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De la vertu des femmes

TOME II
Questions grecques

 

 

PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

QUESTION ROMAINES

 

 

texte grec

 

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QUESTIONS ROMAINES.

On trouve dans les œuvres de Plutarque deux traités intéressants, l'un sur les usages des Romains, l'autre sur ceux îles Grets. Ce qui rend ces deux ouvrages précieux, c'est qu'il ne se borne pas à nous apprendre les faits, mais il s'applique à en découvrir les causes physiques et morales. La multitude de faits que renferment ces traités ne permet pas d'en donner ici l'analyse. Plusieurs pages ne suffiraient pas à ce travail, dont le résultat ne serait qu'une aride et inutile table des matières

1. Pourquoi chez les Romains fait-on toucher le feu et l'eau aux nouvelles mariées ?

Est-ce parce que de ces deux éléments l'un est mâle et l'autre femelle (01), que le feu donne aux autres substances le principe du mouvement, et que l'eau en est le sujet et la matière (02)? Est-ce parceque le feu purifie et que l'eau blanchit, et qu'une nouvelle épouse doit conserver avec soin la pureté et la candeur de son ame ? Serait-ce que, comme le feu sans humidité n'a point de vertu nutritive et ne peut que dessécher, que l'eau dénuée de chaleur est stérile et sans action, ainsi l'homme et la femme, inutiles l'un sans l'autre, trouvent dans l'union conjugale 


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l'intégrité et la perfection de leur vie ? Ont-ils voulu signifier que deux époux ne doivent jamais se séparer, mais partager ensemble tous les événements de la vie, ne dussent-ils avoir d'autre jouissance commune que celle du feu et de l'eau  (03)?

2. Pourquoi, dans la cérémonie du mariage, n'emploient-ils jamais ni plus ni moins de cinq torches faites de cire ?

Est-ce, comme le dit Varron (04), parce que les préteurs n'usent que de trois de ces torches, et les édiles d'un plus grand nombre? Or, c'était chez ces derniers magistrats qu'on allumait le feu des nouveaux époux. Est-ce que dans les espèces différentes de nombres qu'ils emploient, le nombre impair leur a paru le plus parfait, le plus analogue au mariage ? Car le nombre pair se peut diviser en parties qui ont chacune une force égale et opposée. Au contraire, le nombre impair n'admet point cette égalité de division, et laisse toujours après son partage un point qui reste commun aux deux membres (05). Ainsi, entre les nombres impairs, celui qui a le plus de rapport avec le mariage est le nombre cinq ; car trois est le premier nombre impair, deux le premier nombre pair ; et de ces deux nombres, comme d'un mâle et d'une femelle, se forme le nombre cinq. Serait-ce plutôt que la lumière est le signe de la naissance à la vie, et que les femmes pouvant avoir jusqu'à cinq enfants à la fois, ils allument pour le mariage un pareil nombre de torches? Est-ce enfin parce qu'on croit que les nouveaux mariés ont besoin de la 


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protection de cinq divinités : de Jupiter parfait, de Junon parfaite, de Vénus, de la Persuasion et de Diane, que les femmes invoquent dans les travaux de l'enfantement (06)?

3. Pourquoi de plusieurs temples de Diane qui sont à Rome, celui du carrefour patricien est-il le seul où les hommes n'entrent point ?

Est-ce, comme le dit une tradition vulgaire, parce qu'un Romain ayant osé y faire violence à une femme qui sacrifiait à la déesse, il fut mis en pièces par des chiens, et que de là est née la crainte superstitieuse qui empêche les hommes d'y entrer?

4. Pourquoi ont-ils mis des cornes de bœuf au temple de Diane, qui est sur le mont Aventin, tandis qu'ils attachent ordinairement des cornes de cerf à tous les autres temples de cette déesse ?

Est-ce pour conserver la mémoire de l'événement ancien que je vais rapporter? Un Sabin nommé Antron Coratius avait une génisse d'une beauté et d'une grandeur extraordinaires. Un devin lui ayant dit que la patrie de celui qui immolerait cette génisse à Diane sur le mont Aventin commanderait un jour à toute l'Italie, il vint à Rome pour l'y offrir en sacrifice. Un de ses esclaves donna secrètement avis de cet oracle au roi Servius, qui aussitôt en informa le pontife Cornélius. Lorsque Antron se présenta pour le sacrifice, Cornélius lui dit qu'il devait auparavant se laver dans le Tibre ; que c'était une loi indispensable pour quiconque voulait sacrifier. Le Sabin se rend au fleuve pour s'y laver. Dans l'intervalle, Servius immola la génisse à Diane, et en suspendit les cornes dans


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le temple. Tel est le récit de Juba (07) et de Varron. Seulement ce dernier ne nomme point le Sabin, et dit qu'il fut induit en erreur par un des ministres inférieurs du temple, et non par le pontife Cornélius.

5. D'où vient que ceux dont on a faussement répandu le bruit de leur mort, au lieu d'entrer dans leur maison par la porte, y descendent par le toit ?

La cause que Varron en allègue est une pure fable. Il dit que dans la guerre de Sicile, après un grand combat naval (08), on apporta la fausse nouvelle de la mort de plusieurs citoyens qui, de retour dans leur patrie, périrent tous en peu de temps. Un seul d'entre eux, qui trouva par hasard sa porte fermée et ne put venir à bout de l'ouvrir, se coucha devant la porte et s'y endormit. Pendant son sommeil, il vit en songe un spectre qui lui conseilla de descendre par le toit. Il le fit, et parvint à une heureuse vieillesse. De là l'usage qui s'observe encore aujourd'hui.

Mais n'aurait-il pas plutôt rapport avec ce qui se passe en Grèce ? On y regarde comme des profanes ceux qu'on a crus morts, et dont on a fait les funérailles. Personne ne veut avoir avec eux aucune communication, et l'entrée des temples leur est interdite. On raconte, à ce propos, qu'un certain Aristinus, soumis à cette excommunication superstitieuse, envoya demander à l'oracle de Delphes


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comment il pourrait se délivrer des peines que lui imposaient les lois, et qu'il en reçut cette réponse :

Suivez ce que pratique une femme accouchée;
Et vous ferez après votre expiation.

Aristinus interprétant très bien le sens de l'oracle, se mit entre les mains de femmes qui le lavèrent, l'enveloppèrent de langes, et l'allaitèrent comme s'il venait de naître une seconde fois. Depuis, ceux qui reparaissaient après le faux bruit de leur mort observaient la même pratique. D'autres prétendent que cet usage est antérieur au temps d'Aristinus. Il ne faut donc pas s'étonner si les Romains, quand quelqu'un a passé pour mort et qu'on a célébré ses obsèques, ne croient pas qu'il lui soit permis d'entrer dans sa maison parla porte qui sert de passage lorsqu'on va au sacrifice et qu'on en revient, et s'ils l'obligent de descendre à découvert par le toit ; car c'est en plein air que se font presque toutes les expiations (09).

6. Pourquoi les femmes baisent-elles à la bouche leurs proches, quand elles les saluent ?

Est-ce, comme on le dit assez généralement, parce que l'usage du vin était défendu aux femmes, et que, pour reconnaître celles qui en auraient bu, on les obligeait de baiser leurs parents sur la bouche ? Ou faut-il préférer la raison qu'en apporte Aristote, c'est-à-dire cette entreprise hardie et si connue des femmes troyennes en Italie, et dont on place la scène en divers lieux ? Leurs maris avaient débarqué pour reconnaître le pays où ils venaient d'aborder. Pendant ce temps-là elles mirent le feu aux vaisseaux, afin de terminer leur longue navigation. Craignant ensuite la vengeance de leurs maris, elles se jetèrent au cou de leurs parents et de leurs proches, et les 


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embrassèrent en leur demandant grâce. Ces témoignages de tendresse apaisèrent les Troyens, et depuis elles conservèrent cette manière de saluer leurs proches. Ou plutôt est-ce un privilège accordé aux dames romaines, pour qui c'est une marque d'honneur et de puissance que d'avoir un grand nombre de parents honnêtes qu'elles puissent embrasser de cette manière ? Serait-ce enfin que les lois, en défendant le mariage entre parents, leur ont permis du moins ce témoignage de leur amitié réciproque? Autrefois les Romains ne pouvaient épouser aucune de leurs parentes : cette défense subsiste encore pour les tantes et les sœurs ; et ce n'est que bien tard qu'on leur a permis de se marier avec leurs cousines. Voici quelle en fut l'occasion.

Un homme pauvre, mais honnête, et qui jouissait de la plus grande considération auprès du peuple, épousa sa cousine, qui lui apportait une fortune considérable. Il fut cité en justice ; mais le peuple ne voulut pas qu'on instruisît le procès ; et non content de l'avoir absous, il permit généralement le mariage avec les cousines, en conservant toujours la défense pour les degrés supérieurs.

7. Pourquoi les dons mutuels sont-ils défendus entre mari et femme ?

Est-ce à l'exemple de Solon, qui, en permettant les donations faites par les mourants, excepta celles qui auraient été extorquées par violence ou obtenues par l'insinuation d'une épouse, parce que la contrainte ôtait la liberté, et que la séduction troublait le jugement? De même les Romains ont-ils tenu pour suspectes les donations mutuelles entre mari et femme ? Est-ce qu'ils regardaient comme un signe très équivoque de bienveillance une libéralité que font souvent des étrangers et des personnes indifférentes, et qu'ils ont proscrit dans le mariage ces preuves mercenaires d'amitié, afin que les époux s'aimassent pour eux-mêmes, sans aucun motif d'intérêt?


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 Serait-ce que les femmes, étant sujettes à se laisser corrompre par l'attrait des présents, ils ont cru relever leur mérite en faisant voir qu'elles aiment leurs maris, quoiqu'elles n'en reçoivent rien ? Ou plutôt n'ont-ils pas voulu signifier par là que tout doit être commun entre mari et femme? En effet, lorsqu'on reçoit quelque chose, il semble qu'on regarde le reste comme étranger pour soi. Ainsi deux époux qui se font quelque don mutuel, paraissent s'ôter l'un à l'autre tout le reste.

8. Pourquoi ces donations sont-elles aussi défendues entre le beau-père et le gendre?

Est-ce, par rapport au gendre, parce que le don peut retourner à la femme par son père? et, pour le beau-père, parce qu'il ne paraît pas juste qu'il donne à celui de qui il ne reçoit rien?

9. Pourquoi les maris, au retour d'un voyage ou de la campagne, font-ils prévenir leurs femmes de leur arrivée?

Est-ce par un effet de leur confiance en elles? Car une arrivée subite et inattendue a l'air d'un espionnage, et annonce le désir de surprendre. C'est pour cela qu'ils s'empressent de donner à leurs femmes la nouvelle d'un retour qu'elles attendent, et qui doit leur faire plaisir. Est-ce pour savoir s'ils les trouveront bien portantes, et empressées de les revoir ? Serait-ce enfin que les femmes, en l'absence de leurs maris, ont plus de peines et de sollicitudes domestiques, et qu'ils les font prévenir de leur retour afin qu'elles quittent tout autre soin pour ne s'occuper que de les bien recevoir?

10. Pourquoi adorent-ils les dieux la tête couverte; et qu'au contraire, quand ils rencontrent des personnes respectables, ils se découvrent par honneur? Car c'est là ce qui rend, ce semble, la question difficile à résoudre.

On raconte qu'Énée, pendant qu'il sacrifiait aux dieux, vit passer Diomède, et qu'aussitôt il se couvrit la tête, et


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acheva dans cet état le sacrifice (10). Si ce récit est véritable, il paraît assez naturel que, comme on se couvre devant un ennemi, au contraire on se montre à découvert à une personne amie et respectable par sa vertu. Car l'usage de sacrifier, la tête couverte, est purement accidentel, et doit son origine au fait qu'on vient de rapporter. Si l'on en veut une autre raison, il faudra seulement rechercher pourquoi ils adorent les dieux la tête couverte, puisque l'autre usage n'est qu'une suite du premier. En effet, s'ils se découvrent devant des personnes puissantes, c'est moins pour leur faire honneur que pour ne pas les exposer à l'envie, en montrant qu'elles n'affectent pas les mêmes honneurs que les dieux, et qu'elles craindraient même de les recevoir. Mais ils se couvrent en adorant les dieux, soit par un abaissement respectueux devant leur majesté, soit plutôt que, craignant d'entendre du dehors quelque parole de mauvais augure, ils se couvrent les oreilles avec leurs robes. Rien ne prouve tant cette crainte que l'usage où ils sont de frapper avec grand bruit sur de l'airain lorsqu'ils s'approchent d'un oracle pour le consulter. Serait-ce enfin, comme le prétend Castor (11), dans l'ouvrage où il compare les institutions romaines avec celles de Pythagore, que le génie qui est en nous a besoin des dieux extérieurs dont il implore le secours? Et par cet usage il nous fait entendre, d'une manière allégorique, que notre âme est cachée, et comme couverte par le corps.

11. Pourquoi, en sacrifiant à Saturne, ont-ils la tête découverte ?


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Est-ce parce que l'usage contraire pour les autres dieux ne remonte qu'à Énée, et que le culte de Saturne est beaucoup plus ancien ? Est-ce qu'ils ne se couvrent la tête que pour les dieux du ciel, et qu'ils mettent Saturne au nombre des dieux de la terre et des enfers ? Est-ce enfin que rien n'est caché, ni voilé pour la vérité, dont, chez les Romains, Saturne est le père?

12. Pourquoi regardent-ils Saturne comme le père de la vérité?

Est-ce, comme le pensent quelques philosophes, parce que chez eux Saturne est le même que le temps, et que le temps découvre la vérité ? Ou bien parce que le siècle de Saturne, qui fut, selon la fable, le plus juste de tous les âges, dut vraisemblablement être aussi celui où l'on connut le plus la vérité ?

13. Pourquoi sacrifient-ils à l'Honneur, la tête découverte?

Est-ce parce que l'honneur est une qualité brillante, qui éclate aux yeux de tout le monde? Et comme ils témoignent leur respect aux gens d'honneur en se découvrant devant eux, ils honorent par un culte semblable la divinité qui porte le même nom.

14. Pourquoi les fils assistent-ils aux funérailles de leurs pères, la tête voilée, et que les filles y vont la tête découverte et les cheveux épars ?

Est-ce parce que les fils doivent honorer leurs pères comme des dieux, et les filles les regretter comme morts, et qu'ainsi la loi, en assignant à chaque sexe la fonction qui lui convient, a voulu remplir tous les devoirs a l'égard des morts? Est-ce que, dans le deuil, on doit changer les pratiques ordinaires? Or, il est d'usage, dans tout autre cas, que les femmes paraissent en public la tête voilée, et les hommes découverts. En Grèce même, dans les événements malheureux, les femmes se font couper les


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uns et les autres suivent dans les autres temps un usage contraire. Mais ne vaut-il pas mieux s'en tenir, par rapport aux fils, à la première raison que nous en avons donnée ? Varron nous apprend qu'ils tournent autour des tombeaux de leurs pères, et qu'ils les honorent comme des temples (12). Lorsque après avoir brûlé le corps, ils découvrent les ossements parmi les cendres, ils disent que le mort est passé au rang des dieux (13). Pour les femmes, il ne leur était permis en aucune occasion d'avoir la tête couverte. On dit que Sp. Carbilius fut le premier qui répudia sa femme pour cause de stérilité. Sulpitius Gallus fut le second, parce qu'il avait vu la sienne se couvrir la tête de sa robe ; et P. Sempronius le troisième, parce que la sienne avait assisté à des jeux funèbres (14).

15. Pourquoi n'immolent-ils aucun animal au dieu Terme, en l'honneur duquel ils célèbrent les fêtes Terminales ?

Est-ce que Romulus n'avait mis aucune limite au territoire romain, afin que ses sujets pussent l'étendre aux dépens de leurs voisins, et regarder comme à eux tout celui où leur lance pourrait atteindre, comme disait un Lacédémonien (15)? Mais Numa Pompilius, prince juste, humain et philosophe, sépara par des bornes le territoire de Rome d'avec celui des peuples voisins, donna à ces limites le dieu Terme pour surveillant, pour gardien d'une paix et d'une amitié mutuelles, et crut que le culte de ce dieu ne devait être souillé du sang d'aucun animal (16).


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16. Pourquoi est-il défendu aux esclaves romaines d'entrer dans le temple de Leucothée (17), et que les femmes y en introduisent une à qui elles donnent des soufflets sur les joues?

Ces soufflets sont-ils la marque de l'interdiction prononcée contre les autres, et cette défense prend-elle son origine dans ce que la Fable raconte d'Ino? La jalousie qu'elle conçut, dit-on, contre une de ses esclaves, qu'elle soupçonnait d'être aimée de son mari, la fit entrer dans une telle fureur, qu'elle tua son fils. Les Grecs disent que cette esclave était étolienne, et s'appelait Antiphera. Aussi à Chéronée un des ministres de Leucothée se tient-il à la porte du temple, armé d'un fouet, pour en défendre l'entrée à tout esclave de l'un et de l'autre sexe, à tout homme et à toute femme d'Étolie.

17. Pourquoi n'invoquent-ils cette même déesse que pour leurs neveux, et jamais pour leurs enfants?

Est-ce parce que Ino aima beaucoup sa sœur, dont elle nourrit même le fils, au lieu qu'elle fut malheureuse dans ses enfants? Ou cet usage est-il fondé sur un principe d'honnêteté, et a-t-il pour objet de resserrer entre les proches les liens de la nature ?

