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table des matières de l'œuvre DE VARRON

 

VARRON

 

DE L'AGRICULTURE

 

LIVRE II

 

NOTICE - LIVRE I - LIVRE III

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

Relu et corrigé

 

LIVRE II

DE L’ÉDUCATION DES BESTIAUX

Il manque 2 pages (126-127) de l'édition Nisard en notre possession. 

 

Elles ont été traduites par M. S.

 

 

Nos grands aïeux avaient bien raison de mettre l’homme des champs au-dessus de l’homme des villes. En effet, autant les habitudes d’une maison de plaisance semblent oiseuses à nos campagnards, s’ils les comparent à la laborieuse agitation d’une ferme, autant cette première existence paraissait-elle active à nos ancêtres auprès de la paresse des citadins. Aussi avaient-ils partagé leur temps de façon à ne donner aux affaires de la ville que deux jours sur neuf, consacrant les sept autres exclusivement aux occupations rurales. Tant qu’ils sont restés fidèles à cette coutume, ils y ont gagné sous deux rapports: d’abord leurs champs rapportaient davantage, et eux-mêmes se portaient mieux. En second lieu, ils pouvaient se passer de ces gymnases de toute espèce dont le raffinement des Grecs a rempli leurs maisons de villes, et qu’il nous faut avoir, nous, maintenant dans nos demeures, depuis le premier jusqu’au dernier. On ne croirait pas avoir de maison de campagne, si l’on ne pouvait se donner le plaisir d’en décorer de noms grecs toutes les distributions. Προκοιτὼν (antichambre), παλαίστρα (palestre), ἀποδυτήριον (vestiaire), περίστυλον (colonnade), ὀρνίθων (volière), περιστερεὼν (colombier), ὀπωροθήκη (fruiterie). Comme de nos jours il n’est guère de chefs de famille qui, laissant là faux et charrue, n’ait émigré dans l’enceinte de Rome, et ne consacre à applaudir au cirque et au théâtre les mains jadis occupées aux champs et aux vignobles, il en résulte qu’aujourd’hui nous payons pour qu’on nous apporte d’Afrique et de Sardaigne le blé qui nous nourrit, et que nous allons par mer faire vendange à Cos et à Chio. Les fondateurs de cette ville, qui n’étaient eux que des pâtres, avaient voulu que leurs descendants fussent des cultivateurs; et, au mépris de leurs lois, l’ambition de leurs descendants a converti les champs en prairie, sans même faire de différence entre paître des troupeaux et labourer la terre. Autre chose cependant est le laboureur et le pâtre. Pour se nourrir aussi des champs, le bœuf de labour n’en diffère pas moins du bœuf de pâturage. Le bœuf en troupeau ne produit pas; il consomme. Le bœuf sous le joug, au contraire, contribue à la production du blé dans les guérets et du fourrage dans les jachères. Je le répète, la science du cultivateur diffère essentiellement de celle du pâtre. Le but du cultivateur est de tourner à son profit tout ce qu’il fait produire à la terre; celui du pâtre, de retirer tout le parti possible de son troupeau. Mais comme il y a un rapport intime entre ces deux choses, puisque d’un côté le profit peut être plus grand à faire consommer le fourrage sur place qu’à le vendre; et que de l’autre l’engrais, l’élément de fécondation le plus indispensable à la terre, est essentiellement une provenance du bétail. Il s’ensuit que tout possesseur de biens fonds doit embrasser les deux sciences, être à la fois agriculteur et éleveur de troupeaux, et porter ses soins même sur toute espèce animale qui peut se trouver dans une ferme et ses dépendances. Car les volières, les garennes, les viviers, sont toutes industries dont le profit n’est rien moins que méprisable. J’ai traité de l’agriculture dans un premier livre dédié à ma femme Fundania, qui fait elle-même valoir une terre. Celui-ci, mon cher Niger Turanius, je l’écris pour vous, amateur passionné de tout ce qui touche au régime pastoral; vous, que ce goût conduit si souvent aux foires de Macra, et qui trouvez dans ce genre de spéculation de quoi satisfaire à de très coûteuses exigences. La tâche ne sera pas difficile pour moi, possesseur autrefois de bétail sur une grande échelle; car j’ai eu de nombreux troupeaux de l’espèce ovine en Apulie, et à Réate, des haras considérables. Je ne traiterai toutefois que sommairement la matière, me bornant à recueillir ici des entretiens que j’ai eus avec quelques amis, grands propriétaires de bestiaux en Epire, à l’époque de la guerre des pirates, lorsque je commandais les flottes de la Grèce, entre la Sicile et l’île de Délos.

I. Ménas venait de se retirer; et Cossinius se tournant vers moi : « Nous ne vous laisserons pas partir, me dit-il, que vous n’ayez achevé de nous expliquer ces trois parties dont vous aviez déjà commencé à nous entretenir, lorsque vous avez été interrompu. »-« Qu’est-ce que ces trois parties? dit Murrius ; ne serait-ce point celles dont vous me parliez hier, et qui concernent l’éducation des bestiaux? » - « Précisément, reprit Cossinius. Nous étions allés voir Pétus qui était indisposé; et là, Varron avait commencé une dissertation sur l’origine de cette science, sur la haute considération qu’elle mérite, et sur toutes les conditions de sa pratique. Il a été interrompu par l’arrivée du médecin. » -« Je ne veux me charger, repris-je alors, que des deux premières parties composant l’historique de la science. Je vous dirai ce que je sais; quelle est son origine, et combien d’estime lui est due. Quant à la troisième, qui est la partie pratique, c’est à Scrofa de s’en tirer... (lui qui s’y entend bien mieux que moi). On peut bien parler grec à des gens qui sont Grecs à moitié. Scrofa, en effet, n’en a-t-il pas remontré à C. Lucilius Hirpus, votre gendre, si célèbre par les beaux troupeaux qu’il possède au pays des Brutiens? » -« Très volontiers, dit Scrofa; mais à la condition qu’en retour, vous autres Épirotes et pâtres par excellence, vous nous ferez part de tout ce que vous savez sur ce sujet, pour me récompenser de ma complaisance; car on a toujours quelque chose à apprendre. » Je m’étais donc ainsi renfermé, de mon choix, dans la partie purement théorique de la science : ce n’est pas que je ne fusse aussi propriétaire de troupeaux en Italie; mais n’est pas joueur de cithare quiconque a l’instrument en main, et je pris la parole ainsi: L’homme et les animaux doivent avoir été de tout temps dans l’ordre de la nature. Soit que l’on admette un principe générateur, avec Thalès de Milet et Zénon de Cittium; soit qu’avec Pythagore de Samos et Aristote de Stagire, on en veuille nier l’existence, il faut convenir avec Dicéarque que la vie humaine, en remontant jusqu’à sa condition le plus anciennement connue, a successivement passé par bien des transformations, avant d’arriver à sa forme actuelle; et que, dans cette condition primitive, l’homme se nourrissait des productions spontanées de la terre, vierge de tout ensemencement. A l’état de nature a succédé la vie pastorale; seconde période, où l’homme, au lieu de se repaître exclusivement de glands, d’arbouses, de mûres et autres fruits sauvages, enlevés aux forêts et aux buissons, choisit parmi les animaux, hôtes des bois comme lui, les espèces dont il peut s’approprier la substance, les emprisonne, et les apprivoise. On suppose avec assez de raison qu’il s’empara d’abord des brebis, comme étant la conquête la plus facile et la plus profitable. Ces animaux en effet, d’un naturel si doux, convenaient parfaitement à la condition primitive de l’homme, à qui ils fournissaient du lait et du fromage pour sa nourriture, des peaux et de la laine pour couvrir son corps. Apres la vie pastorale vint la vie agricole, troisième période de l’humanité, qui garda longtemps plus d’un trait des deux précédentes. De nos jours encore on retrouve plusieurs espèces de bétail à l’état sauvage dans certaines contrées. Les brebis par exemple en Phrygie, où on les voit errer par troupeaux, et les chèvres dans l’île de Samothrace. Ces dernières, dont l’espèce s’appelle en latin rota, abondent en Italie, sur les monts Fiscellum et Tetrica. Quant aux porcs, tout le monde sait qu’il y en a de sauvages, â moins qu’on ne veuille regarder le sanglier comme un autre animal. Les bœufs se trouvent également à l’état le plus sauvage en Dardanie, en Médie, et en Thrace. Les ânes sauvages (onagres) ne sont pas rares dans la Phrygie et la Lycaonie; il y a des chevaux sauvages dans quelques contrées de l’Espagne citérieure. Voilà pour l’origine de la science, je passe à l’estime qui lui est due. Les plus illustres personnages de l’antiquité étaient tous des pâtres; les langues grecque et latine en portent toutes deux témoignage. Voyez les anciens poètes qui appellent leur héros tantôt πολύαρνος (riche en agneaux), tantôt πολύμηλος (riche en brebis), tantôt enfin πολυσούτης (riche en troupeaux de bœufs.) Ces mêmes poètes nous parlent de brebis dont la toison était d’or, par allusion sans doute à leur extrême cherté. Telle était la brebis d’Atrée à Argos, dont ce prince se plaint d’avoir été dépouillé par Thyeste; et le bélier qu’Eétès possédait en Colchide, but de l’expédition de ces fils de rois connus sous le nom d’Argonautes. Enfin telles étaient, en Libye, celles qu’enfermait le jardin des Hespérides, d’où Hercule ravit les pommes d’or (mala); c’est-à-dire, suivant la tradition, des troupeaux de chèvres et de brebis, qu’il transporta d’Afrique en Grèce. Et en effet les Grecs, pour rappeler par le son le cri de ces animaux, leur ont donné le nom de μῆλα, onomatopée que les Latins ont rendue plus expressive en changeant une seule lettre, bela. Car on entend plutôt bee que me quand une brebis crie. De ce mot on a fait ensuite le verbe belare, en retranchant une lettre, comme dans beaucoup d’autres dérivés. Si le bétail n’eût pas été en honneur chez les anciens, les astronomes ne lui auraient certes pas emprunté plusieurs noms de signes, dans la description qu’ils ont faite du ciel. Loin d’avoir la moindre hésitation à placer ces noms au zodiaque, plus d’un auteur, en énumérant les douze signes, commence par ceux qui portent des noms d’animaux, et donne ainsi le pas au Bélier et au Taureau sur Apollon et sur Hercule, qui, tout dieux qu’ils sont, ne viennent qu’en troisième lieu, sous le nom de Gémeaux. Et, peu contents de n’avoir en noms de bétail qu’un sixième du nombre des signes, ils y ont introduit le Capricorne pour compléter le quart.

