RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE ALLER à LA TABLE DES MATIÈRES DE POLYEN

POLYEN.

 

RUSES DE GUERRE

 

LIVRE TROISIÈME.

 livre 2      livre 4

 

 

 

CHAP. 1er. - Démosthène - CHAP. II.  - Paqués - CHAP. III. - Tolmidès - CHAP. IV. - Phormion CHAP. V. - Clisthène - CHAP. VI. - Phrynique - CHAP. VII. - Lacharès  - CHAP. VIII. Arquine - CHAP. IX. Iphicrate - CHAP. X. Timothée - CHAP. XI. - Chabrias - CHAP. XII. - Phocion - CHAP. XIII. - Charès - CHAP. XIV.- Charidème - CHAP. XV. Démétrios de Phalère - CHAP. XVI. - Philoclès.

CHAPITRE I. - DÉMOSTHÈNE.

Il y avait à Pyle une garnison lacédémonienne Démosthène mena la flotte du côté du cap. Les Lacédémoniens quittèrent Pyle, dans l'espérance de surprendre Démosthène, occupé à faire descente. Il n'y avait pas loin du cap à Pyle. Démosthène voyant les ennemis proche du cap, cingla en diligence vers Pyle, et trouvant la place sans défenseurs, il s'en rendit le maître.

II. Démosthène conduisant les Acarnaniens et les Amphiloquiens, se trouva campé devant les troupes du Péloponnèse, un grand torrent entre deux. Il vit que les ennemis étaient forts supérieurs en nombre, et qu'ils débordaient son armée. Il fit mettre en embuscade dans un lieu creux et propre à cela, un nombre suffisant de gens armés de toutes pièces, et trois cents fantassins armés à la légère, qui eurent ordre, quand ils verraient la phalange débordée par les ennemis, de fondre en queue sur ce qui s'étendait au-delà de sa phalange. Les ennemis le débordèrent effectivement, et les gens de l'embuscade, s'étant levés à propos, tombèrent tout d'un coup sur les ennemis, qu'ils prirent par derrière, et les vainquirent sans beaucoup de peine.

CHAPITRE II. - PAQUÉS.

Paqués assiégeait Notium. Il demanda à parler avec Hippias, général de Pissouthnès, le pria de sortir pour cet effet hors des murs, et donna parole de le renvoyer sain et sauf dans la ville. Hippias sortit, et Paqués le fit entourer de gardes. En même temps il prit Notium d'assaut. Après cela il fit rentrer Hippias vif dans la ville, comme il l'avait juré; mais il le fit aussitôt percer de traits.

CHAPITRE III. - TOLMIDÈS.

Les Athéniens avaient réglé, par un décret public, qu'on ferait une liste de mille hommes, et qu'on les donnerait à Tolmidès. Il alla trouver les jeunes gens, et parlant à chacun en particulier, il lui dit qu'il le mettrait sur la liste, et qu'il vaudrait bien mieux qu'il vînt à la guerre volontairement que d'y être forcé par autorité. De cette manière il y en eut trois mille qui lui donnèrent leur engagement et leurs noms. Tolmidès n'en put gagner davantage; mais parmi ceux qu'il n'avait pu engager, on lui en choisit mille autres en vertu du décret. Enfin il eut de quoi remplir cinquante galères, et au lieu de mille hommes, il en eut quatre mille.

CHAPITRE IV. - PHORMION.

Phormion ayant fait descente en Chalcide, fit un grand butin dans le pays, et l'emportant sur ses vaisseaux, alla prendre terre à Cyr. Les Chalcidiens envoyèrent une ambassade pour demander la restitution de ce butin. Pendant qu'on était occupé à cette négociation, il disposa sous main un vaisseau de service, qui parut au port, comme envoyé d'Athènes, pour prier Phormion, de la part du peuple, de se rendre en diligence au port de Pirée. Dans l'impatience qu'il témoignait d'aller où l'invitaient les Athéniens, il restitua aux ambassadeurs de Chalcide, tout ce qu'ils demandaient, monta sur un vaisseau, et alla se cacher la nuit derrière une petite île. Les Chalcidiens, contents de ravoir ce qui était à eux, et voyant que Phormion avait mis à la voile pour se rendre à Athènes, n'eurent pas grand soin de garder leur ville et leur pays. Pendant qu'ils se négligeaient, sur cette assurance, Phormion fondit sur eux. Peu s'en fallut qu'il ne prît la ville. Mais tout ce qu'il y avait de bon à prendre dans le pays, il s'en empara, et l'emporta avec lui.

II. Phormion n'ayant que trente vaisseaux, se trouva en face des ennemis, qui en avaient cinquante. Il divisa sa flotte en cinq files ou escadres, et les mena ainsi droit aux ennemis. Les vaisseaux de ceux-ci, conduits par des gens qui s'assuraient de la victoire, se furent bientôt séparés les uns des autres. Phormion voyant ce désordre, mit les six vaisseaux de son escadre sur une ligne de front, et fondit sur les galères qui se trouvèrent les plus proches de lui, et les ayant coulées à fond, il alla chercher les autres. Ceux qui commandaient les quatre autres escadres, firent la même chose. Les ennemis prirent la fuite, après avoir perdu la plupart de leurs galères coulées à fond, et Phormion remporta une victoire signalée.

III. Phormion faisant route sur les côtes de Naupacte, rencontra deux galères qui lui donnèrent la chasse. Il y avait à la rade un vaisseau de charge. Phormion, sur le point d'être pris, se mit à couvert de ce vaisseau, et en ayant fait le tour, il alla donner dans la poupe de la plus lente des deux galères, et la coula à fond. Revirant aussitôt sur l'autre, il la fit de même périr sans beaucoup de peine.

CHAPITRE V - CLISTHÈNE.

Clisthène assiégeait Cyrrha. Il y avait un oracle qui disait que cette ville ne serait point prise jusqu'à ce que la mer touchât là terre sacrée Les Cyrrhéens méprisaient cet oracle, parce que la terre sacrée était fort loin de la mer, et leur ville était entre la mer et cette terre. Clisthène, informé du contenu dans l'oracle, consacra au dieu d'Apollon le pays et la ville de Cyrrha afin que devenu terre sacrée, il fut sujet au malheur prédit par l'oracle; parce qu'alors la mer baignerait la terre sacrée. En effet il eut la victoire, et dédia le pays au dieu

CHAPITRE V. - PHRYNIQUE.

Phrynique, général de Samos avait donné parole aux ennemis de leur livrer la ville. Pendant qu’il différait l’exécution, il fut accusé de trahison et était le point d'être convaincu. Il prévint le jugement, en découvrant aux Samiens tout ce que les ennemis avaient dessein de faire: « Ils viendront, dit-il; et attaqueront Samos du côté que la ville n'est point fermée de murailles, et prendront le temps que là plupart des vaisseaux ne seront point dans le port. Pour déconcerter leur entreprise, il n'y a qu'à murer ce côté. » L'on se mit à travailler cette fortification, sur cet avis. Les ennemis, Alcibiade à leur tête, écrivirent aux Samiens pour leur découvrir la trahison de Phrynique. Mais ses actions parurent un témoignage plus sûr que ces lettres, et malgré tout ce que purentmander les ennemis, il demeurat constant qu'il était un excellent général.

CHAPITRE VII - LACHARÈS.

Quand la ville d'Athènes fut prise par Déméttius, Lacharès se revêtit d'un habit d'esclave des plus rustiques, se barbouilla le visage de noir, prit un panier plein de fumier, et sortit par une petite porte dérobée; ayant trouvé là un cheval, il monta dessus, ayant à la main une bonne quantité de pièces d'or de Darius. Poursuivi avec ardeur par des cavaliers tarentins, il laissa tomber de ces pièces d'or dans le chemin; et ces gens descendirent de cheval pour les ramasser; il fit là même chose plusieurs autres fois de suite, et par ce moyen gagna pays. Enfin il arriva sain et sauf en Béotie.

II. À la prise de Thèbes, Lacharès se coula dans un égout et y demeura trois ou quatre jours, il en sortit un soir, et se rendit à Delphes, d'où il alla trouver Lysimachus.