18. Pourquoi la plupart des citoyens riches consacrent-ils à Hercule la dîme de leurs biens ?

Est-ce parce que ce héros immola lui-même la dixième partie du troupeau de bœufs de Géryon? Est-ce parce qu'il affranchit les Romains de la dîme qu'ils payaient aux Étrusques, ou ces faits n'ont-ils aucun fondement historique , et ne font-ils de plus grands sacrifices à ce dieu qu'à cause de la voracité qu'on lui attribue? N'est-ce pas plutôt qu'ils voulaient diminuer les trop grandes richesses, source ordinaire de haine et d'envie, aussi dange-


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reuses dans le corps politique qu'un excès d'embonpoint dans le corps physique, et qu'ils ont cru que l'offrande de leur superflu ne pouvait être plus agréable à aucun autre dieu qu'à Hercule, qui avait toujours mené une vie frugale ?

19. Pourquoi commencent-ils l'année au mois de janvier?

Le mois de mars était autrefois le premier de l'année. Entre plusieurs preuves qui le démontrent, une des plus frappantes, c'est que le mois de juillet portait le nom de cinquième, celui d'août de sixième, et ainsi de suite jusqu'au dernier, qui s'appelait décembre, c'est-à-dire le dixième depuis le mois de mars. Ce qui a fait dire à quelques auteurs qu'anciennement, chez les Romains, l'année n'était composée que de dix mois, dont plusieurs avaient plus de trente jours (18). D'autres prétendent que le mois de décembre était à la vérité le dixième, à compter du mois de mars, mais qu'il était suivi de ceux de janvier et de février, qui faisaient le onzième et le douzième ; que dans ce dernier, qui terminait l'année, on faisait les expiations pour les morts. Depuis, ajoutent-ils, on transposa cet ordre, et le mois de janvier commença l'année, parce que ce fut au premier jour, ou aux calendes de ce mois, que leurs premiers consuls entrèrent en charge, après l'expulsion des rois.

Une opinion plus vraisemblable, c'est que Romulus, prince belliqueux, qui ne respirait que la guerre et passait pour fils de Mars, avait placé au commencement de l'année le mois qui portait le nom de ce dieu ; qu'ensuite Numa, qui, naturellement pacifique, désirait de tourner les esprits de ses sujets du goût des armes à celui de l'agriculture, avait donné le premier rang au mois de jan-


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vier, et fait rendre les plus grands honneurs à Janus, dont ce mois portait le nom, comme à un prince qui avait toujours préféré à la gloire des armes les arts pacifiques et la culture des terres. Mais ne faudrait-il pas plutôt penser que Numa prit pour commencer l'année une époque plus conforme au cours de la nature? Car, en général, dans les révolutions communes de l'univers, nulle n'est en soi la première ni la dernière : c'est la volonté des hommes qui en détermine le commencement et la fin. Il semble donc que l'époque la plus naturelle pour le commencement de l'année est celle qui suit le solstice d'hiver, où le soleil cessant d'avancer, retourne sur ses pas et se rapproche de nous. Il se fait alors dans la nature une espèce de révolution qui augmente la durée des jours, raccourcit les nuits et ramène vers nous cet astre brillant, chef et dominateur de ce mobile univers.

20. Pourquoi les dames romaines, qui parent avec grand soin de toutes sortes de plantes et de fleurs les chapelles domestiques de la bonne déesse, n'y portent-elles jamais de myrte?

Faut-il croire la fable qu'on raconte, qu'un aruspice nommé Faulius, ayant découvert que sa femme avait bu du vin en cachette, la châtia avec des verges de myrte (19)? Depuis, les femmes ne portent point de myrte dans les chapelles de cette déesse, et donnent le nom de lait au vin qu'elles lui offrent. Cet usage viendrait-il de ce qu'en célébrant ces mystères, elles se conservent pures et s'interdisent tout commerce avec les hommes? Pendant le sacrifice, elles font sortir de la maison non seulement leurs maris, mais en général tous les hommes ; elles ont aussi le myrte en horreur, parce qu'il est consacré à Vénus; car la déesse qu'on adore aujourd'hui sous le


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nom de Vénus Murcia s'appelait autrefois Myrtia.

21. Pourquoi les Latins ont-ils tant de respect pour le pivert, et qu'ils se gardent avec soin de lui faire du mal?

Est-ce parce que le roi Picus, qui fut, selon la Fable, métamorphosé en pivert par les enchantements de sa femme, prononçait des oracles à ceux qui venaient le consulter (20)? Ou à ce récit purement fabuleux faut-il préférer le suivant, comme bien plus vraisemblable? Romulus et Rémus, qu'on avait exposés aussitôt après leur naissance, furent, dit-on, allaités par une louve, et un pivert vint fréquemment leur apporter de la nourriture. Encore aujourd'hui il est assez ordinaire, au rapport de Nigidius (21), que dans les vallées couvertes de bois, on ne voie guère de pivert sans qu'il y paraisse aussi un loup. Une autre raison, peut-être meilleure, c'est que chaque dieu a un oiseau qui lui est consacré, et que le pivert l'est à Mars, parce que cet oiseau est fier et hardi, et il a le bec si fort, qu'il perce les chênes jusqu'au cœur.

22. Pourquoi représentent-ils Janus avec deux visages?

Est-ce, comme on le raconte, parce que ce prince, qui était né à Perrhebie (22), dans la Grèce, passa en Italie et s'établit au milieu des peuples barbares qui l'habitaient, dont il adopta le langage et les mœurs? Est-ce plutôt parce que, ayant trouvé les Italiens sauvages et féroces, il leur donna des mœurs plus douces, les poliça et leur inspira le goût de l'agriculture (23)?


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23. Pourquoi tout ce qui sert aux funérailles se vend-il dans le temple de la déesse Libitine, qu'ils croient être la même que Vénus?

Est-ce encore une des sages institutions de Numa, qui aura voulu par là leur apprendre à n'avoir pas horreur des cérémonies funèbres, comme si c'étaient des choses abominables? Était-ce pour les faire ressouvenir que tout ce qui naît est périssable , puisque la même déesse préside à la naissance et à la mort? On voit à Delphes une statue de Vénus Épitymbia, auprès de laquelle on évoque les mânes, pour leur faire des libations (24).

24. Pourquoi ont-ils, dans chaque mois, trois époques fixes et invariables, mais séparées entre elles par des intervalles inégaux ?

Est-ce, comme le prétend Juba, parce qu'aux calendes les magistrats convoquaient le peuple et lui annonçaient les nones pour le cinquième jour? Quant aux ides, ils les regardaient comme un jour sacré. Ou n'est-ce pas plutôt que, réglant les époques du jour sur les phases de la lune, ils en ont remarqué trois principales dans chaque mois : la première, dans sa conjonction avec le soleil, où elle n'est pas visible ; la seconde, lorsque se dégageant des rayons solaires , elle commence à nous apparaître dans la partie occidentale du ciel; la troisième, enfin, quand son orbe est tout éclairé et qu'elle est dans son plein. La phase où elle n'est pas visible porte le nom de calendes, parce qu'en leur langue ils expriment ce qui se fait en cachette par le mot clam, d'où ils ont fait le verbe ce/are, cacher. Ils donnent, par une appellation très juste,


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à sa première apparition, le nom de nones, ou nouvelle lune. Ils dérivent leur mot novus, nouveau, de notre terme grec νέος. Les ides ont pris leur nom ou de la beauté du jour, parce qu'alors la lune brille dans tout son éclat, ou de Jupiter, dont le nom grec signifie forme, beauté. Mais, dans cette matière, il ne faut pas s'attacher avec une précision rigoureuse au nombre des jours, ni chicaner sur un léger défaut de justesse dans le calcul, puisque aujourd'hui même que les observations astronomiques ont été si fort multipliées, la lune, par l'inégalité de ses mouvements, met en défaut les raisonnements des physiciens et échappe à leurs calculs.

25. Pourquoi n'est-il pas permis d'entreprendre un voyage ni même de sortir de la ville le lendemain des calendes, des nones et des ides?

Est-ce, suivant l'opinion commune et d'après le récit de Tite-Live lui-même, parce que les tribuns militaires, s'étant mis en marche contre les Gaulois le lendemain des ides de juillet, ils perdirent, auprès du fleuve Allia, cette bataille funeste qui fut suivie de la prise de Rome ? Ce jour fut regardé comme malheureux, et bientôt la superstition gagnant de plus en plus, comme il n'est que trop ordinaire, s'étendit au lendemain des calendes et des nones. Mais cette opinion a trouvé bien des contradicteurs. D'un côté, on dit que cette déroute auprès du fleuve Allia arriva un autre jour que les ides; d'ailleurs ils ont plusieurs autres jours estimés malheureux qu'ils n'observent pas dans tous les mois, mais seulement dans ceux auxquels les événements sont arrivés. De plus, est-il vraisemblable qu'un seul lendemain des ides regardé comme funeste ait entraîné dans la même superstition ceux des calendes et des nones?

Ne faut-il pas plutôt penser qu'ayant consacré le premier de leurs mois aux dieux du ciel, et le second aux mânes (c'est dans celui-ci qu'ils font les expiations pour


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les morts), ils ont aussi consacré par des fêtes les trois époques principales de chaque mois, et en ont destiné le lendemain aux mânes, en défendant qu'on fit dans ces trois jours aucune entreprise? Les Grecs, qui honorent les dieux le jour de la nouvelle lune, consacrent de même le lendemain aux génies et aux héros, à qui, dans les repas, ils font aussi les secondes libations. En effet , le temps est une sorte de nombre, et le principe de tout nombre, c'est-à-dire l'unité, est regardé comme sacré. Le nombre deux, qui suit l'unité, lui est opposé, et forme le premier nombre pair ; or, tout nombre pair est défectueux, imparfait et indéterminé ; le nombre impair a les propriétés contraires. Aussi les nones sont-elles le cinquième jour après les calendes; les ides le neuvième après les nones ; et ces principales époques sont séparées entre elles par des intervalles impairs. Mais les jours qui suivent ces trois époques forment des nombres pairs et n'ont, par conséquent, ni la même dignité ni la même vertu. C'est pour cela qu'ils ne voyagent point dans ces sortes de jours et qu'ils n'entreprennent aucune affaire importante.

Ou faut-il appliquer à ce sujet l'apologue connu de Thémistocle? Ce général disait que le jour de fête avait été appelé en justice par son lendemain, qui prétendait que son adversaire entraînait beaucoup de soins et d'embarras, et que lui il faisait jouir tranquillement de ce qu'on avait préparé pour le jour de fête. « Ce que tu dis est vrai, répondit ce dernier; mais si je n'avais été, tu n'existerais pas. » Thémistocle appliquait cet apologue aux généraux qui lui avaient succédé, pour leur faire entendre qu'ils n'auraient rien été si lui-même n'eût sauvé la Ville. De même, tout voyage et toute affaire importante exigent des préparatifs et des soins ; et les Romains, aux jours de fête, suspendaient toute autre affaire pour ne s'occuper que du culte des dieux, d'après l'avertisse-


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 ment que leur en donne le pontife lorsqu'ils commencent le sacrifice : « Soyez à ce que vous faites. « Ainsi il n'était guère possible qu'ils fissent des voyages ou qu'ils entreprissent rien d'important le lendemain des jours de fête, puisqu'ils n'avaient pu rien préparer. Ils l'employaient donc à disposer chez eux ce qu'ils avaient à faire. Serait-ce enfin une suite de la pratique qu'ils observent encore, de rester, après le sacrifice, assis quelque temps dans les temples ? Ils ne font pas non plus succéder immédiatement aux jours de fête des jours de travail et d'action, mais ils les séparent par quelque intervalle, pour mieux se disposer aux affaires, qui souvent sont difficiles et contrarient les projets des hommes.

26. Pourquoi, dans le deuil, les femmes portent-elles des robes blanches et des voiles de même couleur?

Est-ce à l'exemple des mages, qui se munissent d'un habit éclatant et. lumineux contre Pluton et les ténèbres des enfers ? Veulent-ils que les parents du mort soient vêtus de la même couleur que les linceuls dont on l'enveloppe? Or ils parent ainsi le corps du mort, parce qu'ils ne peuvent vêtir son âme, qu'ils veulent conduire hors de ce monde pure et brillante, comme désormais affranchie des combats et des traverses qu'elle a eus à soutenir. Serait-ce qu'une couleur simple et unie convient mieux au deuil, au lieu que les couleurs composées sont faites pour le faste et le luxe? Car on peut dire du noir, aussi bien que du pourpre : ce sont des vêtements et des couleurs trompeuses (25). Les corps qui sont noirs de leur pro-


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pre substance, s'ils n'ont pas été colorés par l'art, le sont a» moins par la nature. Le blanc seul est une couleur pure, sans mélange, inimitable à l'art, et par cela même convenable aux morts qu'on ensevelit. Un mort est devenu un être pur, simple et sans composition ; son corps était en lui comme une couleur étrangère qui altérait sa simplicité, et la mort l'en dégage. A Argos, au rapport de Socrate (26), on porte, dans le deuil, des robes blanches lavées dans de l'eau pure.

27. Pourquoi regardent-ils, en général, tous les murs comme sacrés, et qu'ils n'ont pas le même respect pour les portes ?

Est-ce, comme le dit Varron, afin que les citoyens combattent plus courageusement et jusqu'à sacrifier leur vie pour la défense des murailles ? On croit même que Romulus ne tua son frère Rémus que parce qu'en franchissant un espace consacré il l'avait rendu profane. Pour les portes, elles ne pouvaient pas être sacrées, puisqu'elles servaient de passage aux choses nécessaires à la vie et même aux morts qu'on portait en terre. Celui donc qui voulait bâtir une ville commençait par tracer avec une charrue attelée d'un bœuf et d'une vache tout l'espace que les murailles devaient occuper, et lorsqu'il avait mesuré celui qui était destiné aux portes, il ôtait le soc et soulevait la charrue, parce que tout le terrain qu'elle touchait était sacré et inviolable (27).

28. Pourquoi défendent-ils aux enfants de jurer par Hercule dans l'intérieur de la maison, et qu'ils les obligent, pour le faire, de sortir en plein air?

Est-ce, comme plusieurs le veulent, parce que ce héros


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n'aima point à être renfermé dans des murailles, qu'il vécut toujours en plein air et dans des courses continuelles ? Ou n'est-ce pas plutôt parce que Hercule était pour eux un dieu étranger et non indigène? Ce qui porterait à le croire , c'est qu'ils ne jurent aussi par Bacchus qu'en plein air, et c'était encore pour eux un dieu étranger (28). N'est-ce enfin qu'un badinage qu'on fait aux enfants? Favorinus, cependant, croit qu'on a voulu par là prévenir en eux une trop grande facilité pour le serment. L'obligation de sortir est une espèce de préparatif qui cause quelque délai et leur donne le temps de la réflexion. Je croirais volontiers avec Favorinus que si cet usage était particulier à Hercule, c'est que ce dieu eut un tel respect pour le serment, qu'il ne l'employa qu'une seule fois, à l'égard de Phylès, fils d'Augias. Aussi la prêtresse de Delphes reprocha-t-elle aux Lacédémoniens l'habitude qu'ils avaient de jurer ; elle leur dit qu'il valait mieux tenir fidèlement sa parole sans faire de serment (29).

29. Pourquoi ne souffrent-ils pas qu'une nouvelle mariée touche le seuil de la porte pour entrer dans la maison de son mari, et que les pronubes (30) l'enlèvent dans leurs bras pour le lui faire franchir?

Cet usage vient-il de ce que les premières femmes qu'ils eurent n'y entrèrent pas volontairement et y furent transportées dans les bras de leurs ravisseurs (31)? Est-ce qu'elles


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veulent avoir l'air de n'entrer que par force dans un lieu où elles doivent perdre leur virginité ? Est-ce pour leur faire entendre qu'elles ne doivent pas quitter la maison, à moins qu'elles n'y soient forcées, comme elles l'ont été pour y entrer? En Béotie, on brûle devant la porte du mari l'essieu de la voiture dans laquelle la nouvelle mariée a été conduite, pour lui apprendre qu'elle est obligée de rester à la maison, d'où on lui ôte les moyens de sortir.

30. Pourquoi la nouvelle mariée, lorsqu'elle entre dans la maison de son époux, est-elle obligée de prononcer ces mots : Où vous serez, Caïus, moi, Caïa, je serai aussi?

Cette formule signifie-t-elle que la femme entre chez son mari sous la condition de partager avec lui la propriété et le gouvernement de la famille? Et alors ces paroles voudraient dire : « Où vous serez maître et seigneur, je serai aussi dame et maîtresse. » Ces mots Caïus et Caïa sont des noms communs qu'ils emploient pour désigner les personnes, comme les jurisconsultes font de ceux de Caïus, Seïus, Lucius, Titius, et les philosophes, dans leurs écoles, de ceux de Dion ou de Théon. Est-ce en mémoire de Caïa Cécilia, femme d'un des fils de Tarquin et célèbre par sa vertu, dont on voyait très anciennement la statue dans le temple de Sanctus ? elle avait des sandales aux pieds et un fuseau à la main, symboles de sa vie retirée et laborieuse (32).

31. Pourquoi, dans les noces, emploie-t-on ce chant si connu qu'on appelle Talasius ?


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Ce nom vient-il de talasia, ouvrage- de laine ? Car les Latins disent talasus pour talarus. Quand la nouvelle épouse est entrée dans la maison, on la fait asseoir sur une peau de mouton garnie de sa laine. Elle est obligée d'apporter une quenouille avec un fuseau, et de couronner de laine la porte de la maison. Ou faut-il s'en tenir au rapport des historiens, qui disent que lors de l'enlèvement des Sabines, il y avait à Rome un jeune guerrier aussi célèbre par ses vertus que par ses exploits nommé Talasius? Des plébéiens ses clients avaient enlevé pour lui une jeune Sabine de la plus grande beauté, et afin que personne ne vînt la leur ravir ni la leur disputer, ils criaient, en l'enlevant, qu'elle était destinée à Talasius. Une foule de citoyens, par honneur pour ce guerrier, la conduisirent jusque chez lui avec de grandes acclamations. Ce mariage fut heureux, et il passa depuis en usage d'invoquer dans le mariage Talasius, comme les Grecs invoquent l'Hyménée.

