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PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

LES OPINIONS DES PHILOSOPHES.  

 

 

texte grec

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LES OPINIONS DES PHILOSOPHES.

PRÉFACE DE L'AUTEUR.

[892e] Après avoir traité sommairement, dans les deux premiers livres, des corps célestes, parmi lesquels la lune occupe le dernier rang, je parlerai dans le troisième des météores, c'est-à-dire des corps qui s'étendent depuis le cercle de la lune jusqu'à la terre même, que quelques physiciens placent au centre de tout l'univers. Je commencerai par la voie lactée.

LIVRE TROISIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

De la voie lactée.

C'est un cercle nébuleux qui paraît constamment dans les airs, et auquel sa blancheur a fait donner le nom de voie lactée. [892f] Quelques pythagoriciens ont dit que, lorsque Phaëton incendia l'univers, un astre qui se détacha de sa place brûla tout l'espace qu'il parcourut circulairement, et forma la voie lactée. D'autres croient que ce cercle fut dans les commencements du monde la route du soleil. Suivant d'autres, c'est une simple apparence d'optique, produite par la réflexion que les rayons solaires éprouvent sur la voûte des cieux, comme sur un miroir, et semblable à celle qui se fait dans l'arc-en-ciel et dans les nuages. Métrodore dit que c'est la trace du passage du soleil qui fait sa révolution dans ce cercle. Parménide prétend que cette couleur de lait résulte du mélange d'un air dense et d'un air raréfié. [893a] Anaxagore pense que ce météore est l'effet de l'ombre de la terre, qui se projette sur cette partie du ciel, quand le soleil, parvenu sous la terre, n'éclaire


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plus tout l'univers. Démocrite dit que c'est la lueur de plusieurs petites étoiles qui sont très près les unes des autres, et qui par leur voisinage s'éclairent réciproquement (01). Aristote croit que c'est une masse considérable de vapeurs sèches qui, en s'enflammant, forment au-dessous de la région de l'éther, et beaucoup plus basque celle des planètes, une chevelure de feu. Posidonius dit que ce cercle est un composé de feu plus raréfié que celui des astres, mais d'une lumière plus dense.

CHAPITRE II.

Des comètes, des étoiles tombantes et des poutres de feu.

[893b] Suivant quelques pythagoriciens, la comète est un de ces astres qui ne paraissent pas toujours, mais qui se montrent périodiquement à un temps déterminé. D'autres croient que c'est une réflexion de notre vue sur le soleil, comme les objets sont réfléchis sur un miroir. Anaxagore et Démocrite veulent que ce soit le concours de deux ou de plusieurs astres qui unissent leur lumière (02). Aristote dit que c'est un amas d'exhalaisons sèches qui s'enflamment ; [893c] Straton, que c'est la lueur d'un astre environné d'un nuage épais, et semblable à celle qui brille à travers une lanterne. Héraclides de Pont croit que c'est un nuage placé dans la région supérieure, et qu'éclaire une lumière très


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élevée. Il attribue à la même cause les pogonies, les aires, les poutres de feu, les colonnes, et les autres phénomènes semblables, qu'il fait venir, comme tous les péripatéticiens, des différentes formes que prend le nuage. Suivant Epigène, la comète est un air mêlé de terre qui s'élève dans la région des astres et s'y enflamme. Boéthus croit que c'est une simple apparence de lumière, causée par un air très raréfié. Selon Diogène, les comètes sont des étoiles. Anaxagore prétend que les étoiles tombantes sont comme des étincelles qui sortent de l'éther, et que c'est pour cela qu'elles s'éteignent promptement. [893d] Métrodore prétend que ce sont les étincelles qui jaillissent du soleil, quand ses rayons tombent avec violence sur un nuage. Xénophane croit que tous les phénomènes de ce genre ne sont que la réunion de plusieurs nuages enflammés et leur mouvement de scintillation.

CHAPITRE III.

Des tonnerres, des éclairs, des foudres, des vents brûlants et des tourbillons.

