Philostrate : Tableaux

PHILOSTRATE L'ANCIEN

UNE GALERIE ANTIQUE. ΦΙΛΟΣΤΡΑΤΟΥ ΕΙΚΟΝΕΣ

LIVRE I + NOTES SUR LE TEXTE

INTRODUCTION - LIVRE II

561 TABLE ANALYTIQUE

INTRODUCTION

1. Les Philostrate. — Vie de Philostrate l'Ancien. — Éducation des sophistes. — Les maîtres de Philostrate. — Avocats et sophistes. — Sophistes contemporains de Philostrate. — Influence de Julia Domna; la Vie d'Apollonius de Tyane. — Voyage en Gaule. — Vies des Sophistes. — Autres ouvrages de Philostrate. — Les Tableaux de Philostrate ; la question d'authenticité  1- 30

II. Comparaison entre la peinture antique et les Tableaux de Philostrate. — Différents genres et différents styles. — Rapports avec les textes poétiques. — La poésie et les bas-reliefs de sarcophages. — Confusion des genres aux époques de décadence. — Les personnifications dans l'art antique. — Éros et Erotes. — Les phases antiques de l'allégorie. — Variabilité du costume et des attributs. — Choix du sujet et du moment. — Choix des détails; le réalisme antique. — Représentation des métamorphoses. — Fantaisie et convention. — Répétition du même personnage en un même tableau. — Couleur locale. — Le paysage. — Les effet de lumière. — Peinture de genre. — Natures mortes. — Dessin, clair-obscur, coloris 30 à 141

III. La critique d'art chez les anciens. — Importance relative de l'invention, de l'exécution, de l'expression. — Admiration pour ce qui vit ou semble vivre — La théorie de l'illusion est-elle antique? — L'illusion chère aux écrivains anciens et modernes. — Singularité et subtilité des interprétations. — Caractères de la critique dans les descriptions de Philostrate 141 à 170

IV. L'ecphrasis ou description des œuvres d'art dans l'antiquité. — Chez les poètes ; dans la philosophie; chez les sophistes ; dans le roman grec. — Comment rattachée au sujet principal. — Importance de l'ecphrasis aux yeux des anciens. — Lutte entre la parole et les beaux-arts. — Conséquences de cette rivalité. — Embarras de la critique pour reconstituer les tableaux décrits par les anciens. — Caractères propres à l'ecphrasis de Philostrate. — Le style de Philostrate. —
Résume. — Retour sur la question d'authenticité 170 à 198

562 LIVRE I

Avant-propos. 199

I. Le Scamandre 200

II. Cômos  204

III. Les Fables 209

IV. Ménœcée 213

V. Les Coudées 217

VI. Les Amours 221

VII. Memnon 228

VIII. Poséidon et Amymone 233

IX. Le Marécage 238

X. Amphion 245

XI. Phaéton  250

XII. Le Bosphore et les Pêcheurs 258

XIII. Sémélé 264

XIV. Ariadne 270

XV. Pasiphaé. 276

XVI. Pélops et Hippodamie 281

XVII. Les Bacchantes 261

XVIII. Les Tyrrhéniens 297

XIX. Les Satyres. 303

XX. Olympos 306

XXL Midas 309

XXII. Narcisse 313

XXIII. Hyacinthe 318

XXIV. Les Andriens 323

XXV. Naissance d'Hermès 326

XXVI. Amphiaraos 330

XXVII. La chasse au sanglier 335

XXVIII. Persée 340

XXIX. Pélops 345

XXX. Les présents d'hospitalité 349

LIVRE II

I. Chœur de femmes 353

II. Éducation d'Achille 357

III. Les Centaurides 364

IV. Hippolyte 367

V. Rhodogune 375

VI. Arrhichion 379

VIL Antiloque 382

VIII. Le Mêlés 388

IX. Penthée 393

563  X. Cassandre 397

XI. Pan 403

XII. Pindare 408

XIII. Ajax ou les Gyres 412

XIV. La Thessalie 415

XV. Glaukos, dieu marin 429

XVI. Palœmon 427

XVII. Les Îles 432

XVIII. Le Cyclope 444

XIX. Phorbas ou les Phlégyens 449

XX. Atlas 452

XXI. Antée 456

XXII. Héraklès parmi les Pygmées 462

XXIII. Héraklès furieux 465

XXIV. Thiodamas 472

XXV. Funérailles d'Abdère 475

XXVI. Présents d'hospitalité 478

XXVII. Naissance d'Athéna 480

XXVllï. Les Toiles 485

XXIX. Antigone 487

XXX. Evadné 490

XXXI. Thémistocle 492

XXXII. Palestra 490

XXXIII. Dodone 501

XXXIV. Les Heures 506

Télèphe blessé, épigramme 509

Notes sur le texte 513

Bibliographie des tableaux de Philostrate 557
 

 

ΦΙΛΟΣΤΡΑΤΟΥ ΕΙΚΟΝΕΣ

Ὅστις μὴ ἀσπάζεται τὴν ζωγραφίαν, ἀδικεῖ τὴν ἀλήθειαν, ἀδικεῖ καὶ σοφίαν, ὁπόση ἐς ποιητὰς ἥκει—φορὰ γὰρ ἴση ἀμφοῖν ἐς τὰ τῶν ἡρώων ἔργα καὶ εἴδη—ξυμμετρίαν τε οὐκ ἐπαινεῖ, δι´ ἣν καὶ λόγου ἡ τέχνη ἅπτεται. Καὶ βουλομένῳ μὲν σοφίζεσθαι θεῶν τὸ εὕρημα διά τε τὰ ἐν γῇ εἴδη, ὁπόσα τοὺς λειμῶνας αἱ Ὧραι γράφουσι, διά τε τὰ ἐν οὐρανῷ φαινόμενα, βασανίζοντι δὲ τὴν γένεσιν τῆς τέχνης μίμησις μὲν εὕρημα πρεσβύτατον καὶ ξυγγενέστατον τῇ φύσει· εὗρον δὲ αὐτὴν σοφοὶ ἄνδρες τὸ μὲν ζωγραφίαν, τὸ δὲ πλαστικὴν φήσαντες. Πλαστικῆς μὲν οὖν πολλὰ εἴδη—καὶ γὰρ αὐτὸ τὸ πλάττειν καὶ ἡ ἐν τῷ χαλκῷ μίμησις καὶ οἱ ξέοντες τὴν λυγδίνην ἢ τὴν Παρίαν λίθον καὶ ὁ ἐλέφας καὶ νὴ Δία ἡ γλυφικὴ πλαστική—ζωγραφία δὲ ξυμβέβληται μὲν ἐκ χρωμάτων, πράττει δὲ οὐ τοῦτο μόνον, ἀλλὰ καὶ πλείω σοφίζεται ἀπὸ τούτου [τοῦ] ἑνὸς ὄντος ἢ ἀπὸ τῶν πολλῶν 〈ἡ〉 ἑτέρα τέχνη. Σκιάν τε γὰρ ἀποφαίνει καὶ βλέμμα γινώσκει ἄλλο μὲν τοῦ μεμηνότος, ἄλλο δὲ τοῦ ἀλγοῦντος ἢ χαίροντος. Καὶ αὐγὰς ὀμμάτων ὁποῖαί εἰσιν ὁ πλαστικὸς μέν τις ἥκιστα ἐργάζεται, χαροπὸν δὲ ὄμμα καὶ γλαυκὸν καὶ μέλαν γραφικὴ οἶδε, καὶ ξανθὴν κόμην οἶδε καὶ πυρσὴν καὶ ἡλιῶσαν καὶ ἐσθῆτος χρῶμα καὶ ὅπλων θαλάμους τε καὶ οἰκίας καὶ ἄλση καὶ ὄρη καὶ πηγὰς καὶ τὸν αἰθέρα, ἐν ᾧ ταῦτα. Ὅσοι μὲν οὖν κράτος ἤραντο τῆς ἐπιστήμης καὶ ὅσαι πόλεις καὶ ὅσοι βασιλεῖς ἔρωτι ἐς αὐτὴν ἐχρήσαντο, ἄλλοις τε εἴρηται καὶ Ἀριστοδήμῳ τῷ ἐκ Καρίας, ὃν ἐγὼ ἐπὶ ζωγραφίᾳ ξένον ἐποιησάμην ἐτῶν τεσσάρων—ἔγραφε δὲ κατὰ τὴν Εὐμήλου σοφίαν πολὺ τὸ ἐπίχαρι ἐς αὐτὴν φέρων—ὁ λόγος δὲ οὐ περὶ ζωγράφων οὐδ´ ἱστορίας αὐτῶν νῦν, ἀλλ´ εἴδη ζωγραφίας ἀπαγγέλλομεν ὁμιλίας αὐτὰ τοῖς νέοις ξυντιθέντες, ἀφ´ ὧν ἑρμηνεύσουσί τε καὶ τοῦ δοκίμου ἐπιμελήσονται. Ἀφορμαὶ δέ μοι τουτωνὶ τῶν λόγων αἵδε ἐγένοντο· ἦν μὲν ὁ παρὰ τοῖς Νεαπολίταις ἀγών—ἡ δὲ πόλις ἐν Ἰταλίᾳ ᾤκισται γένος Ἕλληνες καὶ ἀστικοί, ὅθεν καὶ τὰς σπουδὰς τῶν λόγων Ἑλληνικοί εἰσι—βουλομένῳ δέ μοι τὰς μελέτας μὴ ἐν τῷ φανερῷ ποιεῖσθαι παρεῖχεν ὄχλον τὰ μειράκια φοιτῶντα ἐπὶ τὴν οἰκίαν τοῦ ξένου. Κατέλυον δὲ ἔξω τοῦ τείχους ἐν προαστείῳ τετραμμένῳ ἐς θάλασσαν, ἐν ᾧ στοά τις ἐξῳκοδόμητο κατὰ ζέφυρον ἄνεμον ἐπὶ τεττάρων οἶμαι ἢ καὶ πέντε ὀροφῶν ἀφορῶσα ἐς τὸ Τυρρηνικὸν πέλαγος. Ἤστραπτε μὲν οὖν καὶ λίθοις, ὁπόσους ἐπαινεῖ τρυφή, μάλιστα δὲ ἤνθει γραφαῖς ἐνηρμοσμένων αὐτῇ πινάκων, οὓς ἐμοὶ δοκεῖν οὐκ ἀμαθῶς τις συνελέξατο· σοφία γὰρ ἐν αὐτοῖς ἐδηλοῦτο πλειόνων ζωγράφων. Ἐγὼ μὲν ἀπ´ ἐμαυτοῦ ᾤμην δεῖν ἐπαινεῖν τὰς γραφάς, ἦν δὲ ἄρα υἱὸς τῷ ξένῳ κομιδῇ νέος, εἰς ἔτος δέκατον, ἤδη φιλήκοος καὶ χαίρων τῷ μανθάνειν, ὃς ἐπεφύλαττέ με ἐπιόντα αὐτὰς καὶ ἐδεῖτό μου ἑρμηνεύειν τὰς γραφάς. Ἵν´ οὖν μὴ σκαιόν με ἡγοῖτο, „ἔσται ταῦτα“ ἔφην „καὶ ἐπίδειξιν αὐτὰ ποιησόμεθα, ἐπειδὰν ἥκῃ τὰ μειράκια.“ Ἀφικομένων οὖν „ὁ μὲν παῖς“ ἔφην „προβεβλήσθω καὶ ἀνακείσθω τούτῳ ἡ σπουδὴ τοῦ λόγου, ὑμεῖς δὲ ἕπεσθε μὴ ξυντιθέμενοι μόνον, ἀλλὰ καὶ ἐρωτῶντες, εἴ τι μὴ σαφῶς φράζοιμι.“

199 DESCRIPTION DE TABLEAUX PAR PHILOSTRATE L'ANCIEN

AVANT-PROPOS (a)

Ne pas aimer la peinture, c'est mépriser la réalité même (b), c'est mépriser ce genre de mérite que nous rencontrons chez les poètes, car la peinture, comme la poésie, se complaît à nous représenter les traits et les actions des héros ; c'est aussi n'avoir point d'estime pour la science des proportions, par laquelle l'art se rattache à l'usage même de la raison (c). Si l'on voulait parler avec subtilité, on dirait que la peinture est une invention' des dieux, en songeant aux différents aspects de la terre dont les prairies sont comme peintes par les saisons, et à tout ce que nous voyons dans le ciel (d). Mais, pour remonter sérieusement à l'origine de l'art, l'imitation est une invention des plus anciennes, du même âge que la nature elle-même. Nous en devons la découverte à des hommes habiles qui l'appelèrent tantôt peinture et tantôt plastique. La plastique (e) même se divise en plusieurs genres : car, imiter avec l'airain, polir le Lygdos (f) ou le Paros, travailler l'ivoire, tout cela rentre dans la plastique, sans compter l'art de graver sur métaux. La peinture consiste dans l'emploi des couleurs, mais non en cela seul, ou plutôt de cet unique moyen elle tire un plus grand parti qu'un autre art de ressources nombreuses. En effet, elle représente les ombres, elle varie l'expression des regards, suivant qu'elle nous montre la fureur, la douleur ou la joie. Donner aux yeux l'éclat qui leur est propre, c'est ce que ne saurait faire la plastique ; ils sont brillants, ils sont d'un vert bleuâtre (g), ils sont noirs dans les représentations de la peinture. Les cheveux sont d'un blond fauve, ardent, doré (h).

Tout a sa couleur, les vêtements, les armes, les maisons et les appartements, les bois, les montagnes, les sources et l'air qui enveloppe toutes choses. Beaucoup d'artistes ont excellé dans cet art; beaucoup de villes, beaucoup de rois l'ont aimé avec passion ; mais c'est là une histoire que d'autres ont racontée avant moi, et par exemple, Aristodème de Carie (i), dont j'ai fait mon hôte, pendant quatre ans, par amour de,la peinture (j), et qui, disciple lui-même d'Eumélos (k), ajoutait beaucoup de charme à la manière du maître. Mon intention n'est pas de nommer des peintres ou de raconter leur vie, mais d'expliquer des tableaux variés : c'est une conversation composée pour des jeunes gens, en vue de leur apprendre à s'exprimer, et de former leur goût. Voici à quelle occasion ces discours ont été prononcés. Il y avait alors des jeux à Naples, cette ville de l'Italie fondée par des Grecs (m), et qui, par ses moeurs élégantes, par son goût pour les lettres, mérite d'être regardée comme une ville grecque. Je ne voulais point déclamer en public, quoique pressé par les jeunes gens qui fréquentaient la maison de mon hôte. Je logeais alors en dehors des murs dans un faubourg bâti sur la côte, et où s'élevait un portique à quatre ou cinq étages (n), qui avait vue sur la mer Tyrrhénienne. Revêtu des plus beaux marbres que recherche le luxe, il tirait son principal éclat des tableaux encastrés dans ses murs (o), et choisis, comme il me le semblait, avec un soin tout particulier ; ils témoignaient en effet du talent d'un grand nombre de peintres. De moi-même, j'avais formé le dessein de faire l'éloge de ces peintures ; mais le fils de mon hôte, un enfant d'une dizaine d'années, déjà curieux et avide d'apprendre, épia le moment où je visitai la galerie, et me pria de lui expliquer les tableaux. Ne voulant pas lui paraître trop maladroit : « volontiers, lui dis-je, je commencerai mon explication, quand tes jeunes amis seront arrivés. » Ceux-ci étant venus : « Votre camarade, leur dis-je, posera les questions (p) ; c'est à lui que je consacre mon exercice d'interprète. Quant à vous, suivez le commentaire, mais ne vous contentez pas d'approuver : interrogez, si je ne suis pas assez clair. »

 

ΣΚΑΜΑΝΔΡΟΣ

Ἔγνως, ὦ παῖ, ταῦτα Ὁμήρου ὄντα ἢ οὐ πώποτε ἔγνωκας δηλαδὴ θαῦμα ἡγούμενος, ὅπως δήποτε ἔζη τὸ πῦρ ἐν τῷ ὕδατι; συμβάλωμεν οὖν ὅ τι νοεῖ, σὺ δὲ ἀπόβλεψον αὐτῶν, ὅσον ἐκεῖνα ἰδεῖν, ἀφ´ ὧν ἡ γραφή. Οἶσθά που τῆς Ἰλιάδος τὴν γνώμην, ἐν οἷς Ὅμηρος ἀνίστησι μὲν τὸν Ἀχιλλέα ἐπὶ τῷ Πατρόκλῳ, κινοῦνται δὲ οἱ θεοὶ πολεμεῖν ἀλλήλοις. Τούτων οὖν τῶν περὶ τοὺς θεοὺς ἡ γραφὴ τὰ μὲν ἄλλα οὐκ οἶδε, τὸν δὲ Ἥφαιστον ἐμπεσεῖν φησι τῷ Σκαμάνδρῳ πολὺν καὶ ἄκρατον. Ὅρα δὴ πάλιν· πάντα ἐκεῖθεν. Ὑψηλὴ μὲν αὕτη ἡ πόλις καὶ ταυτὶ τὰ κρήδεμνα τοῦ Ἰλίου, πεδίον δὲ τουτὶ μέγα καὶ ἀποχρῶν τὴν Ἀσίαν πρὸς τὴν Εὐρώπην ἀντιτάξαι, πῦρ δὲ τοῦτο πολὺ μὲν πλημμυρεῖ κατὰ τοῦ πεδίου, πολὺ δὲ περὶ τὰς ὄχθας ἕρπει τοῦ ποταμοῦ, ὡς μηκέτι αὐτῷ δένδρα εἶναι. Τὸ δὲ ἀμφὶ τὸν Ἥφαιστον πῦρ ἐπιρρεῖ τῷ ὕδατι, καὶ ὁ ποταμὸς ἀλγεῖ καὶ ἱκετεύει τὸν Ἥφαιστον αὐτός. Ἀλλ´ οὔτε ὁ ποταμὸς γέγραπται κομῶν ὑπὸ τοῦ περικεκαῦσθαι οὔτε χωλεύων ὁ Ἥφαιστος ὑπὸ τοῦ τρέχειν· καὶ τὸ ἄνθος τοῦ πυρὸς οὐ ξανθὸν οὐδὲ τῇ εἰθισμένῃ ὄψει, ἀλλὰ χρυσοειδὲς καὶ ἡλιῶδες. Ταῦτα οὐκέτι Ὁμήρου.

 LIVRE PREMIER

1. LE SCAMANDRE.

Tu reconnais, mon enfant, que ce sujet est tiré d'Homère; mais peut-être n'y as-tu pas songé. En voyant le feu vivre dans l'eau, ton esprit n'aura été occupé que de ce spectacle merveilleux : cherchons ce que cela peut signifier. Mais consens d'abord à détourner tes regards pour te représenter la description d'Homère, dont s'est inspiré l'artiste. Tu te rappelles ce passage de l'Iliade où Homère nous montre Achille s'élançant pour venger Patrocle, où les dieux se préparent à combattre les uns contre les autres. Le peintre n'a point voulu nous mettre sous les yeux tous les événements de cette guerre divine, il n'en a choisi qu'un seul, Héphaestos se précipitant sur le Scamandre avec impétuosité, avec fureur. Considère maintenant le tableau : tout est tiré de là. Cette ville élevée, garnie de créneaux, c'est Ilium ; cette plaine est assez vaste pour avoir vu aux prises l'Europe et l'Asie. Le feu couvre la plaine comme un torrent débordé ; il rampe et s'étale sur les rives du fleuve, où l'on ne voit plus déjà aucune végétation. Cependant Héphaestos entouré de flammes qu'il entraîne se porte vers le fleuve ; et voici le fleuve en personne qui gémit et supplie Héphaestos. Si le Scamandre n'a point sa belle chevelure, c'est qu'elle a été brûlée par le feu ; si Héphoestos ne boite pas, c'est à cause de la vitesse de sa course. Le feu ne jette point un éclat rougeâtre, n'a point son aspect accoutumé ; mais il brille comme l'or ou les rayons du soleil. Homère n'est pour rien dans ce détail.

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COMMENTAIRE

Un des épisodes les plus remarquables de l'Iliade (1) est celui où le Scamandre, irrité contre Achille qui massacre ses chers Troyens, prend la figure d'un héros, supplie le guerrier grec de respecter en lui un dieu, et, le voyant sourd à ses prières, soulève ses eaux mugissantes, rejette par un puissant effort les cadavres qui encombrent son cours et poursuit dans la plaine son ennemi éperdu. Achille, passant soudain de l'excès de confiance à l'excès du désespoir, accuse sa mère et invoque les divinités protectrices des Achéens. Héphaestos, appelé par Héra au secours du héros, promène dans la plaine l'incendie, qu'attise et propage le souffle de Zéphyre et de Notos, consume les cadavres, les plantes, et pousse le feu jusque dans les eaux mêmes du fleuve qui bruissent comme l'eau d'une chaudière. Le Scamandre se désole à son tour, s'humilie, reconnaît la puissance supérieure d'Héphaestos, et implore Héra, qui dès lors, soucieuse de la dignité divine, défend à son fils de tant maltraiter un dieu à cause des mortels.

Lucien dans un de ses dialogues marins (2) a parodié ce chant de l'Iliade. « Ô mer, dit le Xanthe (c'est le second nom du Scamandre), reçois-moi ; je suis dans un état pitoyable ; éteins le feu qui me brûle. — La mer : Qu'est-ce donc, Xanthe, qui t'a ainsi brûlé ? — Le Xanthe : c'est Vulcain, me voilà presque en charbon ; malheureux que je suis, je grille. » Et Lucien poursuit sur ce ton, comme s'il voulait faire ressortir l'invraisemblance de la fiction homérique. Tout l'épisode peut en effet paraître étrange, à qui veut soumettre la poésie aux lois d'une raison vulgaire. Mais cette lutte entre un homme et un dieu, puis entre deux éléments de nature diverse, tous les deux déchaînés avec fureur, et ne laissant plus de place pour un autre combat dans la plaine qu'ils envahissent, devait sembler aux Grecs un spectacle plus terrible que plaisant.

Ainsi pensa sans doute l'artiste qui prit pour sujet de tableau un passage du XXIe chant de l'Iliade.

Ce sujet était-il heureusement choisi ? Non, sans doute, si nous consultons nos idées modernes sur la peinture. Les deux éléments, l'eau et le feu, ne sauraient à eux seuls composer un tableau ; si les dieux, Héphaestos et le Scamandre, sont représentés sous la figure humaine, c'est eux que nous considérerons, et la lutte entre les deux éléments nécessairement réduite par là même à d'humbles proportions, n'a plus rien d'effrayant ni d'imposant pour l'imagination du spectateur. Les anciens ne paraissent pas avoir jamais cédé à des considérations de cette nature : ils ne se demandaient pas s'ils affaiblissaient Homère en le traduisant dans la langue d'un autre art ; ils savaient du moins que ce qu'ils enlèveraient au poète d'un côté, ils le lui rendraient de l'autre, par la représentation toujours bien accueillie du corps humain. Dans la peinture qui nous occupe, l'eau et le feu n'apparaissent sans doute que pour rappeler le sujet : Héphaestos et le Xanthe, le premier courant avec fureur, l'autre suppliant, suffisaient pour donner au tableau un intérêt qui justifiât le choix de l'artiste. Philostrate sans doute parle du feu qui vit dans l'eau comme d'un spectacle merveilleux ; mais ce n'est pas sa pensée qu'il exprime ni celle de l'artiste qu'il expose ; il nous donne celle de l'enfant auquel il s'adresse, et dont l'attention est plutôt attirée par le choc de deux éléments contraires que par la beauté des personnages. Philostrate, au contraire, s'attache plutôt à nous décrire l'action et l'attitude d'Héphœstos et du Xanthe.

Malheureusement le rhéteur ne satisfait qu'à demi notre curiosité sur ce point. Héphæstos court 'vers le fleuve, entraînant après lui un torrent de flammes. Mais quelle est l'attitude exacte du Xanthe ? Est-il placé, comme dans une miniature d'un manuscrit de l'Iliade, sur le sommet d'un rocher, d'où il contemple mélancoliquement ses eaux taries et ses bords ravagés ?

Se soulève-t-il à moitié hors de ses eaux, comme le veut Welcker qui rapproche d'autres descriptions de Philostrate, ce qui ne permet guère de conclure pour celle-ci, et qui cite le Danube d'un bas-relief de la colonne Trajane ? Nous ne voyons pour notre part aucune difficulté à accepter l'une ou l'autre de ces conjectures. Héphoestos est-il armé de torches comme dans la même miniature ? Cela est peu probable ; cette circonstance singulière n'aurait pas été sans doute passée sous silence par Philostrate. On s'est étonné que Philostrate ne nommât point les attributs d'Héphaestos ; mais Philostrate ne fait point un cours d'archéologie et n'explique pas l'art antique à des modernes : il a reconnu le dieu à son action plutôt qu'à son bonnet obligé ou à des tenailles jetées par terre ; c'est aussi l'action seule qui le préoccupe. On a trouvé que le feu qui brûlait le Scamandre devait aussi briller Héphæstos ; cette critique parait singulière, attendu qu'Héphaestos dirige le feu, et que c'est son métier de le diriger. Rien ne dit d'ailleurs qu'il soit au milieu du feu même. Achille n'est point présent ; mais, à partir du moment où le combat est engagé entre Héphæstos et le Xanthe, il n'est pas question d'Achille non plus dans Homère. D'ailleurs Philostrate a peut-être pris sur lui de nous dire que les cheveux du Scamandre étaient consumés, comme la végétation de ses bords ; l'artiste pouvait avoir donné des cheveux courts au Scamandre. Philostrate aura trouvé ingénieux d'expliquer par l'action de la flamme l'absence d'une longue chevelure. Une autre subtilité de rhéteur, c'est de croire que, si Héphæstos ne boite pas, c'est qu'il court avec rapidité : dans la marche, c'est le mouvement alternatif des deux jambes qui nous montre que l'une d'elles est plus longue que l'autre. Dans un tableau l'homme qui court ou qui marche a nécessairement un pied levé, l'oeil ne peut dès lors mesurer exactement les deux membres ; aussi ne nous paraîtraient-ils pas inégaux, quand même ils le seraient. Si l'Héphæstos d'Alcamène semblait boiter, c'est qu'il était représenté au repos : in quo stante in utroque vestigio leviter apparet claudicatio non deformis (3). D'ailleurs les artistes ne croyaient pas nécessaire de se conformer à la vieille 204 légende. L'Héphaestos d'Euphranor ne boitait pas ; l'Héphœstos des oeuvres d'art qui nous sont restées n'égaierait pas de sa difformité, comme dans Homère, le festin des dieux : il est comparable aux plus beaux, aux plus parfaits d'entre eux.

Philostrate qui nous explique pourquoi le fleuve n'a pas les cheveux longs et pourquoi Héphaestos ne boite pas, ne nous apprend pas pourquoi le feu n'avait point son aspect accoutumé ; c'était un feu divin, disent les commentateurs, un feu d'une nature plus éthérée que le feu qui sert aux besoins des hommes . Cette explication, qui attribue au peintre une idée ingénieuse, est sans doute exacte ; car Philostrate, en remarquant que ce détail n'est point pris à Homère, veut sans doute féliciter le peintre d'une heureuse invention. L'auteur de la miniature déjà citée a été moins raffiné ; la flamme qui tombe des torches d'Héphaestos est du rouge le plus vif. Peut-être aussi l'artiste avait-il donné à la flamme une couleur d'un blond doré, comme se prêtant mieux à l'harmonie générale des teintes de son tableau (4).

 

(1) Ch. XXI.

(2). Le onzième.

(3) Cic., D. N. D., I, 80.

(4) Outre la miniature dont nous avons parlé et qui est reproduite dans Ingbirami (Galeria Omerica, II, tav. 154), on voit sur une urne de Volterra le Scamandre rejetant loin de lui les cadavres qui gênent son cours, et sur la margelle d'un puits le Scamandre près des pertes de Scées. Ces deux monuments sont reproduits dans le même ouvrage (II, 155 et 200).

 

ΚΩΜΟΣ

Ὁ δαίμων ὁ Κῶμος, παρ´ οὗ τοῖς ἀνθρώποις τὸ κωμάζειν, ἐφέστηκεν ἐν θαλάμου θύραις χρυσαῖς οἶμαι, βραδεῖα δὲ ἡ κατάληψις αὐτῶν ὑπὸ τοῦ ὡς ἐν νυκτὶ εἶναι. Γέγραπται δὲ ἡ νὺξ οὐκ ἀπὸ τοῦ σώματος, ἀλλ´ ἀπὸ καιροῦ, δηλοῖ δὲ τὰ προπύλαια νυμφίους μάλα ὀλβίους ἐν εὐνῇ κεῖσθαι. Καὶ ὁ Κῶμος ἥκει νέος παρὰ νέους ἁπαλὸς καὶ οὔπω ἔφηβος, ἐρυθρὸς ὑπὸ οἴνου καὶ καθεύδων ὀρθὸς ὑπὸ τοῦ μεθύειν. Καθεύδει δὲ τὸ μὲν πρόσωπον ἐπὶ τὰ στέρνα ῥίψας καὶ τῆς δειρῆς ἐκφαίνων οὐδέν, τὴν δὲ ἀριστερὰν προλοβίῳ ἐπέχων· εἰλῆφθαι δὲ ἡ χεὶρ δοκοῦσα λύεται καὶ ἀμελεῖ, τὸ εἰωθὸς ἐν ἀρχῇ τοῦ καθεύδειν, ὅταν σαίνοντος ἡμᾶς ὕπνου μετέρχηται ὁ λογισμὸς εἰς λήθην ὧν συνέχει, ὅθεν καὶ τὸ ἐν τῇ δεξιᾷ λαμπάδιον ἔοικε διαφεύγειν τὴν χεῖρα καταρρᾳθυμοῦντος αὐτὴν τοῦ ὕπνου. Δεδιὼς δὲ ὁ Κῶμος προσβάλλον τὸ πῦρ τῷ σκέλει παραφέρει τὴν μὲν κνήμην τὴν ἀριστερὰν ἐπὶ τὰ δεξιά, τὸ δὲ λαμπάδιον ἐν ἀριστερᾷ, ἵν´ ἐκκλίνοι τὸν ἀτμὸν τοῦ πυρὸς ἐκκειμένῳ τῷ γόνατι ἀφιστὰς τὴν χεῖρα. Πρόσωπα δὲ ὀφείλεται μὲν παρὰ τῶν ζωγράφων τοῖς ἐν ὥρᾳ καὶ τυφλώττουσί γε ἄνευ τούτων αἱ γραφαί, τῷ δὲ Κώμῳ σμικρὰ δεῖ τοῦ προσώπου νενευκότι καὶ ἕλκοντι τὴν ἀπὸ τῆς κεφαλῆς σκιάν· κελεύει δὲ οἶμαι μὴ ἀπαρακαλύπτους κωμάζειν τοὺς ἐν ἡλικίᾳ τούτου. Τὰ δὲ λοιπὰ τοῦ σώματος διηκρίβωται πάντα περιλάμποντος αὐτὰ τοῦ λαμπαδίου καὶ εἰς φῶς ἄγοντος. Ὁ στέφανος δὲ τῶν ῥόδων ἐπαινείσθω μέν, ἀλλὰ μὴ ἀπὸ τοῦ εἴδους—ξανθοῖς γὰρ καὶ κυανοῖς, εἰ τύχοι, χρώμασιν ἀπομιμεῖσθαι τὰς τῶν ἀνθέων εἰκόνας οὐ μέγας ὁ ἆθλος—ἀλλ´ ἐπαινεῖν χρὴ τὸ χαῦνον τοῦ στεφάνου καὶ ἁπαλόν· ἐπαινῶ καὶ τὸ ἔνδροσον τῶν ῥόδων καὶ φημὶ γεγράφθαι αὐτὰ μετὰ τῆς ὀσμῆς. Τί λοιπὸν τοῦ κώμου; τί δ´ ἄλλο γε ἢ οἱ κωμάζοντες; ἢ οὐ προσβάλλει σε κρόταλα καὶ θροῦς ἔναυλος καὶ ᾠδὴ ἄτακτος; λαμπάδιά τε ὑπεκφαίνεται, παρ´ ὧν ἐστι τοῖς κωμάζουσι καὶ τὰ ἐν ποσὶν ὁρᾶν καὶ ἡμῖν μὴ ὁρᾶσθαι. Συνεξαίρεται δὲ καὶ πολὺς γέλως καὶ γύναια μετ´ ἀνδρῶν ἵεται καὶ ὑπόδημα ** καὶ ζώννυται παρὰ τὸ οἰκεῖον· συγχωρεῖ δὲ ὁ κῶμος καὶ γυναικὶ ἀνδρίζεσθαι καὶ ἀνδρὶ θῆλυν ἐνδῦναι στολὴν καὶ θῆλυ βαίνειν. Καὶ οἱ στέφανοι οὐκ ἀνθηροὶ ἔτι, ἀλλ´ ἀφῄρηται αὐτοῖς τὸ ἱλαρὸν ὑπὸ τοῦ ταῖς κεφαλαῖς ἐφαρμόττεσθαι διὰ τὸ ἀτακτεῖν ἐν τῷ δρόμῳ· ἡ γὰρ τῶν ἀνθέων ἐλευθερία παραιτεῖται τὴν χεῖρα ὡς μαραίνουσαν αὐτὰ πρὸ τοῦ χρόνου. Μιμεῖταί τινα ἡ γραφὴ καὶ κρότον, οὗ μάλιστα δεῖται ὁ κῶμος, καὶ ἡ δεξιὰ τοῖς δακτύλοις ὑπεσταλμένοις ὑποκειμένην τὴν ἀριστερὰν πλήττει ἐς τὸ κοῖλον, ἵν´ ὦσιν αἱ χεῖρες ξύμφωνοι πληττόμεναι τρόπῳ κυμβάλων.

 II. CÔMOS.

Cômos, ce génie qui préside aux promenades nocturnes des joyeux convives, se tient sur le seuil d'une chambre aux portes dorées ; dorées elles me semblent en effet, bien que l'oeil soit lent à les discerner dans l'ombre de la nuit. La nuit n'est point personnifiée, mais elle se reconnaît à ses effets (a). Le vestibule (b), digne d'un temple, atteste l'opulence des jeunes mariés, qui reposent sur la couche nuptiale. Cômos est venu, dieu jeune, vers des jeunes gens ; il a encore toutes les grâces tendres de l'enfance ; les fumées du vin ont coloré son visage ; debout, il cède cependant au sommeil de l'ivresse ; oui, il dort la tête penchée sur la poitrine; la main gauche posée sur un épieu (c) qu'elle croit tenir se détend et s'abandonne, comme il arrive quand les premières caresses du sommeil engourdissent notre mémoire et notre esprit (d) ; le flambeau que tient la main droite semble aussi échapper, par l'effet de la même cause, à ses doigts alanguis. Craignant que le feu n'approche de sa jambe, Cômos porte la cuisse gauche sur la droite et son flambeau du côté gauche, de manière à écarter la main et la flamme du genou qui fait saillie. Les peintres doivent traiter avec soin la figure des personnages qui ont 205 toute la vivacité de la jeunesse, s'ils ne veulent pas que leurs peintures soient mornes, comme le visage d'un aveugle (e) ; mais pour Cômos, dont la tête penchée projette une ombre sur les traits, la figure a peu d'importance. L'artiste, j'imagine, recommande ainsi à ceux qui ont l'âge de Cômos, de ne pas fêter le dieu sans prendre le masque (f). Le reste du corps atteste une observation minutieuse de tous les détails, et le flambeau qui enveloppe le dieu de sa lumière fait ressortir toutes ses perfections. Admirons aussi la couronne de roses, non pour être fidèlement peinte, car représenter les fleurs avec des couleurs, avec le rouge (g) ou le bleu, suivant le besoin, ce n'est point là un grand mérite, mais ce qu'il faut louer, c'est combien la couronne semble souple et délicate, c'est aussi combien les roses semblent fraîches ; j'ose le dire, elles ont le parfum de vraies roses. Après avoir parlé de Cômos, il nous reste à parler de ceux qui le célèbrent (h). N'entends-tu pas les crotales, les sons de la flûte, un murmure confus ? Des flambeaux, épars çà et là, permettent à nos joyeux compagnons de voir devant eux et à nous de les voir (i). C'est une foule variée et remuante d'hommes et de femmes, chaussés sans distinction de sexe (j), vêtus d'une façon extraordinaire, car Cômos permet à la femme de se donner les airs d'un homme et à l'homme de revêtir la robe des femmes, de prendre une démarche féminine. Mais les couronnes de fleurs n'ont plus leur premier éclat, c'est que, pour ne point les perdre en courant, ils les ont tous fixées à leur tête : or la fleur, jalouse de sa liberté, craint le contact de la main qui la flétrit avant le temps. Enfin le peintre a encore représenté le battement des mains qui plaît surtout à Cômos (k) ; la main droite frappe avec les doigts repliés dans la paume de la main gauche, et toutes les mains s'entre-choquant à la manière des cymbales, rendent le même son.

COMMENTAIRE.

Dans le Banquet de Platon, après le discours de Socrate, les convives entendirent frapper à coups redoublés aux portes de la maison. On crut que c'étaient de jeunes débauchés qui couraient la ville, accompagnés d'une joueuse de flûte.

« Esclaves, s'écria Agathon, hâtez-vous d'aller voir ce que c'est : si ce sont des amis qui se présentent, priez-les d'entrer ; si ce sont des inconnus, dites-leur que nous ne buvons plus et même que nous sommes déjà endormis. »

206 Un instant après, nous entendons dans la cour la voix d'Alcibiade qui paraissait ivre et qui faisait grand bruit en criant : « où est Agathon ? qu'on me mène auprès de lui. »

La joueuse de flûte et quelques jeunes gens qui accompagnaient Alcibiade le prirent sous le bras et le conduisirent à la porte de la salle. Alcibiade s'y arrêta, couronné de violettes et de lierre, la tête environnée de bandelettes (1).» Ce passage célèbre nous fait connaître avec quelques détails un des usages lés plus singuliers de la Grèce antique. Les jeunes gens, après un banquet, parcouraient les rues, au son de la lyre ou de la flûte ; ils se rendaient chez leurs amis ou même chez des inconnus, là où ils supposaient qu'on serait heureux de les recevoir et de boire avec eux, quelquefois même là où ils ne pouvaient s'attendre qu'à être mal accueillis. Cette promenade nocturne s'appelait un cômos ; les couronnes de fleurs, les torches, les déguisements, les chants et la danse en étaient les accompagnements habituels. Plus d'une porte était brisée (2) ; plus d'une rixe éclatait soit entre deux bandes joyeuses, soit entre gens d'une même bande. Les Grecs ne condamnaient de tels désordres que lorsque l'ivresse ne s'y mêlait pas ; prendre la couronne et la torche, sans être ivre, voilà quel était pour eux le vrai désordre (3). Le cômos a été quelquefois un événement historique : les bannis de Thèbes, voulant reconquérir leur patrie sur les Lacédémoniens, sur cet Archias qui remettait les affaires sérieuses au lendemain, se présentèrent chez ce dernier, comme des comazontes (4), déguisés en femmes, couronnés de feuilles de pin et de peuplier, simulant l'ivresse. Thaïs jeta la première torche sur le palais de Persépolis, dans les réjouissances d'un cômos monstrueux, composé de musiciens et de courtisans avinés qu'Alexandre lui-même conduisait au pillage et à l'incendie (5).

Mettre sous les yeux un cômos, mais un cômos gracieux et charmant, sans aucun de ces excès qui en déshonoraient l'usage, telle parait avoir été l'intention du peintre, dont Philostrate nous décrit le tableau. Pour cela, il réunit ses jeunes hommes et ses jeunes femmes, non dans la maison de quelque débauché émérite, mais dans la demeure de deux nouveaux époux : c'est du moins l'interprétation de Philostrate, et s'il n'a point deviné l'intention de l'artiste, il lui en prête une en parfait accord avec la composition du tableau. Il y a bien quelques traces de désordre ; des couronnes dérangées, des fleurs fanées : mais ce sont là les moindres accidents de divertissements semblables. Nous ne voyons nulle part les effets d'une ivresse pesante ou grossière : point de mouvements déréglés ; point d'extravagances individuelles; point de clameurs assourdissantes ; des évolutions soumises au 207 rythme des instruments, des battements de main qui respectent la mesure, voilà à quoi se réduit l'explosion de cette gaieté très légèrement stimulée par la fumée du vin. Mais le dieu est lui-même présent : Cômos, personnage allégorique, n'a d'ailleurs aucun rapport avec les autres personnages du tableau. Suivant la coutume de l'art antique, l'idée d'allégresse est exprimée deux fois : une première, par des circonstances empruntées à la vie réelle ; une seconde, par l'image d'un génie, qui est l'allégresse elle-même D'ailleurs le dieu représenté est bien celui qui préside notre fête; même grâce, même nonchalance, même retenue dans le désordre lui-même, que chez les autres personnages ; il dort presque, le divertissement touchant à sa fin ; il laisse tomber sa tête et mourir sa torche ; on pressent que le son des flûtes va cesser, que bientôt le silence et le sommeil régneront seuls dans cette triste demeure. Cômos est tenu à la discrétion ; ayant prolongé ses ébats, après le départ des mariés, il ne saurait, lui qui a voulu fêter leur union, troubler leur repos. Il y a donc entre le dieu Cômos et le cômos lui-même, un accord, dont il faut savoir gré au peintre. Cependant Cômos, a-t-on remarqué, s'appuie sur un épieu ; nulle part, cette arme n'est mentionnée comme figurant dans ces sortes de parties nocturnes. En supposant que cette arme fût portée alors en prévision de rixe ou pour le besoin d'une effraction, est-ce bien ici le cas de donner à Cômos un épieu? La difficulté soulevée ne nous parait pas sérieuse : un épieu n'annonce pas nécessairement des projets de violence; il pouvait servir, en pareille circonstance, pour affermir des pas que l'ivresse rendait chancelants; dans la plupart des peintures de vases qui représentent un cômos (6), on voit des jeunes gens appuyés, sinon sur des épieux véritables, du moins sur de longs bâtons ; qui sait même si ce n'est point un de ces longs bâtons que Philostrate distrait aurait pris pour un épieu? Enfin l'épieu pouvait n'être qu'une arme d'apparat, utile cependant à celui qui conduirait une bande, soit pour modérer son impétuosité, soit pour écarter les fâcheux. En outre, on peut se demander si les artistes anciens ne procédaient point quelquefois comme les nôtres qui se laissent souvent plutôt guider par des considérations de grâce et d'élégance que par un respect scrupuleux de la vérité ; un épieu est un appui qui permet de donner à un personnage une pose heureuse; un artiste n'a souvent pas besoin d'un autre motif.

Un des mérites de ce tableau consistait sans doute dans le contraste entre l'obscurité et la lumière. Les torches n'éclairaient pas beaucoup; car Philostrate remarque que les jeunes gens voyaient ce qui était à leurs pieds, par conséquent tout juste devant eux. Une lueur assez faible s'étendait jusqu'à la porte du vestibule qui s'ouvrait sur les appartements intérieurs; 208 Philostrate n'ose pas trop assurer que ces portes fussent dorées. Toute cette partie, le fond du tableau, est donc comme dans l'ombre. Comment la lumière se répartissait-elle entre les premiers plans du tableau? Sans doute suivant la place assignée à chaque groupe. Mais combien y avait-il de groupes, et comment ces groupes étaient-ils disposés ? c'est ce que Philostrate nous laisse ignorer. De même, où se tenait Cômos? était-il près de la chambre nuptiale ? Non, selon toute vraisemblance, car dams ce cas sa torche en aurait éclairé les portes assez vivement. Se trouvait-il au milieu du tableau ? Cela n'est guère plus probable ; les anciens mettent volontiers les personnages allégoriques à côté des personnages qui sont censés vivre de la même vie que nous ; rarement ils en font le centre d'une composition. Il devait se tenir, croyons-nous, sur le premier plan, à droite ou à gauche sous le portique; là il s'offrait tout d'abord aux regards du spectateur; il indiquait le sujet; il charmait les yeux par sa beauté, par sa jeunesse et aussi par une exécution savante, comme le remarque Philostrate, à qui cette observation aurait sans doute échappé, si le dieu avait été plus enfoncé dans le tableau. Enfin, à cette place, il ne mêlait point sa personne d'un caractère distinct aux personnages réels du tableau. Nous connaissons par là la position d'une lumière, non des autres; il est peu probable que le peintre eût adopté un grand parti de lumière ; si nous consultons les habitudes des anciens, le torches devaient être disposées avec symétrie, à des distances régulières. Mais la peinture des anciens nous est bien peu connue, et les peintures de vases et les bas-reliefs, auxquels nous pensons, constituent un genre trop distinct pour qu'il nous soit permis d'insister sur notre conjecture.

Ce Dieu ou ce génie du nom de Cômos n'est pas une invention de l'artiste qui a composé le tableau décrit par Philostrate. Nous le rencontrons souvent sur les peintures de vases (7), où il est accompagné de son nom, afin que nous ne puissions le méconnaître. Mais est-ce bien le même personnage? Sur les vases, il fait partie du thiase bachique; il est représenté sous la figure d'un satyre, avec les longues oreilles terminées en pointe, un nez peu régulier, la queue obligée, des formes rustiques, une gesticulation souvent excessive. La différence est manifeste; Welcher en a tiré cette conclusion : le Cômos du thiase est un dieu, un génie ; le Cômos de Philostrate est un être allégorique, et c'est improprement qu'il est appelé un démon par notre auteur. Nous ne voyons pas trop, pour notre part, l'utilité de cette distinction. Dans la mythologie, on peut être un dieu et un personnage allégorique tout à la fois : pour n'en citer qu'un exemple, la Médée qui accompagnait Bacchus dans un groupe de Praxitèle (8) était en même temps une divinité bachique et une personnification de l'ivresse. Seulement, 209 de même que les Satyres, se transformant avec les progrès de l'art, sont devenus d'aimables adolescents et n'ont plus gardé de leur première forme que les oreilles de chèvres, souvent dissimulées par la chevelure ; de même Cômos, à mesure que les moeurs se polissaient, a secoué sa grossièreté native ; les oreilles même semblent s'être rapetissées à des proportions humaines, le satyre a disparu, faisant place à une divinité, aux fonctions et aux formes élégantes, type perfectionné de la jeunesse bien née, comparable à Éros ou à Hymémeos. La ressemblance même avec ce dernier dieu a paru si complète que quelques commentateurs ont cru à une erreur de la part de Philostrate (9). Une seule remarque suffit, ce semble, pour faire rejeter cette opinion : c'est que, pour voir dans le tableau les suites d'un banquet nuptial et Hyména os dans le personnage allégorique, il faudrait que nous fussions sûrs que derrière ces portes dont parle Philostrate il y a bien de nouveaux époux ; or ce n'est là qu'une conjecture de Philostrate ; conjecture qui s'accorde avec la présence de Cômos ou de l'Hyménée, si elle est vraie, mais qui, si elle est fausse, chasse l'Hyménée du vestibule, et n'y laisse que Cômos, ce dieu n'ayant pas besoin d'être appelé par les cérémonies d'un mariage pour s'emparer d'un portique et donner l'essor à sa pétulante gaieté (10).

(1) Traduction de Racine.

(2) Athén., XIV, p. 617, D ; Eurip., Cycl., 532 ; Isée, Or. 2, p. 39, 21.

(3) Antiphane dans Athén., VI, p. 243 ; Aristoph., Vespa, v. 1234.

(4) Xénoph., H. G., V, 4, 6 ; Plut., Vie de Pélopidas, 11.

