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 DICTYS DE CRETE.

 

Histoire de la Guerre de Troie

LIVRE VI

texte latin

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texte latin

 

 

 

ARGUMENT DU LIVRE SIXIÈME.

Après la ruine de Troie, les princes grecs, chargés de dépouilles, retournent dans leur patrie. - La plupart périssent par les tempêtes ou trouvent chez eux une mort obscure. - Ajax Oilée fait naufrage avec les siens sur les rochers de l'Eubée. - Oeax, fils de Nauplius, excite la vengeance de Clytemnestre et d'Aegiale contre leurs maris. - Agamemnon est assassiné. - Diomède est chassé de ses états. - Les Athéniens refusent de recevoir Démophoon. - Conseil des princes grecs à Corinthe. - Idoménée est reçu par ses sujets, et donne du secours à Oreste contre Égisthe. - Mort de Clytemnestre et d'Égisthe - Ménélas se rend en Crète. -  Teucer est  chassé par son père. - Oreste est absous de son crime. - Hermione est accordée en mariage à Oreste. - Ulysse passe chez les Lestrigons en Sicile, de là chez Circé et Calypso, et près des Sirènes, il arrive chez Alcinoüs, et enfin à Ithaque. - Il tue les amants de son épouse. - Chastete de Pénélope -  Mort d'Idoménée. - Mérion lui succède. - Détails sur les noces de Thétis et de Pélée,  sur la mort de Pyrrhus et d'Ulysse.

LIVRE SIXIÈME.

CHAPITRE I.

Aussitôt que les Grecs eurent embarqué leur butin, ils levèrent l'ancre et partirent à l'aide d'un vent favorable. Ils entrèrent bientôt dans la mer Égée, les vents et les tempêtes leur causèrent de grandes pertes et dispersèrent leurs vaisseaux. La flotte des Locriens battue par une tempête affreuse, qui fit perdre la présence d'esprit aux matelots, fut frappée de la foudre et périt par le feu. Ajax, roi des Locriens, et ceux qui l'accompagnaient, essayèrent de se sauver à la nage (01). Ils se soutenaient sur les débris de leurs navires, et flottaient ainsi sur les eaux, lorsqu'ils furent jetés contre les Choerades, rochers qui avoisinent l'île d'Eubée, et périrent misérablement par  la perfidie de Nauplius qui, à la nouvelle de leur naufrage, voulant venger la mort de Palamède, son fils, avait fait placer pendant la nuit des feux sur ces rochers, pour que les Grecs s'y rassemblassent comme dans un port assuré (02).

CHAPITRE II.

Dans le même temps, Oeax, fils de Nauplius et frère de Palamède, à la nouvelle de notre retour en Grèce, se rend à Argos. Là, par de faux rapports, il anime Ægiale et Clytemnestre contre leurs maris, et leur assure qu'oubliant leur ancien amour, ces princes amenaient avec eux des épouses troyennes; il ajoute encore tout ce qu'il croit le plus propre à exciter à la vengeance des femmes, qui naturellement sont changeantes et susceptibles de se laisser prévenir. Ainsi Diomède, à son arrivée, est-il repoussé par ses propres sujets, soulevés à l'instigation d'Aegiale (03) : de son côté, Clytemnestre tend des embûches à Agamemnon, et le fait assassiner par Égisthe, avec qui elle s'était rendue coupable du crime d'adultère (04). Elle prend ensuite pour époux cet amant barbare, et donne le jour à Erigne. Cependant Talthybius arrache des mains d'Este Oreste, fils d'Agamemnon, et le remet à Idoménée, qui se trouvait alors à Corinthe (05). Bientôt se joignent à eux Diomède (06), qui avait été repoussé de ses états, et Teucer (07), qui l'avait été de l'île de Salamine par Télamon, pour n'avoir pas défendu son frère qu'on avait fait périr par trahison. Cependant Mnesthée, Aetra et sa fille Clymène, furent reçus par les Athéniens, et Démophoon et Athamas restèrent hors de la ville. Dès que ceux qui s'étaient échappés se virent réunis en assez grand nombre à Corinthe, ils avisèrent aux moyens d'attaquer les différents royaumes de la Grèce, et de recouvrer par la force les états dont on les avait privés. Nestor les détourne de ce projet, et leur conseille de sonder les esprits avant que de déchirer la patrie par des divisions intestines. Quelque temps après, Diomède apprend qu'Oenéus,  en Étolie, était en butte aux outrages de ceux qui, pendant son absence, avaient ravagé son royaume. Il s'y rend aussitôt, et met à mort les auteurs de la révolte. Cette expédition. en répandant au loin la terreur de son nom, intimida les rebelles, et contribua à le faire rentrer sans obstacle dans son propre pays. La réputation de sa valeur  s'étendit bientôt par toute la Grèce, et chaque peuple reprit ses premiers maîtres, tant on se persuada qu'aucune force ne serait capable de résister à des guerriers qui avaient montré tant de bravoure au siège de Troie : aussi entrâmes-nous en Crète, notre patrie, avec Idoménée, au milieu des acclamations de nos concitoyens (08).

CHAPITRE III.

ORESTE au sortir de l'enfance, se disposa à agir en homme de coeur. Il. résolut d'abord de se rendre à Athènes, et pria en même temps Idoménée de lui fournir le plus de troupes qu'il pourrait pour l'expédition qu'il méditait (09). Il rassembla donc, du consentement de ce prince, tous ceux qui lui parurent les
plus propres à exécuter ses desseins, et arriva peu de temps après à Athènes. Là, il réclama hautement la protection des habitants contre Égisthe. Il consulta ensuite l'oracle, et reçut pour réponse : Qu'il devait tuer sa mère, et Égisthe avec elle, que par ce moyen il recouvrerait le royaume paternel. Armé en vertu de l'ordre des dieux, il va trouver Strophius avec ceux qui l'accompagnent. Ce prince, qui régnait dans la Phocide, lui avait offert avec empressement du secours contre Égisthe, à qui il avait donné auparavant sa fille en mariage. D'un côté, il était sensible à l'injure qu'Égisthe avait faite à sa maison, en répudiant sa fille pour épouser Clytemnestre, et de l'autre, indigné de l'assassinat commis sur la personne du roi des rois. Ils délibérèrent donc ensemble sur l'exécution de leur projet, et se rendirent à Mycènes avec une forte armée. Profitant de l'absence d'Égisthe. ils donnèrent la mort à Clytemnestre et à tous ceux qui osèrent leur résister ; puis, à la nouvelle de l'arrivée d'Égisthe, ils lui dressèrent des embûches et le firent périr. La division se mit ensuite parmi les Argiens ; chacun ayant des vues et des intérêts différents, il se forma une multitude de partis. Ce fut dans le même temps que Ménélas revint en Crète où il apprit la mort d'Agamemnon, et ce qui venait de se passer à Argos.

CHAPITRE IV.

