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JORNANDÈS.

HISTOIRE DES GOTHS

(I - XXI   XXII - XL    XLI - FIN)

Ammien Marcellin, Jornandès, Frontin (les Stratagèmes), Végèce, Modestus: avec la traduction en français
 publ. sous la dir. de M. Nisard,...
Paris : Firmin-Didot, 1869

Vu la mauvaise qualité du texte latin repris sur la toile, j'ai repris celui de l'édition Nisard. (Ph. Remacle)



IORDANIS DE ORIGINE ACTIBUSQUE GETARUM

Volentem me parvo subvectum navigio, oram tranquilli litoris attringere, et minutos de priscorum, ut quidam ait, stagnis pisciculos legere, in altum, frater Castali, laxare vela compellis; relictoque opusculo, quod intra manus habeo, id est, De adbreviatione chronicorum, suades, ut nostris verbis duodecim Senatoris volumina (01) De origine actusque Getarum, ab olim et usque nunc per generationes regesque descendente, in unum et hoc parvo libello choartem. Dura satis imperia, et tamquam ab eo, qui pondus huius operis scire nollit, imposita. Nec illud aspicis, quod tenuis mihi est spiritus ad implendam eius tam magnificam dicendi tubam. Superat nos hoc pondus, quod nec facultas eorundem librorum nobis datur; quatenus eius sensui inserviamus. Sed, ut non mentiar, ad triduanam lectionem dispensatoris eius beneficio libros ipsos antehac relegi. Quorum, quamvis verba non recolo, sensus tamen, et res actas credo me integre retinere. Ad quos et ex nonnullis historiis graecis, ac Latinis addedi convenientia : initium, finemque, et plura in medio mea dictione permiscens. Quare sine contumelia quod exigisti, suscipe libens, libentissime lege: et si quid parum dictum est, et tu, ut vicinus genti, commemoras, adde. Ora pro me, frater carissime. 

HISTOIRE DES GOTHS,
PAR JORNANDÈS,
ÉVÊQUE DE RAVENNE.

ÉPÎTRE SERVANT DE PRÉFACE.

Mon désir, frère Castalius, était de faire aborder la petite barque qui me porte à un tranquille rivage, où je pusse, à mon choix, pêcher, comme le dit quelqu'un, de petits pois-sons dans les étangs des anciens, et voilà que vous me contraignez à faire voile vers la haute mer. Vous exigez de moi que j'interrompe le petit ouvrage auquel j'ai commencé à mettre la main, je veux dire mon Abrégé des chroniques, et que j'entreprenne de resserrer en un seul et court volume les douze livres du Sénateur, sur l'origine et l'histoire des Goths, en descendant de génération en génération, de roi en roi, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours: tâche suffisamment rude, et dont celui qui l'impose semble ne pas vouloir envisager le poids. Vous ne songez donc pas que j'ai bien peu de souffle pour emboucher la trompette d'un historien aussi éloquent. Et, pour aggraver encore la difficulté de l'entreprise, on ne nous laisse la faculté d'user de ces livres qu'à la condition de n'en point suivre littéralement le sens. A ne point mentir toutefois, j'ai préalablement passé jusqu'à trois jours à les relire ces livres, grâce à l'obligeance de l'intendant de l'auteur; et, bien que je n'en aie pas retenu les mots, je me flatte du moins d'en posséder parfaitement les pensées et le sujet. J'ai enrichi mon travail de quelques citations tirées des histoires grecques et latines qui s'y rapportaient. Enfin j'ai entremêlé au commencement, à la fin, et principalement au milieu de cet abrégé, plusieurs choses qui m'appartiennent. Ainsi donc ce livre que vous m'avez forcé d'écrire, sans que je me sois offensé de votre exigence, recevez-le avec bienveillance; avec plus de bienveillance encore puissiez-vous le lire! Que si vous y découvrez quelques omissions, vous qui vivez dans le voisinage des Goths, les faits vous sont présents, ajoutez-les. Priez pour moi, mon très-cher frère.

I. 

Maiores nostri, ut refert Orosius, totius terrae circulum Oceani limbo circumseptum, triquadrum statuere, eiusque tres partes, Asiam, Eoropam et Africam vocavere (02). De quo tripartito orbis terrarum spatio innumerabiles pene scriptores existunt, qui non solum urbium, locorumve positiones explanant; verum etiam, quod est liquidius, passuum miliariumque dimetiunt quantitatem. Insulas quoque marinis fluctibus intermixtas, tam maiores quam etiam minores, quas Cycladas, vel Sporadas cognominant, in immenso maris magni pelagu sitas determinant. Oceani vero intransmeabiles ulteriores fines non solum describere quis adgressus est, verum etiam nec cuiquam licuit transfretare : quia resistente ulva, et ventorum spiramine quiescente, impermeabilis esse senttantur, et nulli cogniti, nisi soli ei, qui eos constituit. Citerior vero eius pelagi ripa, quam diximus, totius mundi circulum in modum coronae ambiens, fines suos, curiosis hominibus, et qui de hac re scribere voluerunt, perquam innotuit : quia et terrae circulum ab incolis possidetur. Et nonnullae insulae in eodem mari habitabiles sunt, ut in Orientali plaga, et Indico oceano, Hippodes (03), Iamnesiam, sole perustae, quamvis inhabitabilem, tamen omnino sui spatio in longum latumque extensae: Taprobane (04) quoque, in qua exceptis oppidis, vel possessionibus, dicunt munitissimas urbes, decoram Sedaliam, omnino gratissimam Silestantinam, nec non Etheron (05), licet non ab aliquo scriptore dilucidas, tamen suis possessoribus affatim refertas. Habet in parte occidua idem Oceanus aliquantas insulas, et pene cunctas ob frequentiam euntium et redeuntium notas. Et sunt iuxta fretum Gaditanum haut procul; una Beata, et alia quae dicitur Fortunata, quamvis nonnulli et illa gemina Galliciae, et Lusitaniae promuntoria in Oceani insulis ponant.  In quorum uno templum Herculis, in alio monumentum adhuc conspicitur Scipionis (06) : tamen quia extremitatem Galiciae terrae continent, ad terram magnam Europae potius, quam ad Oceani pertinent insulas. Habet tamen et alias insulas interius in suo aestu, quae dicuntur Baleares, habetque et alia Mevaniam (07): nec non et Orcadas numero XXXIV. Quamvis non omnes excultas. Habet et in ultimo plagae occidentalis aliam insulam nomine Thylen, de qua Mantuanus 
... Tibi serviat ultima Thyle (08). 
Habet quoque hoc ipsum immensum pelagus in parte arctoa, id est, septentrionali, amplam insulam nomine Scanziam (09), unde nobis sermo, si Dominus iuverit, est assumendus : quia gens, cuius originem flagitas, ab huius iusulae gremio velut examen apum erumpens, in terram Europae advenit. Quomodo vero, aut qualiter, in subsequentibus, si Dominus donaverit, explanabimus.

CHAPITRE I.

Nos pères, au rapport d'Orose, divisèrent en trois parties toute la circonférence de la terre que l'Océan entoure, et les appelèrent Asie, Europe, et Afrique. Le rond de la terre dans ces trois divisions a été décrit par une quantité d'auteurs presque innombrable, qui font connaître, non-seulement la situation des villes et des contrées, mais, ce qui est encore plus exact, le nombre de pas et de milles dont leur étendue se compose; ils ont même poussé leurs recherches jusqu'à déterminer, à travers l'immensité de la mer, la position des îles entremêlées aux flots, tant grandes que petites, auxquelles ils ont donné les noms de Cyclades ou de Sporades. Quant aux dernières limites de l'infranchissable Océan, non seulement personne n'a tenté de les décrire, mais il n'a pas même été donné à qui que ce soit d'y pénétrer: on en a senti l'impossibilité, des plantes marines arrêtant les vaisseaux, et le souffle des vents manquant; aussi nul ne les connaît, que celui-là seul qui les a créées. En récompense, la terre étant habitée, les rivages situés en deçà de cette mer, laquelle, ainsi que nous l'avons dit, entoure le disque du monde comme une couronne, ont été parfaitement connus des hommes que leur curiosité a portés à écrire sur ce sujet. Il y a encore dans la même mer plusieurs îles habitables; par exemple, du côté de l'Orient et dans l'océan Indien, les Hippodes, la Jamnésie, brûlées par le soleil : celles-ci sont désertes, il est vrai, mais ne laissent pas d'avoir une étendue considérable en long et en large. Il y a aussi la Taprobane, où, sans parler des bourgs et des maisons de campagne, se trouvent, dit-on, des villes très fortes, la belle Sédalia, Silestantine au séjour enchanteur, Ethéron. Ces villes, bien qu'aucun auteur ne les ait décrites, n'en sont pas moins remplies d'une population nombreuse et née dans leur sein. Dans la partie occidentale, ce même océan contient pareillement quelques lies, presque toutes connues à cause de l'affluence des allants et venants. De ce nombre sont, après le détroit de Gadès et non loin de ce détroit, les deux îles dont l'une porte le nom d'Heureuse et l'autre de Fortunée. Quelques-uns même comptent parmi les îles de l'Océan les deux promontoires de la Gallicie et de la Lusitanie, sur l'un desquels on voit encore aujourd'hui un temple d'Hercule, et sur l'autre le monument de Scipion. Toutefois, comme ils tiennent à l'extrémité de la terre de Gallicie, ils font plutôt partie du grand continent de l'Europe que des îles de l'Océan. Quoi qu'il en soit, cette mer a au sein de ses flots d'autres îles encore, qui portent le nom de Baléares; elle a l'île Mévania, ainsi que les Orcades, au nombre de trente-quatre, mais non pas toutes habitées. Elle a aussi à son extrémité occidentale une autre île, du nom de Thylé, dont le poète de Mantoue a dit:
Que Thylé t'obéisse aux limites du monde.
Elle a enfin cette mer immense du côté de l'Ourse, c'est-à-dire au septentrion, une grande île qui se nomme Scanzia, dont il nous faudra parler, avec l'aide du Seigneur; car c'est du sein de cette île que la nation dont vous voulez tant connaître l'origine sortit comme un essaim d'abeilles pour faire irruption sur la terre d'Europe. Comment et pourquoi cela arriva-t-il? c'est ce qu'avec la grâce du Seigneur nous expliquerons dans la suite de cette histoire.

II. 

Nunc autem de Brittania insula, quae in sinu Oceani inter Hispanias, Gallias et Germaniam sita est, ut potuero, paucis absolvam. Cuius licet magnitudinem olim nemo, ut refert Livius (10), circumvectus est (11) : multis tamen data est varia opinio de ea loquendi. Quamdiu siquidem armis inaccensam Romanis, Iulius Caesar proeliis, ad gloriam tantum quaesitis, aperuit perviam : deinceps mercimoniis, aliasque ob causas, multis patefacta mortalibus, non indiligenti, quae secuta est, aetati, certius sui prodidit situm, quam, ut a graecis latinisque autoribus accepimus, persequimur. Triquetram (12) eam plures dixere, cono similem, inter septentrionalem occidentalemque plagam proiectam; uno, qui magnus est, angulo Rheni ostia spectantem : dehinc correpta latitudine obliqua retro abstractam in duos exire alios : geminoque latere longiorem Galliae praetendi, atque Germaniae. In duobus milibus trecentis decem stadiis latitudo eius, ubi patentior : longitudo non ultra septem milia centum triginta duo stadia fertur extendi : modo vero dumosa, modo silvestri iacere planicie, montibus etiam nonnullis increscere: mari tardo circumflua (13), quod nec remis facile impellentibus cedat, nec ventorum flatibus intumescat : quia remotae longius terrae causas motibus negant: quippe illic latius, quam usquam aequor extenditur. Refert autem Strabo, Grecorum nobilis scriptor, tantas illam exalare nebulas, madefacta humo Oceani crebris excursibus, ut subtectus sol per illam pene totum fediorem, qui serenus est, diem negetur aspectui; noctem quoque clariorem. In extrema eius parte Memma (14), quam Cornelius etiam annalium scriptor narrat, metallis plurimis cupiosam, herbis frequentem, et his feraciorem omnibus: quia pecora magis, quam homines alat. Labi vero per eam et multa quam maxima, relabique flumina, gemmas margaritasque volventia; Sylorum colorati vultus (15), torto plerique crine, et nigro nascuntur. Calydoniam vero incolentibus, rutilae cumae, corpora magna, sed fluida: Gallis, sive Hispanis a quibusque attenduntur assimiles. Unde coniectavere nonnulli, quod ea ex his accolas continuo vocatos acceperit : inculti aeque omnes populi, regesque populorum (16) : cunctis tamen in Calidoniorum metallum concessisse nominandi, auctor est Dio celeberrimus scriptor annalium. Virgeas habitant casas, communia tecta cum pecore, silvaeque illis saepe sunt domus. Ob decorem nescio (17), an aliam ob rem, ferro pingunt corpora. Bellum inter se aut imperii cupidine, aut amplificandi quae possident, saepius gerunt; non tantum equitatu vel pedite, verum etiam bigis, curribusque falcatis; quos more vulgari essedas vocant. Haec pauca de Brittaniae insulae forma dixisse sufficiat.

CHAPITRE II.

Maintenant je vais décrire, autant qu'il sera en moi, et en peu de mots, l'île de Bretagne, située au sein de l'Océan, entre les Espagnes, les Gaules et la Germanie. Quoique, selon Tite-Live, personne de son temps n'en eût encore fait le tour et n'en connût la grandeur, un grand nombre d'auteurs n'ont pas laissé d'émettre sur cette île diverses opinions, d'après lesquelles nous pouvons en parler. Que de temps n'était-elle pas restée fermée aux armes romaines, quand Jules César en ouvrit l'accès par des combats où il ne cherchait que la gloire! Plus tard, le commerce et d'autres causes y appelèrent grand nombre d'hommes; et l'âge suivant, par le soin qu'il mit à l'explorer, acquit sur ce pays des notions plus exactes. En voici la description telle que nous la trouvons dans les auteurs grecs et latins : elle est triangulaire, au dire de plusieurs, semblable à un cône ; elle s'étend en longueur du septentrion à l'occident; elle forme un grand angle en regard de l'embouchure du Rhin; ensuite sa largeur se rétrécit par une ligne qui rentre obliquement et revient sur elle-même pour pousser deux nouveaux angles. Deux de ces côtés font face l'un à la Gaule, l'autre à la Germanie. Sa plus grande largeur est, dit-on, de deux mille trois cent dix stades; sa longueur ne va pas au delà de sept mille cent trente-deux. C'est une plaine partie couverte de bois, partie de bruyères, où surgissent aussi quelques montagnes. Elle est entourée d'une mer paresseuse, qui cède difficilement à l'impulsion des rames et que soulève rarement le souffle des vents. Les terres sont si éloignées, que leur résistance ne cause aucune agitation aux flots : en effet, la mer s'étend plus loin en cet endroit que partout ailleurs. Strabon, célèbre écrivain grec, rapporte que cette île exhale des brouillards si épais, imbibée qu'elle est par les fréquentes irruptions de l'Océan, qu'ils obscurcissent la clarté ordinaire du soleil pendant presque tout le jour, et dérobent cet astre au regard ; mais que les nuits y sont plus claires. A son extrémité se trouve l'île de Memma, dont parle l'historien Tacite, riche en métaux, abondante en pâturages, et d'une fertilité plus propre à nourrir les troupeaux que les hommes. Des fleuves grands et nombreux la sillonnent en tous sens, et roulent des perles et des pierres précieuses. Parmi les habitants de la Grande-Bretagne, les Silures ont le teint brun ; ils naissent pour la plupart avec les cheveux noirs et bouclés; les Calédoniens, au contraire, ont les cheveux roux, de grands corps, mais mous. On leur trouve de la ressemblance avec les Gaulois ou les Espagnols : aussi quelques-uns ont- ils conjecturé que cette île avait eu de tout temps recours à ces nations pour se peupler. Ces peuples, les rois de ces peuples, tous sont également barbares. Dion, historien fort renommé, nous apprend que le nom qu'ils se donnent en commun est celui d'un métal de la Calédonie. Ils habitent des cabanes d'osier, pêle-mêle avec leurs trou-peaux; souvent même ils n'ont d'autre abri que les forêts. Je ne sais si c'est pour se parer, ou pour tout autre motif, qu'ils peignent leur corps à l'aide du fer. Ils se font souvent la guerre entre eux, soit par l'ambition de commander, soit pour accroître ce qu'ils possèdent. Ils combattent à cheval ou à pied, mais encore sur des chars à deux chevaux et sur des chariots armés de faux, qu'ils appellent essèdes en leur langue. Mais c'est assez parler de l'île de Bretagne.

III

Ad Scanziae insulae situm, quod superius reliquimus, redeamus. De hac etenim in secundo sui operis libro Claudius Ptolomaeus, orbis terrae discriptor egregius meminit, dicens: Est in Oceani arctoo salo posita insula magna, nomine Scanzia, in modum folii cedri, lateribus pandis, per longum ducta concludens se; eius ripas influit Oceanus. Haec a fronte posita est Vistulae fluvii, qui Sarmaticis montibus ortus, in conspectu Scanziae septentrionali Oceano trisulcus illabitur, Germaniam, Scythiamque disterminans. Haec ergo habet ab Oriente vastissimum lacum, in orbis terrae gremio : unde Vagi fluvius, velut quodam ventre generatus (18), in Oceanum undosus evolvitur. Ab occidente namque immenso pelago circumdatur : a Septentrione quoque innavigabili eodem vastissimo concluditur Oceano; ex quo quasi quodam brachio exeunte, sinu distento, Germanicum mare (19) efficitur. Hic gentes, quae carnibus tantum vivunt : ibi etiam parvae, sed plures perhibentur insulae esse dispositae; ad quas si congelato mari ob nimium frigus lupi transierint, luminibus feruntur orbari : ita non solum inhospitalis hominibus, verum etiam belluis terra crudelis est. In Scanzia vero insula, unde nobis sermo est, licet multae, et diversae maneant nationes : septem tamen eorum nomina meminit Ptolemaeus (20). Apium ibi turba mellifica ob nimium frigus nusquam repperitur. In cuius parte arctoa gens Adogit (21) consistit, quae fertur in aestate media quadraginta diebus, et noctibus luces habere continuas : itemque brumali tempore, eodem dierum noctiumque numero lucem claram nescire. Ita alternato maerore cum gaudio, benificio aliis, damnoque impar est; et hoc quare? Quia prolixioribus diebus solem ad Orientem per axis marginem vident redeuntem : brevioribus vero non sic conspicitur apud illos, sed aliter; quia Austrina signa percurrit, et qui nobis videtur sol ab imo surgere, illis per terrae marginem dicitur circuire, Aliae vero ibi sunt gentes Crefennae (22), qui frumentorum non queritant victum, sed camibus ferarum atque avium vivunt : ubi tanta paludibus foetura ponitur, ut et augmentum praestent generi, et satietatem ad copiam genti. Alia vero gens ibi moratur Suethans (23), quae velud Thuringi equis utuntur eximiis. Hi quoque sunt, qui in usus Romanornm Saphrinas pelles, commercio interveniente, per alias innumeras gentes transmittunt, famosi pellium decora nigredine. Hi quom inopes vivunt, ditissime vestiuntur. Sequitur deinde diversarum turba nationum, Theustes, Vagoth, Bergio, Hallin, Liothida (24), quorum omnium sedes sub humo plana ac fertili, et propterea inibi aliarum gentium incursionibus infestantur. Post hos Athelnil, Finnaithae, Fervir, Gauthigoth (25), acre hominum genus, et at bella prumtissimum. Dehinc mixti Evagrae, Othingis (26). Hi omnes excisis rupibus, quasi castellis inhabitant, ritu belluino. Sunt et his exteriores Ostrogothae, Raumaricae, Raugnaricii, Finni (27) mitissimi, Scanziae cultoribus omnibus mitiores; nec non et pares eorum Vinoviloth; Suethidi, Cogeni in hac gente reliquis corpore eminentiores, quamvis et Dani (28) ex ipsorum stirpe progressi, Erulos propriis sedibus expulerunt (29) : qui inter omnes Scanziae nationes nomen sibi ob nimiam proceritatem affectant praecipuum. Sunt quamquam et horum positura Grannii, Aganziae, Unixae, Ethelrugi, Arochiranni (30), quibus non ante omnes, sed ante multos annos Rodulf rex fuit, qui contempto proprio regno, ad Theodorici Gothorum regis gremio convolavit et, ut desiderabat, invenit. Hae itaque gentes Romanis corpore, et animo grandiores, infestae saevitia pugnae.