32. Pourquoi, au mois de mai, jettent-ils du haut du pont de bois dans le Tibre des figures d'hommes qu'ils appellent Argiens ?

Cela vient-il de ce que les Barbares qui habitaient anciennement le pays faisaient périr de cette manière les Grecs qui tombaient entre leurs mains? Mais Hercule, dont ils admiraient la valeur, abolit cette coutume meurtrière et leur conseilla de jeter dans le fleuve ces sortes de figures, afin de satisfaire leur superstition. Or, dans les premiers temps,on donnait également à tous les Grecs le nom d'Argiens. Faut-il attribuer cet usage au roi Évandre, qui s'enfuit de la Grèce et vint s'établir en Italie ? Et les Arcadiens de sa suite, qui regardaient les Grecs comme leurs ennemis, à cause du voisinage, voulurent, par cet usage, perpétuer le souvenir de leur haine contre ces peuples (33).


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33. Pourquoi les anciens Romains n'allaient-ils jamais manger en ville sans y mener leurs fils, même les plus jeunes?

Était-ce pour imiter l'institution de Lycurgue, qui avait établi que les enfants seraient admis aux repas communs, afin que la présence et l'inspection des vieillards les accoutumassent à user des plaisirs avec modération, au lieu de s'y livrer sans frein et sans mesure, comme les bêtes? D'ailleurs les pères eux-mêmes étaient contenus par la vue de leurs enfants et se conduisaient avec plus de réserve. En effet, quand les vieillards, dit Platon, sont sans retenue, les jeunes gens perdent nécessairement toute pudeur.

34. Pourquoi Brutus, au rapport de Cicéron, faisait-il les expiations pour les morts au mois de décembre, tandis que les autres Romains les faisaient dans le mois de février?

Ce Brutus (34) est celui qui entra dans la Lusitanie et passa le premier le fleuve d'oubli (35).

Était-ce que, conformément à l'usage où l'on est de rendre ces devoirs aux morts à la fin du jour et du mois, il croyait plus naturel de le faire aussi à la fin de l'année et dans le dernier mois, qui est celui de décembre ? Était-ce parce que ces honneurs se rendaient aux dieux mânes, et que la saison la plus naturelle pour les honorer était, selon Brutus, celle où tous les fruits sont cueillis? Croyait-il que le temps le plus propre pour penser aux mânes


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tait celui où l'ou commence à ouvrir la terre pour lui confier les semences? Voulait-il par là honorer Saturne, à qui ce mois est consacré et qu'on compte parmi les dieux des enfers? Était-ce parce que les Saturnales, une de leurs plus grandes fêtes, et dans laquelle ils se livrent davantage à la bonne chère et aux plaisirs, se célébraient ce mois-là, et qu'il voulait en offrir aux morts quelques prémices? Mais plutôt n'est-il pas faux que Brunis fût le seul qui fit ces sacrifices au mois de décembre? Car c'est aussi dans ce mois qu'on rend les honneurs funèbres à Larentia et qu'on fait des libations sur son tombeau.

35. Pourquoi rendent-ils de si grands honneurs à Larentia, qui ne fut qu'une courtisane?

Je ne parle point de cette Acca Larentia qui fut nourrice de Romulus et qu'ils honorent dans le mois d'avril. L'autre était surnommée Fabula, et voici son histoire. Un prêtre d'Hercule à qui, selon l'usage, son état laissait beaucoup de loisir, passait presque tout son temps à jouer aux dés et aux osselets. Un jour qu'il ne vint aucun de ceux qui avaient coutume de faire sa partie, il proposa au dieu de jouer avec lui, à condition que s'il gagnait, Hercule lui accorderait une grâce à son choix, et que s'il était battu, il donnerait à souper au dieu et lui amènerait une belle femme. Il jette les dès d'abord pour Hercule, ensuite pour lui-même, et perd la partie. Fidèle aux conventions, il dresse pour le dieu un souper magnifique auquel il invite la courtisane Larentia. Le souper fini, il la laisse dans le temple, dont il ferme les portes. La nuit, dit-on, Hercule eut commerce avec elle d'une manière toute divine, et le lendemain, à la pointe du jour, il lui ordonna d'aller sur la place publique, de suivre le premier citoyen qu'elle rencontrerait et de tâcher d'en faire son ami. Larentia sort du temple et rencontre un homme riche nommé Tarruntius, qui n'avait point d'enfant et qui commençait à vieillir, fille l'accosta, et dès qu'il eut


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fait connaissance avec elle, il la mit à la tête de sa maison et, en mourant, lui laissa tous ses biens. Larentia fit, à sa mort, le peuple romain son héritier, et de là les honneurs qu'on lui rend (36).

36. Pourquoi donnent-ils le nom de fenêtre à une porte de Rome auprès de laquelle est un bâtiment appelé la chambre de la Fortune?

Est-ce parce que le roi Servius, qui fut très heureux, passait pour avoir un commerce secret avec la Fortune, qui, dit-on, entrait chez lui par la fenêtre ? Ou ce récit n'est-il qu'une fable, et ce nom vient-il de ce qu'après la mort de Tarquin l'Ancien, Tanaquil, sa veuve, femme d'une prudence et d'une sagesse dignes de son rang, harangua le peuple par la fenêtre de son palais et lui persuada d'élire Servius pour roi ?

37. Pourquoi de toutes les offrandes qu'on fait aux dieux, les dépouilles prises sur les ennemis sont-elles les seules qu'on laisse périr, sans qu'il soit permis de les réparer ?

Croient-ils que la gloire qu'ils ont acquise en les remportant périt avec elles, et veulent-ils par là s'encourager à en obtenir de nouvelles? Ou plutôt regardent-ils comme la marque odieuse d'un esprit de discorde, de renouveler ces preuves de leurs anciennes divisions avec leurs ennemis, après que le temps les a détruites? Chez les Grecs mêmes, on n'approuve point ceux qui ont élevé les premiers des trophées de pierre et d'airain.


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38. Pourquoi Q. Métellus, homme prudent et instruit, lorsqu'il fut devenu souverain pontife, défendit-il qu'on prît les auspices après le sixième mois, aujourd'hui le mois d'août ?

Est-ce que, comme nous sommes dans l'usage de ne les prendre qu'à la naissance du jour ou à midi, au commencement et au milieu du mois, et' non le soir ou les derniers jours du mois, temps que nous croyons peu propres aux affaires, Métellus aussi regarda les mois qui suivent les huit premiers comme le soir de l'année, qui penche déjà vers son déclin? Est-ce afin de n'employer que des oiseaux bien formés et dans la force de l'âge, tels qu'ils sont avant l'été, au lieu qu'aux approches de l'automne, les uns sont malades et languissants, les autres encore trop petits, et plusieurs disparaissent, chassés par les premiers froids dans d'autres contrées?

39. Pourquoi les citoyens qui n'ont pas prêté le serment militaire ne peuvent-ils pas, lorsqu'ils se trouvent dans le camp, tuer un ennemi ni le blesser?

(Cette loi est attestée par Caton l'Ancien, qui écrivait un jour à son fils que si le temps de son service était fini, il revînt à Rome, ou que s'il restait à l'armée, il obtînt du général la permission de combattre les ennemis. ) Croient-ils que la nécessité seule peut donner le droit de faire périr quelqu'un, et que le tuer sans une loi et un ordre exprès, c'est être homicide ? C'est pour cela sans doute que Cyrus loua Chrysante, qui, ayant le bras levé pour percer un ennemi et entendant sonner la retraite, se retint et ne le frappa point, parce qu'il ne croyait plus en avoir le droit. Serait-ce que tout soldat qui, dans une bataille, vient à lâcher le pied, doit pouvoir être cité et puni, parce que sa fuite est d'un plus mauvais exemple que la mort ou la blessure d'un ennemi ne peut être utile? Or, celui qui a son congé n'est plus sujet aux lois militaires; mais s'il demande à remplir les devoirs de


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 soldat, il est soumis aux lois et justiciable de son général.

40. Pourquoi est-il défendu au prêtre de Jupiter de se frotter d'huile en plein air ?

Est-ce par la même raison qu'ils regardent comme une indécence qu'un fils paraisse nu devant son père, et un gendre devant son beau-père, et qu'autrefois même ils ne prenaient pas le bain ensemble ? Or Jupiter est le père des hommes, et ce qui se fait en plein air est surtout exposé à ses regards. Est-ce que, comme il est défendu d'ôter ses habits dans un temple, ils ont le même respect pour l'air, qu'ils croient rempli de dieux et de génies (37) ?

C'est pour cela que nous faisons bien des choses, même nécessaires, dans le secret de nos maisons et comme hors de la présence des dieux. D'ailleurs, n'y a-t-il pas des actions que le prêtre seul peut faire, et d'autres que la loi commande à tous par l'organe du prêtre? Ainsi, dans la Béotie, le droit de porter une couronne et des armes, de laisser croître ses cheveux, et la défense d'entrer dans les terres des Phocéens (38), sont des choses particulières au seul magistrat ; mais de ne manger des pommes qu'après l'équinoxe d'automne, de ne pas tailler la vigne avant celui du printemps, ce sont des pratiques que le magistrat commande à tous les citoyens, afin que chacune se fasse dans sa saison. De même, chez les Romains, le prêtre de Jupiter est le seul qui ne puisse ni aller à cheval, ni passer plus de trois nuits hors de Rome, ni quitter un seul instant son bonnet, marque de sa dignité et d'où lui vient le nom de flamine (39). Mais il est plusieurs lois que


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le prêtre intime à tous les citoyens, et de ce nombre est la défense de se frotter d'huile en plein air (40).

En général, les Romains désapprouvent fort la pratique de s'oindre le corps d'huile publiquement, et ils sont persuadés que rien n'a tant contribué à amollir les Grecs et à les faire tomber dans l'esclavage, que leurs gymnases. C'étaient pour les villes des occasions de paresse, d'oisiveté, d'amusements pernicieux. De là naissaient les vices les plus infâmes. Ces sommeils, ces promenades, ces mouvements réglés et compassés, ce régime si exact et si mesuré, tout cela énervait les corps des jeunes gens. C'est ce qui a fait perdre insensiblement aux Grecs le goût des armes, et au mérite de soldats pesamment armés et de bons cavaliers ils ont préféré celui d'athlètes agiles, de lutteurs adroits, d'hommes de bonne mine. Or il est difficile de ne pas donner dans tous ces écueils dès qu'une fois on ne craint pas de paraître nu en public; au lieu qu'on les évite en se frottant d'huile et en donnant à son corps tous les autres soins nécessaires dans l'intérieur de sa maison.

41. Pourquoi l'ancienne monnaie des Romains portait-elle d'un côté l'empreinte d'un Janus à deux visages, et de l'autre celle de la poupe ou de la proue d'un vaisseau ?

Était-ce, suivant l'opinion la plus commune, pour honorer Saturne, qui vint par mer en Italie? Il est vrai que cela lui fut commun avec bien d'autres héros, tels que Janus, Evandre et Énée. Ainsi je l'attribuerais à une autre cause, qui me paraît bien plus vraisemblable. Rien ne


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contribue tant aux bonnes mœurs des villes qu'une sage législation, et rien ne lui est plus nécessaire que l'abondance. Rome devait à Janus les lois qui avaient adouci les mœurs de ses habitants, et à la navigation de son fleuve les richesses de la terre et de la mer. Elle avait donc mis sur sa monnaie, d'un côté l'empreinte de son législateur, qu'on représentait à deux visages, comme on l'a déjà dit, à cause de l'heureuse révolution qu'il avait opérée ; et de l'autre la navigation du Tibre. Ils eurent aussi une autre monnaie sur laquelle étaient empreints un bœuf, une brebis et un porc, pour signifier que les troupeaux faisaient leurs principales richesses. Aussi la plupart des anciens Romains, au rapport de Fénestella (41), tiraient-ils leur nom de quelque animal, tels que Suillius, Bubulcus et Porcius.

42. Pourquoi ont-ils choisi le temple de Saturne pour en faire le dépôt du trésor public et des archives?

Ont-ils suivi en cela l'opinion généralement établie, que sous le règne de Saturne, les hommes exempts d'avarice et de fraude pratiquaient en tout la justice et la bonne foi? Est-ce parce que ce dieu préside à la culture des terres et des fruits ? car c'est là ce que sa faux désigne et non ce qu'a dit Antimachus, d'après Hésiode :

On voit auprès de lui Saturne, fils du Ciel (42),
Qui, la faux à la main, a mutilé son père.

L'abondance des fruits et la vente qui en a été la suite ont donné naissance à la monnaie, et c'est pour cela qu'on l'a mise sous la garde de Saturne, qui en est regardé comme l'auteur. Ce qui confirme cette opinion, c'est


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que les marchés qui se tiennent tous les neuf jours sur la place publique sont consacrés à Saturne, parce que l'abondance des fruits en a nécessairement amené les achats et les ventes. Peut-être est-ce remonter trop loin, et il est, je crois, plus probable que Valérius Publicola, après l'expulsion des rois, fit le premier du temple de Saturne le dépôt du trésor public, parce qu'il était bien fortifié, exposé à la vue de tout le monde et à l'abri des insultes.

43. Pourquoi les ambassadeurs qui viennent de toutes parts à Rome vont-ils se faire inscrire au temple de Saturne, sur le registre des questeurs?

Cela vient-il de ce que Saturne aimait les étrangers, parce qu'il l'avait été lui-même en Italie? Ou plutôt n'en faut-il pas chercher la solution dans l'histoire? Il paraît qu'anciennement les questeurs envoyaient des présents aux ambassadeurs ; qu'ils avaient soin d'eux lorsqu'ils tombaient malades, et que, s'ils venaient à mourir, ils les faisaient enterrer aux dépens du trésor public. Aujourd'hui la multitude des ambassadeurs qui se rendent à Rome a fait supprimer cette dépense, mais on a conservé l'usage de les faire inscrire sur le registre des questeurs.

44. Pourquoi n'est-il pas permis au prêtre de Jupiter de faire aucun serment?

Est-ce que le serment est une espèce de question pour les gens libres, et que l'âme d'un prêtre ne doit être, non plus que son corps, assujettie à aucune torture? A-t-on cru qu'il serait inconséquent de ne pas s'en rapporter, pour de petites choses, à la parole d'un homme à qui l'on confie les choses les plus sacrées et les plus importantes? Est-ce parce que tout serment finit par des imprécations contre ceux qui se parjureraient? Or l'imprécation est toujours de mauvais augure, et les lois défendent aux prêtres d'en prononcer contre personne. Aussi approuva-t-on la


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prêtresse d'Athènes qui ne voulut point maudire Alcibiade, quoique le peuple le lui ordonnât, et qui répondit qu'elle était faite pour prononcer des vœux et non des malédictions (43). Est-ce enfin de peur que le peuple ne soit
exposé aux suites d'un parjure si un homme qui en serait coupable prononçait des vœux et offrait des sacrifices pour la république?

45. Pourquoi, dans la fête des Vinales (44), verse-t-on du temple de Vénus une grande quantité de vin?

Est-ce, comme on croit assez généralement, parce que Mézence, roi des Étrusques, fit offrir la paix à Énée, à condition de lui donner tout le vin qu'il recueillerait cette année? Sur le refus de son ennemi, il promit à ses soldats de leur abandonner ce vin s'il était vainqueur. Énée, informé de cette promesse, consacra le vin aux dieux ; il vainquit Mézence et répandit devant le temple de Vénus tout le vin qu'il recueillit. Peut-être est-ce un avertissement symbolique qu'on donne au peuple de passer les jours de fête dans la sobriété et d'éviter l'intempérance, parce que les dieux préfèrent une abondante effusion de vin à l'usage excessif de cette liqueur.

46. Pourquoi les anciens Romains laissaient-ils le temple de la déesse Horta toujours ouvert?

Croyaient-ils, comme le dit Antistius Labéon (45), que cette déesse, dont la fonction, suivant que son nom l'indique, est d'exhorter, d'animer au bien, devait être toujours en activité, toujours libre et en mouvement, sans jamais être


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renfermée ni retenue? Ou plutôt ont-ils voulu marquer que cette déesse, qu'ils appellent aujourd'hui Ora, en faisant la première syllabe longue, est toujours en action, toujours occupée, observe avec soin tout ce qui se passe et veille sans distraction sur les actions humaines? Ou ce mot, comme bien d'autres de leur langue, est-il emprunté du grec et exprime-t-il que cette déesse voit tout, et que, comme elle ne se repose jamais, son temple doit rester continuellement ouvert ? Que si la conjecture de Labéon, qui tire le nom de cette déesse du mot exhorter, est fondée, ne pourra-t-on pas donner la même origine au nom d'orateur, puisque le but d'un orateur est d'exhorter, de persuader le peuple, au lieu de le dériver, comme d'autres, des vœux et des prières?

47. Pourquoi Romulus fit-il construire hors de la ville le temple de Vulcain ?

Comme il passait pour fils de Mars, et que peut-être il ajoutait foi à cette jalousie que la Fable raconte de Vulcain contre ce Dieu, à cause de ses amours avec Vénus, il n'aura pas voulu que Vulcain et Mars eussent dans la même ville un domicile commun. Mais sans adopter cette tradition .ridicule, ne faut-il pas croire plutôt que ce temple fut bâti par ce prince, au commencement de son règne, pour s'y assembler avec Tatius, son collègue au trône, et y délibérer en secret avec lès sénateurs sur les affaires publiques, sans qu'on vînt les interrompre? Ou est-ce parce qu Rome ayant été, dans les premiers temps, sujette à de fréquents incendies, il voulut bien honorer le dieu du feu, mais il plaça son temple hors de la ville (46)?


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48. Pourquoi, aux fêtes de Consus (47), couronne-t-on les chevaux et les ânes, et les dispense-t-on de tout travail ?

