prae timore placitum cum eis fecerunt, quoniam contra ingens robur eorum vires seu magnanimitatem defendendi se non habuerunt. Sed capitibus nequitiae, ut dictum est, conquassatis, conjurati sodales eorum siluerunt, et de consensu duntaxat perfidiae detegi coram justitiariis et jurisperitis admodum timuerunt. Tunc bissextilis erat annus, ac, sicut vulgo dici audivimus, super proditores revera corruit bissextus.

Paulatim viribus effetis, Amalricus et Lupellus, aliique hostes pacem regis procuraverunt, et Guillelmum exsulem, quem nullatenus juvare valebant, inviti deseruerunt. Tandem ipsi humiliter regi satisfecerunt, et amicitiam ejus, cum praeteritorum indulgentia reatuum, recuperaverunt, atque pristinos honores adepti sunt.

His rebus ita peractis, pactum Guillelmi Andegavensibus disruptum est, et ipse cum Helia, paedagogo suo, et Tirello de Maineriis, externa mappalia in magno metu et egestate pervagatus est. Longa et valida patrui sui brachia sibi formidanda erant, cujus potestas, seu divitiae, potentiaeque fama passim ab Occidente usque in Orientem pertingebant. Ad laborem puer ille natus est, a quo, dum advixit, nunquam bene liberatus est. Idem audax erat et superbus, pulcher ac ad militare facinus damnabiliter promptus, et deceptoria plus commendabat eum populis spes, quam sua virtus. In coenobiis monachorum seu clericorum, ubi solebat hospitari, superfluitate sua, licet extorris, plus erat oneri quam honori, innumerisque cohaerentibus illi, miseriae magis quam saluti. Multorum in illo errabat opinio, ut evidenter postmodum coelesti patuit, ut in calce hujus libelli veraciter declarabo.

Le lundi, à l'heure du marché, on établit l'audience dans la maison de Païen de Gisors, et on y invita Robert de Chandos, gouverneur du donjon royal, afin de l'y faire tuer sans défense par des assassins armés perfidement, et pour s'emparer aussitôt de la place au moyen de troupes adroitement cachées. Ce même jour, des soldats entrèrent librement dans la ville en se mêlant aux paysans et aux femmes qui, des villages voisins, se rendaient au marché; ils furent logés simplement par les bourgeois qui les connaissaient depuis long-temps, et par leur nombre considérable remplirent la ville en grande partie. Enfin l'heure de la trahison étant venue, de fréquens courriers avertirent Robert de se hâter; mais la pieuse Isabelle sa femme le retint longtemps pour s'occuper avec lui d'affaires domestiques. Ce retard arriva par la permission de Dieu. En effet, Robert étant resté chez lui, Raoul se rendit le dernier à l'audience, et pendant que les autres attendaient encore en armes, en gardant le silence, il jeta le premier son manteau, et, se montrant couvert de sa cuirasse, il cria vivement: «Allons, chevaliers, faites ce qui convient, et comportez-vous vaillamment.» Aussitôt les gens de la place connurent la trahison, et une grande clameur s'étant élevée, Baudri s'empara de vive force de la porte la plus prochaine que lui remirent les gens de Païen. Robert étant monté à cheval, et s'étant rendu au marché sans avoir connaissance de la trahison, découvrit des brigands armés qui pillaient la ville, et entendit de toutes parts de terribles bruits de guerre: saisi de crainte, il se réfugia au plus vite dans la forteresse dont il était encore peu éloigné. Alors le comte Amauri et son neveu Guillaume Crépin, avec leurs troupes, parvinrent en armes au haut d'une montagne opposée au château, et entreprirent d'effrayer les assiégés, beaucoup plus par leurs menaces que par leurs actions. Ceux qui se firent remarquer dans cette entreprise furent considérés comme ennemis publics, et coupables de parjure envers le Roi. Robert s'étant convaincu qu'il ne pouvait avec ses forces chasser ses ennemis de la ville, qui était très-fortifiée, mit le feu aux plus proches maisons qu'il brûla, et, secondée par le vent, la flamme dévorante embrâsa toute la place. C'est ainsi que Robert expulsa l'ennemi de l'intérieur de la ville, et l'empêcha de défendre les murailles. Dans une si grande confusion, les riches et honnêtes bourgeois de Gisors firent de grandes pertes. L'incendie de leurs habitations et de leur mobilier les réduisit à l'indigence. L'église même de Saint-Gervais, qui, peu d'années auparavant, avait été dédiée par l'archevêque Goisfred, fut réduite en cendres.

