Mais de nouveaux malheurs préoccupaient vivement le sénat.
Comment calmer l'inquiétude des troupes? Quel est celui qui se chargerait de la
guerre d'Ibérie, après la ruine des affaires? L'ennemi, que la victoire a rendu
plus superbe, venait de renverser les Scipion, ces deux frères dignes du dieu
des combats. Aussi devait-on craindre que cette province, menacée de si près par
le vainqueur, ne se soumît bientôt aux Carthaginois. Le sénat troublé, et jetant
un regard inquiet sur l'avenir, songe aux mesures à prendre pour réparer l'échec
qu'a reçu la puissance romaine; il demande aux dieux un chef qui ose se mettre à
la tête des débris de l'armée.
Le jeune Scipion voudrait venger les mânes de son père et de son oncle ; mais sa
famille le retient: les malheurs encore récents qu'elle déplore, la jeunesse de
Scipion, tout l'épouvante. S'il passait dans ces sinistres contrées, il lui
faudrait combattre, sur les cendres mêmes de son père et de son oncle, contre un
ennemi qui a déjoué leur habileté, qui les a vaincus tous deux, et dont le
succès n'a fait qu'enflammer le courage. Ses bras, encore trop faibles pour
soutenir une lutte terrible, ne lui permettent pas de solliciter un commandement
réservé à la vigueur de l'âge mûr. Assis sous l'ombrage verdoyant d'un laurier,
dans la partie la plus retirée de sa demeure, le jeune héros s'abandonnait aux
pensées tumultueuses qui agitaient son coeur.
Tout à coup, apparaissent devant lui la Vertu et la Volupté, qu'il voit
descendre des cieux, et qui se placent à sa droite et à sa gauche: toutes deux
ont une taille au-dessus de celle des mortels. D'un côté, la Volupté, ennemie
redoutable de la Vertu, laissant flotter ses longs cheveux, embaumait l'air
d'une odeur d'ambroisie. Vêtue d'une robe brillante, elle avait rehaussé par
l'éclat de l'or la pourpre tyrienne. Une épingle, retenant sa chevelure sur son
front, relevait la beauté de son visage, et les éclairs capricieux de ses yeux
lascifs semblaient autant de flèches brûlantes. Mais la Vertu se présentait avec
un extérieur bien différent: son front était sans ornement; sa chevelure simple
et sans parure; ses regards étaient modestes. Elle avait l'air mâle et le
maintien plein de noblesse : un pudique sourire animait son visage. Sa haute
taille paraissait encore relevée par la blancheur éclatante de sa robe. La
Volupté la première lui adresse la parole ; elle est pleine de confiance dans
les promesses qu'elle va lui faire. « Jeune homme, lui dit-elle, pourquoi cette
ardeur belliqueuse? Quoi! tu irais consumer indignement dans les camps la fleur
de ta jeunesse! As-tu donc oublié la journée de Cannes, le Pô, le Trasimène, ce
lac plus funeste que l'onde du Styx? Et tu songerais à passer sur le sol de
l'Atlas; tu penserais à Carthage? Crois-moi : cesse de chercher les périls et
d'exposer ta tête aux tempêtes de Mars. Si tu ne renonces pas au culte sanglant
de ce dieu, la Vertu te commandera de voler au milieu des combats et de te jeter
à travers les flammes. C'est elle qui a précipité aux sombres bords ton père et
ton oncle, Paul Émile et Décius. Elle promettait de pompeux honneurs à leur
cendre, un grand nom à leur tombeau, et de la gloire à leur ombre qui ne sent
plus rien. Mais si tu marches avec moi, tu n'auras point à suivre un sentier
pénible pour arriver au terme qui t'est marqué; jamais la trompette ne viendra
troubler ton sommeil. Tu n'auras à souffrir ni les glaces de l'Ourse, ni les
flammes du brûlant Cancer. Ta table ne sera pas un gazon souvent ensanglanté. Tu
ne sentiras pas la soif dévorante ; ta gorge ne sera pas desséchée par la
poussière qui pénètre sous le casque : plus de soucis, ces enfants de la
crainte. Tous tes jours seront brillants; tes heures couleront heureuses, et tu
pourras attendre la vieillesse dans le sein d'une molle abondance. Combien de
choses les dieux n'ont-ils pas faites pour servir à notre bonheur ! N'ont-ils
pas répandu à pleines mains les doux plaisirs? Ces dieux eux-mêmes, par leur
exemple, invitent les hommes à jouir d'une vie paisible : leurs âmes, exemptes
des soucis de la terre, reposent dans un calme inaltérable. C'est moi qui, sur
les bords du Simoïs, ai conduit dans les bras de Cythère Anchise, qui donna
naissance à l'auteur de votre race. C'est moi qui ai fait prendre au maître des
dieux, tantôt la forme d'un oiseau, tantôt celle d'un taureau armé de cornes
menaçantes. Écoute : la vie passe si rapidement! l'on ne peut naître qu'une
fois; l'heure fuit et va se perdre dans le torrent du Tartare. Ce qui nous
flatte le plus sur la terre, nous ne pouvons l'emporter avec nous chez les
ombres. Quel mortel, à sa dernière heure, n'a pas gémi, trop tard, hélas!
d'avoir repoussé mes faveurs? » La Volupté se tait; la Vertu lui répond en ces
termes : « Dans quels égarements d'une débauche honteuse, dans quelles ténèbres
prétends-tu jeter ce jeune homme à la fleur de ses ans? Les dieux lui ont
accordé toute leur prudence, et c'est d'eux qu'il tient sa grande âme. Autant
les dieux de l'Olympe sont élevés au-dessus des mortels, autant les fils des
dieux l'emportent sur le reste des humains, et la Nature, en les faisant naître
pour nous, n'a mis au-dessus d'eux que la seule Divinité ; mais son immuable
volonté condamne aux ténèbres du Tartare les âmes viles qui se sont souillées.
Au contraire, celles qui ont respecté leur céleste origine, voient la porte du
ciel s'ouvrir à leur approche. Citerai-je Hercule, à qui rien ne résista?