(5) Diodore, XVII, 72.

(6) Voir, par es., Laborde, Collect de vases grecs, pl. 32, 65. Otto Jahn, Versammlung Königs: Ludwig, n° 296, 802.

(7) Laborde, Collect. de vases grecs, pl. LXIV, LXV ; Dubois-Maisonneuve, 22 ; D'Hancarville, Antiquités, etc., II, 57; IV, 18; 46; 72, etc.

(8) Pline, XXXIV, 19, 10.

(9) Voir Ott. Müller, Manuel, § 398 de la traduct. Zoega, Bass. 92; Voir Gerhard, Antik. Bildwerk, pl. XX, note 47.

(10) Si les compositions décrites par Philostrate avaient un caractère plus symbolique et religieux, peut-être pourrait-on voir dans le tableau de Cômos une représentation de quelque cérémonie, usitée dans les Anthestéries athéniennes. " Cômos, dit M. Fivol (Gaz. arch. 1879, le livraison), qui figure si souvent parmi le thiase de Dionysos dans les peintures de vases, était le vrai roi populaire de la journée des Choës. Non seulement c'était lui qui apparaissait comme gardien des portes de l'édifice où la Basilissa était enfermée avec son époux mystique, mais la fête bruyante du théâtre était appelée par excellence, ἱερὸς κῶμος;, etc. " Sur le vase de Berlin (même article) le chant des comazontes est personnifié par une figure allégorique qui porte le nom de ΠΑΙΑΝ.

ΜΥΘΟΙ

Φοιτῶσιν οἱ Μῦθοι παρὰ τὸν Αἴσωπον ἀγαπῶντες αὐτόν, ὅτι αὐτῶν ἐπιμελεῖται. Ἐμέλησε μὲν γὰρ καὶ Ὁμήρῳ μύθου καὶ Ἡσιόδῳ, ἔτι δὲ καὶ Ἀρχιλόχῳ πρὸς Λυκάμβην, ἀλλ´ Αἰσώπῳ πάντα τὰ τῶν ἀνθρώπων ἐκμεμύθωται, καὶ λόγου τοῖς θηρίοις μεταδέδωκε λόγου ἕνεκεν. Πλεονεξίαν τε γὰρ ἐπικόπτει καὶ ὕβριν ἐλαύνει καὶ ἀπάτην καὶ ταῦτα λέων τις αὐτῷ ὑποκρίνεται καὶ ἀλώπηξ καὶ ἵππος νὴ Δία, καὶ οὐδὲ ἡ χελώνη ἄφωνος, ὑφ´ ὧν τὰ παιδία μαθηταὶ γίνονται τῶν τοῦ βίου πραγμάτων. Εὐδοκιμοῦντες οὖν οἱ Μῦθοι διὰ τὸν Αἴσωπον φοιτῶσιν ἐπὶ τὰς θύρας τοῦ σοφοῦ ταινίαις αὐτὸν ἀναδήσοντες καὶ στεφανώσοντες αὐτὸν θαλλοῦ στεφάνῳ. Ὁ δὲ οἶμαί τινα ὑφαίνει μῦθον· τὸ γὰρ μειδίαμα τοῦ Αἰσώπου καὶ οἱ ὀφθαλμοὶ κατὰ γῆς ἑστῶτες τοῦτο δηλοῦσιν. Οἶδεν ὁ ζωγράφος, ὅτι αἱ τῶν μύθων φροντίδες ἀνειμένης τῆς ψυχῆς δέονται. Φιλοσοφεῖ δὲ ἡ γραφὴ καὶ τὰ τῶν Μύθων σώματα. Θηρία γὰρ συμβάλλουσα ἀνθρώποις περιίστησι χορὸν τῷ Αἰσώπῳ ἀπὸ τῆς ἐκείνου σκηνῆς συμπλάσασα, κορυφαία δὲ τοῦ χοροῦ ἡ ἀλώπηξ γέγραπται· χρῆται γὰρ αὐτῇ ὁ Αἴσωπος διακόνῳ τῶν πλείστων ὑποθέσεων, ὥσπερ ἡ κωμῳδία τῷ Δάῳ.

III. LES FABLES.

Les Fables viennent trouver Ésope qu'elles aiment, en retour de la tendresse qu'il a pour elles. Ce n'est pas que ce genre de fiction ait été dédaigné par Homère, par Hésiode, ni par Archiloque, écrivant contre Lycambé (a); mais c'est Ésope qui a mis en fable toute la vie humaine, et qui a donné aux bêtes le langage, pour parler à notre raison (b) ; car ainsi il réprime la cupidité, il bannit la violence et la fraude ; et cela en attribuant un rôle au lion, au renard, au cheval, à tous les animaux, voire même à la tortue, qui cesse d'être muette, elle aussi, pour instruire les enfants des choses de la vie. C'est pourquoi les Fables, mises en honneur par Ésope, se pressent devant la porte du sage afin de lui 210 ceindre la tête de bandelettes et le couronner de branches nouvelles.

Quant à Ésope, il compose une fable, j'imagine, on le devine à son sourire, à ses yeux fixés sur le sol. Une douce sérénité qui détend l'âme, est nécessaire au fabuliste ; l'artiste le savait bien. La peinture se montre aussi fort ingénieuse dans la manière dont elle personnifie les fables; les personnages en effet dont elle entoure Ésope comme d'un choeur tragique tiennent à la fois de l'homme et de la bête (c) ; et sont composées d'éléments empruntés au théâtre même du poète. Le renard est le coryphée ; c'est que, dans la plupart des cas, Ésope se sert du renard comme la comédie de Dave pour exposer son dessein.

 

COMMENTAIRE.

Voici encore une description qui pique notre curiosité sans trop la satisfaire. Les Fables viennent rendre un hommage solennel à Ésope ; un personnage principal et tout un groupe d'êtres allégoriques, tels sont les éléments du tableau. Nous voudrions voir Ésope par la pensée, et Philostrate nous le montre en effet, baissant les yeux, souriant, composant une fable. Peu importe que notre auteur ait songé à Ulysse, baissant la tête, lui aussi, quand il se préparait à parler (1), ou à certains sophistes, qui avaient adopté cette contenance, comme plus favorable au travail de la pensée et de l'improvisation (2). Quel que soit le motif qui l'ait fait observer et relever ce détail, nous devons lui savoir gré de nous l'avoir conservé. Ésope était donc dans l'attitude de la méditation : il se laissait couronner par les Fables, sans les voir, sans leur faire un accueil  quelconque, sans les haranguer, sans même leur réserver les prémices de la fable qu'il composait. Nous devons nous représenter, non une scène où les personnages soient en étroit rapport entre eux, mais une espèce d'apothéose, de couronnement de buste ou de statue. Dans le marbre de l'apothéose, Homère, couronné par le Temps et la Terre, demeure impassible (3). Dans une peinture de Pompéi (4), une foule d'hommes et d'enfants se presse autour d'un bel adolescent, couronné de lierre, qu'on a pris pour Bacchus, l'inventeur de la comédie : le dieu pose le masque sur la tête d'un personnage, comme pour le consacrer poète comique ; mais, à part ce mouvement, il n'a point l'air de s'intéresser à la scène dont il est le principal acteur ; il ne considère point les assistants, il ne les voit ni ne les écoute; il semble même peu attentif à ce qu'il fait. Ésope, dans le tableau qui nous occupe, paraît avoir été conçu d'une façon analogue; il s'isole, au milieu de la foule qui l'entoure; il sourit à ses pensées, non aux 211 hommages qu'il reçoit ; ce n'est pas un grand homme donnant audience à ses admirateurs ; c'est le fabuliste par excellence. Les Fables figurent là comme dans l'atelier d'un sculpteur les ouvrages sortis de ses mains. Elles lui doivent tout, il ne leur doit rien, pas même un regard : ce regard d'ailleurs serait fâcheux ; il amuserait mal à propos l'esprit du spectateur, il le distrairait, il l'empêcherait de songer uniquement au génie du poète.

Une seconde question se présente ici. Ésope était-il assis ou debout ? Welcker répond sans hésiter : il était assis, mais d'ailleurs ne donne pas les motifs de son opinion ; il pensait sans doute aux philosophes et aux poètes que nous offrent les monuments de l'antiquité et qui sont presque tous représentés assis. C'est l'attitude d'Homère dans le marbre de l'apothéose : une statue, trouvée dans les jardins du Vatican et regardée comme un Ésope nous montre le fabuliste sur un siège sans dossier (5). La statue, il est vrai, isole le personnage ; dans le tableau, il est le centre d'une composition, n'eût-il pas été naturel qu'Ésope se levât pour recevoir ses hôtes? Trop naturel, en effet, et c'est justement ce qui doit nous empêcher de le concevoir debout. Ésope, comme nous l'avons dit, ne devait point être groupé, en ce sens qu'il n'était point lié à l'action. Le lien du moins était celui qui existe entre l'artiste et ses productions, non entre l'artiste et les autres hommes qui l'admirent. La conjecture de Welcker semble donc des plus fondées.

Autre question : Ésope, suivant la tradition, était contrefait. Sans parler de la vie d'Ésope attribuée à Planude et toute remplie de contes ridicules (6), un Hermès de la Villa Albani et une lampe antique (7), nous le représentent avec un buste trop court et un corps ramassé sur lui-même. Dirons-nous qu'Esope dans le tableau de Philostrate offrait cette apparence disgracieuse ? Plusieurs raisons s'y opposent : d'abord l'origine probablement tardive de cette légende sur la difformité d'Ésope (8), puis la pratique des artistes de l'antiquité. Lysippe, qui avait exécuté un groupe des sept Sages de la Grèce (9), leur avait donné Ésope pour coryphée : on ne conçoit guère un nain chargé d'un tel emploi, comme le remarque Welcker. La statue assise, dont nous avons parlé plus haut, n'est point celle d'un bel homme ; ce n'est point non plus celle d'un être difforme ; les traces de faiblesse physique, qu'un savant archéologue (10) a cru y découvrir, sont peu sensibles ; les regarder comme 212 un moyen employé par l'artiste pour rappeler la difformité du personnage est une pure conjecture. Le Démosthène du Louvre n'est point non plus un type de vigueur et de beauté ; il ne faudrait point en conclure que l'orateur était faible et chétif, au point d'embarrasser un sculpteur et de lui faire adopter je ne sais quel compromis entre la laideur extrême et la beauté parfaite. Ésope, qui n'était point un dieu, qui ne reçut jamais les honneurs divins, n'avait point droit à des formes nobles et puissantes. Si c'est Ésope que représente notre statue, l'artiste a ignoré ou voulu ignorer la légende . Il faut en dire autant, sans nul doute, de l'artiste qui avait exécuté le tableau décrit par Philostrate ; Ésope n'était pas pour lui un esclave phrygien, mais l'inventeur d'un genre littéraire ; représenter un homme doué d'une imagination riante et d'un esprit ingénieux, tel était son objet ; une difformité, qui eût provoqué le rire, eût gâté toute cette conception. Si l'imagination populaire se plaît quelquefois à associer l'intelligence et la laideur, l'art au contraire, pour mettre l'intelligence en plein relief, oublie, cache ou corrige les défauts
physiques.

Venons maintenant aux Fables, aux Mythes pour conserver le mot grec, essentiel ici ; car le genre du mot imposait le sexe aux personnages allégoriques (11). Les Mythes, suivant Philostrate, tenaient à la fois de l'homme et de la bête ; sur ce simple détail, comment nous les représenterons-nous ? Il y a diverses façons d'allier la forme humaine à celle de l'animal, suivant qu'on veut ennoblir l'animal ou nous montrer l'homme déchu. Les dessinateurs qui ont illustré les fables de La Fontaine ou autres, considérant que les fables sont une critique de nos moeurs, se sont souvent bornés à dresser l'animal sur ses pattes, à lui donner une attitude qui rappelle l'homme, à jeter sur lui nos vêtements ; quelquefois, tout en conservant le corps de l'homme, ils font profondément modifié les parties nobles, la tête, le cou, la poitrine, de manière à les rendre semblables aux parties correspondantes chez telle ou telle bête. Dans le tableau qui nous occupe, le cas est bien différent : les Mythes ne sont pas des personnages de fable, ce sont les fables elles- mêmes ; s'ils ont quelque chose de l'animal, ce sera, non pour faire la satire de l'homme, mais pour rappeler les êtres qu'elles mettent en scène. Il est bien permis à l'allégorie, qui dit une chose pour en faire entendre une autre, d'avoir une double nature ; mais il ne lui est pas permis de sacrifier un caractère essentiel à un caractère accessoire ; or l'essentiel pour les Mythes est de se montrer à Ésope sous la forme d'êtres capables de reconnaissance et d'affection, gracieux même et charmants, puisque leurs attraits feront l'éloge du génie d'Ésope. Nous sommes ainsi amené à croire que les Mythes étaient d'aimables adolescents, rappelant la nature de l'animal, soit par des cornes, soit par la forme des oreilles, soit par des jambes velues, des pieds munis de sabots ou de griffes. Ces sortes de combinaisons sont familières à l'art antique ; il suffira de rappeler les Centaures, le dieu Pan qui a le visage d'un homme et des pieds de chèvre, les Faunes avec leurs oreilles pointues et leurs cornes à l'état de bourgeon, telle tête de Jupiter Sérapis ou d'Alexandre avec les cornes de bélier. Welcker suppose en outre que l'artiste a pu revêtir les mythes de peaux de bête ; dans les plus anciens monuments, dit-il, où Hercule et d'autres héros sont coiffés d'une tête de loup ou de lion, sont affublés de dépouilles à queue pendante par derrière, on distingue mal entre la bête et l'homme, tant le corps et le vêtement étroitement unis ne font qu'un tout. Le texte de Philostrate qui parle de la fusion de deux corps en un ne nous permet guère de penser à un pareil artifice. En résumé, figure humaine, et appendices ou membres inférieurs empruntés à la faune, voilà sous quelle forme nous devons concevoir, ce semble, les Mythes de Philostrate.

(1) Iliade, III, 202, 217.

(2) Philostrate, Vita Ap., I, 10 ; Vit. Soph., I, 26.

(3) Museo Pio Clem., I, Tay. B.

(4) Museo Borb., III, pl. IV ; Roux et Barré, Herculanum et Pompei, II, pl. LXVI.

(5) Annali dell' Instituto, 1840, p. 94, art. de Braun. Mon. inédits, III, tav. 14.

(6) Voir Welcker, Kleine Schriften, II, p. 228, Aesop eine Fabel.

(7) Mon. inéd., III, tav. 14.

(8) Welcker (Philostr. imag., p. 222) pense que cette légende est postérieure au Banquet des Sept Sages de Plutarque, où ligure Esope, et antérieure au quatrième siècle. Ses arguments n'ont pas paru décisifs.

(9) Brunck. Anal., III, p. 45, cité par Welcker. ibid, p. 222. Welcker cite aussi une statue d'Ésope par Aristodème et prétend que cette statue, étant, selon Tatien (Adv. Gr.), πρισπούσαστος, digne d'envie, ne pouvait être celle d'un homme difforme. Ici encore, la preuve ne parait pas concluante.

(10) Braun, Ann. dell but., 1840, 94.

(11) Dans le marbre de l'apothéose d'Homère, M. P. Clém., I, taf. 8, Μῦθος;, la fable, la fiction est représentée par un adolescent.

ΜΕΝΟΙΚΕΥΣ

Θηβῶν μὲν ἡ πολιορκία, τὸ γὰρ τεῖχος ἑπτάπυλον, ἡ στρατιὰ δὲ Πολυνείκης ὁ τοῦ Οἰδίποδος· οἱ γὰρ λόχοι ἑπτά. Πελάζει αὐτοῖς Ἀμφιάρεως ἀθύμῳ εἴδει καὶ ξυνιέντι ἃ πείσονται, καὶ οἱ μὲν ἄλλοι λοχαγοὶ δεδίασι—ταῦτα καὶ τὰς χεῖρας ἐς τὸν Δία αἴρουσι—Καπανεὺς δὲ τὰ τείχη βλέπει περιφρονῶν τὰς ἐπάλξεις ὡς κλίμακι ἁλωτάς. Οὐ μὴν βάλλεταί πω ἀπὸ τῶν ἐπάλξεων ὀκνοῦντές που οἱ Θηβαῖοι ἄρξαι μάχης. Ἡδὺ τὸ σόφισμα τοῦ ζωγράφου. Περιβάλλων τοῖς τείχεσιν ἄνδρας ὡπλισμένους τοὺς μὲν ἀρτίους παρέχει ὁρᾶν, τοὺς δὲ ἀσαφεῖς τὰ σκέλη, τοὺς δὲ ἡμίσεας καὶ στέρνα ἐνίων καὶ κεφαλὰς μόνας καὶ κόρυθας μόνας, εἶτα αἰχμάς. Ἀναλογία ταῦτα, ὦ παῖ· δεῖ γὰρ κλέπτεσθαι τοὺς ὀφθαλμοὺς τοῖς ἐπιτηδείοις κύκλοις συναπιόντας. Οὐδὲ αἱ Θῆβαι ἀμάντευτοι· λόγιον γάρ τι ὁ Τειρεσίας λέγει τεῖνον ἐς Μενοικέα τὸν τοῦ Κρέοντος, ὡς ἀποθανών, ἔνθα ἡ χειὰ τοῦ δράκοντος, ἐλευθέρα ἡ πόλις ἐκ τούτου εἴη. Ὁ δὲ ἀποθνῄσκει λαθὼν τὸν πατέρα ἐλεεινὸς μὲν τῆς ἡλικίας, εὐδαίμων δὲ τοῦ θάρσους. Ὅρα γὰρ τὰ τοῦ ζωγράφου. Γράφει μειράκιον οὐ λευκὸν οὐδ´ ἐκ τρυφῆς, ἀλλ´ εὔψυχον καὶ παλαίστρας πνέον, οἷον τὸ τῶν μελιχρόων ἄνθος, οὓς ἐπαινεῖ ὁ τοῦ Ἀρίστωνος, διαφράττει δὲ αὐτὸ στέρνοις εὐβαφέσι καὶ πλευραῖς καὶ γλουτῷ συμμέτρῳ καὶ μηρῷ. Ἔρρωται καὶ ὤμων ἐπαγγελίᾳ καὶ οὐκ ἀτρέπτῳ τένοντι, μετέχει δὲ καὶ κόμης, ὅσον μὴ κομᾶν. Ἐφέστηκε δὲ τῇ χειᾷ τοῦ δράκοντος ἕλκον τὸ ξίφος ἐνδεδυκὸς ἤδη τῇ πλευρᾷ. Καὶ δεξώμεθα, ὦ παῖ, τὸ αἷμα κόλπον αὐτῷ ὑποσχόντες· ἐκχεῖται γάρ, καὶ ἡ ψυχὴ ἤδη ἄπεισι, μικρὸν δὲ ὕστερον καὶ τετριγυίας αὐτῆς ἀκούσῃ. Ἔρωτα γὰρ τῶν καλῶν σωμάτων καὶ αἱ ψυχαὶ ἴσχουσιν, ὅθεν ἄκουσαι αὐτῶν ἀπαλλάττονται. Ὑπεξιόντος δὲ αὐτῷ τοῦ αἵματος ὀκλάζει καὶ ἀσπάζεται τὸν θάνατον καλῷ καὶ ἡδεῖ τῷ ὄμματι καὶ οἷον ὕπνον ἕλκοντι.

 IV. MÉNŒCÉE.

Cette ville assiégée est Thèbes, car le mur a sept portes ; cette armée est celle de Polynice, fils d'OEdipe, car elle est divisée en sept corps. Ce chef qui s'approche du camp, c'est Amphiaraos ; il a l'air découragé d'un homme qui pressent une cruelle catastrophe. Les chefs de corps sont également effrayés ; aussi lèvent-ils les mains vers le ciel. Capanée contemple avec mépris les murailles et les créneaux, car il compte sur les échelles pour l'escalade. Les défenseurs du rempart n'envoient pas de traits ; les Thébains craignent d'engager la lutte. Admirons ici l'art ingénieux du peintre: des hommes armés qui enveloppent la ville, les uns nous apparaissent tout entiers, les autres ont les jambes cachées, ceux-ci n'ont de visible que la moitié du corps, ceux-là la poitrine, puis les tètes seules émergent, puis les casques seuls, puis les pointes des lances. C'est un effet de perspective, mon enfant ; à mesure que l'oeil s'enfonce dans le tableau, les rangs d'hommes doivent se masquer de plus en plus les uns les autres (a). Les prédictions ne manquent pas non plus à Thèbes. Tirésias profère un oracle qui condamne Ménoecée, le fils de Créon, à périr dans le repaire d'un dragon, s'il veut sauver sa patrie. Et voilà Ménoecée qui meurt, à l'insu de son père : son âge le rend digne de pitié, mais c'est être heureux que d'avoir un tel courage. Considère en effet la peinture, ce n'est point un jeune homme au teint délicat (b), aux traits efféminés ; il est plein de vie ; fortifié par la palestre, il a cette belle carnation d'un brun doré qui plaît au fils d'Ariston (c) ; la poitrine offre des muscles saillants, les hanches, les fesses, les cuisses sont bien proportionnées. Les épaules annoncent de la force, le cou est sans raideur (d), 214 la chevelure est abondante sans excès (e). Debout près de l'antre du dragon, il retire l'épée dont il s'est déjà percé le flanc. Recevons, mon enfant, recevons dans le pli de notre robe le sang qui s'écoule de sa blessure, l'âme s'échappe elle aussi ; encore un moment et tu l'entendras pousser son cri d'adieu (f), car les âmes aiment les beaux corps et ne s'en séparent qu'avec regret. A mesure que le sang s'écoule, Ménoecée chancelle, il se jette dans les bras de la mort avec un visage calme et souriant, presque avec l'air d'un homme qui s'endort.
 

COMMENTAIRE.

Cadmos, le fondateur de Thèbes, voulant offrir un sacrifice à la déesse Athénâ envoya puiser l'eau des libations à une source consacrée à Arès et gardée par un dragon, fils du dieu. Les messagers furent dévorés; pour venger leur mort, Cadmos, avec l'aide d'Athénâ, tua le dragon d'un coup de pierre. Les dents du monstre, semées en terre, donnèrent naissance à des géants tout armés qui se jetèrent les uns sur les autres et s'entre-tuèrent, à l'exception de cinq, qui furent les chefs des principales familles de la Thèbes cadméenne. A l'époque de la guerre des Sept contre Thèbes, Créon et ses deux fils Hémon et Ménoecée étaient les derniers représentants de cette race issue du dragon. Le devin Tirésias, consulté par Créon sur les moyens de délivrer la ville assiégée, lui répond ainsi dans la tragédie des Phéniciennes : « Il faut que ton fils égorgé dans l'antre qu'habitait le dragon, fils de la Terre, gardien des eaux de Dircé, offre à la Terre une libation de son sang pour apaiser l'ancien courroux de Mars, qui venge le meurtre du dragon né de la Terre : ce faisant, vous aurez Mars pour auxiliaire... Il faut que la victime soit issue de ceux qui naquirent des dents du dragon... L'hymen d'Hémon ne permet pas qu'il soit immolé; car ce n'est pas un jeune garçon, et, bien que le mariage ne soit pas consommé, il n'en a pas moins une épouse. Mais si tu fais à la ville le sacrifice de Ménoecée, il peut par sa mort sauver sa patrie, préparer un amer retour pour Adraste et les Argiens, en répandant sur leurs yeux les ombres du trépas, et rendre à jamais Thèbes illustre (1). » Ménoecée se soumit à cet arrêt de mort. La poésie et la peinture ne pouvaient pas offrir un plus bel exemple de dévouement à la patrie. Les circonstances dont Euripide entoure le sacrifice de Ménoecée le rendent encore plus héroïque. Créon se révolte contre les prédictions de Tirésias, et le presse vivement de s'enfuir au séjour sacré de Dodone ; les chefs des cohortes ne sont pas encore avertis ; les magistrats et les généraux ne connaissent pas encore l'oracle. Ménoecée, en se hâtant, peut assurer son salut. Le jeune homme feint d'accepter les conseils de son père, 215 l'interroge, pour mieux le tromper, sur les moyens d'exécution, l'écarte sous prétexte d'aller faire ses adieux à sa tante Jocaste qui l'a nourri de son lait ; puis, sans blâmer son père, excusant en lui la faiblesse du vieillard, il annonce au choeur sa résolution de se jeter du haut des remparts dans la caverne du dragon. Incapable d'exprimer cet héroïque mensonge, de montrer la pieuse résistance d'un fils aux ordres de son père, la peinture a dû chercher d'autres moyens de nous intéresser au héros et de rehausser le prix de son sacrifice ; elle les a trouvés dans le contraste entre la mort et la jeunesse, entre la mort et la beauté. Aussi Philostrate nous semble-t-il être entré tout à fait dans la pensée du peintre lorsqu'il nous décrit avec admiration les qualités physiques de Ménoecée, et nous montre l'âme abandonnant à regret un beau corps. Rien de plus naturel aussi que ce cri, qui peut tout d'abord, surtout chez un sophiste, sembler une pure déclamation : « Recevons, mon enfant, recevons dans le pli de notre robe le sang qui coule de sa blessure. » Par un sentiment qui est de tous les temps et de tous les pays, on a regardé comme précieux, comme digne d'être conservé, le sang versé pour une noble cause et sans espoir de récompense. L'usage de recueillir le sang d'une personne aimée ou admirée était d'ailleurs connu des anciens ; Aristophane l'a parodié dans les fêtes de Cérès et de Proserpine : lorsque Mnésiloque menace de crever l'outre remplie de vin qu'il a dérobée à l'une des femmes, celle-ci, qui la réclame comme son enfant, s'écrie : « Mania, passe-moi la coupe sacrée afin que je recueille au moins le sang de ma fille (2). » Nous étonnerons-nous, d'un autre côté, avec un critique allemand, que Ménoecée meure avec le sourire sur les lèvres, sous prétexte que l'art grec n'a jamais donné cette expression aux morts ni aux mourants ? L'art grec ne nous paraît pas avoir eu de ces partis pris et, en supposant même qu'une pareille règle eût existé quelque part, l'artiste, dans un pareil sujet, n'eût- il pas été tenté de l'enfreindre et n'eût-il pas fait approuver de tous son audace opportune? En effet, Ménoecée, qui avait pris sans murmure et si promptement la résolution de mourir, qui avait repoussé si courageusement les chances de salut, dut accomplir son sacrifice avec enthousiasme ; quoi d'étonnant que le visage, même au moment de la mort, ait conservé les traces d'un pareil sentiment ? Un air de sérénité n'eût point suffi pour exprimer l'héroïsme de Ménoecée ; il fallait qu'on pût lire sur ses traits le contentement, le bonheur de l'homme qui délivre sa patrie.

Dans Euripide, le fils de Créon se jette du haut des remparts; dans le tableau, il se tue avec l'épée, près de l'antre du dragon. La scène ainsi présentée est peut-être moins vraisemblable, puisqu'il faut que Ménoecée sorte en plein jour de la ville assiégée; mais elle est plus conforme aux lois de la peinture. Ménoecée, suspendu dans les airs, ou gisant la tête fracassée sur 216 le sol au pied des murailles, eût été un objet de terreur et d'épouvante ; il n'eût point charmé le spectateur par sa beauté, et, loin de rappeler à l'esprit l'idée d'un sacrifice volontaire, il eût fait penser à quelque accident comme il peut en arriver à tous les sièges ; c'eût été la mort d'un guerrier vulgaire, et non celle d'un héros.

Maintenant, comment nous représenterons-nous l'ensemble du tableau? Ménoecée, sans aucune difficulté, occupe le premier plan; c'est le personnage principal, sinon unique ; tout le reste du tableau n'a d'autre objet que d'expliquer sa présence et de le faire valoir. Placez entre lui et le spectateur les lignes d'armée qui s'échelonnent, en se masquant en partie les unes les autres ; quelle taille aura Ménoecée ? Nous sera-t-il loisible d'étudier sa beauté, comme le fait Philostrate, et comme chaque spectateur doit le faire, pour recevoir dans toute sa force l'impression du sujet? Mais, d'un autre côté, en mettant Ménoecée le plus près possible du spectateur, où seront les assiégeants, où sera Thèbes elle-même? Nous ne voyons guère qu'une supposition admissible. La ville de Thèbes placée à droite ou à gauche dans le tableau déploie ses murailles en perspective; rangés en face des remparts, les sept corps d'armée, partant du premier plan, s'enfoncent dans le tableau, de manière à être vus, non de dos, mais de flanc. Une rivière, celle qu'alimente la source de Dircé et qui était très profonde, comme le remarque Euripide (3), sépare de la ville, entourée d'ailleurs par un fossé, les assiégeants, retranchés peut-être derrière une enceinte de chars de guerre (4). Ménoecée se tient au pied des remparts, à un angle du tableau ; Amphiaraos, sur le visage duquel Philostrate a pu lire le découragement, Capanée qui se fait remarquer par un air de mépris, ne peuvent guère être bien au delà du premier plan ; Amphiaraos occuperait l'angle opposé à Ménoecée puisqu'il est dit de lui qu'il s'approche de l'armée rangée en bataille, Capanée serait debout, le plus près possible des murailles de Thèbes dont il mesure de l'oeil la hauteur.

En recomposant ainsi ce tableau, nous avons, selon nos idées modernes, accordé le moins de place possible à la convention. Mais on sait que la convention a été plutôt recherchée qu'évitée par l'art antique. Dans la peinture même qui nous occupe, c'était déjà une convention que de représenter les sept portes de Thèbes ; de quelque façon, en effet, que l'on place la ville, il est bien difficile que les portes, qui n'étaient pas sans doute toutes d'un même côté, fussent toutes apparentes. Mais cette difficulté n'était point faite pour embarrasser un artiste ancien; il plaçait ses sept portes à la suite l'une de l'autre, dans la partie des murailles qu'il laissait voir ; la ville était ainsi reconnue ; son but était atteint. C'était une autre convention que de représenter Ménoecée entièrement nu ; mais ici l'art grec et l'art moderne 217 se sont rencontrés plus d'une fois ; l'un et l'autre ont supprimé le costume dans des scènes où la vérité historique semblait l'exiger impérieusement. C'est que l'art a pour première loi de se montrer avec tous ses avantages ; s'il en perd quelqu'un, à étire vraisemblable, il sacrifie volontiers la vraisemblance. Nulle part cette doctrine ne paraît avoir été poussée plus loin qu'en Grèce, ni appliquée plus fréquemment qu'à la composition des tableaux ou des bas-reliefs. Entre les assiégeants et Ménoecée, la raison demandait un certain intervalle; mais cet intervalle avait bien pu être supprimé par l'artiste plus soucieux de nous faire admirer son Ménoecée que de nous faire approuver la place qu'il lui assignait. Dans cette supposition, la ville de Thèbes pouvait occuper le fond du tableau ; d'un côté, les assiégeants auraient été groupés devant les murs; de l'autre, et sans qu'il y eût ni enceinte de chars ni fontaine de Dircé, toutes choses dont Philostrate ne parle pas d'ailleurs, on aurait aperçu Ménoecée et le repaire du dragon.

Les archéologues n'ont reconnu la mort de Ménoecée que sur un petit nombre de monuments. Une pâte antique de couleur jaune, provenant de la collection Stosch et maintenant à Berlin, nous représente un jeune homme agenouillé sur un autel et se donnant la mort d'un coup d'épée dans la poitrine. Son bouclier porte un oiseau qu'on a pris pour un phénix qui serait alors l'emblème de la délivrance prochaine de Thèbes. Voilà bien des suppositions, sans compter celle par laquelle on reconnaît dans ce jeune héros le fils de Créon. Une pâte antique violette de la même collection nous offre le même sujet; le bouclier est orné d'une étoile, et un flambeau est appuyé sur l'autel. Enfin sur une urne cinéraire, trouvée en Étrurie, on voit un jeune homme qui se jette sur son épée ; un personnage âgé, tenant un bouclier, se précipite vers lui ; comme pour attaquer ou défendre ; ce serait Créon, volant au secours de son fils. Une figure de femme, d'exécution remarquable, arrête le vieillard, tout en tournant les yeux du côté du jeune homme. Ce serait Jocaste suivant Lanzi et Overbeck, Manto ou la Vertu selon Inghirami. Derrière Créon se trouve un personnage qui a été pris pour un serviteur, et dans le fond de la composition, s'élevant au-dessus des personnages du premier plan, de Créon et du serviteur, une femme armée d'une torche, peut-ètrp une Furie étrusque (5). Nous ne décrirons pas avec plus de détails ces monuments qui pourraient bien avoir rapport à un autre héros que Ménoecée, et qui diffèrent d'ailleurs complètement du tableau décrit par Philostrate.

.(1) Thesm., v. 754-5.

(2) Les Phéniciennes, v. 730.

(3) Ibid., 733,

(4) Euripide, les Phéniciennes, v. 980; Traduc. Pessonn., II, 807

(5) Voir Overbeck, Die Bildw. z. Heldenkreis, p. 134, n° 52, 53, 54. Taf. VI, n° 1 et 2. Inghirami, Monumenti Etrusci, sér. I; tom. II, t. 86.

ΠΗΧΕΙΣ

Περὶ τὸν Νεῖλον οἱ Πήχεις ἀθύρουσι παιδία ξύμμετρα τῷ ὀνόματι, καὶ ὁ Νεῖλος αὐτοῖς ὑπεργάνυται τά τε ἄλλα καὶ ὅτι κηρύττουσιν αὐτόν, ὅσος Αἰγυπτίοις προεχύθη. Προσάγεται γοῦν καὶ οἷον ἔρχεται αὐτῷ ἐκ τοῦ ὕδατος βρέφη ἁπαλὰ καὶ μειδιῶντα, μετέχειν δὲ οἶμαί τι αὐτὰ καὶ τοῦ λάλου. Καὶ οἱ μὲν τοῖς ὤμοις αὐτοῦ ἐφιζάνουσιν, οἱ δὲ τῶν πλοκάμων ἐκκρέμανται, οἱ δὲ τῇ ἀγκάλῃ ἐγκαθεύδουσιν, οἱ δὲ κωμάζουσιν ἐπὶ τοῦ στέρνου. Ὁ δὲ ἀναδίδωσιν αὐτοῖς ἄνθη τὰ μὲν ἀπὸ τοῦ κόλπου, τὰ δὲ ἀπὸ τῆς ἀγκάλης, ὡς στεφάνους τε ἀπ´ αὐτῶν διαπλέκοιεν καὶ καθεύδοιεν ἐπὶ τῶν ἀνθέων ἱεροὶ καὶ εὐώδεις. Καὶ ἐπαναβαίνουσιν ἄλλο ἄλλῳ τὰ παιδία σείστροις ἅμα· ταυτὶ γὰρ ἔναυλα ἐκείνῳ τῷ ὕδατι. Κροκόδειλοι μὲν οὖν καὶ οἱ ποτάμιοι τῶν ἵππων, οὓς τῷ Νείλῳ τινὲς προσγράφουσιν, ἀπόκεινται νῦν ἐν βαθείᾳ τῇ δίνῃ, μὴ δέος τοῖς παιδίοις ἐμπέσοι. Γεωργίας δὲ καὶ ναυτιλίας σύμβολα δηλοῖ τὸν Νεῖλον ἐκ τοιοῦδε, ὦ παῖ, λόγου· Νεῖλος Αἴγυπτον πλωτὴν ἐργασάμενος εὐκάρπῳ τῇ γῇ χρῆσθαι δίδωσιν ὑπὸ τῶν πεδίων ἐκποθείς, ἐν Αἰθιοπίᾳ δέ, ὅθεν ἄρχεται, ταμίας αὐτῷ δαίμων ἐφέστηκεν, ὑφ´ οὗ πέμπεται ταῖς ὥραις σύμμετρος. Γέγραπται δὲ οὐρανομήκης ἐπινοῆσαι καὶ τὸν πόδα 〈ἐπ〉έχει ταῖς πηγαῖς οἷον Ποσειδῶν προσνεύων. Εἰς τοῦτον ὁ ποταμὸς βλέπει καὶ αἰτεῖ τὰ βρέφη αὐτῷ πολλὰ εἶναι.  

V. LES COUDÉES.

Autour du Nil jouent les Coudées, enfants ainsi nommés à cause de  218 leur taille, chers au Nil à bien des titres, et surtout parce qu'ils annoncent aux Égyptiens quelle sera la profondeur de ses eaux débordées. Ils sont amenés vers le dieu par le flot même (a), et semblent en sortir, frais et souriants, je crois même qu'ils ne sont pas privés de la parole. Les uns s'assoient sur les épaules du fleuve, les autres se suspendent aux tresses de ses cheveux, ceux-ci s'endorment dans ses bras, les autres folâtrent sur sa poitrine. Et lui, le dieu, leur abandonne les fleurs qu'ils trouvent les uns sur sa poitrine, les autres entre ses bras, pour qu'ils s'en tressent des couronnes et s'endorment sur les fleurs, comme des êtres divins et sacrés (b). Ils montent sur les épaules les uns des autres, au bruit des sistres, dont les eaux du Nil aiment à retentir (c). Quant aux crocodiles et aux hippopotames que certains artistes placent à côté du Nil, ils se tiennent au plus profond du gouffre, pour ne point inspirer de frayeur aux enfants; d'ailleurs voici les attributs de la navigation et de l'agriculture qui désignent manifestement le Nil, tu n'ignores pas pourquoi, mon enfant; c'est le Nil qui rend l'Égypte navigable et dont les eaux bues par la terre donnent à ses plaines de si riches moissons. En Ethiopies, d'où il vient, se tient un dieu qui règle son cours avec prudence suivant les saisons ; dans le tableau, on devine qu'il est d'une stature à toucher le ciel (d) ; il a le pied posé près des sources ; il semble baisser la tête, ô Poséidon, en signe d'assentiment (e); le fleuve tourne ses regards de son côté, et lui demande beaucoup d'enfants, semblables à ceux-ci.
 

COMMENTAIRE.

Il existe bien des différences entre la statue du Nil qui est au Vatican (1), et le tableau que nous décrit Philostrate. Le Nil du Vatican est à demi couché ; de son bras et de sa main gauches, il enveloppe une corne qui, posant à terre par l'extrémité, lui sert de point d'appui ; dans l'autre main qu'il étend sur ses cuisses, il tient une gerbe de blé ; les enfants, les Coudées, montent à l'escalade du géant, ils se divisent en quatre groupes principaux, l'un près des pieds, l'un près de la corne, un troisième tout contre la cuisse qui pose sur le sol; un quatrième près de la gerbe. Deux enfants sont isolés : l'un, monté sur l'épaule du dieu, joue avec sa chevelure ; l'autre se tient debout, au milieu des fleurs et des fruits qui remplissent la corne d'abondance et croise les bras d'un air de triomphe. Les occupations des enfants sont diverses, ceux-ci jouent avec un crocodile, ceux-là avec un ichneumon; les autres ne songent qu'à s'aider des pieds et des mains pour monter plus 219 haut. Mais ce qu'il faut surtout admirer dans cette oeuvre, au point de vue de. la composition, c'est la manière heureuse dont les groupes sont répartis ; ils cachent une partie des bras et des cuisses du colosse, mais laissent voir dans toute sa nudité et sa force le torse du dieu.

Dans le tableau de Philostrate, la poitrine du dieu devait disparaître en partie masquée par un groupe d'enfants, puisqu'il est dit que les Coudées trouvent en cet endroit des fleurs pour s'en tresser des couronnes. Les enfants ne jouent pas avec les animaux qui habitent les eaux du Nil, mais avec les sistres, dont les bords du fleuve aiment à retentir. Enfin, au lieu d'être tous vifs et remuants, quelques-uns d'entre eux se livrent au sommeil.

Ces différences nous permettent-elles de conclure en faveur du sculpteur ou du peintre? Le sculpteur a évidemment ici un grand avantage; son oeuvre est devant nos yeux, et la beauté en est telle que tout changement dans la place des groupes, tout détail ajouté ou supprimé, nous paraîtrait plutôt la diminuer que l'augmenter. Il parait bien, d'après la description de Philostrate, que les enfants prenaient leurs ébats avec un peu de confusion et cachaient ce qui aurait dû rester découvert pour le plaisir des yeux ; mais la peinture aime moins la symétrie que la sculpture ; elle se prête mieux aux caprices et à la fantaisie de l'artiste; dans le sujet principal, elle accorde plus de place à l'incident; elle est moins éprise des formes humaines et plus curieuse des ornements, comme les sistres et les guirlandes. Elle eût admis le crocodile et l'ichneumon que nous n'aurions rien trouvé à redire, bien que Philostrate applaudisse à l'absence de ces animaux, qui auraient, dit-il, pu effrayer les enfants ; c'est là une réflexion de commentateur qui aime à prêter de l'esprit à l'artiste ; le peintre sans doute, ou n'y avait pas songé, ou avait voulu s'écarter de la voie commune, ou encore avait craint quelque surcharge. Le groupe du Vatican ne saurait être critiqué pour nous montrer ces animaux pas plus que le tableau de Philostrate pour les dérober à notre vue. Ce sont là des ressources de composition qui sont communes au peintre et au sculpteur, mais qu'ils sont libres tous les deux de rejeter.

Mais, dira-t-on, le sommeil de quelques-uns de ces enfants n'est-il pas contraire au sens même de l'allégorie qui fait le sujet de ce tableau (2) ? Les Coudées représentent le flot qui monte et non l'eau qui dort; monter sans cesse, eux aussi, s'agiter du moins et folâtrer sans trêve ni repos, tel doit être leur rôle. On pourrait répondre que, lorsque le fleuve a atteint la hauteur d'un certain nombre de coudées, seize par exemple, il demeure stationnaire, et que par conséquent, les enfants, qui représentent la crue, peuvent aussi se reposer et même dormir. Mais il y a mieux à dire : une telle objection nous parait inspirée par un complet oubli des procédés de l'art. Pour n'être pas froid, pour vivre de sa vie propre, le personnage allégorique ne doit pas s'enfermer dans les bornes étroites d'un symbole ; un enfant, quelles que 220 soient d'ailleurs les idées qu'il représente dans une oeuvre d'art, doit être avant tout un enfant ; il faut que nous puissions l'admirer pour lui-même et non pas seulement pour la conformité de ses gestes et de son attitude avec quelque fait de l'ordre moral ou physique ; une logique trop rigoureuse serait ici le fléau de la poésie ou de l'art ; quelle gêne pour l'artiste s'il fallait tout combiner, actions, mouvements, place, expression, direction du regard, de manière à ne rappeler, par tant de moyens, qu'une seule et même chose ! Cette unité pourrait charmer l'esprit; elle glacerait le sentiment. Le sculpteur qui a exécuté le groupe du Vatican a peut-être été plus fidèle à l'allégorie que le peintre de Philostrate : mais cette fidélité n'est point et ne pouvait être absolue. Les enfants qui jouent avec l'ichneumon et le crocodile, ne sont plus les coudées, à proprement parler ; leur rôle serait de monter, de monter sans cesse. Beaucoup sont sur le même plan ; chacun devait avoir sa place déterminée par le degré de hauteur qu'il annonce. D'ailleurs il faut les compter pour reconnaître en eux les coudées du Nil; et si nous n'avions pas Pline l'Ancien ou Philostrate, nous aurions pu méconnaître assez longtemps l'intention de l'artiste. Un interprète moderne (3), qui n'a pas trouvé l'allégorie assez claire, a proposé de représenter la crue du Nil par un génie mettant le .doigt sur un nilomètre. Si l'on ne veut pas en effet que des enfants, même allégoriques, représentent avant tout les goûts de leur âge, il faut adopter ce système, contraire à toute poésie.

Outre le Nil et les enfants, Philostrate mentionne dans sa description un démon éthiopien, espèce de géant qui règle le cours du Nil. Dans quelle attitude nous représenterons-nous ce personnage? Un critique a fait remarquer que la présence d'un pareil géant, touchant le ciel de sa tête, devait être d'un effet étrange dans le tableau (4). Oui, sans doute, si le géant, placé au premier plan, occupait tout l'espace entre le bord supérieur et le bord inférieur du tableau. Mais rien ne nous force à faire cette supposition. Le dieu était vu dans le lointain ; il posait son pied sur l'horizon ; sa tête se perdait dans les nuages; il paraissait grand sans couvrir, dans le champ de la peinture, un espace considérable. Si par exemple, quoique relégué au dernier plan, il avait les dimensions du Nil, l'imagination du spectateur devait sans peine le concevoir comme un être d'une taille prodigieuse (5).

Les archéologues ont cherché l'origine de cette croyance à un démon égyptien. Démocrite et d'autres philosophes de l'antiquité pensaient que la crue du Nil devait être attribuée aux pluies abondantes qui ont lieu en Éthiopie. Mais les pluies sont envoyées par le Verseau, et le Verseau est, aux yeux des Grecs, un jeune homme qui penche une urne. Voilà déjà l'inondation de l'Égypte qui est l'ouvrage d'un génie céleste. D'un autre côté, pour régler le 221 cours d'un fleuve qui sort de terre, le Fleuve lui-même ou le génie qui l'alimente, ne saurait mieux faire qu'en posant le pied sur les sources : le Verseau fut donc conçu comme un géant qui avait la tête dans les astres et les pieds sur le sol de l'Éthiopie, à l'endroit où jaillissaient les eaux du Nil. Un fragment de Pindare nous parle d'un colosse de cent brasses qui par le mouvement de ses pieds faisait déborder le Nil (6). Nous ne savons si Pindare est l'auteur de cette fiction ; mais qu'il faille l'attribuer à ce poète, ou au fonds commun des légendes mythologiques, on se rend à peu près compte de quel travail d'imagination elle est sortie. C'est le point principal, dans ces questions obscures de priorité d'invention. Quelle que soit l'origine de cette fiction, l'image était grande et belle, et devait tenter un artiste ; la difficulté était de la faire entrer, avec ses proportions, dans le cadre d'un tableau. Nous croyons avoir retrouvé la façon dont le peintre avait résolu le problème.

(1) Museo Pio Clementino, I, 88 ; Bouillon, I, 61.

(2) C'est l'objection de Friederichs, Die Phil. Bilder, p. 168

(3) Museum Worsleyanum, Class., III, pl. II.

(4) Friederichs, die Philostratischen Bilder, p. 43 et 168.

(5) C'est aussi le sentiment de Brunn (Journal de Fleckeisen, 1871, p. 21).

(6) Pindare, édit. Boeck, fragm. 110. Le Scholiaste des Phénomènes d'Aratus (282) nous apprend que ce géant était regardé par les commentateurs de Pindare comme Ganymède, et que Ganymède était un autre nom du verseau. Philostrate dans la Vie d'Apollonius, VI, 26, parle aussi de ce démon, gardien des sources du Nil.
 