Les noms de chèvre, de bouc et de chien, que portent différentes constellations, sont également empruntés au bétail. Des terres, qui plus est, et des mers ne tirent-elles pas leurs noms de la même source, témoin la mer Égée, qui doit le sien à l’espèce chèvre (αἰγειος), le mont Taurus en Syrie, le mont Canterius dans le pays des Sabins, le Bosphore de Thrace et le Bosphore cimmérien. Il y a des villes dont les noms n’ont pas d’autre origine par exemple, la ville grecque qu’on nomme ἵππιον Ἄργος. Enfin l’Italie ne doit-elle pas elle-même son nom aux veaux (vituli), comme le prétend Pison? Qui oserait nier que le peuple romain n’ait eu des pâtres pour ancêtres? Qui ne sait que Faustulus, père nourricier de Romulus et Remus, et l’instructeur de leur jeunesse, était un simple pâtre? N’étaient-ils pas des pâtres eux-mêmes ces fondateurs de notre ville, comme le prouve leur choix pour la fonder, du jour même des Parilia? Ne dit-on pas encore aujourd’hui, suivant l’ancienne coutume, tant de bœufs, tant de brebis, pour exprimer la valeur de certaines choses? Notre plus ancienne monnaie n’a-t-elle pas une figure de bétail pour effigie? Et n’était-ce pas avec une charrue attelée d’un bœuf et d’une vache qu’autrefois on traçait l’enceinte d’une ville, et qu’on marquait l’emplacement de ses portes? Enfin les suovitaurilia, c’est-à-dire les victimes solennelles que l’on promène autour du peuple romain pour le purifier, qu’est-ce autre chose qu’un verrat, un bélier, et un taureau? Combien n’avons-nous pas de noms propres empruntés soit au gros, soit au petit bétail? au petit bétail, comme ceux de Porcius, d’Ovinius, de Caprilius; au gros bétail, comme ceux de Taurius, d’Equitius. Enfin les Annius n’ont-ils pas reçu le surnom de Capra, les Statilius celui de Taurus, et les Pomponius celui de Vitulus? Et combien on en citerait d’autres! Reste à dire en quoi consiste la science même du nourrissage; c’est ce dont notre ami Scrofa, à qui la palme est décernée par le siècle en fait d’économie rurale, va s’acquitter beaucoup mieux que moi. Tout le monde alors tourna les yeux vers Scrofa, qui commença en ces termes: Cette science consiste à se procurer du bétail et à le nourrir, afin de tirer le plus d’argent possible de la chose même d’où vient le mot argent. Car pecunia (argent monnayé) est dérivé de pecus le bétail étant regardé comme la base de toute richesse. Cette science se divise en neuf parties, ou, si l’on veut, en trois, qui se subdivisent chacune en trois autres. La première de ces trois parties comprend le petit bétail, dont on compte trois espèces, savoir: les brebis, les chèvres, et les porcs; la seconde comprend le gros bétail, qui se forme également de trois espèces, savoir, les bœufs, les ânes et les chevaux; la troisième et dernière partie, qui n’est qu’accessoire et non d’un produit immédiat, mais qui cependant est inhérente à la matière, comprend les mulets, les chiens et les bergers. Chacune de ces neuf parties en renferme neuf autres relatives, savoir, quatre à l’acquisition du bétail, quatre à son entretien, et une dernière qui se rapporte à ces deux objets à la fois; ce qui ne fait pas moins de quatre-vingt une parties, toutes indispensables, et d’une importance majeure. D’abord, pour se procurer du bon bétail, il importe avant tout de savoir à quel âge on doit prendre chaque espèce. Les bœufs, par exemple, se payent moins cher en deçà d’un an et passé dix, parce que le bœuf ne commence à servir qu’à sa seconde ou à sa troisième année, et ne sert plus après sa dixième. En général, la première et les dernières années des bestiaux sont toujours stériles. La seconde des quatre parties qui se rattachent à l’acquisition a pour objet la forme extérieure du bétail, considération qui influe beaucoup sur la qualité. Pour l’acheteur, un bœuf aux cornes noirâtres vaut mieux qu’un bœuf aux cornes blanches; une chèvre de grande taille, qu’une petite chèvre. Quant au porc, il doit être long de corps et court de tête. La troisième partie consiste à s’assurer de la race. Celle des ânes d’Arcadie est célèbre dans la Grèce comme en Italie celle des ânes de Réate. C’est au point que j’ai vu un âne se vendre soixante mille sesterces, et deux paires de chevaux, à Rome, aller jusqu’à quatre cent mille. La quatrième partie se rapporte aux formes de droit qui régissent l’acquisition du bétail, et aux précautions légales dont cette propriété s’entoure. Pour qu’elle passe sûrement d’une main à une autre, il faut bien faire intervenir quelques formalités. Ce n’est pas tout, en fait de transaction, qu’on soit convenu d’un prix et qu’on le paye. L’état sanitaire, bon, mauvais ou douteux, amène autant de stipulations différentes dans un marché de bétail. Viennent après l’achat quatre ordres de considérations d’une autre nature. Il s’agit de nourrir son bétail, de le faire multiplier, d’élever les petits, de le conserver sain. Touchant la nourriture, qui est le premier de ces quatre ordres, il y a trois choses à observer relativement aux espèces : les conditions de lieux de parcours, l’époque de l’année où le bétail y doit être conduit, et ce qu’il faut qu’il y trouve à paître. Ainsi des localités montueuses et du feuillage à brouter, voilà ce qui convient aux chèvres, plutôt que de gras pâturages.

C’est le contraire pour les cavales. Il y a encore, suivant les localités, pacage d’été et pacage d’hiver. Ainsi les troupeaux de brebis de l’Apulie vont passer la campagne d’été dans le Samnium, après que la déclaration en a été faite aux fermiers de la république, qui l’enregistrent; car il ne faut pas encourir les peines portées par la loi des censeurs. Ainsi, pendant la même saison, les mulets quittent les plaines de Roséa pour les hautes montagnes de Gurgur. Il faut en dernier lieu faire acception des aliments particulièrement propres à chaque espèce de bétail, ce qui ne se borne pas à donner du foin aux chevaux et aux bœufs, et du gland aux porcs, à qui le foin ne saurait convenir. Il faut encore savoir à propos ajouter de l’orge et des fèves à la provende, et faire manger aux bœufs du lupin; du cytise et du sainfoin aux bêtes laitières. Un mois avant la saillie, on augmente la ration des béliers et des taureaux, pour leur donner des forces, tandis qu’on diminue celle des vaches et des brebis; car on prétend, avec raison, que les femelles conçoivent mieux quand elles sont maigres. La génération est l’objet de la seconde partie; et j’appelle génération la période intermédiaire entre la conception et l’instant où la bête met bas; car c’est le commencement et le but de la génération. Il faut s’occuper avant tout de l’accouplement et de l’époque où la femelle admet le mâle. Pour la race portant soie, c’est depuis le lever de Favonius jusqu’à l’équinoxe du printemps; pour la race ovine, du coucher de l’Arcture à celui de l’Aigle. Il faut en outre observer préalablement un temps de séparation nécessaire entre les mâles et les femelles, lequel est ordinairement de deux mois pour toute espèce de troupeaux. La gestation a aussi des soins particuliers, la délivrance arrivant plus tôt ou plus tard, suivant les espèces. La jument par exemple porte un an, la vache dix mois, la truie quatre, la brebis cinq, et la chèvre autant. Un phénomène de génération qui passe toute croyance, et qui est cependant de toute vérité, se voit sur les côtes de Lusitanie en Espagne, près de la ville d’Olysippe, sur le mont Tagro. Là, les cavales conçoivent du vent, comme il arrive assez souvent chez nous aux poules dont les œufs sont appelés ὑπηνέμος (conçus du vent); mais les poulains conçus de cette manière ne vivent pas plus de trois ans. Quant aux petits qui viennent à terme, ou après, il faut les nettoyer et les faire lever avec précaution, de crainte qu’ils ne soient (pendant la nuit) écrasés sous la mère. Les agneaux qui naissent après terme, et qui ont conséquemment séjourné plus que le temps normal dans les flancs de la mère, s’appellent chordi, mot dérivé de χόριον (arrière-faix). La troisième partie, la formation des élèves consiste à examiner combien durera, à quelles heures, et en quel lieu se fera l’allaitement des petits; et si la mère manque de lait, à leur donner une nourrice. Les élèves qu’on fait de cette façon sont appelés subrumi, ce qui veut dire, sous la mamelle. Rumis était, à ce que je crois, l’ancien mot usité pour exprimer la mamelle. On sèvre ordinairement les agneaux au bout de quatre mois, les boucs au bout de trois, et les porcs au bout de deux mois. Comme à cet âge ces derniers sont assez purs pour pouvoir être offerts en sacrifice, on les appelait autrefois sacres (sacrés); c’est à eux que Plaute fait allusion, lorsqu’il dit : Combien coûtent les porcs sacrés? On appelle dans le même sens opimi les bœufs d’engrais que l’on destine aux sacrifices publics. La quatrième partie concerne le régime sanitaire, matière aussi importante que complexe; car une bête malade peut vicier tout un troupeau, et d’un mal individuel faire un désastre général. Il faut distinguer deux sortes de maladies : celles qui, de même que les maladies des hommes, réclament la présence du médecin; et celles qui, pour leur guérison, ne demandent que les soins du pâtre. Cette partie en renferme trois autres: savoir, les causes des maladies, les symptômes qui les annoncent, et le traitement qu’il faut appliquer à chacune. En général, les maladies du bétail ont pour cause l’excès du chaud ou du froid; quelquefois l’excès de travail ou son contraire, le manque d’exercice, ou bien encore l’inobservation d’un temps de repos, quand on les fait boire ou manger immédiatement après le travail. La présence d’une maladie se manifeste par des symptômes. Ceux de la fièvre occasionnée par l’excès de chaleur ou de froid sont : la bouche béante, la respiration entrecoupée, et le corps brûlant. Voici le traitement qu’il faut suivre dans ce cas: On baigne l’animal, on le frotte avec de l’huile et du vin tiède; on le met à la diète, on le couvre bien pour que le froid ne puisse l’atteindre, et on ne lui donne à boire que de l’eau qu’on a fait tiédir. Si ce traitement ne fait point d’effet, pratiquez une saignée; des veines de la tête surtout. Les autres maladies ont également des causes et des signes particuliers. Le pasteur en chef doit en avoir par écrit le détail circonstancié. Reste la question du nombre; neuvième subdivision, commune, ainsi que nous l’avons dit, aux deux premières. Lorsqu’on veut élever des bestiaux, il importe avant tout d’en fixer les quantités, d’examiner combien de troupeaux le fonds comporte, et de combien de têtes chacun doit se composer, afin de n’avoir en terrains ni déficit ni superflu; car il y a perte dans les deux cas. Il faudra de plus, pour chaque troupeau, avoir des notes exactes du nombre des brebis en état de porter, de celui des béliers, de leurs petits mâles et femelles, et enfin des bêtes de rebut, dont il faut se défaire. Quand une mère a trop de nourrissons, certains pâtres lui en retirent. Imitez-les. Ce qui reste profite mieux.

Prenez-y garde, dit Atticus. Il y a dans vos catégories quelque chose qui cloche, qui cadre mal avec vos définitions de gros et petit bétail. Essayez, par exemple, d’appliquer vos neuf divisions aux chapitres des pasteurs et des mulets: vos principes sur l’accouplement et la gestation y feraient une belle figure! Passe pour les chiens, à qui ces notions sont du moins applicables. Je vous concède même les pasteurs, parce qu’on leur permet dans les fermes, et même dans leurs stations d’été, d’avoir des femmes avec eux. L’on gagne à cela de les attacher davantage à leurs troupeaux, et d’obtenir des naissances un accroissement de son domestique; ce qui fait fructifier l’exploitation. Cette multiplication de neuf par neuf, repris-je, peut bien n’être pas tout à fait rigoureuse. C’est une façon de parler, comme on dit les mille vaisseaux de l’expédition de Troie, le tribunal des centumvirs (des cent juges) à Rome. Il n’y a qu’à retrancher, en ce qui concerne les mulets, les deux parties relatives à la conception et à la gestation. Du mulet? s’écria Vaccius. Est-ce qu’on n’a pas vu à Rome des mules porter et mettre bas? Je m’empressai de chanter sur le même ton, en citant un passage de Magon et un de Dionysius, où il est dit que la gestation est d’un an chez les juments et les mules. Or, si c’est un prodige en Italie, ajoutai-je, comment ailleurs la chose est-elle trouvée toute naturelle? N’est-il pas vrai que les hirondelles et les cigognes, qui produisent en Italie, ne pondent point en d’autres contrées? Ignorez-vous encore que le palmier-datte, qui donne des fruits en Syrie et en Judée, ne rapporte pas en Italie? Allons, dit alors Scrofa, si vous tenez absolument à avoir nos quatre-vingt une divisions complètes, abstraction faite de la faculté reproductive des mulets, nous avons de quoi remplir la double lacune. Il est en effet deux espèces de produits qu’on tire par surcroît des troupeaux, et qui constituent deux nouveaux sujets de considérations supplémentaires. L’un de ces produits provient de la tonte qu’on fait aux brebis et aux chèvres, en coupant ou arrachant leur toison. L’autre, plus généralement pratiqué, consiste dans le lait et le fromage. Les Grecs ont honoré cette matière d’un nom particulier, τυροποιία (fabrication des fromages) et leurs auteurs en ont beaucoup parlé.