Bacchus, dont les tigres du Caucase traînaient par les villes le char
triomphant, lorsque après avoir enchaîné les Sères et les Indiens, il ramena de
l'Orient ses armes victorieuses? Rappellerai-je les enfants de Léda, ces jumeaux
qu'invoquent les nautoniers dans la tempête, et votre grand Quirinus? Ignores-tu
que si les dieux ont voulu que l'homme eût la tête droite et élevée, c'est afin
qu'il eût toujours les yeux fixés vers les demeures célestes; tandis que les
autres animaux, quelles qu'en soient la nature et la forme, courbés vers la
terre, y rampent pour satisfaire leurs appétits grossiers? L'homme est né pour
la gloire et pour les honneurs, s'il veut comprendre l'excellence des dons du
ciel. Sans remonter bien loin dans le passé, jette les yeux ici: vois Rome à sa
naissance, lorsqu'elle pouvait à peine résister au Fidenate menaçant ; heureuse
d'abord de s'accroître par le droit d'asile, à quelle hauteur ne s'est - elle
pas élevée par son courage! Ailleurs, vois que de villes florissantes ont péri
par les plaisirs! Non, la colère des dieux, le bras d'un ennemi, le fer n'ont
jamais produit les désastres qu'amène avec elle la Volupté, lorsqu'elle se
glisse dans les coeurs. L'ivresse, la débauche, sont ses compagnes inséparables,
et l'infamie voltigeant toujours autour d'elles sur ses sombres ailes... Mais ne
vois tu pas venir à ma suite l'honneur, les Louanges, la Gloire au brillant
sourire, la Grandeur, et la Victoire portée sur des ailes blanches comme la
neige? Le Triomphe, ceint de lauriers, m'élève jusqu'aux astres. J'habite, au
haut d'une colline, une chaste demeure. Le sentier est d'un accès difficile; je
ne veux tromper personne. La peine est grande pour arriver jusqu'à moi; et
quiconque en a la noble envie, doit se préparer aux luttes et aux travaux. Mais
faut-il regarder comme de vrais biens ceux que la main perfide de la Fortune
donne et peut ravir aussitôt? Une fois que tu tiendras les hauteurs, tu verras
au-dessous de toi tout le genre humain: là, tu dois t'attendre à des choses tout
autres que les flatteuses promesses de la Volupté. Couché sur un dur feuillage,
tu passeras sous la voûte des cieux des nuits sans sommeil, et tu auras à
triompher du froid et de la faim. Rigide observateur de la justice, quoi que tu
entreprennes, souviens-toi que les dieux seront là témoins de tes actions.
Alors, à quelque danger que t'appellent la patrie et l'intérêt public, tu
saisiras le premier tes armes, le premier tu pénétreras dans les murs ennemis;
ni for, ni le fer n'abattront ton courage. N'attends pas cependant, pour prix de
tant d'épreuves, des habits de pourpre, ni ces précieux parfums qui déshonorent
un homme; mais je te ferai vaincre celui qui dévaste aujourd'hui votre empire
par les fureurs de la guerre, et tu iras déposer le superbe laurier de la
victoire dans le sein de Jupiter, après avoir exterminé le Carthaginois. » Ce
discours prophétique, que la Vertu prononce de sa bouche sacrée, lui gagna
entièrement le jeune guerrier. Ces beaux exemples flattaient son coeur, et l'on
pouvait voir au feu de son visage combien il goûtait ces conseils. Mais la
Volupté indignée ne put garder le silence. « Non, dit-elle, je ne vous arrêterai
point davantage. Il viendra, il viendra ce temps où Rome, docile à mes lois,
courbera sa tête sous mon joug et ne reconnaîtra plus que mon culte. » C'est
pourquoi, secouant sa tête, elle se retira dans les sombres nuages. Mais
Scipion, tout pénétré des sévères leçons de la Vertu, et brûlant de l'amour
qu'elle lui inspire, conçoit un projet digne de sa grande âme. Il vole aux
rostres; personne n'excitait les esprits à braver le péril: lui demande
hardiment qu'on le charge du commandement et des dangers de cette guerre. Tous
le contemplent avec empressement ; les uns croient reconnaître le visage de son
père, les autres croient voir le visage martial de son oncle rajeuni. Quoique
prévenus favorablement, une terreur inquiète se glisse dans leur âme et les
glace d'épouvante, lorsqu'ils viennent à peser le fardeau de la nouvelle guerre.
On compte avec anxiété les années du jeune chef, qui a pour lui tous les coeurs.
Tandis que les Romains agités examinent tumultueusement cette grande affaire, on
voit tout à coup un serpent, parsemé de brillantes taches d'or, traverser
obliquement la voûte des cieux, et, traçant dans les airs un sillon éclatant, se
porter avec grand bruit vers les bords que baignent les mers voisines du mont
Atlas. Jupiter prend sa foudre pour confirmer l'augure, la fait gronder deux et
trois fois, aussitôt l'univers ébranlé retentit des éclats du tonnerre. La foule
à genoux salue le présage: « Va, dit-elle à Scipion, va où t'appellent
visiblement les dieux ; suis la route que t'a tracée ton père. » Aussitôt une
multitude nombreuse se rassemble pour prendre part à cette guerre et l'y
accompagner.
Chacun demande à s'associer aux plus rudes travaux; chacun se fait gloire de
partir pour cette expédition. Une nouvelle flotte descend dans les mers; et
l'Ausonie, entraînée par Scipion, se transporte sur les terres Ibériennes. Tel
on voit le Corus bouleversant les mers, élever au-dessus de l'Isthme les flots
amoncelés. L'onde écumante s'abat en furie sur les roches qui retentissent, et
la mer Égée va se confondre avec la mer Ionienne. Scipion apparaît d'un air
majestueux sous ses armes; et debout sur le premier navire, il s'adresse à
Neptune : «Dieu qui portes le redoutable Trident, toi dont j'ose traverser
l'empire; si mon entreprise est juste, puisse cette flotte achever heureusement
sa course : ne dédaigne pas de seconder nos travaux; elle est sainte la guerre
que je porte au-delà des mers. » A l'instant un vent frais s'élève et enfle les
voiles. Déjà la flotte rapide a doublé les côtes de l'Étrurie, battues par la
mer retentissante; dans sa vitesse, elle a franchi le golfe des Liguriens. Alors
du sein des eaux ils aperçoivent de loin les Alpes, ces monts altiers qui
poussent leurs cimes audacieuses jusqu'aux astres. Marseille s'offre bientôt à
leurs regards.
Cette colonie grecque, environnée de peuples féroces qui l'effraient sans cesse
par leur religion barbare, retient au milieu de ces nations belliqueuses les
coutumes et les moeurs de la Phocide, son antique patrie, et reçoit avec amitié
les étrangers. Les Romains passent ensuite les différents golfes de ces côtes :
ils aperçoivent la chaîne gigantesque des Pyrénées, couronnées par d'épaisses
forêts qui se perdent dans les nues. Ils laissent derrière eux Emporia, ville
antique, d'origine grecque, et arrivent à Tarraco, fameuse par ses vins. Là ils
s'arrêtent dans le port, les vaisseaux abrités se rangent le long du rivage qui
les couvre, et chacun oublie les peines et les fatigues de la mer.
Une nuit paisible avait apporté aux hommes le sommeil semblable à la mort.
Scipion croit voir son père se présenter à ses yeux: il se trouble et s'imagine
entendre ce discours : « Cher enfant! ô toi qui sauvas autrefois ton père, toi
qui fais ma gloire après ma mort ; il t'appartient de ravager ces contrées
cruelles, foyer permanent de guerres. Tu vaincras les fiers capitaines de la
Libye; mais joins la ruse à la valeur. Tu les trouveras à la tête de trois
armées séparées. Si, dans le dessein de prendre l'offensive, ils viennent à
réunir leurs forces, comment tenir devant l'impétuosité de leurs formidables
bataillons? Évite d'engager une action hasardeuse, et hâte-toi de prendre un
parti plus sûr. Il est une ville fondée par l'antique Teucer. Son nom est
Carthage ; des Tyriens habitent ses murs. Comme l'Afrique, l'Espagne a sa
Carthage, qui est la métropole illustre de ces contrées. Aucune ville ne
rivalise avec elle pour la richesse de ses habitants, pour son port, sa position
élevée, la fertilité de son territoire, l'activité de ses fabriques d'armes.
