Cependant la renommée apprend aux villes épouvantées de l'Ausonie
que ces montagnes, séjour des orages, que ces pics qui menacent le ciel, ont
subi le joug ; que les Carthaginois ont franchi les précipices, et qu'Annibal,
qui aspire dans son orgueil à égaler les exploits d'Hercule, est enfin descendu
dans la plaine.
La déesse aux sinistres nouvelles sème les plus terribles alarmes, les accroît
dans sa marche, et, plus rapide que l'Eurus, fait retentir de ses rumeurs les
citadelles effrayées.
Ces bruits grossissent en se transmettant par cet effet de la peur, qui se plaît
à ajouter des chimères aux vagues appréhensions. Chacun s'empresse, et se
prépare aux rudes soins de la guerre. Le dieu des combats remplit tout à coup de
ses clameurs l'Ausonie entière, et demande des soldats et des armes. On restaure
les lames ; on dérouille le fer, qui reprend un éclat menaçant: les blancs
panaches sont replacés au haut des casques, les piques sont garnies de leurs
courroies, et l'on forge de nouvelles haches. On dispose des cottes de mailles
impénétrables, des cuirasses à l'épreuve de tous les coups. Les uns apprêtent
les arcs, les autres domptent les chevaux rétifs aux manoeuvres; on aiguise le
tranchant des épées. Ici on se hâte de relever les murs qu'a rongés le temps, on
charrie des pierres, on répare les tours endommagées par les ans ; là, on garnit
d'armes les citadelles, on s'empresse de tirer des forêts les poutres dont on
fera des portes et des obstacles sûrs. On creuse des fossés autour des remparts
; la crainte, ce maître qui ne connaît pas de lenteurs, hâte les travaux, et
tout s'agite au loin dans les campagnes. Le colon abandonne ses pénates; le fils
intimidé emporte sur ses épaules sa mère languissante, son père chargé d'années
et qui touche à la fin de ses jours. Devant lui marche sa femme, la chevelure en
désordre ; de la main droite et de la gauche, ils entraînent leurs enfants qui
doublent le pas pour les suivre. Chacun communique ainsi à d'autres la crainte
dont il est saisi, sans même remonter à sa source.
Les sénateurs, bien qu'ils envisagent avec terreur la hardiesse de l'entreprise,
cette guerre portée au sein de l'Italie, les Alpes traversées et les glaciers
franchis contre leur attente, opposent néanmoins à l'adversité une âme fière et
un courage intrépide. Résolus de marcher à la gloire à travers les dangers,
c'est par la plus noble vaillance qu'ils veulent se faire un nom tel que la
fortune n'en donna jamais aux hommes les plus heureux.
Annibal, retranché dans son camp, laisse à ses troupes le temps de se reposer en
sûreté de leurs fatigues, et de ranimer leurs membres engourdis par l'excès du
froid. Pour les consoler, pour ramener la joie dans leur âme, il appelle leurs
regards sur les plaines unies qui leur restent à traverser jusqu'à Rome,
désormais livrée à leurs coups. Mais loin de faire trêve aux soins vigilants,
aux méditations de la guerre, seul il ne se livre point au repos.
Une nation belliqueuse avait jadis envahi cette portion de l'Italie, en
s'ouvrant par la terreur ces heureuses contrées. Bientôt le Capitole et les
Romains assiégés connurent sa valeur. Tandis qu'Annibal gagne, par ses présents,
ce peuple inconstant et léger, le flatte et le réunit à ses armes, le consul
Scipion revenait des plages phocéennes et abordait au rivage.
Ainsi ces deux grands capitaines, diversement éprouvés par les fatigues d'un
voyage, l'un sur terre, l'autre sur mer, venaient camper l'un près de l'autre et
rapprochaient le danger; Rome était à la veille d'une sanglante défaite. Car le
consul ayant fait avancer son camp, la Fortune ne pouvait plus souffrir de
retard, et les armées en présence demandaient le signal du combat. «
Souvenez-vous, soldats, que vous avez réduit toute l'Ibérie, criait d'une voix
terrible, Annibal en parcourant ses nombreux bataillons : les Pyrénées, le Rhône
n'ont pu se soustraire à vos armes, Sagonte est réduite en cendres avec ses
Rutules : vous avez franchi le pays des Celtes, et là où le fils d'Amphytrion ne
fixa ses pas qu'après les plus pénibles travaux, la cavalerie carthaginoise a
passé en armes; nos chevaux bondissants ont foulé ces montagnes orgueilleuses et
fait retentir les Alpes de leurs hennissements ».
Scipion, de son côté, appelle les siens aux nobles périls de la gloire. «
Romains, dit-il, vous avez à combattre un ennemi abattu, brûlé par les neiges de
ces rochers et traînant avec douleur ses membres engourdis. Apprenez donc à
celui qui a traversé ces pics altiers, et évité leurs précipices, combien nos
retranchements surpassent en hauteur les monts qu'Hercule a franchis, et combien
il est plus facile de gravir une colline que d'enfoncer vos bataillons. Qu'il
garde sa vaine gloire, pourvu que, défait dans un combat sanglant et fuyant en
désordre, il regagne ces Alpes qui devront l'arrêter.
Oui, les dieux l'ont poussé par-dessus ces monts, pour qu'il teignît de son sang
le Latium, pour qu'une terre ennemie se refermât sur ses os. Voyons donc si
c'est une nouvelle Carthage, différente de la première, qui nous envoie ses
bataillons, ou si ce n'est pas celle que nous avons renversée dans les flots et
abîmée près des îles Égates ».
Il dit ; et conduit son armée sur les bords du Tésin. Ce fleuve promène ses eaux
profondes sans qu'aucun mélange de vase les trouble jamais.
Partout elles conservent leur transparence, en roulant sur un lit verdoyant ; à
peine dirait-on que le fleuve coule, tant son cours est tranquille entre des
rives couvertes d'épais ombrages.
Le chant mélodieux des oiseaux, qui gazouillent à l'envi, invite au sommeil près
de son onde brillante.
Déjà les ombres de la nuit disparaissaient devant l'éclat naissant du jour, et
le Sommeil avait parcouru les heures laissées à son empire. Le consul allait
reconnaître tes lieux, le site de la colline voisine et la surface de la plaine.
Les mêmes soins occupaient le général carthaginois; ils se trouvent donc en
présence, accompagnés de quelques escadrons légers.
La nuée de poussière qui s'élève de part et d'autre les avertit tous deux que
l'ennemi s'avance. La terre retentit de plus en plus sous le pied sonore des
chevaux et leur hennissement terrible ne permet pas d'entendre le son des
trompettes qu'il a couvert. Aux armes! soldats, aux armes' crient les deux
généraux.
Tous deux ont un courage aussi bouillant, la même soif de gloire, une aussi
violente ardeur de combattre.
