|
ALLER A LA TABLE DES MATIERES DE PLUTARQUE
|
|
PLUTARQUE
OEUVRES MORALES QU'IL NE FAUT PAS EMPRUNTER A USURE.
|
page 125 QU'IL NE FAUT PAS EMPRUNTER A USURE (01). (827d) Platon ne permet pas, dans son Traité des Lois (02), d'aller puiser (827e) de l'eau chez ses voisins; il veut qu'auparavant on fouille dans son terrain jusqu'à ce qu'on ait trouvé l'argile, qui est cette terre grasse et compacte qui retient l'eau et la conserve, et qu'on se soit assuré qu'il n'y a pas de source. Mais il autorise à en prendre chez ses voisins quand on n'en a pas trouvé chez soi. Le besoin des hommes rend cette loi juste. Il en faudrait une semblable pour l'argent : elle ne permettrait d'emprunter et de recourir (827f) à une source étrangère qu'après avoir examiné toutes ses ressources, et ramassé comme autant de filets d'eau pour pouvoir satisfaire à ses besoins. Aujourd'hui, la mollesse et un luxe fastueux font que les gens riches, au lieu d'employer leur bien à des choses utiles, empruntent sans nécessité pour des choses frivoles. Il est vrai que la pauvreté est sans crédit, et qu'on ne prête qu'à ceux qui ne sont pas dans le besoin et qui ne veulent se procurer par ces emprunts que des choses superflues ; encore exige-t-on d'eux de bonnes cautions. Mais pourquoi faire votre cour à un banquier ou à un marchand? (828a) empruntez de votre propre buffet. Vous avez des bassins, des plats et des coupes d'argent, vendez-les si vous êtes dans un besoin pressant. Et du reste, l'agréa-
page 130 ble ville d'Aulis ou celle de Ténédos (03) remplaceront votre vaisselle et orneront votre table de vases plus propres que l'argenterie, et qui ne seront pas infectés par cette odeur insupportable d'usure qui, comme une rouille corrosive, mine chaque jour votre opulence. Ils ne vous rappelleront pas sans cesse le jour des calendes et de la nouvelle lune, ce jour le plus saint et le plus auguste de tous, et que les usuriers rendent le plus odieux et le plus détestable (04). Pour ceux qui, au lieu de vendre une partie de leurs effets, préfèrent de les mettre en gage, je ne (828b) crois pas que Jupiter Ctésius (05) pût lui-même empêcher leur ruine. Ils auraient honte d'en recevoir la valeur en argent, et ils ne rougissent pas d'en payer l'intérêt. Périclès, cet habile administrateur, fit faire le manteau d'or fin dont la statue de Minerve était velue, et qui pesait quarante talents, de telle manière qu'on pouvait l'ôter quand on voulait, afin, disait-il, que si nous sommes obligés de nous en servir pour les besoins de la guerre, nous puissions en remettre un autre de même valeur. Que cet exemple nous serve de leçon. Gardons-nous, dans nos besoins, de recevoir comme une ville assiégée la garnison d'un usurier ennemi, et ne souffrons pas que , sous nos yeux, nos biens soient mis en servitude ; retranchons plutôt de nos tables , de nos lits, de nos voitures et de page 131 toute notre dépense ce qui ne nous est pas absolument utile ; conservons noire liberté ; et si, dans la suite, la Fortune nous favorise, nous remplacerons ce que nous aurons retranché. (828c)Les dames romaines donnèrent tous leurs bijoux pour faire la coupe d'or qu'on envoya à Delphes et qu'on offrit à Apollon Pythien, comme les prémices de leurs dons (06). Les femmes de Carthage coupèrent leurs cheveux et en firent des cordes pour attacher les machines de guerre employées à la défense de leur patrie (07). Et nous, comme si nous avions à rougir de pouvoir nous suffire à nous-mêmes, nous enchaînons notre liberté par des obligations et des contrats, au lieu de nous réduire à ce qui nous est d'une véritable utilité et d'élever, du retranchement et de la vente de notre superflu , un temple de liberté pour nous, pour nos femmes et pour nos enfants. (828d) Le temple de Diane à Éphèse est, pour les débiteurs qui s'y réfugient, un asile assuré contre les poursuites de leurs créanciers. Le sanctuaire de la frugalité est aussi un asile impénétrable toujours ouvert aux hommes vertueux , où ils trouvent un repos aussi doux qu'honorable. Dans l'invasion de la Grèce par les Perses , la pythie dit aux Athéniens que le dieu leur donnait pour défense des murs de bois. Ils quittèrent donc leurs maisons, leur ville , leurs biens et leur pays, et se réfugièrent sur leurs vaisseaux pour y défendre leur liberté. De même Dieu nous donne une table de bois, des plats de terre, des page 132 habits simples avec lesquels nous pouvons nous maintenir libres.