Profite, ô mon fils! de l'éloignement des armées, et va fondre sur cette ville.
Aucune ne t'offrira de plus riches dépouilles, aucune ne te méritera plus de
gloire. »
Tels étaient les avertissements de son père et l'objet de ses vives instances,
quand tout à coup Scipion s'éveille et voit disparaître le fantôme. Il se lève,
invoque les divinités des demeures infernales, et s'adresse aux mânes de son
père: « Soyez mes guides dans les combats; marchez devant moi vers la ville que
vous m'indiquez. Oui, je vais vous venger, et tout brillant de la pourpre du
Carthaginois, fier d'avoir dissipé les armées Ibériennes, je vous immolerai des
victimes, et des jeux consacrés par la religion honoreront votre tombeau. » Il
dit; et hâtant sa marche à la tête de ses bataillons, il vole et fait retentir
au loin la plaine.
Tel, à Pise, un coursier rapide s'élance hors de la barrière. Non seulement il
devance ceux des autres quadriges ; mais, chose admirable! il précède ses
compagnons d'attelage, nul regard ne peut suivre le char emporté à travers les
airs. Le matin du septième jour, Scipion se présentait devant la place, dont la
citadelle et les édifices semblaient s'élever à mesure qu'il en approchait.
Lélius arrive par mer, à l'heure prescrite par le chef suprême de l'armée, range
sa flotte sous les murs de la ville, et la bloque ainsi par derrière, en
étendant ses vaisseaux sur une ligne.
Carthagène, dont la nature s'est plu à favoriser la situation, élève fièrement
ses murs, que la mer baigne tout alentour. Une petite île fermait l'étroite
entrée de son port, du côté où l'aurore inonde la terre de ses rayons: mais du
côté où la ville regarde le soleil se couchant lentement derrière les monts, des
eaux stagnantes, que le flux augmente et que le reflux retire, languissent dans
une vaste plaine. La ville, assise sur une colline, le front tourné vers le
septentrion, s'abaisse en amphithéâtre jusqu'à la mer. L'accès en est défendu
parle rempart éternel des flots.
Le soldat, plein d'audace, s'efforce de gravir la hauteur; on eût dit qu'il
portait ses étendards victorieux à travers une plaine. Aris présidait à la
défense. Dans le danger qui le menaçait, il comptait sur les avantages de sa
position, et avait fortifié la citadelle par de nouveaux travaux : la nature
même du sol combattait pour les assiégés. Au moindre effort le soldat romain
perdait l'équilibre et roulait mutilé et mort au fond des précipices. Mais à
l'instant du reflux, l'eau vint à baisser, et les ondes entraînées
précipitamment vers la mer, permirent de passer à gué, là où la plage était
auparavant sillonnée par la flotte. Scipion se porte en silence sur ce point, où
il sait qu'on ne le craint pas, et fait franchir les bas-fonds à ses soldats;
qui, les pieds dans l'eau, arrivent tout à coup jusqu'au pied des murailles.
Tous volent à l'attaque par les derrières de la ville, qu'Aris, se fiant aux
flots, avait laissés dégarnis. Le général carthaginois s'humilie aux pieds du
vainqueur, subit le joug qu'on lui impose, et la garnison remet ses armes. Ainsi
fut prise cette place, que le soleil levant avait vu investir, et qu'il vit se
rendre avant que son char se fût plongé dans la mer Hespérienne. Au lever de
l'aurore, sitôt que les ombres ont quitté la terre, les Romains commencent par
dresser les autels. Un magnifique taureau tombe en l'honneur de Neptune, et un
autre en l'honneur de Jupiter. Scipion récompense les actions d'éclat, et le
soldat intrépide obtient le prix qu'il a payé de son sang. Celui-ci étale les
phalères sur sa poitrine; celui-là entoure son cou d'un collier d'or. Cet autre
pare sa tête altière de la couronne murale. Le premier de tous, Lélius, guerrier
illustre par sa valeur et sa naissance, reçoit trente bœufs avec un titre
glorieux, prix de sa victoire navale; on y ajoute les armes nouvelles du chef
carthaginois. Scipion distribue ensuite des lances, des drapeaux, des insignes
de la valeur, comme prémices du butin, à tous ceux qui en sont dignes. Après
avoir remercié les dieux, et distribué les récompenses méritées, le général
romain examine les dépouilles des vaincus et en fait le partage. Une partie de
l'or est réservée au sénat, une autre consacrée aux frais de la guerre. De
riches présents seront offerts aux rois; d'autres doivent orner les temples des
dieux. Le reste appartiendra aux guerriers dont la valeur et les hauts faits
furent dignes d'éloges. Il fait ensuite venir le roi d'Ibérie, son prisonnier,
et cette future épouse pour laquelle brûlait le coeur du captif.
Elle était d'une admirable beauté. Scipion, joyeux et triomphant, s'apprête à
lui rendre la jeune vierge, qu'il a noblement respectée. L'armée, libre de
soucis, dresse alors des tentes le long du rivage voisin, et se livre à la joie
bruyante des festins. Lélius s'adresse au jeune héros : « Courage ! poursuis, ô
digne chef qui nous commandes! qu'elle cède à la tienne la gloire si vantée de
ces fameux capitaines que les poètes ont immortalisés dans leurs vers. » Le roi
de Mycènes traînant à sa suite ses mille vaisseaux ; celui de Thessalie, qui
venait d'associer ses armes aux bataillons d'Argos, ont sacrifié l'amitié à
l'amour d'une femme.
Les tentes grecques qui s'élevaient dans la plaine de Troie étaient remplies de
femmes captives. Toi seul tu as eu la vertu de traiter cette vierge étrangère
avec plus de respect que la prêtresse troyenne ne le fut par ces Grecs ». Ainsi
Lélius et Scipion s'entretenaient ensemble. La Nuit, couverte d'un voile sombre,
ramenait son char obscur dans les cieux, et les invitait au sommeil. Cependant
l'Étolie, effrayée de la subite apparition d'une flotte macédonienne, était en
proie à l'agitation. L'Acarnan, voisin des Étoliens, s'était joint à leur
ennemi; et la cause de ces troubles imprévus était l'alliance armée de Philippe
avec Carthage dans la guerre contre les Romains. Descendant d'une illustre race,
ce prince rapportait l'origine de son royaume au sceptre des Éacides, et
comptait avec orgueil Achille au nombre de ses ancêtres. Il jette pendant la
nuit l'épouvante dans Orique, fond comme un orage vers les côtes de l'Illyrie,
dans le pays des Taulantins, nation qui pouvait à peine lui opposer de faibles
murailles. De là il se rend par mer dans l'île des Phéaciens, la ravage ; en
fait autant du territoire des Thesprotes; et parcourt enfin l'Épire, où il
promène ridiculement ses armes inutiles. Bientôt il montre ses drapeaux sur les
côtes d'Anactorium, fait une incursion rapide vers le golfe d'Ambracie, sur les
côtes de Pella, pousse ses vaisseaux à travers les flots bouillonnants de
Leucate, va voir rapidement à Actium le temple d'Apollon, aborde à Ithaque,
ancien royaume de Laerte; à Samé, traverse les écueils de Céphallénie toujours
battus par une onde écumante; et pose le pied sur les roches de Néritos. Jaloux
de voir la terre qui a servi d'asile à Pélops, et les murs de l'Achaïe, il passe
à Calydon, objet de la colère de Diane; dans les domaines d'Énée, chez les
Curètes ; promettant aux Grecs le secours de ses armes contre les Romains.