Plus de retard: déjà les deux armées ne sont plus éloignées l'une de l'autre que
du jet d'une lance armée de sa lanière, quand tout à coup un présage apparaît
sous le ciel le plus pur, et attire les yeux et l'attention vers l'espace où
roulent les astres. Un épervier fondant du midi poursuivait avec fureur des
colombes, oiseaux chers à Vénus, et renommés dans le culte qu'on lui rend. Déjà
quinze d'entre elles étaient mortes sous l'étreinte de sa serre, ou déchirées
par son bec, ou étourdies sous les coups de son aile. Tant de sang ne l'a pas
rassasié, et déjà il pressait la dernière, toute tremblante du meurtre de ses
campagnes, et qui fuyait d'une aile d'où tombaient, les plumes arrachées, quand
l'oiseau de Jupiter, parti de l'orient, force l'épervier à se dérober dans les
cieux. Victorieux, il prend son vol avec joie vers les aigles romaines, vient du
côté où le fils du consul secouait son armure sur ses jeunes épaules, jette
trois cris, et effleurant de son bec le cône brillant du casque du guerrier,
remonte dans les airs. Liger, qui possédait l'art d'interpréter les
avertissements des dieux, et de prédire l'avenir par le vol des oiseaux, s'écrie
: « O Annibal ! semblable à cet oiseau audacieux, tu poursuivras pendant seize
ans en Italie la jeunesse ausonienne, et tu feras un riche butin au milieu du
carnage: mais réprime ce ton menaçant; regarde : l'oiseau qui porte les armes de
Jupiter t'annonce que tu ne soumettras jamais l'empire daunien : maître des
dieux, je te reconnais ici, sois-nous favorable, et ratifie le présage de
l'oiseau sacré.
Oui, jeune guerrier, si cet aigle ne m'égare point par un vol trompeur, c'est à
toi qu'il est réservé de décider du sort de la Libye soumise, et de prendre un
surnom plus grand que Carthage elle-même ».
Bogus, au contraire, interprète le prodige en faveur du chef carthaginois.
L'augure est favorable: l'épervier et les colombes déchirées dans l'air
présagent la ruine totale des descendants d'Énée et de la race de Vénus. Parlant
encore, il fait voler le premier une lance contre l'ennemi, comme si la Divinité
l'inspirait, et qu'il connût l'arrêt du destin. La javeline, traversant les
airs, eût été tomber au loin dans la plaine sans atteindre personne, si Catus,
jaloux de l'honneur de commencer l'attaque, ne fût venu à toute bride se jeter
au-devant d'elle. Le trait languissant et déjà près de tomber porte ainsi le
coup qu'il devait frapper, et, devenu mortel par la rencontre de l'ennemi qui
s'y présente, le perce au milieu du front. Les deux armées en viennent aux
mains; un horrible tumulte fait retentir la plaine. Les cavaliers ajustent leurs
rênes si court, que les chevaux sont comme suspendus avant d'être lancés. Ils
rendent la main ; le coursier retenu s'emporte, et, volant avec toute son
impétuosité, laisse à peine sur le sol l'empreinte de ses pas. La troupe des
Boïens, plus agiles que les autres bandes gauloises, s'élance, conduite par
Crixus, sur les premières cohortes romaines, et leur oppose ses grands corps.
Crixus, tout orgueilleux de ses ancêtres, rapportait son origine à Brennus, et
comptait parmi ses titres la prise du Capitole. Sur son bouclier, l'insensé
portait ciselée la roche Tarpéienne, et les Gaulois pesant l'or au pied de la
colline sacrée. Il avait au cou un collier d'or étincelant. Sa tunique était
ornée de filets du même métal, ses manches en était raidies, et la crête de son
casque en lançait au loin des éclairs.
La première phalange composée des Camertes tombe sous le vaste effort des
Barbares, et le torrent des Boïens se précipite à travers les rangs épais. Les
infimes Sénonais renforcent et soutiennent les Boïens. Les coursiers, qui se
heurtent poitrail contre poitrail, roulent étendus sur le champ de bataille. La
plaine est inondée du sang des guerriers, et celui des chevaux coule à flots si
pressés, que le soldat y glisse sur le sol sans y laisser de traces. Le pied
pesant du cheval achève le blessé mourant, et les coursiers, dans leurs
évolutions, font jaillir une rosée sanglante qui souille l'armure des
combattants. Ce fut toi, jeune Tyrrhène, qui le premier teignis du tien, en
mourant, les armes victorieuses du fier Pelore. Tandis que ta trompette anime au
combat les guerriers qui te suivent, que ses sons les ramènent à la charge, le
trait du Barbare vient traverser ta gorge épuisée; et une blessure mortelle met
fin au rauque murmure de l'airain : mais le dernier son que produisit ta bouche
mourante parcourut encore la courbure de l'instrument, malgré le repos de tes
lèvres. Crixus renverse Picens et Laurus, tous deux à peu de distance l'un de
l'autre. L'un périt d'un coup d'épée, l'autre frappé d'une lance dont le bois
avait été choisi sur les rives du Pô. Picens, en effet, s'était jeté au hasard,
à travers la plaine, pour échapper à Crixus par des détours.
Mais la lance du Boïen lui traverse la cuisse, perce les flancs du cheval animé
qui voltige, et donne à la fois deux morts cruelles. Crixus arrache son javelot
du cou sanglant de Vénulus, pour étendre sur la poussière Farfarus avec ce trait
fumant. En même temps il immole Tullus, né sur les bords du froid Vélidus.
Tullus serait la gloire de l'Ausonie; il y acquerrait un nom illustre, si les
destins lui accordaient plus de jours, ou si le Carthaginois eût respecté
l'alliance promise. Après lui sont immolés Rémulus et plusieurs guerriers, jadis
fameux, les Magius de Tibur, Metaurus d'Hispella, et Clanius, qui médite un coup
de sa javeline qu'il balance.
Jusque-là les Carthaginois n'avaient pu se faire place dans le combat. Les
Gaulois seuls remplissaient la plaine de leur fureur.
Aucun d'eux ne lance inutilement son javelot; tous leurs traits s'arrêtent dans
le corps ennemi. Au milieu du désastre, Quirinus veut tenter un exploit décisif.
Jamais il n'a fui : son âme inébranlable sourit à l'idée de recevoir la mort
dans ce cruel revers. Soudain il presse son cheval de l'éperon, pare de son
bouclier les traits qui l'accablent, et, le fer à la main, tente de s'ouvrir un
passage jusqu'au chef des Gaulois.
Déterminé à périr, il cherche un honneur dont il ne jouira point. Teutalus,
percé dans l'aine, tombe sous ses coups, et fait retentir la terre de son poids
énorme. Il renverse Sarmens, qui avait fait voeu, s'il revenait vainqueur, de
t'offrir, dieu des combats, sa blonde chevelure aussi belle que l'or du noeud
éclatant qui la fixait derrière sa tête. Mais les Parques, dédaignant ses voeux,
l'entraînent chez les Mânes par les tresses mêmes de cette épaisse chevelure. Le
sang qui coule fume sur son beau corps, et rougit la terre humectée. Ligaunus,
sans être arrêté par le trait qui s'adresse à lui, fond sur Quirinus, lui
présente son épée qu'il brandit en cercle, et soudain, s'élevant de toute sa
hauteur, frappe son adversaire à l'articulation flexible qui unit le bras à
l'épaule.
