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table des matières de l'œuvre DE VARRON

 

VARRON

 

NOTICE

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

Relu et corrigé

de l'agriculture 1

de la langue latine 5

 

NOTICE SUR VARRON[1]

 

M. Térentius Varron, le plus savant des Romains, au jugement de Cicéron, s’était rendu célèbre par un grand nombre d’ouvrages, dont la plupart ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Parmi ces derniers, on doit citer l’histoire de sa vie : le grammairien Charisius faisait un grand éloge de ce morceau, dont la perte est si regrettable. On sait donc fort peu de chose sur Varron, et le peu qu’on sait ne repose que sur des conjectures tirées soit des auteurs anciens, soit de ses propres écrits. Nous ne laisserons pas de rapporter ici tous les passages qui peuvent jeter quelque lumière sur sa vie et ses travaux, en indiquant autant qu’il nous sera possible la date de ses principaux ouvrages et la nature de ceux qui ont été perdus.

Nous trouvons d’abord dans Pline, I, vii, § 53, un passage où il est question de ses parents. C’est Varron lui-même qui parle, citant comme un double exemple de mort subite celle du mari de sa tante maternelle Corfidius et celle du frère de ce Corfidius. Tous deux étaient chevaliers romains. Ernesti pense que c’est le Corfidius dont Cicéron a fait mention dans sa harangue pour Ligarius : on voit même dans une de ses lettres (ad Att. xiii, 44) qu’il voulait supprimer son nom, parce que Corfidius était mort quand la harangue fut prononcée. Varron parle encore dans son traité De re rustica (liv. ii) de Caïus Fundanius son beau-père, et de Fundania, femme de celui-ci. Nous supposons que c’est ce Fundanius qui avait écrit un ouvrage sur les phénomènes de la nature, imité de celui d’Aristote, et qui a été fort loué par les grammairiens. Varron ajoute (liv. iii De re rust.) que le fonds de terre appartenant à sa tante était situé dans la Sabine. Il était lui-même de Réatine, et Sidoine Apollinaire lui donne toujours le surnom de Réatinus, pour le distinguer de Publius Térentius Varron Atacinus. Symmaque le désigne aussi par ce surnom.

On ignore quelles charges il brigua, et quelles sont celles dont il fut revêtu. Suivant Fabricius, il aurait été tribun, et cet honneur n’est pas le seul qu’il aurait obtenu. Cette conjecture nous paraît fondée, en ce qui concerne le tribunat, sur un passage des Antiquités de Varron (apud Gellium) qui se trouve placé parmi les fragments, à la suite de ses ouvrages.

Nous voyons dans Pline (liv. xxxv, § 49) un autre passage qui semblerait prouver que Varron exerça l’édilité. On trouva, dit-il, dans une maison de Lacédémone un plafond remarquable par l’excellence du travail et la beauté des peintures. Ce plafond ayant été détaché de la muraille, et mis dans une caisse, fut transporté à Rome par les soins des édiles Muréna et Varron, qui en ornèrent la salle des comices. Mais on peut douter que ce Varron soit le savant écrivain qui nous occupe. Le même Pline (liv. ii) nomme Vitruve à la place de Varron. Ernesti, s’appuyant sur une lettre de Cicéron (xiii, 10), fait de Varron le questeur de M. Brutus lorsque celui-ci partit pour la Gaule. Mais il est certain que le M. Térentius Varron qui accompagna Brutus dans la Gaule n’avait rien de commun que le nom avec le Varron de Réatine. Ernesti aurait pu s’en assurer par la lettre même de Cicéron dont nous reproduisons ici les termes (Ep. l. 13-10) :

« Lorsque M. Térentius Varron, dit Cicéron, vint au Forum, il rechercha mon amitié. Cette amitié s’est accrue avec le temps. Il se plaît aux mêmes études que moi; il s’en occupe avec ardeur, ainsi que j’ai pu le voir souvent, et même avec succès. Il était en relations très assidues avec les fermiers de la République, ce qui ne laissait pas de me faire quelque peine. Il éprouva de grandes pertes, et se jeta dans la carrière du barreau avant les changements survenus dans la République. Il s’y distingua par sa probité autant que par ses talents, regardant comme très honorable et très légitimement acquis le gain qu’il retirait de sa profession. »