II. Voilà ma tâche accomplie; j’ai posé les questions et leurs limites : à votre tour, célèbres Épirotes. Développez devant nous chaque division de la matière, et voyons un peu quelle est la portée des pasteurs de Pergame et de Malède. Alors Atticus, dont le nom de famille était encore T. Pomponius, et qui s’appelle Cédilius Atticus aujourd’hui, prit la parole et dit : Je vois bien que c’est à moi de parler le premier, puisque vous semblez me désigner des yeux. Je traiterai donc des troupeaux que j’appelle, d’après vous, primitifs. Vous venez de nous dire en effet que, parmi ces animaux sauvages, les brebis furent les premières dont l’homme se soit emparé, qu’il ait apprivoisées. Il faut avant tout n’acheter que de bonnes brebis: elles sont réputées telles, quant à l’âge, lorsqu’elles ne sont ni trop vieilles, ni trop jeunes. Les unes ne sont pas actuellement, les autres ne sont plus de rapport. Préférez cependant l’âge où le produit est en expectative, à celui qui n’a d’avenir que la mort. Voici les conditions quant aux formes extérieures des brebis: grande taille, laine abondante et soyeuse, et touffue par tout le corps, mais principalement vers la tête et autour du cou; le dessous du ventre bien fourni. Nos ancêtres nommaient apicœ les brebis au ventre dégarni, et les mettaient au rebut. Ayez soin qu’elles soient basses sur jambe, et à queue longue, si elles sont de race italienne; à queue courte, si elles sont originaires de Syrie. Le premier point à constater, c’est la qualité de la race; il y a deux moyens d’en juger. En premier lieu, le bélier a-t-il le front bien garni, les cornes torses tendant à se réunir vers le museau, l’œil roux, les oreilles fournies, beaucoup d’ampleur de poitrine, d’épaules et de croupe, une longue et large queue? En second lieu, les agneaux issus de lui sont-ils de belle venue? Il faut voir encore si le bélier a la langue noire ou mouchetée, car les agneaux qu’il produira seront respectivement de laine noire ou mouchetée. Quant à l’achat, les formes en sont réglées par la loi, dont les dispositions sont plus ou moins modifiées par la coutume des lieux. Quelques-uns, en fixant un prix par tête, stipulent que deux agneaux choisis (venus après terme), ou deux brebis éventées, ne seront comptés que pour un. On se sert d’ailleurs pour cette espèce de transaction d’une forme traditionnelle, que voici : L’acheteur dit au vendeur: Me les vendez-vous pour tant? et, après réponse affirmative et engagement de l’acheteur d’en payer le prix, ce dernier ajoute, suivant la teneur de la formule : Me garantissez-vous loyalement que ces brebis sont saines, selon les conditions requises pour cette espèce de bétail, qu’il n’en est aucune de borgne, sourde, ni de pelée sous le ventre, ou qui provienne de troupeau malade; et que j’en serai bien dûment propriétaire? Ces formalités accomplies, le troupeau n’est encore considéré comme ayant changé de maître, qu’après le recensement; mais elles suffisent, d’après la législation, de contrats pour qu’acheteur ou vendeur puissent être judiciairement contraints, le premier à livrer même avant d’avoir reçu le prix; le second, à payer ledit prix. Je vais traiter maintenant des quatre autres parties : de l’alimentation, de la propagation, de l’éducation des jeunes, et de l’état sanitaire. Le premier soin est de bien pourvoir à la nourriture des brebis, autant au-dedans qu’au-dehors. Les étables devront être bien situées, à l’abri du vent, et tournées au levant plutôt qu’au midi. Le sol en devra être uni, et de plan incliné, afin d’être facilement balayé et tenu propre; car, dans l’humidité, la laine des brebis s’altère, la corne de leurs pieds se pourrit, et inévitablement les bêtes deviennent galeuses. Le feuillage de leur litière doit être renouvelé au bout de quelques jours, pour leur procurer un coucher plus doux et plus propre : elles n’en mangent que mieux. Il faut encore séparer du reste par des cloisons les brebis malades, ou prêtes de mettre bas : cette précaution n’est guère praticable qu’aux troupeaux qui séjournent dans les fermes. Mais dans les bois et loin des habitations on aura soin de se prémunir de claies, filets, et autres ustensiles propres à construire des parcs d’isolement. Le pacage des troupeaux exige des excursions tellement lointaines, qu’il y a quelquefois plusieurs milles entre les stations d’été et celles d’hiver. Qui le sait mieux que moi? dis-je; car j’ai des troupeaux qui paissent l’hiver en Apulie, et l’été sur la montagne de Réate. Le sentier, calles publicae, chemin réservé aux troupeaux, qui relie ces deux stations ensemble, pourrait être assimilé à un joug, aux extrémités duquel sont assujettis deux paniers qu’on veut porter ensemble.

Quand on fait paître les brebis sans changer de contrée, il y a, suivant les saisons, des distinctions à faire dans les heures de la journée. L’été, c’est au point du jour qu’on mène le troupeau au pâturage. L’herbe, alors humide de rosée, est bien plus savoureuse qu’à l’heure de midi, où la chaleur l’a desséchée. Quand le soleil a paru, c’est le moment de le conduire à l’abreuvoir: il retourne, après, plus gaillard à la pâture. Vers midi on le met à l’ombre sous des rochers ou des arbres touffus, en attendant que la grande ardeur soit passée. Puis aux approches de la soirée, quand l’air est rafraîchi, on le fait paître de nouveau jusqu’au coucher du soleil. On aura soin qu’il ait toujours les rayons à dos, car les moutons ont la tête d’une sensibilité extrême. Le soleil couché, après un intervalle de repos, on fait encore boire ses bêtes, et paître de nouveau jusqu’à nuit fermée, parce qu’alors l’herbe aura repris la saveur du matin. Cette pratique doit s’observer scrupuleusement depuis le lever des Pléiades jusqu’à l’équinoxe de l’automne. Dans un champ récemment moissonné, la présence d’un troupeau est doublement avantageuse. Il s’engraisse des épis tombés; et, par le fumier qu’il y dépose, mêlé à la paille broyée sous ses pieds, la terre se trouve tout amendée pour une récolte à venir. Le régime de pacage pour l’hiver et le printemps offre les différences que voici. On mène au pâturage les brebis à l’heure où les frimas de la nuit ont disparu, et on les y laisse tout le jour, ne les faisant boire qu’une fois vers l’heure de midi. C’est à peu près là tout ce qu’on peut dire touchant l’alimentation des brebis. Je passe à la propagation de l’espèce. Il faut, deux mois à l’avance, séparer le bélier étalon du reste du troupeau, et le nourrir plus largement que de coutume. Le soir, au retour du pâturage, mettez devant lui une ration d’orge: il en aura plus de force, et supportera mieux les fatigues de son rôle. Le véritable moment de la monte est depuis le coucher de l’Arcture jusqu’à celui de l’Aigle tout agneau conçu plus tard est chétif et grêle. La brebis porte cent cinquante jours, et conséquemment mettra bas à la fin de l’automne, époque où la température est assez douce, et où L’herbe, renouvelée par les premières pluies, commence à sortir de la terre. Pendant tout le temps de la monte les brebis ne doivent boire qu’à la même source; un changement d’eau ne manquerait pas d’altérer leur laine et de nuire à leur fruit. Sitôt que toutes les brebis sont pleines, de nouveau on les sépare des béliers, dont l’importunité ne leur est plus que nuisible. Ne souffrez jamais qu’elles subissent le mâle avant l’âge de deux ans: plus tôt, elles ne donnent que des agneaux imparfaits, et elles-mêmes s’épuisent. L’âge de trois ans va encore mieux pour produire. Pour empêcher les approches du bélier, on enferme aux brebis les parties sexuelles dans de petits paniers de joncs, ou de toute autre matière; mais le meilleur préservatif, c’est de faire paître séparément mâles et femelles. J’arrive maintenant à l’éducation. Quand les brebis sont prêtes à mettre bas, on les fait entrer dans des étables réservées à cet effet. Là on tient les nouveau-nés près du feu deux ou trois jours, au bout desquels ils sont en état de reconnaître leur mère, et de manger seuls. Les mères brebis sont en état d’aller paître avec le reste du troupeau : on retient les petits à l’étable, pour les faire téter le soir, au retour. Puis on les met de nouveau à part, de crainte qu’ils ne soient foulés aux pieds pendant la nuit. Le matin, avant de conduire les mères au pâturage, on fait encore téter les agneaux, afin qu’ils soient allaités pour toute la journée. Au bout de dix jours environ, on les attache, avec des écorces d’arbres ou quelques autres liens légers, à des pieux plantés à quelque distance les uns des autres, de crainte qu’en courant çà et là tout le jour, ils ne fassent injure à leurs faibles membres. S’ils ne cherchent pas le pis d’eux-mêmes, il faut les en approcher, en leur frottant les lèvres de beurre ou de saindoux, et en leur faisant ensuite flairer le lait quelque temps. Après on mettra devant eux de la vesce moulue, ou de l’herbe tendre, le matin avant le pâturage, et le soir au retour. On continuera ce régime jusqu’au quatrième mois inclusivement: quelques-uns s’abstiennent de tirer leurs brebis pendant ce temps, mais il vaut mieux ne point discontinuer de les traire: les laines n’en sont que plus belles et les bêtes que plus fécondes. Lorsqu’on sèvre les agneaux, il y a des soins à prendre pour les empêcher de dépérir par envie de téter. Il faut les affriander par un choix de nourriture, et veiller à ce qu’ils ne souffrent jamais du froid ou du chaud. Quand ce besoin a cessé de se faire sentir, alors laissez-les se mêler avec le reste du troupeau. On ne châtre les agneaux qu’à l’âge de cinq mois, en choisissant, pour cette opération, une température moyenne. En fait de bélier, il faut choisir de préférence, pour élever, ceux dont les mères font habituellement deux agneaux d’une seule portée. Les recommandations sont pour la plupart applicables à l’espèce qu’on appelle pellita, à cause des peaux dont on l’enveloppe; précaution que l’on prend pour les brebis d’Attique et de Tarente, afin de mieux conserver la finesse de leur laine, et faire qu’elle se tonde, lave et teigne mieux. Les étables et mangeoires exigent également plus de soin, de propreté que celles des brebis à grosse laine. Le sol en doit être pavé, afin que l’urine n’y séjourne point. Les brebis ne refusent aucune nourriture; paille, feuilles de figuiers, feuilles de vigne. On peut aussi leur donner du son, mais par mesure réglée, pour qu’elles n’en aient ni trop ni trop peu; car l’un ou l’autre excès en fait un aliment contraire. Le cytise et la cyzeine sont ce qui leur convient le mieux. Cette nourriture les engraisse, et leur donne du lait en abondance. Quant à l’état sanitaire, il y aurait beaucoup à dire; mais, je le répète, celui qui a charge de troupeau devra avoir par écrit, dans un livre, tout ce qui concerne ce sujet, et porter avec lui sa pharmacie. Reste à déterminer le nombre de têtes d’un troupeau : c’est tantôt plus, tantôt moins, Il n’y a pas là-dessus de règle positive. En Épire, on confie d’ordinaire cent brebis à grosse laine à un seul berger ; et l’on a deux bergers pour le même nombre de chèvres.