CEPENDANT, à la nouvelle de l'arrivée d'Hélène dans l'île de Crète, une foule d'habitants de tout sexe accourut à sa rencontre. Chacun était curieux de voir une femme en faveur de laquelle presque toute la terre s'était armée. Nous apprîmes de Ménélas que Teucer, chassé de sa patrie, avait fondé dans l'île de Chypre une ville appelée Salamine. Ce prince nous raconta aussi les grandes merveilles qu'il avait vues en Égypte ; il ajouta qu'il avait fait ériger un tombeau magnifique à Canopus, son pilote, qui était mort de la piqûre d'un serpent (10). Ensuite, à la première occasion favorable, il fit voile vers Mycènes ; là il tenta de perdre Oreste (11) ; mais il fut repoussé par la multitude, et obligé d'abandonner son dessein. Oreste néanmoins, cédant au désir de ses sujets (12), fut obligé d'aller à Athènes, pour se justifier devant l'Aréopage du meurtre qu'il avait commis : ce tribunal était alors renommé dans toute la Grèce pour la sévérité de ses jugements. Oreste, après avoir plaidé sa cause, fut absous. Erigone, fille d'Égisthe, à cette nouvelle, ressentit une telle douleur, qu'elle s'étrangla de désespoir (13). Mnesthée. renvoya à Mycènes Oreste, absous de son parricide, et purgé, selon la coutume du pays, par toutes les cérémonies propres à faire oublier ce crime (14). Il rentra ensuite en possession de ses états. Quelque temps après, il se rendit en Crète à la prière d'Idoménée, et Ménélas y vint aussi : là, il fit de vifs reproches à son oncle, et se plaignit de ce qu'il avait cherché à  lui tendre des embûches au moment où les factions qui partageaient ses sujets rendaient son pouvoir chancelant. Ils se réconcilièrent enfin à la prière d'Idoménée et se rendirent à Lacédémone. Ce fut là que, selon la teneur du traité, Ménélas donna Hermione en mariage à son neveu (15).

CHAPITRE V.

DANS ce même temps Ulysse aborda en Crète avec deux vaisseaux phéniciens qu'il avait loués (16). Ce prince, poursuivi vivement par Télamon, avait perdu sa flotte, toutes ses richesses avec ses compagnons. Télamon était son ennemi, et voulait venger sur lui la mort de son fils : aussi Ulysse n'échappa-t-il qu'avec peine et par son adresse à la fureur de ce prince. Idoménée le pria de lui apprendre comment il était tombé dans cet état d'abaissement. Ulysse lui répondit :

« Aussitôt après la  prise de Troie, je fis voile vers le promontoire d'Ismare; je partis de ce lieu avec tout le butin qui m'était tombé en partage ; je fus poussé sur les côtes des Lotophages, et, pour mon malheur, je relâchai en Sicile où je courus les plus grands dangers chez Cyclope et son frère Lestrigon (17), et même Antiphate et Polyphème, leurs fils, firent périr une grande partie de mes compagnons. Enfin Polyphème touché de mes malheurs, s'unit d'amitié avec moi. Je tentai ensuite d'enlever Aréné (18), fille du roi, qui s'était prise d'amour  pour Elpénor, un de mes compagnons. A cette nouvelle, les Lestrigons, à l'instigation du père, me ravissent ma proie et me chassent de leur île. Me voyant forcé de fuir, je pris terre aux îles Eoniennes ; je passai de là dans celle de Circé (19), et ensuite chez Calypso (20) : ces deux reines mirent en usage leurs charmes et leurs attraits pour nous fixer auprès d'elles. Je parvins enfin à m'échapper,  et j'arrivai au bord de l'Averne (21), où, après certains sacrifices expiatoires, les hommes apprenaient des morts mêmes les événements futurs. Au sortir de ce lieu, je touchai les rochers des Sirènes (22), dont il me fallut éviter par adresse les artifices ; je passai entre les deux fameux écueils de Scylla et de Charybde (23), dans cette mer orageuse, qui ordinairement engloutit tout dans son sein ; en cet endroit je perdis plusieurs de mes vaisseaux et de mes  compagnons. Enfin, je tombai avec ceux qui me restaient entre les mains des pirates phéniciens (24), qui, touchés de mon état, me conservèrent la vie.»

A sa demande, Idoménée lui accorda deux vaisseaux, le combla de riches présents, et l'envoya ensuite chez Alcinoüs, roi des Phéaciens (25).

CHAPITRE VI.

Il fut traité pendant plusieurs jours chez ce prince avec tous les honneurs dus à sa grande réputation. On lui apprit que trente princes illustres de différents états se disputaient la main de Pénélope : ils étaient de Zacynthe (26), des îles Echinades, de Leucathe et d 'Ithaque. A cette nouvelle, Ulysse prie instamment le roi de l'accompagner et de venger avec lui l'injure qu'ils faisaient au lien sacré de l'hyménée. Dès qu'ils furent arrivés à Ithaque, Ulysse se tint caché quelque temps, jusqu'à ce que l'on eût instruit Télémaque du coup que l'on préparait; ensuite ils s'introduisirent secrètement dans le palais, où ils donnèrent sans peine la mort aux amants de Pénélope, qui étaient pris de vin et dormaient d'un profond sommeil. Les habitants de l'île, instruits de l'arrivée d'Ulysse dans la ville, le reçurent au milieu des transports de la joie la plus vive. Il apprit alors ce qui s'était passé chez lui pendant son absence ; il infligea des peines ou donna des récompenses à ceux qui les méritaient. La renommée se chargea de publier partout la chasteté de Pénélope. Peu de temps après, à la prière d'Ulysse, Nausicaa, fille d'Alcinoüs, fut accordée en mariage à Télémaque. Ce fut alors qu'Idoménée, roi de Crète, mourut, laissant Mérion pour son successeur (27), et Laërte finit sa carrière trois ans après le retour de son fils à Ithaque. Ulysse donna le nom de  Ptoliporthe au fils de Télémaque et de Nausicaa.

CHAPITRE VII.

PENDANT que ces événements se passaient à Ithaque, Néoptolème, chez les Molosses (28), faisait rétablir sa flotte que les tempêtes avaient fort maltraitée. Là, il apprit que Pélée avait été chassé de son royaumes par. Acaste (29). Il était naturel qu'il vengeât l'injure faite à son aïeul; en conséquence, il envoya en Thessalie deux de ses affidés, inconnus aux habitants du pays, Chrysippe et Aratus, pour examiner l'état des affaires. Ceux-ci furent bientôt instruits par Assandre, parent de Pélée, de tout ce qui s'était passé et des moyens perfides employés par Acaste. Assandre fuyant l'injustice du tyran, avait embrassé le parti de Pélée, et tout ce qui était arrivé à la maison de ce prince lui était si connu, qu'il fit à Chrysippe et à Aratus le détail du mariage de Pélée et de Thétis (30), fille de Chiron. Il ajouta qu'alors beaucoup de rois avaient été invités à se rendre au palais de Chiron pour la cérémonie ; que pendant le repas ils avaient accordé à Thétis les mêmes honneurs qu'à une déesse, donnant au père le nom de Nérée, et à la fille celui de Néréide ; que parmi les rois qui avaient assisté aux fêtes, ceux qui excellaient dans la danse et dans la poésie avaient été nommés par les convives, l'un Apollon et l'autre Bacchus (31); qu'on avait aussi donné à plusieurs femmes les noms des Muses ; que depuis ce temps on avait désigné ce repas sous le nom de festin des dieux.

CHAPITRE VIII.

INSTRUITS par Assandre de tout ce qui s'était passé, Chrysippe et Aratus retournèrent vers leur maître, et lui firent un fidèle récit de leur mission. Néoptolème, quoique retenu par les vents contraires et par la mauvaise volonté des Molosses, parvint cependant à réparer sa flotte et à s'embarquer. Enfin, après avoir été longtemps le jouet des tempêtes, il fut poussé sur les côtes des Sépiades (32), ainsi nommées à cause des rochers dangereux qui les environnent. Il perdit en cet endroit presque tous ses vaisseaux, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'il se sauva avec ceux de ses compagnons qui étaient sur le sien. Là il trouva son aïeul Pélée, qui, pour échapper aux poursuites et à la cruauté d'Acaste, s'était caché dans une caverne profonde et ténébreuse. Ce vieillard désirait si ardemment le retour de son petit-fils, qu'il avait pris l'habitude de venir tous les jours sur le rivage de la mer, et d'examiner avec soin ceux que le hasard ou les tempêtes amenaient en ces lieux sauvages. Dès que Néoptolème eut appris de Pélée lui-même les malheurs qui lui étaient arrivés, il forma aussitôt le dessein d'attaquer son ennemi. Il apprend par hasard que les fils d'Acaste, Ménalippé et PIisthène, étaient partis pour la chasse, et qu'ils approchaient de ces lieux. Il change aussitôt d'habits, et feignant d'être un Locrien, il se présente à ces jeunes gens, et leur dit que Néoptolème, dont ils désiraient tant la mort, venait de périr. S'étant ensuite mis à chasser avec eux, dès qu'il voit Ménalippe à l'écart, il se jette sur lui, bientôt après sur son frère, et les tue. Un esclave nommé Cinyras, parti pour les chercher, tombe entre les mains de Pyrrhus et lui apprend  qu'Acaste s'avance vers ces lieux. Il éprouve le même sort que les deux princes.

