VARRON
DE L'AGRICULTURE
LIVRE I
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Relu et corrigé
VARRON DE L’AGRICULTURE LIVRE I
I. Si j’avais du loisir, Fundania, je donnerais une meilleure forme à cet ouvrage. Tu l’auras tel que peut le faire un homme qui se dépêche: car si l’on peut dire que l’existence n’est qu’une bulle d’air, c’est encore plus vrai quand on est vieux. J’ai quatre-vingts ans; c’est l’annonce de plier bagage et de se tenir prêt à partir. Tu viens d’acheter un fonds de terre, dont tu voudrais, par une culture bien entendue, tirer le meilleur parti possible; et tu réclames à ce sujet mes soins et mes conseils. J’y ferai de mon mieux : je tâcherai même que mes instructions te profitent et pendant ma vie et après ma mort. Les paroles de la Sibylle ont bien pu être l’oracle non seulement de ses contemporains tant qu’elle a vécu, mais, après sa mort, de générations auxquelles elle ne pensait guère. Ses livres, après tant de siècles, sont encore solennellement consultés chaque fois qu’il y a parti à prendre par suite d’événements surnaturels. Ne pourrais-je pas, moi, de mon vivant, donner quelques avis utiles à ceux qui me touchent de si près? Je vais donc composer pour toi trois livres qui te serviront de guide, et auxquels tu pourras recourir au besoin pour tontes les indications relatives à la culture. Et puisque les dieux, dit-on, viennent en aide à qui s’adresse à eux, je commencerai par invoquer, non pas les Muses, à l’exemple d’Homère et d’Ennius, mais bien les douze grands dieux qui composent le conseil céleste. Je n’entends pas ces divinités citadines, six d’un sexe et six de l’autre, dont les statues dorées se dressent au Forum, mais bien les douze intelligences qui président aux travaux des laboureurs. Je commencerai donc par invoquer Jupiter et Tellus, dont la puissance embrasse le Ciel, la Terre, et tout ce que produit l’un et l’autre; parce que ce sont les générateurs de l’humanité, et que nous leur donnons les noms de père et de mère. J’invoquerai en second lieu le Soleil et la Lune dont nous observons le cours quand il s’agit d’ensemencer ou de récolter; en troisième lieu, Cérès et Bacchus, puisque les fruits qu’ils nous donnent sont indispensables à la vie. C’est par eux que la terre nous fournit aliments et boisson. En quatrième lieu, j’invoquerai le dieu Robigus et la déesse Flore, puisque l’un préserve de la rouille les blés et les arbres, et que l’autre les fait fleurir à temps : d’où les fêtes robigales en l’honneur de Robigus, et les jeux floraux en l’honneur de Flore. J’invoquerai encore Minerve et Vénus, dont l’une veille sur les plants d’oliviers, et l’autre préside au jardinage. C’est en leur honneur qu’on institua les fêtes appelées rustica vinalia. Enfin j’adresserai mes prières à la déesse Lympha et au dieu Bonus Eventus: car de même que sans l’eau toute végétation est chétive et misérable, de même sans le bon succès point de culture qui vienne à bien. Maintenant que j’ai invoqué toutes ces divinités, je vais te faire part d’entretiens que j’eus dernièrement sur l’agriculture, et qui contiennent tout l’enseignement pratique dont tu peux avoir besoin. En cas d’insuffisance, j’indiquerai les ouvrages tant grecs que latins auxquels tu pourrais avoir recours. Les auteurs grecs qui ont traité incidemment de diverses parties de l’agriculture sont au nombre de plus de cinquante. Voici ceux que tu pourras, dans l’occasion, consulter avec fruit : Hiéron de Sicile et Attalus Philométor; parmi les philosophes, Démocrite le physicien, Xénophon, disciple de Socrate, et les péripatéticiens Aristote et Théophraste; Architas le pythagoricien; ainsi qu’Amphilochus d’Athènes, Anaxipolis de Thase, Apollodorus de Lemnos, Aristophane de Mallus, Antigonus de Cyme, Agathocle de Chio, Apollonius de Pergame, Aristandre d’Athènes, Bacchius de Milet, Bion de Soles, Cheresté et Chéréas d’Athènes, Diodore de Prienne, Dion de Colophon, Déophane de Nicée, Epigène de Rhodes, Évagon de Thase; les deux Euphronius, celui d’Athènes et celui d’Amphipolis, Hégésias de Maronéa, deux Ménandre, l’un de Brienne et l’autre d’Héraclée; Nicésius de Maronéa, Pythion de Rhodes. Parmi les autres dont la patrie m’est inconnue, je citerai Androtion, Achrion, Aristomène, Athénagoras, Cratès, Dadis. Denys, Euphiton, Euphorion, Eubolus, Lysimaque, Mnaséas, Ménestrate, Plentiphane, Persis, et Théophile. Tous les auteurs que je viens de nommer ont écrit en prose; d’autres ont écrit en vers sur le même sujet: tels sont Hésiode d’Ascra et Ménécrate d’Éphèse. Le plus en réputation de tous est Magon de Carthage, qui a écrit en langue punique, et renfermé dans vingt-huit livres tout ce qui se trouvait avant lui épars çà et là dans différents ouvrages. Plus tard, Cassius Denys d’Utique en fit une traduction grecque en vingt livres, qu’il dédia au préteur Sextilius, et dans laquelle, nonobstant ce retranchement de huit livres sur l’œuvre de Magon, il sut fondre de nombreux emprunts faits aux auteurs grecs dénommés ci-dessus. Vint ensuite Diophane de Bithynie, qui fit de ces vingt livres un bon abrégé en six, offert par lui au roi Déjotarus. Je veux enchérir encore sur sa brièveté, et resserrer en trois livres la substance de son ouvrage. Le premier traitera de l’agriculture, le second du régime des troupeaux, et le troisième en général de l’engrais des animaux dans une métairie. J’élaguerai dès le premier tout ce qui, selon moi, n’a pas un rapport direct avec l’agriculture. Ainsi je commencerai par circonscrire la matière; puis je la traiterai suivant ses divisions naturelles. Mes observations seront puisées à trois sources: ma propre pratique, mes lectures, et ce que j’ai recueilli de vive voix de l’expérience d’autrui. II. Je m’étais rendu au temple de Tellus le jour de la fête des semailles, sur l’invitation du gardien, que nous appelons avec nos ancêtres œditimus, et dont nos puristes ont changé le nom en celui d’œdituus. J’y trouvai C. Fundanius mon beau-père, C. Agrius, chevalier romain, de la doctrine de Socrate, et le publicain P. Agrasius. Tous trois regardaient une carte d’Italie tracée sur la muraille. — Que faites-vous ici? leur dis-je. Est-ce la fête des semailles qui vous amène, pour employer vos vacances comme faisaient nos pères et nos ancêtres? Notre présence, dit Agrius, a, j’imagine, la même cause que la vôtre, l’invitation du gardien. Et si j’ai rencontré juste, attendez avec nous son retour. Il a dû comparaître devant l’édile, à qui appartient la surintendance de ce temple, et nous a fait prier de l’attendre ici. Eh bien, leur dis-je, faisons, en l’attendant, application du vieux proverbe: Le Romain triomphe assis. Très volontiers, dit Agrius; et comme il est de ceux qui pensent que le plus long d’un voyage c’est de franchir le seuil, il prit sans façon place sur un banc, et nous l’imitâmes. Quand nous fûmes assis, Agrasius, prenant la parole, nous dit : Vous autres qui avez parcouru tant de pays, en avez-vous vu de mieux cultivés que l’Italie? Pour moi, dit Agrius, je ne pense pas qu’il y en ait un seul où le sol soit comme chez nous, universellement en rapport. Par une division très naturelle, Ératosthène a fait de notre globe deux parties, dont l’une s’étend vers le midi, et l’autre vers le nord. Incontestablement la partie septentrionale est la plus saine des deux, et conséquemment la plus fertile, il faut donc reconnaître cette partie, et l’Italie notamment, comme plus propre à la culture que l’Asie. L’Italie d’abord est en Europe; en second lieu, on y trouve une température plus douce qu’en pénétrant dans l’intérieur de cette partie du monde, où règne un hiver permanent. Ce qui est tout simple, puisqu’elle a des régions situées entre le cercle polaire et l’axe même du ciel, où le soleil est invisible six mois de l’année. On dit même que des glaces éternelles couvrent la mer dans ces parages, et y rendent la navigation impossible. Eh bien! dit Fundanius, croyez-vous un tel sol capable de produire, ou ses productions susceptibles de culture? Pacuvius l’a dit: Sous un soleil ou sous une nuit sans fin, toute végétation périrait par le chaud ou par le froid. Même dans ce pays, où le jour et la nuit nous sont mesurés convenablement par alternative, je ne puis vivre pendant l’été à moins de couper, par un somme, la journée en deux parties. Comment donc faire là où l’année n’a qu’un jour et une nuit de six mois chacun, pour semer, cultiver et recueillir? En Italie au contraire, quelle est la production utile à la vie qui ne croisse et ne prospère? Quel froment comparable au froment de Campanie? quel blé, au blé d’Apulie? quel vin, au vin de Falerne? Quelle huile, à l’huile de Venafre? A cette multitude d’arbres qui couvre le sol de notre pays, ne dirait-on pas d’une vaste fruiterie? Est-elle plus peuplée de vignes, cette Phrygie ἀμπελόεσσα (vinicole), comme l’appelle Homère? ou cette Argos que le même poète appelle πολύπυρος, (frugifère) est-elle plus abondante en blé? Dans quel pays du monde un arpent de terre produit-il dix et même quinze cullei de vin, comme certaines contrées de l’Italie? M. Caton n’a-t il pas écrit ces mots dans son livre des Origines: « On appelle gallo-romaines les terres comprises entre Riminum et le Picentin, et qui furent distribuées à l’armée des Gaules. Là on récolte quelquefois dix cullei par chaque arpent de terre. » D’ailleurs, ne voyons-nous pas à Faenza (Faventia) des vignobles rapporter, par arpent, trois cents amphores; ce qui leur a fait donner le nom de trécennaires ? Votre ami L. Martius, ajouta-t-il en me regardant, qui est préposé à la surveillance des arsenaux, m’a certainement dit que ses vignes de Faenza lui rendaient tout autant. Le cultivateur en Italie considère avant tout deux choses: D’abord, la récolte donnera-t-elle l’équivalent des avances et de la peine? Puis, l’air du pays est-il salubre? Quiconque néglige au préalable un de ces deux points est un fou. Qu’on lui cherche des tuteurs dans ses parents de l’une ou de l’autre branche. Nul homme sensé ne peut vouloir se mettre à découvert des frais de culture, si d’avance il voit qu’il n’a pas de récolte à attendre, ou qu’il risque de la perdre par l’insalubrité du pays. Mais voici, je pense, des hommes plus compétents que moi sur cette matière; car je vois venir C. Licinius Stolon et Cn. Tremellius Scrofa. Le premier compte parmi ses ancêtres les auteurs de nos lois sur la mesure des terres. Cette loi, qui défend à tout citoyen romain de posséder plus de cinq cents arpents, est d’un Licinius qui acquit le surnom de Stolon par les soins qu’il donnait à la culture; soins qu’il portait à ce degré de minutie qu’on n’aurait pu trouver le moindre rejeton (stolon) inutile dans toutes ses propriétés. Il fouillait autour des arbres pour arracher cette végétation parasite qu’on appelle stolon. C’est encore de cette même race que tire son origine, cet autre C. Licinius qui, étant tribun du peuple 365 ans après l’expulsion des rois, conduisit le premier le peuple romain du lieu des comices dans le Forum, et y fit accepter la loi qui assignait à chaque citoyen sept arpents de terre. L’autre est Cn. Tremellius Scrofa, votre collègue dans la commission des vingt distributeurs des terres de la Campanie. C’est un homme rempli de qualités, et qui passe pour le Romain le plus versé dans la science de l’agriculture. Et ce n’est pas sans cause, repartis-je; car ses terres doivent à ses soins un aspect que bien des gens préfèrent à celui des royales constructions de tant d’autres. J’entends ceux qui visitent une maison de campagne non pour y chercher, comme dans celles de Lucullus, des galeries de tableaux, mais des greniers bien garnis. D’ailleurs, ajoutai-je, ses fruiteries ont l’avantage d’être situées au bout de la voie Sacrée où les fruits se vendent au poids de l’or. Là-dessus les deux nouveaux venus nous rejoignent, et Stolon nous dit : Arrivons-nous trop tard? le diner est-il déjà mangé? Où est donc L. Fundilius, notre hôte? Rassurez-vous, reprit Agrius; on n’a pas encore ôté l’œuf qui, dans les jeux du Cirque, annonce la clôture des courses. Nous n’avons même pas vu encore celui qui est le signal des pompes du banquet. En attendant qu’il apparaisse, et que notre hôte soit de retour, parlez-nous de l’utilité de l’agriculture, ou de ses jouissances, ou des deux choses à la fois. Car c’est dans vos mains qu’est aujourd’hui le sceptre de cette science, comme autrefois dans celles de Stolon. Il y a, dit Scrofa, une distinction à faire. Bornons-nous l’agriculture à ce qui est relatif à l’ensemencement des terres? ou faut-il comprendre dans cette dénomination ce qui touche à la population animale des campagnes, les troupeaux, le gros bétail? Je vois que tous ceux qui ont écrit sur cette science en langue punique, en grec ou en latin, ont dépassé les limites de leur sujet. C’est en quoi je pense qu’il ne faut pas les imiter, reprit Stolon. Je suis de l’avis de ceux qui ont resserré le domaine de la science, en écartant tout ce qui n’a pas avec elle une relation immédiate. Ainsi le soin des troupeaux, que nombre d’auteurs ont rattaché à l’agriculture, me paraît appartenir plutôt au régime pastoral qu’au régime agricole. Aussi avons-nous des noms différents pour les préposés en chef à l’un et l’autre office. Nous appelons les uns villici, les autres magistri pecorum (maîtres des troupeaux). Le villicus est celui qui est spécialement chargé de la culture de la terre. Le nom lui vient de villa (exploitation rurale), parce que c’est lui que regarde le soin de la rentrée des récoltes à la villa et de leur sortie pour la vente. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore les paysans, au lieu de dire via (route), disent vea, dérivé de vectura (transport); de même qu’ils disent, vella au lieu de villa, dérivé de veho (je transporte), comprenant par vella le lieu où l’on porte, et d’où l’on transporte. C’est par la même analogie que le métier de voiturer (vectura) se dit vellaturam facere. Assurément, dit Fundanius, l’agriculture est une chose, et le nourrissage une autre; mais ces choses se touchent. La flûte de droite et la flûte de gauche sont distinctes, mais connexes. L’une est là pour le chant, l’autre pour l’accompagnement. Ajoutez, repris-je, qu’à la vie pastorale appartient la première partie; à la vie agricole la seconde. C’était là du moins le sentiment du savant Dicéarque, qui, dans son tableau des mœurs primitives de la Grèce, nous apprend qu’en ces temps reculés les hommes menaient la vie des pasteurs; qu’ils ne savaient ni labourer la terre, ni planter, ni tailler les arbres; et qu’il faut rapporter à une période plus récente les premiers essais de la culture. Ainsi ce dernier art est subordonné au premier, comme la flûte de gauche l’est à la flûte de droite. Avec votre musique, dit Agrius, non seulement vous enlevez au maître les troupeaux qu’il possède, et à l’esclave le pécule que le maître lui abandonne, mais encore vous annulez la loi rurale qui défend de mener paître, sur un terrain de nouvelle plantation cette race d’animaux que l’astrologie a placée dans le ciel près du Taureau, je veux dire les chèvres. Prenez garde de citer exactement, interrompit Fundanius. La loi dit encore: Et autres espèces de bétail. Car il y a certainement des animaux qui sont le fléau de la culture, notamment les chèvres, dont vous venez de parler. Elles ont la dent venimeuse, et détruisent, en broutant, toutes les jeunes plantes, et surtout les vignes et les oliviers. Aussi est-il reçu parmi nous qu’à telle divinité on sacrifie un bouc, tandis que telle autre en repousse l’offrande; symbole d’aversion pour l’animal chez toutes deux. L’une veut sa mort; l’autre ne veut pas même le voir. C’est ainsi qu’on immole les boucs à Bacchus, père de la vigne, comme pour leur faire payer de leur tête les torts qu’ils lui font, tandis qu’au contraire nous ne voyons jamais immoler à Minerve aucun individu de cette race, précisément parce qu’on prétend que l’olivier devient stérile du moment que la dent d’un bouc y a touché, rien que la salive de l’animal étant un poison pour cette plante. C’est encore pour la même raison qu’il n’entre de chèvres pour victimes qu’une seule fois par an dans le temple d’Athènes. Et encore n’est-ce là qu’un sacrifice qu’on a jugé nécessaire pour empêcher cette race de nuire à l’olivier, qu’on dit avoir pris naissance dans cette ville. Il n’y a, repris-je, de bestiaux utiles à l’agriculture que ceux dont le travail contribue à rendre les champs fertiles; et ce sont ceux qu’on attelle à la charrue. S’il en est ainsi, dit Agrasius, comment une terre se passerait-elle de bestiaux, puisque l’engrais, cet élément si essentiel de toute culture, ce sont les bestiaux qui le produisent? Alors, dit Agrius, il faut admettre aussi qu’un troupeau d’esclaves fait partie de l’exploitation agricole, si l’on juge à propos d’en entretenir un pour le même motif. Vous errez