Est-ce parce que ces fêtes sont consacrées à Neptune équestre, et que l'âne, qui est l'associé du cheval dans le travail, partage aussi son repos ? Est-ce que, dans cette saison, la navigation, qui devient favorable, permet qu'on laisse reposer quelques jours les bêtes de somme (48)?

49. Pourquoi ceux qui briguaient les charges étaient-ils obligés, au rapport de Caton, de quitter la toge et de n'avoir qu'une simple tunique?

Craignait-on qu'ils ne cachassent de l'argent sous leur toge pour acheter les suffrages? Ou les candidats, qui savaient que le peuple jugeait dignes des magistratures non les citoyens les plus distingués par leur naissance, leurs richesses ou leur crédit, mais ceux qui avaient reçu plus de blessures à l'armée, venaient-ils au Champ-de-Mars sans toge, afin qu'on pût voir les cicatrices dont ils étaient couverts ? Était-ce une manière plus humble de gagner la faveur du peuple , comme ils employaient aussi pour cela les prières et les autres marques de soumission?

50. Pourquoi le flamine de Jupiter, selon le rapport d'Atéius, perdait-il sa dignité quand sa femme venait à mourir?

Pensait-on que celui qui a perdu sa femme est plus malheureux que celui qui est resté célibataire ? En effet,


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la famille d'un homme marié est complète ; celle d'un homme veuf est imparfaite et, pour ainsi dire, mutilée. Est-ce parce que la femme du flamine partage son sacerdoce, et qu'il est plusieurs sacrifices qu'il ne peut faire sans elle? Il n'est pas toujours facile ni même convenable d'en épouser une autre aussitôt après la mort de la première ; aussi ne lui a-t-il jamais été permis de la répudier. De nos jours seulement, Domitien l'a permis une fois. Encore les prêtres assistèrent-ils à la dissolution du mariage, qu'ils accompagnèrent des cérémonies les plus tristes et les plus extraordinaires. Au reste, on sera moins surpris de cet usage lorsqu'on saura que si un des censeurs venait à mourir, son collègue était obligé d'abdiquer (49). Le censeur Livius Drusus étant mort, Scaurus Émilius, son collègue, ne voulait pas quitter sa charge. Les tribuns du peuple, pour l'y forcer, le firent mettre en prison.

51. Pourquoi placent-ils un chien auprès des dieux lares, qu'ils appellent prestites, et qu'ils les vêtissent de peaux de chien ?

Est-ce parce qu'ils président à la maison, et qu'à ce titre, ils doivent veiller à sa défense et, à l'exemple des chiens, se montrer redoutables aux étrangers et doux aux gens de la maison ? Faut-il adopter l'opinion de quelques Romains qui pensent avec les sectateurs de Chrysippe qu'il erre dans l'univers de mauvais génies, dont les dieux se servent, comme de bourreaux, pour châtier les méchants et les impies? De même à Rome, regarde-t-on les lares comme des génies redoutables, destinés au châtiment des humains et chargés de veiller sur ce qui se passe dans l'intérieur des maisons. Ils sont donc vêtus


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de peaux de chien et ont un de ces animaux auprès d'eux pour signifier qu'ils sont habiles à éventer les méchants et à les punir.

52. Pourquoi immolent-ils un chien à la déesse Mana-Geneta, et qu'ils lui demandent qu'aucun de ceux qui sont dans la maison ne devienne bon?

Geneta préside aux enfantements et à la production des choses périssables. Ses noms eux-mêmes désignent une génération qui s'écoule. Ainsi, les Romains lui immolent un chien pour ceux qui naissent dans leurs maisons, comme les Grecs font à Hécate. Socrate dit que les Argiens sacrifient aussi un chien à Lucine, pour en obtenir un heureux enfantement. Mais la prière que les Romains font à la déesse Geneta ne regarde-t-elle pas les chiens qui naissent dans leurs maisons, plutôt que les hommes? Ils demandent qu'ils soient méchants et qu'ils se fassent craindre aux étrangers. Serait-ce que, comme on donne le nom de bons à ceux qui sont morts, ils la prient indirectement par cette formule que personne de la famille ne meure? Il ne faut pas au reste s'étonner de cette expression. Aristote rapporte que dans le traité fait entre les Spartiates et les Arcadiens, il fut convenu qu'on ne rendrait bon, c'est-à-dire qu'on ne ferait mourir aucun des Tégéates qui se seraient déclarés pour les Lacédémoniens.

53. Pourquoi, dans les jeux capitolins, fait-on encore aujourd'hui proclamer par un héraut : Sardiens à vendre, et qu'on produit, par raillerie, un vieillard qui, comme les enfants, porte une bulle pendue au cou ?

Les Véïens d'Étrurie avaient résisté longtemps à Romulus. Il se rendit enfin maître de leur ville et fit vendre publiquement un grand nombre de prisonniers avec leur roi, en leur reprochant leur faiblesse et leur folie. Or, les Étrusques tiraient leur origine des Lydiens, dont Sardes était la capitale. C'est pour cela qu'on les proclamait sous


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ce nom, et l'usage s'en est conservé par plaisanterie (50).

54. Pourquoi donnent-ils le nom de macellum à la boucherie?

Est-ce, comme dans bien d'autres mots de leur langue, par corruption du mot mageiros, qui en grec signifie cuisinier? Le C. des Latins et le gamma des Grecs ont entre eux une grande affinité. Ils n'ont adopté que tard le G, dont Sp. Carbilius fut l'inventeur, et parmi eux les bègues, par une suite de leur difficulté de langue, prononcent la lettre R comme L. Ou faut-il résoudre la question par l'histoire ? On dit qu'un brigand nommé Macellus, qui commettait à Rome les plus grands excès, et qu'on eut bien de la peine à arrêter, fut enfin pris et puni du dernier supplice. On confisqua ses biens et on les employa à bâtir les boucheries, qui prirent son nom.

55. Pourquoi, aux ides de janvier, est-il permis aux joueurs de flûte de se promener dans les rues de Rome avec des habits de femme ?

Je ne sais si la raison qu'on en donne est la véritable. Numa, dit-on, leur avait accordé de très grands honneurs, à cause des fonctions qu'ils remplissaient dans les cérémonies religieuses. Les tribuns militaires, qui avaient remplacé les consuls, les leur ayant ôtées, les musiciens sortirent tous de la ville et se retirèrent à Tibur. On les regretta bientôt, par le scrupule qu'on eut de voir les prêtres faire leurs sacrifices sans qu'aucun instrument les accompagnât (51). Invités de revenir, ils le refusèrent. Alors


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un affranchi promit secrètement aux magistrats qu'il les ramènerait. Il se rend à Tibur, fait préparer un grand banquet, comme pour sacrifier aux dieux, invite les musiciens à s'y trouver, et y appelle aussi plusieurs femmes. On passe la nuit à boire, à jouer, à se divertir. Tout à coup il fait répandre le bruit de l'arrivée imprévue de son patron. Il affecte tin grand trouble, persuade aux musiciens de monter dans des chars entourés de peaux, en leur promettant de les ramener à Tibur. Mais il les trompait, et leur ayant fait prendre des détours dont la nuit et plus encore les vapeurs du vin les empêchèrent de s'apercevoir, il les conduisit à Rome, où ils arrivèrent à la pointe du jour, la plupart avec les habits de femme qu'ils portaient dans leur banquet nocturne. Les magistrats les apaisèrent, et il fut arrêté que désormais, à pareil jour, ils auraient la liberté de se promener ainsi vêtus dans les rues de Rome.

56. Pourquoi le temple de la déesse Carmenta fut-il anciennement dédié par les dames romaines, et qu'elles lui rendent encore aujourd'hui des honneurs particuliers?

On raconte que le Sénat ayant interdit aux dames romaines les voitures attelées de chevaux, elles firent, pour se venger, le complot de n'avoir plus d'enfants, et elles tinrent parole, jusqu'à ce que le Sénat eût levé la défense. Alors elles eurent des enfants, et en reconnaissance de cette heureuse fécondité, elles bâtirent un temple à la déesse Carmenta (52). Cette Carmenta, mère d'Évandre, s'appelait Thémis, et selon d'autres, Nicostrate. Elle vint avec son fils en Italie, et comme elle prononçait des oracles en vers, les Latins lui donnèrent le nom de Carmenta, du mot carmen, qui dans leur langue signifie vers.


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Il y en a qui disent que Carmenta est la même que la Parque, et que c'est à ce titre que les dames romaines lui font des sacrifices. Son nom, qui signifie privée de raison, lui a été donné à cause de ses inspirations. Alors ce ne serait pas des vers qu'elle aurait tiré son nom, mais plutôt les vers auraient eu leur nom d'elle, parce que dans son enthousiasme, elle prononçait ses oracles en vers.

57. Pourquoi les dames romaines, quand elles sacrifient à la déesse Rumina (53) arrosent-elles de lait les victimes, et qu'elles n'emploient jamais de vin?

Est-ce parce que le mot ruma signifie en latin mamelle ? Et de là vient qu'ils appellent ruminalis le figuier auprès duquel la louve allaita Romulus, comme nous appelons les nourrices thélonas, du mot thélé, mamelle. Or Rumina, qui présidait à la nourriture des enfants, ne voulut point qu'on lui offrît du vin, parce qu'il est pernicieux à cet âge.

58. Pourquoi donnent-ils à une classe de sénateurs le nom de pères conscrits, et à une autre simplement celui de pères?

N'appellent-ils pères et patriciens que ceux qui descendent des premiers sénateurs institués par Romulus, et qui peuvent citer leurs pères, au lieu qu'ils donnent le nom de pères conscrits à ceux des familles plébéiennes qui sont entrées depuis dans le Sénat ?

59. Pourquoi honorent-ils sur un même autel Hercule et les Muses?

Est-ce, comme le dit Juba, parce que Hercule instruisit Evandre dans les sciences, et que cette instruction était alors regardée comme le bienfait le plus précieux (54)? Ce


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ne fut que bien tard qu'on commença à payer des maîtres. Sp. Carbilius, affranchi de celui qui donna le premier exemple de divorce, ouvrit le premier une école mercenaire.

60. Pourquoi les femmes n'ont-elles pas la liberté de rien prendre ni de rien goûter des victimes qu'on immole sur le plus grand des deux autels d'Hercule?

Est-ce parce que Carmenta ne vint qu'après que le sacrifice fut fini ? Il en fut de même pour la famille des Pinariens, et c'est de là qu'elle a tiré son nom. Pendant que les autres mangent, ils sont simples spectateurs (55).

Est-ce à cause de la robe empoisonnée que Déjanire donna, dit-on, à Hercule ?

61. Pourquoi est-il défendu de dire et de demander si la divinité tutélaire de Rome est un dieu ou une déesse, et qu'on ne peut pas prononcer son nom?

Ils donnent à cette défense une cause superstitieuse. Ils prétendent que Valérius Soranus périt malheureusement pour avoir dit ce nom. Quelques uns de leurs historiens lui donnent une autre origine. Ils disent que les Romains, qui, à la faveur de quelques charmes magiques, avaient attiré dans leur ville les dieux des nations enne-


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mies, craignirent qu'en nommant leur divinité tutélaire, on ne fît de même à son égard (56). Les Tyriens enchaînent leurs idoles; d'autres peuples, quand ils envoient les leurs pour quelques cérémonies religieuses, exigent des otages de leur retour. Les Romains ont cru que rien ne leur assurerait davantage la conservation de leur divinité tutélaire, que d'en cacher à tout le monde la connaissance et le nom. Homère a dit :

Les dieux ont en commun l'empire de la terre.

Il voulait que les hommes, qui habitent la terre en commun, honorassent également tous les dieux. De même les anciens Romains ont caché le nom de leur dieu tutélaire, afin que leurs citoyens rendissent à tous les autres dieux le culte qui leur est dû.

62. Pourquoi, parmi les féciaux (57), celui qu'ils appellent pater patratus tient-il le premier rang?

(On donne ce nom à celui qui a des enfants et dont le père vit encore ; il a même de nos jours d'assez beaux privilèges, et c'est à lui que les préteurs confient les personnes qui, par leur jeunesse et leur beauté, ont besoin d'être gardées avec beaucoup de vigilance.)

Sa prééminence vient-elle de ce qu'il a tout à la fois de la réserve à l'égard de ses enfants, et de la crainte pour son père, ou son nom seul en donne-t-il la solution ? Patratus signifie parfait, accompli, et celui-là passait pour le plus parfait, qui avait des enfants du vivant de


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son père. C'est peut-être que celui qui préside aux serments et aux traités de paix doit, selon Homère, voir devant et derrière lui, et c'est ce que peut faire mieux qu'un autre celui qui a des enfants pour qui il délibère, et un père avec qui il peut délibérer.

63. Pourquoi le roi des sacrifices ne peut-il exercer aucune magistrature ni haranguer le peuple ?

Les rois, qui anciennement faisaient eux-mêmes les sacrifices les plus importants et assistaient les prêtres pour l'immolation des victimes, ayant usé tyranniquement de leur puissance, la plupart des peuples de la Grèce leur ôtèrent toute autorité, et ne leur laissèrent que le droit de sacrifier aux dieux. Mais les Romains, qui chassèrent leurs rois sans retour, élurent pour les sacrifices un roi à qui ils ne permirent d'exercer aucune magistrature ni de haranguer le peuple, afin de ne paraître obéir à un roi que dans les cérémonies de la religion et, pour ainsi dire, en faveur des dieux. Aussi, lorsque ce roi a fait, avant les comices, un sacrifice d'usage établi par les anciens Romains, il s'enfuit précipitamment de la place publique (58).

64. Pourquoi, quand ils quittent la table, veulent-ils qu'on y laisse quelque chose ?

Est-ce pour faire entendre qu'on doit garder sur ses revenus quelque chose pour l'avenir, et que chaque jour il faut penser au lendemain ? Est-ce par un principe de sagesse qui leur fait réprimer leur appétit, lors même qu'ils ont de quoi le satisfaire? L'habitude de s'abstenir de ce qu'on a, fait qu'on désire moins ce qu'on n'a pas. Est-ce par humanité envers leurs esclaves, qui sont plus flattés


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de participer en quelque sorte à la table de leurs maîtres que de recevoir d'ailleurs leur nourriture ? Est-ce qu'un lieu sacré ne doit jamais rester vide? Et la table est sacrée.

65. Pourquoi la première union du mari et de la femme se fait-elle toujours dans les ténèbres?

Est-ce par respect pour la nouvelle épouse, que le mari regarde encore comme étrangère ? Est-ce pour accoutumer les Romains à ne s'approcher même de leurs femmes qu'avec respect? Ou bien, à l'exemple de Solon, qui avait ordonné que la nouvelle mariée, avant d'entrer dans la chambre de son mari, mangeât de la pomme de coing, afin que leur premier abord fût doux et agréable, le législateur des Romains a-t-il voulu que le mari ne pût pas apercevoir dans ce premier instant les défauts corporels que sa femme pourrait avoir? Est-ce enfin pour donner plus d'aversion des jouissances criminelles, puisqu'on couvre des voiles de la pudeur même les plus légitimes?

66. Pourquoi l'un des cirques de Rome porte-t-il le nom de Flaminius?

Flaminius donna anciennement au peuple un terrain dont on employa le produit à des courses de chevaux, et comme cette dépense ne l'absorbait pas tout entier, on fit du surplus un chemin public qui porta le nom de voie flaminienne.

67. Pourquoi donnent-ils le nom de licteurs à ceux qui portent les faisceaux devant les magistrats ?

Est-ce parce qu'ils marchaient à la suite de Romulus avec des courroies sous leurs robes pour attacher les criminels? On se sert vulgairement du mot alligare pour Iier ; ceux qui parlent plus purement disent ligare. Peut-être n'est-ce que depuis peu qu'on a inséré dans leur nom la lettre C, et qu'autrefois on les appelait litores, c'est-à-dire ministres publics. Personne, je crois, n'ignore


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qu'on trouve encore dans plusieurs anciennes lois de Grèce litos pour public  (59).

68. Pourquoi les luperques, c'est-à-dire ceux qui, aux fêtes lupercales, courent nus dans les rues avec une simple ceinture, en frappant d'une courroie ceux qu'ils rencontrent, sacrifient-ils un chien ?

Est-ce parce que ces fêtes ont pour objet de purifier la ville, qu'elles se célèbrent au mois de février, dont le nom signifie expier en frappant d'une courroie, et que pour cette raison on appelle ces fêtes Februatœ. Or, dans toutes les expiations, les Grecs prenaient un chien pour victime, et l'usage s'en est presque généralement conservé. Entre plusieurs autres expiations, ils offrent à Hécate de petits chiens, touchent avec ces animaux ceux qui ont besoin d'être purifiés, et donnent à cette lustration le nom de périscylacisme (60). Est-ce que, comme lucos signifie loup, et lupercales fêtes du loup, ils immolent un chien parce que cet animal est ennemi du loup? Est-ce parce que les chiens aboient après les luperques lorsqu'ils courent dans les rues? Est-ce enfin parce que ces fêtes se célèbrent en l'honneur du dieu Pan, à qui le chien est agréable à cause de la garde des troupeaux?

69. Pourquoi dans la fête appelée des sept montagnes, ne se servait-on pas autrefois de voitures traînées par des chevaux, et que ceux qui sont fidèles aux usages de leurs ancêtres s'en abstiennent encore aujourd'hui ?

Cette fête se célèbre en mémoire de ce qu'on renferma une septième montagne dans l'enceinte de Rome. Est-ce, comme le croient quelques uns de leurs historiens, parce que les différentes parties de la ville n'étaient pas encore jointes entre elles ? Ou cette opinion est-elle


sans fondement, et cet usage vient-il de ce que n'ayant plus alors le projet d'agrandir davantage la ville, ils instituèrent ces fêtes afin de se ménager quelques jours de repos pour eux-mêmes et pour les animaux qui les avaient aidés à la construire? Ou bien, jaloux que les citoyens rendissent par leur présence toutes leurs fêtes plus brillantes, le désiraient-ils surtout pour celle qu'on instituait en mémoire de la réunion des différents quartiers de la ville? Et pour cet effet, ils avaient défendu ces jours-là l'usage des voitures, afin que personne ne pût sortir de la ville.