III, Quand les ennemis se rendirent maîtres de Sest Lacharès passa quelques jours dans une fosse avec autant de vivres seulement qu'il en fallait pour ne pas mourir de faim. Il arriva qu'une femme avait un mort à porter. Lacharès profita de cette occasion, prit habit de femme, et la tête couverte d'un voile noir, il se joignit aux pleureuses, sortit hors des murailles avec le convoi, et la nuit venue, il passa à Lysimaque.

CHAPITRE VIII. - ARQUINE.

Les Argiens, par un décret public, avaient ordonné qu'il serait fait denouvelles armes pour être distribuées aux habitants et que les vieilles seraient offertes et consacrées aux dieux. Arquine fut chargé de l'inspection de cette manufacture, et de la distribution des armes. En donnant les neuves à chaque habitant, il retirait les veilles, mais au lieu de mettre celles-ci dans les temples, il les garda chez lui; et étant demeuré maître de toutes les vieilles armes, il rassembla toutes sortes de gens, étrangers, voisins, pauvres, les prit même parmi la canaille, les arma, et devint tyran d'Argos.

CHAPITRE IX. - IPHICRATE.

Iphicrate menant sa phalange contre les ennemis, s'aperçut qu'il y avait de ses soldats qui traînaien , qui étaient pâles, et qui marquaient peu d'assurance : il s'avança, et comme les ennemis commençaient à paraître, il fit publier : « Si quelqu'un a laissé quelque chose, qu'il s'en aille le chercher, et qu'il revienne. » Les lâches furent ravis d'entendre cette proclamation, et s'en allèrent aussitôt. Sans attendre leur retour, Iphicrate dit: « Hommes, maintenant que nous voilà délivrés de la compagnie de ces vils esclaves, c'est à nous à bien faire. Allons aux ennemis, afin d'être les seuls à jouir des fruits de notre courage.» Ses soldats furent animés par ce discours, et combattant sans mélange des gens timides, ils remportèrent la victoire.

II. Iphicrate ayant mis les ennemis en fuite et étant encore auprès, donnait ces avis à sa phalange : «Vous, qui êtes armés à la légère, prenez garde aux embuscades , ne bouchez point le passage à l'ennemi qui fuit. S'il y a des fleuves à passer, des endroits serrés et des fossés, c'est là justement qu'il ne faut point entamer les ennemis qui sont en fuite, de peur que le désespoir ne les engage à se battre de nouveau. Dans une poursuite, il ne faut pas s'approcher trop près des murs ; car il arrive souvent qu'étant à la portée du trait, on est blessé sans le pouvoir éviter, et l'on se retire en mauvais état. »

III. Iphicrate surprit une ville ennemie à la faveur de la nuit ; les habitants s'enfuirent dans la place publique, et s'y assemblèrent en grand nombre. Iphicrate commanda qu'on ouvrît les portes pour leur donner la commodité de se retirer. Par ce moyen il s'assurait une possession exempte de trouble et de danger.

IV. Iphicrate faisait la guerre en Thrace. Une espèce de terreur panique saisit ses troupes, et elles prirent la fuite. Il fit publier que quiconque découvrirait celui qui avait jeté ses armes, les aurait. Cet avis ranima le courage, des soldats, et les rendit plus disposés à garder leurs rangs.

V. Iphicrate; voulant passer au milieu des ennemis, envoya la nuit des trompettes sur les extrémités des lieux qu'ils occupaient, avec ordre de sonner la charge. Ils obéirent, et les ennemis coururent au bruit. Ils laissèrent ainsi leur centre dégarni, et ce fut par là qu'Iphicrate passa en toute sûreté.

VI. Iphicrate ayant reçu un échec, s'enfuit avec fort peu de troupes dans un lieu fort couvert. Comme on l'y tenait serré, il ordonna qu'on fit beaucoup de bruit à l'une des extrémités, pendant la nuit. Les ennemis allèrent au bruit, et Iphicrate se retira sans empêchement de l'autre côté.

VII. Iphicrate avait un plus grand nombre de soldats que les ennemis, et les devins l'assuraient que les victimes lui promettaient un heureux succès. Cependant il ne voulut point en venir aux mains. Les ennemis regardaient ce retardement comme une chose sans raison, mais Iphicrate dit : « J'ai d'autres victimes dans la pensée qui me disent qu'il ne faut pas combattre. Mes soldats sont en si grand nombre, qu'ils ne peuvent pas donner tous ensemble, ni pousser les cris ordinaires de guerre, et quand je leur ai commandé de baisser le dard, j'ai plus entendu le bruit de leurs dents que celui de leurs armes. »

VIII. Iphicrate ayant les ennemis en présence, fit une marche de trois jours sans être découvert, et voici comment. Il faisait allumer du bois sec, et en faisait mettre du vert par-dessus. Cela faisait une fumée épaisse, qui bouchait la vue aux ennemis.

IX. Quand les devins ne donnaient pas des réponses favorables à Iphicrate, il ne se laissait pas persuader d'abord, mais tantôt il changeait l'ordonnance de son camp, tantôt il changeait de place, et faisait sacrifier de nouveau, sur une seule observation.

X. Iphicrate mettait ses troupes en ordre de bataille, pour combattre les Lacédémoniens; plusieurs lui demandaient des postes d'honneur ; l'un sollicitait le titre de taxiarque l'autre d'être nommé chef de loches, un autre d'avoir la conduite d'un corps moindre. Il remit toutes ces suppliques, et promit d'y satisfaire, quand il en serait temps, et voici celui qu'il prit. Il fit avancer la phalange, et quand elle fut arrangée, il donna ordre en secret qu'on suscitât un bruit propre à causer une terreur panique, comme si les ennemis eussent été prêts à donner. Il y eut beaucoup de mouvement dans la phalange: Les plus timides reculèrent, et les plus courageux s'avancèrent hardiment pour résister aux ennemis. Iphicrate se mit à rire, et avoua que cette terreur panique n'était qu'un artifice dont il s'était servi pour discerner ceux qui étaient dignes de conduire les autres. Il donna les emplois d'honneur à ceux qui étaient demeurés fermes , et commanda aux autres de se contenter de marcher à leur suite.

XI. Iphicrate étant sur le point de camper, détacha quelques gens, et les envoya s'emparer d'un pesté avantageux, mais très éloigné de son armée. Ceux qui étaient autour de lui, furent surpris de cet ordre, et lui demandèrent : « Pourquoi prendre ce poste ? » Iphicrate ne leur répondit autre chose, sinon : « Pensez-vous qu'on se le fût jamais imaginé? » C'était assez leur dire que dans la guerre il faut s'assurer des postes même auxquels on n'eût pas cru qu'on dût penser.

XII. Iphicrate était campé dans une grande plaine , et les ennemis , avec des troupes supérieures aux siennes, venaient au combat. Il fit creuser derrière ses gens une tranchée profonde, afin de leur ôter l'espérance de la fuite, et de les obliger par ce moyen, à combattre courageusement et de pied ferme.

XIII. Quand Iphicrate avait à combattre contre des troupes sans expérience, avec des soldats exercés de longue main, il ne se hâtait pas d'attaquer. Il traînait l'affaire en longueur, lassait par ce retardement des ennemis peu accoutumés à la peine, et puis il les attaquait. Mais au contraire, quand il avait en tête de vieilles troupes, et ne conduisait que de nouvelles levées, il donnait d'abord, pour mettre à profit la première pointe de courage de ses soldats, qui avaient plus d'ardeur que d'expérience.

XIV. Iphicrate ayant battu les ennemis, les poussa jusque dans un lieu fort étroit, d'où il leur était impossible de sortir autrement que parla victoire. Alors il dit : « Ne les contraignons pas à être gens de coeur. Il leur donna le temps et lieu de fuir, afin de se conserver, sans risque, la victoire qu'il avait remportée.

XV. Iphicrate ayant à subir un jugement où sa vie était en danger, fit paraître devant les juges un bon nombre de jeunes gens armés d'épées dont ils laissaient voir la poignée. Les juges saisis de peur, trouvèrent à propos d'absoudre Iphicrate.

XVI. Iphicrate ayant été obligé de se retirer auprès de son beau-père, prit sa cuirasse en entrant dans sa maison, en disant : « Je m'exerce à la conserver ».

XVII. Iphicrate, quoiqu'au milieu d'un pays ami, munissait son camp de palissades, et disait : « Il n'appartient pas à un capitaine d'être réduit à dire « Je n'y pensais pas ».

