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ŒUVRES D'AUSONE

 

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

 

PRÉFACES

 

vie et oeuvre        épigrammes  

 

 


 

ŒUVRES D'AUSONE

PRÉFACES[i]

I. Ausone à Théodose Auguste[ii].

Si la blonde Cérès ordonne au laboureur de livrer la semence à la terre, si Mars commande au chef de prendre les armes, et Neptune de détacher du port la flotte désarmée, la confiance alors est un devoir, l'hésitation serait un crime, bien que la mer se soulève en furie, que la terre soit contraire à la semence, et que le bras du chef ne soit pas prêt pour la guerre. N'hésitons jamais avec un bon guide. Les conseils d'un homme, on les pèse ; les ordres d'un dieu, on les prend sans crainte. Auguste veut que j'écrive ; il me demande des vers[iii] ; il va presque jusqu'à la prière : la douceur est le secret de la force dans un commandement. Je n'ai point de talent ; mais César le veut, j'en aurai. Et pourquoi dirais-je impossible ce qu'il croit, lui, que je puis faire ? Il réveille lui-même mes forces languissantes ; il m'aide, lui qui ordonne : je me contente d'obéir. Il n'est pas prudent de refuser un dieu. On a loué souvent l'indécision d'un esprit modeste, mais c'est, quand il hésite devant un égal. Depuis longtemps, d'ailleurs, mes vers sont prêts à se lancer sans attendre l'ordre : quel livre ne voudrait être le livre de César, pour n'avoir plus à subir les cent ratures d'un poète indigne, qui toujours corrige et toujours plus mal ? Maintenant, père des Romains, souviens-toi que tu l'as voulu : j'ai fait la faute, c'est à toi de te la pardonner.

 

II[iv]. Ausone à son Syagrius[v], salut.

AUSONIUS est mon père ; je porte le même nom. Je vais dire qui je suis, quelle fut ma vie, mon origine, ma famille, nia patrie, afin que tu apprennes à me connaître, excellent homme, et que mon souvenir conserve une place en ton cœur. Vasates[vi] est la patrie de mon père. Ma mère, par son père, est Éduenne[vii] ; mais sa mère était d'Aquœ Tarbellœ[viii]. Moi, je suis né à Burdigala[ix] : ainsi, quatre villes antiques se partagent l'origine de ma famille. Aussi notre parenté s'étend loin. Que beaucoup reçoivent, s'ils veulent, des noms tirés d'abord de notre maison, et passés ensuite à d'autres : ce que nous aimons, nous, c'est le nom venu de la souche même, du chef de la famille et non du parentage. Mais je reprends la suite de mon sujet. Mon père étudia la médecine, la seule de toutes les sciences d'où sortit un dieu[x]. Mes études se sont tournées vers la grammaire, puis vers la rhétorique, et ce que j'en ai appris m'a suffi. J'ai fréquenté les tribunaux ; mais j'ai cultivé de préférence l'art d'enseigner, et j'ai mérité le titre de grammairien ; sans m'élever, il est vrai, au point que ma gloire atteignît celle d'Émilius, de Scaurus, et de Probus de Béryte[xi], mais assez haut toutefois pour ne voir, dans la plupart de nos célébrités d'Aquitaine, que des égaux et non des maîtres. Trois fois dix ans se succédèrent dans les fastes, pendant que j'exerçai les fonctions de professeur dans une ville municipale[xii]. Appelé ensuite par Auguste en ses palais dorés[xiii], j'ai enseigné au jeune Auguste, son fils, la grammaire, puis la rhétorique. Je n'ai point une fausse confiance en moi-même, et ma gloire a pour base une solide estime ; j'accorderai pourtant qu'on ait pu voir des maîtres d'une renommée préférable, si on reconnaît que pas un n'eut un meilleur disciple. Alcide, élevé par Atlas, et le descendant d'Éaque par Chiron, l'un presque fils de Jupiter, et l'autre vraiment fils de ce dieu, renfermaient leur demeure, celui-ci dans Thèbes, celui-là dans la Thessalie : mais mon élève a pour empire tout l'univers à lui. Par lui, je fus comte, et questeur, et, pour comble d'honneur, préfet des Gaules, de l'Afrique et de l'Italie. Consul, j'ai reçu le premier les faisceaux et la chaise curule du Latium ; mon collègue ne fut nommé qu'après moi. Voilà qui je suis, voilà Ausone. Mais toi, ne dédaigne pas d'accorder à mes vers ton patronage que j'ambitionne ; car, puisque tu as ta place en mon cœur, illustre[xiv] Syagrius, puisque tu es un autre moi-même, et que tu vis comme moi en Ausone, tu dois aussi avoir ton nom en tête de mon livre, afin qu'on ne puisse distinguer s'il est de toi, où de moi.