en ce que vous dites: Ces troupeaux peuvent être utiles; donc il faut avoir des troupeaux. Ce n’est pas une conséquence. Avec ce raisonnement on arriverait à encombrer une métairie des professions les plus étrangères au travail des champs, de tisserands, d’ouvriers en draps, et autres. Eh bien, dit Scrofa, séparons de l’agriculture proprement dite le nourrissage des bestiaux. Quelle distinction faut-il faire encore? Irons-nous, repris-je alors, imiter les deux Saserna, et discuter, comme ils l’ont fait dans leurs livres, si l’art du potier n’a pas plus d’analogie que la science des mines avec l’agriculture? Sans contredit la matière vient du sol, mais n’est pas plus pour cela du ressort de l’agriculture que ne le sont les carrières et les sablonnières. Ce n’est pas que si tel fonds de culture peut admettre concurremment ce genre d’exploitation, je prétende qu’il faille l’exclure, et négliger le profit qu’on peut en tirer. Sans doute si, dans un fonds qui avoisine une grand-route, il se trouve un emplacement propice à la réception des voyageurs, on fera bien d’y construire une auberge. Mais ce genre d’entreprise, quels qu’en soient les bénéfices, ne saurait être considéré comme du domaine de l’agriculture. Car, dans les profits qu’on peut tirer directement ou indirectement de sa terre, il n’y a de vraiment agricole que ce qui est produit d’ensemencement. Stolon m’interrompit. Vous êtes jaloux de ce grand auteur, dit-il. Ce n’est que par esprit de critique que vous l’attaquez à l’endroit des poteries. Il a dit ailleurs d’excellentes choses qui rentrent certainement dans notre sujet, et dont vous ne parlez pas, afin de n’être pas obligé d’en faire l’éloge. Cette saillie fit sourire Scrofa, qui connaissait l’ouvrage et ne l’estimait guère; mais Agrasius, qui en jugeait différemment, croyant aussi le connaître, demanda à Stolon ce qu’il en pensait. Voici, dit Stolon, la recette que donne cet auteur pour détruire les punaises: « Faites infuser dans de l’eau un concombre sauvage. Partout où vous répandrez de cette eau, les punaises n’approcheront point. » Ou bien encore: « Frottez votre lit avec du fiel de bœuf délayé dans du vinaigre. » Eh bien, dit alors Fundanius s’adressant à Scrofa, voilà pourtant qui touche à l’agriculture. Oui, dit Scrofa, autant que son onguent épilatoire: « Prenez une grenouille jaune; faites-la bouillir dans l’eau jusqu’à réduction des deux tiers, et frottez-vous avec le résidu. » Moi, repris-je, je citerais plus volontiers le passage qui traite de l’incommodité dont est affligé Fundanius. Il souffre des pieds au point que la douleur lui fait rider le front. Vite la citation, s’écria Fundanius. J’aime mieux apprendre à guérir mes pieds qu’à planter des pieds de poirée. Quant à cela, dit Stolon en souriant, je me fais fort de vous communiquer la formule telle que l’auteur l’a déposée dans son livre, et que je l’ai entendue lire par Torquenna. Il faut d’abord que le malade, sitôt qu’il commence à sentir des douleurs aux pieds, pense à celui qui doit opérer sa guérison. Eh bien, reprit Fundanius, je pense à vous; guérissez mes pieds. Écoutez donc, continua Stolon: « Que la terre garde la maladie, et que la santé reste ici! » Il nous recommande de dire à jeun ces paroles trois fois neuf fois, de toucher la terre, et de cracher en même temps. Vous trouverez encore, repris-je, dans le livre des Saserna beaucoup d’autres secrets miraculeux également étrangers à l’agriculture, et qu’il faut laisser où ils sont. D’ailleurs, ajoutai-je, de semblables digressions se rencontrent dans beaucoup d’auteurs. Le traité d’agriculture de Caton lui-même en fourmille. On y trouve entre autres des procédés pour faire la galette, pour apprêter le libum, pour saler les jambons. Vous oubliez, dit Agrius, un article important: « Voulez-vous, dit Caton, boire beaucoup et manger encore davantage ? Avalez avant de vous mettre à table du chou cru, macéré dans du vinaigre, et prenez-en cinq feuilles encore après le repas. » III. Nous venons, dit Agrius, d’écarter de l’agriculture tout ce qui lui est étranger: Il nous reste à parler de ce qui forme le domaine de la science. Qu’est-ce que l’agriculture? Est-ce un art? et si c’est un art, quel est son principe et sa fin? Stolon se tournant vers Scrofa, C’est à vous, notre supérieur à tous en rang, en âge et en lumières, à nous résoudre ces diverses questions. Scrofa, sans se faire prier, s’exprima ainsi: L’agriculture est un art, et un art aussi grand qu’il est nécessaire. Il nous apprend quel sol est propice à telle semence, quels travaux sa culture exige, et quelles qualités de terroir promettent des récoltes abondantes et continues. IV. Les éléments de cet art sont les mêmes dont Ennius a dit qu’ils constituent le monde : l’eau, la terre, l’air, et le feu. Avant donc de confier vos semences à la terre, il importe d’étudier ces différents éléments, source première de toute production. C’est de cette connaissance que devront partir les agriculteurs pour conduire leurs travaux au double but d’être utile et de plaire: l’un solide, l’autre agréable. Mais au solide est due la préférence sur ce qui est de pur agrément. Il peut résulter toutefois de la même disposition, qu’une terre gagne à la fois en aspect et en produit; qu’elle soit de meilleure défaite et augmente de valeur réelle. De belles lignes d’oliviers, par exemple, ou d’autres arbres à fruit, auront cet avantage. A égalité de valeur entre deux objets, qui n’aime mieux payer plus cher celui qui flatte la vue? Sous le rapport d’utilité, préférez le fonds de terre le plus salubre; car, sans salubrité, point de récolte assurée. Dans un sol malsain, si fertile qu’il soit, le fruit du travail, à chaque instant, peut être détruit par des fléaux de tout genre. Là où l’on a sans cesse à compter avec le trépas, il s’agit, pour le cultivateur, non de recueillir, mais de vivre. Ainsi, dans toute contrée malsaine la culture n’est en quelque sorte qu’un jeu de hasard, auquel le propriétaire risque sa vie et sa fortune. La science toutefois peut atténuer le mal; car, sans avoir d’action directe sur l’insalubrité, dont les conditions résident dans le sol et l’atmosphère, et procèdent de la nature, nous y pouvons beaucoup cependant. On parvient par une attention intelligente à en atténuer les effets. Les influences malignes ou du sol ou des eaux, les miasmes fétides qui s’exhalent en certaines localités, l’exposition à un soleil trop ardent ou à des vents contraires, tous ces inconvénients se corrigent par des dépenses bien entendues. On voit de quelle importance est la position topographique des bâtiments d’exploitation, leur étendue, et l’exposition de leurs ouvertures, portes, portiques et fenêtres. N’a-t-on pas vu la science d’Hippocrate, dans un temps de peste, préserver de la contagion non seulement une maison, des champs, mais des villes entières? Mais où vais-je chercher le témoignage d’Hippocrate? N’avons-nous pas ici notre ami Varron, qui, lorsque l’armée et la flotte se trouvaient à Corcyre, et que toutes les maisons regorgeaient de malades et de morts, fit percer de nouvelles fenêtres pour donner passage au vent du nord, murer les anciennes qui laissaient pénétrer l’air infecté, pratiquer de nouvelles portes, et qui, par mille autres soins de ce genre, parvint à ramener ses compagnons sains et saufs dans leur patrie? V. Nous avons déterminé les principes de l’agriculture et son but: Il nous reste à examiner les différentes parties dont sa science se compose. Quant à moi, dit Agrius, je suppose que le nombre doit en être infini, quand je vois cette multitude de livres que Théophraste a composés sous les titres d’histoire des plantes et des causes de la végétation en général. A mon avis, reprit Stolon, ces livres conviennent bien moins aux hommes qui cultivent la terre qu’à ceux qui fréquentent les écoles des philosophes. Ce qui ne veut pas dire que les uns et les autres ne puissent y rencontrer des enseignements utiles. Quoi qu’il en soit, veuillez nous expliquer vous-même les différentes parties de l’agriculture. Elle en comprend, dit Scrofa, quatre principales. Elles consistent à bien connaître: la première, le fonds à exploiter, la nature du sol et ses éléments constitutifs; la seconde, le personnel et le matériel nécessaires à son exploitation; la troisième, les façons que le terrain exige; la quatrième enfin, quelles époques de l’année conviennent à chacune d’elles. Chacune de ces quatre parties se subdivise elle- même au moins en deux autres. Les deux subdivisions de la première ont pour objet, l’une la terre elle-même, et l’autre les bâtiments et les étables. La seconde partie principale, qui embrasse tout l’effectif d’un fonds de culture, a également deux subdivisions, dont la première comprend les travailleurs, et la seconde les instruments aratoires. La troisième partie principale, qui a pour objet la direction des travaux, renferme d’une part les opérations préparatoires, et, de l’autre, le choix des lieux où l’on doit les exécuter. La quatrième partie, qui traite des différentes époques de l’année, comprend, dans sa première subdivision, tout ce qui a rapport à la révolution annuelle du soleil et au cours mensuel de la lune. Je commencerai par parler de ces quatre parties principales; puis je traiterai avec plus de détail les huit subdivisions VI. En considérant un fonds sous le rapport du sol, nous avons à examiner quatre points principaux, savoir la configuration du terrain, sa qualité, l’étendue de la propriété, et quelles chances de sécurité elle offre par elle-même. Un terrain doit sa configuration à la nature, qui l’a bien ou mal disposé, ou à la main de l’homme, qui l’a transformé pour la culture en bien ou en mal. Parlons d’abord de la configuration naturelle. Nous reconnaissons trois genres de terrains simples celui des plaines, celui des collines, et celui des montagnes; des mixtes, qui se combinent de deux de ces genres ou des trois ensemble. On en trouve de fréquents exemples. Il y a pour chacun des trois genres simples des systèmes de culture différents. Sans contredit celui qui convient aux plaines ne peut s’appliquer, soit aux montagnes où la température est bien moins élevée, soit aux collines, où elle est plus froide que dans les premières localités, et plus chaude que dans les secondes, Cette différence entre les fonds de terrain simple est d’autant plus sensible qu’ils occupent respectivement plus de superficie. Plus le sol est découvert, plus la chaleur a d’intensité. C’est ce qui fait qu’en certains cantons l’atmosphère est si ardente et si lourde, et que dans les régions élevées, sur le Vésuve, par exemple, l’air est plus léger, et par conséquent plus sain. Ceux qui cultivent des terrains bas souffrent pendant l’été, au lieu que ceux qui cultivent des terrains élevés souffrent davantage pendant l’hiver. L’hiver est la saison propice pour ceux qui cultivent des plaines, parce qu’alors les prés sont en herbe, et les arbres en état d’être taillés. L’été au contraire est favorable à ceux qui cultivent les hauteurs, parce que durant cette saison les pâturages y abondent, tandis qu’ils sont brûlés dans les plaines. D’ailleurs l’air alors n’y est que frais; ce qui convient aux opérations forestières. Pour le sol des plaines, le plan incliné vaut mieux que l’absolu niveau; car le défaut de pente tend à former des marécages, les eaux ne trouvant pas d’écoulement, Aussi le terrain est-il d’autant plus défectueux qu’il est plus inégal; ce qui multiplie les bas fonds où l’eau séjourne. L’époque des semailles arrive plus tôt dans les plaines que sur les hauteurs, où l’on est obligé de gagner de vitesse, et d’attendre plus tard les récoltes. Certains arbres, comme l’érable et le sapin, n’atteignent toute leur hauteur, tout leur développement, que sur les montagnes, grâce à l’air vif qui y domine, D’autres, tels que les peupliers et les saules, ne prospèrent que dans les températures moyennes, comme la nôtre. Il en est qui ne réussissent que dans les terrains élevés, comme l’arbousier et le chêne. D’autres enfin n’aiment que les terrains bas, comme l’amandier et le figuier. Les productions des collines, suivant leur degré d’élévation, se rapprochent plus ou moins de celles des plaines et des montagnes. La culture varie suivant ces trois conditions du sol: on préfère les plaines pour le blé, les coteaux pour la vigne, et, pour les forêts, les montagnes. Toutes ces considérations doivent être respectivement pesées pour la culture de chaque ordre de terrain. VII. En ce qui concerne la configuration naturelle, dit Stolon, je suis assez de l’avis de Caton, que le meilleur fonds de terre est celui qui se trouve placé au pied d’une montagne, et exposé au midi. Mais je soutiens, répond Scrofa, qu’en fait de culture, le produit est en raison de ce que l’aspect plaît plus à l’œil. C’est l’effet de la plantation en quinconce, et de l’observation des distances pour les pépinières, Aussi nos pères, avec leurs méthodes vicieuses, ne tiraient-ils, d’une égale superficie de terrain, que des blés et des vins inférieurs aux nôtres en quantité comme en qualité. C’est qu’avec la symétrie on ménage mieux l’espace, et que, par suite, chaque plant est moins exposé à se voir intercepter par son voisin l’influence du soleil, de la lune ou de l’air. Un exemple va rendre ceci plus sensible. La même quantité de noix, qui se tasse parfaitement dans un boisseau avec les coques entières, va difficilement entrer dans une mesure d’un boisseau et demi, quand vous l’aurez concassée. Vos plants, dûment alignés, en seront plus accessibles à l’action du soleil et de la lune, vous donneront plus de raisins ou d’olives, qui viendront mieux à maturité; double résultat entraînant ces deux conséquences, meilleure récolte d’huile et de vin, augmentation de profit. Nous voici arrivés à la seconde partie, qui traite des indications auxquelles on reconnaît qu’une terre est bonne ou mauvaise. C’est en effet de la qualité de la terre que dépend le choix des fruits qu’on peut y semer et recueillir, et le genre de culture qui lui est applicable. Le même sol ne convient point également à toutes sortes de productions. Celui-ci est spécialement propre à la vigne; celui-là au blé; et tel, à telle autre production, C’est ce qui fait sans doute qu’il y a dans l’île de Crète, près de Cortynia, un platane qui, même en hiver, ne se dépouille point de ses feuilles, Théophraste en mentionne un pareil dans l’île de Chypre. Il y a aussi devant la ville de Sybaris, que l’on appelle aujourd’hui Thurium, un chêne qui offre le même phénomène. Nous voyons enfin, dans les campagnes d’Éléphantine, des figuiers et des vignes qui ne s’effeuillent jamais. C’est encore par la même raison que beaucoup d’arbres portent des fruits deux fois par an, comme les vignes de Smyrne près de la mer, et les pommiers dans les champs de Consentinum. Autre preuve de cette observation. La culture donne en meilleure qualité les fruits que la nature sauvage produit en plus grande abondance. On peut citer encore les plantes qui ne peuvent vivre que dans un terrain aqueux, ou même au milieu de l’eau. Encore ne viennent-elles pas indistinctement dans toute espèce d’eau, puisque les unes réussissent mieux dans les lacs, comme les roseaux, dans le pays de Réate; les autres en eau courante, comme les aunes d’Épire; d’autres enfin dans la mer, comme les squilles et les palmiers, au dire de Théophraste. Quand j’étais à la tête de l’armée, j’ai vu dans l’intérieur de la Gaule Transalpine, près du Rhin, des contrées où il ne croît ni vignes, ni oliviers, ni pommiers; où l’on emploie une sorte de craie blanche pour fumer la terre; et où les habitants, au lieu de sel marin ou fossile, se servaient de charbons salés, qu’ils obtenaient de la combustion de certains bois. Stolon prit alors la parole, et dit : Caton, en examinant l’une après l’autre les différentes espèces de terres, les échelonne suivant leur qualité, et les divise en neuf classes. Dans la première, il met les terres à vignes, qui rapportent avec abondance un vin de bonne qualité; dans la seconde, les terres de jardin d’une irrigation facile; dans la troisième, les terrains propres aux saules; dans la quatrième, les terres qui conviennent aux plants d’oliviers. Dans la cinquième classe sont les prairies; dans la sixième, les terres à blé; dans la septième, les bois en coupe réglée; dans la huitième, les vergers ; dans la neuvième enfin, les terres où l’on récolte le gland. Je sais bien, dit Scrofa, que Caton a écrit cela; mais ce n’est pas l’avis de tout le monde. Il en est qui mettent les bonnes prairies en première ligne ; et je suis de ce nombre. Nos pères les appelaient parata, et non prata à cause de leur production spontanée. César Vopiscus, en plaidant un jour devant les censeurs, cita la campagne de Roséa comme la nourricière de l’Italie. L’échalas qu’on y oubliait la veille, disait-il, ne