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POLYEN.

 

RUSES DE GUERRE

 

LIVRE QUATRIÈME.

 livre 3      livre 5

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

LIVRE QUATRIÈME. — CHAP. Ier. — Argée— CHAP. II. — Philippe. — CHAP. III. — Alexandre — CHAP. IV. — Antipater — CHAP. V. — Parménion — CHAP. VI. — Antigone — CHAP. VII. — Démétrius — CHAP. VIII. — Eumène — CHAP. IX. — Séleucus — CHAP. X. — Perdicas — CHAP. XI. — Cassandre — CHAP. XII. — Lysimachus — CHAP. XIII. — Cratère — CHAP. XIV. — Polysperchon — CHAP. XV. — An-tiochus, fils de Séleucus — CHAP. XVI. — Antiochus, fils d’Antiochus — CHAP. XVII. — Antiochus Hiérax ou l’Epervier — CHAP. XVIII. — Philippe, fils de Démétrius— CHAP: XIX. — Ptolémée — CHAP. XX. — Attale — CHAP. XXI. — Persée.

LIVRE QUATRIÈME.

CHAPITRE I.

ARGEE.

Argée était roi de Macédoine, et Galaure l'était des Taulantiens. Les Taulantiens firent la guerre aux Macédoniens dans un temps qu'Argée n'avait que peu de troupes. Il ordonna aux filles des Macédoniens, quand les ennemis feraient avancer leur phalange, de descendre de la montagne Erébée et de se faire voir aux ennemis. À l'approche des Taulantiens, ces filles descendirent de la montagne, branlant les thyrses, au lieu des dards, et le visage ombragé des couronnes qu'elles avaient sur la tête. Gaulaure, frappé d'étonnement, et prenant de loin cette troupe pouf des hommes, donna le signal de la retraite. Les Taulantiens prirent la fuite, jetèrent leurs armes, et laissèrent leur bagage. Argée ayant eu la victoire sans combat, bâtit un temple et le dédia à Bacchus trompeur; et les filles que les Macédoniens appelaient auparavant Ctodones (d’un nom formé pour exprimer le bruit qu'elles faisaient dans les orgies de Bacchus), il ordonna qu'on les appelât Mimallones (comme qui dirait imitatrices), parce qu'elles avaient imité les hommes.

CHAPITRE II.

PHILIPPE.

Philippe, informé qu'il y avait à l'armée un Tarentin, homme de grande considération, qui se servait du bain chaud, lui ôta le commandement qu'il lui avait confié, et lui dit : « Il me semble que tu ignores les usages des Macédoniens, parmi lesquels une femme même qui vient d'accoucher, ne se lave pas avec de l'eau chaude. »

II. Philippe, campé devant les Athéniens à Chéronée, jugea à propos de leur céder, et plia devant eux. Stratoclès, général des Athéniens, s'écria : « Il ne faut point cesser de les poursuivre, jusqu'à ce que nous les ayons enfermés dans la Macédoine. » Et en effet, il les poursuivit avec ardeur; Philippe dit : « Les Athéniens ne savent pas vaincre. » En lâchant toujours pied, il fit serrer sa phalange, et la tint à couvert sous les armes, jusqu'à ce qu'étant parvenu dans un poste avantageux, il encouragea la multitude, et faisant demi-tour, il attaqua si vivement les Athéniens, qu'il remporta la victoire.

III. Pendant que Philippe faisait la guerre aux Thébains, il fût informé que deux de ses chefs avaient fait venir d'un lieu public, dans le camp, une chanteuse. Il les chassa tous deux des limites de son royaume.

IV. Philippe avait des ambassadeurs dans une ville ennemie de Thrace. Les habitants convoquèrent l’assemblée et ordonnèrent aux ambassadeurs de parler. Pendant qu'on était attentif à les écouter, Philippe surprit les habitants qui ne s'y attendaient point, et ayant attaqué la ville, s'en rendit maître.

V. Philippe demanda trêve aux Illyriens ses ennemis, afin de pouvoir retirer ses morts. Ils la lui accordèrent, et comme on enlevait les derniers, il donna le signal, et fondit sur les ennemis, dans le temps qu'ils ne s'y attendaient point.

VI. Philippe et Ménégète, maîtres d'exercices, luttaient ensemble dans un lieu destiné à ces sortes d'occupations. Les soldats qui l'environnaient se mirent à crier pour lui demander leur prêt. Philippe n'avait point alors de finances. Il s'avança tout trempé de sueur, et s'étant frotté de poussière, il leur montra un visage riant, et leur dit : « Camarades, c'est pour cela que je m'exerce, afin d'en être plus disposé à battre les Barbares, dont la défaite me mettra en état de récompenser vos services. » En disant cela, il se mit à battre des mains, et courant à travers ses soldats, il alla se précipiter dans le bain. Les Macédoniens se mirent à rire, et le roi demeura si longtemps à se jouer dans l'eau avec Ménégète, et à se faire jeter par lui de l'eau au visage, que les soldats, las de l'attendre, se retirèrent l'un après l'autre. Philippe parlait souvent depuis de cette ruse, quand le vin le mettait en gaîté, et se savait bon gré d'avoir éludé l'importunité des demandes par cet artifice.

VII. Lorsque Philippe était à Chéronée, il fit réflexion que les soldats des Athéniens avaient beaucoup d'ardeur et fort peu d'expérience; au lieu que les troupes macédoniennes étaient endurcies au travail, et exercées de longue main. Il différa le plus qu'il put de combattre, et ce délai ayant amorti le feu des Athéniens, il les vainquit plus facilement.

VIII. Philippe faisait la guerre dans le pays d'Amphisse. Les Athéniens et les Thébains s'étaient emparés de certains passages étroits, et il lui était impossible de faire avancer ses troupes. Pour donner le change aux ennemis, il écrivit à Antipater, en Macédoine, qu'il remettait à un autre temps la guerre d'Amphisse, et qu'il fallait se hâter d'aller en Thrace, parce qu'il avait appris qu'il y avait quelque mouvement. Le courrier traversant ces lieux étroits, fut pris par les généraux Charès et Proxène. Ils ouvrirent la lettre, la lurent, et ayant été trompés, ils abandonnèrent la garde de ces lieux. Philippe les trouvant libres, passa en toute sûreté, vainquit les généraux qui s'étaient avisés de revenir sur leurs pas, et se rendit maître d'Amphisse.

IX. Philippe vint à bout de beaucoup plus de choses par la négociation et par les discours, que par la force des armes. Il s'en savait beaucoup plus de gré, et avec raison ; car les avantages qui dépendaient des combats, il les devait en partie à ses troupes, au lieu qu'il ne partageait avec personne l'honneur de la persuasion.

X. Philippe exerçait ses troupes pour le péril, en les obligeant de marcher l’espace de trois cents stades, armés de toutes pièces, et leur faisait porter tout à la fois le casque, les boucliers, les bottines, les longues lances, les vivres et les ustensiles qui servent chaque jour,

XI. Philippe étant arrivé à Larisse, voulut détruire les maisons des Aleuades. Pour en venir à bout, il feignit d'être malade, dans le dessein de les faire arrêter lorsqu'ils viendraient le voir. Boësque leur découvrit l'embûche, et par ce moyen la ruse n'eut point d'effet.

XII. Philippe, étant allé en Illyrie, demanda à ceux de Sarnous de pouvoir leur parler dans une assemblée publique, Ils lui accordèrent l'entrevue, et s'assemblèrent pour l'entendre. Philippe ordonna à ses soldats de prendre chacun un lien sous l'aisselle. Il étendit la main somme pour haranguer. C'était le signal qu'il avait donné à ses soldats. Dans le moment ils lièrent tous les habitants de Sarnous qui étaient à l'assemblée, au nombre de plus de dix mille, et les menèrent en Macédoine.

XIII. Philippe poursuivi par les Thraces, ordonna à ceux de la queue, dans le moment que la trompette donnerait le signal de la fuite, de tenir ferme et à tous les autres de fuir. De cette manière il trouva moyen d'arrêter les ennemis, en leur opposant de la résistance, et de sauver ses troupes en leur procurant la commodité de gagner pays.

XIV. Les Béotiens gardaient les passages les plus difficiles de leurs frontières, et entre autres la gorge étroite d'une montagne. Philippe ne les y attaqua point, mais il porta le feu dans le plat pays, et ravagea les vil-les. Les Béotiens ne purent souffrir de voir leurs villes si maltraitées, et descendirent de la montagne. C'était ce que Philippe souhaitait, et alors il fit passer son armée par la montagne que les ennemis avaient abandonnée.

XV. Philippe présenta l'escalade aux murs de Méthone, et, fit monter un grand nombre de ses Macédoniens pour prendre la ville. Quand il les vit sur les murs, il fit ôter les échelles, afin que ces gens n'ayant plus d'espérance de descendre, eussent plus d'ardeur à se rendre maîtres des murs et de la place.

XVI. Philippe fit irruption dans le pays d'Argile, couvert de bois et montagneux. Les Barbares s'étaient cachés dans des forêts et des taillis. Philippe lâcha après une grande quantité de chiens de chasse, qui les découvrirent, et la plupart de ces gens furent pris de cette manière.

XVII. Les Athéniens demandaient Amphipolis à Philippe, qui était alors en guerre contre les Illyriens. Il ne rendit pas cette ville aux Athéniens, mais il la laissa libre. Les Athéniens en furent contents. Mais quand Philippe eut dompté les Illyriens, se trouvant alors avec de plus grandes forces, il se rendit maître de nouveau d'Amphipolis, et ne s'embarrassa pas de donner aux Athéniens cette marque de mépris.

XVIII. Philippe assiégeait Phalcidoine, ville de Thessalie. Les habitants livrèrent leur ville, et Philippe y envoya ses troupes soudoyées. Elles donnèrent dans une embuscade qui leur avait été dressée par ceux de la ville qui, montés sur les toits et sur les tours, jetaient de tous côtés et pierres et dards. Philippe voyant cette embuscade, y remédia promptement. Il observa que la partie de la ville qui était derrière, était fort tranquille, parce que tous les habitants s'étaient rendus au lieu de l'embuscade. Il la fit escalader; et quand les Phalcidoniens virent ses soldats sur le mur, ils cessèrent de tirer sur les soudoyés, pour combattre ceux qui s'étaient emparés du mur. Mais avant que l'on en fût venu aux mains les Macédoniens étaient déjà maîtres de la ville.

XIX. Philippe voulant se rendre maître de la Thessalie, ne fit point la guerre ouvertement aux Thessaliens. Mais il profita des divisions qui étaient entre ceux de Péline et de Pharsale, et entre ceux de Phérès et de Larisae, qui se faisaient la guerre, car tout le pays, partagé en factions, prenait parti pour les uns ou pour les autres. Philippe donnait secours à ceux qui lui en demandaient; et lorsqu'il avait vaincu, il ne détruisait point ceux qui avaient eu du désavantage, il ne les désarmait point, il ne rasait point leurs murailles; en un mot, il nourrissait plutôt les divisions qu'il ne les apaisait ; il protégeait les plus faibles, et détruisait les plus puissants; il était aimé des peuples et en favorisait les orateurs. Ce fut par ces artifices, et non par les armes, que Philippe se rendit maître de la Thessalie.