Anaximandre attribue tous ces effets à l'air. Lorsqu'il est renfermé dans un nuage épais , la subtilité et la légèreté de ses parties font qu'il s'en dégage avec violence ; son explosion est accompagnée d'un grand bruit ; le nuage crève, et, du sein de son obscurité, il sort une flamme brillante. [893e] Métrodore dit que ces divers météores ont lieu quand l'air, se trouvant resserré dans un nuage dense et épais, l'effort qu'il fait en le divisant cause le bruit du tonnerre; en faisant crever le nuage, il produit l'éclair; la rapidité de son mouvement fait que le soleil lui communique une grande chaleur ; alors la foudre part, et la foudre en s'affaiblissant se change en un vent brûlant. Suivant Anaxagore, quand le chaud et le froid, c'est-à-dire l'éther et l'air, se trouvent mêlés ensemble, l'explosion


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qui suit de leur mélange forme le tonnerre; l'obscurité de la nuée donne, par sa couleur même, naissance à l'éclair ; la force et la vivacité de la lumière engendrent [893f]  la foudre ; quand le feu a plus de consistance que la nuée, il cause un tourbillon, et, s'il en a la légèreté, un vent brûlant. Les stoïciens pensent que le tonnerre vient du choc des nuages, que l'éclair est la lumière produite parce choc; que la rapidité de la lumière cause la foudre, et sa faiblesse un vent brûlant. Aristote veut encore que ces divers accidents soient l'effet d'exhalaisons sèches qui, se trouvant comprimées dans des vapeurs humides, cherchent à se faire jour avec violence. Le choc et la rupture du nuage causent le bruit du tonnerre ; l'inflammation des vapeurs sèches produit l'éclair. Les vents brûlants et les tourbillons viennent du plus ou du moins de matière que ces météores attirent. Quand la chaleur y domine, c'est un vent brûlant; si elle a plus de densité, c'est un tourbillon (03).

CHAPITRE IV.

Des nuées, des pluies, des grêles et des neiges.

[894a] Suivant Anaximènes, les nuées se forment d'un air très condensé. S'il se coagule encore davantage, elles se résolvent en pluie ; si l'eau se gèle en tombant, elle produit la neige ou la grêle, quand elle est saisie dans sa chute par un vent froid. Métrodore croit que les nuées sont le résultat des exhalaisons aqueuses qui s'élèvent dans les airs. Épicure les croit formées par des vapeurs. Quant à la rondeur de la grêle et des gouttes de pluie, il pense qu'elle est l'effet de la pression qu'elles éprouvent dans une longue chute.


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CHAPITRE V.

De l'arc-en-ciel.

Entre les météores, les uns ont une existence réelle, comme la pluie et la grêle, d'autres n'en ont que les apparences, et n'existent pas réellement; ainsi, quand nous naviguons dans un bateau, nous croyons voir le rivage marcher. L'arc-en-ciel est un météore de la seconde espèce. Suivant Platon (04), on rapporte son origine à Thaumas, à cause de l'admiration qu'il cause. Homère a dit :

Iris vient étaler ses brillantes couleurs.

La Fable lui donne une tête de taureau, et suppose qu'elle absorbe l'eau des fleuves. Mais comment se forme l'arc-en-ciel? Il faut d'abord observer que nous voyons les objets par des lignes qui sont ou [894c] droites, ou courbes, ou réfléchies ; lignes qui n'ont point de corps et sont invisibles à nos yeux, mais que notre raison conçoit. Nous voyons par des lignes droites les objets qui sont dans l'air, et à travers les pierres transparentes et les cornes, parce que ces corps diaphanes sont composés de parties très subtiles. Nous voyons par des lignes courbes les objets qui sont dans l'eau ; car notre vue se plie avec force à cause de la densité de ce liquide, et une rame que nous voyons de loin dans la mer nous paraît rompue. La troisième manière de voir se fait par des lignes réfléchies, comme dans les miroirs, et c'est ainsi que nous voyons l'arc-en-ciel. [894d] Il faut concevoir que les vapeurs humides qui s'élèvent dans les airs se changent en nuages, et deviennent peu à peu des gouttes d'eau. Quand donc le soleil baisse vers l'occident, il faut nécessairement que notre vue, tombant sur ces gouttes d'eau, et y éprouvant