Cicéron parle encore (ad Div. xiii, 2) d’un A. Térentius Varron Muréna qui faisait le commerce en Achaïe, et lui recommande son affranchi Tiron, alors dans cette province, et malade; mais on ne sait quel est ce T. Varron Muréna. On ne sait pas non plus que conclure de ce passage de Cicéron (ad Div. ix, 10), où Décimus Brutus lui dit : « Je ne pourrais suffire à la dépense, eussé-je à ma disposition les trésors de Varron. » Corradus pense que c’est une allusion au traité de Varron sur les richesses. Manutius n’est pas de cet avis : il prétend qu’il s’agit d’Antoine, et qu’à la place de Varronis il faut mettre Baronis, terme de mépris dont Brutus se serait servi pour flétrir son ennemi. Quant au poète Térentius Varron Atacinus, ainsi appelé du nom d’un fleuve ou d’un village de la province de Narbonne, il vivait dans le même temps. Horace et Ovide ont célébré ses louanges. Wernsdorff a donné la liste de ses ouvrages dans son Epître critique sur les poètes latins du second ordre, adressée à Ruhnkenius. Sidoine Apollinaire (liv. VI, 32) cite les deux Varron, mais sans savoir comment on doit les distinguer. De quel Varron veut-on parler? dit-il; est-ce de Varron Atacinus ou bien de Térentius Varron?» A quoi  Ruhnkenius répond très justement, en s’appuyant sur un passage de Symmaque (Epist. ix, 32) : « Tu sais bien que ce n’est pas de Térentius le Comique qu’il s’agit, mais de Varron de Réatine, le père de l’érudition latine. »

Varron s’était acquis les bonnes grâces de Pompée, dont il embrassa le parti contre César. Il lui resta fidèle jusqu’au moment où sa cause fut perdue sans ressources. Pompée l’avait employé dans la guerre contre les pirates et contre Mithridate. Appien, De bell. Mithridat., dit que Cnéus Statius Varus confia à Varron la garde des mers d’Ionie et de Sicile, jusqu’à l’Acarnanie; d’où l’on peut conclure qu’il fut préteur. En effet, Appien ajoute que les préteurs avaient été envoyés pour garder ces deux mers. Varron, dans son traité De re rust., (l. ii) a fixé d’une manière très précise les limites de son commandement maritime. « Je n’ai rien avancé, dit-il, qui ne m’ait été assuré par ceux qui possèdent les plus beaux pâturages en Épire, lorsque je commandais la flotte entre la Sicile et l’île de Délos, pendant la guerre contre les pirates. » On peut rapporter à cette époque ce que dit Varron de certains poissons (De re rust., liv. iii, ch. 17, § 4).

Il suppose que c’est Accius qui parle: « Ces poissons, dit-il, ne sont-ils pas encore plus sacrés que ceux que tu as vus en Lydie, qui, accourant par troupes au son de la flûte grecque, vinrent jusqu’à l’extrémité du rivage, et même près de l’autel où tu sacrifiais : personne n’osait les toucher. »