III. Cossinius prenant alors la parole: Allons, mon cher Faustulus, dit-il, assez bêlé comme cela. C’est à mon tour; permettez-moi de vous parler des chèvres avec le Mélanthius d’Homère, et prenez en même temps une leçon de brièveté. Pour former un troupeau de chèvres, il faut les choisir avant tout d’âge à produire, et à produire le plus longtemps possible. Il les faut donc plutôt jeunes que vieilles. Quant aux conditions extérieures, prenez des bêtes grandes et fortes, qui aient la taille affilée et la toison épaisse, à moins que ce ne soit de l’espèce à poil ras; car l’une et l’autre existe. Elles devront en outre avoir sous le museau deux excroissances de chair: c’est un signe de fécondité. Plus la chèvre a les mamelles grosses, plus elle a de lait, et plus son lait a de consistance. Les indices de qualité supérieure chez le bouc sont le poil blanc, la tête et le cou ramassés, et l’épiglotte allongée. On forme un meilleur troupeau par achat en bloc d’animaux habitués à être ensemble, qu’en allant les recruter de côté et d’autre. Je m’en réfère, quant à la race, à ce qu’Atticus vient de dire touchant celle des brebis avec cette différence toutefois que la première espèce est dans ses habitudes aussi calme que l’autre est remuante. Voici ce que dit Caton, dans ses Origines, de sa singulière agilité : « Sur les monts de Soracte et Fiscella on voit des chèvres sauvages sauter de rocher en rocher, franchissant un intervalle de soixante pieds et plus. » Nos brebis et nos chèvres domestiques ont une origine sauvage. C’est de ces dernières que l’île de Caprée, sur les côtes d’Italie, tire son nom. Comme les chèvres qui donnent deux petits à la fois sont sans contredit d’une meilleure race que les autres, les mâles qui en proviennent doivent être destinés de préférence à la propagation de l’espèce. Quelques personnes tiennent à se procurer des chèvres de l’île de Média, qui passe pour fournir les plus beaux sujets de l’espèce. En ce qui concerne les achats, on devrait, selon moi, s’écarter un peu de la formule ordinaire; car affirmer que des chèvres sont saines, c’est ce que nulle personne d’esprit sain ne peut faire entendre, puisque cet animal n’est jamais sans fièvre, il y a donc quelques mots à retrancher aux termes généraux du contrat, et c’est le sens de la rédaction que Manilius nous en donne dans ses livres : « Me répondez-vous que ces chèvres sont aujourd’hui en bon état, qu’elles boivent, et qu’elles sont bien et dûment ma propriété? » De subtils physiologistes prétendent, et c’est un fait consigné dans les écrits d’Archélaüs, que les chèvres ne respirent pas, comme le reste des animaux, par les narines, et que chez elles cette fonction se fait par l’oreille. Quant à l’entretien, ce qui forme la première partie du second ordre de considérations, voici ce que j’ai à en dire : L’exposition convenable pour les étables à chèvres est le levant d’hiver; car ces animaux sont très sensibles au froid. Comme pour le bétail en général, le sol de ces étables sera pavé de pierres ou de briques, afin qu’elles soient plus exemptes d’humidité et plus facilement tenues propres. On choisira la même exposition pour les parcs où les chèvres stationnent la nuit dans les lointains pâturages, et le sol en devra être couvert d’une litière de feuillage. Du reste, ce qu’on vient de dire sur le régime alimentaire de la race ovine est également applicable aux chèvres, si ce n’est qu’elles aiment mieux gravir des hauteurs boisées que paître de plain pied dans les prairies. Elles broutent avec une prédilection marquée les pousses d’arbrisseaux sauvages, et s’attaquent volontiers aux plans cultivés : d’où est venu le nom de capra (chèvre), dérivé de carpere (cueillir). Aussi, dans les baux de location, stipule-t-on d’ordinaire l’interdiction de faire paître les chèvres, dont la dent est fatale aux plantations. Et les astronomes n’admettent cet animal dans le ciel qu’en dehors du cercle aux douze signes (les deux Chevreaux et la Chèvre ne sont pas loin du Taureau). En ce qui concerne la propagation, les boucs destinés à la monte sont, comme les béliers, séparés quelque temps du troupeau, et on les présente aux chèvres à la fin de l’automne; les femelles couvertes à cette époque mettent bas au bout de quatre mois, c’est-à-dire dans la saison du printemps. Touchant l’éducation des jeunes boucs, nous nous bornerons à faire remarquer qu’à l’âge de trois mois ils peuvent déjà faire partie du troupeau. Que pourrais-je dire de la santé de ce bétail, qui, en quelque sorte, n’est jamais sain? Toutefois celui qui a la charge du troupeau devrait avoir par écrit, dans son livre, des recettes pour certaines de leurs maladies, ainsi que pour guérir les blessures qu’elles se font en se battant, ou en paissant dans les buissons épineux. Reste à déterminer la force d’un troupeau. Elle doit être moindre pour les chèvres que pour les brebis. L’instinct des unes est de se disperser capricieusement et d’errer à l’aventure; celui des autres est de se réunir et de se masser en quelque sorte sur un même point. Aussi, dans la Gaule, préfère-t-on diviser les troupeaux de chèvres. Les grands troupeaux sont trop sujets à la contagion, et exercent de trop grands ravages; cinquante têtes sont censées suffire pour en former un. Et l’accident arrivé dernièrement à Galérius vient à l’appui de cette opinion : ce chevalier romain possède environ mille jugera de terre dans les environs de Rome. Il entend dire un jour à un berger qui amenait dix chèvres à la ville, qu’elles lui rapportaient chacune un denier par jour. Galérius aussitôt de se former un troupeau de mille chèvres, espérant ainsi retirer chaque jour mille deniers de son fonds. Mais il lui fallut en rabattre; car une maladie vint peu après enlever tout son troupeau. Cependant du côté de Sallence et de Casinum on a des troupeaux de cent têtes. La même divergence d’opinion se rencontre touchant le nombre des femelles que l’on peut faire couvrir par un même mâle. Quelques personnes, et je suis de ce nombre, comptent dix chèvres pour un bouc; d’autres, comme Ménus, en comptent quinze; d’autres, vingt, comme Murrius.

IV. Maintenant qu’un de nos porchers italiens entre en scène, et nous expose la théorie de son état : mais qui peut en parler plus pertinemment que l’homme qui a Scrofa (truie) pour surnom? Afin que vous le sachiez, dit alors Trémellius, vous et tous ceux qui m’écoutent, ce surnom n’est pas originaire dans ma famille, et je ne suis rien moins qu’un descendant d’Eumée. Le premier de nous qui l’ait porté est mon grand-père. Il était questeur de Licinius Nerva, préteur de Macédoine, et se trouvait commander l’armée eu l’absence de ce dernier. Les ennemis, croyant l’occasion favorable pour un coup de main, entreprirent de forcer son camp. Mon grand-père, en exhortant les siens à courir aux armes et à faire une sortie contre les assaillants, se vanta de les repousser comme la truie chasse ses petits d’auprès d’elle.

Il tint parole : l’ennemi fut battu et dispersé; si bien que le préteur en recueillit le titre d’Imperator, et mon grand-père eut le surnom de Scrofa. Mais ni mon bisaïeul, ni aucun des Trémellius, ne l’ont porté antérieurement; et je ne suis pas moins que le septième préteur de ma famille. Ce n’est pas que je refuse de vous dire ce que je sais du bétail portant soies. Je me suis toujours beaucoup occupé d’agriculture, et conséquemment je ne puis être étranger à ce sujet, non plus que vous autres grands nourrisseurs de bestiaux. Quel cultivateur en effet n’a pas de porcs chez lui? et qui de nous n’a pas entendu dire à son père : « Bien insouciant ou bien peu économe, est celui qui tire de la boucherie et non de son fonds le lard de son garde-manger ! Pour avoir un troupeau de porcs dans une bonne condition, il faut que chaque bête qui le compose soit d’âge et de forme convenables. Par formes convenables on entend ampleur de membres, tête et pieds compris, et robe unicolore plutôt que bigarrée. Le verrat, avec ces mêmes qualités, doit avoir la tête particulièrement grosse. Les présomptions touchant la qualité de la race se forment sur l’aspect des animaux, leur progéniture et leur origine. Sur l’aspect, sont-ils verrat ou truie, la beauté relative de l’espèce; sur la progéniture, font-ils beaucoup de petits? sur l’origine; leur pays natal est-il réputé pour en produire de gros plutôt que de petits? Pour l’achat on se sert de la formule suivante : « Me répondez-vous que ces truies sont saines, que la propriété m’en est bien et dûment acquise, franche de toute répétition; et qu’enfin elles ne proviennent point de troupeau malade? » Quelques personnes y ajoutent : « Et qu’elles ne sont pas atteintes de la fièvre ni de la diarrhée? » En fait de pâturages, ce sont les endroits marécageux qui conviennent à cette espèce de bétail, qui se plaît dans l’eau et même dans la fange. On dit que les loups, lorsqu’ils ont trouvé un porc, traînent cette proie jusqu’à ce qu’ils trouvent de l’eau, leurs dents ne pouvant supporter l’extrême chaleur de sa chair. Les porcs se repaissent surtout de glands, mais aussi de fèves, d’orge, et de toute autre espèce de grain. Cette nourriture non seulement les engraisse, mais donne à leur chair un goût très agréable. En été, on les mène paître le matin, et à midi on les fait stationner quelque part, où il y ait de l’ombrage et surtout de l’eau. Dans l’après-midi on les fait paître de nouveau lorsque la chaleur est tombée. Dans l’hiver le pâturage ne leur convient que lorsque la gelée blanche a disparu, et que la glace est fondue entièrement. On enferme deux mois à l’avance les verrats qu’on destine à la monte. L’époque la plus favorable pour l’accouplement est depuis Favonius jusqu’à l’équinoxe du printemps; car comme les truies portent quatre mois, elles mettront bas au moment où la terre abonde en pâturages. Il faut qu’elles aient un an avant d’être couvertes; et mieux serait d’attendre vingt mois, afin qu’elles aient deux ans à l’époque de mettre bas. La période de leur fécondité dure, dit-on, sept ans après la première portée. Pour les disposer à être saillies, on les mène dans des endroits humides et marécageux, où elles puissent se vautrer dans la fange, ce qui produit sur elles l’effet d’un bain pour l’homme. Quand toutes les truies sont pleines, on les sépare encore des verrats. Ces derniers commencent à saillir à huit mois, et cette faculté leur dure un an dans sa plénitude et va ensuite déclinant jusqu’à ce qu’ils ne soient plus bons qu’à envoyer au boucher, par qui leur chair est distribuée au peuple. Les Grecs appellent le porc ὗς; ils l’appelaient autrefois θῦς, dérivé du verbe θύειν, immoler, comme pour faire entendre que ces animaux ont été les premières victimes immolées aux autels des dieux. La coutume en a subsisté dans les mystères de Cérès, dans les solennités qui accompagnent la conclusion d’un traité de paix; et la tradition nous en fait retrouver des vestiges dans les cérémonies de mariage des anciens rois et des hauts personnages d’Étrurie, dont le sacrifice d’un porc pour les nouveaux mariés, chacun de leur côté, était la cérémonie préalable. Le même usage existait chez les habitants du Latium, et dans les colonies grecques d’Italie. Le nom de porcus chez nous et celui de χοῖρος chez les Grecs est même encore employé par les femmes, les nourrices principalement, pour désigner les parties sexuelles d’une fille nubile. C’est une expression figurée de l’aptitude aux rites de l’hymen. On a dit que le porc était prédestiné par la nature à paraître sur nos tables, et qu’elle avait animé sa substance, comme l’homme la sale, dans ce seul but de conservation. La charcuterie des Gaules a toujours été renommée pour l’excellence et la quantité de ses produits. L’exportation considérable de jambons, de saucissons et autres confections de ce genre, qui se fait annuellement de ce pays à Rome, témoigne de leur supériorité comme goût. Voici en quels termes parle Caton de leur quantité : « On voit en Italie des fosses à conserver le lard, qui contiennent jusqu’à trois et quatre mille pièces de lard gaulois. Le porc arrive quelquefois à un tel degré d’embonpoint qu’il ne peut plus marcher ni même se tenir sur ses pattes, et qu’il faut le transporter en charrette. » Attilius, Espagnol aussi instruit que digne de foi, parle d’un porc tué en Lusitanie dans l’Espagne citérieure, dont le sénateur L. Volumnius reçut deux côtes avec une très petite partie de filet, le tout pesant vingt-trois livres. Le groin de l’animal, depuis le cou jusqu’au boutoir, avait, disait-il, un pied et trois doigts de longueur. Voici, dis-je, un fait qui n’est pas moins curieux, et dont j’ai été témoin oculaire. En Arcadie une truie avait tellement engraissé, qu’elle ne pouvait plus se lever; si bien qu’une souris avait fait un trou dans sa chair et s’y était mise en gésine. La même chose, dit-on, est arrivée chez les Vénètes. La première portée d’une truie donne la mesure de sa fécondité ultérieure, car les suivantes n’en diffèrent pas beaucoup. En ce qui concerne l’alimentation des pourceaux, autrement dite porculation, on laisse les petits pendant deux mois avec leur mère, et on ne les en sépare que lorsqu’ils sont en état de manger seuls. Les pourceaux nés en hiver sont toujours chétifs la cause en est d’abord dans la rigueur de la saison; puis dans le peu de lait que peut leur fournir à cette époque la mère, dont ils mordillent quelquefois les tettes au point de la blesser avec leurs dents. Il faut donner à chaque truie une cahute à part, où elle puisse élever ses petits séparément autrement ceux-ci s’attacheraient à des truies étrangères, et il en résulterait un mélange qui finirait par détériorer la race.

L’année se trouve naturellement divisée en deux pour les truies. Elles mettent bas deux fois l’an, ont quatre mois de gestation à chaque portée, nourrissent pendant les deux autres. Les cahutes où elles sont enfermées doivent avoir trois pieds en hauteur, et un peu plus en largeur; le degré d’élévation au-dessus du sol y doit être calculé de manière à empêcher de la part de la truie les mouvements qui la feraient avorter; mais il doit être suffisant pour que le porcher puisse aisément voir dans l’intérieur quand il y a risque pour les petits d’être écrasés par la mère. Pour la facilité du nettoiement, on y ménagera une porte dans le seuil, qui sera élevée d’un pied et une palme de hauteur; ce qui empêche les pourceaux de sortir avec leur mère. Le porcher, chaque fois qu’il nettoiera les cahutes, devra y répandre du sable, ou toute autre matière propre à dessécher l’humidité. Il faut donner aux truies qui ont mis bas une nourriture plus abondante, afin qu’elles puissent fournir du lait suffisamment à leurs petits. On y mettra chaque jour environ deux livres d’orge détrempée, et la ration est doublée c’est-à-dire répétée soir et matin, quand on n’a pas autre chose à leur donner. On appelle les petits lactentes (cochons de lait) tant qu’ils tètent; et quelquefois delici (de lacte) après le sevrage. Dix jours après leur naissance, ils sont regardés comme purs; et nos ancêtres les appelaient alors sevrés, c’est-à-dire propres à servir de victimes. Et nous trouvons ici le commentaire d’un passage des Ménechmes de Plaute. L’un des personnages de la pièce, dont la scène est à Epidamne, croyant qu’un autre est fou, et a besoin d’un sacrifice expiatoire, demande: « Combien coûtent ici les porcs sacrés? » Ceux qui ont des vignes donnent à leurs porcs le marc et les épluchures de raisin. Dès que les pourceaux ne sont plus lactentes (cochons de lait), ils deviennent nefrendes, c’est-à-dire qui ne peuvent encore frendere (casser la fève).