se retrouvait plus le lendemain; parce que l’herbe l’avait recouvert entièrement. VIII. Les vignobles ont des adversaires qui prétendent que les frais de culture absorbent le produit. Les vignobles de quelle espèce dis-je? car il y en a plusieurs. L’espèce rampante, qui n’a pas besoin d’échalas, et qu’on rencontre en Espagne ; et l’espèce à haute tige, si commune en Italie, et dont les ceps sont isolés et maintenus en direction verticale par des échalas, ou assujettis ensemble par le haut à l’aide de traverses. C’est ce qu’on appelle marier la vigne. On emploie comme traverses, ou des perches, ou des roseaux, ou des cordes, ou la vigne elle-même. Le premier de ces moyens est en usage à Falerne; le second à Arpinum; le troisième à Brindes, et le quatrième dans la campagne de Milan. On procède à cette opération de deux manières, par lignes directes, ou par lignes croisées. C’est la plus ordinaire en Italie. Si le maître de la vigne tire de son propre fonds la matière qu’il emploie comme soutien, il n’a plus à redouter la dépense. Elle n’est même qu’insensible, au cas où il peut s’approvisionner dans le voisinage. Pour qu’il ait cette matière à sa disposition, il suffit, dans l’un des trois premiers cas, que sa propriété produise, soit du saule, soit des roseaux, soit du jonc ou quelque plante analogue. Dans le quatrième, il faut des arbustes propres à servir aux ceps de conducteurs. Dans la campagne de Milan on se sert à cet effet des érables; à Canusium, on emploie les figuiers, dont on entrelace les branches aux vignes. Quant aux échalas, il y en a quatre espèces. D’abord ceux qu’on tire du cœur de chêne ou de genévrier; ce sont les plus solides et ceux qui servent le mieux. Puis ceux qui proviennent de branches façonnées en pieux ou perches, qu’il faut choisir de bois compact, pour plus de durée, et qu’on retourne quand l’humidité de la terre les a pourris d’un bout, pour les enfouir par l’autre. Il s’en fabrique subsidiairement d’une troisième espèce avec des roseaux, quand on manque de matériaux pour les deux premières. On prend plusieurs tiges de roseaux, qu’on assujettit ensemble avec un lien d’écorce d’arbre et qu’on introduit dans des tubes de terre cuite, pour faire écouler l’humidité. La quatrième espèce pourrait être qualifiée d’échalas naturels. Ce sont les arbres qui en font l’office. Les rameaux de la vigne, qui s’élancent de l’un à l’autre, sont appelés par les uns traduces, et par les autres rumpi. Il faut que la vigne s’élève à hauteur d’homme, et que les échalas soient espacés de manière qu’un attelage de bœufs puisse labourer dans les intervalles. C’est un vignoble peu coûteux que celui qui, sans exiger de soutiens, rend la contenance d’un acratophore. On distingue deux sortes de vignes. Les grappes de l’une rampent sur le sol. Cette espèce est commune dans certains cantons d’Asie, et les renards y vendangent autant que les hommes. La présence des souris est encore une cause de déchet; à moins qu’on n’ait le soin de multiplier les souricières dans les vignobles, ainsi que cela se pratique dans l’île de Pandataire. Quant à l’autre espèce de vignes, on éloigne de la terre, en les élevant, les pousses qui promettent du raisin. On place à cet effet, au-dessous de ces pousses, à l’endroit où se forment les grappes, de petites branches en fourche de deux pieds de longueur environ. Par ce moyen, les sarments ainsi soutenus deviennent insensiblement, pour les vendanges à venir, des branches à fruit, que l’on attache en conséquence au cep avec une petite corde, ou cet autre lien que nos ancêtres appelaient cestus. Dans les pays qui produisent cette espèce de vignes, quand le dernier vendangeur a montré ses talons, le maître prend soin de faire rentrer chez lui toutes ces fourches, afin de les remettre en œuvre, sans nouveaux frais, l’année suivante. A Réate on n’y manque jamais. Du reste, le mode de culture appliqué à la vigne dépend surtout de la nature du sol. En effet, dans les terrains humides il importe d’élever davantage la vigne ; car le jus de la treille, lorsque la grappe se forme et grossit, ce n’est pas de l’eau qu’il demande, comme lorsqu’il est dans la coupe, mais du soleil; et c’est pour cela que les ceps tendent continuellement à grimper après les arbres. IX. Il importe donc, comme je viens de le dire, de bien connaître la qualité de la terre, et à quel genre de production elle est propre ou impropre. Le mot terre a trois acceptions différentes, un sens général, un sens propre, et un sens mixte. Il est pris dans le sens général, lorsqu’on dit le globe de la terre, la terre d’Italie, ou de toute autre contrée; car alors on comprend dans cette dénomination la pierre, le sable, et les éléments divers dont la terre est composée. Le mot est pris dans le sens propre, lorsqu’on dit la terre d’une manière absolue, sans qualification ni épithète. Enfin il est pris dans le sens mixte, lorsqu’on parle de la terre comme propre à recevoir les semences et à les développer. C’est ainsi qu’on dit : une terre argileuse, une terre pierreuse, etc. Le mot terre, pris dans ce dernier sens, présente une idée non moins complexe que dans le sens général, et suppose un même composé de diverses substances. En effet, tout cet amalgame de corps étrangers que la terre, prise dans le sens général, renferme dans son sein, suivant les variétés de sa puissance génératrice, pierre, marbre, moellon, silex, sable, argile, rubrique, poussière, craie, gravier, charbon (résidu de la combustion des racines quand la terre est chauffée par le soleil jusqu’à l’incandescence), tout cet amalgame, dis-je, se retrouve dans ce qu’on appelle terre pris dans le sens propre, et la fait qualifier d’argileuse, de sablonneuse, etc., suivant l’élément qui domine. Ces différentes espèces de substances constituent donc autant d’espèces de terre, dont chacune comporte au moins trois degrés dans son essence. Un terrain pierreux, par exemple, ou l’est excessivement, ou l’est médiocrement, ou ne l’est presque point. Mêmes distinctions à faire dans chacune des autres espèces. De plus, chacun de ces degrés de relation est lui-même subdivisible en trois, puisqu’on y rencontre ou l’extrême sécheresse, ou l’extrême humidité ou l’habitude intermédiaire, toutes modifications qui n’ont pas une médiocre influence sur le revenu. Aussi le cultivateur expérimenté sèmera plutôt du froment que du blé commun dans un terrain humide, donnera, si son terrain est sec, la préférence à l’orge sur le blé, et confiera indifféremment l’un ou l’autre à un terrain mixte. Il est d’autres distinctions à faire, plus subtiles encore que les précédentes. Pour un terrain sablonneux, par exemple, il importe de savoir si le sable est blanc ou rouge; car le sable blanc ne convient pas aux pépinières, qui réussissent parfaitement dans le sable rouge. Il importe encore beaucoup de classer les terres selon qu’elles sont grasses ou maigres, ou entre les deux. Autant les grasses sont fertiles, autant les maigres le sont peu. Dans ces dernières point d’arbres touffus, point de vignes de rapport, point de paille fournie, point de grosses figues. Témoin les champs de Pupinia : on n’y voit qu’arbres chétifs, que prés arides, et envahis par la mousse. Dans les cantons, au contraire, où la terre est grasse, comme en Étrurie, partout de belles récoltes, et belles tous les ans; des arbres à feuillage épais, et de la mousse nulle part. Le parti qu’on tire d’une terre moyenne comme celle des environs de Tibur, est en raison de sa plus grande affinité avec les grasses qu’avec les maigres. Diophane de Bithynie, reprit alors Stolon, dit avec assez de raison qu’on peut juger de la qualité d’une terre par induction tirée de son apparence extérieure, ou de ce qu’elle produit naturellement. On examine, dans le premier cas, si sa couleur est claire ou foncée, si elle est légère, facile à remuer, friable ou compacte; dans le second cas, si sa végétation spontanée est abondante et promet maturité. Mais continue, parlez-nous maintenant de la troisième partie, qui a pour objet les différentes mesures établies dans chaque pays. X. Scrofa reprit en ces termes : Chaque pays a sa mesure particulière. Dans l’Espagne ultérieure, on mesure les terres par jugum; en Campanie, par versus; et, dans la campagne romaine, ainsi que dans tout le Latium, nous procédons par jugerum. On appelle jugum l’étendue que deux bœufs attelés ensemble peuvent labourer en un jour; versus, une superficie de cent pieds carrés. Le jugerum contient deux actus quadratus; et un actus quadratus est de cent vingt pieds carrés. L’actus quadratus est appelé en latin acnua. La moindre des fractions d’un jugerum s’appelle scrupulum, et a dix pieds en longueur et autant en largeur. D’après ces bases, les arpenteurs comptent habituellement l’excédant du jugerum par onces, sextant, ou quelque autre partie aliquote de l’as, puisque le jugerum se compose de deux cent quatre-vingt-huit scrupules, ce qui forme précisément le même nombre d’unités qu’en contenait notre ancien as avant la guerre punique. Deux jugera réunis, du temps de Romulus, formaient un héritage. C’était, dit-on, la part que Romulus avait affectée à chaque citoyen, comme transmissible à ses héritiers. Dans la suite, cent héritages prirent le nom de centurie. La centurie est une surface carrée, dont chacun des côtés a deux mille quatre cents pieds de longueur. Quatre de ces centuries jointes ensemble, de manière qu’il y en ait deux de chaque côté, s’appellent saltus dans les partages publics des terres. XI. Il est arrivé souvent que, faute de mesure exacte de la propriété, on a donné aux bâtiments plus ou moins d’étendue qu’il ne fallait : deux erreurs très préjudiciables à la bonne gestion du bien et à son revenu. En effet, lorsque les bâtiments sont plus grands que la terre ne comporte, les frais de construction et d’entretien sont relativement trop considérables aussi. Quand ils sont trop petits pour la grandeur du fonds, la récolte peut se perdre. Qui doute en effet qu’il ne faille donner plus de développement aux celliers quand on a des vignobles, aux greniers quand on a des terres à grain? Quand vous construirez une métairie, ayez soin de vous ménager une prise d’eau dans son enceinte, ou le plus possible à proximité. Le mieux est d’avoir chez soi la source; sinon, qu’elle ait du moins un cours constant. A défaut d’eau vive, établissez des citernes intérieures, et des abreuvoirs à ciel ouvert; les unes pour vos gens, les autres pour votre bétail. XII. Pour vos constructions, choisissez de préférence le pied d’un coteau boisé, riche en pâturages, et l’exposition la plus saine. La meilleure de toutes est le levant d’équinoxe; car on y a de l’ombre en été et du soleil en hiver. Etes-vous forcé de bâtir au bord d’un fleuve? ouvrez vos jours de l’autre côté, sans quoi les habitations seraient froides pendant l’hiver et peu saines pendant l’été. Il faut éviter avec un soin égal le voisinage des lieux marécageux: d’abord, parce que les mêmes inconvénients s’y trouvent; et puis, parce que les marais venant à se dessécher engendrent une multitude d’insectes imperceptibles qui s’introduisent par la bouche et les narines avec l’air que l’on respire, et occasionnent ainsi des maladies graves. Mais, dit Fundanius, si j’héritais d’une terre dans cette condition, qu’aurais-je à faire pour me préserver de ses malignes influences? A cette question, dit Agrius, la réponse est facile. Vendre le plus cher, et, si l’on ne trouve acheteur, déguerpir le plus tôt possible. Scrofa continua en ces termes: il faut encore éviter que la façade ne se trouve dans la direction d’un vent pernicieux; et ne point bâtir dans le creux d’un vallon. Une assiette élevée est préférable, Le moindre souffle suffisant pour dissiper les émanations inférieures, s’il y en a. Un bâtiment où le soleil donne tout le jour est dans la condition la plus saine. Il ne craint pas l’invasion des insectes: le vent les emporte, ou la sécheresse les tue. Les inondations, les débordements sont à craindre pour ceux qui habitent les lieux bas et les gorges profondes. Ajoutez que les voleurs peuvent plus facilement les y surprendre. Double danger, dont on se préserve en se plaçant sur les lieux élevés. XIII. Dans la distribution des étables, réservez aux bœufs la partie qui est la plus chaude en hiver. Pour les liquides, tels que le vin et l’huile, ayez des celliers au niveau du sol. Les vases destinés à les contenir devront également être placés à ras de terre. Pour les denrées sèches, tels que les fèves, les lentilles, l’orge et le blé, on établira des espèces de planchers. Ménagez à vos domestiques un lieu de réunion où, lorsqu’ils souffrent de la fatigue, de la chaleur, ou du froid, ils puissent se reposer et se remettre. Logez le villicus près de la porte d’entrée, afin qu’il ait l’œil sur ce qui entre et sort pendant la nuit, hommes et choses. Précaution indispensable, quand il n’y a pas de portier surtout. La cuisine encore devra être placée à proximité de sa surveillance. En temps d’hiver on y vaque à divers soins avant le jour : on y prépare, on y fait un premier repas. On devra ménager dans la basse-cour des remises spacieuses pour les charrettes et les autres ustensiles, afin qu’ils soient à couvert de la pluie. En les laissant en plein air, on s’expose à les voir enlever par les voleurs, ou endommager par les injures du temps. Dans les grandes exploitations il est bon d’avoir deux basses-cours, l’une intérieure, l’autre extérieure. Dans la basse-cour intérieure on devra ménager un bassin destiné à recevoir les eaux pluviales, qui en passant près des stylobates, et coulant sur un plan incliné, formeront un abreuvoir, où les bœufs, revenant des champs, pourront boire et se baigner pendant l’été, ainsi que les oies, et les porcs lorsqu’ils reviendront des pâturages. Il en faut un également dans la cour extérieure, pour faire tremper les lupins, et autres graines dont l’emploi exige un séjour sous l’eau. Cette cour, étant continuellement jonchée de litière et de paille que les bestiaux foulent sous leurs pieds, devient comme une fabrique d’engrais pour les champs. Chaque ferme doit avoir deux fosses à fumier, ou une fosse unique divisée en deux compartiments. L’un des côtés est destiné à recevoir le fumier nouveau que l’on apportera des étables; et c’est dans l’autre que l’on prendra l’ancien fumier, pour le porter dans les champs. Plus le fumier est récent, moins il est bon; et plus il est macéré, meilleur il est pour engraisser les terres. Il faudra surtout le garantir du soleil, en l’entourant de tous côtés de branches et de feuillages, afin d’empêcher que le soleil n’en retire le suc, qui est le principe de l’engrais. Aussi les agriculteurs expérimentés ne négligent-ils jamais de ménager l’écoulement des eaux, de façon à entretenir l’humidité dans ces réserves. Il en est même qui y font déposer la vidange des lieux d’aisance. Il faut, en outre, construire un vaste bâtiment, où l’on puisse mettre à couvert toute la récolte. Ce local, qu’on appelle nubilarium, doit être voisin de l’aire où l’on bat le blé. Il doit être d’une dimension proportionnée à l’étendue de la propriété, et ne s’ouvrir que d’un seul côté, qui est celui de l’aire. Le déplacement des gerbes de l’un à l’autre en devient plus facile et plus prompt en temps de pluie. Les fenêtres du nubilarium devront être percées de manière à laisser l’air y circuler aisément. Les constructions, dit Fundanius, influent sans contredit beaucoup sur le rapport, quand elles sont conçues suivant l’intelligente simplicité de nos ancêtres, plutôt que suivant les idées de luxe d’aujourd’hui. On travaillait alors en vue de l’utile; on ne songe maintenant qu’à satisfaire aux fantaisies les plus extravagantes. Alors le propriétaire avait de grands bâtiments de ferme, et se logeait en ville à l’étroit. C’est généralement le contraire aujourd’hui. A cette époque, une métairie était citée quand elle avait de vastes étables, un bon office, des celliers à vin et à huile proportionnés à la grandeur du fond, avec un plancher incliné venant aboutir à un réservoir; précaution d’autant plus nécessaire, que la fermentation du vin nouveau brisant souvent les tonneaux d’Espagne et même les futailles d’Italie, le vin se trouvait recueilli dans cette espèce de récipient. C’est ainsi que nos ancêtres avaient soin de pourvoir une métairie de tout ce qui répondait aux besoins de la culture. Aujourd’hui, au contraire, on ne vise qu’à rendre l’habitation du maître aussi vaste et aussi élégante que possible. On rivalise de luxe avec ces villas que les Métellus et les Lucullus ont élevées pour le malheur de la République. De nos jours, le point essentiel est d’exposer au vent frais de l’Orient les salles où l’on prend les repas pendant l’été, et au couchant celles où se tiennent les festins pendant l’hiver. Nul ne songe à donner une exposition convenable