Il tourne ensuite vers Corinthe, Patras, Pleuros, jadis demeure royale, le
Parnasse, les roches prophétiques de Cyrrha. Rappelé plusieurs fois dans son
royaume, tantôt par les incursions des Orestes, peuple sarmate, tantôt pour
repousser les Dolopes qui fondaient comme un torrent dans ses provinces; mais,
trop fier pour renoncer à ses vaines entreprises, il fit au moins une ombre de
guerre le long des côtes de la Grèce, jusqu'à ce que, perdant sur mer et sur
terre tout l'espoir qu'il avait placé dans les armes carthaginoises, il fut
contraint de signer, honteux et soumis, la paix accordée par les Romains, et de
recevoir la loi dans ses propres états.
La fortune de Tarente, cette colonie spartiate, venait aussi d'augmenter les
forces et la gloire du Latium. Cette ville perfide avait été prise enfin par le
vieux Fabius, dernier fait d'armes qui honora sa prudence. Un heureux stratagème
l'avait rendu maître de la place, sans répandre de sang, et sans compromettre sa
renommée. Il apprend que le commandant carthaginois brûle d'amour pour une
femme, et sa tranquille valeur se plaît à l'attaquer en secret par la ruse. Il
ordonne au frère de cette femme, lequel était dans le camp romain, d'aller vers
sa soeur, et de la gagner par les plus grandes promesses, afin qu'elle engageât
le commandant carthaginois à ouvrir les portes à l'ennemi. Fabius, au comble de
ses voeux, et triomphant ainsi du gouverneur, pénètre la nuit, par des portes
mal gardées, dans les murs de la ville, que les armes environnent de toutes
parts. Mais on apprend tout à coup la mort de Marcellus. Qui eût douté, à cette
nouvelle, que les chevaux du soleil ne se fussent détournés de Rome? Quelle
gloire pour Annibal que la chute de ce héros, dans le coeur duquel le bouillant
dieu des armes semblait habiter! Intrépide dans tous les dangers, la terreur
même de Carthage, il est tombé sur la poussière. Si le ciel lui eût accordé plus
de jours, Scipion n'aurait peut-être pas eu la gloire de terminer cette guerre.
Un coteau séparait du camp romain celui des Carthaginois. Le théâtre de la
guerre était la Pouille. Crispinus, qui partageait avec Marcellus l'honneur du
consulat et les soucis de l'autorité suprême, commandait l'armée, de concert
avec lui. « Je veux », lui dit Marcellus, « aller reconnaître les bois voisins,
et placer un poste au milieu de cette montagne, de peur que l'ennemi ne s'empare
secrètement des hauteurs.
Viens, Crispinus, si tu le crois utile: partageons ensemble les hasards de cette
entreprise. Deux hommes comme nous ne peuvent espérer que le succès ». Ils
s'élancent donc à l'envi sur leurs coursiers. Marcellus, voyant son fils
apprêter ses armes, et se réjouir à l'idée de cette tumultueuse attaque, lui
dit. « Ton ardeur brûlante surpasse mon courage. Puisse ta valeur prématurée
être couronnée de succès. Montre-toi tel que je t'ai vu en Sicile, combattant
avec mon air menaçant, à une époque où ton âge tendre t'éloignait du théâtre des
combats. Viens, mon fils, viens, ma gloire! Tiens-toi à côté de ton père, et
apprends de lui à combattre. » Il l'embrassa alors, et s'adressant au ciel :
«Puissant Jupiter, dit-il, fais-moi revenir vainqueur d'Annibal, et que ce bras,
chargé de dépouilles opimes, puisse te les consacrer. » A peine a-t-il parlé,
que Jupiter fait tomber du ciel serein une pluie de sang. Des gouttes noires ont
taché leurs armes, et révèlent de sinistres présages. Marcellus avait cessé de
parler : il entrait dans les gorges de cette funeste montagne. Tout à coup ils
sont investis par une troupe rapide de Nomades, qui sortent en armes de
l'embuscade où ils s'étaient cachés, et fondent sur les consuls comme une nuée
orageuse.
Enveloppé de toutes parts, n'ayant plus d'espoir, l'intrépide Marcellus
n'ambitionne plus d'autre gloire que celle d'emporter un grand nom chez les
ombres. Tantôt il se dresse sur son cheval en brandissant de loin sa lance;
tantôt, attaquant l'ennemi de près, il le frappe, tout furieux, de son épée.
Peut-être, hélas! eût-il échappé à cet océan de malheurs, s'il n'eût vu son fils
percé d'un trait. Son bras paternel tremble à ce coup; et, le coeur déchiré par
le désespoir, il laisse tomber ses armes malheureuses de sa main glacée. Sa
poitrine, découverte à tous les traits, reçoit le fer d'une lance : il tombe, et
sa tête va marquer la plaine d'une trace sanglante. Le chef carthaginois, voyant
Marcellus abattu par le trait qui a traversé sa poitrine, s'écrie d'une voix
farouche : « O Carthage! cesse enfin de redouter la loi du Latium. Ce guerrier
terrible, la colonne de l'Ausonie, est enfin couché sur la poussière. Mais il
m'a trop ressemblé par sa vaillance, pour descendre ainsi obscurément chez les
ombres. Jamais la vraie valeur n'a connu l'envie. » On dresse aussitôt un
immense bûcher, qui s'élève jusqu'aux cieux. D'énormes arbres sont réunis en
monceau.
Il semble que ces honneurs funèbres soient rendus à Annibal lui-même. Alors on
apporte l'encens, les offrandes, les faisceaux, le bouclier, pompes dernières
réservées à Marcellus. Annibal met lui-même le feu au bûcher : « Oui-,
s'écrie-t-il, ma gloire est à présent immortelle. Nous avons enlevé Marcellus au
Latium ; et peut-être, enfin, Rome va déposer les armes. Compagnons, rendez les
devoirs funèbres à cette grande âme, et que la cendre de Marcellus jouisse des
derniers honneurs. Non, Rome, je ne te les refuserai jamais. » La Fortune ne fut
pas moins cruelle pour l'autre consul. Crispinus était près d'expirer, quand son
coursier le ramena dans sa tente. Tel était le triste spectacle offert à
l'Ausonie; mais en Espagne, les armes romaines étaient plus heureuses. La rapide
victoire remportée contre Carthagène avait jeté au loin l'épouvante, et ne
laissait d'espoir aux généraux carthaginois, que dans la prompte réunion de
leurs forces. Un guerrier, jeune encore, venait de débuter comme un héros. Armé
de la foudre de son père, il avait pris, en moins d'un jour, une citadelle
fortifiée sur le sommet d'un mont, où on la distinguait à peine, et il l'avait
couverte de cadavres; tandis que dans cette même contrée le vaillant Annibal
avait mis presque un an pour prendre Sagonte, qui n'était comparable a
Carthagène, ni par ses ressources et ses richesses, ni par le nombre de ses
jeunes guerriers.