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une réflexion qui produit l'arc-en-ciel, ce phénomène paraisse toujours en face du soleil. Ces gouttes ne déterminent point la forme de l'iris, mais ses couleurs. La première est le rouge, la seconde est le pourpre, et la troisième le vert. Le rouge est produit par l'éclat et la vivacité des rayons du soleil, qui, donnant dans ces gouttes d'eau, y éprouvent la réflexion d'où naît cette couleur. La seconde [894e] partie de l'iris devenant plus obscure, et délayant, pour ainsi dire, dans les gouttes d'eau, la lumière brillante du soleil, donne le pourpre, qui n'est qu'une teinte affaiblie du rouge. L'extrémité de l'iris s'obscurcissant encore davantage, il en résulte le vert. Une expérience commune confirme ces observations. Si quelqu'un met de l'eau dans sa bouche, et que placé en face du soleil, il la fasse sortir en vapeur, de manière que ces gouttes d'eau réfléchissent les rayons de cet astre, il verra les couleurs de l'arc-en-ciel. C'est encore ce qui arrive à ceux qui, ayant mal aux yeux, fixent la lueur d'une lampe. Anaximènes croit que l'arc-en-ciel est formé parles rayons du soleil, qui, tombant sur une nuée dense, épaisse et noire qu'ils ne peuvent pénétrer, se réunissent à sa surface. [894f] Anaxagore dit que c'est la réflexion des rayons solaires sur une nuée épaisse toujours opposée au soleil, comme les objets se réfléchissent sur un miroir. Il explique par la même cause les- parélies qu'on voit souvent dans le Pont. Selon Métrodore, quand le soleil brille à travers une nuée, le nuage paraît vert, et le rayon solaire prend la couleur rouge (05). 


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CHAPITRE VI.

Des verges.

Les verges et les anthélies ont en partie une existence réelle, [895a] et ne sont en partie qu'apparentes. Les nuées où elles se forment existent véritablement, mais non dans leur couleur naturelle; elles en prennent une étrangère qui n'est qu'apparente. Ce qui est naturel à ces phénomènes, et ce qu'ils ont d'accidentel, est le même dans tous (06).

CHAPITRE VII.

Des vents.

Anaximandre dit que le vent est un air fluide dont le soleil met en mouvement ou dissout les parties les plus subtiles. Suivant les stoïciens, tous les vents sont [895b] des courants d'air, qui changent de nom, suivant les pays d'où ils soufflent. Le vent d'occident s'appelle Zéphyre, celui d'orient Apéliotes. On donne au vent qui souffle du septentrion le nom de Borée, et au vent du midi le nom d'Africain. Métrodore prétend que les vapeurs aqueuses qui s'élèvent dans les airs, étant échauffées par le soleil, occasionnent des vents rapides et violents, et que les vents étésiens soufflent quand l'air, que le soleil avait com-


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primé vers les pôles, reprend un libre cours, à mesure que le soleil s'éloigne du tropique d'été (07).

CHAPITRE VIII.

De l'hiver et de l'été.

[895c] Suivant Empédocle et les stoïciens, l'hiver est produit par la condensation de l'air qui force le feu de se retirer vers les régions supérieures, et l'été revient quand le feu acquérant plus de force s'abaisse vers nous (08).

Après avoir traité de ce qui regarde les météores, je vais parler de la terre.

CHAPITRE IX.

De la terre, de sa nature et de sa grandeur.

Thalès et ses sectateurs croient qu'il n'y a qu'une terre. Icetas le pythagoricien prétend qu'il y en a deux: la nôtre et- celle qui lui est opposée, ou les antipodes. Les stoïciens disent qu'il n'y a qu'une terre, et qu'elle est limitée. [895d] Suivant Xénophane, sa partie inférieure s'étend à une profondeur infinie, et sa masse est composée d'air et de feu. Métrodore enseigne que la terre est le sédiment et comme la lie de l'eau, et le soleil le sédiment de l'air.

CHAPITRE X.

De la figure de la terre.

Thalès, les stoïciens et leurs sectateurs disent que la terre a la forme d'une sphère. Anaximandre la compare à une colonne de pierre unie dans sa surface (09). Anaxi-


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mènes veut qu'elle ait la forme d'un trapèze, et Leucippe celle d'un tambour. Suivant Démocrite, elle a dans sa largeur la figure d'un disque, mais elle est creusée dans le milieu.

CHAPITRE XI.

De la position de la terre.

[895e] Les sectateurs de Thalès croient que la terre est au centre du monde. Suivant Xénophane, elle est la première entre les corps qui composent l'univers, et ses racines s'étendent à l'infini. Philolaüs le pythagoricien place le feu au centre, parce qu'il est le foyer de l'univers (10), ensuite la terre des antipodes, et puis la nôtre, qui environne la précédente, de manière que les habitants de l'une ne peuvent pas voir ceux de l'autre. Parménides est le premier qui ait fixé les régions habitables de la terre aux deux tropiques (11).

CHAPITRE XII.

De l'inclinaison de la terre.