 

III. Ausone à Latinus Pacatus Drepanius, son fils[xv].

Pour qui ces vers joyeux et nouveaux dans leur genre ?

disait jadis le poète de Vérone[xvi] ; et, sans chercher longtemps, il dédia son livre à Népos. Mais nous, ces vers sans grâce et sans art, ce fatras, ces rebuts, ces riens[xvii], à quelle bonne âme les confier, qui les adopte ? Je l'ai trouvée : silence, bluettes peureuses ! C'est un homme qui, sans être moins docte, est plus indulgent que celui que la Gaule fit exprès pour Catulle ; c'est le plus, cher de mes amis : les neuf Sœurs en font plus de prix que de tous les autres, Virgile à part. — C'est Pacatus que tu veux dire, sans aucun doute, ô poète. — Lui-même. Courage donc ! volez vers lui, mes vers ; nichez-vous en son sein, c'est un abri pour votre couvée. Celui-là voudra vous chérir, voudra vous protéger. Il cachera vos faiblesses ; vos mérites, il les publiera. Après lui, vous n'avez point de juge à craindre.

vie et oeuvre        épigrammes  



[i] Ces trois Préfaces avaient été rejetées, par Scriverius, et, après lui, par Fleury et les éditeurs de Deux-Ponts, à la fin du volume. Nous les avons reportées en tête, avec Tollius et les autres éditeurs. C'est là, en effet, leur place naturelle.

[ii] Cette Préface semble être la réponse à une lettre écrite par l'empereur Théodose à Ausone. Cette lettre existe encore. Quelques critiques, tels que M.-A. Accurse et Gasp. Barth (Advers., XII, 12, et LVIII, 3), la croient supposée ; mais Tillemont, Bayle et les auteurs de l'Histoire littéraire de la France, ne doutent pas de son authenticité. On la trouvera dans l'Appendice.

[iii] Ceci rappelle le passage suivant du prologue de Laberius (MACROBE, Saturn., liv. II, ch. 7)
Ecce in senecta ut facile labefecit loco
Viri excellentis mente clemente edita
Submissa placide blandiloquens oratio

[iv] C'est un résumé de la vie d'Ausone. On a douté qu'il fût de lui, mais à tort peut-être, car cette pièce, pour le style et l'intention qui l'a dictée, est tout à fait dans le goût d'Ausone. Elle était d'abord en deux parties : la première, de soixante-six vers, intitulée, dans le manuscrit de Lyon, Ausonius lectori salutem, se composait des trente-huit premiers vers et de quatorze distiques pris parmi les Parentalia et les Professores, et qui ne s'adressaient plus au lecteur, mais à Ausone lui-même. Tollius a regardé ces quatorze distiques comme une interpolation, et les a supprimés. La seconde partie, formée des six derniers vers, Hic ego Ausonies, etc., était une espèce d'envoi à Syagrius sous ce titre : Ausonius Suagrio. C'est Scaliger qui a réuni les deux parties sous un même titre : Ausonius Syagrio suo S.