(829e) « Renonçons sans regret à
ces chars fastueux que les usuriers ont bientôt atteints et même devancés. Montez sur le premier âne ou sur le premier cheval que vous trouverez pour fuir cet usurier, votre ennemi, votre tyran véritable, qui ne vous demande pas le feu et l'eau, comme les Mèdes aux Grecs, mais qui attente à votre liberté et blesse votre honneur. Si vous ne le payez pas , il vous presse ; si vous avez de quoi le payer, il ne veut recevoir votre argent qu'à sa commodité. Lui vendez-vous vos biens pour le satisfaire, il prétend les avoir pour rien ; refusez-vous de les vendre, il veut vous y forcer ; lui intentez-vous une action en justice, il propose un accommodement; faites-vous (828f) serment de le payer, il vous l'ordonne avec hauteur; allez-vous chez lui, il vous fait fermer sa porte ; restez-vous renfermé chez vous, il va sans cesse frapper à la vôtre. De quoi sert-il aux Athéniens que Solon ait affranchi les débiteurs de la contrainte par corps (08) ? Ne sont-ils pas dans la dépendance de tous les usuriers ? Que dis-je ! ce n'est encore là que leur moindre mal : ils sont soumis à leurs esclaves même , hommes insolents, durs et barbares, semblables à ces bourreaux, à ces démons entourés de flammes, qui, suivant Platon, punissent les scélérats dans les enfers. Ils font de la place publique l'enfer des malheureux débiteurs (09) dont ils dévorent la substance, tels que des (829a) vautours affamés « A leur proie acharnés déchirent ses entrailles (10), » page 133 ou tels que ces furies qui se trouvent toujours auprès de Tantale, ils les empêchent de toucher à leurs propres biens, qu'ils emportent et dévorent eux-mêmes. Darius envoya Datis et Artapherne contre les Athéniens , et leur donna des fers pour enchaîner les prisonniers qu'ils feraient (11). Il en est à peu près de même des usuriers : ils parcourent la Grèce avec des sacs remplis d'obligations et de contrats, comme d'autant de chaînes, et vont de ville en ville , (829b) non pour y répandre, comme autrefois Triptolème (12), un fruit utile, mais des semences de dettes qui produisent des maux sans nombre, des usures sans fin dont les racines, s'étendant au loin et poussant toujours de nouveaux rejetons, étouffent les malheureux débiteurs. On dit que les femelles des lapins, pendant qu'elles nourrissent des petits, en mettent d'autres bas, et deviennent pleines (13). Mais l'argent prêté par ces barbares et impitoyables usuriers est fécond pour eux avant même qu'ils aient rien reçu; ils l'ont à peine donné qu'ils le redemandent, et ils retiennent l'intérêt sur le capital qu'ils délivrent. On dit en proverbe chez les Messéniens : (829c) « Pyle à côté de Pyle, et Pyle encor devant (14). » On peut dire de même des banquiers : « L'usure de l'usure enfante encor l'usure. » page 134 Ils se moquent des philosophes qui prétendent que rien ne se fait de rien ; et eux, cependant, ils tirent un intérêt de ce qui n'existe pas encore. Ils regardent comme une chose honteuse de prendre à ferme les revenus publics , quoique la loi le permette ; et eux, contre toutes les lois , ils exigent un impôt sur l'argent qu'ils prêtent, ou plutôt leur manière de prêter est une véritable fraude, car le débiteur qui reçoit moins que son obligation ne porte est certainement lésé. Les Perses regardent comme la première de toutes les fautes de contracter des dettes, et comme la seconde de mentir, parce que ce dernier (829d) vice est ordinaire aux débiteurs. Mais les usuriers mentent bien davantage : ils font des actes faux en inscrivant sur leurs registres qu'ils ont donné tant à un tel, quoique en effet celui-ci ait moins reçu. Et leur mensonge a pour principe, non la nécessité ou l'indigence , mais une cupidité et une avarice insatiables qui, sans aucun