ΕΡΩΤΕΣ

 Μῆλα Ἔρωτες ἰδοὺ τρυγῶσιν· εἰ δὲ πλῆθος αὐτῶν, μὴ θαυμάσῃς. Νυμφῶν γὰρ δὴ παῖδες οὗτοι γίνονται, τὸ θνητὸν ἅπαν διακυβερνῶντες, πολλοὶ διὰ πολλά, ὧν ἐρῶσιν ἄνθρωποι, τὸν δὲ οὐράνιόν φασιν ἐν τῷ οὐρανῷ πράττειν τὰ θεῖα. Μῶν ἐπῄσθου τι τῆς ἀνὰ τὸν κῆπον εὐωδίας ἢ βραδύνει σοι τοῦτο; ἀλλὰ προθύμως ἄκουε· προσβαλεῖ γάρ σε μετὰ τοῦ λόγου καὶ τὰ μῆλα. Ὄρχοι μὲν οὗτοι φυτῶν ὀρθοὶ πορεύονται, τοῦ μέσου δὲ αὐτῶν ἐλευθερία βαδίζειν, πόα δὲ ἁπαλὴ κατέχει τοὺς δρόμους οἵα καὶ κατακλιθέντι στρωμνὴ εἶναι. Ἀπ´ ἄκρων δὲ τῶν ὄζων μῆλα χρυσᾶ καὶ πυρσὰ καὶ ἡλιώδη προσάγονται τὸν ἑσμὸν ὅλον τῶν Ἐρώτων γεωργεῖν αὐτά. Φαρέτραι μὲν οὖν χρυσόπαστοι καὶ χρυσᾶ καὶ τὰ ἐν αὐταῖς βέλη, γυμνὴ τούτων ἡ ἀγέλη πᾶσα καὶ κοῦφοι διαπέτονται περιαρτήσαντες αὐτὰ ταῖς μηλέαις, αἱ δὲ ἐφεστρίδες αἱ ποικίλαι κεῖνται μὲν ἐν τῇ πόᾳ, μυρία δὲ αὐτῶν τὰ ἄνθη. Οὐδὲ ἐστεφάνωνται τὰς κεφαλὰς ὡς ἀποχρώσης αὐτοῖς τῆς κόμης. Πτερὰ δὲ κυάνεα καὶ φοινικᾶ καὶ χρυσᾶ ἐνίοις μόνον οὐ καὐτὸν πλήττει τὸν ἀέρα ξὺν ἁρμονίᾳ μουσικῇ. Φεῦ τῶν ταλάρων, εἰς οὓς ἀποτίθενται τὰ μῆλα, ὡς πολλὴ μὲν περὶ αὐτοὺς ἡ σαρδώ, πολλὴ δὲ ἡ σμάραγδος, ἀληθὴς δ´ ἡ μάργηλις, ἡ συνθήκη δὲ αὐτῶν Ἡφαίστου νοείσθω. Οὐ δὲ κλιμάκων δέονται πρὸς τὰ δένδρα παρ´ αὐτοῦ· ὑψοῦ γὰρ καὶ ἐς αὐτὰ πέτονται τὰ μῆλα. Καὶ ἵνα μὴ τοὺς χορεύοντας λέγωμεν ἢ τοὺς διαθέοντας ἢ τοὺς καθεύδοντας ἢ ὡς γάνυνται τῶν μήλων ἐμφαγόντες, ἴδωμεν ὅ τι ποτὲ οὗτοι νοοῦσιν. Οἱ γὰρ κάλλιστοι τῶν Ἐρώτων ἰδοὺ τέτταρες ὑπεξελθόντες τῶν ἄλλων δύο μὲν αὐτῶν ἀντιπέμπουσι μῆλον ἀλλήλοις, ἡ δὲ ἑτέρα δυὰς ὁ μὲν τοξεύει τὸν ἕτερον, ὁ δὲ ἀντιτοξεύει καὶ οὐδὲ ἀπειλὴ τοῖς προσώποις ἔπεστιν, ἀλλὰ καὶ στέρνα παρέχουσιν ἀλλήλοις, ἵν´ ἐκεῖ που τὰ βέλη περάσῃ. Καλὸν τὸ αἴνιγμα· σκόπει γάρ, εἴ που ξυνίημι τοῦ ζωγράφου. Φιλία ταῦτα, ὦ παῖ, καὶ ἀλλήλων ἵμερος. Οἱ μὲν γὰρ διὰ τοῦ μήλου παίζοντες πόθου ἄρχονται, ὅθεν ὁ μὲν ἀφίησι φιλήσας τὸ μῆλον, ὁ δὲ ὑπτίαις αὐτὸ ὑποδέχεται ταῖς χερσὶ δῆλον ὡς ἀντιφιλήσων, εἰ λάβοι, καὶ ἀντιπέμψων αὐτό· τὸ δὲ τῶν τοξοτῶν ζεῦγος ἐμπεδοῦσιν ἔρωτα ἤδη φθάνοντα. Καὶ φημὶ τοὺς μὲν παίζειν ἐπὶ τῷ ἄρξασθαι τοῦ ἐρᾶν, τοὺς δὲ τοξεύειν ἐπὶ τῷ μὴ λῆξαι τοῦ πόθου. Ἐκεῖνοι μὲν οὖν, περὶ οὓς οἱ πολλοὶ θεαταί, θυμῷ συμπεπτώκασι καὶ ἔχει τις αὐτοὺς πάλη. Λέξω καὶ τὴν πάλην· καὶ γὰρ τοῦτο ἐκλιπαρεῖς. Ὁ μὲν ᾕρηκε τὸν ἀντίπαλον περιπτὰς αὐτῷ κατὰ τῶν νώτων καὶ εἰς πνῖγμα ἀπολαμβάνει καὶ καταδεῖ τοῖς σκέλεσιν, ὁ δὲ οὔτε ἀπαγορεύει καὶ ὀρθὸς ὑπανίσταται καὶ διαλύει τὴν χεῖρα, ὑφ´ ἧς ἄγχεται, στρεβλώσας ἕνα τῶν δακτύλων, μεθ´ ὃν οὐκέτι οἱ λοιποὶ ἔχουσιν οὐδέ εἰσιν ἐν τῷ ἀπρίξ, ἀλγεῖ δὲ 〈ὁ〉 στρεβλούμενος καὶ κατεσθίει τοῦ 〈συμ〉παλαιστοῦ τὸ οὖς. Ὅθεν δυσχεραίνουσιν οἱ θεώμενοι τῶν Ἐρώτων ὡς ἀδικοῦντι καὶ ἐκπαλαίοντι καὶ μήλοις αὐτὸν καταλιθοῦσι. Μηδὲ ὁ λαγὼς ἡμᾶς ἐκεῖνος διαφυγέτω, συνθηράσωμεν δὲ αὐτὸν τοῖς Ἔρωσι. Τοῦτο τὸ θηρίον ὑποκαθήμενον ταῖς μηλέαις καὶ σιτούμενον τὰ πίπτοντα εἰς γῆν μῆλα, πολλὰ δὲ καὶ ἡμίβρωτα καταλεῖπον διαθηρῶσιν οὗτοι καὶ καταράσσουσιν ὁ μὲν κρότῳ χειρῶν, ὁ δὲ κεκραγώς, ὁ δὲ ἀνασείων τὴν χλαμύδα, καὶ οἱ μὲν ὑπερπέτονται τοῦ θηρίου καταβοῶντες, οἱ δὲ μεθέπουσιν αὐτὸ πεζοὶ κατ´ ἴχνος, ὁ δ´ ὡς ἐπιρρίψων ἑαυτὸν ὥρμησε. Καὶ τὸ θηρίον ἄλλην ἐτράπετο, ὁ δὲ ἐπιβουλεύει τῷ σκέλει τοῦ λαγώ, τὸν δὲ καὶ διωλίσθησεν ᾑρηκότα. Γελῶσιν οὖν καὶ καταπεπτώκασιν ὁ μὲν ἐς πλευράν, ὁ δὲ πρηνής, οἱ δὲ ὕπτιοι, πάντες δὲ ἐν τοῖς τῆς διαμαρτίας σχήμασι. Τοξεύει δὲ οὐδείς, ἀλλὰ πειρῶνται αὐτὸν ἑλεῖν ζῶντα ἱερεῖον τῇ Ἀφροδίτῃ ἥδιστον. Οἶσθα γάρ που τὸ περὶ τοῦ λαγὼ λεγόμενον, ὡς πολὺ τῆς Ἀφροδίτης μέτεστιν αὐτῷ. Λέγεται οὖν περὶ μὲν τοῦ θήλεος θηλάζειν τε αὐτὸ ἃ ἔτεκε καὶ ἀποτίκτειν πάλιν ἐπὶ ταὐτῷ γάλακτι· καὶ ἐπικυΐσκει δὲ καὶ οὐδὲ εἷς χρόνος αὐτῷ τοῦ τοκετοῦ κενός. Τὸ δὲ ἄρρεν σπείρει τε, ὡς φύσις ἀρρένων, καὶ ἀποκυΐσκει παρ´ ὃ πέφυκεν. Οἱ δὲ ἄτοποι τῶν ἐραστῶν καὶ πειθώ τινα ἐρωτικὴν ἐν αὐτῷ κατέγνωσαν βιαίῳ τέχνῃ τὰ παιδικὰ θηρώμενοι. Ταῦτα μὲν οὖν καταλίπωμεν ἀνθρώποις ἀδίκοις καὶ ἀναξίοις τοῦ ἀντερᾶσθαι, σὺ δέ μοι τὴν Ἀφροδίτην βλέπε. Ποῦ δὴ καὶ κατὰ τί τῶν μήλων ἐκείνῃ; ὁρᾷς τὴν ὕπαντρον πέτραν, ἧς νᾶμα κυανώτατον ὑπεκτρέχει χλωρόν τε καὶ πότιμον, ὃ δὴ καὶ διοχετεύεται ποτὸν εἶναι ταῖς μηλέαις; ἐνταῦθά μοι τὴν Ἀφροδίτην νόει Νυμφῶν οἶμαι αὐτὴν ἱδρυμένων, ὅτι αὐτὰς ἐποίησεν Ἐρώτων μητέρας καὶ διὰ τοῦτο εὔπαιδας. Καὶ κάτοπτρον δὲ τὸ ἀργυροῦν καὶ τὸ ὑπόχρυσον ἐκεῖνο σανδάλιον καὶ αἱ περόναι αἱ χρυσαῖ, ταῦτα πάντα οὐκ ἀργῶς ἀνῆπται. Λέγει δὲ Ἀφροδίτης εἶναι, καὶ γέγραπται τοῦτο, καὶ Νυμφῶν δῶρα εἶναι λέγεται. Καὶ οἱ Ἔρωτες δὲ ἀπάρχονται τῶν μήλων καὶ περιεστῶτες εὔχονται καλὸν αὐτοῖς εἶναι τὸν κῆπον.

VI. LES AMOURS.

Les Amours font la récolte des pommes, comme tu vois; ne sois pas surpris de leur nombre, car ces enfants des Nymphes, qui gouvernent toute la race mortelle, sont innombrables en raison des innombrables désirs de l'homme. II est, cependant, dit-on, un amour céleste qui a dans le ciel des fonctions divines. L'agréable parfum qui s'exhale du verger ne vient-il pas jusqu'à toi ? aurais-tu l'odorat paresseux ? oui ; eh bien, écoute attentivement, mes paroles apporteront jusqu'à toi l'odeur des fruits. Plantés en lignes droites, ces arbres laissent entre eux de larges avenues pour les promeneurs ; les allées sont bordées d'une herbe fine qui peut tenir lieu d'un lit de repos. Aux extrémités des branches pendent des pommes dorées, couleur de feu ou blondes comme un rayon de soleil (a) qui invitent l'essaim tout entier des amours au rôle de vendangeurs. Les carquois rehaussés d'or, ou tout en or, et remplis de leurs flèches, toute la bande s'en est dépouillée; légère, elle prend ses ébats, après avoir suspendu cet attirail aux pommiers; les manteaux brodés (b) sont étendus sur le gazon, où ils brillent de l'éclat de mille couleurs. Les Amours n'ont point sur la tête de couronnes de fleurs, leur chevelure leur est une parure suffisante, leurs ailes bleu d'azur ou couleur de pourpre, quelques-unes dorées, font presque entendre en battant l'air un 222 son harmonieux. Les belles corbeilles (c) dans lesquelles ils déposent les pommes ! Que de sardoines, que d'émeraudes, que de perles véritables s'y montrent enchâssées. C'est l'ouvrage d'Héphaestos, n'en doutez point mais d'échelles de sa façon pour monter sur les arbres, point n'est besoin, ils prennent leur vol et atteignent les pommes d'emblée. Pour ne point parler de ceux qui dansent en choeur, qui courent, qui dorment ou qui mordent dans les pommes à belles et joyeuses dents, considérons à quel genre d'amusement se livrent ceux-ci. Ces quatre amours, les plus beaux de tous, se sont séparés de leurs compagnons ; deux d'entre eux se lancent une pomme l'un à l'autre, les deux autres se renvoient une flèche de la même façon ; d'ailleurs la menace n'est point sur leur visage, chacun d'eux tend sa poitrine, pour recevoir là, non ailleurs, le trait de son adversaire. C'est une belle allégorie ; vois, si je comprends bien le peintre. Amitié et tendresse mutuelle, voilà le mot de l'énigme. Ceux qui jouent avec la pomme en sont aux débuts du désir ; aussi l'un lance une pomme après l'avoir baisée, et l'autre étend les mains pour la recevoir; on voit clairement qu'il la baisera une fois reçue, et la renverra à son camarade. Quant à notre paire d'archers, liés par un amour déjà ancien, ils travaillent à le fortifier. Oui, les deux premiers jouent pour aider un amour naissant, les autres manient l'arc pour que le désir ne meure point en eux. Ces autres amours qu'entourent un grand nombre de spectateurs, en sont venus aux prises dans l'emportement de la colère, on dirait des lutteurs. Je vais t'expliquer cette lutte, puisque tu le désires vivement. L'un d'eux, voltigeant autour de son adversaire, l'a saisi par les épaules ; il le serre à l'étouffer, il l'enlace de ses jambes; l'autre, loin de se rendre, loin de fléchir, se dresse avec effort, desserre la main qui l'étreint, il a tordu un des doigts, si bien que les autres se trouvent isolés et forcés de lâcher prise. L'amour ainsi torturé éprouve une vive douleur et mord l'oreille de son adversaire ; les amours qui le regardent s'irritent d'un procédé si injuste, d'une telle violation des lois de la lutte, et lapident le malheureux à coups de pommes. J'aperçois aussi un lièvre qu'il ne faut point laisser nous échapper; chassons-le en compagnie des amours. Il était blotti sous les pommiers et se régalait des fruits tombés à terre (plusieurs sont restés là, à demi rongés) ; mais voilà nos amours qui le poursuivent, qui l'effraient, l'un par des battements de mains, l'un par des cris perçants, l'autre en agitant sa chlamyde ; les uns volent au delà de la bête, en poussant des cris; les autres courent après lui, le suivant à la piste. En voici un qui a pris son élan pour se précipiter:sur la proie, mais l'animal s'est dérobé ; un autre veut 223 mettre la main sur la patte du lièvre ; mais à peine l'a-t-il saisie qu'elle lui échappe ; aussi de rire tombant les uns sur le flanc, les autres la tête la première, les autres à la renverse, tous de différentes manières, suivant qu'ils ont manqué la bête d'une façon ou d'une autre (d). Aucun ne lance une flèche : ils s'efforcent de prendre le lièvre vivant comme l'offrande la plus agréable à la déesse Aphrodite. Tu sais en effet que le lièvre passe pour avoir reçu d'Aphrodite la plupart de ses instincts ; on dit que la femelle pendant qu'elle allaite ses petits devient mère de nouveau, qu'elle nourrit la nouvelle portée avec le lait de la première, puis qu'elle conçoit encore et qu'en aucun temps elle ne cesse d'être pleine ; quant au mâle, non seulement il féconde la femelle, ce qui est dans son rôle de mâle, mais il conçoit lui-même, ce qui est contre nature. Aussi les amoureux sans délicatesse, persuadés qu'il y a en cet animal quelque vertu persuasive, favorable à l'amour, s'en servent pour faire violence à l'objet de leur tendresse. Mais laissons ce procédé aux hommes sans loyauté, indignes d'inspirer l'amour, et tourne les yeux vers Aphrodite. Où est-elle? en quelle partie du verger (e) ? Tu vois là-bas cette grotte creusée dans le rocher, de laquelle s'échappe, reflétant l'azur sombre du ciel et le vert des pommiers, une source d'eau limpide qui se divise en canaux pour arroser le verger? Sois certain qu'il y a là une statue d'Aphrodite parée, j'imagine, par les Nymphes, pour la remercier de les avoir rendues mères dés Amours, mères de si beaux enfants. Quant à ce miroir d'argent, à cette riche sandale dorée, à ces agrafes d'or, ce sont toutes offrandes parlantes; elles me disent qu'elles sont consacrées à Aphrodite ; cela est écrit d'ailleurs et nous lisons que ces dons viennent des Nymphes. Les Amours de leur côté offrent les prémices des pommes, et debout en cercle ils demandent dans leur prière que leur verger soit toujours aussi beau (f).
 

 

COMMENTAIRE.

Ce tableau a été l'objet d'une critique ingénieuse (1). Les Amours, a-t-on remarqué, nous y sont présentés tantôt comme des êtres allégoriques, tantôt comme des enfants aimables qui s'amusent pour leur propre compte. Danser, courir, folâtrer, ce sont là des actions qui nous intéressent par elles-mêmes et qui n'ont rien de symbolique; au nombre de ces actions, on peut compter celle de cueillir des pommes et celle de courir après un lièvre, malgré l'interprétation de Philostrate. Si le peintre s'était contenté de repré- 224 senter ces amusements ou autres semblables, il aurait usé de son droit ; mais il nous montre deux enfants qui se renvoient une pomme, après y avoir déposé un baiser, ce qui est la marque d'un amour naissant, et deux autres enfants qui lancent une flèche l'un contre l'autre et tendent leur poitrine pour recevoir le trait, ce qui témoigne d'un amour en pleine activité, et désireux de se fortifier par l'exercice. Ces deux groupes, surtout le dernier (car pour le premier on pourrait encore contester l'interprétation de Philostrate), introduisent le symbole dans la composition, et par ce seul fait l'unité est détruite. Ici ce sont des enfants qui prennent leurs ébats; là ce sont des Amours jouant, comme il leur convient, leur rôle de personnages allégoriques. Dirons-nous, pour excuser le peintre, que les explications de Philostrate sont incomplètes et que tout est symbole dans le tableau? mais des Amours, dignes de leur nom, ne sauraient dormir; des Amours qui se prennent au sérieux ne sauraient mordre dans une pomme, leur attribut; des Amours qui représentent une passion distincte s'oublient quand ils luttent entre eux et que l'un mord l'oreille de l'autre.

Ces considérations nous paraissent plus spécieuses que justes. Elles supposent d'abord une théorie de l'art, sujette à contestation. Le personnage allégorique a, pour ainsi dire, une double nature, il est à la fois une idée et un être vivant ; les Amours représentent nos désirs, mais en revêtant les formes de l'enfance, ils en prennent aussi les goûts, les caprices, les passions ; ce sont là deux éléments divers ; qu'un artiste accentue chez l'un de ses Amours le caractère du symbole ; qu'il mette en relief chez l'autre les traits distinctifs de l'enfant, de manière à nous donner dans un même tableau l'idée parfaitement claire de cette double nature, n'a-t-il pas atteint son but ? Dirons-nous que l'unité est brisée, parce que tout n'est pas rigoureuse ment allégorique dans une composition qui admet l'allégorie? La véritable unité du personnage allégorique ne consiste-t-elle pas dans l'union d'une vie propre et du symbole? Mais ici nous n'avons pas même à. opposer une théorie à une autre. Dans le tableau décrit par Philostrate, toutes les actions des Amours pareront allégoriques, si au lieu de considérer les Amours comme les génies des désirs amoureux, on les regarde comme les génies de tous nos désirs, quels qu'ils soient. Et c'est bien ainsi que l'a entendu Philostrate; nous en avons pour preuve la première phrase de sa description : « Ces enfants des Nymphes, dit-il, sont innombrables, en raison des innombrables désirs de l'homme. » Or il n'est dans la peinture aucun enfant dont l'action ou l'attitude n'ait quelque rapport avec un de nos désirs : Les Amours récoltent des fruits, poursuivent un lièvre, désir de jouissance et de possession, sans compter que les fruits sont un symbole de fécondité et que le lièvre est un animal particulièrement consacré à Aphrodite. Des Amours, armés de l'arc, offrent leurs poitrines aux coups I'un de l'autre; désirs qui cherchent à se fortifier, dit Philostrate ; en tout cas désirs réciproques, ac- 225 cueillis de part et d'autre avec bonheur. Un Amour mord dans une pomme ; appétit ou gourmandise, c'est toujours un désir ; un Amour dort sur le gazon des avenues ; c'est le repos des désirs (2). Deux Amours sont aux prises : c'est la lutte de deux désirs contraires; l'un mord l'oreille de l'autre; c'est le désir encore sous la forme de la jalousie ou de l'aversion. Des Amours lapident leur camarade infidèle aux règles de la lutte : c'est le désir se soumettant aux lois, en face du désir qui les enfreint. Laissons donc cette vaine chicane faite à. Philostrate; la théorie de l'allégorie qu'elle suppose est suspecte, et de plus ne s'applique pas au cas présent.

D'autres critiques s'adressent moins au peintre qu'à Philostrate et ne nous paraissent pas plus justes. Comment le rhéteur, a-t-on dit, a-t-il vu qu'un des Amours a baisé la pomme avant de la lancer et que l'autre la baisera avant de la renvoyer? Voilà, pour chacun de ces deux Amours, au moins deux mouvements distincts que le peintre n'a pu représenter tout à la fois. Mais quoi! si l'un des deux Amours tient près de la bouche la pomme qu'il va lancer, n'est-il pas permis de conjecturer, pour qui connaît les moeurs de la Grèce antique, qu'il la baisera avant de l'envoyer? L'autre ne peut que tendre les mains, il est vrai ; mais l'artiste n'a-t-il pu donner à ces mains une position, et au visage une expression qui permette de deviner ce qu'il fera, après avoir reçu la pomme. Le passage sur la lutte, ajoute-t-on, est un récit, et nullement une description; rien de moins exact. Peser sur les épaules de son adversaire, lui serrer la poitrine de ses jambes et le cou de ses bras, le mordre à l'oreille, tout cela peut avoir lieu en un seul et même instant ; desserrer la main de son ennemi et lui tordre un doigt sont deux actions successives ; mais comme les résultats de la première subsistent quand l'autre s'accomplit, le spectateur peut bien les décrire comme si elles s'accomplissaient toutes deux sous ses yeux (3).

Maintenant comment nous représenterons-nous la place des différents groupes? La question ne saurait être résolue d'une façon précise ; on comprend en effet que dans une peinture qui renferme tant de figures, il y a mille manières de les placer et de les grouper. Les vendangeurs sont un peu partout, sans nul doute, tous les arbres du verger étant chargés de pommes. Mettons, si nous le voulons, de chaque côté du tableau les Amours armés de l'arc et les Amours qui se lancent une pomme ; ces deux groupes ainsi disposés donneront une espèce d'équilibre à toute la composition. Les lutteurs, avec leur cortège de spectateurs, formant sans doute la masse la plus considérable, occuperont le centre de la peinture. Le lièvre et les Amours qui le poursuivent seront sur un deuxième ou troisième plan, avec l'antre d'A- 226 phrodite et un autre groupe d'Amours. Ce sont là, d'ailleurs, de pures conjectures auxquelles chacun est libre d'en substituer d'autres.

La question d'art écartée, la description de Philostrate intéresse par quelques endroits la mythologie et l'archéologie. D'après l'auteur, les Amours sont fils des Nymphes, et non d'Aphrodite, mère d'un seul Amour, celui qui a dans le ciel des fonctions divines. C'est aussi l'opinion de Claudien décrivant le séjour de Vénus dans l'île de Chypre :

Mille pharetrati ludunt in margine fratres
Ore pares, similes habitu, gens mollis Amorum.
Hos Nymphae pariunt, ilium Venus aurea solum
Edidit : ille Deos coelumque et aidera cornu
Temperat, et suinmos dignatur figere reges ;
 Hi plebem feriunt (4).

Pour les besoins de la circonstance, Claudien, qui chante le mariage d'Honorius et de Marie, étend un peu plus que Philostrate les fonctions de l'Amour céleste. Platon, distinguant l'un de l'autre l'Amour noble et l'Amour vulgaire, distinguait aussi deux déesses Aphrodites, l'une l'Aphrodite Uranie, mère du premier, l'autre l'Aphrodite populaire, mère du second (5). Quand les désirs de l'homme, sous l'influence de l'art et de la poésie, furent personnifiés par de jeunes enfants ailés, les poètes et les artistes leur donnèrent les Nymphes pour mères (6) ; le choix était heureux puisque les désirs ont une étroite parenté avec l'Amour, et que les Nymphes composent le cortège d'Aphrodite, mère d'Éros.

Les deux Amours qui se lancent une pomme personnifient, comme on l'a vu, un Amour naissant. La pomme était en effet chez les anciens le premier cadeau fait à l'objet aimé ; elle servait, pour ainsi dire, aux déclarations. « Ne cours pas applaudir des danseuses, dit le Juste à Phidippide, dans les Nuées; si tu te passionnes pour de tels spectacles, une courtisane te jettera la pomme et c'en sera fait de ta réputation »  (7). On peut lire dans le Toxaris de Lucien comment Chariclée, une courtisane, s'y prend pour inspirer une passion violente au riche Dinias : « D'abord les billets commencent à lui arriver de la part de Chariclée ; puis viennent les couronnes à demi flétries, les pommes mordues et toutes les séductions que les prostituées dressent contre les jeunes gens » (8).

Le lièvre à cause de sa fécondité, dont les anciens cherchaient la cause en dehors des lois de la nature, fut consacré à Aphrodite. Partant, il se trouve souvent joint aux Erotés. Telle peinture de vase nous représente trois Amours dont l'un tient un lièvre par les oreilles (9). Dans une peinture 227 d'Herculanum, nous retrouvons comme un fragment du tableau décrit par Philostrate ; un lièvre broute sous un arbre ; un Amour s'avance doucement, une main sur la poitrine comme pour retenir son souffle, l'autre relevée et prête à s'abattre sur la proie (10). On pourrait ne voir là qu'un des mille jeux, prêtés aux Amours par la fantaisie des artistes, sans aucune espèce d'intention allégorique. Des peintures de vases nous présentent des éphèbes qui reçoivent un lièvre des mains de leur amant (11). Ici il n'est plus permis de douter : nous avons devant les yeux les amants dont parle Philostrate, à cela près que le peintre n'a pas voulu nous les donner comme des hommes sans délicatesse, mais bien nous faire simplement connaître leurs intentions. Il nous reste encore une question à nous poser : pourquoi le lièvre de Philostrate, en dépit de l'histoire naturelle, ronge-t-il des pommes sous son arbre? Nous répondrons que le lièvre de Philostrate, qui est androgyne, qui a portée sur portée, ne saurait être un lièvre ordinaire broutant le thym et le serpolet. Aucun monument, que nous sachions, ne donne au lièvre une pareille nourriture. Un seul document, c'est trop peu pour que nous puissions conclure plutôt à une allégorie nouvelle qu'à une bizarrerie de l'artiste (12).

Si la pomme et le lièvre nous ont paru mériter une explication, nous ne dirons rien des offrandes des Nymphes, sinon qu'elles paraissent choisies selon les usages de l'antiquité et le caractère même de la déesse. Nous n'avons pas besoin de savoir que Laïs offrit son miroir à Aphrodite pour comprendre la présence du miroir dans le tableau de Philostrate (13). Mais ce qui peut nous étonner davantage, c'est de voir que l'offrande est accompagnée, dans la peinture môme, d'une inscription. Cette inscription, dit un commentateur, ne ressemblait point à celles que les anciens peintres plaçaient dans leurs tableaux ; elle se composait de lettres mal formées, de vestiges de lettres, et cependant, ajoute-t-il, cela même n'était pas nécessaire. Jacobs nous paraît méconnaître ici un usage de l'antiquité : une inscription accompagnait presque toujours les offrandes faites à un dieu ; en comparant le texte de Philostrate et les inscriptions votives qui nous sont parvenues, on peut assurer qu'on lisait distinctement, dans le tableau, sur la porte du 228 sanctuaire : « les Nymphes à Aphrodite » (14). Le peintre avait reproduit ces mots, non pas tant pour instruire le spectateur, que pour être exact; loin de nuire à l'illusion, comme toute inscription parasite, celle-ci y contribuait ; elle était donc nécessaire : du moins elle n'était pas vaine (15).

M. Gruyer dans sa belle étude sur Raphaël et l'Antiquité a déjà rapproché de la description de Philostrate une composition du Sanzio qui devait être exécutée pour les fresques de la villa Madame. Nous avons fait reproduire cette composition d'après un dessin anciennement attribué à Raphaël lui-même et à ce titre conservé au Louvre parmi les dessins du maître, bien que la critique moderne ne le reconnaisse pas pour authentique et penche à le regarder plutôt comme l'oeuvre de Jules Romain. Raphaël n'a pas complètement restitué le tableau antique ; il n'a guère fait que lui emprunter deux épisodes, la lutte et la poursuite du lièvre. Encore a-t-il modifié le sentiment et le sujet lui-même. Toute allégorie a disparu : ce sont des enfants qui jouent entre eux ; rien de plus. Les deux petits lutteurs s'enlacent de leurs bras ; l'un soulève l'autre ; il n'y a ni violence ni violation des lois de la lutte. Si des Amours s'apprêtent à lapider le groupe avec des pommes, on comprend, à leur sourire, que c'est un jeu de plus, non un châtiment. Le second groupe nous montre presque toutes les attitudes décrites par Philostrate; des Amours effraient le lièvre en battant des mains; celui-ci a volé au delà de la bête pour la recevoir si elle échappe ; ceux-ci sont tombés en différentes postures, mais ils tiennent le lièvre qui dans Philostrate n'est pas encore pris. Rien de plus naïf que toutes ces attitudes; rien de plus clair pour l'oeil que toute cette ordonnance; on reconnaît partout le goût, l'habileté suprême du grand artiste, et cette originalité qui ne l'abandonne même pas quand il s'inspire d'autrui. Il nous semble que plus d'une description de Philostrate se prêterait de même à une restitution où le sentiment moderne s'allierait heureusement à la conception antique.

(1) Friederiche, Die Phil. B., p. 160.

(2) Nous n'inventons pas cette interprétation pour le besoin de la cause. " Sur une pierre gravée, dit M. L. Ménard (Gaz. des Beaux-Arts, 1er oct. 72, p. 276), on voit Hermaphrodite endormi au milieu d'un groupe d'amours endormis comme lui : c'est le sommeil des désirs."

(3) Sur ces figures de la lutte et les autres, voir Stéphani, Compte rendu de la Commission arch. de Saint-Pétersbourg, 1867, p. 31.

(4) De Nuptiis Honorii et Mariae, v. 94 et suiv.

(5) Platon, le Banquet, p. 185 B.

(6) Jacobs cite encore Himérius, Ecl. X, 6, p. 180.

(7) Aristoph., les Nuées, v. 995.

(8) Lucien, Toxaris,13 (Traduct. Talbot, II, 30). Voir aussi le dialog. XII des Courtisanes. Cf. Stephani, Compte rendu, 1860, p. 86.

(9) Peint. d'un vase du musée du prince Canino. Voir Lenormand, Trésor de Num. et de Glypt., Gal. myth., p. 3. Voir aussi une médaille de Cyzique, expliquée par Panofka (Monum. ined. dell' Inst.. LVII, 13, 5; Ann., V, 272).

(10) Roux, Hercul. et Pomp., V, pl. 27.

(11) De Witte, Cat. Durand, n° 665. Sur un vase de la collect. Pourtalès, un homme barbu tient un lièvre, près de lui est son éromène Trés. de N., ibid.).

(12) M. Ch. Lenormant propose une explication (Trésor de Numisn:. et de G!., Gal. myth. p. 35). Le lièvre, en sa qualité d'androgyne, est le symbole du λαγὼς, la parole, le verbe de Jupiter qui crée le monde par sa propre fécondité, de là le nom de λαγώς. Or μῆλον, la pomme, a du rapport avec μέλος;, un son agréable, mot qui lui-même peut rappeler le λόγος;, le son par excellence. Nous nous garderons de recourir à une conjecture aussi invraisemblable, pour justifier un ancien d'une invraisemblance en fait d'histoire naturelle.

(13) Plat., Epist., VII; Jul. Aeg. Ep., III, 1V, V ; Voir aussi Callim. Hymn. in Pall., 20. Plut. De la Fortune des Romains.

(14) Καὶ νυμφῶν δῶρα εἶναι λέγεται, porte le texte de Philostrate. L'inscription était sans doute ainsi conçue : Ἀφροδίτῃ Νυμφαί.

(15) Ottf. Muller dans le Manuel d'archéol. (trad. Nicard, § 897, 5) fait une longue énumération des monuments qui représentent les jeux des amours. Nous y renvoyons le lecteur. Pour les Amours vendangeurs, voir au Louvre les na 352, 353 du Catalogue Fröhner, Bouillon, III, 46, G. Giust. II, 128 ; Zoega Bassiril. ant. 90. Voir aussi dans l'Archdolog. Zeitung, 1879, v. Heft, et pl. XIII, la reproduction d'un groupe en marbre découvert, il y a environ une dizaine d'années. L'auteur de l'article (p. 170) rapproche de ce groupe quelques monuments analogues.

 

ΜΕΜΝΩΝ

Ἡ μὲν στρατιὰ Μέμνονος, τὰ ὅπλα δὲ αὐτοῖς ἀπόκειται καὶ προτίθενται τὸν μέγιστον αὐτῶν ἐπὶ θρήνῳ, βέβληται δὲ κατὰ τὸ στέρνον ἐμοὶ δοκεῖν ὑπὸ τῆς μελίας. Εὑρὼν γὰρ πεδίον εὐρὺ καὶ σκηνὰς καὶ τεῖχος ἐν στρατοπέδῳ καὶ πόλιν συμπεφραγμένην τείχεσιν οὐκ οἶδ´ ὅπως οὐκ Αἰθίοπες οὗτοι καὶ Τροία ταῦτα, θρηνεῖται δὲ Μέμνων ὁ τῆς Ἠοῦς. Τοῦτον ἀφικόμενον ἀμῦναι τῇ Τροίᾳ κτείνει, φασίν, ὁ τοῦ Πηλέως μέγαν ἥκοντα καὶ οὐδὲν ἂν αὐτοῦ μείω. Σκόπει γάρ, ὅσος μὲν κεῖται κατὰ τῆς γῆς, ὅσος δὲ ὁ τῶν βοστρύχων ἄσταχυς, οὓς οἶμαι Νείλῳ ἔτρεφε· Νείλου γὰρ Αἰγύπτιοι μὲν ἔχουσι τὰς ἐκβολάς, Αἰθίοπες δὲ τὰς πηγάς. Ὅρα τὸ εἶδος, ὡς ἔρρωται καὶ τῶν ὀφθαλμῶν ἀπολωλότων, ὅρα τὸν ἴουλον ὡς καθ´ ἡλικίαν τῷ κτείναντι. Οὐδ´ ἂν μέλανα φαίης τὸν Μέμνονα· τὸ γὰρ ἀκράτως ἐν αὐτῷ μέλαν ὑποφαίνει τι ἄνθους. Αἱ δὲ μετέωροι δαίμονες Ἠὼς ἐπὶ τῷ παιδὶ πενθοῦσα κατηφῆ ποιεῖ τὸν Ἥλιον καὶ δεῖται τῆς Νυκτὸς ἀφικέσθαι πρὸ καιροῦ καὶ τὸ στρατόπεδον ἐπισχεῖν, ἵνα ἐγγένηταί οἱ κλέψαι τὸν υἱόν, Διός που ταῦτα νεύσαντος. Καὶ ἰδοὺ ἐκκέκλεπται καὶ ἔστιν ἐπὶ τέρμασι τῆς γραφῆς. Ποῦ δὴ καὶ κατὰ τί τῆς γῆς; τάφος οὐδαμοῦ Μέμνονος, ὁ δὲ Μέμνων ἐν Αἰθιοπίᾳ μεταβεβληκὼς εἰς λίθον μέλανα. Καὶ τὸ σχῆμα καθημένου, τὸ δὲ εἶδος ἐκεῖνο οἶμαι, καὶ προσβάλλει τῷ ἀγάλματι ἡ ἀκτὶς τοῦ Ἡλίου. Δοκεῖ γὰρ ὁ Ἥλιος οἱονεὶ πλῆκτρον κατὰ στόμα ἐμπίπτων τῷ Μέμνονι ἐκκαλεῖσθαι φωνὴν ἐκεῖθεν καὶ λαλοῦντι σοφίσματι παραμυθεῖσθαι τὴν Ἡμέραν.

VII. MEMNON.

Cette armée est celle de Memnon ; les soldats ont laissé leurs armes pour exposer et pleurer le plus grand d'entre eux, atteint en pleine poitrine par une lance, le fameux frêne d'Achille, je suppose (a). En effet, 229 à la vue de cette vaste plaine, de ces tentes, de ce camp retranché, de cette ville entourée de fortes murailles, je ne puis m'empêcher de dire : voici les Éthiopiens, voici Troie et ce héros que l'on pleure est Memnon
fils de l'Aurore. Il était venu au secours de Troie et fut tué, dit-on, par le fils de Pélée ; les deux adversaires étaient de taille à se mesurer. Vois en effet quelle étendue de terre Memnon couvre de son corps, et quelle belle gerbe de cheveux bouclés il entretenait, je pense, pour la consacrer au Nil, car si les bouches du Nil appartiennent aux Égyptiens, les Éthiopiens en possèdent les sources ; vois cette mâle beauté qui paraît encore, malgré des yeux éteints, vois sur le visage ce léger duvet, attestant que le héros avait l'âge de son vainqueur (b). Et l'on ne dirait point que Memnon fût noir, car sa figure, quoique d'un noir intense, laisse deviner je ne sais quelle fleur de jeunesse. Des déesses se montrent dans les airs; l'Aurore, se lamentant sur la perte de son fils, voile l'éclat du Soleil et prie la nuit de répandre, avant le temps, ses ombres sur l'armée afin qu'il lui soit possible, Jupiter consentant au larcin, de dérober le cadavre de son fils. Et regarde, le corps a été enlevé; on aperçoit Memnon sur les confins du tableau (c). Où donc? en quel lieu de la terre? Le tombeau de Memnon n'est nulle part ; mais Memnon lui-même est en Éthiopie, changé en pierre noire, son attitude est celle d'une personne assise, ses traits sont, j'imagine, ceux que tu lui vois dans le tableau (d). Cette statue est frappée par les rayons du soleil, qui en glissant, comme un plectre sur la bouche de Memnon, semblent en faire sortir une voix et consoler le jour par les sons de cette parole artificielle.
 

 COMMENTAIRE

Rien de plus simple que la composition de ce tableau,. Elle se divise en trois parties. Memnon entouré et pleuré par ses soldats; l'Aurore et la Nuit dans les airs ; dans le lointain, une statue assise de Memnon. Memnon, dans le tableau de Philostrate, est un Éthiopien, noirci par les chaleurs d'un climat brûlant; dans les peintures de vases qui sont parvenues jusqu'à nous, il est représenté avec les traits, le teint et le costume d'un héros grec. D'où vient cette différence? Partant de ce principe que l'art grec recherche avant tout la beauté des formes et y sacrifie même la vérité historique, des commentateurs ont cru pouvoir conclure que Philostrate avait imaginé le tableau qu'il décrivait, et l'avait imaginé en homme qui connaissait peu les traditions de l'art antique (1). Nous croyons ce jugement peu fondé, du moins en ce qui concerne ce tableau.

Il faut remarquer tout d'abord que si l'art antique a donné à Memnon le type grec, ce n'est pas par une raison esthétique, mais pour se conformer à la légende memnonienne. Dans Homère, Memnon est le plus beau des guerriers (2), épithète qu'il n'aurait pas sans doute méritée, s'il s'était présenté à l'imagination du poète avec le teint et sous les traits d'un prince africain. Dans Hésiode, dans Arctinus, dans Pindare, dans Simonide, Memnon est un Éthiopien, mais un Éthiopien d'Asie (3) : son royaume est situé dans la Susiane ; son palais est à Suse, ville bâtie par Tithon, son père. S'il vient au secours de Troie, c'est à titre de prince allié et voisin, c'est comme défenseur de l'Asie contre les Perses, comme le protecteur naturel de l'Orient qui connaissait sa puissance et dont certains peuples, entre autres celui de Priam, selon quelques récits, étaient ses tributaires (4). Tant que cette légende eut cours dans l'antiquité, les artistes ne furent point placés dans l'alternative ou de s'écarter de l'exactitude historique ou de méconnaître une prétendue loi de leur art. Memnon n'était point noir, et satisfaisait de tous points aux conditions de l'idéal le plus pur. Polygnote l'avait représenté dans la Lesché à Delphes; Pausanias qui décrit l'oeuvre du peintre (5) ne parle pas de la couleur de Memnon; mais on peut, sans hésiter, affirmer qu'il avait le teint d'un Achille ou d'un Ajax ou de tout autre héros du cycle troyen. Il est vrai que Polygnote avait placé un Éthiopien nu près du fils de l'Aurore : cet Éthiopien était-il noir; non sans doute, pas plus que Memnon ; il était là pour représenter l'armée, ou simplement l'écuyer du prince; non pour rappeler que Memnon eut dal être noir : si Polygnote avait, pour ainsi dire, dédoublé son personnage, afin d'être vrai sans altérer la beauté de Memnon, Pausanias, qui nous apprend que l'Éthiopien était nu, eut remarqué ce contraste et relevé cet étrange artifice du peintre. Mais Polygnote, sans doute, croyait, comme Pausanias lui-même, que Memnon était venu de Suse, non de l'Éthiopie africaine, au secours des Troyens (6). Plus tard et pour des causes que nous n'avons point à expliquer, le mythe de Memnon se transforme ou plutôt se déplace. Les Éthiopiens d'Égypte prétendirent que Memnon était né chez eux (7); c'est dans le fond de l'Éthiopie, et non plus comme autrefois sur les bords de l'Esepus, fleuve d'Asie, 231 que les oiseaux, nés des cendres de Memnon, les oiseaux memnonides, venaient humecter leurs ailes (8). A quel moment la patrie de Memnon fut-elle ainsi transportée par la légende en Afrique? on ne le saurait dire d'une façon précise, toujours est-il qu'à une certaine époque, sans doute postérieurement au règne d'Alexandre, Memnon cesse d'être le roi de Suse, habite Méroé, et devient le noir Memnon. Les artistes adoptèrent-ils le nouveau type, offert par la poésie ou la légende à leur imitation? Le combat d'Achille et de Memnon, la psychostasie ou pesée des âmes, les lamentations sur le corps du héros, l'enlèvement du cadavre, nous sont représentés sur les vases (9) ; nulle part Memnon n'a les traits ni la couleur d'un Africain. Mais la plupart de ces peintures, qui ont un caractère archaïque des plus marqués, ont été exécutées, ou reproduisent des peintures exécutées à une époque où Memnon était encore un Éthiopien d'Asie. On peut présumer, ce semble, avec quelque vraisemblance, que le type, consacré par l'art primitif, ne fut jamais abandonné complètement; mais aussi comment affirmer, même en l'absence d'oeuvres d'art, que jamais un artiste ne dut être tenté de peindre le nouveau Memnon des historiens et des poètes? Virgile, décrivant les peintures du temple de Junon, eût-il parlé du noir Memnon, nigri Memnonis arma (10), s'il ne l'avait vu ainsi représenté dans les peintures qui décoraient de son temps les portiques de Rome ou l'atrium des patriciens et dont les sujets étaient souvent empruntés aux poètes de la guerre de Troie? Dans tous les cas, qu'il traduisît ici quelque poète alexandrin ou qu'il songeât à quelque oeuvre d'art déterminée, il ne croyait pas qu'un visage noir fût d'un mauvais effet en peinture. D'ailleurs, si nous nous en rapportons à l'interprétation d'archéologues compétents, comme Gerhard et Panofka, il faut reconnaître qu'au moins, sur un vase, Memnon est représenté comme un nègre (11). Accuserons-nous après cela Philostrate ou l'artiste dont il décrit le tableau d'être en contradiction avec la pratique de l'art grec tout entier, en nous présentant sous le nom de Memnon un véritable Éthiopien de Méroé? La seule conclusion que nous puissions tirer de ce fait, c'est que la composition de cette peinture, quel qu'en soit du reste l'auteur, a été conçue après le règne d'Alexandre, sous l'influence d'une nouvelle légende.

L'armée expose Memnon, dit le texte. Est-ce sur un lit de parade, selon l'usage grec? est-il encore gisant sur le sol, comme tendent à le faire croire 232 ces mots : vois quelle étendue de terre Memnon couvre de son corps. Le moment choisi pouvait être précisément celui où l'armée se prépare à relever de terre le corps du héros pour le déposer sur la couche funèbre. Dans cette supposition, les mots « ils exposent » doivent s'entendre de toute la cérémonie, même des apprêts antérieurs à l'exposition du cadavre : ainsi nous dirions de personnes réunies pour des funérailles : elles rendent les derniers devoirs au mort, elles l'ensevelissent. Peut-être aussi ne faut-il pas trop presser le texte de Philostrate ; si le lit de parade n'était pas très élevé, on conçoit qu'il ait pu dire, sans être trop inexact, que Memnon couvrait une vaste étendue de terre.

On s'est demandé comment l'Aurore pouvait obscurcir le Soleil et prier la Nuit d'étendre ses voiles avant le temps sur l'armée. Welcker pense que l'artiste avait exprimé la tristesse du Soleil et l'approche de la Nuit par l'affaiblissement de la lumière, par un choix de couleurs appropriées. L'illustre archéologue a recours à cette supposition, parce que, dit-il, dans l'art grec on ne rencontre pas le Soleil voilé par un autre dieu. Il convient de remarquer d'ailleurs que le Soleil, du moins sous la forme d'un dieu, ne devait pas être représenté dans le tableau. Philostrate ne donne l'épithète d'aériennes qu'à des figures de déesses (12). Si la Nuit se portait au devant de l'Aurore, et si l'Aurore tendait les bras vers elle, comme pour l'implorer, il semble que Philostrate ait pu dire, sans être infidèle à l'esprit du tableau, que la mère de Memnon demandait à la Nuit de hâter son retour.

La dernière partie de la description de Philostrate a été l'objet d'une méprise singulière. On a cru que le Soleil était représenté une seconde fois, éclairant et animant de ses rayons la statue de Memnon (13). Mennon apparaît dans le lointain ; est-ce sous la forme d'un cadavre enlevé par l'Aurore ou bien est-il déjà changé en statue? La métamorphose a eu lieu sans doute ; cependant Philostrate le laisse deviner plutôt qu'il ne l'affirme. En tout cas, quand il ajoute : « la tombe de Memnon n'est nulle part; Memnon lui-même est en Éthiopie, changé en une pierre noire », il ne parle plus du tableau, mais bien de cette statue colossale de Memnon. On en trouverait au. besoin la preuve dans cette phrase : « son attitude est celle d'une personne assise; ses traits sont, j'imagine, ceux que tu lui vois dans le tableau. » S'il s'agissait d'une comparaison entre le cadavre qui est au premier plan, et la statue qui est sur le dernier, Philostrate n'eût pas perlé de cette ressemblance comme probable ; il l'eût simplement remarquée et constatée. Le soleil, dont il raconte ensuite la mystérieuse influence sur la statue, n'est donc point une image du soleil, que l'oeil pût distinguer dans le tableau ; l'auteur parle du soleil lui-même, au moment où il se levait sur l'Éthiopie; il ne décrit plus; il ajoute un simple renseignement à sa description.