[895f] Leucippe pense que la terre a été inclinée vers le midi à cause de la raréfaction de l'air qui occupe les parties australes; les parties boréales sont condensées par le froid,


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et les parties opposées sont échauffées par l'ardeur du soleil (12). Suivant Démocrite, cette inclinaison vient de ce que l'air qui environne la terre dans ses parties australes étant plus faible, la terre s'y abaisse par l'effet de sa plus grande pesanteur. Car les parties boréales sont très froides, et celles du midi ont une température fort douce ; et cela fait que les fruits qui croissent en abondance dans ces régions en augmentent la masse et y rendent la terre plus pesante.

CHAPITRE XIII.

Du mouvement de la terre.

[896a] Tous les autres philosophes croient la terre immobile : mais le pythagoricien Philolaüs dit qu'elle se meut autour de la région du feu, en décrivant un cercle oblique, comme le soleil et la lune. Héraclides de Pont et le pythagoricien Ecphantus font mouvoir la terre, non qu'elle passe d'un lieu à un autre, mais elle est comme une roue fixe qui tourne sur son centre, et ce mouvement se fait d'occident en orient (13). Suivant Démocrite, la terre, dans


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les commencements, errait çà et là, à cause de sa petitesse et de sa légèreté ; mais dans la suite, [896b] ayant augmenté de densité et de pesanteur, elle devint immobile.

CHAPITRE XIV.

De la division de la terre et du nombre de set zones.

Pythagore dit que la terre, aussi bien que la sphère de l'univers, est divisée en cinq zones, l'arctique, celle de l'été, celle de l'hiver, l'équinoxiale et l'antarctique. L'équinoxiale, située au milieu, détermine le milieu de la terre , et s'appelle la zone torride. La partie habitable de la terre qui est tempérée s'étend de chaque côté entre la zone d'été et celle d'hiver.

CHAPITRE XV.

Des tremblements de terre.

[896c] Thalès et Démocrite attribuent à l'eau les tremblements de terre  (14). Ils arrivent, suivant les stoïciens, quand l'humidité qui est dans le sein de la terre se raréfie et s'en dégage avec violence. Anaximènes les fait venir de la sécheresse et de l'humidité de la terre, dont l'une est causée par les chaleurs excessives, et l'autre par les pluies abondantes. Anaxagore croit qu'ils sont occasionnés par l'air qui est dans l'intérieur de la terre, et qui, se présentant à sa surface pour en sortir, retenu par la densité de la matière terrestre, et ne pouvant trouver une issue, la secoue avec violence. Aristote les attribue à l'action du froid qui est au-dessus et au-dessous de la terre. Le chaud, à raison de sa légèreté, tend naturellement en haut ; ainsi


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les exhalaisons sèches [896d] qui sont dans le sein de la terre, ne trouvant pas le moyen de s'élever, les efforts qu'elles font pour s'ouvrir un passage, agitent violemment la terre. Métrodore dit que tout corps qui occupe sa place naturelle ne se meut qu'autant qu'un autre le pousse ou l'entraîne avec force, que la terre, qui est à sa place naturelle, ne peut être remuée ; mais quelques unes de ses parties se rapprochent les unes des autres. Selon Parménides et Démocrite, la terre étant dans toutes ses parties également distante du ciel, et n'ayant rien qui la détermine à pencher d'un côté plutôt que d'un autre, elle reste en équilibre ; que, par conséquent, elle peut être secouée, mais non changer de place. Anaximènes croit qu'elle est dans sa largeur portée sur l'air, qui l'agite même quelquefois. [896e] D'autres prétendent qu'elle flotte sur l'eau, comme les planches et les tables, et qu'ainsi elle est en mouvement. Platon, qui distingue six sortes de mouvements en haut, en bas, à droite, à gauche, en avant et en arrière, prétend que la terre ne peut avoir aucun de ces mouvements, parce que étant placée dans le lieu le plus bas de l'univers, et n'ayant rien qui la fasse incliner d'un côté plutôt que d'un autre, elle reste immobile ; mais que certaines parties de son globe, étant moins compactes, sont susceptibles d'être agitées. Épicure croit que la terre peut être fortement secouée par l'air épais [896f] et aqueux qui est au-dessous de son globe ; qu'il est possible aussi qu'étant pleine de fentes et de crevasses dans ses parties inférieures, elle soit violemment agitée par l'air qui pénètre dans ces cavités profondes.

CHAPITRE XVI.

De la mer, de sa formation et des causes de son amertume.