XX. Philippe n'ayant pu venir à bout de prendre Garés, ville très forte, après avoir tenu le siège devant, un assez long espace de temps, prit la résolution de se retirer. Pour le faire sûrement et sauver ses machines, il attendit une nuit fort obscure, et commanda à ceux qui avaient la conduite des machines, de les démonter, mais en faisant le même bruit que l'on fait en les dressant. Ceux de la ville entendant ce bruit, barricadèrent leurs portes en dedans, et préparèrent des machines pour opposer à celles des ennemis. Pendant qu'ils étaient occupés de cette sorte, Philippe disparut la même nuit avec toutes ses machines.

XXI. Philippe assiégeait Byzance, où ceux de la ville avaient à leur secours un grand nombre d'alliés. Pour induire ces alliés à quitter les Byzantins, Philippe fit passer dans la ville des transfuges, qui dirent que Philippe assiégeait leurs villes ; qu'il y avait envoyé d'autres troupes, et qu'il était près de s'en rendre maître. Et pour rendre ces nouvelles encore plus croyables, Philippe faisait publiquement des détachements qu'il envoyait de côté et d'autre, plus pour faire mine d'entreprendre, que pour rien entreprendre en effet. Les alliés entendant et voyant tout cela, quittèrent Byzance, et s'en allèrent chacun en son pays.

XXII. Philippe s'étant rendu maître des pays d'Abdère et des Maronites, s’en retournait avec une flotte assez nombreuse et une armée de terre. Charès était en embuscade avec vingt galères; du côté de Néapolis. Philippe choisit parmi les siennes les quatre meilleures, qu'il remplit des rameurs les plus vigoureux et les plus habiles qu'il eût sur toute sa flotte, et leur ordonna de gagner les devants, et de couler le long de Néapolis, assez près de terre. Comme ils voguaient, Charès crut qu'il lui serait aisé d'enlever ces quatre galères, et se mit à les suivre avec ses vingt. Mais les quatre étaient légères, et remplies d'excellents rameurs ; elles eurent bientôt pris le large ; et pendant que Charès leur donnait la chasse en bon ordre, Philippe lui déroba la connaissance de sa marche, passa sans risque devant Néapolis, et Charès ne put prendre les quatre galères.

CHAPITRE III.

ALEXANDRE.

Alexandre, dans le dessein d'attirer tout le monde à lui, en marquant une bienveillance extraordinaire, avait résolu, au lieu des termes usités d'hommes, de gens, de personnes, de mortels, ou comme la langue grecque s'exprime : Brotoi, Andrès, Photès, Meropès et Anthropoi, d'appeler tous les hommes Alexandres.

II. Alexandre faisant la guerre, ordonna aux généraux de faire raser la barbe aux Macédoniens, afin d'ôter cette prise aux ennemis.

III. Alexandre étant au siège de Tyr, et voulant faire une grande digue pour aller de plain pied aux murs de cette ville, fut le premier à prendre le panier, à. le remplir de terre et le porter. Les Macédoniens voyant leur roi mettre lui-même la main à l'œuvre, quittèrent aussitôt leurs manteaux, et se hâtèrent de hausser le terrain.

IV. Pendant qu'Alexandre était au siège de Tyr, il mena un détachement du côté de l'Arabie. Les Tyriens, animés par son absence, méprisèrent les troupes demeurées au siège, et faisant des sorties, ils remportèrent plusieurs avantages. Parmenion rappela Alexandre, qui revint en diligence. A son retour, voyant les Macédoniens maltraités et en désordre, il les laissa sans secours, et alla droit contre la ville qui se trouvait alors dégarnie d'hommes, et la prit d'assaut. Les Tyriens voyant leur ville prise, se donnèrent aux Macédoniens, et leur livrèrent leurs armes.

V. Sur le point de donner bataille à Darius, Alexandre donna cet ordre aux Macédoniens : «Quand vous serez tout auprès des Perses, mettez-vous à genoux, et foulez la terre avec les mains, et dans le moment que la trompette sonnera la charge, levez-vous et fondez sur les ennemis vigoureusement. » Les Macédoniens le firent, et les Perses les voyant dans cette posture d'adoration, ralentirent leur impétuosité, et leur cœur s'amollit. Darius, à ce même objet, conçut de grandes espérances, et montra un visage gai, comme s'il eût déjà remporté la victoire sans combattre. Mais au son de la trompette, les Macédoniens se levèrent, donnèrent impétueusement sur les Perses, les rompirent et les mirent en fuite.

VI. Dans le dernier combat qu'Alexandre donna à Darius, à Arbelles, un grand détachement des Perses; ayant tourné l'armée des Macédoniens, donna sur leur bagage et le pilla. Parmenion conseillait à Alexandre de porter du secours au bagage : « Non, dit Alexandre, il ne faut point séparer notre phalange, il faut combattre les ennemis de pied ferme. Si nous sommes vaincus nous n'aurons pas besoin de bagage, et si nous devenons les vainqueurs, nous aurons le nôtre et celui des ennemis. »

VII. Quand Alexandre se fut rendu maître de l'Asie, les Macédoniens devinrent insolents et importuns, et voulaient tout emporter de lui par force. Ne pouvant plus les souffrir, il leur ordonna de se mettre à part, et fit ranger les perses d'un autre côté. Voyant ainsi les uns et les autres séparés, il dît: « Macédoniens, choisissez qui vous voudrez d'entre vous pour vous commander, et moi je me mettrai à la tête des Perses. Après cela, si vous remportez la victoire, je ferai tout ce que vous m'ordonnerez. Mais si vous êtes vaincus, vous saurez par expérience que vous ne pouvez rien sans moi, et vous vous tiendrez en repos. » Ce trait de hardiesse étonna les Macédoniens, qui devinrent plus modérés.

VIII. Dans le premier combat qu'Alexandre donna contre les Perses, voyant les Macédoniens lâcher pied, il courut à cheval devant eux, et leur cria : « Encore un effort, Macédoniens, donnons encore une seule fois. » Il fut obéi, les Macédoniens poussèrent vivement, et les Barbares furent mis en fuite. Ce seul mouvement décida pour lors de la victoire.

IX. Alexandre étant dans l'Inde, avait le fleuve Hydaspe à traverser. Porus, roi des Indes, avait son armée rangée en bataille de l'autre côté du fleuve, et rendait le trajet difficile à Alexandre. Car si celui-ci tentait le passage en haut, Porus se trouvait en haut, s'il l'essayait en bas, Porus se trouvait encore en bas. Cela se fit plusieurs fois et plusieurs jours de suite, et les Barbares s'étaient accoutumés à se railler de la timidité de leurs ennemis, en sorte qu'ils ne prenaient d'autre peine que d'imiter leurs mouvements, et du reste se tenaient fort en repos, parce qu'ils s'imaginaient qu'après avoir inutilement et tant de fois essayé dépasser, ils n'auraient plus la hardiesse de l'entreprendre. Mais enfin Alexandre courant avec rapidité vers le bord du fleuve, monta sur ce qu'il put rassembler de bateaux, de radeaux, et d'outres de cuir remplis de foin, et passa le fleuve maigre les Indiens, qu'il trompa heureusement pour lui, par cette résolution à laquelle ils ne s'attendaient pas.

X. Quand Alexandre faisait la conquête des Indes, ses soldats chargés des dépouilles de la Perse, dont ils avaient tiré des richesses infinies, qu'ils faisaient traîner sur des chariots, n'estimaient pas qu'il fût nécessaire de combattre les Indiens, puisqu'ils étaient maîtres d'un butin si précieux Alexandre fit mettre le feu aux chariots de la couronne, et ensuite à tous les autres. Par ce moyen les Macédoniens rendus plus légers, et se voyant dans la nécessité d'acquérir de nouvelles richesses, se trouvèrent plus disposés à continuer de faire la guerre avec ardeur.

XI. Alexandre, informé que les Thraces avaient dessein de lâcher contre les Macédoniens un grand nombre de chariots, donna ordre à ses troupes de les éviter le plus que l'on pourrait; mais si l'on s'en trouvait surpris quelque part, de se jeter à terre, et se couvrir du bouclier, afin que les chariots passassent par dessus, sans blesser le soldat. L'exécution de cet ordre rendit inutile, dans l'expérience, le grand préparatif des Thraces.

XII. Alexandre, dans le dessein de s'emparer de Thèbes, cacha une partie de ses troupes, et en donna la conduite à Antipater. Avec ce qui lui en restait, il alla attaquer à découvert les lieux les plus forts du pays, et les Thébains lui résistèrent avec assez de courage. Pendant qu'il en était aux mains, Antipater se levant de-Tëmbus7cade avec ses troupes, et ayant fait un grand circuit, attaqua Thèbes par les endroits les plus faibles et les moins gardés, et se rendit maître de la ville. Aussitôt qu'il fut dedans, il éleva le signal. A cette vue Alexandre s'écria : « Thèbes est à nous. » Les Thébains qui se battaient courageusement, s'étant tournés, virent que leur ville était prise. Il ne leur resta plus d'autre parti à choisir, que celui de la fuite.

XIII. Afin d'empêcher que les soldats ne prissent la fuite, Alexandre ne leur fit donner que des demi-cuirasses, qui leur mettaient la poitrine à couvert, et leur laissaient le dos désarmé. Par ce moyen ils avaient de quoi résister en face aux ennemis, en demeurant fermes ; et s'ils tournaient le dos, ils n'avaient rien qui pût les garantir. Il arriva de là que personne ne prit la fuite, et que tous demeurant à leur poste, remportèrent la victoire.

XIV. Quand Alexandre avait appris des devins que l'inspection des victimes promettait un bonheur certain, il faisait porter ces victimes partout le camp, pour les montrer aux soldats, afin que le témoignage de leurs yeux se joignît à ce qu'ils avaient déjà entendu, et qu'ils se sentissent animés de confiance dans les dangers qui se présentaient.

XV. Alexandre ayant passé en Asie, ordonna à ses troupes, qu'en faisant le dégât, elles épargnassent les terres de Memnon, général des Perses. Il vint à bout, par ce moyen, de le rendre suspect.

XVI. Comme Alexandre traversait le Granique, il avait en face les Perses postés en des lieux avantageux. Menant ses troupes à travers le fleuve, il les arrangea de telle sorte qu'il trouva moyen de déborder les ennemis, et poussant contre eux sa phalange, il les mit en fuite.

XVII. Alexandre campé à Arbelles, fut averti que Darius avait fait semer des chausse-trapes entre les deux camps. Alexandre s'était mis à la tête de l'aile droite. Il commanda qu'elle marchât à droite après lui. Par ce moyen il évita les chausse-trapes qu'il avait en face. Darius, de son côté, marchant à gauche, sépara sa cavalerie, et Alexandre donna dans cette ouverture. A la gauche Parménion eut soin pareillement d'éviter les chausse-trapes ; et l'un et l'autre, c'est-à-dire, Alexandre et lui, contraignirent les ennemis à prendre la fuite.

XVIII. Alexandre ayant passé le Tigre, et voyant que les Perses mettaient le feu partout dans leur propre pays, envoya des troupes leur donner la chasse, afin de les sauver malgré eux, et que le pays ne fût point endommagé.

XIX. Alexandre étant en Hyrcanie, fut informé que les Macédoniens et les Grecs parlaient mal de lui. Là dessus ayant assemblé ses amis, il leur dit qu'il avait dessein d'écrire en Macédoine, pour y faire savoir qu'il serait de retour en trois ans. Il invita ses amis à écrire aussi chez eux. Tous écrivirent. Les courriers, après trois postes, furent rappelés par Alexandre, qui ouvrit tous les paquets, et apprit par là ce que chacun pensait de lui.