CHAPITRE III.

Revenons à l'île Scanzia, que nous avons tantôt abandonnée. C'est d'elle que fait mention, au second livre de son ouvrage, l'illustre géographe Claudius Ptolémée, quand il dit: " Il y a dans l'Océan du nord une grande île qui s'appelle Scanzia ; elle figure la feuille du cèdre; ses côtes se prolongent au loin, et puis se resserrent pour l'enclore; l'Océan s'introduit sur ses rivages. Elle est située vis-à-vis le fleuve de la Vistule, qui sort des montagnes de la Sarmatie, et qui, en regard de l'île Scanzia, se jette dans l'Océan septentrional par trois embouchures séparant la Germanie de la Scythie. A l'orient, au sein des terres, cette île a un lac fort vaste; c'est de ce lac, comme d'un ventre, que sort le fleuve Vagi, qui roule à grands flots vers l'Océan. A l'occident, elle est entourée d'une mer immense. Au septentrion, elle est bornée pareillement par cet Océan infini sur lequel on n'a jamais navigué, et d'où se détache, comme une sorte de bras, le vaste bassin de la mer Germanique. Là sont des nations qui ne vivent que de chair. Là se trouve encore, à ce qu'on raconte, un groupe de petites îles où les loups, assure-t-on, perdent la vue, s'ils viennent à y passer quand la mer est gelée par les froids excessifs de l'hiver. Ainsi cette terre est non seulement inhospitalière aux hommes, mais elle est même cruelle aux bêtes féroces. Quant à l'île Scanzia, qui fait le sujet de notre discours, elle est habitée par un grand nombre de nations diverses, quoique Ptolémée n'en nomme que sept. On n'y trouve en aucun temps des essaims d'abeilles, à cause de la rigueur du froid : dans sa partie septentrionale demeure la nation Adogit, qui passe pour jouir sans interruption de la clarté du soleil pendant quarante jours et quarante nuits au milieu de l'été, et qui en revanche, en hiver, se trouve privée de la lumière pendant le même nombre de jours et de nuits. Ainsi, alternativement dans la tristesse et dans la joie, elle jouit d'une faveur et souffre d'une privation ignorées des autres pays. Veut-on savoir pourquoi? C'est que dans les jours les plus longs les habitants voient le soleil repasser à l'orient en longeant l'extrémité de l'axe de la terre, tandis qu'au contraire dans les jours les plus courts ils ne peuvent plus l'apercevoir, parce qu'il parcourt alors les signes du sud. Aussi ce même soleil, qui nous parait se lever d'en bas, ils disent, eux, qu'il tourne le long du bord de la terre. Il y a encore dans cette île d'autres nations, celles des Crefennes, au nombre de trois, qui dédaignent de se nourrir de froment, et ne vivent que de la chair des bêtes sauvages et des oiseaux, dont les nichées dans les marais sont si multipliées, qu'elles suffisent à l'accroissement des espèces, et fournissent surabondamment à la nourriture des habitants. Là demeurent aussi les Suethans, qui se servent, comme les Thuringiens, d'excellents chevaux. Ce sont eux qui, par le moyen du commerce, font passer aux Romains, à travers des nations innombrables, les peaux de martres dont ceux-ci font usage. La belle couleur noire de leurs fourrures les a rendus fameux. Mais ils vivent pauvrement, tandis qu'ils sont vêtus avec la plus grande richesse. Après eux vient une foule de nations diverses : celles des Theusthes, de Vagoth, de Bergio, de Hallin, de Liothida, qui toutes ont leurs demeures sur une plaine unie et fertile, ce qui les expose aux incursions et aux ravages des autres nations. On trouve après ces peuples les Athelnil, les Finnaïthes, les Fervir, les Gautigoth, race d'hommes intrépides, et toujours prêts à combattre. Ensuite les Évagères, mêlés aux Othinges. Toutes ces peuplades habitent, à la manière des bêtes sauvages, dans les creux des rochers, comme dans des forts. Par delà ces nations demeurent les Ostrogoths, les Raumariks, les Raugnariks, les Finnes pleins de douceur, les plus doux même de tous les habitants de Scanzia, les Vinoviloth, les Suéthides, les Cogènes, qui leur ressemblent : il est pourtant vrai que ces derniers sont la souche des Danois, par qui les Hérules ont été chassés des terres qu'ils possédaient. Les Cogènes surpassent tous ces autres peuples par l'élévation de leur taille; et c'est à cause de leur haute stature qu'ils aiment à se donner ce nom, qui les distingue de toutes les nations de Scanzia. Du même côté sont encore les Graniens, les Aganzies, les Unixes, les Ethelruges, les Arochirans, dont fut roi, non pas dans les temps les plus reculés, mais il y a bien des années, Rodulf, qui, prenant en dégoût son royaume, se jeta dans le sein du roi des Goths Théoderic, auprès duquel il trouva ce qu'il désirait. Toutes ces nations dépassent les Romains en taille et en bravoure, et sont terribles par leur fureur dans les combats.

IV. 

Ex hac igitur Scanzia insula quasi officina gentium, aut certe velut vagina nationum (31), cum rege suo nomine Berig, Gothi quondam memorantur egressi: qui ut primum e navibus exeuntes, terras attigere, ilico loco nomen dederunt. Nam hodie illic, ut fertur, Gothiscanzia vocatur. Unde mox promoventes ad sedes Ulmerugorum (32) qui tunc Oceani ripas insidebant, castrametati sunt; eosque commisso proelio propriis sedibus pepulerunt, eorumque vicinos Vandalos iam tunc subiugantes (33) suis applucuere victoriis. Ibi vero magna populi numerositate crescente, etiam pene quinto rege regnante, post Berig, Filimer, filio Gadarigis, consilio sedit, ut (34) exinde cum familiis Gothorum promoveret exercitus, qui aptissimas sedes, locaque dum quaereret congrua, pervenit ad Scythiae terras, quae lingua eorum Ovim vocabantur: ubi delectato magna ubertate regionum exercitu, et mediaetate transposita, pons dicitur, unde amnem transiecerat, miserabiliter corruisse, nec ulterius iam cuiquam licuit ire, aut redire. Nam is locus, ut fertur, tremulis paludibus voragine circumiecta concluditur : quem utraque confusione natura reddidit inpervium. Verumtamen hodieque illic et voces armentorum audiri, et indicia hominum deprehendi, commeantium adtestatione,, quamvis a longe audientium, credere licet. Haec igitur pars Gothorum, quae apud Filimer, dicitur in terras Ovim emenso amne transposita, optatum potita solum. Nec mora, ilico ad gentem Spalorum (35) adveniunt, consertoque proelio, victoriam adipiscuntur : exindeque iam velut victores ad extremam Scythiae partem, quae Pontico mari vicina est, properant : quemadmodum et in priscis eorum carminibus pene hostorico ritu in commune recolitur: quod et Ablabius descriptor Gothorum gentis (36) egregius verissima adtestatur historia. In quam sententiam et nonnulli consensere maiorum. Iosephus quoque annalium relator verissimus, dum ubique veritatis conseruit regulam, et origines causarum a principio revolvit, haec vero, quae diximus, de gente Gothorum principia cur omiserit, ignoramus. Sed tamen ab hoc loco eorum stirpem comemorans, Scythas eos, et natione, et vocabulo asserit appellatos : cuius soli terminos, antequam aliud ad medium deducamus, necesse est, uti iaceant, dicere.

CHAPITRE IV.

C'est de cette île Scanzia, qu'on peut appeler la fabrique des nations ou bien le réservoir des peuples, que les Goths passent pour être sortis anciennement, avec leur roi nommé Berig. A peine furent-ils descendus de leurs vaisseaux et eurent-ils touché la terre, qu'ils donnèrent leur nom au lieu où ils venaient d'aborder. Il s'appelle encore aujourd'hui, assure-t-on, Gothiscanzia. De là ils marchèrent incontinent contre les Ulmeruges, alors établis sur le rivage de l'Océan, les attaquèrent après avoir assis leur camp, et les chassèrent des terres qu'ils occupaient. Aussitôt après ils subjuguèrent les Vandales, voisins de ce peuple, et les ajoutèrent à leurs conquêtes. Et comme le nombre des Goths s'était extrêmement accru pendant leur séjour dans ce pays, Filimer, fils de Gandarich, et le cinquième de leurs rois depuis Berig, prit, au commencement de son règne, la détermination d'en sortir. Il partit à la tête d'une armée de Goths; suivis de leurs familles, et s'étant mis à la recherche d'une contrée qui lui convint et où il pût s'établir commodément, il parvint sur les terres de la Scythie, que les Goths appelaient Ovim dans leur langue. Mais l'armée, après avoir joui de la grande fertilité de ces contrées, ayant voulu traverser un fleuve à l'aide d'un pont, et la moitié étant déjà passée de l'autre côté, le pont croula, dit-on, malheureusement, et il ne fut plus possible à personne d'avancer ou de rétrograder; car, à ce qu'on raconte, ce lieu est fermé par un gouffre qu'entourent des marais au sol tremblant, de sorte qu'en confondant ainsi la terre et l'eau la nature paraît avoir voulu le rendre inaccessible. La vérité est qu'encore aujourd'hui l'on y entend des mugissements de troupeaux, et qu'on y découvre des traces d'hommes : c'est ce qu'attestent les voyageurs, auxquels il est permis d'ajouter foi, bien qu'ils aient appris ces choses de loin. Quant à ceux d'entre les Goths qui, sous la conduite de Filimer, parvinrent sur la terre de Scythie après avoir passé le fleuve, comme il a été dit, ils prirent possession de ce pays objet de leurs désirs. Puis, sans perdre de temps, ils marchèrent contre la nation des Spali, les combattirent, et remportèrent la victoire. Enfin, de là ils s'avancèrent rapidement et en vainqueurs jusqu'à l'extrémité de cette partie de la Scythie qui avoisine le Pont-Euxin. Ainsi le racontent en général leurs anciennes poésies, à peu près dans la forme historique. C'est ce qu'atteste encore, dans sa très-véridique histoire, Ablabius, auteur distingué qui a écrit sur la nation des Goths; et c'est aussi le sentiment de quelques autres anciens écrivains. Quant à Josèphe, cet historien toujours fidèle à la vérité et si digne de foi, comment lui, qui fouille dans les temps les plus reculés, garde-t-il le silence sur ces commencements de la nation des Goths, tels que nous venons de les exposer? Nous l'ignorons. Disons pourtant que, faisant mention des Goths depuis leur arrivée en Scythie, il assure qu'on les regardait comme des Scythes, et qu'on leur en donnait le nom. Mais puisque nous venons de nommer la Scythie, avant de passer à autre chose il nous faut décrire ce pays et en marquer les limites.

V. 

Scythia siquidem, Germaniae terrae confinis, eotenus ubi Hister oritur amnis, vel stagnum dilatatur Mysianum, tendens usque ad flumina Tyram, Danastrum (37) et Vagosolam (38), magnumque illum Danubium (39), Taurumque montem, non illum Asiae, sed proprium, id est, Scythicum, per omnem Maeotidis ambitum, ultraque Maeotida per angustias Bosphori usque ad Caucasum montem, amnemque Araxem, ac deinde in sinistram partem reflexa, post mare Caspium, quae in extremis Asiae finibus ab Oceano Euroboreo in modum fungi primum tenuis, post haec latissima et rotunda forma exoritur, vergens ad Hunnos, Albanos et Seres usque digreditur. Haec, inquam, patria, id est Scythia, longe se tendens, lateque aperiens, habet ab oriente Seres in ipso sui principio ad littus Caspii maris commanentes; ab occidente Germanos, et flumen Vistulae; ab Arctoo, id est, Septentrionali, circumdatur Oceano, a meridie Perside, AIbania, Hiberia, Ponto, atque extremo alveo Histri, qui dicitur Danubius, ab ostio suo usque ad fontem. In eo vero loci latere, quo Ponticum littus attingit, oppidis haud obscuris involvitur, Boristbenide, Olbia, Callipolide, Chersone, Theodosia, Pareone, Myrmicione et Trapezunte (40), quas indomitae Scytharum nationes Graecos permiserunt condere, sibimet commercia prestaturos. In cuius Scythiae medio est locus, qui Asiam Europamque ab alterutro dividit, Riphaei scilicet montes, qui Tanain vastissimum fundunt intrantem Maeotida; cuius paludis circuitus passuum milia CXLIV, nusquam octo ulnis altius subsidentis. In qua Scythia prima ab occidente gens residet Gepidarum, quae magnis opinatisque ambitur fluminibus. Nam Tisianus per Aquilonem eius Corumque discurrit. Ab africo vero magnus ipse Danubius, ab Euro fluvius Tausis (41) secat, qui rapidus ac verticosus in Histri fluenta furens divolvitur. Introrsus illis Dacia est, ad coronae speciem arduis Alpibus eniunita, iuxta quorum sinistrum latus, qui in Aquilone vergit, et ab ortu Vistulae fluminis per immensa spatia venit, Vuinidarum (42) natio populosa consedit. Quorum nomina licet nunc per varias familias et loca mutentur; principaliter tamen Sclavini (43) et Antes nominantur. Sclavini a Civitate Nova et Sclavino Rumunnensi, et lacu qui appellatur Murianus, usque ad Danastrum, et in Boream Viscla tenus commorantur: hi paludes silvasque pro civitatibus habent. Antes vero, qui sunt eorum fortissimi, qui ad Ponticum mare curvantur, a Danastro extenduntur usque ad Danubium, quae flumina multis mansionibus ab invicem absunt. Ad littus autem Oceani, ubi tribus fancibus fluenta Vistulae fluminis ebibuntur, Vidioarii (44) resident, ex diversis nationibus aggregati, post quos ripam Oceani Itemesti (45) tenent, pacatum hominum genus omnino. Quibus in austrum adsidet gens Agazzirorum (46) fortissima, frugum ignara, quae pecoribus et venationibus victitat. Ultra quos distendunt supra mare Ponticum Bulgarorum (47) sedes, quos notissimos peccatorum nostrorum mala fecerunt. Hinc iam Hunni quasi fortissimarum gentium fecundissimus cespes, in bifariam populorum rabiem pullularunt. Nam alii Aulziagiri, alii Aviri (48) nuncupantur, qui tamen sedes habent divisas. Iuxta Chersonem Aulziagiri, quo Asiae bona avidus mercator importat, qui aestate campos pervagant effusos sedes habentes, prout armentorum invitaverint pabula; hieme supra mare Ponticum se referentes. Hunugari (49) autem hinc sunt noti, quia ab ipsis pellium murinarum venit commercium: quos tantorum virorum formidavit audacia. Quorum mansionem primam esse in Scythiae solo iuxta paludem Maeotidem, secundo in Maesia Thraciaque et Dacia, tertio supra mare Ponticum, rursus in Scythia legimus habitasse: nec eorum fabulas alicubi reperimus scriptas, qui eos dicunt in Britanniam vel in una qualibet insularum in servitute redactos, et unius caballi praetio quondam redemtos. Aut certe si quis eos aliter dixerit in nostro urbe, quam quod nos diximus, fuisse exortos, nobis aliquid obstrepebit; nos enim potius lectioni credimus, quam fabulis anilibus consentimus. Ut ergo ad nostrum propositum redeamus, in prima sede Scythiae iuxta Maeotidem commanentes, praefati, unde loquimur, Filimer regem habuisse noscuntur. In secundo, id est, Daciae, Thraciaeque et Moesiae solo Zalmoxen, quem mirae philosophicae eruditionis fuisse testantur plerique scriptores annalium. Nam et Zeutam prius habuerunt eruditum, post etiam Dicineum, tertium Zalmoxen, de quo superius diximus. Nec defuerunt, qui eos sapientiam erudirent. Unde et pene omnibus barbaris Gothi sapientiores semper extiterunt, Graecisque pene consimiles, ut refert Dio, qui historias eorum annalesque graeco stilo composuit. Qui dicit primum Zarabos Tereos, deinde vocitatos Pileatos hos, qui inter eos generosi extabant : ex quibus eis et reges, et sacerdotes ordinabantur. Adeo ergo fuere laudati Getae, ut dudum Martem, quem poetarum fallacia deum belli pronuntiat, apud eos fuisse dicant exortum. Unde et Vergilius:
Gradivumque patrem Geticis, qui praesidet arvis. (50)
Quem Martem Gothi semper asperrima placavere cultura. Nam victimae eius mortes fuere captorum : opinantes bellorum praesulem aptius humani sanguinis effusione placandum. Huic praede primordia vovebantur, huic truncis suspendebantur exuviae; eratque illis religionis praeter ceteros insinuatus affectus, quum parenti devotio numinis videretur impendi. Tertia vero sedes supra mare Ponticum, iam humaniores et, ut superius diximus, prudentiores effecti, divisi per familias populi, Vesegothae familiae Balthorum, Ostrogothae praeclaris Amalis serviebant. Quorum studium fuit primum, inter alias gentes vicinas, arcus intendere nervis, Lucano plus historico quam poeta testante: 
Armeniosque arcus Geticis intendite nervis. (51)
Ante quos etiam cantu maiorum facta modulationibus citharisque canebant, Etherpamarae, Hanalae, Fridigerni, Widiculae et aliorum, quorum in hac gente magna opinio est, quales vix heroas fuisse miranda iactat antiquitas. Tunc, ut fertur, Vesosis Scythis lacrimabile sibi potius intulit bellum, eis videlicet, quos Amazonarum viros prisca tradit auctoritas. De queis et feminas bellatrices Orosius in primo volumine professa voce testatur. Unde cum Gothis eum tunc dimicasse evidenter probamus, quem cum Amazonarum viris absolute pugnasse cognoscimus, qui tunc a Borysthene amne, quem accolae Danubium vocant, usque ad Tanain fluvium circa sinum paludis Maeotidis consedebant. Tanain (52) vero hunc dico, qui ex Riphaeis montibus deiectus adeo preceps ruit, ut quum vicina flumina, sive Maeotis, vel Bosphorus gelu solidentur, solus amnium confragosis montibus vaporatus, numquam Scythico duriscit algore. Hic inter Asiam Europamque terminus famosus habetur. Nam alter est ille, qui montibus Chrinnorum oriens, in Caspium mare dilabitur. Danubius autem (53) ortus grande palude, quasi ex mari profunditur. Hic usque ad medium sui dulcis est, et potabilis, piscesque nimii saporis gignit, ossibus carentes, cartilaginem tantum habentes in corporis continentiam. Sed ubi fit Ponto vicinior, parvum fontem suscipit, cui ex Ampheo cognomen est (54), adeo amarum, ut, cum sit quadraginta dierum itinere navigabilis, huius aquis exiguis immutetur, infectusque, ac dissimilis sui, inter Graeca oppida Callipidas, et Hypannis in mare defluat. Ad cuius ostia insula est in fronte, Achillis nomine. Inter hos terra vastissima, silvis consita, paludibus dubia. 

CHAPITRE V.