Porcus est un vieux mot grec tombé en désuétude, qu’on a remplacé dans ce pays par celui de χοῖρον. Il faut faire boire deux fois par jour les truies pendant leur nourriture : elles en ont plus de lait. La truie doit faire autant de petits qu’elle a de mamelles. Si elle en fait moins, on la regarde comme n’étant point de bon rapport; si elle en fait davantage, on crie au prodige.

Nous avons en ce genre la vieille tradition de la truie d’Énée, qui mit bas à Lavinium trente pourceaux blancs. Et le miracle se trouva confirmé, quand trente ans plus tard Albe fut fondée par les habitants de Lavinium. On voit encore dans cette dernière ville des monuments publics de cette truie et de ses pourceaux. Leur effigie y est coulée en bronze, et les prêtres nous montrent le corps de la mère conservé dans la saumure. Dans les premiers jours les truies peuvent nourrir jusqu’à huit pourceaux. Passé ce moment, les éleveurs entendus ne manquent pas d’en soustraire la moitié, à mesure qu’ils grandissent; car la mère ne peut avoir assez de lait pour que toute la portée réussisse. Pendant les dix premiers jours, les truies ne devront point quitter leurs cahutes, si ce n’est pour aller boire aux abreuvoirs. Au bout de ce temps on peut les mener paître, mais seulement dans le voisinage, afin qu’elles puissent revenir souvent allaiter leurs petits. Ceux-ci, quand ils ont pris une certaine croissance, suivent volontiers la mère au pâturage: alors on les enferme à part ou on les fait paître séparément, pour les accoutumer à supporter facilement cette privation: Ils y sont faits au bout de dix jours. Le porcher devra ainsi habituer les porcs à obéir au son du cornet. Pour y parvenir il aura soin de faire retentir une fois cet instrument avant d’ouvrir la porte, et de leur faire trouver en sortant de l’orge répandue en traînées. On en perd moins de cette manière qu’en leur présentant le grain en tas, et tous peuvent en approcher plus aisément; on les habitue ainsi à se réunir au son du cornet, et l’on n’a plus à craindre qu’ils ne s’égarent lorsqu’ils sont dispersés dans les bois. Un an est le bon âge pour châtrer les verrats; au moins faut-il qu’ils n’aient pas moins de six mois. Ils quittent le nom de verrat après cette opération, pour prendre celui de maïales. Touchant le régime sanitaire, je me borne à une observation. Si le lait de la mère vient à manquer aux petits, donnez-leur jusqu’à l’âge de trois mois du froment rôti (cru, il relâche trop le ventre). Reste encore la question du chiffre. Généralement on compte dix verrats par cent truies; d’autres en veulent moins de dix. On n’est pas fixé non plus sur la force du troupeau: je regarde, moi, cent têtes comme un nombre convenable. Quelques-uns le font plus grand, et vont à cent cinquante. Il en est qui doublent le premier nombre; d’autres vont même encore plus loin. En général, plus un troupeau est restreint, moins il est coûteux, et moins le porcher a besoin d’aides. Or la question pour chacun est celle des plus grands profits, et non du plus ou moins grand nombre de têtes; c’est donc par les circonstances qu’il faut se déterminer. Ainsi parla Scrofa.

V. En ce moment survient le sénateur Q. Luciénus, l’homme du monde le plus aimable et le plus enjoué, et notre ami commun à tous. Salut, chers Co-Epirotes, dit-il en entrant; salut aussi à Varron, ποιμένα λαῶν (pasteur des peuples). Quant à Scrofa, je lui ai déjà donné le bonjour ce matin: on lui rend des saluts, non sans le gronder d’arriver si tard au rendez-vous. Patience, dit-il, mauvais sujet que vous êtes, voici mon dos et un fouet; vous, Murrius, venez çà, et voyez-moi payer rançon à la déesse Palès, afin d’en pouvoir témoigner, au cas où ces gens-là voudraient me faire payer deux fois. Atticus se tournant alors vers Murrius, veuillez, lui dit-il, mettre Luciénus au fait, tant de ce qui a été dit que de ce qui reste à dire, afin qu’il puisse prendre rôle dans l’entretien. En attendant nous allons passer au second acte, c’est-à-dire mettre en scène le gros bétail. Ceci est mon rôle, dit Vaccius, puisqu’il est question de bœufs et de vaches. Je vous ferai part de mes notions sur cette matière: ceux qui y sont étrangers pourront s’instruire; les autres me relèveront, si je me trompe. Vaccius, lui dis-je, prenez-y garde. C’est un sujet capital que le bœuf en fait de bétail; en Italie surtout, pays qui lui doit le nom qu’il porte. Car en Grèce autrefois, si l’on en croit Timée, un taureau s’appelait italoV; de là le nom d’Italie, contrée où bœufs et veaux (vituli) abondent, et sont d’une beauté extraordinaire. Selon d’autres, l’Italie doit son nom au fameux taureau Italus, qu’Hercule poursuivit depuis la Sicile jusqu’en ce pays. Le bœuf est le ministre de Cérès, et l’associé de l’homme dans les travaux rustiques. Les anciens le regardaient comme inviolable, et ils punissaient de mort quiconque tuait un de ces animaux : témoin les lois de l’Attique et du Péloponnèse. C’est encore au taureau que Buzugès d’Athènes et Onogure d’Argos doivent leur célébrité. Je sais, dit Vacelus, que le taureau a quelque chose de majestueux; que son nom (βοῦς), en composition, est significatif de grandeur; exemples: βούσυκος (grosse figue), βούπαις (enfant d’une belle venue), βούλιμος (grande famine), βοῶπις (qui a de grands yeux;) et que de plus on appelle bumamma (pis de vache) le raisin à gros grains. Je sais encore que c’est sous la forme d’un taureau que Jupiter, amoureux d’Europe, enleva de son pays cette belle Phénicienne, et traversa la mer avec elle. Je n’ignore pas non plus que c’est un taureau qui empêcha les enfants de Neptune et de Ménalippe d’être écrasés dans une étable par un troupeau de bœufs. Je sais enfin que les abeilles qui nous donnent le miel le plus doux naissent du cadavre d’un bœuf en putréfaction; ce qui fait que les Grecs les appellent βούγονας (nées d’un bœuf), expression que Plautius a latinisée, lorsqu’il disait au préteur Illyrius, accusé d’avoir écrit contre le sénat: « Soyez tranquille, je vous rendrai aussi innocent que celui qui a écrit la Bugonia (naissance des abeilles). » 

Il y a quatre âges pour la race bovine. Au premier âge, l’animal s’appelle veau; au deuxième, juvencus (bouvillon); au troisième, taureau jeune; au quatrième, taureau fait. La femelle prend successivement, suivant l’âge, les dénominations de génisse, de jeune vache, et de vache. Taura est le nom qu’on donne à une vache stérile. Une vache pleine se nomme horda; d’où le mot hordicalia, fêtes où l’on immole des vaches pleines. Quand on veut acheter un troupeau de gros bétail, il faut d’abord s’assurer que les bêtes ont atteint l’âge de génération, et sont encore en état de produire. On les choisira saines et bien prises dans leurs membres, de grande taille et de forme allongée, noires par les cornes, larges du front, avec les yeux grands et noirs, les oreilles velues, les joues raplaties, l’épine dorsale plutôt concave que convexe, les naseaux ouverts, les lèvres noirâtres, le cou long et musculeux, le fanon pendant, le coffre développé, les côtes bien attachées, les épaules larges, le fessier charnu, une queue qui balaye leurs sabots et se termine en bouquet de poils légèrement frisés, les jambes courtes et droites, légèrement renflées au genou, et tournées en dehors, les pieds étroits, et qui ne s’entrechoquent point dans la marche; les ongles lisses, serrés et bien égaux; le poil uni et doux au toucher. En fait de couleur, le noir a le premier rang; le poil rouge foncé, le second; le rouge pâle, le troisième; le blanc ne vient que le quatrième: ce pelage leur indique donc le dernier, et le noir, le premier degré dans l’échelle de force des animaux. Des deux intermédiaires, le second vaut mieux que le troisième; et tous sont préférables en pelage pie (tacheté de noir et de blanc). Il ne faut prendre les mâles que de bonne race; ce dont on juge par leurs formes extérieures, et par celles des veaux issus d’eux, qui doivent leur ressembler en tout. Leur provenance est aussi un point essentiel. La race gauloise est généralement la meilleure que nous ayons en Italie, et la plus propre au travail; le bœuf ligurien est paresseux. Ceux d’Épire sont les meilleurs de toute la Grèce, et l’emportent même sur ceux d’Italie; quelques personnes cependant accordent a ces derniers, comme victimes à offrir dans les sacrifices et les prières publiques, une préférence méritée, par leurs formes colossales et leur pelage éclatant. C’est ce qui fait que les bœufs de poil blanc sont moins communs en Italie que dans la Thrace, notamment vers le golfe Mélas, où l’on n’en rencontre guère d’une autre couleur. Voici les termes de marché usités pour ce genre de bétail, lorsqu’il a déjà subi le joug: « Me répondez-vous que ces bœufs sont sains, et qu’en les prenant je suis à l’abri de toute répétition ultérieure? » S’ils ne sont pas domptés, on stipule comme il suit: « Me répondez-vous que ces bouvillons sont sains, qu’ils proviennent d’un troupeau sain, et qu’en les prenant je suis à l’abri de toute répétition ultérieure? » Les formules sont moins concises, si l’on suit les prescriptions de Manilius. L’on retranche la clause de santé, quand les animaux sont achetés pour la boucherie ou pour les autels. Les forêts où les bœufs trouvent abondamment de jeunes pousses et du feuillage à leur portée sont les lieux de pâturage qui leur conviennent le mieux. Aussi on les tient l’hiver au bord de la mer, et l’été sur les hauteurs boisées. Quant à la propagation de l’espèce, voici les règles que j’observe. Un mois avant l’accouplement, j’empêche mes vaches de se gorger de nourriture, parce que, maigres, elles conçoivent plus facilement. Mes taureaux, au contraire, sont engraissés deux mois à l’avance, avec force paille et foin, et fourrage vert; et pendant tout ce temps je m’attache à les séparer des femelles, comme Atticus. Je prends pour soixante-dix vaches deux taureaux, l’un d’un an, l’autre de deux; j’attends pour leur livrer la femelle, le lever de l’astre que les Grecs appellent Api et les Romains Fides, et je réunis ensuite mes taureaux au reste du troupeau. On tient comme indicatif de sexe, pour le fruit conçu, le côté par ou le taureau se retire après l’acte consommé, prenant la droite de la vache, si c’est un mâle; et la gauche, si c’est une femelle. A vous, lecteurs d’Aristote, ajouta-t-il en se tournant vers moi, d’expliquer cette circonstance. Ne faites pas saillir une vache avant deux ans, afin qu’elle en ait trois lorsqu’elle vêle pour la première fois. Mieux serait encore qu’elle en eût quatre. Les vaches sont fécondes dix ans, et quelquefois plus. L’époque de conception la plus favorable pour elles est la période de quarante jours que suit le lever du Dauphin, un peu après. Car une vache qui aura conçu à cette époque vêlera dans la saison la plus tempérée de l’année, le temps de sa gestation étant de dix mois. J’ai trouvé dans un livre à ce sujet, une assertion bien singulière : c’est qu’un taureau châtré est encore prolifique quand on le mène saillir immédiatement après l’opération. On choisira pour faire paître les vaches des lieux bas, abondants en herbe, et assez spacieux pour qu’elles ne se gênent, ne se heurtent, ni ne se battent. Quelques-uns, pour éviter la piqûre des taons, et de certains insectes qui les attaquent sous la queue et les rendent furieuses, les tiennent enfermées pendant l’ardeur du jour, et mollement couchées sur une litière de feuilles ou de verdure. En été on doit les mener boire deux fois par jour, et une seule fois en hiver. Lorsqu’elles sont prêtes à vêler, il faudra mettre du fourrage frais près des étables, pour les affriander quand elles sortent; car en cet état elles sont sujettes à être dégoûtées. Les lieux où elles se retirent doivent être préservés du froid, qui les maigrit autant que la faim. Durant l’allaitement il faut séparer à l’étable les petits de leurs mères, de crainte qu’ils ne soient écrasés pendant la nuit. On ne les laissera approcher d’elles qu’une fois le matin, et une fois au retour des pâturages. A mesure que les veaux grandissent, il faut soulager les mères, en leur mettant du fourrage vert dans la crèche. Le sol, dans les étables à vaches comme dans toutes autres, doit être construit en pierre ou matériaux équivalents, afin de conserver saine la corne de leurs pieds. A partir de l’équinoxe d’automne, les veaux paissent avec leurs mères. Il ne faut pas les châtrer avant l’âge de deux ans. Si l’opération a lieu plus tôt, ils ont peine à s’en remettre plus tard; ils deviennent indociles, et impropres au travail. Chaque année, suivant la pratique adoptée pour toute espèce de bétail, on fait un triage des bêtes de rebut, que l’on retranche du troupeau; car elles y tiennent inutilement la place qu’occuperaient des sujets productifs. Lorsqu’une vache a perdu son veau, remplacez-le par une autre dont la mère n’a pas assez de lait pour le nourrir. Aux veaux de six mois on donne du son de froment, de la farine d’orge, de l’herbe bien tendre, et on les fait boire matin et soir. Les précautions sanitaires sont multipliées. J’ai extrait des livres de Magon toutes les prescriptions qui s’y rapportent, et je les fais lire souvent à mon bouvier. J’ai déjà dit que le rapport du nombre des taureaux à celui des vaches est de deux pour soixante, et qu’il faut un mâle d’un an et un de deux. Certaines personnes cependant veulent que la proportion soit plus ou moins forte. Notre Atticus, par exemple, n’a que deux taureaux pour soixante-dix vaches. La force du troupeau varie également. Moi, je suis de l’avis de ceux qui regardent cent têtes comme un nombre suffisant. Atticus et Luciénus, ont des troupeaux de cent vingt têtes chacun. Ainsi parla Vaccius.