Pline parle aussi du commandement exercé par Varron, comme chef de la flotte, dans la mer de Sicile (l. iii, § 16): « Pyrrhus, roi d’Épire, eut, dit-il, le projet d’unir ces deux rivages au moyen d’un pont jeté sur le détroit (le détroit qui sépare l’Adriatique de la mer ionienne, entre Apollonie et Hydronte, et qui a cinquante mille pas de largeur). Varron avait eu le même dessein lorsqu’il commandait la flotte de Pompée, pendant la guerre contre les pirates; mais d’autres soins l’en empêchèrent. On voit encore dans Pline (l. vi, § 19) un passage où il est question de Varron; c’est au sujet de la mer Caspienne. Il rapporte une observation faite par Varron sur la qualité des eaux de cette mer: « L’eau de cette mer, dit-il, est douce, au rapport de Varron, qui en fit porter à Pompée, pendant la guerre contre les pirates. C’est sans doute l’énorme masse d’eau apportée par les fleuves qui s’y jettent, qui l’empêche d’être salée. Varron ajoute qu’il fut reconnu alors qu’on pouvait en sept jours transporter les marchandises indiennes de l’Inde à la Bactriane et au fleuve Icare, lequel vient se perdre dans l’Oxus pour passer à la mer Caspienne, dans les eaux du Cyrus, et au bout d’un voyage par terre de cinq jours au plus, déboucher dans le Pont par le Phase. » C’est encore d’après Varron qu’il parle des Ophiogènes, habitants des bords de l’Hellespont, dont la salive guérissait la morsure des serpents. Enfin, s’il faut l’en croire, Varron aurait écrit que le roi Ptolémée, lors de l’expédition de Judée, avait fourni à Pompée un corps de huit mille cavaliers entretenus à ses frais, et qu’il lui avait donné un festin où se trouvaient mille convives, ayant chacun devant eux un vase d’or qu’on changeait à mesure que les services se succédaient. Ce fait semble remonter à l’an 691 de la fondation de Rome.

Varron mérita dans cette guerre la couronne navale qui lui fut décernée au retour (Pline, vii, § 31; xvi, § 53). On y ajouta de l’argent. Pline donne le chiffre de la somme (l. xxxvii, § 6): « On accorda, dit-il, à la République et aux questeurs qui avaient défendu les côtes, une somme de mille talents : chaque soldat eut six mille sesterces. » On trouve une leçon différente dans une ancienne édition de Pline. Suivant cette leçon, on n’aurait donné que deux mille sesterces à chacun des soldats. Appien, de son côté, dit quinze cents drachmes. Quoi qu’il en soit, nous croyons qu’on a eu tort de joindre ici la République aux questeurs.

Nous avons dit que Varron embrassa le parti de Pompée dans la guerre civile. Il commandait les troupes que ce dernier avait en Espagne. Cicéron en parle dans une de ses lettres à Dolabella (Fam. ix, 13): « Caïus Subérinus Calénus, voulant rester neutre, dit-il, s’était retiré en Espagne avec Varron, avant le commencement des hostilités. Personne ne pouvait supposer, après la défaite d’Afranius, que la guerre dût s’étendre jusque dans cette province. Mais à peine arrivé, il tomba dans le malheur qu’il voulait éviter: en effet, Pompée le supplia si instamment de prendre les armes, que, sous aucun prétexte, il ne put s’y refuser. » César fit la guerre à Afranius et à Pétréius en Espagne, l’an 705 de Rome. Varron avec ses légions défendait l’Espagne inférieure (Bell. civ., l. i-xxxviii); et César (id., xvii-xx) ne laisse pas de lui donner de grands éloges. Plus tard, lorsqu’il n’y eut plus d’espoir, Varron lui livra ses troupes, et vint au-devant de lui jusqu’à Cordoue, où il lui rendit un compte fidèle de l’état de la province, et lui remit l’argent qu’il en avait tiré. Il tenait encore pour Pompée à l’époque où fut livrée la bataille de Pharsale (Cic., De div., i, 32). Cicéron raconte qu’étant à Dyrrachium, où il commandait la flotte des Rhodiens, un des partisans de Pompée vint le trouver, et dit qu’un des rameurs, qui avait le don de divination, lui avait annoncé qu’avant trente jours la Grèce nagerait dans le sang; que Dyrrachium serait livré au pillage, toute la flotte brûlée et mise en fuite. Cicéron ajoute que cette prédiction lui causa une grande terreur, ainsi qu’à Marcus Varron et à M. Caton, qui étaient avec lui. Peu de jours après on vit arriver Labiénus, échappé du désastre de Pharsale. Ces événements se passèrent en l’an 706 de Rome, et Varron a paru y faire allusion dans un passage de ses Agronomiques (l, 4, § 5).