XVIII. Iphicrate voulant cacher sa marche aux ennemis qui étaient près de lui, et se retirer sans péril, coupa tous les arbres du lieu, y fit mettre des boucliers, des casques et des javelots. Cela avait l'apparence de troupes qui demeuraient dans leur poste. Les ennemis y furent trompés , et Iphicrate fit sa retraite sans risque.

XIX. S'il arrivait qu'Iphicrate eût plus de troupes que les ennemis, il trouvait moyen de leur en cacher le nombre, pour les exciter à le mépriser. Il ordonnait à ses soldats de ne faire qu’un lit pour deux, de s'y reposer tour à tour, et de mettre leurs armes les une sur les autres Mais s'il avait moins de soldats que les ennemis, pour empécherqu'ils ne les méprisassent, il ordonnait que chaque soldat dressât deux lits. Il décampait aussitôt et les ennemis comptant ensuite les lits étaient étonnés. Il profitait de cette disposition, et les attaquait ainsi avec avantage.

XX. Les Thébains étaient prés de faire irruption dans Athènes la huit. Iphicrate avertit les Athéniens de s'assembler la nuit dans la place au moment qu'il leur en donnerait le signal. Il leur dit quand il les vit assemblés : « On me livre la ville de Thèbes, sortons paisiblement et sans bruit, et nous rendons maître de la ville sans coup férir. » Les Thébains furent informés de ce discours, abandonnèrent le dessein de surprendre Athènes, et allèrent veiller à la garde de leur propre ville.

XXI. Iphicrate avait peu de soldats, et les voyait peu animés à bien faire. Voulant leur inspirer de la hardiesse, il fit venir pendant son souper les chefs de lochos et les taxiarques, et leur ordonna de lui apporter tout ce qu'ils avaient d'or et d 'argent, de bijoux et de parures, parce qu'étant en traité pour se faire livrer les ennemis, il avait besoin de présents, et de marcher aussitôt contre le ennemis. Ils apportèrent ce qu'il leur avait demandé, et il leur donna pour mot du guet Mercure ami, dont il supposa qu'il était convenu avec ceux de l’intelligence. Peu de temps après il mena ses troupes, qui, dans l'attente de voir un parti se déclarer pour elles, combattirent avec confiance.

XXII. Iphicrate comparait toute l'armée au corps humain. Il disait que la phalange était la poitrine, que les fantassins, armés à la légère étaient les mains, que les pieds étaient les gens de cheval , et que le général était la tête. Quand il manquait quelque chose, il disait que l'armée était estropiée, et que quand le générai périssait, tout le reste devenait inutile.

XXIII. Iphicrate étant dans Mitylène, fit courir te bruit qu'on aillait préparer des boucliers, pour les envoyer au plus tôt aux esclaves de Chio. Ceux de Chio ayant été informés de ce discours, eurent peur du soulèvement de leurs esclaves, envoyèrent aussitôt des présents à Iphicrate, et firent société avec lui.

XXIV. Iphicrate avait dessein d'attaquer Sicyone. Le commandant des Lacédémoniens y envoya du secours, et le fit mettre en embuscade. Quelques jeunes gens de la Ville ayant rencontré Iphicrate et ses troupes, lui dirent d'un ton menaçant : « Tu le paieras maintenant sans doute. » Iphicrate persuadé qu'il avait des gens qui leur donnaient cette confiance retourna sur ses pas dans le moment, et prenant une autre route difficile et plus courte, avec les plus vigoureux des siens, et tombant tout d'un coup sur ceux qui étaient en embuscade, les fit tous périr. Il 'avoua qu'il avait fait une faute de n'avoir pas observé les lieux, mais la sagacité dé son soupçon et là diligence avec laquelle il donna sur les ennemis, réparèrent avantageusement cette faute.

XXV. Iphicrate voulant, sur le point de livrer bataille aux Barbares, inspirer de la hardiesse à ses soldats, leur dit : « Je crains que ces gens ignorent comme mon nom seul donne de la terreur ex ennemis. Mais je pense à leur faire connaître aujourd'hui, de manière qu'ils en puissent informer les autres. Aidez-moi seulement à maintenir cette réputation.» Quand les armées furent aux mains, quelqu'un dit : « Les ennemis sont à craindre. » Il répondit : « Ne le sommes-nous pas davantage? »

XXVI. Iphicrate priait ses soldats, par toutes les occasions où sa conduite leur avait fait remporter de glorieuses victoires, de ne lui pas refuser cette seule grâce, de se présenter les premiers, quand les ennemis donneraient. Il savait bien que s'ils négligeaient d'en user ainsi, les ennemis ne manqueraient pas de le faire eux-mêmes.

XXVII Iphicrate promit à ses soldats de leur donner la victoire, s'ils voulaient avancer un pas seulement, en s'animant les uns les autres quand il leur en ferait le signal. Dans la plus grande chaleur du combat, au moment que l'affaire allait se décider, Iphicrate éleva le signal. Ses troupes s'avancèrent avec grands cris, et poussant les ennemis vigoureusement, ils les mirent en fuite.

XXVIII. Iphicrate était à la tête des Athéniens, du côté de Corinthe, et faisait la guerre aux thébains. Les Athéniens le pressaient de donner combat; mais voyant les ennemis supérieurs en nombre, et enflés de la victoire qu'ils venaient de remporter à Leuctres, il ne voulut point combattre. Il dit : « Je me sais bon gré de vous avoir animés au point que vous pouvez mépriser les Béotiens. C'en est assez pour moi. Du reste, cherchez quelque meilleur général que moi, qui puisse vous mener contre eux. » Ainsi la vertu du général sut mettre un frein au courage inconsidéré des Athéniens; et les empêcha de se commettre avec des gens trop fiers de leur avantage.

XXIX. Iphicrate fut accusé de trahison à cause qu'ayant rencontré les ennemis à Embate, et avant pu les défaire, n'avait point attaqué leur flotte. L'affaire était poursuivie par Aristophon et Charès. Voyant les juges disposés à le condamner, il cessa de plaider sa cause, et fit entrevoir son épée aux juges. Ils eurent peur qu'armant tous ceux qui étaient dans ses intérêts, il n'environnât l'auditoire; et tous le déclarèrent innocent par leurs suffrage. Après qu'il eut gagné sa cause, quelqu'un'dit qu'il avait forcé les juges. « Il faudrait, répondit-il, que j'eusse perdu l' esprit, si après avoir fait la guerre pour les Athéniens, je n'a vais pas su la faire pour-moi-même. »

XXX. Dans une nécessité où l'on était d'argent, Iphicrate persuada aux Athéniens d'ordonner qu'on démolirait et que l'on vendrait toutes les saillies des maisons qui avançaient sur les rues. Les propriétaires apportèrent de grandes sommes pour empêcher que leurs maisons ne fussent gâtées par ces retranchements.

XXXI. Après une bataille, Iphicrate avait soin de distribuer à chacun, selon son mérite et sa peine, sa part de butin. Et si les villes envoyaient des présents, il en faisait aussi part à tous non pas par tête, mais par compagnies. Il envoyait une portion à un corps, une portion à un autre; telle aux cavaliers, telle à l'infanterie pesamment armée, telle à l'infanterie légère. Avant le combat, ayant fait faire silence il proposait des prix pour ceux qui feraient le mieux, dans la cavalerie, parmi les cuirassiers, et ainsi de tous les autres ordres. Et dans les fêtes et les assemblées publiques, il donnait les premières places à ceux qui avaient montré le plus de courage. Il faisait tout cela pour rendre ses soldats plus courageux dans les occasions périlleuses.

XXXII. Iphicrate exerçait continuellement ses soldats par des faux bruits, de fausses marches, de fausses frayeurs, de fausses embûches, de fausses trahisons, de fausses désertions, de fausses attaques et de fausses nouvelles de secours arrivé aux ennemis, afin qu'on fût moins surpris quand ces choses arrivaient véritablement.