Le Roi ayant appris ces événemens, partit en hâte avec son armée de Pont-Audemer pour Gisors, pressé d'en venir aux mains avec ceux qui le trahissaient, s'il pouvait les rencontrer. Quand ceux-ci apprirent que le triomphateur, qu'ils croyaient encore occupé du siége, s'avançait vers eux, ils s'enfuirent avec beaucoup de crainte, de peine et de honte. Les officiers de justice du Roi se saisirent du comté d'Evreux et de toutes les terres des traîtres; ils les réunirent au domaine du Roi. Hugues, fils de Païen, était alors avec Etienne, comte de Mortain; il ignorait les attentats de son père, et servait le Roi. Ce monarque lui accorda les biens paternels, et dépouilla totalement le vieillard parjure ainsi que son fils Hervey. Ainsi le traité que, trois jours auparavant, le pape avait conclu entre les deux rois, fut rompu, et une nouvelle guerre se ralluma de toutes parts avec une ardeur cruelle. L'hiver était alors très-pluvieux. Dans cette circonstance, le Roi eut égard aux peines et aux inquiétudes des peuples; il les épargna, de peur qu'excédés de fatigue ils ne succombassent, ainsi que des bêtes de somme, à des travaux au-dessus de leurs forces. En conséquence, après s'être emparé des deux plus fortes places, Pont-Audemer et Montfort, avec les terres environnantes, le Roi fit reposer ses peuples en paix à l'époque de l'Avent. Ensuite il établit ses troupes avec les principaux chefs dans divers châteaux, et leur confia la défense du pays contre les brigands. Il plaça Raoul de Bayeux dans la tour d'Evreux, Henri, fils de Goislen du Pommeret, à Pont-Autou81, Odon, surnommé Borleng82, à la garde de Bernai, et plusieurs autres vaillans guerriers dans d'autres lieux pour mettre la contrée à l'abri des incursions de l'ennemi. Guillaume, fils de Robert de Harcourt, attaché au Roi, le servait fidèlement.

Pendant le Carême suivant, le comte Galeran réunit ses alliés, et, dans la nuit de l'Annonciation, il alla fortifier la tour de Vatteville83. Il avait avec lui ses trois beaux-frères, Hugues de Neufchâtel, fils de Gervais, Hugues de Montfort, et Guillaume Louvel, fils d'Ascelin Goël. Le comte Amauri l'emportait sur eux tous. Conduite par ces chefs, une troupe de soldats ravitailla la place assiégée, et attaqua à l'improviste de grand matin les retranchemens que le Roi avait fait faire pour la serrer de près. Comme Gautier, fils de Guillaume de Valliquerville, que le Roi avait mis à la tête des gardes, couvert de sa cuirasse et debout sur le retranchement, défendait vivement les palissades du camp, une main artificielle le saisit de ses crochets de fer, l'attira sans pitié, et l'amena prisonnier. Le comte Galeran avait remis la garde de cette tour à deux frères en qui il avait beaucoup de confiance, Herbert de Lisieux et Roger, avec huit autres de ses vassaux. Il dévasta les champs des environs, enleva des maisons et des églises toutes les subsistances qu'il y trouva, et les fit entrer dans la tour pour approvisionner la garnison. Le même jour, ce comte, furieux comme un sanglier écumant, entra dans la forêt de Brotone; il y trouva des paysans qui coupaient du bois, il en prit plusieurs, il les estropia en leur faisant couper les pieds, et viola ainsi avec témérité, mais non impunément, l'honneur de la sainte fête de l'Annonciation.

Cependant Raoul de Bayeux, qui était gouverneur du château d'Evreux, et qui apprit par ses espions qu'il était entré de nuit beaucoup d'ennemis dans la tour de Vatteville, alla sans tarder trouver ses amis Henri de Pommeret, Odon Borleng et Guillaume de Tancarville; il leur fit connaître le passage de l'ennemi, et mit beaucoup de zèle à leur persuader de s'opposer à son retour, en défendant le fer à la main la route royale. Ils acceptèrent avec empressement cette proposition avec les troupes dont ils disposaient; puis, bien armés, se rendirent avec trois cents chevaliers auprès de Bourgtheroulde, et, le 7 des calendes d'avril (26 mars), attendirent les ennemis en plein champ comme ils débouchaient de la forêt de Brotone pour regagner Beaumont. Quand les troupes royales découvrirent ces gens qu'elles crurent supérieurs à elles, elles commencèrent à redouter des hommes d'une si grande bravoure; quelques uns entreprirent de les rassurer; et Odon Borleng parla en ces termes: «Voici les ennemis du Roi qui exercent leurs fureurs sur ses terres; ils marchent avec sécurité, et emmènent prisonnier un des seigneurs auxquels il a confié la défense de son royaume. Que ferons-nous? Est-ce que nous leur permettrons de ravager impunément tout le pays? Il faut qu'une partie des nôtres descende pour livrer bataille et s'efforce de combattre à pied, tandis qu'une autre partie gardera ses chevaux pour marcher au combat. Que la troupe des archers occupe la première ligne et tâche d'arrêter le corps ennemi en tirant sur ses chevaux. La valeur et la vigueur de chaque combattant paraîtra à découvert aujourd'hui dans cette plaine. Si, engourdis par la lâcheté, nous laissons sans coup férir l'ennemi entraîner prisonnier un baron du Roi, comment oserons-nous soutenir les regards de ce monarque? Nous perdrons à bon droit notre solde et notre gloire, et je juge que nous ne devrons plus dorénavant manger le pain du Roi.» Tous les compagnons d'Odon encouragés par les exhortations de cet illustre chevalier, consentirent à mettre pied à terre avec les leurs, pourvu qu'il fût de la partie; il ne s'y refusa pas, et attendit gaîment à pied et en armes le moment de combattre, de concert avec ses gens dont il était vivement aimé. Le jeune Galeran, avide de gloire, en voyant l'ennemi, se livra à une joie puérile, comme s'il l'eût déjà vaincu. Mais Amauri, d'un âge et d'un sens plus mûrs, voulut engager les autres, moins prudens que lui, à éviter le combat. «Par toutes gens! dit Amauri, qui jurait ainsi, j'approuve fort que nous évitions d'en venir aux mains; car si nous avons l'audace, faibles que nous sommes, de combattre contre des forces supérieures, je crains que nous n'encourions bien des affronts et des pertes. Voici Odon Borleng qui descend avec les siens; sachez qu'il s'efforcera opiniâtrément de vaincre. Ce belliqueux chevalier, quoique devenu fantassin avec les siens, ne prendra pas la fuite, mais voudra vaincre ou mourir.» Ses compagnons répliquèrent: «Est-ce que depuis long-temps nous n'avons pas desiré nous trouver en présence des Anglais dans la plaine? Les voici devant nous. Combattons de peur qu'une honteuse fuite ne soit un sujet de reproche pour nous et pour nos descendans. Voici la fleur des chevaliers de toute la France et de la Normandie: qui pourrait nous résister? Loin de nous l'idée de craindre assez ces paysans et ces simples soldats pour qu'ils nous forcent à nous écarter de notre chemin, et pour que nous évitions le combat.»