70. Pourquoi appelaient-ils furcifer un esclave qui avait été condamné pour cause de vol ou pour d'autres crimes de cette nature ?

Ce genre de punition est-il une suite de l'exactitude des anciens Romains, chez qui tout père de famille qui avait convaincu de crime un de ses esclaves lui mettait au cou une de ces fourches qu'on place sous le timon des chars, et l'obligeait de se promener ainsi dans tout le voisinage, afin qu'on se méfiât de lui? De là vient le nom de furcifer, ou porte-fourche. Car ce que les Grecs appellent soutien, les Latins le nomment fourche.

71. Pourquoi attachent-ils du foin aux cornes des bœufs qui sont sujets à frapper, pour avertir les passants de s'en garantir?

L'abondance rend les chevaux, les bœufs, les ânes et les hommes eux-mêmes pétulants et dangereux ; ce qui fait dire à Sophocle :

Tel qu'un coursier trop bien nourri,
Tu deviens insolent, au sein de l'abondance.

Aussi les Romains disaient-ils que Crassus avait du foin à la corne, et ceux qui, dans les discussions politiques, blâmaient les autres sénateurs, n'osaient s'attaquer à lui, parce qu'il était vindicatif et dangereux à irriter. Dans la


suite, lorsque César, devenu le maître, eut rabaissé sa fierté, on disait que César lui avait ôté le foin de la corne.

72. Pourquoi les augures, anciennement les auspices, ne doivent-ils jamais avoir leurs lampes couvertes ?

Veulent-ils, à l'exemple des pythagoriciens, que de petites choses servent de symboles aux grandes ? et comme ces philosophes défendaient qu'on s'assît sur le boisseau ou qu'on remuât le feu avec l'épée, de même les anciens Romains employaient-ils sou vent des allégories obscures, et surtout dans les choses sacrées? De ce nombre était l'usage relatif aux lampes des augures. La lampe est l'image du corps, qui environne l'âme, et celle-ci est la lumière intérieure, cette intelligence, cette sagesse qui ne doit jamais être couverte ni s'éteindre, mais toujours luire et éclairer. D'ailleurs, quand les vents soufflent, les oiseaux ont un vol inégal, et leur grande mobilité empêche qu'on ne puisse prendre les augures d'une manière assurée. Cet usage est donc un avertissement aux prêtres de prendre leurs augures quand il ne fait pas de vent et que le temps est assez calme pour pouvoir porter leurs lampes découvertes (61).

73. Pourquoi tout augure qui avait un ulcère sur le corps ne pouvait-il pas observer le vol des oiseaux ?

Était-ce encore un symbole de lu pureté qu'exigent les fonctions sacrées, de l'éloignement où ils doivent être de ces passions vives qui, telles que des ulcères rongeurs, troublent la tranquillité de l'âme? Ou plutôt, puisqu'on n'emploie pour les sacrifices et pour les augures aucune victime ni aucun oiseau qui soit vicié, n'est-il pas encore plus convenable que les prêtres qui s'approchent des autels pour connaître la volonté des dieux y apportent une


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pureté parfaite et qu'ils n'aient rien de défectueux? Or, un ulcère est une souillure et comme une mutilation du corps.

74. Pourquoi Servius Tellius consacra-t-il un temple à la fortune petite, que dans leur langue ils appellent brevem ?

Ce prince, qui, né d'une mère captive, était passé d'un rang obscur au trône de Rome, a-t-il voulu reconnaître ce bienfait de la fortune ? Mais alors cette révolution ne marquerait-elle pas la grandeur de la fortune plutôt que sa petitesse ? Au reste, de tous les rois de Rome, nul ne releva autant que Servius la puissance de la fortune, qu'il déifia sous une multitude de titres différents. Il bâtit des temples non seulement à la fortune secourable, préservatrice, douce, premier-née, mâle, mais encore à la fortune propre, revenue, de bonne espérance, et à la fortune vierge. Et qui pourrait compter toutes ses autres dénominations? Il avait même élevé un temple à la fortune visqueuse, c'est-à-dire celle qui nous saisit de loin et nous colle aux affaires. Avait-il observé que la fortune profite des moindres occasions pour étendre son pouvoir ; que souvent les succès les plus éclatants, comme les plus grands revers, tiennent aux plus petits événements ? et en bâtissant un temple à la fortune petite, voulut-il montrer qu'il faut saisir les occasions et ne pas négliger les plus faibles avantages ?

75. Pourquoi ne soufflaient-ils jamais leurs lampes, et qu'ils les laissaient s'éteindre d'elles-mêmes?

Regardaient-ils avec respect ce feu particulier comme une portion du feu éternel, qui ne s'éteint jamais? Était-ce un avertissement symbolique qui marquait qu'il ne faut détruire aucun être qui ait vie, à moins qu'il ne soit nuisible? Or la flamme est semblable à un être animé, en ce qu'elle a besoin d'aliment, qu'elle se meut d'elle-même, et que lorsqu'on la souille, elle jette une sorte de cri,


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 comme si on la faisait périr d'une mort violente. Cet usage nous apprend-il qu'il ne faut détruire ni le feu, ni l'eau, ni aucune des autres choses nécessaires, en quelque abondance que nous les ayons, mais que nous devons les laisser pour l'usage de ceux à qui elles manquent, quand nous n'en avons plus besoin ?

76. Pourquoi les citoyens d'une naissance distinguée portent-ils sur leurs souliers de petites lunes?

Est-ce, comme le dit Castor, pour marquer le séjour qu'on prétend que nous faisons au-dessus de la lune, et qu'après la mort, les âmes auront encore la lune sous leurs pieds? Est-ce une marque distinctive des anciennes familles qui descendent des Arcadiens venus avec Évandre, et qu'on disait être nés avant la lune (62) ? Est-ce, comme bien d'autres usages de cette nature, pour avertir les hommes enflés de leur puissance que la fortune est sujette à changer? Vicissitude désignée par la lune,

Qui, faible dans sa nouveauté,
S'accroît en peu de jours, et sa face arrondie
Brille de tous ses feux ; mais bientôt affaiblie,
En aussi peu de jours elle perd sa clarté.

Est-ce une leçon d'obéissance qu'on a voulu leur donner en leur insinuant que, comme la lune se tient dans la dépendance du soleil,

Qu'elle a toujours les yeux fixés sur ses rayons,

comme dit Parménide (63), ils doivent de même se contenter


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de la seconde place, obéir aux magistrats et recevoir d'eux la portion de pouvoir qu'ils jugent à propos de leur communiquer (64)!

77. Pourquoi ont-ils consacré l'année à Jupiter, et les mois à Junon?

Entre les dieux invisibles qui ne sont présents qu'à l'intelligence, Jupiter et Junon tiennent le premier rang ; entre les dieux visibles, c'est le soleil et la lune. Le cours du soleil règle l'année, et celui de la lune les mois. Il ne faut pas croire que ces deux astres ne soient que les images des deux divinités. Jupiter est en substance le soleil, et Junon est en substance la lune. Ainsi le nom de Junon, qui est dérivé de jeunesse, marque le renouvellement de la lune. On lui donne aussi le nom de Lutine, c'est-à-dire brillante ; et l'on croit qu'elle vient secourir les femmes dans leur enfantement, aussi bien que la lune. De là ces invocations :

J'en atteste le ciel, peuplé d'astres brillants,
Et la lune, qui rend l'enfantement facile.

On croit que les femmes accouchent plus facilement au temps de la pleine lune (65). 


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 78. Pourquoi les oiseaux qui volent à la gauche donnent-ils des augures favorables?

Cette opinion n'est-elle qu'une erreur, dont bien des gens ont été les dupes (66)? ou sinistre, terme par lequel ils désignent la gauche, vient-il du mot sinere, permettre, pour signifier qu'on peut entreprendre l'action pour laquelle on consulte, et le vulgaire appelle-t-il improprement sinistre, au lieu de sinistère, l'oiseau qui permet d'agir par l'augure qu'il donne? Est-ce, comme le raconte Denys d'Halicarnasse, qu'au moment où Ascagne, fils d'Énée, allait combattre contre Mézence, un éclair qui parut à sa gauche lui présagea la victoire, et depuis on interpréta favorablement tous les signes qui se montrèrent à gauche? D'autres veulent que ce présage soit arrivé à Énée. Les Thébains, à la bataille de Leuctres, ayant commencé par la gauche à mettre en fuite les ennemis , laissèrent depuis à la gauche l'honneur de l'attaque. Est-ce, d'après l'historien Juba, que ceux qui prennent les augures, étant tournés vers l'orient, ils ont à leur gauche le nord, que l'on regarde comme la partie droite du monde, et qui est aussi la plus élevée (67) ? Serait-ce que le côté gauche est naturellement le plus faible, et que les augures ont voulu le fortifier, et réparer, par une sorte d'égalité, ce qu'il a de défectueux? Ou enfin, comme les choses terrestres sont opposées à celles du ciel, ont-ils cru que les dieux nous envoyaient de leur droite ce qui vient à notre gauche?

79. Pourquoi était-il permis d'ensevelir dans la ville


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les ossements de ceux qui avaient obtenu les honneurs du triomphe, et dont les corps avaient été brûlés? C'est du moins ce que dit Pyrrhon le Liparien.

Était-ce par honneur pour ceux qui avaient triomphé ? Car les Romains avaient accordé ce privilège non seulement aux généraux qui s'étaient distingués par leurs exploits, mais encore à leur postérité. Valérius et Fabricius eurent entre autres cet honneur; mais on dit que leurs descendants, pour éviter l'envie, sans perdre cependant ce droit honorable, convinrent que lorsque le corps serait arrivé à la place publique, on mettrait le feu au bûcher, et qu'on l'éteindrait aussitôt.

80. Pourquoi, dans le repas public qu'on donnait aux triomphateurs, faisait-on dire aux consuls de ne pas s'y trouver?

Était-ce pour laisser au triomphateur la première place, avec tous les honneurs du repas, et afin qu'il fût reconduit chez lui avec pompe; honneurs qu'il n'était permis de rendre à aucun autre citoyen, lorsque les consuls étaient présents (68)?

81. Pourquoi les tribuns du peuple ne portent-ils pas la robe de pourpre, comme les autres magistrats ?

Est-ce parce qu'ils ne sont pas réellement magistrats? En effet, ils n'ont point de licteurs ; ils ne rendent pas la justice, assis sur un tribunal ; ils n'entrent point en charge au commencement de l'année, comme les autres magistrats; n'abdiquent point le tribunat quand on crée un dictateur; et quoique l'autorité de toutes les autres magistratures soit transportée à ce magistrat extraordinaire, les tribuns du peuple restent toujours en place, parce qu'ils ne sont pas de vrais magistrats, mais des personnages d'un ordre tout différent. Quelques rhéteurs enseignent que l'exception n'est pas une action véritable, 


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qu'elle est même opposée à celle-ci, puisque l'action est le fondement de la cause, et que l'exception la détruit. De même, on regarde le tribunat moins comme une magistrature que comme un frein pour les autres, auxquelles, par conséquent, il est opposé, puisque ses fonctions sont de résister à la puissance des magistrats et d'en prévenir l'abus.

Mais, sans s'arrêtera ces causes, peut-être imaginaires, ne pourrait-on pas dire, en remontant à l'origine du tribunat, qu'il sert à montrer le pouvoir et la force du peuple qui l'a établi, en ce que les tribuns ne peuvent pas s'élever au-dessus des autres citoyens, et n'ont rien dans leur habillement, ni dans leur manière de vivre, qui les distingue du commun? Un air de faste peut convenir au consul et au préteur ; mais le tribun du peuple, disait Curion, doit s'abaisser devant tout le monde, avoir un air modeste et un abord facile ; braver, pour les intérêts du peuple, la haine de la noblesse, et s'occuper uniquement de plaire à la multitude. Aussi sa maison n'est-elle fermée ni nuit ni jour. C'est comme un port et un asile toujours ouvert à ceux qui ont besoin de son secours ; mais, en même temps, plus il s'abaisse dans sa personne, plus il augmente son pouvoir. Il est l'homme du public, et comme un autel de refuge accessible à tout le monde. Sa personne est sacrée et inviolable, et quand il paraît en public, chacun est obligé de se purifier, comme s'il était souillé.

82. Pourquoi porte-t-on devant les magistrats des haches entourées de faisceaux de verges ?

Veut-on montrer aux magistrats, d'une manière symbolique , que leur colère doit être retenue et comme liée? Or, en déliant les faisceaux l'un après l'autre, on donne à l'emportement le temps de se calmer; souvent même ce retard a fait changer la sentence de condamnation. Comme il y a des fautes susceptibles de remède, et


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des vices incorrigibles, les verges sont destinées à punir les coupables qui donnent l'espoir du retour, et la hache à retrancher de la société les criminels dont on n'attend aucune correction.

83. Pourquoi les Romains, instruits que les Bletonésiens avaient immolé une victime humaine, mandèrent-ils les magistrats de ce peuple barbare, pour les en punir, et qu'ils les renvoyèrent absous, après qu'ils eurent appris d'eux qu'une loi de leur pays leur permettait ces sortes de sacrifices? Pourquoi leur défendirent-ils d'offrir à l'avenir de telles victimes, tandis qu'eux-mêmes, peu d'années auparavant, avaient enterré, tout vivants, dans le marché aux bœufs, deux hommes et deux femmes, les uns grecs et les autres gaulois? N'était-ce pas une grande inconséquence que de faire eux-mêmes ce qu'ils jugeaient criminel dans des Barbares?

Regardaient-ils comme impie de sacrifier des hommes aux dieux, et comme nécessaire d'en immoler aux génies ? Croyaient-ils coupables ceux qui faisaient ces sacrifices, d'après leurs lois et leurs usages, et ont-ils cru devoir eux-mêmes le faire, lorsque leurs livres sibyllins le leur ont ordonné? On raconte à ce sujet qu'une jeune fille nommée Elbia, qui voyageait à cheval, fut frappée de la foudre. On trouva le cheval étendu mort, sans son harnais, et Elbia la moitié du corps découvert, comme à dessein, tandis que ses souliers, ses anneaux et son voile étaient épars de côté et d'autre, et sa langue hors de sa bouche. Les devins déclarèrent que ce prodige annonçait sur les vierges sacrées un grand opprobre qui serait découvert, et que partageraient des chevaliers romains. Peu de temps après, l'esclave d'un chevalier étranger dénonça trois vestales, nommées Émilie, Licinie et Martia, qui s'étaient laissé corrompre, et qui vivaient depuis longtemps dans un commerce criminel avec leurs séducteurs, du nombre desquels était Hutétius, maître de l'es-


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clave dénonciateur. Elles furent convaincues et punies du dernier supplice. Mais le cas ayant paru atroce, les prêtres eurent. ordre de consulter les livres sibyllins. Ils y trouvèrent des oracles qui prédisaient ces crimes, avec les malheurs qui en seraient la suite, à moins que, pour les prévenir, on ne sacrifiât à des génies deux Grecs et deux Gaulois, qu'on enterrerait tout vivants dans le lieu
même.

84. Pourquoi fixent-ils le commencement du jour à minuit ?

Est-ce parce que, dans l'origine, la constitution était toute militaire, et qu'à l'armée c'est pendant la nuit qu'on prend les conseils les plus utiles? Disposent-ils la nuit ce qu'ils projettent de faire, pour être en état de l'exécuter à la pointe du jouir? car il faut se préparer avant que d'agir, et ne pas attendre, pour le faire, Je moment de l'action, comme Myson le dit à Chilon, l'un des sept sages, qui s'étonnait qu'il préparât un van pendant l'hiver? Est-ce que l'heure de midi, étant pour bien des gens le terme des affaires sérieuses, ils ont voulu prendre, pour les commencer, le milieu de la nuit? On sait qu'un magistrat romain ne fait jamais ni traité ni trêve après midi. Est-ce parce qu'on ne peut fixer le commencement et la fin du jour au lever et au coucher du soleil ? Car en prenant, comme font plusieurs, pour le commencement du jour, le premier instant où le soleil se lève, et pour celui de la nuit le moment où il se plonge sous l'horizon, nous n'aurons jamais de véritable équinoxe, et la nuit que nous croirons la plus égale au jour sera plus courte de toute la grandeur du soleil ((69). Ce que les mathématiciens (70) disent pour lever cet inconvénient, que la sé-


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paration du jour et de la nuit se fait au moment où le centre du soleil touche l'horizon, est contraire à l'évidence. Alors il faudrait dire que le jour est fini, et qu'on est dans la nuit, tandis que le soleil nous éclairerait encore, et répandrait sur la terre une lumière abondante. Puis donc que le lever et le coucher du soleil, pour les raisons déjà rapportées, ne peuvent pas déterminer avec précision le commencement et la fin du jour, il reste d'en fixer le commencement à l'instant où le soleil occupe le milieu du ciel, ou bien à l'instant opposé. Mais le second point est préférable, parce que de midi à son coucher, il s'éloigne de nous, au lieu qu'il s'en rapproche de minuit à son lever.

85. Pourquoi, anciennement, ne permettaient-ils à leurs femmes ni de moudre ni de faire la cuisine ?

Était-ce en mémoire des conventions faites avec les Sabins? Après l'enlèvement des Sabines et la guerre qui en fut la suite, ils insérèrent dans les articles de paix qu'un Romain ne pourrait pas obliger sa femme à moudre ni à faire la cuisine.