but d'utilité ou de jouissance pour eux-mêmes, est si funeste à ceux qui en sont l'objet. Ils ne cultivent pas les champs qu'ils enlèvent à leurs débiteurs; ils n'habitent pas les maisons dont ils les ont chassés; ils ne mangent pas sur les tables qu'ils leur ôtent, et ne portent point les vêtements dont ils les ont dépouillés. Un premier qu'ils ont ruiné leur sert d'amorce pour en attirer un second dans leurs filets. Leur avance, telle qu'un feu (829e) dévorant, se nourrit de la ruine et de la perte de ceux qui tombent dans leurs piéges et qui se succèdent à chaque instant. Et l'usurier qui attise sans cesse ce feu et lui fournit de nouveaux aliments, n'en relire d'autre avantage que de parcourir de temps en temps ses registres pour y voir combien de débiteurs il a forcés de vendre leurs biens, combien il en a chassés de leurs possessions, et d'où sont parties ces sommes d'argent qui, après avoir circulé de main en main, se sont amoncelées dans ses coffres. Et ne croyez pas, quand je parle ainsi, que j'aie des page 135 motifs personnels de vengeance contre les usuriers : « Ils n'ont jamais ravi mes bœufs ni mes chevaux. » (829f) Je veux seulement faire voir à ceux qui empruntent si facilement de quelle honte ils se couvrent, dans quel esclavage ils se jettent, et leur montrer que c'est de leur part le comble de la folie et de la lâcheté. Avez-vous de quoi vivre, n'empruntez pas, puisque vous n'êtes pas dans le besoin ; manquez-vous du nécessaire, gardez-vous encore d'emprunter : vous n'aurez aucun moyen de vous libérer. Examinons ces deux points séparément. Caton disait à un vieillard qui menait une mauvaise conduite : Mon ami, la vieillesse a déjà tant de difformités, n'y ajoutez pas celle du vice. Je vous dirai de même : (830a) La pauvreté traîne à sa suite tant de maux, ne la surchargez pas encore des embarras qu'amènent les emprunts; ne lui ôtez pas le seul avantage qu'elle ait sur la richesse, celui d'être exempte de chagrins. Sans cela, vous vous exposerez au ridicule exprimé dans ce proverbe : Je ne puis porter une chèvre, ajoutez-y encore un bœuf. Vous ne pouvez pas supporter la pauvreté , et vous voulez vous charger encore d'usures, fardeau insupportable aux riches eux-mêmes! Mais, dites-vous, comment ferai-je pour vivre? Vous mêle demandez, tandis que vous avez des bras, des pieds, une langue, enfin que vous êtes homme, et qu'en cette qualité vous pouvez aimer et être aimé, recevoir des services et en rendre, (830b) enseigner la grammaire, élever des enfants, garder une porte, être commerçant ou facteur. Qu'y a-t-il en tout cela d'aussi pénible et d'aussi honteux que de s'entendre dire par un créancier : Payez-moi! Rutilius, ce Romain si riche, vint un jour trouver Musonius (15), et lui dit : Musonius, ce Jupiter que vous faites page 136 profession d'imiter, n'emprunte point à usure. — Il ne prête pas non plus, lui répondit Musonius en souriant. C'est que Rutilius était un usurier qui reprochait au philosophe ses emprunts. Mais quelle arrogance stoïque dans Rutilius ! Quel besoin d'appeler en témoignage Jupiter Sauveur , tandis qu'il avait sous les yeux tant d'exemples? Les hirondelles et les fourmis n'empruntent pas, elles à qui la nature n'a donné ni (830c) mains, ni raison, ni industrie. Mais les hommes ont reçu une telle intelligence, qu'ils peuvent nourrir des chevaux, des chiens, des perdrix, des lièvres et des geais. Pourquoi donc vous accuser vous-même d'être moins persuasif qu'un geai, plus muet qu'une perdrix , moins généreux qu'un chien, et de ne pouvoir, par vos services, par vos instructions, par votre zèle à garder quelqu'un et à le défendre, obtenir de lui des secours ? Ne voyez-vous pas combien la terre et la mer vous offrent de ressources dans vos besoins ? Écoutez ce que dit Cratès:
Je voyais Micylus, dans
des temps malheureux, Le roi Antigonus, après avoir retrouvé à Athènes le philosophe Cléanthe, qu'il n'avait pas vu depuis longtemps, lui dit : Eh quoi ! Cléanthe, vous tournez encore la meule ? — (830d) Oui, prince, lui répondit Cléanthe, je le fais pour fournir à ma subsistance, prêt à tout faire plutôt que d'abandonner la philosophie. Quelle grandeur d'âme dans ce philosophe qui, de la même main dont il venait de tourner la meule et de faire du pain, allait écrire sur les dieux, sur la lune, sur le soleil et sur les astres ! Et après cela, nous traiterons ces travaux de serviles ! Est-ce donc pour nous conserver libres que nous empruntons, que nous faisons bassement la cour à de vils esclaves, que nous les escortons, que nous leur donnons page 137 à manger, que nous leur faisons des présents, que nous leur payons des pensions? Et cela, non pour éviter la pauvreté, car personne ne prête à un homme pauvre, mais pour fournir à une prodigalité. Si nous savions nous contenter du nécessaire, il n'y aurait pas plus d'usuriers dans le monde que de centaures et de gorgones. (830e) C'est le luxe qui les a seul enfantés, comme il a produit les ouvriers en or et en argent, les parfumeurs et les teinturiers. Est-ce pour acheter du pain et du vin que nous empruntons à usure ? Non, c'est pour avoir des terres, des esclaves, des mulets, des meubles magnifiques, des tables richement servies ; c'est enfin pour fournir aux folles dépenses de ces spectacles que nous donnons au peuple, et pour satisfaire une ambition insensée dont nous ne recueillons d'autre fruit qu'une cruelle ingratitude. Celui qui s'est mis une fois dans les filets des usuriers y reste pour la vie ; il passe de la servitude de l'un dans celle d'un autre , comme un cheval qu'on a bridé reçoit tous les cavaliers qui veulent le monter, sans qu'il lui soit possible de s'échapper dans ces gras pâturages, dans ces prairies riantes d'où il a été tiré. De même les débiteurs tombent d'usure en usure, semblables à ces démons que Dieu punit, suivant Empédocle, en les exilant du ciel.
« Au vaste sein des mers le
ciel les précipite. (831a) C'est ainsi qu'un débiteur tombe des mains d'un usurier ou d'un banquier dans celles d'un autre, aujourd'hui d'un Corinthien, demain d'un homme de Patras (16), ensuite d'un Athénien, jusqu'à ce que, également trompé par tous, il voie consommer sa ruine. Un homme tombé dans un page 138 bourbier doit, s'il le peut, en sortir sur-le-champ ou rester immobile à la même place. S'il se retourne et s'agite, il ne fait que s'enfoncer de plus en plus dans la boue. De même les débiteurs qui, changeant d'usuriers , contractent des obligations tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre, (831b) ne font qu'ajouter fardeau sur fardeau, et finissent par s'abîmer. Ils ressemblent aux gens malades d'un excès de bile, et qui ne veulent pas se prêter à un traitement parfait ; en n'ôtant qu'une partie de l'humeur, ils en augmentent chaque jour la masse et rendent leur mal incurable. Ainsi les débiteurs qui n'ont pas le courage de renoncer à tout emprunt, font obligés de payer tous les mois (17), avec les douleurs et les peines les plus cruelles, les intérêts qu'ils doivent. Mais à peine un créancier est-il satisfait, qu'un autre vient fondre sur eux et les replonge dans le même chagrin et la même amertume. Il valait bien mieux, en se libérant tout à fait, recouvrer une entière liberté. Maintenant c'est aux riches que je m'adresse, à ces gens délicats qui disent : Faut-il donc que je reste sans esclaves, sans table et sans maison? Ne croit-on pas entendre (831c) un hydropique, déjà tout enflé, dire à son médecin : Eh quoi ! vous voulez que je devienne maigre et sec? Et pourquoi