CHAPITRE IX.

AUSSITÔT Néoptolème se revêt d'un habit phyygien, s'avance à la rencontre d'Acaste, se présente au tyran sous le nom de Mestor, l'un des fils de Priam, qu'il avait amené captif avec lui, et lui apprend que Néoptolème, fatigué de sa longue navigation, était profondément endormi dans une caverne. Acaste, que cette nouvelle remplit d'inquiétude, sent un vif désir de perdre un ennemi dont il avait tout à redouter, et se rend aussitôt à l'endroit indiqué.; mais en arrivant, il est arrêté par Thétis qui était venue dans ces lieux à la recherche de Pélée. Celle-ci, après lui avoir fait des reproches amers sur ses entreprises injustes et perfides contre la maison d'Achille, l'arrache des mains de Néoptolème, qui voulait le tuer, et prie instamment son fils de ne point tremper ses mains dans le sang, et d'oublier généreusement ce qui s'était passé. Acaste, qui, contre son attente, se voyait soustrait à la mort qu'il avait méritée, céda volontiers le pouvoir à Néoptolème. Celui-ci, après avoir recouvré son royaume, fit son entrée dans la ville, accompagné de son aïeul et de ceux qui l'avaient suivi dans cette expédition. A son arrivée, ses sujets lui donnèrent à l'envi des marques d'amour et de soumission, et se mirent tous avec plaisir sous le pouvoir de leur prince légitime, qui, de son côté, se montra bientôt digne de les gouverner.

CHAPITRE X.

J'AI rapporté toutes ces particularités que j'ai apprises de Néoptolème lui-même, dans le temps qu'il m'invita à me rendre chez lui, lors de son mariage avec Hermione, fille de Ménélas. Il me raconta  aussi l'aventure suivante au sujet des restes de Memnon. Le corps de ce prince avait été livré à ceux qui étaient partis par mer pour ses rendre à Troie sous la conduite de Phallas ; ceux-ci, après avoir tué leur chef, et s'être emparé de tous les trésors que la flotte renfermait, s'étaient établis à Paphos dans l'île de Chypre. Himéra (33), soeur de Memnon, qui, suivant quelques personnes, s'appelait Héméra comme sa mère, était partie de son pays pour aller à la recherche de son frère ; arrivée en cette île, elle apprit la mort de Memnon, et le pillage qui avait été fait de ses richesses. Elle voulait reprendre aux rebelles le corps et les biens ; mais elle éprouva de la résistance. Cependant par l'intervention des Phéniciens, qui étaient en plus grand nombre dans l'armée, on lui permit de choisir entre les restes de son frère et les richesses qui lui appartenaient. La voix du sang l'emporta sur l'intérêt : la princesse prit l'urne et s'embarqua pour la Phénicie ; elle arriva dans son  pays qu'on nomme Palliochis (34). Là, après avoir rendu les derniers honneurs aux cendres de son frère, elle disparut à jamais.  Il y a trois opinions au sujet de cet événement.  Quelques-uns croient qu'après le coucher du soleil, elle fut enlevée au ciel avec sa mère Héméra; d'autres prétendent que, succombant à la douleur que lui causa la mort de son frère elle se précipita dans les flots ; plusieurs enfin disent qu'elle fut tuée par les habitants du pays, qui voulurent lui enlever ce qu'elle portait sur elle. Voici ce que j'ai appris de Néoptolème touchant Memnon et sa soeur Himéra.

CHAPITRE XI.

UN an après mon retour en Crète (35), les habitants de cette île m'envoyèrent à Delphes, accompagné de Lycophron et d'Ixéus, pour consulter en leur nom l'oracle d'Apollon sur les moyens de remédier aux maux qui affligeaient notre patrie. Une multitude prodigieuse de sauterelles avait fondu à l'improviste sur nos campagnes, et détruit partout les productions de la terre. Après de longues prières et de nombreux sacrifices, nous obtînmes cette réponse :

« Par le secours des dieux les insectes seront détruits, et vous jouirez d'une grande abondance. »

Nous voulûmes ensuite nous remettre en mer; mais les habitants du pays nous retinrent, disant qu'il serait imprudent de s'embarquer dans une pareille saison. Lycophron et Ixéus, méprisant cet avis, montèrent sur leurs vaisseaux et partirent ; mais à peine furent-ils en pleine mer que, frappés de la foudre ils périrent misérablement. Ensuite, comme l'avait annoncé le dieu, le même coup de tonnerre qui leur donna la mort fit cesser le fléau ;  les insectes se précipitèrent dans la mer, et, l'île parut aussitôt couverte de fruits.

CHAPITRE XII.

Dans le même temps, Néoptolème qui, avait consommé son mariage avec Hermione, alla à Delphes (36) pour rendre grâce à Apollon de ce que la mort d'Achille avait été vengée dans le sang de son assassin : en partant il laissa dans son palais Andromaque, et Laodamas, le seul des enfant d'Hector qui existât. Après le départ de son époux, Hermione (37), voyant avec douleur le commerce criminel qui existait entre Néoptolème et sa captive, envoya chercher Ménélas, son père, se plaignit amèrement à lui de l'injure que lui faisait son époux en lui préférant une captive, et parvint à lui persuader de tuer le fils d'Hector. Andromaque, qui connut leur dessein, eut le temps de se mettre en garde contre le danger qui la menaçait. Les habitants, touchés de ses malheurs, l'arrachèrent, elle et son fils, à la fureur de Ménélas ; ils poursuivirent ce prince en l'accablant d'injures, et poussèrent si loin leur indignation, qu'il ne leur échappa qu'avec peine.

CHAPITRE XIII.

SUR ces entrefaites, Oreste arriva en Thessalie,  et apprit ce qui venait de se passer. Il engagea Ménélas à poursuivre son entreprise, et comme il conservait toujours un vif ressentiment de ce qu'Herrnione lui avait été ravie par Néoptolème, il résolut de lui tendre des embûches à son retour de Delphes. Il y  envoya donc les plus fidèles de ses serviteurs pour s'informer de l'arrivée de Néoptolème. A cette nouvelle, Ménélas, à qui cette entreprise criminelle ne plaisait pas, retourna à Sparte. Les envoyés d'Oreste lui apprirent à leur retour que Néoptolème n'était plus à Delphes. Ainsi il fut obligé d'aller à la recherche de son ennemi, et, comme on le dit généralement, il revint le même jour qu'il était parti, après avoir exécuté son projet (38). Peu de jours après, le bruit se répandit par toute la Grèce que Néoptolème était tombé sous les coups d'Oreste. Ce prince reçut la main d'Hermione qui lui avait été d'abord fiancée, et retourna à Mycènes. Cependant Pélée et Thétis, en apprenant la mort de leur petit-fils, se mirent à la recherche du corps : ils apprirent qu'il avait été enseveli à Delphes (39). Là, selon l'usage, ils lui rendirent les derniers honneurs; ils apprirent aussi qu'Oreste n'avait point paru dans l'endroit où l'on disait que ce prince avait été tué. Le public n'ajouta point foi à ce fait, et n'en resta pas moins persuadé que Néoptolème était mort de la main d'Oreste. Dès que Thétis vit l'union d'Oreste et d'Hermione, elle envoya chez les Molosses Andromaque, qui était enceinte, dans la crainte qu'Oreste et son épouse ne missent tout en usage pour détruire l'enfant qu'elle portait (40).