Le bras, qu'a détaché cette profonde blessure, reste encore un instant suspendu
aux rênes flottantes, et la main, par une contraction fébrile, fait un effort
pour les retenir, et semble encore imiter par habitude le geste de gouverner le
frein. Vosége tranche alors la tête du guerrier qui ne se soutient plus,
l'attache avec son casque à la crinière de son cheval, puis offre aux dieux,
avec les clameurs particulières à sa nation, cette tête ainsi captive.
Tandis que les peuples Gaulois sèment les funérailles, Scipion fait rapidement
sortir du camp sa cavalerie, la conduit au lieu du combat et s'élance le premier
sur l'ennemi. Monté sur un cheval blanc, il traîne, à sa suite, l'élite de
l'Ausonie. Le Marse, Cora, les Laurentins, brillante jeunesse, le Sabin avec ses
traits, le belliqueux Tuder, descendu de ses hautes collines, le Falisque vêtu
du lin qui croît dans son pays, et les voisins du temple d'Hercule, les
Catilles, qui habitent, sur les rives du silencieux Anio, des campagnes
couvertes d'arbres fruitiers ; enfin les soldats des roches Herniciennes, hommes
endurcis aux travaux, au milieu de leurs sources froides, ainsi que ceux des
campagnes nébuleuses de Casinum.
Toute cette jeunesse, ces nourrissons de la belle Italie, marchaient donc à la
mort par l'ordre des dieux, et ne devaient plus revenir. Scipion pousse son
coursier au plus fort de la mêlée, et, furieux du massacre des siens, il immole
à leurs mânes Labarus, Padus, Caunus, Breucus; qui tombe à peine sous plusieurs
blessures, Larus, dont le regard était aussi farouche que celui d'une Gorgone.
Tu péris aussi, vaillant Leponticus, victime d'une triste destinée. Tandis que
ce guerrier farouche, égalant à pied la hauteur d'un homme à cheval, se jetait
devant le consul pour saisir son coursier par la bride, Scipion lui décharge sa
pesante épée au milieu du front, et lui partage la tête, qui tombe divisée sur
ses épaules. L'insensé Battus, qui ose lutter avec le cheval et opposer un
bouclier à sa fougue, est étendu, d'un coup de pied, sur la poussière ; son
visage fracassé ne présente plus la forme humaine. Le chef ausonien s'abandonne
alors à sa fureur, et sème l'épouvante dans la mêlée.
Tel on voit Borée fondre du pays des Gètes, bouleverser la mer en vainqueur,
jusque dans ses abîmes les plus profonds; les nautoniers, jouets de la tempête,
sont ballottés sur les vagues qui brisent leurs vaisseaux, et les flots
bouillonnants s'élèvent par-dessus les Cyclades.
Crixus conserve peu d'espoir et prévoit son destin; il se raidit contre la mort,
en cherchant à la braver. Sa barbe hideuse est rougie d'une écume ensanglantée.
La rage a blanchi sa bouche, et ses cheveux sont souillés d'une poussière
épaisse.
Il se jette sur Tatius, qui combattait à côté du consul, et agite avec bruit ses
armes autour de lui. Tatius, roule dans l'arène. La lance mortelle qui le frappe
le fait tomber sur le visage. Son cheval effrayé l'emporte, les membres
embarrassés dans les courroies. Il laisse après lui une longue traînée de sang;
et la pointe tremblante du dard trace un sillon incertain dans la poussière.
Scipion donnait des louanges à la mort de Tatius, et se disposait à venger ses
mânes illustres, quand les éclats d'une voix horrible viennent frapper son
oreille, et lui apprennent que c'est Crixus qui s'avance; car il ne le
connaissait pas. A sa vue, Scipion bondit de colère, et promène ses regards sur
l'ennemi qu'il brûle de combattre. Alors, animant son coursier, et passant sur
sa crinière une main caressante: « Gargan, dit-il, laissons le vulgaire et les
guerriers sans nom; les dieux nous appellent à de plus grands exploits. Vois-tu
la démarche fière de ce Crixus, et la housse de pourpre éclatante dont se pare
le Barbare?
Cette récompense sera celle de ton courage; j'y ajouterai le présent d'un frein
doré ». A ces mots, poussant un cri, il provoque Crixus au combat, et le demande
seul au milieu de la plaine. Une fureur égale enflamme son ennemi qui accepte le
défi. Les escadrons obéissent de part et d'autre à l'ordre de s'éloigner, et
laissent le champ libre aux deux chefs, qui s'arrêtent devant le front des
combattants. Tel, dans les campagnes phlégréennes, Mimas, cet enfant de la
terre, agitait ses étendards et faisait trembler le ciel à la vue de ses armes;
ainsi Crixus ébranle les airs des cris de sa poitrine velue et soulage sa colère
par d'effroyables hurlements. « N'est-il donc échappé personne à la prise et à
l'incendie de Rome, pour t'apprendre avec quel bras le peuple de Brennus manie
ses armes? apprends-le de moi, » crie-t-il au consul. En même temps il lance
contre lui avec vigueur une pique noueuse, durcie au feu, et assez forte pour
enfoncer les portes d'une ville. Le trait vole avec un bruit terrible ; mais
lancé trop fort, et sans que la distance à parcourir ait été calculée, il
dépasse l'ennemi déjà près de lui. Scipion alors : « N'oublie pas d'apprendre à
ton aïeul Brennus et aux ombres de ses Gaulois combien tu étais loin de la roche
Tarpéienne, lorsque tu es tombé, et qu'il ne t'a pas été permis d'aller voir le
mont sacré du Capitole ». A ces mots le consul, ajoutant par la course à la
vitesse de sa javeline, la lance avec un effort digne du corps de l'ennemi
qu'elle doit atteindre. Le trait vole, perce les plis multipliés de sa cuirasse
de lin garnie de cuir, et plonge jusqu'au fond de sa poitrine.
Crixus tombe ; son vaste corps reste étendu sur la terre, qu'ébranle le poids
énorme de ses armes.
Telle une digue, formée par des rochers dans la mer Tyrrhénienne, lutte contre
la fureur des flots et la violence des tempêtes, et retentit avec un horrible
fracas sous les coups de la mer qui la déborde. Nérée mugit dans sa fureur; et
les ondes, divisées par cet obstacle, reçoivent dans leur sein le mont qu'elles
ont renversé. Après la perte de leur chef, les Celtes prennent la fuite. Un seul
homme faisait leur espoir; de lui seul avait dépendu leur ardeur impétueuse.
Ainsi, quand le chasseur, sur les hauteurs boisées du Picentin, parcourt les
forêts, mettant çà et là le feu aux sombres retraites, aux halliers
impénétrables, ce feu est d'abord sans violence et sans éclat; un noir
tourbillon obscurcit l'air, où il s'élève peu à peu, et lance aux nues une
épaisse fumée. Tout à coup un vaste incendie éclaire la montagne, la flamme
pétille, et l'on voit fuir les bêtes féroces et les oiseaux, et les génisses
tremblantes se cacher au fond de la vallée.
Magon, voyant les bandes des Gaulois tourner le dos, et leur premier choc, le
seul décisif chez eu, devenu inutile, donne le signal aux siens, et mène au
combat les cavaliers de sa nation. Ils accourent tous, et ceux qui manoeuvrent
avec la bride, et ceux qui n'en font pas usage.