Après avoir déposé les armes, il s’était retiré à Cumes et à Tusculum, où il cultivait en paix les belles-lettres, quoiqu’il ne fût pas sans inquiétude sur les dispositions du dictateur à son égard. Mais César, lui ayant pardonné, le chargea, sur sa demande, d’organiser les bibliothèques grecques et latines qu’il avait l’intention de fonder, et qui furent ouvertes peu de temps après, vers l’an 707 de la fondation de Rome.

Les premières bibliothèques grecques et latines établies à Rome avaient été fondées par Pollion, qui fit placer dans l’atrium les bustes des écrivains les plus célèbres. Il l’avait en outre décoré des dépouilles prises sur les Dalmates. Tous les anciens auteurs sont d’accord pour célébrer la magnificence de cette partie du monument. Il est à croire que c’est cette galerie de bustes qui donna à Varron l’idée de son traité sur les Images, désigné par les grammairiens sous le titre d’Hebdomades. Aulu-Gelle parle avec éloge des deux livres d’Homère et d’Hésiode qui faisaient partie de cet ouvrage.

Quant aux livres sur les Bibliothèques, cités par le grammairien Sosipater, nous ignorons s’ils furent composés en même temps que les Hebdomades, ou si Varron les y réunit plus tard. Suivant Nonius, Varron disait, dans le premier livre des Hebdomades, qu’il avait divisé son traité en sept parties, pour imiter les alcyons, qui mettent sept jours à faire leur nid sur la mer. Aulu-Gelle (l. iii, ch. 11) rapporte encore quelques lignes de Varron tirées du livre des Jours, et qui s’appliquent à la statue le Démétrius. C’est une inscription placée au-dessous de cette statue, et dont voici le sens:

« Celui-ci est Démétrius, qui en a eu autant que l’année a de jours. »

C’est du moins ce que porte la première édition de Mercurius. Scaliger, dans ses Catalectes, complète l’idée:

« Celui-ci est Démétrius, à qui on éleva autant de statues en airain qu’il y a de jours dans l’année, ce qui a été entendu de Démétrius de Phalère. » Ce passage de Pline (l. xxxiv, 12) paraît autoriser l’explication de Scaliger: « Je pense, dit-il, qu’il n’y a point d’homme à qui on ait élevé autant de statues qu’à Démétrius de Phalère. On lui en avait érigé trois cent soixante, d’après le nombre des jours qu’on donnait alors à l’année. Ces statues furent bientôt renversées. » A propos du livre ier, Aulu-Gelle (liii, ch. ii) dit que M. Varron avait mis sous le portrait d’Homère une inscription conçue en ces termes: « Cette chèvre blanche indique la place où repose Homère; car une chèvre blanche est la victime que les habitants d’Ios offrent en sacrifice à sa mémoire. »

On voit dans le poème d’Ausone sur la Moselle (v. 306) que le dixième livre des Hebdomades était consacré aux architectes; et Symmaque (l. ii, Epist. 2) dit que ce livre contenait l’éloge de plusieurs personnages célèbres.

Le passage suivant nous fait connaître quel était l’âge de Varron lorsqu’il termina les Hebdomades. C’est Aulu-Gelle qui parle (l. iii, ch. 10) : « Varron dit, à la fin des Hebdomades, qu’il est sur le point d’avoir parcouru sept fois douze années (il avait alors 78 ans), et qu’il a écrit sept fois soixante-dix livres, dont il a perdu un assez grand nombre lorsqu’il était proscrit, et que sa bibliothèque fut pillée. On verra plus bas que sa maison de Casinate fut occupée et détruite par Antoine pendant la guerre civile.

Il avait quatre-vingts ans lorsqu’il écrivit ses Agronomiques, ainsi qu’il le dit lui-même dans sa préface; d’où l’on peut conclure que cet ouvrage fut composé vers l’an 717 de Rome. Les Hebdomades, ou livres sur les Images, durent être composés deux ans auparavant. Aulu-Gelle a tiré de cette préface les observations qu’il a faites sur la vertu du nombre sept, et dont quelques-unes témoignent d’une rare sagacité. Pour les autres, il est permis de douter de leur exactitude.