233 C'est donc en Éthiopie que Philostrate place le colosse de Memnon. Suivant les auteurs anciens, Strabon et Pausanias (14), cette statue se trouvait près de Thèbes, et c'est près de Thèbes aussi que de nos jours on a retrouvé un colosse sur lequel on compte soixante-douze inscriptions en l'honneur de Memnon (15). On pourrait croire que Philostrate, peu rigoureux, comme beaucoup d'anciens, dans l'emploi des termes de géographie, entend par Éthiopie, non seulement le pays qui est au sud des cataractes du Nil, mais encore l'Égypte méridionale. Cette explication ne paraît pas cependant satisfaisante : car dans la Vie d'Apollonius de Thiyane, il fait dire à Damis, le disciple du célèbre thaumaturge, que la statue de Memnon se voit chez les Macrobiens, les plus reculés de tous les Éthiopiens (16). Letronne citant ce passage en conclut que Philostrate n'avait pas vu et ne connaissait pas l'Égypte (17). Nous retrouvons ici la même erreur, autorisant la même conclusion. Remarquons en outre que suivant Philostrate, la statue de Memnon était taillée dans une pierre noire, tandis que la statue connue aujourd'hui sous le nom de Memnon est d'un rouge brunâtre (18). Une belle occasion, pour le rhéteur, s'il avait connu ce détail, de nous montrer le rouge et le brun s'unissant dans la pierre pour rendre les deux teintes qu'il remarque sur le visage de Memnon, la couleur noire et l'éclat de la jeunesse (19)  I

(1) Friderichs, Die Phil. Bild., p. 49 et 50.

(2) Odyss., XI, v. 522.

(3) Hésiod, Théog., 934 ; Arctinus apud Proci. in Chrestom., p. 415, édit. Gaisf. ; Pindare, Olymp., II, 148 ; Isthm., V, 51; Ném. III, l ~ 1 ; VI, 83.

(4) Ctésias, ap. Diod. Sic., II, 22.

(5) Pausan., X, 81, 5.

(6) Pans., X, 31, 7. Lowenherz, dans son étude, Die Aethiopien, p. 22, partage en trois classes les oeuvres d'art consacrées à la légende de Memnon : celles où le héros est représenté comme un guerrier grec ; celles où, tout en restant blanc, il est accompagné de personnages de race noire; enfin celles qui en font un véritable nègre. Lowenherz place le tableau de Polygnote dans la deuxième classe. Cette supposition est autorisée par des exemples ; nous somme; étonné toutefois que le texte de Pausanias ne soit pas plus précis sur ce point.

(7) Diod. Sic., II, 22.

(8) Ovide, Mét., XVII, 601 ; Paus., X, 31, 3 ; Pline, X, II. N., 26 (37).

(9) Voir Overbeck, Die Bildwerk; Millingen, Unédit. monum., p. l 1-16.

(10) Virg. Aen., I, 489.

(11) Gerhard. A. V., LXIII; Panofka, Delphi u. Mel., pl. Xl. Cf. Lowenherz, Die Aethiopien. L'auteur de cette étude cite d'ailleurs un grand nombre d'oeuvres d'art qui représentent, sinon Memnon, du moins des nègres. Dès lors pourquoi Memnon, k l'époque où il passa pour un Éthiopien d'Afrique, n'aurait-il pas été représenté avec tous les signes caractéristiques de la race noire ?

(12) Αἱ δὲ μετέωροι δαίμονες.

(13) Friederichs, Die Phil. Bilder., p. 92 et 93.

(14) Strabon, III, p. 810 ; Pans., I, 42, 3.

(15) Voir Letronne, la Statue vocale de Memnon, p. l à 8.

(16) Vie d'Apollonius, VI, ch. iv.

(17) La Statue vocale de Memnon, p, 33. Nous renvoyons à cet ouvrage, chef-d'oeuvre de discussion scientifique, pour l'histoire de la légende Memnonienne, et celle de la statue qui porte les inscriptions en l'honneur de Memnon. Sur l'assimilation de Oumman, un des plus anciens rois de la Susiane, et plus tard d'Amenhotep III avec Memnon, voir Maspéro, Hist. anc. des peuples de l'Orient, p. 154 et 210.

(18) Millin, Dict. des Beaux-Arts, art. Memnon. Millin, qui admet le témoignage de Philosrate, ne reconnaît pas Memnon dans ce colosse d'un rouge brunâtre. Les argumenta de Millin sont d'ailleurs bien faibles et entièrement ruinés par la dissertation de Letronne.

(19) Sur les autres monuments relatifs à l'histoire de Memnon, voir Overbeck, Die Bildw, p. 512 et suiv., et Lowenhers, Die Aethiopien.
 

ΑΜΥΜΩΝΗ

Πεζεύοντι τὴν θάλασσαν τῷ Ποσειδῶνι ἐντετύχηκας οἶμαι παρ´ Ὁμήρῳ, ὅτε κατὰ τοὺς Ἀχαιοὺς ἀπὸ Αἰγῶν στέλλεται, καὶ ἡ θάλασσα γαλήνην ἄγει παραπέμπουσα αὐτὸν αὐτοῖς ἵπποις καὶ αὐτοῖς κήτεσι· κἀ〈κε〉ῖ γὰρ ἐκεῖνα ἕπεται καὶ σαίνει τὸν Ποσειδῶνα ὡς ἐνταῦθα. Ἐκεῖ μὲν οὖν ἠπειρωτῶν οἶμαι τῶν ἵππων αἰσθάνῃ—χαλκόποδάς τε γὰρ αὐτοὺς ἀξιοῖ εἶναι καὶ ὠκυπέτας καὶ μάστιγι πλήττεσθαι— ἐνταῦθα δὲ ἱππόκαμποι τὸ ἅρμα, ἔφυδροι τὰς ὁπλὰς καὶ νευστικοὶ καὶ γλαυκοὶ καὶ νὴ Δία ὅσα δελφῖνες. Κἀκεῖ μὲν δυσχεραίνειν ὁ Ποσειδῶν ἔοικε καὶ νεμεσᾶν τῷ Διὶ κλίνοντι τὸ Ἑλληνικὸν καὶ βραβεύοντι αὐτοῖς ἀπὸ τοῦ χείρονος, ἐνταῦθα δὲ φαιδρὸς γέγραπται καὶ ἱλαρὸν βλέπει καὶ σεσόβηται μάλα ἐρωτικῶς. Ἀμυμώνη γὰρ ἡ Δαναοῦ θαμίζουσα ἐπὶ τὸ τοῦ Ἰνάχου ὕδωρ κεκράτηκε τοῦ θεοῦ καὶ στέλλεται θηρεύσων αὐτὴν οὔπω ξυνιεῖσαν, ὅτι ἐρᾶται. Τὸ γοῦν περίφοβον τῆς κόρης καὶ τὸ πάλλεσθαι καὶ ἡ κάλπις ἡ χρυσῆ διαφεύγουσα τὰς χεῖρας δηλοῖ τὴν Ἀμυμώνην ἐκπεπλῆχθαι καὶ ἀπορεῖν, τί βουλόμενος ὁ Ποσειδῶν ἐκλείπει πανσυδὶ τὴν θάλασσαν, λευκάν τε ὑπὸ φύσεως οὖσαν ὁ χρυσὸς περιστίλβει κεράσας τὴν αὐγὴν τῷ ὕδατι. Ὑπεκστῶμεν, ὦ παῖ, τῇ νύμφῃ· καὶ γὰρ κῦμα ἤδη κυρτοῦται ἐς τὸν γάμον, γλαυκὸν ἔτι καὶ τοῦ χαροποῦ τρόπου, πορφυροῦν δὲ αὐτὸ ὁ Ποσειδῶν γράψει.

VIII. AMYMONE.

Tu as rencontré, je crois, dans Homère Poséidon voyageant sur les flots comme sur la terre, quand il se rend d'Eges vers les Achéens, et que la mer aplanie lui donne pour l'accompagner ses chevaux et ses monstres marins. Ce cortège qui frémit de joie sur les pas du dieu, tu le retrouves ici. Dans le poète, il est vrai, ce sont des chevaux de terre ferme; tu le reconnais, j'imagine, à leurs pieds d'airain, à leur vitesse que le fouet accélère ; mais ici ce sont des hippocampes attelés à un char ; leurs sabots sont faits pour effleurer l'eau, pour nager; leurs yeux ont 234 un éclat verdâtre ; on dirait, Zeus me soit témoin, on dirait des dauphins. Dans Isomère, Poséidon se montre irrité, indigné contre Zeus qui fait plier l'armée grecque et la condamne à la défaite : ici la joie brille sur son visage, anime son regard ; il s'agite comme ému d'une violente passion. En effet Amymone, à force de fréquenter les bords de l'Inachos, a vaincu le dieu, et le voilà qui s'élance à sa poursuite; la jeune fille ne connaît pas encore l'amour qu'elle inspire ; son air effrayé, son agitation, ses mains qui laissent échapper la cruche d'or, tout montre qu'elle est éperdue et qu'elle ne sait pour quel motif le dieu sort précipitamment des flots. Autour de ses membres d'albâtre l'or brille d'un éclat qui se reflète dans. l'eau. Retirons-nous, mon enfant, devant la nymphe, car le flot s'arrondit déjà en voûte autour de l'épouse, un flot bleu aux teintes d'azur, mais que Poséidon doit assombrir par le mélange de ses eaux.

 

COMMENTAIRE.

Sur le territoire d'Argos (1), entre Lerne et la mer, s'étendait un bois de platanes bordé par deux rivières, dont l'une roulait des eaux d'une remarquable limpidité. Les Grecs la nommaient Amrymônê, c'est-à-dire l'Irréprochable. A quel dieu le pays était-il redevable d'une source aussi pure, aussi précieuse? Évidemment à Poséidon, le dieu adoré à Corinthe, à Nauplie, au dieu de la mer qui était aussi pour les anciens le dieu des sources et des fleuves. Mais dans quelle circonstances, à quel moment cette source avait-elle jailli du sol pierreux et desséché de l'Argolide? A l'origine même de la première ville, car toutes les fables locales se rapportent à la fondation de la première acropole, à la prise de possession du pays. Mais la première ville est Argos, et Argos a été bâti par Danaos, qui chassé de la Libye par la tyrannie de son frère Aegyptos débarqua avec ses cinquante filles sur les côtes du Péloponnèse. Amymone pouvant être un nom de femme, les Grecs décidèrent que c'était celui d'une des filles de Danaos. La légende rencontre ainsi le second personnage dont elle a besoin. Reste maintenant à mettre la jeune fille et le dieu en présence ; l'imagination grecque pourvoit à tout. Envoyée à la découverte d'une source, par son père, Amymone est assaillie par un satyre, qui sortit sans doute d'un bois voisin de platanes. Elle appelle Poséidon à son secours ; le dieu paraît, la délivre du satyre, découvre qui il est, et lui apprend qu'elle est réservée à Poséidon par le destin, et pour prix de sa soumission aux ordres du destin, fait jaillir d'un coup de trident la source qu'elle cherchait.

La poésie et l'art s'emparèrent de cette légende. L'intervention du satyre 235 inspira sans doute à Eschyle l'idée de composer sur ce sujet un drame satyrique. Il ne nous reste de cette pièce que deux fragments, dont l'un est précisément cette parole de Poséidon : « Le destin veut que tu épouses, mais c'est à moi qu'il te donne (2). » Des oeuvres d'art nombreuses, peintures murales, peintures de vases, intailles, monnaies, nous présentent Poséidon et Amymone dans des attitudes diverses et groupés avec différents personnages. Tantôt le dieu armé de son trident poursuit la jeune fille qui se réfugie vers un rocher, sur lequel Eros est assis tandis qu'Aphrodite, un sceptre à. la main, se tient derrière Poséidon (3) ; tantôt le dieu porte à la fois un sceptre, symbole de sa puissance, et un dauphin qu'il semble offrir à la jeune fille (4). Ailleurs Amymone fuit d'un côté pendant qu'une de ses compagnes, peut-être une de ses soeurs, fuit de l'autre, et un Éros ailé couronne de bandelettes blanches le trident du dieu, comme pour montrer que le trident n'est pas là pour menacer, mais pour récompenser Amymone , en faisant jaillir du sol une source qui portera son nom (5) ; ailleurs Amymone plie le genou et semble tomber (6): c'est la poursuite à son dernier moment : on sent que Poséidon est maître de sa proie. Puis viennent les scènes où Poséidon et Amymone semblent réunis par une tendresse mutuelle. Ici le dieu, au repos , tient le trident d'une main et appuie l'autre sur la hanche,.tandis que la jeune fille laissant pendre un bras et une main ouverte soulève à demi sa cruche, non sans effort, comme si elle était remplie d'eau (7) ; ailleurs, Amymone et Poséidon se montrent en face l'un de l'autre, entre Aphrodite d'une part et Amphitrite de l'autre, au milieu d'un paysage où l'on remarque quelques arbustes et un lièvre (8) ; tantôt Éros se tient entre le dieu et la jeune fille qu'il semble montrer à celui-ci de sa main droite étendue (9) ; tantôt Poséidon assis tend une pomme à la fille de Danaos qui tient dans une main le coussinet pour sa cruche, et de l'autre ramène son voile sur l'épaule (10) ; ici le dieu et Amymone, placés aux deux côtés d'une fontaine, se contemplent l'un l'autre (11); là les deux amants sont réunis sous une espèce de cercle, figurant sans doute les flots de la mer soulevés et 236 arrondis en voûte (12 ). Ailleurs Poséidon frappe de son trident le rocher, en présence d'Amymone, ornée d'une riche coiffure et baissant la tête (13). Quelquefois enfin, Amymone debout, sa cruche en main, ou agenouillée comme pour puiser de l'eau, tient elle-même le trident, symbole de son union avec le dieu de la mer (14).

Dans le tableau qui nous occupe particulièrement, l'artiste avait choisi le moment où Poséidon, épris d'amour, s'élance des flots pour l'enlever. Point de satyre ; Amymone n'a point crié au secours ; le dieu l'a vue du fond de son royaume; c'est assez pour justifier l'enlèvement. Poséidon ne poursuit pas la jeune fille un trident à la main ; il n'est point encore sorti des flots ; il est sur son char. La scène précède donc toutes celles que nous venons d'énumérer. L'apparition du dieu et la frayeur que cette apparition cause à la fille de Danaos, voilà quel en est le sujet.

Le char a étonné un commentateur. Si Poséidon eût été un fiancé, a-t-on dit, s'il se fût agi d'un enlèvement comme celui de Proserpine par Pluton, le char, les hippocampes ou les tritons n'auraient point été déplacés ; mais Poséidon n'est ici qu'un amoureux qui cherche à surprendre une jeune fille dans la solitude des bois. Cette critique ne semble qu'une vaine chicane. Dans les récits de la fable, les dieux, tantôt cachent leur divinité, tantôt se montrent dans tout l'appareil de leur puissance aux mortelles dont ils sont épris. Leur nom seul peut être un moyen de séduction. Dans un dialogue de Lucien (15), Triton enlevant Amymone pour Poséidon qui s'est mis en embuscade, s'écrie : « Tais-toi, Amymone, c'est Poséidon. » Et la fille de Danaos répond : «Que parles-tu de Poséidon? Hé, l'homme, pourquoi me faire violence et m'entraîner vers la mer. » Poséidon apparaissant sur son char, et sortant des flots, c'était là une manière de se nommer qui valait bien l'entremise officieuse de Triton, qui lui-même sans doute aurait eu besoin de se faire reconnaître. D'ailleurs, puisque Poséidon parcourt les mers traîné par des hippocampes, on ne voit pas pourquoi il renoncerait à cet attelage pour aborder au rivage de Lerne et enlever une jeune fille qu'il aime. La première pensée du dieu, dans le dialogue de Lucien, est aussi de faire atteler son char; mais il change d'avis et appelle un des dauphins les plus rapides : «Je monterai dessus, dit-il, et j'arriverai ainsi plus vite. (16) » Lucien veut évidemment railler les 237 dieux de la fable aussi impatients dans leurs amours que de simples mortels ; le peintre, qui n'a aucune intention satirique, supprime l'embuscade et garde le char ; au lieu de l'en blâmer, il conviendrait, ce semble, de l'en féliciter ; il a représenté le véritable Poséidon; il lui a conservé sa dignité ; Amymone n'a point à rougir de son ravisseur. Ainsi pensait sans doute le graveur d'une gemme que cite Welcker, d'après l'ouvrage de Bracci (17) ; Poséidon y était représenté monté sur un quadrige d'hippocampes et se disposant à enlever Amymone. La licence, si c'en est une, dont usa un graveur sur pierres fines, comment aurait-elle été interdite à un peintre qui doit remplir un espace plus considérable, et par conséquent, déployer sous nos yeux la pompe et la solennité que comporte son sujet?

Selon Philostrate, les flots se gonflaient déjà, se courbaient en forme de voûte pour cacher à tous les yeux l'union du dieu et d'Amymone. Comment devons-nous nous représenter ce phénomène? Welcker se demande si Philostrate continue à décrire le tableau ou bien si, s'inspirant d'un passage célèbre d'Homère (18), et anticipant sur les événements, il ne voit point en imagination le lit nuptial d'Amymone ? Il nous semble que lé texte de Philostrate est formel ; les flots s'arrondissent déjà, dit-il ; il faut comprendre que les vagues se soulevaient et que la voûte liquide commençait à se former. Rien ne nous paraît d'ailleurs plus facile à représenter dans une peinture qu'un pareil phénomène; il n'y a rien là de contraire aux procédés et aux ressources de l'art. Mais rien de semblable, dit-on, n'existe dans les monuments figurés de l'antiquité? C'est là une erreur, aisée à réfuter. Sur un vase de style lucanien, Poséidon et Amymone sont enveloppés d'un arc de cercle, qui ne pouvant être pris avec quelque vraisemblance ni comme une grotte creusée dans une montagne, ni comme la voûte du ciel ni comme un nuage, a été regardé comme la figure sommaire de la chambre nuptiale, formée par les flots en l'honneur du dieu (19). Un miroir étrusque nous offre aussi des lignes délicates, décrivant derrière le dieu et Amymone un champ à peu près circulaire ; un monstre marin et un poisson qu'on y aperçoit semblent prévenir toute confusion ; la scène se passe sous les eaux; le trait indique l'extra-dos de la voûte merveilleuse (20).

Reste à expliquer comment le flot qui est bleu et couleur d'azur doit être teint en pourpre par Poseidon. S'il s'agit de l'eau de la mer qui inonde le rivage et s'avance vers Amymone, il semble qu'elle devrait garder sa couleur, même après l'arrivée du dieu. Faut-il croire que le dieu, pour cacher ses amours ou pour épargner la pudeur de la jeune fille, assombrit volontairement ses eaux : précaution inutile et délicatesse invraisemblable. Mais 238 rappelons-nous que la scène se passe sur les bords de Tlnachos ; c'est l'Inachos sans doute qui commence à se gonfler, dans la pensée de Philostrate ; c'est l'lnachos qui, à l'approche du dieu, refoulé comme par une mer plus impétueuse, soulève ses eaux d'un bleu clair; le flot, en s'y mêlant, leur donnera une teinte profonde et sombre, une teinte de pourpre.

Remarquons, pour terminer, que les anciens savaient tirer parti des reflets en peinture. « Autour de ses membres d'albâtre, dit Philostrate parlant d'Amymone, l'or brille d'un éclat qui môle sa lueur à celle de l'eau. » D'abord, qu'entendre par cet or? sans doute des bracelets, et peut-être aussi ces anneaux que les femmes grecques portaient autour de la cheville. Ces ornements produisaient un double effet; placés entre la chair et l'eau, ils faisaient sans doute étinceler Tune et animaient par le contraste la mate blancheur de l'autre.

(1) Pausanias, II, 37.

(2) Ammonius, p. 59, éd. Walken. Dindorf, Aesch., I, p. 249.

(3) Cratère de la collection de Vienne. Laborde, Vases Lamberg, II, 25 ; Elite céram., III, 11.

(4) Peinture d'amphore, Gerhard, Auser. Vasenb., I, p. 48, note 79.

(5) Cratère, décrit par Minervini, Bull. arch. Napol., II.

(6) Coupe de la collection Jatta, Gerhard, A. V., I, XI, 2 ; Elite céram , III, 18, 8. Sur une monnaie de bronze frappée à Argos sous Antonin le Pieux, Imhouf. Choix. de monn. grecq., pl. II, n° 60.

(7) Sur une amphore de Nola, Minervini, ibidem.

(8) Sur un aryballos do la collection Catalano à Naples, Elite céramogr., III, pl. XXVII.

(9) Sur un cratère (Amalthea, II, pl. IV, et p. 217).

(10) Sur une Hydrie du Museo Nazionale à Naples, Heydemann, Catalogue, n° 198.

(11) Sur une amphore de stylo lucanien, collect. Fittipaldi (Mon. dell' Inst., IV, pl. XIV, XV ; Elite céram., III, pl. XXIX;, et sur un cratère du Museo Nazionale à Naples, Heydemann, Catal., n° 690.

(12) Sur un bassin (πελίκη), Elite céram., III, 74.

(13) Sur une coupe de la coll. Jatta, Gerhard, A. V., I, pl. XI, 2, Élite céram., III, 18.

(14) Winckelmann, collect. Stosch. II, cl. 12, n°' 862 et 861. Overbeck, dans sa Mythologie de l'art (Kunstmythologie: Poseidon) décrit longuement les différentes oeuvres d'art, concernant le mythe de Poséidon et d'Amymone. L'Atlas et les planches qui accompagnent cet ouvrage reproduisent la plupart des compositions dont nous avons parlé. Voir l'Atlas, pl. XIII, 3, 4, 6, 7, 9, 10, 1 1, 14, 15 et la planche III des gemmes, n°' 4 et 5. Nous avons préféré renvoyer à des ouvrages plus anciens, les planches d'Overbeck étant d'une exécution molle et défectueuse.

(15) Friederichs, Die Phil. Bild., p. 79.

(16) Dialogues marins, 6, traduct. Talbot, I, 107.

(17) Bracci, Comment. de antiq. sculpt., pl. VI.

(18) Odyssée, XI, 241 et suiv. Homère raconte les amours de Poseidon et de Tyro.

(19) Voir plus haut p. 235, n° 9.

(20) Miroir du Museo Gregoriano, Geruard, Etrusk. Spiegeln., I, pl. X 1V.


 

ΕΛΟΣ

Ὕπομβρος μὲν ἡ γῆ, φέρει δὲ κάλαμον καὶ φλοιόν, ἃ δὴ ἄσπαρτα καὶ ἀνήροτα δίδωσιν ἡ τῶν ἑλῶν εὐφυία, καὶ μυρίκη γέγραπται καὶ κύπειρον· καὶ γὰρ ταῦτά ἐστι τῶν ἑλῶν. Ὄρη δὲ οὐρανομήκη περιβέβληται φύσεως οὐ μιᾶς· τὰ μὲν γὰρ τὴν πίτυν παρεχόμενα λεπτόγεων τιθεῖ, τὰ δὲ κυπαρίττῳ κομῶντα τῆς ἀργιλώδους λέγει, ἐλάται δὲ ἐκεῖναι τί ἄλλο γε ἢ δυσχείμερον καὶ τραχὺ τὸ ὄρος; οὐ γὰρ ἀσπάζονται βῶλον οὐδὲ ἀγαπῶσι θάλπεσθαι· ταῦτά τοι καὶ ἀποικοῦσι τῶν πεδίων ὡς ἐν τοῖς ὄρεσι ῥᾷον αὐξόμεναι τῷ ἀν〈έμ〉ῳ. Πηγαὶ δὲ ἀποβλύζουσι τῶν ὀρῶν, αἳ δὴ ῥέουσαι κάτω καὶ κοινούμεναι τὸ ὕδωρ ἕλος ὑπ´ αὐτῶν τὸ πεδίον, οὐ μὴν ἄτακτόν γε οὐδὲ οἷον πεφύρθαι· διῆκται δὲ αὐτοῦ τὸ νᾶμα ὑπὸ τῆς γραφῆς, ὡς ἂν καὶ ἡ φύσις αὐτὸ διήγαγεν ἡ σοφὴ πάντων, μαιάνδρους δὲ πολλοὺς ἑλίττει σελίνου βρύοντας ἀγαθοὺς ναυτίλλεσθαι τοῖς ὄρνισι τοῖς ὑγροῖς. Ὁρᾷς γάρ που τὰς νήττας, ὡς ἔφυδροι διολισθάνουσιν ἀναφυσῶσαί τινας οἷον αὐλοὺς τοῦ ὕδατος. Τί δὴ τὸ τῶν χηνῶν ἔθνος; καὶ γὰρ δὴ κἀκεῖνοι γεγράφαται κατὰ τὴν ἑαυτῶν φύσιν ἐπιπόλαιοί τε καὶ πλωτῆρες. Τοὺς δὲ ἐπὶ μακροῖν τοῖν σκελοῖν, τοὺς περιττοὺς τὸ ῥάμφος ξένους οἶμαι αἰσθάνῃ καὶ ἁβροὺς ἄλλον ἄλλου πτεροῦ. Καὶ τὰ σχήματα δὲ αὐτῶν ποικίλα· ὁ μὲν γὰρ ἐπὶ πέτρας ἀναπαύει τὼ πόδε κατὰ ἕνα, ὁ δὲ ψύχει τὸ πτερόν, ὁ δὲ ἐκκαθαίρει, ὁ δὲ ᾕρηκέ τι ἐκ τοῦ ὕδατος, ὁ δὲ εἰς τὴν γῆν ἀπονένευκεν ἐπισιτίσασθαί τι ἐκεῖθεν. Ἡνιοχεῖσθαι δὲ τοὺς κύκνους ὑπὸ τῶν Ἐρώτων θαῦμα οὐδέν· ἀγέρωχοι γὰρ οἱ θεοὶ καὶ δεινοὶ παίζειν ἐς τοὺς ὄρνιθας, ὅθεν μηδὲ τὴν ἡνιόχησιν ἀργῶς παρέλθωμεν μηδὲ αὐτὸ τὸ ὕδωρ, ἐν ᾧ ταῦτα. Τὸ μὲν γὰρ δὴ ὕδωρ τοῦτο κάλλιστον τοῦ ἕλους πηγῆς αὐτὸ διδούσης αὐτόθεν, συνίσταται δὲ εἰς κολυμβήθραν παγκάλην. Διὰ μέσου γὰρ τοῦ ὕδατος ἀμάραντα νεύει τὰ μὲν ἔνθεν, τὰ δὲ ἐκεῖθεν, ἡδεῖς ἀστάχυες καὶ βάλλοντες ἄνθει τὸ ὕδωρ. Περὶ τούτους ἡνιοχοῦσιν Ἔρωτες ἱεροὺς καὶ χρυσοχαλίνους ὄρνις ὁ μὲν πᾶσαν ἡνίαν ἐνδιδούς, ὁ δὲ ἀνακόπτων, ὁ δὲ ἐπιστρέφων, ὁ δὲ περὶ τὴν νύσσαν ἐλαύνων—καὶ παρακελευομένων τοῖς κύκνοις ἀκούειν δόκει καὶ ἀπειλούντων ἀλλήλοις καὶ τωθαζόντων· ταῦτα γὰρ τοῖς προσώποις ἔπεστιν—ὁ δὲ καταβάλλει τὸν πέλας, ὁ δὲ καταβέβληκεν, ὁ δὲ ἠγάπησεν ἐκπεσεῖν τοῦ ὄρνιθος, ὡς λούσαιτο ἐν τῷ ἱπποδρόμῳ. Κύκλῳ δὲ ταῖς ὄχθαις ἐφεστᾶσιν οἱ μουσικώτεροι τῶν κύκνων ἐπᾴδοντες οἶμαι τὸν ὄρθιον ὡς πρὸς τρόπου τοῖς ἁμιλλωμένοις. Σημεῖον τῆς ᾠδῆς ὁρᾷς τὸ πτηνὸν μειράκιον· ἄνεμος τοῦτο Ζέφυρος τὴν ᾠδὴν τοῖς κύκνοις ἐνδιδούς. Γέγραπται δὲ ἁπαλὸν καὶ χαρίεν εἰς αἴνιγμα τοῦ πνεύματος, καὶ αἱ πτέρυγες ἥπλωνται τοῖς κύκνοις πρὸς τὸ πλήττεσθαι ὑπὸ τοῦ ἀνέμου. Ἰδοὺ καὶ ποταμὸς ὑπεξέρχεται τοῦ ἕλους εὐρὺς καὶ ὑποκυμαίνων, διαβαίνουσι δ´ αὐτὸν αἰπόλοι καὶ νομεῖς ἐπὶ ζεύγματος. Εἰ δὲ τῶν αἰγῶν ἐπαινοίης τὸν ζωγράφον, ὅτι αὐτὰς ὑποσκιρτώσας καὶ ἀγερώχους γέγραφεν, ἢ τῶν προβάτων, ὅτι σχολαῖον αὐτοῖς τὸ βάδισμα καὶ οἷον ἄχθος οἱ μαλλοί, τάς τε σύριγγας εἰ διεξίοιμεν ἢ τοὺς χρωμένους αὐταῖς, ὡς ὑπεσταλμένῳ τῷ στόματι αὐλοῦσι, σμικρὸν ἐπαινεσόμεθα τῆς γραφῆς καὶ ὅσον εἰς μίμησιν ἥκει, σοφίαν δὲ οὐκ ἐπαινεσόμεθα οὐδὲ καιρόν, ἃ δὴ κράτιστα δοκεῖ τῆς τέχνης. Τίς οὖν ἡ σοφία; ζεῦγμα φοινίκων ἐπιβέβληκε τῷ ποταμῷ καὶ μάλα ἡδὺν ἐπ´ αὐτῷ λόγον· εἰδὼς γὰρ τὸ περὶ τῶν φοινίκων λεγόμενον, ὅτι αὐτῶν ὁ μὲν ἄρσην τις, ἡ δὲ θήλεια, καὶ περὶ τοῦ γάμου σφῶν διακηκοώς, ὅτι ἄγονται τὰς θηλείας περιβάλλοντες αὐτὰς τοῖς κλάδοις καὶ ἐπιτείνοντες αὑτοὺς ἐπ´ αὐτάς, ἀφ´ ἑκατέρου τοῦ γένους ἕνα κατὰ μίαν ὄχθην γέγραφεν. Εἶτα ὁ μὲν ἐρᾷ καὶ ἐπικλίνεται καὶ ὑπεράλλεται τοῦ ποταμοῦ, τῆς δὲ θηλείας ἔτι ἀφεστώσης οὐκ ἔχων ἐπιλαβέσθαι κεῖται καὶ δουλεύει ζεύξας τὸ ὕδωρ, καὶ ἔστι τοῖς διαβαίνουσιν ἀσφαλὴς ὑπὸ τῆς τοῦ φλοιοῦ τραχύτητος.

IX. LE MARÉCAGE.

Le terrain est humide ; il produit le roseau et la fléole (a) qui croissent naturellement, sans semis ni labour, dans les lieux marécageux. On distingue aussi dans le tableau le tamaris (b) et le souchet (c), qui sont des plantes aquatiques. Des montagnes formant ceinture autour du marais perdent leur cime dans les airs; elles ne présentent pas toutes la même nature de terrain; le pin qui croît sur celles-ci annonce une terre fine et légère ; celles-là sont couvertes de cyprès qui attestent la présence de l'argile. Quant à ces sapins, ne disent-ils pas que la montagne qui les porte est rocailleuse et battue par les orages? car ils ne se plaisent point dans un sol labourable, ils n'aiment point les rayons du soleil, aussi délaissent-ils la plaine pour la montagne, où ils doivent atteindre une plus grande hauteur (d). Des sources jaillissent en bouillonnant de ces hauteurs, elles suivent les pentes et confondant leurs eaux font de la plaine un marécage; il n'y a d'ailleurs ni désordre ni confusion. L'art a dirigé le cours des ruisseaux comme l'aurait fait la nature, avec sa souveraine habileté. L'eau s'égare en de nombreux méandres où croît Tache en abondance (e), où les oiseaux aquatiques se livrent en toute sécurité à leurs ébats. Vois ces canards, avec quelle aisance ils nagent et soufflent l'eau comme par jets {f) ! Que dirons-nous de la tribu des oies? La peinture est fidèle : ces oiseaux glissent sur la surface de l'eau, ils naviguent. Et ceux-ci perchés sur de longues jambes, tu les reconnais sans peine pour des étrangers, pour des personnages délicats ; ils ont chacun un plumage différent, leurs attitudes sont également variées. Celui-ci, au sommet d'un rocher, repose alternativement sur l'une de 239 ses deux pattes, celui-là sèche ses ailes, cet autre les nettoie, cet autre tient je ne sais quelle proie saisie dans l'eau, cet autre se penche vers le sol comme pour y chercher sa nourriture. Si nous voyons des cygnes montés par des Amours, n'en soyons point surpris ; car ce sont des dieux insolents qui dans leurs jeux ne respectent guère les oiseaux. Ne passons donc point sans donner un regard à cette course des amours, et à la partie de l'étang qui sert d'hippodrome ; nulle part l'eau n'est plus belle, car elle sort de la terre à l'endroit même, et trouve à remplir un bassin admirable. Au milieu de ce bassin les amarantes (g) penchent de côté et d'autre leurs gracieux épis qui effleurent l'eau ; c'est autour de celte barrière que les Amours font courir les oiseaux sacrés, au frein d'or, celui-ci abandonnant les rênes, cet autre les serrant, cet autre les tirant de côté, cet autre tournant autour de la borne ; et il me semble les entendre qui exhortent les cygnes, qui se menacent les uns les autres, qui s'injurient, car tout cela se lit sur leurs visages. L'un démonte son voisin, l'autre l'a déjà démonté ; à cet autre il a plu de se jeter à bas de son coursier ailé pour se baigner dans le bassin. En cercle sur le rivage se tiennent les plus habiles chanteurs d'entre les cygnes; ils entonnent, j'imagine, le nome orthien (h), comme il convient pour de pareilles luttes. Ce jeune homme ailé que tu vois est là pour montrer que les oiseaux chantent, c'est le Zéphyre, ce dieu qui donne le chant aux cygnes. Le peintre l'a représenté délicat et charmant, par allusion au souffle léger du Zéphyre, et c'est pour être frappés par ce souffle, que les cygnes déploient leurs ailes. Vois encore ce fleuve sortir du marais ; il est large, il enfle légèrement ses eaux ; des chevriers, des pasteurs le passent sur un pont. Ne félicite pas le peintre de nous avoir représenté des chèvres bondissantes el capricieuses, d'avoir donné aux brebis une démarche paresseuse, comme si leur laine était un pesant fardeau; laissons les syrinx et ceux qui en jouent; ne louons pas la façon dont ces derniers pressent le roseau de leurs lèvres fermées, ce serait estimer la partie la plus humble de la peinture, celle qui relève de l'imitation, et ce ne serait pas rendre justice à la profonde raison du peintre, à son sentiment de la convenance, c'est-à-dire à ce qu'il y a de meilleur dans l'art. Où donc est cette profonde raison ? L'artiste a jeté sur le fleuve un palmier pour servir de pont, et c'est une idée fort ingénieuse ; connaissant en effet ce que l'on dit des palmiers, à savoir qu'il y a parmi eux mâles et femelles ; renseigné sur leurs amours, sur la façon dont le mâle se dirige vers la femelle, l'enveloppe de ses branches et se presse contre elle, il a peint deux palmiers de l'un et l'autre sexe, un sur chaque rivage ; le mâle se baisse 240 amoureusement, franchit le fleuve, et ne pouvant encore atteindre le palmier femelle qui est loin, il se couche servilement, et unissant ainsi les deux rives, il devient un pont sur lequel le pied, maintenu par les rugosités de l'écorce, ne saurait glisser.

COMMENTAIRE.

Les représentations de marécages sont assez fréquentes sur les œuvres d'art antiques qui nous sont parvenues ; les peintures murales d'Herculanum et Pompéi nous en offrent plusieurs exemples ; sur les vases peints, même sur des vases d'argent, il n'est point rare de rencontrer des canards ou des oies qui se jouent au milieu des roseaux, des poissons isolés ou nageant en bande; sur tel vase conservé au musée de l'Ermitage (1), on voit même un motif qui n'est pas sans analogie avec un des motifs de notre tableau; des Amours sont engagés dans un marais et cherchent à saisir des canards qui fuient devant eux. Mais nulle part le sujet n'est plus développé que dans la peinture décrite par Philostrate.

Nous distinguons trois parties principales, dans cette dernière composition : d'abord une contrée marécageuse, sillonnée en tous sens par des cours d'eau sinueux, couverte de plantes et peuplée d'oiseaux aquatiques; puis, sortant du marais, un fleuve; sur ce fleuve un pont de palmiers, sur le pont des pasteurs et des brebis; enfin, dans un autre endroit du tableau, sans doute à l'extrémité opposée, un bassin assez large, servant d'hippodrome à des Amours qui chevauchent des cygnes.

Cette dernière scène ne doit pas nous surprendre, dit Phiiostrate, car les Amours sont des dieux insolents qui ne respectent guère les oiseaux. Elle ne nous surprend pas en effet, car la poésie et l'art nous ont accoutumés à ces jeux des Amours. Dans Claudien (2), les Amours suivant Vénus qui se rend vers Pallade et Célérine n'ont pas d'autre monture; « ils se poussent mutuellement, dit le poète, ils tombent, ils se relèvent ». Dans telle peinture de Pompéi, l'Amour monté sur un char est traîné par des cygnes qui déploient leurs ailes, et font effort de leur cou à peine fléchi par la tension des rênes; ailleurs l'Amour conduira un lion et un tigre ; ailleurs il presse des griffons avec le fouet (3) ; ici l'attelage est composé de dauphins ; l'Amour se laisse tomber de son char ou plutôt se penchant en arrière, comme s'il devait tomber, il est soutenu par le battement de ses ailes (4) ; là dans un stade cir-  241 culaire, limité par de doubles bornes, courent quatre biges attelées de biches ou de gazelles que dirigent quatre Amours, se disputant le prix de la course (5). Dans les bas-reliefs d'époque romaine, outre les amours et les chars, on aperçoit les ornements du cirque romain, les dauphins et les œufs marquant le nombre des courses, des colonnes, des mâts, la spina ou barrière qui divisait l'arène en deux parties (6). Le tableau décrit par Philostrate nous montre aussi cette barrière : seulement au lieu d'être une simple levée de terre, comme dans les hippodromes de la Grèce, ou un mur comme dans le cirque romain, ce sont des plantes de marais, des fleurs en forme d'épis, changement justifié par la nature du lieu et de la course. La borne devait être empruntée aussi à l'espèce des plantes aquatiques (7); Philostrate qui la désigne par son nom technique de nyssa (νύσσα) nous laisse ignorer sous quelle forme elle était représentée.

Dans ces peintures ou ces bas-reliefs antiques, les Amours se disputant le prix de la course sont seuls entre eux; des scènes empruntées à la vie réelle ne sont point placées par l'artiste à côté des scènes qui relèvent de la pure fantaisie. Ici, au contraire, plus ou moins loin du bassin où les Amours se livraient à leurs ébats, Philostrate nous montre des pâtres jouant de la syrinx, des chèvres escaladant les rochers, toute une peuplade d'oiseaux posés de façon à faire admirer la couleur de leur plumage ou la grâce singulière de leur altitude. D'un côté la nature, de l'autre des êtres allégoriques. Que penser de celte manière de composer? était-elle conforme à l'esprit de l'antiquité? Nous n'hésitons pas aie croire. Certains paysages d'Herculanum et de Pompéi témoignent de la liberté dont usaient les artistes anciens; nous y rencontrons des constructions étranges, parfaitement inhabitables, des galeries élevées en pleine mer, des personnages nus au milieu des campagnes et mêlés à des personnages entièrement habillés, des êtres allégoriques à côté de la colline même ou du fleuve qu'ils personnifient, partout l'union la plus piquante du monde réel et du monde poétique. Pourquoi l'artiste eût-il relégué des Amours dans une contrée impénétrable aux hommes, aux animaux de toute sorte ? Pourquoi eût-il éloigné chèvres et pasteurs de ses Amours, ou supprimé ceux-ci en conservant ceux-là ? Pour ne point confondre des êtres de nature différente, répondent les esprits trop rigoureux; mais l'art ne se pique pas toujours d'une fidélité scrupuleuse aux lois de la logique, ou pour mieux dire, il suit une logique particulière, conforme à son objet; ne prétendant point donner pour réels des êtres imaginaires, il ne craint point que le voisinage de la réalité les dépouille de leur prestige aux yeux du spectateur ; ne cherchant point l'illusion, il n'évite pas ce qui peut 242 la détruire ; loin de rejeter une combinaison parce qu'elle est invraisemblable, il pourra se faire un jeu même de cette invraisemblance ; varier de tous points les éléments dont il dispose, les unir de cent façons diverses lui paraît être à juste titre, non seulement un de ses privilèges, mais un sûr moyen de plaire. Par l'habile transition, par la grâce de l'exécution, parle charme inhérent à ses sujets, il peut faire accepter, outre ces êtres de création poétique, leur association à des êtres réels. C'est affaire de mesure et de goût.

Le jeune homme ailé qui représente Zéphyre a paru singulier (8). D'abord on ne sait trop quel est son rôle. Le chant des cygnes est-il produit par le souffle du Zéphyre glissant sur leurs ailes déployées, ou bien par le gosier de l'oiseau lui-même? Il n'y a point lieu, croyons-nous, de choisir entre ces deux suppositions; elles sont également vraies. Les ailes du cygne sont comme une lyre, que le Zéphyre toucherait de son souffle, ainsi que d'un plectre, et que le cygne lui-même accompagnerait de sa voix. Philostrate emploie ailleurs le mot de synaulia qui signifie concert, accompagnement, en parlant de ce concours prêté aux cygnes par le Zéphyre. Mais, d'un autre côté, n'est-ce point une idée subtile, vraiment digne d'un sophiste, que cette étrange collaboration d'un vent et d'un oiseau ? Sans doute, mais si c'est là une fable qui avait cours dans l'antiquité, qu'y a-t-il d'étonnant qu'un peintre l'ait prise comme sujet d'un tableau? Or plusieurs écrivains (9) font allusion à cette résonance des plumes du cygne sous les caresses du Zéphyre (10), et d'ailleurs, l'origine de cette légende n'est-elle pas évidente, quand on voit l'oiseau nager en soulevant à demi ses ailes pour recueillir le vent. Autre difficulté : le Zéphyre, dans le tableau de Philostrate, n'a point, comme les vents dans plusieurs monuments figurés, une espèce de conque pour indiquer qu'il souffle (11) : le Zéphyre, répondrons-nous, n'est point un vent violent; frêle et délicat, tel que le décrit Philostrate, il n'aurait point la force d'enfler un instrument; son haleine d'ailleurs, sans être renforcée et dirigée par quelque moyen artificiel, suffit au rôle qu'il joue. Enfin, si Ton n'a point reconnu sur les monuments ces vents qui, selon Pline, se servaient de leur robe comme d'une voile déployée (12), quoi d'étonnant que le Zéphyre de Philostrate, sans autre attribut que ses ailes, sans autre marque distinctive 243 que sa grâce juvénile, ne se rencontre nulle part. Encore nous trompons-nous : dans une peinture découverte à Pompéi, le Zéphyre, soutenu sous les bras par deux génies ailés, ailé lui-même, descend des airs vers une jeune femme à demi nue, sa fiancée sans doute; une trompette ou une conque serait sans doute déplacée dans un tel sujet; mais cette peinture prouve au moins que les artistes de l'antiquité savaient renoncer aux attributs ordinaires d'un dieu, quand ils croyaient pouvoir le faire avec avantage (13). Enfin, dit-on encore, en plaçant ce jeune homme ailé à côté des cygnes, l'artiste ne s'aperçoit pas que son intention ne saurait être devinée ; une bouche qui souffle et des ailes qui se soulèvent ne peuvent éveiller en nous que l'idée d'un vent impétueux : et si on nous explique que le Zéphyre se sert des cygnes comme de musiciens ou d'instruments de musique, nous serons tentés de rire ; car le Zéphyre peut souffler pour lui-même et là où il veut. C'est l'objection, croyons-nous, qui est ici subtile : les anciens procédaient avec simplicité ; de même qu'ils plaçaient, par exemple Pitho, la Persuasion, à côté d'un groupe de deux personnages, pour montrer que l'un se laissait persuader par l'autre (14), ils pouvaient bien mettre Zéphyre à côté des cygnes, pour montrer, non que le Zéphyre soulevait les ailes, mais bien que ces ailes résonnaient harmonieusement. L'allégorie n'est pas plus obscure dans un cas que dans l'autre. Que si d'ailleurs nous condamnons toute peinture ancienne, où chaque détail ne s'explique pas avec la dernière évidence, combien peu de compositions trouveront grâce à nos yeux!

Dirons-nous aussi, pour ne taire aucune critique, qu'on a reproché au tableau de Philostrate, un contraste choquant entre la scène des Amours qui est gracieuse, et le caractère de la contrée qui semble agreste et sauvage? D'abord le sujet principal du tableau n'est point la course des Amours, c'est le marais lui-même. Le marais est à sa place au fond d'une vallée, au pied d'une montagne couronnée de pins et de cyprès ; le bassin, qui n'est qu'un endroit plus profond du marécage, explique la présence des cygnes, et par suite celle des Amours. D'ailleurs le contraste pourrait être considéré ici comme plus agréable que déplaisant ; si les Amours sont des jeunes enfants, pleins de gaieté et de fraîcheur, un fond de paysage, formé de montagnes escarpées et de forêts sombres, ne saurait que faire ressortir davantage, ce semble, ces riantes qualités. En outre, si les génies ailés jouaient un rôle dans une scène d'amour, la contrée environnante ne pourrait être ni assez riche ni assez féconde ; mais*tel n'est point ici le cas: ce sont des enfants qui se livrent, pour leur propre compte et non dans quelque intention symbolique, à un jeu favori ; qui prennent leurs ébats partout où ils en trouvent l'occasion, sans se soucier de la beauté du paysage. Quant à 244 ce rapport étroit entre le paysage des anciens et la scène principale, c'est là une théorie sujette à contestation. La peinture où Hésione est exposée à un monstre marin, n'offre point l'image d'une contrée sauvage, hérissée de montagnes chauves et couverte d'arbres dépouillés (15). D'un côté, il est vrai, s'élève un rocher nu, sans autre ornement qu'un petit temple (et c'est là déjà un ornement), comme il convient de représenter un rivage ; mais à droite, on aperçoit sur une éminence, un arbre, qui quoique battu des vents, a conservé ses branches et ses feuilles. Un enfant dévoré par un crocodile n'est point une scène aimable ; c'est pourtant le sujet d'un paysage de Pompéi (16) où sur deux langues de terre s'avançant dans les flots comme à la rencontre l'une de l'autre, des temples érigent leur gracieuse colonnade, des bosquets ou des arbres isolés étalent un épais feuillage. D'ailleurs le paysage, décrit par Philostrate, est-il donc d'un aspect si triste et si sévère ? Des ruisseaux courant sur les flancs des montagnes, sillonnant la plaine par de nombreux méandres, des roseaux à la tige élégante, des tamaris au feuillage finement découpé, des rives bordées d'ache, des plantes effleurant l'eau de leurs épis qui retombent, deux palmiers, l'un droit, l'autre couché sur un ruisseau, qui enfle légèrement ses eaux, tout cela ne ressemble guère à une contrée sauvage et désolée. Mais, dit-on, cette forêt, formée de pins, de sapins et de cyprès, devait étendre au dernier plan, comme un sombre rideau de verdure, plus fait pour éveiller les idées tristes que pour servir de fond à des scènes aimables. Rien de moins juste : les arbres verts ne sauraient attrister un paysage que lorsqu'ils sont seuls ; unis à d'autres plantes d'une verdure plus tendre, ils leurs prêtent plus de grâce qu'ils ne leur en ôtent. Enfin, ce serait être injuste envers le cyprès que de le réserver uniquement pour des scènes de deuil ; dans certaines contrées, c'est un très bel arbre, aux formes robustes, aux jets imprévus, au feuillage tantôt serré, tantôt lâche, un arbre d'ornement, s'il en fut (17). Rien n'empêche de nous représenter ainsi les cyprès dont nous parle Philostrate.