Près de là, Asdrubal, dont les exploits glorieux retraçaient ceux de son frère,
se tenait adossé à une ceinture de roches boisées. Là campait l'élite de l'armée
carthaginoise, le vaillant Cantabre, uni aux Africains rebelles, et l'Astur,
plus rapide que le Maure. Asdrubal était aussi grand aux yeux de l'Ibérie,
qu'Annibal était redouté dans les champs laurentins. Le hasard voulut que les
Carthaginois célébrassent alors l'anniversaire mémorable de la fondation de leur
cité, laquelle avait remplacé d'humbles cabanes. Asdrubal, renouvelant avec joie
cette fête du berceau de sa patrie, s'était livré aux plaisirs de la journée;
ses enseignes étaient couronnées de fleurs, et il offrait lui-même le sacrifice
à ses dieux. De ses épaules descendait une robe éclatante, présent de son frère.
Annibal l'avait reçue du roi Trinacrius parmi d'autres gages d'amitié. Les rois
de Sicile en faisaient un insigne de leur pouvoir: une broderie d'or y
représentait un aigle planant dans les airs, où il enlevait un enfant balancé
sur ses ailes. A côté était une vaste caverne, séjour des Cyclopes, et que
l'aiguille avait retracée sur la pourpre. Là, Polyphème assis dévorait les corps
sanglants que sa dent cruelle avait déchirés.
Autour de lui gisaient des os brisés, qu'il rejetait quand il les avait rongés.
Le bras étendu, il demandait à Ulysse du vin qu'il mêlait, en le buvant, au sang
qui ruisselait de sa bouche. Asdrubal, couvert de cette robe dont le riche tissu
rappelait tout l'art de la Sicile, rendait ses hommages aux dieux sur des autels
de gazon. Un courrier arrive en toute hâte au milieu de l'assemblée, et lui
apprend que l'ennemi s'avance. Le trouble gagne tous les coeurs : Asdrubal
abandonne la cérémonie religieuse, quitte l'autel sans achever le sacrifice, et
s'enferme dans son camp.
Dès que l'humide aurore a éclairé le ciel d'une faible lumière, on se dispose au
combat. L'intrépide Saburra est atteint du trait qui part en sifflant de la main
de Scipion. Ce présage est comme le signal auquel les deux armées s'ébranlent.
Le chef des Latins s'écrie : «Ombres sacrées, c'est à vous que j'immole cette
première victime. Soldats, volez au combat, courez au carnage; montrez-nous
cette ardeur dont les deux Scipion ont été tant de fois témoins, lorsqu'ils
vivaient encore. » A ces mots, le soldat fond sur l'ennemi : Mycon est renversé
par Laenas, Cirta par Latinus, Thysdrus par Maron ; Néalce l'incestueux, qui
avait souillé la couche de sa soeur, tombe sous la main de Catilina : Carthalo,
qui régnait sur la Libye, se présente devant le vaillant Nasidius, qui le
renverse sur le sable; et toi, Lélius, gloire de l'Italie, les peuples des
Pyrénées n'ont pu voir sans terreur ta fougue t'emporter au milieu des
Carthaginois, et ton bras y faire des prodiges de valeur. La nature libérale,
d'accord avec tous les dieux, avait prodigué ses dons à Lélius. S'il parlait en
public, la douceur de son éloquence semblait être le miel sorti de la bouche du
vieux Nestor. Les sénateurs partagés lui demandaient-ils son avis; il entraînait
tous les esprits comme par enchantement. Mais sur le champ de bataille, la
trompette n'avait pas plus tôt fait entendre son lugubre signal, que Lélius se
jetait au milieu des bataillons ennemis avec autant de furie que s'il fût né
seulement pour la guerre : jamais il ne fit rien qui n'ajoutât à sa gloire. Ici
Lélius renverse Gala, qui bravait les hasards des combats : Gala ne devait le
jour qu'à un secret artifice: sa mère, pour le soustraire aux sacrifices
barbares de Carthage, lui avait substitué l'enfant d'une autre femme; mais on ne
peut jouir longtemps du plaisir impie d'avoir trompé les dieux. Là, Lélius
envoie chez les ombres Alabis, Murrus, Dracès, qui lui demande la vie avec les
cris d'une femme. Le Romain lui tranche la tête, sans se laisser émouvoir par
ses prières ou par ses plaintes; il les murmurait encore, que déjà sa tête était
détachée de son cou. Asdrubal dans ce combat ne montre pas la même ardeur. Sans
s'inquiéter de la déroute et du carnage de son armée, il gagne les rochers et
les mille détours de la montagne couverte de bois, s'estimant heureux de pouvoir
contempler les Alpes et l'Italie : c'est là le digne prix de sa fuite. En même
temps il fait secrètement avertir ses troupes de céder sur tous les points, de
se disperser dans les bois, sur les collines, où le hasard les portera, et de
gravir les cimes des Pyrénées. Le premier il quitte ses insignes et ses armes,
et caché sous le bouclier ibérien, il gagne les monts et abandonne ses soldats
au désordre de la fuite. Le Romain promène dans le camp désert ses enseignes
victorieuses. Jamais ville prise n'offrit plus de butin; aussi le carnage
cessa-t-il bientôt, comme l'avait prévu le chef Carthaginois. Tel on voit le
castor, surpris dans les ondes, arracher avec ses ongles la partie de son corps
qui l'expose au danger, et se sauver à la nage pendant que l'ennemi auquel il se
dérobe songe à recueillir sa proie. Dès que le Carthaginois s'est réfugié dans
les sombres retraites de ces bois escarpés, où il se croit hors de péril,
Scipion revient pour livrer de plus grands combats à l'ennemi qu'il a laissé
derrière lui et qu'il est plus sûr de vaincre. Il commence par élever un trophée
sur les Pyrénées, avec cette inscription : Scipion, vainqueur d'Asdrubal,
consacre ces dépouilles au dieu Mars. Le Carthaginois, délivré de ses craintes,
armait, près de la porte Bébrycienne, les peuples qui habitent au-delà des
monts. Il achetait des troupes à grand prix, et prodiguait facilement pour la
guerre les trésors amassés dans la guerre. Il s'était fait précéder de l'immense
quantité d'or et d'argent recueillie dans l'Ibérie au milieu de tant de travaux
et de dangers. L'appât de l'or échauffe le courage de ces âmes vénales; il voit
bientôt son camp se remplir des nations qui habitent le long des rives du Rhône
et des bords fertiles de la Saône. Il part, prend sa route par les champs
celtiques, arrive rapidement au pied des Alpes, dont il voit avec étonnement les
cimes orgueilleuses que son frère a franchies; il y cherche les traces
d'Hercule, et ose comparer le passage d'Annibal à celui de ce dieu. Dès qu'il
est parvenu au sommet de ces montagnes et qu'il a pénétré dans le camp même
d'Annibal : « Rome, s'écrie-t-il, ces remparts que tu portes si haut
resteraient-ils debout lorsque ces murailles de montagnes n'ont pu arrêter mon
frère? Puissent mes succès égaler les siens! Puisse un dieu jaloux ne pas nous
envier la gloire de nous être élevés jusqu'aux astres ! » Alors le bouillant
Carthaginois descend par le chemin qu'Annibal avait rendu praticable sur les
flancs de ces montagnes, et les franchit avec rapidité. La guerre, dans ses
commencements, n'avait pas répandu plus d'effroi. Il n'est bruit partout que de
ces deux Annibal abreuvés du sang italien : ces deux vainqueurs vont réunir
leurs camps, doubler leurs armées, et faire la guerre en commun. L'ennemi va
venir au pas de course jusqu'aux pieds des murs de Rome, et il pourra voir
encore fichés à ses portes les traits lancés par le bras des Carthaginois.