CHAPITRE XIV.

DANS le même temps, Ulysse, épouvanté par de sinistres présages et par des songes effrayants, appela les plus habiles devins de son île pour les consulter à ce sujet. Il leur rapporta que, plusieurs fois pendant son sommeil, une ombre d'une beauté parfaite (41), réunissant à la fois les formes d'un dieu et celles d'un mortel, se présentait tout-à-coup à sa vue, et sortait toujours du même endroit ; qu'au moment où il se préparait à l'embrasser, et qu'il lui tendait les bras, elle lui parlait en ces termes : « Nous ne pouvons nous embrasser puisque, sortis d'une même origine, l'un de nous doit donner là mort à l'autre. » Lorsqu'il voulait s'approcher d'elle pour en savoir davantage, une lance (42), sortie tout-à-coup du sein de la mer, venait, par l'ordre de l'ombre, se placer entre eux, et Ies séparait aussitôt. A ce récit, tous ceux qui étaient présents pensèrent que ce songe lui présageait la mort, et l'engagèrent à se mettre en garde contre les embûches de son fils. Ainsi Télémaque, devenu suspect à son père, fut conduit, par ses ordres, dans l'île de Céphalénie, et confié à des personnes sûres qui veillaient sur lui; Ulysse, de son côté, se  retira dans une profonde solitude, croyant fuir l'effet de cette vision qui le tourmentait.

CHAPITRE XV.

DANS le même temps, Télégone, fils d'Ulysse et de Circé, qui avait été élevé dans l'île d'Ea par sa mère, étant parvenu à l'adolescence, partit pour chercher son père et arriva à Ithaque.  Il était armé d'une pique dont la pointe était formée d'un os de tourterelle marine (43), pour indiquer l'endroit où il avait pris naissance.  Instruit du lieu où se retirait Ulysse, il s'y rendit. Là les gardes s'opposèrent à ce qu'il approchât du roi (44), et comme il persistait avec fermeté dans sa résolution, ils le repoussèrent avec violence. Télégone leur dit alors qu'il était étonnant qu'on l'empêche de jouir de la présence de son père. Alors les gardes croyant qu'il arrivait pour tuer le roi, lui résistèrent encore davantage (45). Tous en effet ignoraient qu'Ulysse eût un autre fils que Télémaque. Le jeune homme se voyant repoussé, et obligé d'abandonner son dessein, se précipite sur les gardes, en abat quelques-uns à ses pieds et en blesse plusieurs autres. Dès qu'Ulysse eut été instruit de ce qui se passait, pensant bien que ce jeune homme était envoyé par son fils, il s'avança aussitôt contre lui, et voulut le frapper de la lance qu'il portait ordinairement pour sa propre sûreté. Mais Télégone évita adroitement le coup, et le perça à
l'instant de la sienne à un endroit où la blessure était mortelle. Ulysse se sentant frappé, rendit grâce à la fortune, et s'avoua trop heureux de mourir de la main d'un étranger, et de pouvoir par là affranchir du crime de parricide Télémaque, qui avait toujours été l'objet de son amour. Rappelant ensuite un faible reste de vie, il demanda à son assassin quel pays l'avait vu naître, lui qui avait osé tuer Ulysse, fils de Laërte, si célèbre par sa rare prudence dans les conseils et par sa valeur dans les combats. Télégone reconnaissant alors ce héros, fait retentir l'air de ses gémissements, se déchire le visage de douleur, et se trouve le plus malheureux des hommes d'avoir été lui-même le meurtrier de son père. A la prière d'Ulysse, il lui apprit son nom et celui de sa mère, et dans quelle île il avait reçu le jour : il lui montra aussi ses armes. Ainsi Ulysse, blessé par celui qu'il était loin de redouter, reconnut la vérité de ses songes et des prédictions des devins, et mourut trois jours après, conservant toujours dans un âge avancé la vigueur de la jeunes.

FIN DU SIXIÈME ET DERNIER LIVRE


NOTES
DU SIXIÈME LIVRE

(01)  Voyez Hygin fable  110. Ce mythographe ajoute cependant que le même Ajax fut tué par la foudre.

(02) Lorsque Ia flotte des Grecs revenait triomphante, Nauplius alluma des, flambeaux sur le promontoire de Capharée, pour l'attirer vers les rochers et la faire périr. Euripide, .tragédie d'Hélène.

Πολλοὺς δὲ πυρσεύσας
Φλογερὸν σέλας ἀμφιρύταν
Εὔβοιαν εἷλ΄ Ἀχαιῶν
Μονόκωπος ἀνὴρ πέτραις
Καφηρίσιν ἐμβαλών͵
Αἰγαίαις ἐνάλοις δόλιον
Ἀκταῖς ἀστέρα λάμψας

« Un seul honnme fit périr un grand nombre de Grecs sur les rochers d'Eubée, en allumant de cruels flambeaux près des écueils de la mer Égée. »

(03) Voyons à ce sujet le scoliaste de Lycophron.

Διομήδης μετὰ τὴν τοῦ Ἰλίου πότθησιν καταπλεύσας εἰς Ἄργον τὴν ἑαυτοῦ πατρίδα καὶ εὕρων τὴν ἑαυτοῦ γαμετὴν Αἰγιάλειαν συμφθειρομένην Κομήτῃ τῷ ὑπὸ τοῦ Σθενέλου, διὰ τὸ ἑαυτὸν ἐν τῇ Τροίᾳ τρῶσαι τὴν Ἀφροδίτην, καὶ μέλλψν ὑπὸ τῆς αὑτῆς Αἰγιάλειας ἀναιρηθῆναι, τότε μὲν εἰς τὸν τῆς Ἀργείας Ἥρας βωμὸν καταφυγὼν σώζεται. Ὕστερον δὲ εἰς Ἰταλίαν ὤχετω εἰς τὸ Δαύνιον ἔθνος βάρβαρον οὗ ἐβασίλευσε Δαῦνος. « Diomède, après la prise de Troie, étant retourné à Argos, sa patrie, apprit que son épouse Aegiale s'était laissée séduire par Comète, fils de Sthénélus. Cet amour criminel était un effet de la vengeance de Vénus que ce prince avait blessée au siège de Troie. Étant sur le point d'être assassiné par Aegiale, il n'échappa à la mort qu'en se réfugiant au pied de l'autel de Junon. Il arriva ensuite en Italie, chez Daunus, roi des Dauniens, peuples barbares. » Ce récit nous fournit l'occasion de relever une erreur d'Eustathe, Iliad. ε. Ce grammarien, au lieu de nous donner Comète comme fils de Sthénélus, le fait, au contraire, son père. Au reste, la fable des poètes touchant les compagnons de Diomède qui furent
.changés en oiseaux, a été omise à dessein par Dictys. Diomède parle ainsi dans Virgile :
Invidisse deos, patriis ut redditus aris
coniugium optatum et pulchram Calydona viderem?
Nunc etiam horribili uisu portenta sequuntur,
et socii amissi petierunt aethera pennis
fluminibusque vagantur aues, heu dira meorum
supplicia, et scopulos lacrimosis uocibus implent.

(04) Suivant Homère, Odyssée, δ et λ, Agamemnon à son retour fut invité à un repas par Égisthe, où il fut tué.  Les poètes tragiques feignent que Clytemnestre fit étouffer son mari dans un sac.