Le rhéteur admire beaucoup le peintre pour avoir montré les amours de deux palmiers séparés par un fleuve. Cette idée ingénieuse n'appartient-elle pas plutôt à Philostrate qu'au peintre ? Un palmier servant de pont sur une rivière, c'est là un de ces accidents qui diversifient agréablement et par eux-mêmes un paysage ; pour le représenter, le peintre n'a point besoin d'autre motif; signification symbolique, allusion à quelque loi mystérieuse de la nature, tout doit céder, en peinture, au plaisir des yeux, à l'intérêt pittoresque ; il n'est point cependant défendu à l'art, son principal but une fois atteint, d'en rechercher un autre, et de parler à l'esprit, après avoir charmé le regard ; aussi ne saurions-nous contester à Philostrate 245 l'exactitude de son interprétation ni l'accuser de subtilité. Mais Terreur du sophiste consiste à généraliser ; ravi de trouver un peintre aussi ingénieux, un sophiste en peinture, il fait bon marché des qualités relatives à l'imitation; il ne regarde plus ni les chèvres qui bondissent ni les pâtres qui jouent de la syrinx ; comme si ces sujets, tout humbles qu'ils sont, n'étaient pas encore plus propices, que les deux palmiers, pour faire ressortir le talent du peintre, son habileté à saisir la vie, la grâce ou l'originalité de son interprétation. Remarquons d'ailleurs que Philostrate exagère ici sa propre pensée : la complaisance qu'il a misa à décrire le marais, ses plantes, ses oiseaux, les montagnes qui l'entourent, montre assez l'importance qu'il attache à ce qu'il appelle maintenant avec dédain la partie la moins noble de la peinture. Il ressemble assez à ces amateurs très prompts à s'enflammer pour une beauté de l'art, et tout prêts à faire consister l'art tout entier dans la manifestation de cette unique beauté. Soyons moins exclusifs à l'égard de Philostrate qu'il ne l'est à l'égard de la peinture ; son esthétique n'est pas toute dans cette théorie d'occasion ; la plupart des tableaux qu'il décrit et qu'il loue sont dépourvus de cette qualité, tant vantée à propos des palmiers, et il ne songe guère à en déplorer l'absence.

(1) Antiq. du Bosph. Cimmér, pl. 35, 3, 4. Voir sur la représentation des marais par l'art antique Stephani, Compte r. de la Comm. arch., année 1863, p. 45 et suiv.

(2) Claudien, Épith. de P. et de C, V. 109.

(3) Museo Borbonico, 7, p. 5 ; 8, p. 48, 49 ; Roux, Hercul. et Pomp. V, pl. 38, 39, 40.

(4) Antiq. d'Herculanum, I, p. 197 ; Roux, H. et P., II, 89.

(5) Voir sur ces rapports entre les Amours et les cygnes, Otto Jahn Ber. d. S. Gesells, d. W., 1854, p. 243 et Arch. Beiträge, p. 11.

(6) Voir le catalogue du Louvre, Notice sur la sculpt. ant., not 360 et suiv.

(7) Dans les peintures mentionnées ci-dessus p. 210, note 2 les bornes sont figurées par des arbres.

(8) Friederichs. Ph. B., p. 174 et suiv.

(9) Himer. Ecl., XIV, 741 ; Orat., XIV, 7 Greg. de Nax., Or., XXXIV, 551. Dion. Chrysost. Or., XXXIII, p. 21, XXXIV, 554; Philé. de Animal propr., c. X, 6.

(10) Voir les textes réunis dans Stephani, compte rendu de la commission archéol. de Saint-Pétersbourg, 1863, p. 32. Cette année contient d'ailleurs toute une longue et savante dissertation sur le rôle et le caractère du cygne dans la fable antique.

(11) Bartoli, le antiche lucerne, III, 12 ; Wöermann. Die Antiken Odysseelandschaften, pl. I. Voir un bas relief 4u Museo Capitolino, Ottf. Müller, Manuel d'arch., Atlas, p. 40, n° 229.

(12) Pline. N. N., 36, 29. Sur les aurae velificantes, Voir Wieseler, Phaeton, 61, l. Stepbani a cru les reconnaître dans une peinture campanienne qui représente Zeus entre deux Jeunes filles. Helb. Wandg., 103.

(13) Sur la Tour des Vents, à Athènes, Eurus seul a la conque. Le Zéphyre porte des fleurs dans les plis de ses vêtements. Voir O. Müller, Manuel, Atlas, 37, 228 (Traduct. Nicard).

(14) Bas-relief Caraffa-Noja. Museo Borbonico; Millin, Gal. M. 173, 540 ; Ovorb. Die Bildw., 163, n° 6; atl., XIII, 2.

(15) Antiq. d'Herculanum, V, pl. CCCXIII; Roux aîné, III, 5e série, pl. III.

(16) Pompeiana, 1er p.,  pl. LIX; Roux aîné, 5e série, pl. XXVI.

(17) Voir la description du cyprès oriental, dans Théoph. Gautier, Constantinople, p. 158.

 


 

 

ΑΜΦΙΩΝ

Τῆς λύρας τὸ σόφισμα πρῶτος Ἑρμῆς πήξασθαι λέγεται κεράτοιν δυοῖν καὶ ζυγοῦ καὶ χέλυος καὶ δοῦναι μετὰ τὸν Ἀπόλλω καὶ τὰς Μούσας Ἀμφίονι τῷ Θηβαίῳ τὸ δῶρον, ὁ δὲ οἰκῶν τὰς Θήβας οὔπω τετειχισμένας ἀφῆκε κατὰ τῶν λίθων μέλη καὶ ἀκούοντες οἱ λίθοι συνθέουσι· ταῦτα γὰρ τὰ ἐν τῇ γραφῇ. Πρώτην οὖν διαθεῶ τὴν λύραν, εἰ καθ´ αὑτὴν γέγραπται. Τὸ μὲν γὰρ κέρας αἰγὸς ἰξάλου ποιηταί φασι, χρῆται δὲ αὐτῷ ὁ μὲν μουσικὸς ἐς τὴν λύραν, ὁ δὲ τοξότης ἐς τὰ οἰκεῖα. Μέλανα καὶ πριονωτὰ ὁρᾷς τὰ κέρατα καὶ δεινὰ ἐναράξαι, ξύλα δέ, ὅσα δεῖ τῇ λύρᾳ, πύξου πάντα στρυφνοῦ καὶ λείου τὸν ὄζον—ἐλέφας οὐδαμοῦ τῆς λύρας οὔπω οἱ ἄνθρωποι εἰδότες οὔτε αὐτὸ τὸ θηρίον οὔτε ὅ τι τοῖς κέρασιν αὐτοῦ χρήσονται—καὶ ἡ χέλυς μέλαινα μέν, διηκρίβωται δὲ κατὰ τὴν φύσιν καὶ λαγαροὺς περιβέβληται κύκλους ἄλλον ξυνάπτοντας ἄλλῳ ξανθοῖς τοῖς ὀφθαλμοῖς, νευραὶ δὲ τὰ μὲν ὑπὸ τῇ μαγάδι πρόσκεινται καὶ τοῖς ὀμφαλοῖς ἀπαντῶσι, τὰ δὲ ὑπὸ τῷ ζυγῷ κοῖλαι δοκοῦσι· σχῆμά που τοῦτο αὐτῶν ἀναλογώτατον ἀνακεκλίσθαι σφᾶς ὀρθῶς ἐν τῇ λύρᾳ. Ὁ δὲ Ἀμφίων τί φησι; τί ἄλλο γε ἢ [ψάλλει καὶ ἡ ἑτέρα χεὶρ] τείνει τὸν νοῦν ἐς τὴν πηκτίδα καὶ παραφαίνει τῶν ὀδόντων ὅσον ἀπόχρη τῷ ᾄδοντι; ᾄδει δὲ οἶμαι τὴν γῆν, ὅτι πάντων γενέτειρα καὶ μήτηρ οὖσα καὶ αὐτόματα ἤδη τὰ τείχη δίδωσιν. Ἡ κόμη δὲ ἡδεῖα μὲν καὶ καθ´ ἑαυτὴν ἐναλύουσα μὲν τῷ μετώπῳ, συγκατιοῦσα δὲ τῷ ἰούλῳ παρὰ τὸ οὖς καὶ χρυσοῦ τι ἐπιφαίνουσα, ἡδίων δὲ μετὰ τῆς μίτρας, ἥν φασιν οἱ τῶν ἀποθέτων ποιηταὶ Χάριτας καμεῖν, ἄγαλμα ἥδιστον καὶ προσεχέστατον τῇ λύρᾳ. Δοκῶ μοι τὸν Ἑρμῆν ἔρωτι κατειλημμένον δοῦναι τῷ Ἀμφίονι ἄμφω τὰ δῶρα. Καὶ ἡ χλαμύς, ἣν φορεῖ, κἀκείνη παρὰ τοῦ Ἑρμοῦ τάχα· οὐ γὰρ ἐφ´ ἑνὸς μένει χρώματος, ἀλλὰ τρέπεται καὶ κατὰ τὴν Ἶριν μετανθεῖ. Κάθηται δὲ ἐπὶ κολωνοῦ τῷ μὲν ποδὶ κρούων συμμελές, τῇ δεξιᾷ δὲ παραπλήττων τὰς νευράς· ψάλλει καὶ ἡ ἑτέρα χεὶρ ὀρθαῖς ταῖς τῶν δακτύλων προβολαῖς, ὅπερ ᾤμην πλαστικὴν ἀπαυθαδιεῖσθαι μόνην. Εἶεν. Τὰ δὲ τῶν λίθων πῶς ἔχει; πάντες ἐπὶ τὴν ᾠδὴν συνθέουσι καὶ ἀκούουσι καὶ γίνεται τεῖχος. Καὶ τὸ μὲν ἐξῳκοδόμηται, τὸ δὲ ἀναβαίνει, τὸ δὲ ἄρτι κατεβάλοντο. Φιλότιμοι καὶ ἡδεῖς οἱ λίθοι καὶ θητεύοντες μουσικῇ, τὸ δὲ τεῖχος ἑπτάπυλον, ὅσοι τῆς λύρας οἱ τόνοι.

X. AMPHION.

On dit qu'Hermès le premier s'avisa de construire une lyre avec deux cornes, une pièce transversale et une carapace de tortue, et qu'il donna cet instrument d'abord au dieu Apollon, aux Muses, enfin à Amphion le Thébain. Or Amphion qui vivait à Thèbes, lorsque cette ville n'avait pas encore de murailles, parla aux pierres le langage de la mélodie (a) et les voici qui dociles à ses accents, accourent en foule. Tel est, en effet, le sujet de notre tableau. Considère d'abord la lyre pour voir si la représentation en est exacte. La corne, la corne du bouc bondissant (b), selon l'expression du poète, sert à la fois pour la lyre du musicien, et pour l'arme de l'archer (c) : noires, dentelées, capables de porter un coup terrible (d), sont ici les cornes qui forment les montants (e) ; pour les parties qui doivent être en bois, on a choisi un buis lisse, d'un grain serré. L'ivoire ne paraît nulle part, les hommes ne connaissant alors ni l'éléphant, ni l'usage qu'on devait faire un jour de ses défenses. L'écaillé est noire ; elle est peinte d'après nature, sur toute sa surface des cercles irréguliers (f) inscrivent des ombilics de couleur blonde (g). Portée par le chevalet, la partie inférieure des cordes fait saillie et vient à la rencontre des ombilics (h) ; au-dessous du joug, on dirait (je ne vois rien de mieux pour les décrire) qu'elles se sont couchées bien droites sur 246  la lyre (i). Et Amphion, que fait-il? il touche les cordes de la lyre ; il donne une entière attention à son jeu (j) ; il laisse voir ses dents, autant qu'il est nécessaire à un chanteur ; or, il chante, j'imagine, cette mère féconde de toutes choses qui enfante même des murailles spontanées. Une chevelure, gracieuse par elle-même, erre gracieusement autour de son front, descend avec le duvet du visage le long de l'oreille, et se colore de reflets dorés ; elle tire un nouveau charme de la mitre, cet ornement aimable qui sied si bien à un joueur de lyre et que des poètes, auteurs d'hymnes sacrés (k), ont appelé l'œuvre des grâces. Je crois, pour ma part, qu'Hermès épris d'amour pour Amphion lui fit présent à la fois et de la mitre et de la lyre. La chlamyde aussi est un don d'Hermès ; car elle est d'une couleur variable (l) et chatoyante, et passe par toutes les nuances de l'iris. Assis sur un tertre, il bat la mesure d'un pied ; de la main droite, armée du plectre, il frappe les cordes (m) ; il les touche de la main gauche dont les doigts étendus font saillie, effet que la plastique seule me paraissait capable de produire (ri). Mais passons. Que font les pierres ? Elles accourent en foule, attirées par le chant ; elles écoutent, elles s'assemblent pour élever les murailles. Les unes sont déjà en place dans la construction, les autres sont en train de monter, les autres ne font que d'arriver. Ce sont là de charmantes pierres, en vérité, qui rivalisent de zèle et travaillent en mercenaires sous les ordres du musicien ! Le mur a sept portes autant que la lyre a de cordes.

COMMENTAIRE.

Amphion était fils de la Thébaine Antiope et de Zeus (1). Il passait pour avoir construit les murailles de Thèbes (2), construites aussi par Cadmos. Pour concilier ces deux légendes, les uns racontaient que la Thèbes d'Amphion ayant été détruite par des peuples voisins fut relevée par Cadmos ; les autres, qui faisaient vivre Amphion après Cadmos, prétendaient que la citadelle seule avait été bâtie par le roi phénicien, et que les murs mêmes de la ville avaient eu le citharède pour architecte.

A laquelle de ces versions Philostrate donne-t-il la préférence ? A la seconde, selon toute probabilité, puisqu'il suppose qu'à l'époque d'Amphion Thèbes existait déjà, mais qu'elle n'était point entourée d'un mur.

Amphion était un poète et un chantre inspiré. Les anciens, qui voulaient retrouver dans la légende l'explication de toutes choses, même de l'enthousiasme et du talent, imaginèrent qu'un dieu avait donné la lyre à Amphion 247 Quel dieu ? Hermès, celui-là même qui, selon l'hymne homérique, avait construit la première lyre avec une écaille de tortue et des tiges de roseaux (3). Quel autre mieux que l'inventeur pouvait avec l'invention elle-même, donner le moyen de s'en servir excellemment ? Mais pourquoi celte faveur ? c'est qu'Araphion avait élevé le premier autel, consacré à Hermès. Tous les deux, l'homme et le dieu, avaient imaginé quelque chose de nouveau; ils étaient dignes de s'entendre. D'autres, au contraire, soutinrent que la lyre avait été donnée à Amphion par les Muses et Apollon lui-même (4) ; et en effet, dans l'hymne d'Homère, Hermès, en gage de réconciliation, fait présent de la lyre à Apollon, et reçoit de ce dieu, en échange, la baguette d'or de la richesse et de la félicité. Ces différentes versions importent peu ; mais elles nous montrent toutes quelle haute idée les anciens se faisaient du génie poétique et musical d'Amphion.

Quelques monuments figurés de l'antiquité nous montrent Amphion se disputant avec son frère Zéthos (5), c'est-à-dire le poète avec le chasseur, l'homme des exercices violents ou même du travail manuel, ou bien Amphion punissant, de concert avec Zéthos, Dircé l'implacable ennemie de leur mère Antiope (6) ; aucun ne nous le représente jouant de la lyre et communiquant aux pierres l'intelligence et la vie (7). Pour expliquer le tableau décrit par Philostrate, nous sommes donc presque réduit aux paroles mêmes du rhéteur grec.

Amphion assis sur un tertre et battant la mesure du pied, avait le côté droit tourné vers le spectateur ; en effet le chevalet de l'instrument était visible, et c'est du côté du chevalet que la main droite, armée du plectre, frappait les cordes de la lyre. Le fait est attesté par toutes les peintures de vases qui représentent un citharède (8). Les mêmes peintures laissent souvent apercevoir la main gauche les doigts étendus, un peu courbés à l'extrémité, derrière et entre les cordes de la lyre; telle était aussi, vraisemblablement, la position de la main gauche d'Amphion dans notre tableau.

Gomment était faite la lyre ? Philostrate nous la décrit, en termes assez obscurs, il est vrai, et susceptibles d'interprétations diverses. Cependant, à ne considérer que l'ensemble, nous pouvons nous la figurer telle qu'elle se 248 montre à nous sur un grand nombre de vases; un corps fait d'une écaille de tortue; un chevalet portant les cordes ; des montants formés de cornes de bouc ou de bœuf; sept cordes s'étendant à la fois sur la table d'harmonie, et entre le joug et l'écaillé, c'est-à-dire, à vide; ce qui n'avait pas lieu dans toutes les lyres ; dans quelques-unes, en effet, les cordes partant du joug ne dépassent pas le bord supérieur de l'écaillé où elles sont fixées (9).

Suivant quelques anciens, Amphion avait ajouté une quatrième corde, appelée nété, à la lyre (10). Le peintre suit ici une autre tradition, puisque la lyre d'Amphion a sept cordes. Philostrate explique ce fait en sophiste ; selon lui, Thèbes ayant sept portes, la lyre qui en a construit les murs, ne pouvait pas avoir moins de sept cordes. Tel était aussi, ce semble, l'avis du poète Onétès auteur d'une épigramme sur la ville de Thèbes. a Je fus bâtie au son de la phorminx, moi la ville de Thèbes, et renversée au son de la flûte : honte à la muse destructive de l'harmonie ! sur le sol gisent les débris de mes tours, ces pierres que charmait la lyre, sourdes aujourd'hui; ces pierres qui dociles à la muse et s'appareillant d'elles-mêmes, formèrent une muraille, ouvrage sans fatigue de tes mains, ô Amphion, car c'est la lyre aux sept cordes qui fonda la patrie aux sept portes (11). » Philostrate et Onétès auraient pu d'ailleurs se dispenser d'aller chercher si loin une explication pour les sept cordes; d'après l'hymne d'Homère, la lyre montée par Hermès avait sept cordes (12), et c'est Hermès qui a fait don de la lyre à Amphion.

Le costume d'Amphion mérite d'être remarqué. Les chantres, les citharèdes sont ordinairement représentés, la tête ceinte d'une coiffure élevée, le corps enveloppé d'une robe traînante ; quelquefois, pour Apollon, par exemple, la coiffure élevée est remplacée par une couronne de lauriers. Amphion porte la mitre, coiffure lydienne, destinée à rappeler peut-être qu'Amphion, gendre de Tantale, emprunta aux Lydiens, leur système musical, leur harmonie, dit Pausanias (13), mais au lieu d'avoir la longue robe, il est vêtu d'une chlamyde, manteau court, que l'art antique jette quelquefois sur les épaules d'Apollon citharède (14). Une grande liberté semble d'ailleurs avoir été laissée aux artistes grecs, pour les costumes : c'est ainsi que dans Je tableau de Polygnote à Delphes, qui représentait les Enfers, Orphée était vêtu en Grec au lieu de porter, comme le voulait la tradition, la robe et la coiffure d*un chanteur thrace (15).

Philostrate nous dit que les pierres venaient d'elles-mêmes se mettre en place pour servir de fondement ou pour exhausser le mur. On a vu là un dé- 249 tail peu fait pour être reproduit par la peinture. Comment représenter des pierres qui se meuvent, qui courent sur le sol ou s'escaladent les unes les autres ? Cette critique nous semble peu fondée. De tout temps la peinturé a exprimé le mouvement ; quand un bras est levé comme pour frapper, on sent bien qu'il s'abaissera ; quand un corps est suspendu dans l'espace, on voit bien qu'il tombe. Laissez dans une peinture un mur inachevé : que sur la dernière pierre mise en place de nouvelles pierres s'appuient par un angle ou par une arête, nous comprendrons que le mur est en train de s'élever d'une assise; mettez devant cette muraille des pierres, non posées à plat sur le sol, mais dans un équilibre instable, et toutes penchées d'un côté ; nous penserons sans peine qu'elles sont animées d'un mouvement propre, qu'elles courent ou qu'elles roulent, qu'elles se dirigent vers un but. D'ailleurs, dès qu'Amphion est reconnu, le spectateur reconnaît aisément les pierres dociles dont parle la légende; si elles ne couraient pas, l'imagination les ferait courir; et qu'on ne dise pas que l'artiste doit tout expliquer au spectateur, par les moyens propres à son art; si c'est là une loi de l'esthétique, elle a été plus souvent violée qu'observée. Le peintre du tableau qui nous occupe n'avait point évidemment la prétention d'apprendre le merveilleux talent d'Amphion à ceux qui ne le connaissaient pas, mais de le rappeler à ceux qui le connaissaient.

(1) Voir les diff. traditions, dans le dictionn. des antiq. de Saglio, art. AMPHION.

(2) Hom., Od. XI, 262.

(3) Homère, Hymne à Merc., V, 41 à 51.

(4) Schol. Apoll. Rh. I, 741.

(5) Peinture de Pompéi, reproduite dans Museo Borb. XI, 53; Monum. dell' Inst., II, 59, 3, et bas-relief du palais Spada, reproduit dans Braun, zwölf bas-relief, taf. 3; Welcker, alte Denkm., II, p. 318.

(6) Groupe célèbre du musée Farnèse, reproduit dans le Dict. des antiq., p. 240, f. 268. M. de Ronchaud, dans le même dictionnaire indique encore deux peintures de Pompéi, une autre d'Herculanum, une troisième de la villa Panfili.

(7) Le manteau de Jason, décrit par Apollonius (Argon., I, 735) montrait un Amphion jouant de la lyre et suivi par une grosse pierre.

(8) Voir surtout Gerhard auswl. Vasenb., V. pl. XIII, XIV, XVI, XVII, XXI, XXIII, XXIV, XXV, XXVII, XXVIII.

(9) Voir Fétis, Hist. gén. de la Musique, III, p. 250 et suiv.

(10) Paus. IX, 5, 7.

(11) Anth., IX, 250.

(12) Hom., Hym. ad Merc, 51.

(13) Paus., IX, V, 7.

(14) Ant. d'Herc, III, 5; Roux, IV, 68.

(15) Paus., X, 30, 3; O Jahn. Einleit in die Vasenk., V. p. 210; Heydemann, Arch. Zeit. 1868, 4.

 

ΦΑΕΘΩΝ

Χρυσᾶ τῶν Ἡλιάδων τὰ δάκρυα. Φαέθοντι λόγος αὐτὰ ῥεῖν· τοῦτον γὰρ παῖδα Ἡλίου γενόμενον ἐπιτολμῆσαι τῷ πατρῴῳ δίφρῳ κατὰ ἔρωτα ἡνιοχήσεως καὶ μὴ κατασχόντα τὴν ἡνίαν σφαλῆναι καὶ ἐν τῷ Ἠριδανῷ πεσεῖν—ταῦτα τοῖς μὲν σοφοῖς πλεονεξία τις εἶναι δοκεῖ τοῦ πυρώδους, ποιηταῖς δὲ καὶ ζωγράφοις ἵπποι καὶ ἅρμα—καὶ συγχεῖται τὰ οὐράνια. Σκόπει γάρ· νὺξ μὲν ἐκ μεσημβρίας ἐλαύνει τὴν ἡμέραν, ὁ δὲ ἡλίου κύκλος εἰς γῆν ῥέων ἕλκει τοὺς ἀστέρας. Αἱ δὲ Ὧραι τὰς πύλας ἐκλιποῦσαι φεύγουσιν εἰς τὴν ἀπαντῶσαν αὐταῖς ἀχλύν, καὶ οἱ ἵπποι τῆς ζεύγλης ἐκπεσόντες οἴστρῳ φέρονται. Ἀπαγορεύει δὲ ἡ Γῆ καὶ τὰς χεῖρας αἴρει ἄνω ῥαγδαίου τοῦ πυρὸς ἐς αὐτὴν ἰόντος. Ἐκπίπτει δὲ τὸ μειράκιον καὶ καταφέρεται—τήν τε γὰρ κόμην ἐμπέπρησται καὶ τὰ στέρνα ὑποτύφεται—ποταμῷ τε Ἠριδανῷ ἐμπεσεῖται καὶ παρέξει μῦθόν τινα τῷ ὕδατι. Κύκνοι γὰρ δὴ ἀναφυσῶντες ἡδύ τι 〈ἔνθεν καὶ〉 ἔνθεν καὶ ποιήσονται ᾠδὴν τὸ μειράκιον, ἀγέλαι τε αὐτῶν ἀρθεῖσαι Καΰστρῳ ταῦτα καὶ Ἴστρῳ ᾄσονται, καὶ οὐδὲν ἀνήκοον ἔσται τοῦ τοιούτου λόγου, Ζεφύρῳ τε χρήσονται πρὸς τὴν ᾠδὴν ἐλαφρῷ καὶ ἐνοδίῳ· λέγεται γὰρ συναυλίαν τοῦ θρήνου τοῖς κύκνοις ὁμολογῆσαι. Ταῦτά τοι καὶ πάρεστι τοῖς ὄρνισιν, ὥστε ὅρα καὶ ψάλλειν αὐτοὺς οἷον ὄργανα. Τὰ δὲ ἐπὶ τῇ ὄχθῃ γύναια, αἳ οὔπω δένδρα, φασὶ τὰς Ἡλιάδας ἐπὶ τῷ ἀδελφῷ μεταφῦναι καὶ εἰς δένδρα λῆξαι δάκρυά τε ἀφιέναι. Καὶ ἡ γραφὴ ταῦτα οἶδε· ῥίζας γὰρ βαλλομένη ταῖς κορυφαῖς τὰ μὲν εἰς ὀμφαλὸν δένδρα αὗται, τὰς δὲ χεῖρας ὄζοι φθάνουσι. Φεῦ τῆς κόμης, ὡς αἰγείρου πάντα. Φεῦ τῶν δακρύων, ὡς χρυσᾶ. Καὶ τὸ μὲν πλημμῦρον ἐν τῇ τῶν ὀφθαλμῶν ἕδρᾳ χαροπαῖς ἐπαυγάζει ταῖς κόραις καὶ οἷον ἀκτῖνα ἕλκει, τὸ δὲ ταῖς παρειαῖς ἐντυγχάνον μαρμαίρει περὶ τὸ ἐκείνῃ ἔρευθος, τὰ δὲ στάζοντα κατὰ τοῦ στέρνου χρυσὸς ἤδη. Θρηνεῖ καὶ ὁ ποταμὸς ἀνέχων τῆς δίνης καὶ τῷ μὲν Φαέθοντι κόλπον ὑπέχει—τὸ γὰρ σχῆμα δεξομένου—τὰς δὲ Ἡλιάδας γεωργήσει αὐτίκα· αὔραις γὰρ καὶ κρυμοῖς, οὓς ἀναδίδωσι, λιθουργήσει καὶ πεσόντα ὑποδέξεται καὶ διὰ φαιδροῦ τοῦ ὕδατος ἀπάξει τοῖς ἐν Ὠκεανῷ βαρβάροις τὰ τῶν αἰγείρων ψήγματα.

250 XI. PHAETHON.

Les Héliades pleurèrent, dit-on, des larmes d'or sur le sort de Phaéthon, ce fils du Soleil qui, dans sa passion pour le rôle de cocher, osa monter sur le char paternel, et qui n'ayant pas su tenir les rênes glissa et tomba dans l'Éridan. Selon les philosophes, des chaleurs excessives donnèrent lieu à cette allégorie ; mais pour les poètes et les peintres le char et les chevaux sont véritables. Le désordre règne dans le ciel; regarde en effet ; en plein midi la nuit chasse le jour et derrière le globe du soleil qui se précipite vers la terre paraissent les astres (a) ; les Heures désertant les portes confiées à leur garde s'élancent en fuyant vers les ténèbres qui viennent au devant d'elles ; les chevaux échappés du joug n'obéissent qu'à la fureur qui les emporte ; en signe de détresse, la Terre lève les mains vers le ciel, d'où se précipite sur elle ce torrent enflammé. Le jeune homme lancé hors de son char roule dans l'espace (b) ; sa chevelure est consumée par la flamme ; sa poitrine vomit la fumée ; il va tomber dans l'Éridan et donner à ce fleuve une célébrité fabuleuse. Car les cygnes qui depuis cette aventure soupirent mélodieusement, chanteront le jeune homme, et voyageant par bandes à travers les airs, iront redire ses malheurs au Caystre et à l'ïster, si bien que nulle part son histoire ne sera inconnue. Partout, sur leur route (c), ils trouveront Zéphyre, le léger Zéphyre, pour accompagner leur chant : car il leur a promis, dit-on, de pleurer Phaéthon de concert avec eux. C'est bien là en effet ce qui se passe sous mes yeux : le souffle du vent touche les cygnes, comme s'ils étaient de véritables instruments (d). Sur le rivage se tiennent les Héliades; car elles n'ont pas encore cessé d'être femmes, mais on dit qu'à force de pleurer elles sont devenues des arbres et qu'ainsi transformées elles répandent encore des larmes. Sachant cela, le peintre nous montre les Héliades prenant racine (e) : les unes sont arbres jusqu'au milieu du corps ; les autres ont déjà les mains atteintes par les branches. Vois cette chevelure, c'est la cime d'un peuplier noir ; vois ces larmes, elles sont dorées ; ruisselant dans les yeux, elles égaient la prunelle de leur éclat et l'illuminent d'un rayon ; sur les joues elles étincellent au milieu des roses du teint ; sur la poitrine où elles tombent goutte à goutte elles ont déjà tous les caractères de l'or (f). Sortant de ses eaux tournoyantes, le fleuve se lamente. Il étend sous Phaéthon le pli de sa robe (g) pour le recevoir dans sa chute ; puis il se fera le jardinier des Héliades (h). Servi par les vents et les gelées qu'il envoie, il 251 changera leurs larmes en pierres, il les recevra une fois tombées, et sur ses eaux limpides les transportera jusqu'à la mer. Ainsi s'en iront chez les barbares qui habitent les côtes de l'Océan ces paillettes provenant des peupliers (i).

COMMENTAIRE.

Les personnages énumérés par Philostrate prennent aisément place dans la composition; le ciel, semé d'étoiles, est occupé d'un côté par les Heures, qui disparaissent dans les ténèbres, de l'autre par la Nuit; la Terre a près d'elle les sœurs de Phaéthon, les Héliades, à demi transformées en peupliers; l'Éridan est représenté par le dieu lui-même et par un fleuve sur lequel nagent des cygnes. Les deux parties de la composition sont reliées par le corps de Phaéthon, précipité sur la terre du milieu d'un tourbillon de flammes et de fumée, et par le char et les chevaux, échappés à la main inexpérimentée du jeune homme.

Selon un savant archéologue, Wieseler, notre tableau aurait été beaucoup plus riche en personnages (1). A côté de l'Éridan, placé à gauche, on aurait distingué l'Océan, avec ses représentants, c'est-à-dire avec les habitants des lies barbares, sur les côtes desquelles on recueille l'ambre. Des eaux du fleuve s'élevaient dans les airs une ou plusieurs figures de femmes, personnifiant les haleines du vent, les aurae. On voyait aussi l'Heure de midi fuyant devant les ténèbres. Enfin de jeunes enfants portant une étoile sur le front, représentaient les astres. En revanche Wieseler supprime la Nuit.

Nous croyons que le savant archéologue a été trompé par les bas-reliefs d'époque romaine, où les personnages s'accumulent de manière à produire la confusion. Philostrate dit que les parcelles d'ambre qui tombent des peupliers dans l'Éridan, sont portées par le fleuve jusque dans la mer, et par la mer jusque dans les îles de l'Océan ; ces paroles peuvent-elles nous autoriser à croire que l'Océan était représenté dans le tableau (2)? Nous voyons bien que Wieseler (3) reconnaît, sur une pierre gravée (4), au lieu de l'Éridan, comme le voulait Lippert, la personnification de l'Océan, et au lieu de la Terre, une Océanide ; mais ses raisons, uniquement tirées de l'attitude des personnages, ne paraissent pas concluantes. Lorsque l'auteur grec parle des vents et des gelées qu'envoie l'Éridan, et qui changèrent en pierres les larmes des Héliades, il est également difficile de s'imaginer d'après ces mots que l'artiste eût donné aux vents une forme humaine; Wieseler n'assigne pas 252 une place aux Gelées dans la composition, et cependant il eût pu le faire avec le même droit. Si l'Heure de midi eût été représentée, Philostrate n'eût-il pas dit que la Nuit chassait cette heure, et non qu'en plein midi la Nuit chassait le jour? Wieseler cite un passage de Polybe d'après lequel l'Heure de midi (5), personnifiée, figurait dans la pompe du roi Antiochus; mais ce n'est point là un motif pour faire violence au texte de notre auteur. Dans un bas-relief de Rome qui a pour sujet la chute de Phaéthon (6), une figure de femme, aux ailes déployées, au torse nu, semble s'envoler loin du char et des chevaux; Wieseler lui donne le nom de Mésembria, l'Heure de midi, mais c'est une pure conjecture, qui fût-elle vraie, ne saurait prouver que Mésembria jouait un rôle dans le tableau de Philostrate. Phosphoros, l'étoile du matin, Hespéros, l'étoile du soir, se montrent quelquefois dans ces sortes de compositions, sous les traits d'enfants ailés qui portent des torches (7), mais Philostrate, en disant que le globe du soleil, précipité sur la terre, entraîne avec lui les astres, ne fait guère songer à une personnification. Les étoiles, qui apparaissent quand le soleil descend avec rapidité semblent comme amenées sur la voûte céleste, par ce mouvement même : ainsi dans Homère le soleil se couchant dans les flots de l'Océan tire derrière lui le voile de la nuit noire sur la terre fertile (8) ; de même dans Euripide le soleil entraîne la brillante lumière d'Hespéros. Ce sont là, ce nous semble, des expressions poétiques, qui n'ont rien de conforme à la vérité scientifique, mais qui rendent compte de la succession et de l'ordre apparent des phénomènes célestes. On aurait tort de croire que ces mots d'attirer, d'entraîner ne peuvent s'appliquer qu'à des personnes ou des personnifications. Quanta la Nuit, Wieseler en conteste la représentation allégorique, avec beaucoup plus de raison qu'il ne suppose ce cortège de personnages fabuleux. Le texte de Philostrate, en effet, laisse à peu près le champ libre à l'interprétation.

Examinons maintenant le tableau de Philostrate détail par détail. La Nuit chasse le jour, dit l'auteur, et derrière le globe du soleil paraissent les astres. Comment se représenter ce globe du soleil qui se précipite sur la terre? Le soleil n'est-il pas le char lui-même que conduisait Phaéthon et qui doit tomber avec lui? mais alors un char n'est point un globe, ne présente pas la forme d'un disque, et l'expression de Philostrate reste au moins singulière. Faut-il penser avec Welcker que Phaéthon ou les chevaux ont la tête entourée d'un diadème de rayons qui ne les abandonne pas dans leur chute? mais outre que sur les monuments Phaéthon ne porte point cette espèce de couronne, que les chevaux du soleil n'en sont jamais parés, on comprendrait mal l'expression de Philostrate appliquée à une et surtout à plusieurs têtes 253 radiées. Si Phaéthon représente la clarté du soleil, pourquoi l'auteur ne dit-il pas que Phaéthon par sa chute même plonge le soleil dans l'obscurité : si les chevaux, pourquoi ne parler que du globe du soleil? Wieseler, qui fait cette remarque, pense que c'est le char lui-même qui est ainsi désigné par notre auteur (9); en effet, dit-il, sur une pierre gravée (10), on voit le char du so-seii entouré de rayons comme le soleil lui-même. Mais à cette conjecture ne peut-on pas opposer la même objection qu'à l'hypothèse de Welcker ; ce char entouré de rayons ne peut s'appeler un cercle ni un globe ; si on suppose «que le cercle lumineux s'est détaché du char et que le char tombe seul, cette disparité de fortune entre deux attributs du même astre, paraît étrange. Il ne reste, nous semble-t-il, qu'une supposition à faire, la plus simple de toutes : c'est que le soleil était représenté réellement dans le tableau. Des monuments de l'antiquité nous montrent des fleuves, des montagnes, des étoiles même, à côté des êtres qui les personnifient : pourquoi le soleil n'aurait-il pas figuré à côté du char que les anciens donnaient au soleil. D'ailleurs, dans la fable, la catastrophe de Phaéthon n'entraîne pas la chute du soleil lui-même ; Philostrate dit bien que le soleil se précipite sur la terre, mais c'est comme un astre qui se coucherait avec une vitesse inaccoutumée, et non comme un corps qui tomberait du haut de la voûte céleste sur nos têtes ; avec son cocher, le soleil a comme perdu la règle de ses mouvements; il est emporté par une force irrésistible, mais il ne dévie pas pour cela de sa route et n'est point pour cela expulsé de ses hauteurs.

Nous nous demanderons maintenant avec Welcker pourquoi les Heures désertent les portes confiées à leur garde, pourquoi d'elles-mêmes elles courent au-devant des ténèbres qui envahissent le ciel. Présidant aux saisons, il semble qu'elles n'auraient de motif pour quitter leur poste que si le cours de saisons était bouleversé. Wieseler (11) répond avec raison que le peintre n'a pas voulu nous montrer les déesses des saisons, mais bien les Heures du jour, ces compagnes « aux pieds agiles », du soleil, suivant l'expression d'un poète grec. Les ombres se répandant sur la voûte céleste, elles paraissent, elles, les déesses de lumière, se précipiter dans l'obscurité : c'est la Nuit qui dévore le jour. Mais quelles sont ces portes, ainsi abandonnées par les Heures? Ce ne sont point, dit Wieseler, les portes de l'Olympe ou du ciel, près desquelles doivent veiller les Heures des saisons; ce ne sont point non plus les portes du jour que Phaéthon a déjà laissées loin derrière lui, puisqu'il est à la moitié de sa route; Wieseler embarrassé prétend que ces portes désignent un zodiaque et prétend reconnaître sur un bas-relief romain un zodiaque dans une porte ornée de quelques signes zodiacaux (12). Cette explication 254 étrange ne semble guère admissible ; un zodiaque n'est point une porte, de quelque façon qu'on se l'imagine représentée ; d'ailleurs Philostrate parle de plusieurs portes. Il nous semble que tout devient clair si au lieu de considérer les heures comme rangées autour du char du soleil, nous les supposons placées à égale distance sur la voûte céleste, de manière à recevoir le soleil dans son cours, et à fixer, pour ainsi dire, ses différentes étapes-; elles sont alors chacune comme la gardienne d'une porte par laquelle il faut que le soleil passe ; d'ailleurs c'est par suite d'une même conception que les Heures des saisons peuvent être dites garder les portes du ciel.

Combien y avait-il d'Heures dans le tableau de Philostrate? Notre auteur ne nous l'apprend pas et il est difficile de suppléer à son silence. Les Heures du jour étaient naturellement au nombre de douze ; mais, comme dans le tableau qui nous occupe l'ombre avait déjà gagné, en plein midi, une grande partie du ciel, sans doute plus de la moitié, le nombre des Heures visibles pouvait être fort restreint, sans que le peintre eût cessé d'être exact; hâtons-nous d'ajouter que l'exactitude n'était point ici de rigueur, et que, quelque fût l'espace encore éclairé par le jour au-dessus de l'horizon, l'artiste avait tout droit de ne nous montrer qu'une seule Heure. Il en avait peint plusieurs, comme le prouve le pluriel employé par Philostrate. Les nécessités de la composition pittoresque avaient sans doute déterminé le nombre de ces heures qui représentaient le jour, au moment d'un déclin prématuré.

Si nous portons maintenant nos recherches sur l'attitude et le costume de ces heures, nous n'arriverons à aucun résultat satisfaisant. Les Heures que l'on rencontre sur les monuments antiques n'ont rien de commun avec les Heures du tableau de Philostrate ; ce sont les Saisons, c'est-à-dire les Heures de l'année et non les Heures du jour. Wieseler reconnaît cependant une Heure, sœur des nôtres, sur des bas-reliefs qui représentent les amours de Séléné et d'Endymion (13); cette figure est tantôt ailée et tantôt ne l'est pas; elle est entièrement vêtue ou ne laisse à découvert que le sein droit; des cothurnes et une ceinture achèvent de lui donner l'air d'une chasseresse. C'est là, il est vrai, une Heure de nuit, non de jour ; mais on peut supposer avec assez de vraisemblance qu'entre les Heures du jour et de la nuit l'art antique ne mettait pas une différence marquée de costume. Quant à l'heure de Mésembria que le savant archéologue reconnaît, ou plutôt (car il n'a pu la voir ailleurs) signale sur un bas-relief qui représente la chute de Phaéthon (14), elle est ailée ; elle a la partie supérieure du corps entièrement nue; elle semble s'éloigner du char qui tombe, tout en jetant un regard de pitié et de terreur sur Phaéthon; nous avons déjà dit que nous ne pouvons prendre cette figure pour l'heure de Midi, mais il peut se faire, en effet, qu'elle représente 255 une Heure, ou plutôt les Heures du jour qui s'enfuient, chassées par l'invasion de la nuit.

Les chevaux échappés du joug, dit Philostrate, obéissent à la fureur qui les emporte. Ces chevaux étaient sans doute au nombre de quatre ; le char du soleil, appelé partout un quadrige, est toujours représenté comme tel sur les monuments de l'art, excepté sur des pierres gravées où l'espace n'a pas sans doute permis un grand nombre de figures (15). On peut les concevoir, comme on les voit sur les bas-reliefs qui nous restent (16), s'emportant deux en un sens, deux dans le sens contraire, de manière à bien montrer qu'ils ne sont plus retenus par le joug et en même temps à présenter un arrangement symétrique. Sur les monuments, tantôt ils piaffent dans les airs, tantôt ils sont tout près du sol, tantôt ils ont l'encolure et les narines fièrement dressées et semblent s'élever dans les airs plutôt qu'en tomber (17), tantôt ils sont précipités la tête la première vers la terre et se tordent en vains efforts pour retrouver leur équilibre (18).

« La Terre, poursuit Philostrate, lève les mains au ciel en signe de détresse. » Cette même déesse est représentée sur trois bas-reliefs qui ont pour sujets la chute de Phaéthon ; sur aucun elle n'offre la même attitude qu'ici. A demi couchée, reléguée dans un coin de la composition, tournant le visage tantôt du côté de Phaéthon (19), tantôt en sens contraire (20), elle paraît n'être là que pour désigner aux spectateurs le lieu de la chute, par opposition aux personnages ailés qui désignent le ciel ; d'une main elle tient la corne d'abondance, de l'autre des épis ou le coin d'un voile flottant au-dessus de sa tête ; ces attributs qui achèvent de la caractériser montrent bien que son rôle est celui d'une simple figure allégorique. Dans le tableau de Philostrate, au contraire, c'est une déesse atteinte par le malheur qui frappe Phaéthon, et elle témoigne sa douleur par une pantomime expressive. A quoi tient cette différence ? à la différence même qui existe entre le bas-relief et le tableau. La peinture recherche la vie et le mouvement ; si elle emploie les personnages allégoriques, elle les mêle à l'action ; elle ne leur permet pas de n'être là que pour la symétrie de la composition ou l'indication du lieu de la scène ; au lieu de laisser la terre, par exemple, se complaire dans le déploiement ou la contemplation de ses attributs, elle nous la montre affectée de tous les sentiments qui peuvent entrer dans une âme humaine, à la vue d'une catastrophe, comme celle de Phaéthon.

256 Le Phaéthon des bas-reliefs et des pierres gravées tombe du char la tête la première, les mains en avant, comme s'il voulait amortir sa chute ; le corps est presque vertical ou légèrement incliné ; presque toujours l'une des jambes, étendue, se présente dans toute sa longueur, l'autre se replie sur elle-même, ne laissant voir le jarret et le pied qu'en raccourci (21). Du reste la beauté du visage n'est altérée par aucun signe d'effroi. On peut supposer que l'attitude, sinon l'expression, était la même dans le tableau de Philostrate; le peintre y avait ajouté cependant des éléments nouveaux, la chevelure enflammée, la poitrine fumante, pour rendre le spectacle plus dramatique. D'ailleurs il s'inspirait de la fable qui racontait que Phaéthon avait été foudroyé par Jupiter. Philostrate, il est vrai, ne parie point de tonnerre et d'éclairs, et de ce silence Wieseler (22) a voulu conclure que dans le tableau de Philostrate c'était le feu du soleil, et non celui de la foudre qui consumait l'imprudent ; rien de moins vraisemblable ; Phaéthon avait conduit pendant toute la matinée le char du soleil sans avoir à redouter les effets d'un pareil voisinage, comment, à midi juste, aurait-il été embrasé par les feux qui l'avaient épargné jusque-là ?

On remarquera que, dans la description de Philostrate, il n'est point question de la métamorphose en cygne d'un roi des Ligures appelé Cycnos. Cette légende racontée peut-être pour la première fois par Phanoclès (23), puis par Ovide (24), rappelée par Virgile (25), fut aussi adoptée, mais sans doute à une époque assez tardive, par l'art antique ; on voit en effet sur quelques bas-reliefs (26), à côté d'un cygne, un vieillard dans l'attitude du désespoir, qui peut être pris pour Cycnos, éraste et proche parent de Phaéthon. Philostrate ne connaît point le roi Cycnos ; mais on voit, d'après son récit, que la légende avait déjà prêté un rôle aux cygnes dans les aventures de Phaéthon ; ces oiseaux, que les Grecs considéraient comme des musiciens métamorphosés, étaient censés soupirer des plaintes mélodieuses sur la mort du jeune homme. Si la description de Philostrate est exacte, le peintre lui aussi avait ignoré Cycnos. Quant au Zéphyre, qui avait sans cloute sa place dans le tableau, si nous entendons bien le texte de Philostrate, nous ne le retrouvons pas dans les œuvres d'art qui ont pour sujet la chute de Phaéthon ; à moins qu'il ne faille le reconnaître dans ce jeune homme qui accompagne quelquefois le vieux Cycnos et que les archéologues, fort embarrassés pour lui trouver un nom, ont voulu faire passer tantôt pour Cupavo, le fils de Cycnos (qui n'a peut-être jamais existé que 257 dans l'imagination de Virgile), tantôt pour Apollon ; hâtons-nous de dire que cette conjecture ne serait guère plus vraisemblable que les autres ; car ce jeune homme n'est point une figure ailée, comme devrait l'être Zéphyre, et ne paraît point faire attention à l'oiseau, au cygne, placé tantôt près et tantôt loin de lui. Il est à présumer que les auteurs de ces œuvres d'art et l'auteur du tableau décrit par Philostrate ont suivi deux légendes sensiblement différentes, au moins dans les détails.