L'Italie frémissante se livre à sa douleur : Dieux! la fureur des Carthaginois
m'exposera-t-elle à cette affreuse humiliation, moi qui ai reçu dans mon sein
Saturne fuyant les armes de son fils; moi qui lui ai donné sur cette terre un
royaume? Voilà dix ans que nous sommes écrasés. Un jeune audacieux, qui ferait
la guerre au ciel même, est venu des extrémités de la terre m'attaquer le fer à
la main, il a franchi les Alpes et s'est jeté dans mes plaines avec furie. Que
de cadavres il m'a fallu ensevelir! Que de fois mes enfants égorgés m'ont rendue
un objet d'horreur! Je ne vois plus fleurir aucun arbre dont les fruits me
consolent, et l'épée coupe mes moissons sur leurs tiges encore vertes. Les toits
de mes chaumières, renversés et dispersés sur mon sein, ont fait de mon empire
un hideux amas de ruines. Vois-je donc, après tant de maux, être livrée aux
coups de cet autre furieux, qui vient fondre sur mes vastes contrées et n'aspire
qu'à détruire par le feu les misérables restes de la guerre ? Oh! que le Nomade
ouvre mon sein avec la charrue; que le Libyen confie ses semences à la terre
ausonienne, si je n'ensevelis pas dans un même tombeau toute cette multitude qui
parcourt en triomphe mes vastes campagnes ». Telles sont les tristes pensées de
l'Italie. Profitant de la nuit qui couvre de ses ombres la couche des dieux et
des hommes, son génie se dirige vers le camp du rejeton d'Amyclée. Retranché sur
les confins de la Lucanie, il observait alors tous les mouvements d'Annibal.
L'image de la Patrie lui parle en ces termes : « Gloire des Clausus, le plus
grand espoir de Rome, depuis qu'elle a perdu Marcellus, arrache-toi bien vite au
sein du repos, si tu veux soutenir les destins de Rome; marche, ose frapper un
coup qui repousse l'ennemi de nos murs, et qui fasse trembler le vainqueur
lui-même après sa victoire. Le Carthaginois vient de couvrir de ses armes
étincelantes les plaines Senonoises, où le Gaulois a imprimé pour jamais son
nom. Si tu ne voles au combat à la tête de tes bataillons, en vain voudras-tu
trop tard secourir Rome expirante. Hâte-toi donc, que rien n'arrête tes pas;
j'ai destiné les vastes champs du Métaure à être le tombeau de nos ennemis, et à
engloutir leurs ossements. » A ces mots, l'ombre se retire; elle semble traîner
à sa suite Néron, saisi de frayeur, et brisant les portes du camp, chasser les
soldats devant elle.
Néron s'éveille, plein de trouble; le coeur enflammé par ce songe, il lève vers
le ciel ses mains suppliantes, adresse ses prières à la terre, à la nuit, aux
astres semés sur la voûte des cieux, et demande à Phébé de guider sa marche de
sa lumière silencieuse. Il choisit ensuite les troupes les plus dignes de ces
grands efforts, et traverse, en côtoyant la mer supérieure, le pays des
Larinates, les campagnes des belliqueux Marruciens, des Frentans, toujours
fidèles à leurs alliés, les fertiles vignobles de Praetutia. L'oiseau, la
foudre, le torrent impétueux, le trait des Parthes n'égalent pas la rapidité de
Néron. Les soldats s'encouragent les uns les autres: « Compagnons, se
disent-ils, marchons, hâtons-nous. Les dieux, neutres aujourd'hui, laissent en
nos mains le salut de Rome ou sa perte » Ils s'exhortent ainsi, et volent à
l'ennemi. Néron, qui les devance, les anime puissamment de son exemple. Ils
précipitent leurs pas pour le suivre, et marchent nuit et jour sans songer à la
fatigue. Mais Rome ne voit qu'en tremblant la grandeur du danger qui la menace,
et gémit de la trop grande confiance de Néron. Un seul coup funeste peut lui
ravir le peu qui lui reste de vie. Ses trésors sont épuisés; plus d'armes, plus
de jeunesse, plus de sang à répandre. Quoi! Néron attaquer Asdrubal lorsqu'il
n'ose se mesurer avec le seul Annibal? Mais Annibal, dès qu'il le saura éloigné,
fondra sur nos remparts, ou plutôt Asdrubal, déjà près de Rome, ne vient-il pas
disputer à son cruel frère la gloire de la réduire en cendres? Tel est le
trouble, le désespoir qui agitent en secret le sénat. Cependant, tout entier au
soin de son honneur, il cherche avec inquiétude comment il pourra se soustraire
à l'esclavage, et se dérober à la colère du ciel. Pendant que Rome s'abandonne
aux gémissements, Néron, dans l'obscurité d'une nuit profonde, entre dans le
camp de Livius, qui s'était retranché près du fier Asdrubal. Le vaillant Livius,
instruit flans l'art des combats, avait brillé autrefois, dans sa première
jeunesse, parmi les plus illustres guerriers. Mais, offensé par le peuple, qui
l'avait injustement accusé, il avait enseveli dans la solitude des champs ses
jours qui s'écoulaient dans la tristesse. La terreur, le danger pressant de la
patrie dans cette guerre terrible, l'avait forcée, après la perte de tant de
chefs renommés, de recourir à son bras, et il avait oublié son ressentiment.
Cependant la secrète arrivée de ces troupes ne put être ignorée d'Asdrubal,
malgré les ténèbres qui avaient caché la ruse. Il s'étonne à la vue de cette
poussière qui couvre les boucliers; la maigreur des chevaux et des cavaliers est
le signe d'une marche précipitée. On distingue le son deux fois répété des
fanfares; tout annonçait que deux camps s'étaient réunis, et que deux consuls
étaient présents. Cependant, comment les consuls ont-ils pu joindre leurs
armées, si Annibal respire encore? Le seul parti à prendre, pour être instruit
de tout, est d'attendre, et d'ajourner la bataille : déjà, dans son extrême
frayeur, Asdrubal songe à assurer sa fuite. La nuit, mère du sommeil, chassait
les soucis du coeur des humains; et les ténèbres entretenaient un profond
silence. Il se dérobe du camp, effleurant à peine la terre de ses pas, et,
suivant ses ordres, l'armée muette s'écoule sans bruit. La lune ne répandait
aucune lumière dans l'obscurité de la nuit: ils hâtent leur marche à travers les
plaines silencieuses; pas le moindre choc des armes; mais la terre, ébranlée par
ce grand mouvement, a reconnu l'ennemi : elle trouble et embarrasse leur marche,
les fait revenir sur leurs pas, tourner dans un étroit espace, errer au milieu
des ténèbres. Car le fleuve, qui par mille détours serpente dans la plaine,
revient bientôt sur lui-même en remontant son cours à travers des solitudes
sauvages. Ainsi égarés, la fatigue qu'ils endurent a été inutile à leur fuite;
ils n'ont fait que tourner sur eux-mêmes; et ces ténèbres qu'ils croyaient
propices n'ont servi qu'à tromper leurs pas. Bientôt le jour paraît et trahit
leur fuite. Un essaim rapide de cavaliers se précipite du camp romain, et une
grêle de traits couvre au loin la plaine. Les armes, les bras des guerriers ne
se touchent point encore, et déjà le fer s'abreuve de sang.