La Scythie confine avec la Germanie, soit au point où commence l'Hister, soit par la mer de Mysie. Elle s'étend jusqu'aux fleuves Tyras, Danastre, Vagosola, et jusqu'à cet autre grand fleuve qui porte, comme l'Hister, le nom de Danube; elle s'avance jusqu'au mont Taurus, non celui de l'Asie, mais un autre qui fait partie de son sol, c'est-à-dire le Taurus Scythique; elle suit tous les contours de la Méotide, et, au delà de la Méotide, le détroit du Bosphore, jusqu'au mont Caucase et au fleuve Araxe ; ensuite, revenant à gauche et passant derrière la mer Caspienne, elle ne se termine qu'aux dernières limites de l'Asie, au bord de l'océan Euroboréen. Elle a la figure d'un champignon : d'abord étroite, elle grandit et s'épanouit au loin, et va aboutir aux pays des Huns, des Albanais et des Sères. La Scythie, dans sa longueur infinie, dans sa vaste largeur, est donc bornée, du côté de l'orient et au point même où elle commence, par les Sères, qui demeurent auprès des rivages de la mer Caspienne ; à l'occident, par les Germains et le fleuve de la Vistule ; du côté de l'Ourse ou du septentrion, elle est entourée par l'Océan, et au midi par la Perse, l'Albanie, l'Hibérie, le Pont, et l'extrémité du cours de l'Hister, appelé Danube depuis son embouchure jusqu'à sa source. Celui de ses côtés qui touche au Pont-Euxin est bordé de villes dont les noms sont loin d'être obscurs : Boristhénide, Olbia, Callipode, Chersone, Théodosia, Pareone, Mirmycione et Trapezunte, villes que les nations indomptées des Scythes permirent aux Grecs de fonder, afin de pouvoir commercer avec eux. Au milieu de la Scythie il est un lieu qui sépare l'Asie de l'Europe; ce sont les monts Riphées : ils versent le Tanaïs, ce fleuve immense qui se jette dans la Méotide, marais dont le circuit est de cent quarante-quatre mille pas, et dont la profondeur ne dépasse nulle part huit aunes. La première des nations qui habitent la Scythie, à l'occident, est celle des Gépides, dont le pays est entouré par des fleuves grands et renommés : il est en effet borné, à l'A-quilon et au Corus, par le cours du Tisianus; au vent d'Afrique par le Danube ; du côté de l'Eurus par le lit escarpé du Tausis, dont les flots rapides et tournoyants se précipitent en furie dans ceux de l'Hister. Il comprend dans son sein la Dacie, défendue par des monts escarpés, disposés en forme de couronne. C'est contre leur côté gauche, lequel regarde l'Aquilon et s'avance à travers des espaces immenses jusqu'à la source de la Vistule, qu'est établie la nation nombreuse des Vuinides. Bien que le nom de ce peuple varie aujourd'hui, suivant les diverses tribus qui le composent et les lieux qu'il habite, toutefois on le désigne principalement par le nom de Sclavins et par ce lui d'Antes. Les Selavins s'étendent depuis Civitas-Nova, le lieu appelé Sclavinus Rumunnensis et le lac Musianus, jusqu'au Danastre; et au nord jusqu'à la Vistule. Ils n'ont pour villes que les marais et les bois. Les Antes, qui sont les plus braves des deux, s'avancent en cercle au bord de la mer du Pont, et s'étendent depuis le Danastre jusqu'au Danube. Ces fleuves sont éloignés l'un de l'autre d'un grand nombre de jour-nées de chemin. Sur le rivage de l'Océan, à l'endroit où, par trois embouchures, les flots de la Vistule s'y absorbent, habitent les Vidioariens, assemblage d'hommes de diverses nations. Après eux et toujours au bord de l'Océan, sont établis les Itemestes, race d'hommes tout à fait pacifique. Au midi de ceux-ci et près d'eux demeurent les Agazzires, nation très-brave, ignorant l'usage des fruits, et ne vivant que de ses troupeaux et de la chasse. Au delà de ces derniers s'étendent, sur la mer du Pont, les établissements des Bulgares, devenus malheureusement trop célèbres pour nos péchés. C'est là que les nations belliqueuses des Huns foisonnèrent jadis comme l'herbe épaisse, pour faire une double et furieuse irruption sur les peuples; car les Huns sont divisés en deux branches, celle des Aulziagres et celle des Avires, et habitent des contrées différentes. Les Aulziagres fréquentent les environs de la ville de Cherson, où l'avide marchand transporte les riches produits de l'Asie. Pendant l'été ils errent dans de grandes plaines ouvertes , ne s'arrêtant que là où ils trouvent des pâturages pour leurs troupeaux ; l'hiver ils se retirent sur la mer du Pont. Quant aux Hunugares, ils sont connus par les fourrures de martre qu'ils fournissent au commerce. Ce sont là ces Huns qui se sont rendus redoutables à des hommes d'une intrépidité pourtant bien grande. Ceux dont nous voulons parler ici ont habité, comme les livres nous l'apprennent , premièrement en Scythie, au bord du Palus-Méotide; secondement dans la Moesie, la Thrace et la Dacie ; troisièmement sur la mer du Pont, et enfin encore unefoisdans la Scythie. Mais nous n'avons trouvé dans aucun auteur le récit fabuleux qui les fait tomber anciennement en esclavage, soit dans la Bretagne , soit dans toute autre île , où ils se seraient rachetés au prix d'un cheval. Que si quelqu'un raconte autrement que nous leur apparition dans la partie de l'univers que nous habitons, ce n'est là qu'un bruit mal sonnant pour nos oreilles; car nous aimons mieux nous en rapporter à ce que nous avons lu , que d'ajouter foi à des contes de vieille. Mais pour revenir à notre sujet, pendant que la nation dont nous parlions demeurait dans la partie de la Scythie qui avoisine la Méotide, elle eut, comme on sait, Filimer pour roi. Dans les contrées qu'elle habita en second lieu, c'est-à-dire, dans la Dacie, la Thrace, la Moesie, elle fut gouvernée par Zamolxes, philosophe dont la plupart des historiens attestent la science prodigieuse. Déjà même avant Zamolxes elle avait eu des hommes d'un grand savoir, tels que Diceneus, et avant celui-ci Zeutas. Ainsi les Goths ne manquèrent pas de maîtres pour apprendre la philosophie. Voilà pourquoi ils furent toujours plus éclairés que la plupart des barba-res, et qu'ils égalèrent presque les Grecs, au rapport de Dion , qui a écrit leur histoire en langue grecque. Cet écrivain dit que les nobles parmi eux portèrent d'abord le nom de Zarabi Téréi, et ensuite celui de Piléati. C'était de cette classe qu'on tirait les rois et les prêtres. Enfin les Gètes furent en si grande estime, qu'anciennement on fit naître chez eux Mars, le dieu de la guerre, suivant les fictions des poètes. Aussi Virgile a-t-il dit :
L'infatigable Mars, adoré chez les Gètes.

Les Goths rendirent à ce dieu, durant des siècles, un culte barbare; car, persuadés que rien ne pouvait être plus agréable à l'arbitre des batailles que l'effusion du sang humain, ils ne lui sacrifiaient d'autres victimes que les prisonniers qu'ils avaient faits. C'est encore à lui qu'ils consacraient les prémices du butin ; c'est en son honneur qu'ils suspendaient des dépouilles aux arbres; et leur zèle pour son culte, préférablement à tout autre, venait de ce qu'en invoquant son nom ils croyaient invoquer celui de leur père commun. Les Goths habitèrent, en troisième lieu, sur la mer du Pont. A cette époque ils étaient devenus plus humains et plus éclairés, comme nous l'avons déjà dit. La nation était divisée par familles ; les Visigoths obéissaient à celle des Balthes, les Ostrogoths aux illustres Amales. Ils se distinguaient des peuples voisins par leur habileté à tirer de l'arc, comme l'atteste Lucain, plus historien que poète :
Bander l'arc d'Arménie à la corde gétique.
Avant de se livrer à cet exercice, ils célébraient par des chants, en s'accompagnant de la cithare, les actions de leurs ancêtres, Ethespamara, Hanala, Fridigerne, Widicula et d'autres, qui sont en grande estime dans cette nation, et auxquels l'antiquité, qu'on propose sans cesse à notre admiration, peut à peine comparer ses héros tant vantés. Ce fut alors, dit-on, que Vésosis porta chez les Scythes une guerre qui tourna contre lui-même. Je veux parler ici de ceux que d'anciens témoignages nous donnent comme les époux des Amazones, ces femmes guerrières dont parle expressément Orose, au premier livre de son histoire ; d'où nous tirons la preuve incontestable que ce fut contre les Goths que combattit ce roi, alors qu'il attaqua, comme nous en avons la certitude, les époux des Amazones. Ceux-ci demeuraient alors autour du Palus-Méotide, depuis le fleuve Boristhène, que les habitants de ses bords appellent Danube, jusqu'au fleuve Ta-nais. Le Tanaïs dont je parle est celui qui, tombant des monts Riphées, se précipite avec tant de rapidité, que tandis que les fleuves voisins ou même la Méotide et le Bosphore se gèlent, lui seul, échauffé par sa course à travers d'âpres montagnes, résiste au froid rigoureux de la Scythie, et ne prend jamais. C'est ce fleuve qui forme la limite célèbre de l'Asie et de l'Europe. Autre est le Tanaïs qui prend sa source dans les monts des Chrinnes et se perd dans la mer Caspienne. Quant au Danube, il sort d'un vaste marais, d'où il se répand comme d'une mer. Jusqu'au milieu de son cours, ses eaux sont bonnes et potables; il produit des poissons d'un goût exquis, lesquels sont sans arêtes et n'ont qu'un cartilage pour soutenir leur corps; mais en approchant du Pont il reçoit une petite source qui se nomme Amphée, laquelle est tellement amère, que, bien qu'il ait encore la longueur de quarante jours de navigation, ce filet d'eau le change, le corrompt et le rend méconnaissable, jusqu'à ce qu'il se jette dans la mer, entre les villes grecques Callipidas et Bypanis. En regard de son embouchure se trouve une île appelée Achillis. Entre ces deux fleuves est une terre fort vaste, hérissée de forêts et couverte de marais perfides.

VI. 

Hic ergo Gothis morantibus, Vesosis, Aegyptiorum rex (55), in bellum irruit; quibus tunc Tanausis rex erat. Quo proelio ad Phasim fluvium, a quo Phasides aves exortae, in toto mundo epulis potentum exuberant, Tanausis Gothorum rex Vesosi Aegyptiorum occurrit, eumque graviter debellans, in Aegyptum usque persecutus est; et nisi Nili amnis intransmeabilis obstetisseut fluenta, vel munitiones, quas dudum sibi ob incursiones Aethiopum Vesosis fieri praecepisset, ibi in eius eum patria extinxisset. Sed dum eum ibi positum non valuisset laedere, revertens pene omnem Asiam subiugavit, et sibi tunc caro amico Somo, regi Medorum, ad persolvendum tributum subditos fecit. Ex cuius exercitu victores tunc nonnulli provincias subditas contuentes, et in omni fertilitate pollentes, deserto suorum agmine, sponte in Asiae partibus residerunt. Ex quorum nomine, vel genere Pompeius Trogus (56) Parthorum dicit extitisse prosapiam. Unde etiam hodieque lingua Scythica fugaces, quod est Parthi, dicuntur, suoque generi respondentes, inter omnes pene Asiae nationes soli sagittarii sunt, et acerrimi bellatores. De nomine vero, quod diximus eos Parthos, id est fugaces, ita aliquanti ethymologiam traxerunt, ut dicerent Parthi, quia suos refugere parentes. Hunc ergo Thanausim regem Gothorum mortuum inter numina sui populi coluerut.

CHAPITRE VI.

Les Goths demeuraient donc en Scythie, quand Vésosis, roi des Égyptiens, vint leur faire la guerre. Ils avaient alors pour roi Taunasis. Ce fut au bord du Phase, ce fleuve d'où nous viennent ces oiseaux phasiens qui par tout le monde abondent aux festins des grands, que le roi des Goths Taunasis rencontra celui des Égyptiens, Vésosis. ll le battit rudement, et le poursuivit jusqu'en Égypte; et si les eaux du Nil, ou les fortifications que Vésosis avait fait construire anciennement, à cause des incursions des Éthiopiens, ne l'eussent arrêté, il l'eût exterminé dans son propre pays. Mais ne pouvant l'entamer dans ses positions, qu'il ne quitta point, il s'en retourna, et subjugua presque toute l'Asie; et comme il était lié d'amitié avec Sornus, roi des Mèdes, il lui laissa son trône, à condition qu'il lui payerait un tribut. Cependant quelques-uns de son armée victorieuse, considérant l'extrême abondance des provinces conquises, se détachèrent volontairement de leurs compagnons, et s'établirent en Asie. C'est d'eux, suivant Trogue-Pompée, que les Parthes tirent leur nom et leur origine. Voilà pourquoi aujourd'hui même en langue scythe ils sont appelés fuyards : car c'est ce que signifie le mot Parthe. Ils ne démentent pas leur race, car ils sont presque les seuls des peuples de l'Asie qui sachent tirer de l'arc, et qui montrent une grande intrépidité dans les combats. A l'égard du nom de Parthes ou fuyards, que nous leur avons donné, en voici l'étymologie, d'après quelques-uns : ils furent appelés Parthes, comme ayant abandonné leurs parents. Ce Taunasis, roi des Goths, étant mort, ses peuples le mirent au rang des dieux.

VII. 

Post cuius decessum exercitu eius cum successores ipsius in aliis partibus expeditionem gerente, feminae Gothorum (57) a quadam vicina gente tentatae,  in praedamque doctae a viris, fortiter resisterunt, hostesque super se venientes cum magna verecundia abegerunt. Qua parata victoria, fretaeque maioris audacia, invicem se cohortantes, arma arripiunt, elegentesque duas audentiores, Lampeto et Marpesiam, principatui subrogarunt. Quae dum curam gerunt, ut et propria defenderent, et aliena vastarent, sortito Lampeto restitit, fines patrios tuendo : Marpesia vero feminarum agmine sumpto, novum genus exercitui duxit in Asiam, diversasque gentes bello superans, alios vero pace concilians, ad Caucasum venit : ibique certum tempus demorans, loci nomen dedit, Saxum Marpesiae. Unde et Vergilius:
Ac si dura silex aut stet Marpesia cautes. (58)
In eo loco, ubi post haec Alexander Magnus portas constituens, Pylas Caspias nominavit : quod nunc Lazorum gens custodit pro munitione Romana. Hic ergo certum temporis Amazones commanentes, confortatae sunt. Unde egressae et Alym fluvium, qui iuxta Garganum civitatem praeterfluit, transeuntes; Armeniam, Syriam, Ciliciamque, Galatiam, Pisidiam, omniaque Asiae oppida, aequa felicitate domuerunt : Ioniam, Aeoliamque conversae, deditas sibi provincias effecerunt. Ubi diutius dominantes, etiam civitates, castraque suo in nomine dicaverunt, Ephesi quoque templum Dianae, ob sagittandi  venandique studium, quibus se artibus tradidissent, effusis opibus, mirae pulchritudinis condiderunt. Tali ergo Scythiae gentis feminae casu Asiae regno potitae, per centum pene annos tenuerunt; et sic demum ad proprias socias in cautes Marpesias, quas superius diximus, repedarunt, in montem scilicet Caucasi. Cuius montis (59) quia facta iterum mentio est, non ab re arbitror, eius tractum, situmque describere, quaudo maximam partem orbis noscitur circuire iugo continuo. Is namque ab Indico mare surgens, qua meridiem respicit, sole vaporatus ardescit. Qua septentrione patet, rigentibus ventis est obnoxius, et pruinis. Mox in Syriam curvato angulo reflexus, licet amnium plurimos emittat, in Asianam tamen regionem Euphratem Tigrimque navigeros ad opinionem maximam perennium fontium cupiosis fundit uberibus. Qui amplexantes terras Assyriorum, Mesopotamiam et appellari faciunt et videri; in sinum Rubri maris fluenta deponentes. Tunc in Boream revertens, Scythicas terras, iugum antefatum magnis flexibus pervagatur : atque ibidem opinatissima flumina in Caspium mare profundens, Araxem, Cyssum, et Cambysen, continuatoque iugo ad Ripheos usque montes extenditur. Indeque Scythicis gentibus dorso suo terminum praebens, ad Pontum usque discendit : consertisque collibus, Histri, quoque fluenta contingit, quo amnis scissus dehiscens, in Scythia quoque Taurus vocatur. Talis ergo, tantusque, et pene omnium montium maximus, excelsas suas erigens summitates, naturali constructione praestat gentibus inexpugnanda munimina. Nam locatim recisus, qua disrupto iugo vallis hiatu patescit, nunc Caspias portas, nunc Armenias, nunc Cilicas, vel secundum locum, quale fuerit, facit : vix tamen plaustro meabilis, lateribus in altitudinem utrinque directis, qui pro gentium varietate diverso vocabulo nuncupatur. Hunc enim Iamnium, mox Propanissimum Indus appellat : Parthus primum Castra, post Nifacen edicit. Syrus et Armenius Taurum, Scytha Caucasum ac Ripheum, iterumque in fine Taurum cognominant : aliaeque conplura gentes huic iugo dedere vocabula. Et quia de eius continuatione pauca libabimus, ad Amazones, unde divertimus, redeamus.

CHAPITRE VII.

Après sa mort, tandis que son armée, sous les ordres de son successeur, faisait une expédition dans d'autres contrées , un peuple voisin attaqua les femmes des Goths, et voulut en faire sa proie; mais celles-ci résistèrent vaillamment à leurs ravisseurs, et repoussèrent l'ennemi qui fondait sur elles, à sa grande honte. Cette victoire affermit et accrut leur audace : s'excitant les unes les autres, elles prennent les armes, et choisissent pour les commander Lampeto et Marpesia, d'eux d'entre elles qui avaient montré le plus de résolution. Celles-ci voulant porter la guerre au dehors, et pourvoir en même temps à la défense du pays, consultèrent le sort, qui décida que Lampeto resterait pour garder les frontières. Alors Marpesia se mit à la tête d'une armée de femmes, et conduisit en Asie ces soldats d'une nouvelle espèce. Là, de diverses nations soumettant les unes par les armes, se conciliant l'amitié des autres, elle parvint jusqu'au Caucase; et y étant demeuré un certain temps, elle donna son nom au lieu où elle s'était arrêtée : le rocher de Marpesia. Aussi Virgile a-t-il dit:
Comme le dur caillou ou le roc Marpésien.
C'est en ce lieu que, plus tard, Alexandre le Grand établit des portes, qu'il appela Pyles Caspiennes. Aujourd'hui la nation des Lazes les garde, pour la défense des Romains. Après être restées quelque temps dans ce pays, les Amazones reprirent courage; elles en sortirent, et, passant le fleuve Atys, qui coule auprès de la ville de Garganum, elles subjuguèrent, avec un bonheur qui ne se démentit pas, l'Arménie, la Syrie, la Cilicie, la Galatie, la Pisidie, et toutes les villes de l'Asie: puis elles se tournèrent vers l'Ionie et l'Éolie, et soumirent ces provinces. Leur domination s'y prolongea; elles y fondirent même des villes et des forteresses, auxquelles elles donnèrent leur nom. A Éphèse, elles élevèrent à Diane, à cause de sa passion pour le tir de l'arc et la chasse, exercices auxquels elles s'étaient toujours livrées, un temple d'une merveilleuse beauté, où elles prodiguèrent les richesses. La fortune ayant ainsi rendu les femmes de la nation des Scythes maitresses de l'Asie, elles la gardèrent environ cent ans, et à la fin retournèrent auprès de leurs compagnes, aux rochers Marpésiens, dont nous avons déjà parlé, c'est-à-dire sur le mont Caucase. Et puisqu'il est de nouveau question de ce mont, je crois qu'il ne sera pas hors de mon sujet d'en décrire la chaîne et la position, d'autant que, comme on sait, il entoure sans interruption la plus grande partie du monde. Le Caucase surgit de l'océan Indien ; celle de ses pentes qui regarde le midi est desséchée et embrasée par le soleil, tan-dis que celle qui est exposée au septentrion est assaillie par des vents rigoureux et par les neiges. Ce mont se replie ensuite vers la Syrie, où il forme un angle arrondi; il verse un grand nombre des fleuves de l'Asie, entre autres l'Euphrate et le Tigre, qu'il tait couler de leurs sources éternelles comme de fécondes mamelles. Ces fleuves navigables, suivant l'opinion la plus répandue, embrassent les terres des Assyriens, donnent à la Mésopotamie son nom , y portent les voyageurs, et déchargent leurs eaux au sein de la mer Rouge. Le Caucase revient en-suite vers le nord, et court dans la Scythie, où il fait de longs circuits. Là, il verse à la mer Caspienne d'autres fleuves fort connus, tels que l'Araxe, le Cyssus, le Cambyse, et s'avance sans interruption jusqu'aux monts Riphées. De là il descend jusqu'au Pont, et son dos sert de barrière aux nations scythiques. Enfin ses cimes s'unis-sent, et il vient toucher à I'Hister à l'endroit où ce fleuve se divise. Outre le nom de Caucase, il porte encore en Scythie celui de Taurus. Tel est donc ce mont si grand, le plus grand peut-être de tous, ce mont dont les sommets ardus offrent aux nations un rempart naturel et inexpugnable. Par intervalle sa chaîne se rompt et s'entr'ouvre, pour faire place à un défilé : ce sont tantôt les portes Caspiennes, tantôt les Arméniennes, tantôt les Ciliciennes, selon les pays où le défilé se trouve. Toutefois un char peut à peine y passer, et les côtés en sont coupés à pic. Le nom du Caucase varie, suivant les diverses nations : l'In-dien l'appelle Jamnius, puis Propanismus; le Parthe le nomme d'abord Castra , ensuite Niface; le Syrien et l'Arménien, Taurus; le Scythe, Caucase et Riphée; et là où il finit encore une fois, Taurus. Il y a bien d'autres noms encore que les peuples ont donnés à ce mont : mais nous en avons assez parlé; revenons aux Amazones, que nous avons laissées.