Les Héliades formaient sans doute dans le tableau un groupe fort intéressant. Combien étaient-elles ? trois probablement, comme sur presque tous les bas-reliefs et pierres gravées (27). Quel était leur costume? Une pierre gravée nous les montre entièrement nues (28) ; mais sur les bas-reliefs, elles sont vêtues ; en les supposant dans la peinture enveloppées du chiton, ce vêtement devait laisser, comme du reste dans certains monuments, la gorge à découvert, puisque, d'après Philostrate, les larmes des Héliades en tombant sur leur poitrine prenaient la consistance de l'or. Sur les monuments, tantôt la métamorphose est indiquée par un tronc d'arbre placé à côté des sœurs, ou par des branches qui semblent les enlacer ; tantôt les doigts de leurs mains se confondent avec des branches, si bien qu'on ne sait pas trop si les mains tiennent les branches, ou si les branches ont pris la place des mains (29) ; sur telle médaille, leur tête se couronne d'une cime de peuplier, et comme elles sont toutes trois de face, que celle du milieu élevant de chaque côté la main à la hauteur de l'épaule la croise avec la main également levée de sa voisine, une nouvelle cime de peuplier vient se poser sur leurs doigts ainsi rapprochés (30). Que la peinture ait osé encore un peu plus que la sculpture ou la gravure, nous ne saurions nous en étonner (31).

Entre l'Éridan des œuvres d'art que nous connaissons et l'Eridan du tableau de Philostrate, il existe une différence assez remarquable. Ce dernier, nous dit notre auteur, étend le pli de sa robe pour recevoir Phaéthon dans sa chute. Nulle part nous ne retrouvons ce geste ; le fleuve, à demi couché, se contente d'étendre la main vers le jeune homme ; d'ailleurs, loin de se lamenter, comme dans le tableau de Philostrate, il garde le tranquille visage d'une divinité inaccessible à toute émotion ; si ses traits expriment un sentiment, c'est plutôt celui de l'étonnement que de la douleur ; quelquefois même il détourne la tête soit pour se dérober la vue d'un spectacle qui l'attriste, soit plutôt par indifférence. D'ailleurs l'Éridan de Philostrate était-il représenté sous les traits d'un vieillard, comme sur tel 258 bas-relief (32), ou sous les traits d'un jeune homme, comme sur tel autre (33)? S'appuyait-il sur une urne ? tenait-il dans sa main la corne d'abondance ? Avait-il le front ceint d'une bandelette ou de feuilles de peuplier? L'auteur grec nous laisse ignorer entièrement tous ces détails.

En résumé, nous ne saurions reconstituer de tous points, à l'aide des monuments qui nous restent, le tableau trop sommairement décrit par Philostrate. Ce sont là des œuvres qui appartiennent à deux arts d'imitation, mais à des arts dont les ressources, les procédés et l'idéal même sont tout à fait différents ; on a souvent remarqué que la peinture antique se rapprochait beaucoup plus que la nôtre du bas-relief ; ici, il y a plus de rapport entre la peinture moderne et le tableau de Philostrate qu'entre ce dernier et les bas-reliefs antiques, du moins ceux de la belle époque.

(1) Phaeth, eine archäologische Abhandlung von Fr. Wieseler, Göltting., 1857, p. 21 et suiv.

(2) Phaeth., p. 28.

(3) Phaeth., 39.

(4) Pierre gravée de la collect. grand ducale, Lippert, Dakt., II, 1. 263; Wieseler, Phaeth. pl. n° 7, p. 39.

(5) Phaeth., p. 27 ; Polyb., XXXI, 3.

(6) Phaeth., pl. n° 4.

(7) Maffei, Museo Véron, t. LXXI, n* 1 ; Wieseler, Phaeth., pl. n° 2.

(8)  II. θ', 485  ἓν δ' ἔπεσ' Ὠκεανῷ λαμπρὸν φάος ἡελίοιο ἕλκον νυκτα μέλαιναν ἐπὶ ζείδωρον ἄρουραν. Eurip. Ion 1149: Ἥλιον ἐφέλκων λαμπρὸν Ἑσπέρου φάος;.

(9) Phaeth., p. 26, note 1.

(10) Lippert, Dactyt., I, 1, n° 234.

(11) Phaeth., p. 24.

(12)j Braun, Ant. Marmowerke, I, 8.

(13) Phaeth., p. 37 , Voir Fröhner, Catalog. du Louvre, n° 456, et 427.

(14) Phaéthon, p. 50 ; Pl. n° 4. Bas-relief Depoletti à Rome.

(15) Wicar, galer. Flor. et Pitti., II, 8 ; Wieseler, Phaeth., pl. n° 11.

(16) Bas-relief Borghèse, Millin, Galer. myth., XXVII, 83; Bas-relief du Louvre, Fröhner catal. n° 425; Bas-reliefs de Vérone, de Rome (Depoletti), de Florence (galerie des Uffizi). Wieseler, Phaéth., pl. n° 1, 2, 4 et 5; Sarcophage d'Ostie, Ann. dell' lnst,  186p, p. 130, Tav. d'Agg, F; Cf. Matz, Arch. Z, 1870, p. 113 et Bull. Inst. arch., 1869, 63,

(17) Bas-relief du Louvre.

(18) Intaille dans Bracci, Mémor. de antiq. incisori, IV, 1: Wieseler, Phaeth., pl. n° 9.

(19) Par exemple, dans le bas-relief du Louvre.

(20) Bas-relief de Vérone. La figure est d'ailleurs restaurée.

21) Par ex. bas-relief du Louvre; sur le bas-relief d'Ostie, cité dans une note précédente, les deux jambes sont repliées.

(22) Phaeth., p. 12, note 1.

(23) Lactantius Placidus, Arg. Fab.9 II, 4.

(24) Metam., II, 367.

(25) Aen. X, 189.

(26) Par ex. bas-relief du Louvre, bas-rel. Depoletti et sarcoph. d'Ostie.

(27) Voir sur cette question, Vieseler, Phaeth., p. 61 et n° 3. Il n'y en a qu'une, selon Wieseler, sur le bas-relief Borghèse.

(28) Wieseler, Phaeth., pl. n° 8 ; Bracci, Mem. de ant. inc., IV, 2.

(29) Même intaille.

(30) Médaille de P. Accoleius Lariscolus (Guigniaut, Relig. de l'Antiq., pl. LXXXIII, n° 306).

(31) Voir l'introduction, page 92.

(32) Bas-reliefs du iLouvre, de Florence, Depoletti, Sarcoph. d'Ostie. Sur ce dernier bas-relief, il nous est impossible, malgré la dissertation de Wieseler (Ann. dell' inst.,, 1869, 130), de ne pas prendre pour l'Éridan le jeune homme qui tient une forte branche d'arbre, et a près de lui une ancre.

(33) Bas-relief de Vérone.

ΒΟΣΠΟΡΟΣ}

—[Τὰ δὲ ἐπὶ τῇ ὄχθῃ γύναια] παραβοῶσι, παρακαλεῖν δὲ καὶ τοὺς ἵππους ἐοίκασι μὴ ῥῖψαι τὰ παιδία μηδὲ ἀποπτύσαι τὸν χαλινόν, ἑλεῖν δὲ καὶ συμπατῆσαι τὰ θηρία, οἱ δὲ ἀκούουσιν οἶμαι καὶ ποιοῦσι ταῦτα. Θηράσαντας δὲ αὐτοὺς καὶ δαῖτα ᾑρηκότας διαπορθμεύει ναῦς ἀπὸ τῆς Εὐρώπης ἐς τὴν Ἀσίαν σταδίους μάλιστά που τέτταρας—τουτὶ γὰρ τὸ ἐν μέσῳ τοῖν ἐθνοῖν—καὶ αὐτερέται πλέουσιν. Ἰδοὺ καὶ πεῖσμα βάλλονται, δέχεται δὲ αὐτοὺς οἰκία μάλα ἡδεῖα θαλάμους ὑποφαίνουσα καὶ ἀνδρῶνας καὶ θυρίδων ἴχνη, καὶ τεῖχος δὲ περιβέβληται καὶ ἐπάλξεις ἔχει. Τὸ δὲ κάλλιστον αὐτῆς, ἡμίκυκλος περιέστηκε στοὰ τῇ θαλάσσῃ κιρροειδὴς ὑπὸ τοῦ ἐν αὐτῇ λίθου. Γένεσις ἐκ πηγῶν τῷ λίθῳ· θερμὸν γὰρ νᾶμα ὑπεκρέον τὰ τῆς κάτω Φρυγίας ὄρη καὶ τὸ ῥεῦμα εἰς τὰς λιθοτομίας ἐσάγον ὑπόμβρους ἐργάζεται τῶν πετρῶν ἐνίας καὶ ὑδατώδη ποιεῖ τὴν ἔκφυσιν τῶν λίθων, ὅθεν αὐτῶν καὶ πολλὰ τὰ χρώματα. Θολερὸν μὲν γὰρ ἔνθα λιμνάζει κιρροειδὲς δίδωσι, καθαρὸν δὲ ὅπου κρυσταλλοειδὲς ἐκεῖθεν, καὶ ποικίλλει τὰς πέτρας ἐν πολλαῖς διαπινόμενον ταῖς τροπαῖς. Ἡ ἀκτὴ δὲ ὑψηλὴ καὶ τοιοῦδε μύθου φέρει σύμβολα. Κόρη καὶ παῖς ἄμφω καλὼ καὶ φοιτῶντε ταὐτῷ διδασκάλῳ προσεκαύθησαν ἀλλήλοις καὶ περιβάλλειν οὐκ οὔσης ἀδείας ὥρμησαν ἀποθανεῖν ἀπὸ ταυτησὶ τῆς πέτρας κἀντεῦθεν ἤρθησαν εἰς τὴν θάλασσαν ἐν ὑστάταις καὶ πρώταις περιβολαῖς. Καὶ ὁ Ἔρως ἐπὶ τῇ πέτρᾳ τείνει τὴν χεῖρα ἐς τὴν θάλατταν, ὑποσημαίνων τὸν μῦθον ὁ ζωγράφος. Ἡ δὲ ἐφεξῆς οἰκία, χηρεύει τι γύναιον ἐξεληλυθὸς τοῦ ἄστεος δι´ ὄχλον νέων· ἁρπάσεσθαι γὰρ αὐτὸ ἔφασαν καὶ ἀφειδῶς ἐκώμαζον καὶ δώροις ἐπείρων. Ἡ δ´ οἶμαι κομψόν τι ἐς αὐτοὺς ἔχουσα κνίζει τὰ μειράκια καὶ δεῦρο ὑπεξελθοῦσα οἰκεῖ τὴν ἐχυρὰν ταύτην οἰκίαν. Σκέψαι γὰρ ὡς ὠχύρωται· κρημνὸς τῇ θαλάττῃ ἐφέστηκε τὰ μὲν κλυζόμενα ὑπωλισθηκώς, τὰ δὲ ἄνω ὑπερκείμενος ἔφαλόν τινα ταύτην ἀνέχων οἰκίαν, ὑφ´ ἧς καὶ ἡ θάλαττα κυανωτέρα φαίνεται καθιεμένων ἐς αὐτὴν τῶν ὀφθαλμῶν, καὶ ἡ γῆ παρέχεται τὰ νεὼς πάντα πλὴν τοῦ κινεῖσθαι. Ἐς τοῦτο ἥκουσαν τὸ φρούριον οὐδὲ ὣς ἀπολελοίπασιν αὐτὴν οἱ ἐρῶντες, ἀλλ´ ὁ μὲν κυανόπρῳρον, ὁ δὲ χρυσόπρῳρον, ὁ δὲ ἄλλος ἄλλο τι τῶν ποικίλων ἀκατίων ἐμβεβηκὼς πλεῖ, κῶμος αὐτῇ, καλοί τε καὶ ἐστεφανωμένοι. Καὶ ὁ μὲν αὐλεῖ, ὁ δὲ κροτεῖν φησιν, ὁ δὲ ᾄδει οἶμαι, στεφάνους δὲ ἀναρριπτοῦσι καὶ φιλήματα. Καὶ οὐδὲ ἐρέττουσιν, ἀλλ´ ἐπέχουσι τὴν εἰρεσίαν καὶ ἐφορμίζονται τῷ κρημνῷ. Τὸ δὲ γύναιον ἀπὸ τῆς οἰκίας οἷον ἐκ περιωπῆς ὁρᾷ ταῦτα καὶ γελᾷ κατὰ τοῦ κώμου, χλιδῶσα εἰς τοὺς ἐρῶντας ὡς οὐ πλεῖν μόνον, ἀλλὰ καὶ νεῖν ἀναγκάζουσα. Καὶ ποίμναις ἐντεύξῃ προχωρῶν καὶ μυκωμένων ἀκούσῃ βοῶν καὶ συρίγγων βοὴ περιηχήσει σε καὶ κυνηγέταις ἐντεύξῃ καὶ γεωργοῖς καὶ ποταμοῖς καὶ λίμναις καὶ πηγαῖς—ἐκμέμακται γὰρ ἡ γραφὴ καὶ τὰ ὄντα καὶ τὰ γινόμενα καὶ ὡς ἂν γένοιτο ἔνια, οὐ διὰ πλῆθος αὐτῶν ῥᾳδιουργοῦσα τὴν ἀλήθειαν, ἀλλ´ ἐπιτελοῦσα τὸ ἑκάστου οἰκεῖον, ὡς[ανεὶ] κἂν εἰ ἕν τι ἔγραφεν—ἔστ´ ἂν ἐφ´ Ἱερὸν ἀφικώμεθα. Καὶ τὸν ἐκεῖ νεὼν οἶμαι ὁρᾷς καὶ στήλας, αἳ περιίδρυνται αὐτῷ, καὶ τὸν ἐπὶ τῷ στόματι πυρσόν, ὃς ἤρτηται ἐς φρυκτωρίαν τῶν νεῶν, αἳ πλέουσιν ἐκ τοῦ Πόντου. „Τί οὖν οὐκ ἐπ´ ἄλλο ἄγεις; ἱκανῶς γάρ μοι τὰ τοῦ Βοσπόρου διανενόηται.“ Τί φήσεις; λέλοιπέ με τὸ τῶν ἁλιέων, ὃ κατ´ ἀρχὰς ἐπηγγειλάμην. Ἵν´ οὖν μὴ περὶ σμικρῶν διεξίοιμεν, ἀλλὰ περὶ ὧν λέγειν ἄξιον, τοὺς μὲν καλάμῳ θηρῶντας ἢ κύρτῳ τεχνάζοντας ἢ εἴ τις ἀνιμᾷ δίκτυον ἢ ἐναράττει τρίαιναν, ἀφέλωμεν τοῦ λόγου—σμικρὸν γὰρ ἀκούσει περὶ αὐτῶν καὶ φανεῖταί σοι μᾶλλον ἡδύσματα τῆς γραφῆς— τοὺς δὲ ἐπιχειροῦντας τοῖς θύννοις ἴδωμεν· ἄξιοι γὰρ οὗτοι λόγου διὰ μέγεθος τῆς θῆρας. Φοιτῶσιν οἱ θύννοι τῇ ἔξω θαλάττῃ παρὰ τοῦ Πόντου γένεσιν ἐν αὐτῷ σχόντες καὶ νομὰς τὰς μὲν ἰχθύων, τὰς δὲ ἰλύων καὶ χυμῶν ἑτέρων, οὓς Ἴστρος ἐς αὐτὸν φέρει καὶ Μαιῶτις, ὑφ´ ὧν γλυκύτερος καὶ ποτιμώτερος ἄλλης θαλάττης ὁ Πόντος. Νέουσι δὲ οἷον στρατιωτῶν φάλαγξ ἐπὶ ὀκτὼ καὶ ἐφ´ ἑκκαίδεκα καὶ δὶς τόσοι καὶ ὑποκυματίζουσιν ἀλλήλοις, ἄλλος ἄλλῳ ἐπινέοντες, τοσοῦτον βάθος ὅσον αὐτῶν τὸ εὖρος. Ἰδέαι μὲν οὖν, καθ´ ἃς ἁλίσκονται, μυρίαι· καὶ γὰρ σίδηρον ἔστιν ἐπ´ αὐτοὺς θήξασθαι καὶ φάρμακα ἐπιπάσαι καὶ μικρὸν ἤρκεσε δίκτυον, ὅτῳ ἀπόχρη καὶ σμικρόν τι τῆς ἀγέλης. Ἀρίστη δὲ ἥδε ἡ θήρα· σκοπιωρεῖται γάρ τις ἀφ´ ὑψηλοῦ ξύλου ταχὺς μὲν ἀριθμῆσαι, τὴν δὲ ὄψιν ἱκανός. Δεῖ γὰρ αὐτῷ πεπηγέναι μὲν τοὺς ὀφθαλμοὺς ἐς τὴν θάλατταν ἐξικνεῖσθαί τε πορρωτάτω, κἂν ἐμβάλλοντας τοὺς ἰχθῦς ἴδῃ, βοῆς τε ὡς μεγίστης δεῖ αὐτῷ πρὸς τοὺς ἐν τοῖς ἀκατίοις, καὶ τὸν ἀριθμὸν λέγει καὶ τὰς μυριάδας αὐτῶν, οἱ δὲ ἀποφράξαντες αὐτοὺς βαθεῖ καὶ κλειστῷ δικτύῳ δέχονται λαμπρὰν ἄγραν, ὑφ´ ἧς καὶ πλουτεῖν ἕτοιμον τῷ τῆς θήρας ἡγεμόνι. Βλέπε πρὸς τὴν γραφὴν ἤδη· κατόψει γὰρ αὐτὰ καὶ δρώμενα. Ὁ μὲν σκοπιωρὸς ἐς τὴν θάλατταν βλέπει διαπέμπων τοὺς ὀφθαλμοὺς ἐς τὴν τοῦ ἀριθμοῦ σύλληψιν, ἐν γλαυκῷ δὲ τῷ τῆς θαλάττης ἄνθει τὰ τῶν ἰχθύων χρώματα μέλανες μὲν οἱ ἄνω δοκοῦσιν, ἧττον δ´ οἱ ἐφεξῆς, οἱ δὲ μετ´ ἐκείνους ἤδη παραψεύδονται τὴν ὄψιν, εἶτα σκιώδεις, εἶτα ὑδαροὶ ὑπονοῆσαι· καταβαίνουσα γὰρ ἐς τὸ ὕδωρ ἡ ὄψις ἀμβλύνεται διακριβοῦν τὰ ἐν αὐτῷ. Ὁ δὲ τῶν ἁλιέων δῆμος ἡδεῖς καὶ ξανθοὶ τὴν χρόαν ὑπὸ τοῦ θέρεσθαι. Καὶ ὁ μὲν τὴν κώπην ζεύγνυσιν, ὁ δὲ ἐρέττει μάλα διεξῳδηκότι τῷ βραχίονι, ὁ δὲ ἐπικελεύεται τῷ πέλας, ὁ δὲ παίει τὸν μὴ ἐρέττοντα. Βοὴ δὲ ἦρται τῶν ἁλιέων ἐμπεπτωκότων ἤδη τῶν ἰχθύων εἰς τὸ δίκτυον. Καὶ τοὺς μὲν ᾑρήκασι, τοὺς δὲ αἱροῦσιν. Ἀμηχανοῦντες δὲ ὅ τι χρήσονται τῷ πλήθει καὶ παρανοίγουσι τοῦ δικτύου καὶ συγχωροῦσιν ἐνίους διαφυγεῖν καὶ διεκπεσεῖν· τοσοῦτον ἐς τὴν θήραν τρυφῶσιν

XII. LE BOSPHORE.

Ces femmes que tu vois sur le rivage (a) poussent des cris ; elles semblent recommander aux chevaux de ne point jeter bas les enfants qui les montent, de ne point prendre le mors aux dents, d'atteindre à la course et de fouler aux pieds les bêtes fauves ; les chevaux entendent, j'imagine, et se montrent dociles. De retour, les chasseurs, après avoir pris leur repas, traversent sur un navire le détroit de quatre stades (b) environ qui sépare l'Europe de l'Asie; ils tiennent eux-mêmes les rames. Déjà ils jettent l'amarre (c), ils sont reçus dans une maison charmante qui laisse voir des chambres intérieures, des salles pour les hommes (d), des constructions percées de petites fenêtres ; elle est située au milieu d'une enceinte formée par un mur à créneaux. Mais ce qu'elle offre de plus attrayant, c'est le long de la mer un portique semi-circulaire, bâti de pierres jaunâtres (e). Ces pierres doivent leur origine à l'action des eaux ; au pied des montagnes de la basse Phrygie jaillit une source chaude qui pénètre dans les carrières, arrose quelques-unes des roches et communique une nature aqueuse aux pierres qui se forment : de là une coloration variée. Là où l'eau s'étend en nappe dormante et jaunâtre, les pierres ont un aspect terreux ; elles ont la transparence du cristal là où l'eau est limpide ; changeant avec chacune des nombreuses fissures qui la reçoivent, elle donne des teintes différentes aux différentes couches de la carrière. Le rivage 259 est élevé ; une légende qui s'y rattache nous est rappelée par allégorie. Une belle jeune fille et un bel adolescent, élèves du même maître, se sont épris d'un amour mutuel, et ne pouvant se jeter en sécurité dans les bras l'un de l'autre, ils ont résolu de mourir; du haut de ce rocher ils se sont précipités dans la mer, étroitement enlacés pour la première et la dernière fois. Éros, sur le rocher, étend la main vers la mer ; voilà comment le peintre nous fait souvenir de la Fable. — Dans la maison voisine habite une veuve que les jeunes gens, par leurs importunités, ont forcée de quitter la ville ; ils prétendaient l'enlever et, dans cette espérance, ils se réunissaient sans cesse pour des promenades nocturnes et la tentaient par des présents. Celle-ci, par une adroite coquetterie, pique au jeu les jeunes gens et se retire furtivement en ce pays, où elle habite un château fortifié. Vois comme la place est bien défendue : la falaise qui domine la mer se retire et se creuse près du flot ; à sa partie supérieure elle s'avance et suspend sur la mer la maison qu'elle supporte ; si bien que l'eau, vue par dessous cet escarpement (f), paraît d'un bleu plus sombre, et que la terre, au mouvement près, ressemble de tous points à un navire. Pour être venue dans cette forteresse, elle n'a point découragé ses poursuivants. Ils se sont jetés, celui-ci dans une barque à la proue d'azur, celui-là dans une autre à la proue d'or ; leur flottille étale mille couleurs ; comme de joyeux convives, les voilà parés et couronnés ; l'un joue de la flûte, l'autre bat des mains (g), un troisième chante, je crois; ils jettent leurs couronnes, ils envoient des baisers ; d'ailleurs tout mouvement des raines est suspendu ; ils relâchent au pied du précipice. De sa maison comme d'un observatoire la jeune femme contemple cette scène, et rit de cet appareil de fête (h), toute fière d'avoir forcé ses poursuivants non seulement à s'embarquer, mais encore à nager pour aborder (i). Plus loin tu rencontreras des troupeaux de brebis, tu entendras les bœufs mugir, la syrinx retentira partout à tes oreilles ; voici des chasseurs et des laboureurs, des fleuves, des étangs, des sources, tout est dans cette peinture, ce qui est, ce qui a été, on y voit même comment certaines choses doivent se passer dans l'avenir (j), et la multitude des objets ne nuit en rien à l'exactitude de la représentation; tout est aussi achevé que si l'artiste n'eût eu qu'un seul objet à peindre. Nous arrivons ainsi à Hiéron (k). Là tu aperçois, je pense, un temple entouré de colonnes, et à l'entrée du détroit, le fanal élevé qui sert de guide aux navigateurs venant du Pont. —Mais n'as-tu point une autre scène à nous expliquer ? Le Bosphore nous a retenus assez longtemps (l). — Ne t'impatiente pas, je n'ai pas tout dit : restent les pêcheurs dont j'avais promis 260 tout d'abord de parler (m). Pour négliger les détails et ne nous attacher qu'aux choses qui en valent la peine, laissons de côté les pêcheurs à la ligne, ceux qui se servent de la nasse insidieuse, ceux qui retirent le filet ou harponnent avec la fourche à trois dents ; je n'aurais que peu de chose à en dire ; il ne sont là, comme tu le penseras avec moi, que pour jeter de l'agrément dans le tableau. Mais considérons ceux qui prennent des thons : c'est une pêche assez importante pour mériter d'être décrite. Les thons nés dans le Pont-Euxin où ils se nourrissent en partie de poissons, en partie du limon et autres matières fangeuses qu'y charrie l'Ister et le Palus Maeotis et qui en rendent les eaux plus douces et plus potables que celles de toute autre mer ; les thons, dis-je, passent dans la mer extérieure, semblables à une phalange de soldats. Us nagent par colonnes de huit, de seize, de trente-deux, superposés les uns aux autres, et s'étendant en profondeur autant qu'en largeur (n). On les prend de mille manières différentes ; un fer à la pointe acérée, un appât jeté à la surface de l'eau, un léger filet, ces moyens suffisent à qui se contente d'une petite partie de la bande, mais voici le procédé le meilleur: un homme prompt à compter et doué d'une excellente vue se tient en observation à l'extrémité d'une perche ; il faut qu'il ait les yeux fixés sur la mer et qu'il étende ses regards le plus loin possible. Voit-il les thons entrer dans ses eaux, il a besoin d'une voix puissante pour avertir les pêcheurs qui se tiennent dans leurs barques; il dit de combien de milliers se compose la troupe et ceux-ci, barrant le passage aux thons, et les enveloppant avec un filet qui descend très bas (o), font une pèche brillante capable d'enrichir le patron de l'escadrille. Regarde maintenant la peinture, tu y verras tous ces détails. L'homme en observation fixe les yeux sur la mer pour se rendre compte du nombre ; dans l'éclat verdâtre des eaux, on distingue les poissons à la couleur ; les plus près de la surface paraissent noirs ; ceux qui suivent le sont moins ; le troisième rang en profondeur se dérobe à la vue ; puis ce n'est qu'une ombre ; puis ils se confondent avec l'eau ; puis il faut les deviner, le regard s'affaiblissant et perdant de sa netteté à mesure qu'il descend plus bas sous les flots. Le peuple des pêcheurs, au teint hâlé par le soleil, fait plaisir à voir. L'un attache son aviron ; l'autre montre en ramant un bras tout gonflé par l'effort ; celui-ci encourage son voisin ; celui-là frappe un rameur paresseux. Un cri s'est élevé parmi les pêcheurs, au moment où les poissons se jettent dans le filet; de ceux-ci les uns sont pris, les autres se laissent prendre. Ne sachant que faire d'une si grande multitude les pêcheurs entr'ouvrent le  261 filet et permettent à quelques-uns de s'échapper : tant la pêche est abondante !

COMMENTAIRE.

Le Bosphore de Thrace, suivant Polybe (1), était large de 14 stades entre Byzance et Chalcédoine, et de 12 stades à l'extrémité opposée. Vers le milieu de sa longueur, rétréci par un promontoire de la côte de Thrace, nommé Hermaion (2), il ne conservait plus que  5 stades. Le peintre avait choisi pour la représenter la partie la plus resserrée du détroit, puisque, selon Philostrate, les chasseurs n'avaient que 4 stades à parcourir pour passer d'Europe en Asie. Mais Philostrate, n'ayant pas sans doute d'échelle, pouvait, dira-t-on, se tromper sur la distance ; on conviendra cependant qu'un peintre, voulant représenter les deux rives d'un détroit, était presque contraint de choisir le point où elles se rapprochaient l'une de l'autre, afin de ne point diminuer dans une trop grande mesure la taille des personnages et les proportions des objets. Gomme, d'un autre côté, on apercevait dans le tableau le fanal servant de guide aux navigateurs qui venaient du Pont, on peut affirmer que l'artiste avait représenté le Bosphore depuis son étranglement jusqu'au point le plus septentrional.

La même étendue de terrain s'offrait-elle au regard plus sur une rive que sur l'autre ? Cela n'est guère probable. En effet Philostrate ne place qu'une seule scène sur la côte d'Europe, la chasse mentionnée dans les premières lignes de la description; puis il suit le rivage d'Asie, et nulle part il ne semble l'abandonner pour repasser en Europe. D'ailleurs, si l'on réfléchit que le détroit allait s'élargissant à mesure qu'il se rapprochait du Pont, on comprendra que, dans l'intérêt même de la vraisemblance, l'artiste ait pu être amené à ne représenter qu'une seule rive dans tout son développement. Sur une langue de terre placée à gauche et s'avançant plus ou moins dans le détroit, on apercevait des jeunes gens qui montaient des chevaux, peut-être des femmes qui les suivaient d'un œil attentif, et c'était tout : sur la côte d'Asie, au contraire, se déroulaient des scènes nombreuses et variées.

Philostrate décrit tout d'abord ce rivage, mais la première chose qui l'avait frappé à la vue de ce tableau, c'était moins ce rivage d'Asie que la pêche des thons. Telle est du moins la conjecture à laquelle conduit cette phrase : «restent les pêcheurs dont j'avais promis de parler». On peut en conclure jusqu'à un certain point que la pêche, au lieu d'être reléguée, comme Welcker paraît le penser, à l'extrémité du détroit, en occupait une grande partie et plutôt les premiers plans que les derniers.

Sur le devant, une barque poussée par des rameurs se dirigeait vers le 262 rivage d'Asie. Quels étaient ces personnages? Philostrate nous dit que c'étaient les mêmes jeunes gens qu'il nous montrait tout à l'heure poursuivant les bêtes sauvages sur la côte d'Europe. Ils seraient donc représentés deux fois. Bien qu'il n'y ait rien là de contraire aux habitudes de l'art antique, cependant il peut se faire que Philostrate se soit trompé; des chasseurs sur une rive, une barque traversant un détroit, ce sont là deux scènes qui ne sont pas nécessairement liées entre elles ; Philostrate aurait bien dû nous apprendre à quels signes il reconnaît les mêmes personnes sur les flots et sur la terre. Il semble s'étonner qu'ils rament eux-mêmes ; en effet les chasseurs doivent être gens de bonne maison, faisant ramer, et ne ramant pas; mais cette circonstance même pourrait bien prouver que nos rameurs ne sont pas les chasseurs de la côte. D'ailleurs qu'ont-ils fait de leurs chevaux? Il faut donc supposer que les chevaux ont leur écurie en Europe et les maîtres leur habitation en Asie. La chose sans doute n'est pas impossible, mais que Philostrate ait deviné tout cela en présence delà peinture, c'est ce qui nous paraît plus invraisemblable. Notre sophiste compose un récit qui lui plaît, sans trop se soucier de l'intention du peintre.

La maison vers laquelle se dirigent les rameurs ne doit pas nous surprendre. Dans certaines peintures murales de Pompéi et d'Herculanum (3), Ton retrouve aussi des murs à créneaux, de petites fenêtres, des portiques semi-circulaires, disposés le long d'un rivage; on n'y distingue pas, il est vrai, les andrônes, ou salles de festin pour les hommes, qui naturellement n'étaient point à découvert ; mais toute maison complète devant les posséder, il est facile de les supposer là même où on ne les voit pas et c'est sans doute ce qu'a fait Philostrate.

Plus loin, toujours sur la même rive, les yeux rencontraient un rocher sur lequel Éros se tenait debout, la main tendue du côté de la mer, comme pour indiquer un endroit mémorable dans les fastes de l'amour. Philostrate invente-t-il la fable qu'il raconte pour expliquer le geste d'Éros, ou puise-t-il dans le trésor des légendes locales ? Nous ne savons : Leucade, depuis Sapho, avait en Grèce le triste privilège d'être choisi par les amants délaissés pour témoin de leur suicide ; mais rien n'empêche que la côte d'Asie n'ait eu aussi son rocher de Leucade.

Près de ce rocher, sur la falaise, creusée à sa partie inférieure par la mer, s'élevait une maison, habitée, dit Philostrate, par une jeune femme, par une veuve. Où notre auteur a-t-il pris que cette femme était une veuve ? Voilà sans doute encore un de ces traits qu'il demande uniquement à son imagination : cette femme vit isolée, dans une espèce de château fort; elle est poursuivie par toute une bande de jeunes gens, qui ont découvert le lieu de sa retraite. Ce n'est point une jeune fille ; elle serait restée, jusqu'à l'enlèvement, dans la maison paternelle ; ce n'est point une femme mariée ; les mœurs 263 grecques l'auraient défendue contre des tentatives de ce genre ; elle ne peut donc être qu'une courtisane ou une veuve ; la courtisane n'y met point tant de façons ; elle n'habite point un lieu sauvage ; il n'est pas besoin de l'enlever ; donc c'est une veuve, une veuve qui a quitté la ville pour se dérober à des importunités trop pressantes, mais une veuve coquette, qui, en se dérobant, n'a point su décourager les espérances et les désirs de ses poursuivants.

D'après la description de Philostrate, on dirait que chacun des poursuivants a sa barque, montée sans doute par des rameurs mercenaires. Notre auteur les voit couronnés, puis jetant des couronnes : entendez que les uns ont encore leur couronne, que les autres l'ont arrachée de leur tête et font le geste de la lancer. Quant aux barques elles-mêmes, il est difficile de dire quelle en était la forme; c'étaient des acatia; or le mot acation, diminutif d'acatos, semble avoir désigné une embarcation légère,servant au service d'un port 4). Une poupe arrondie et courbée en dedans, une proue terminée le plus souvent en chénisque, c'est-à-dire par un cou d'oie, plus ou moins dressé, plus ou moins replié, un corps étroit et peu long, tels sont les caractères des barques de pêche ou de plaisance que les peintures de Pompéi et d'Hercula-num offrent à notre étude (5)  Les acatia du Bosphore n'en devaient pas différer beaucoup.

Le paysage que nous décrit ensuite Philostrate pourrait à lui seul composer tout un tableau ; il faut supposer que l'intervalle entre cette maison de la veuve et l'Hiéron était considérable ou que la rive d'Asie décrivant une courbe laissait voir une plus vaste étendue de terrain au delà d'elle-même, à mesure que l'œil s'éloignait des premiers plans. L'Hiéron n'était autre qu'un temple. Près de là se dressait une tour sans doute à plusieurs étages, avec fenêtres s'ouvrant sur le détroit et sur le Pont-Euxin, semblable au Phare de l'île de Pharos, en face d'Alexandrie.

Philostrate décrit la pêche des thons avec un luxe de détails qui nous dispense de tout commentaire. Un observateur se tient à l'extrémité d'un bois, dit le texte; on serait tenté de croire qu'il est monté sur un mât de navire. Welcker entend par ce bois une perche, fichée en terre sur le rivage, et cette supposition paraît vraisemblable, si l'on réfléchit que Philostrate oppose cet homme à ceux qui sont dans les embarcations. Les pêcheurs se servent sans doute d'une espèce de courantille ou scombrière qu'ils promènent en cercle sur le Bosphore; c'est un filet composé de plusieurs autres ; aussi notre auteur s'exprime-t-il, tantôt comme s'il n'y en avait qu'un seul, tantôt comme si chaque pêcheur avait le sien. Cette observation peut aider aussi à comprendre pourquoi les attitudes et les mouvements des pêcheurs sont divers, pourquoi parmi les poissons les uns sont déjà pris, et les 264 autres vont l'être. L'escadrille tout entière concourt à livrer le passage aux thons, mais chaque barque fait sa pêche.

Dans son ensemble, ce tableau du Bosphore nous parait surtout curieux parce qu'il nous montre comment les anciens peintres entendaient le mélange de la réalité et de la fantaisie ; cette pêche des thons, ce Hiéron à l'entrée du détroit, ce fanal guidant les navigateurs, ce sont des traits pris dans la nature elle-même; la fantaisie a fourni les agréments du tableau, la chasse sur une des rives, les constructions éparses sur l'autre, cette expédition sur mer de jeunes gens amoureux, ce geste d'Eros qui rappelle une touchante histoire d'amour.

(1) IV, 39.

(2) Polyb., IV,43.

(3) Voir par ex. Antiq. d'Herc., V, 3, p. 295 et p. 273 ; Roux, III, 5e série, pl. XIII et VIII.

(4) Voir le Dictionn. des antiq., au mot Acatos.

(5) Voir par ex. Ant. d'Herculanum, II, p. 273, 295, 277, 281 ; Roux, III, 5e série, pl. VIII, XIII, XX, XXIII.
 

 

ΣΕΜΕΛΗ

Βροντὴ ἐν εἴδει σκληρῷ καὶ Ἀστραπὴ σέλας ἐκ τῶν ὀφθαλμῶν ἱεῖσα πῦρ τε ῥαγδαῖον ἐξ οὐρανοῦ τυραννικῆς οἰκίας ἐπειλημμένον λόγου τοιοῦδε, εἰ μὴ ἀγνοεῖς, ἅπτεται. Πυρὸς νεφέλη περισχοῦσα τὰς Θήβας εἰς τὴν τοῦ Κάδμου στέγην ῥήγνυται κωμάσαντος ἐπὶ τὴν Σεμέλην τοῦ Διός, καὶ ἀπόλλυται μέν, ὡς δοκοῦμεν, ἡ Σεμέλη, τίκτεται δὲ Διόνυσος οἶμαι νὴ Δία πρὸς τὸ πῦρ. Καὶ τὸ μὲν τῆς Σεμέλης εἶδος ἀμυδρὸν διαφαίνεται ἰούσης ἐς οὐρανόν, καὶ αἱ Μοῦσαι αὐτὴν ἐκεῖ ᾄσονται, ὁ δὲ Διόνυσος τῆς μὲν μητρὸς ἐκθρῴσκει ῥαγείσης τὴν γαστέρα, τὸ δὲ πῦρ ἀχλυῶδες ἐργάζεται φαιδρὸς αὐτὸς οἷον ἀστήρ τις ἀπαστράπτων. Διασχοῦσα δὲ ἡ φλὸξ ἄντρον τι τῷ Διονύσῳ σκιαγραφεῖ παντὸς ἥδιον Ἀσσυρίου τε καὶ Λυδίου· ἕλικές τε γὰρ περὶ αὐτὸ τεθήλασι καὶ κιττοῦ κόρυμβοι καὶ ἤδη ἄμπελοι καὶ θύρσου δένδρα οὕτω τι ἑκούσης ἀνασχόντα τῆς γῆς, ὡς κἀν τῷ πυρὶ εἶναι ἔνια. Καὶ οὐ χρὴ θαυμάζειν, εἰ στεφανοῖ τὸ πῦρ ἐπὶ τῷ Διονύσῳ ἡ γῆ, ἥ γε καὶ συμβακχεύσει αὐτῷ καὶ οἶνον ἀφύσσειν ἐκ πηγῶν δώσει γάλα τε οἷον ἀπὸ μαζῶν ἕλκειν τὸ μὲν ἐκ βώλου, τὸ δὲ ἐκ πέτρας. Ἄκουε τοῦ Πανός, ὡς τὸν Διόνυσον ᾄδειν ἔοικεν ἐν κορυφαῖς τοῦ Κιθαιρῶνος ὑποσκιρτῶν τι εὔιον. Ὁ Κιθαιρὼν δὲ ὀλοφύρεται ἐν εἴδει ἀνθρώπου τὰ μικρὸν ὕστερον ἐν αὐτῷ ἄχη καὶ κιττοῦ φέρει στέφανον ἀποκλίνοντα τῆς κεφαλῆς—στεφανοῦται γὰρ δὴ αὐτῷ σφόδρα ἄκων—ἐλάτην τε αὐτῷ παραφυτεύει Μέγαιρα καὶ πηγὴν ἀναφαίνει ὕδατος ἐπὶ τῷ Ἀκταίωνος οἶμαι καὶ Πενθέως αἵματι

XIII. SEMELE

Ce personnage au visage farouche, c'est la Foudre ; cet autre, dont les yeux jettent des flammes, c'est l'Éclair ; leur présence jointe à ce feu violent qui du ciel s'est abattu sur la maison royale, nous montre, si tu as bon souvenir, que nous avons devant les yeux le sujet suivant. Un nuage de feu, après avoir enveloppé la ville de Thèbes, se déchire sur le palais de Cadmos où Zeus mène joyeuse vie auprès de Sémélé. Sémélé meurt, comme il semble, et Dionysos naît vraiment sous l'action de la flamme (a). On aperçoit l'image effacée de Sémélé qui monte vers le ciel, où les Muses fêteront son arrivée par des chants. Quant à Dionysos, il s'élance du sein maternel ainsi déchiré, et brillant comme un astre, il fait pâlir l'éclat du feu par le sien propre. La flamme s'entr'ouvre, ébauchant autour de Dionysos la forme d'un antre (b); le dieu n'en a point un plus gracieux en Assyrie ni en Lydie. Les hélices (c), les baies du lierre, des vignes déjà robustes, les tiges dont on fait les thyrses en tapissent les contours, et toute cette végétation sort si volontiers de terre, qu'elle croît en partie au milieu du feu. Et ne nous étonnons point que la terre pose sur les flammes comme une couronne de plantes (d), en l'honneur de Dionysos : ne doit-elle pas un jour, s'associant au dieu, connaître les fureurs des Bacchantes, épancher des ruisseaux de vin, et de son sol, de ses rochers même, comme de mamelles, faire jaillir un lait abondant. Écoute le dieu Pan; il semble chanter Dionysos sur les sommets du Cithéron, bondissant çà et là aux cris d'Évoé. Le Cithéron, sous la figure humaine, pleure les malheurs dont un peu plus tard il sera le témoin ; il porte sur la tête une couronne qui s'en échappe, car c'est bien à contre-cœur qu'il s'en est paré. Près de là, Mégaera plante un pied de sapin et fait jaillir une source d'eau vive ; la source sera funeste au chasseur Actéon, le sapin à Penthée (e).

COMMENTAIRE.

Sur le premier plan, Sémélé frappée de la foudre et donnant naissance à Dionysos; les flammes s*écartant devant le jeune dieu et formant autour de lui comme une grotte, qui se revêt de plantes consacrées à sa divinité ; une forme indistincte, l'ombre de Sémélé s'élevant vers le ciel ; sur le second plan, les hauteurs du Cithéron avec un génie qui le personnifie; sur la montagne, le dieu Pan, bondissant de joie, une femme qui tient à la main un pied de sapin, et près d'elle une source jaillissante ; dans les airs deux personnages, deux femmes Astrapé et Bronté, tels sont les éléments et la disposition générale du tableau.

Dans une peinture murale qui autrefois faisait partie de la collection du prince Gargarine (1), Sémélé, vue de côté, est étendue sur un lit; un bras, soutenant la tête, repose sur le dossier; un pied touche à terre; dans cette attitude, elle semble faire effort pour se soulever, mais la tête, rejetée en arrière, atteste que cet effort est inutile ; la mort, dirait-on, l'a surprise au moment où elle se redressait. La partie supérieure du corps est nue, ou plutôt enveloppée d'un chiton qui laisse à découvert la poitrine et l'avant-bras ; des plis d'un large himation, drapé sur les jambes, on ne voit sortir que les pieds, raidis par l'agonie suprême. Nous ne saurions dire avec certitude si Sémélé était ainsi représentée dans le tableau que nous décrit Philostrate ; mais il nous plaît assez de le supposer, tant il y a de vérité dans l'attitude de cette figure ! tant la grâce, qui semble inséparable du mouvement, et la rigidité, qui est propre au cadavre, s'unissent ici heureusement pour représenter, dans Sémélé, le passage de la vie à la mort ! Sémélé meurt, dit Philostrate ; pour que le sophiste grec parle ainsi, il faut qu'il ait eu devant les yeux une Sémélé semblable à la nôtre. Il est vrai qu'une pareille figure aurait mérité une plus ample description; mais ce qui frappe Philostrate dans un tableau, comme nous avons déjà eu l'occasion de le remarquer, c'est moins le talent de l'artiste, et son esprit d'observation, que les aventures mêmes des personnages.

La peinture du prince Gargarine nous montre aussi le jeune dieu Réchappant du sein de sa mère, mais d'ailleurs plus semblable, par ses formes menues et confuses, à un embryon qu'à un enfant né pour vivre. C'est bien là le Dionysos de la légende qui, prématurément mis au jour, dut entrer dans la cuisse de Jupiter pour accomplir les temps fixés par la nature et attendre une seconde naissance. Était-ce ainsi, que l'artiste, dans le tableau qui nous occupe, avait représenté le jeune dieu ? Ici encore nous sommes réduit à des conjectures. « Dionysos s'élance, dit Philostrate, du sein déchiré de sa 299 mère et brillant comme un astre, il fait pâlir l'éclat du feu par le sien propre. » Ces paroles semblent caractériser un enfant d'une agilité et d'une vigueur surnaturelles, et ne nous permettent guère de penser à un être né avant terme. D'un autre côté, Dionysos exerce déjà sa puissance ; la flamme s'entr'ouvre ; une grotte, semblable à celle où il devait être porté plus tard par Hermès et accueilli par les Nymphes est là pour le recevoir : il est évident que Philostrate ne songe pas qu'il puisse y avoir pour le dieu une seconde naissance, et s'il n'y songe pas, c'est que l'artiste avait donné à Dionysos toutes les apparences d'un enfant, qui n'a point devancé son jour. On ne saurait donc ici, croyons-nous, se représenter Dionysos, comme nous le voyons dans la peinture du prince Gargarine.

Philostrate fait de la grotte une description étendue, probablement complète : mais il ne nous dit point quelle était sa position dans le tableau. Il nous semble qu'on doit se la figurer comme placée à droite ou à gauche delà composition, et se présentant à peu près de trois quarts, sur le même plan que Sémélé ; en effet, pour être vue de face, il eût fallu qu'elle eût été plus enfoncée dans le tableau que Sémélé et comme il est naturel que le jeune dieu s'élance du sein de sa mère dans la grotte préparée pour le recevoir, Sémélé et Dionysos tourneraient ainsi le dos au spectateur.

A côté et au-dessus du lit, on apercevait l'image confuse d'une femme s'élevant vers le ciel ; c'était l'ombre de Sémélé. Welcker nous parait se tromper en pensant que Sémélé n'était représentée qu'une seule fois et sous les apparences indécises d'une ombre qui s'évanouit. On conçoit mal Bacchus naissant d'une forme vague et sans consistance, suspendue au milieu des airs. D'ailleurs l'art grec a plus d'une fois représenté les mourants, et leur ombre planant au-dessus d'eux. Sur une œnochoé de style archaïque, une figure ailée, que les archéologues regardent comme l'image d'une âme récemment mise en liberté, se balance au-dessus de la tête d'un géant vaincu et terrassé (2). Dans quelques peintures de vases qui représentent Achille traînant Hector attaché à son char, on aperçoit un tombeau, et au-dessus du tombeau l'ombre du héros, dont Achille venge la mort. Ailleurs, quand le mourant est un guerrier, la petite figure est quelquefois armée et pourvue d'ailes. Sur le célèbre bas-relief qui représente, en plusieurs scènes, la légende de Prolésilas, derrière ce héros, étendu sur le sol, se dresse une figure voilée qui ne peut être que son ombre ; car Hermès armé du caducée se tient debout devant elle, pour la conduire au séjour des morts (3). Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que Sémélé ait été représentée, dans 267 notre tableau, tout à la fois sous les traits d'une femme qui meurt et comme une ombre qui s'éloigne de la terre. Sémélé sera reçue dans le ciel par les Muses, dit Philostrate ; ces paroles ne nous autorisent point à croire que les Muses étaient représentées dans ce tableau. Notre auteur s'est rappelé sans doute que les Muses avaient chanté au mariage de Gadmos avec Harmonie, la fille d'Ares et d'Aphrodite ; il était naturel de penser qu'elles avaient dû accueillir au ciel, Sémélé, née de cette union, et d'ailleurs aimée de Jupiter. Philostrate, non content de décrire la scène qu'il a sous les yeux, voit en imagination celle qui doit suivre, mais que l'artiste n'aurait pu représenter, sans nous montrer Sémélé une troisième fois et compliquer singulièrement la composition de son tableau.