En conséquence ils se rangèrent en bataille. D'abord le comte Galeran voulut marcher à l'ennemi avec quarante chevaliers; mais son cheval, blessé par les archers, s'abattit sous lui. Sur la première ligne, les archers tuèrent plusieurs chevaux, et beaucoup de combattans furent renversés avant de pouvoir se servir de leurs armes. Ainsi, le parti des comtes fut promptement écrasé. Chacun tourna le dos, jeta ses armes et tout ce qui le chargeait, et, autant qu'il put, chercha son salut dans la fuite. Là, le comte Galeran, les deux Hugues ses beaux-frères, et près de quatre-vingts chevaliers furent faits prisonniers, puis étroitement enchaînés ils expièrent longtemps, les larmes aux yeux, dans la prison du Roi, la témérité dont ils s'étaient rendus coupables.

Guillaume de Grandcour84, fils de Guillaume, comte d'Eu, preux chevalier des troupes royales, se trouva à ce combat et prit Amauri qui fuyait; mais, touché de commisération, il plaignit un homme d'une si grande bravoure, sachant très-bien que, s'il était fait prisonnier, il ne sortirait qu'avec peine, et peut-être jamais, des prisons de Henri. C'est pourquoi il aima mieux abandonner le Roi ainsi que ses propres terres et s'exiler, que de jeter dans des chaînes éternelles un comte si distingué. En conséquence il le conduisit jusqu'à Beaumont, et, se bannissant volontairement avec lui, il alla comme son sauveur vivre honorablement en France.

Guillaume Louvel fut fait prisonnier par un paysan; il lui donna ses armes pour sa rançon, et, s'étant fait tondre par lui comme un écuyer, il gagna la Seine en portant un bâton à la main. Arrivé inconnu au passage du fleuve, il donna ses bottines au batelier pour la traversée, et regagna pieds nus sa maison, se réjouissant d'avoir échappé, de quelque manière que ce fût, aux mains de ses ennemis.

Le roi Henri fit, après Pâques, juger à Rouen les criminels qui avaient été pris; il y fit arracher les yeux à Goisfred de Tourville et à Odard Du Pin, coupables de parjure. Il fit aussi arracher les yeux à Luc de La Barre, qui avait l'ait contre lui des chansons insultantes et tenté de téméraires entreprises. Alors Charles, comte de Flandre, qui avait succédé au jeune Baudouin, assista à la cour du Roi avec beaucoup de nobles personnages. Il s'affligea avec bonté de la condamnation de ces malheureux, et, plus hardi que les autres, il exprima sa pensée en ces termes: «Seigneur Roi, vous faites une chose inusitée chez nous, en punissant par la mutilation des chevaliers pris à la guerre au service de leur maître.» Le Roi lui fit cette réponse: «Seigneur comte, mon action est juste, et je vais vous le prouver clairement. En effet, Goisfred et Odard, du consentement de leurs seigneurs, sont devenus mes légitimes vassaux; en commettant volontairement le crime du parjure, ils ont trahi leur serment. C'est pourquoi ils ont mérité d'être punis de mort ou de mutilation. Pour conserver la foi qu'ils m'avaient jurée, ils eussent dû plutôt abandonner tout ce qu'ils avaient au monde que de s'attacher aucunement, contre le droit, à qui que ce fût, et de rompre leur engagement avec leur légitime seigneur, en trahissant méchamment leur foi. A la vérité Luc ne m'a jamais fait hommage; mais dernièrement il a combattu contre moi au siège de Pont-Audemer; la paix étant faite, je lui ai pardonné tous ses forfaits, et lui ai permis de se retirer en liberté avec ses chevaux et ses bagages. Aussitôt il s'est attaché à mes ennemis, et, réuni à eux, il a rallumé contre moi l'ardeur de la haine, et ajouté à ses crimes passes des crimes plus grands encore. De plus, ce chansonnier, qui fait le plaisant, a composé contre moi d'indécentes chansons qu'il chante publiquement pour m'outrager, et il fait souvent ainsi rire à mes dépens mes malveillans ennemis. En ce moment, Dieu lui-même me l'a livré pour que je le châtie, pour que je le force de renoncer à ses œuvres criminelles, et pour que son exemple serve d'utile correction à ceux qui apprendront la punition de ses téméraires entreprises.» A ces mots, le comte de Flandre se tut, parce qu'il n'avait aucune objection raisonnable à faire. Ainsi les bourreaux exécutèrent les ordres qu'ils avaient reçus. Luc, ayant appris qu'il était condamné à vivre dans d'éternelles ténèbres, aima mieux mourir misérablement que de vivre aveugle: il résista tant qu'il put aux efforts des bourreaux. Enfin, étant entre leurs mains, il se frappa la tête comme un fou contre les murailles et les pierres; et ainsi, au grand regret de beaucoup de personnes qui connaissaient ses prouesses et son enjoûment, il rendit l'ame d'une manière déplorable.