VIII. 

Veritae quae, ne earum proles raresceret, a vicinis gentibus concubitum petierunt : facta nundina semel in anno, ita ut futuri temporis eis deinde revertentibus in idipsum, quicquid partus masculini edidisset, patri redderet : quicquid vero feminei sexus nasceretur, mater ad arma bellica erudiret. Sive, ut quibusdam placet, editis maribus, novercali odio infantis miserandi fata rumpebant : ita apud illas detestabile puerperium erat, quod ubique constat esse votivum. Quae crudelitas illis terrorem maximum cumulabat, opinione vulgata. Nam quae, rogo, spes esset capto, ubi indulgi vel filio nefas habebatur? Contra has, ut fertur, pugnabat Hercules, et Melanes pene plus dolo, quam virtute subegit. Theseus vero Hippoliten in praeda tulit, de qua et genuit Hypolitum. Hae quoque Amazones post haec habuere reginam nomine Penthesileam, cuius Troiano bello extant clarissima documenta. Nam hae feminae usque ad Alexandrum Magnum referuntur tenuisse regnum.

CHAPITRE VIII.

Celles-ci, craignant que leur race ne vînt à s'éteindre, demandèrent des époux aux peuples voisins. Elles convinrent avec eux de se réunir une fois l'année, en sorte que par la suite, quand ceux-ci reviendraient les trouver, tout ce qu'elles auraient mis au monde d'enfants mâles seraient rendus aux pères, tandis que les mères instruiraient aux combats tout ce qu'il serait né d'enfants de sexe féminin. Ou bien, comme d'autres le racontent différemment, quand elles donnaient le jour à des enfants mâles, elles vouaient à ces infortunés une haine de marâtre, et leur arrachaient la vie. Ainsi l'enfantement, salué, comme on sait, par des transports de joie dans le reste du monde, chez elles était abominable. Cette réputation de barbarie répandait une grande terreur autour d'elles; car, je vous le demande, que pouvait espérer l'ennemi prisonnier de femmes qui se faisaient une loi de ne pas même épargner leurs propres enfants? On raconte qu'Hercule combattit contre les Amazones, et que Mélanès les soumit plutôt par la ruse que par la force. Thésée, à son tour, fit sa proie d'Hippolyte, et l'emmena ; il en eut son fils Hippolyte. Après elle les Amazones eurent pour reine Penthésilée, dont les hauts faits à la guerre de Troie sont arrivés jusqu'à nous. L'empire de ces femmes passe pour avoir duré jusqu'à Alexandre le Grand.

IX. 

Sed ne dicas, de viris Gothorum sermo adsumptus, cur in feminis tamdiu persevet : audi et virorum insignem, et laudabilem fortitudinem. Dio historicus, et antiquitatum diligentissimus inquisitor, qui operi suo Getica titulum dedit (60); quos Getas iam superiori loco Gothos esse (61), probavimus, Orosio Paulo dicente : hic Dio regem illis post tempora multa commemorat, nomine Telephum. Ne vero quis dicat hoc nomen a lingua Gothica omnino peregrinum esse: nemo est qui nesciat animadverti usu pleraque nomina gentes amplecti, ut Romani Macedonum, Graeci Romanorum, Sarmatae Germanorum, Gothi plerumque mutuantur Hunnorum. Is ergo Telephus, Herculis filius, natus ex Auge sorore Priami, coniugio copulatus, procerus quidem corpore, sed plus vigore terribilis, paternam fortitudinem propriis virtutibus aequans, Herculis genium formae quoque similitudinem referebat. Huius itaque regnum Moesiam appellavere maiores. Quae provincia ab oriente ostia fluminis Danubii, a meridie Macedoniam, ab occasu Histriam, a septentrione Danubium. Is ergo antefatus habuit bellum cum Danais, in qua pugna Thesandrum ducem Graeciae interemit, et dum Aiacem infestus invadit, Ulissemque persequitur, equo cadente, ipse corruit, Achillisque iaculo foemore sauciatus, diu mederi nequivit. Graecos tamen, quamvis iam saucius, e suis finibus proturbavit, Thelepho vero defnncto, Euryphylus filius successit in regno, ex Priami Phrygum regis germana progenitus. Qui ob Casandrae amorem bello interesse Troiano, ac parentibus soceroque ferre auxilium cupiens, mox ut venit extinctus est.

CHAPITRE IX.

Mais afin que vous ne me demandiez pas pourquoi, m'étant proposé de parler des Goths, j'insiste si longtemps sur leurs femmes, apprenez maintenant les grands et glorieux exploits des hommes de cette nation. Un historien très exact dans la recherche des antiquités, Dion, dans l'ouvrage qu'il a intitulé Gétique (et nous avons prouvé plus haut que les Gètes étaient Goths, d'après le témoignagede Paul Orose), Dion, dis-je, parle d'un de leurs rois appelé Télèphe, qui vivait dans des temps beaucoup moins reculés que ceux dont nous avons parlé. Et qu'on ne dise pas que ce nom-là est étranger à la langue des Goths; car personne n'ignore que l'usage rend familiers aux nations bien des noms qu'elles s'approprient: ainsi les Romains en ont emprunté fréquemment des Macédoniens, les Grecs des Romains, les Sarmates des Germains, les Goths des Huns. Ce Telèphe donc, fils d'Hercule et d'Augé, soeur de Priam, fut marié; il était remarquable par sa haute taille, mais plus encore par sa force redoutable; et son courage égalait celui de son père Hercule, dont on retrouvait en lui les traits et le caractère. ll eut pour royaume le pays que nos pères appelèrent Moesie, lequel est borné à l'orient par l'embouchure du Danube, par la Macédoine au midi, au couchant par l'Histrie, et encore par le Danube au septentrion. Télèphe donc eut la guerre avec les Grecs, et tua Thessandre leur chef. Et comme durant le combat il allait attaquant Ajax et poursuivant Ulysse, son cheval s'abattit, le renversa, et Achille de sa lance lui fit à la cuisse une blessure dont il ne put guérir de longtemps; néanmoins, bien que blessé, il repoussa les Grecs de ses frontières. A la mort de Télèphe, Eurypile son fils lui succéda. La mère d'Eurypile était soeur de Priam, roi des Phrygiens. Par amour pour Cassandre, et dans le désir de porter secours au père de celle-ci ainsi qu'à ses proches, il voulut prendre part à la guerre de Troie; mais il périt dès son arrivée.

X. 

Cyrus, rex Persarum (62), post grande intervallum, et pene post DCXXX annorum tempora, Pompeio Trogo testante, Getarum reginae Thamiri sibi exitiale intulit bellum. Qui elatus ex Asiae victoria, Getas nititur subiugare, in quibus, ut diximus, regnaverat Thamiris. Quae cum ab Abraxe amne Cyri arcere potuisset accessus, transire tamen permisit : eligens armis eum vincere, quam locorum beneficio submovere. Quod et factum est; et veniente Cyro, prima cessit fortuna Parthis in tantum, ut et filium Thamiris, et plurimum exercitum trucidarent : sed iterato Marte, Getae cum sua regina Parthos devictos superant, atque prosternunt, opimamque praedam de eis auferunt : ibique primum Gothorum gens serica vident tentoria. Tunc Thamiris regina acta victoria, tantaque praeda de inimicis potita, in partem Moesiae, (quae nunc ex magna Scythia nomen mutuata, minor Scythia appellata), transiens, ibi in Ponte Moesiae (63) colitur, et Thamiris civitatem suo de nomine aedificavit. Dehinc Darius (64), rex Persarum, Hystaspis filius, Antyregiri regis Gothorum, filiam in matrimonium expostulavit, rogans pariter atque deterrens, nisi suam peragerent voluntatem. Cuius affinitatem Gothi spernentes, legationem eius frustrarunt. Qui repulsus, furore fiammatus est, et DCC milia armatorum contra ipsos produxit exercitum, verecundiam suam malo pubtico vindicare contendens; navibusque pene a Chalcedonia usque ad Bizantium ad instar pontium tabulatis atque consertis, Thraciam petit et Moesiam; pontemque rursus in Danubio pari modo constructo, duobus mensibus crebris fatigatus intaphis (65) VIII milia perdidit armatorum : timensque ne pons Danubii ab eius adversariis occuparetur, celeri fuga in Thraciam repedavit : nec Moesiae solum sibi credens tutum fore aliquantulum remorandi. Post cuius decessum iterum Xerses filius eius paternas iniurias ulcisci se aestimans, cum suis ducentis et auxiliarium CCC milibus armatorum, rostratas naves mille septingentas, et onerarias tria milia, super Gothos ad bellum profectus; nec tentata  re in conflictu praevaluit, animositate constantiae superatus. Sic namque, ut venerat, absque aliquo certamine suo cum robore recessit. Philippus quoque, pater Alexandri Magni, cum Gothis amicitias copulans, Medopam Gothilae regis filiam accepit uxorem; ut tali affinitate roboratus, Macedonum regna firmaret. Qua tempestate, Dione historico dicente, Philippus inopia pecuniae passus, Udisitanam Moesiae civitatem instructis copiis vastare deliberat, quae tunc propter vicinam Thamoris, Gothis erat subiecta. Unde et sacerdotes Gothorum aliqui, illi qui pii vocabantur, subito patefactis portis, cum citharis et vestibus candidis obviam sunt egressi, patrernis diis, ut sibi propitii Macedones repellerent, voce supplici modulantes. Quos Macedones sic fiducialiter sibi occurrere contuentes stupescunt et, si dici fas est, ab inermibus terrentur armati. Nec mora, soluta acie, quam ad bellum construxerunt, non tantum ab urbis excidio removere: verum etiam et quos foris fuerant iure belli adepti, reddidernut, foedusque inito ad sua reversi sunt. Quem dolum post longum tempus reminiscens egregius Gothorum ductor Sitalcus, CL virorum milibus congregatis, Atheniensibus intulit bellum adversus Perdiccam Macedoniae regem, quem Alexander apud Babyloniam ministri insidiis potans interitum, Atheniensium principatui hereditario iure reliquerat successorem. Magno proelio cum hoc inito Gothi superiores inventi sunt; et sic pro iniuria, qua illi in Moesia dudum fecissent : isti in Graeciam discurrentes, cunctam Macedoniam vastavere.

CHAPITRE X.

Il s'était écoulé bien du temps depuis lors, environ l'espace de six cent trente ans, quand, selon le témoignage de Trogue-Pompée, Cyrus, roi des Perses, entreprit contre Thamiris, reine des Gètes, une guerre qui lui fut fatale à lui-même. Enflé de la conquête de l'Asie , il tenta de subjuguer les Gètes, sur lesquels régnait Thamiris, comme nous venons de le dire. Celle-ci pouvait arrêter Cyrus au passage de l'Araxe; mais elle le lui laissa traverser, aimant mieux devoir la victoire à son bras qu'à la position avantageuse qu'elle occupait : elle y réussit. Dès l'arrivée de Cyrus, la fortune fut d'abord si favorable aux Parthes, qu'ils massacrèrent le fils de Thamiris, et une nombreuse armée qu'il commandait; mais dans une seconde bataille les Gètes, conduits par leur reine, vainquirent les Parthes, en firent un grand carnage, et leur enlevèrent un riche butin. Ce fut alors que les Goths virent pour la première fois des tentes de soie. Après la victoire, la reine Thamiris, se trouvant en possession de cet immense butin pris sur l'ennemi, passa dans la partie de la Moesie qui s'appelle à présent Scythie mineure, nom qu'elle a emprunté de la grande Scythie, et fonda dans ce pays, où elle fut depuis adorée, une ville qu'elle appela, de son nom, Thamiris. Plus tard, Darius, roi des Perses et fils d'Hystaspe, demanda en mariage la fille d'Antriregire, roi des Goths, employant d'abord les prières et enfin les menaces , au cas où sa demande ne lui serait point accordée. Mais les Goths rejetèrent avec mépris cette alliance, et frustrèrent l'espoir de ses ambassadeurs. Enflammé de fureur de se voir refusé, Darius fit marcher contre eux une armée de quatre-vingt mille hommes, sacrifiant ainsi le sang de ses sujets à la vengeance d'une injure personnelle. ll établit un pont de bateaux depuis les environs de Chalcédoine jusqu'à Byzance, et passa en Thrace et ensuite en Moesie. Il avait construit encore un pont semblable sur le Danube ; mais, fatigué par des attaques réitérées dans lesquelles il perdit huit mille hommes en deux mois, et craignant que l'ennemi ne se rendît maître de son pont sur le Danube, il prit la fuite précipitamment, et regagna la Thrace, sans oser même s'arrêter dans la Moesie, où il ne se trouvait pas assez en sûreté. Après sa mort, Xerxès, son fils, pensant venger la défaite de son père, marcha contre les Goths à la tête de deux cent mille Perses et de trois cent mille auxiliaires. Il avait en outre sept cents navires de guerre et trois mille bâtiments de transport : néanmoins il échoua dans son entreprise, et il lui fallut céder à la bravoure opiniâtre des Goths. Il s'en retourna donc comme il était venu, sans avoir livré aucun combat, et n'emportant que de la honte. Plus tard Philippe, père d'Alexandre le Grand, fit amitié avec les Goths et prit pour épouse Médopa, fille du roi Gothila. Cette alliance, en le rendant plus fort, le mettait à même d'affermir l'empire macédonien ; et pourtant vars le même temps, au rapport de Dion, Philippe, pressé d'argent, rassembla une armée dans le dessein de piller la ville d'Udisitana dans la Moesie, laquelle, étant voisine de celle de Thamiris, obéissait alors aux Goths. Mais à son approche une partie des prêtres des Goths, ceux qu'on appelait les pieux, s'empressèrent d'ouvrir les portes de la ville, et sortirent au-devant de lui portant des cithares et vêtus de blanc. Dans des chants suppliants, ils demandaient aux dieux de leurs pères de leur être propices, et d'éloigner d'eux les Macédoniens. Ceux-ci, les voyant venir vers eux avec cette confiance, furent saisis de surprise; et, s'il est permis de parler ainsi, des guerriers en armes se trouvèrent maîtrisés par des hommes faibles et désarmés. Cette armée rassemblée pour combattre se dispersa sur-le-champ; et non seulement les Macédoniens épargnèrent cette ville, dont la destruction semblait assurée, mais même ils rendirent ceux de ses habitants qui, se trouvant hors de ses murs, étaient tombés en leur pouvoir d'après les lois de la guerre, et s'en retournèrent dans leur pays, après avoir fait un traité avec les Goths. Ce fut en souvenir de cette perfidie que, longtemps après, l'illustre chef des Goths Sitacle, à la tête de cent cinquante mille guerriers, alla faire la guerre aux Athéniens, ou plutôt à Perdiccas, roi de Macédoine; car Alexandre mourant à Babylone, du breuvage empoisonné que la trahison d'un de ses officiers lui avait préparé, avait désigné Perdiccas pour régner après lui sur les Athéniens. Sitacle lui livra un grand combat, dans lequel les Goths restèrent vainqueurs; et c'est ainsi que, pour venger une injure qu'ils avaient anciennement reçue des Grecs dans la Moesie, les Goths firent irruption dans la Grèce, et ravagèrent toute la Macédoine.

XI. 

Dehinc regnante in Gothis Sitalco, Buruista Dicineus venit in Gothiam, quo tempore Romanorum Sylla potitus est principatu, quem Dicineus suscipiens Boroista, dedit ei pene regiam potestatem; cuius consilio Gothi Germanorum terras, quas nunc Franci optinent, populati sunt. Caesar vero, qui sibi primus omnium Romanum vindicavit imperium, et pene omnem mundum suae dicioni subegit, omniaque regna perdomuit, adeo ut extra nostrum urbem Oceani sinu repositas insulas occuparet, et qui nec nomen Romanorum auditu quidem noverant, eos Romanis tributarios faceret : Gothos tamen crebro tentans nequivit subicere. Gaius Tiberius iam tertius regnat Romanis: Gothi tamen suo regno incolumes perseverant, quibus hoc erat salubre, aut commodum, aut votivum, ut, quidquid Dicineus eorum consiliarius precepisset, hoc modis omnibus expetendum, hoc utile iudicantes, effectui manciparent. Qui cernens eorum animos sibi in omnibus oboedire, et naturale eos habere ingenium, omnem pene philosophiam eos instruxit; erat namque huius rei magister peritus. Nam ethicam eos erudivit, ut barbaricos mores compescerent : physicam tradens, naturaliter propriis legibus vivere fecit, quas usque nunc conscriptas Bellagines (66) nuncupant : logicam instruens,  eos rationis supra ceteras gentes fecit expertes : practicen ostendens, in bonis actibus conversari suasit : theoreticen demonstrans, signorum duodecim, et per ea planetarum cursus, omnemque astronomiam contemplari edocuit; et quomodo lunaris orbis augmentum sustinet, aut patitur detrimentum, edixit : solisque globus igneus quantum terrenum orbem in mensura excedat, ostendit : aut quibus nominibus, vel quibus signis in polo caeli vergentes, aut revergentes CCCXLIIII stellae ab ortu in occasum praecipites ruant, exposuit. Qualis erat, rogo, voluntas, ut viri fortissimi, quando ab armis quatriduum usque vacassent, doctrinis philosophicis imbuerentur? Videres unum caeli positionem, alium herbarum frugumque explorare naturas; istum lunae commoda incommodaque, illum solis labores attendere, et quomodo rotatu caeli raptus, retro reduci ad partem occiduam, qui ad orientalem plagam ire festinarit, ratione accepta quiescere. Haec et alia nonnulla Dicineus Gothis sua peritia tradens, mirabilis apud eos invenitur; ut non solum mediocribus, imo et regibus imperaret. Elegit namque ex eis tunc nobilissimos prudentioresque viros, quos theologiam instruens, numina quaedam, et sacella venerari suasit, fecitque sacerdotes, nomen illis Pileatorum contradens, ut reor, quia opertis capitibus tiaris, quos pilleos alio nomine nuncupamus, litabant: reliquam vero gentem Capillatos dicere iussit, quod nomen Gothi pro magno suscipientes, adhuc hodie suis cantionibus reminiscuntur. Decedente vero Dicineo, pene pari veneratione habuere Comosicum, quia nec impar erat sollertiae. Hic etenim et rex illis, et pontifex ob suam peritiam habebatur, et in summa iustitia populos iudicabat. 

CHAPITRE XI.

Plus tard, et au temps que Sylla s'empara de la dictature à Rome, Boroïsta Dicénéus vint en Gothie. Les Goths avaient alors pour roi Sitacle, que Dicénéus Boroïsta prit en affection, et qu'il investit d'une autorité presque souveraine. Ce fut par son conseil que les Goths ravagèrent les terres des Germains, celles que les Francs occupent maintenant. César, qui le premier de tous s'arrogea le pouvoir suprême à Rome ; César, qui soumit le monde presque entier à son pouvoir, et subjugua non seulement tous les royaumes, mais encore les îles que l'Océan sépare de notre continent; César, qui rendit tributaires des Romains ceux même qui n'avaient jamais entendu prononcer leur nom; César, dis-je, essaya plusieurs fois de subjuguer les Goths, mais sans succès. Tibère règne, c'est déjà le troisième empereur que comptent les Romains; néanmoins les Goths conser vent leur indépendance. Ceux-ci n'aspiraient alors qu'à une chose, la seule utile à leurs yeux, la seule importante: c'était de suivre les conseils de Dicénéus, d'accomplir eu tout point ses préceptes. Celui-ci, voyant leur docilité à lui obéir en tout, et découvrant en eux une intelligence naturelle, leur enseigna presque toutes les branches de la philosophie; car c'était un maître habile en cette science. Il leur apprit la morale, afin de les dépouiller de leurs moeurs barbares; la physique, pour les porter à vivre conformément à la nature sous des lois qu'il leur donna, lois dont les Goths conservent encore le texte écrit, et qu'ils appellent Bellagines. Il leur enseigna la logique , et rendit par là leur raison supérieure à celle des autres peuples. Il leur montra la pratique enfin, les exhortant à ne faire de leur vie qu'une suite de bonnes actions. Ensuite il leur fit connaître la théorie ; et, leur dévoilant tous les secrets de l'astronomie, il leur expliqua les douze signes du zodiaque, la marche des planètes à travers ces signes, comment l'orbe de la lune prend de l'accroissement, comment il diminue; il leur fit voir combien le globe embrasé du soleil surpasse en grandeur celui de la terre. Enfin il leur apprit les noms de trois cent quarante-quatre étoiles, et par quels signes elles passent pour se rapprocher ou s'écarter du pôle céleste, dans leur course rapide d'orient en occident. Quelle devait être, je vous le demande, la constance de cos vaillants hommes, pour sacrifier ainsi à l'étude de la philosophie le peu de jours qu'ils passaientsans combattre? Vous eussiez vu l'un observer l'état du ciel, l'autre les propriétés des herbes et des fruits; celui-ci étudier les influences diverses de la lune ; celui-là, soit une éclipse de soleil, soit la loi qui ramène cet astre à l'orient, alors qu'emporté dans la révolution du ciel il précipite sa course vers l'occident. Dicénéus, ayant appris aux Goths ces choses et encore bien d'autres, fut regardé par eux comme un être surnaturel. Aussi gouverna-t-il non seulement les peuples, mais même les rois. ll choisit les hommes les plus nobles et les plus sages parmi eux, les instruisit des choses de la religion, les initia au culte de certaines divinités et de leurs autels, et en fit des prêtres auxquels il donna le nom Piléati : la raison en est, je pense, qu'ils sacrifiaient la tête couverte d'une tiare, laquelle nous nommons aussi piléus. Il commanda qu'on appelât Capillati le reste de la nation; et ce nom est en tel honneur chez les Goths, qu'ils le mentionnent encore aujourd'hui dans leurs chants. Après la mort de Dicénéus, ils eurent presque autant de vénération pour Comosicus, dont la science égalait la sienne. Celui-ci, à cause de ses vastes connaissances, fut à la fois roi et pontife des Goths, et il jugeait les peuples dans sa justice.