XXXIII. Iphicrate, posté aux environs de la montagne sacrée, avait devant lui, à cinq stades seulement de distance, les ennemis qui avaient occupé un lieu fort élevé sur le bord de la mer. On ne pouvait y aller qu'un à un, et au-delà du chemin ce n'étaient que précipices qui donnaient dans la mer. Iphicrate ayant choisi des hommes robustes, prit le temps d'une nuit tranquille, se frotta d'huile, prit les armes nécessaires, fit le tour par la mer, en nageant dans les endroits les plus profonds, passa au-delà des gardes, et ayant abordé, les prit par derrière et les tua tous. Ensuite il fit avancer ses troupes par un chemin étroit , et comme la nuit durait encore, il surprit les ennemis qui étaient sans sentinelles et qui ne se défiaient de rien, en tua une partie et fit les autres prisonniers.

XXXIV. En hiver, et dans une forte gelée, Iphicrate, voyant l'occasion favorable de donner sur les ennemis, voulut mener ses soldats au combat. S'apercevant que la rigueur du froid et la nuit leur ôtait le courage, il prit le plus mauvais habit qu'il put trouver, et alla de tente en tente exhorter ses soldats à faire effort contre les ennemis. Ces gens voyant leur général si mal vêtu, et sans souliers qui ne laissait pas avec cela de témoigner de l'ardeur pour le salut commun, se sentirent animés à bien faire, et le suivirent courageusement.

XXXV. Quand Iphicrate n'avait point de quoi payer la solde à ses troupes, il les menait dans les lieux déserts et sur les rivages de la mer, où elles n'avaient pas occasion de faire de dépense. Quand la caisse était pleine, il conduisait ses soldats dans les villes et dans les lieux où tout abondait, afin que, consumant leur solde, le manque d'argent les rendit ensuite plus ardents à de nouvelles expéditions. Il ne les laissait jamais dans l'oisiveté, mais il les occupait sans cesse, tantôt à faire des tranchées, tantôt à couper du bois, tantôt à changer de camp , tantôt à déménager et transporter le bagage. Il était persuadé qu'il n'y avait que l'oisiveté qui occasionnait les mouvements séditieux.

XXXVI. Iphicrate ayant pillé Samos, mena sa flotte à Délos. Les Samiens lui envoyèrent des ambassadeurs pour racheter sa proie. Il promit de la rendre, et ayant fait faire secrètement le tour à un vaisseau de service, il le fit aborder comme s'il fût venu. d'Athènes, avec une lettre forgée, par laquelle les Athéniens lui commandaient de revenir. Il transigea avec les Samiens et les traita favorablement. Aussitôt il ordonna aux chefs des galères d'appareiller, et étant parti, il alla se cacher un jour et une nuit derrière une île déserte. Les Samiens, persuadés qu'Iphicrate, s'en était allé, et satisfaits de la manière dont il en avait usé avec eux, furent sans crainte dans leur ville, et en sortaient avec une entière sécurité, comme s'ils n'eussent plus eu rien à craindre. Iphicrate les voyant ainsi dispersés, reprit la route de Samos avec sa flotte , et fit encore un plus grand butin que la première fois. Phormion avait usé le premier d'une ruse semblable contre ceux de Chalcide.

XXXVII. Iphicrate essayait de réconcilier ensemble les Lacédémoniens et les Thébains qui se faisaient la guerre. Il trouvait de l'opposition dans les Argiens et dans les Arcadiens, alliés avec les Thébains. Il donna ordre à quelques troupes d'aller faire le ravage dans le pays d'Argos. Sur les plaintes qu'en firent les Argiens, il dit que c'était leurs propres déserteurs qui avaient fait tout le mal, et ayant fait semblant de leur donner la chasse, il rendit tout le butin aux Argiens. Ce bienfait imaginaire les attacha par reconnaissance à Iphicrate, qu'il regardèrent comme ami, et ils persuadèrent aux Thébains d'acceptée la paix.

XXXVIII. Iphicrate, s'étant uni à Pharnabaze, afin de faire la guerre pour le roi de Perse, mena sa flotte en Égypte. Comme ce pays est sans port de mer, Iphicrate ordonna aux Commandants des galères de se munir chacun de quarante sacs. Quand on fut abordé, il fit remplir tous les sacs de sable, et les enfonça dans la mer, après les avoir attachés aux galères, qui ayant été remorquées, demeurèrent en sûreté par ce moyen.

XXXIX. Iphicrate campé en Epidaurie, un peu au-dessus de la mer se trouvant auprès d'un bois fort épais et couvert, s'écria : « Que l'embuscade se lève. » Les ennemis s'imaginèrent qu'il y avait là effectivement une embuscade considérable, et saisis de frayeur, ils prirent la fuite, montèrent sur leurs vaisseaux, et se retirèrent.

XL. Iphicrate étant en Thessalie, voulut traiter avec le tyran Jason sur le bord d'une rivière. Ils s'envoyèrent réciproquement des gens qui les visitèrent partout, après qu'ils se furent désarmés et dépouillés. Après cette cérémonie, ils s'assemblèrent tous deux sous un pont, et parlèrent ensemble. Il ne restait plus que le serment à faire, et il fallait pour cela sacrifier. Iphicrate monta sur le pont, et Jason ayant pris la victime de la main d'un berger qui s'en alla, se mit à l'égorger et à en répandre le sang dans la rivière. Dans cet instant, Iphicrate, le poignard à la main, sauta à terre. Il ne tenait. qu'à lui de tuer Jason, mais il ne le voulut pas ; il se contenta de le forcer à lui promettre ce qui lui convenait.

XLI. Iphicrate étant campé en Thrace auprès des ennemis, s'avisa'une nuit de mettre le feu à une forêt qui était entre eux et lui ; et laissant dans son camp le bagage et beaucoup de bestiaux, il se retira à la faveur de la nuit, que la fumée rendait encore plus obscure, dans un lieu couvert et fort ombragé. Quand le jour fut venu, les Thraces étant entrés dans son camp, et n'y trouvant aucun Grec, se mirent à piller le bagage et à butiner les bestiaux. Iphicrate les voyant dispersés, se montra en marchant en bon ordre, les vainquit, et sauva tout son bagage.

XLII. Pendant une nuit, Iphicrate voulant se rendre maître d'un certain poste, envoya des trompettes en plusieurs lieux différents, avec ordre de sonner la charge. À ce bruit, les ennemis couraient ça et là. Iphicrate ne trouva plus sur le lieu qu'un petit nombre de gens qui y étaient demeurés il n'eut pas de peine à les vaincre et le poste lui demeura.

XLIII. Pendant qu'Iphicrate était à Corinthe, les Lacédémoniens vinrent se présenter devant la ville il ne jugea pas à propos de hasarder ses troupes dans un combat. Mais ayant su qu'il y avait autour de la ville des lieux très forts, il en saisit secrètement, et fit publier dans la ville qu'on l'y vint joindre. Tous sortirent et s'assemblèrent autour d'Iphicrate. Cette multitude, et le parti qu'elle avait pris de se retirer dans les lieux forts, firent peur aux Lacédémoniens, et ils s'enfuirent sans combattre.

XLIV. Iphicrate faisant la guerre à ceux d'Abyde, était posté aux environs de la Chersonèse. S'y étant saisi d'un certain lieu, il se mit à le fortifier, et y leva une muraille, comme s'il avait peur d'Axibius, Lacédémonien. Les Abydiens voyant Iphicrate occupé à cet ouvrage, le méprisèrent comme un homme timide, et, sortant de leur ville, se répandirent en liberté dus le pays. Iphicrate remarqua le peu d'ordre qu'ils observaient, et, prenant la nuit une partie de ses troupes, il pénétra dans les terres d'Abyde, parcourut toute la campagne, et enleva beau coup de personnes et de biens.

XLV. Iphicrate étant à Corinthe, sut que ceux du parti opposé devaient introduire la nuit suivant dans la ville des Lacédémoniens qu'ils avaient soudoyés. Il assembla ses soldats, et en ayant laissé une partie à la garde de Corinthe, il fit sortir les autres, et les menant lui-même, il les mit en ordre. Ensuite il se présenta à la porte qu'avaient. fait ouvrir ceux qui recevaient les Lacédémoniens. Les derniers entraient actuellement; et comme la nuit empêchait de le reconnaître, il entra et fut admis comme eux. Il profita de l'obscurité, donna sur les ennemis, et en tua plusieurs, et quand le jour parut, il en fit prisonniers un grand nombre d'autres qui s'étaient réfugiés dans les temples.