Tantôt, les cohortes romaines sont repoussées et prennent la fuite ; tantôt, la
frayeur fait reculer les bandes africaines. Ici, sur la droite, les Romains,
après bien des détours, présentent leurs lignes en forme de croissant; là, vers
la gauche, les Carthaginois déploient leurs ailes circulaires. Ils se forment
tour à tour par pelotons pour courir à l'ennemi; et, bientôt après, ils se
rompent avec art en paraissant se débander. Ainsi on voit Eurus et Borée pousser
et repousser les flots de la mer dans leur lutte violente, et emporter, tantôt
d'un côté, tantôt de l'autre, la masse énorme des ondes qu'ils agitent de leur
souffle.
Annibal, tout éclatant de pourpre, vole à son tour, ayant à ses côtés la
Crainte, la Terreur et la Rage. Dès qu'il lève ce bouclier étincelant, oeuvre de
la Galice, et qu'il inonde la plaine des rayons de feu qui en jaillissent,
l'espoir et le courage manquent aux Romains, et, glacés d'effroi, ils ne
rougissent plus de tourner le dos à l'ennemi.
Ils ne mettent plus leur gloire à périr; la fuite est le seul parti qu'ils
prennent; ils souhaitent même que la terre s'entrouvre sous leurs pas. Ainsi,
dans le Caucase, si le tigre vient à sortir de ses antres, les campagnes restent
abandonnées; les troupeaux consternés cherchent une retraite sûre, et le monstre
vainqueur parcourt sans obstacle les vallées désertes. Déjà il écarte ses lèvres
et découvre ses mâchoires, comme s'il dévorait une victime, et sa vaste gueule
annonce ses appétits de carnage. Métabus et Ufens à la haute taille ne purent
échapper au bras d'Annibal, quoique l'un se sauvât d'une course aussi rapide que
le vol de l'oiseau, et que l'autre fût emporté à toute bride sur son coursier.
Annibal envoie Métabus chez les ombres, de la pointe étincelante de sa pique,
coupe de son épée le jarret d'Ufens, et lui ôte avec la vie la gloire que lui
avaient acquise ses pieds légers. Déjà il a immolé Sthénius, Laurus, Collinus,
élevé sur les bords frais et dans les antres tapissés de mousse du lac Trucin,
qu'il prenait plaisir à traverser à la nage. Massicus, frappé d'un coup de
lance, accompagne ce guerrier chez les morts.
Il avait vu le jour sur la cime sacrée du mont Massique, au milieu des
vignobles, et il avait été élevé sur les rives du Liris, dont les eaux
tranquilles semblent ne pas couler. Ce fleuve, que les pluies ne peuvent
changer, suit son cours silencieux en caressant le rivage de ses eaux limpides.
Le carnage devient horrible. A peine les traits suffisent-ils à la fureur des
combattants. Le bouclier heurte le bouclier, le pied foule le pied, les
panaches, tremblants sur les casques, effleurent les fronts ennemis.
Trois frères combattaient avec furie aux premiers rangs.
Ils étaient fils de la Carthaginoise Barcé, qui, par une heureuse fécondité, les
avait eus du Spartiate Xantippe, pendant la guerre précédente. La prospérité des
armes de la Grèce, leur père général d'armée, le nom illustre d'Amyclée, Régulus
fait prisonnier par les Spartiates et chargé de leurs fers, étaient d'anciens
titres qui leur enflaient le cœur.
Ils brûlaient de montrer par leurs exploits dans la guerre quelle était leur
origine, et de quel homme ils étaient issus. Ils voulaient ensuite visiter les
cimes glacées du Taygète, se baigner dans les ondes du fleuve paternel, et
connaître les lois de Lycurgue. Mais le sort et trois frères Ausoniens les
empêchèrent d'entrer dans Sparte. Ces derniers, du même âge qu'eux, aussi
courageux, nés dans les hauts bocages d'Égérie, étaient venus de la cruelle
Aricie. Clotho ne leur permit pas non plus de revoir le lac et l'autel de Diane.
Eumachus, Critias et Xantippe, glorieux du nom de leur père, les joignent et les
attaquent avec furie. Tels on voit les lions en fureur, se jetant les uns sur
les autres, remplir de leurs rugissements les sables arides et les rares cabanes
qu'on y a dressées. Une fuite rapide emporte tous les Maures d'alentour dans les
antres des rochers, ou parmi les précipices; et les femmes épouvantées
préviennent les cris de leurs enfants en pressant dans leur bouche le sein où
ils sont suspendus.
Les monstres, frémissant de rage, brisent dans leur gueule ensanglantée les os
de leurs victimes, dont les membres se débattent encore sous la dent féroce.
Ainsi la jeunesse d'Égérie, le redoutable Virbius, Capys, Albanus, parés des
mêmes armes, s'élancent sur l'ennemi. Critias, se baissant un peu, renverse
Albanus en lui ouvrant le ventre. Ses entrailles, s'échappant de sa blessure,
remplissent son bouclier. Eumachus attaque Capys. Celui-ci tient de toute sa
force son bouclier fixé sur son corps; néanmoins le fer impétueux lui abat du
même coup le bras gauche avec l'arme défensive.
Ainsi cette main malheureuse, qui ne voulait pas lâcher l'égide, est abattue
dans son effort et la retient encore en tombant. Il ne restait plus que Virbius
à vaincre, après la mort de ses frères. Il feint l'épouvante et la fuite, et
perce Xantippe de son épée, Eumachus de sa lance. Le combat devient égal : deux
frères étaient tués de part et d'autre. Ceux qui restaient se percent
réciproquement la poitrine, et terminent ce combat singulier en se donnant
mutuellement la mort. Heureuse fin ! c'est l'amitié fraternelle qui les
précipite chez les ombres ! Les siècles futurs désireront de semblables frères;
un éternel honneur accompagnera leur nom dans la mémoire des hommes, si nos vers
peuvent souffrir l'éclat du grand jour, et si Apollon ne leur envie point la
gloire d'être lus par nos derniers neveux.
Cependant Scipion essaie d'arrêter ses troupes dispersées dans la plaine, et
emploie tout ce que sa voix a de force à les rappeler. « Où reportez-vous ces
drapeaux? Quelle frayeur subite vous dérobe à vous-mêmes? Si vous craignez tant
de combattre au premier rang et au front même de la bataille, rangez-vous
derrière moi; compagnons, chassez la crainte, et regardez le combat. Ces soldats
sont les enfants de nos prisonniers. Où fuiriez-vous? Quel espoir reste-t-il
après la défaite? Gagnerons-nous les Alpes? Représentez-vous Rome vous tendant
les bras, de ses murs flanqués de tours, et implorant votre appui! Je vois les
enfants arrachés avec violence des bras de leurs parents immolés, et le feu
sacré des vestales s'éteindre dans des torrents de sang : éloignez de vous ces
calamités! »
Ces instances, ces cris répétés, épuisent enfin les forces du consul, dont la
gorge est remplie d'une épaisse poussière. Alors, saisissant de la main gauche
la bride de son coursier et ses armes de la droite, il présente aux fuyards sa
large poitrine, et, l'épée nue, il les menace, s'ils ne font tête à l'ennemi, ou
de se percer de son épée, ou de les en frapper eux-mêmes.