Le mont Cithéron n'était point, dans la réalité, situé tout près de Thèbes, mais rien n'empêchait l'artiste de nous le faire voir, soit qu'il l'eût placé dans le lointain, soit qu'usant d'un privilège, toujours accordé à l'art, il eût rapproché les distances. Cette montagne joue un rôle important dans l'histoire fabuleuse de Thèbes et de Dionysos ; l'idée d'en faire le fond d'un tableau qui représentait la naissance du dieu, devait venir naturellement à l'esprit de l'artiste. Le Cithéron était personnifié par un génie, mis sans doute sur un rocher, comme le génie du mont Olympe, dans la chute de Phaéthon (4) ou le génie du mont Latmos dans les amours d'Bndymion et de Sémélé (5). Sa place n'est point indiquée par Philostrate ; dans les bas-reliefs antiques, que nous possédons, ces sortes de génies occupent tantôt un côté, tantôt le centre de la composition : les artistes ne paraissent avoir obéi, sur se point, qu'à des préoccupations de symétrie et d'ordonnance pittoresques. Ici nous avons à placer deux autres personnages sur le Cithéron, Pan et Mégsera; si le Cithéron n'eût été qu'une simple personnification, indiquant le lieu de la scène, nous l'aurions relégué volontiers à droite ou à gauche du tableau ; mais il joue un rôle actif ; il est couronné de lierre en signe de joie ; et sa couronne s'échappe de sa tète, en signe de deuil ; plaçons-le donc, au milieu même de la partie visible de la montagne, entre Pan qui danse en l'honneur de Bacchus et Mégaera, dont la présence ici annonce de terribles événements.

Quant au dieu Pan, qui dansait sur le Cithéron, l'imagination se le représente sans peine, à défaut de description. C'était le dieu aux jambes velues, aux pieds de bouc, au front muni de cornes, que nous rencontrons partout, sur les bas-reliefs et dans les peintures de murs ou de vases. Sa présence d'ailleurs ne saurait nous étonner : Pan est associé à Dionysos par les artistes et les poètes, «c Bacchus ne peut faire un pas sans moi, dit-il dans Lucien ; il m'a choisi pour ami et compagnon de ses danses, et j'en conduis les chœurs (6). » Dans l'expédition du dieu contre les peuples de 268 l'Inde, il effraie les ennemis par ses cris. Une peinture d'Herculanum, appelée par les archéologues l'Éducation de Bacchus, nous représente le dieu, encore enfant, que Silène soulève dans ses bras, et qui tend ses petites mains vers une grappe de raisin, tenue au-dessus de sa tête par une Nymphe ; Pan est là, un genou en terre, étendant un bras et tournant le visage du côté de Silène, une draperie sur l'autre bras ; on dirait qu'il vient d'apporter l'enfant et qu'il s'effraie ou s'émerveille de le voir ainsi s'élancer vers la grappe (7). Un archéologue allemand (8), chez qui les tableaux de Philostrate éveillent toutes sortes de scrupules, se demande pourquoi cet enfant qui vient de naître ne trouve pas une nourrice toute prête à le recevoir : mais cet enfant est un dieu ; mais les merveilles vont se multiplier autour de lui ; et dans cette grotte même, formée parla flamme et le lierre, peut-être les Nymphes du Cithéron se chargeront-elles des soins que réclame l'enfance du dieu. Pan lui-même n'est-il pas là pour rendre au dieu les services qui sur tant d'autres monuments lui sont attribués? Il danse, il est vrai, et ne songe qu'à se réjouir ; mais rien ne dit au critique allemand qu'il ne mettra pas fin à ses transports, qu'il ne descendra pas des hauteurs du Cithéron, qu'il ne prendra pas le jeune dieu pour le porter à Silène et aux Nymphes. Hermès, dira-t-on, est en général chargé de ce soin ; mais la fable n'a point assez bien réglé les attributions des serviteurs ou des compagnons d'une divinité, pour que Pan ne puisse pas prendre la place d'Hermès ; c'est du reste ce qu'il paraît avoir fait dans le tableau d'Herculanum. Hermès qui y figure, assis sur une espèce de tronc d'arbre, tient d'une main une lyre, de l'autre un plectre ; il est venu là en jouant ; mais c'est Pan sans doute qui portait le jeune dieu.

Si, comme le veut Philostrate, le peintre a voulu rappeler au spectateur la tragique aventure de Penthée, dont le Cithéron fut le théâtre, il était naturel d'introduire dans le tableau une de ces déesses que la mythologie antique a chargée de châtier la violation des lois divines et humaines, et surtout les attentats contre les dieux. Mégaera toutefois n'est point une furie contemporaine du meurtre de Penthée ; les anciens poètes ne connaissent qu'Erinnys ou les Erinnyes; c'est à l'époque alexandrine que les Erinnyes ont reçu des poètes un nom qui les distingue l'une de l'autre. Ces considérations ont conduit Brunn (9) à rejeter l'explication de Philostrate, et à en proposer une autre. On lit dans Pausanias (10), dit l'éminent archéologue, que ceux qui sortent de M égare rencontrent une source à droite, et, en avançant un peu, une pierre surnommée le lit d'Actéon; puis suit le récit de l'aventure d'Actéon et la mention de Penthée. Dès lors ne pourrait-on voir dans le personnage que Philostrate croit être une Furie 269 une personnification de la ville de Mégare ? Nous ferons remarquer, en réponse à Brunn, que Mégare est assez éloignée du Cithéron, où a lieu la naissance de Dionysos ; quelle apparence que l'artiste eût songé, à propos d'Actéon, à placer sur le Cithéron la personnification de la ville de Mégare même en supposant une étroite relation entre l'histoire de cette ville et la légende d'Actéon? De plus comment Philostrate aurait-il pu se tromper au point de prendre une Furie pour une divinité locale? Enfin si Philostrate nomme Mégaera, il ne s'ensuit pas forcément que le peintre ait voulu donner à sa Furie ce nom plutôt qu'un autre, et si le peintre avait voulu réellement représenter Mégœra, non un Erinnys quelconque, ce fait prouverait seulement que le tableau a été conçu et exécuté depuis l'époque alexandrine, ce qui n'a rien que de très vraisemblable.

L'attitude de Mégaera a paru singulière. Welcker prétend qu'elle ne pouvait, en même temps, planter un sapin et faire jaillir une source. Nous ne comprenons pas très bien ce scrupule. La Furie avait sans doute le pied posé près de la fente d'un rocher d'où s'échappait une source, et d'une main elle tenait un arbre ; il n'y a rien là que la peinture ne puisse rendre sensible aux yeux. Le seul reproche qu'on serait peut-être en droit de faire à l'artiste, c'est d'avoir été un peu obscur ; c'est d'avoir eu besoin d'un Philostrate, à l'esprit subtil, pour être compris ; mais ce reproche n'est point un de ceux qu'on n'ait jamais eu à faire aux peintres et aux sculpteurs. D'ailleurs Philostrate lui-même peut bien avoir prêté au peintre une intention qu'il n'a point eue ; rien de plus naturel que de représenter une source sur une montagne ; Philostrate, qui sait sa mythologie, pense aussitôt à la source où Diane, se baignant, fut surprise par Àctéon. Mais quel rapport existe-t-il entre la naissance de Dionysos et la curiosité criminelle d'Actéon ?

On conçoit que le peintre ait voulu rappeler au spectateur comment le jeune dieu devait un jour se venger des mépris de Penthée, l'arbre planté par Mégsera n'est autre que le sapin, au sommet duquel le malheureux prince se réfugiera, poursuivi par les Ménades et que celles-ci déracineront, pour s'emparer de leur victime. Mais Actéon n'a jamais rien eu à démêler avec Dionysos ; quoique petit-fils de Gadmos et par conséquent neveu de Sémélé, il a une légende tout à fait distincte de celle de Dionysos. On pourrait répondre que d'après certains récits (11), Actéon aime Sémélé et qu'il mourut pour ce fait, victime de la jalousie de Jupiter I Mais cette explication nous parait trop savante et trop subtile pour être juste; le peintre, croyons-nous, si tant est que la source ait dans le tableau une signification mythologique, aura voulu simplement caractériser le Cithéron : deux faits 270 terribles s'étaient passés sur cette montagne : la mort d'Actéon et celle de Penthée ; les rappeler, c'était indiquer avec plus de précision le lieu témoin de la scène principale du tableau. L'artiste n'eût été répréhensible, que si au lieu de les rappeler, il avait représenté Actéon déchiré par ses chiens et Penthée mis en pièce par les Bacchantes.

(1) Memorie Rom. di Antichita, III, 13 ; Mull. Wies., D.d.A. K. n° 301 Dict. de Daremberg et Saglio, art. BACCHUS.

(2) Voir Ann. dell' Instit., p. 210 et 315, note 1, article de M. de Witte. Cette explication est d'ailleurs contestée. D'après Otto Jahn (Ber. d. kôn, sachs. Gessell. der Wiss., 1853, p. 14), la petite figure ailée serait la représentation d'Hypnos. Quoiqu'il en soit, la réunion, dans une même composition, d'un personnage et de son ombre a été dûment constatée en plusieurs cas.

(3) Museo P. Cl., V, 18 et 19 ; Millin, G. M., 156, 561, Inghirami, Gall. Om, t. XLVIII.

(4) Bas-relief du Louvre ; Fröhner, Notice de la sculpt. antiq., n° 425.

(5) Bas-relief du Louvre, ibid., n° 426.

(6) Lucien, Dialogues des dieux, 22, 3.

(7) Antiq. d'Hercul., II, 79; Roux, II, V série, pl. V.

(8) K. Friederichs, Die Phil. Bilder, p. 124.

(9) Brunn, Journal de Fleckeisen, 1871, p. III.

(10) Pausanias. !X, 2, 3.

(11) Selon Acussaüs, Pragm., XXIII, ed. Sturz. M. Vlnet (Revue arch., 1848, p. 467; Dict. Daremb. et Saglio, art. ACTEON), a montré que le changement de nom de Séléné (Diane) en Sémélé avait seul donné lieu à cette légende.

 

ΑΡΙΑΔΝΗ

Ὅτι τὴν Ἀριάδνην ὁ Θησεὺς ἄδικα δρῶν— οἱ δ´ οὐκ ἄδικά φασιν, ἀλλ´ ἐκ Διονύσου—κατέλιπεν ἐν Δίᾳ τῇ νήσῳ καθεύδουσαν, τάχα που καὶ τίτθης διακήκοας· σοφαὶ γὰρ ἐκεῖναι τὰ τοιαῦτα καὶ δακρύουσιν ἐπ´ αὐτοῖς, ὅταν ἐθέλωσιν. Οὐ μὴν δέομαι λέγειν Θησέα μὲν εἶναι τὸν ἐν τῇ νηί, Διόνυσον· δὲ τὸν ἐν τῇ γῇ, οὐδ´ ὡς ἀγνοοῦντα ἐπιστρέφοιμ´ ἂν ἐς τὴν ἐπὶ τῶν πετρῶν, ὡς ἐν μαλακῷ κεῖται τῷ ὕπνῳ. Οὐδ´ ἀπόχρη τὸν ζωγράφον ἐπαινεῖν, ἀφ´ ὧν κἂν ἄλλος ἐπαινοῖτο· ῥᾴδιον γὰρ ἅπαντι καλὴν μὲν τὴν Ἀριάδνην γράφειν, καλὸν δὲ τὸν Θησέα, Διονύσου τε μυρία φάσματα τοῖς γράφειν ἢ πλάττειν βουλομένοις, ὧν κἂν μικροῦ τύχῃ τις, ᾕρηκε τὸν θεόν. Καὶ γὰρ οἱ κόρυμβοι στέφανος ὄντες Διονύσου γνώρισμα, κἂν τὸ δημιούργημα φαύλως ἔχῃ, καὶ κέρας ὑπεκφυόμενον τῶν κροτάφων Διόνυσον δηλοῖ, καὶ πάρδαλις ὑπεκφαινομένη αὖ τοῦ θεοῦ σύμβολον· ἀλλ´ οὗτός γε ὁ Διόνυσος ἐκ μόνου τοῦ ἐρᾶν γέγραπται. Σκευὴ μὲν γὰρ ἠνθισμένη καὶ θύρσοι καὶ νεβρίδες, ἔρριπται ταῦτα ὡς ἔξω τοῦ καιροῦ, καὶ οὐδὲ κυμβάλοις αἱ Βάκχαι χρῶνται νῦν οὐδὲ οἱ Σάτυροι αὐλοῦσιν, ἀλλὰ καὶ ὁ Πὰν κατέχει τὸ σκίρτημα, ὡς μὴ διαλύσειε τὸν ὕπνον τῆς κόρης, ἁλουργίδι τε στείλας ἑαυτὸν καὶ τὴν κεφαλὴν ῥόδοις ἀνθίσας ἔρχεται παρὰ τὴν Ἀριάδνην ὁ Διόνυσος, μεθύων ἔρωτι φησὶ περὶ τῶν ἀκρατῶς ἐρώντων ὁ Τήιος. Ὁ Θησεὺς δὲ ἐρᾷ μέν, ἀλλὰ τοῦ τῶν Ἀθηνῶν καπνοῦ, Ἀριάδνην δὲ οὔτε οἶδεν ἔτι οὔτε ἔγνω ποτέ, φημὶ δ´ αὐτὸν ἐκλελῆσθαι καὶ τοῦ λαβυρίνθου καὶ μηδὲ εἰπεῖν ἔχειν, ἐφ´ ὅτῳ ποτὲ ἐς τὴν Κρήτην ἔπλευσεν, οὕτω μόνον τὰ ἐκ πρῴρας βλέπει. Ὅρα καὶ τὴν Ἀριάδνην, μᾶλλον δὲ τὸν ὕπνον· γυμνὰ μὲν εἰς ὀμφαλὸν στέρνα ταῦτα, δέρη δὲ ὑπτία καὶ ἁπαλὴ φάρυγξ, μασχάλη δὲ ἡ δεξιὰ φανερὰ πᾶσα, ἡ δὲ ἑτέρα χεὶρ ἐπίκειται τῇ χλαίνῃ, μὴ αἰσχύνῃ τι ὁ ἄνεμος. Οἷον, ὦ Διόνυσε, καὶ ὡς ἡδὺ τὸ ἆσθμα. Εἰ δὲ μήλων ἢ βοτρύων ἀπόζει, φιλήσας ἐρεῖς.

XIV. ARIADNE.

Ariadne fut abandonnée pendant son sommeil dans l'île de Dia par le perfide Thésée (fut-ce bien une perfidie ? il obéissait, disent quelques-uns, à Tordre de Dionysos) ; ta nourrice t'a fait sans doute ce récit, car elles sont savantes en pareille matière, les femmes de cette condition, et elles pleurent en contant, à volonté. Je n'ai donc pas besoin de te dire que c'est Thésée que le navire emporte, et que sur le rivage nous voyons Dionysos ; et si j'appelle tes yeux de ce côté, ce n'est point pour t'apprendre le nom de la jeune femme qui dort sur les rochers d'un sommeil paisible. Il ne suffit point non plus de louer chez le peintre des qualités qui pourraient être louées chez un autre, car il est facile à tout artiste de peindre une belle Ariadne, un beau Thésée. Dionysos a mille aspects divers (a) ; qu'un sculpteur ou un peintre en saisisse un seul, même peu important, il a fixé le dieu. En effet, une couronne formée des baies du lierre, des cornes qui font saillie près des tempes, une pardalis, dont les bords apparaissent (b), voilà des symboles sans équivoque, fussent-ils l'œuvre d'un médiocre artiste. Mais ici Dionysos n'est reconnaissable qu'à son amour ; vêtements brodés, thyrses, nébrides, tout a été rejeté par le dieu, comme n'étant pas de saison ; les Bacchantes ne font pas retentir les cymbales, les satyres ne jouent pas de la flûte ; Pan lui-même se contient pour ne pas réveiller la jeune femme par des bonds désordonnés ; vêtu d'un péplos de pourpre, couronné de roses, Dionysos s'approche d'Ariadne ; il est ivre d'amour, comme dit le poète de Téos, en parlant des amants trop passionnés (c). Quant à Thésée, il soupire aussi, mais après la fumée qui s'élève des toits d'Athènes ; il ne connaît plus Ariadne, il ne l'a jamais connue, je dis plus, il a oublié le labyrinthe, il ne sait plus pourquoi il est passé en Crète, il ne voit que devant la proue de son vaisseau. Regarde aussi Ariadne, ou plutôt le sommeil lui-même; la poitrine est nue jusqu'au milieu du corps, le cou est penché en arrière laissant voir une gorge délicate, toute l'épaule droite est à découvert, la main gauche repose sur la draperie par crainte des témérités du vent. Combien son haleine est douce et suave, ô Dionysos! exhale-t-elle le 271 parfum des pommes ou des raisins, tu nous le diras à ton premier baiser.

COMMENTAIRE.

Ariadne abandonnée dans l'île de Naxos et surprise par Dionysos, alors que confiante dans l'amour de son ravisseur, elle dort d'un sommeil paisible, c'était là un sujet qui dût tenter de bonne heure le talent des artistes. Les deux personnages principaux peuvent être représentés nus ou à demi

voilés ; l'un est debout, l'autre dort, quel plus heureux contraste entre les attitudes! Dionysos témoignera à la fois son admiration et ses désirs; est-il une expression plus propre à nous charmer? Tout un cortège de Ménades, de Panisques, groupés suivant le caprice de l'artiste, mêlera à la scène sa pétulance et sa gaieté; quel plus riant spectacle! La compassion pour te malheur d'Ariadne s'affaiblit un peu, il est vrai, quand on songe qu'abandonnée par un mortel, elle va devenir l'épouse d'un dieu ; mais c'est là un léger inconvénient, au prix de toutes les ressources pittoresques qu'offre le sujet.

Dans quelques compositions antiques Ariadne se réveille et aperçoit le navire de Thésée qui s'éloigne ; elle comprend son abandon et pleure amèrement. Le sujet ainsi conçu est peut-être plus dramatique : il est plus favo 272 rable à la poésie qu'à la peinture : on sait en effet quel parti les poètes ont tiré de cet intervalle entre le réveil d'Ariadne et l'arrivée de Bacchus, quelles plaintes éloquentes ils ont mises dans la bouche de l'amante délaissée! Il faut donc louer tout d'abord chez le peintre dont Philostrate nous décrit le tableau, le choix qu'il a fait antre deux moments de la légende d'Ariadne, ou plutôt deux traditions différentes, disons mieux, entre la tradition des poètes et celle des artistes ; car les prédécesseurs ne lui avaient pas manqué. Pausanias nous parle déjà d'une ancienne peinture du temple de Dionysos, qui représentait Ariadne dormant, Thésée faisant voile sur la haute mer, et le dieu s'approchant d'Ariadne pour l'enlever (1).

Sur les monuments, peintures, bas-reliefs ou pierres gravées qui nous offrent le même sujet, Ariadne est presque toujours à demi couchée ; la partie supérieure du corps est plus ou moins relevée, suivant qu'elle s'appuie contre un terme (2), qu'elle est soutenue sur les genoux d'un autre personnage allégorique (3), ou qu'elle repose sur des coussins (4), partout la main droite se replie sur la tête, la main gauche ou soutient la tête (5) ou retombe mollement sur le sol (6). Si nous considérons la draperie, elle laisse le ventre, la poitrine, ou seulement un des seins à découvert ; quelquefois elle est soulevée par un Amour ou un Panisque (7) ; les jambes sont croisées. L'Ariadne de Philostrate, on peut le conjecturer, croisait aussi les jambes; comme il n'est point question ni de terme, ni de personnage allégorique (8), ni de coussins, on peut croire qu'elle était étendue sur le sable du rivage, la tête appuyée peut-être contre la saillie d'un rocher que couvrait un pan de la draperie. Le bras droit dont la position n'est pas indiquée devait également s'arrondir au-dessus de la tête ; quant à la main droite, en la faisant reposer sur la chlsena pour la contenir, l'artiste ajoutait à sa composition un trait de pudeur, omis dans toute les représentations analogues; peut-être y perdait-elle en grâce ; car rien n'est plus charmant, dans telle statue, que la tête d'Ariadne encadrée par la main gauche et soutenue mollement par le dos de la main droite. Si Philostrate parle des témérités du vent, c'est qu'Ariadne n'a point à redouter celles de l'Amour ou du dieu Pan, et nous en concluons que ce personnage, le seul mentionné, ne soulevait point la draperie. Nous devons sans doute nous représenter Ariadne comme telle 273 nymphe du Titien surprise par un Faune, à cela près que la Nymphe du Titien feint de dormir plutôt qu'elle ne dort et que l'Ariadne de Philostrate dort si profondément qu'elle personnifierait le sommeil (9).

Philostrate s'est complu à décrire Dionysos; ce qui le frappe surtout, c'est l'absence d'attributs, et il fait un mérite au peintre de nous avoir présenté un Dionysos qui n'est, comme il le dit, reconnaissable qu'à son amour. Nous ne saurions être ici tout à fait de l'avis du rhéteur ; les cornes , conviennent à Bacchus, quand il est représenté comme le dieu fort et impétueux (10) ; elles ne déplaisent point non plus sur tel buste qui montre Dionysos avec les traits d'une jeune fille (11) ; cet attribut de la force forme un piquant contraste avec la grâce féminine du visage. Mais dans un sujet où le rapprochement des personnages est plus intéressant que leur signification symbolique, où la beauté virile et la grâce de la femme, au lieu d'être unies dans une même figure, se divisent entre deux pour mieux s'opposer, il semble que les cornes eussent été déplacées. Aussi Bacchus ne porte point de cornes sur tous les monuments où nous le rencontrons avec Ariadne (12). La pardalide est un attribut du Dionysos asiatique, vivant sous un climat brûlant, apprivoisant les panthères et les lions (13). Ce n'est point un ornement qui puisse convenir à l'amant d'Ariadne. Il n'en est point de même de la couronne de lierre et de pampre, ni du thyrse ; ces attributs ne caractérisent Dionysos que d'une manière générale ; ils n'éveillent dans l'esprit que des idées en harmonie avec une scène d'amour. C'est bien ainsi d'ailleurs que les artistes de l'antiquité paraissent l'avoir compris; sans parler de tant décompositions analogues, Dionysos surprend deux fois Ariadne sur les murs des villes campaniennes ; dans une de ces peintures le dieu est couronné de pampre et de lierre, et c'est Silène qui tient le thyrse (14) ; dans la seconde, Dionysos lui même a le thyrse dans sa main et porte sur la tête une couronne semblable (15). Quant aux vêtements brodés, nous ne voyons pas trop 274 pourquoi, en cette circonstance, le dieu les a rejetés pour revêtir une draperie rouge; cependant la robe brodée est principalement le costume du Dionysos Bassareus, c'est-à-dire thrace ou lydien; elle est accompagnée de la mitre asiatique (16). Or Dionysos, rencontrant Ariadne, n'est point une divinité d'une contrée spéciale ; c'est le dieu de la jeunesse et de la beauté. Dans les peintures campaniennes, il porte également une draperie couleur de pourpre. Philostrate ne dit point dans quelle mesure cette draperie couvre le dieu ; d'après l'examen de compositions semblables, il est à supposer que la draperie jetée sur les bras et passant derrière le corps, ou couvrant la tête et descendant sur le dos (17), laissait la poitrine, le ventre et les jambes de Dionysos entièrement nus. Dionysos, dit le rhéteur, paraissait ivre d'amour: dans les peintures déjà mentionnées, on ne sait qui l'emporte, sur le visage de Dionysos, du désir ou de l'admiration ; c'est bien là en effet, ce semble, l'expression qui convient au dieu : et c'était sans doute celle que le peintre lui avait donnée dans le tableau de Philostrate ; le rhéteur a peut-être le tort de se souvenir trop d'une métaphore anacréontique qui l'empêche de démêler, sur le visage de Dionysos, les diverses nuances de la passion.

Comment les Ménades, les Satyres et Pan devaient-ils se grouper dans la peinture? Faut-il croire qu'une Ménade prenant le dieu par la main, le conduisait elle-même vers Ariadne, comme dans telle peinture de Pompéi (18)? non sans doute ; un détail si ingénieux n'eût point été passé sous silence par Philostrate. Faut-il supposer que le dieu Pan était saisi aux cornes par un satyre chargé de contenir sa turbulence, comme sur telle pierre gravée (19)? Non, encore. Pan se contenait lui-même, nous dit Philostrate; il avait compris l'ordre du maître ; il s'avançait comme Dionysos à pas lents, et craignait d'éveiller trop tôt la jeune femme. Quant aux Satyres, il convient assez de nous les représenter à quelque distance du dieu, peut-être dans le lointain, comme dans une des peintures de Pompéi où cette disposition a permis de multiplier les plans et de donner au tableau un fond plein de variété et de mouvement (20). Les Satyres, comme le dieu Pan, comme les Ménades, se gardaient de tout bruit ; et cependant, sur des sarcophages qui représentent le 275 même sujet, telle Ménade joue de la flûte, telle autre entre-choque les cymbales; les Satyres jouent delà flûte ou de la lyre (21). Combien notre peintre nous paraît plus exact observateur des convenances ! combien nous aimons mieux ce silence du cortège bachique, épris lui-même d'admiration et respectant la muette contemplation de Dionysos ! Un critique a cependant trouvé que Bacchus n'était pas assez calme et que Pan Tétait trop (22) ; le reproche ne nous paraît pas fondé; l'ivresse dont parle Philostrate se lit dans le regard ; elle n'exclut point la dignité de l'attitude, la tranquillité du geste ; et quant au dieu Pan, associé à une scène, qui doit se passer au milieu du silence, il doit par cela même perdre quelque chose de son tempérament lascif. On a critiqué aussi l'absence d'Éros; mais si, dans ce sujet, Éros est quelquefois à côté du dieu pour lui montrer Ariadne et l'arracher en quelque sorte à son admiration contemplative, souvent aussi l'artiste a cru pouvoir se passer de ce personnage allégorique, et ce n'est pas nous qui lui en ferons un reproche; en tout cas la présence d'Éros ne paraît pas réclamée impérieusement par le sujet.

Le navire qui emporte Thésée se voit dans plusieurs peintures de Pompéi ; mais ces peintures, au lieu de représenter Dionysos et Ariadne, ne nous montrent qu'Ariadne à son réveil ; elle aperçoit alors le navire de son perfide amant et s'abandonne à sa douleur. Dans notre tableau, le navire, si l'on peut dire, ne joue pas le même rôle; il permet seulement d'agrandir le champ du tableau, et sert à nous rappeler plus complètement la légende. Mais pourquoi Thésée ne se détourne-t-il pas vers l'amante délaissée ? pourquoi n'a-t-il pas des remords et pourquoi son attitude ne les trahit-elle pas? questions indiscrètes, selon nous, et auxquelles un artiste a le droit de ne pas répondre. Cependant il semble aisé de justifier le peintre. Dans toute cette expédition, Thésée n'a eu qu'une pensée : le salut de ses compatriotes, la délivrance d'Athènes ; victorieux, il retourne porter la bonne nouvelle ; il a hâte de revoir son père et les siens, et son impatience est telle qu'il oublia, dit la légende, de changer ses voiles noires contre des voiles blanches; voilà le Thésée antique. Ariadne n'est plus qu'une étrangère à ses yeux ; il l'abandonne sans remords parce qu'il ne l'aime plus ; il ne détourne pas les yeux, parce qu'une autre passion plus violente a repris le dessus dans son cœur. Énée tourne ses regards vers la côte d'Afrique où il laisse Didon (23); mais, Énée, sans l'ordre d'un dieu, serait resté à. Carthage. D'ailleurs le bûcher de la malheureuse reine éclaire les murs de la ville ; peut-on croire que cette lueur ne fut pas aperçue par aucun des compagnons d'Énée, et si un seul la vit, comment supposer que tous et Énée lui même ne 276 la virent pas! Dans une peinture d'Herculanum (24), Ariadne, à son réveil, suit des yeux le navire de Thésée qui gagne la haute mer : un homme assis sur le tillac montre aux matelots la direction à suivre. Est-ce Thésée ? on peut le croire, et si la conjecture est vraie, ce Thésée ressemble assez à celui que décrit Philostrate. Dans une autre peinture (25), les personnages qui montent le navire fugitif sont en assez grand nombre, et si Thésée est parmi eux, il est assez difficile de le distinguer; les uns regardent la proue, les autres la poupe (26). La critique adressée à l'attitude de Thésée n'est donc ni juste en elle-même, ni bien justifiée par les habitudes de l'art antique.

En résumé, le tableau de Philostrate est très bien composé pour l'intelligence du sujet et le plaisir des yeux. Il est plus simple que beaucoup de compositions analogues; plus complexe que d'autres; tous les détails, du moins ceux dont Philostrate a parlé concordent avec la pensée principale. Si l'expression et le dessin répondaient au reste, le tableau décrit par Phi. lostrate ne devait point être une œuvre médiocre.

(1) Pausanias, I, 20, 5.

(2) Sur la face antérieure d'un sarcophage romain, au Louvre, n° 241 du catalogue. Bouillon, III, bas-reliefs, pl. VI.

(3) Peint, de Pompéi, Mülîer-Wieseler, D. d. a. K., n° 420.

(4) La statue célèbre du Vatican. Mûller-Wieseler, I, 418 ; Bouillon, II, 20.

(5) Monnaie de Périnthe, M*uller-Wieseler, D.a.d. K., II, 417 ; pierre gravée, Muséum Worsley. Tav., n, no l ; Müller-Wieseler, ibid. II, 4l9.

(6) Dans la peinture de Pompéi, n° 420 de Mûller-Wieseler D. d. a. K. Il et dans une peint. d'Herculanum, Antiq. d'H., 2, P. 103; Roux et Barré, Herc. et Pomp., II, 33.

(7) Ant. d'H., 2, p. 103.

(8) Il n'y avait point de génie du sommeil, comme l'a cru Raoul Rochette (Choix de peint. de Pompéi, p. 54) qui a mal compris le texte de Philostrate

(9) M. Gniyer (Raphaël et l'Antiq., II, 13, comparant l'Ariadne de Raphaël avec la célèbre statue du Vatican remarque que « en enlevant ainsi tous les voiles qui cachent dans la statue la partie supérieure du corps... le Sanzio s'est rapproché, sans le savoir, des peintures antiques, qui montrent également Ariadne exposée pendant son sommeil, aux regards de Bacchus et du thiase bachique. " Il y a d'autres rapports plus étroits encore entre l'Ariadne de Raphaël et celle que décrit Philostrate ; suivant M. Gruyer, le cou d'Ariadne, dans l'œuvre de Raphaël, est plus flexible que dans la statue du Vatican ; il se courbe davantage et est plus entraîné par le mouvement de la tète. Que dit Philostrate ? le cou est penché en arrière, laissant voir une gorge délicate. C'est la même attitude. Toutefois la position des bras qui, dans l'Ariadne de Raphaël, sont ramenés l'un sur l'autre et encadrent complètement la tète, est tout à fait différente.

(10) Preller, Griech., myth., I, 589 (3e édit). Pour les monuments qui représentent Dionysos avec les cornes, voir Welcker Alt. Denkm., V. p. 37.

(11) Musée du Capitole, n° 375 de Müller-Wieseler, D. d. a. K. H.

(12) Il ne paraît pas qu'il faille faire exception pour une peinture de cratère décrite sous le n° 425 de Müller-Wieseler.

(13) Preller. Griech. Myth., I, 589, (3e édît.).

(14) Ant. d. Herc. V., 2, p. 103; Roux et Barré, II, 33.

(15) Müller-Wieseler, ibid., 420.

(16) Preller, G. M., I, 575, note 2 (3e éd.).

(17) Comme dans la pierre gravée décrite au n° 419 de Müller Wieseler où la draperie du dieu est posée sur sa tête en manière de coiffure ; comme aussi sur une gemme conservée au Musée de Florence et dont nous donnons le dessin d'après l'ouvrage de Wicar. Sur la gemme Ariadne se réveille; dans la peinture de Philostrate, Ariadne dort profondément. Hais outre la différence de moment choisi, on remarquera aussi et surtout la différence de sentiment. Le geste de Silène qui écarte la draperie d'Ariadne donne à la composition un caractère sensuel que ne devait pas avoir le tableau décrit par le Sophiste.

(18) N° 420 de Müller-Wieseler, II. Raoul Rochette pensait que Dionysos, dans ce tableau, était ithyphallique {Choix de peint., 52). Rien dans la description de Philostrate n'autorise cette conjecture. Il est d'ailleurs probable que Raoul Rochette a reconnu à tort un Dionysos ithyphallique dans la peinture campanienne publiée par lui (Cf. Helbig, Wandg., n° 1231 et la note).

(19) N° 419 du même ouvrage.

(20) A. d'H., II, P. 103.

(21) Sarcophage de Bordeaux, au Louvre, n° 240 du catal.; Clarac, Musée, pl. CXXVII, n° 148.

(22) Friederichs, Die Philoslr. Bitder, p. 195. Les critiques de Friederichs ont été réfutées un peu subtilement par H. Brunn, Die Philost. Gemälde, p. 263.

(23) Mœnia respiciens qu» jam infelicis Eiisso.
Collucent flammis.

Virg. Aen., V, 3.

(24) A. d'H., II, P. 91 ; Roux et Barré, II, 34.

(25) A. d'H. . P., 117; Roux et Barré, II, 35.

(26) Dans une autre composition analogue (Museo Borb., II, P. 62 ; Roux et Barré, III» p- 106) on voit le navire, mais aucun homme sur le pont.

ΠΑΣΙΦΑΗ

Ἡ Πασιφάη τοῦ ταύρου ἐρᾷ καὶ ἱκετεύει τὸν Δαίδαλον σοφίσασθαί τινα πειθὼ τοῦ θηρίου, ὁ δὲ ἐργάζεται βοῦν κοίλην παραπλησίαν ἀγελαίᾳ βοῒ τοῦ ταύρου ἐθάδι. Καὶ ἥτις μὲν ἡ εὐνὴ σφῶν ἐγένετο, δηλοῖ τὸ τοῦ Μινωταύρου εἶδος ἀτόπως συντεθὲν τῇ φύσει· γέγραπται δὲ οὐχ ἡ εὐνὴ νῦν, ἀλλ´ ἐργαστήριον μὲν τοῦτο πεποίηται τοῦ Δαιδάλου, περιέστηκε δὲ αὐτῷ ἀγάλματα τὰ μὲν ἐν μορφαῖς, τὰ δὲ ἐν τῷ διορθοῦσθαι, βεβηκότα ἤδη καὶ ἐν ἐπαγγελίᾳ τοῦ βαδίζειν. Τοῦτο δὲ ἄρα ἡ πρὸ Δαιδάλου ἀγαλματοποιία οὔπω ἐς νοῦν ἐβέβλητο. Αὐτὸς δὲ ὁ Δαίδαλος ἀττικίζει μὲν καὶ τὸ εἶδος ὑπέρσοφόν τι καὶ ἔννουν βλέπων, ἀττικίζει δὲ καὶ αὐτὸ τὸ σχῆμα· φαιὸν γὰρ τρίβωνα τοῦτον ἀμπέχεται προσγεγραμμένης αὐτῷ καὶ ἀνυποδησίας, ᾗ μάλιστα δὴ οἱ Ἀττικοὶ κοσμοῦνται. Κάθηται δὲ ἐφ´ ἁρμονίᾳ τῆς βοὸς καὶ τοὺς Ἔρωτας ξυνεργοὺς ποιεῖται τοῦ μηχανήματος, ὡς Ἀφροδίτης τι αὐτῷ ἐπιδεῖν. Ἐναργεῖς μὲν τῶν Ἐρώτων καὶ οἱ τὸ τρύπανον, ὦ παῖ, στρέφοντες καὶ νὴ Δί´ οἱ τῷ σκεπάρνῳ λεαίνοντες τὰ μήπω ἠκριβωμένα τῆς βοὸς καὶ οἱ σταθμώμενοι τὴν ξυμμετρίαν, ἐφ´ ἧς ἡ δημιουργία βαίνει. Οἱ δὲ ἐπὶ τοῦ πρίονος ἔννοιάν τε ὑπερβεβλήκασι πᾶσαν καὶ σοφίαν, ὁπόση χειρός τε καὶ χρωμάτων. Σκόπει γάρ· πρίων ἐμβέβληται τῷ ξύλῳ καὶ διήκει αὐτοῦ ἤδη, διάγουσι δὲ αὐτὸν οὗτοι οἱ Ἔρωτες ὁ μὲν ἐκ τῆς γῆς, ὁ δ´ ἀπὸ μηχανῆς ὀρθουμένω τε καὶ προνεύοντε. Τουτὶ δ´ ἐναλλὰξ ἡγώμεθα· ὁ μὲν γὰρ νένευκεν ὡς ἀναστησόμενος, ὁ δὲ ἀνέστηκεν ὡς νεύσων, καὶ ὁ μὲν ἀπὸ τῆς γῆς ἐπὶ τὸ στέρνον ἀναπέμπει τὸ ἆσθμα, ὁ δ´ ἀπὸ τοῦ μετεώρου κατὰ τὴν γαστέρα πίμπλαται κάτω συνερείδων τὼ χεῖρε. Ἡ Πασιφάη δὲ ἔξω περὶ τὰ βουκόλια περιαθρεῖ τὸν ταῦρον οἰομένη προσάξεσθαι αὐτὸν τῷ εἴδει καὶ τῇ στολῇ θεῖόν τε ἀπολαμπούσῃ καὶ ὑπὲρ πᾶσαν ἶριν βλέπει τε ἀμήχανον—καὶ γὰρ γινώσκει, ὁποίων ἐρᾷ—καὶ περιβάλλειν τὸ θηρίον ὥρμηκεν, ὁ δὲ τῆς μὲν οὐδὲν ξυνίησι, βλέπει δὲ τὴν ἑαυτοῦ βοῦν. Γέγραπται δὲ ὁ μὲν ταῦρος ἀγέρωχός τε καὶ ἡγεμὼν τῆς ἀγέλης, εὔκερώς τε καὶ λευκὸς καὶ βεβηκὼς ἤδη καὶ βαθὺς τὴν φάρυγγα καὶ πίων τὸν αὐχένα καὶ ἱλαρὸν βλέπων ἐς τὴν βοῦν, ἡ δὲ ἀγελαία τε καὶ ἄνετος καὶ λευκὴ πᾶσα ἐπὶ μελαίνῃ τῇ κεφαλῇ, ἀπαξιοῖ δὲ τὸν ταῦρον· σκίρτημα γὰρ ὑποφαίνει κόρης δή τινος ὑποφευγούσης ἐραστοῦ ὕβριν.

 XV. PASIPHAE.

Éprise d'un taureau, Pasiphaé a demandé au génie de Dédale les moyens de fléchir la bête, et Dédale fabrique une génisse creuse semblable de tous points à une vraie génisse, compagne habituelle du taureau. L'union fut accomplie, comme le prouve le Minotaure, cet assemblage monstrueux de deux natures différentes, mais ce n'est point cette union que l'artiste a représentée ici, c'est l'atelier même de Dédale. Autour de lui sont rangées des figures, les unes ébauchées, les autres achevées, ces dernières avec des jambes séparées qui permettent de marcher, c'est là un progrès dont l'art de la statuaire, avant Dédale, ne s'était point avisé. Dédale est un véritable Athénien ; cela se voit à l'air du visage qui révèle une science profonde, à l'expression réfléchie du regard; cela se voit aussi au costume, car non seulement il est enveloppé dans un manteau brun (a), mais il est représenté pieds nus ; chez les Athéniens, cette simplicité est une parure. Il s'est assis pour mieux façonner la génisse et se fait aider, dans son travail, par les Amours, car il ne saurait se passer tout à fait d'Aphrodite. Tu les reconnais sans peine, mon enfant; les uns manient le vilebrequin, les autres, par Jupiter, polissent avec l'herminette les endroits encore mal dégrossis de la génisse, les 277 autres mesurent, cherchent ces justes proportions que l'art poursuit comme son but; d'autres qui tiennent la scie, sont au-dessus de tout éloge pour l'invention, le dessin et la couleur. Vois en effet ; la scie a pénétré dans le bois, et le traverse de part en part; deux Amours la font manœuvrer, l'un de bas en haut, l'autre de haut en bas, tous deux se penchent et se relèvent, mais non en même temps, c'est du moins ce que nous devons croire ; car l'un s'est baissé comme pour se relever, l'autre se redresse pour se baisser de nouveau ; le premier, en se relevant a la poitrine soulevée par l'air qu'il aspire, le second, aspirant l'air d'en-haut, les mains appuyées en bas sur la scie, a le ventre gonflé par l'effort (b). En dehors de l'atelier Pasiphaé, au milieu du bétail, considère le taureau avec admiration ; elle pense le séduire par sa beauté, par l'éclat merveilleux de sa robe qui défie toute la splendeur de l'arc-en-ciel. On lit dans son regard le trouble de son âme, car elle sait qui elle aime, et n'en persiste pas moins a désirer les embrassements du taureau. Lui cependant demeure insensible et regarde sa génisse. Il est représenté fier, comme il convient au chef du troupeau, armé de cornes élégantes, éclatant de blancheur, marchant d'un pas ferme, avec de larges fanons, un cou robuste, l'œil amoureusement fixé sur sa compagne ; quant à la génisse, errant en liberté avec le reste du troupeau, elle a la tête noire et le reste du corps entièrement blanc ; et se jouant du taureau, elle bondit comme une jeune fille qui se dérobe aux importunités d'un amant.

COMMENTAIRE.

Le tableau renferme deux scènes, d'un côté Dédale travaillant dans son atelier, de l'autre Pasiphaé, errant dans la campagne et contemplant le taureau. Commentées deux scènes étaient-elles disposées de manière à être parfaitement visibles toutes les deux et à ne pas se nuire l'une à l'autre ? Apercevait-on la campagne dans le lointain par une fenêtre ouverte de l'atelier? Le champ du tableau était-il divisé en deux par un mur, de manière à laisser voir d'un côté l'artiste, de l'autre son étrange cliente? Le texte de Philostrate ne saurait nous éclairer sur ce point. Peut-être faut-il supposer que, comme dans beaucoup de bas-reliefs antiques, ces scènes étaient simplement juxtaposées ; une colonne, un rideau, un arbre, suffisent souvent à l'artiste ancien pour marquer la séparation ; quelquefois les personnages appartenant à deux scènes diverses se touchent, sans égard pour l'unité de temps ni de lieu. Nous avons au Louvre un bas-relief qui représente Dédale et Pasiphaé (1) : à droite Pasiphaé donne ses ordres à Dédale ; au milieu Dédale 278 travaille ; à gauche, la génisse fabriquée par l'artiste est amenée à Pasiphaé. Un pan de mur, placé derrière Dédale et ses aides, semble être le mur du fond de l'atelier, qui n'est pas autrement limité. La génisse en bois qui devrait être sortie complètement de l'atelier, y est encore engagée pour le quart de son corps ; elle se trouve ainsi à la place où s'élèverait un des murs de côté. Cette simplicité de moyens ne s'impose pas, il est vrai, avec autant de force au peintre qu'au sculpteur; il se pourrait donc que dans notre tableau la séparation eût été mieux marquée que dans le bas-relief du Louvre; mais nous devons toujours nous rappeler que tout ce qui favorise l'illusion est hardiment écarté par l'art antique ; si Philostrate nous avait dit que la robe de Pasiphaé touchait presque quelques statues de Dédale, nous n'aurions pas lieu d'en être étonnés.

Dédale est assis devant la génisse : c'est la posture qu'il a dans le bas-relief du Louvre (2) et dans un autre du palais Spada, décrit par Winckelmann (3). Sur le premier de ces monuments, il tient à la main une des jambes de la génisse, et l'ajuste avec l'herminette; c'est peut-être ce genre de travail, consistant à réunir des parties préparées à l'avance, que Philostrate a voulu caractériser en disant que Dédale est assis pour ajuster la génisse, ἐφ' ἁρμονίᾳ τῆς βοὸς. L'artiste porte un tribôn; entendons sans doute par là un vêtement d'étoffe grossière, simulant une exômis ou tunique ouverte sur le côté ; le mot grec ne répugne pas à cette signification, et nous rencontrons Dédale ainsi vêtu dans la première scène du bas-relief du Louvre. Il est vrai que dans son atelier il porte un costume encore plus simple; un morceau d'étoffe noué autour des reins. Il est nu-pieds ; et c'est ainsi que l'art antique représente les ouvriers, dont la chaussure, sans doute vulgaire, n'aurait pas plu au regard dans un tableau ou un bas-relief. Philostrate donne une autre raison de cette simplicité chez Dédale; c'est comme Athénien qu'il a les pieds nus et qu'il porte le tribôn. Pour croire ici Philostrate, nous le trouvons un peu trop préoccupé d'opposer, en toute circonstance, la simplicité antique des Athéniens au luxe des autres peuples et de son temps; c'est ainsi qu'il nous montre Apollonius, recevant d'un roi indien des étoffes de lin, parce que, dit-il, elles ressemblent au tribôn des anciens et des vrais Athéniens (4). Nulle part ailleurs, il est vrai, Philostrate ne dit que les anciens Athéniens allaient pieds nus ; mais il admire beaucoup ceux qui, suivant la légende, se passaient de chaussures, comme le philosophe de Sinope, Cratès le Thébain (5) et comme Apollonius (6) ; il les loue non seule- 279 ment de leur simplicité, mais de leur bon goût qui tourne en parure l'absence d'ornement (7). Des sandales auraient déshonoré un ancien Athénien, et un grand artiste, comme Dédale.

Ce sont les Amours, qui intéressent le plus vivement Philostrate dans le tableau; il les décrit avec complaisance; la variété et la vivacité de leurs actions lui paraissent charmantes. Mais quoi ! cette présence des Amours n'enlève-t-elle point au sujet son véritable caractère, qui est d'être sombre et terrible ! Ce n'est point ici une scène d'amour, comme une autre ; Pasiphaé est victime d'une passion honteuse, et Dédale, en fabriquant sa génisse, devient le complice inexcusable d'un monstrueux égarement. Les Amours en égayant le sujet ne font que le rendre plus odieux ; il semble que le peintre à son tour devienne le complice de Pasiphaé et de Dédale. Tout cela serait juste, si le sujet était emprunté parle peintre à la vie réelle; si l'artiste avait voulu, par un exemple remarquable, étalera nos yeux les déplorables effets de l'amour; telle n'est point, paraît-il, son intention, ni celle des artistes anciens. Par son antiquité même, par son étrangeté, parle fréquent usage qu'en ont fait les artistes et les poètes, la fable de Pasiphaé a perdu quelque chose de son horreur primitive ; elle n'est plus, pour le peintre, qu'une occasion de représenter l'intérieur d'un atelier, les traits et le costume supposés d'un grand artiste, de montrer une riche et brillante Pasiphaé, de nous ouvrir une perspective sur une campagne. En outre, l'art ancien mêle volontiers les motifs gracieux aux sujets les plus dramatiques : ce qui nous paraît à nous autres modernes une disparate n'est souvent pour l'artiste qu'un moyen de racheter la violence du sujet. Dans le bas-relief conservé au Louvre, les Amours ne tiennent ni le vilebrequin ni l'herminette, et ne manœuvrent pas la scie ; mais parmi les personnages de la première scène nous distinguons un Amour qui assiste à l'entretien de Dédate et de Pasiphaé ; son attitude, son visage tourné vers la reine, sa main au geste pressant, montrent assez qu'il inspire à la malheureuse reine son dessein et ses paroles ; dans la dernière scène, il est là encore, pour entraîner vers la génisse de Dédale Pasiphaé hésitante et presque immobile. Cette composition est moins gracieuse sans doute que celle qui nous est décrite par Philostrate; il y règne cependant une grâce austère, peu conforme à l'esprit de l'antique légende; les ouvriers travaillent avec conscience et gravité comme s'il s'agissait d'une honnête besogne; le jeune homme qui conduit la génisse à Pasiphaé a je ne sais quel air d'innocence; et Pasiphaé elle-même, pleine de majesté et de sérénité sous les voiles qui la couvrent, pourrait être confondue avec la statue de la Pudeur. Tant il est vrai que pour les anciens, du moins à une certaine époque, le mérite de l'art consistait moins dans l'interprétation fidèle de l'histoire ou de la mythologie que dans l'ennoblissement du sujet par la grâce et la beauté (8)!