(05) Suivant d'autres, Oreste fut arraché des mains d'Égisthe par sa soeur Électre, et envoyé par elle dans la Phocide chez Strophius. Sophocle, tragédie d'Électre, Hygin, fable 117, et Pindare disent qu'Oreste fut soustrait à la vengeance d'Égisthe par Arsinoë, sa nourrice. Homère donne à entendre qu'il fut conduit à Athènes : car dans l'Odyssée, liv. III, Nestor dit qu'Oreste revint d'Athènes pour tuer Égisthe. Cependant Eustathe ; page 1469, dit qu'au lieu de ἀπ' Ἀθηνάων, d'Athènes, on lit dans d'autres ἀπὸ Φοκήων, de la Phocide, Quelques-uns rapportent qu'Oreste vint d'abord dans la Phocide, et de la Phocide à Athènes.
Notre auteur suppose qu'Idoménée, chassé de la Crète, se retira à Corinthe, et qu'ensuite il fut reçu dans son royaume.

(06) Je ne sais d'après quels historiens Dictys rapporte que Diomède, repoussé de ses états se rendit à Corinthe, tandis qu'il se retira en Italie.

(07) Télamon voyant revenir Teucer sans son frère Ajax, le chassa de Salamine, d'où il gagna Sidon. De là il fit voile vers l'île de Chypre, où il fonda une nouvelle Salamine. Virgile, Én, l. I.

Atque equidem Teucrum memini Sidona videre
Finibus expulsum patriis, nova regna petentem,
Auxilio Beli, genitor sum Belus opimam
Vastabat Cyprum, et victor dicione tenebat.

(08) Suivant quelques historiens, Idoménée, repoussé de la Crète, s'empara du pays des Salentins en Italie, et retourna ensuite en Asie où il mourut. Suivant quelques autres, étant retourné pour consulter l'Apollon de Claros, il resta dans le pays.

(09) Tout ce passage sur les secours qu'Oreste demande à Idoménée pour venger son père est de d'invention de Dictys. Oreste fut bien averti par l'Oracle de tuer sa mère Clytemnestre et Égisthe, non à la tête d'une armée, mais par la ruse, etc. Voyez Sophocle dans Électre, Æschyle dans les Eumén., Euripide dans Oreste, Iphigénie et Électre ; Hygin dans la fable 119.

(10) Ce pilote donna aussi son nom à la ville de Canopus. Voyez Strabon, liv. XVII.   Κανώβος δ' ἐστὶ, πόλις ἐν εἴκοσι καὶ ἑκατὸν σταδίοις ἀπὸ Ἀληξανδρείας πεζῇ ἰοῦσιν, ἐπώνυμος Κανώβου τοῦ Μενελάου κυβερνήτου ἀποθανόντος αὐτόθε. «La ville de Canope est distante par terre d'Alexandrie de 120 stades ; elle est ainsi nommée à cause de Canopus, pilote de Ménélas, qui y trouva la mort.» Tel est le sentiment de Méla, de Solin et de plusieurs autres. Cependant quelques auteurs soutiennent que cette ville était nommée Canopus avant Ménélas, et les sa'vants Égyptiens, au rapport d'Aristide, pensaient que Canopus en langue égyptienne signifie en latin aureum solum.

(11) II souleva le peuple, et força Oreste de se justifier devant lui du meurtre de sa mère. Celui-ci, d'une vois unanime, fut condamné à être lapidé, et échappa à ce supplice par les conseils de son ami Pilade. Voyez à ce sujet, Euripide, dans Oreste.

(12) On voit dans quelques auteurs qu'Oreste, par l'ordre des dieux, se sauva à Athènes pour y être jugé par l'Aréopage.

(13) Cependant Tzetsès dans Lycoph., Pausanias, et beaucoup d'autres historiens, disent qu'Oreste épousa Erigone, et qu'il eut d'elle Penthidus.

(14) On est:certan que Mnesthée mourut l'année de la prise de Troie; il ne put donc pas absoudre de son crime Oreste, qui tua Égisthe huit ans après cette époque. Ce n'est dons pas avec plus de vérité que Suidas et le scoliaste d'Aristophane décrivent qu'Oreste vint à Athènes du temps de Pandion ; Pandion était beaucoup plus ancien : on doit donc s'en rapporter senlement à Athénée et à Tzeteès dans Lycoph., qui disent qu'il s'y rendit du temps de Démophoon. On n'est point d'accord non plus sur le lieu ni sur le temps où il fut absous. Dictys dit qu'il fut purifié à Athènes aussitôt après la sentence d'absolution ; suivant Euripide, ce fut à son retour de la Chersonèse taurique. D'autres pensent que ce ne fut point dans l'Attique, mais dans la ville de Trézène. Pausanias, dans les Corynth.  τὸν δὲ ἔμπροσθεν τοῦ ναοῦ λίθον, καλούμενον δὲ ἱερόν, εἶναι λέγουσιν ἐφ᾽ οὗ ποτε ἄνδρες Τροιζηνίων ἐννέα Ὀρέστην ἐκάθηραν ἐπὶ τῷ φόνῳ τῆς μητρός.  « Ce fut, dit- on, sur cette pierre placée devant le temple, et qu'on appelle sacrée, que neuf habitanτs de Trézène purgèrent Oreste du crime de parricide. » Et plus loin il ajouté : « Devant le temple d'Apollon se trouve Ia tente dite d'Oreste; car avant qu'il eût expié son crime, aucun habitant de Trézène ne voulait le recevoir dans sa maison. On l'avait mis là en attendant, on lui fournissait de la nourriture jusqu'à ce qu'il fût entièrement lavé de son crime. Les descendans de ceux qui firent les différentes cérémonies expiatoires s'assemblent encore aujourd'hui à certains jours marqués, pour manger ensemble dans ce lieu. Près de cette tentes, on a enterré ce qui servit aux sacrifices ; il naquit, dit-on, un laurier qu'on voit encore aujourd'hui. » Il ajoute que les habitants de Trézèné eurent recours à beaucoup d'autres cérémonies, à l'eau de la fontaine d'Hippocrène, etc.

(15) Les écrivains ne sont pas d'accord sur le mariage d'Oreste et d'Hermione, car Hygin dit qu'Hermione, qui avait été fiancée à Néoptolème, fut donnée en mariage à Oreste aussitôt après la prise de Troie, et que Ménélas la ravit à Oreste et la donna à Néoptolème. Les autres, au contraire, disent qu'elle fut d'abord fiancée à Oreste et donnée ensuite à Néoptolème par Ménélas, et qu'elle fut bientôt après reprise par son père. Le savant Méziriac a discuté cet article avec le plus grand soin dans ses commentaires sur Ovide à l'occasion de l'épltre d'Hermione à Oreste.

(16) Je.crois que toute cette aventure sur Ulysse, qui fut poursuivi par Télamon, et qui aborda en Crète sur deux navires phéniciens, a été imaginée par Dictys. Homère, Hygin et Ausone, n'en parlent point. On croit seulement que notre auteur a pris cette idée dans l'endroit d'Homère où Eumée rapporte qu'un Étolien lui avait dit avoir vu Ulysse chez Idoménée, faisant rétablir sa flotte que les tempêtes avaient endommagée. Voici ce passage :

φῆ δέ μιν ἐν Κρήτεσσι παρ' Ἰδομενῆϊ ἰδέσθαι
νῆας ἀκειόμενον, τάς οἱ ξυνέαξαν ἄελλαι·

« Il lui dit qu'il l'avait vu en Crète chez Idonée, faisant rétablir ses vaisseaux brisés par les tempêtes. »

Notre auteur se contredit à la page suivante ; il dit qu'Ulysse ayant perdu ses vaisseaux entre Scylla et Charybde, était tombé entre les mains de Phéniciens qui, touchés de son état, l'avaient reçu avec bonté.