Cependant Morin Du Pin, sénéchal du comte de Meulan, fortifia ses châteaux, et, plein d'ardeur, engagea tous ceux qu'il put à résister opiniâtrément au Roi. Ce vaillant monarque, ayant rassemblé une grande armée, assiégea Brionne au mois d'avril; il y bâtit aussitôt deux châteaux au moyen desquels il força les ennemis à se rendre peu de temps après. La violence des insensés ne permit pas que cette paix se fît sans un grand préjudice pour les innocens, car toute la ville fut d'abord brûlée avec ses églises. Cependant ceux qui étaient enfermés dans la tour de Vatteville se réconcilièrent avec le Roi en rendant la place, que peu de temps après, par une mesure politique, il fit raser de fond en comble.

Enfin le roi Henri ayant soumis toutes les places du comte, à l'exception de Beaumont, fit connaître à ce seigneur, qui était dans les fers, quel était le résultat de ses victoires, et lui fit mander, par les mêmes porteurs de nouvelles, d'ordonner qu'on lui rendît Beaumont sans coup férir. Celui-ci, voyant qu'il avait été déçu par les frivoles espérances d'une jeunesse inconsidérée, et que ses mauvaises actions l'avaient précipité du faîte de son ancienne puissance, craignant d'ailleurs de s'exposer de nouveau à des malheurs plus rudes s'il offensait son magnanime ennemi par quelque acte d'opiniâtreté, envoya de fidèles délégués pour ordonner positivement à Morin, qui était chargé de ses affaires, de remettre sans délai le château de Beaumont au Roi victorieux. Alors Morin, quoiqu'il fût tard, remplit les ordres de son seigneur; mais il ne put en aucune manière obtenir les bonnes grâces de Henri. En effet, ce prince l'avait chargé de l'éducation du jeune comte, auquel il avait suggéré le pernicieux conseil de se révolter. Morin perdit les biens dont il s'était trop énorgueilli en Normandie, où, s'élevant au-dessus de son état, et portant l'ambition plus loin qu'il ne convenait, il avait eu l'insolence d'exciter des troubles funestes à beaucoup d'innocens. En conséquence, par décision du Roi, il fut chassé de la terre paternelle, et, jusqu'à la mort, resta en exil dans les contrées étrangères.

C'est ainsi que le Roi obtint toutes les possessions que ce riche comte avait dans la Normandie, et qu'il le retint avec ses deux beaux-frères dans une étroite prison. Ensuite ils furent, quelque temps après, envoyés en Angleterre, où le comte et Hugues, fils de Gervais, restèrent prisonniers pendant cinq ans. Quant à Hugues de Montfort, il gémit enchaîné depuis treize années, et aucun des amis du Roi n'ose solliciter en sa faveur, parce qu'il avait, sans motif, offensé gravement ce monarque.

Béni soit Dieu, qui dispose bien toutes choses, qui dirige la carrière des mortels plus sagement qu'ils ne le desirent eux-mêmes, et qui manifesta aux regards des hommes pieux le jugement de son équité dans le territoire de Rouge-Moutier85! En effet, l'an de l'incarnation du Seigneur 1124, Dieu donna la victoire aux amis de la paix, confondit les téméraires perturbateurs de toute la province, et, par une prompte répression, anéantit les coupables efforts des séditieux. Dans la même semaine, les châtelains de sept places fortes, situées dans le Lieuvin et le pays d'Ouche, par conséquent dans le voisinage des rebelles, avaient résolu de se joindre à eux pour la perte commune. Déjà Hugues du Plessis avait surpris le Pont-Echenfrei, et attendait avec confiance le secours de ses alliés. Les châtelains du Sap, de Bienfaite, d'Orbec et de plusieurs autres places avaient, par crainte, fait alliance avec eux, parce qu'ils n'avaient pas la force ou le courage de se défendre contre leur grande puissance. Les têtes de la révolte ayant été écrasées, comme nous l'avons dit, les conspirateurs gardèrent le silence, et redoutèrent vivement que les justiciers et les jurisconsultes ne découvrissent leur perfide conspiration. Cette année était bissextile, et, comme nous l'avons entendu dire vulgairement, le bissexte tomba en effet sur les traîtres.

Peu à peu voyant leurs forces s'affaiblir, Amauri et Louvel, ainsi que les autres rebelles, firent la paix avec le Roi, et, malgré eux, abandonnèrent dans son exil Guillaume-Cliton, qu'ils ne pouvaient plus secourir. Enfin ils satisfirent humblement au Roi, recouvrèrent son amitié avec le pardon de leurs fautes passées, et rentrèrent dans leurs anciens biens.