Les Questions épistolaires, adressées par Varron à Appianus, furent composées après la mort de César. Aulu-Gelle (l. xiv, ch. 7) cite plusieurs passages du livre iv, où il est question de la curie Hostilia, de la curie Pompéia, et de la nouvelle coutume qui s’était introduite dans le sénat, pour demander l’avis des sénateurs. On ne lira pas sans intérêt le passage d’Aulu-Gelle: « Cn. Pompée, dit-il, fut nommé consul pour la première fois avec M. Crassus. Occupé jusqu’ici des soins de la guerre, il ignorait, au moment d’entrer en charge, de quelle manière on doit convoquer le sénat, et en général tout ce qui concerne l’administration intérieure. Il pria son ami Varron de lui faire un mémoire sur le cérémonial à observer, où il pût apprendre ce qu’il devait faire et dire en consultant le sénat. Varron fit le mémoire; mais, dans le quatrième livre des Questions épistolaires, il nous apprend lui-même que cet ouvrage a péri. Pour réparer cette perte, il donne dans ses lettres de nombreuses instructions sur le même sujet. »

Outre ce mémoire, Varron avait composé pour Pompée un traité des règles de la navigation, au moment où celui-ci allait partir pour la guerre d’Espagne. Ce traité, auquel l’auteur avait donné le nom d’Éphémérides, a été perdu. Suivant toute apparence, il aurait été écrit en l’an 677 de Rome, époque de l’expédition de Pompée en Espagne.

Il n’y a point d’ouvrage où l’on trouve de meilleurs renseignements sur les écrits de Varron, sur les époques où ils ont été composés, et la manière dont on doit les classer, que le livre qui nous est resté des Académiques de Cicéron. Cicéron avait dédié ce livre ainsi que les trois autres, aujourd’hui perdus, à T. Varron, d’après le conseil de son ami Atticus, dont les instances avaient pu seules l’y décider. En effet, il y avait de la répugnance, à cause du caractère de Varron, qu’il n’a pas flatté dans une de ses lettres à Atticus (l. xiii, 25) où il le dépeint comme un esprit chagrin, difficile, et très jaloux de sa supériorité dans les lettres. « Tu sais comme il est, dit-il à son ami: son esprit soupçonneux accuse l’innocent.[2] » « Il me semble que je l’entends se plaindre de ce que je défends mieux ma cause que lui la sienne. » Toutefois nous le voyons, dans ses Académiques, prier Varron de vouloir bien prendre le parti d’Antiochus contre Philon, dans la querelle qui s’était élevée entre ces deux philosophes sur diverses questions de morale et de métaphysique. Il se charge à son tour de faire valoir les raisons de Philon. En outre, il rappelle à Varron une promesse qu’Atticus, leur ami commun, lui a faite de sa part. Il s’agissait d’un livre que Varron devait soumettre à son jugement. Il lui annonce qu’il est impatient de le voir, et d’annoter l’ouvrage d’un écrivain πολυγραφοτάτῳ, ainsi qu’il l’appelle dans ses lettres à Atticus. Voici ce qu’il lui fait dire à cette occasion (Académiq., ch. 1); c’est Varron qui parle : « J’ai, dit-il, entre les mains un grand ouvrage que je veux soumettre à notre ami (désignant ainsi Cicéron), mais je m’occupe en ce moment de le revoir et de le polir. » Cicéron répond que Libon, leur ami commun, lui a dit qu’il connaissait déjà cet ouvrage; et Varron, de son côté, ajoute qu’il y travaille sans relâche, et ne le quittera point qu’il ne l’ait terminé. Ce que dit Atticus, à la suite de cette conversation, prouve qu’il était question du Traité sur la langue latine, que Varron adressa depuis à Cicéron, et qui demanda beaucoup de temps à son auteur. « Les muses de Varron, dit-il, se taisent bien plus longtemps qu’à l’ordinaire. Je ne crois pourtant pas qu’il demeure oisif : je crois plutôt qu’il ne veut pas nous mettre dans la confidence. »

Varron possédait, à cette époque, une maison dans la terre de Cumes, près celle de Cicéron. Mais il s’en dédit bientôt, à cause de la guerre qui désolait ces campagnes, et alla se fixer dans une des provinces les plus éloignées de l’Italie, à Casinate. Cicéron l’en félicite dans une de ses lettres. « Je désire, lui écrit-il, que vous soyez satisfait de votre nouvelle acquisition; je ne puis qu’approuver la résolution que vous avez prise de vous retirer au loin. » Mais il n’y avait pas lieu de le féliciter. En effet, c’est cette maison de Casinate qui fut pillée environ un an après par Antoine, lorsque César était occupé au siège d’Alexandrie; ce qui ferait remonter cet événement à l’an 708 de la fondation de Rome.