XX. Alexandre avait assiégé dans l'Inde un lieu très fort. La peur contraignit les Indiens à parlementer, et Alexandre leur donna sûreté pour s'en aller avec leurs armes. Ils allèrent de là sur une autre hauteur, s'y postèrent, et y mirent des gardes. Alexandre alla les investir avec son armée. Les Indiens crièrent à l'injustice et lui opposèrent la parole qu'il leur avait donnée. Alexandre répondit : « Il est vrai que je vous ai donné sûreté pour vous retirer d'où vous étiez : mais je n’avais pas promis de cesser de vous poursuivre.

XXI. Alexandre, informé que Pittacus, neveu de Porus, était en embuscade dans un chemin, le long d'une vallée assez longue, mais qui n'avait que quatre stades de largeur, et une issue fort étroite, après avoir bien observé la nature du lieu, fit deux phalanges de sa cavalerie, commanda de faire route à gauche, et que chacun suivît son chef en cet ordre, jusqu'à ce qu'on eût les ennemis à droite; et alors que la demi-phalange de la droite fît route à droite, et le reste toujours à gauche, jusqu'à ce qu'il se trouvât de front avec la queue de la demi-phalange qui aurait marché à droite. Ayant donné ces ordres, il fit avancer sa double phalange en équerre ; et quand ceux de la gauche virent les derniers rangs de ceux de la droite, ils s'avancèrent contre les ennemis, en poussant des cris de guerre, et ceux de l'aile droite tournant à gauche, fondirent pareillement sur les Indiens. Ceux-ci craignant d'être enfermés, se hâtèrent de gagner l'issue étroite; et dans ce tumulte les uns furent défaits par les Macédoniens ; les autres, et en plus grand nombre, se foulèrent aux pieds les uns les autres, et se détruisirent eux-mêmes,

XXII. Dans la bataille qu'Alexandre donna à Partis, il plaça une partie de la cavalerie à la tête de l'aile droite, et le reste en ligne courbe, mit à l'aile gauche la phalange avec les éléphants, en donnant encore à cette aile la forme de ligne courbe. Porus opposa de son côté un grand nombre d'éléphants, se plaça à la gauche sur le sien, suivi sur la même ligne jusqu'à l'aile droite de ses autres éléphants, posés en distance de cinquante pieds seulement les uns; des autres, et les intervalles étaient garnis d'infanterie ; de manière que le tout ressemblait à un grand mur, dont les éléphants représentaient les tours,: et l'infanterie faisait, la courtine. Alexandre ayant donné ordre à son infanterie de pousser contre les ennemis, s'avança vivement à droite avec la cavalerie, dans le dessein de déborder, les Indiens. Porus prit garde à ce mouvement, et donna des ordres pareils. Mais la lenteur des éléphants fut cause qu'il se fit quantité d'ouvertures dans les rangs, par où les Macédoniens firent irruption. Porus fut obligé de se retourner pour leur faire face. Dans ce moment Alexandre, avec sa cavalerie, ayant gagné le derrière des Indiens, les attaqua en queue, leur donna la chasse, et remporta une victoire complète.

XXIII. Les Thessaliens étaient postés sur les hauteurs de Tempé, pour s'opposer au passage d'Alexandre. Il fit creuser les rochers d'Ossa, posés presqu'à pied droit ; et ayant fait faire des pas en forme de marches, il s'en servit pour monter jusque sur le sommet, et se rendit maître de la Thessalie, pendant que les Thessaliens étaient encore à garder les passages de Tempe. Ceux qui passent en ce lieu peuvent encore, y voir les vestiges de ce travail, que l'on appelle l'Échelle d'Alexandre.

XXIV. Le trône d'Alexandre n'avait rien que de modeste et de populaire, tant qu'il fut parmi les Macédoniens et les Grecs : mais quand il se vit parmi les Barbares, il porta la magnificence à l'excès, pour leur imprimer de la terreur par un appareil éclatant. Lors donc qu'il rendait justice, et donnait audience en public dans la Bactriane, l'Hyrcanie, et l'Inde, voici comme était disposée sa tente. Son étendue était d'une grandeur à contenir cent lits. Elle était soutenue de cinquante colonnes d'or, et ombragée de dais, où brillaient l'or et les ornements les plus précieux. Au dedans de la tente, tout autour, il y avait premièrement cinquante Perses vêtus d'habits de couleur de pourpre et orangé ; ensuite autant d'archers, les uns vêtus d'habits, couleur de feu, les autres, d'étoffe bleue, les autres, de jaune. Au devant étaient cinquante Macédoniens, de la plus grande taille, qui portaient des boucliers d'argent. Vers le milieu de la tente était le trône, tout d'or, sur lequel Alexandre prononçait ses oracles ; et lorsqu'il donnait audience, ses gardes faisaient Un grand cercle autour de lui. Au dehors de la tente étaient postés les éléphants avec mille Macédoniens vêtus à la mode de leur pays. Après ceux-là étaient cinq cents Susiens vêtus de pourpre ; et tout. cela était terminé d'un grand cercle composé de dix mille Perses des plus beaux et des plus grands qu'on avait pu trouver, tous ajustés à la manière de .leur pays, et armés de cimeterres. Tel était l'appareil du trône d'Alexandre parmi les Barbares.

XXV. Alexandre faisant route par un pays aride, souffrait beaucoup de la soif, et son armée n'en souffrait pas moins que lui. Ceux qu'il avait envoyés à la découverte, trouvèrent un peu d'eau dans le creux d'un rocher, et lui en apportèrent dans un casque. Alexandre la fit voir à ses troupes, pour les animer à supporter patiemment la soif, dont le remède était proche ; et au lieu de boire, pour étancher la sienne, il répandit cette eau à terre en présence de tout le monde. Les Macédoniens, à la vue de cette admirable modération de leur roi, firent de grandes acclamations; et méprisant alors la soif, lui dirent qu'il pouvait les conduire où bon lui semblerait, et qu'ils le suivraient partout avec persévérance.

XXVI. Alexandre se hâtait d'aller contre Darius vers les bords du Tigre. Une terreur panique se répandit tout d'un coup dans son armée, à commencer depuis l'arrière-garde jusqu'aux premiers rangs. Alexandre ordonna aux trompettes de donner un signal d'assurance, et aux premiers rangs de son infanterie, de poser les armes à terre à leurs pieds, et de dire à ceux qui étaient derrière eux d'en faire autant. Tous, de suite, firent la même chose, et cela servit à découvrir l'origine du faux bruit. La vaine terreur fut dissipée ; les soldats reprirent leurs armes, et continuèrent leur marche.

XXVII. Quand Alexandre eut vaincu Darius dans la plaine d'Arbelles, Phrasaorte, proche parent de Darius, à la tête d'un corps considérable de Perses, gardait le pas de Suses, appelé les portes de Suses. Ce sont des montagnes escarpées, dont les entrées sont fort étroites. Les Barbares, postés avantageusement dans ces lieux, repoussaient les Macédoniens en les accablant de pierres à coups de frondes, et les perçant de traits. Alexandre fut contraint de faire reculer ses troupes ; et ayant pris du terrain à trente stades de là, il les mit à couvert derrière de bons retranchements. Un oracle d'Apollon lui avait promis qu'un étranger, nommé Lycus, serait son conducteur dans l'expédition contre les Perses. Un bouvier, vêtu de peaux, se présenta devant Alexandre, et lui dit qu'il était Lycien. Il ajouta que dans cette enceinte de montagnes il y avait une route couverte par l'épaisseur des bois, et qu'il était le seul qui en eût connaissance, pour l'avoir fréquentée en menant ses bœufs à la pâture. Alexandre se rappelant l'oracle d'Apollon, ajouta foi au bouvier. Il commanda à la plus grande partie de son armée de demeurer dans le camp, et d'y allumer beaucoup de feux, pour amuser les Perses par cet objet. Mais en secret il laissa ordre à Philotas et Ephestion, quand ils verraient les Macédoniens sur les hauteurs, de donner par en bas sur les ennemis. Pour lui, prenant ses gardes, avec une phalange de soldats bien armés de toutes pièces, et tout ce qu'il avait d'archers Scythes, il s'avança quatre-vingts stades dans le petit sentier ; et s'étant mis à couvert dans l'épaisseur de la forêt, pour y prendre haleine, enfin à minuit, il tourna les ennemis, et les surprit comme ils dormaient encore. A la pointe du jour les trompettes sonnèrent la charge de dessus les montagnes. Alors Ephestion et Philotas, sortant des retranchements avec les Macédoniens, attaquèrent les Perses, qui se trouvèrent ainsi environnés d'ennemis d'en haut et d'en bas, et furent, les uns tués, les autres précipités, et les autres faits prisonniers.

XXVIII. Pendant les chaleurs de l'été, Alexandre faisait marcher son armée le long d'une rivière, en présence des ennemis. Il voyait que les soldats altérés, regardaient l'eau avec avidité; mais il craignit que s'ils s'arrêtaient à boire, ils ne se missent en désordre, et retardassent sa marche. Il ordonna au héraut de dire: « Retirons-nous du fleuve ; l'eau en est vénéneuse. » L'armée se hâta de s'éloigner de ces bords dangereux. Quand Alexandre eut fait sa marche, il campa; et lui, aussi bien que ses généraux, buvaient publiquement de cette eau. Les soldats n'eurent pas de peine à deviner pour quelle raison ils avaient été trompés. Ils tournèrent la chose en raillerie, et se désaltérèrent sans crainte avec les eaux de ce fleuve;

XXIX. Alexandre voulait pénétrer dans la Sogdiane. Tout le pays est rude et inaccessible, et traversé d'un rocher sur lequel il n'y avait que les oiseaux qui pussent monter ; et tout autour il y avait des bois si épais, que le peu de sentiers que l'on y trouvait, en étaient rendus tout à fait impraticables. Ariomazès s'était saisi de la roche, et la gardait avec un nombre de Sogdiens bien armés. Il ne manquait là ni d'eau ni de vivres, dont il avait fait un grand amas; Alexandre étant monté à cheval pour observer la nature des lieux, fit le tour de la roche ; et après avoir tout remarqué, choisit trois cents jeunes hommes exercés à grimper sur les lieux les plus escarpés et leur commanda de monter sans armes par derrière la roche à couvert des bois et des halliers, de se traîner comme ils pourraient, et de se guinder les uns les autres avec des cordes ; et quand ils seraient arrivés au sommet, de défaire leurs ceintures blanches, les attacher au bout de longues perches, de les élever par dessus la cime des arbres et leur donner du mouvement, afin de les faire voir, tant aux Barbares qui étaient en haut, qu'aux Macédoniens qui étaient en bas. Les jeunes gens grimpèrent sur la roche avec beaucoup de peine, et au moment que le soleil se levait, ils mirent en mouvement leurs ceintures blanches. Les Macédoniens à cette vue, jetèrent de grands cris. Ariomazès, frappé d'étonnement, s'imagina que toute l'armée était montée et qu'il allait être pris. Admirant la force plus qu'humaine et la fortune d'Alexandre, il se rendit à lui, et lui livra la roche.