aux fenêtres des celliers à vin et à huile, ainsi que le faisaient nos ancêtres; ce qui est fort important, puisque le vin, renfermé dans les tonneaux, a besoin de fraîcheur, tandis que l’huile demande un air plus chaud. Ajoutons qu’une colline est, sauf empêchement, l’emplacement le plus convenable à l’établissement d’une ferme. XIV. Je vais parler maintenant des clôtures qu’il faut établir pour la sûreté générale ou partielle de l’établissement. Il y en a quatre espèces : la clôture naturelle, la clôture champêtre, la clôture militaire, et enfin la clôture artificielle. Chacune de ces espèces peut se subdiviser en plusieurs autres. La première espèce, faite de haies vives, s’appelle clôture naturelle, parce qu’elle est formée d’épines et de broussailles, et qu’elle a racine en terre. C’est celle qui redoute le moins que les passants, par imprudence, n’y mettent le feu. La seconde espèce est faite de bois coupé. On emploie, à cet effet, des pieux que l’on entrelace de broussailles, ou que l’on perce de deux ou trois trous dans leur épaisseur, pour y faire passer transversalement autant de longues perches. On peut également construire cette clôture avec des troncs d’arbres horizontalement superposés, et assujettis l’un à l’autre. La troisième espèce, appelée clôture milliaire, consiste en un fossé avec remblais en terrasse. Le fossé, pour avoir les conditions voulues, doit être assez profond pour contenir toutes les eaux des pluies, ou recevoir celles provenant de la propriété. Le remblai ne forme bonne clôture qu’autant qu’il est pratiqué en deçà du fossé, ou qu’il s’élève assez haut pour ne pouvoir être aisément franchi. Cette clôture est principalement adaptée aux propriétés riveraines d’une grande route, ou de quelque cours d’eau. On peut voir dans les environs de Crustumium, non loin de la voie qui conduit aux salines, plus d’un exemple de l’emploi du fossé conjointement avec le remblai, comme précaution contre les débordements. On appelle murs les remblais sans fossés, qui sont en usage dans la campagne de Réate. La quatrième et dernière espèce, la clôture artificielle, est en maçonnerie, et de quatre sortes de matériaux: savoir, de pierres de taille, comme à Tusculum; de briques cuites, comme dans la Gaule; de briques crues, comme dans les champs sabins; enfin de blocs composés de terre et de cailloux jetés en moule, comme en Espagne et dans la plaine de Tarente. XV. A défaut de clôtures, on marque encore les limites d’une propriété par des pieds d’arbres; ce qui évite les querelles de voisinage, et prévient les procès. Quelques-uns plantent des pins tout autour, comme l’a fait ma femme dans une terre qu’elle possède au pays des Sabins. D’autres se servent de cyprès, comme j’ai fait moi-même dans une propriété près du Vésuve; d’autres encore emploient les ormes, comme plus d’un propriétaire de Crustumium. Et en effet, il n’y a pas d’arbre préférable à celui-là dans tout pays de plaines comme celui dont nous venons de parler. Nul n’est plus profitable comme soutien des haies et des vignes, comme abri le plus recherché par le gros bétail et les troupeaux, et comme pourvoyeur de menu bois pour la haie, l’âtre et le four. Voilà bien, dit Scrofa, mes quatre points principaux d’observation pour les agriculteurs: configuration de la propriété, qualité du sol, dimension, et clôture. XVI. Il nous reste à considérer ce qui est en dehors de la propriété; car la propriété est singulièrement intéressée aux conditions d’entourage. Ces conditions sont encore au nombre de quatre: Le pays est-il sûr? Offre-t-il débouchés et ressources? A-t-on à proximité les voies de communication, routes ou rivières navigables? Enfin y a-t-il avantage à espérer, ou préjudice à craindre du voisinage? D’abord, en ce qui concerne la sûreté, il est tel fonds d’une excellente nature que je ne conseillerais pas d’exploiter, à cause des déprédations auxquelles sa situation l’expose. Il en est plus d’un qui ont cet inconvénient, près de Célie en Sardaigne, et, en Espagne, sur les confins de la Lusitanie. En ce qui touche au second point, les terres les plus avantageuses sont celles qui offrent le plus de facilités pour la vente de ce qu’elles produisent, et l’acquisition de tout ce qu’exigent les besoins de l’exploitation. Il est des fonds de terre, en effet, où le blé et le vin manquent, et doivent être tirés d’ailleurs. En d’autres, au contraire, on est obligé à trafiquer d’un excédent de ces mêmes denrées. Ainsi, dans le voisinage des villes, on cultive avantageusement dans les jardins les violettes, les ruses, et autres fleurs qui sont recherchées sur leurs grands marchés; tandis que le même genre de culture ne conviendrait point à une ferme éloignée de tout pareil centre de débit. J’ajoute qu’avec la proximité d’une ville, d’un bourg, ou seulement d’une maison de campagne en terre opulente, où l’on trouve, d’une part, à acheter à bas prix ce qui manque, et, de l’autre, à placer son superflu, comme échalas, perches, roseaux, un fonds est placé dans une condition plus avantageuse non seulement que celui où l’on a de grandes distances à franchir, mais que souvent où l’on aurait tout sous la main. Aussi, beaucoup de propriétaires préfèrent-ils louer à l’année, de leurs voisins, les médecins, les foulons et les ouvriers dont ils pourraient avoir besoin, que d’entretenir ces professions en permanence dans leurs domaines. La mort d’un seul ouvrier, dans le premier cas, entraîne les plus graves préjudices. Les riches seuls, exploitant sur une grande échelle, peuvent se permettre cette complication de leur personnel domestique. Il se peut cependant que la nécessité en fasse une loi à d’autres que les riches En cas d’éloignement de toute ville ou bourg, par exemple, il est bon d’avoir des forgerons, ou gens d’autres métiers, à demeure. On évite par là que les domestiques de la ferme ne suspendent leur travail, et ne perdent en allées et venues un temps qui serait mieux employé au profit de l’établissement. C’est en ce sens que Saserna défend dans son livre que personne ne sorte de la ferme, excepté le villicus ou intendant, ou celui qu’il aura lui-même désigné. La défense serait encore mieux conçue en ces termes : Nul domestique sans l’ordre du métayer, ni le métayer lui-même sans l’ordre du maître. Saserna veut de plus qu’aucune absence n’excède un jour de durée, ou ne se répète plus fréquemment que le service ne l’exige. En troisième lieu, le voisinage de routes praticables pour les voitures, ou de fleuves navigables, augmente beaucoup la valeur d’une terre; car ce sont là, comme on sait, les deux grands moyens de communication. Enfin l’essence même des plantations limitrophes doit encore être prise en considération. Si c’est une chênaie, par exemple, qui vous avoisine, vous auriez tort de mettre des oliviers auprès; car ce bois leur est antipathique au point que vous verriez vos arbres, non seulement diminuer de produit, mais éviter le contact des chênes, en se rejetant en arrière. C’est ce que fait la vigne, lorsqu’elle se trouve placée auprès des plantes potagères. Par une propriété semblable à celle des chênes, la présence d’un gros noyer ou d’un certain nombre de plants du même arbre suffit pour frapper de stérilité tout l’entourage. XVII. J’ai traité spéculativement des quatre conditions intrinsèques de la culture, et de quatre ordres de considérations extérieures qui s’y rattachent. Je vais parler maintenant de la pratique, où quelques-uns veulent faire la distinction de deux parties, à savoir les bras qui travaillent, et les instruments sans lesquels ils ne peuvent travailler; ce sont les instruments que d’autres veulent diviser en trois genres, savoir, le genre parlant, qui comprend les esclaves; le genre voix inarticulée, qui comprend les bœufs; le genre muet, qui comprend les véhicules. La culture s’exerce, ou par des esclaves, ou par des hommes libres, ou par un mélange des uns et des autres. Les hommes libres, qui cultivent eux-mêmes la terre, sont pour la plupart de pauvres gens, aidés de leur famille, ou des journaliers qui se chargent, moyennant salaire, de travaux, tels que les vendanges et la fenaison. Il y a encore une troisième classe de gens employés aux travaux de la terre. Ce sont ceux que nos ancêtres désignaient sous le nom d’obœrarii (travailleurs à forfait), qu’on rencontre en grand nombre en Asie, en Égypte et dans l’Illyrie. J’ai à dire des uns et des autres que, dans les terrains insalubres, il vaut mieux employer des gens à gages; et que, même dans les lieux sains, on fait bien de leur donner encore de préférence les gros ouvrages, tels que la rentrée des vendanges et des moissons. Voici ce que recommande Cassius, à propos de ces manœuvres. Choisissez des sujets propres à la fatigue, au-dessus de vingt-deux ans, et qui montrent des dispositions pour l’agriculture. On juge de leur aptitude par des travaux d’essai, ou en les questionnant sur ce qu’ils faisaient chez leur précédent maître. Prenez pour les diriger des esclaves qui ne soient ni insolents, ni timides; qui aient une teinture d’instruction, de bonnes manières, de la probité, et qui soient plus âgés que ceux qu’ils surveillent: ils en seront mieux écoutés. Cette position, par-dessus tout, exige l’intelligence des travaux rustiques : car l’esclave n’est pas là seulement pour donner des ordres: il doit mettre la main à l’œuvre; montrer par l’exemple ce qu’il faut faire, afin que ses subordonnés comprennent que ce sont ses talents et son expérience qui le placent au-dessus d’eux. Il ne faut pas permettre au chef d’employer les coups pour se faire obéir, quand il peut arriver au même but par de simples remontrances. Évitez également d’avoir plusieurs esclaves de la même nation; car c’est une source continuelle de querelles domestiques. Il est bon de stimuler, par des récompenses, le zèle des chefs; de leur former un pécule, de leur faire prendre des femmes parmi leurs compagnes de servitude. Les enfants qui naissent de ces unions attachent les pères au sol; et c’est par suite de ces mariages que les esclaves d’Épire sont si réputés et se vendent si cher. Quant aux chefs, on fera bien de flatter leur amour-propre, en leur donnant de temps à autre quelque marque de considération. Il est bon également quand un ouvrier se distingue, de le consulter sur la direction des ouvrages. Cette déférence le relève à ses propres yeux, en lui prouvant qu’on fait cas de lui, qu’on le compte pour quelque chose. Stimulez encore son zèle par de meilleurs traitements, une nourriture plus choisie, des vêtements moins grossiers, l’exemption de certains travaux; ou bien encore par la permission de faire paître à son profit quelques bestiaux sur la propriété du maître. C’est ainsi qu’on tempère l’effet d’un ordre un peu dur, d’une punition un peu sévère, et qu’on leur inspire le bon vouloir, et l’affection que le domestique, doit toujours avoir pour son maître. XVIII. Pour limiter le personnel d’une exploitation rurale, Caton prend pour base l’étendue et le genre de culture. C’est sur celle des oliviers et des vignes qu’il raisonne. Mais les deux formules qu’il nous a données sont d’une application générale. La première suppose un plant d’oliviers de deux cent quarante jugera, et il porte à treize le nombre des esclaves; à savoir, un villicus et sa femme, cinq ouvriers, trois bouviers, un ânier, un porcher, un berger. L’autre formule est basée sur un lot de cent jugera de vignes, pour lequel il faut avoir quinze esclaves; savoir, un villicus et sa femme, dix ouvriers, un bouvier, un ânier, un porcher. En traitant du même sujet, Saserna nous dit dans son livre qu’un seul homme suffit pour labourer huit jugera de terre en quarante-cinq jours. Car, bien que quatre journées suffisent rigoureusement pour chaque jugerum, l’auteur alloue treize jours de plus pour maladies, mauvais temps, négligence du serviteur, ou excès d’indulgence chez le maître. Licinius prenant alors la parole : Ni l’un ni l’autre de ces auteurs, dit-il, ne s’est montré fort clair dans son système. Si Caton a voulu faire entendre (comme c’était sans doute son intention) que l’on doit augmenter ou diminuer le nombre des esclaves en raison de l’étendue de la propriété, il n’aurait dû comprendre, dans cette catégorie, ni le villicus ni sa femme, Et, en effet, dans le cas même où une plantation d’oliviers aurait moins de deux cent quarante jugera, on ne peut toujours avoir moins d’un villicus. Et dans le cas où l’étendue serait double ou triple de cette mesure, il ne faudrait pas prendre deux ou trois villicus pour cela. C’est donc le nombre des ouvriers, ou simplement bouviers, qu’on augmente ou restreint, suivant l’étendue du fonds de terre. Encore faut-il que tout le terrain soit d’une même nature. S’il est assez inégal, âpre et montagneux pour ne pouvoir être labouré dans toutes ses parties. Il s’ensuit naturellement qu’un moindre nombre de bœufs, et par conséquent de bouviers, devient nécessaire. Je n’insiste pas sur un autre inconvénient du calcul de Caton. C’est qu’il a pris pour exemple une superficie de deux cent quarante jugera, qui n’est pas unité de mesure. Il eût dû compter par centurie, ou contenance de deux cents jugera. Or, comme pour arriver à ce chiffre il faut retrancher, des deux cent quarante jugera de Caton, quarante, c’est-à-dire le sixième de deux cent quarante, comment s’y prendra-t-on, voulant être conséquent, pour retrancher des treize esclaves la sixième partie? L’embarras ne serait pas moindre à prendre le sixième de onze, chiffre des esclaves, non compris le villicus et sa femme. Veut-on admettre avec Caton que, pour cultiver cent jugera de vignes, il faut un personnel de quinze esclaves? Alors, pour une centurie de terre plantée moitié en vignes, moitié en oliviers, il faudrait avoir deux villicus avec leurs femmes; ce qui serait absurde. Il nous faut donc chercher une autre base pour déterminer proportionnellement le nombre d’individus nécessaires. Et Saserna en indique une préférable à celle de Caton, quand il dit qu’il faut pour le labour de chaque jugerum quatre journées du travail d’un homme. Maintenant, pour convenir aux domaines de Saserna, qui étaient situés dans la Gaule, ce chiffre n’est pas nécessairement applicable, comme conséquence, aux terrains montagneux de Ligurie. En résumé, l’on arrive plus facilement à déterminer l’importance, tant du personnel que du matériel, nécessaire à l’exploitation, en portant son attention sur trois choses principales; savoir, la nature des propriétés environnantes; leur étendue; le nombre d’individus employés à leur culture; et enfin les modifications en plus ou en moins que ce nombre peut subir avec avantage. La nature nous a montré deux voies à suivre pour la culture de la terre; les expériences, et l’imitation. C’est en tâtonnant que les premiers agriculteurs ont établi les principes : leurs enfants n’ont guère fait qu’imiter. Nous devons, nous, procéder par les deux voies : imiter d’une part nos prédécesseurs, et, sur quelques points, essayer d’innover; tout en prenant toujours, non le hasard, mais le raisonnement pour guide. Si, par exemple, nous nous décidons à donner, au second labour de nos vignes, plus ou moins de profondeur que ne font les autres; que ce ne soit jamais par simple caprice. C’est en vue d’un résultat positif qu’ont agi ceux qui les premiers sarclèrent deux fois ou trois fois la terre, ceux qui tentèrent la greffe des figuiers en été, ce qu’on avait coutume de ne faire qu’au printemps. XIX. En ce qui concerne les instruments dits à voix inarticulée, Saserna prétend que deux attelages de bœufs suffisent pour deux jugera de terre; tandis que Caton exige trois attelages pour un plant d’oliviers de deux cent quarante jugera. De sorte que, si nous en croyons Saserna, il ne faut qu’un attelage pour cent jugera; et si nous nous en rapportons à Caton, un attelage ne suffit que pour quatre-vingts. Quant à moi, je pense que ni le calcul de Caton, ni celui de Saserna, ne s’appliquent universellement à toutes espèces de terre; mais que l’un ou l’autre peut se trouver juste pour quelques fonds de terre en particulier. Les terrains sont plus ou moins difficiles à labourer. Il en est que les bœufs ne parviennent à ouvrir qu’avec des efforts inouïs, et tels que souvent la charrue se brise, laissant son soc dans le sillon. D’où il suit que tant que la nature du sol à cultiver ne nous est pas parfaitement connue, le plus sûr est de prendre pour règle la coutume du propriétaire qui nous a précédés, ou celle des propriétaires voisins; et de ne se permettre d’abord que de rares expériences. Caton dit plus loin que, dans un plan d’oliviers de deux cent quarante jugera, il faut trois ânes pour porter le fumier, et un quatrième pour tourner la meule. Il ajoute que dans une vigne de cent jugera on a besoin d’un attelage de bœufs, d’un attelage d’ânes, et enfin d’un âne qui tourne la meule. En