Nous avons dit que Varron travailla pendant longtemps à son traité sur la langue latine. On peut déterminer d’une manière assez précise le temps qu’il apporta à la composition de cet ouvrage. Cicéron (ad Att., l. xiii, 12) dit: « Voilà deux ans que Varron m’a promis de me dédier son ouvrage; mais depuis ce temps, il n’a pas avancé d’un pas. » Il nous apprend dans une autre lettre qu’il a fini les Académiques. Or cette lettre, (l. xiii, 23) ainsi que toutes les autres du même livre, appartient à l’année 708. Il est naturel de supposer qu’il envoya son ouvrage à Varron peu de temps après l’avoir terminé; et l’on sait que Varron répondit à ce présent par un autre, c’est-à-dire en envoyant à Cicéron le Traité sur la langue latine. Ce serait donc en l’an 708 de Rome, ou tout au plus l’année suivante, que Varron aurait mis la dernière main à ce traité, qui l’aurait ainsi occupé pendant près de trois ans.

Quant aux Agronomiques, on croit que cet ouvrage suivit de très près le Traité sur la langue latine. Ce n’est pas l’opinion de certains commentateurs, qui le supposent écrit huit ans après, en l’an 718 de Rame. Mais si l’on veut faire attention que Varron avait quatre-vingts ans lorsqu’il publia le Traité sur la langue latine, on admettra difficilement qu’il ait commencé un autre ouvrage à quatre-vingt huit ans, presque à la veille de sa mort, pour ainsi dire; car il mourut à quatre-vingt dix ans, il paraît impossible de rien affirmer à ce sujet.

Après avoir indiqué, autant qu’il était en nous, à quelle époque ont été composés les ouvrages qui nous sont parvenus, nous allons essayer de retrouver la date de ceux qui ont été perdus, en nous guidant sur les Académiques de Cicéron, l’un des monuments de l’antiquité qui renferment le plus de détails sur la personne et les écrits de Varron.

Cicéron (Académ., liv. i, ch. 1) lui fait tenir ces paroles : « Quant aux choses que personne n’avait encore enseignées, et que les amis de la science ne pouvaient trouver nulle part, j’ai tâché autant que je l’ai pu (car je n’ai pas une grande admiration pour mes ouvrages) de les faire connaitre à mes concitoyens. Ce sont des recherches qu’on ne pouvait demander aux Grecs, ni même aux Latins, depuis la mort de notre ami Ælius. »

Cicéron lui répond (ch. 3): « Oui, Varron, vous avez réussi. Etrangers dans notre ville, nous errions comme des voyageurs; vos ouvrages nous ont pour ainsi dire conduits par la main au sein de nos foyers, et, grâce à vous, nous pouvons enfin reconnaître qui nous sommes et où nous vivons. C’est vous qui nous avez révélé l’âge de notre patrie, la succession des temps, les droits de la religion et du sacerdoce; vous nous avez fait connaître l’administration intérieure, la discipline militaire, l’emplacement des quartiers et des lieux les plus remarquables : vous nous avez dévoilé les choses divines et humaines, les noms, les espèces, les fonctions et les causes. »