XXX. Alexandre ayant rencontré dans le Cathai, qui est une partie des Indes, des gens qui s'étaient défendus en désespérés, fit passer au fil de l'épée jusqu'aux enfants, et renversa de fond en comble leur ville appelée Sangala. A cette occasion le bruit se répandit parmi les Indiens, qu'Alexandre faisait la guerre d'une manière barbare et cruelle. Gomme cette mauvaise réputation était contre ses intérêts, il prit à tâche de la détruire par des faits opposés. Il se rendit maître d'une autre ville de l'Inde par composition, et en ayant pris des otages il se présenta devant une troisième ville grande et peuplée, et mit à la tête de sa phalange les otages de la seconde; vieillards, femmes et enfants. Les as sièges reconnaissant leurs voisins, et apprenant d'eux les bons traitements et la douceur d'Alexandre, lui ouvrirent leurs portes, et le reçurent en postures de suppliants. Aussitôt la nouvelle s'en répandit de toutes parts et les Indiens se sentirent portés par ce moyen à se soumettre volontairement:

XXXI. Alexandre trouva que le pays des Cosséens était rude et plein de montagnes hautes et de difficile accès, et gardées par de bonnes troupes. Il ne voyait point d'apparence de pouvoir s'en rendre maître. Sur ces entrefaites on lui vint dire qu'Ephestion était mort à Babylone. Il ordonna un deuil général, et se hâta d'aller rendre les devoirs de la sépulture à Ephestion. Les Cosséens avertis par leurs gardes avancées qu'Alexandre se retirait, commencèrent aussi à déloger. Alexandre envoya la nuit sa cavalerie se saisir de l'entrée des montagnes, que les ennemis avaient laissée sans gardés, et s'étant détourné de la route de Babylone il vint joindre sa cavalerie ; et paraissant tout d'un coup à sa tête, il se rendit maître du pays des Cosséens. On dit que cet avantage servit à le consoler de la perte d'Ephestion.

XXXII. Alexandre étant dans le palais des rois de Perse y fut servi suivant ce qui était réglé pour le dîner et le souper du roi. Le tout était gravé sur une colonne de cuivre; là même où se lisaient les autres lois de Cyrus. En voici le contenu :
De fine fleur de farine de froment, quatre cents artabes. L'artabe des Mèdes est le médimne ou boisseau attique.
De la seconde farine, après la fine fleuri trois cents artabes;
Et autant de la troisième farine.
En tout, pour le souper mille artabes de farine de froment.
De fine fleur de farine d'orge, deux cents artabes.
Delà seconde farine, quatre cents artabes.
Et autant de la troisième.
En tout mille artabes de farine d'orge.
De gruau, deux cents artabes;
De coulis de fariné, dix artabes.
De cresson haché et criblé.
De tisane, dix artabes.
De sénevé, le tiers d'une artabe.
Quatre cents moutons.
Cent bœufs; Trente chevaux.
Quatre cents oies grasses.
Trois cents tourterelles.
Six cents petits oiseaux de toutes espèces;
Cent jeunes albrans.
Trois cents agneaux.
Trente chèvres.
Du lait doux du jour, dix mâris. Le mâris fait dix mesures attiques, appelées cherès, ou gobelets;
Du petit lait adouci, dix mâris.
D'ail, le poids d'un talent.
D'oignons âcres ; le poids d'un demi talent.
De mercuriale, une artabe.
De suc de silphium, deux mines.
De cumin, une artabe.
De silphium, le poids d'un talent.
De moût sucré de pommes adouci, le quart d'une artabe.
De cire de cumin, le quart d'une artabe.
De staphis, le poids de trois talents.
De fleurs de carthame, le poids de trois mines.
De graine de nielle, le tiers d'une artabe.
De graine d'arum, ou pied de veau, deux capetis, ou chôenix.
De sésame, dix artabes.
De raisiné doux, cinq mâris.
De raves confites et de radix; accommodés au sel, cinq mâris.
De câpes confites au sel, dont on fait des farces de haut goût, appelées abyrtaques, cinq mâris.
De sel, dix artabes.
De cumin d'Éthiopie, six capétis. Le capétis est le choenix attique,
D'anis sec, le poids de trente mines,
De graine d'ache, quatre capétis.
D'huile de sésame, dix mâris.
D'huile tirée du lait, cinq mâris.
D'huile de erminthe; cinq mâris.
D'huile d'acanthe, autant.
D'huile d'amandes douces, trois mâris.
D'amandes douces sèches, trois artabes.
Cinq cents mâris de vin.
Quand le roi se trouve en Babylone ou à Suses, la moitié du vin qui se boit est tirée du palmier, et l'autre moitié de la vigne.
De gros bois, deux cents charretées.
Et de menu, cent.
De miel ferme, cent masses carrées, chacune du poids de dix mines.
Quand le roi est dans la Médie, voici ce que l'on donne:
Trois artabes de graine de carthame.
Safran, le poids de deux mines.
Tout cela pour le souper et le dîner.
Outre cela il est consommé de fine fleur de farine de froment, cinq cents artabes.
De fine fleur de farine d'orge, mille artabes.
Et autant de la seconde farine.
Et cinq cents artabes de la plus grosse farine de froment.
Cinq cents maris de gruau.
Pour les bêtes de charge et chevaux de maîtres, vingt mille mesures d'orge.
Dix mille chariots chargés de paille, et cinq mille de foin.
D'huile de sésame, deux cents maris.
De vinaigre, cent mâris.
De cresson haché menu, trente artabes.
Voilà tout ce qu'on donne aux troupes ; et c'est la dépense que fait le roi chaque jour, soit pour sa bouche, à son dîner et à son souper, soit pour ce qu'il fait distribuer aux autres.
Les Macédoniens, à la lecture de ce grand et splendide appareil de table, admiraient la félicité des rois de Perse ; mais Alexandre s'en moqua comme d'une occupation pénible et fâcheuse, et commanda qu'on ôtât la colonne où ces choses étaient écrites. Il dit à ce sujet à ses amis : « Il ne convient pas que les rois apprennent à vivre ainsi dans la mollesse, et souper si délicieusement. Il faut de nécessité que les plaisirs affaiblissent le courage. Aussi savez-vous par expérience que ceux qui faisaient de tels soupers, ont été facilement vaincus dans les combats, »

CHAPITRE IV.

ANTIPATER.

Antipater, faisant la guerre dans le pays des Tétrachorites, commanda qu'on mît le feu au fourrage des chevaux qui se trouvait ramassé autour de sa tente. Aussitôt que le feu eut été allumé, les trompettes donnèrent le signal, et les Macédoniens se rendirent autour de la tente royale, le dard haut. Les Tétrachorites voyant ce mouvement, prirent l'épouvante, et abandonnèrent le lieu, dont Antipater se rendit ainsi maître sans combat.

II. Antipater voulait passer le fleuve Sperquie, et en était empêché par la cavalerie des Thessaliens. Il ramena ses troupes dans le camp qu'il venait de quitter : mais il ordonna aux Macédoniens de demeurer sous les armes, et de ne point délier le bagage. La cavalerie thessalienne, de son côté, se retira dans Lamis, et chacun s'en alla souper chez soi. Antipater les ayant ainsi trompés, passa le fleuve avec ses troupes, avant que les Thessaliens fussent en état de s'y opposer de nouveau, et attaquant à l'improviste Lamis, s'en rendit le maître.

III. Antipater se trouvant en Thessalie, voulut faire accroire aux ennemis qu'il avait une cavalerie fort nombreuse. Il rassembla un grand nombre d'ânes et de mulets, les arrangea en escadrons, fit monter dessus des gens armés en cavaliers, et à la tête de chaque escadron, il ordonna que le premier rang fût de véritables chevaux. Les ennemis voyant ces premiers rangs, se persuadèrent que tout le reste était de même, prirent l'épouvante, et se mirent en fuite. Agésilas s'est servi d'une ruse pareille en Macédoine contre Erope ; et Eumène l'a mise en pratique en Asie contre Antigone.

CHAPITRE V.

PARMÉNION.

Après la bataille d'Issus, Parménion fut renvoyé à Damas par Alexandre, pour en faire amener le bagage des Perses. Il fut obligé d'en venir aux mains avec les goujats; ce qui fit peur aux Barbares, et les obligea à prendre la fuite. C'était eux qui faisaient le transport, et Parménion vit bien que leur retraite le rendrait impossible. Pour sauver tant de richesses, il envoya trois escadrons de cavalerie après les Barbares, avec ordre de leur dire, qu'on ferait mourir quiconque refuserait de mettre la main à la conduite de ses propres bêtes de charge. Cette publication les intimida tous; ils revinrent prendre leurs bêtes de charge, et firent le transport ordonné.

CHAPITRE VI.

ANTIGONE.

Antigone se rendit maître de Corinthe par cette ruse. Alexandre, au pouvoir de qui était la citadelle de Corinthe, mourut et laissa veuve sa femme Nicée assez avancée en âge. Antigone la demanda en mariage pour son fils Démétrius. Nicée accepta avec joie pour époux un jeune roi. On fit un sacrifice magnifique ; on indiqua une assemblée générale des Grecs. Amebée devait y jouer de la lyre; chacun s'empressait pourvoir le spectacle; et les gardes conduisaient en cérémonie Nicée, portée sur un brancard royal. Elle faisait voir dans ses manières mêlées de mollesse et de hauteur les dispositions de son âme. Mais comme elle entrait au théâtre, Antigone laissant là le joueur de lyre et la noce, surprit la citadelle que les gardes avaient abandonnée pour courir au spectacle. Il n'y trouva aucune résistance, et s'en empara aussi bien que tout le reste de Corinthe, par le moyen de ce faux mariage.

II. Lorsque Antigone recevait des ambassadeurs, il avait soin de marquer sur ses mémoires quels étaient les ambassadeurs qu'on lui avait envoyés, quels étaient leurs compagnons, et quelles affaires on avait traitées. Dans les négociations il savait rappeler tout cela exactement, et spécifiait chaque chose dans un grand détail, en sorte que les ambassadeurs étaient surpris de lui trouver une mémoire si vaste et si présente.

III. Antigone assiégeant Mégare, fit avancer des éléphants. Les Mégariens prirent des pourceaux, et les ayant frottés de poix liquide, y mirent le feu, et les poussèrent hors de la ville. Les pourceaux, dévorés des flammes, et grognant d'une manière épouvantable, allèrent donner au milieu des éléphants, qui, entrant en fureur, se mirent à fuir de côté et d'autre. A cette occasion Antigone ordonna aux Indiens de nourrir désormais des pourceaux avec les éléphants, pour, éviter que la vue et les cris des pourceaux; ne produisissent une autre fois le même désordre.

IV. Antipater était sur le point d'être lapidé par les Macédoniens. Voici comme Antigone le sauva. L’armée était séparée en deux par un fleuve rapide sur lequel il y avait un pont. Antigone avait ses tentes d'un côté, et de l'autre était Antipater, avec le reste de l'armée et quelques cavaliers dont il était sûr. La partie de l'armée qu'il commandait, lui demandait sa solde avec de grands cris, et menaçait de l'accabler de pierres s'il ne la payait à l'instant. Antipater était sans finances, et dans l'impossibilité de satisfaire les mutins. Antigone lui manda : « J'aurai soin de te faire évader. » Il part aussitôt, couvert de toutes ses armes, court au pont, le traverse, et s'insinuant dans le milieu des phalanges, il s'approchait des uns et des autres comme s'il eût eu dessein de haranguer. Les Macédoniens s'ouvrirent volontiers pour faire place à l'un de leurs chefs de la plus grande distinction, et tous le suivirent, pour entendre ce qu'il avait à dire. Quand Antigone se vit entouré de la multitude, il fit un long discours pour excuser Antipater ; il promit, il consola, il tâcha de concilier les esprits. Pendant qu'il amusait les auditeurs par un discours qui ne finissait point, Antipater, suivi des cavaliers qui lui étaient fidèles, fila par le pont, et évita de cette sorte d'être lapidé par ses soldats.