[v] Afranius Syagrius était né à Lyon, ou dans les environs de cette ville. En 380 et 382, il fut préfet du prétoire en Italie, en 381 dans les Gaules, et consul en 382. On l'a quelquefois confondu avec Fl. Syagrius ou Evagrius, consul en 381 , mais à tort, selon la remarque de Tillemont (Hist. des Emp., t. V, p. 719). Il était lié avec Symmaque, dont il existe encore quatorze lettres à Syagrius (liv. I, lett. 94 et suiv.). C'était un poète distingué. Sidoine Apollinaire, qui était en relations d'amitié avec son petit-fils, lui parle avec éloge du talent poétique de son aïeul (liv. V, lett. 5) : Quum sis igitur e semine poetœ, cui procul dubio statuas dederant litteræ, si trabeæ non dedissent, quod etiam nunc auctoris cultes versibus verba testantur.... Il ne nous reste rien de ces poésies. — Voir l'Histoire littéraire de la France par les Bénédictins, t. Ier, 2e part., p. 259, et les Œuvres de Apollinaris Sidonius, trad. par MM. Grégoire et Collombet, qui ont donné (t. Ier, p. 208 et suiv.) une excellente notice sur la famille de ce personnage.

[vi] Bazas.

[vii] Autun ou ses environs.

[viii] Aqs, puis D'Aqs, et aujourd'hui Dax, dans le département des Landes. — Voir, sur les Tarbelli, la Géographie ancienne historique et comparée des Gaules, par M. Walekenaër, t. Ier, p. 295.

[ix] Bordeaux.

[x] Esculape.

[xi] Émilius Magnus Arborius, oncle d'Ausone. — Voir Parent., III, et Profess., XVI. — Scaurus et Probus de Béryte, en Phénicie, étaient, à ce qu'il paraît, des grammairiens célèbres. Il en parle encore, Profess., XV, 12.

[xii] La ville municipale qu'il désigne ici, c'est Bordeaux, sa patrie, où il professa la grammaire et la rhétorique.

[xiii] Cette résidence impériale était à Trèves, il y vint en 367. — Voir, sur le séjour d'Ausone à la cour et sur les dignités dont il va parler, la Notice.

[xiv] Ce titre d'almus, qu'Ausone donne à son ami, fait penser à MM. Grégoire et Collombet que ces vers ont été adressés à Syagrius avant qu'il fût préfet du prétoire, c'est-à-dire avant 379 ; car, disent- ils, les empereurs avaient attaché à cet emploi le titre de vir illustris. Je crois que cette observation, fondée sur ce dernier point, ne l'est pas sur l'autre. Il ne faut pas prendre à la lettre ces expressions du poète, qui désigne même rarement les qualités honorifiques par le mot propre. Il est certain que ces vers ont été composés après cette époque, puisque Ausone y parle de son consulat, qu'il n'obtint qu'en 379.

[xv] Latinus Pacatus Drepanius était né dans les Gaules, en Aquitaine, à Bordeaux ou à Agen. Il était poète et orateur, et il prononça, en cette dernière qualité, le panégyrique de l'empereur Théodose. Ce discours subsiste encore, et c'est le meilleur de tous ceux qu'on a réunis sous le titre de Panegyrici veteres. Tillemont (Hist. des Emp., t. V, p. 303) croit qu'il fut proconsul d'Afrique en 390, et intendant du domaine en 393. Ausone l'appelle ici son fils par amitié, parce que Pacatus était plus jeune que lui : il en use de même avec Paulin (lett. XIX), Symmaque (lett. XVII) et Gregorius (idylle VI).

[xvi] Catulle, 1.

[xvii] Burras. C'est un mot de la basse latinité qu'on ne rencontre pas avant Ausone. En français, la bourre est l'épluchure de la laine. Un bourrier, dans Régnier (Stances, dans les Poésies diverses) :
Et cependant tu vas dardant
Dessus moy ton courroux ardent,
Qui ne suis qu'un bourrier qui vole,

est une espèce de chardon dont la tête est couverte d'une huppe de bourre ou de duvet qu'emporte le vent. Des bourriers, selon Scaliger et Ménage (Dict. étymol., aux mots Bourre et Bourriers), sont des balayures ; et, dans ce sens, ce mot est encore en usage parmi le peuple de quelques provinces de France, à Angers, par exemple. Il n'est donc pas besoin de mettre ici gerras, comme le propose Fleury : burras s'entend fort bien.

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