Jupiter, regardant ce combat du haut de l'Olympe, est ému du danger que court
l'intrépide consul. Il appelle Mars, et lui dit de sa bouche paternelle : «
Vois, mon fils, ce guerrier magnanime ; si tu n'interviens dans cette mêlée,
j'ai tout lieu de craindre quelque malheur.
Arrache-le au combat malgré ce feu, malgré cet amour du carnage où il s'oublie.
Arrête aussi Annibal, car, dans sa fureur, il se promet plus d'avantage de la
mort du consul, que de la défaite de tous les bataillons qui tombent devant lui.
Tu vois aussi cet enfant qui ose déjà s'exposer au combat; il aspire à des
exploits au-dessus de son âge, et se lasse d'attendre la puberté pour manier les
armes : va, que sous ta conduite, on distingue les prémices de son courage; que,
dirigé par tes soins, il ose tenter une action d'éclat, et que son premier
triomphe soit de sauver son père ». Ainsi parla Jupiter. Mars aussitôt fait
venir son char du fond de la Thrace, s'arme d'un bouclier d'où les feux
jaillissent rapides comme la foudre, prend ce casque qu'un autre dieu eût à
peine porté; endosse sa cuirasse dont le travail pénible coûta tant de sueurs
aux Cyclopes, secoue au milieu des airs cette lance qui s'est rassasiée de
carnage dans la guerre de Titans, et le bruit de son char remplit la plaine. La
Rage, les Euménides, la Mort sous mille aspects, le suivent, comme une armée, et
Bellone tout occupée de conduire les coursiers du quadrige, les presse de son
fouet ensanglanté. Une horrible tempête parcourt la voûte des cieux. Des masses
noires se détachent et enveloppent la terre d'un épais brouillard. La demeure de
Saturne tremble ébranlée par l'arrivée du dieu des combats. Au bruit de son
char, le fleuve abandonne ses rives et remonte vers sa source.
Les guerriers de Garamante avaient déjà enveloppé Scipion, et allaient faire un
nouveau présent de sa dépouille et de sa tête sanglante au chef carthaginois :
le héros tenait ferme, bien résolu à ne point céder à la fortune; et sa fureur
croissant avec le carnage, il repoussait avec une force terrible les lances qui
le menaçaient. Déjà ses membres sont baignés de son sang et de celui des ennemis
: son panache est abattu; le Garamante l'emprisonne dans un cercle, le presse de
plus près, le javelot levé, et lui lance un fer dont la pointe cruelle va le
percer.
Le jeune Scipion a vu le trait plongé dans le corps de son père; ses joues se
mouillent de larmes; la frayeur le saisit, il pâlit et frappe le ciel de ses
gémissements. Deux fois il fut près de devancer la mort de son père, en
tournant. ses armes contre lui-même : deux fois Mars détourna sa colère contre
les Carthaginois. Le jeune guerrier s'élance avec fureur à travers les traits et
les bataillons, et marche du même pas que Mars. Soudain les bandes qui
enveloppaient son père se retirent, et il aperçoit sur la terre une large
traînée de sang. Couvert du bouclier du dieu, il moissonne l'ennemi sous ses
coups, renverse sur les armes et les cadavres des morts l'audacieux qui a blessé
le consul, et immole sous les yeux paternels une multitude de combattants,
victimes d'une expiation désirée. Alors il arrache précipitamment le trait qui
avait pénétré jusqu'aux os, prend son père sur ses épaules, et s'éloigne avec
fierté. Les bataillons, stupéfaits à ce spectacle, suspendent le combat. Le
farouche Libyen s'éloigne devant lui, et l'Hibère recule au loin. Tant de piété
unie à tant de jeunesse impose aux combattants un silence d'admiration. Mars
s'adressant alors du haut de son char au jeune héros : « C'est toi, dit-il, qui
forceras les portes de Carthage, et réduiras les Tyriens à recevoir la paix.
Toutefois, cher enfant, durant le cours de ta longue vie, aucun jour ne sera
plus solennel pour toi que celui-ci. Courage, courage, enfant d'une race sacrée,
vrai fils de Jupiter, de plus grandes actions te sont réservées, quoique tu ne
puisses en faire de plus vertueuses ». Mars, à ces mots, regagna les demeures
célestes. Le soleil était à la fin de sa course, et les ténèbres retinrent dans
leur camp les deux années épuisées de fatigue. Déjà Cynthia, poussée par le char
de son frère, précipitait le sien, et entraînait les ténèbres avec elle; des
lueurs rosâtres commençaient à poindre du sein des mers orientales. Le consul
affligé, craignant la plaine si favorable aux Carthaginois, suivait les collines
et se dirigeait vers la Trébie.
Deux jours avaient été employés â une retraite rapide et à un travail opiniâtre,
le pont sur lequel avait passé l'armée Romaine avait ensuite été rompu, et
flottait détaché de ses liens, quand les Carthaginois parurent sur les bords du
rapide Éridan. Tandis qu'à l'aide de nombreux détours ils cherchent des abords
faciles, des gués et un courant tranquille, Annibal fait couper des aunes dans
les bois voisins, pour faire des pontons et traverser le fleuve avec ses
troupes. Dans le même temps arrivait près de la Trébie l'autre consul, mandé de
Sicile par mer. C'était un descendant des Gracques. Issu d'aïeux illustres et
pleins de courage, ce personnage comptait avec orgueil parmi ses ancêtres des
noms célèbres soit dans la paix soit dans la guerre.
Les Carthaginois étaient campés de l'autre côté du fleuve. Le succès
aiguillonnait leur valeur; Annibal y ajoutait encore de pressantes paroles : «
Soldats, quel troisième consul reste-t-il donc à Rome? Quelle autre armée
a-t-elle en Sicile ? Voilà donc rassemblées ici toutes les forces du Latium et
des habitants de la Daunie ?
Oui, que les généraux romains fassent alliance avec moi maintenant, et viennent
me demander des conditions de paix. Mais toi, Scipion, qui viens d'échapper à la
fureur du combat, assez malheureux pour y survivre vis donc, vis, et qu'ici
encore tu doives quelque chose à ton fils; puisses-tu, à la fin de ta carrière,
ne pas avoir la consolation de mourir en combattant, lorsque les destins
t'appelleront!
C'est à moi qu'il convient de mourir les armes à la main ».
Ainsi s'exprime l'ardent Annibal; puis, à la tète des bandes massyles, il vient
braver l'ennemi jusque dans son camp qu'il obscurcit d'une nuée de flèches, pour
provoquer le soldat à en sortir.
Les Romains, de leur côté, regardent comme une honte de ne devoir leur salut
qu'à des retranchements dont l'ennemi ose frapper les portes avec sa lance.
Ils sortent avec impétuosité le consul, digne descendant des Gracchus, vole hors
du camp, à la tête des troupes.