parlant de ces instruments à voix inarticulée, Caton n’aurait-il pas dû ajouter, touchant le bétail, qu’il faut en restreindre le nombre au strict nécessaire, afin de simplifier le service des instruments qui se soignent eux-mêmes; c’est-à-dire les esclaves. En fait d’espèces, les brebis sont toujours préférables aux cochons; non pas seulement pour ceux qui ont des prés, mais pour ceux même qui n’en ont pas; car, en élevant des moutons, on ne songe pas seulement à tirer parti de son fourrage, on veut encore se procurer un engrais. XX. Touchant les quadrupèdes, il faut s’assurer en premier lieu des qualités requises pour les bœufs de labour. Ceux qu’on achète avant qu’ils n’aient travaillé ne doivent pas avoir moins de trois ans, ni plus de quatre. Il les faut robustes et bien appareillés, sans quoi le plus fort, au travail, épuiserait le plus faible; qu’ils soient larges de front, avec les cornes écartées et noires autant que possible, le poitrail large et les cuisses charnues. Si les animaux ont déjà servi, n’employez pas en pays rudes et montagneux ceux qui n’auraient labouré qu’en pays de plaines, et réciproquement. Si ce sont de jeunes bœufs n’ayant point encore senti le joug, il faudra leur engager le cou dans des fourches, et ne les laisser manger qu’en cette posture. Quelques jours de cette pratique les rendront maniables et faciles à dompter. Ensuite on les accoutumera insensiblement au joug, en attelant toujours un jeune bœuf avec un bœuf déjà rompu au service, dont l’exemple l’habitue d’abord à la soumission. On commencera par les faire marcher sur un sol uni, sans leur faire encore tirer de charrue; puis on les attellera à une charrue légère, qu’ils ne tireront d’abord que dans du sable, ou dans une terre qui cède aisément. Quant aux bœufs destinés aux charrois, on commencera également par les faire tirer d’abord des voitures sans charge, en les conduisant de préférence au milieu des villes ou des bourgs. Ils se familiarisent ainsi avec les bruits et le mouvement des lieux habités; ce qui est un grand pas de fait pour leur éducation. Lorsqu’on aura commencé par mettre un bœuf à la droite, il ne faut point l’y remettre toujours: c’est lui ménager une espèce de repos dans le travail, que de le changer de côté de temps à autre. Dans les contrées où la terre est peu compacte, comme dans les champs de Campanie, on remplace les bœufs par des vaches ou des ânes, qu’il sera d’autant plus facile d’accoutumer à tirer une charrue légère. Pour tourner la meule, et pour faire les transports nécessaires dans la propriété même, les uns se servent d’ânons, les autres de vaches; d’autres encore emploient des mulets, selon que le fourrage est plus ou moins abondant. Il est, par exemple, plus aisé de nourrir un ânon qu’une vache; mais la vache est d’un plus grand rapport. Dans le choix de ses animaux de trait, le cultivateur aura toujours égard à la nature du sol. S’il est montueux et difficile à labourer, il faut des bêtes plus robustes, et dont on puisse tirer autant de travail et plus de profit. XXI. Il est bon d’avoir des chiens, en petit nombre, et de bonne garde. On les dresse à veiller la nuit et à dormir le jour, renfermés et à la chaîne; quand ils sont lâchés, leur activité en redouble. Voilà tout ce que nous avons à dire des quadrupèdes que l’on ne soumet point au joug, ainsi que des troupeaux. Un propriétaire de prés, qui n’a pas de bestiaux à lui lorsqu’il a vendu ses fourrages, doit se procurer des troupeaux étrangers, pour les faire paître et parquer dans ses prairies. XXII. Quant aux instruments dits muets, comme paniers, futailles, etc., voici les principales recommandations que nous avons à faire. En premier lieu, ne rien acheter de ce qu’on peut recueillir ou confectionner sur les lieux; ce qui comprend toute espèce d’ustensile qui se fabrique en osier, ou dont on a sous la main la matière première ; tels que paniers, corbeilles, traîneaux, maillets, râteaux. Il en est de même de tout ce qu’on fait de chanvre, lin, jonc, genêt, feuilles de palmier; comme les câbles, les cordes, et les nattes. Quant aux divers ustensiles qu’on ne peut point tirer de son fonds, il faut, en les achetant, regarder moins à l’apparence qu’à l’utilité; car on paye moins cher, et le revenu s’en trouve mieux. Proximité, qualité et bon marché; voilà les conditions essentielles pour les acquisitions de ce genre. Le choix et le nombre des différents instruments est subordonné à l’importance de l’exploitation, et se multiplie en raison de son étendue. C’est ce qui fait sans doute, dit Stolon, que Caton raisonne sur une superficie donnée, quand il dit que celui qui cultive un plant d’oliviers de deux cent quarante jugera doit avoir, au nombre de cinq, chaque espèce de vases nécessaires à la confection de l’huile, dont il donne ainsi l’énumération: chaudières, pots, vases à trois anses, etc., le tout en cuivre. En fait d’ustensiles en bois et fer, il veut qu’on ait trois grandes charrettes, six charrues avec leurs socs, quatre civières à fumier, etc. Passant ensuite aux différents instruments de fer seulement, huit fourches, autant de sarcloirs, quatre bêches, etc. Quant au mobilier d’exploitation d’un vignoble, Caton l’a déterminé comme il suit, en calculant sur une superficie de cent jugera : trois pressoirs complets, des futailles garnies de leur couvercle, en nombre suffisant pour contenir huit cents cullei; vingt vaisseaux à transporter le raisin pendant les vendanges; vingt autres réservés pour le blé, etc. Si Caton, contrairement à d’autres auteurs, exige un si grand nombre de cullei, c’est, je crois, pour qu’on ne soit pas forcé de faire argent, chaque année, du produit de ses vignes; car le vin se vend plus cher quand il est vieux, et la même qualité se place avec plus ou moins d’avantage, suivant le cours du moment. Caton entre ensuite dans de grands détails touchant les quantités et espèces d’instruments de fer, tels que serpes, bêches, râteaux. Il descend même jusqu’aux subdivisions de quelques espèces. Ainsi, sous le nom générique de faux, il distingue différentes sous-espèces, dont voici les quantités pour chacune: six serpes à tailler la vigne; cinq à couper les liens des ceps; pareil nombre de serpes à faire du bois; trois à émondage, et dix propres à couper les ronces. Scrofa prenant alors la parole, nous dit: Tout propriétaire devra faire un inventaire détaillé de tout ce mobilier rustique, et en emporter une copie à la ville. Le villicus, de son côté, aura soin que tous ces ustensiles soient disposés avec ordre, chacun à la place qui lui a été assignée. Il devra surtout avoir autant que possible sous ses yeux tous les objets qu’il ne pourra garder sous clef, notamment ceux d’un usage moins habituel; comme les paniers et les vases, dont on n’a besoin qu’au temps des vendanges. Car plus les objets sont en vue, moins ils sont exposés aux déprédations des voleurs. XXIII. Agrarius prit alors la parole et dit : Vous nous avez parlé jusqu’à présent du fonds de terre en général, et des divers instruments nécessaires à sa culture: de sorte que, des quatre parties de l’agriculture, vous avez épuisé les deux premières. J’attends maintenant la troisième partie. Comme je n’entends par revenu, dit Scrofa, que ce que la terre produit quand elle a été ensemencée, nous n’avons réellement que deux points à examiner; savoir, la qualité de la semence et celle du sol. Telle terre conviendra particulièrement au foin, telle autre au blé; celle-ci à l’olive, celle-là au raisin. Il en est de même de tout ce qui appartient à la dénomination générique de fourrage, comme le basilic, les céréales coupées en vert, la vesce, le sainfoin, le cytise, le lupin. C’est une erreur de croire qu’une terre grasse puisse recevoir indifféremment toute semence, et qu’en une terre maigre on ne puisse rien semer. On fera bien au contraire de choisir une terre maigre pour tout ce qui ne demande pas beaucoup de suc, comme le cytise et les légumes; à l’exception toutefois des pois chiches, qu’il faut cependant considérer comme légume, si l’on comprend sous ce nom tout ce qui se récolte par extraction de la tige, par opposition à ce qui se cueille seulement; car légume vient de legere, cueillir. Dans les terres grasses on pourra semer tout ce qui demande plus de nourriture; comme les racines potagères, le froment, le seigle, le lin. Certaines plantes sont cultivées, non pas tant pour le produit immédiat qu’on en retire, que pour l’amélioration d’une récolte à venir; parce que leurs fanes coupées et laissées sur la terre y servent d’engrais. C’est par cette raison que dans une terre trop maigre on emploie, en guise de fumier, des tiges de lupin non encore monté en graine, ou bien même celles des fèves, avant que la cosse n’ait atteint le degré de formation où elle est bonne à cueillir. Mettons à part les plantes dont le produit est de pur agrément, et qui peuplent nos jardins et nos parterres, aussi bien que celles qui, sans contribuer à l’alimentation, sont cependant indispensables à l’économie rurale; tels que les saules et les roseaux, et autres végétations qui exigent un sol humide. Certaines plantes se plairont dans un terrain sec; d’autres préféreront des lieux ombragés, comme l’asperge sauvage et l’asperge domestique; d’autres enfin ne devront être semées que dans des lieux exposés au soleil, dont la chaleur est indispensable à leur croissance; telles sont, par exemple, les violettes et les autres plantes des jardins. Mais l’osier, dont on fait des paniers, des claies et des vans, demande un autre sol et une autre culture. Les bois en coupe réglée, et ceux qu’on laisse croître pour les chasses, veulent aussi des terroirs et des régimes différents. Il faudra également réserver des endroits convenables au chanvre, au lin, au jonc, au sparte, d’où l’on tire les matériaux employés à botteler la paille des bœufs, à faire des ficelles, des cordes et des câbles. D’autres terrains reçoivent indifféremment diverses espèces de plantes. C’est ainsi que nous voyons souvent introduire des plantes de jardinet autres dans les vergers de formation nouvelle, dont les arbres, récemment alignés, n’ont pas encore eu le temps d’étendre leurs racines; pratique dont on s’abstient soigneusement quand les arbres ont pris du développement, de crainte de leur nuire. Ceci, reprit Stolon, se concilie assez bien avec ce qu’a écrit Caton, à propos des semailles, qu’une terre grasse, bien fumée, où l’on ne volt aucun arbre, est ce qu’il faut au froment; et qu’un sol ombragé convient aux raves, au raifort, au millet et au panais. XXIV. Les espèces d’olives qui prospèrent en terre grasse et chaude sont, l’olive à confire, le radius major de Salente, l’orchis, la posea, la sergiane, la colminienne et l’albicère (blanc de cire). Entre toutes ces variétés, cultivez de préférence celle qui flatte le plus le goût local L’exposition au vent d’ouest, et en plein soleil, est la plus favorable à cet arbre. Le sol est-il quelque peu froid et maigre? plantez-y l’olive licinienne. Dans un terrain de qualités contraires, cette espèce ne rend jamais l’hostus complet, malgré un luxe de fruits qui l’épuise; et l’arbre est bientôt rongé d’une mousse rougeâtre. L’hostus est ce qui s’exprime, d’huile à chaque factus; et l’on appelle factus un tour de pressoir. La contenance d’un factus est, suivant les uns, de cent soixante modius d’huile; d’autres le font descendre à cent vingt seulement, et réduisent en proportion le nombre et la contenance des mesures fractionnaires. Caton conseille plus loin de former un rideau d’ormes et de peupliers autour de son domaine: on en tire des feuilles pour la nourriture des bœufs et brebis, et du bois pour son usage. Mais nous pensons, quant à nous, que cette prescription n’est rien moins que générale; et que là où elle est utilement appliquée, ce n’est pas en vue seulement du feuillage, qu’on se procure par ce moyen. On peut d’ailleurs, sans inconvénient, border d’arbres sa propriété du côté du nord; car, ainsi placés, ils n’interceptent pas les rayons du soleil. Si le terrain est humide, ajouta Stolon, toujours d’après la même autorité, choisissez de préférence les peupliers et les roseaux. A cet effet, on retournera la terre avec une houe, puis on mettra les boutures de roseaux à trois pieds l’un de l’autre, en les entremêlant d’asperges sauvages, qui en produiront de bonnes à manger; car roseaux et asperges exigent à peu près même culture. On entourera ces plantations d’osier franc, dont on pourra se servir plus tard pour lier les vignes. XXV. Ce que doit observer, quant au choix du terrain, celui qui plante de la vigne, le voici : L’exposition la plus chaude et conséquemment la plus vineuse doit être réservée au petit aminéen, au raisin double dit fortuné, et au petit raisin gris. Où le terrain est gras et le ciel nébuleux, il faut mettre le gros aminéen, le murgantin, l’apicius et le lucanien. Les autres espèces, et surtout les raisins noirs, se plaisent indifféremment partout. XXVI. Les vignerons apportent un soin particulier à placer l’échalas de telle sorte que la vigne en soit abritée du côté du septentrion. Lorsqu’on se sert de cyprès vif en guise d’échalas, on plante alternativement une rangée de ceps et une rangée de cyprès, en empêchant toutefois ces derniers de dépasser la hauteur d’un échalas ordinaire. Il ne faut pas non plus que la vigne soit trop rapprochée des choux et autres légumes; ce voisinage lui est antipathique. Je crains bien, dit Agrius, se tournant vers Fundanius, que le gardien du temple ne revienne avant que nous soyons arrivés à la quatrième partie, c’est-à-dire aux vendanges, que j’attends avec impatience. Rassurez-vous, dit Scrofa, il va lui-même apprêter les paniers et les urnes. XXVII. Nous avons deux divisions du temps: l’année, ou la révolution complète du soleil et le mois qui suit celle de la lune, je parlerai d’abord du cours annuel du soleil. Cet espace de temps, considéré par rapport aux fruits de la terre, est divisé en quatre parties, chacune à peu près de trois mois; ou, plus exactement encore, en huit, dont chacune est d’un mois et demi environ. La première division est celle des saisons: le printemps, l’été, l’automne et l’hiver. Le printemps est l’époque de certaines semailles, et celle du premier labour donné à la terre, afin d’en extirper toutes les mauvaises herbes avant qu’elles aient jeté leur graine. Le sol, soulevé en glèbe par le labour, devient alors plus accessible à l’action du soleil et des pluies, et plus maniable pour les façons ultérieures. Il faut à la terre deux labours au moins; et trois valent encore mieux. On fera la moisson en été; et c’est en automne, et par un temps bien sec, qu’il faudra faire la vendange et procéder aux coupes des bois. On abat l’arbre à ras de terre; mais il ne faut déterrer la souche qu’après les premières pluies, afin d’empêcher la pousse de nouveaux rejetons. C’est en hiver qu’on fera la taille des arbres, en choisissant toutefois le moment où il n’y a sur leur écorce ni frimas, ni pluie, ni glaçons. XXVIII. Le printemps commence lorsque le soleil est dans le Verseau; l’été, lorsqu’il entre dans le Taureau; l’automne, lorsqu’il passe dans le Lion; et l’hiver, lorsqu’il atteint le Scorpion. Mais comme le premier jour de chaque saison est le 23 de l’entrée successive du soleil dans chaque signe, il s’ensuit que le printemps est de 91 jours; l’été, de 94; l’automne de 91; et l’hiver, de 89. Ce calcul étant mis en rapport avec les divisions de notre année civile, le premier jour du printemps correspondra au 8e des Ides de février; le premier de l’été, avec le 8e des Ides de mal; le premier de l’automne, avec le 4e des Ides d’août; et le premier de l’hiver, avec le 5e des Ides de novembre. Il est plus exact encore de partager l’année entière en huit périodes distinctes. La première, de 45 jours, commence lorsque le soleil se couche au point d’où s’élève le vent Favonius, et dure jusqu’à l’équinoxe du printemps. La seconde, de 46 jours, dure de l’équinoxe du printemps jusqu’à l’ascension des Pléiades. La troisième, de 48 jours, du lever des Pléiades au solstice; la quatrième, de 24 jours, du solstice à l’arrivée de la Canicule. La cinquième, de 68 jours, de l’arrivée de la Canicule à l’équinoxe d’automne. La sixième, de 45 jours, de l’équinoxe d’automne à la disparition des Pléiades. La septième, de 44 jours, de la disparition des Pléiades au solstice d’hiver; et la huitième enfin, de 45 jours, commençant au solstice d’hiver, et durant jusqu’au temps où le soleil se couche au point d’où s’élève le vent Favonius. XXIX. La première période est le temps d’établir des pépinières de toute espèce, de tailler la vigne et de la déchausser, de couper les racines qui sortent de terre, d’échardonner les prés, de planter des saussaies, de sarcler les terres qui sont déjà labourées et ensemencées, et qu’on appelle segetes, pour les distinguer