XII. 

Et hoc rebus excedente humanis, Corillus rex Gothorum in regno conscendit, et per quadraginta annos in Dacia suis gentibus imperavit. Daciam dico antiquam, quam nunc Gepidarum populi possidere noscuntur. Quae patria in conspectu Moesiae trans Danubium corona montium cingitur : duos tantum habens accessus, unum per Boutas, alterum per Tabas. Hanc Gothicam, quam Daciam appellavere maiores (quae nunc, ut diximus, Gepidia dicitur), tunc ab oriente Roxolani (67), ab occasu Tamazites, a septentrione Sarmatae, et Bastemae, a meridie amnis Danubii fluenta terminabant. Tamatites ab Roxolanis alveo tantum fluvii segregantur. Sed quia Danubii mentio facta est (68), non ab re iudico pauca de tali amne egregia indicare. Nam hic in Alemannicis arvis exoriens, sexaginta a fonte suo flumina usque ad ostia in Pontum vergentia, per mille ducentorum passuum milia hinc inde suscipiens flumina in modum spinae, quae costas ut cratem intexunt ; omnino amplissimus est, qui in lingua Bessorum Hister vocatur, ducentis tantum pedibus in altum aquam alveo habet profundam. Hic etenim amnis inter caetera flumina immanis omnes superat, praeter Nilum. Haec de Danubio dixisse sufficiat. Ad propositum vero, unde nos digressi sumus, adiuvante Domino redeamus.

CHAPITRE XII.

Comosicus étant mort , Corillus monta sur le trône, et régna pendant quarante ans sur les Goths, dans la Dacie. Je veux parler de l'ancienne Dacie, celle que les Gépides occupent aujourd'hui, comme on sait. Cette contrée, située en regard de la Moesie, au delà du Danube, est ceinte d'une couronne de montagnes, et n'a que deux issues, dont l'une se nomme Boutas, et l'autre Tabas. Appelée Dacie anciennement, ensuite Gothie sous les Goths, elle porte maintenant, comme nous l'avons dit, le nom de Gépidie. Elle est bornée à l'orient par les Roxolans, au couchant par les Tamazites, au septentrion par les Sarmates et les Bastarnes , au midi par le cours du Danube. Les Tamazites et les Boxalans ne sont séparés que par le lit du fleuve. Mais puisque je viens de nommer le Danube, il ne sera pas, je crois, hors de propos d'en indiquer ici quelques particularités remarquables. Il prend sa source dans le pays des Alemannes, et reçoit soixante fleuves depuis sa source jusqu'au Pont-Euxin, où il a son embouchure. Ces fleuves, qui sillonnent ses bords à droite et à gauche sur un espace de douze cent mille pas, lui donnent la figure d'une arête de poisson. Quand il prend le nom d'Hister, que les Besses lui donnent dans leur langue, il acquiert une prodigieuse largeur, et ses eaux ont jusqu'à deux cents pieds de profondeur. Aussi ce fleuve immense surpasse-t-il en grandeur tous les autres fleuves, et n'a que le Nil pour rival. Mais c'est assez parler du Danube : avec l'aide du Seigneur, revenons à notre sujet, dont nous nous sommes écarté.

XIII. 

Longum namque post intervallum, Domitiano imperatore regnante (69), eiusque avaritiam metuentes, foedus, quod dudum cum aliis principibus pepigerant Gothi solventes; ripam Danubii iam longe possessam ab imperio Romano, deiectis militibus cum eorum ducibus vastaverunt, cui provinciae tunc post Agrippam Poppaeus praeerat Sabinus, Gothis autem Dorpaneus (70) principatum agebat, quando bello commisso Gothi, Romanis devictis, Poppaei Sabini capite absciso, multa castella et civitates invadentes de parte imperatoris publice depraedarunt : qua necessitate suorum Domitianus (71) cum omni virtute sua in Illyricum properavit, et totius pene reipublicae militibus, ductore Fusco praelato, cum electissimis viris amnem Danubii confertis navibus ad instar pontis transmeare coegit super exercitum Dorpanei. Tum Gothi haut segnes reperti, arma capessunt, primoque conflictu, mox Romanos devincunt, Fuscoque duce extincto, divitias de castris militum despoliant, magnaque potiti per loca victoria, iam proceres suos, quasi qui fortuna vincebant, non puros homines, sed semideos, id est Anses (72) vocavere. Quorum genealogiam ut paucis percurram, ut quo quis parente genitus est, aut unde origo accepta, ubi finem effecit, absque invidia, qui legis vera dicentem ausculta.

CHAPITRE XIII.

Longtemps après, sous le règne de l'empereur Domitien, les Goths, se défiant de son avarice, rompirent l'alliance qu'ils avaient faite anciennement avec d'autres empereurs, mirent en fuite soldats et généraux romains, et ravagèrent la rive du Danube, dont l'empire était en possession depuis longtemps. Poppæus Sabinus avait succédé à Agrippa dans le gouvernement de cette province; les Goths, de leur côté, avaient pour roi Dorpanéus : on en vint aux mains; les Goths battirent les Romains, coupèrent la tête à Poppaeus Sabinus, et, s'étant rendus maîtres d'un grand nombre de forteresses et de villes appartenant à l'empereur, ils les saccagèrent. Dans cette extrémité où se trouvaient réduits ses sujets, Domitien se hâta de passer en Illyrie avec toutes ses forces, et donna l'ordre à Fuscus, auquel il confia le commandement de presque toutes les troupes de l'empire, de passer le Danube sur un pont de bateaux avec l'élite de ses soldats, et de marcher contre l'armée de Dorpanéus; mais les Goths ne se laissèrent pas surprendre. Ils prirent les armes, et dès le premier combat défirent les Romains, tuèrent Fuscus leur général, et pillèrent leur camp après l'avoir forcé. Ce fut à l'occasion de cette grande victoire que les Goths donnèrent le nom d'Anses, c'est-à-dire de demi-dieux, à leurs chefs, ceux-ci leur paraissant trop constamment favorisés de la fortune pour n'être que de simples mortels. Je vais maintenant exposer leur généalogie en peu de mots. Vous qui me lisez sans partialité, écoutez-moi donc; je vous dirai avec exactitude de quel père descend chacun d'eux, quel fut l'auteur de leur race, et quel en fut le dernier rejeton.

XIV. (73)

Horum ergo, ut ipsi suis in fabulis ferunt, primus fuit Gapt, qui genuit Halmal. Halmal vero genuit Augis: Augis genuit eum, qui dictus est Amala, a quo et origo Amalorum decurrit. Et Amala genuit Isarna: Isarna autem genuit Ostrogotha: Ostrogotha autem genuit Unilt: Unultl genuit Athal: Athal genuit Achiulf: Achiulf genuit Ansilam et Ediulf, Vuldulf et Hermerich: Vuldulf vero genuit Valaravans: Valaravans autem genuit Winitharium: Winitharius quoque genuit Theodemir et Walemir et Widemir: Theodimir genuit Theodericum: Theodericus genuit Amalasuentam: Amalasuenta genuit Athalaricum et Matesuentham, de Utherico viro suo, cuius affinitati generis sic ad eam coniunctas est. Nam supradictus Hermericus, filius Achiulfi genuit Hunnimundum: Hunnimundus autem genuit Thorismundum: Thorismundus vero genuit Berimund: Berimund autem genuit Widericum: Widericus genuit Eutharicum, qui coniunctus Amalasuentae genuit Athalaricum et Mathasuentam; mortuoque in puerilibus annis Athalarico Mathasuenthae Witichis est sociatus de quo non suscepit liberum, adductique simul a Belisario Constantinopolim: et Witichis rebus excedente humanis Germanus patricius fratruelis Iustiniani imp. eam in conubio sumens patriciam ordinariam fecit; de qua et genuit filium item Germanum nomine, Germano vero defuncto ipsa vidua perseverare disponit, quomodo autem aut qualiter regnum Amalorum distructum est, loco suo, si dominus iubaverit, edicimus. Nunc autem ad id, unde digressum fecimus, redeamus doceamusque, quomodo ordo gentis, unde agimus, cursus sui metam explevit, Ablabius enim storicus refert, quia ibi super limbum Ponti, ubi eos diximus in Scythia commanere, ibi pars eorum, qui orientali plaga tenebat, eisque praeerat Ostrogotha, utrum ab ipsius nomine, an a loco, id est orientales, dicti sunt Ostrogothae, residui vero Vesegothae, id est a parte occidua. Et quidem iam superius diximus, eos transito Danubio aliquantum temporis apud Moesiam, Thraciamque vixisse.

CHAPITRE XIV.

Le premier de tous, comme les Goths eux-mêmes le racontent dans leurs poésies, fut Gapt, qui engendra Halmal; Halmal engendra Augis; Augis engendra celui qui porta le nom d'Amala, et qui est la souche des Amales. Amala engendra Isarna ; Isarna engendra Ostrogotha ; Ostrogotha engendra Unilt; Unilt engendra Athal; Athal engendra Achiulf; Achiulf engendra Ansila et Ediulf, Vuldulf et Herméric. Vuldulf engendra Valeravans; Valeravans engendra Winithar; Winithar engendra Théodemir, Walemir et Widemir. Théodemir engendra Théoderic; Théoderic engendra Amalasuente; Amalasuente engendra Athalaric et Mathasuente, qu'elle eut d'Uthéric son époux, et du même sang qu'elle; car Herméric, fils d'Achiulf, celui dont j'ai parlé plus haut, engendra Hunnimund; Hunnimund engendra Thorismund; Thorismund engendra Bérimund; Bérimund engendra Widéric; Widéric engendra Eutharic, et celui-ci, devenu l'époux d'Amalasuente, engendra Athalaric et Mathasuente. Athalaric étant mort dans son jeune âge, Mathasuente épousa Witichis; elle n'en eut point d'enfants. Ils furent amenés tous deux à Constantinople par Bélisaire ; et Witichis y étant mort, le patrice Germanus, fils d'un frère de notre seigneur l'empereur Justinien, prit pour femme cette même Mathasuente, et l'éleva au rang de patrice ordinaire; il en eut un fils, qui s'appela Germanus comme lui. Germanus étant mort, sa veuve prit la résolution de ne jamais se remarier. Nous ferons connaître en son lieu (si telle est la volonté du Seigneur) comment prit fin le règne des Amales : maintenant revenons à notre sujet, dont nous nous sommes écarté, et parlons du temps où la nation dont il est question mit enfin un terme à ses courses. L'historien Ablavius rapporte que tandis que les Goths demeuraient, comme nous l'avons dit, en Scythie et sur le rivage du Pont-Euxin, ceux d'entre eux qui demeuraient du côté de l'orient, et qui avaient pour chef Ostrogotha, furent appelés Ostrogoths (on ignore si ce fut à cause du nom de leur roi, ou de leur position orientale ) ; et que les autres, ceux qui s'étaient établis à l'occident, reçurent le nom de Visigoths. Nous avons déjà dit qu'après avoir franchi le Danube, ils avaient quelque temps habité dans la Moesie et dans la Thrace.

XV.  

Ex eorum reliquiis fuit et Maximinus imperator post Alexandrum Mamaeae, ut dicit Symmachus (74)  in quinto suae historiae libro. Alexandro, inquit, Caesar mortuo, Maximus ab exercitu factus est imperator, ex infimis parentibus in Thracia natus, a patre Gotho nomine Mecca (75), matre Alana, quae Ababa dicebatur. Is triennium regnans, dum in Christianos arma commoveret, imperium simul et vitam amisit. Nam hic, Severo imperatore regnante, et natalem filii diem celebrante, post primam aetatem, et rusticanam vitam, de pascuis in militiam venit. Princeps siquidem Severus militares dederat ludos; quod cernens Maximinus, qui erat semibarbarus adolescens, positis praemiis, barbara lingua petit ab imperatore, ut sibi luctandi cum expertis militibus licentiam daret. Severus, ammodum miratus magnitudinem formae (erat enim, ut fertur, statura eius procera ultra octo pedes), iussit eum lixis corporeo nexu contendere, ne quid a rudi homine militaribus viris eveniret iniuriae. Tunc Maximinus sedecim lixas tanta felicitate prostravit, ut vincendo singulos nullam sibi requiem intercapedine temporum daret. Hic, captis praemiis, iussus est in militiam mitti, primaque ei stipendia equesiria fuere. Tertiam post diem, cum imperator prodierat in campum, vidit eum exsultantem more barbarico, iussitque tribuno ut eum coercitum ad Romanam imbueret disciplinam. Ille vero ubi de se intellexit principem loqui, accessit ad eum, equitantemque praeire pedibus coepit. Tum imperator equo adacto in cursum calcaribus incitatum, multos orbes huc atque illuc usque ad suam fatigationem variis inflexibus interpedavit, ac deinde ait illi: « Num quid vis post cursum Thracisce, luctari (76) ? » Respondit: « Quantum libet, imperator. » Ita Severus, ex equo desiliens, recentissimos militum cum eodem certare iussit. At ille septem valentissimos iuvenes ad terram elisit, ita ut antea nihil per intervalla respiraret. Solusque a Caesare et argenteis praemiis, et aureo torque donatus est, iussus deinde inter stipatores degere corporis principalis. Post haec sub Antonino Caracalla ordines duxit, ac saepe famam factis extendens, inter plures militiae gradus, centuriasque strenuitatis suae praetium tulit. Macrino tamen postea in regnum ingresso, recusavit militiam pene triennium, tribunatusque habens honorem, numquam se oculis obtulit Macrini : indignum ducens eius imperium, quod perpetratum facinus erat quaesitum ab Heliogabalo. Dehinc quasi ad Antonini filium revertens, tribunatum suum adiit, et post hunc sub Alexandro Mamaeae contra Parthos mirabiliter dimicavit. Eoque Mogontiaco militari tumultu occiso (77), ipse exercitus electione absque senatusconsulto effectus est imperator, qui cuncta bona sua in persecutione Christianorum malo voto foedavit, occisusque Aquileiae a Pupione (78), regnum reliquid Philippo. Quod nos idcirco huic opusculo de Symmachi historia mutuavimus, quatenus gentem, unde agimus, ad regni Romani fastigium usque venisse doceamus. Caeterum causa exegit, ut ad id, unde digressi sumus, redeamus.

CHAPITRE XV.

Ce fut d'entre ceux des Goths restés dans ces contrées que sortit Maximin, empereur après la mort d'Alexandre, fils de Mammée. Ainsi le rapporte Symmaque au cinquième livre de son histoire. Alexandre César étant mort, dit-il, l'armée fit empereur Maximin, né en Thrace de parents obscurs. Son père était Goth, ayant nom Mecca; sa mère était Alaine, et s'appelait Ababa. La troisième année de son règne, et durant la persécution qu'il faisait souffrir aux chrétiens, il perdit ensemble l'empire et la vie. Sévère était empereur, et célébrait le jour de naissance d'un de ses fils, quand, au sortir d'une enfance passée dans les bois, il quitta la vie de pâtre pour celle de soldat. Le prince donnait des jeux militaires; parmi les spectateurs se trouvait Maximin, qui, jeune et à demi sauvage, à la vue des prix qu'on avait étalés, demanda à l'empereur, dans sa langue barbare, la permission de lutter avec des soldats d'une adresse éprouvée. Sévère, surpris à l'excès de sa haute taille, qui dépassait huit pieds, dit-on, ordonna qu'on le mît aux prises avec des goujats, ne voulant pas exposer les soldats à quelque outrage de la part de ce rustre. Le bonheur de Maximin fut tel, qu'il terrassa seize goujats les uns après les autres, sans se donner un moment de repos : le prix lui fut adjugé, et il reçut l'ordre d'entrer dans la milice. Il fut reçu, en commençant, dans la cavalerie. Trois jours après, l'empereur étant allé au camp de manoeuvre, et le voyant s'ébattre d'une façon barbare, ordonna au tribun de le punir, pour le plier à la discipline romaine. Maximin s'apercevant que le prince parlait de lui, s'en approcha, et se mit à devancer son cheval à la course. Alors l'empereur, pressant l'animal de l'éperon et le lançant au galop, lui fit faire diverses évolutions, décrivant de côté et d'autre des cercles nombreux, jusqu'à ce qu'il crût Maximin rendu; et ensuite il lui dit: « Est-ce que tu ne veux pas, après la course, lutter à la thracienne? - Empereur, lui répondit-il, comme il vous plaira.» Sévère, sautant aussitôt de dessus son cheval, ordonna qu'on le fît lutter avec les soldats les plus récemment enrôlés; mais lui en jeta par terre sept des plus vigoureux, sans se donner le temps de reprendre haleine : aussi fut-il le seul à qui l'empereur décerna un collier d'or, outre le prix d'argent, et il le fit aussitôt passer dans ses gardes. Plus tard, sous Antonin Caracalla, il fut placé à la tête de son corps; sa réputation s'accrut avec ses belles actions, et sa bravoure fut récompensée par divers grades dans la milice, jusqu'à celui de centurion. Toutefois, à l'avènement de Macrin à l'empire, il refusa de servir pendant environ trois ans ; et bien qu'il eût alors le grade de tribun, il ne se présenta jamais aux yeux du nouvel empereur, le regardant comme indigne de régner, pour avoir enlevé par un crime le trône à Héliogabale. Il reprit ensuite du service sous le règne de celui qu'on regardait comme le fils de Caracalla, et il exerça sa charge de tribun. Après sa mort il combattit héroïquement contre les Parthes, sous Alexandre fils de Mammée. Enfin, celui-ci ayant été tué à Mayence dans une révolte de ses soldats, l'armée, sans consulter le sénat, fit Maximin empereur; mais il souilla toutes ses bonnes qualités par la funeste résolution qu'il prit de persécuter les chrétiens, et fut tué à Aquilée par Pupion, laissant l'empire à Philippe. Nous n'avons emprunté de l'histoire de Symmaque le morceau qu'on vient de lire, qu'afin de faire voir que la nation dont il est question en ce livre est parvenue jusqu'au falte des grandeurs romaines. Mais il nous faut revenir au point où notre digression a commencé.

XVI. 