Le vent agite l'aigrette qui surmonte son casque ; sur ses épaules brille le
manteau de pourpre, marque glorieuse du consulat. Il se retourne pour appeler à
grands cris les cohortes, et partout où il voit devant lui la mêlée s'épaissir,
il s'y porte et s'ouvre un passage. Tel un torrent impétueux se précipite du
haut du Pinde : la plaine, qu'il inonde, retentit au loin; il roule un quartier
de la montagne avec un horrible fracas : les troupeaux, les bêtes sauvages, les
forêts qu'il rencontre, sont emportés dans son cours; l'onde écumante mugit au
fond de la vallée.
Non, quand j'aurais toute l'éloquence, tout le génie d'Homère, quand Apollon
propice m'accorderait cent bouches à la fois; non, je ne pourrais exprimer quel
carnage fit la main du grand consul; combien de sang répandit la fureur du
Carthaginois.
Annibal renverse Murranus; Phalante succombe sous le bras de Gracchus. Tous deux
étaient versés dans l'art de la guerre, et avaient vieilli dans ses fatigues;
tous deux tombent sous les yeux de leurs généraux. Murranus était venu des cimes
orageuses d'Anxur, et Phalante des bords glacés du sacré marais Tritonide. Dès
qu'à l'éclat de sa parure on a reconnu le consul, Cupencus, qui affrontait
encore les dangers de la guerre, bien que privé d'un oeil, lance impétueusement
sa pique : ce trait s'enfonce en tremblant sur le bord du bouclier. A l'instant
Gracchus, tout furieux: « Laisse donc ici, téméraire, le seul oeil qu'ait
conservé ton farouche visage, et qui brille encore sous ton front mutilé ». Il
dit ; et lance avec fureur une longue javeline dont il lui traverse cet oeil
hagard. Annibal ne combat pas avec moins de fougue. Varenus tombe sous ses
coups, malgré ses armes brillances. Varenus était de Mévanie, ville pour
laquelle laboure Fulginie, riche en grasses campagnes. Là coule, dans de vastes
plaines, le Clitumne, dont les eaux font blanchir les taureaux qui viennent s'y
baigner. Mais alors les dieux étaient irrités, et Jupiter Tarpéien n'agréait
plus l'hommage des grandes victimes nourries en ces lieux. Le léger Ibère, le
Maure plus léger encore, pressent les Romains, ceux-ci de leurs javelots,
ceux-là de leurs flèches - ils forment à l'envi une épaisse nuée, qui dérobe la
clarté du jour. Tout l'espace situé entre la rive et le lieu du combat est
couvert de traits; à peine les mourants peuvent-ils tomber, tant les rangs sont
pressés.
Le chasseur Allius était venu à cette bataille des champs de la Pouille : armé
de traits grossiers, il parcourait la plaine sur un cheval d'lapygie, et,
fondant sur l'ennemi, il lui décochait ses javelots d'une main sûre. Sa cuirasse
est formée de la peau velue d'un ours samnite, et son casque armé des défenses
d'un sanglier vieilli dans les forêts. Il portait partout le désordre, comme
s'il eût battu les sombres retraites d'un bois solitaire, ou suivi les traces
des bêtes fauves sur le Gargan. Dès que Magon et le cruel Maharbal
l'aperçoivent, ils l'attaquent avec autant d'acharnement que deux ours qui,
poussés par la faim, sortent de deux antres différents pour assaillir un
taureau, qui tremble entre ces deux ennemis trop affamés pour partager la proie.
L'intrépide Allius tombe frappé des deux côtés. Les deux javelines viennent en
sifflant lui percer la poitrine, et se rencontrent dans le coeur, qu'elles
traversent : on ne sut laquelle avait donné la mort. Cependant Annibal a enfoncé
les Romains, qui n'offrent plus que des groupes épars: il les poursuit en
désordre; les pousse vers la rive; spectacle digne de pitié! et s'efforce de les
précipiter dans les ondes.
On vit alors la Trébie, sollicitée par les prières de Junon, soulever ses flots
et tenter une lutte avec une armée défaite.
La terre engloutit les fugitifs en s'affaissant sous leurs pieds, et le sol
trompeur les entraîne au fond des gouffres.
En vain, par les plus grands efforts, pensent-ils s'arracher du limon où
s'enfoncent leurs pieds ; la vase qui les retient enchaîne leurs mouvements et
les rend immobiles : bientôt le rivage s'affaisse, les enveloppe, les abat dans
cette fange qui se dérobe sous eux. On les voit alors, cherchant à s'élever sur
cette pente glissante, s'agiter pour se devancer les uns les autres sur une rive
inextricable; lutter avec le gazon qui cède; défaillir, retomber de tout leur
poids, et s'entraîner mutuellement dans leur chute. Celui-ci, habile nageur,
était près d'aborder à un endroit sûr; déjà, s'élevant au-dessus des eaux, sa
main saisissait l'extrémité de l'herbe qui croît sur le rivage; déjà il allait
sortir du fleuve, lorsqu'il reste suspendu, attaché à la rive par la lance qui
l'a percé.
Celui-là, n'ayant plus d'armes, serre son ennemi entre ses bras, lutte contre
lui, et le force à mourir avec lui dans les eaux. La mort se présente sous mille
aspects divers.
Ligus est tué sur le sol même; mais, jeté au milieu des eaux, sa bouche
qu'entrouvrent les sanglots s'abreuve de cette onde teinte de sang. Le bel
Hirpin avait presque gagné le milieu du fleuve à la nage, et appelait à lui la
troupe de ses compagnons : soudain, un cheval fougueux, emporté par le courant,
et percé de plusieurs coups, le heurte : Hirpin, que ses efforts ont épuisé, est
entraîné sous les ondes.
Mais le désastre augmente à l'aspect subit des robustes éléphants chargés de
tours. Poussés rapidement dans ces ondes, ils y sont emportés avec autant de
vitesse qu'une roche qui s'est détachée de la montagne. Ces monstres inconnus au
fleuve épouvanté en refoulent devant leur poitrail les eaux écumantes qu'ils
couvrent de leurs masses. C'est l'adversité qui éprouve l'homme; et le courage
intrépide marche à la gloire par le chemin escarpé des travaux et des épreuves.
Fibrenus, impatient d'acquérir de la renommée, et ne voulant pas périr sans
gloire, s'écrie: « O fortune ! on vantera ma mort, et tu n'enseveliras pas mon
nom sous ces flots. Voyons s'il est quelque chose au monde que ne puisse abattre
l'épée d'un Romain, ni traverser une lame tyrrhénienne ». A ces mots, il se
redresse, et porte dans l'œil droit de la bête gigantesque un trait qui demeure
dans la blessure. Le monstre fait entendre un horrible rugissement, lutte contre
le dard qui a pénétré dans les chairs, se lève tout droit en perdant des flots
de sang, et retombe en arrière sur son conducteur renversé. Tous l'accablent
alors de javelots et de flèches; assez hardis pour braver la mort, ils couvrent
de blessures mortelles ses vastes membres et toute l'étendue de ses larges
flancs. Sur sa croupe et sur son dos livide s'élève une forêt de lances, qu'il
fait trembler en s'agitant. Il tombe enfin sous les traits qu'un long combat a
épuisés contre lui; et son cadavre immense obstrue et embarrasse le cours du
fleuve.