non, si c'est pour votre bien? Vous aussi, pourquoi ne resteriez-vous pas sans esclaves, plutôt que de l'être vous-même ? pourquoi ne pas abandonner vos possessions, plutôt que de devenir la possession d'un autre? Écoutez la fable des deux vautours. L'un d'eux, saisi d'un vomissement violent, disait qu'il vomissait ses entrailles. « De quoi vous plaignez-vous? lui dit l'autre, ce ne sont pas vos entrailles que vous vomissez, mais celles du cadavre que nous dévorâmes l'autre jour. » Le débiteur aussi, ne vend pas sa terre ou sa maison, c'est celle de son créancier, (831d) à qui la loi l'a adjugée. Mais, direz-vous, mon page 139 père me l'a laissée. Il vous a aussi laissé la liberté et l'honneur, que vous devez priser bien plus que vos domaines. Il vous a laissé des pieds et des mains ; et si la gangrène s'y met, vous payez un chirurgien pour vous-les faire couper. Calypso avait fait présent à Ulysse d'un vêtement qui exhalait l'odeur d'un parfum immortel, et qui devait être le gage et le monument de sa tendresse pour lui. Mais lorsque, dans son naufrage, il se vit au moment d'être plongé dans les eaux par le poids de son vêtement, il le jeta loin de lui, se ceignit d'une bandelette, (831e) et gagna le bord à la nage; et quand il eut pris terre, il ne manqua ni d'habits ni de nourriture. Eh quoi ! n'est-ce pas une véritable tempête pour un débiteur, lorsqu'à l'échéance du terme, le créancier le presse et lui dit : Payez-moi?
« A ces mots, tous les vents rassemblent
les nuages; Ces vents sont les intérêts amoncelés les uns sur les autres, et le débiteur qui se sent abîmé sous leur poids ne peut se sauver à la nage ; il s'enfonce de plus en plus, jusqu'à ce qu'enfin il se voie périr avec les amis qui lui ont servi de caution. Cratès (831f) le Thébain, qui ne devait rien à personne, qui n'était pas pressé par des créanciers, abandonna un patrimoine de huit talents (18), par le seul motif d'éviter les soins et les embarras que lui eût donnés l'administration de ses biens ; il prit la besace et le manteau, et se réfugia au sein de la philosophie et de la pauvreté. Anaxagoras laissa ses terres en friche. Et, sans parler de ces philosophes, le poète Philoxène (19), qui était allé en Sicile avec une colonie athénienne, et y avait eu en partage une belle page 140
maison et des terres
considérables, ayant vu que le luxe, la mollesse et l'ignorance régnaient dans
cette contrée : Certes, dit-il, je ne veux pas que ces biens-là me
perdent ; ce sera moi qui les perdrai. Il laissa son lot à d'autres, et
repassa la mer. (832a) Mais les débiteurs,
poursuivis par leurs créanciers, soumis à de grosses taxes, réduits à
l'esclavage , sont trompés de toutes manières, essuient les traitements les plus
durs, et, comme le roi Phinée, ils nourrissent des harpies qu'ils ne peuvent
éviter (20). Leurs créanciers viennent à tous
moments leur enlever leur nourriture, et, sans attendre la saison de la récolte,
ils saisissent leurs grains avant la moisson, vendent leur huile et leur vin
avant que les olives et les raisins soient cueillis. Je les veux à tel prix,
leur disent-ils. En même temps ils leur présentent le contrat de vente, tandis
que les raisins sont encore suspendus aux ceps, où ils attendent que l'Arcture