86. Pourquoi ne sont-ils pas dans l'usage de se marier au mois de mai ?

Comme ce mois tient le milieu entre ceux d'avril et de juin, dont le premier est consacré à Vénus et le second à Junon (71), deux divinités qui président au mariage, veulent-ils, pour se marier, ou prévenir le mois de mai, ou attendre celui de juin? Cet usage vient-il de ce que, dans


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ce mois, ils font la plus grande de leurs expiations en jetant du pont dans le Tibre des figures humaines, au lieu des hommes mêmes qu'ils en précipitaient autrefois? Aussi la prêtresse de Junon doit-elle, ces jours-là, rester en habits négligés, s'abstenir du bain et de toute espèce de parure. Est-ce à cause des expiations que la plupart des peuples latins font dans ce mois, qui, sans doute pour cette raison, est consacré à Mercure, et tire son nom de Maïa (72) ? Ou bien est-ce, comme d'autres le prétendent, parce que le mois de mai tire son nom des anciens, ou des vieillards (73), et celui de juin des jeunes gens, et que le mariage ne convient pas aux premiers, comme dit Euripide :

Les vieillards à Cypris disent un long adieu,
Et Vénus n'aime point les glaces du vieil âge.

Ils ne se marient donc pas au mois de mai, et attendent pour cela celui de juin, qui le suit immédiatement.

87. Pourquoi séparent-ils avec la pointe d'une lance les cheveux des nouvelles mariées (74) ?

Est-ce un symbole qui rappelle que leurs premières femmes avaient été enlevées de force, et conservées par les armes ? Est-ce pour les avertir que, s'unissant à des hommes belliqueux, leur parure doit être simple, et n'avoir rien qui sente le luxe et la mollesse ? C'est ainsi que Lycurgue, en défendant qu'on employât, pour faire les portes et les toits des maisons, d'autres instruments que la hache et la scie, avait banni de Sparte tout luxe et


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toute superfluité. Est-ce une manière allégorique de leur faire entendre que le fer seul pourra rompre leur mariage ? Est-ce que la plupart des cérémonies du mariage se rapportent à Junon ; que la lance est consacrée à cette déesse ; que ses statues sont ordinairement appuyées sur une lance, et qu'elle-même porte le nom de Quiris ? Or, c'était, chez les anciens Romains, le nom de la lance, et de là, Mars était appelé Quirinus.

88. Pourquoi appellent-ils lucar l'argent qui sert aux frais des spectacles ?

Est-ce parce qu'il y a autour de la ville plusieurs bois consacrés aux dieux, dont le produit est employé aux frais des spectacles?

89. Pourquoi la fête quirinale est-elle appelée la fête des fous?

Est-ce, comme le dit Juba, parce que ce jour est destiné à ceux qui ne connaissent pas leur tribu ? Ou bien parce que ceux que des affaires, un voyage ou même l'ignorance avaient empêchés de célébrer dans leur tribu la fête fornicale, la remplaçaient par celle des fous (75) ?

90. Pourquoi, au rapport de Varron, lorsqu'ils sacrifient à Hercule, n'invoquent-ils aucun autre dieu, et qu'on ne voit pas de chien dans toute l'enceinte du lieu où se fait le sacrifice?

N'invoquent-ils point d'autre divinité, parce que Hercule n'est regardé que comme un demi-dieu ? Est-ce parce que Évandre éleva un autel à ce héros et lui sacrifia lorsqu'il était encore parmi les mortels? De tous les animaux, le chien est celui qu'Hercule combattit le plus, et qui lui donna le plus de peine, surtout le chien Cerbère. D'ailleurs, ce fut à cause d'un chien que les Hippocoontides tuèrent Énus, fils de Licymnius. Hercule fut obligé de


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les combattre, et dans cette action il perdit plusieurs de ses amis, et entre autres son frère Iphiclus (76).

91. Pourquoi était-il défendu aux patriciens d'habiter auprès du Capitole ?

Cette défense fut-elle occasionnée par l'ambition de Manlius qui y demeurait, et qui voulut usurper l'autorité souveraine? Depuis lui, sa famille s'engagea par serment âne jamais prendre le prénom de Marcus. Ou cette loi, dictée par la crainte, datait-elle de plus loin ? Publicola, l'homme le plus populaire qui fut jamais, ne cessa d'être en butte aux calomnies des grands et aux soupçons du peuple, qu'après qu'il eut fait démolir la maison qu'il avait près du Capitale, et qui semblait dominer la place publique.

92. Pourquoi donnaient-ils une couronne de chêne à celui qui avait sauvé un citoyen à la guerre?

Est-ce parce qu'ils trouvaient facilement du chêne, en quelque lieu qu'ils fissent la guerre, ou parce que cet arbre est consacré à Jupiter et à Junon, divinités tutélaires des villes? Cette coutume était-elle prise des Arcadiens, qu'on croyait avoir une sorte de parenté avec le chêne, premier arbre que la terre ait produit, comme les premiers hommes passaient pour être nés de la terre ?

93. Pourquoi les vautours sont-ils employés de préférence pour les augures ?


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 Est- ce parce que Romulus, en bâtissant Rome, aperçut douze vautours, ou que cet oiseau est un de ceux qu'on voit le moins ? On trouve bien rarement un nid de vautours, et c'est toujours de lieux très éloignés qu'ils apparaissent tout à coup, ce qui fait croire que leur apparition est le présage de quelque événement. Est-ce d'Hercule qu'ils ont reçu cet usage ? Rien, s'il faut en croire Hérodore, ne faisait plus de plaisir à ce héros, quand il prenait les auspices, que de voir un vautour, qu'il regardait comme le plus doux des oiseaux carnivores : 1° parce qu'il ne touche à aucun animal vivant, qu'il n'en tue jamais, comme font les aigles, les éperviers et les oiseaux de nuit, et qu'il ne se nourrit que de cadavres ; 2° il ne touche pas aux corps morts de son espèce ; jamais on ne vit de vautour manger un oiseau, tandis que les aigles et les éperviers poursuivent et dévorent de préférence les volatiles. Or, selon Eschyle,

Un oiseau peut-il être pur,
Lorsqu'il dévore son semblable?

D'ailleurs, de tous les oiseaux, c'est le moins nuisible à l'homme. Il ne fait tort ni aux plantes, ni aux fruits, ni aux animaux domestiques. Enfin, s'il est vrai, comme les Égyptiens le prétendent, que toute l'espèce des vautours est femelle, et qu'ils conçoivent par le souffle du vent du midi; comme les arbres sont fécondés par celui du zéphyr (77), il est assez probable que les signes qu'ils donnent sont certains et à l'abri de toute erreur ; au lieu que l'agitation des autres oiseaux, lorsqu'ils s'accouplent, leurs rapines, leurs combats et leurs fuites mettent nécessairement dans l'observation des présages beaucoup de trouble et d'incertitude.


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94. Pourquoi le temple d'Esculape est-il hors de la ville?

Le séjour de la campagne leur a-t-il paru plus salutaire que celui de la ville ? En effet, les Grecs eux-mêmes ont coutume de placer les temples de ce dieu dans des lieux sains et élevés. Est-ce parce qu'ils croient que ce dieu leur est venu d'Épidaure, où son temple est très loin de la ville? Est-ce que, dans le transport d'Esculape à Rome, un serpent étant sorti de la galère auprès d'une île où il disparut, on pensa que le dieu avait voulu marquer lui-même le lieu où l'on devait bâtir son temple (78) ?

95. Pourquoi est-il défendu à ceux qui gardent la continence d'user de légumes ?

Ont-ils les fèves en aversion par les mêmes raisons que les sectateurs de Pythagore? Est-ce parce que les pois et les haricots ont des noms assez semblables à ceux de l'Erèbe, et du Léthé, et qu'en général ils font un grand usage des légumes dans les évocations des morts et les repas funéraires ? Est-ce que, pour pouvoir garder la continence, il faut des corps purs et légers ? Or, les légumes sont venteux, et engendrent une surabondance d'humeurs qui demande de fréquentes évacuations. Est-ce enfin que par les flatuosités qu'ils occasionnent, ils irritent les désirs ?

96. Pourquoi enterrent-ils toutes vives les vestales qui se laissent corrompre ?

Comme ils sont dans l'usage de brûler les morts, croient-ils qu'il n'est pas juste de brûler celle qui n'a pas su garder religieusement le feu sacré? Regardent-ils comme un sacrilège de faire périr un corps consacré par les cérémonies les plus augustes, et de porter des mains violentes sur une femme sacrée? C'est pour cela qu'ils la 


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laissent mourir, en la descendant sous terre, dans le domicile qu'ils lui ont préparé, et où l'on a mis une lampe, un pain, du lait et de l'eau, et qu'ensuite ils cachent soigneusement le caveau en le couvrant de terre. Encore ne se croient-ils pas quittes de tout scrupule, et il est d'usage, même aujourd'hui, que les prêtres fassent les cérémonies funèbres sur le lieu où une vestale a été enterrée (79).

97. Pourquoi, après les jeux équestres, qui se font aux ides de décembre (80), celui des chevaux vainqueurs qui est à la droite du char est-il immolé à Mars, que celui qui lui a coupé la queue la porte à un lieu appelé Regia, où il répand du sang sur l'autel, et que deux bandes de citoyens, dont l'une vient par la rue Sacrée, et l'autre par la voie Suburra, se disputent à qui aura la tête de l'animal?

Est-ce, comme quelques uns le disent, pour punir le cheval d'avoir été l'instrument de la prise de Troie, parce qu'ils sont eux-mêmes

D'illustres descendants de la race troyenne?

Est-ce parce que le cheval est un animal hardi, belliqueux, digne, par conséquent, de Mars, et qu'on immole aux dieux ce qu'on sait leur être plus agréable (81)? Le cheval 


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vainqueur est immolé de préférence, parce que c'est à Mars qu'on attribue là victoire, ou plutôt, comme c'est ce dieu qui inspire le courage de tenir ferme dans son poste, et que les soldats qui gardent leur rang sont sûrs de vaincre ceux qui lâchent le pied, veulent-ils punir la légèreté, compagne ordinaire de la fuite, et montrer, par cette action symbolique, qu'il n'y a point de salut pour les fuyards ?

98. Pourquoi les censeurs, dès qu'ils sont entrés en charge, s'occupent-ils avant tout de donner à bail la nourriture des oies sacrées, et d'orner les statues des dieux ?

Est-ce pour commencer par les objets qui exigent moins de dépense et de soins ? Est-ce par une ancienne reconnaissance pour ces animaux qui, lorsque Rome était au pouvoir des Gaulois, et qu'une nuit ces barbares étaient près d'escalader les murs du Capitole, sans que les chiens en fussent éveillés, entendirent le bruit des ennemis, et par leurs cris réveillèrent les gardes ? Ou les censeurs qui ont l'intendance des choses les plus importantes , et l'inspection de tout ce qui intéresse la religion, la police, les mœurs et la conduite des citoyens, donnent- ils leurs premiers soins à l'animal le plus vigilant, pour avertir qu'on doit veiller avec le plus grand soin au culte des dieux ? L'ornement des statues était un soin nécessaire, parce que le vermillon, dont on les avait anciennement peintes, s'effaçait bientôt.

99. Pourquoi les prêtres condamnés à l'exil sont-ils privés de leur dignité et remplacés par d'autres, et que l'augure seul n'est jamais dépouillé du pontificat, de quelques crimes qu'il ait été convaincu?

Veulent-ils que les secrets qui intéressent la religion ne soient pas connus par d'autres que par les prêtres? et l'augure ayant juré de ne révéler à personne la science augurale, ils ne veulent pas, en lui ôtant sa dignité, le


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dégager de son serment. Est-ce que la qualité d'augure n'est pas un nom de magistrature ou de dignité, mais de science et d'art, et que défendre à un devin de prédire l'avenir, c'est vouloir qu'un médecin ou un musicien cessent de l'être ? On peut bien leur ôter leur dénomination, mais non pas leur science. S'ils n'en créent pas une autre, c'est sans doute afin de ne pas augmenter le nombre des augures établis dans l'origine (82).

100. Pourquoi, aux ides d'août, tous les esclaves de l'un et de l'autre sexe célèbrent-ils une fête particulière, dans laquelle les femmes ont le plus grand soin de laver et de nettoyer leur tête ?

Est-ce parce que Servius, qui était né à pareil jour, d'une mère captive, a voulu dans cette fête dispenser les esclaves de tout travail ? L'usage de se laver la tête à cette occasion a passé des esclaves aux femmes libres.

101. Pourquoi font-ils porter à leurs enfants un ornement qu'ils appellent bulle ?

Est-ce, comme bien d'autres usages, par honneur pour les premières femmes enlevées, qu'ils parent ainsi les enfants? Est-ce pour honorer la valeur de Tarquin? On raconte que dans un combat contre les Latins et les Étrusques, ce prince, encore à la fleur de l'âge, chargea les ennemis avec la plus grande vigueur; qu'étant tombé de cheval, il soutint hardiment l'effort de ceux qui venaient
fondre sur lui. Les Romains, encouragés par son exemple, remportèrent une pleine victoire, et tuèrent seize mille ennemis. Après la bataille, son père lui mit au cou une bulle d'or pour récompenser sa valeur. Cet usage vient-il de ce que les anciens, qui ne rougissaient pas


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d'aimer leurs jeunes esclaves, comme l'attestent encore aujourd'hui les comédies, mais qui s'abstenaient avec grand soin des enfants de condition libre, pour éviter à cet égard toute méprise, faisaient porter à ces derniers cette marque distinctive de leur condition? Était-ce un moyen imaginé pour contenir les enfants et mettre un frein au libertinage, en leur faisant honte de mener une vie licencieuse avant que d'avoir quitté les marques de l'enfance? On ne peut guère ajouter foi à l'opinion de Varron, qui prétend que le mot boulé, qui en grec signifie conseil, se rend en dialecte éolien par bolla, et qu'ainsi cet ornement est donné aux enfants comme un signe ou un présage de bon conseil. Mais n'est-il pas plutôt relatif à la lune ? Cette planète, quand elle est dans son plein, n'a pas à nos yeux la ligure d'un globe, mais celle d'une lentille ou d'un disque, et suivant Empédocle, sa substance même a réellement cette forme.

102. Pourquoi ne donnent-ils les noms à leurs fils que le neuvième jour après leur naissance, et à leurs filles, le huitième?

Est-ce par une raison prise de la nature qu'ils nomment plus tôt les filles? Elles croissent plus vite et acquièrent plus promptement leur perfection. Mais ils attendent après le septième jour, parce que cette époque est périlleuse pour les enfants. C'est le temps où le cordon ombilical tombe au plus grand nombre, et jusque-là l'enfant ressemble plus à une plante qu'à un être vivant (83). Est-ce d'après les principes de Pythagore qu'ils ont adopté ce nombre de jours? Ce philosophe donnait au nombre impair le nom de mâle, et au nombre pair celui de femelle. Le premier, disait-il, est fécond, et dans la composition, il l'emporte sur le pair. Lorsqu'on les divise en unités, le


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nombre pair laisse toujours un espace vide ; au lieu que l'impair a toujours comme un milieu qui remplit l'espace entre les membres divisés. Cela vient-il de ce qu'entre tous les nombres, neuf est le premier carré formé de trois, qui est un nombre impair et parfait, et huit le premier cube formé de deux, nombre pair? Or, il faut que le mari soit, comme ce carré, impair et parfait ; et la femme, telle que le cube, doit être fixe, attachée à la maison, et ne quitter que difficilement sa place. On peut ajouter encore que, comme le nombre neuf est un carré qui a trois pour racine, et huit, un cube dont deux est la racine, ainsi les hommes avaient trois noms, et les femmes seulement deux (84).

103. Pourquoi appellent-ils Spurii, les enfants dont le père est incertain?

Ce n'est pas, comme les Grecs le croient et comme les orateurs le disent dans leurs plaidoyers, parce que plusieurs pères ont concouru à leur naissance. Spurius est un prénom ordinaire aux Romains, comme Sextus, Decimus et Caius. Ils n'écrivent pas en entier ces sortes de noms, mais tantôt par leur seule lettre initiale, comme ceux de Titus, Lucius et Marcus , tantôt par les deux premières, comme ceux de Tiberius et Cneius ; d'autres par les trois , comme ceux de Sextus et Servius. Spurius est un de ceux qu'ils écrivent par les deux lettres initiales S et P. Ils écrivent aussi par ces mêmes lettres le nom de bâtard ; et alors elles signifient sans père. C'est donc l'usage d'écrire par les mêmes caractères le prénom Spurius, et le nom de bâtard, qui a donné lieu à l'erreur. On en donne une autre raison que je rapporterai quoique peu vraisemblable. Les Sabins appellent la matrice Spurium, et c'est par ignominie qu'ils donnent ce nom à ceux qui sont nés d'une union illégitime.


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104. Pourquoi donnent-ils à Bacchus le surnom de liber pater, ou père libre?

Est-ce parce qu'il est pour les buveurs le père de la liberté? Plusieurs même deviennent insolents dans l'ivresse. Est-ce parce que ce dieu introduisit l'usage des libations ? Ou ce nom, comme le veut Alexandre (85), vient-il d'Éleuthère, ville de la Béotie, d'où Bacchus s'est appelé Eleutherius, ou libre (86) ?

105. Pourquoi n'est-il pas d'usage que les filles se marient dans le temps des fêtes publiques, et que les veuves ont la liberté de le faire ?

Est-ce, comme le prétend Varron, parce que les filles sont tristes quand elles se marient, et que les veuves sont dans la joie, et qu'il ne faut, dans un jour de fête, rien faire avec tristesse ni comme par contrainte? Est-ce qu'il est honorable pour les filles et honteux pour les veuves d'avoir beaucoup de témoins de leur mariage ? Car on doit désirer un premier mariage et en craindre un second, qui n'est pas honorable si le premier mari vit encore, et qui doit causer du chagrin s'il se fait après sa mort. C'est pour cela que les veuves préfèrent des noces tranquilles aux cérémonies bruyantes qui les accompagnent ordinairement. Or, les fêtes occupent tout le monde, et permettent à peu de personnes d'assister à des noces. Serait-ce parce que l'enlèvement des Sabines, qu'ils firent un jour de fête, leur attira la guerre, et que depuis ils ont réputé de mauvais augure de marier leurs filles les jours de fête ?