des arva, qui sont des terres labourées, mais non encore ensemencées. Quant aux terres appelées novales, on comprend sous ce nom toutes celles qui ne sont ensemencées et renouvelées, pour ainsi dire, que tous les deux ans. Remarquons encore que, donner le premier labour, s’exprime par le mot proscindere (fendre), tandis qu’on désigne le second par le mot offringere (briser), parce que cette dernière façon a pour but de briser la glèbe que la première n’aura fait que soulever. On emploie le mot lirare (sillonner) pour désigner l’acte par lequel on donne le troisième labour, au terrain déjà ensemencé. Cette opération se fait au moyen de deux planches attachées au soc, et disposées de telle sorte que, tout en recouvrant les semences jetées sur les arrêtes, on creuse en même temps des sillons qui donnent un écoulement facile aux eaux pluviales. Ceux qui n’ont cultivé qu’une propriété de médiocre étendue, comme on en trouve beaucoup en Apulie, font d’ordinaire passer la herse sur leurs terres, afin de mieux atteindre les mottes qui pourraient être restées sur les arêtes. La trace profonde que laisse en terre le soc de la charrue s’appelle sulcus (sillon), et la saillie qui se forme entre deux sillons s’appelle porca (arête), de porricere (mettre à distance, élever), parce que la semence se trouve pour ainsi dire exhaussée au-dessus du sol. C’est encore dans le même sens qu’on se sert du mot porricere pour signifier l’action d’offrir aux dieux les entrailles des victimes. XXX. Dans la seconde période, comprise entre l’équinoxe de printemps et le lever des Pléiades, on vaquera aux travaux que voici : sarcler les terres labourées, ou leur donner le premier labour; couper les saules et enclore les prés; mettre la dernière main à ce qui resterait imparfait des travaux de la période précédente; planter les arbres avant la germination et la floraison; car tout arbre qui ne garde ses feuilles qu’une partie de l’année n’est plus propre à être planté, lorsqu’il en a pris de nouvelles. Il y a encore le travail de plantation et de taille des oliviers. XXXI. Durant la troisième période, comprise entre le lever des Pléiades et le solstice, on devra bêcher ou labourer les jeunes vignes, et les herser; c’est-à-dire briser les mottes sans en laisser une seule. On désigne cette dernière opération par le mot occare, dérivé lui-même d’occidere (détruire); comme pour faire entendre qu’on anéantit les mottes de terre. C’est encore le moment d’épamprer les vignes, soin qu’il ne faut confier qu’à des mains intelligentes; car cette opération, exclusivement propre à la vigne, est d’une plus grande importance encore que celle de la taille des arbres à fruits. Épamprer c’est ne laisser sur un sarment que les deux ou même les trois premiers brins que vous aurez reconnus comme les plus forts, et retrancher tous les autres, de crainte que le cep ne soit pas en état de fournir à tous une nourriture suffisante. C’est dans cette vue qu’on commence par couper les pieds de vigne au moment où ils sortent de terre, afin qu’à la seconde pousse on ait un sarment plus vigoureux, et qui donne des bourgeons mieux nourris. Quand le cep sort de terre mince et effilé comme un jonc, cette faiblesse le rend impuissant à pousser des rameaux productifs; on l’appelle alors flagellum. Mais le cep vigoureux, et qui promet des grappes, s’appelle palma. Flagellum vient de flatus (souffle), en changeant une lettre; mot qui signifie objet de peu de consistance. Le palma (cep à porter fruit) tire son nom probablement du mot parilema, dérivé de parire (produire), dont, par une suppression de lettre assez commune dans notre langue, on aura fait palma. Il y a aussi les pousses appelées capreoli (vrilles de la vigne), espèce de filament en forme de spirale, ou de boucles de cheveux. Cette végétation de la vigne s’enroule comme autant de serpents autour de ce qui croît près d’elle ; d’où le nom de capreoli, dont la racine est capere, prendre. Toute espèce de fourrage, basilic des champs (ocimum), dragée, vesce, etc., se coupe à la même époque. Le foin proprement dit se fauche en denier. Ocimum vient du grec wkuV (hâtif). Son homonyme des jardins a la même propriété. Ce nom vient peut-être aussi de ce que cette plante lèche le ventre aux bœufs, à qui on en donne, comme purgation, par ce motif. C’est une espèce de fève que l’on récolte en vert, avant que la cosse ne soit formée. Le farrago (dragée) est un mélange d’orge, de vesce et autres plantes légumineuses, qui se sème à la fois, et se coupe également en vert pour nourrir les bestiaux. Le nom de farrago lui vient, ou de l’instrument de fer avec lequel on le coupe, ou de ce que, primitivement, c’était les terres, ayant produit du blé (farraciœ segetes); qu’on choisissait pour cette culture. Ce mélange se donne, au printemps, aux chevaux et bêtes de somme. Il commence par les purger, et ensuite il les engraisse. Vicia (la vesce) tire son nom de vincere (lier), parce que cette plante a, comme la vigne, des vrilles (capreoli) avec lesquelles elle s’accroche aux tiges des lupins ou autres plantes voisines, qu’elle enveloppe de ses étreintes. Si vos prairies sont arrosables, il faudra procéder à leur irrigation aussitôt que vous en aurez enlevé le foin. Ne manquez pas, surtout en temps de sécheresse, d’arroser chaque soir les arbres fruitiers, dont le nom poma vient probablement de leur besoin continuel de boire (potare, potus.) XXXII. La plupart des cultivateurs font la moisson pendant la quatrième période, du solstice d’été à la canicule; parce qu’ils prétendent que le blé, pour acquérir la consistance de la maturité, doit rester quinze jours dans sa balle, quinze jours en fleur, et quinze jours en graine. C’est aussi le moment d’achever ce qui reste de labours à faire, et qui sont alors d’autant plus profitables que la terre est plus échauffée. Un premier labour étant donné à la terre, faites y repasser la charrue, afin d’écraser les mottes que le premier n’aura fait que soulever. C’est encore l’époque des semailles pour la vesce, les lentilles, les pois chiches, la cicerole, et autres plantes comprises sous le nom générique, soit de legumina, soit de legaria (qu’on leur donne dans quelques contrées de la Gaule). Ces deux mots ont une origine commune, legere (cueillir), parce qu’en récoltant on cueille au lieu de couper. Reste-t-il encore des mottes dans vos vignes, après le second labour? passez-y la herse deux fois, si le plant est vieux; trois fois, s’il est nouveau. XXXIII. Pendant la cinquième période, c’est-à-dire depuis la canicule jusqu’à l’équinoxe d’automne, il faut couper la paille, la botteler, achever les labours, émonder les arbres, et faire la seconde coupe des prairies arrosables. XXXIV. Dès le commencement de la sixième période, c’est-à-dire, à partir de l’équinoxe d’automne, il faut (suivant nos auteurs) procéder aux semailles, y consacrer les quatre-vingt onze jours qui suivent, et ne semer, une fois venu le solstice d’hiver, que dans le cas de nécessité absolue. L’observation est importante; car ce qu’on sème avant lève en sept jours, et tout ce qui se sème après se montre à peine au bout de quarante. Il ne faut cependant pas, d’après les mêmes auteurs, semer avant l’équinoxe, parce que la semence est exposée à pourrir, si le temps devient contraire. L’époque du coucher des Pléiades doit être choisie pour semer la fève; mais c’est entre l’équinoxe d’automne et le coucher des Pléiades qu’il faut cueillir le raisin et faire les vendanges. Immédiatement après, on commence à tailler la vigne, à provigner, et à planter les arbres à fruit. Dans les contrées où le froid se fait sentir de bonne heure, il vaut mieux ajourner ces travaux au printemps de l’autre année. XXXV. Pendant la septième période, c’est-à dire depuis le coucher des Pléiades jusqu’au solstice d’hiver, il faut (toujours d’après les mêmes autorités) planter les lis et le safran. Pour faire un plant de rosiers, on choisit des pieds qui aient déjà pris racine; on en fend la tige, dans sa longueur, en brins d’une palme environ, qu’on couvre de terre, et qu’on transplante après, lorsqu’ils ont pris racine à leur tour. Quant aux violettes, leur culture a le grave inconvénient d’exiger des planches surélevées. A cet effet, on ramasse la terre à l’entour. Or, cette terre est entraînée et balayée par les arrosements ou les pluies, et le sol de la propriété s’appauvrit d’autant. Quand le soleil s’est couché au point de l’horizon d’où s’élève Favonius, c’est le temps, jusqu’au lever de l’Arcture, de transplanter le serpolet venu de graine. Cette herbe doit son nom à ses habitudes rampantes (quod serpit). On peut encore creuser de nouveaux fossés, nettoyer les anciens, tailler la vigne et les arbres auxquels elle est mariée; mais il faut suspendre tout travail durant les quinze jours qui précèdent et les quinze Jours qui suivent le solstice d’hiver. Certains arbres cependant, les ormes, par exemple, peuvent encore être plantés dans cet intervalle. XXXVI. Dans la huitième période, c’est-à-dire depuis le solstice d’hiver jusqu’au lever du Favonius, il faut faire écouler du sol les eaux qui y séjournent, et le sarcler, si la saison a été sèche et que la terre soit friable. Il faut encore tailler les vignes et les arbres fruitiers; et quand on ne peut plus travailler aux champs, expédier, au logis, tout ce qui peut se faire sous un toit pendant les veillées d’hiver. Toutes ces règles doivent être consignées par écrit, et la copie doit en être placée en vue dans la ferme, afin que tous, et notamment le villicus, puissent bien s’en pénétrer. XXXVII. Les jours lunaires doivent encore être l’objet d’une attention toute spéciale. Ils se partagent en deux séries: l’une, où la lune nouvelle va toujours croissant jusqu’à ce qu’elle soit pleine; et l’autre, où elle décroît successivement jusqu’au jour intermédiaire de l’ancienne et nouvelle lune. Ce jour, dernier d’une lunaison et premier d’une autre, s’appelle à Athènes ἕνη καὶ νέα (ancien et nouveau), et, dans le reste de la Grèce, τριαρκὰς (le trentième). Il y a des travaux qu’il vaut mieux faire pendant la croissance de la lune que sur son déclin, et réciproquement. La moisson des blés par exemple, et les coupes de bois, sont dans cette dernière catégorie. Pour moi, dit Agrasius, je tiens de mon père, et j’ai pour principe de ne jamais faire tondre mes brebis quand la lune décroît. Je ne me ferais pas même couper les cheveux, de peur de devenir chauve. Qu’est-ce, demanda Agrius, que les quartiers de la lune, et quelle est leur influence relative sur l’agriculture? Comment, dit Tremellius, n’avez-vous donc jamais entendu parler à la campagne du troisième jour avant que la lune ne croisse, et du huitième avant qu’elle ne décline? Et ne savez-vous pas qu’en fait des travaux qui ne se font qu’en croissance il en est qu’il vaut mieux entreprendre avant qu’après ce huitième jour? et qu’en fait de travaux à faire en décroissance, le moment qu’il faut choisir est celui où l’astre jette le moins de lumière? C’est là tout ce que je puis vous dire touchant les quartiers de la lune, et leur influence sur les travaux rustiques. On pourrait, dit Stolon, diviser encore l’année en six parties, en faisant acception à la fois du cours de la lune et de celui du soleil. En effet, tous les biens de la terre passent successivement par cinq phases, dont la dernière est leur entrée dans le modius ou la futaille, en état de maturité. Ils en sortent ensuite pour les besoins de la vie. C’est la sixième et dernière de leurs phases, dont voici l’énumération : savoir première phase, préparation; deuxième phase, ensemencement ou plantation; troisième, nutrition; quatrième, récolte; cinquième, emmagasinement; sixième, consommation. Les soins de préparation varient suivant l’espèce de culture : creuser des fosses, biner, aligner, voilà pour les vignobles ou le verger; labourer, bêcher, voilà pour les céréales et plantes potagères. Certains arbres veulent que le terrain soit remué plus ou moins profondément avec le hoyau, suivant le plus ou le moins d’extension de leurs racines. Celles du cyprès, par exemple, en ont fort peu; tandis que les racines d’un platane sont susceptibles d’un développement extraordinaire. C’est au point qu’au dire de Théophraste, on voyait à Athènes, dans le Lycée, un platane encore jeune, dont les racines n’avaient pas en longueur moins de trente-trois coudées. Telle culture exige un double labour à la charrue, avant que la semence ne soit confiée à la terre. Quant aux prairies, il ne leur faut aucun travail préparatoire, si ce n’est d’en former l’entrée aux bestiaux dès que le poirier est en fleur, et de les arroser en temps opportun, quand on a des moyens d’irrigation. XXXVIII. Examinons maintenant comment il faut engraisser les champs, et quelle espèce de fumier est préférable. Cette distinction n’est rien moins qu’indifférente. Suivant Cassius, il n’y a pas de meilleur engrais que la fiente des volatiles en général, les oiseaux aquatiques exceptés. Mais celle des pigeons a la supériorité, à cause de cette chaleur qui lui est propre, et qui excite puissamment la fermentation dans la terre. Il faut l’éparpiller dans les champs comme de la graine, et non l’y mettre en tas comme le fumier des bestiaux. Quant à moi, je pense que la fiente provenant des volières de grives et de merles mérite la préférence, parce qu’elle forme non seulement un bon engrais pour les terres, mais encore une nourriture pour les bœufs et les cochons, qu’elle rend plus gras. Aussi les prix de baux de ces volières sont-ils moins élevés quand le propriétaire s’en réserve les ordures. Cassius place comme fumier après la fiente des pigeons, les excréments humains; et, en troisième ligne, ceux des chèvres, brebis et ânes. Le fumier de cheval est moins bon pour la culture des céréales, tandis qu’il convient parfaitement aux prairies; comme en général tout fumier provenant de la litière des bêtes de somme; car l’orge dont on les nourrit active singulièrement la pousse de l’herbe. Pour ménager les bras, la fosse à fumier doit être à proximité de la ferme. Voulez-vous empêcher que les serpents n’y pullulent? enfoncez au milieu un morceau de bois de chêne. XXXIX. Pour la seconde phase (ensemencement ou plantation), tout dépend de saisir le moment propice. Autant que l’exposition des lieux, il importe d’observer la saison favorable à la semence ou plant qu’on va confier à la terre. Ne voyons-nous pas en effet telle plante fleurir au printemps, et telle autre en été? ce ne sont pas les mêmes non plus qui fleurissent en automne et en hiver. On les sème, greffe et récolte plus tôt ou plus tard, suivant leur nature. En général, le printemps, pour greffer, est préférable à l’automne; ce qui n’empêche pas d’attendre le solstice pour le figuier, et même les jours d’hiver pour le cerisier. Les végétaux se propagent de quatre manières différentes: savoir, par la voie de nature d’abord; en second lieu, par moyens artificiels, tels que transplantation d’une racine toute formée d’un terrain dans un autre; enfouissement par un bout d’un rameau détaché d’une plante, et qui devient plante lui-même; enfin, insertion sur un arbre d’une branche empruntée à un autre arbre. Examinons maintenant les conditions de lieux et de temps qu’exige chacune de ces opérations. XL. La semence, principe de toute végétation, est ou visible ou invisible. Elle est invisible lorsqu’elle est répandue dans l’air, comme le prétend le physicien Anaxagore; et apportée sur les champs par la pluie qui tombe, suivant l’opinion de Théophraste. Les semences visibles méritent la plus grande attention du cultivateur. Il en est de tellement menues que l’œil ne peut les saisir; celles de cyprès, par exemple. Car les noix rondes comme des balles, à écorce mince, que produit cet arbre, ne sont pas sa semence; elles n’en sont que l’enveloppe. La nature nous a donné les germes; c’est à l’expérience à faire le reste. Il est une végétation spontanée qui naît sans que personne s’en mêle; et une production artificielle procédant de la première, et qu’il faut la main de l’homme pour féconder. Quand on emploie la semence naturelle, il faut prendre garde qu’elle soit passée ou mélangée, et surtout ne pas prendre par ressemblance une graine pour une autre. L’action du temps sur certaines semences va jusqu’à en changer la nature. Ainsi la graine de chou produit des raves, et celle des raves des choux, si l’on a laissé vieillir l’une et l’autre. Quant au second mode de propager les plantes au moyen de racines toutes formées, ayez soin que la transplantation ne s’opère ni trop tôt ni trop tard. Les époques favorables, selon Théophraste, sont le printemps, l’automne, et le lever de la Canicule. Mais il y a des distinctions à faire, suivant la qualité du sol et l’espèce de la plante. Ainsi lorsque le sol est aride, maigre, argileux, et dépourvu conséquemment d’humidité