(17) Dictys appelle frères Cyclope et Lestrigon ; je ne sais pourquoi. Thucydide, liv VI, παλαίτατοι μὲν λέγονται ἐν μέρει τινὶ τῆς χώρας Κύκλωπες καὶ Λαιστρυγόνες οἰκῆσαι, ὧν ἐγὼ οὔτε γένος ἔχω εἰπεῖν οὔτε ὁπόθεν ἐσῆλθον ἢ ὅποι ἀπεχώρησαν. « Les Anciens disent que les Cyclopes  et les Lestrigons habitaient dans une partie de la Sicile; quant à moi,  je ne puis dire d'où ils vinrent et où ils se retirèrent. » Ce qu'il y a de certain, c'est que les Lestrigons et les Cyclopes étaient des peuples de Sicile, et qu'ils demeuraient dans cette partie de l'île habitée depuis par les Léontins. Hesychius, Λαιστρυγόνης οἱ νῦν Λεοντῖνοι « les Lestrigons, qui sont appelés maintenant Léontins »

(18) On ne sait où Dictys a puisé ce fait, encore moins où Tzetzès a pris ce qu'il avance. II nous dit qu'Ulysse, après avoir crevé les yeux à Polyphème, enleva sa fille nommée Elpen, mais que les Lestrigons la lui reprirent et la renvoyèrent à son père Polyphème.

(19) Suivant Homère, Circé habitait l'île d'Aea. Cette île est maintenant un promontoire d'Italie nommé Circeium, de Circé. Servius, liv. III, Qui nunc Circeius mons a Circe dicitur aliquando, ut Varro dicit, insula fuit ; nondum siccatis paludibus quae eam dividebant a continente. « Cette montagne est appelée Circeia de Circé ; suivant Varron, elle était autrefois une île, avant que les marais qui la séparaient du continent fussent desséchés. » Théophraste, Hist. des Plantes, liv. I, ch.  VIII, a dit avant Servius : Λέγειν τοὺς ἐγχωρίους, ὡς ἐκταῦτα ἡ Κίρκη κατώκει, καὶ πρότερον μὲν οὖν νῆσον εἶναι τὸ Κιρκαῖον. Νῦν δὲ ὑπὸ ποταμῶν τινῶν προσκεχῶσθαι καὶ εἶναι ἠϊονα. « Les hatitans disent que Circé a habité en ce lieu, qui était d'abord une île. Une grande quantité de terre a été amenée ensuite par les fleuves, s'y est amoncelée, et a joint l'île au continent. »

(20) Calypso était fille d'Atlas, qui habitait l'île d'Ogygie. Homère, Odyssée,
VIII.

Ὠγυγίη τις νῆσος ἀπόπροθεν εἰν ἁλὶ κεῖται·
ἔνθα μὲν Ἄτλαντος θυγάτηρ, δολόεσσα Καλυψὼ 245
ναίει ἐυπλόκαμος, δεινὴ θεός·

« Une île délicieuse s'étend au loin dans la mer; c'est là que demeure la trompeuse Calypso, fille d'Atlas, déesse redoutable, et qui a une belle chevelure. »

On peut à peine dire aujourd'hui où était placée cette île. Les uns croient qu'elle était voisine de la Sicile, d'autres près du promontoire Lacinium; ces opinions diffèrent trop de la vérité, car on voit dans Homère qu'Ulysse, après dix-huit jours de navigation, arriva d'Ogygie à Corcyre avec un vent favorable. Cette île était sans doute plus éloignée qu'on ne le croit ordinairement. Je pense plutôt que, par Ogygie, Homère a entendu l'Égypte; on sait en effet que ce pays fut regardé autrefois comme une île, et appelé Ogygie. Un passage de l'Odyssée nous permet de le croire. Protée dit à Ménélas, Odyss. IV, qu'il a vu Ulysse dans une île chez Calypso : or Protée était Égyptien ; il dut nécessairement rencontrer Ulysse dans quelque lieu voisin, qu'on l'appelle Égypte ou autrement. On voit d'après Strabon, liv. I, qu'il a existé près de l'Egypte une île qui n'est pas aussi imaginaire qu'on le pense.

(21) On doit entendre par là le Iac Averne, situé près de Baïes; c'est là que les poètes ont supposé qu'était l'entrée des Enfers. Homère place en cet endroit les Cimmériens, peuple, selon lui, dont le ciel était obscurci de nuages et de brouillards continuels, et qui ne jouissaient jamais de la vue du soleil ; ce que Virgile parait attribuer aux vapeurs épaisses et ténébreuses qui s'échappent de l'Averne.

Spelunca alta fuit uastoque immanis hiatu,
scrupea, tuta lacu nigro nemorumque tenebris,
quam super haud ullae poterant impune volantes
tendere iter pennis: talis sese halitus atris
faucibus effundens supera ad conuexa ferebat.
unde locum Grai dixerunt nomine Aornum.

(22) Servius, sur ces deux vers,

Jamque adeo scopulos Sirenum inducta subibat,
Difficiles quondam multorumque ossibus albos.

Sirenes, inquit, secundum fabulam, parte virgines fuerunt, parte volucres, Acheloi fluvii et Calliopes Musae filiae. Harum una voce, alterna tibiis, alia lyra canebat. Et primo juxta Pelorum, post in Caphareis insulis (lege Capreis insulis) habitaverunt, quae illectos suo cantu in naufragia deducebant. Secundum veritatem, meretrices fuerunt, quae transeuntes, quoniam eos ducebant ad egestatem, his fictae sunt inferre naufragia ; has Uysses contemnendo deduxit mortem. « Les Sirènes, dit-il, selon la fable, étaient moitié femmes et moitié oiseaux; elles étaient filles du fleuve Acheloüs et de la muse Calliope. L'une d'elles chantait, une autre jouait de la flûte et la. troisième de la lyre. Elles habitèrent d'abord près du cap Pélore, ensuite les îles Capharées (lisez Caprées) ; elles faisaient périr sur les côtes ceux qui se laissaient charmer par la diouceur de leur chant. Mais, pour parler selon la vérité, c'étaient des femmes prostituées qui réduisaient les passants à la plus affreuse indigence ; c'est de là qu'on a feint qu'elles faisaient faire naufrage. Ulysse, en les méprisant les réduisit à se donner la mort. » Servius a cherché à concilier ces différentes opinions sur le lieu où les Sirènes demeuraient. Les uns en effet les plaçaient aux environs de Pélore, promontoire de Sicile, et les autres dans le golfe de Cumes, près de Naples. Strabon penchait vers ce dernier avis, parce qu'on voyait encore à Naples le tombeau de Parthénope, l'une des Sirènes. Bochart nous apprend que le mot Sirène vient des Carthaginois ; il pense que ce mot signifie une grande harmonie, et que Sir en Carthaginois signifie Cantique. Il est vraisemblable qu'on a donné ce nom à ces rochers à cause des eaux qui s'y choquent avec bruit.

(23) Les deux rochers de Scylla et de Charybde sont distants l'un de l'autre d'un jet de pierre. Homère, Odyssée, μ. Scylla occupe  la droite ou l'occident du détroit Mamertin, et Charybde la gauche ou l'orient. Virgile, liv. III,

Dextrum Scylla latus, laevum implacata Charybdis.