XLVI. Iphicrate étant monté en Thrace, était campé avec huit mille hommes. Ayant été informé que les Thraces devaient l'attaquer la nuit, il se retira avec ses troupes, le soir, à trois stades de là, dans un vallon où il pouvait se cacher. Les Thraces donnant dans son camp, et le trouvant abandonné, se mirent à piller en désordre, et faisaient des railleries de la fuite des Grecs. Iphicrate parut tout d'un coup, et tombant sur les ennemis, il en tua un grand nombre, et fit les autres prisonniers de guerre.

XLVII. Iphicrate ayant à traverser un pays sans eau, par un chemin de deux journées, ordonna à ses soldats de souper et de faire provision d'eau. Au soleil couché, il se mit en chemin, et marcha toute la nuit. Le jour venu, il campa, fit manger ses troupes, et leur ordonna de boire de l'eau qu'elles avaient apportée. Il les fit reposer après midi, et sur le soir il leur commanda de souper. Après cela leur faisant plier bagage, il marcha encore la nuit. De cette manière il fit en deux nuits le chemin de deux jours; ses troupes furent rafraîchies, et l'eau ne leur manqua pas.

XLVIII. Aux environs d'Épidaure, Iphicrate conduisait un grand butin. Comme il approchait des vaisseaux, Lacon, à qui la garde du pays était confiée, lui donnait la chasse. Les Epidauriens étaient sur une hauteur. Iphicrate fit précéder le butin par de l'infanterie légère, à qui il ordonna de se disperser de côté et d'autre, et attaqua Lacon. Pendant que celui-ci était occupé de tant de côtés différents, Iphicrate se saisit de quelques postes avantageux, d'où, fondant sur les ennemis en queue, il les extermina tous.

XLIX. Iphicrate était à Phlius, et marchait par des lieux fort étroits. Il avait les ennemis à dos, qui pressaient les derniers de ses soldats. Il ordonna à ses troupes de se hâter de sortir au plus tôt de ce lieu désavantageux, et prenant avec lui les plus vigoureux de ses soldats, il partit du centre, et s'avança à la queue, où se trouvant tout frais et en bon ordre, contre des gens débandés, il en fit périr un grand nombre.

L. Dans une expédition qu'Iphicrate fit en Thrace, il campa dans une plaine bordée d'une montagne, où il n'y avait d'issue que par un pont étroit, que les Traces devaient passer la nuit pour le venir attaquer. Il fit allumer un grand nombre de feux dans son camp, et en sortant avec ses troupes, courut se cacher dans les bois qui étaient au pied de la montagne, à côté du pont, et tint en repos. Les Thraces passèrent le pont, et attirés par les feux qu'ils voyaient ils poussèrent jusqu'au camp, dans l'attente de trouver les ennemis. Iphicrate sortant alors du bois traversa le pont avec ses troupes et fit sa retraite en sûreté.

LI. Iphicrate se voyant à la tête d'une grande armée, composée de troupes de terre et de troupes de mer, retenait chaque mois, quand il fallait payer la montre, le quart de la solde de chacun, comme un gage de fidélité, pour s'assurer qu'on ne quitterait point l'armée. De cette manière, il eut toujours des troupes nombreuses, et le quart du prêt mis en réserve, était un dépôt qui mettait dans la suite le soldat à son aise.

LII. Iphicrate se trouvant campé devant les alliés da Lacédémoniens, fit changer de parure à ses troupes, la nuit. Il donna aux soldats les vêtements des esclaves, et aux esclaves les habits des soldats. Ceux-ci, ornés militairement, s'éloignèrent des armes, par son ordre, et se mirent à se promener comme gens qui n'avaient rien à faire ; et les soldats, vêtus en esclaves, se tinrent au milieu des armes et exerçaient les fonctions ordinaires aux esclaves. Les ennemis voyant cela, voulurent l'imite, Leurs gens de guerre, désarmés, sortirent du camp et se promenèrent en repos, et les esclaves demeurèrent à faire leurs fonctions accoutumées. Aussitôt Iphicrate fit donner le signal. Ses soldats prirent les armes à la hâte, et firent irruption dans le camp des ennemis, qui fut bientôt abandonné par les esclaves ; et comme le reste était désarmé, tout ce qu'il y avait d'ennemis fut tué ou fait prisonnier.

LIII. Iphicrate campé en présence des ennemis, avait remarqué qu'ils dînaient tous les jours à la même heure. Il ordonna à ses troupes de dîner avant le jour ; et quand ce fut fait, il attaqua les ennemis, sur lesquels on ne cessa point de tirer jusqu'au soir. Quand les deux armées se furent séparées, les ennemis se mirent à souper. Iphicrate, dont les troupes avaient déjà repu, fondit sur ces gens qui étaient à manger et en fit un grand carnage.

LIV. Iphicrate étant aux, environs de Phliunte, avait un passage difficile à surmonter. Il dédoubla les files de sa phalange, et les ennemis l'attaquaient en queue. Ils blessèrent plusieurs des siens, et enlevèrent beaucoup de dépouilles. Il ordonna à sa phalange de hâter le pas, prit avec lui les chefs et les plus courageux qu'il trouva à droite et à gauche , les plaça en ordre à la queue de la phalange , et donnant sur des gens déjà fatigués de la poursuite, et occupés tumultuairement à plier le bagage, il en tua plusieurs ; mais le plus grand nombre fut fait prisonnier de guerre.

LV. Iphicrate étant à Corcyre, fut averti par ceux qui avaient soin de faire les signaux avec le feu, que Crinippe venait de Sicile avec onze vaisseaux. Il commanda que dans une île déserte, on fit avec les feux le signal qu'on avait coutume de faire aux amis; et s'avançant en mer à la faveur de la nuit, il se rendit maître de dix de ces vaisseaux ; il n'y en eut qu'un qui lui échappa par la fuite.

LVI. Iphicrate étant en Thrace, fut averti que deux de ses chefs méditaient une trahison ; il convoqua les principaux de l'armée et leur ordonna, quand il manderait les deux chefs pour les examiner, de se saisir de leurs armes et de celles de leurs soldats. Les armes furent saisies, et Iphicrate ayant convaincu ces deux hommes de trahison, les fit mourir. Quant à leurs soldats, il les dépouilla, et les chassa du camp.

LVII. Iphicrate voyant que deux mille hommes de ceux qui étaient à sa solde, avaient déserté pour passer du côté des Lacédémoniens, écrivit aux chefs de ces déserteurs une lettre où il les priait instamment de ne pas oublier ce qu'ils lui avaient promis, et de se tenir prêts au temps marqué, qui était le même qu'il devait recevoir du renfort d'Athènes. Il jugea bien que cette lettre serait surprise par les gardes des chemins, et c'était ce qu'il souhaitait. Elle fut portée aux Lacédémoniens, qui voulurent arrêter les transfuges. Ceux-ci s'estimèrent heureux de pouvoir se sauver par la fuite, et eurent également pour ennemis, et les Athéniens qui les avaient trouvés infidèles, et les Lacédémoniens, qui les croyaient traîtres.

LVIII. Iphicrate voulant connaître et convaincre de trahison ceux de Chio qui étaient dans les intérêts des Lacédémoniens, commanda à quelques capitaines de galères de prendre le large pendant la nuit, et de se présenter le lendemain devant Chio, armés et équipés à la façon des Lacédémoniens. Ceux qui étaient pour Sparte, les voyant, se rendirent au port avec beaucoup de joie. Iphicrate les environna, et les ayant pris, les fit transporter à Athènes pour y être punis.

LIX. Iphicrate manquait d'argent, et les soldats faisant un grand bruit, demandaient l'assemblée générale. Il trouva des gens qui avaient l'usage de la langue persane, et leur ayant donné de longues robes comme en portaient les Perses, il leur commanda de se montrer à l'assemblée, quand elle se-rait la plus remplie, et de dire en langue barbare: « Ceux qui apportent l'argent ne sont pas loin; nous avons été envoyés devant pour le faire savoir. » A ces nouvelles les soldats laissèrent l'assemblée se séparer.