D'un côté volent les flèches crétoises, pour arrêter la fuite du Carthaginois;
de l'autre, une forêt de lances présente la mort à quiconque ose s'approcher.
Forcé de combattre, l'ennemi s'y dispose à la hâte, et n'a plus d'espoir que
dans ses armes. Asdrubal, qui comprend la grandeur du péril, se jette au milieu
de ses soldats; porté sur un bouillant coursier, il leur tend les bras, et les
anime de la voix : «Par les lauriers que vous avez conquis aux extrémités du
monde, par la gloire de mon frère, je vous en conjure, prouvons qu'il y a ici un
frère d'Annibal. La fortune ne nous expose à ce danger que pour nous faire
connaître au Latium, pour apprendre aux Rutules ce que sont les vainqueurs de
l'Ibérie, ces soldats accoutumés à vaincre aux colonnes d'Hercule. Peut-être
Annibal va-t-il aussitôt se joindre à nous; hâtez-vous, préparez-lui un
spectacle digne de lui, digne de sa gloire, en couvrant cette plaine de morts.
Tous les chefs que vous pouviez redouter dans les combats sont tombés sous ses
coups; et maintenant, la seule espérance de Rome, ce Livius, qui a usé sa vie
dans l'exil et la disgrâce, s'offre à vous pour être votre victime. Courage,
compagnons, frappez, immolez ce Romain, avec qui mon frère rougirait de se
mesurer, et délivrez-le d'une honteuse vieillesse. » Néron, de son côté, anime
aussi ses troupes : «Soldats, pourquoi balancer à terminer cette horrible
guerre? La rapidité de votre marche est déjà pour vous un grand sujet de gloire;
il faut que votre valeur couronne à présent cette belle entreprise. Oui, on nous
accusera d'avoir quitté le camp, que notre départ a laissé sans défense, si la
victoire ne justifie notre audace; que votre gloire soit sans partage, et qu'on
puisse dire que votre arrivée seule a défait l'ennemi. » Plus loin Livius a
déposé son casque, et on le reconnaît à ses cheveux blancs : «Regardez, dit-il,
regardez-moi, jeunes guerriers, fondre sur l'ennemi, et remplissez le vide que
mon bras aura fait. Que vos épées ferment enfin ces Alpes trop longtemps
ouvertes aux courses des Carthaginois; que si, par une attaque rapide, vous ne
renversez ces bataillons, et qu'Annibal comme la foudre vienne tout à coup
fondre sur nous, quel dieu pourra nous arracher à la mort? » Alors se recouvrant
de son casque et saisissant son épée, il confirme, le fer à la main, les paroles
qu'il a prononcées. Protégé par son armure, il fait de tous côtés un horrible
carnage. Il se porte au milieu des bataillons les plus épais et renverse autant
d'ennemis que son bras lance de javelots.
Tout fuit à son appproche, et le Mace éperdu, et le féroce Autolole et la
jeunesse à la longue chevelure qui habite les rives du Rhône. Nabis était venu
des sables prophétiques d'Hammon; et, comme s'il eût été sous la garde du dieu
dont il est le prêtre, plein de sécurité, il se portait avec furie à travers les
combattants. Il avait, dans son fol orgueil, promis de suspendre dans son temple
les dépouilles de l'Italie. Les perles de l'Orient brillaient sur sa robe
d'azur, comme les astres semés sur la voûte des cieux : l'or et les perles
étincelaient sur son casque et sur son bouclier. Les bandelettes sacrées,
flottant sur son casque à double aigrette, inspiraient une religieuse terreur et
la vénération due aux dieux. Il avait un arc, un carquois, des flèches trempées
dans le sang d'un Céraste, et le poison lui fournissait des armes. Assis sur la
croupe de son cheval, selon la coutume de sa nation, il tenait inclinée, en
l'appuyant sur son genou, sa lourde pique sarmate, et la poussait ainsi contre
l'ennemi. Déjà triomphant, il emportait Sabellus, dont il avait percé à la fois
et les armes et le corps sous les yeux du consul; déjà il célébrait à grands
cris son dieu Hammon. Le vieillard intrépide ne peut soutenir tant de fureur et
tant d'orgueil dans le coeur d'un Barbare.
Il lui lance un trait; et, victorieux, il enlève au vainqueur et sa vie et sa
proie. Asdrubal accourt au bruit de cette chute lamentable. Il voit Arabus prêt
à enlever les ornements brillants de Nabis et ses autres dépouilles enrichies
d'or; et lui enfonce par derrière son trait jusqu'aux os, comme il se jetait
avidement sur ces vêtements splendides, et laissait à nu le cadavre palpitant.
Arabus tombe, rend à Nabis ses habits sacrés, ses tissus d'or, et meurt sur
l'ennemi qu'il avait dépouillé.
Canthus, l'intrépide Canthus, possesseur des sables où les courageux Philènes
ont rendu leur nom à jamais célèbre, tue l'opulent Rutulus, dont les nombreux
troupeaux faisaient retentir les vastes bergeries. Livré dans ses loisirs aux
soins les plus doux, tantôt Rutulus conduisait son troupeau sur les bords d'une
onde fraîche, pendant les chaleurs du midi; tantôt, assis sur le gazon, il
tondait les brillantes toisons de ses brebis, blanches comme la neige; ou,
lorsque le troupeau revenait du pâturage, il contemplait ses agneaux qui
reconnaissaient leur mère restée dans la bergerie. Trahi par son bouclier
d'airain, que le fer a percé de part en part, il tombe et gémit, mais trop tard,
d'avoir quitté les bergeries de ses aieux. Le soldat romain presse l'ennemi avec
plus de furie. C'est un torrent, une tempête; c'est la foudre et ses éclats
lumineux. Telle la mer se retire devant le souffle de Borée; telles les nuées
orageuses roulent poussées par l'Eurus, lorsqu'il a confondu et le ciel et les
ondes. Les cohortes des Gaulois à la haute stature combattaient au premier rang.
Le choc violent d'un escadron impétueux les repousse soudain, fatiguées qu'elles
étaient d'avoir erré au hasard, et incapables, d'ailleurs, de supporter
longtemps l'ardeur du soleil. De longs efforts les ont épuisées, et bientôt la
terreur, ordinaire à cette nation, les emporte.