Anaximandre prétend que la mer est le résidu de l'humidité originelle, dont la plus grande partie fut desséchée


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par le feu, et le reste, altéré par la chaleur, contracta de l'amertume. Anaxagore croit que l'humidité primitive qui était en stagnation, ayant été enflammée par le mouvement de rotation du soleil, et ses parties grasses réduites en vapeurs , ce qui resta dégénéra [897a] en une saveur amère et salée. Suivant Empédocle, la mer est la sueur de la terre embrasée par le soleil, et cette sueur, ayant été délayée et raclée de la surface de la terre, fut portée dans la mer et la rendit salée. Antiphon dit que c'est la sueur des parties échauffées du globe, qui, s'étant séparées des parties humides par la coction qu'elles éprouvèrent, donnèrent aux eaux ce goût salé qu'ont toutes les sueurs. Selon Métrodore, la mer, en filtrant à travers la terre, se charge de ses parties les plus grossières, comme il arrive aux fluides qui coulent à travers les cendres (15). Les platoniciens veulent que la portion de l'eau élémentaire que le froid de l'air a condensée soit douce, et que celle qu'une chaleur forte fait résoudre en vapeurs soit salée.

CHAPITRE XVII.

Du flux et du reflux de la mer.

[897b] Aristote et Héraclite attribuent ces deux effets au soleil, qui, par son mouvement, excite les vents et les entraîne ; lorsqu'ils viennent à souffler avec violence sur la mer Atlantique, ils la soulèvent et la poussent, et occasionnent ainsi la marée ascendante ; quand leur action cesse, la mer baisse et le reflux a lieu. Pythéas de Marseille dit que la pleine lune cause le flux, et son décours, le reflux. [897c] Platon l'attribue à un soulèvement considérable des eaux, qui se fait par les ouvertures que la mer a dans son fond, et qui, en amenant successivement de nou-


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velles vagues, produit ce mouvement alternatif des flots. Selon Timée, les rivières qui des montagnes de la Gaule Celtique tombent dans la mer Atlantique, sont la cause de ce phénomène. Quand elles entrent dans cette mer, l'impétuosité de leur chute la pousse avec violence et occasionne la marée ascendante ; quand par intervalles leur cours est moins rapide, les eaux de la mer rentrent dans leur lit, et le reflux a lieu. Le mathématicien Séleucus, qui suppose la terre mobile, dit que la lune dans sa révolution rencontre et repousse le globe de la terre, et que l'air qui se trouve intercepté entre ces deux globes, étant poussé en sens contraire, vient donner contre la mer Atlantique, et doit naturellement la soulever.

CHAPITRE XVIII.

De l'aire.

[897d] Voici comment l'aire se forme. Entre le globe de la lune ou de tout autre astre et notre vue, il se rencontre et s'arrête une vapeur épaisse et nébuleuse qui fait que notre vue se rompt et s'élargit, au point que lorsqu'elle parvient au cercle de l'astre, il nous semble qu'il se forme à sa circonférence extérieure un cercle qui paraît lui être parallèle. Nous donnons à ce cercle apparent le nom d'aire, parce qu'il paraît se former tout auprès de l'astre, dans l'endroit où se porte notre vue élargie.


(01) Nous n'en savons pas plus que les anciens sur la nature de la voie lactée, puisque, « quelle que soit la force du télescope, on découvre toujours au delà de ces étoiles un fond blanc qui ne se divise plus ; et il y a des parties de la voie lactée où l'on ne découvre point d'amas d'étoiles. On voit enfin dans plusieurs parties du ciel des blancheurs semblables, sans que le télescope y fasse découvrir des multitudes d'étoiles. » 

(02) La variété des opinions des anciens sur les comètes prouve qu'ils connaissaient aussi peu leur nature que leur cours. Nous ne sommes guère plus avancés qu'eux sur le premier point. Nous savons seulement avec plus de certitude que ces astres, comme Pythagore l'avait cru, ne paraissent qu'à certaines époques dont on a démontré la périodicité et calculé le retour.

(03) La découverte de l'électricité et les observations des physiciens modernes sur les efforts des frottements électriques ont donne la vraie cause du tonnerre, et fait disparaître ces idées puériles de la vieille physique.

(04) Thaumas, dont le nom signifie admirable, était, selon les poètes, fils de l'Océan.