Soudain, au milieu du désastre, Scipion, bien que son pas soit ralenti par sa
blessure, se jette, furieux, dans le fleuve, et fait de l'ennemi un affreux
carnage. La Trébie est couverte de cadavres, de boucliers, de casques ; à peine
voit-on la surface de l'eau. Mazéus tombe abattu par un javelot; Gestar, par un
coup d'épée, et après lui, l'agile Péloponésien Telgon, habitant de Cyrène.
Scipion lui lance un trait qu'il a saisi dans le rapide courant du fleuve; le
fer pénètre de toute sa longueur dans la bouche ouverte du guerrier, et la
blessure fait claquer ses dents. Toutes ces victimes n'ont point acheté le repos
par la mort même : la Trébie roule dans le Pô, et le Pô jusqu'à la mer leurs
cadavres tuméfiés. Tapsus, tu péris aussi, et tu n'auras pas de sépulture : que
t'ont servi le séjour des Hespérides et les bocages de ces divinités, où l'or
jaunit sur les rameaux des arbres qui le portent?
La Trébie, grossie subitement, s'élève du fond de son lit, chasse de sa source
tous ses flots avec impétuosité, et ramasse toutes ses forces. L'onde mugit en
furie dans ses gouffres retentissants, et une seconde crue d'eau suit la
première avec murmure. Le consul s'en aperçoit, et n'en est que plus irrité! «
Perfide Trébie, s'écrie-t-il, tu recevras de moi un châtiment mérité! Je vais
mutiler ton cours, et te répandre en ruisseaux dans les plaines gauloises,et
anéantir jusqu'à ton nom. Je fermerai la source d'où tu descends : tu ne
couleras plus entre ces rives, et tu cesseras d'envoyer tes eaux dans l'Eridan.
Rivière funeste ! quel excès de fureur t'a donc fait prendre le parti des
Carthaginois »?
Tandis que Scipion lui fait ces menaces, le fleuve, se levant tout entier,
pousse le consul, et lui couvre déjà les épaules de ses flots amoncelés. Lui,
debout, rassemble toutes ses forces pour lutter contre l'onde impétueuse, et en
soutient le choc en lui opposant son bouclier: un autre flot, mugissant avec
furie, vient alors par derrière baigner le panache de son casque. Bientôt la
terre se dérobe sous ses pas, et le dieu du fleuve ne lui permet plus de prendre
pied et de s'avancer sûrement : les roches rendent en échos un son rauque qui va
retentir au loin; les ondes soulevées prennent part au combat de leur monarque,
et le fleuve n'a plus de rives.
Alors le dieu sort des eaux; ses cheveux sont mouillés, et sa tête couronnée de
joncs verdâtres : « O toi, l'ennemi de mon empire, crie-t-il au consul, oses-tu
bien, dans ton orgueil, me menacer d'un châtiment, et parler d'anéantir le nom
de la Trébie? Les cadavres que je roule, c'est ton bras qui les a précipités :
ces boucliers, ces casques des soldats égorgés de ta main, ont embarrassé mon
cours et m'ont contraint de l'abandonner.
Vois mes ondes rougies de sang et refoulées vers leur source. Suspends donc tes
coups, ou va les porter dans ces plaines voisines ».
Vulcain, accompagné de Vénus, et enveloppée d'une nuée obscure, considérait ce
spectacle du sommet d'un tertre.
Scipion lève les mains au ciel et se plaint amèrement : « Dieux, de la patrie,
vous qui présidez au sort de la glorieuse Rome, étais-je donc réservé à cette
mort ignoble, quand vous m'avez naguère conservé la vie au milieu de sanglants
combats? avez-vous cru indigne de vous de me faire périr sous un bras courageux?
Rends-moi, oh ! rends-moi, mon fils, aux dangers que j'ai courus; rends ton père
à l'ennemi ! que je puisse braver la mort sur un champ de bataille et me montrer
digne de mon frère et de la patrie »!
Émue à ce discours, Vénus gémit et tourne contre le fleuve les forces dévorantes
de son époux invincible. Le feu, dispersé sur les rives, répand partout ses
flammes et gagne avec furie les arbres que nourrissait le fleuve depuis des
siècles. Tout le bois est embrasé ; et Vulcain, se portant dans les hauts
bocages, pétille partout où il est entré vainqueur. Le sapin et son feuillage,
le pin, l'aune sont déjà consumés; les oiseaux ont abandonné le peuplier, dont
il ne reste plus que le tronc, et dont les branches abritaient autrefois leurs
nids. La flamme avide absorbe jusqu'aux eaux les plus profondes, qu'elle attire
en les volatilisant, et le sang desséché se durcit sur les rives par l'effet de
la chaleur. La terre brûlée se fend au loin, s'entrouvre de toutes parts; des
monceaux de cendres s'élèvent dans le lit du fleuve. L'Éridan majestueux voit
avec surprise le cours éternel de ses eaux interrompu; et la troupe affligée des
nymphes remplit les antres de ses lamentations. Trois fois le dieu du fleuve
veut lever sa tête qui s'embrase; trois fois Vulcain, jetant sur elle une torche
enflammée, le force de se replonger dans les ondes fumantes; trois fois les
roseaux qui protégeaient sa chevelure la laissent à nu. Mais ses prières et ses
voeux furent enfin écoutés, et Vulcain lui permit de conserver ses anciennes
rives.
Scipion, épuisé, rappelle de la Trébie ses soldats découragés, et, suivi de
Gracchus, il les conduit sur une colline où il se retranche. Annibal, de son
côté, rend au fleuve de pieux hommages, et dresse des autels de gazon à ces
ondes amies. Il ignorait, hélas! ce que les dieux méditaient de plus grand, et
quel deuil, ô Trasimène! tu préparais à l'Italie!
Flaminius avait défait, quelques années auparavant, les bandes boïennes :
triomphe facile pour le général romain, dans une guerre contre une nation mobile
et sans ruse. Mais une lutte avec le héros Tyrien était une tout autre
entreprise.
C'est lui que Junon destine aux Romains pour les commander après leur défaite;
le choix de ce général devait accélérer la ruine de son armée, car sa naissance,
accompagnée de malheureux auspices, ne présageait que des désastres. Revêtu de
l'autorité consulaire, à peine eut-il pris les rênes du gouvernement et fut-il à
la tête des bataillons, que, semblable à un pilote ignorant et inhabile à
maîtriser les flots, il devient le jouet des vents, et abandonne à la furie des
tempêtes le malheureux vaisseau dont il a pris le gouvernail. Emporté au hasard
sur le gouffre des mers, ce vaisseau est jeté contre les écueils par la main
même de celui qui le dirige. L'armée est conduite, à marches forcées, chez les
peuples de Lydie, dans le voisinage de la cité, séjour de l'ancien Corythus,
pays qu'habite une race de Méoniens et d'Italiens, depuis longtemps confondus.
Junon presse aussitôt Annibal, dans l'intérêt de sa gloire, de s'assurer des
dispositions de l'ennemi. La nature était plongée dans le sommeil, et les soucis
endormis dans les coeurs, quand la déesse prend la figure du dieu protecteur du
lac voisin. Les cheveux de son front humide sont ceints de rameaux de peuplier.