Ces choses terminées, le traité de Guillaume-Cliton avec les Angevins fut rompu: il alla errer dans la crainte et l'indigence au sein des chaumières étrangères avec Hélie son gouverneur et Tyrrel de Mainières85. Il avait à redouter la longueur et la force des bras de son oncle, dont la puissance, les richesses et la renommée s'étendaient partout, de l'Occident jusques en Orient. Ce jeune prince était né pour le malheur, dont il ne fut jamais complètement affranchi tant qu'il vécut. Il était vaillant et fier, beau et trop disposé aux entreprises guerrières, et il se recommandait plus aux peuples par des espérances illusoires que par un mérite certain. Par ses prodigalités, tout exilé qu'il était, il était plus à charge qu'il ne procurait d'honneur aux couvens de moines ainsi qu'aux clercs chez lesquels il avait coutume de loger, et, par sa nombreuse suite, il leur occasionait plus de misère que de sûreté. Beaucoup de gens étaient dans l'erreur sur son compte, ainsi que le Ciel le manifesta par la suite avec évidence, et que je le dirai avec véracité à la fin de ce livre.

 

 

 

XX. Rainaldus archiepiscopus Remensis. Honorius papa II. Caroli-Henrici imperatoris mors. Lotharius imperator eligitur.

In diebus illis, multorum principum mutationes factae sunt, quibus in locis eorum moderni subrogati sunt. Radulfus, cognomento Viridis, Remorum archiepiscopus, eruditione et facundia inter patres praecipuus, studiisque bonis nostro tempore laudabiliter deditus, pater et institutor monachorum et clericorum, patronus et defensor pauperum et omnium sibi subjectorum, post multa laudabilia opera in senectute bona defunctus est. Post quem Rainaldus, Andegavorum episcopus, in pluribus priori dispar, sedem adeptus est. Andegavensis vero ecclesiae regimen Ulgerius suscepit, cujus vita, religione et scientia cluens, populis lumen veritatis suggerit.

Anno ab Incarnatione Domini 1125, indictione III, Calixtus papa defunctus est, et Lambertus, Ostiensis episcopus, in papam Honorium assumptus est. Hic senex eruditissimus, et in observatione sacrae legis fervidus fuit, Ecclesiamque Romanam sex annis rexit. Eadem etiam septimana qua Calixtus papa hominem excessit, Gislebertus, Turonensis archiepiscopus, qui pro ecelesiasticis negotiis Romam perrexerat, illic obiit. Quod audientes Turonici, Ildebertum, Cenomanensem probatum praesulem, sibi asciverunt, et, Honorii papae permissu, gaudentes in Turonicae metropolis cathedram transtulerunt. Ibi fere VII annis honorifice vixit, et subjectis profecit. Cenomanis vero Guimarum Britonem episcopum consecravit.

Eodem anno, in hebdomada Pentecostes, Carolus Henricus quintus, imperator, mortuus est, et Spirae, metropoli Germaniae, sepultus est. Imperii vero insignia moriens Caesar imperatrici Mathildi dimisit, quibus postmodum, quia nulla soboles illi superfuit, Lotharius, dux Saxonum, generali plebis edicto intronizatus successit. Maguntinus enim archiepicopus, qui potentia et strenuitate pollebat, providentiaque sua ne schisma vel inordinata subreptio imperii fieret praecavebat, episcopos et proceres totius regni, cum exercitibus suis, convocavit; cum quibus una collectis, de imperatore constituendo tractavit. Insignia siquidem ab imperatrice procuraverat ornamenta imperii, antequam de tanto praesumpsisset negotio fari: « Excellentissimi, inquit, barones, qui assistitis in hac planitie, me, quaeso, solerter audite, et, prudenter intendentes, his quae dicam obedite. Pro commoditate omnium vestrum et plurimorum qui non adsunt, laboro, et nocte, dieque anxius cogito. Multis sermonibus hic modo non opus est. Bene nostis: imperator noster sine prole defunctus est, cui Deo fidelis et devotus, Ecclesiaeque filiis utillimus successor sapienter inquirendus est. Quadraginta igitur ex vobis sapientes et legitimi milites eligantur, et seorsum eant, ipsique secundum fidem suum et conscientiam optimum imperatorem eligant, qui merito virtutum imperio praeferatur, omnique populo sibi subjecto summopere patrocinetur! » Sic ab omnibus concessum est. Ibi nempe plus quam LX millia pugnatorum aderant, et, in diversa nitentes, exitum rei considerabant.

Denique spectabiles sophistae, qui de tot militibus segregati fuerunt, post diutinam collocutionem reversi, dixerunt: « Fredericum ducem Alemannorum, Henricum ducem Lotharingorum, et Lotharium ducem Saxonum laudamus, et honorabiles viros, imperioque dignos praedicamus. Hoc pro certo, non peculiari favore illecti, dicimus, sed universali salute perspecta, prout nobis visum est, asserimus. De his tribus quemcunque volueritis in nomine Domini sumite, quia omnes, ut jam dudum probatum est, laudabiles sunt personae, et merito strenuitatis toti mundo, ut arbitramur, praeponendae. »

His auditis, archiepiscopus dixit: « Vos gloriosi principes qui nominati estis, alacriter ite, et de vobis tribus unum eligite. Illi autem quemcunque elegeritis subjiciemur, in nomine Dei omnipotentis. Porro, si quis vestrum a communi discrepaverit edicto, decolletur continuo, ne per unius proterviam Christianorum perturbetur sancta concio. » Animosi praesulis rigida conditio cunctis formidabilis exstitit, nec in tanta multitudine quisquam contra praelatum mutire praesumpsit.