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106. Pourquoi les Romains honorent-ils la fortune sous la dénomination de premier-née ?

Est-ce, selon l'opinion commune, parce que Servius, qui était né d'une mère captive, fut élevé par la fortune sur le trône de Rome ? Est-ce parce que Rome elle-même dut son origine à la fortune, ou faut-il le rapporter à une cause naturelle et plus philosophique ? La fortune est le principe de tout, et la nature est composée de choses qui, rapprochées par la fortune, ont acquis ensuite de l'ordre et de l'arrangement.

107. Pourquoi donnent-ils le nom d'histrions aux comédiens consacrés à Bacchus ?

L'historien Cluvius Rufus raconte que, dans les premiers temps de la république, sous le consulat de C. Sulpicius et de Lic. Stolon, la peste fit périr tous les comédiens, sans en excepter un seul. On en fit venir d'Étrurie plusieurs fort habiles. Le plus célèbre d'entre eux, celui qui avait le plus de talent et d'expérience dans son art, s'appelait Histrus; et ce fut de son nom que tous les comédiens s'appelèrent histrions.

108. Pourquoi le mariage entre les proches est-il défendu?

Est-ce pour étendre les parentés et multiplier les alliances, en prenant des femmes dans des familles étrangères? Craignent-ils les discordes que ces mariages pourraient faire naître entre les parents, et qui altéreraient la tendresse naturelle du sang? Ont-ils voulu que les femmes, qui par leur faiblesse ont besoin de plusieurs défenseurs si elles venaient à être maltraitées par leurs maris, pussent trouver dans leurs proches une ressource nécessaire?

109. Pourquoi le prêtre de Jupiter, qu'ils appellent flamen dialis, ne peut-il toucher ni farine ni levain?

Est-ce parce que la farine est un aliment imparfait et indigeste ? Elle a perdu la nature du blé, et n'a pas acquis celle du pain. Elle n'est plus une semence, et n'est


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pas encore une nourriture. Aussi le poète (87) l'appelle-t-il métaphoriquement muléphaton, c'est-à-dire un blé qui a péri sous la meule. Le levain formé d'une pâte fermentée fait aigrir la farine, la rend plus molle et moins serrée. En général, tout ce qui fermente produit une espèce de corruption ; et si le levain est trop abondant, il gâte et perd la farine.

110. Pourquoi ce même prêtre ne peut-il pas toucher de la viande crue?

Est-ce pour lui inspirer, par cette défense, la plus grande aversion pour l'usage de la viande crue ? Est-ce par la même raison que nous venons de donner pour la farine ? La viande crue n'est plus un animal, et n'est pas encore une nourriture. En la faisant bouillir ou rôtir, on change ses qualités naturelles, et on lui donne une autre forme. Quand elle est crue elle est désagréable, dégoûtante, et ressemble à une chair corrompue et couverte d'ulcères.

111. Pourquoi lui a-t-on aussi défendu de toucher un chien ou une chèvre, et même d'en prononcer le nom ?

Ont-ils la chèvre en horreur, comme un animal lascif et puant? ou parce qu'il est, de tous les animaux, le plus sujet à l'épilepsie, craignent-ils que le mal ne se communique à ceux qui auraient mangé d'une chèvre qui en serait atteinte, ou même qui l'aurait touchée ? Ils croient que ce qui la rend sujette à cette maladie, c'est la petitesse de ses vaisseaux pneumatiques, qui font que sa respiration est souvent interceptée. Ils fondent cette conjecture sur la faiblesse de son cri. En effet, les hommes attaqués de l'épilepsie ont une voix faible et qui approche du bêlement. Le chien est moins lascif, et ne sent pas si mauvais. Cependant quelques personnes prétendent qu'on n'en souffre aucun dans la citadelle d'Athènes ni


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dans l'île de Délos, parce qu'ils s'accouplent publiquement ; comme si les bœufs, les porcs et les chevaux ne faisaient pas de même. Aussi n'en est-ce point la véritable cause. Comme le chien est un animal querelleur, on le bannit des enceintes où l'on offre les sacrifices, et des lieux d'asile, afin que les suppliants y puissent trouver un-refuge assuré. Il est donc vraisemblable qu'on a voulu que le prêtre de Jupiter, qui est pour ainsi dire une statue vivante et un autel de refuge, laissât à tous les suppliants un accès facile auprès de sa personne, sans que rien pût les en écarter et leur inspirer de la terreur. Aussi avait-il son lit dans le vestibule de sa maison, et celui qui tombait à ses genoux était, ce jour-là, exempt de toute punition. S'il arrivait chargé de chaînes, on le déliait, et on jetait les fers hors de la maison, non par la porte, mais par-dessus le toit. Il n'aurait servi de rien aux suppliants que le prêtre se montrât si doux et si humain s'il avait eu auprès de lui un chien qui les eût éloignés en les effrayant par ses cris. D'ailleurs, les anciens ne croyaient pas cet animal absolument pur. Ils ne le sacrifiaient à aucun des dieux célestes ; et celui qu'ils plaçaient dans un carrefour pour servir de nourriture à la terrestre Hécate, y tenait lieu de ces victimes d'expiation destinées à détourner sur leur tête les malheurs qu'on craignait. A Lacédémone, on coupait par morceaux de petits chiens en l'honneur de Mars, le plus sanguinaire de tous les dieux. En Béotie, on fait un sacrifice public où l'on coupe un chien en deux, et l'on passe au milieu (88). Les Romains, aux fêtes lupercales qu'ils célèbrent dans le mois de février, qui est celui des expiations, immolent


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un chien. Ce n'est donc pas sans motif qu'ils ont défendu au ministre du dieu le plus pur et le plus grand, toute habitation et tout commerce avec cet animal.

112. Pourquoi ne lui est-il pas permis de toucher du lierre, ni de passer dans un chemin où il y ait des ceps de vigne attachés à des arbres (89) ?

Ces défenses sont-elles semblables à celles-ci : Ne mangez point dans un char. Ne vous asseyez pas sur le boisseau, Ne passez pas par-dessus les balayures ? Ce n'était pas que les pythagoriciens craignissent les choses qu'ils avaient ainsi proscrites ; mais, sous ces défenses allégoriques, ils voulaient en interdire d'autres. Ainsi, celle de passer sous des ceps de vigne avait rapport à l'usage du vin, et faisait entendre au prêtre qu'il ne devait pas en boire avec excès. Les gens ivres ont, pour ainsi dire, le vin sur leur tête, qui en est appesantie ; au lieu qu'il faut toujours être supérieur à cette passion, et ne jamais s'en laisser maîtriser.

Pour le lierre, comme c'est une plante stérile et inutile aux hommes, qu'elle ne peut se soutenir que par le secours d'autres plantes qui lui servent d'appui ; que d'ailleurs son ombre et sa verdure abusent souvent ceux qui la regardent (90), ils n'ont point voulu qu'on le plaçât dans les maisons pour y occuper inutilement le terrain et nuire même aux autres plantes autour desquelles il s'enlace. Aussi bannit-on le lierre des jeux olympiques, des sacrifices de Junon à Athènes, et de ceux de Vénus à Thèbes. On ne l'emploie que dans les fêtes de Bacchus, dont la plupart des cérémonies se célèbrent dans les ténèbres de la nuit. Cette défense était peut-être une condamnation symbolique des orgies. Les bacchantes, quand elles entrent


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en fureur, se jettent sur le lierre, le déchirent de leurs mains et le mâchent avec les dents ; ce qui rend assez vraisemblable ce qu'on dit du lierre : qu'il y a dans cette plante des esprits violents qui troublent et aliènent la raison, transportent l'âme hors d'elle-même, et produisent une ivresse aussi réelle que celle du vin, surtout dans ceux qui ont une disposition naturelle à l'enthousiasme.

113. Pourquoi ces mêmes prêtres ne pouvaient-ils exercer aucune magistrature, ni même la demander, quoique d'ailleurs ils eussent des licteurs et une chaise curule, distinctions qui les dédommageaient de la privation des charges auxquelles ils ne pouvaient pas prétendre?

Est-ce comme dans plusieurs endroits de la Grèce où la dignité sacerdotale, qui va de pair avec celle de la royauté, est le partage de ceux qui n'ont pu parvenir au trône? N'est-ce pas plutôt parce que les fonctions des prêtres se font dans des temps fixes et réglés ; celles des rois ou des magistrats, au contraire, sont indéterminées ; qu'ainsi il est impossible qu'un même homme puisse remplir des devoirs d'un genre si différent lorsqu'ils viennent à concourir ensemble? Il en résulterait que s'ils étaient -tous également pressés, il serait forcé de remettre les uns, et, par là, ou de négliger le culte des dieux, ou de nuire au bien des citoyens. Serait-ce aussi que, comme dans l'exercice des magistratures, il y a des choses de nécessité autant que de pouvoir ; que le chef d'une nation, comme Hippocrate le dit du médecin, a sans cesse à manier les affaires les plus désagréables, qu'il a sa part des peines et des chagrins d'autrui, ils auraient cru profaner la religion et le culte des dieux que d'en confier le soin à un homme qui aurait prononcé quelques instants auparavant des sentences de mort contre ses concitoyens, souvent même contre ses parents et ses proches, comme il arriva à Brutus?

FIN DES QUESTIONS ROMAINES.


(01) Le feu, dans les éléments, était le symbole du mâle, et l'eau celui de la femelle, comme on le voit dans Varron.

(02) Les anciens admettaient quatre qualités dans les corps: le froid, le chaud , le sec et l'humide. Les deux premières étaient comme cause et principes efficients, les deux autres comme matière et principes passifs. (Voyez Ocellus Lucanus, chap. 2.à

(03) Voici comme se faisait cette cérémonie. Lorsque la nouvelle mariée était devant la porte de la maison de son mari, on lui présentait de l'eau dans un vase, et un tison ardent de bois de pin, arbre qu'on réputait de bon augure. Elle touchait l'un et l'autre.

(04) Varron avait composé plusieurs ouvrages, un entre autres sur la théologie païenne, dont saint Augustin nous a conservé plusieurs fragments, et dont on ne peut trop regretter la perte.

(05) Toute cette doctrine des nombres, prise des pythagoriciens, est allégorique et souvent fort obscure.

(06) Jupiter présidait au mariage, parce qu'on le regardait comme le père de tous les êtres. De là le surnom de parfait qu'on lui donnait. Junon était aussi invoquée dans les mariages, comme sœur et épouse de Jupiter. Elle avait sous ce rapport plusieurs surnoms, tels que Lucina, Pronuba, etc., tous relatifs aux différentes cérémonies pratiquées dans le mariage. Quant à Diane, elle présidait aux enfantements, et on croyait qu'elle rendait à son gré les accouchements heureux ou malheureux.

(07) Juba était fils d'un roi de Mauritanie du même nom, qui, vaincu par César à la bataille de Thapse, se donna la mort. Son fils, encore enfant, fut livré au vainqueur, et conduit en triomphe à Rome, où il fut parfaitement élevé, et devint un des plus savants hommes de ce temps-là. Suidas lui attribue un grand nombre d'ouvrages dont il ne reste que des fragments. Il avait écrit une histoire d'Arabie, les antiquités d'Assyrie et celles de Rome, l'histoire des théâtres, celle de la peinture et des peintres, etc. Voyez, sur la vie et les écrits de ce prince, les Mémoires de l'Académie des Inscript., Rom. IV, p. 457. Auguste lui rendit les États de son père, et Juba, par la douceur de son règne , gagna les coeurs de tous ses sujets. 

(08) C'est vraisemblablement la première guerre que les Romains aient faite en Sicile pendant la première guerre punique. Il s'y donna plusieurs combats sur mer, dans lesquels les succès furent très variés.

(09) Boxhorn pense que cette coutume pouvait venir de ce que les citoyens qu'on avait crus morts, et qui reparaissaient ensuite, avaient l'air de descendre du ciel, pour revenir habiter la terre.

(10) Festus Pompéius, en rapportant cette même origine, dit qu'Énée sacrifiait à Vénus sa mère sur le rivage de Laurente, et qu'ayant vu passer Ulysse, il se couvrit la tête, pour n'être pas reconnu et pouvoir achever son sacrifice.

(11) Castor est sans doute cet écrivain qui, selon Suidas, était de Rhodes ou de Galatie, et avait épousé la fille de Déjotarus. Ce prince le fit périr avec sa femme, parce qu'il l'avait accusé auprès de César d'avoir voulu l'assassiner. On donnait a Castor le surnom d'ami des Romains

(12) Les sépulcres étaient regardés par les Romains comme des lieux sacrés, parce qu'ils étaient dédiés aux dieux mânes.

(13) Ovide atteste cet usage dans ses Métamorphoses.

(14) Quoique le divorce fût permis à  Rome, le premier exemple n'en fui donné que l'an 520 de sa fondation.

(15) Cette parole est attribuée à Archidamus, fils d'Agésilas.

(16) Numa, dont les principes étaient les mêmes que ceux de Pythagore, avait proscrit les sacrifices sanglants; et cette défense n'était pas particulière au culte du dieu Terme, mais en général à tous les sacrifices que Numa avait institués, comme Plutarque le dit lui-même ailleurs.

(17) La déesse Leucothée était la même qu'Ino, fille de Cadmus, dont Ovide a décrit les aventures. Elle était honorée à Rome sous le nom de Matuta, et ton culte remontait jusqu'au temps de Servius Tullius.

(18) C'est l'opinion la plus généralement reçue que l'année de Rumulus n'était composée que de dix mois, et de trois cent quatre jours. Varron et Macrobe sont de ce sentiment.

(19)  A Rome, il était défendu aux femmes de boire du vin, et les maris avaient le droit de punir très sévèrement celles qu'ils découvraient en avoir bu. C'était même un cas de divorce.

(20) Picus, ancien roi du Latium, était un fameux devin, qui introduisit dans l'Italie la religion des Grecs. La fable dit que sa femme s'appelait Vénilie ou Canente; et, selon Virgile, ce ne fut pas elle, mais Circé qui métamorphosa Picus en pivert, parce qu'il ne voulut jamais consentir à ses désirs.

(21) Nigidius était un philosophe pythagoricien qui florissait à Rome du temps de César.

(22) Les Perrhèbes étaient des peuples de la Thessalie, situés, selon Strabon, liv. ix, à l'occident île la montagne du Pinde. 

(23 Selon Festus, le Janus des Latins était le chaos des Grecs. Or, le chaos était une masse informe d'où l'univers était sorti. Ainsi, les deux visages de Janus désignaient l'état qui avait précédé la formation du monde et celui qui avait suivi. Comme le chaos avait été le principe de toutes choses, de même on regardait Janus comme le principe des hommes et des dieux.

(24) Denys d'Halicarnasse, liv. IC, ch. 4, rapporte aussi cet usage; mais il en attribue l'institution à Servius Tullius, et non pas à Numa, que Plutarque dit formellement en avoir été l'auteur dans la Vie de ce prince.

(25) Plutarque fait ici allusion à un passage d'Hérodote. Cet historien raconte que Cambyse, roi de Perse, avait envoyé des députés avec des présents, ou plutôt des espions au roi des Éthiopiens Macrobes ou qui vivent longtemps, selon la force du terme grec. Au nombre de ces présents était une robe de pourpre. Le roi d'Éthiopie demanda aux députés comment cette robe avait été faite. Ils lui expliquèrent la manière dont on mettait l'étoffe en couleur. Alors ce prince, qui savait que Cambyse ne lui avait envoyé ces députés qu'afin de reconnaître le pays, leur répondit : « Les vêtements des Perses sont trompeurs comme leurs paroles. »

(26) Il ne s'agit point en cet endroit du fameux philosophe de ce nom, mais d'un historien aujourd'hui inconnu; peut-être était-ce le Socrate de Rhodes, qui vivait sous Auguste et avait écrit une histoire des guerres civiles citée par Athénée.

(27) Afin d'imprimer un plus grand respect pour les murailles des villes, on en faisait solennellement la dédicace. (Gruter., Inscript., p. 216.)

(28) i Ou appelait dieux indigetes ceux qui étaient nés dans le pays même. Hercule et Bacchus avaient pris naissance en Égypte.

(29) C'est avec raison que Plutarque, à propos d'Hercule, rapporte le reproche que la prêtresse de Delphes faisait aux Spartiates, puisque les rois de Lacédémone tiraient leur origine de ce dieu.

(30) Les pronubes étaient des dames qui présidaient a la cérémonie du mariage. Elles marchaient derrière la nouvelle épouse, couronnées de fleurs ou de rameaux, et la première d'entre elles portait une couronne de tours comme Cybèle. On choisissait pour cet emploi des femmes d'une vertu reconnue, qui, mariées une seule fois, eussent vécu sans divorce, sans querelles, et dont les maris fussent encore vivants. 

(31) Allusion à l'enlèvement des Sabines.

(32) Cette dernière raison parait la véritable ; seulement Plutarque se trompe lorsqu'il dit que Caïa Cécilia était la femme d'un des fils de Tarquin. D'après l'histoire, elle était femme de Tarquin l'Ancien. Son nom était Tanaquil, et son prénom Caïa : elle s'appelait aussi Cécilia, suivant le témoignage de Pline. Comme son mariage avait été fort heureux, on espérait partager son bonheur en prenant, dans la cérémonie des noces, un nom de si bon augure. Cette reine, entre plusieurs autres qualités, avait celle d'être la meilleure fileuse de son royaume.

(33) Ces figures, au rapport de Festus et de Varron, étaient de jonc et au nombre de trente. Les vestales, selon Festus, et les prêtres, selon Varron, ou plutôt les uns et les autres, comme le dit Denys d'Halicarnasse, faisaient cette cérémonie.