VI. Murrius, qui était revenu avec Luciénus, pendant que Vaccius parlait, dit alors: Moi, je me propose de traiter les ânes; car je suis de Réate, c’est-à-dire d’un pays d’où viennent les meilleurs et les plus grands. J’y ai fait des sujets que j’ai vendus même à des Arcadiens. Celui qui veut former un beau troupeau d’ânes doit avant tout prendre les mâles et les femelles à l’âge où l’on peut en tirer lignée le plus longtemps possible. Il les choisira robustes, de belle forme, de bonne taille et de bonne race, c’est-à-dire originaires d’un pays réputé pour cette production. C’est ce qui fait que l’Arcadie est le marché aux ânes pour le Péloponnèse, et Réate pour l’Italie; car de ce que les murènes ont si bon goût sur les côtes de Sicile, et les esturgeons sur celles de Rhodes, il ne s’ensuit pas qu’on trouve ces poissons de même qualité dans toutes les mers. Il y a deux espèces d’ânes : les ânes sauvages qu’on appelle onagres, et qui abondent en Phrygie et Lycaonie, et les ânes privés, comme ils sont tous en Italie. L’âne sauvage est propre à la propagation de espèce, car sa progéniture s’apprivoise facilement; tandis que celle d’un âne privé n’est jamais sauvage. Les petits ressemblent toujours â leurs père et mère. Il faut donc bien choisir ceux-ci sous le rapport des formes extérieures. Les conditions de vente et de livraison sont à peu près les mêmes que pour tout autre bétail, et contiennent également des clauses de garantie sanitaire, et contre toute répétition ultérieure.

La farine et le son d’orge conviennent parfaitement aux ânes pour nourriture. Les ânesses doivent être couvertes avant le solstice, pour mettre bas au solstice de l’année suivante; car elles portent une année entière. On fera bien de ne point les faire travailler pendant la durée de la gestation, car la fatigue nuit à leur fruit. Quant au mâle, il faut continuer à l’employer, car pour lui ce sont les intermittences de travail qui sont nuisibles. Pour nourrir les petits, on suit les mêmes règles que pour les poulains. La première année, on les laisse avec leur mère. A partir de la seconde, on ne les en sépare pas, sauf la nuit, ayant toutefois soin de les attacher avec un licou un peu lâche, ou quelque lien analogue. La troisième année, on commence à les dresser pour l’espèce de travail à laquelle on les destine. Touchant la quantité, on n’a pas ordinairement d’ânes en grande réunion, si ce n’est pour le transport des marchandises. Leur occupation la plus ordinaire est de tramer la meule, de porter aux champs, de labourer, même dans les terres légères, comme celles de Campanie. On ne les voit guère en nombre que dans les convois organisés pour amener à dos d’âne de Brindes ou d’Apulie à la côte, les huiles, les vins, les blés, et autres denrées.

VII. A mon tour, dit alors Luciénus, d’ouvrir la barrière, et de lancer mes chevaux. Et je ne prends pas seulement pour texte les coursiers mâles dont, comme Atticus, je ne veux comme étalon qu’un pour dix juments; je vais aussi parler des cavales, que le vaillant Q. Modius Équiculus n’estimait pas moins pour la guerre. Veut-on former des troupeaux de chevaux et de cavales, tels qu’on en voit dans le Péloponnèse et dans l’Apulie? Avant tout il faut s’assurer de l’âge des individus, qui, dit-on, ne doit pas être au-dessous de trois ans ni au- dessus de dix. C’est aux dents qu’on reconnaît l’âge du cheval, ainsi que de tout animal qui a le pied fendu, et même celui des bêtes à cornes. A deux ans et demi le cheval commence à perdre les quatre dents du milieu, deux d’en haut, et deux d’en bas. En entrant dans sa quatrième année, il lui tombe encore, à chaque mâchoire, les deux voisines de celles, qu’il a déjà perdues; et les grosses dents appelées molaires commencent alors à pousser. Quand il atteint sa cinquième année, il en perd encore deux autres de même manière. Il en repousse en place, qui, creuses d’abord, commencent à se remplir dans la sixième aunée; de sorte qu’à sept ans le cheval a son râtelier complet. A partir de cette époque, il n’y a plus de signe certain de son âge; seulement lorsque la bête a les dents saillantes hors de la bouche, les sourcils blancs, et que ses salières se creusent au-dessous des sourcils, on suppose qu’elle a seize ans. Il faut aux cavales une taille moyenne, c’est-à-dire ni grande ni petite; la croupe et les flancs larges. L’étalon, au contraire, doit être choisi de haute taille, d’une belle structure, et toutes ses proportions doivent être en harmonie. Un poulain promet de devenir beau cheval, s’il a la tête petite, les membres bien attachés, les yeux noirs, les naseaux ouverts, les oreilles bien plantées, le cou large et souple, la crinière fournie, brune, frisée, d’un crin soyeux, et qui retombe du côté droit; le poitrail plein et développé, les épaules fortes, le ventre effacé, les reins serrés par le bas, le dos large, l’épine double, et le moins possible en saillie la queue ample et légèrement frisée, les jambes droites, égales et plutôt longues; les genoux arrondis, étroits et surtout point cagneux; la corne dure, et le corps parsemé de petites veines qui s’aperçoivent au travers de la peau; circonstance qui rend son traitement beaucoup plus facile en cas de maladie. L’origine du cheval est un point de la dernière importance, car il y a des races sans nombre. Les plus estimées prennent le nom des contrées dont elles sont originaires; ainsi on dit en Grèce la race thessalienne ou de Thessalie, et chez nous les races apulienne, roséanienne, d’Apulie, de Roséa.

Un bon augure dans un jeune cheval, c’est lorsqu’en paissant avec les autres, il se montre empressé à disputer la supériorité à la course ou dans toute autre circonstance; ou bien encore lorsqu’en traversant un fleuve il devance tous les autres à la tête du troupeau, sans regarder derrière lui. L’achat des chevaux se fait à peu près de la même manière que celui des bœufs et des ânes; et la propriété en change de mains, à peu près dans les formes qu’on trouve consignées dans le livre de Manilius. Il n’y a pas de meilleure nourriture pour les chevaux que l’herbe dans les prés, le foin sec à l’écurie. Lorsqu’une cavale a pouliné, il faut ajouter de l’orge à sa provende, et la faire boire deux fois par jour. Quant à la propagation, l’époque de la monte est de l’équinoxe du printemps au solstice, afin que les juments puissent mettre bas en temps propice pour le poulain, qui vient au monde le dixième jour du douzième mois après l’accouplement. Les chevaux qui proviennent d’une conception postérieure à l’époque marquée sont en général défectueux, et plus ou moins impropres à l’usage qu’on se propose d’en faire. Ainsi, dès que le printemps sera venu, le peroriga devra présenter l’étalon à la jument deux fois par jour. Ou appelle peroriga celui qui est chargé de faire accomplir aux chevaux l’acte générateur. Sa présence est nécessaire pour tenir les cavales à l’attache, afin qu’elles soient saillies plus promptement, et que l’étalon ne perde point sa semence par excès d’ardeur. Quand les juments se défendent de l’approche du mâle, c’est un avertissement qu’elles ont été suffisamment saillies. Si l’étalon montre quelque répugnance pour la jument, on frotte les parties naturelles de cette dernière, au moment de ses pertes annuelles, avec de la moelle d’oignon marin pilée dans l’eau jusqu’à ce qu’elle ait acquis la densité du miel; puis on les fera flairer à l’étalon. Je citerai à ce propos un fait incroyable, mais qui n’en est pas moins réel. Un étalon se refusait obstinément à saillir sa mère. Le peroriga s’avisa de lui couvrir la tête, le ramena en cet état auprès d’elle, et l’accouplement eut lieu. Mais on n’eut pas plutôt enlevé le bandeau qui cachait les yeux de l’animal, qu’il se jeta sur le peroriga, et le déchira à belles dents. Quand les cavales sont pleines, il faut les ménager au travail, et ne pas les exposer au froid, ce qui leur serait fatal pendant la gestation. Par ce motif, il faut préserver de toute humidité le sol de leurs écuries, et tenir closes portes et fenêtres. On adaptera aussi de longues barres aux mangeoires pour séparer les cavales, et les empêcher de se battre entre elles. Pendant tout le temps de leur portée, il ne faut pas qu’elles soient poussées de nourriture, ni qu’elles souffrent de la faim. Il y a des personnes qui ne font saillir les cavales que de deux années l’une: les mères, disent-ils, s’en conservent plus longtemps, et les poulains en sont plus forts. Suivant eux, il en est des cavales comme des terres qu’on ne laisse pas reposer: cette production continue les épuise. Les poulains de dix jours vont paître avec leur mère. Évitez qu’ils stationnent dans l’étable, dont le fumier brûle leurs sabots délicats. A cinq mois, on leur donne, chaque fois qu’ils rentrent à l’écurie, de la farine d’orge avec du son, ou toute autre production végétale de leur goût. A l’âge d’un an, on leur donne de l’orge en nature et du son, jusqu’à ce qu’ils ne tètent plus; ce n’est qu’après deux ans révolus qu’on les sèvre. De temps à autre il faut les flatter de la main pendant qu’ils sont avec la mère, afin que plus tard ils ne s’effarouchent pas d’être touchés. Par le même motif, on suspend des mords dans leurs écuries, pour qu’ils s’accoutument, dès le jeune âge à en supporter la vue et à en entendre le cliquetis. Lorsque les poulains auront pris l’habitude d’approcher quand on leur tend la main, il faudra de temps à autre leur mettre sur le dos un enfant, qui d’abord s’y couche à plat ventre, et ensuite s’y tient assis. Pour ce manège, il faut que le cheval ait trois ans. C’est l’âge où sa croissance est faite et où il commence à avoir des muscles. Il en est qui prétendent qu’un cheval peut être dressé à un an et demi; mais le plus sûr est d’attendre qu’il ait trois ans: à partir de ce moment, on lui donne du fourrage composé de céréales de toute espèce coupées en vert; ce qui est pour l’animal une purgation très salutaire. Il faut pendant dix jours le mettre à ce régime pour toute nourriture. Le onzième jour on lui donnera de l’orge, dont on augmentera graduellement la mesure jusqu’au quatorzième. La ration de ce jour servira de base pour les dix suivants. Il faut lui faire prendre ensuite un exercice modéré, le frotter d’huile quand il sera en sueur, et, si le temps est froid, allumer du feu dans l’écurie. Parmi les jeunes chevaux, les uns sont plus propres pour la guerre et les autres pour les transports, ceux-ci pour la monte et ceux-là pour la course, ou à la voiture. Il s’ensuit qu’il faut varier entre eux les soins de l’éducation. L’homme de guerre choisit et dresse les chevaux suivant des conditions tout autres que l’écuyer ou le conducteur des chars du cirque. On comprendra également que le cheval qu’on destine au transport à dos doit être dressé d’autre façon que le cheval de selle ou de trait. On veut sur le champ de bataille un coursier plein de feu. Pour faire route, on préfère un cheval paisible. C’est afin de répondre à cette diversité de vues que l’on a imaginé de châtrer les chevaux. Privé de ses testicules, et conséquemment de liqueur séminale, l’animal devient plus maniable. On appelle canterii les chevaux châtrés, de même que maïales les porcs, et capi les coqs rendus, par cette opération, impropres à la propagation de l’espèce. Quant à la médecine des chevaux, la multitude des maladies et la diversité des symptômes en rendent la science très compliquée; et il est indispensable que le chef d’un haras en ait les différentes prescriptions couchées par écrit. C’est ce qui nous explique pourquoi les Grecs appellent ἱππίατροι (médecins des chevaux) ceux qui traitent les maladies du bétail en général.