Nam gens ista mirum in modum in ea parte, qua versabatur, id est Ponti in litore Scythiae soli, innotuit, sine dubio tanta spatia tenens terrarum, tot sinus maris, tot fluminum cursus, sub cuius saepe dextra Wandalus iacuit, stetit sub pretio Marcomannus, Quadorum principes in servitutem redacti sunt. Philippo namque antedicto regnante Romanis, qui solus ante Constantinum Christianus cum Philippo,  id est filio fuit, cuius et secundo anno regni Roma millesimum annum explevit, Gothi, ut assolet, distracta sibi stipendia sua aegre ferentes, de amicis facti sunt inimici. Nam quamvis remoti sub regibus viverent suis, reipublicae tamen Romanae foederati erant, et annua munera percipiebant. Quid multa ? Transiens tunc Ostrogotha cum suis Danubium, Moesiam, Thraciamque vastavit (79) : ad quem repellendum Decius senator a Philippo dirigitur; qui veniens dum genti nihil praevalet, milites proprios exemptos a militia fecit vita privata degere; quasi eorum neglectu Gothi Danubium transissent, factaque, ut puta in suis vindicta, ad Philippum revertitur. Milites vero videntes, se esse post tot labores militia pulsos, indignati ad Ostrogothae regis Gothorum auxilium confugerunt. Qui excipiens eos, eorumque verbis accensus, mox triginta milia virorum armata produxit ad proelium, adhibitis sibi Taphilis (80), et Astringis nonnullis. Sed et Carporum tria milia, genus hominum ad bella nimis expeditum, qui saepe Romanis infesti sunt; quos tamen post haec, imperante Dioclitiano, et Galerius Maximinus Caesar de civitate reipublicae Romanae subegit. Is ergo habens Gothos et Peucenos, ab insula Peuce, quae ostio Danubii Ponto mergenti adiacet, Argaitum et Gunthericum nobilissimos suae gentis ductores praefecit. Qui mox Danubium vadati, et secundo Moesiam populati, Marcianopolim (81) eiusdem patriae urbem famosam metropolim aggrediuntur, diuque obsessam, accepta pecunia ab his, qui inerant, reliquere. Et quia Marcianopolim nominavimus, libet aliqua de eius situ breviter intimare. Nam hanc urbem Traianus imperator hac re, ut fertur, aedificavit, eo quod Marciae sororis suae puella, dum lavat in flumine illo, quod nimiae limpiditatis saporisque in media urbe oritur, Potami cognomento, exindeque vellet aquam haurire, casu vas aureum, quod ferebatur, in profundum cecidit, metalli pondere praegravatum longeque post emersit; quod certe non erat usitatum, aut vacuum sorberi, aut certe seme voratum undis respuentibus enatare. His Traianus sub admiratione compertis, fontique numinis quiddam inesse credens, conditam civitatem germanae suae in nomine Marcianopolim nomninavit.

CHAPITRE XVI.

Cette nation jeta un éclat extraordinaire dans les contrées qu'elle habita d'abord, je veux dire dans la Scythie, au bord du Pont-Euxin. Occupant, comme on ne saurait en douter, de si grands espaces de terre, maîtresse de tant de mers, du cours de tant de fleuves, combien de fois ne fit-elle pas tomber sous sa main le Vandale, n'imposa-t-elle pas tribut au Marcoman, ne réduisit-elle pas en servitude les princes des Quades? Sous l'empereur Philippe, le même dont j'ai parlé plus haut, qui fut le seul prince chrétien, avec Philippe son fils, avant Constantin, et vit, la seconde année de son règne, Rome accomplir sa millième année, les Goths, justement mécontents de ce qu'on ne leur payait plus leur solde, devinrent ennemis, d'amis qu'ils étaient; car, bien qu'ils vécussent sous leurs rois dans un pays reculé , ils étaient néanmoins fédérés de l'empire, et recevaient un don annuel. Que vous dirai-je? Ostrogotha passa le Danube avec les siens, et dévasta la Maesie et la Thrace. Philippe envoya contre lui le sénateur Décius. Celui-ci s'étant mis à la tête des troupes, et ne remportant aucun avantage, cassa ses soldats et les renvoya dans leurs foyers, comme si c'eût été par leur négligence que les Goths eussent passé le Danube. S'étant ainsi vengé sur les siens de son insuccès, il retourna auprès de Philippe. Mais les soldats indignés de se voir licenciés, après les fatigues qu'ils avaient essuyées, coururent offrir leur secours au roi des Goths Ostrogotha. Il les accueillit bien ; et, enflammé par leurs discours, il marche bientôt contre les Romains à la tête de trente mille hommes, auxquels se joignirent des Thaphiles, des Astringiens, trois mille Carpiens, race d'hommes fort aguerris et souvent funestes aux Romains, mais que plus tard cependant Galérius Maximin, césar, soumit à l'empire, sous le règne de Dioclétien. Pour revenir à Ostrogotha, ayant réuni des Goths et des Peucéniens de l'île de Peucé, adjacente à l'embouchure du Danube dans le Pont-Euxin, il leur donna pour chefs Argaït et Gunthéric, les premiers de la nation des Goths en noblesse. Ceux-ci sans tarder passèrent à gué le Danube, ravagèrent une seconde fois la Moesie, et attaquèrent Marcianopolis, métropole célébre de cette province. Mais après l'avoir assiégée longtemps, ils se retirèrent pour une somme d'argent que leur donnèrent les habitants. Qu'il nous soit permis, puisque nous avons nommé Marcianapolis, de dire quelques mots sur la fondation de cette ville. Voici à quelle occasion l'empereur Trajan la fit bâtir: On rapporte qu'une jeune fille de sa soeur Marcia se baignait dans ce fleuve, dont les eaux limpides et d'un goût exquis prennent leur source au milieu de la ville, et qui sappelle Potamos. Comme elle voulait puiser de l'eau , elle laissa échapper par mégarde un vase d'or dont elle se servait, lequel tomba au fond, entraîné par le poids du métal, mais reparut sur l'eau plus loin. C'était assurément une chose surnaturelle que ce vase fût submergé étant vide, ou qu'il surnageât, rejeté par les flots, après avoir été englouti; aussi Trajan, en apprenant ces circonstances, fut-il dans un grand étonnement; et augurant que quelque divinité résidait dans cette source, il y bâtit une ville qu'il nomma Marcianopolis, du nom de sa soeur.

XVII. 

Abhinc ergo, ut dicebamus, post longam obsidionem accepto praemio ditatus Geta, recessit ad pratriam : quem cernens Gepidarum natio subito ubique vincentem, praedisque ditatum, invidia ductus, arma in parentes movet. Quomodo vero Getae, Gepidasque  sint parentes si quaeris, paucis absolvam. Meminisse debes me initio de Scanziae insulae gremio Gothos dixisse egressos cum Berich rege suo, tribus tantum navibus vectos ad citerioris Oceani ripam; quarum trium una navis, ut assolet, tardius vecta, nomen genti fertur dedisse; nam lingua eorum pigra, gepanta dicitur. Hinc factum est, ut paulatim et corruptae nomen eis ex convicio nasceretur. Gepidae namque sine dubio ex Gothorum prosapia ducunt originem : sed quia, ut dixi, gepanta pigrum aliquid tardumque signat, pro gratuito convicio Gepidarum nomen exortum est, quod nec ipsud credo falsissimum. Sunt enim tardioris ingenii, et graviores corporum velocitate. Hi ergo Gepidae tacti invidia, dudum spreta provincia, commanebant in insula Visclae amnis vadis circumacta, quam patrio sermone dicebant Gepidos  (82). Nunc eam, ut fertur, insulam gens Vividaria incolit, ipsis ad meliores terras meantibus. Qui Vividarii ex diversis nationibus ac si in unum asylum collecti sunt, et gentem fecisse noscuntur. Ergo, ut dicebamus, Gepidarum rex Fastida, qui etam gentem excitans, patrios fines per arma dilatavit, Burgundiones pene usque ad internicionem delevit, aliasque nonnullas gentes perdomuit. Gothos quoque male provocans, consanguinitatis foedus prius importuna concertatione violavit : superba admodum elatione iactatus, crescenti populo dum terras coepit addere, incolas patrios reddidit rariores. Is ergo missis legatis ad Ostrogotham, cuius adhuc imperio tam Ostrogothae utrique quam Vesegothae, id est, eiusdem gentes populi subiacebant; inclusum se montium queritans asperitate, silvarumque densitate constrictum : unum poscens e duobus, ut aut bellum sibi, aut locorum suorum spatia praepararet. Tunc Ostrogotha rex Gothorum, ut erat solidi animi, respondit legatis, bellum se quidem talem horrere, durumque fore, et omnino scelestum armis confligere cum propinqis, loca vero non cedere. Quid multa? Gepidae in bella irruunt, contra quos, ne nimii iudicarentur, movit et Ostrogotha procinctum, conveniuntque ad oppidum Galtis, iuxta quod currit fluvius Aucha, ibique magna partium virtute certatum est; quippe quos in se et armorum, et pugnaei similitudo commoverat. Sed causa melior, vivaxque ingenium iuvat Gothos : inclinata denique parte Gepidarum, proelium nox diremit. Tunc relicta suorum strage, Fastida rex Gepidarum properavit ad patriam, tam pudendis opprobriis humiliatus, quam fuerat elatione erectus. Redeunt victores Gothi, Gepidarum discessione contenti, suaque in patria nostri in pace versantur, usque dum eorum praevius existeret Ostrogotha.

CHAPITRE XVII.

Comme nous le disions donc, les Gètes se retirèrent de devant cette ville après un long siège, et retournèrent dans leur pays, enrichis par l'argent qu'ils avaient reçu. Les Gépides, les voyant possesseurs tout à coup d'un grand butin et partout vainqueurs, se laissèrent entraîner par leur jalousie, et prirent les armes contre eux malgré leur parenté. Or comment les Gètes et les Gépides sont-ils parents? Si vous désirez le savoir, je vous le dirai en peu de mots. J'ai dit en commençant, vous devez vous le rappeler, que les Goths étaient sortis de l'île Scanzia avec leur roi Bérich, et que, sur trois vaisseaux seulement, ils avaient abordé aux rivages en deçà de l'Océan. Un de ces trois vaisseaux allant plus lentement que les autres, comme il arrive, fit donner, assure-t-on, le nom de Gépides à ceux qui le montaient; car dans la langue des Goths, paresseux se dit gépanta. De là vint qu'avec le temps, et par corruption, les Gépides tirèrent leur nom d'un terme de reproche. ll est, du reste, hors de doute que les Gépides ont la même origine que les Goths ; mais, comme je l'ai dit, gépanta signifiant paresseux, traînard, ce terme de reproche donné sans intention est devenu leur nom. Et je pense qu'il leur convient à merveille; car leur esprit est moins prompt, leur corps plus lent et plus pesant que ceux des Goths. La jalousie s'empara donc des Gépides, qui, dédaignés jusqu'alors, habitaient une île du fleuve Viscla, entourée de gués que, dans la langue de leurs pères, ils appelaient Gépidos. C'est là même qu'habite aujourd'hui, à ce qu'on rapporte, la nation des Vividariens, depuis que les Gépides se sont établis sur de meilleures terres. On sait que ces Vividariens, sortis de diverses nations, se sont rassemblés dans cette île comme en un asile, et ont ainsi fondé un peuple. Comme nous le disions donc, le roi des Gépides, Fastida, excitant sa nation, recula par ses con-quêtes les frontières de son pays. Après avoir écrasé les Burgundions , qu'il extermina presque entièrement, et dompté encore quelques autres nations, l'insensé, provoquant les Goths eux-mêmes, viola le premier les liens du sang par une agression coupable, et, poussé par son orgueil excessif, se mit à dépeupler les terres qu'il voulait ajouter à celles de son peuple. Il envoya d'abord des députés à Ostrogotha, sous l'empire duquel se trouvaient encore réunis les Ostrogoths et les Visigoths, deux peuples, comme on sait, de la même nation. Il se plaignait de ce qu'il était enfermé dans d'âpres montagnes et resserré par d'épaisses forêts, et lui demandait de deux choses l'une: ou de se préparer à la guerre, ou de lui céder une partie de ses terres. Alors Ostrogotha, roi des Goths, avec la fermeté de caractère qui le distinguait, répondit aux envoyés qu'une telle guerre lui faisait horreur assurément; qu'il lui serait dur, qu'il regardait comme un crime d'en venir aux mains avec ses proches; mais qu'il ne cédait point de terres. Que vous dirai-je? Les Gépides courent aux armes : pour qu'on ne les crût pas les plus forts, Ostrogotha marcha contre eux. Les deux armées se joignirent devant la ville de Galtis, au pied de laquelle coule le fleuve Aucha. Là, on combattit avec un grand courage des deux parts, car des deux parts étaient les mêmes armes et la même manière de combattre; mais les Goths furent aidés par la bonté de leur cause et par un génie plus vif. L'armée des Gépides finit par plier, et la nuit termina le combat. Alors, abandonnant les cadavres des siens, Fastida, roi des Gépides, retourna précipitamment dans son pays, autant humilié par cette honteuse défaite qu'il avait été enflé d'orgueil auparavant. Les Goths reviennent vainqueurs, joyeux de la retraite des Gépides; et tant que vécut leur chef Ostrogotha, les nôtres demeurèrent en paix dans leur pays.

XVIII. 

Post cuius decessum Cniva, exercitum dividens in duas partes, nonnullos ad vastandum Moesiam dirigit, sciens eam neglegentibus principibus defensoribus destitutam. Ipse vero cum LXX milibus ad Eustesium, id est Novas (83) conscendit : unde a Gallo duce remotus, Nicopolim (84) accedit, quae iuxta latrum fluvium est constituta notissima; quoniam devictis Sarmatis Traianus eam fabricavit, et appellavit Victoriae civitatem : ubi Decio superveniente imperatore, tandem Cniva in Haemoniae partes, quae non longe aberant, recessit : inde apparatu disposito Philippopolim ire festinans. Cuius secessum Decius imperator cognoscens, et ipsius urbi ferre subsidium gestiens, iugo montis transacto, ad Berroeam venit. Ibique dum equos, exercitumque lassum refoveret, ilico Cniva cum Gothis in modum fulminis ruit, vastatoque Romano exercitu, imperatorem cum paucis, qui fugere quiverant, ad Thusciam (85), rursus trans Alpes in Moesiam proturbavit : ubi tunc Gallus dux limitis cum plurima manu bellantium morabatur, collectoque tam exinde, quam de hoste exercitu, futuri belli reparat aciem. Cniva vero diu obsessam invadit Philippopolim; praedaque potitus, Priscum ducem, qui inerat, sibi foederavit, quasi cum Decio pugnaturum. Venientesque ad conflictum, ilico Decii filium sagitta saucium crudeli funere confodiunt. Quod pater animadvertens, licet ad confortandos animos militum fertur dixisse: « Nemo tristetur: perditio unius militis non est rei publicae deminutio  » : tamen paternum affectum non ferens, hostes invadit, aut mortem aut ultionem filii exposcens, veniensque abrupto Moesiae civitatem, circumseptus a Gothis et ipse extinguitur (86), imperii finem vitaeque terminum faciens. Qui locus hodieque Decii ara dicitur, eo quod ibi ante pugnam mirabiliter idolis immolasset.

CHAPITRE XVIII.

Après sa mort, Cniva divisant l'armée en deux parts, en envoya une pour ravager la Moesie, sachant qu'elle se trouvait dégarnie de troupes par la négligence des empereurs ; et lui-même, à la tête de soixante et dix mille hommes, il monta vers Eustesium, qui s'appelle aussi Novae. Repoussé par le duc Gallus, il s'avança vers Nicopolis, ville située sur le fleuve Iatrus et fort célèbre, parce que Trajan la fit bâtir après avoir défait les Sarmates, et la nomma la ville de la Victoire. Là, Cniva, apprenant que l'empereur Décius marchait contre lui, se retira dans l'Haemonie, dont il se trouvait peu éloigné ; et après y avoir fait ses préparatifs, il marcha rapidement contre Philippopolis. L'empereur Décius, informé de son départ, et voulant porter secours à cette ville qui lui appartenait, franchit une haute montagne, et se porta sur Berroea. Tandis qu'il y refaisait ses chevaux et son armée fatiguée, Cniva avec ses Goths fondit tout à coup sur lui comme la foudre, tailla en pièces l'armée romaine, et poursuivit l'empereur ainsi qu'un petit nombre des siens, qui trouvèrent la possibilité de s'enfuir jusque dans la Toscane; puis à travers les Alpes encore une fois jusque dans la Moesie, où se trouvait alors Gallus, duc de la frontière, avec des forces considérables. Réunissant aux troupes de ce dernier ceux de ses soldats qui avaient échappé à l'ennemi, Décius forma une nouvelle armée pour continuer la guerre. Quant à Cniva, il s'empara de Philippopolis après un long siège, la pilla, et se ligua avec le duc Priscus, qui l'avait défendue, et qui s'engagea à combattre contre Décius. Ils attaquèrent en effet ce dernier, dont le fils, dès le commencement du combat, fut percé d'une flèche qui le blessa mortellement. On rapporte que le père, en l'apprenant, ne dit que ces paroles, pour rassurer sans doute le courage de ses soldats :  « Il ne faut point s'affliger; la perte d'un soldat ne diminue en rien les forces de l'État. » Cependant, ne pouvant résister à sa douleur paternelle, il se jeta au milieu de l'ennemi, demandant de mourir, ou de venger son fils. Parvenu dans Abrut, ville de la Moesie, il fut enveloppé par les Goths, qui lui donnèrent la mort. C'est ainsi qu'il perdit l'empire et la vie. Ce lieu s'appelle encore aujourd'hui l'autel de Décius, parce qu'avant la bataille le malheureux y avait sacrifié aux idoles.

XIX. 

Defuncto tunc Decio, Gallus et Volusianus regno potiti sunt Romanorum, quando et pestilens morbus pene istius necessitatis consimilis, ut nos ante hos novem annos experti sumus, faciem totius orbis foedavit, supra modum quoque Alexandriam, totiusque Aegypti loca devastans, Dionysio historico (87) super hanc cladem lacrimabiliter exponente, quam et noster conscripsit venerabilis martyr Christi episcopus Cyprianus in libro cuius titulus est de Mortalitate. Tunc et Aemylianus (88) quidam, Gothis saepe ob principum neglegentiam Moesiam devastantibus, ut vidit licere, nec a quoquam sine magno rei publicae dispendio removeri, similiter suae fortunae arbitratus posse evenire, tyrannidem in Moesiam arripuit; omnique manu militari ascita, coepit urbes et populos devastare. Contra quem intra paucos menses multitudo apparatus accrescens, non minimum incommodum rei publicae parturivit; qui tamen in ipso pene nefario conatus sui initio extinctus, et vitam et imperium, quod invadebat, amisit. Supra dicti vero Gallus et Volusianus imperatores, quamvis vix biennio in imperio perseverantes, ab hac luce migrarint; tamen ipso biennio, quo affuere, ubique pacati, ubique regnavere gratiosi, praeterquam unum eorum fortunae reputatum est, id est generalis morbus : sed hoc ab imperitis et calumniatoribus, qui vitam solent aliorum dente maledico lacerare. Hi ergo mox ut imeprium adepti sunt, foedus cum gente Gothorum pepigere (89) , et nec longo intervallo utriusque regibus occumbentibus Gallienus arripuit principatum.

CHAPITRE XIX.

Décius étant mort, Gallus et Volusianus régnèrent sur les Romains. De leur temps une maladie pestilentielle, presque semblable à celle dont nous avons été affligés avant ces derniers neuf ans, souilla la face de tout l'univers, et désola surtout Alexandrie et l'Égypte. L'historien Denys a fait le récit lamentable de ce fléau, qui a été aussi décrit par notre vénérable martyr l'évêque du Christ Cyprien, dans son livre intitulé De la mortalité. Dans le même temps, un certain Emylianus, voyant que la négligence des empereurs laissait les Goths dévaster impunément la Moesie, et qu'on ne pouvait les en éloigner sans soumettre l'empire à de grands sacrifices, se persuada que la fortune ne lui serait pas moins favorable. Il s'empara donc de la tyrannie dans la Moesie, et, ayant attiré à lui toutes les troupes, il se mit à désoler les villes et les habitants. Mais en peu de mois la multitude qui le suivait se révolta contre lui, et ne causa pas de modiques pertes à l'empire. Quant à lui, il périt au commencement de sa tentative criminelle, et perdit en même temps la vie et l'empire qu'il usurpait. A l'égard des empereurs Gallus et Volusianus, dont j'ai parlé plus haut , bien qu'ils aient quitté ce monde après un règne qui dura à peine deux ans, néanmoins dans ces deux années, où ils ne firent qu'apparaître, leur règne fut partout paisible, partout aimé. Une seule chose leur fut imputée à malheur, savoir, la maladie générale; encore ce fut de la part des ignorants et des calomniateurs, qui se plaisent à déchirer la vie d'autrui de leur dent envenimée. Dès leur avénement à l'empire ils firent un traité d'alliance avec les Goths; et après leur mort, arrivée bientôt après, Gallien se saisit du pouvoir suprême.

XX. 