Igitur praetitulati duces seorsum abierunt, et, circumstante legionum corona, in medio constiterunt, seseque invicem contuentes aliquandiu siluerunt. Tandem binis silentibus, Henricus rupit silentium primus: « Quid hic, seniores, agimus? Nunquid huc directi sumus ut taciturnitati vacemus? Ingens negotium nobis injunctum est. Non ut taceremus, sed ut de maximo bono loqueremur, huc convenimus. Jam vestram satis loquelam exspectavi. Nunquid totum diem transigemus muti? De tractatu nobis injuncto cogitate, et quid vobis placuerit edicite. » Sociis annuentibus ut proferret quid sibi, qui senior erat, placeret: « Optimum, inquit, nunc decet nostrum esse consilium, quia modo ad nostrum tota Latinitas suspirat arbitrium. Oremus ergo Dominum Deum, qui Moysen Hebraeis praefecit, eique victoriosum successorem Josue revelavit, ut ipse clemens cooperator nobiscum sit, sicut fuit cum Samuele ad ungendum in regem David. » His ita dictis, generum suum elegit Lotharium. Porro tertius contradicere formidat, veritus sententiam quam archipraesul sanxerat. Deinde ad conventum reversi sunt. Henricus vero, diligenter intentus omnibus, dixit: « Lotharium ducem Saxonum, multis virtutibus adornatum, militia, justitiaque in sublimitate principali jamdiu probatum eligimus in regem Alemannorum, Lotharingorum, Teutonum et Bajoariorum, Langobardorum et omnium Italiae populorum, et in imperatorem Romanorum. » Ab omnibus auditum est, et a pluribus libenter concessum est.

Tunc primas et ordinator hujus collectae fuit, ut dixi, archiepiscopus Maguntiae. Qui mox jussit ut omnes summi proceres, antequam de illo campo migrarent, in conspectu omnium Lothario mox homagium facerent. Protinus gaudens Henricus, et moerens Fredericus, et omnes post illos praecipui magnates coram Lothario genua flexerunt, homagium illi fecerunt, eumque regem et augustum sibi praefecerunt.

Dissoluto conventu, exercitus Frederici super Lotharium irruit, ipsumque et plurimos de parte illius vulneravit, et terga vertentes fugavit. Fredericus enim armatorum fere XXX millia secum adduxerat, quia timore vel favore sese regem fore autumabat. Sed, quia probi pontificis ingenio praeventus, ut dictum est, velle suum perpetrare nequivit, per Conradum, fratrem suum, maximam postmodum guerram fecit. Lotharius tamen, auxiliante Deo, praevaluit, meritoque strenuitatis et religionis laudabilis jam X annis regnavit.

Anno ab Incarnatione Domini 1126, indictione IV, pontificalis basilica Sancti Gervasii, Mediolanensis martyris, apud Sagium XII Kalendas Aprilis dedicata est a domino Goisfredo, Rothomagensi archiepiscopo, et aliis quinque praesulibus. Ibi tunc Henricus rex Anglorum cum proceribus suis adfuit, et eidem ecclesiae redditus X librarum pro dote per singulos annos donavit. Ibi tunc interfuerunt Girardus Engolismensis episcopus, Romanae Ecclesiae legatus, Joannes Lexoviensis, Joannes Salariensis, Goisfredus Carnotensis, et Ulgerius Andegavensis.

Mense Octobri, basilica Sancti Petri apostoli in suburbio Rothomagi dedicata est, ubi corpus sancti Audoeni, archiepiscopi et confessoris, honeste conditum est.

Eodem anno, Guillelmus Pictavensis mortuus est. Guillelmus etiam dux Apuliae, filius Rogerii Bursae, sine filiis obiit, cujus ducatum Honorius papa dominio apostolicae sedis mancipare sategit. Verum Rogerius juvenis, Siciliae comes, econtra surrexit, et multa in exercitum papae certamina commisit, consobrinique sui principatum violentia militari vindicavit, et, homagio papae facto, usque in hodiernum diem possedit. Hic nimirum Rogerii senis, filii Tancredi de Alta-Villa, filius fuit, ac strenuae Adelaidis, quae Bonifacii marchisi potentis Italiae fuit, et, post prioris mariti, fratris scilicet Guiscardi, obitum, priori Balduino regi Jerusalem nupsit.

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A cette époque, il se fit beaucoup de changemens parmi les grands personnages, qui furent remplacés par d'autres plus jeunes. Raoul surnommé Le Vert, archevêque de Rheims, distingué au premier rang des docteurs, louablement attaché aux bonnes études, père et instituteur des moines et des clercs, patron et défenseur des pauvres, ainsi que de tous ses subordonnés, mourut dans une heureuse vieillesse après beaucoup d'œuvres dignes d'éloges. Rainauld, évêque d'Angers, lui succéda, et se montra en beaucoup de choses différent de son prédécesseur. Ulger prit le gouvernement de l'église d'Angers; sa vie fut brillante de religion et de science; il fournit à ses peuples la lumière de la vérité.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1125, le pape Calixte mourut, et Lambert, évêque d Ostie, lui succéda sous le nom d'Honorius. C'était un vieillard très-savant, plein de ferveur dans l'observation de la sainte loi: il gouverna l'Eglise romaine pendant six années. Dans la même semaine où le pape Calixte quitta la vie, Gislebert, archevêque de Tours, qui, pour les affaires ecclésiastiques, s'était rendu à Rome, y mourut. Les habitans de Tours ayant appris cet événement appelèrent à eux lldebert, évêque distingué du Mans, et, avec la permission du pape Honorius, ils le transférèrent avec joie sur le siége de leur métropole. Il y vécut honorablement pendant près de sept ans, rendit de grands services aux fidèles, et consacra le Breton Guiomar, évêque du Mans.