naturelle, il faut choisir le printemps. Ce sera l’automne, si la terre est bonne et grasse, au contraire; car elle serait trop humide au printemps. Quelques-uns fixent à trente jours la période d’exécution de ces travaux. Le troisième mode, où l’on procède par bouture, c’est-à-dire en détachant d’un arbre des branches qu’on met provisoirement en terre, exige une attention toute particulière à bien choisir le moment de la transplantation; ce qui doit avoir lieu avant que les boutures aient poussé fleurs ou bourgeons. Avant tout, il aura fallu les séparer délicatement de l’arbre, et non les en arracher; car plus on leur a laissé de pied, plus elles ont de consistance, et plus vite elles prennent racine. Il faut aussi se dépêcher de les mettre en terre avant que la sève ne se dessèche. Pour se procurer des boutures d’oliviers, il suffit de couper une jeune branche de grosseur égale aux deux extrémités, et d’un pied environ de longueur; c’est ce que les uns appellent clavola, et les autres talea. Quant au quatrième mode de propagation, qui consiste à prendre une branche sur un arbre pour l’insérer dans un autre, l’arbre sur lequel on prend la greffe, celui sur lequel on ente, le moment où l’on fait cette opération, et le procédé qu’on emploie, sont autant d’objets de sérieuse considération. On ne saurait greffer le poirier sur le chêne par exemple; ni sur le pommier non plus. C’est ce qu’observe religieusement quiconque a foi dans les augures : car autant de greffes différentes sur un arbre, nous disent-ils, autant de coups de foudre qui doivent le frapper. Si l’on greffe sur un poirier sauvage un autre poirier, si bonne d’ailleurs qu’en soit l’espèce, on obtient un fruit moins savoureux qu’en opérant sur un poirier cultivé. Règle générale: quand on greffe un arbre sur un autre de même essence, pommier sur pommier, par exemple, il faut que l’arbre dont on emprunte la greffe soit d’une espèce meilleure que celui sur lequel on l’applique. On a dernièrement imaginé une nouvelle manière de greffer, qui exige deux arbres voisins. Au moyen d’une ouverture pratiquée dans l’arbre qu’on désire greffer, on introduit une petite branche attirée de l’arbre dont on veut avoir le fruit. Cette branche doit être entaillée des deux côtés, au point de contact, avec une serpette; de sorte qu’à l’endroit où elle ressort son écorce s’adapte parfaitement à l’écorce de la branche qu’elle traverse. On aura soin encore que l’extrémité de la branche entée se dresse vers le ciel. L’année suivante, lorsque la greffe a bien pris, on opère sa séparation de l’arbre auquel elle a d’abord appartenu. XLI. A quelle époque faut-il greffer chaque espèce? c’est la première considération. Nous devons remarquer à ce sujet que nombre d’essences d’arbres qui étaient greffées jadis au printemps, le sont aujourd’hui pendant le solstice d’été : tels sont les figuiers, dont le bois a peu de densité, et conséquemment besoin de chaleur. Aussi cette culture ne peut-elle réussir dans les pays froids; l’humidité est encore nuisible à leurs greffes récentes. Ce bois pourrit vite quand il est jeune; on pense donc avec raison que le meilleur moment pour le greffer est l’époque de la canicule. Quant aux plantes moins délicates de leur nature, on attache au-dessus de leurs greffes un vase rempli d’eau, dont on laisse tomber le contenu goutte à goutte, afin que le rameau inséré ne se dessèche point avant son incorporation à l’arbre. Il faut conserver intacte l’écorce des greffes, et se garder, lorsqu’on les apprête, de mettre la moelle à nu. Il est bon même qu’elles soient enduites d’argile, et assujetties avec une lanière d’écorce, pour les garantir au dehors de la pluie ou de la chaleur. Par une précaution du même genre, on fait l’incision de la vigne trois jours avant de la greffer, afin de débarrasser le cep de son humidité surabondante; ou bien si on a commencé par greffer, on place l’incision un peu au-dessus de la greffe, pour ménager un écoulement à l’humidité en cas de besoin. Les figuiers, grenadiers, et en général tous les arbres d’une nature moins aqueuse, se greffent sans exiger ces précautions. Quelques boutures, par exception celles de figuier, sont de ce nombre, et ne se transplantent que lorsqu’elles sont en bourgeons. Des modes de propagation, la greffe est celui qu’on applique de préférence aux plantes qui sont, comme les figuiers, trop tardives pour venir de semence. La semence naturelle de cet arbre est cette graine qu’on trouve dans la figue quand on la mange, et qui est si menue qu’à peine elle pourrait produire quelques chétifs rejetons. En général, toute semence sèche et compacte est lente à pousser. Plus sa substance est relâchée, plus son développement est chétif. C’est le même rapport qui existe, dans le règne animal, du mâle à la femelle. Ainsi le figuier, le grenadier, et la vigne, dont la nature est analogue à la mollesse féminine, croissent-ils plus rapidement que le palmier, le cyprès, et l’olivier, qui sont d’une consistance plutôt sèche qu’humide. Aussi, pour avoir des figuiers, vaut-il mieux recourir aux boutures que d’attendre à voir lever la graine; à moins toutefois qu’on ne puisse faire autrement, et qu’il y ait nécessité de recevoir son plant d’outre-mer, ou d’en expédier à cette destination. Dans ce cas, on attache en colliers, au moyen de petites cordes, des figues bonnes à manger; et quand elles sont bien sèches, on peut les empaqueter et les envoyer où l’on veut. On n’a plus qu’à les mettre en terre pour obtenir une pépinière de figuiers. C’est ainsi que les figues de Chio, de Chalcis, de Lydie, d’Afrique, et d’autres contrées d’outre-mer, ont émigré en Italie. La même observation s’applique à l’olivier, dont la semence est un noyau. Le germe étant bien plus lent à se développer par le moyen de ce noyau mis en terre que par l’usage du talea dont nous avons parlé, c’est le talea qu’on emploie pour former les pépinières. XLII. Pour le sainfoin il faut une terre qui n’ait ni trop de sécheresse ni trop d’humidité, et soit d’une nature intermédiaire. Les auteurs prétendent qu’un sol dans cette condition n’exige comme semence qu’un modius et demi de sainfoin par jugerum. On sème cette plante comme le blé et le foin c’est-à-dire en jetant la graine sur la terre. XLIII. On sème la graine de cytise, comme celle du chou, dans une terre bien labourée. Lorsqu’ensuite le cytise est venu, on le transplante, en mettant entre chaque plant un pied et demi de distance; ou bien on prend d’un cytise vigoureux de petites boutures que l’on met en terre, en les espaçant de même que les tiges qui viennent de graine. XLIV. La semence d’un jugerum est, en fèves, de quatre modii; en blé, de cinq; en orge, de dix; en froment, de dix. Cette proportion cependant varie selon la qualité du sol; en plus, si la terre est grasse; en moins, si elle est maigre. Pour cette appréciation on fera bien d’observer les habitudes locales, et, avec d’autant plus de raison, que la même quantité de semence rend en certains endroits dix pour un, et quinze en d’autres; comme en Étrurie par exemple, et en quelques cantons d’Italie. A Sybaris, dit-on, le rendement ordinaire est du centuple. Il en est de même à Garada en Syrie, et à Bysacium en Afrique. Il importe encore beaucoup de distinguer pour l’ensemencement, entre les terres neuves, celles qu’on appelle restibiles et qui rapportent tous les ans, et les jachères, où la production n’est qu’alternative. A Olynthe, dit alors Agrius, on moissonne tous les ans; mais on dit que de trois ans en trois ans la récolte est plus abondante. Après chaque récolte, dit Licinius, il faudrait toujours laisser un an de repos à la terre, ou au moins, de deux années l’une, ne lui confier que des semences assez légères pour ne point l’épuiser. Parlez-nous maintenant, dit Agrius, de la troisième phase, des productions de la terre, c’est-à-dire de la nutrition. Toute plante, reprit Licinius, reçoit de la terre sa nourriture et son accroissement. Devenue adulte, elle conçoit; et, après avoir porté le temps nécessaire, elle enfante des fruits ou des épis: en sorte qu’elle reproduit un germe en tout semblable à celui dont elle est née. Si vous arrachez une fleur de poirier ou de tout autre arbre, si vous en cueillez le fruit encore vert, il ne pousse plus rien de toute l’année à l’endroit de cette mutilation; car les plantes ne peuvent avoir deux portées en un an. Elles produisent comme les femmes accouchent, à leur époque. XLV. L’orge lève habituellement le septième jour; le blé le suit de près. Les légumes sortent presque tous de terre au bout de quatre ou cinq jours; à l’exception cependant de la fève, qui pousse un peu plus tard. La germination pour le millet, le sésame, et les graines analogues, est à peu près de la même durée, à moins de retard provenant de la température ou de la condition du sol. Les plantes élevées en pépinières sont d’une délicatesse extrême. Si le pays est froid, il faut dans la saison d’hiver les couvrir de feuilles ou de paille. Il faut encore, quand le froid est suivi de pluie, prendre garde que l’eau ne séjourne auprès; car la gelée est un poison pour leurs tendres racines aussi bien que pour leurs jeunes pousses, qui même en sont arrêtées davantage dans leur développement. Les plantes en automne et en hiver profitent plus dans la partie qui est sous terre, et qui conserve toujours un certain degré de chaleur vivifiante, que dans la partie qui est au-dessus, et que le froid de l’air frappe de tous côtés. C’est ce qu’on voit dans toute végétation de nature que la main de l’homme n’a pas encore touchée. La croissance dans les racines est bien plus rapide que dans la partie supérieure de la tige, sans toutefois dépasser le point où s’arrête l’influence des rayons du soleil. L’extension que prennent les racines est subordonnée à deux causes différentes, à leur essence d’abord, ensuite à la nature du sol, où elles s’ouvrent plus aisément passage les unes que les autres. XLVI. Nous voyons parfois des effets surprenants de ces mêmes causes. Ainsi les feuilles de certaines plantes indiquent, par leur seule position, l’époque de l’année où l’on se trouve. On est sûr par exemple que le solstice d’été est passé, sitôt que les feuilles de l’olivier, du peuplier blanc et du saule se sont retournées. Un phénomène non moins singulier est celui qu’offre la fleur appelée tournesol, que nous voyons se tourner le matin vers le soleil levant, et le suivre dans sa course jusqu’à son coucher, le calice toujours ouvert de son côté. XLVII. Les plantes élevées et greffées dans des pépinières, comme le figuier et l’olivier, étant, ainsi que nous l’avons dit, d’une délicatesse extrême, il faudra avoir soin de leur former un abri de deux planches, attachées de gauche et de droite. On devra également arracher toutes les herbes autour de leur pied, et s’y prendre pour cela de bonne heure, car si on laisse fortifier cette végétation parasite, elle résiste et se rompt, plutôt que de céder à la main. Quant à l’herbe des prairies, qui croît pour la fenaison seulement, il ne faut pas l’arracher quand elle se forme, mais il faut craindre de marcher dessus, et en éloigner les troupeaux et toute espèce de bétail. Les hommes eux-mêmes doivent s’interdire d’y passer. L’herbe disparaît sous les pas, et la trace devient sentier. XLVIII. On appelle épi dans le blé le point culminant de la tige. Lorsque l’épi d’orge ou de froment est entier, il se compose de trois parties adhérant l’une à l’autre, savoir le grain, la balle et les barbes, sans compter la gaine qui enveloppe le grain au commencement de sa formation. On appelle grain le corps solide qui se trouve dans l’intérieur de l’épi; balle, la pellicule qui renferme le grain; et barbes, ces sortes d’aiguilles longues et fines dont la balle est comme défendue. La balle est donc l’étui du grain, et les barbes en forment la palissade. Les barbes et le grain sont choses assez connues; mais peu de gens savent ce que c’est que la balle. Aucun auteur, à ma connaissance, n’en a parlé, excepté Ennius dans sa traduction des livres d’Evhémérus. L’étymologie du mot gluma (balle) paraît être glubere (écorcer, peler), parce qu’en effet il faut dépouiller le grain de cette pellicule qui le couvre. On donne par la même raison le nom de gluma à la peau qui couvre la pulpe de nos figues. Arista (barbe) vient du mot arescere, sécher, parce que c’est la partie de l’épi qui se sèche la première. Granum (grain) vient de gerere, porter; car c’est pour le grain que l’épi doit porter, et non pour la balle ou les barbes, que l’on sème le blé; de même qu’on plante la vigne afin qu’elle porte non pas des pampres, mais des grappes. Spica, l’épi que les paysans par tradition appellent encore speca, paraît être dérivé de spes (espérance), parce qu’on sème avec l’espoir de recueillir. On appelle muticus (écorné) l’épi qui n’a point de barbes, parce qu’elles font aux épis l’office de cornes. Lorsque l’épi commence à se former, il est renfermé dans une petite enveloppe verte qui le dérobe entièrement; c’est ce qu’on appelle vagina, gaine, nom qu’on donne également au fourreau qui contient l’épée. L’extrémité supérieure de l’épi mûr, et qui est d’un volume moindre que le grain, est ce qu’on appelle frit; l’extrémité inférieure an point de sa jonction avec la tige, et qui est également moindre que le grain, s’appelle urruncum. XLIX. Stolon avait fini de parler; et personne ne le questionnant, il pensa qu’on ne désirait pas en savoir davantage sur la nutrition des plantes. Alors il annonça l’intention de passer aux récoltes. Dans les prairies basses, dit-il, l’herbe doit être fauchée au moment où elle commence à se sécher. On la retourne avec la fourche jusqu’à complète dessiccation. Il faut alors la botteler avant de la transporter à la ferme; puis on passe le râteau sur le pré pour ramasser l’herbe qui sera restée à terre, que l’on ajoute aux meules de foin. La fenaison terminée, viennent les regains; opération qui consiste à passer une seconde fois la faux avec plus de soin, afin d’atteindre les herbes qui ont échappé à la première coupe, et qui forment de petites touffes à la superficie du pré; c’est, je crois, du mot sectio (coupe) qu’est venu celui de sicilire, faire le regain. L. Messis, moisson, dont meto est la racine, se dit proprement de tout ce qu’on moissonne, et notamment du blé. On moissonne les grains de trois manières. La première, usitée dans l’Ombrie, consiste à couper le tuyau à ras de terre, et à lier sur place au fur et à mesure. Quand on a formé un certain nombre de javelles, on les reprend une à une pour séparer l’épi de sa tige. On réunit tous les épis dans un panier qu’on porte à l’aire. La paille qu’on a laissée se met ensuite en tas. Pour la seconde manière, en usage dans le Picénum, on se sert d’un instrument de bois recourbé, à l’extrémité duquel est adaptée une petite scie de fer. Cet instrument réunit en faisceau les épis qu’il hache sur pied, laissant la paille debout, pour être sciée plus tard. La troisième manière, qui se pratique aux environs de Rome, et dans beaucoup d’autres contrées, est celle-ci. On coupe la paille par le milieu, en tenant la tige par le bout de la main gauche; et c’est là, je pense, l’origine du mot messis (moisson), qui viendrait alors de medium (milieu). On coupe ensuite le chaume ou la partie qui se trouvait au-dessous de la main, et qui tient encore à la terre par sa racine. Quant à la paille adhérant à l’épi, on la met dans des paniers, et on la porte à l’aire. Là on la sépare pour la serrer dans un lieu découvert, palam; ce qui peut bien être l’étymologie de palea (paille) quelques-uns dérivent son autre nom stramentum du verbe stare (être debout), et de stamen son substantif. D’autres le font venir de stratus (étendu), parce qu’on étend la paille quand elle sert de litière aux troupeaux. La moisson se fait dès que le blé est mûr. Dans les conditions ordinaires, un homme peut, dit-on, expédier son arpent en un jour, ramasser les épis dans une corbeille, et les porter à l’aire. LI. L’aire doit être en plein champ et placée sur une éminence, afin que le vent y souffle de tous côtés. Donnez-lui une dimension proportionnée à l’importance de la récolte; que sa surface soit circulaire de préférence, et légèrement exhaussée au centre, pour ménager aux eaux un prompt écoulement en cas de pluie; car du centre à la circonférence rien de plus court que le rayon. Formez-en le sol de terre bien battue, de glaise s’il est possible : autrement la chaleur y opère des gerçures où l’eau séjourne, ou qui servent de retraite aux rats et aux fourmis. On prévient ces inconvénients en enduisant l’aire de marc d’huile. Rien n’empêche mieux l’herbe de pousser, et c’est la mort aux fourmis et aux taupes. Quelques-uns, pour plus de solidité, ont des aires pavées ou même carrelées. D’autres, comme les Bagiennis, poussent l’attention jusqu’à les