V. Antigone, le premier (de ce nom), quand il se voyait à la tête d’une armée plus forte, que celle des ennemis, faisait, la guerre plus mollement et avec une espèce de négligence ; mais, quand il se trouvait le plus faible, il affrontait les dangers avec un courage intrépide, persuadé qu'il est plus avantageux de mourir généreusement, que d'être redevable de la conservation de sa vie à une lâche timidité.

VI. Ce même Antigone avait ses quartiers d'hiver en Cappadoce. Trois mille piétons Macédoniens, armés de toutes pièces, désertaient, et s'étant saisis de quelques hauteurs très fortes, ravagèrent la Lycaonie et la Phrygie. Antigone estima qu'il y aurait de la cruauté à mettre à mort tant de gens ; mais il appréhendait aussi qu'ils ne se joignissent aux ennemis commandés par Alcétas. Il leur détacha Léonidas, l'un de ses capitaines, avec ordre de feindre qu'il avait déserté comme eux. Ces gens le reçurent avec joie, et le firent leur général. Léonidas commença par leur persuader de ne se joindre à personne ; et ce fut déjà un grand service rendu au roi. Ensuite il les amena dans une plaine favorable aux opérations de la cavalerie, d'autant qu'ils étaient à pied. Antigone fondit sur eux avec sa cavalerie ; et prit Holeias et deux autres chefs de leur révolte. Ceux-ci demandèrent la vie avec de grandes instances, et Antigone promit de les laisser aller, s'ils voulaient s'en retourner paisiblement en Macédoine. Ils le promirent avec serment, et partirent sous la conduite de Léonidas, qui les escorta jusqu'en leur pays.

VII. Antigone essayait de couper les vivres à trois généraux macédoniens de grande réputation, Attale, Al-cétas et Docime, qui s'étaient campés dans un vallon de Pisidie. Le cri et le frémissement des éléphants leur fit connaître qu'Antigone approchait : car il n'y avait que lui qui en eût. Aussitôt Alcétas prenant les porteurs d'écus, se pressa de se rendre maître d'une route scabreuse et difficile qui traversait les montagnes. Antigone ne jugea pas à propos de pousser Alcétas; mais faisant marcher ses troupes de biais, il les mena par les côtés des montagnes, et se hâta de se présenter devant le camp des ennemis. Il les surprit, les uns qui s'armaient, les autres désarmés, tout le monde en désordre. Il ne tua personne, promit la vie à tous, et vainquit sans avoir combattu.

VIII. Antigone avait une flotte de cent trente vaisseaux, commandée par Nicanor, et elle se battit sur l'Hellespont contre celle de Polysperchon, commandée par Clitus. Le peu d'expérience des pilotes et des troupes de Nicanor, et la violence des flots, lui firent perdre soixante-dix navires, et les ennemis remportèrent une éclatante victoire. Antigone se trouva le soir sur le lieu, et ne fut point étonné de cette défaite. Il ordonna que la même nuit ceux qui étaient sur les, soixante vaisseaux de reste, se tinssent prêts à combattre de nouveau. Il choisit les plus vigoureux de ses gardes, et les ayant fait monter sur des esquifs, il leur commanda de, menacer de la mort tous ceux qui n'iraient pas au combat. On n'était, pas loin de Byzance, ville qui était dans ses intérêts. Il en fit venir à la hâte des vaisseaux de charge, et les ayant remplis de porteurs déçus, d'infanterie légère, et de mille archers, il leur donna ordre de tirer, tant, de ces vaisseaux, que du rivage, des dards et des, flèches contre, les, navires ennemis qui paraîtraient. Tout cela fut prêt dans une nuit, Au point du jour tous ces gens commencèrent à tirer de, dessus les côtes et de ces vaisseaux leurs flèches et leurs dards; une partie des ennemis dormait encore; les autres ne faisaient que de s'éveiller ; tous se trouvaient percés de coups, sans avoir le temps de se mettre à couvert. Les uns amenaient les amarres, les autres retiraient, au dedans, les pontons, d'autres levaient les ancres; on n'entendait que cris et que tumulte. Antigone fit donner le signal aux soixante navires, qui s'avancèrent avec courage et impétuosité. De cette sorte, tant par le secours de ceux qui tiraient de dessus la côte, que par l'irruption que firent les soixante vaisseaux:, ceux qui avaient été vaincus remportèrent enfin la victoire.

IX. Antigone, après, cette victoire i navale remportée sur l'Hellespont, fit avancer sa flotte du côté de la Phénicie. Il ordonna aux matelots de prendre des couronnes, d’orner, les poupes de leurs vaisseaux des dépouilles des ennemis et des banderoles des galères vaincues; et aux pilotes de mouiller à toutes les rades et à toutes les villes maritimes, qui se trouveraient sur leur route, afin que le bruit de cette victoire se répandît dans toute l'Asie. Il y avait des navires de Phénicie, qui avaient abordé au port de Rose en Cilicie. Ils étaient chargés d'argent qu'on portait à Eu mène, et Sosigène, qui en avait la conduite, s'amusait à Orthiomague à considérer, le mouvement de la mer. Ceux qui étaient sur les vaisseaux phéniciens voyant la flotte, victorieuse si magnifiquement ornée, enlevèrent l'argent d'Eumène, et, s'enfuirent sur, les galères d'Antigone, qui partirent aussitôt avec ces richesses, et ce renfort d'alliés, pendant que Sosigène satisfaisait sa curiosité à regarder la mer agitée.

X. Antigone et Eumène se donnèrent bataille : la victoire ne se déclara point. Eumène envoya un héraut demander la permission d'enlever ses morts. Antigone voulant lui cacher le nombre des siens, qui était plus grand que celui des soldats d'Eumène, amusa le, héraut jusqu'à ce qu’on; eût brûlé les morts d'Antigone. Aussitôt que cela fut fait, il renvoya le héraut avec la permission qu'Eumène avait fait demander.

XI. Antigone avait pris ses quartiers aux environs de Gadamartes en Médie. Eumène l'avait prévenu, s'était saisi du chemin jusqu'à mille stades, et avait tout garni de ses troupes. Le chemin était bordé de montagnes, et la plaine qui s'étendait au devant était unie, sans eau, sans aucune habitation, sans herbes, sans aucune plante, sans arbres, pleine de bitume et de mares salées, en sorte que ni hommes ni bêtes n'y pouvaient passer. Cependant Antigone, pour éviter le chemin si bien gardé par les ennemis, résolut de traverser cette triste plaine. Il ordonna de coudre dix mille outres, et de les remplir d'eau, de cuire des vivres pour dix jours, et de porter de l'orge et du fourrage pour les chevaux. Tout fut préparé, et il se mit en marche avec son armée par le mi-lieu de la plaine. Il avait eu la précaution de défendre d'allumer du feu la nuit, pour dérober la connaissance de sa marche aux ennemis qui étaient en garde au pied des montagnes. Effectivement ils auraient ignoré son passage, si les ordres d'Antigone eussent été fidèlement exécutés. Mais un petit nombre de ses soldats ne pouvant supporter la gelée qu'il fit une nuit, allumèrent du feu. Les ennemis virent la flamme, et devinèrent ce que c'était. Ils donnèrent sur la queue des troupes d'Antigone qui était déjà hors de la plaine, et tuèrent quelques traîneurs. Mais il ne tint pas à Antigone que tous ne s'échappassent en sûreté ; ce qu'il avait ordonné fut salutaire à ceux qui furent exacts à lui obéir.

XII. Antigone, campé devant Eumène, sur le penchant d'une colline, s'aperçut que les troupes de l'ennemi postées dans la plaine, n'étaient ni fermes, ni bien retranchées. Il détacha contre les gardes de la queue quelques escadrons de cavalerie, qui enlevèrent une partie du bagage d'Eumène.

XIII. Antigone en vint aux mains avec Eumène, auprès de Gabienne. La bataille se donna dans un lieu sablonneux, où la terre était sèche et légère. Au mouvement des deux armées, il s'éleva de toutes parts des nuages de poussière qui offusquaient la vue des amis et des ennemis. Comme on en était aux prises, Antigone comprit que les soldats d'Eumène avaient abandonné leur bagage, où étaient leurs femmes, leurs enfants, leurs maîtresses, leurs esclaves, leur or et leur argent, et tout ce qu'ils avaient gagné aux guerres d'Alexandre. Il ordonna à des troupes d'élite d'aller attaquer ce bagage et de le détourner dans son camp ; ce qu'il leur fut facile d'exécuter, pendant que l'ennemi était occupé au combat et aveuglé par la poussière. La bataille se termina. Antigone y perdit cinq mille hommes, et Eumène n'y en perdit que trois cents. Les Euméniens se retiraient tout fiers de leur victoire. Mais quand ils virent leur bagage perdu, avec tout ce qu'ils avaient de plus cher au monde, les vainqueurs tombèrent dans le découragement et la tristesse. La plupart, excités par la tendresse qu'ils avaient pour les objets de leur amour, envoyèrent des ambassadeurs vers Antigone, pour le supplier d'accepter leur réunion. Antigone, maître de tout ce que les Euméniens regrettaient si douloureusement, fit publier qu'il rendrait gratuitement tout. Cette publication fit changer de parti, non seulement les Macédoniens, mais encore dix mille Perses commandés par Peuceste, quand il vit que les Macédoniens s'engageaient avec Antigone; Enfin il se fit un si grand changement de sentiments et de fortune, que le corps même de ceux qui portaient des boucliers d'argent se saisit d'Eumène, et le livra lié à Antigone ; et Antigone fut proclamé roi d'Asie.

XIV. Antigone, informé que Pithon, satrape de Médie, levait des troupes étrangères et faisait amas d'argent, dans le dessein de se révolter, fit semblant de ne point ajouter foi à ce qu'on lui en disait. « Je ne saurais me persuader, disait-il, que Pithon en use de la sorte, lui à qui j'avais dessein d'envoyer dans son gouvernement un renfort de cinq mille Macédoniens armés de toutes pièces, de Thraces, et de mille gardes. » Pithon ayant été instruit de ce discours, fit fond sur la bonté d'Antigone, et se hâta de venir recevoir ce renfort. Anti-gone fit venir Pithon au milieu des Macédoniens, le prit et le punit du dernier supplice.

XV. Antigone honora de présents les Argyraspides, qui lui avaient livré Eumène lié, mais ne se fiant pas trop à des gens dont la fidélité devait naturellement être suspecte, il en détacha mille pour renforcer les troupes de Siburte, satrape d'Aracosie, et mit le reste en garnison dans plusieurs lieux différents et de difficile accès, sous prétexte de leur commettre la garde du pays : de cette sorte il les fit tous disparaître en peu de temps.

XVI. Antigone assiégeant Rhodes, donna la conduite du siège à son fils Démétrius. Il fit publier qu'il donnait sûreté à tous les Rhodiens qui étaient dans la ville. Il la promit de même par mer à tous les marchands et mariniers rhodiens qui étaient répandus dans la Syrie, la Phénicie, la Cilicie et la Pamphylie. Son but était de les empêcher devenir au secours de la ville, parce que dénuée de ces forcés, elle ne pourrait résister, avec les seules troupes auxiliaires de Ptolémée, aux attaques de Démétrius.