La même année, dans la semaine de la Pentecôte, l'empereur Charles-Henri V mourut, et fut inhumé à Spire, métropole de l'Allemagne. Ce prince remit, on mourant, sa couronne à l'impératrice Mathilde. Comme il n'eut point de postérité, Lothaire, duc des Saxons, porté au trône par un décret général du peuple, fut son successeur. L'archevêque de Mayence, qui excellait en puissance et en habileté, craignant avec prudence qu'il ne s'opérât un schisme ou une usurpation de l'Empire, convoqua les évêques et les grands de toute l'Allemagne avec leurs armées, et, quand il les eut réunis, il s'occupa avec eux de la nomination d'un empereur. L'impératrice lui avait fait passer les insignes impériaux avant qu'il osât parler d'une si grande affaire. «Très-excellens barons, dit-il, qui vous trouvez dans cette plaine, écoutez-moi avec attention, je vous prie, et conformez-vous avec prudence à ce que je vais vous dire. Je travaille pour l'avantage de vous tous et de beaucoup d'autres qui sont absens; nuit et jour j'y songe avec inquiétude. Il n'est pas ici besoin de beaucoup de discours. Vous le savez parfaitement, notre empereur est mort sans postérité: nous devons avec sagesse lui chercher un successeur qui soit fidèle et dévot à Dieu, et qui puisse rendre de très-grands services aux enfans de l'Eglise. Que quarante chevaliers prudens et loyaux soient élus entre vous; qu'ils se retirent en particulier, et que, selon leur foi et leur conscience, ils nomment empereur le plus digne, qui, par le mérite de ses vertus, sera élevé au trône, et protégera de tous ses efforts les peuples qui lui seront soumis.» Tout le monde se rangea à cet avis. Il se trouvait là plus de cinquante mille combattans qui, dans des vues différentes, attendaient le résultat de l'événement.

Enfin ces sages distingués, qui avaient été choisis parmi tant de milliers d'hommes, revinrent après un long entretien, et parlèrent en ces termes: «Nous n'avons que du bien à dire de Frédéric duc des Allemands, de Henri duc des Lorrains, et de Lothaire duc des Saxons. Nous les déclarons des personnages honorables et dignes de l'empire. Ce que nous en disons ici ne nous est certainement point dicté par une faveur particulière, mais nous l'affirmons en considérant le salut général autant qu'il nous a paru évident. Choisissez, au nom du Seigneur, celui de ces trois princes que vous voudrez, parce que tous, comme on l'a dès long-temps éprouvé, sont des hommes dignes d'éloges, et, à ce que nous croyons, propres à être offerts aux regards de tout le monde à cause de leur grand mérite.»

Après ce discours, l'archevêque parla ainsi: «Glorieux princes, vous qui venez d'être nommés, allez sans retard choisir l'un de vous trois. Quel que soit celui que vous élirez, nous lui serons soumis au nom du Dieu tout-puissant. Si quelqu'un de vous n'adopte pas la décision commune, qu'il ait aussitôt la tête tranchée, afin que la résistance d'un seul ne trouble pas cette sainte réunion de chrétiens.» La rigoureuse proposition du prélat effraya tout le monde, et, dans une si grande multitude, personne n'osa murmurer contre lui.

En conséquence, les trois ducs dont nous venons de parler se retirèrent à part, et s'arrêtèrent au milieu de l'armée dont les légions firent cercle autour d'eux; puis, s'entre-regardant, ils observèrent quelque temps le silence. Enfin, pendant que deux se taisaient, Henri, le premier, parla en ces termes: «Que faisons-nous ici, seigneurs? Est-ce que nous sommes envoyés ici pour rester silencieux? Une grande affaire nous est confiée. Nous nous réunissons, non pour nous taire, mais pour parler du bien général. J'ai déjà assez long-temps attendu que vous parliez. Resterons-nous muets toute la journée? Songez à ce qui nous est enjoint, et faites connaître ce qui vous plaira.» Ses deux collègues, consentant à ce que Henri, qui était le plus âgé, fît connaître ce qui lui convenait, il reprit en ces termes: «Il importe que notre décision soit sage, parce que toute la Chrétienté soupire après son résultat. Prions donc le Seigneur, qui mit Moïse à la tête des Hébreux, et lui fit connaître que Josué serait son victorieux successeur, afin que dans sa clémence il daigne nous seconder, comme il assista Samuel quand il donna à David l'onction royale.» A ces mots, il élut son gendre Lothaire. Le troisième craignit de s'y opposer, parce qu'il redoutait la sentence que l'archevêque avait rendue. Ils revinrent ensuite à l'assemblée. Henri, jetant les yeux sur tout le monde, s'exprima ainsi: «Nous faisons choix de Lothaire, duc actuel des Saxons, orné de beaucoup de vertus, éprouvé dès longtemps par les armes et par la justice dans le rang élevé de prince, pour être roi des Allemands, des Lorrains, des Teutons, des Bohémiens, des Lombards et de tous les peuples d'Italie, et pour être empereur des Romains.» Tout le monde entendit cette décision, et la plupart l'approuvèrent.