Voyez à ce sujét Servius. Homère change ces deux écueils en deux monstres, parce que ces lieux étaient infestés de pirates ; voyez Palaephat. sur Scylla; ou plutôt parce que ces lieux étaient célèbres par de nombreux naufrages. Suivant Bochart, l'un est appelé Sylla du carthaginois Scol, c'est-à-dire, destruction, et l'autre Charybde, du carthaginois Chorabba, c'est-à-disr, lieu de destruction. En effet, la mer de ces lieux engloutit les vaisseaux dans ses profonds abymes

(24) II est dit dans Suidas, au mot  Κάρυβδις

Ἐκεῖσε Ὀδυσσεὺς πάντας τοὺς ἑταίρους μετὰ τῶν πλοίων ὑποβαλλὼν, αὐτός μόνος περικαθίσας σανιδι ἐν τοῖς ρεύμασι τῆς θαλάσσης ἐφέρετο· τοῦτον ἑωροικότες Φοίνικες τινὲς ἐν τοῖς ὕδασι πλέοντα ἀναλαβόντες ἤγαγον ἐν Κρήτῃ πρὸς Ἰδομένα γυμνόν. «Ulysse, après avoir perdu tous ses compagnons avec ses vaisseaux, était soutenu sur les fIots par le moyen d'une planche. Quelques Phéniciens l'ayant vu flotter ainsi, le reçurent dans leurs vaisseaux, et le conduisirent nu chez Idoménée, roi de Crète. » Cependant notre auteur dit qu'il revint en Crète avec des navires phéniciens, après avoir perdu ses vaisseaux par la vengeance de Télamon.

(25). L'île de Corcyre était située près de l'Epire ; on appelait ses habitants Phéaciens, c'est-à-dire, élevés, du mot arabe Phaik. On donne aussi ce nom à ceux qui l'emportent sur les autres en richesses, en dignités et en vertus ; ce qui peut très bien s'appliquer aux Phéaciens qui, tant à cause de leur industrie, de leur commerce et de leurs richesses, qu'à cause de leurs bonnes qualités, ont été regardés par les poètes comme aussi heureux que les dieux. C'est de là que le prince des poètes les appelle ἀγχιθέους, c'est-à-dire, εὐδαίμονας καὶ ἰσοθέους, heureux et semblables aux dieux, comme l'a très bien interprété Hesychius, d'après les anciens scoliastes. Bochart. Mais on croit que les Phéaciens ont été ainsi nommés du mot arabe Phaik, élevé, : parce que leur ville dominait sur la mer. Virgile, liv. III.

Protinus aerias Phaeacum abscondimus arces.

(26) Homère dit qu'ils étaient de Dulichie, de Samé ou de Cephalénie, de Zacynthe et d'Ithaque, Odys. Dictys donne le nom de Leucate à une île nommée Leucas; elle faisait autrefois partie du continent de l'Épire, et a formé ensuite une île.

(27) Dans le livre 1er, il dit que Crétéus avait laissé l'empire à Idoménée et à Mérion : par la mort du premier, celui-ci resta seul maître du royaume.

(28) Les Molosses étaient des peuples de l'Épire. Beaucoup d'historiens croient que Néoptolème fut poussé sur les côtes de l'Épire. Voyez. Pindare, Pausanias, in Att. ; Justin, liv. XVII, etc. Mais on présume qu'ici, par les Molosses, il faut entendre un autre peuple.; en effet il dit plus bas que Néoptolême aborda sur le rivage des Sépiades. Je pense aussi que Dictys a raconté, d'après Euripide, ce fait sur Pélée mis en fuite par Acaste. En effet, ce poète dit dans les Troyennes,

Αὐτὸς δ΄ ἀνῆκται Νεοπτόλεμος͵ καινάς τινας
Πηλέως ἀκούσας συμφοράς͵ ὥς νιν χθονὸς
Ἄκαστος ἐκβέβληκεν͵ ὁ Πελίου γόνος.

« Néoptolême lui-même se retira, en apprenant les nouveaux malheurs de Pélée, qui avait été chassé du trône par Acaste, fils de Pélias. »

(29) Acaste était fils de Pélias; parait, d'après ce que dit Homère, qu'il régnait à Dulichium.

(30) Catulle a décrit ce passage avec beaucoup d'élégance. Apollodore le rapporte ainsi, liv. XIII.
Sed et alteram uxorem duxit Peleus, Thetin Nerei filiam, de cujus matrimonio Jupiter et Neptunus contenderunt (Apollinem addit Pindarus). At cum Thetis a se ortum filium patre futurum esse praestantiorem, praedixisset, abstinuisse Jovem illius nuptiis ferunt. Nec desunt qui scribant, ad ejus complexum jam prodeunti Jovi Prometheum dixisse, natum ex ea caelo dominaturum. Sunt etiam qui memorent Thotin, Junonis monitu persuasam, Jovem evitasse. Hinc iratumJovem voluisse ut ea mortalis viro conjugio locaretur. Chiron itaque consilio, eam comprehendendi ac detinendi rationem Peleus iniit ; eam itaque cum in varias sese formas commutantem observasset, corripit; quae cum interim ignis, interim aqua, modo etiam ferae vultum caperet, non eam priusquam pristinam formam recepisse vidit, remisit. Hanc demum in Pelio monte sibi copulavit. « Pélée eut encore pour épouse Thétis, fille de Nérée. Neptune et Jupiter se disputèrent sa main (Pindare ajoute Apollon). Thétis ayant prédit qu'elle serait mère d'un fils plus grand et plus illustre que son père, Jupiter se désista de sa poursuite. D'autres disent que quand  upiter la recherchait en mariage, Prométhée lui dit que le fils qui naîtrait d'elle deviendrait le maître du ciel. Quelques autres avancent que Junon persuada à Thétis d'éviter Jupiter, et que ce dieu, dans sa colère, avait voulu qu'elle eût un mortel pour époux. Pélée, à la persuasion de Chiron, essaya de la surprendre et de l'enlever, et la saisit lorsqu'il s'aperçut qu'elle prenait une infinité de formes; elle se métamorphosait en effet tantôt en eau, tantôt en feu et même en bête féroce, et il ne la laissa aller que quand elle eut repris sa première forme. Enfin il l'épousa sur le mont Pélion.
»

(31) Dictys dit que, parmi les rois qui assistèrent aux noces, I'un fut nommé Apollon, l'autre Bacchus, et que chacune des princesses qui y figurèrent reçut le nom d'une muse. Il a changé ici avec adresse la fable qui dit que les dieux eux-mémes y furent invités. Apoll. liv. III : Atque inibi Dii convivio excepti, suo quisque munere matrimonium commendarunt. Nam Chiron hasta fraxinae Peleum, Neptunus equis Balio et Xantho, Vulcanus ense, at reliqui aliis muneribus condonarunt. De là Catulle :

Advenis Chiron, portants sylvestria dona.

Et

Confestim Penios adest, viridantia Tempe,
Tempe, quae silvae cingunt super impendentes,
Naiasin linquens ... Doris ... celebranda choreis,
non vacuos ; namque ille tulit radicitus altas
fagos ac recto proceras stipite laurus,
non sine nutanti platano lentaque sorore
flammati Phaethontis et aeria cupressu.

Et peu après,

Inde pater divum sancta cum coniuge gnatisque
advenit, caelo te solum, Phoebe, relinquens
unigenamque simul cultricem montibus Idri ;
Pelea nam tecum pariter soror aspernata est,

Je suis étonné de ce que Catulle dit que Diane et Phébus ne s'y trouvèrent point; car, suivant Homère, Phébus y assista, et Thétis lui dit :

Πάντες δ’ ἀντιάασθε θεοὶ γάμου· ἐν δὲ σὺ τοῖσι
Δαίνυ’ ἔχων φόρμιγγα κακῶν ἕταρ’, αἰὲν ἄπιστε.