(34)  C'était D. Junius Brutus, qui fut consul vers l'an 616 de Rome et qui porta la guerre en Espagne.

(35) Ce fleuve, que Plutarque, d'après Tite-Live et Florus, appelle le fleuve d'Oubli, est aussi nommé Limia par Strabon, qui ajoute qu'il portait Ie premier nom parce que les Celtiques lusitaniens et les anciens Turdules, qui habitaient une partie du Portugal, entre le Tage et la Guadiana, après avoir été agités par des séditions violentes, oublièrent auprès de ce fleuve toutes leurs querelles et firent entre eux une paix solide.

(36) Des deux Larentia dont Plutarque parle, une seule portait ce nom , et les deux s'appelaient Acca. La première fut la nourrice de Romulus, qui lui érigea un autel et établit en son honneur des fêtes qui se célébraient au mois de décembre. Elle avait été courtisane, et ses débauches lui avaient mérité le surnom de Louve, ce qui, selon quelques uns, a donné lieu à la fable de Romulus et de Rémus allaités par une louve. La deuxième s'appelait Acca Taruntia, et non Larentia, du nom de ce Romain qui se l'était attachée. On croit que c'est la même que Flore, et que le peuple romain, qu'elle avait fait son héritier, institua en son honneur des jeux floraux qui étaient marqués par une singulière licence.

(37) C'est la doctrine de Platon dans plusieurs endroits de ses ouvrages.

(38) Sans doute à cause de la malédiction prononcée contre les Phocéens pour avoir violé le territoire consacré à Apollon, sacrilège qui occasionna la guerre sacrée.

(39) Ce bonnet s'appelait flamen, mot abrégé de filamen, qui veut dire fait de lin. Le prêtre portait toujours ce bonnet, et il ne pouvait paraître en public sans l'avoir sur sa tête.

(40) D'après ce que dit ici Plutarque, il faut conclure que cette défense n'était pas personnelle au prêtre de Jupiter, et qu'elle s'étendait généralement à tous les citoyens. Cela est confirmé par ce qu'il ajoute tout de suite de l'éloignement que les Romains avaient pour cette pratique, à cause des dangers qui l'accompagnaient et des mauvais effets qu'elle pouvait produire : crainte qui n'était que trop justifiée par la corruption qu'elle avait introduite dans la Grèce.

(41) Fénestella était un historien romain souvent cité dans Pline le Naturaliste. Il mourut à Cumes, du temps d'Auguste. 

(42) Le texte dit : fils du ciel Acmonide, ou fils d'Acmon. C'était, suivant quelques théogonies grecques, le plus ancien des dieux. Il était le seul dieu qui fût éternel et existait même avant le Chaos, dont il passait pour être le père.

(43) Plutarque, dans la Vie d'Alcibiade, dit que les prêtres el les prêtresses, ayant eu ordre de prononcer des malédictions contre Alcibiade, la seule Théano s'y refusa. Elle était fille de Ménon, et du bourg d'Agraule.

(44) On célébrait cette fête deux fois : l'une au mois d'août, en mémoire du fait rapporté par Plutarque; l'autre dans le mois d'avril. La première était consacrée à Jupiter, à qui l'on offrait alors le premier vin qui entrait dans Rome.

(45) Antistius Labéon était un jurisconsulte célèbre du temps d'Auguste. Il était très versé dans la connaissance de l'antiquité et avait écrit sur les origines de la langue latine.

(46) Selon Denys d'Halicarnasse, ce fut Tatius qui bâtit ce temple de Vulcain. Mais ce n'était pas le seul qui fût placé hors de la ville; ceux de Mars et de Vénus y étaient aussi : celui de Vénus, afin que les jeunes gens de l'un et de l'autre sexe n'eussent pas sous les yeux les plaisirs que cette déesse inspirait et dont son culte même était une leçon publique ; celui de Mars, pour signifier que les guerres civiles devaient être bannies de Rome. Il est vrai que Mars était honoré sous le nom de Quirinus et de Gradivus. Le premier surnom désignait Mars pacifique, et son temple était dans la ville, Gradivus était le Mars guerrier, et on avait placé son temple hors de Rome.

(47) Consus, selon les uns, était le même que Neptune équestre, ou qui avait trouvé l'art de dompter les chevaux. Selon d'autres, c'était le dieu du conseil.

(48) Festus dit que, pendant ces fêtes, on n'employait que des mulets pour les jeux du grand cirque, parce qu'on croyait que ces animaux étaient les premiers qu'on eût attelés à des chars.

(49) Les Romains regardaient la mort d'un des censeurs comme un présage des plus sinistres, parce que cela était arrivé l'année que Rome fut prise par les Gaulois. Comme le  flamine de Jupiter était le premier en dignité et que sa femme partageait son sacerdoce, la même superstition avait fait croire que sa mort était de mauvais augure.

(50) Festus dit que le vieillard qui portait une bulle pendue au cou et une robe prétexte représentait le roi des Étrusques, qui était ainsi vêtu, et qu'on voulait par là tourner en ridicule la mollesse de ce roi. Les jeux Capitolins étaient ainsi nommés de Jupiter Capitolin, à qui ils étaient consacrés.

(51) Les joueurs de flûte accompagnaient toujours avec leurs instruments les vœux et les prières que les prêtres faisaient dans les sacrifices, afin qu'ils les prononçassent avec plus de justesse. Voilà d'où venait le scrupule des Romains. Tite-Live dit que le motif de leur retraite fut le refus que firent les magistrats de le laisser manger, comma auparavant, à la table de Jupiter, et de se trouver plus de dix aux funérailles des citoyens. Au reste, Varron, liv. v, de Ling. Lat., place cette fêle aux ides de juin, et non aux ides de janvier, comme Plutarque.

(52) Ovide dit la même chose dans ses Fastes, liv. I, v. 617.

(53) La déesse Rumina était une de ces divinités inférieures dont les Romains avaient un très grand nombre, parce qu'ils déifiaient non seulement les êtres moraux, mais aussi les êtres physiques, dont ils tiraient quelque avantage. Ainsi, ils en avaient fait une sous le nom de Rumina de la fonction d'allaiter les enfants.

(54) Le repos des Muses a besoin de la protection d'Hercule, et la valeur d'Hercule du chant des Muses. D'ailleurs, l'ancienne mythologie désignait par Hercule le soleil, el, à ce titre, il était le même qu'Apollon, chef des Muses.

(55) Lorsque Hercule vint en Italie et qu'Évandre, averti par sa mère que ce héros serait un jour au rang des dieux, lui eut élevé un autel, il se trouva au sacrifice deux vieillards nommés, l'un Potilius, et l'autre Pinarius, à qui Hercule dit qu'il voulait être honoré deux fois le jour, le matin et le soir. Le premier sacrifice fut offert le matin, et après le coucher du soleil, on fit celui du soir. Potitius s'y rendit exactement; mais Pinarius n'y arriva que lorsque les entrailles des victimes étaient déjà remises entre les mains de Potitius. Hercule, irrité de cette négligence, ordonna que la famille des Pinariens servirait seulement au ministère de l'autel, tandis que celle de Potitius mangerait les entrailles de la victime et consommerait le sacrifice. De là le nom de Pinarius donné à ce vieillard, qui auparavant en portait un autre que l'histoire ne nous a pas conservé. Il vient du mot grec Πείνα, qui veut dire faim. Voyez Sermus sur le huitième livre de l'Énéide, Tite-Live, liv. i, et Denys d'Halicarnasse, liv. I.

(56) C'était un usage constant chez les Romains, lorsqu'ils espéraient se rendre maîtres d'une ville assiégée, de faire des prières au dieu tutélaire de cette ville, pour l'attirer dans leur patrie, soit qu'ils crussent ne pouvoir pas, sans cela, s'emparer de la ville, soit qu'ils regardassent comme un crime de faire des dieux captifs. On peut voir la formule de cette évocation dans Macrobe, qui nous l'a conservée d'après un ancien auteur nommé Sammonicus Serenus.

(57) Les féciaux formaient comme un collège de prêtres chargés de tout ce  qui concernait la guerre et la paix. Un choisissait ces ministres publies dans les premières familles de Rome.

(58) Ce roi des sacrifices, selon Tite-Live, avait été établi pour faire les sacrifices que les rois faisaient en personne. C'est donc parce qu'il remplaçait les rois dans celte fonction qu'on lui donna le nom de roi des sacrifices. Sa femme portait le nom de reine des sacrifices et faisait aussi quelques sacrifices particuliers.

(59) Festus dit que le nom de licteurs vient des faisceaux de verges qu'ils portaient et qui étaient liés autour d'une hache. Ils s'en servaient pour punir les coupables condamnés par les magistrats. 

(60) De περὶ, autour, et de σκύλαξ, chien.

(61) Les augures étaient obligés d'avoir des lampes pour prendre les auspices, parce qu'ils le faisaient au commencement du jour artificiel, c'est-à-dire à minuit. Les lampes leur servaient à voir, par le calme ou l'agitation de la flamme, s'il faisait du vent ou non.

(62) L'origine des Arcadiens était si ancienne et si obscure, qu'on les disait antérieurs à la lune , c'est-à-dire qu'ils se perdaient dans la nuit des temps.

(63) Parménide d'Élée fut très lié avec Xénophane. Platon a intitulé du nom de ce philosophe son dialogue sur les idées. Comme Empédocle, il avait écrit sur la nature et la physique. On lui attribue d'avoir le premier découvert que Lucifer et Hespérus étaient une même planète; d'autres en font honneur à Pythagore. Voyez Suid. et Diog. Laer.

(64) Les auteurs varient beaucoup sur la forme de ces lunules et sur la matière dont elles étaient faites. Ce qui paraît de plus certain, c'est que c'était une moitié de lune de la forme d'un C, cousue sur le soulier,comme l'assure Juvénal. Isidore prétend que cet usage remonte à Romulus, et qu'il marquai!, non la lune, mais le nombre cent, qui était celui des premiers sénateurs institués par ce prince.

(65) Jupiter pouvait présider à l'année comme principe de toutes choses ou comme fils de Saturne, qui était le temps, dont les années sont la mesure. Mais il est plus vraisemblable qu'il y présidait comme étant le soleil même, dont le mouvement règle l'année. Par la même raison, Junon, qui était la même que la lune, présidait aux mois. Cela n'empêchait pas que les mois ne fussent, chacun en particulier, consacrés à une autre divinité. Ainsi Junon présidait en général à tous les mois, et de plus au mois de janvier, comme le premier de tous. Février était consacré à Neptune ; mars, a Minerve; avril, À Venus; mai, à Apollon ; juin, à Mercure; juillet, à Jupiter; août, à Cérès ; septembre, à Vulcain ; octobre, à Mars; novembre à Diane , et décembre, à Vesta. On donnait cependant quelquefois au soleil la présidence des mois ; el Alys, qu'on désignait par cet astre, était appelé Memotyrannus, le souverain des mois.

(66) Tous les augures à gauche n'étaient pas favorables. Ceux du corbeau, par exemple, étaient meilleurs à droite, comme Cicéron l'atteste. 

(67) Selon d'autres auteurs, ceux qui prenaient les augures étaient tournés vers le midi, et avaient par conséquent à leur gauche l'orient, qui passait pour le coté du ciel le plus favorable, parce que c'est celui où le soleil se lève.

(68) Valère Maxime dit qu'on l'y invitait formellement, mais qu'on le priait ensuite de ne pas s'y trouver, parla raison qu'en donne Plutarque.

(69) Ce n'est pas seulement de toute la grandeur apparente du soleil que le jour se prolonge. Tout le monde sait qu'il fait clair jusqu'à ce que le soleil ait atteint le dix-huitième degré sous l'horizon.

 (70) Les anciens donnaient ce nom à ceux qui faisaient profession des  sciences que nous appelons exactes, telles que la géométrie, l'astronomie, etc. C'est dans ce dernier sens qu'il est pris ici. On donnait quelquefois ce nom aux Chaldéens.

(71) Plutarque se trompe en disant que le mois de juin était consacré à Junon. Selon le calendrier romain, que les anciennes inscriptions nous ont conservé, et que nous avons rapporté, art. 77, le mois de juin était sous la protection de Mercure. Il va tomber dans une autre erreur, et même dans une contradiction avec lui-même, en disant que le mois de mai était consacré à Mercure, tandis que le calendrier le donne à Apollon.

(72) Femme d'Atlas, et mère de Mercure, selon quelques mythologistes. 

(73) En latin, majores, et juniores pour les jeunes gens.

(74) Cette lance s'appelait hasta celibaris, sans doute parce qu'on renonçait au célibat. On choisissait pour cela une lance qui eût été plongée dans le corps d'un gladiateur, pour avoir une arme de bon augure ; ce qui paraît plus vraisemblable que de dire, comme quelques uns, que c'était pour montrer que la femme devait être unie avec son mari comme le fer l'avait été avec le corps du gladiateur.

(75) La fête quirinale était consacrée à Quirinus ou Romulus; et le même jour on célébrait la fête des fous. Plutarque a confondu ces deux fêtes, qui étaient cependant différentes.

(76) Diodore de Sicile ne dit point qu'un chien eût été la cause du meurtre du fils de Licymnius. Selon lui, après la prise de Troie par Hercule, sous Laomédon, Hippocoon, roi de Sparte, exila de cette ville son frère Tyndare, père de Castor et de Pollux. Les enfants d'Hippocoon, qui étaient au nombre de vingt, tuèrent Hyion ( c'est ainsi que Diodore le nomme ), fils de Licymnius , ami d'Hercule. Ce héros, indigné de ce meurtre, marcha contre les enfants d'Hippocoon, remporta sur eux une victoire complète, et prit d'emblée la ville de Sparte, dont il fit roi Tyndare. Mais comme il avait conquis ce royaume à la pointe de l'épée, il ne le lui céda qu'à condition de le remettre un jour à ses descendants qui viendraient le lui redemander : ce qui arriva quatre générations après, sous Aristodème, qui commença la race des rois Héraclides à Sparte. Hippocoon et dix de ses enfants, avec un grand nombre de Spartiates, périrent dans cette bataille. Hercule n'y perdit que peu de monde.

(77) Je n'ai pas besoin d'avertir combien cette interprétation est fabuleuse et peu conforme à la saine physique. Les connaissances des anciens étaient, à cet égard, fort bornées.

(78) Le serpent était consacré à ce dieu, parce que cet animal est très vigilant, et que la vigilance des médecins est bien nécessaire aux malades.

(79) Plutarque, dans la Vie de Numa, rapporte avec détail cette cérémonie barbare.

(80) Festus dit que ces jeux se célébraient aux ides d'octobre, et que celui des chevaux vainqueurs qu'on immolait dans le champ de Mars, était appelé Octobre; que les habitants de la voie Sacrée et ceux de la voie Suburra se disputaient la tête de l'animal, les premiers pour l'attacher aux murs du palais, les autres, à la tour Mantlia, située dans leur quartier. On portait sa queue au palais avec une extrême vitesse, afin que le sang qui en découlait tombât dans le feu qui y était allumé, et formât un sacrifice. Ce sang, continue Festus, tenait lieu d'une victime, et on l'offrait à ce titre au dieu Mars. 

(81) Quelquefois aussi on leur immolait les animaux qui leur étaient odieux. Ainsi, l'on sacrifiait un bouc à Bacchus, par la seule raison, dit Virgile, qu'il mangeait les bourgeons de la vigne.

(82) Les augures n'étaient pas les seuls qui conservassent leur dignité pendant toute leur vie, même lorsqu'ils avaient été convaincus des plus grands crimes. Ce privilège s'étendait aussi, selon le témoignage de Pline le Naturaliste, liv. 18, chap. 2, aux prêtres nommés Arvales, et dont les fonctions avaient pour objet les disputes qui s'élevaient sur les bornes et les limites des terres Les grands pontifes partageaient aussi cette prérogative.

(83) Les anciens ne donnaient pas le nom aux enfants aussitôt qu'ils étaient nés. On attendait plusieurs jours pour s'assurer qu'ils paraissaient disposés à vivre.

(84) Toute cette doctrine des nombres est fort obscure, et n'est fondée que sur des calculs purement arbitraires.

(85) C'est apparemment Alexandre Polyhistor, ou fort instruit, qui, selon Suidas, était de Milet, et, selon Stéphanus, de Cothyée , ville de Phrygie. Il vivait du temps de la guerre de Sylla en Grèce, et avait écrit, au rapport de Suidas, un nombre prodigieux d'ouvrages.

(86) Sénèque prétend que ce n'est pas à cause de la licence qu'il inspire que Bacchus a eu le nom de Liber, mais parce qu'il affranchit l'âme de l'esclavage des chagrins. D'autres le font venir de ce qu'on l'adorait dans les villes libres. Diodore de Sicile, qui fait naître ce dieu en Béotie, dit qu'il rendit libre tout ce pays, et y fit bâtir une ville qu'il appela Éleuthère, parce qu'elle ne recevait des lois que d'elle-même.

(87) C'est Homère que les anciens entendaient toujours lorsqu'ils disaient simplement le poète, comme étant le poète par excellence.

(88) C'était un usage assez général chez les Romains, lorsqu'ils faisaient un traité, de couper en deux la victime, et de faire passer au milieu les chefs des peuples. De là l'expression ferire fœdus, pour dire faire alliance. Mot à mot : frapper une alliance. Cette cérémonie signifiait que les parties contractantes souhaitaient d'être traitées comme la victime, si elles violaient l'alliance jurée.

(89) C'était l'usage en Italie de faire monter les ceps de vigne le long des arbres, ce qui a donné lieu a cette expression si ordinaire chez les auteurs latins : marier la vigne avec l'ormeau.

(90) On sent aisément que c'est ici un de ces préjugés superstitieux qui tenaient au peu de connaissances des anciens en physique.