Le Romain les poursuit, les frappe de sa lance, les atteint de son javelot et
les arrête dans leur fuite. Un seul coup renverse Thyrmis; il en faut plus d'un
pour renverser Rhodanus. Livius, de sa lance, abat Morin, déjà percé d'une
flèche, et chancelant sur son coursier. Il presse l'ennemi en désordre, et,
abandonnant les rênes à son cheval, il le précipite sur la multitude qui fuit.
Mosa croyait échapper au consul, qui lui fait tomber la tête de son large cou.
La terre retentit de la chute de cette tête encore enfermée dans son casque, et
le coursier emporte, à travers la mêlée, le tronc sanglant du guerrier.
Témoin de ces exploits de Livius, Caton, qui se portait de tous côtés au milieu
des combattants, s'écrie tout-à-coup : «Voilà celui qu'il fallait opposer à
Annibal, lorsqu'il franchit les Alpes ! Hélas! quel bras le Latium a-t-il laissé
dans l'inaction! que de sang les injustes suffrages du Champ-de-Mars n'ont-ils
pas épargné à nos ennemis! » Déjà l'armée d'Asdrubal pliait tout entière, et
partout, dans les rangs des Gaulois, naissait la frayeur. La fortune de Carthage
se lassait, et la Victoire venait de tourner ses ailes du côté des Romains. On
eût dit que le consul avait retrouvé la vigueur de sa brillante jeunesse; il
courait triomphant au milieu du carnage, et se couvrait de gloire à chaque pas.
Mais Asdrubal, traînant à sa suite une troupe toute blanchie par la poussière,
accourt, et brandissant un trait: « Arrêtez, s'écrie-t-il; devant qui
fuyons-nous? quelle honte! quoi! un vieillard décrépit vous chasse devant lui :
mon courage s'est-il donc démenti, ou rougissez-vous de votre chef ? Bélus est
le premier de mes aieux : on trouve parmi eux le nom illustre de Didon ; et mon
père, c'est Amilcar, le plus grand de tous les guerriers. Un homme à qui tout
cède, et les montagnes, et les fleuves, et les lacs, et les plaines, est mon
frère; Carthage me regarde comme le premier après lui, et les peuples du Bétis,
qui ont connu mon courage, m'égalent même à ce héros. » Il dit, s'élance au
milieu des ennemis, et apercevant l'armure brillante du consul, il lui porte un
coup rapide. Sa lance perce le bouclier d'airain et la cuirasse de Livius,
s'arrête à l'épaule, dont elle effleure le haut: elle n'a fait qu'une blessure
légère, et se rougit à peine d'un peu de sang. Elle a trompé Asdrubal, qui déjà
se réjouissait dans son cœur. Ce spectacle jette l'alarme et le trouble parmi
les Romains : mais Livius, reprochant à l'ennemi sa faiblesse: «Non,
s'écrie-t-il, je n'ai été blessé que de la main téméraire d'une femme, ou par un
trait qu'a lancé le bras d'un enfant. Courage, soldats! apprenez à l'ennemi
quelles blessures porte le bras d'un Romain. » Alors une nuée de traits se
répand dans les airs et dérobe le soleil. Déjà le carnage fait par le deux
armées couvrait la plaine de morts, et les cadavres amoncelés dans le fleuve en
touchaient l'une et l'autre rive. Telle on voit Diane parcourir les sombres
forêts du Ménale ou du Pinde, et y répandre l'alarme, spectacle qui réjouit sa
mère. Les nymphes qui accompagnent en foule la déesse volent sur ses pas, et
font résonner les carquois remplis de flèches. Bientôt les animaux sont atteints
sur les rochers, dans leurs retraites profondes, dans les vallées, dans les
fleuves, au fond des antres tapissés de mousse; rien n'échappe au carnage.
Assise au sommet d'une montagne, Latone suit des yeux tous les coups et
tressaille de joie. L'intrépide Néron apprend le premier que le consul est
blessé; aussitôt, il s'ouvre un passage au milieu de l'armée, et voyant que de
part et d'autre la résistance est égale. « C'en est donc fait, dit-il, de la
fortune de Rome? Vaincrez-vous Annibal, si vous ne pouvez vaincre cet ennemi? »
Puis il se précipite dans la mêlée; bravant tous les dangers. Bientôt il
aperçoit Asdrubal qui combattait avec furie à la tète des siens. Tel un monstre
du vaste Océan parcourt longtemps en vain les profondeurs stériles ; il fait
bouillonner la mer au loin, lorsque déjà affaibli par la faim, il aperçoit une
proie dans les flots, et la suivant au fond des abîmes, il engloutit l'onde
amère avec les poissons qui y nagent. Néron s'adresse à Asdrubal, et sa flèche
suit ses paroles: « Non, tu ne n'échapperas pas à mon bras. Il n'y a plus ici,
comme aux Pyrénées, de forêts inaccessibles. Tu ne m'abuseras plus par de vaines
promesses, comme tu l'as fait déjà, lorsque arrêté en Ibérie, tu n'as échappé à
mes coups que par un traité perfide. » Il dit; et d'une main sûre, il lui lance
son javelot qui, balancé dans les airs, va s'enfoncer dans son flanc. Le Romain
intrépide, tirant aussitôt son épée, se jette sur lui et le renverse; puis il
tient pressé sous son bouclier ses membres tremblants. « Si tu veux, lui dit-il,
envoyer, avant d'expirer, quelque message à ton frère, nous le lui porterons
nous-mêmes. »
Le Carthaginois lui répond: « Non, la mort n'est pas pour moi un sujet de
terreur. Use du droit de ta victoire, pourvu que mes mânes soient bientôt
vengés. Si tu veux redire à mon frère mes dernières paroles, répète lui que je
charge son bras vainqueur de brûler le Capitole, et de confondre mes os et ma
cendre avec la cendre de votre Jupiter. » Sentant que la vie lui échappe, il
allait, dans son désespoir, en dire davantage; mais Néron le perce de son épée
vainqueur, il tranche et emporte cette tête d'un guerrier sans foi. L'ennemi,
privé de son chef, n'essaie plus de résister; et le carnage est affreux. Déjà la
nuit avait fait disparaître la lumière devant ses ombres.
Néron fait prendre à ses troupes un peu de repos et de nourriture pour réparer
leurs forces, et, avant le jour, revenant sur ses pas, il ramène ses drapeaux
victorieux dans son camp que la crainte d'une surprise tenait fermé. Alors le
consul, portant au bout d'une pique la tête du général qu'il a immolé, s'écrie:
« O Annibal ! cette tête de ton frère est le juste prix de Cannes, de la Trébie
et de Trasimène. Fais donc, perfide, deux guerres à la fois: réunis maintenant
deux armées contre nous. Voilà la récompense due à ceux qui brûlent de passer
les Alpes pour suivre tes enseignes. » Annibal retient à peine ses larmes, et
enlève quelque chose à la grandeur du mal, en le supportant avec courage: sa
bouche est muette; mais il murmure en lui-même qu'il fera un jour aux mânes de
son frère le sacrifice qui leur est dû. Il s'éloigne alors avec son armée, et,
dissimulant sa mauvaise fortune par l'inaction, il évite de s'exposer aux
hasards des combats. |