VIII. Pendant ce discours, un affranchi de Ménate vint nous avertir, de la part de son maître, que les liba étaient achevés, et que tout était prêt pour le sacrifice: ceux qui voudraient y prendre part n’avaient donc qu’à venir. Quant à moi, m’écriai-je, je ne vous laisse point partir que vous ne m’ayez donné le troisième acte dans lequel figurent les mulets, les chiens et les pâtres. En ce qui touche les mulets, dit Murrius, il y a peu à dire. Les mulets et les bardeaux sont des bâtards engendrés de deux espèces différentes, et entés pour ainsi dire sur une souche hétérogène, puisque le mulet provient d’une cavale et d’un âne, et que le bardeau est le produit d’un cheval et d’une ânesse. Tous deux sont de bon usage, mais nuls pour la propagation. On fait nourrir un ânon nouveau-né par une jument; il en devient plus fort, car le lait de jument est meilleur que celui d’ânesse, et, dit-on, que tout autre lait. Plus tard on lui donne pour nourriture de la paille. La nourrice, non plus, ne doit pas être négligée; car il faut qu’elle allaite concurremment son propre poulain. L’âne, élevé de cette manière jusqu’à l’âge de trois ans, peut être employé à saillir les cavales, et ne les dédaignera point, habitué qu’il est de vivre toujours au milieu d’elles. L’employer plus jeune serait le faire vieillir plus tôt; et il ne donnerait que de faibles produits. Au défaut d’ânes élevés par des cavales, on choisit, pour étalon, le plus grand et le plus fort qu’on peut trouver. Il faut surtout qu’il soit de bonne race, de celle d’Arcadie, par exemple, si l’on s’en rapporte aux anciens, ou, suivant notre propre expérience, de celle de Réate, où l’on vient les chercher de trois cents et même de quatre cents milles de distance. On achète les ânes absolument comme les chevaux. Ce sont les mêmes stipulations et les mêmes garanties. On les nourrit principalement d’orge et de foin, dont on augmente la mesure quelque temps avant la monte, pour leur donner plus de vigueur. Quant à l’époque où le peroriga devra donner les ânes aux juments, elle est absolument la même pour les étalons des deux espèces. Le mulet ou la mule, produit de l’accouplement, devra être élevé avec soin. Les mulets nés en pays humides et marécageux ont la corne du pied molle; mais quand on a soin de leur faire passer l’été sur les montagnes, comme c’est la coutume dans le Réate, elle acquiert un degré de dureté sans pareille. L’âge et la forme sont à considérer, pour qui veut former un troupeau de mulets. L’âge, afin qu’ils soient de force à porter une charge; la forme, afin que l’œil trouve plaisir à les contempler. Un couple de mulets attelés peut tirer toute espèce de voiture. Homme de Réate, continua Murrius en s’adressant à moi, je pourrais donner mon opinion comme autorité sur cette matière; mais vous avez eu vous-même des troupeaux de cavales dans vos domaines, et vous vous êtes fait un revenu des mulets que vous en avez tiré. Le bardeau (hinnus) est le produit d’un cheval et d’une ânesse il est moins grand et plus roux que le mulet, ressemble au cheval par les oreilles, et à l’âne par la crinière et la queue. Il est, comme le cheval, un an dans le ventre de sa mère; et c’est aussi aux dents qu’on reconnaÏt son âge.

IX. Maintenant, dit Atticus, Il ne nous reste plus à parler que des chiens, race intéressante, pour nous autres surtout qui élevons des animaux à laine. Le chien est le gardien du bétail en général; mais il est le défenseur naturel des brebis et des chèvres. Le loup est là sans cesse qui les guette, et nous lui opposons les chiens. Quant aux animaux portant soie, verrats, porcs châtrés et truies, ils tiennent du sanglier, dont la dent est si meurtrière à nos chiens dans les chasses, et ont tous de quoi se défendre. Que dirai-je? Un loup ayant un jour paru au milieu d’un troupeau de mulets au pâturage, ceux-ci aussitôt, par un mouvement instinctif, formèrent un cercle autour de lui, et le tuèrent à coup de pieds. Quant aux taureaux, ils se serrent croupe contre croupe, présentant au loup les cornes de tous côtés. Pour en revenir à mon sujet, il y a deux espèces de chiens: d’abord les chiens de chasse qui sont dressés pour la bête fauve et le gibier, et les chiens de garde qui sont de la dépendance du berger. Je me borne à traiter de ces derniers, en suivant les neuf divisions méthodiques que vous avez indiquées pour le régime général des bestiaux. Il faut d’abord choisir des chiens d’âge convenable. Trop jeunes ou trop vieux, loin de défendre les brebis, ils ne peuvent se défendre eux-mêmes, et deviennent la proie des animaux féroces. Quant à l’extérieur, prenez-les de belle forme, de grande taille, avec les yeux noirs ou roux, les narines de même couleur, les lèvres rouges en tirant sur le noir, ni trop retroussées, ni trop pendantes. On examinera encore s’ils ont les mâchoires allongées et garnies de quatre dents, deux en bas, et deux en haut; celles d’en bas saillantes en dehors de la gueule; celles d’en haut droites, perpendiculaires, moins apparentes, mais également aiguës, et recouvertes en parties par les lèvres. Il est essentiel encore que les chiens aient la tête forte, les oreilles longues et souples, le cou gros et bien attaché, les jointures des ergots écartées les unes des autres, les cuisses droites, et tournées plus en dedans qu’en dehors; les pattes larges et le pas bruyant, les doigts écartés, les ongles durs et recourbés, la plante du pied molle, et pour ainsi dire dilatable comme du levain, et non pas dure comme de la corne; le corps effilé au point de jonction des cuisses, l’épine du dos ni saillante ni convexe, la queue épaisse, la voix sonore, la gueule bien fendue, et le poil blanc de préférence, afin qu’on puisse facilement les distinguer des bêtes fauves dans l’obscurité de la nuit. On veut aux chiennes de grosses tettes de dimension égale. La race des chiens est encore une chose à considérer. Il y a celle de Laconie, celle d’Épire, celle de Salente, ainsi désignées des pays d’où elles tirent leur origine. Voulez-vous acheter des chiens, ne vous adressez ni aux bouchers ni aux chasseurs de profession. Les chiens de boucher ne sont point dressés à suivre le bétail; et les chiens de chasse laissent là les brebis pour courir après le premier lièvre ou cerf qui vient à passer. Les meilleurs chiens sont ceux qu’on achète à des bergers, et qui sont déjà dressés à suivre les troupeaux, ou ceux dont l’éducation n’est point encore faite. Le chien prend facilement toute habitude qu’on veut lui donner, et s’attache plus au berger qu’au troupeau. P. Aufidius Pontianus d’Amiternum avait acheté des troupeaux de brebis au fond de l’Ombrie. Les chiens étalent compris dans le marché, et les bergers devaient accompagner les troupeaux jusqu’à la foire d’Héraclée et aux bois de Métaponte. En conséquence, arrivés au lieu convenu, mes gens retournèrent chez eux sans les chiens. Mais, peu de jours après, ceux-ci, regrettant sans doute leurs anciens maîtres, vinrent d’eux-mêmes les rejoindre en Ombrie, à plusieurs journées de distance et, sans s’être nourris autrement que de ce qu’ils trouvèrent dans les champs. Notez bien qu’aucun de ces bergers sans doute n’avait fait usage de la recette recommandée par le livre de Saserna. Pour se faire suivre d’un chien, on n’a qu’à lui donner une grenouille cuite dans l’eau. Il importe d’avoir ses chiens tous de même race; car cette espèce d’amitié fait qu’ils se soutiennent. Quant à l’achat, qui est le quatrième dans l’ordre des considérations, même forme de transmission de la propriété; et mêmes stipulations de garantie, en cas de répétition ou de maladie de l’animal, pour les chiens que pour tout autre bétail, sauf les exceptions qui peuvent être utiles. Quelques-uns fixent le prix à tant par tête; d’autres introduisent la condition que les petits suivront leur mère; d’autres enfin stipulent que deux petits ne comptent que pour un adulte, de même que deux agneaux pour une brebis. En général on comprend dans le marché tous les chiens qui ont coutume d’être ensemble. La nourriture du chien a plus de rapport avec la nourriture de l’homme qu’avec celle de la brebis, puisqu’on lui donne des os et des restes de table, et non des herbes ou des feuilles. Il faut avoir grand soin de lui donner à manger; autrement la faim lui fait déserter le troupeau et chercher sa vie ailleurs. Parfois aussi, poussé par le besoin, il pourrait démentir l’ancien proverbe, et commenter la fable d’Actéon, en tournant ses dents contre son maître. On fera bien de leur donner du pain d’orge détrempé dans du lait; une fois habitués à cette nourriture, ils ne s’éloignent pas facilement. Quand il meurt une brebis, gardez-vous de leur en laisser manger la chair, de peur qu’ils n’y prennent goût, et ne veuillent plus s’en passer ensuite. On donne du bouillon fait avec des os, ou les os eux-mêmes, après les avoir cassés. Ils se fortifient les dents à ronger; et l’avidité avec laquelle ils cherchent la moelle leur élargit la gueule, en donnant du jeu à leurs mâchoires. Habituez-les de bonne heure à prendre leur repas de jour dans les lieux mêmes où paît le troupeau, et celui du soir dans l’étable. Quant à la propagation de l’espèce, on fait couvrir les chiennes aux premiers jours du printemps. C’est l’époque où elles sont en chaleur (catuliunt). Une chienne, fécondée alors, met bas vers le solstice; car cette espèce porte ordinairement trois mois. Il faut dans l’intervalle la nourrir de pain d’orge de préférence à celui de froment, parce qu’il est plus nourrissant et donne plus de lait. Quant aux petits, Il faut tout d’abord choisir dans une portée ceux qu’on veut élever, et jeter les autres. Plus on en ôte à la mère, plus ceux qui restent deviennent forts, le lait étant moins partagé. On leur fait un lit de paille, ou de quelque substance analogue; car, mollement couchés, ils profitent mieux. Les petits chiens commencent à voir clair au bout de vingt jours. On les laisse avec leur mère pendant les deux premiers mois, et peu à peu ils s’en déshabituent d’eux-mêmes. On dresse les chiens en en réunissant plusieurs qu’on excite à se battre ensemble : cet exercice les dégourdit. Mais il ne faut pas le pousser au point de les fatiguer et de les affaiblir. Pour les accoutumer à l’attache, on commence par un lien léger, en les battant chaque fois qu’ils font mine de le ronger, jusqu’à ce qu’ils en perdent l’habitude. Quand il pleut, on garnit leur loge d’herbes et de feuillage, afin de les tenir propres et de les préserver du froid. Quelques-uns croient, en les châtrant, leur ôter l’envie de s’éloigner du troupeau. D’autres s’abstiennent de cette opération, qui, selon eux, les énerve. Il en est encore qui leur frottent les oreilles et l’entre-deux des ergots avec des amandes pilées dans de l’eau, pour les garantir des mouches, des tiques et des puces, dont la piqûre engendre des ulcères dans ces parties. On empêche les chiens d’être blessés par les bêtes féroces, au moyen d’une espèce de collier qu’on appelle mellum; c’est une large zone de cuir bien épais, qui leur entoure le cou. On a soin de la hérisser de clous à tête, de la garnir, en dessous, d’un autre cuir plus douillet, qui recouvre la tête de ces clous, et empêche le fer d’entamer la peau du chien. Du moment qu’une bête féroce, loup ou autre, a senti les clous qui garnissent le collier, tous les chiens du troupeau, avec ou sans collier, sont à l’abri de ses attaques. Le nombre des chiens doit être en raison de la force du troupeau. D’ordinaire on en compte un par berger; mais cette proportion peut varier dans certains cas. Si, par exemple, les bêtes féroces abondent dans le pays, il faut multiplier les chiens. C’est une nécessité quand l’on conduit un troupeau à quelque lointaine station d’hiver on d’été, et qu’on a des forêts à traverser; à un troupeau sédentaire un couple de chiens suffit. Il est bon que ce soit mâle et femelle : ils en sont plus attachés, et, par émulation, plus hardis. D’ailleurs, si l’un des deux est malade, le troupeau ne chôme pas. Ici Atticus regarda autour de lui, comme pour dire: Ai-je oublié quelque chose? Voilà un silence, m’écriai-je, qui appelle en scène un autre interlocuteur.