Hoc in omni lascivia resoluto, Respa, et Veduco (90), Thuro, Varoque duces Gothorum sumptis navibus Asiam transiere, fretum Hellesponticum transvecti : ubi multis eius provinciae civitatibus populatis, opinatissimum illud Ephesi Dianae templum, quod dudum dixeramus Amazonas condidisse, igne succendunt : partibus Bithiniae delati, Chalcedonam subvertere, quam postea Comelius Abitus aliqua parte reparavit. Quae hodieque quamvis regiae urbis civiitate congaudeat : signa tamen ruinarum suarum aliquanta ad indicia retinet posteritatis. Hac ergo felicitate Gothi, qua intravere partibus, Asiae praeda spolioque potiti, Hellesponticum fretum retransmeant, vastantes itinere suo Troiam, Iliumque (91), quae vix a bello illo Agamemnoniaco aliquantulum respirantes, rursus hostili mucrone deletae sunt. Post Asiae ergo tale excidium, Thracia eorum experta est feritatem. Nam ibi ad radices Haemi montis mari vicinam Anchialos civitatem aggressi mox adeunt, urbem, quam dudum Sardanaphalus, rex Parthorum, inter limbum maris et Haemi radices locasset. Ibi enim multis feruntur mansisse diebus, aquarum calidarum delectati lavacris, quae ad quintodecimo miliario Anchialitanae civitatis sunt sitae, ab imo sui fontis igni scaturrientes, et inter reliqua totius mundi thermarum innumerabilium loca omnino precipue ad sanitatem infirmorum efficacissima. Exinde ergo ad proprias sedes regressi.

CHAPITRE XX.

Tandis que cet empereur se plongeait dans toutes sortes de dissolutions, Respa et Véduco, Thuro et Varo, chefs des Goths, prirent des vaisseaux et passèrent en Asie. Ayant traversé le détroit de l'Hellespont, ils ravagèrent un grand nombre de villes de cette province, et brûlèrent le temple si renommé de Diane d'Ephèse, fondé jadis par les Amazones, comme nous l'avons dit, ils abordèrent ensuite dans la Bithynie, où ils saccagèrent Chalcédoine, que restaura plus tard en partie Cornélius Avitus , mais qui même aujourd'hui, bien qu'elle jouisse des privilèges de la capitale de l'empire, conserve encore des traces de dévastation qui perpétueront le souvenir de ses malheurs. Chargés de butin, les Goths repassèrent l'Hellespont avec le même bonheur qu'ils l'avaient passé pour entrer en Asie, et ravagèrent sur leur route Troie et Ilion, qui commençaient à respirer un peu depuis la guerre d'Agamemnon, et. qui furent de nouveau détruites par le glaive ennemi. Après avoir ainsi désolé l'Asie, ils portèrent la dévastation dans la Thrace, où ils assiégèrent et prirent bientôt la ville d'Anchiale, située au pied de l'Hémus et dans le voisinage de la mer, la même qu'avait jadis fondée, entre la mer et l'Hémus, Sardanapale, roi des Parthes. On rapporte qu'ils y restèrent plusieurs jours, se délectant à prendre des bains d'eaux chaudes qui sortent de leur source de feu à quinze milles de cette ville, et, de toutes les eaux thermales sans nombre qui sont dans le monde, les plus efficaces pour rendre la santé aux malades. De là les Goths regagnèrent leur pays.

XXI.  

Post haec a Maximiano imperatore (92) ducuntur in auxilio Romanorum contra Parthos rogati, ubi datis auxiliariis, fideliter decertati sunt. Sed postquam Caesar Maximianus pene cum eorum solatio Narsem regem Persarum Saporis Magni nepotem fugasset, eiusque omnes opes, simulque uxores, et filios depraedasset, Achillemque in Alexandria cum Dioclitiano superasset, et Maximianus Herculius in Africa Quinquegentianos (93) adtrivisset, pacem rei publicae nancti, coepere quasi Gothos neglegere. Nam sine ipsis dudum contra quasvis gentes Romanus exercitus difficile decertatus est. Apparet namque frequenter, quomodo invitabantur, sic ut et sub Constantino rogati sunt, et contra cognatum eius Licimum arma tulere, eumque devictum, et in Thessalonica clausum, privatum imperio, Constantini victoris gladio trucidarunt. Nam et dum famosissimam, et Romae aemulam in suo nomine conderet civitatem, Gothorum interfuit operatio, qui foedere inito cum imperatore, quadraginta suorum milia illi in solatia contra gentes varias obtulere; quorum et numerus, et militia usque ad praesens in re publica nominatur, id est, Foederati. Tunc etenim sub Ariarici, et Aorici regum suorum florebant imperio. Post quorum decessum successor regni extitit Geberich, virtutis et nobilitatis eximiae.

CHAPITRE XXI.

Plus tard, l'empereur Maximien les prit à la solde des Romains contre les Parthes, que combattirent fidèlement les troupes auxiliaires qu'ils avaient fournies. Mais après que le césar Maximien, presque avec leur seule assistance, eut mis en fuite le roi des Perses Narsès, petit-fils de Sapor le Grand, s'emparant de toutes ses richesses, de ses femmes, de ses fils, et que, de concert avec Dioclétien , il eut vaincu Achille dans Alexandrie; après que Maximien Herculius eut défait les Quinquégentiens en Afrique, l'empire pacifié commença de négliger les Goths. Depuis longtemps pourtant l'armée romaine pouvait se passer difficilement de leur secours contre quelque nation que ce fût; aussi voit-on fréquemment l'empire recourir à eux, et par exemple sous Constantin, alors qu'ils portèrent les armes contre son parent Licinius, le vainquirent, l'enfermèrent dans Thessalonique, et le firent tomber, dépouillé de l'empire, sous le glaive de Constantin victorieux. Quand celui-ci fonda cette ville célèbre, qui devint la rivale de Rome, et à laquelle il donna son nom, les Goths lui prêtèrent encore leur assistance, et, par un traité conclu avec l'empereur, ils lui fournirent quarante mille hommes pour l'aider à repousser diverses nations. Ce corps est resté jusqu'à ce jour au service de l'empire, en égal nombre et sous le même nom, celui de Fédérés. Les Goths florissaient de la sorte sous l'empire d'Avarie et d'Aoric, leurs rois, lesquels, après leur mort, eurent pour successeur Gébérich, aussi grand par son courage que par sa noblesse.




CHAPITRE XXiI.

NOTES SUR L'HISTOIRE DES GOTHS.

PRÉFACE.

(1) Duodecim Senatoris volumina. Par Senatoris Jornandès désigne Magnus Aurelius Cassiodorus Senator. Voy. au-devant de l'Histoire des Goths la Notice sur Jornandès, sect. Ill.

CHAPITRE I.

(2) Majores nostri.... totius terrae circulum Oceani limbo circumseptum triquetrum statuere, ejusque tres partes, Asiam, Europam et Africam, vocavere. Ce passage se trouve dans celle des deux cosmographies attribuées à Oethicus qu'Orose a mise à la tête de son Histoire. Jornandès y a fait deux changements si insignifiants, que ce n'est peut-être pas la peine de les indiquer ; il a écrit circulum au lieu de orbem, et. vocavere pour vocaverunt.

(3Hippodes est pris d'Œthicus. M. Letronne, dans un pas sage de Dicuil ( chap. VII, § VI, n° 1), emprunté aussi d'OEthicus, a substitué Hippopodes, conformément au texte de Pline, Nat. hist., lV, 27, et de Solin, XIX, 7 ; et c'est pro bablement ainsi qu'il faut lire dans Jornandès. Cependant Pline et Solin placent l'île des Hippopodes en Scythie, et Gosselin la reconnaît parmi les îles qui se trouvent à l'embouchure de l'Oder.

(4) Taprobane. Aujourd'hui Ceylan. Le nom de cette île, que les anciens croyaient bien plus grande qu'elle n'est , a beaucoup varié : elle s'est successivement appelée Taprobane, Simoundon, Salice, Serendiva, Sielendiva, Serendis Zeilam, et Pritam. Voy. Journ. Asiatiq., mars 1826.

(5) Silestantinam, Etheron. Au lieu de Silestantinam, lisez Elephantinam, leçon adoptée par M. Letronne dans son édition de Dicuil, et à laquelle conduit naturellement la variante Silephantinam. Lisez également, au lieu de nec non Etheron, nec non et Theron. On trouve Theron dans le géographe de Ravenne, et Theras dans Dicuil. Ce sont des noms d'lles, dont Jornandès a fait ignoramment des noms de villes de la Taprobane.

(6) Monumentum.... Scipionis. Caepionis dans Mela : In ipso mari monumentum Caepionis, scopulo magis quam insulae impositum. Pomp. Mel., lib. III, c. i, ed. Bipont.

(7) Mevaniam. Orose, lib. 1, cap. II, parle de l'lle Mévania, voisine de l'Hibernie; on trouve également dans Bède, Mevanias Britonum insulas, quae inter Hyberniam et Britanniam sitae sunt. Bed. Vener., Hist. eccles. gent. Anglor., lib. II, cap. v.

(8) Tibi serviat ultima Thyle. V irgil., Géorg, lib. I, v. 30; Orose, lib. 1, cap. II, place aussi Thule vers le couchant, Circium versus.

(9) Scanziam. C'est la plus grande des quatre îles, Scandia de Ptolémée ( Géogr., lib. I, cap. x, édit. Wilberg ), et la péninsule scandinave, que l'on prit pour une île tant qu'on n'en connut point la partie septentrionale. Scanza, et Canz dans le géographe de Ravenne (p. 26, 140, 297, édit. Porcher.), qui invoque le témoignage de Jornandès. Canceo dans la Chron. des ducs de Normandie, liv. I, M. F. Mich.
Canceo que ci vos ai nomée,
Qui de mer est avironée.

Et encore dans la même Chron., ib., Canzie :
Ki est de la grand mer salée 
De totes parz avironée
Dont altresi cum les ewettes 
De lur diverses maisonettes 
Jettent essains granz e pleniers. 
U mùlt en a nombres e milliers.

...
Trestot elnsi e plus assez
Sort icil poples fors eissir
Por les granz reines envair,
E pur faire les granz occises,
Les granz gaainz e les conquises.

Ces vers prouvent que Jornandès était lu au moyen âge.

 CHAPITRE II.

(10 Ut refert Livius. Tite-Live parlait de la Bretagne dans le cent cinquième livre de son Histoire : ce livre est perdu. C'était à l'occasion de la conquête de César. Voy. Florus, Épit. 105.

(11) Nemo circumvectus est. Ce fut du temps de Tacite qu'une flotte romaine fit pour la première fois le tour de la Grande-Bretagne : Hanc oram novissimi maris tunc primum Romana classis circumvecla, insulam esse Britanniam adfirmavit. Tacit., Agricol., X ; et dans un autre passage de la Vie d'Agricola : Classis secunda tempestate ac fama Trutulensem portugn tenuit, unde proximo latere Britanniae lecto omni redierat. Tacit., Agricola, XXXVIII.

(12) Triquetram. César, Comment. de bell. Gallic., V : Insula natura triquetra. Ce qui suit depuis les mots inter septentrionalem, etc., jusqu'à ceux-ci : atque Germania, est pris de Méla, que Jornandès copie en le gâtant. Ce n'est pas, comme on le verra, le seul emprunt qu'il lui a fait, quoiqu'il ne l'ait jamais nommé.

(13) Mari tardo circumflua. Depuis ces mots jusqu'à ceux-ci, Latius quam usquam aequor extenditur, Jornandès imite platement Tacite, Vie d'Agricola.

(14) Memma quam Cornelius... narrat. Tacite ne parie point de l'lle de Memma, dans la partie de ses ouvrages que nous avons; mais il parle de Mona, dont il raconte la prise par Paulinus Suetonius, et c'est peut-être cette île qu'a voulu désigner Jornandès. Du reste, c'est Méla et non pas Tacite qu'il aurait dû citer; car ce qui suit est copié du premier, et avec si peu d'intelligence, que Jornandès applique à l'île de Memma ce que Méla dit de l'île de Bretagne. Pompon. Mel., lib. III, cap. vi., ed. Bipont.

(15) Sylorum colorati vultus. Depuis ces mots jusqu'à ceux-ci, vocatos acceperit, Jornandès copie ou imite Tacite, Agricola, XI.

(16) Inculti aeque omnes populi, regesque populorum. Mela, lib.III, cap. vi : Fert populos regesque populo rum : sed sont inculti omnes.

(17) Ob decorem nescio. Depuis ces mots jusqu'à la fin de chapitre, Jornandès copie encore Pomponius Méla, lib.III, cap. vi, en le défigurant çà et là.

CHAPITRE III.

(18 Vagi fulvius velut quodam ventre generatus. On reconnaîtra peut-être ici la main de Cassiodore, qui se sert dans une de ses lettres de la même comparaison : Qui ( Addua)...obesiore alvei ventre generetur. Var. lib. XI, epist. xiv. Quant au fleuve désigné sous le nom de Vagi par Jornandès, on ne le connaît pas.

(19) Germanicum mare. Comme au chap. xxiii, Jornandès place au bord de l'océan Germanique les Aestri ou Aestyens, qui demeuraient incontestablement au bord de la Baltique. Il est très probable que c'est cette mer qu'il a voulu désigner ici par Germanicum mare.

(20)  Septem tamen earum nomina meminit Ptoaemeus. Les nations nommées par Ptolémée, Géogr., lib. cap. x, sont au nombre de six et non pas de sept, comme le dit Jornandès : ce sont à l'occident les Caedini, Χαιδείνοι ; à l'orient, les Favonae et les Firæsi, Φαυόναι καὶ Φιραῖσοι; au midi, les Gotai et les Dauciones, Γοῦται καὶ Δαυκίονες; au milieu enfin, les Levoni, Λευῶνοι. On voit que les nations du nord ne sont pas nommées : les connaissances de Ptolémée ne dépassaient guère la partie méridionale de la Scandinavie.

(21) Gens Adogit. Jornandès est le seul auteur qui ait parlé de la nation Adogit. Ce qu'il dit de la longueur des jours et des nuits autoriserait à la placer vers le 67° degré de latitude.

(22) Crefennae. Les Créfennes paraissent être les Scrithifinni de Procope, Bell. Goth., II, 15, éd. G. Dindorf. in corp. hist. Byzant. (Σκριθίφινοι; une autre leçon porte Σκρηθίφινοι). Ce nom est composé, et veut dire les Finnes chaussés de patins, de scraeda, courir, skida, patin, et de Finni, suivant M.- Marinier, Rev. des deux mondes, 1er août 1838. Voy. encore Grotius, sur les Scirdifenni et les Rerefenni du géographe de Ravenne, Prolegom. ad hist. Goth., etc.

(23) Suethans. Malte-Brun reconnalt dans les Suéthans les ancêtres des Suédois de nos jours.

(24) Theusthes, Vagoth, Bergio, Hallin, Liotida. De ces cinq noms deux sont peut-être un peu moins obscurs que les autres ; ce sont celui de Vagoth pour West Goth, les Goths occidentaux, et celui de Bergio, qui rappelle les Bergae de Méla, lib. III, cap. v et VI, et le Bergos de Pline, Nat. hist., IV, 30.

(25Athelnil, Finnaithae, Fervir, Gautigoth. Même incertitude à l'égard de ces noms. On a cru reconnaître dans les Fiunaithaee les habitants du district de Finved, dans le Smoeland; le nom de Fervir a quelque rapport avec celui de Firoesi dans Ptolémée; les Gautigoths étaient probablement une tribu gothique.

(26) Mixti Evagerae Othingis. Les Évagères ne sont pas mieux connus que les Othingiens.

(27) Ostrogothae, Raumaricae, Raugnaricii, Finni. On sait que les Ostrogoths étaient les Goths orientaux; les Raumariks et les Baumariks habitaient la Norvége méridionale; les Finnes paraissent avoir été les premiers habitants de la Scandinavie.

(28Vinoviloth, Suelhidi, Cogeni... Dani. Ces peuplades devaient demeurer dans la Scandinavie méridionale; il est du moins certain que les Danois y étaient déjà établis du temps de Ptolémée. Voy. plus haut, note 3 du chap. III..

(29) Erulos propriis sedibus expulerunt. On voit, par ce que dit ici Jornandès, que les Érules habitaient le Danemark avant que les Danois les en eussent chassés pour s'y établir. Voy., sur les Érules , Procop., Bell. Goth., lib. Il, cap. xiv.

(30) Granii, Aganziae, Unixae, Ethelrugi, Arochiranni. On ne sait rien de ces peuplades; peut-être les Éthelruges étaient-ils une tribu de Ruges : ethel veut dire noble, et parait être une épithète mise avant le nom de Rugi.

CHAPITRE IV.

(31) Vagina nationum. Il est singulier qu'on trouve la même ex pression dans la Vie de saint Aignan, évéque d'Orléans: Hunnorum gens perfida, vagina suae habitationis egressa, etc. D. Bouquet, Hist. des Gaul., t.1, p. 645.

(32) Ad sedes Ulmerugorum. Les Ulméruges, comme les Etheiruges, pourraient bien avoir été une tribu de Ruges. Ces derniers habitaient, du temps de Tacite, les bords de la Baltique, protinus deinde ab Oceano Rugii (German. XLIII ), vers l'embouchure de l'Oder, et vis-à-vis les côtes les plus méridionales de la Scandinavie.

(33Wandalos jam tunc subjugantes. La Table de Peutinger place les Wandales en Bavière; mais à l'époque inconnue de la migration dont parle ici Jornandès ils étaient moins avancés vers le midi.

(34) Etiam pene quinto rege regnante post Berig, Filimer, filio Gandarigis, consitio sedit ut, etc. Les éditions de Jornandès portent, etiam pene quinto rege regnante post Berig, Filimer, Filogud, Arigis consilio sedit ut, etc. J'ai pris la liberté de corriger ce passage, évidemment corrompu et inintelligible, et d'y substituer celui qu'on vient de lire. Le passage suivant du chapitre xxrv de l'Histoire des Goths prouvera, j'ose l'espérer, que cette correction n'a rien de hasardé: Filimer rex Gothorum, et Gandarici magni filius, post egressuns Scanziae insulae jam quinto loco tenens principatum Getarum, qui et terras Scythicas cum sua gente inlroisset, sicut a nobis dictant est, reperit, etc. Il résulte de ce passage,1° que Filimer était fils de Gandaric; 2° qu'il fut le cinquième roi des Goths depuis leur sortie de l'île Scanzia; 3° qu'il introduisit les Goths sur les terres de Scythie. Comme nous l'avons déjà dit, ajoute Jornandès; or, à quel endroit de son Histoire fait-il allusion par ces mots? évidemment au chap. iv, puisque c'est le seul où il ait déjà parlé de l'entrée des Goths en Scythie, sous la conduite de Filimer, leur cinquième roi depuis leur sortie de Scanzia. Je n'ai donc pas hésité à faire disparaltre du texte ces deux mots Filogud, Arigis, et à les remplacer par filio Gandarigis. J'écris ainsi ce dernier nom, quoiqu'on lise Gandarici dans le passage du chap. xxiv, que je viens de citer, pour m'écarter moins du texte, et parce qu'il arrive très souvent à Jornandés ou à ses copistes d'écrire les mêmes noms de diverses manières.

(35Spali. Peut-être les Spalei de Pline, Nat. hist., VI, 7. 

(36) Ablavius descriptor Gothorum gentis. Sur Ablavius et sur les poésies en langue gothique, voy. ma Notice sur Jornandès, sect. V et VI.

CHAPITRE V.

(37) Tyram, Danastrum. Jornandès ne s'est pas douté que ces deux noms désignaient le même fleuve, le Dniester. 

(38) Vagosolam, que le géographe de Ravenne (lib. IV, p. 143) écrit Bagos Solam, parait être le Boug.

(39) Magnum Danubium. Jornandès a pris pour point de départ le Danube; après le Danube, il a nommé le Tyras ou Dniester, ensuite le Vagosola. Le fleuve qu'il appelle ici Magnum Danubium ne saurait être que le Dniéper ou Borysthène. Il dit en effet plus bas ( même chap.) que les habitants des bords du Borysthène donnaient à ce fleuve le nom de Danube, a Borisihene quentaccol(,Danubium votant. Au reste, une autre leçon porte ici Danabrum, et il est infiniment probable que c'est ainsi qu'il faut lire dans ce dernier passage et dans le premier.

(40) Boristhenide, Olbia... Chersone, Theodosia, Pareone, Mirmycione et Trapezunte. Ces noms appartiennent à la géographie antérieure au sixième siècle. Jornandès parait les avoir pris, en les changeant un peu, dans Pomponius Méla (lib. 1, cap. XIX;Iib. II, cap. I), dont nous allons voir reparaitre bientôt des extraits.