LX. Iphicrate emmenait de l'Odrysie un butin considérable. Les Odrysiens allèrent en grand nombre pour le recouvrer. Iphicrate avait peu de chevaux ; il donna à ses cavaliers des flambeaux allumés, avec ordre d'avancer ainsi contre les ennemis. Les chevaux des Odrysiens ne purent supporter cette lueur, à laquelle ils n'étaient pas accoutumés, et se mirent en fuite.

LXI. Iphicrate allait contre une ville ennemie ; il fallait, pour y arriver, passer Une rivière qui coulait vers cette ville, et la traversait, il la passa le soir avec son armée, afin que l'eau brouillée par son passage, eût le temps de s'éclaircir en coulant pendant la nuit, et que son passage fût ignoré de ceux de la ville. Par ce moyen, il les surprit lorsqu'ils s'y attendaient le moins.

LXII. Iphicrate étant en Thrace, y fit beaucoup d'Odrysiens prisonniers. Les Odrysiens le poursuivaient vivement, et tiraient continuellement sur ses troupes. Pour les faire cesser, Iphicrate mit à côté de chaque chef de file un prisonnier nu, les mains attachées derrière le dos. Les Odrysiens ne voulant pas blesser les leurs, s'abstinrent de lancer davantage des traits et des javelots.

LXIII. Iphicrate voguant sur les côtes de Phénicie avec cent galères, chacune de trente bancs, arriva à la vue d'une côte pleine de vases, et mit les Phéniciens en grand mouvement sur le rivage. Il ordonna que, quand on montrerait le signal, les pilotes jetassent l'ancre à la poupe, qu'on abordât en bon ordre, et que les soldats bien armés se coulassent en mer, chacun tout le long de sa rame, sans rompre leurs rangs. Quand il jugea que la mer n'avait plus guère de profondeur, il étendit le signal de la descente. Les galères s'avancèrent en ligne, et furent affermies sur le fer et les hommes sortirent en bon ordre. Les ennemis étonnés de leur belle disposition et de leur hardiesse, prirent la fuite. Les soldats d'Iphicrate les poursuivirent, en tuèrent quelques-uns, prirent les autres vifs, rassemblèrent un grand butin, et le transportèrent sur leurs vaisseaux, après quoi ils campèrent sur terre.

CHAPITRE X. - TIMOTHÉE

L'argent manquait dans l'armée d'Athènes. Timothée persuada aux marchands de prendre pour monnaie l'empreinte de son cachet, et promit, quand ils lui représenteraient ces empreintes, de satisfaire à ce qui leur serait dû. Ils le crurent, et ouvrirent le marché pour les soldats, qui les payaient du cachet du général. Dans la suite, quand Timothée eut recouvré de l'argent, il paya ce qui était dû aux marchands.

II. Timothée partait avec toute la flotte. Quelqu'un éternua. La chose parut de mauvais augure au pilote général qui donna ordre d'arrêter, et les matelots n'osaient monter sur les vaisseaux. Timothée ne put s'empêcher de rire, et dit « Voilà un plaisant augure ! Est-ce donc une si grande merveille, que parmi tant d'hommes que voilà tout autour, il s'en soit trouvé un qui ait éternué? » Les matelots tournèrent aussi la chose en risée, et levèrent l'ancre.

III. Timothée ayant commandé que l'on attaquât les ennemis, vit que peu de ses soldats s'avançaient. Celui qui menait la troupe, dit qu'il fallait attendre les autres. Timothée n'en fut pas d'avis il estimait qu'il suffisait de ceux qui se portaient courageusement au combat, et que la présence de ceux qui étaient si lents à s'avancer était inutile.

IV. Les Athéniens et les Lacédémoniens étaient sur le point de se donner bataille sur mer, devant Leucade. Timothée était général des Athéniens, et Nicomaque commandait la flotte de Lacédémone. Arriva la fête de Squirre, ou du chapeau blanc, qu'on célébrait en l'honneur de Minerve. Timothée fit couronner ses galères de myrte, leva le signal, et ayant fait avancer sa flotte, combattit et remporta la victoire. Les soldats, persuadés qu'ils avaient la déesse à leur secours, furent remplis de confiance, et firent parfaitement bien leur devoir.

V. Timothée ayant assiégé une certaine ville, marqua un espace, dans lequel il permit à ses soldats de faire du butin. Dans le reste du pays, il fit enlever ce qu'il y avait de bon, et le vendit. Il ne voulut pas que l'on démolît aucune maison ni cabane; il défendit de couper aucun arbre fruitier, et voulut que l'on se contentât d'en prendre les fruits. Sa vue était dans cette conduite, que s'ils étaient vainqueurs, les tributs seraient plus abondants; que si la guerre traînait en longueur, ils auraient toujours des vivres et où se loger ; enfin, et c'était encore le plus considérable, qu'on s'attirerait, par cette modération, la bienveillance des habitants.

VI. Timothée faisant la guerre par mer aux Lacédémoniens, garnit de soldats la poupe de ses galères, et s'y tenant en repos, il envoya devant vingt frégates légères, avec ordre de harceler les vaisseaux ennemis par beaucoup de mouvements. Les Lacédémoniens se fatiguèrent extrêmement à ramer, et n'avaient pas un moment de repos. Timothée tout frais, fit avancer ses galères, et ayant donné combat, remporta une victoire signalée.

VII. Timothée voulant traverser le pays d'Olynthe, et craignant la cavalerie des Olynthiens, fit un carré long de son armée, mit le bagage et la cavalerie au centre, avec un grand nombre de chariots accouplés ensemble en dehors, il posta, de côté et d'autre, les gens armés de toutes pièces. De cette sorte, il empêcha la cavalerie des Olynthiens d'agir.

VIII. Timothée avait son camp du côté d'Amphipolis. On lui apprit un soir que les ennemis s'assemblaient pour venir contre lui; qu'ils étaient supérieurs en nombre, et qu'ils l'attaqueraient le lendemain. Pour ne point étonner ses soldats, il ne leur parla point du nombre des ennemis; au contraire, il dit qu'ils étaient peu et en mauvais ordre, et qu'il fallait les combattre. Tout ce qui n'était pas de service dans une action, il l'envoya devant, par des lieux difficiles et les moins gardés par les ennemis. Il se mit ensuite à la tête de la phalange, et la fit suivre par l'infanterie légère. Il avait des galères sur le fleuve de Strymont, et ne pouvant alors les armer, il les brûla. Il ne mit qu'une nuit à faire toutes ces choses, et se retira en sûreté.

IX. Timothée assiégeait Samos avec sept mille hommes étrangers qu'il avait soudoyés. Comme il n'avait point d'argent à leur donner, et voyant la fertilité de l'île, il en désigna un canton pour servir à la nourriture de ses soldats, et réservant tout le reste, il en vendit les fruits, en donnant pleine sûreté à ceux qui venaient les cueillir. De cette manière il eut abondamment de quoi payer le prêt à ses troupes, qui le servirent avec d'autant plus de bonne volonté, et la ville de Samos tomba sous sa puissance.

X. Pendant que Timothée assiégeait Samos, un grand nombre d’étrangers abordaient par mer au camp, et consumaient les vivres. Timothée voyant que cela les rendait rares, défendit de vendre de la farine, ni de l'huile ou du vin, mesure à mesure. Le grain, il défendit d'en vendre moins d'un médimne ou boisseau à la fois, et les liquides de même, moins d'une métrète à chaque fois. Et pour ce qui est des meules à blé, il défendit à personne d'en avoir chez soi ; il ne permit que celles qui étaient sur les hauteurs. Il arriva de là que les étrangers ne trouvant pas marché ouvert pour avoir de ces denrées qui se consumaient chaque jour, en apportaient avec eux pour vivre, et que les provisions furent conservées pour les soldats.

XI. Timothée ayant une flotte de quarante vaisseaux, en voulut envoyer cinq quelque part, avec des vivres pour plusieurs jours. Il n'avait point d'argent à leur donner : mais voici ce qu'il fit. Il commanda que toute la flotte partit avec des vivres pour trois jours. Ayant abordé à une île, il ordonna aux commandants des galères, de lui donner de chaque vaisseau les vivres de deux jours. Il les distribua aux cinq autres, qui furent ainsi ravitaillés pour plusieurs jours, et il se retira avec les trente-cinq autres vaisseaux, à son premier poste.