«  Voici toutes, divinité célestes, vous avez assisté à nos noces; Apollon, toi-même, tu étais avec eux, portant la lyre, etc. »

(32) Les Sépiades, rorchers près de Magnésie, ainsi nommés du poisson σηπία. On dit que Thétis, prenant différentes formes pour échapper à Pélée, se changea enfin en sèche. On est étonné de ce que Pyrrhus soit venu d'Épire à Magnésie, et qu'il ait cotoyé toute la Grèce depuis la mer Ionienne jusqu'à la mer des Pélasges ; cela paraît incroyable : aussi est-on porté à croire que ces peuples, appelés par Dictys les Molosses, habitaient en Thessalie près de Phtie; ce qui s'accorderait très bien avec l'opinion d'Euripide, qui dit que Néoptolême arriva à Phtie.

(33) On ne sait où Dictys a trouvé cette histoire sur la soeur de Memnon, Hinnéra ou Héméra. On ne voit dans aucun historien que ce prince ait eu une soeur de ce nom ; on croit seulement que l'origine de Memnon y a donné lieu. En effet, il passait pour fils de l'Aurore, et l'Aurore, en grec Hemera, donne naissance au jour; c'est de là qu'on a donné à Memnon Héméra pour soeur.

(34) On ne connaît point le pays nommé Palllochis; les géographes n'en ont jamais fait mention. Les Anciens ne sont point d'accord sur le lieu où Memnon reçut les honneurs funèbres ; car Joseph, livre II de la Guerre des Juifs, dit que son tombeau fut placé en Galilée, près d'une rivière nommée Béléa, et de la ville de Ptolémaïs. Suivant Strabon, liv. XV, ce tombeau était près du fleuve Bada et de la ville de Paltum en Syrie ; et suivant d'autres, près de l'Hellespont; quelques-uns disent en Éthiopie.

(35) Madame Dacier et Mercier Iisent : postquam profectus Creta.

(36) Le scoliaste de Pindare, Od. 7, Ném. et celui d'Euripide, dans Oreste, s'accordent à dire que Néôptolême se rendit à Delphes pour consulter l'oracle sur la stérilité d'Hermione. Suivant Euripide, dans Andromaque, il alla dans cette ville pour apaiser Apollon qu'il avait accusé de la mort de son père. Suivant d'autres, Néoptoléme alla à Delphes pour piller le temple. Strabon dit que c'est l'opinion la plus vraisemblable.

(37) Dictys a puisé dans Euripide cette histoire d'Hermione, et a fait seulement quelques changements. Voici comme le poète la rapporte dans Andromaque : « Néoptolème se rendit à Delphes pour apaiser Apollon ; après son départ, Hermione, qui avait conçu de la jalousie contre Andromaque, médita de faire périr sa rivale et son fils Molossus, et fit venir Ménélas. Andromaque, qui en eut connaissance, cacha son fils, et s'enfuit elle-même dans le temple de Thétis. Ménélas et son parti trouvèrent le fils, et firent sortir par adresse la mère du temple; ils étaient sur le point de lui donner la mort, lorsqu'ils furent retenus par Pélée. Ménélas retourna à Sparte ; Hermione, craignant la présence de Néoptolème, feignit de se repentir de ce qu'elle avait fait. Oreste étant ensuite venu dans ces lieux, ramena Hermione à Sparte, et fit.périr Néoptolème dans des embûches. Thétis apparut ensuite à Pélée, que cette mort avait accablé de douleur, lui ordonna d'aller à Delphes rendre à son petit-fils les derniers honneurs, et d'envoyer Andromaque et son fils chez Ies Molosses.

(38) Il lui fut donc impossible d'aller jusqu'à Delphes, car la distance qui sépare Phtie de Delphes exige plus de deux jours pour la parcourir. Notre auteur diffère ici d'Euripide, qui écrit que Néoptollme fut tué par Oreste dans le temple de Delphes.

(39) Suivant Euripide, Pélée averti par Thétis ensevelit Néoptoléme à Delphes. Tous les historiens sont de cet avis, à l'exception d'Hygin, qui dit, fable 11, que ses os furent dispersés dans l'Ambracie. Ovide dit

Nec tua quam Pyrrhi felicius ossa quiescunt
Sparsa per Ambracias qua jacuere vias.

(40) Madame Dacier et Mercier lisent : Molossos mittit domum, Orestem ejusque conjugem de interimendo fœtu evitans.

(41) On ne  peut dire si Dictys a vu dans quelqu'auteur ce songe d'Ulysse, ou s'il l'a inventé. Ce simulacre, qui réunissait à la fois la forme d'un dieu et celle d'un homme, représentait TéIégone, qui avait reçu le jour d'un mortel et d'une
déesse, d'Ulysse et de Circé.

(42) La pointe de la lance qui se présentait devant UIysse était formée d'un os du poisson appelé par les Grecs τρυγὼν. Les Anciens avaient ainsi entendu l'oracle rendu à Ulysse par Tirésias,  Odyss. λ.

Θάνατος δέ τοι ἐξ ἁλὸς αὐτῷ.

« C'est de la mer que te viendra la mort. » Voyez à ce sujet l'interprète d'Homère, qui rapporte ces deux vers d'Echyle tirés d'une pièce intitulée ψυχάγωγοι:

Ἐκ τοῦ δ' ἄκανθα ποντίου βοσκήματος,
Σήπει παλαιόν δέρμα καὶ τριχορρυές.

« L'arête d'un poisson de mer détruira ta peau vieille et pelée. » De même Lycophron .

Κτενεῖ δὲ τύψας πλευρὰ λοίγιος στόνυξ,
Κέντρῳ δυσαλγὴς ἔλλοπος Σαρδωνικῆς,
Κέλωρ δὲ πατρὸς ἄρταμος κληθήσεται.

« Le fils sera le meurtrier de son père; il lui donnera la mort en lui frappant le côté d'une lance armée  d'un os de poisson, dont on ne pourra guérir la blessure. » Et beaucoup d'antres encore. Mais l'interprète d'Homère remarque que cet événement est de l'invention des modernes, et que, comme on le voit clairement dans Homère, Ulysse mourut de vieillesse : c'est pourquoi Lucien fait dire ingénieusement à la goutte :

Ἰθάκης ἄνακτα Λαερτιάδην Ὀδυσσέα,
Ἐγὼ κατέπεφνον, οὐκ ἀκάνθα τρυγόνος.

« C'est moi qui ai donné la mort à Ulysse, fils de Laërte, et non point une épine de tourterelle. »

(43) Eustathe rapporte que la lance de Télégone fut fabriquée par Vulcain, que l'un des bouts était armé d'un os de tourterelle marine, et l'autre orné d'or et de diamants. Suivant d'autres, elle était formée d'un os de tourterelle seulement. Plusieurs auteurs ont dit que cet animal donnait la mort : Nicand., Hesych., Antigon. Appien, liv. II, en parlant de la chasse, dit que cet os se trouve dans la queue.

(44) Hygin, fable 127. Telegonus, Ulyssis et Circes filius, missus a matre ut genitorem quaereret, tempestate in Ithacam est delatus, ibique fame coactus agros depopulari coepit. Cum quo Ulysses et Telemachus ignari arma contulerunt; Ulysses a Telegono filio est interfectus. « Télégone, fils d'Ulysse et de Circé, envoyé par sa mère à la recherche de son père, fut poussé sur les côtes d'Ithaque par une tempête ; là, pressé par la faim, il ravagea la campagne. Ulysse et Télémaque, sans le connaître, s'avancèrent contre lui, et Ulysse fut tué par son fils Télégone. »

Il y a peu de différence entre le rapport d'Hygin et celui de Dictys. Suivant Oppien, Télégone enleva les troupeaux de son père, et tua celui-ci au moment où il s'avançait contre lui pour les reprendre.

(45) Madame Dacier et Mercier : Ita creditum Telegonum ad inferendam vim regi adventare acrius reristitur.