Elle agite l'esprit d'Annibal par une subite inquiétude, et trouble son sommeil
pour lui faire entendre d'importants avis. « O toi! dont le nom si fameux est un
sujet de larmes pour le Latium ; toi, que l' Ausonie mettrait au nombre de ses
grands dieux si elle t'avait donné le jour, pourquoi suspendre le cours des
destins? hâte-toi : les faveurs de la fortune sont passagères : va donc faire
couler autant de sang ausonien que tu l'as promis à ton père, quand tu juras
entre ses mains la guerre d'Italie: satisfais, par un immense carnage, aux
ombres de tes compatriotes. Tu me rendras après et sans remords les honneurs qui
me sont dus : je suis Trasimène, dieu de ces eaux ombragées; dans les collines
qui m'entourent est une troupe envoyée d'Étrurie ».
Annibal se met en marche à cet avis, et fait descendre du haut des monts son
armée joyeuse de la fureur divine. L'Apennin, qui porte dans les nues sa cime
hérissée de sapins, leur opposait des rochers et des glaces. Une neige épaisse
couvrait les arbres, et sur ces hauteurs des pics blanchissants élevaient
jusqu'aux astres leurs frimas solidifiés.
Annibal ordonne la marche ; sa gloire passée, il la croit perdue si, après les
Alpes, une seule montagne arrête ses pas. Mais c'est peu pour l'armée d'avoir
franchi des cimes qui se cachent dans les nuages; elle ne voit pas de terme à
ses fatigues, ni de trêve à ses travaux.
Les plaines nagent sous les eaux, la glace fondue s'épanche en mille ruisseaux
qui rendent impraticables les campagnes, devenues des marais fangeux. Annibal,
qui marchait tête nue à travers ces lieux inhospitaliers, y est atteint par
l'inclémence du ciel. Un de ses yeux s'est fondu et a baigné son visage; mais il
dédaigne le secours des médecins, et ne croit pas payer trop cher l'heureux
moment d'une bataille. S'inquiétant peu de la beauté de son front, pourvu que sa
marche n'éprouve aucun retard, il sacrifierait tous ses membres, si la victoire
était à ce prix. Il croit voir assez encore s'il peut seulement contempler
vainqueur le Capitole, et frapper de près le Romain, son ennemi. Après avoir
surmonté ces rudes épreuves, il arrive enfin près du lac tant désiré, pour y
venger sur une foule de victimes la perte de son oeil.
En ce moment des sénateurs arrivent de Carthage dans son camp. Le sujet de leur
voyage avait de l'importance, et leur message était triste. D'après les coutumes
de ce peuple, apportées par l'étrangère Didon, on apaisait les dieux par des
sacrifices humains; et on déposait, spectacle horrible! des enfants sur leurs
autels en feu. Tous les ans le sort désignait les victimes infortunées d'un
culte, imitation cruelle de celui de Diane en Tauride. Le destin venait d'exiger
le fils d'Annibal, et Hannon, son constant adversaire, réclamait l'exécution de
cette volonté des dieux. Cependant Carthage craignait le ressentiment de son
général en armes, et voyait dans le fils le portrait imposant de son redoutable
père. Imilcé ajoutait encore à ce trouble des esprits, en se montrant le visage
défait et les cheveux en désordre, et en remplissant la ville de ses clameurs
déchirantes. Telle, dans les fêtes de Bacchus, on voit une Ménade en fureur
parcourir le Pangé, et exhaler au dehors la rage dont elle est remplie.
Au milieu des femmes de Carthage, elle s'écrie, comme la Ménade, à la lueur des
torches : « O mon époux ! en quelque partie du monde que tu fasses la guerre,
ramène ici tes drapeaux. Ici, dans ta patrie, est un ennemi plus terrible.
Maintenant, peut-être, au pied des remparts de Rome, tu reçois, héros intrépide,
mille traits sur ton bouclier, et tu agites la torche ardente qui doit porter
l'incendie au milieu du Capitole. Et voilà qu'au sein de ta patrie, on entraîne
devant un autel impitoyable le premier, le seul enfant qui doive perpétuer ta
race. Va donc maintenant, le fer à la main, ravager les villes romaines,
ouvre-toi des routes jusqu'alors impraticables, déchire les traités jurés au nom
de tous les dieux ; telle est la récompense que te réserve Carthage ; tels sont
les honneurs qu'elle te rend !
Eh ! quelle est donc cette piété qui arrose de sang les temples des dieux?
Hélas! la première cause des crimes des hommes, c'est leur ignorance de la
nature divine. Allez, qu'un encens pieux accompagne vos justes demandes, et loin
de vous ce culte barbare avec les meurtres qu'il commande. Dieu est doux et ami
de l'homme. Qu'il suffise donc désormais de voir immoler des taureaux sur les
autels, ou, si c'est votre opinion inébranlable que les dieux veulent le mal, me
voici, moi la mère du fils d'Annibal ; accomplissez sur moi vos voeux
sacrilèges.
Pourquoi ravir à la Libye un enfant d'un si grand caractère? La journée des îles
Égates, qui a vu s'abîmer sous les flots la puissance carthaginoise, serait-elle
plus déplorable que celle où la patrie, par un sort cruel, se verrait privée de
mon noble époux »?
Ces plaintes ramenèrent au parti de la prudence les sénateurs, flottants entre
la crainte des dieux et le courroux des hommes. En conséquence, on laissa
Annibal maître de se soustraire à l'arrêt du sort, ou de se conformer au culte
des dieux. Après cette décision, Imilcé, hors d'elle-même, et tout agitée,
redoute le coeur impitoyable du magnanime Annibal.
A ces paroles, qu'il écoute avec avidité, celui-ci répond :
« O Carthage ! quelle reconnaissance, digne d'une telle faveur, pourra te
témoigner Annibal, lui que tu viens d'égaler aux dieux mêmes?
Comment m'acquitter justement envers toi? O ma patrie! Jour et nuit je serai
sous les armes ; et j'enverrai d'Italie, dans tes temples, les plus nobles
victimes du sang de Quirinus. Quant à mon fils, qu'il vive, qu'il ait pour
héritage mes armes et mon amour des batailles. Mon fils, doux espoir de son
père, unique salut de l'empire carthaginois, malgré les menaces de Rome,
souviens-toi de faire la guerre aux enfants d'Énée, sur terre et sur mer, tant
qu'un souffle de vie te restera. Marche, les Alpes te sont ouvertes; poursuis
mes travaux. Et vous, dieux de la patrie, vous dont les temples sont arrosés de
sang, dont le culte est la terreur des mères, tournez ici un visage riant, et
soyez attentifs ; je vous prépare des sacrifices sur un autel colossal. Toi,
dragon, occupe la hauteur qui est devant nous, toi Choaspe, les collines qui
sont sur la gauche ; et que Sychée aille, par des chemins couverts, s'emparer
des gorges et des défilés. J'irai moi, reconnaître le lac Trasimène, avec
quelques troupes légères; et je chercherai pour les dieux les victimes que lui
vaudra cette journée. Car le dieu du lac m'a solennellement promis les plus
grands succès. Vous en serez témoins, ô mes concitoyens ! et vous en porterez la
nouvelle à Carthage ». |