XVII. Antigone soudoya des troupes de Gaulois, commandées par Bidore, et promit à chacun d'eux une certaine somme d'or de Macédoine. Pour sûreté de sa parole, il leur donna en otage des hommes et des enfants des meilleures maisons. Suivit la bataille contre Antipater. Après l'action, les Gaulois demandèrent leur récompense, et Antigone offrit de payer tous ceux qui portaient la targe. Les Gaulois voulaient que les gens sans armes, même les femmes et les enfants, tirassent pareille solde, vu que le marché portait : « Tant par tête à chaque Gaulois. » A ne payer que les gens armés, cela faisait trente talents, et il en eût fallu cent en payant tout le reste. L'armée gauloise se retira, et menaça de tuer les otages. Antigone craignant pour eux, envoya un ambassadeur aux Gaulois pour leur dire qu'il donnerait tout ce qu'il avait promis et qu'ils n'avaient qu'à lui envoyer des gens pour recevoir l'or. Les Gaulois, leurrés de cette espérance qui les comblait de joie, envoyèrent les principaux d'entre eux pour recevoir cet or, Antigone les arrêta tous, et manda aux autres qu'il ne les rendrait point s'ils ne lui renvoyaient les otages. Les Gaulois, pour sauver leurs gens, rendirent les otages, et Anti-gone leur renvoya leurs députés avec les trente talents.

XVIII. Antigone assiégeait Cassandrie, dansée dessein de détruire la domination d'Apollodore, qui s'était fait tyran des Cassandriens. Après dix mois de siège Antigone se retira: mais il se servit d'Aminias, chef des pirates, et lui persuada de feindre de lier amitié avec Apollodore, Aminias envoya au tyran un héraut pour l'assurer qu'il viendrait à bout d'adoucir Antigone. Le héraut ajouta encore par son ordre qu'il fournirait à la ville des vivres en abondance et en vin. Aminias parut aux Cassandriens homme de bonne foi, et Apollodore se reposant sur son amitié et sur l'absence d'Antigone qu'il commençait à mépriser, ne veilla pas assez, à la garde de la place. Pendant ce temps Aminias fit fabriquer des échelles de la hauteur des murs, et cacher sous un lieu appelé. Bolus, qui n'était pas éloigné des murs, deux mille soldats, auxquels se joignirent dix pirates Etoliens commandés par Mélotas. Ces gens voyant, à la petite pointe du jour, qu'il y avait peu de gardes sur les murs se coulèrent au pied de la courtine qui joignait les tours, et posant les échelles, levèrent le signal. Alors Aminias s'approchant avec ses deux mille soldats, escalada les murs et serait dans la ville. Antigone parut aussitôt, se rendit maître de Cassandrie, et mit fin à l'usurpation d'Apollodore.

XIX. Antigone, avec, des troupes inférieures en nombre, était campé devant celles d'Eumène. Il y avait entre les deux camps de fréquents pourparlers. Antigone ordonna que dans le moment que le, héraut d'Eumène reviendrait, il accourût un soldat tout hors d'haleine et couvert de poussière qui dît : « Les alliés arrivent. » Antigone, à cette, nouvelle, sauta de joie, et renvoya le héraut. Le jour suivant, doublant le front de sa phalange, il la fit: sortir des retranchements. Les ennemis informés par le héraut de l’arrivée prétendue des alliés, et voyant ce vaste front, sans savoir quelle en était la profondeur, n'osèrent en venir aux mains, et prirent la fuite.

XX. Antigone voulant se rendre maître d'Athènes, fit la paix sur la fin de l'automne. Les Athéniens ensemencèrent leurs terres, et ne gardèrent de grains que ce qu'il en fallait jusqu'à la récolte. Mais quand le temps de la maturité fut venu, Antigone conduisit de nouveau son armée dans l’Attique. Les Athéniens ayant consumé ce qu'ils avaient de vivres, et ne pouvant faire la récolte, reçurent Antigone dans leur ville, et promirent d'obéir à tous ses ordres.

CHAPITRE VII.

DÉMÉTRIUS.

Quoique Démétrius manquât d'argent, il ne laissait pas: de soudoyer des troupes au double de ce qu'il en avait auparavant. Quelqu'un lui en marqua sa surprise, en lui disant: « On n'a point d'argent pour payer le petit nombre, et où en prendre pour, tant de gens? » Il répondit : « Elus nous serons forts, plus nous trouverons les ennemis faibles. Nous nous rendrons maîtres de leur pays ; les uns nous apporteront des tributs, les autres nous enverront des couronnes. Ce sera l'effet de la crainte que leur donnera notre grand nombre. »

II. Démétrius voulant naviguer en Europe, sans que l'on pût savoir où il avait dessein d'aborder, donna à chacun des pilotes un paquet cacheté. « Si nous faisons route ensemble, leur dit-il, ne les décachetez point ; mais s'il arrive que nous soyons séparés, vous ouvrirez le paquet, et vous vous rendrez au Heu que vous, y trouverez désigné.»

III. Démétrius voulant surprendre Sicyone à l'improviste, se retira à Cenchrées et y passa plusieurs jours dans les plaisirs et la débauche. Quand il vit que les Sicyoniens étaient sans aucun soupçon de son dessein, ce qu'il avait de troupes étrangères sous la conduite de Diodore, il l'envoya, la nuit, attaquer les portes du côté de la ville de Pallène ; les troupes de mer il les fit se montrer du côté du port ; et lui, avec le reste de son armée, se présenta devant la ville. De cette manière, il l'attaqua de tous les côtés à la fois, et s'en rendit maître.

IV. Démétrius avait confié la garde d'Éphèse à Diodore, commandant de la garnison, et était allé avec sa flotte en Carie. Diodore traita secrètement avec Lysimachus, et promit de lui livrer Éphèse pour cinquante talents. Démétrius, informé de cette trahison, prit ses grands vaisseaux, et en ayant envoyé la plus grande partie de côté et d'autre dans le pays, il se mit sur un, et prenant avec lui Nicanor, il fit voile à Éphèse. Étant arrivé au port, il se cacha sous le tillac, et ne fit paraître que Nicanor, qui appela Diodore sous prétexte de traiter avec lui de ce qui regardait les soldats, et d'obtenir la liberté de mouiller et de se retirer. Diodore, persuadé que Nicanor était venu seul, monta sur une felouque, et parut disposé à traiter avec lui. Dans le moment qu'il approcha, Démétrius sortant de dessous le tillac, fit couler à fond la felouque avec tout ce qui était dessus, et saisir fous ceux qui essayèrent de se sauver à la nage. Ce fut ainsi que, prévenant la trahison, il sut conserver Éphèse dans son obéissance.

V. Démétrius ayant pris Égine et Salamine dans l'Attique, envoya un de ses généraux au port de Pirée demander des armes pour mille hommes, sous prétexte de se joindre aux habitants contre le tyran Lacharis. On le crut, et les armes lui furent envoyées ; mais les ayant reçues, il s'en servit pour armer des gens, avec le secours desquels il se rendit maître de Pirée.

VI. Quand Démétrius se rendit maître de Pirée, il n'y mena pas d'abord toute sa flotte. Il fit rester sous le cap de Sunium la plus grande partie, de ses galères, et en ayant détaché vingt de celles qui étaient les plus légères à la course, il leur ordonna de voguer, non pas droit à la ville, mais comme pour prendre la route de Salamine. Démétrius de Phalère, général des Athéniens, qui était dans les intérêts de Cassandre, observant du haut de la citadelle, et voyant ces vingt galères prendre la route de Salamine, jugea quelles étaient ennemies et qu'elle? s'en allaient à Corinthe. Mais ceux qui, montaient ces vingt galères, ayant coupé court, se présentèrent devant Pirée et furent jointes par le reste, de la flotte partie du cap de Sunium. La plus grande partie des troupes débarqua et s'empara des tours et du port. Les hérauts criaient : « Démétrius délivre Athènes du joug. » Les Athéniens, à ce cri de liberté, admirent Démétrius.

VII. Démétrius assiégeait Salamine en Chypre, avec cent quatre-vingts galères. Ménélas, général de Ptolémée, gardait la vile avec soixante, narres, et l'on attendait de jour à autre Ptolémée qui devait arriver avec cent quarante vaisseaux. Démétrius ne se trouvant pas en état de résister à deux cents galères à la fois, doubla un cap qui s'avançait, et se mit en embuscade dans une anse où le mouillage était bon et où ses galères étaient cachées derrière de hauts rochers. Ptolémée, sans prendre garde à ce qu'il laissait derrière lui, prit terre à une rade étendue où la descente était facile. Pendant qu'il faisait débarquer ses troupes, Démétrius sortit de son embuscade et se montrant aux ennemis, donna sur les navires égyptiens, qui ne faisaient que d'aborder, et remporta la victoire en peu de temps. Ptolémée prit aussitôt la fuite, et Ménélas, qui s'était avancé pour le soutenir, s'enfuit avec lui.

VIII. Démétrius s'avança la nuit, pour se mettre en possession de Corinthe qu'on lui avait donné parole de lui livrer. Comme les auteurs de la trahison devaient lui ouvrir les portes de la hauteur, il craignit que pendant qu'il entrerait par là, ceux de la ville ne lui dressassent des embûches. Pour les attirer d'un autre côté, il fit marcher un grand nombre de troupes du côté des portes qui donnaient vers le fort de Léchée. Aux cris militaires de ces troupes, les Corinthiens coururent tous de ce côté, pendant que les traîtres ouvrirent les portes de la hauteur et y firent entrer les ennemis. C'est ainsi que Démétrius surprit Corinthe, pendant que les habitants gardaient les portes du côté de Léchée.

IX. Démétrius était campé contre les Lacédémoniens. Les deux armées étaient séparées par la montagne Lycéon, et les Macédoniens n'étaient pas sans crainte à la vue d'un lieu qu'ils ne connaissaient point. Il faisait un vent de bise violent, qui portait contre les ennemis. Démétrius fit mettre le feu au bois et aux broussailles, et le vent poussant la flamme et la fumée contre les Lacédémoniens, les obligea tous à tourner le dos. Démétrius et ses troupes profitèrent de ce désordre, et ayant attaqué vigoureusement les ennemis remportèrent la victoire.

X. Démétrius se retirait par un chemin fort serré. Les Lacédémoniens pressaient son arrière-garde, et lui blessaient beaucoup de monde. Il entassa dans l'endroit le plus étroit tous les chariots de bagage et y mit le feu. Les ennemis rie purent passer à travers cet incendié, et pendant que les chariots brûlaient, Démétrius gagna du terrain, prévint les ennemis, et évita leur poursuite.

XI. Démétrius envoya un héraut aux Béotiens pour leur déclarer la guerre. Le héraut se rendit à Orchomène, et présenta aux commandants de Béotie la déclaration par écrit. Dès le lendemain, Démétrius assiégea Chéronée, et les Béotiens furent bien surpris de voir la guerre commencée en même temps que déclarée.

XII. Démétrius avait à passer le fleuve Lycus, qui est très rapide, et au courant duquel son infanterie ne pouvait résister. Il choisit parmi ses cavaliers les plus grands, les plus vigoureux, et les mieux montés, et en ayant fait trois lignes, il s'en servit à rompre l'effort du fleuve, en l'opposant à son courant, et par ce moyen il rendit le passage de ses gens de pied plus facile.