amène la saison des vendanges (21). (01) Ce traité ne me paraît guère qu'une légère ébauche que Plutarque s'était sans doute proposé de remplir; du moins l'importance de la matière me fait présumer qu'il ne l'aurait pas renfermée dans des bornes si étroites. Du reste, il est écrit avec beaucoup de chaleur. Le philosophe y fait éclater sa juste indignation, et peint avec des couleurs vives et pleines d'énergie la téméraire imprudence de ceux qui, pour satisfaire à de folles passions, se précipitent dans des emprunts ruineux, et la dureté de ces usuriers cruels, à qui rien ne coûte pour s'enrichir, et qui ne craignent pas d'élever, sur les débris de cent familles désolées, une fortune aussi honteuse que criminelle. (02) Livre huitième des Lois de Platon. (03) La ville d'Aulis était située sur le détroit d'Euripe, aujourd'hui de Négreponl; elle est célèbre par le sacrifice d'Iphigénie. Ténédos est une petite île de l'Archipel, voisine de l'Asie-Mineure, que Virgile a rendue célèbre par la retraite simulée que les Grecs y firent. Il y avait dans l'une et dans l'autre des manufactures de faïence. (04) Les calendes à Rome, et la nouvelle lune chez les Grecs, marquaient le premier jour du mois, et étaient célébrées dans des fêtes C'était aussi le jour où les débiteurs payaient leurs créanciers; de là vient qu'Horace leur donne l'épithète de tristes. A Rome, on plaçait l'argent tous les mois, el l'intérêt était d'un pour cent par mois; c'est ce qu'on appelait usura centesima, usure centésime. (05) Surnom sous lequel Jupiter était adoré et avait un temple dans l'Attique. (06) Après la prise de Veies par Camille, les Romains négligèrent d'acquitter le vœu que ce général avait fait de consacrer à Apollon la dîme du butin pris dans cette ville. lorsqu'on songea à réparer cette négligence, l'argent qu'on tira du trésor public et de l'estimation des terres conquises n'ayant pas suffi, les dames romaines s'assemblèrent et résolurent de remettre tous leurs bijoux aux magistrats pour compléter la somme, ce qui fut exécuté à la grande satisfaction du Sénat. (07) Ce fut au siège de Carthage par Scipion que les femmes carthaginoises donnèrent cet exemple de zèle pour leur patrie, qui n'en fut pas moins prise et détruite par les Romains. (08) Une des premières lois de Solon fut d'abolir les dettes, ou au moins de diminuer considérablement les intérêts dus, et d'affranchir les débiteurs de la contrainte par corps. (09) C'était sur la place publique que les usuriers et les banquiers se tenaient ordinairement. (10) Allusion au vautour qui déchirait les entrailles du géant Tityus. (11) C'étaient les deux généraux perses qui commandaient à la bataille de Marathon, où ils furent défaits par les Grecs. (12) Triptolème avait appris de Cérès et enseigné aux Athéniens l'usage d'ensemencer les terres. (13) Les lapines domestiques donnent des petits tous les mois, et des portées de quatre, six, huit, dix, qu'elles allaitent pendant vingt-un jours sans cesser d'être pleines. (14) Il y avait dans le Péloponnèse trois villes du nom de Pyle ou Pylos: une dans l'Élide, une dans la Messénie, et une troisième dans la Triphylie, qu'on appelait aussi Pyle d'Arcadie. Toutes les trois se vantaient d'avoir donné naissance à Nestor; mais Strabon pense que Nestor habitait à Pyle de Triphylie. La Messénie, la Triphylie et l'Élide étaient contiguës. (15) Musonius. philosophe étrusque, vivait à Rome sous Néron, qui l'exila. Il fut rappelé par Vespasien. (16) Ville d'Achaïe célèbre par son commerce. (17) Le grec dit : à chaque saison de l'année ; mais nous avons fait observer que les intérêts se payaient tous les mois. (18) Près de 40,000 livres de notre monnaie en 1789. (19) C'est le poète lyrique si connu par sa réponse à Denys le Tyran : Qu'on me ramène aux carrières. (20) Phinée, fils d'Agenor, roi de Phénicie, avait fait crever les veux aux enfants d'un premier lit, sur une fausse accusation de leur belle-mère. Les dieux, pour le punir, le privèrent lui-même de la vue, et lui envoyèrent les harpies, qui enlevaient ou empoisonnaient tous les mets de sa table. ( Voyez la description de ces monstres dans le troisième livre de l'Énéide. )
(21)
L'Arcture, communément nommé le Bouvier, est une étoile qui fait partie de la
queue de la grande Ourse. |