Il est évident que ce passage s’applique à l’ouvrage connu sous le nom d’Antiquités. Les anciens auteurs l’ont tous désigné ainsi, et rappellent même le titre de chacun des livres qui le composaient. Saint Augustin (C. Div., vi, 3) dit que Varron avait consacré vingt-cinq livres aux antiquités humaines, et seize livres aux antiquités divines. Il ajoute qu’il dédia l’ouvrage à César, lorsque celui-ci était grand pontife. Lactance, qui s’accorde sur ce point avec saint Augustin, rapporte les premières lignes du traité sur les choses divines. « J’ai parlé, dit Varron, des choses humaines : je vais parler des choses divines, qui ont été instituées par les hommes. » Il se décida à écrire cet ouvrage sur les exhortations d’Ælius Stilo, son ami, qui l’aida de ses conseils. Cet Ælius, dont le nom a été cité plus haut, était de la classe des chevaliers. Cicéron a fait connaître son mérite dans le Brutus (p. 56). « C’était, dit-il, un homme éminent, aussi remarquable par la pureté de ses mœurs que par son savoir. Il était également versé dans les lettres grecques et latines, et connaissait à fond tout ce qui se rapporte à notre histoire, soit dans les temps anciens, soit dans les temps modernes. Nul ne déchiffrait plus habilement les anciens manuscrits. C’est lui qui a formé notre Varron, » etc.

Ce passage, où il est question des Antiquités, fut écrit en 707, ce qui prouve que l’ouvrage avait paru avant cette époque. Il résulte d’un autre passage cité par Aulu-Gelle (l. xxix, ch. 13), que Varron avait exercé les fonctions de tribun. « Lorsque j’étais triumvir, dit-il, je fus cité par le tribun Porcius; je pris l’avis des principaux magistrats, me conformant au droit ancien. Quand j’ai été tribun du peuple, je n’ai fait citer personne, et j’ai laissé libres ceux que mes collègues citaient. Il dédia toute la partie des Antiquités qui regarde les choses divines à J. César, auprès duquel il était rentré en grâce vers l’an 706, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Le traité des Choses divines paraît l’avoir occupé pendant deux ans.

On voit encore dans Cicéron que Varron avait composé des satires dans sa jeunesse. Ces satires, imitées de Ménippe, et dont on a recueilli quelques fragments, étaient écrites en vers de six pieds. Il les avait appelées les Ménippées, du nom du poète grec qu’il avait pris pour modèle. D’autres les ont désignées sous le titre de Cyniques. C’est le nom que leur donne Aulu-Gelle dans les citations qu’il en fait. Il y en avait une qui faisait allusion à ce qu’on appelait la conspiration de C. Pompée, de César et de Crassus (an 694 de Rome); et Appien (Bell. civ. ii, 9) dit que l’auteur l’avait publiée sous le titre de τρικάραιον. On en peut voir la raison dans un passage de Varron (De vita populi romani, ad Nonium), où l’on rencontre cette phrase à propos du mot biceps: « Et il fit deux villes d’une seule : c’est là le principe de nos discordes civiles. »

Cicéron (Epist ad. Att., xxxi, 48) cite encore un ouvrage de Varron; c’est un éloge de Porcia, sœur de Caton, et femme de Domitius Ænobarbus. On voit par la date de la lettre que cet éloge fut imposé par Varron vers l’an 709 de la fondation de Rome.

On ne trouve rien de plus dans Cicéron qui ait rapport à Varron, et nous n’avons plus pour nous guider que de simples fragments. Nous allons essayer à l’aide de ces fragments, de retrouver la date des ouvrages dont nous avons encore à nous occuper.

Dans le traité De lingua latina, Varron parle de son livre de Æstuariis, d’où il faut conclure que ce livre a été composé avant l’an 708, le traité De lingua latina ayant été publié à cette époque.

Dans le même traité (page 16), il cite son livre sur l’organisation du peuple romain en tribus. Notre observation s’applique également à cet ouvrage.