CHAPITRE VIII.

EUMENE.

Eumène était poursuivi par les Gaulois, et son indisposition l'obligeait à se faire porter dans une espèce de litière. Sa fuite était lente, et les ennemis étaient près de l'atteindre. Ayant trouvé sûr sa route un tertre élevé, il commanda à ses porteurs d'y poser sa litière. Les Barbares, qui n'étaient pas éloignés, se persuadèrent qu'Eumène n'en eût pas usé de la sorte s'il n'avait eu aux environs quelque renfort considérable caché. C'est pourquoi ils cessèrent de le poursuivre,

II. Eumène était informé que les Argyraspides commençaient à penser à la révolte ; et voyait surtout qu'Antigène et Teutamate leurs chefs, prenaient des manières, hautaines avec lui, et, négligeaient de se rendre à sa tente. Il rassembla tous les chefs, et leur dit que deux fois de suite il avait eu le même songe, accompagné de promesses du salut commun, si l'on obéissait, et de menaces d'une ruine totale, si l'on n'obéissait pas. C'était le roi Alexandre dans sa tente au milieu du camp, assis sur un trône d'or, le sceptre à la main, qui donnait ses ordres à tous, et qui commandait particulièrement aux Chefs de ne traiter d'aucune affaire publique et royale hors de la tente royale, et d'appeler cette tente seule, la tente d'Alexandre. Les Macédoniens adorèrent Alexandre, et ordonnèrent que du fond de l'épargne de la couronne, on dressât une tente royale ; qu'il y fût fait un trône d'or paré royalement, avec une couronne d'or au-dessus, accompagnée d'un diadème royal ; qu'on mît auprès du trône des armes, un sceptre au milieu ; au-devant du trône une table d'or et dessus un petit foyer et un encensoir aussi d'or, avec de l'encens et des parfums ; enfin que la tente fût garnie de tabourets d'argent pour placer les chefs quand on tiendrait conseil sur les affaires publiques. Tout cela fut exécuté sur le champ. Eumène dressa sa tente joignant celle d'Alexandre, et les autres chefs dressèrent les leurs ensuite de la sienne. Il arriva de là que lorsque Eumène entrait dans la tente d'Alexandre, c'était lui qui recevait les autres chefs, et parmi eux Antigène et Teutamate, commandants des Argyraspides, qui allaient effectivement trouver Eumène, quand il paraissait qu'ils ne voulaient qu'honorer Alexandre.

III. Eumène voyant que les troupes qu'il avait en Perse étaient sur le point d'être débauchées par Peuceste, qui leur faisait distribuer du vin et des présents, craignit qu'il n'eût dessein de partager l'empire. Il fit voir une lettre, qu'il supposa que lui avait écrite en syriaque Oronte, satrape d'Arménie, par laquelle il mandait qu'Olympias venait d'Épire avec le fils d'Alexandre, et se rendait maîtresse de la Macédoine, après la mort de Cassandre. A ces nouvelles, les Macédoniens ne pensèrent plus à Peuceste; ils se livrèrent à la joie, et proclamèrent rois la mère et le fils.

IV. Eumène avait mis ses troupes en quartier d'hiver dans quelques bourgades de la Perse. Antigone en ayant été averti, résolut de les attaquer. Eumène ordonna aux chefs de prendre leurs valets la nuit, de monter à cheval, de porter du feu dans des vaisseaux, et de gagner les hauteurs, jusqu'à la distance de soixante-dix stades, et d'allumer, sur les sommets les plus exposés à la vue, des feux éloignés les uns des autres d'environ vingt coudées, de les faire fort grands à la première veille, un peu moindres à la seconde, et très faibles à la troisième, afin que tout cela donnât l'idée d'un: véritable campement. A cet aspect Antigone se persuada qu'Eumène avait été joint par toute son armée, et n'osant l'attaquer, il fit sa retraite par un autre chemin qui n'était point occupé par les ennemis.

V. Eumène voyant ses soldats dans la disposition de piller le bagage des ennemis, les en détourna comme d'une entreprise qui : ne convenait pas. Mais n'ayant pu gagner cela sur eux, il envoya donner avis aux ennemis de faire bonne garde à leur bagage. Les soldats d'Eumène y trouvant les gardes renforcées, abandonnèrent leur dessein.

CHAPITRE IX.

SELEUCUS.

Séleucus et Antigone se donnèrent bataille. Il n'y eut rien de décidé; la nuit sépara les combattants, et tous deux furent d'avis de remettre le reste du lendemain: Les troupes d'Antigone campèrent et se désarmèrent : mais Séleucus ordonna à ses soldats de souper et de dormir tous armés, et de bien garder leurs rangs. Dès la pointe du jour les troupes de Séleucus se présentèrent en bon ordre et sous les armes, et celles d'Antigone, surprises, dérangées et sans armés furent vaincues avec beaucoup de facilité.

II. Séleucus était campé contre Démétrius. Séleucus était animé de confiance, et Démétrius au contraire comptait peu sur un succès favorable. La nuit survint ; et Démétrius voulant la mettre à profit, entreprit d'attaquer l'ennemi à la faveur des ténèbres, dans l'espérance que cette surprise imprévue lui pourrait être avantageuse. Ses troupes lui obéirent volontiers; et crurent trouver dans une chose qui paraissait si fort contre raison, une ressource capable de leur donner la victoire, ils s'armèrent donc et se mirent en mouvement. Deux jeunes Étoliens, qui portaient le bouclier dans les troupes de Démétrius, ayant rencontré la garde de Séleucus, demandèrent d'être menés promptement au roi. Aussitôt qu'ils lui eurent été présentés, ils lui apprirent ce qui se devait faire la nuit même. Séleucus eut peur que les ennemis ne fussent plus ardents à l'attaquer que les siens diligents à prendre les armes. Il ordonna aux trompettes de sonner la charge ; aux soldats qui s'armaient, de pousser de grands cris, et à chacun d'allumer devant sa tente tout ce qui se trouverait de fagots et de bourrées. Démétrius voyant le camp ennemi si éclairé de toutes parts; et entendant retentir les trompettes et les cris militaires, sentit bien qu'on se préparait à le recevoir et n'osa l’attaquer

III. Séleucus informé que les soldats de Démétrius perdaient courage; prit les plus robustes de ses gardes, et ayant mis au-devant d'eux huit éléphants, se coula le long d'un sentier étroit, à côté des ennemis; et ayant jeté son casque il se mit à crier : « Jusqu'à quand aurez-vous la rage de demeurer avec un chef de brigands, qui meurt de faim, pendant que vous pouvez gagner votre solde auprès d'un roi riche, et prendre part à une royauté véritable et existante, au lieu d'un empire chimérique et qui ne subsiste encore qu'en idée? » La plupart entendant ce discours, jetaient leurs dards et leurs épées; et tendant les mains; se joignaient à Séleucus.

IV. Séleucus attaquait la citadelle de Sardes; où étaient les trésors gardés par Théodote, à qui Lysimachus en avait confié le soin. Séleucus ne pouvant forcer la placé; qui était bien munie; fit publier qu'il donnerait cent talents à qui pourrait tuer Théodote. Cette grande récompense tentait un grand nombre de soldats et Théodote, vivant dans la crainte et la défiance, n'osait se montrer dehors. Ses soupçons lui attirèrent l'indignation de la plupart de ceux de dedans. Théodote, pour se délivrer de ses craintes, prévint les mal intentionnés, et ayant ouvert la nuit une fausse porte, il introduisit Séleucus dans la citadelle, et lui livra les trésors de Lysimachus.

V. Démétrius était campé au pied du Mont Taurus. Séleucus appréhendant qu'il ne se retirât secrètement en Syrie, envoya Lysias avec plusieurs Macédoniens se saisir des montagnes qui sont au-dessus des portes Amanides, qui était la route que Démétrius devait tenir, et lui ordonna d'y allumer un grand nombre de feux. Démétrius voyant qu'il avait été prévenu, et que ces passages étaient occupés, se détourna de cette route.

VI. Séleucus ayant été obligé de prendre la fuite en Cilicie, après un combat donné contre les Barbares, voulut cacher à ses amis même la honte qu'il avait de fuir en petite compagnie ; il se fit passer pour un des écuyers d'Amaction, commandant de la brigade royale, et prit des habits convenables à cet état. Mais quand il vit qu'il s'était rallié un nombre considérable de cavaliers et de fantassins, il reprit la robe royale et se montra aux soldats.

CHAPITRE X.

PERDICAS.

Les Illyriens et les Macédoniens se faisaient la guerre. Il arriva que plusieurs Macédoniens furent faits prisonniers, et Perdicas s'aperçut que l'espérance d'être mis à rançon rendait les autres moins ardents au combat. Comme on envoyait de part et d'autre pour traiter de la rançon des prisonniers, Perdicas chargea le héraut des ennemis de leur dire de sa part qu'il était inutile que les Illyriens s'attendissent à des rançons, et qu'ils pouvaient condamner les prisonniers à mort. Les Macédoniens ne s'attendant plus à être rachetés, en cas qu'ils fussent pris, mirent tout l'espoir de leur salut dans la victoire, et se battirent avec plus de courage.

II. Perdicas faisant la guerre à ceux de Chalcide, se trouva en disette d'argent. Il fit de la monnaie de billon mêlé de cuivre et d'étain, dont il paya les soldats. Les marchands reçurent la monnaie du roi ; mais comme elle n'avait pas de cours hors des limites, ils furent réduits à ne trafiquer que de fruits et de grains du pays.

CHAPITRE XI.

CASSANDRE.

Cassandre se servit de cet artifice pour prendre Nicanor qui avait la garde du fort de Munichia et qui n'était pas dans de bonnes dispositions à son égard. Il feignit de vouloir retirer sa flotte de l'Afrique, et comme il était près de s'embarquer, il vint un courrier qui lui apporta des lettres de la part de ses amis de Macédoine, qui lui mandaient que les Macédoniens, irrités contre Polysperchon, l'appelaient pour le faire régner dans le pays. A la lecture de ces lettres, Cassandre marqua beaucoup de joie, et ayant tiré à part Nicanor qui le re-conduisait, il fui dit : « Il est question maintenant de prendre de nouveaux conseils. Conférons ensemble sur la conduite que j'ai à garder dans le rang où je suis appelé. » En parlant ainsi, Cassandre mena insensiblement Nicanor dans une maison voisine, comme pour communiquer avec lui de ses plus sécrètes affaires. Il avait caché dans cette maison un détachement de ses gardes, qui se saisirent de Nicanor et se tinrent autour de lui. Cassandre convoqua l'assemblée, et permit à ceux qui voulaient accuser Nicanor, de le faire librement. Pen-dant qu'on instruisait l'accusation, Cassandre se rendit maître du fort de Munychia. Quant à Nicanor, comme il avait fait beaucoup de choses contre les lois et sans retenue, l'assemblée fut d'avis de le condamner à mort.

II. Dans le même temps que Cassandre assiégeait Salamine, il faisait la guerre par mer aux Athéniens. Ayant vaincu sur mer, tout ce qu'il trouva de gens de Salamine parmi les Athéniens, il les renvoya sans rançon. Les habitants de Salamine, informés de l'humanité de Cassandre, furent gagnés par sa douceur, et se joignirent à lui.