couvrir, pour les mettre à l’abri des orages, très fréquents dans cette contrée vers l’époque de la moisson. En pays chaud, quand l’aire est sans toit, il faut ménager dans le voisinage des espèces d’abris, où les ouvriers puissent se mettre à l’ombre pendant l’ardeur du jour. LII. La plus belle partie de la récolte et la plus forte en épis doit être mise à part pour les semences. C’est dans l’aire qu’on sépare le grain de l’épi; ce qui s’opère au moyen d’un traîneau qu’on fait tirer par des bêtes de somme. Le traîneau est formé d’une planche garnie en dessous de fer ou de pierres pointues, laquelle supporte le conducteur ou quelque poids équivalent. Cette machine, qui se promène sur les épis, en détache le grain qu’ils contiennent. Le traîneau consiste quelquefois en une réunion de soliveaux garnis de dents et de roulettes. C’est alors ce qu’on appelle le chariot à la carthaginoise. Cette forme comporte de même un conducteur assis, et un attelage de bêtes de somme. Elle est usitée dans l’Espagne citérieure, et autres lieux. Quelques-uns se contentent de faire fouler les épis par leurs bêtes, qu’ils poussent à coups de gaule, et dont le trépignement remplit le même office. Quand le blé est bien battu, on le vanne avec un instrument appelé vallum ou vallabrum, en ayant soin de choisir pour cette opération un moment où le vent n’ait qu’assez de force pour emporter les parties légères qu’on appelle acus, en sorte que le froment reste par l’effet de son poids, et arrive à la corbeille épuré. LIII. La moisson faite, on vend le droit de glaner, ou bien l’on arrache le chaume pour le porter à la métairie. S’il reste trop peu d’épis, et que la main-d’œuvre soit chère, il vaut mieux y faire paître les troupeaux. Car la considération dominante est que le bénéfice ne soit pas absorbé par les frais. LIV. Lorsque le raisin est mûr, on procède aux vendanges. Il faut examiner d’abord par quelle espèce de raisin, et dans quelle partie du vignoble, la récolte doit commencer. Car le raisin précoce, ainsi que la miscella (mélange), qu’on appelle vulgairement raisin noir, mûrissent longtemps avant les autres espèces. Il faut donc les cueillir les premiers. On doit aussi débuter par le côté du vignoble le plus exposé au soleil. On fait ensuite un triage du raisin à manger en grappe, et de celui dont on fait du vin. Le premier choix va droit au pressoir, et de là au tonneau. Le raisin de table est mis à part dans des paniers, puis renfermé dans des vases de terre, qu’on dépose au fond d’une futaille où le marc est resté. On le garde aussi dans des amphores enduites de poix, que l’on descend au fond d’un réservoir d’eau; ou bien on le fait sécher dans l’aire, avant qu’il n’entre au garde-manger. Quand le raisin est foulé, remettez sous le pressoir les pédicules et les peaux; on en exprime ainsi ce qui peut y rester de vin doux, et l’on augmente d’autant la cuve. Lorsque le marc ne rend plus, on coupe tout ce qui déborde le pressoir, pour le presser de nouveau. Le résultat de ce dernier tour du pressoir s’appelle circumcisitum (vin de rognure); mais on le met à part, parce qu’il sent le fer. Quand le marc a été bien pressuré, on le jette dans des tonneaux qu’on remplit d’eau. On obtient par là une boisson du nom de lota (piquette), contraction de lota acina (levure de marc), et qui se donne aux ouvriers en guise de vin pendant l’hiver. LV. Nous arrivons maintenant à la récolte des olives. Tant que le fruit se trouve à portée, ou qu’on peut y atteindre avec le secours d’une échelle, il vaut mieux le cueillir que le gauler; l’olive froissée se dessèche, et rend moins d’huile. Il vaut mieux encore la cueillir à la main nue qu’avec le doigtier, dont la dureté meurtrit la baie et même écorce les branches de l’arbre, qui en sont plus exposées à l’action du froid. Quand le fruit se trouve hors de portée, on doit se servir plutôt de roseaux que de perches pour l’abattre; car de deux inconvénients, il faut choisir le moindre. Il faut surtout avoir soin de ne point gauler à rebours, afin que le fruit en tombant n’entraîne pas avec lui le bourgeon; sans quoi l’arbre serait frappé de stérilité l’année suivante. On dit communément que les oliviers ne donnent de récolte, de pleine récolte au moins, que de deux années l’une. L’habitude de gauler n’en est pas certainement la moindre cause. Comme le fruit de la vigne, l’olive quand elle est rentrée sert à deux fins : ou on la mange en nature, ou on la convertit en un liquide onctueux que le corps humain s’applique concurremment en dedans et en dessus; car il nous suit au bain et au gymnase. L’olive à faire de l’huile est jour par jour mise en tas sur des planches, où on la laisse quelque temps macérer. Ensuite chaque tas, par ordre de formation, se transporte au trapèze. C’est ainsi qu’on appelle un appareil composé de deux meules, d’une pierre dure et rocailleuse. L’olive qu’on laisse en tas trop longtemps fermente, et donne de l’huile rance. Aussi, dans le cas où l’on ne pourrait l’employer dans le temps voulu, il est bon de remuer les tas pour faire prendre l’air au fruit. On tire de l’olive deux produits différents, savoir, l’huile que tout le monde connaît, et le marc, dont l’utilité est trop ignorée; car on le voit généralement couler sans profit des pressoirs dans les champs, où il laisse de larges places noires, et parfois stériles, quand la terre a été profondément imbibée. Or cette substance a, pour qui sait en faire usage, une sorte d’application utile, principalement en matière d’agriculture. Répandue au pied d’un arbre, d’un olivier notamment, partout où on l’emploie, elle détruit toute végétation nuisible. LVI. Agrius s’adressant alors à Stolon. Me voilà, dit-il, assis depuis longtemps dans la ferme, les clefs à la main, et attendant toujours que vous y fassiez entrer la récolte. Eh bien, dit Stolon, me voilà; je suis sur le seuil, ouvrez la porte. En ce qui concerne le foin, il vaut mieux le rentrer directement que le laisser en meules à découvert : les bestiaux du moins l’aiment mieux ainsi, comme on peut s’en assurer en leur donnant le choix de l’un et de l’autre. LVII. Pour le blé, il faut le serrer dans de hauts greniers, où les vents soufflent du nord et de l’est, et où l’humidité ne puisse pénétrer d’aucun côté. Que les murailles et le sol en soient revêtus d’un mastic composé de marbre pilé, ou du moins de glaise mêlée à de la paille de froment et du marc d’huile. Cet enduit préserve les greniers des rats ou des vers, et contribue en même temps à donner au grain de la consistance et de la fermeté. Quelques personnes humectent leur grain de marc d’huile, dans la proportion d’un quadrantal par mille modii environ; d’autres répandent ou plutôt égrugent au-dessus de la craie de Chalcis ou de Carie, de l’absinthe, et autres substances analogues. Certains cultivateurs ont des greniers souterrains ou caveaux appelées sirus, comme on en voit en Cappadoce et en Thrace; ailleurs on se sert de puits, comme dans l’Espagne citérieure, et aux environs d’Osca et de Carthage. Le sol au fond de ces puits est couvert de paille; aucune humidité n’y pénètre, car on ne les ouvre jamais; ni même un souffle d’air, si ce n’est lorsqu’il y a nécessité de recourir à la réserve. L’air en étant exclu, il n’est pas à craindre que le charançon s’y mette. Le blé dans les puits se conserve cinquante ans, et le millet pourrait même s’y garder plus d’un siècle. D’autres enfin construisent dans leurs champs mêmes des greniers qui sont comme suspendus. On en voit de ce modèle dans l’Espagne citérieure, et dans certaines contrées de l’Apulie. Ces greniers sont éventés non seulement des côtés par les courants qui viennent des fenêtres, mais encore par l’air qui frappe dessous en leur plancher. LVIII. Les fèves et autres légumes se conservent très longtemps, sans se gâter, dans des vaisseaux à huile que l’on recouvre de cendre. Caton dit aussi que le petit et le gros aminéen, ainsi que le raisin dit apicius, se gardent très bien dans des pots de terre; mais qu’on les conserve également ou dans du vin cuit jusqu’à la diminution des deux tiers, ou tout simplement dans du vin doux. Il ajoute que le lucarina (raisin ferme) et l’aminéen scantien sont de toutes les espèces de raisins ceux qui se conservent le mieux suspendus. LIX. Quant aux autres fruits, comme les poires, coings, les scantiennes, les quiriniennes, les pommes rondes, les pommes appelées autrefois mustea (douces comme le moût), et qu’on appelle aujourd’hui melimela (douces comme le miel), tous se conservent très bien sur la paille en lieu sec et frais. Aussi quand on fait construire un fruitier, il faut avoir soin d’en ouvrir les fenêtres au nord, et de laisser un libre accès aux vents qui soufflent de ce côté. Il importe toutefois de les garnir de volets; car le vent continu finit par ôter aux fruits leur suc, et les rendre insipides. Pour plus de fraîcheur encore, on recouvre en stuc les voûtes, les murailles et même les planchers de ces fruiteries. On voit même certaines personnes y faire dresser des lits pour prendre leurs repas. Et en effet quand on est assez riche pour forcer l’art à faire d’une salle à manger une galerie de peintures, pourquoi se refuserait-on la jouissance toute naturelle de contempler en dînant une variété de beaux fruits, rangés dans une agréable symétrie? N’imitons pas toutefois ceux qui, donnant un dîner à la campagne, étalent somptueusement dans leur fruiterie la dépouille de tous les marchés de Rome. Quant à la manière de conserver les pommes, les uns les posent sur des planches ou tablettes de marbre; d’autres préfèrent les mettre sur de la paille ou des cardes de laine. On conserve les grenades en les mettant avec la branche dans des futailles remplies de sable. Les poires anciennes, ainsi que celles qui mûrissent au temps des semailles, se conservent mieux confites dans du vin cuit jusqu’à la diminution des deux tiers. Quant aux cormes et aux poires, on les coupe ordinairement par morceaux qu’on fait dessécher au soleil. On pourra même conserver les cormes sans les couper, pourvu qu’on les place dans quelque lieu sec et frais. Les raves sont coupées par morceaux, et conservées dans la graine de moutarde. Les noix se gardent mieux dans du sable. Il en est de même des grenades qu’on cueille à leur point de maturité. Pour les grenades qui ne sont pas encore mûres et qui tiennent à la branche, il faudra les mettre dans un pot sans fond qu’on enfoncera dans la terre, après avoir enduit la branche de poix, pour la soustraire à l’influence de l’air extérieur : quand vous le retirez ensuite, le fruit se présente non seulement intact, mais d’une grosseur qu’il n’eût jamais acquise sur l’arbre. LX. A l’égard des olives de table, Caton nous dit que l’on conserve très bien les orchites et les posea tant sèches que vertes dans de la saumure, ou dans de l’huile de lentisque, si elles sont meurtries. Il ajoute que si l’on veut que l’orchite conserve son beau noir, il faut la mettre dans du sel, dont on la laisse s’imprégner pendant cinq jours; puis on jette le sel, et on expose le fruit pendant deux jours au soleil. On peut aussi confire la même espèce sans sel, en la faisant infuser dans du vin doux cuit jusqu’à réduction de moitié. LXI. Les agriculteurs expérimentés ont bien raison de conserver le marc d’huile en tonneaux avec autant de soin que l’huile et le vin : voici comme il faut s’y prendre. On le fait bouillir aussitôt qu’il sort du pressoir, et on le verse dans des vaisseaux, après l’avoir laissé refroidir. Il y a encore d’autres manières d’apprêter le marc d’huile; on le mélange avec du moût par exemple. LXII. Comme on ne met les fruits en serre qu’en vue de les en tirer plus tard, il nous reste encore à faire quelques observations sur ce qui constitue la sixième et dernière phase des productions de la terre. On retire les fruits de l’endroit où on les a serrés, soit pour les consommer, soit pour les vendre, ou bien encore pour les mieux garder. Quant à l’époque à laquelle il faudra les retirer, elle dépend de la nature même des fruits qu’on veut livrer à la consommation, ou préserver de tout accident. LXIII. Il faut tirer le blé du grenier sitôt que le charançon commence à le ronger. On l’exposera alors au soleil, en plaçant à proximité des bassins pleins d’eau, où ces insectes ne tarderont pas à venir se noyer. Ceux qui ont leur blé sous terre, dans des caveaux appelés σειροὶ, ne devront y entrer qu’après les avoir laissés ouverts pendant quelque temps. Car si l’on voulait s’y introduire immédiatement après leur ouverture, on courrait risque de suffoquer, comme il en est des exemples. Le blé que vous aurez conservé en épis pour le faire servir â votre consommation doit être retiré pendant l’hiver; on le fait moudre et ensuite on le torréfie. LXIV. Le marc d’huile est un résidu de substance aqueuse, mêlé aux matières que l’huile dépose au fond des vaisseaux de terre où on la renferme. Voici comme on s’y prend d’ordinaire pour le conserver: on dégage le marc en soufflant dessus du liquide qui surnage au bout de quinze jours de dépôt : on le transvase ensuite. Et la même opération se répète jusqu’à douze fois pendant six mois consécutifs, de quinze jours en quinze jours, de façon que la dernière ait lieu dans le déclin de la lune. On fait ensuite bouillir le marc dans des chaudières à un feu doux jusqu’à réduction de moitié, puis on le met en réserve pour s’en servir au besoin. LXV. Quand le moût est mis en tonneau pour faire du vin, on doit s’abstenir de tirer tant que dure l’ébullition, même lorsqu’elle est assez avancée pour que le vin puisse être regardé comme fait. Si l’on veut boire du vin vieux, il ne faudra le tirer qu’au bout d’une année; car le vin n’est réputé vieux qu’après un an d’existence. Si le cru tourne à l’aigre, il faut consommer de suite, ou vendre le raisin en grappe. Il y a des vins dont la qualité augmente par la durée; tels sont ceux de Falerne par exemple. LXVI. Les olives blanches, quand on les emploie avant qu’elles ne soient parfaitement confites, ont un goût amer qui rebute le palais. Il en est de même des noires, à moins qu’on ne les trempe dans le sel avant de s’en servir. Cette précaution les rend très mangeables. LXVII. Moins on conserve les noix, les dattes et les figues, et plus elles sont savoureuses; si la garde se prolonge, les figues perdent leur goût, les dattes moisissent et les noix se dessèchent. LXVIII. Quant aux fruits qu’on suspend pour les faire sécher, raisins, pommes et cormes, les yeux seuls indiquent le moment de les livrer à la consommation. En effet, on voit aisément, par le degré d’altération de leur couleur et le point de leur dessiccation, quand il faut les manger, pour ne pas attendre qu’ils ne soient plus bons qu’à jeter. Les cormes rentrées tout à fait mûres doivent être mangées promptement; vertes, elles sont plus de garde; car il leur faut le temps d’acquérir la maturité qu’on ne leur a pas laissé prendre sur l’arbre. LXIX. C’est pendant l’hiver qu’on tire du grenier le blé destiné à la consommation domestique, qu’on doit torréfier pour le rendre propre à la panification. Le blé de semence y reste jusqu’au moment où la terre est préparée pour le recevoir: il en est de même en général de toute espèce de graine. Il ne faut leur faire voir le jour qu’au moment de les employer. Pour ce qu’on destine au marché, il faut attendre Le moment de vendre avec avantage. Telle production ne peut se conserver sans s’altérer; il faut se presser de s’en défaire. Cette autre est plus de garde, attendez que son prix s’élève, Qui sait attendre, non seulement retire l’intérêt de sa marchandise, mais en obtient quelquefois un prix double. Stolon parlait encore, lorsqu’un affranchi du gardien entre tout en pleurs, en nous suppliant d’excuser si l’on nous a fait si longtemps attendre; et en même temps il nous invite aux funérailles de son maître pour le lendemain. Nous nous levons tous en nous écriant : Quoi ! à ses funérailles? Quelles funérailles? Alors l’esclave nous raconte, toujours pleurant, que son maître vient d’être frappé d’un coup de couteau, et que le meurtrier s’est perdu dans la foule. Seulement, par une exclamation qu’il avait faite, on jugeait que le crime était l’effet d’une méprise. L’esclave ajoutait que, tout occupé de reconduire son maître au logis, d’envoyer chercher promptement un médecin, il n’avait pas eu le temps de nous avertir plus tôt, et que nous serions sans doute disposés à trouver sa conduite naturelle. Son empressement, il est vrai, n’avait pas empêché son patron de rendre l’âme peu de temps après; mais il croyait néanmoins n’avoir fait en cela que son devoir. Nous ne le trouvâmes que trop excusé, et nous descendîmes tous du temple pour retourner chez nous, plus émus de l’accident, par rapport à l’humanité, que surpris de ce que Rome en était le théâtre.
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