(41) Tisianus... Danubius... Tausis. De ces trois fleuves, le Danube est assez connu; le Tisianus est la Theiss, et le Tausis, appelé Flantasis par le géographe de Ravenne (lib. IV, p. 104), est un affluent du Danube, mais on ne sait lequel. En 453, après la mort d'Attila, les Gépides secouèrent le joug des Huns, et les chassèrent de la Dacie, dont ils s'emparèrent ( Jorn., De reb. Get., cap. I.). Leur empire s'étendait même au delà, puisque, selon Procope ( Bell. Vand., lib. l, cap. 2), ils étaient maîttes de Sirmium et de Singidon, en deçà du Danube; cet empire fut détruit un siècle après par les Lombards.

(42) Vuinidae, appelés Veneti, chap. xxiii, sont les Venedi de Tacite, Germ., XLVI, et les Venedae de Ptolémée, Géograph., III, 5.

(43Sclavini et Antes. Sur les Sclavini ou Sclavi, comme ils sont nommés plus bas ( chap. xxiii ), et les Antes, voy. Procope, De bell. Goth., III, 14.
Ubi tribus faucibus fluenta Vistulae ebibuntur. Jor nandès a déjà dit ( chap. iii), en parlant de la Vistule, Oceano trisulcus illabitur. On voit par làqu'au sixième siècle, comme aujourd'hui, ce fleuve se divisait en trois bras. Malte-Brun ( Géograp. univers., t. V, p. 100 ) s'est donc trompé en supposant que le Nogat, l'un de ces bras, n'existait pas encore du temps du roi Alfred ; il est possible, au reste, que les trois bras cités par Jornandès ne fussent pas les mêmes que ceux d'aujourd'hui.

(44) Vidioarii. Plus bas, chap. xvii,Vividarii pour Vidivarii (Witi-Wari, reste des Goths ). Ce sont probablement les Vites du géographe de Ravenne, et les habitants du Witland, nom donné ä la Prusse orientale par le roi Alfred.

(45) Post quos ripam Oceani Itemesti tenent. Aucun auteur, que je sache, n'a parlé de ces Hemesti, et ce nom ne reparait plus dans la suite de cette histoire. Ne faudrait-il pas lire, au lieu de Hemesti, item Esti, ou Aesti, ou Aestii ? et Jornandès n'aurait-il pas voulu désigner ici les Aestyens, connus déjà de Tacite? Ce que ce grand historien dit des moeurs des Aestyens (German., XLV) s'accorde avec le caractère plein de douceur que Jornandès donne aux prétendus Itemesti. Ce dernier nomme d'ailleurs, au chap. XXIII, les Aestri, ou, suivant une autre leçon pretérable, les Aestii, parmi les peuples subjugués par le roi des Goths Ermanaric. C'était une raison pour ne pas les oublier dans cette description de la Scythie, où figurent les principales nations qui jouent un rôle dans son histoire. Mais un motif d'en parler plus puissant encore, c'est que de son temps les Aestyens étaient venus en Italie, des bords de la Baltique, offrir de l'ambre au grand Théodoric, et lui demander son amitié. Cet hommage rendu à la puissance des Goths par une nation si reculée dut faire une vive impression sur ceux qui eu furent témoins; et Jornandès, qui avait peut-être vu les ambassadeurs des Aestyens, ou qui du moins en avait entendu parler, ne pouvait manquer de faire mention de ce peuple en énumérant les diverses nations de la Scythie : il le pouvait d'autant moins que, selon toute apparence, le nom des Aestyens se trouvait déjà dans l'original qu'il abrégeait; car il est très probable que, dans son Histoire, Cassiodore n'avait pas négligé le nom d'une nation dont il avait certainement vu et entretenu les envoyés, et à laquelle, au départ de ceux-ci, il écrivit, au nom de son maître, une lettre de remerciment officielle que nous avons encore (Variar., lib. V, 2 ). II paraît donc que Jornandès a voulu parler des Aestyens, et que les Itemesti, dont le nom s'est formé par la réunion de deux mots que quelque copiste aura négligé de séparer, doivent disparaltie de sa nomenclature et de la géographie.

(46) Gens Agazzirorum. Il en est plusieurs fois question dans Priscus, qui les appelle tantôt Acatzires, Ἀκατζίροι, tantôt Acatires, Ἀκατίροι. Cet historien dit vaguement que c'était une nation scythique, et il la place dans la partie de la Scythie qui s'étend vers le Pont ( Prisci excerpl. in corp. hist. Byzan., t. I, éd. Niebh. passim). S'il faut en croire le géographe de Ravenne, les Agazzires de Jornandès étaient des Chazares, quos Chazurios supra scriptus Jordanis Agaziros vocat, lib. IV, cap. I, p. 134.

(47 Bulgarorum... quos notissimos peccatorum nostrorum mala fecere. Suivant Zonare, Annal., t. Ill, p. 121, in.f°, les Bulgares apparurent pour la première fois sur les frontières de l'empire romain au temps de l'élection du pape Symmaque, vers 499. Ils tirent alors irruption dans l'Illyrie et la Thrace. Les généraux de Théodoric les défirent en 504 (Cassiod., Chron.). Ils n'étaient pas encore aussi redoutables qu'ils le furent plus tard.

(48Aviri. Ce sont les Huns Sabires, dont il est souvent parlé dans les écrivains byzantins, et queMénandre nomme indifféremment Sabires ou Abires. Excerpt. e Menand., Hist. ap. script. Byz, M. Niebh., p. 318.

(49) Hunugari. Agathias, Hist. III, 5, dit aussi que les Onogures, comme il les appelle, étaient Huns. Ils sont déjà connus de Priscus, p. 158.

(50Gradivumque patrem Geticis qui praesidet arvis. Virgil., Æneid., lib. III, v. 28.

(51 Armeniosque arcus Geticis intendere nervis. Il y a dans Lucain : Armeniosque arcus Geticis intendite nervis. Civil. bell., lib. VIII, v. 221. .

(52) Tanain... qui ex Riphaeis montibus dejectus, etc. Cette description du Tanaïs est prise de Méla, I, c. XIX. 

(53) Danubius autem. Une autre leçon donnée par Vulcanius porte Danaber. C'est bien en effet du Dnieper ou Borysthène qu'il s'agit encore ici. Ou trouvera plus bas, chap. xii, la description de l'lster ou Danube.

(54). Cui ex Ampheo cognomen est. Au lieu de ex Ampheo, c'est Exampeo qu'il faut lire, comme dans Mela, lib. II, c. I, cui Exampeo cognomen est. Au reste, avant et après ce passage, jusqu'à la fin du chapitre, Jornandès copie constamment Méla, dont il intervertit et tronque le texte avec si peu de discernement, qu'il applique au Borysthène non seulement ce que ce géographe dit de ce fleuve, mais encore ce qu'il dit de l'Hypanis.

CHAPITRE VI.

(55) Vesovis Aegyptiorum rex, etc. Voy. Justin, lib. II, cap. iii, édit. Varior. Elzevir, et Orose, l. I, 14, éd. 1524. 

(56Ex quorum nomine... Trogus Pompeius, etc. L'histoire de Trogue-Pompée n'était pas encore perdue au sixième siècle. Le passage qu'en cite ici Jornandès se trouve encore dans l'abrégé de Justin : Parthi... Scytharum exules fuere. Hoc etiam ipsorum vocabulo manifestatur; nam scythico sermone Parthi exules dicuntur. Justin., lib. XLI, cap. i.

CHAPITRE VII.

(57Feminae Gothorum, etc. Voyez, entre autres auteurs, Orose, lib. I, cap. xv et xvi, et Justin, lib. II, cap. iv. Déjà dans Orose les Amazones ne sont plus comme dans Justin, dont il suit pourtant le récit, les femmes des Scythes, mais des Goths. La fable ou l'histoire des Amazones, comme on voudra l'appeler, a préoccupé bien des esprits chez les anciens et les modernes. Ceux-ci ont cherché et cru trouver partout cette nation singulière, en Amérique, aux îles Philippines, en Mingrélie, au bord de la Baltique et jusqu'au Monomotapa. M. Ballanche est, je crois, le dernier écrivain qui ait tenté d'expliquer cette énigme historique : « Dans le mélange des peuples, dit-il, soit par les migrations, soit par les conquêtes, il y a peut-être des principes mâles et des principes femelles, ou des principes actifs et des principes passifs, les initiateurs et les initiables... Les anciens ont des doctrines bien éton nantes à ce sujet. Les Amazones, les peuples femmes. » Réflexions diverses , t. IV , 2° part., in-12. Ainsi les Ama zones, suivant M. Ballanche, auraient représenté dans l'antiquité ce principe passif, ce principe femelle. Ce n'était pas un peuple de femmes, mais un peuple femme.

(58) Ac si dura silex aut stet Marpesia cautes. Virgil., Æneid., lib. VI, v. 471.

(59) Caucasum. Cujus montis, etc. Voyez la description du Taurus dans Méla, lib. I, cap. xv, et dans Pline, Nat. hist., lib. V, cap. xxvii.

CHAPITRE IX.

(60Dio... qui operi suo Getica titulum dedit. Cet ou vrage de Dion est perdu.

(61) Quos Getas.... Gothos.... Orosio Paulo dicente. Orose, Hist., lib. 1, cap. xvi, éd. 1524 : Getae illi qui et nunc Gothti, etc.

CHAPITRE X.

(62). Cyrus rex Persarum... Getarum renginae Thamiri.... intulit bellum, etc. Voy. Justin, liv. I, chap. viii, et Hérodote, liv. I.

(63). In ponte Moesiae. Peut-être in ponto Moesiae.

(64) Dehinc Darius, etc. Justin, liv. II, chap. v; Orose, liv. II, chap. ix. Conf. Hérodote, liv. IV.

(65) Intaphis, alias c. f. in scaphis. Locus corruptus. Nec quid sihi velit vox intaphis scio. Nisi forte ab italico intopo, quod occursurn illis significat. Tametsi et hanc ipsam vocem Italos, ut Hispanos topar a Gothis mutuatos extstimarim. (Note de B. Vulcanius.)

CHAPITRE XI.

(66) Bellagines. M. des Michels, Hist. générale du moyen âge, t. I, p. 120 , dérive le nom de Bellagines de l'alle mand beleg, justification, document. Ce recueil ne nous est point parvenu.

CHAPITRE XII.

(67) Roxolani... Tamazites.... Sarmatae et Bastarnae. Tamazites a Roxolanis alveo tantum' fluvii segregantur. Des quatre peuples nommés ici, les Roxolans, généralement regardés comme les ancêtres des Russes, les Sarmates et les Bastarnes, appartiennent à la géographie antérieure au siècle de Jornandès; les Tamazites paraissent occuper la position des Iazyges Metanastes de Ptolémée. Mais on ne comprend guère comment les Tamazites étant à l'occident de la Dacie, et les Roxolans à l'orient, ces deux peuples n'étaient séparés, comme le dit Jornandès, que par le lit du Danube.

(68Sed quia Danubii menlio, etc. Sur le Danube, voy. Mela, lib. II, cap. i, et Pline, lib. IV, cap. xxiv.

CHAPITRE XIII.

(69Domitiano imp. regnante... foedus Gothi solventes, etc. Domitien fit la guerre aux Daces, et non pas aux Goths. Jornandès confond ici ces derniers avec les Daces ou Gètes, comme il les a confondus avec les Scythes dans les chapitres précédents.

(70) Dorpaneus. C'est le Diurpaneus, roi des Daces , dont parle Orose, lib. VII, cap. vii, édit. 1524.

(71).Domitianus cum omni virtute sua in Illyricum properavit. Domitien n'alla pas en personne contre les Daces, il y envoya ses généraux. Cela ne l'empêcha pas de se décerner un double triomphe, qui fut une dérision, dit Tacite, Agricola, xxxix. On trouve à ce sujet dans Orose, lib. VII, cap. vii, cette phrase digne de Tacite : Sub nomine superatorum hostium de extinctis legionibus triumphavit. Voy. encore Suétone, Domiltan. VI; Eutrop., VII, etc.

(72) Semideos, id est Anses. Il est impossible de ne pas reconnaître dans les Anses , et dans l'interprétation que Jornandès donne de ce nom, les Ases, enfants d'Odin et de Frigga, de la mythologie scandinave. Cette dénomination paraît toutefois remonter plus haut que le règne de Domitien.

CHAPITRE XIV.

(73

En évaluant en années les générations dont se compose la table que je viens de dresser, on voit que l'origine de la famille des Amales ne remonte guère au delà de notre ère, ce qui s'accorde assez avec la chronologie islandaise, qui fixe l'arrivée d'Odin à l'an 60 av. J. C.

CHAPITRE XV.

(74) Symmachus. Voy., sur Symmaque, la notice sur Jornandès, sect. V.

(75) A patre gotho nomine Mecca, matre Alana quae ababa dicebatur. Confer. Jul. Capitolin, Maximin. duo, I. 

(76). Numquid vis post cursum Thracisce luctari? J'aimerais mieux ponctuer cette phrase différemment : numquid vis , post cursum, Thracisce, luctari? Thracisce ne serait plus un adverbe, mais un nom : Thrace, ne veux-tu pas lutter? Il est indubitable qu'avant et après ce passage, c'est-à-dire depuis les mots, nam hic Severo imp. regnante, etc., jusqu'à ceux-ci, inter stipatores degere corporis principalis, Symmaque ou imite, ou abrège, ou copie constamment Jul. Capitolinus, Maximin. duo; et on lit dans ce dernier, cap. Ill : Quid vis Threcisce ? numquid deleclat luctari post cursum?

(77) Eoque Mogontiaco.... occiso. Julius Capitolinus, Maximin. duo, cap. vii., dit en Gaule. Lampride, Alexand. Sev., cap. LIX, dit en Gaule ou dans la Bretagne. Orose, lib. Vll, cap. xi; Cassiod. Chron., etc., disent à Mayence.

(78) Pupione. Lisez Pupieno, et confér. Jul. Capitolin., Maximin. duo.

CHAPITRE XVI.

(79 Ostrogot ha cum suis.... Maesiam Thraciamque vastavit. Zosime, lib. 1, cap. xxi, est le seul historien qui parle de cette expédition ; mais son récit n'offre presque point de détails, et diffère de celui de Jornandès : il est à regretter que ce dernier n'ait pas donné plus de poids à son témoignage en indiquant ses autorités.

(80). Adhibitis sibi Thaphilis et Astringis... et Carporum tria millia. Les Carpiens sont assez connus ; les Thaphili paraissent être les Taïfales, et les Astlringi les Astingi de Dion et de Pierre le Patrice , et les Asdingi de Jornandès, chap. xxii.

(81) Germanae suae in nomine Marcianopolim nominavit. Ammien. Marcell., lib. XXXVII, cap. xii : Dein Mysia, ubi Marcianopolis est, a sorore Trajani principis ita cognominata. Voy., sur cette ville, Hiéroclès, Synecdem., et la note de Wesseling.

CHAPITRE XVII.

(82) Gepidos. La situation de l'île Gepidos ou Gepid-oios a embarrassé les savants; je ne sais si je m'abuse, mais il me semble qu'il était aisé de la déterminer en combinant un passage du chap. v avec ce que dit ici Jornandès. Il dit qu'après que les Gépides eurent quitté cette île, à laquelle ils avaient donné leur nom, les Vidivariens s'y établirent; ils l'occupaient encore de son temps , nunc.... eam gens Vividaria incolit. Or au chap. v il place ces Vividariens ou Vidioariens ad littus Oceani, ubi tri bus faucibus fluenta Vistulae fluminis ebibuntur. Si par les mots tribus fauci bus Jornandès désigne, comme je l'ai remarqué note 8c du chap. v, les trois bras que forme encore aujourd'hui la Vistule avant de se jeter dans la Baltique, il est évident que c'est aux terres traversées par un de ces bras, et comprises entre les deux autres et la Baltique, que Jornandès donne le nom de Gepidos. Cette île, où l'on pénétrait par des gués, vadis circumacta, mais dont l'accès pouvait être facilement défendu, offrait une position excellente à des peuplades qui, telles que les Gépides et les Vidivariens, furent d'abord trop peu nombreuses et trop faibles pour s'aventurer au milieu de nations dont elles devaient naturellement exciter la jalousie et craindre les attaques.

 CHAPITRE XVIII.

(83 Novas. Il y avait plusieurs villes de ce nom; Jornandès pareil désigner ici ad Novas, que la carte de Peutinger place entre Dinio et latro (latrus ), dans la Moesie inférieure.

(84) Nicopolim, quae juxta Iatrum fluvium. Nicopolis était à peu de distance de Nova;. Voy., sur cette ville, Hiéroclès, Synecdem; et la note de Wesseling, qui maintient la leçon Iatri contre Hardouin, qui voulait qu'on lût Istri. L'latrus de Jornandès et de Théophilacte, cité par Wesseling , pourrait être le fleuve leterus de Pline, Nat. hist., lib. Ill, cap. xxix.

(85). Thusciam. Il faut certainement lire Thraciam; car, bien que nous manquions presque de documents sur le règne de Dèce , il n'est nullement croyable que Cniva ait poursuivi cet empereur jusque dans la Toscane, et que delà il l'ait forcé à repasser dans la Moesie. C'est sans doute le mot Alpes, qui se trouve après Thusciam, qui a fait substituer ce dernier nom à celui de Thraciam : mais Alpes n'est pas ici un nom propre; il est appellatif, et synonyme de montes erecti, hautes montagnes. On en trouvera de nombreux exemples dans Du Cange, Gloss., verb. Alpes : et, pour en citer un qui ne s'y trouve point, même dans la nouvelle édition, pyrenaei Alpes dans Orose, fib.VII, cap. xxviii. Jornandès désigne donc par ce mot, non pas les Alpes, mais une chaîne de montagnes entre la Thrace et la Moesie, c'est-à-dire l'Hémus, qui séparait, comme on sait, ces deux contrées; et son récit s'accorde avec celui d'Aurélius Victor, De Caesar., xxix, et de Zosime, lib. I, cap. xxiv.

(86) Abrupto... extinguitur. Jornandès, De regnor. ac temp. success., dit encore que Décius fut tué à Abrut, occubuit Abrupto; Cassiod., Chron., in Abricio Thraciae loco. C'est l'Ἄβριττος de Procope, De aedific.,I V, ii, et d'Hiéroclès, Synecdem. ; ce dernier le place dans la Moesie. Voy. la note de Wesseling.

CHAPITRE XIX.

87) Dionysio historico. Sur Dionysius, voy. la notice sur Jornandès, sect. V.

(88Aemylianus. Sur Æmylianus, confér. Aurel. Victor, De Caesar., xxxi, Epitom. xxxi, et Zosim., lib. 1, cap. xxviii.

(89 Foedus cum gente Gothorum pepigere. Par ce traité, tout à l'avantage des Goths, Gallus assurait à ceux-ci le butin qu'ils avaient fait sur les terres de l'empire; une somme d'argent déterminée et payable tous les ans; enfin il les laissait les maîtres d'emmener captifs des citoyens appartenant aux premières classes de l'Etat, dont la plupart étaient tombés aux mains des barbares lors de la prise de Philippopolis en Thrace. Zosim., lib. 1, cap, xxiv.

CHAPITRE XX.

(90Respa et Veduco, Thuro Varoque. Il n'y a de curieux dans ce chapitre que les noms des chefs des Goths. Pour les détails de cette invasion, il faut lire Trébellius Pollio, Gallien. duo , et Zosime, lib. I.

(91) Troiam Iliumque. Voy. Pline, Nat. hist., lib. V, cap. xxxut.

CHAPITRE XXI.

(92) A Maximiano imp.... ducuntur.... contra Parthos. Peut-être Maximien Herculius, associé à l'empire par Dioclétien , enrôla-t-il des Goths pour la guerre contre les Perses ; mais ce ne fut pas lui qui marcha contre ces derniers : ce fut, comme le dit plus bas Jornandès, le césar Maximien, c'est-à-dire Galerius Maximien, surnommé Armentarius.

(93) Quinquegentianos. Scaliger, dans ses notes sur la Chro nique d'Eusèbe, p. 223, incline à penser que les Quinquégentiens sont les peuples de la Libye Pentapolitaine. La ressemblance des noms peut appuyer cette conjecture, car les mots Πεντάπολις en grec, et Quinquegentes ou Quinquegentiani en latin, signifient également cinq peuples. Note de Crevier, Hist. des Emp., liv. XXVIII.