Vitruve, dans la préface de son livre vii, parle des dix-neuf livres de Varron connus sous le titre de Libri disciplinarum, dédiés à M. C. Rufus. Aulu-Gelle (l. x, 101) cite un fragment du livre v : « Et Pompée se montra timide, lorsque, pour ne mettre ni tertium, ni tertio consul, il supprima les dernières lettres. » Cette phrase se rapporte évidemment à l’érection du théâtre de Pompée. Cn. Pompée, qui avait été élu le troisième, se trouva, par le fait, être le seul consul, les deux autres ayant été condamnés pour cause de brigue. Cette élection eut lieu en l’an de Rome 699. D’un autre côté, on voit dans les Commentaires de César (Bell. Civ.) que M. Rufus, partisan de Pompée, et l’un des hommes les plus instruits de son temps dans tout ce qui concernait l’antiquité, fut tué en 706; d’où il résulte que les 19 livres Disciplinarum, adressés à ce M. Rufus, furent composés entre les années 699 et 706 de la fondation de Rome.

Arnobius, en parlant de l’ouvrage De gente populi romani, dit que Varron avait embrassé un espace de deux mille années, depuis le déluge de Deucalion et Pyrrha, jusqu’au consulat d’Hirtius et de Pansa; ce qui fait supposer que cet ouvrage avait déjà été publié en l’an 710 de Rome.

Les livres Sur la vie et les usages du peuple romain, dédiés à Pomponius Atticus, paraissent avoir été écrits en l’an 704, époque de la mort de l’orateur Hortensius. Pline (l. xiv, 17) fait parler ainsi Varron : « Hortensius laisse à son héritier plus de dix mille amphores de vin. » Nonius dit que ce passage est extrait du livre iii. Il en cite un autre du livre iv, à l’occasion du verbe obstrigillare. « Lorsque Curion imita cet exemple, il disait à ses amis, pour les empêcher d’insister, qu’il s’opposerait à ce qu’on lui décernât le triomphe, et qu’il aimait mieux n’être pas consul une seconde fois. » Ceci se rapporte à l’année 703 de Rome. Nonius cite encore un passage tiré du livre iv, où il est question du mot cœcum, à l’occasion des ordres secrets donnés par les consuls à T. Ampius, et auxquels Cicéron fait allusion dans sa lettre à Atticus (viii, 2). Or cette lettre a été écrite en l’an 704 de Rome. Enfin nous trouvons dans Nonius une dernière citation extraite du même livre, où il est dit que César, ne voulant pas laisser en Espagne le corps de troupes qui formait sa réserve, revint sur ses pas pour envelopper Pompée, et le presser des deux côtés. Il est évident que ce fait remonte à l’an 705. Les livres Sur la vie et les usages du peuple romain ont donc été composés entre les années 703 et 705, comme nous venons de le dire tout à l’heure.

Appien (Bell. civ., iv, 47) parle d’un Varron qui fut mis au nombre des citoyens proscrits par les triumvirs, après la mort de César. Il aurait même été massacré en présence d’Antoine. Mais on ne peut rien affirmer à ce sujet. Il y avait plusieurs Varron à Rome du temps des proscriptions; et peut-être le passage d’Appien, et celui de Velleius Paterculus, qui rapporte le même fait, s’appliquent-ils à un de ceux-là plutôt qu’à notre Varron.

Pline (l. xxxv, 46) dit quelques mots de la mort de Varron. « Varron, dit-il, voulut être enseveli à la manière pythagoricienne, c’est-à-dire dans des feuilles de myrte et d’olivier noir. » Valère Maxime en parle aussi à propos de ses nombreux ouvrages. « T. Varron, dit-il, peut être cité comme exemple d’une vie aussi longue que bien remplie. Il  vécut près d’un siècle, sans cesser un instant de produire; et l’on peut dire que la maladie qui mit fin à son existence arrêta en même temps le cours de sa vie et celui de ses travaux. » C’est le seul renseignement qu’on ait sur la mort d’un homme dont la vie, malgré les citations assez nombreuses à l’aide desquelles nous en avons cherché les traces, restera toujours à peu près inconnue. Ce qui nous reste de ses ouvrages n’est pas marqué de ces qualités qui permettent de deviner le caractère de l’homme d’après le style de l’écrivain, et qui suppléent au manque de renseignements authentiques.


 


[1] Cette notice est un résumé du savant travail dont Schneider a fait précéder son édition de Varron, dans la collection qu’il a donnée des Scriptores rei rusticae.

[2] Traduit d’un vers grec cité par Cicéron.