X. En effet, l’acte ne sera fini que lorsqu’on nous aura instruit de tout ce qui concerne le personnel des pâtres; proportions numériques et conditions individuelles. Cossinius dit alors : Pour le gros bétail il faut des hommes faits; pour le menu, des enfants suffisent. Mais il faut plus de force physique chez les pâtres nomades, qui passent leur vie par voie et par chemin, que chez ceux qui paissent leurs troupeaux dans les environs d’une ferme et rentrent chaque soir au logis. Aussi ne voit-on remplir cet office au milieu des bois que par des hommes dans la vigueur de l’âge, et bien armés; tandis que pour le pacage sédentaire, il ne faut qu’un petit garçon, de même qu’une petite fille, pour tout surveillant. Dans les pâturages éloignés les bergers doivent pendant le jour réunir et faire paître en commun leurs troupeaux, et pendant la nuit rester séparément chacun auprès du sien. Ils seront tous placés sous les ordres d’un seul intendant, de plus d’âge et d’expérience que ses subalternes; car on obéit assez volontiers à plus vieux et plus instruit que soi. Il ne faut pas cependant qu’il soit vieux au point de moins supporter les fatigues de sa condition; car les vieillards non plus que les enfants ne sont propres à franchir des sentiers difficiles, et à gravir des montagnes à pied; fatigues auxquelles sont journellement exposés ceux qui mènent paître au loin le gros bétail, notamment les troupeaux de chèvres, qui se plaisent sur les rochers ou dans les forêts montagneuses. Il faut donc se procurer des pâtres robustes, alertes et agiles, pourvus de membres bien dispos, et capables non seulement de suivre les troupeaux, mais encore de les défendre contre les bêtes féroces et les brigands; des hommes en état de soulever les fardeaux pour charger les bêtes de somme, de courir si le cas l’exige, et de lancer des traits. Tout peuple n’est pas apte indifféremment aux fonctions de pâtres; un Basculien, un Turdulien ne saurait s’en tirer. Les Gaulois y sont éminemment propres, surtout s’il s’agit du service des bêtes de somme. En ce qui concerne l’acquisition, il y a six manières d’obtenir la propriété d’un pâtre: 1° par droit d’hérédité; 2° par voie de mancipation, c’est-à-dire en les recevant d’une personne qui est en condition légale d’en transmettre la possession; 3° par cession, opérée, où, et à qui de droit; 4° par investiture d’usucapion; 5° par adjudication. Le pécule du pâtre passe ordinairement à l’acheteur par droit d’accession, à moins qu’on ne s’en réserve la propriété par les termes de la vente : il y a aussi la garantie habituelle liée à sa santé et au fait qu’il n’a commis ni vol ni causé de tort à son maître qui est responsable, et sauf si l’acquisition se fait par mancipation, l’accord est lié à l’obligation d’une double indemnité ou du prix seul, selon l’accord convenu.

Les pâtres doivent prendre leurs repas séparément pendant la journée, chacun avec son troupeau, mais ils se retrouvent en commun lors du souper sous la supervision de l’intendant. C’est le travail de l’intendant de veiller à ce que chaque chose soit pourvue pour le troupeau ou les pâtres, principalement la nourriture pour les pâtres et les soins pour le troupeau : le maître peut fournir pour cela des bêtes de charge ou des chevaux qui peuvent porter sur leur dos.

En ce qui concerne la nourriture des bergers, elle est facile, du moins pour ceux qui restent tout le temps à la ferme car ils ont une servante comme épouse, Vénus Pastoralis n’en demande pas plus. Certains disent que fournir des femmes est un expédient pour ceux qui font pâturer les troupeaux dans le saltus, les forêts et n’ont pas de maison mais trouvent leur abri de leur pluie sous des remises improvisées ; que de telles femmes suivant les troupeaux et faisant le repas des pâtres donnent meilleure satisfaction et tiennent les pâtres plus attachés à leur devoir. Mais elles doivent être aussi fortes que les hommes et tout aussi capables de travailler, comme elles le sont dans de nombreux endroits ; on en voit en Illyrie, où les femmes nourrissent les troupeaux, transporter du bois pour le feu, faire les repas ou veiller sur les outils de la maison dans leurs remises.

En ce qui concerne l’éducation de leurs enfants, il suffira de dire que ces femmes sont à la fois mères et nourrices.

A ce moment, Cossinius me regarda et dit : Je t’ai entendu dire, quand tu étais en Liburnie, que tu avais vu de fortes femmes avec des enfants amenant le bois de chauffe et en même temps portant un enfant en nourrice, voire même deux, faisant ainsi honte aux femmes de notre classe, qui se couchent pour une piqûre de moustique ou quand elles sont enceintes.

« C’est exact, répondis-je, et le contraste est encore plus frappant en Illyrie, où il arrive souvent qu’une femme enceinte, près de l’accouchement, quitte un moment son travail et revienne avec un nouveau-né que l’on croirait qu’elle a trouvé plutôt qu’enfanté. »

En outre, la coutume de ce pays permet aux filles de 20 ans, appelés vierges, d’aller et venir sans protection et de se donner à qui bon leur semble en ayant des enfants avant le mariage.

En ce qui concerne la santé de l’homme et de l’animal sans la présence d’un docteur, résuma Cossinius, l’intendant du troupeau doit avoir des règles écrites, de fait l’intendant doit avoir une certaine éducation, autrement il ne gardera jamais son troupeau correctement.

Quant au nombre de bergers, certains comptent juste, d’autres large. J’ai un berger pour 80 moutons de longue laine : Atticus en a un pour cent. On peut réduire ce nombre d’hommes pour les troupeaux importants (mille têtes et plus) plutôt que les petits troupeaux comme celui d’Atticus et le mien, car j’ai sept cents moutons et Atticus, en a, je crois, huit cents, bien que nous ayons tous deux un bélier pour dix femelles. Deux hommes sont nécessaires pour s’occuper d’un troupeau de cinquante juments: et chacun d’eux doit avoir une jument de monte dans ces lieux où la coutume est de les emmener en pâturage, aussi souvent qu’en Apulie et en Lucanie.

XI. Maintenant que nous avons tenu parole, partons, dit Cossinius.

« Pas avant d’avoir ajouté quelque chose comme promis m’écriai-je, au sujet des profits supplémentaires que l’on peut tirer du bétail; c’est-à-dire le lait, le fromage et la tonte de la laine. »

Cossinius résuma : « Le lait de brebis, et après lui, le lait de chèvre, est le plus nourrissant de toutes les boisons. » Comme purgatif, le lait de jument est le meilleur, et après lui, dans l’ordre, celui de l’ânesse, de la vache et de la chèvre, mais la qualité dépend de la nourriture fournie au bétail, de sa condition et de sa traite.

Pour la nourriture du bétail, le lait provenant de l’orge est nourrissant comme d’autres sortes de nourritures sèches et dures. Pour ses qualités purgatives, le lait est bon quand il provient de pâturages verts, tout spécialement d’herbes contenant des plantes, qui, par elles-mêmes, ont un effet purgatif sur le corps humain.

Pour la condition du bétail, le lait d’un troupeau est meilleur quand le troupeau est en bonne santé et encore jeune.

Pour la traite, le lait est meilleur quand il n’est ni pris pendant trop longtemps, ni en provenance d’une vache ayant mis bas récemment.

Le fromage fait avec le lait de vaches est très agréable au goût mais difficile à digérer : vient ensuite, celui fait avec le lait de brebis, tandis que le moins agréable au goût mais le plus digeste est celui fait avec du lait de chèvres.

Il y a aussi une distinction entre les fromages quand il est doux et nouveau ou sec et vieux, car il est plus nourrissant doux et l’opposé est vrai quand il est sec.

La coutume est de faire du fromage à l’élévation des Pléiades, au printemps jusqu’à son élévation en été, cependant la règle n’est pas drastique à cause des différences de lieux et de la qualité du fourrage.

La pratique consiste à ajouter une quantité de ferment, de la taille d’une olive, à deux conges de lait pour le faire cailler. Le ferment pris dans les estomacs de lièvre est meilleur que celui pris dans l’agneau, mais certains utilisent comme ferment le jus d’un figuier mélangé à du vinaigre, et parfois assaisonné d’autres légumes. Dans certains endroits de la Grèce, cela s’appelle ὄπον, ailleurs δάκρυον.

« Je veux bien croire, dis-je, que le figuier planté à côté du temple de la déesse Rumina le fut par des bergers dans le but que tu indiques, car là, il est de coutume de faire des libations de lait plutôt que de vin ou de sacrifier des cochons de lait. L’homme utilisait le mot rumis ou ruma quand nous disons aujourd’hui mamma, ce qui veut dire mamelle: de là l’appellation pour les agneaux de lait de subrumi tout comme nous appelons les cochons de lait lactantes du mot lac, puisqu’ils sucent la mamelle d’où provient le lait.

Cossinius résuma : « Si vous saupoudrez votre fromage avec du sel, mieux vaut utiliser du sel minéral que du sel marin.

En ce qui concerne la tonte des moutons, la première chose dont il faut s’assurer avant de commencer est que les moutons n’ont ni croûtes ni plaies, auquel cas il vaut mieux différer la tonte après leur guérison.

L’époque de la tonte est l’espace de temps compris entre l’équinoxe du printemps et le solstice, c’est-à-dire lorsque les brebis commencent à transpirer. C’est ce qui fait qu’on nomme la laine nouvellement coupée sucida (laine avec le suint). Immédiatement après la tonte on frotte les brebis d’un mélange de vin et d’huile. Quelques-uns ajoutent de la cire blanche et du saindoux. Si on les couvre de peaux, il faut, avant de les envelopper, enduire l’intérieur de la même substance. Quand on blesse une brebis en la tondant, on applique à la plaie un emplâtre de poix fondue. Ici on tond les brebis à grosse laine au temps où se fait la moisson de l’orge, ailleurs, c’est avant la fenaison. A l’exemple des habitants de l’Espagne citérieure, quelques personnes tondent leurs brebis deux fois par an, de six mois en six mois. Elles se donnent double tâche dans l’espoir d’obtenir plus de laine; de même qu’on fauche deux fois les prairies, pour en tirer plus de foin. Les gens soigneux étendent sous les brebis de petites nattes, pour qu’aucun flocon ne se perde. Il faut pour la tonte un temps serein, et le moment le plus favorable est de la quatrième heure à la dixième; car la grande chaleur, qui met en sueur les brebis, donne à la laine plus de poids, de moelleux, et d’éclat. La laine fraîchement coupée s’appelle vellus ou velumen (ce qui s’arrache); d’où l’on voit clairement que la coutume d’arracher la laine a précédé celle de la tondre. Ceux qui procèdent encore suivant l’ancienne méthode font jeuner les brebis trois jours à l’avance, parce que l’animal étant affaibli, la laine cède plus facilement à la main. On dit que les premiers barbiers sont venus de Cilicie vers la 454e année de la fondation de Rome (c’est ce qui résulte du nom de l’inscription d’Ardée); et qu’ils ont été introduits en Italie par P. Licinius Ména. La prolixité de la chevelure et de la barbe, dans les statues antiques, témoigne encore d’un temps où l’on ne coupait ni l’une ni l’autre. Si la brebis, reprit Cossinius, nous fournit la laine dont nous nous habillons, le poil de la chèvre s’emploie diversement pour la marine, la construction des machines de guerre, et les procédés de l’industrie. Certains peuples se couvrent le corps de la peau même des brebis, comme les Gétules et les Sardes. Cet usage paraît même avoir existé chez les Grecs d’autrefois, comme on le voit par la dénomination de διφθερίας, donnée dans leurs tragédies à certains vieillards, et sur notre théâtre, aux personnages d’habitudes rustiques; pour témoins, le jeune homme dans l’Hypobolimée de Cécilius, et le père dans l’Heautontimorumenos de Térence. La tonte des chèvres est en usage en Phrygie, où l’espèce à longs poils est commune. C’est de cette contrée que nous viennent les tissus de poil que nous appelons cilices, ainsi nommés parce que c’est en Cilicie qu’a commencé l’habitude de tondre les chèvres. Ainsi parla Cossinius, sans trouver de contradicteurs. En ce moment vint à nous un affranchi de Vitulus, sortant des jardins de ville de son patron. Mon maître, nous dit-il, m’envoie vous prier de moins entamer son jour de fête, et de venir le trouver le plus tôt possible. Nous acceptâmes l’invitation, mon cher Niger, Turranius, Scrofa et moi, nous allâmes rejoindre Vitulus dans ses jardins. Le reste de la société s’en retourna les uns chez eux, les autres chez Ménas.