Le primat et l'auteur de cette réunion était, comme je l'ai dit, l'archevêque de Mayence. Il ordonna aussitôt que tous les princes, avant de quitter le champ d'élection, rendissent, en présence de tout le monde, foi et hommage à Lothaire. A l'instant, Henri plein de joie, Frédéric affligé, et après eux tous les principaux seigneurs, fléchirent le genou devant Lothaire, lui firent hommage, et le constituèrent roi et empereur.

L'assemblée s'étant dissoute, l'armée de Frédéric chargea Lothaire, le blessa lui-même, ainsi que plusieurs de son parti, et les mit en déroute. Frédéric avait amené avec lui près de trente mille hommes, parce qu'il se flattait d'obtenir la couronne, soit par la crainte, soit par la faveur; mais comme il ne put accomplir son dessein, parce qu'il fut prévenu par l'habileté du sage prélat, ainsi que nous l'avons dit, il engagea son frère Conrad à faire une guerre sanglante. Cependant, avec l'aide de Dieu, Lothaire l'emporta, et, méritant beaucoup d'éloges à cause de sa capacité et de sa piété, il régna pendant dix ans.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1126, la basilique pontificale de Saint-Gervais de Milan, martyr, fut dédiée à Séès, le 12 des calendes d'avril (21 mars), par le seigneur Goisfred, archevêque de Rouen, et par cinq autres prélats. Henri, roi des Anglais, s'y trouva avec sa cour, et donna a cette église pour sa dot un revenu annuel de dix livres. Les évêques Girard d'Angoulême, légat du Saint-Siége, Jean de Lisieux, Jean de Séès, Goisfred de Chartres et Ulger d'Angers assistèrent à cette cérémonie.

Au mois d'octobre, on dédia, dans un faubourg de Rouen, la basilique de l'apôtre saint Pierre, dans laquelle on renferma honorablement le corps de saint Ouen, archevêque et confesseur.

La même année, Guillaume de Poitiers mourut. Guillaume, duc de la Pouille, fils de Roger-la-Bourse, mourut sans enfans, et le pape Honorius chercha à réunir le duché au domaine du siége apostolique. Mais le jeune Roger, comte de Sicile, s'arma contre cette prétention, et livra plusieurs batailles aux troupes du pape. Il réclama à main armée la principauté de son cousin, et, ayant fait hommage au pape, il l'a possédée jusqu'à ce jour. Il était fils du vieux Roger, qui avait pour père Tancrède de Hauteville, et l'illustre Adélaïde, fille de Boniface, puissant marquis de Ligurie, laquelle, après la mort de son premier mari, qui était frère de Guiscard, épousa Baudouin Ier, roi de Jérusalem.

 

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(51) Muta-Putenam: id est, devincens meretricem.

(52)  Le Durdan, qui passe à Vittefleur.

(53) Belnaium: cette rivière, qui se jette dans la Saanne, prend sa source à Beaunai.

(54) Cette rivière s'unit à la Béthune, au-dessous d'Arques.

(55) Aujourd'hui la Béthune, ou rivière d'Arques.

(56) Eara.

(57Aujourd'hui la Bréle. C'est d'Aucum et d'Ou qu'est venu le nom actuel de la ville d'Eu. Aucum et Aucensis pagus (comté d'Eu) ont été fréquemment confondus avec l'Algensis pagus (le pays d'Auge) qui en est fort éloigné, et n'a jamais possédé le titre de comté.

(58) Romanorum domus.

(59) Rutubi portus.

(60Ces récits de César, de Rodomus, de Rutubus, sont sans aucun fondement.

(61) Arrondissement de Dieppe.

(62Gaël.

(63) Montfort-sur-Men.

(64) Harbaflot.

(65) Candida navis.

(66 Qui modère à son gré le courroux excessif et des flots et des airs.

(67 Arrondissement de Dieppe.

(68 De Chester.

(69) Ou Cave.

(70Souvent il arrive que la fin diffère du commencement.

(71) Sanctus Edmundus de Bedrici rure.

(72Burgum, Bargh ou Bury; peut-étre Banbury, à peu de distance de Chester.

(73Ces deux communes sont de l'arrondissement d'Argentan.

(74Beaumont-le-Roger.

(75Comte d'Ivri, fils d'Ascelin Goël de Bréherval, et d'une fille naturelle de Guillaume de Breteuil.

(76)  Corfia.

(77 Montfort-sur-Rile.

(78) Robert de Caen, comte de Glocester, et seigneur de Thorigni.

(79) Plana tellus; terres sans forêts.

(80) Arrondissement d'Argentan.

(81) Pons-Altouci.

(82) Borlengus ou Berlengus.

(83Guatevilla; Vatteville-en-Caux, arrondissement d'Yvetot.

(84 Arrondissement de Neuf-Châtel.

(85) Arrondissement de Pont-Audemer.

(86) Arrondissement de Neuf-Châtel.