III. Cassandre assiégeait Pydna en Macédoine, où s'était retiré Olympias. Polysperchon envoya la nuit sur la côte une galère à cinquante rames, avec une lettre où il avertissait Olympias de monter sur cette galère pour éviter de tomber au pouvoir de Cassandre. Le porteur de la lettre fut pris et mené à Cassandre, à qui il avoua le sujet de son voyage. Cassandre n'ouvrit point la lettre, et la laissant cachetée comme elle était du sceau de Polysperchon, il permit au porteur de la rendre à son adresse, sans dire qu'il eût eu connaissance de rien. La lettre fut rendue, et dans le même temps Cassandre fit disparaître la galère. Olympias ajoutant foi à la lettre de Polysperchon, sortit secrètement la nuit, mais elle ne trouva point la galère. Elle crut que Polysperchon l'avait trompée, perdit courage, et se livra à Cassandre, avec Pydna.

IV. Cassandre revenant d'Illyrie, et n'étant qu'à une journée d'Epidamne, cacha ses troupes. Il en détacha de la cavalerie, qu'il envoya brûler des bourgades situées sur les hauteurs de l’Illyrie et de l’Alintanie, dont les habitants favorisaient les Epidamniens. Ceux d'Epidamne s'imaginant alors que Cassandre s'en était allé, sortirent de leur ville, et vaquèrent à leur labourage. Cassandre faisant sortir ses troupes du lieu où il les avait tenues cachées, prit environ deux mille de ces habitants qui étaient sortis, et trouvant les portes de la ville ouvertes, il entra dans Epidamne, et s'en rendit maître.

CHAPITRE XII.

LYSIMACHUS.

Dans la bataille donnée contre Démétrius, aux environs de Lampsaque, les Autariates perdirent tout leur bagage. Lysimachus eut peur que ces Barbares, dans la douleur d'avoir tout perdu, ne se révoltassent. Il les fit sortir des retranchements, comme pour leur distribuer des vivres, et ayant donné le signal, il les fit tous périr : ils étaient cinq mille hommes.

II. Lysimachus conduisit Ariston, fils d'Autoléon, en Péonie, qui était le royaume de son père, comme pour faire reconnaître aux Péoniens le jeune prince royal, et lui concilier leur affection. Quand on eut baigné Ariston, à la façon des rois, dans le fleuve Arisbe, on lui servit le festin royal selon la coutume du pays. Lysimachus saisit ce moment pour donner le signal de prendre les armes. Ariston monta en diligence à cheval, et s'enfuit chez les Adraniens. Lysimachus s'empara de la Péonie.

CHAPITRE XIII

CRATERE.

Les Tyriens ayant attaqué les Macédoniens occupés à creuser des retranchements, leur firent tourner le dos. Cratère ordonna de céder, et les Tyriens s'acharnèrent à la poursuite. Quand Cratère les vit las de courir après les Macédoniens, il ordonna à ceux-ci défaire volte-face, et de pousser les Tyriens à leur tour. Aussitôt ceux qui poursuivaient prirent la fuite, et ceux qui avaient fui jusque là donnèrent la chasse aux autres.

CHAPITRE XIV.

POLYSPERCHON.

Polysperchon, pour animer ses soldats à combattre courageusement contre les Péloponnésiens qui gardaient les frontières, et mépriser le danger, prit un chapeau arcadien, avec une robe double, attachée d'une agrafe, et un bâton à la main, et leur dit: «Voilà comme sont ceux contre qui nous devons combattre. » Et puis ayant ôté tout cela, et pris toutes ses armes, il ajouta : « Et voici comme sont ceux qui doivent avoir affaire à eux ; gens qui jusqu'à présent ont remporté tant de victoires signalées. » A ce discours les soldats furent animés à bien faire, et demandèrent d'être aussitôt menés au combat.

CHAPITRE XV.

ANTIOCHUS, FILS DE SÉLEUCUS.

Antiochus, dans le dessein de se rendre maître de Damas, qui était gardée par Dinon, général de Ptolémée, publia dans son armée un ordre de célébrer une fête à la manière des Perses, et commanda à tous les chefs de préparer des banquets somptueux et de grandes réjouissances. Dinon, instruit qu'Antiochus avec toutes ses troupes, ne s'occupait que de plaisirs et de bonne chère dans cette solennité, se relâcha de sa vigilance ordinaire, et négligea de faire faire la garde. Antiochus ordonna qu'on prît du blé pour quatre jours, et menant son armée par les déserts et des sentiers écartés et bordés de précipices, se montra lorsqu'on l'attendait le moins. Binon ne put lui résister, et Damas tomba au pouvoir d'Antiochus.

CHAPITRE XVI.

ANTIOCHUS, FILS D'ANTIOCHUS.

Antiochus attaquait Cypsèle, ville de Thrace. Il avait avec lui un grand nombre de Thraciens des meilleures maisons, à la tête desquels étaient Tyris et Dromichetès. Il leur donna à tous des colliers d'or et des armes garnies d'argent, et s'avança pour livrer combat. Ceux de Cypsèle, voyant des gens de leur pays et de leur langue si richement parés d'or et d'argent, les estimaient heureux de servir sous Antiochus. Ils mirent bas les armes, et se joignant à lui, d'ennemis qu'ils étaient auparavant, se rendirent ses alliés.


CHAPITRE XVII.

ANTIOCHUS HIÉRAX OU L'ÉPERVIER.

Antiochus ayant quitté son frère Séleucus, s'enfuit en Mésopotamie. Quand il eut passé les montagnes d'Arménie, il fut reçu par Arsabès son ami. Les généraux de Séleucus, Achée et Andromaque, poursuivirent Antiochus avec de nombreuses troupes, et l’attaquèrent vivement. A la fin Antiochus blessé fut obligé de prendre la fuite, et de se cacher sur un coteau, au pied et aux côtés duquel était une plaine unie, où campait l'armée de son frère. Antiochus fit courir le bruit qu'il était mort dans le combat; et pendant la nuit il fit occuper les hauteurs par une partie de ses troupes. Le lendemain les soldats d'Antiochus envoyèrent deux ambassadeurs, Philetère, capitaine Crétois, et Denis de Lysimaquie, demander sûreté pour enlever le corps d'Antiochus, moyennant quoi ils promirent de se rendre et de livrer leurs armes. Andromaque répondit qu'on n'avait point encore trouvé le corps, mais qu'on pouvait le chercher parmi les prisonniers, et qu'on l'y trouverait mort ou vif. Pour ce qui était du reste, il dit qu'il enverrait des gens pour recevoir les soldats et les armes. En effet, il envoya quatre mille hommes, disposés, non pas à combattre, mais à recevoir et emmener les prisonniers. Quand ils furent arrivés aux côtés de la montagne, les troupes d'Antiochus, qui s'étaient saisies des hauteurs, fondirent sur ces gens, et en firent un grand carnage. Antiochus reprit ses habillements royaux, et se montra vivant et victorieux.


CHAPITRE XVIII.

PHILIPPE, FILS DE DÉMÉTRIUS.

Philippe assiégeait Prinasse, ville des Rhodiens en terre ferme. Les murs étaient d'une structure très forte, et Philippe voulut les saper. Mais en minant on rencontra une roche qui ne cédait point aux outils des mi-neurs. Philippe ordonna qu'en plein jour on descendît à la mine, et que les travailleurs se couvrissent de mantelets, comme pour se cacher aux assiégés. Ceux de la ville voyaient tout cela de dessus leurs murailles. La nuit, Philippe faisait apporter par ses soldats de la terre d'un vallon éloigné de la ville de huit ou dix stades, et la faisait amonceler à l'entrée du lieu où l'on avait ouvert la mine. Le jour suivant, ceux de la ville voyant cette grande quantité de terre élevée, s'imaginèrent que le mur était enfin percé. La peur les contraignit à livrer leur ville à Philippe. Mais quand ils eurent découvert la tromperie dans la suite, leur sottise leur causa de tristes, mais inutiles regrets.

II. Philippe, fils de Démétrius, faisant la guerre au roi Attale et aux Rhodiens, forma le dessein de se retirer par mer. Pour le pouvoir faire sans empêchement, il envoya secrètement un transfuge égyptien, qui alla dire aux ennemis que Philippe donnerait le lendemain un combat naval. La nuit, il fit allumer un grand nombre de feux, pour faire croire que l'armée demeurait en son poste. Attale et ses troupes se disposèrent au combat, et l'on retira les gardes posées auparavant, pour empêcher qu'on ne prît le large. C'était ce que souhaitait Phi-lippe; et trouvant la sortie libre, il s'en alla avec sa flotte.

CHAPITRE XIX.

PTOLÉMÉE.

Ptolémée voyant que Perdicas avait entrepris de passer le fleuve, vers Memphis, et qu'une grande quantité de ses troupes l'avait déjà traversé, fit assembler tout ce qu'il y avait dans le pays de troupeaux de chèvres, de pourceaux et de bœufs, et fit attacher à chaque animal un fagot, avec ordre aux pâtres et à ses cavaliers de pousser tout cela à travers les sables, afin d'exciter une grande poussière. Et lui, à la tête de, ce qui lui restait de cavalerie, se présenta aux ennemis. Ceux-ci, jugeant à cette grande poussière que Ptolémée amenait des troupes nombreuses, prirent aussitôt la fuite. Beaucoup périrent dans le fleuve; il y en eut aussi un grand nombre de pris.

CHAPITRE XX.

ATTALE.

Attale étant près d'en venir aux mains avec les Gaulois qui avaient des troupes nombreuses; s'aperçut que ses soldats marquaient de l'étonnement. Pour animer leur courage, il fit faire, avant le combat, un sacrifice, auquel présida comme ministre principal, un devin chaldéen, nommé Sudin. Pendant qu'il faisait les prières et la dissection de la victime, le roi prenant de la noix de galle en poudre, forma dans sa main droite ces mots: « Victoire au roi, » qu'il traça, non pas de gauche à droite, mais de droite à gauche. Dans le moment qu'on levait les parties internes de la victime, le roi enfonça la main écrite dans l'endroit le plus chaud et le plus mollasse, et l'appuya de manière que la poudre de noix de galle y demeura empreinte. Le devin examinant les lobes du foie, la vessie du fiel et les autres parties internes, vint à trouver le lobe où s'était imprimée l'écriture qui promettait la victoire au roi. Il en eut une joie excessive, et montra cette écriture à la multitude des soldats dont il était environné. Tous s'approchèrent et lurent ces mots : « Victoire au roi. » Leur courage se ranima. D'un cri commun ils demandèrent qu'on les menât contre les Barbares, et ayant combattit vigoureusement, ils remportèrent la victoire sur les Gaulois.

CHAPITRE XXI.

PERSEE.

Persée, informé que les Romains amenaient des éléphants, les uns venus de Lybie, les autres qui étaient des Indes, que leur avait envoyés Antiochus, roi de Syrie, prévit que la nouveauté et la figure formidable de ces bêtes, pourraient étonner ses chevaux. Pour éviter cet inconvénient, il fit faire par des ouvriers des figures de bois, auxquelles on donna la forme et la couleur des éléphants. Il restait à contrefaire ce que la bête a de plus terrible, qui est son cri. Persée fit entrer dans les machines des hommes qui, par le moyen de certaines flûtes, dont le son paraissait sortir de la bouche des faux éléphants, imitaient le cri naturel aigu et rude des véritables. De cette manière il apprit aux chevaux des Macédoniens à mépriser la vue et le cri des éléphants.