XII. Timothée devait donner un combat naval, du côté de Leucade, à Nicoloque, général de la flotte de Sparte. Il fit mettre à terre l'équipage et les soldats de la plupart des navires, et leur ordonna de s'y tenir en repos sur le bord de la mer. Ensuite s'étant avancé avec vingt vaisseaux des plus légers à la course, il leur défendit d'approcher des ennemis à la portée du trait: mais il voulut qu'ils virassent de bord, et ne se battissent qu'en fuyant, afin de lasser les ennemis, qui ne cesseraient de ramer pour les atteindre. En effet, la chaleur et lé travail leur firent perdre toutes leurs forces. Alors Timothée montra le signal de revirer ; et étant allé prendre à la hâte ceux qu'il avait mis à terre, et qui s'étaient reposés, il donna la chasse aux ennemis épuisés, fit couler à fond un grand nombre de leurs galères, et mit les autres hors d'état de servie.

XIII. Timothée faisant la guerre aux Lacédémoniens sur mer, avait peur que dix vaisseaux Laconiens de conserve, que le général de la flotte ennemie avait donnés pour escorte aux barques chargées de vivres, ne vinssent donner sur les Athéniens, lorsqu'ils se retireraient. Il ordonna aux commandants des galères de ne se point s’amuser à chercher leur poste ordinaire; mais de se tenir chacun au lieu où il se trouverait, de peur que dans le mouvement qu'on ferait pour reprendre les postes accoutumés, les ennemis ne vinssent fondre sur une flotte en désordre. Il fit une ligne courbe de sa flotte; et la disposa en formé de croissant. Il mit au centre les vaisseaux de charge et les prisonniers, et se tenant sur la poupe, il présenta aux ennemis le bec de proue et les côtés.

XIV. Timothée faisant la guerre à ceux de Chalcide avec Perdiccas, fit fondre avec de l'argent de Macédoine du cuivre de Chypre, et de ce billon fit fabriquer de la monnaie, où sur cinq dragmes anciennes il n'y avait qu'un quatrième d'argent, et le reste était de mauvais cuivre. Ayant ainsi en abondance de quoi payer les troupes, il voulut persuader aux marchands du pays de recevoir ce cuivre dans le commerce. Ils aimèrent mieux trafiquer par échange, et ne gardèrent point de cette monnaie, qui revint ainsi aux soldats, et servit de nouveau à payer leurs montres.

XV. Timothée assiégeait Torone. Ceux de la ville élevaient des cavaliers fort haut, par le moyen de poches de cuir, et de corbeilles pleines de sable. Timothée prépara de grandes machines, où il y avait des mâts avec des pointes de fer et des faux. Par le moyen des pointes, on déchira les poches de cuir, et avec les faux on rompit les corbeilles, et le sable s'écoula. Les Toroniens voyant cela, se rendirent.

XVI. Timothée accompagné de ceux de Corcyre et des autres alliés, faisait la guerre aux Lacédémoniens sur mer. Il mit à part les vaisseaux qui voguaient le plus légèrement, et leur ordonna de se tenir en repos. Les autre navires s'avancèrent contre les ennemis; et quand Timothée les eut assez harcelés, pour les fatiguer, il fit signe aux vaisseaux qui se reposaient, de s'avancer. Comme ils étaient frais, les ennemis, déjà las, ne purent soutenir leur effort.

XVII. Dans un combat naval, qui fut donné devant Leucade, Timothée remporta la victoire sur les Lacédémoniens, qui perdirent plusieurs vaisseaux : mais il leur en restait dix qui n'avaient point combattu, et qui donnaient de la crainte à Timothée. Étant revenu à son premier poste, il arrangea sa flotte en demi-lune, et présenta aux ennemis, la pointe et les côtés après avoir mis au centre les vaisseaux de charge. Dans cette disposition il s'approcha de la terre, en reculant par la poupe, afin de présenter toujours la proue aux dix vaisseaux des ennemis, qui le voyant en cette posture, n'osèrent l'attaquer.

CHAPITRE XI. - CHABRIAS.

Chabrias étant sur le point de livrer bataille, dit à ses soldats : « En allant combattre, pensons moins que ce sont nos ennemis, que des hommes qui ont sang et chair, et de même nature que nous. »

II. Chabrias étant du côté de Naxe avec son armée navale, remporta la victoire le 16 du mois de Boëdromion. Il jugea que ce jour, qui était le second des neuf des mystères, serait favorable à son entreprise, comme une autre fête avait porté bonheur à Thémistocle devant Salamine. Mais Thémistocle avait eu à son secours Jacchus ; et Chabrias eut pour lui la divinité en l'honneur de laquelle on disait: « A la mère, les initiés. »

III. Les Lacédémoniens avaient envoyé douze vaisseaux à la découverte, et ces vaisseaux n'osaient sortir d'un port où ils s'étaient retirés. Chabrias, pour les inviter à prendre le large, joignit deux à deux douze vaisseaux qu'il avait aussi, et transporta sur un seul les voiles de deux. Les ennemis, estimant qu'il n'y avait que six galères, en eurent du mépris, et se voyant douze, allèrent hardiment contre les ennemis. Quand Chabrias les vit fort avancés, il sépara ses vaisseaux, attaqua ceux des Lacédémoniens, et en prit la moitié, avec tout l'équipage, et les soldats qui étaient dessus.

IV. Chabrias se retirant par des lieux étroits, avec peu de troupes, était poursuivi par une multitude d'ennemis. Il se mit à la tête, et les plus vigoureux, il les mit à la queue, pour résister à l'impression des ennemis. De cette sorte personne de la queue ne prit la fuite; car on n'aurait pu le faire sans passer à la face du général, qui n'aurait pas manqué de l'empêcher ou de punir; et l'armée de Chabrias continua sa route en sûreté.

V. Thamus, roi d'Égypte, n'avait point d'argent: Chabrias lui suggéra de commander aux plus riches du pays de lui apporter tout ce qu'ils avaient d'or et d'argent, avec promesse à ceux qui en apporteraient, qu'on n'exigerait point d'eux le tribut annuel. De cette manière on ramassa beaucoup de richesses, sans faire tort à personne ; et dans la suite tout fut rendu à ceux qui avaient fait les avances.

VI. Chabrias ayant passé pendant la nuit une rivière, fit incursion sur Helos, ville de la Laconie, et emmena un grand butin, qu'il envoya au-dessus du fleuve dans une contrée où les esprits étaient bien disposés pour lui ; et ce qui lui restait de troupes, il les fit repaître et se reposer jusqu'à midi, dans l'attente de ce qu'il présumait qui ne manquerait pas d'arriver. En effet, les Lacédémoniens sortirent pour aller recouvrer du butin, et coururent avec ardeur jusqu'au fleuve, à deux cents stades de distance. En y arrivant ils se trouvèrent las et débandés; et Chabrias leur lâchant ses soldats frais et repus, n'eut pas de peine à faire périr la plupart de ces Lacédémoniens.

VII. Chabrias était général des troupes du roi d'Égypte, à qui le roi de Perse faisait la guerre avec une armée de terre et une armée de mer. Le roi d'Égypte avait beaucoup de vaisseaux, mais point de rameurs pour les faire voguer. Chabrias choisit parmi les jeunes gens le nombre suffisant pour équiper deux cents vaisseaux. Ensuite ayant tiré les rames des galères, il fit mettre sur le rivage de longues pièce de bois et asseoir dessus ces jeunes gens un à un. Il leur mit les rames à la main, et ayant pris des comites qui savaient les deux langues égyptienne et grecque, en peu de jours, par leur moyen, il apprit à toute cette jeunesse à manier la rame, et les vaisseaux se trouvèrent garnis suffisamment de chiourme.

VIII. Lorsque Chabrias devait donner bataille avec de nouvelles troupes, il faisait publier par un héraut, que ceux qui se trouveraient mal, eussent à mettre leurs armes à part. Tout ce qu'il y avait de gens timides feignaient de se trouver mal, et mettaient les armes bas. Chabrias ne se servait point de ceux-là dans le combat. Mais quand il était question de garder des postes avantageux, il les y mettait, parce que les ennemis apercevant leur multitude, en avaient peur ; et le temps venait enfin que ces gens se rendaient capables de gagner leur solde.