(05) Les anciens n'ont pas bien connu l'origine de l'arc-en-ciel. Newton a découvert que la différence des couleurs provenait de ce que chaque rayon simple, c'est-à-dire rouge, jaune, bleu, n'ayant pas le même degré de force que son voisin, il arrive que, tous pris ensemble, éprouvent une réfraction inégale quoiqu'ils passent par un milieu homogène, parce qu'ils sont obligés, en rencontrant un milieu diaphane mais dense, de vaincre une résistance qui ne permet pas aux plus faibles de suivre la même direction que les plus forts. Quant à la forme arquée de l'iris, voici l'explication qu'en donnent nos physiciens modernes. Solon eux, l'iris a cette forme, parce que les rayons de lumière forment un cône dont la base est la nuée sur laquelle l'iris est répandue, et , au sommet duquel se trouve le spectateur. Antonio de Dominis. archevêque de Spalatro en Dalmatie, a le premier fait voir par une expérience célèbre coque c'était que la théorie de l'arc-en-ciel, el comment se formait la variété des couleurs qu'on y découvre.

(06) Ces anthélies, qu'on nomme aussi parélies, sont des nuages, et, comme disent les physiciens, des spectres solaires. La causé de cette illusion est dans la réfraction des rayons du soleil sur notre atmosphère. On peut comparer cette multiplication de l'image du soleil à la répétition qui se fait d'un même objet dans un miroir à facettes.

(07) Nous ne sommes pas beaucoup plus avancés sur la connaissance des vents que ne l'étaient les anciens.

(08) La plus longue absence du soleil de dessus noire horizon, l'obliquité et la faiblesse de ses rayons sont les causes qui ramènent régulièrement l'hiver comme les causes contraires produisent l'été.

(09) Anaximandre dit que la terre est de forme sphérique, et qu'elle occupe le centre du monde. Dans la suite, et du temps de Pline, comme on le voit dans ce naturaliste, on croyait communément la terre ronde, mais non d'une rondeur parfaite. Aujourd'hui l'opinion assez générale est que le globe terrestre a la ligure d'un sphéroïde aplati vers les pôles. Cependant quelques physiciens la croient au contraire plus allongée vers les pôles qu'à l'équateur. 

(10) Philolaüs place au centre le feu, qu'il appelle le domicile de Jupiter, le père des dieux et l'autel de la nature. Il suppose ensuite un autre feu, qui occupe la région supérieure. Le premier occupe le centre, autour duquel sont placés les dix corps célestes, le ciel, les planètes, le soleil, au-dessous la lune, ensuite la terre que nous habitons, et après elle, la terre des antipodes. 

(11) La division de la terre en zones parait plus ancienne que Parménides; elle avait été connue de Thalès et d'autres philosophes antérieurs. 

(12) Cette raison de Leucippe, loin de montrer que la terre doit être inclinée vers le midi, prouverait au contraire qu'elle doit y être plus élevée. En effet, si les parties australes sont plus raréfiées par la chaleur, elles doivent être aussi plus légères, et les parties boréales plus pesantes, puisque le froid les a condensées. On pourrait donc soupçonner qu'il faut lire les parties boréales au lieu des parties australes, si Diogène Laërce, lib. IX, seg. 33, ne disait la même chose en exposant le sentiment de Leucippe. Le P. Corsini, pour lever cette difficulté, propose, dissert. I, p. 32, de transporter ici ce qui est dit à la fin du chapitre, de la plus grande abondance des fruits qui croissent dans les parties australes, attendu que cette cause, qui est intrinsèque à la nature de la terre et aux accidents que la chaleur ou le froid ont pu lui faire éprouver, ne fait rien pour l'opinion de Démocrite, qui tire l'inclinaison de la terre de l'inégalité de l'air extérieur qui l'environne, au lieu que cette cause rend plus claire et plus sensible l'opinion de Leucippe. Il parait donc nécessaire de faire la transposition proposée par le P. Corsini. 

(13) Ce que l'auteur dit ici d'Héraclide et d'Ecphanlus est aussi attribué à plusieurs autres philosophes, et en particulier à Platon. Cependant Platon ne dit pas que la terre tourne, mais qu'elle est soutenue. Voici ses propres paroles, tirées de son Timée et interprétées par Cicéron : «La terre, dit-il, est notre nourrice, et, soutenue par l'axe qui la traverse, elle produit la nuit et le jour, et elle est la première et la plus ancienne gardienne des corps célestes. »

(14) Thalès et Démocrite disaient que la terre est portée sur l'eau, comme un navire, et que de temps en temps elle est agitée par les flots.

(15) Aristote donne la même cause à l'amertume de la mer.