IX. Chabrias menant sa flotte contre une ville ennemie, fit mettre la nuit à terre les soldats armés de boucliers, et lui se présenta au port avec ses vaisseaux, à la pointe du jour, assez loin de la ville. Les habitants sortirent en diligence pour l'empêcher de faire descente. Alors les gens armés de boucliers sortirent de leur embuscade, prirent les habitants par derrière, en tuèrent une partie, firent les autres prisonniers remontèrent sur leurs vaisseaux, et s'en allèrent.

X. Chabrias mit sur chacun de ses vaisseaux douze soldats, porteurs de boucliers, des plus légers à la course qu'il y eût, et la nuit il les fit débarquer dans le pays ennemi. Il jugea que ceux de la ville sortiraient en armes pour empêcher ceux-ci de butiner, et il se hâta de voguer contre la ville. Les habitants le voyant, se présentèrent aussitôt pour l'empêcher de la prendre. Pendant ce temps-là Chabrias, fit approcher ses vaisseaux de la côte, y reprit ses porteurs de boucliers, et ayant chargé tout le butin qu'ils avaient fait, il se retira.

XI. Chabrias étant sur le point de livrer bataille sur mer à Pollis, général des Lacédémoniens, du côté de Naxe, ordonna aux commandants des galères d'ôter secrètement les pavillons et les autres marques de leurs galères, et de se souvenir que les vaisseaux qui auraient de ces sortes de marques seraient aux ennemis. Quand cela fut fait, les pilotes des vaisseaux de Pollis rencontrèrent les navires des Athéniens, et n'y voyant point les marques athéniennes passèrent outre. Au contraire les vaisseaux des Athéniens attaquèrent des deux côtés ceux qui avaient des marques reconnaissables, et cet artifice donna la victoire aux Athéniens.

XII. Chabrias ayant fait voile du côté d'Égine, la nuit, mit à terre trois cents soldats, et passa outre. Ceux de la ville sortirent, attaquèrent ces trois cents hommes, et en tuèrent un grand nombre. Pendant ce temps-là Chabrias se présenta en diligence devant la ville. Les habitants craignant d'être enfermés dehors, cessèrent d'attaquer 1es trois cents, et se retirèrent dans Égine.

XIII. Chabrias voulant mettre ses rameurs à couvert des flots, pavoisa de peaux les côtés de ses galères, à la hauteur du pont ou du tillac où les gens de guerre avaient coutume de se tenir. De cette manière il défendit ses vaisseaux de la fureur des flots, et préserva l'équipage d'être mouillé. Outre cela les rameurs ne voyant plus les vagues, à cause de cette espèce de rideau, ne furent plus sujets à se lever de peur, et firent la manoeuvre plus sûrement.

XIV. Dans les navigations maritimes, Chabrias voulant se munir contre les tempêtes, mettait dans chaque vaisseau un double gouvernail. En temps calme il n'employait que l'ordinaire mais quand la mer devenait grosse et agitée, il faisait planter l'autre à la proue en dehors des rameurs, de manière que le timon du gouvernail surpassât le tillac, et de cette sorte, quand les flots élevaient trop la poupe, le vaisseau était gouverné à l'autre bout.

XV. Chabrias ayant fait incursion dans la Laconie, en enleva un butin considérable Agésilas, à la tête des Spartiates, marcha pour le ravoir ; Chabrias rassembla ses troupes sur une hauteur, et ayant placé dans un lieu sûr le bagage et les prisonniers, campa tout autour. Les Lacédémoniens se campèrent à cinq stades de là. Chabrias ordonna qu'on allumât une grande quantité de feux pendant la nuit; qu'environ la seconde veille on laissât dans le camp les bêtes de charge et les bestiaux, et que l'on se retirât par derrière cette hauteur; ce qui fut exécuté, sans que les ennemis en sussent rien. Les Lacédémoniens voyant les feux, et entendant le bruit que faisaient les bêtes, crurent que les Athéniens étaient encore là, levèrent le camp à la pointe du jour, et s'étant donné le mot pour le combat, s'avancèrent vers la hauteur. Quand ils en furent près, ils trouvèrent le camp des Athéniens vide, et Agésilas ne put s'empêcher de s'écrier : « Il faut convenir que Chabrias est un excellent capitaine. »

CHAPITRE XII. - PHOCION.

Phocion voyant les Athéniens entêtés de faire la guerre aux Béotiens, les en détournait le plus qu'il était possible. Malgré tous ses efforts la guerre fut résolue par décret public, et lui nommé général. Aussitôt il fit crier par un héraut : « Que tout Athénien, depuis l'âge de puberté, jusqu'à soixante ans prenne des vivres pour cinq jours en sortant de l'assemblée, et me suive. » Aussitôt voilà toute la ville dans le trouble et l'agitation. Les vieillards surtout criaient, allaient et venaient, et témoignaient du mécontentement. « De quoi vous plaignez-vous, leur dit Phocion, je suis général; quoique j'aie quatre-vingts ans, je mourrai avec vous? » A ce discours les Athéniens se modérèrent dans leur ardeur inconsidérée, et renoncèrent à la guerre.

CHAPITRE XIII. - CHARÈS.

Charès soupçonnant qu'il y avait des espions dans son camp, fit poser des gardes autour des retranchements, et commanda que chacun prenant son voisin, ne le laissât point aller qu'il n'eût dit qui il était, et de quelle section. De cette manière les espions furent découverts, parce qu'ils ne purent dire ni le corps, ni le poste, ni la section, ni la chambrée dont ils étaient, ni le mot du guet.

II. Charès se trouvant en Thrace dans un hiver très rude, s'aperçut que ses soldats épargnaient leurs habits, et devenaient paresseux à s'acquitter de leurs fonctions. Il ordonna que chacun changeât d'habit avec son voisin. Alors ne se souciant pas tant d'épargner les habits d'autrui, tous se trouvèrent plus disposés à faire ce qui leur était ordonné.

III. Charès retirait ses troupes de Thrace, et les Thraces le poursuivant, lui blessaient beaucoup de monde à son arrière-garde. Voulant les détourner et se procurer un passage sûr dans des lieux suspects, il fit monter des trompettes à cheval, et les faisant escorter par quelques cavaliers, il leur ordonna d'user de diligence pour gagner la queue des ennemis, et quand ils y seraient, de sonner la charge. Ils le firent, et à ce bruit les Thraces s'imaginèrent qu'il y avait là une embuscade, ils se débandèrent et prirent la fuite, et Charès fit sa retraite en sûreté.

CHAPITRE XIV. - CHARIDÈME.

Ceux d'Ilion faisaient du butin sur le territoire de la ville de Charidème. Il surprit un esclave ilien qui pillait avec les autres, et lui persuada à force de présents de lui livrer la ville. Et afin de le faire passer auprès des gardes des portes pour un homme très fidèle, il lui donna par deux ou trois fois un grand nombre de bestiaux et de prisonniers à emmener. Les gardes en ayant fait le partage, prirent confiance en cet homme, et lui permirent de sortir plusieurs fois la nuit, avec un bon nombre de personnes, pour faire de nouvelles prises. Charidème ayant pris ces gens, les lia, et donna leurs habits à autant de ses soldats bien armés. Leur donnant ensuite le butin, et même des chevaux, il les envoya vers la ville. Les gardes ouvrirent toutes les portes, jour faire passer les chevaux. Les soldats entrant avec les chevaux, tuèrent les gardes, et s'étant rendus maîtres des autres habitants, s'emparèrent de la ville. De cette manière, s'il est permis de badiner, on peut dire qu'Ilion fut encore pris une fois par le moyen d'un cheval.

CHAPITRE XV. - DÉMÉTRIUS DE PHALÈRE.

Démétrius de Phalère était sur le point d'être pris par le roi de Thrace. Il se cacha dans une charrette chargée foin, et se sauva ainsi dans une région voisine.

CHAPITRE XVI. - PHILOCLÈS

Philoclès, général de Ptolémée campé auprès de Gaune trouva moyen de corrompre par argent ceux qui gardaient les vivres. Ceux-ci firent publier dans la ville qu'ils en donneraient aux gens de guerre. Les soldats abandonnèrent alors les postes où ils étaient en faction; et s'en allèrent mesurer du blé. Philoclès attaquant en ce moment la ville, la trouva sans défense, et s'en rendit maître.

FIN DU LIVRE TROISIÈME.

terminé le 30 janvier 2005