280 Les Amours menuisiers ne sont pas rares dans les représentations de l'art antique, qui d'ailleurs, les fait de tous métiers. Les commentateurs, qui n'ont pas compris le texte grec se sont étonnés de l'attitude attribuée par Philostrate aux deux Amours qui tiennent la scie. En effet, si l'on conçoit par la pensée deux Amours dont l'un est debout sur des tréteaux, l'autre sur le sol, il semble que les mouvements doivent s'exécuter en même temps, et non tour à tour, par conséquent quand l'un se penche, l'autre se penche aussi et tous deux se relèvent à la fois. Parmi les peintures campaniennes, il en est deux qui représentent des Amours en train de fendre une poutre avec la scie; dans la première (9) les Amours sont l'un assis, l'autre debout sur le sol, et se faisant face; dans le second, l'un des deux Amours est monté sur un baudet de scieur ; dans les deux cas les mouvements des deux Amours doivent avoir lieu, ainsi que l'indique d'ailleurs leur altitude, dans le même sens;l'un s'inclinant ou se redressant, l'autre s'inclinera et se redressera. Faut-il en conclure, comme Friederichs, que Philostrate n'ayant pas un tableau sousles yeux, a décrit d'imagination deux attitudes différentes, sans songer qu'elles étaient inconciliables? Nous ne le pensons pas. On remarquera qu'un des deux amours, celui qui est à terre, a les mains appuyées en bas sur la scie, en même temps qu'il aspire l'air d'en haut; par conséquent ses mains seules ont accompagné le mouvement de la scie qui descendait et lui-même s'est rejeté en arrière ; bien que cette manœuvre ne soit pas la plus naturelle, la plus usitée en pareil cas, elle est pourtant aisée à concevoir. On peut supposer que le peintre l'avait adoptée précisément pour établir entre les deux Amours ce contraste que relève Philostrate.

Ces deux Amours sont occupés àscier une planche ; mais, cette planche, qu'en fera l'artiste? La génisse doit être presque achevée, dit Friederichs (10); les Amours devraient se reposer au lieu de travailler. Aucun reproche ne nous parait moins juste. Philostrate d'abord ne dit pas jusqu'à quel point l'ouvrage est avancé : ne peut-il pas se faire que toutes les pièces ne soient pas ajustées ni préparées? s'il en reste une à fabriquer, c'est à celle-là que travaillent nos Amours. D'ailleurs nous sommes dans un atelier ; les Amours sont les aides ou les apprentis de l'artiste ; un ouvrage fait, ils en commencent un autre, et la nature de leur occupation nous indique quel rôle ils ont joué dans la construction de la génisse.

Dans le lointain nous apercevons non seulement Pasiphaé et le taureau dont elle est éprise, mais encore la génisse, compagne habituelle du taureau. Ce demier détail a vivement choqué un commentateur. « Si l'art grec, dit-il, eut réellement produit un pareil tableau, il serait tombé dans la vulgarité. Pasiphaé se montre à nous comme la rivale d'une génisse, un être 281 qui n'est docile qu'à l'impulsion des sens ! » (11) Nous doutons beaucoup qu'un tel scrupule ait pu jamais entrer dans l'esprit d'un artiste grec. Si Pasiphaé, en aimant le taureau, en désirant ses embrassements, suivant l'expression de Philostrate, descend au-dessous de la génisse; ce qui la dégrade à nos yeux c'est moins cette rivalité, que sa passion monstrueuse. Virgile n'a pas plus hésité que le peintre à nous montrer le taureau poursuivi par la femme de Minos, et poursuivant à son tour une génisse dans les bois de Gortyne.

Ilice sub nigra pallentes ruminât herbas,
Aut aliquam in magno sequitur grege
...forsitan illum
Aut herba captum viridi, aut armenta secutum
Perducant aliqu» stabula ad Gortynia vaccae (12).

On dirait les vers de Virgile inspirés par un tableau semblable à celui de Philostrate ; ni le poète ni l'artiste ne paraissent avoir commis une faute. Au contraire l'amour du taureau et de la génisse apitoyaient le spectateur ou le lecteur antique sur le malheur de Pasiphaé, et rehaussaient encore le mérite de Dédale, assez habile pouc faire servir à ses desseins une circonstance qui semblait devoir y apporter un invincible obstacle.

Le taureau était blanc ; ainsi le voulait la tradition.

Pasiphaen nivei solatur amore juvencum
Ule latus niveum molli fultus hyacintho (13).

La génisse également blanche avait la tête noire. Pourquoi ce pelage de deux couleurs? pourquoi cette opposition du blanc et du noir? la question a été faite. Il nous semble que ce contraste est une rareté, et par là même une distinction qui contribue à la beauté de l'animal. La génisse, aimée du taureau blanc qui inspirait un si violent amour à Pasiphaé, était digne de ne point ressembler à toutes les autres génisses. A ce motif pouvaient se joindre des raisons de coloris et d'harmonie générale qui nous échappent. Mais dût la fantaisie de l'artiste avoir seule imaginé cette diversité de poil entre le corps et la tête de la génisse, nous trouverions encore qu'il n'avait pas outrepassé ses droits (14).

(1) Clarac, Musée; planches II, 164, n° 227.

(2) D'après Clarac, le personnage assis n'est qu'un ouvrier; Dédale serait le personnage debout, qui est coiffé d'une espèce de pétase à petits bords (Musée, texte II, 1er p., p. 630).

(3) Mon. inéd., n° 94 ; Millin, Gal. Myth., t. II, E. 486, pl. XXX.

(4) Vie d'Apollon, de Tyane, II, 41 (Traduct. Chassang, p. 92). Voir aussi même livre, 20; « Apollonius vit avec plaisir le bysse, parce que sa couleur rousse est celle de la robe qu'il portait » (p. 70 de la trad.). Apollonius était vêtu du tribôn.

(5) Épître 18.

(6) Vie d'Apoll., VIII. « Il s'honora de marcher nu* pieds. »

(7Ibid, VIII, p. 252 de la traduct.

(8) Nous ne pouvons approuver l'explication de Otto Jahn répondant à Heyne (Archi. Beitr,, p. 241) : « Les Amours peuvent bien aider une passion inspirée par Aphrodite. » Il ne s'agit pas de motiver la présence des Amours, dans le tableau, mais de justifier te caractère que leur présence donne au sujet.

(9) Ant. d'Herc, I, P. 181 ; Roux, III, 2e série, pl. CXLVI.

(10) Die Philostr. Bildtr, p. 142.

(11) Frieder, même ouvr., p. 143.

(12) Bucol, VI, 54, 55 ; 61-63.

(13) Bucol., VI, v. 46 et 53.

(14) Sur les autres monuments relatifs à Dédale et Pasiphaé, voir Otto Jahn (Arch. Beitr., p. 237} ; outre les monuments dont il est question plus haut, il décrit deux peintures murales de Campanie, et un très ancien tableau, découvert en 1816 à Tor Maranciano, et très remarquable pour l'expression de Pasiphaé. Cette dernière peinture a été reproduite par Raoul Rochette. Peint, ant. in.9 pl. 1-5.

ΙΠΠΟΔΑΜΕΙΑ

Ἡ μὲν ἔκπληξις ἐπ´ Οἰνομάῳ τῷ Ἀρκάδι, οἱ δὲ ἐπ´ αὐτῷ βοῶντες—ἀκούεις γάρ που—ἥ τε Ἀρκαδία ἐστὶ καὶ ὁπόσον ἐκ τῆς Πελοποννήσου. Πέπτωκε δὲ συντριβὲν τὸ ἅρμα τέχνῃ Μυρτίλου, τὸ δὲ ἵππων σύγκειται τεττάρων· τουτὶ γὰρ ἐς μὲν τὰ πολεμικὰ οὔπω ἐθαρσεῖτο, οἱ δὲ ἀγῶνες ἐγίνωσκόν τε αὐτὸ καὶ ἐτίμων· καὶ οἱ Λυδοὶ δὲ φιλιππότατοι ὄντες ἐπὶ μὲν Πέλοπος τέθριπποί τε ἦσαν [καὶ] ἤδη ἁρματῖται, μετὰ ταῦτα δὲ τετραρρύμου τε ἥψαντο καὶ λέγονται πρῶτοι τοὺς ὀκτὼ σχεῖν. Ὅρα, παῖ, τοὺς μὲν τοῦ Οἰνομάου, ὡς δεινοί τέ εἰσι καὶ σφοδροὶ ὁρμῆσαι λύττης τε καὶ ἀφροῦ μεστοί—τουτὶ δὲ περὶ τοὺς Ἀρκάδας εὕροις μάλιστα—καὶ ὡς μέλανες, ἐπειδὴ ἐπ´ ἀτόποις καὶ οὐκ εὐφήμοις ἐζεύγνυντο, τοὺς δὲ τοῦ Πέλοπος, ὡς λευκοί τέ εἰσι καὶ τῇ ἡνίᾳ πρόσφοροι Πειθοῦς τε ἑταῖροι καὶ χρεμετίζοντες ἥμερόν τι καὶ εὐξύνετον τῆς νίκης, τόν τε Οἰνόμαον, ὡς ἴσα καὶ Διομήδης ὁ Θρᾷξ βάρβαρός τε κεῖται καὶ ὠμὸς τὸ εἶδος. Οἶμαι δὲ οὐδὲ τῷ Πέλοπι ἀπιστήσεις, ὡς Ποσειδῶν ποτε αὐτὸν ἠγάσθη τῆς ὥρας οἰνοχοοῦντα ἐν Σιπύλῳ τοῖς θεοῖς καὶ ἀγασθεὶς ἀνέθηκεν ἐς τουτὶ τὸ ἅρμα μειράκιόν γε ἤδη ὄντα. Τὸ δὲ ἅρμα ἴσα τῇ γῇ τὴν θάλατταν διαστείχει, καὶ οὐδὲ ῥανὶς ἀπ´ αὐτῆς πηδᾷ εἰς τὸν ἄξονα, βεβαία δέ, τῇ γῇ ἐοικυῖα, ὑπόκειται τοῖς ἵπποις. Τὸν μὲν οὖν δρόμον ὁ Πέλοψ τε καὶ ἡ Ἱπποδάμεια νικῶσιν ἐφεστηκότε ἄμφω τῷ ἅρματι κἀκεῖ συζυγέντε, ἀλλήλων δὲ οὕτως ἥττησθον, ὡς ἐν ὁρμῇ τοῦ περιβάλλειν εἶναι. Ἔσταλται δὲ ὁ μὲν τὸν Λύδιόν τε καὶ ἁβρὸν τρόπον ἡλικίαν τε καὶ ὥραν ἄγων, ἣν καὶ μικρῷ πρόσθεν εἶδες, ὅτε τοὺς ἵππους τὸν Ποσειδῶνα ἐξῄτει, ἡ δ´ ἔσταλται τὸν γαμικὸν τρόπον ἄρτι τὴν παρειὰν ἀνακαλύπτουσα, ὅτε ἐς ἀνδρὸς ἥκειν νενίκηκε. Πηδᾷ καὶ Ἀλφειὸς ἐκ τῆς δίνης κοτίνου τινὰ ἐξαίρων στέφανον τῷ Πέλοπι προσελαύνοντι τῇ ὄχθῃ. Τὰ δὲ ἐν τῷ ἱπποδρόμῳ σήματα οἱ μνηστῆρες ἐκεῖ ἐθάπτοντο, οὓς ἀποκτείνων ὁ Οἰνόμαος ἀνεβάλλετο τὸν τῆς θυγατρὸς γάμον ἐπὶ τρισκαίδεκα ἤδη νέοις. Ἀλλὰ ἡ γῆ νῦν ἄνθη φύει περὶ τοῖς σήμασιν, ὡς μετέχοιέν τι κἀκεῖνοι τοῦ στεφανοῦσθαι δοκεῖν ἐπὶ τῇ τοῦ Οἰνομάου δίκῃ.

XVI. HIPPODAMIE.

C'est ici une scène de surprise et d'effroi (a): autour d'Œnomaos l'Ar- 282 cadien, tu entends crier, j'imagine, une foule qui représente l'Arcadie et tout le Péloponnèse. Le char, versé par l'artifice de Myrtilos, a volé en éclats ; il était traîné par quatre chevaux. On n'avait pas encore osé se servir pour la guerre de ce genre d'attelage ; mais il était connu, il était en honneur dans les jeux publics. Les Lydiens qui ont la passion des chevaux attelaient déjà quatre chevaux à leurs chars (b), du temps de Pélops ; plus tard ils firent usage de quatre timons et conduisirent les premiers, dit-on, huit chevaux ensemble. Considère la peinture:les coursiers d'Œnomaos sont fiers et fougueux, ils écument de rage (ce qui est surtout propre aux chevaux d'Arcadie), ils sont noirs comme il convient pour une besogne étrange et sinistre ; ceux de Pélops au contraire sont éclatants de blancheur; sensibles aux rênes, amis des paroles persuasives, ils ont un hennissement plein de douceur, qui est comme leur chant de victoire. Œnomaos, étendu à terre, est représenté comme Diomède le Thrace avec un air farouche et cruel. Quant à Pélops, en le voyant, tu ne t'étonneras pas que Poséidon se soit épris d'amour pour sa beauté le jour où sur le Sipyle il servit d'échanson aux dieux, et que dans son admiration il ait donné au héros, tout jeune encore, un char à conduire. C'est un char qui court sur les flots aussi bien que sur la terre, sans rejaillissement d'une seule goutte d'eau sur l'essieu; la mer s'étend comme un sol ferme sous les pieds des chevaux. Pélops et Hippodamie remportent la victoire dans cette course, on les voit debout tous les deux sur le char, étroitement serrés ; peu s'en faut que l'ardeur mutuelle qui les dompte ne les jette dans les bras l'un de l'autre. Pélops est vêtu élégamment à la mode lydienne, il a l'âge et la beauté que tu admirais en lui à l'instant, quand il demandait des chevaux à Poséidon. Hippodamie porte le costume d'une fiancée, elle vient d'écarter le voile qui couvrait son visage, la victoire lui donnant un mari. L'Alphée bondit du fond de ses eaux tourbillonnantes pour offrir une couronne d'olivier à Pélops qui pousse ses chevaux du côté du rivage. Ces tombeaux, au milieu de l'hippodrome, renferment les prétendants au nombre de treize tués par Œnomaos qui différait ainsi le mariage de sa fille. La terre produit maintenant des fleurs autour de ces tombeaux comme pour faire participer les prétendants, en les gratifiant d'une sorte de couronne, à la victoire qui les venge d'Œnomaos.

COMMENTAIRE.

Un roi de Pise, Œnomaos, avait appris d'un oracle qu'il devait périr delà main de son gendre. Ayant obtenu de son père Ares des chevaux rapides 283 comme le vent, il défiait à la course des chars tous les prétendants de sa fille Hippodamie, remportait sans peine la victoire, et suivant les conditions mêmes du pari, perçait de sa lance le vaincu. Mais il fut vaincu et tué à son tour parle Lydien Pélops, grâce à une faveur de Poséidon et à la trahison de l'écuyer Myrtilos ; en effet le dieu des mers avait donné à Pélops, pour cette lutte, un char et des chevaux d'origine divine, et Myrtilos, gagné aux amours de Pélops et d'Hippodamie ne mit pas de clavettes aux roues de son char et les remplaça par de la cire.

Suivant les mythologues (1), Oenomaos maître de coursiers fougueux personnifie la mer orageuse ; Hippodamie ou la dompteuse de chevaux serait la déesse de la mer apaisée ; le défi entre Œnomaos et les prétendants symboliserait la lutte entre les forces de la nature, lutte qui se termine par le triomphe du calme et de la sérénité à la satisfaction des navigateurs amants d'Hippodamie. Nous ignorons jusqu'à quel point cette interprétation est exacte ; mais si tel est le sens allégorique de celte fable, il semble s'être perdu de bonne heure; pour l'antiquité, pour les poètes et les artistes, les aventures de Pélops et d'Hippodamie ont un intérêt tout autre ; elles rappellent d'abord l'institution des jeux Olympiques si chère à Pise et à toutes les villes de la Grèce, et l'intervention des dieux dans l'histoire locale ; ensuite elles fournissent à l'art le sujet de compositions à la fois gracieuses et pathétiques, Pélops demandant à Neptune et recevant le char d'or qui doit lui assurer la victoire; Œnomaos et Pélops se préparant à la course, le vieux roi tombant de son char et foulé aux pieds de ses chevaux, voilà trois moments principaux dans la légende. L'art a su tirer parti de tous les trois (2); nous en trouvons deux parmi les descriptions de Philostrate l'Ancien (3) ; le troisième parmi celles de Philostrate le Jeune. C'est la dernière scène, c'est-à-dire la victoire de Pélops, qui s'offre en premier lieu. Philostrate fait d'Œnomaos un roi d'Arcadie; suivant Pindare, il était roi de Pise, dans l'Élide. Mais, d'après les anciens, les Arcadiens étaient une population indigène du Péloponèse qui occupait à la fois l'Arcadie proprement dite et le pays appelé Élide, du nom des Éléens, originaires d'Étolie (4). A ce titre, Œnomaos, qui descendait des premiers rois éléens, pouvait aussi passer pour le roi des Arcadiens. 284 Lucien qui raconte aussi la légende d'Hippodamie appelle cette princesse la fille de l'Arcadien Œnomaos (5).

L'ordonnance du tableau est très simple : d'un côté, le char brisé d'Oenomaos ; de l'autre, le char monté par Pélops et Hippodamie. Sur les bas-reliefs antiques qui représentent la même scène, les deux chars sont très rapprochés ; sur l'un d'eux même qui est conservé au Louvre (6), les quatre chevaux d'Oenomaos se cabrent et Pélops se détournant touche le front de l'un des quatre, si bien qu'entre les deux chars il n'y aurait pas eu la place pour des chevaux au repos ou courant sans se cabrer ; on voit que Pélops allait être dépassé ou atteint par la lance du vieux roi, au moment où la roue s'est échappée de l'essieu. Peut-être en était-il ainsi dans notre tableau; il est certain qu'en rapprochant ainsi les deux chars et les deux rivaux, l'artiste donnait à sa composition plus de mouvement et d'intérêt et de plus évitait un vide qu'il eût été difficile de remplir.

La même scène orne un autre sarcophage décrit par Guattani (7) ; les deux chars se suivent, mais la chute d'Oenomaos n'amène aucune confusion ; une roue est détachée et cependant le char auquel elle appartient semble continuer sa route. Le sujet, ainsi conçu, change de caractère ; ce n'est plus la lutte entre Œnomaos et Pélops, lutte devant entraîner la mort del'un ou de l'autre ; c'est un vulgaire accident d'une course de chars dans un cirque. En voyant les bornes qui sont placées aux deux extrémités du sarcophage, on serait tenté de croire à une représentation de ce genre, si on n'apercevait deux femmes sur un tertre et un fleuve couché, personnages mythologiques indiquant une scène tirée de la mythologie ; d'ailleurs les deux explications peuvent se concilier : à l'intérêt qu'offre une scène de la vie ordinaire, une chute dans le cirque, l'artiste veut unir, pour le rendre plus vif, l'intérêt qui s'attache à la légende ; on voit tout ce que la légende y perd ; l'artiste est obligé de lui enlever un trait essentiel, le trait véritablement pathétique, c'est-à-dire la réunion des deux moments, celui où Pélops court le plus grand danger, et celui où succombe Oenomaos.

Sur le vase d'Archémore, les deux attelages ne se touchent point; mais le moment choisi par l'artiste n'est plus le même ; le vieux roi étend sa lance pour atteindre Pélops ; sans doute, dans un instant, il tombera de son char fracassé ; mais cet instant n'est pas venu ; le char est entier; Oenomaos peut encore compter sur la victoire. La lutte poursuit son cours régulier; elle n'en est pas moins émouvante ; car nous en pressentons le dénouement fatal (8).

285 Les deux chars étaient attelés de quatre chevaux; sur ce point, Philostrate entreprend de justifier l'artiste. On pourrait croire en effet que la couleur locale a été violée; nulle part dans Homère, le seul historien que nous possédons des mœurs héroïques, il n'est question d'un attelage aussi nombreux. Philostrate prétend que du temps de Pélops, ce genre d'attelage, inusité à la guerre, était en honneur dans les jeux publics. Nous craignons bien que le rhéteur n'en ait d'autre preuve que le tableau qu'il décrit. L'artiste sans doute s'était peu préoccupé de la vérité historique ; ses yeux, comme ceux de ses contemporains, étaient accoutumés à voir les quadriges courir dans les arènes ; un quadrige seul était digne d'un roi comme Œnomaos, et d'un héros comme Pélops. D'ailleurs, comme le fait remarquer spirituellement Welcker, à propos du fronton antérieur d'Olympie, Œnomaos et Pélops, les fondateurs supposés de la course des chars, ne pouvaient pas rester en arrière des concurrents véritables qui montaient des quadriges dans les jeux olympiques (9). Enfin huit chevaux pouvant remplir mieux que quatre l'espace à couvrir par la peinture, ce motif seul suffirait à justifier le peintre. Sur ce point les artistes grecs jouissaient d'une grande liberté, égale au moins à celle que possèdent les nôtres ; si sur les deux sarcophages que nous avons mentionnés il y a quatre chevaux pour chacun des chars, il n'y en a que deux sur le vase d'Archémore, et sur tel bas-relief (10); s'il n'y en avait que deux sur le coffre de Cypsélos, il y en avait quatre sur le fronton antérieur du temple d'Olympie (11).

Les coursiers d'Œnomaos étaient noirs, comme il convient, dit Philostrate, pour une sinistre besogne. Le choix de la couleur en effet ne pouvait être indifférent pour les anciens que la religion, l'art et la poésie avaient habitués au langage du symbole. Les seules victimes noires étaient agréables aux dieux infernaux (12). Les noms des chevaux de Pluton, dans Clau-dien, rappellent les ombres de la nuit éternelle : c'est Orphneus ou le ténébreux; c'est Nycteus ou le nocturne ; c'est Aithon ou la flamme brûlant avec un sombre éclat ; le quatrième porte la couleur de la livrée infernale,

286 Ditisque nota signatus Alastor,

et quelle peut être cette livrée, sinon la robe noire (13)? Une peinture funèbre, découverte dans une tombe de la montagne de Mithridate, représente l'enlèvement de Koré ; le char est rouge ; les roues sont bleuâtres ; les chevaux de Hadès sont bruns (14). Les chevaux de Pélops hennissaient avec douceur ; c'est l'habitude des anciens de nous montrer les chevaux doués des mêmes qualités que leurs maîtres, sensibles à la gloire, capables de joie ou de tristesse. Dans Virgile, Aethon pleure aux funérailles de Pallas (15) ; dans Claudien, les chevaux de Pluton, attelés la veille pour l'enlèvement de Pro-serpine, font entendre de sinistres frémissements d'impatience :

Sœvumque fremebant
Crastina venturae spectantes gaudia pnedœ (16).

Mais comment, en peinture, donner à des chevaux un hennissement doux ou féroce, triste ou joyeux ? Ne nous montrons pas ici d'une sévérité outrée pour Philostrate ; le son ne peut se peindre ; mais l'imagination supplée aisément à cette impuissance du pinceau. Il faut être bien froid pour se refuser, devant une œuvre accomplie, à cette espèce d'illusion, sur laquelle l'art a droit de compter. On serait presque tenté, en décrivant le vase d'Archémore, de se servir des mêmes termes que Philostrate ; les deux chevaux attelés au char de Pélops sont couronnés par la Victoire ; mais on n'aurait pas besoin de cette intervention d'une déesse pour deviner qu'ils sont victorieux; l'un d'eux surtout relève si fièrement la tête qu'il semble avoir conscience de son rôle et de son succès. Un Grec plus enthousiaste que nous les aurait entendus hennir.
Le char de Pélops courait sur les flots sans mouiller ses essieux. C'est au poète que Philostrate emprunte ce détail que la peinture ne saurait rendre. Les artistes avaient cependant imaginé un moyen pour donner au spectateur l'idée d'une vitesse et d'une légèreté merveilleuses. Les chevaux de Pélops étaient ailés sur le coffre de Gypsélos (17) ; ils le sont également sur une cornaline antique, conservée à la Bibliothèque nationale (18) ; les ailes manquent sur les bas-reliefs et dans les peintures de vases qui représentent le même sujet ; elles manquaient aussi probablement dans le tableau de Philostrate. Du moins le texte de l'auteur permet de supposer qu'entre les chevaux d'Oenomaos et ceux de Pélops il n'y avait qu'une différence de 287 couleur et d'expression ; en effet, si le char ou les chevaux avaient eu des ailes, Philostrate les aurait admirés pour ce motif, et non parce qu'ils couraient sur les flots. Un véritable char, semblable aux autres, mais qui n'enfonce point dans la mer, voilà pour lui le prodige.

Hippodamie et Pélops montaient le même char. Ainsi ils étaient représentés d'après Apollonius sur le manteau donné par Athénâ à Jason (19); ainsi, sur le coffre de Cypsélos où l'on voyait, dit Pausanias, Œnomaos poursuivant Pélops qui tenait Hippodamie ; ainsi ils nous apparaissent sur le vase dit d'Archémore et sans doute aussi sur le bas-relief romain dont nous n'avons conservé qu'un fragment (20). Les artistes en cela ne faisaient que suivre la légende. Œnomaos, dit Lucien (21), avait exigé que sa fille fût assise auprès des prétendants, sur le même char, afin que ses rivaux, uniquement occupés d'elle, ne fissent pas attention à la conduite de leur char, raffinement d'habileté qui causa la perte d'Œnomaos, quand sa fille, au lieu d'être sa complice, devint celle de Pélops, mais circonstance heureuse pour les artistes à qui elle permettait de réunir, dans un groupe élégant, le héros et sa fiancée. Cependant Hippodamie n'est point à côté de Pélops, sur le sarcophage du Louvre ; d'après les commentateurs, il faudrait la reconnaître dans une des trois femmes placées à l'extrémité de la composition. Elle n'est ni sur le char, ni ailleurs dans le bas-relief de Guattani ; quant au vase d'Archémore, il ne diffère qu'en quelques points de la description de Philostrate. Hippodamie, qui tient dans sa main une lance, sans doute celle de Pélops, et de l'autre s'appuie sur le rebord du char, détourne la tête, comme si elle craignait que Myrtilos, gagné par elle, ne la trahît, au lieu de trahir son père ; on comprend cette inquiétude, puisque le char d'Œnomaos est sur le point d'atteindre celui de Pélops et que le vieux roi se penche en avant, avec sa lance prête à frapper. Dans Philostrate, au contraire, Œnomaos est renversé ; Hippodamie n'a plus rien à craindre des projets homicides de son père ; elle peut alors répondre à l'amour de Pélops et se serrer près de lui, avec la joie de l'avoir vraiment conquis. Quoi, dira-t-on, à la vue du cadavre de son père, justement puni, mais qui aurait dû l'être par un autre que par elle, Hippodamie songe encore à ses amours 1 elle ne met point d'intervalle entre le meurtre de son père et les marques de sa tendresse pour un homme dont elle achète la victoire à un tel prix ! Ne demandons pas à l'artiste ancien une délicatesse de sentiment qui n'est ni dans le sujet ni dans le rôle des personnages. Hippodamie a conçu son crime sans hésitation, elle le consomme sans remords ; elle jouit sans trouble de sa victoire.

Hippodamie, dit Philostrate, est vêtue comme une fiancée. Le voile était la partie la plus caractéristique de ce costume. Sur le vase de Ruvo, décrit 288 par Ritschl, il est court et flotte sur les épaules, laissant à découvert la tête décorée de la couronne frontale, le double chiton étoile et à bandes brodées, le cou orné de colliers, les bras ornés de bracelets. Le vase d'Archémore lui conserve à peu près le même costume. Dans le tableau de Philostrate, nous devons nous la représenter enveloppée d'un long voile comme la fiancée des Noces aldobrandines, ou encore comme Amphitrite à côté de Poséidon sur tel bas-relief de la glyptothèque de Munich (22), ou sur un autre Thétis assise près de Péleus et recevant les présents de noces que lui apportent les dieux (23). Ce voile, la fiancée l'écartait après les solennités du mariage ; elle déclarait ainsi que son rôle de fiancée était terminé et qu'elle entrait dans son rôle d'épouse. Le peintre aurait donc représenté Hippodamie se découvrant après la mort de son père comme pour dire adieu aux longues et sanglantes fiançailles auxquelles son père l'avait condamnée* On peut s'étonner de la promptitude d'Hippodamie ; mais elle aime Pélops ; elle déteste la cruauté de son père ; elle a hâte de s'offrir comme récompense à son libérateur ; son geste, à défaut d'une raison tirée des usages antiques, serait encore justifié par la violence du sentiment qui la domine; il tire même un certain charme de sa vivacité, et pour ainsi dire de sa spontanéité. Sur un camée du musée Carpagna (24), qui représente Ariadne assise près de Dionysos, c'est l'Amour qui écarte le voile d'Ariadne pour indiquer le mariage entre le dieu et la fille de Minos ; mais ici tout se passe selon l'ordre ; l'Amour vient à son heure pour montrer la fiancée à son époux. Le geste impatient d'Hippodamie dans le tableau de Philostrate supplée avantageusement à la présence de l'Amour ; il est comme la manifestation soudaine d'une joie trop longtemps contenue et d'un aveu trop longtemps retardé. Pélops debout sur le char à côté d'Hippodamie tournait sans doute les yeux vers elle, puisque Philostrate nous dit des deux personnages qu'ils avaient peine à contenir leur ardeur mutuelle. Pélops était jeune et un Lydien ; ainsi il se montre sur presque toutes les peintures de vases. Quelquefois cependant, comme sur le vase d'Archémore, il ne porte que la chlamyde grecque; ainsi le représenta l'art romain, en lui donnant aussi quelquefois un aspect plus âgé (25).

Le roi Oenomaos, d'après Philostrate, avait un aspect farouche et cruel. A cette expression, qui ne saurait nous surprendre chez le père d'Hippodamie, se mêlait sans doute un air d'effroi et de terreur comme sur une belle tête découverte dans les fouilles d'Olympie et qui semble avoir appartenu i la statue d'OEnomaos placé par Pœonios dans le fronton antérieur du temple 289 de Jupiter (26). Oenomaos sur les monuments porte d'ordinaire le casque, la cuirasse, la chlaena et l'épieu ; était-il ainsi armé dans le tableau de Philostrate ? La chose est probable sans être certaine. D'un autre côté, était-il foulé aux pieds de ses propres chevaux, comme dans le bas-relief du Louvre ? Voyait-on cette roue brisée ou détachée, cause de l'accident, qui nous aide aujourd'hui à distinguer ce sujet d'une simple course de char, et qui a paru quelquefois aux archéologues un signe trop certain (27)? Il faut nous résigner à ne rien savoir sur tous ces points. De même Philostrate n'a point jugé à propos de nous faire savoir de combien de personnages se composait celte foule qui représentait l'Arcadie et le Péloponnèse. Ils étaient peu nombreux sans doute, à en juger par les habitudes de l'art antique.

Deux fleuves, l'Alphée et son affluent Cladéos, avaient été témoins de la victoire de Pélops. Tous les deux étaient figurés dans le fronton antérieur du temple d'Olympie qui représentait les préparatifs de la lutte entre Pélops et Oenomaos; un des angles était occupé par le Cladéos, l'autre par l'Αlphée (28). L'Alphée dans notre tableau est chargé de deux rôles ; il précise le lieu de la scène et il couronne le vainqueur. De ces deux rôles, le premier* dans le sarcophage du Louvre a été donné à une femme couchée qui personnifie Pise ou Olympie ; le second paraît appartenir au cocher de Pélops qui tient à la main et élève au-dessus de la tête de son maître un objet assez semblable à une couronne. Sur le bas-relief Guattani, un fleuve couché sur un tertre et comme suspendu en l'air, à l'extrémité de la composition, contemple la course : « c'est le Cladéus, dit un des commentateurs, il appuie sa main droite sur une rame, pour indiquer que la course devait commencer au bord du fleuve et finir à l'isthme de Corinthe. » Le Cladéos pourrait être aussi bien l'Alphée, et la rame pourrait n'être ici que l'attribut d'un fleuve navigable ; toujours est-il que ce personnage est là pour indiquer le théâtre de la course. Personne ne pose une couronne sur la tête de Pélops. En revanche, sur le vase d'Archémore, on ne voit ni l'Alphée ni le Cladéos; mais une Victoire volant au-dessus du char de Pélops tient une bandelette, dont elle doit ceindre le front du héros. Nous savons gré au peintre de notre tableau d'avoir remplacé la Victoire par l'Alphée ; comme témoin courroucé des atrocités d'OEnomaos, il avait dû favoriser les desseins de Pélops ; en outre, comme il représente tout à la fois l'Elide qu'il traverse, l'hippodrome qui s'étend sur ses bords, c'est toute la contrée, c'est Pise et Olympie qui semblent par la main du dieu récompenser leur libérateur. Dans l'hippodrome 290 d'Olympie, une statue d'Hippodamie, en airain, placée à l'une des bornes, tenait une bandelette comme pour couronner le vainqueur (29): c'était là une attitude qui convenait parfaitement à une statue isolée de la fiancée de Pélops; la bandelette, prix de la course, était bien placée entre les mains delà femme, qui rappelait l'institution deà jeux Olympiques et qui avait été elle-même l'enjeu d'une des luttes les plus mémorables de l'antiquité; mais le peintre, représentant tous les personnages qui avaient pris part à la scène, avait eu raison de nous montrer Hippodamie tout entière à son amour, et de confier au fleuve le soin de couronner le favori de Poséidon.

Les tombeaux des prétendants n'étaient point placés dans l'hippodrome même d'Olympie. Pausanias les vit non loin de cette ville : l'un, celui de Marmax, le premier qui fut tué, sur les bords du fleuve Parthénia ; l'autre, à quelque distance d'Harpina, ville fondée par OEnomaos (30). L'artiste n'a fait qu'user de son droit en les transportant dans l'arène elle-même. D'ailleurs, il y avait aussi des tombeaux et des autels dans l'hippodrome même, et Pausanias (31), parlant d'un monument élevé à un certain Taraxippe, auprès duquel les chevaux étaient soudainement saisis de frayeur, ne sait point trop si ce n'est point le tombeau d'Alcathoos, un des prétendants dont l'ombre vengeresse errait encore dans le stade pour épouvanter les coureurs. D'autres affirmaient, il est vrai, que cette ombre était celle d'Oenomaos ou de Myrtilos qui tous les deux avaient été inhumés en ce lieu par Pélops. Quoiqu'il en soit, cette légende de Taraxippe nous montre les morts attentifs aux actions des vivants ; nous ne serons donc pas étonnés de lire dans Philostrate que les prétendants ressentent dans la tombe la joie d'être vengés, et que la terre leur tresse une couronne pour les associer plus pleinement à la victoire de Pélops. Ce n'est point là une idée subtile ou déclamatoire qu'il faille reprocher à l'artiste ou au rhéteur; elle est conforme aux croyances de la Grèce. D'ailleurs la présence du tombeau était sans doute destinée, dans l'esprit du peintre, à rendre la scène à la fois plus claire et plus saisissante; nous ne retrouvons pas ce tombeau sur les monuments analogues qui nous sont parvenus; mais sur telle peinture, représentant le sacrifice qui précède la course des chars, les têtes coupées de deux prétendants, le bonnet et l'épée d'un autre, sont appendus comme à un mur de fond, au-dessus des personnages (32), et sur tel bas-relief (33) les prétendants encore gisants dans l'arène sont foulés aux pieds par les chevaux d'Oenomaos et de Pélops; tant il est vrai que dans la représentation d'une pareille scène, il était naturel de rappeler d'une façon ou d'une autre les meurtres dont le même lieu avait été la théâtre !

 

(1) Preller, G. M., II, 386.

(2) Pour la liste des œuvres d'art, qui reproduisent celte légende à ces différents moments, voir Ritchl, Opuscula, 1, p. 796 (Pelops-Vase von Ruvo) et p. 815 (Pelops und Œnomaus : römisches sarkophagrelief). Ces deux études sont tirées des Annali dell' Instituto, 1840 et 1858. Voir aussi Archäol. Zeitung, 1853, p. 33, 1867, p. 64, pl. CCXXIV, 2 (aryballe à peintures blanches et rouges représentant Pélops après la victoire) et 1868, un article de Pervanoglu sur le vase précédent.

(3) Voir le tableau XXIX du livre 1. Philostrate avait dû décrire ce tableau avec celui qui nous occupe, comme l'indique, dans la description d'Hippodamie, le passage : il a l'âge et la beauté que tu admirais en lui à l'instant, quand il demandait des chevaux à Poséidon. Nous avons suivi Tordre offert par les manuscrits et adopté par toutes les éditions : mais cet ordre n'est évidemment pas celui qu'avait choisi Philostrate.

(4) Pausanias, V, I, 1.

(5) Charidème ou de la beauté, ch. xix.

(6) Clarac, pl. CCX, n° 201.

(7) Guatt., M. In., 1785, XI, III; Guigniaut, Reliq. de l'ant., pl. CCII, 734.

(8) Nous ne mentionnons pas ici le bas-relief de sarcophage édité et décrit par Ritachi, dans les Annali dell' Instituto (1858, tav. d'aggiunto K). La scène représentée n'est pas en effet la course des chars, mais, selon toute probabilité, les préparatifs de cette course. Au milieu de la composition, se dresse un autel, entre Œnomaos et Pélops qui sacrifient, et prononcent sans doute la formule du serment; adroite piaffent les chevaux d'Œnomaos sur la piste, où gisent encore les cadavres des prétendants ; à droite, deux chevaux qui se cabrent vont emporter un char monté par deux personnages. L'un de ces personnages est Hippodamie, l'autre Myrtile suivant Ritschl. Nous aimons mieux voir, pour notre part, dans ce dernier personnage, Pélops lui-même,commençant la course. Pourquoi Myrtile se trouverait-il sur le char avec Hippodamie, surtout à ce moment ? II est vrai que Pélops, placé en face d'Œnomaos, a des chaussures avec bandelettes et que le personnage du char est jambes nues ; mais il n'y a peut-être d'autre cause  à cette anomalie que la distraction ou la négligence de l'artiste.

(9) Welcker, Alt. Denkm., I, p. 183.

(10) Le bas-relief décrit par Ritschl, voir la note précédente,

(11) Paus., V, 7, 7 ; 10, 6.

(12) Cf. Hom. Odyss., XI, 1 à 100. Pausanias, X, 29, I.

13) Claudien, De R. Pros., I, 282.

(14) Stephani, compte rendu de la comm. archéol. de Saint-Pétersbourg, 1868, p. 115.

(15) Aen., IX, 89.

(16) De Rapt. Pros., I, 285.

(17) Pausan., V, 18, 7.

(18) Chabouillet, catal., n° 1790.

(19) Apollonius de Rhodes, I, 753.

(20) Le bas-relief décrit par Ritschl ; voir les notes précédentes.

(21) Lucien, Charidème ou de la beauté, c. xix.

(22) Iahn, Bericht. der kön. sachs. Gesell der Wiss., 1854, p. 164.

(23) Zoega, Bass., 52. Cf. Jahn, à l'endroit cité plus haut,

(24) Buonarotti, Medagl. antich., p. 430.

(25) Cf. Ritschl., Opuscula, 1, 803, note ** et pour les armes que porte ordinairement Pélops, 824.

(26) Arch. Zeitung, Bericht 32 (1879, p. 117). Cf. Curtius et Hirschfeld, les Fouilles d'Olympie, vol. IV, pl. IX.

(27) Voir par exemple Glarac, Musée, 204 bis, pl. 214 bis, n° 789. Sans la roue dont s'arme un personnage pour en assommer un autre, qui se serait avisé de reconnaître en ce sujet la mort d'Oenomaos ?

(28) On croit avoir retrouvé le torse, la tète, la partie supérieure du bras gauche et les jambes du Cladéos olympien. Cf. Curtius et Hirschfeld, les Fouilles d Olympie, l, pl. XXII, IV, VII, VIII et IX.

(29) Pausan., VI, 20, 19.

(30) Id., VI, 3, 21, 7.

(31) Id., VI, 20, 16 et 17.

(32) Vase de Ruvo décrit par Ritschl.

(33) Sarcophage romain, Ritschl, Opusc, I, 815.

 

ΒΑΚΧΑΙ

Γέγραπται μέν, ὦ παῖ, καὶ τὰ ἐν τῷ Κιθαιρῶνι, Βακχῶν χοροὶ καὶ ὕποινοι πέτραι καὶ νέκταρ ἐκ βοτρύων καὶ ὡς γάλακτι τὴν βῶλον ἡ γῆ λιπαίνει. Καὶ ἰδοὺ κιττὸς ἕρπει καὶ ὄφεις ὀρθοὶ καὶ θύρσου δένδρα οἶμαι μέλι στάζοντα. Καὶ ἥδε σοι ἡ ἐλάτη χαμαὶ γυναικῶν ἔργον ἐκ Διονύσου μέγα, πέπτωκε δὲ τὸν Πενθέα ἀποσεισαμένη ταῖς Βάκχαις ἐν εἴδει λέοντος. Αἱ δὲ καταξαίνουσι τὸ θήραμα μήτηρ ἐκείνη καὶ ἀδελφαὶ μητρὸς αἱ μὲν ἀπορρηγνῦσαι τὰς χεῖρας, ἡ δὲ ἐπισπῶσα τὸν υἱὸν τῆς χαίτης. Εἴποις δ´ ἂν καὶ ὡς ἀλαλάζουσιν, οὕτως εὔιον αὐταῖς τὸ ἆσθμα. Διόνυσος δὲ αὐτὸς μὲν ἐν περιωπῇ τούτων ἕστηκεν ἐμπλήσας τὴν παρειὰν χόλου, τὸν δὲ οἶστρον προσβακχεύσας ταῖς γυναιξίν. Οὔτε ὁρῶσι γοῦν τὰ δρώμενα καὶ ὁπόσα ἱκετεύει ὁ Πενθεὺς λέοντος ἀκούειν φασὶ βρυχωμένου. Ταυτὶ μὲν τὰ ἐν τῷ ὄρει, τὰ δὲ ἐγγὺς ταῦτα Θῆβαι ἤδη καὶ Κάδμου στέγη καὶ θρῆνος ἐπὶ τῇ ἄγρᾳ καὶ συναρμόττουσιν οἱ προσήκοντες τὸν νεκρόν, εἴ πῃ σωθείη τῷ τάφῳ. Πρόσκειται καὶ ἡ κεφαλὴ τοῦ Πενθέως οὐκέτι ἀμφίβολος, ἀλλ´ οἵα καὶ τῷ Διονύσῳ ἐλεεῖν, νεωτάτη καὶ ἁπαλὴ τὴν γένυν καὶ πυρσὴ τὰς κόμας, ἃς οὔτε κιττὸς ἤρεψεν οὔτε σμίλακος ἢ ἀμπέλου κλῆμα οὔτε αὐλὸς ἔσεισέ τις οὔτ´ οἶστρος. Ἐρρώννυτο μὲν ὑπ´ αὐτῶν καὶ ἐρρώννυεν αὐτάς, ἐμαίνετο δὲ αὐτὸ τὸ μὴ μετὰ Διονύσου μαίνεσθαι. Ἐλεεινὰ καὶ τὰ τῶν γυναικῶν ἡγώμεθα. Οἷα μὲν γὰρ ἐν τῷ Κιθαιρῶνι ἠγνόησαν, οἷα δὲ ἐνταῦθα γινώσκουσιν. Ἀπολέλοιπε δὲ αὐτὰς οὐχ ἡ μανία μόνον, ἀλλὰ καὶ ἡ ῥώμη, καθ´ ἣν ἐβάκχευσαν. Κατὰ μὲν γὰρ τὸν Κιθαιρῶνα ὁρᾷς, ὡς μεσταὶ τοῦ ἄθλου φέρονται συνεξαίρουσαι τὴν ἠχὼ τοῦ ὄρους, ἐνταῦθα δὲ παρίστανται καὶ εἰς νοῦν τῶν βεβακχευμένων ἥκουσιν, ἱζάνουσαί τε κατὰ τῆς γῆς τῆς μὲν εἰς γόνατα ἡ κεφαλὴ βρίθει, τῆς δὲ εἰς ὦμον, ἡ δ´ Ἀγαύη περιβάλλειν μὲν τὸν υἱὸν ὥρμηκε, θιγεῖν δὲ ὀκνεῖ. Προσμέμικται δ´ αὐτῇ τὸ τοῦ παιδὸς αἷμα τὸ μὲν ἐς χεῖρας, τὸ δὲ ἐς παρειάν, τὸ δὲ ἐς τὰ γυμνὰ τοῦ μαζοῦ. Ἡ δὲ Ἁρμονία καὶ ὁ Κάδμος εἰσὶ μέν, ἀλλ´ οὐχ οἷοίπερ ἦσαν· δράκοντες γὰρ ἤδη ἐκ μηρῶν γίνονται, καὶ φολὶς ἤδη αὐτοὺς ἔχει. Φροῦδοι πόδες, φροῦδοι γλουτοί, καὶ ἡ μεταβολὴ τοῦ εἴδους ἕρπει ἄνω. Οἱ δὲ ἐκπλήττονται καὶ περιβάλλουσιν ἀλλήλους, οἷον ξυνέχοντες τὰ λοιπὰ τοῦ σώματος, ὡς ἐκεῖνα γοῦν αὐτοὺς μὴ φύγῃ.

291 XVII. LES BACCHANTES.

Cette peinture représente les scènes du Cithéron : voici les chœurs de Bacchantes, les pierres ruisselant devin, les grappes distillant le nectar, les mottes de terre toutes reluisantes de l'éclat du lait, voici le lierre à la tige rampante, les serpents dressant la tête, les thyrses, et les arbres d'où le miel s'échappe goutte à goutte. Vois ce sapin étendu sur le sol, sa chute est l'œuvre des femmes violemment agitées par Dionysos ; en le secouant, les Bacchantes l'ont fait tomber avec Penthée qu'elles prennent pour un lion (a) ; les voilà qui déchirent leur proie, les tantes détachent les mains, la mère traîne son fils par les cheveux. On entend, dirait-on, leur chant de victoire ; le cri d'évoé semble sortir de leurs poitrines haletantes. Quant à Dionysos, il contemple cette scène d'un lieu élevé, les joues toutes rouges de colère (b), soufflant aux femmes le délire divin; elles ne voient pas ce qu'elles font ; Penthée s'épuise vainement en prières ; elles disent qu'elles entendent le rugissement d'un lion. Tout ceci a lieu sur la montagne ; plus près de nous, voici Thèbes et le palais de Cadmos ; au milieu des lamentations funèbres, les parents de Penthée réunissent ses membres dispersés, afin de déposer au moins un cadavre entier dans le tombeau. La tête, gisant sur le sol, n'est plus méconnaissable ; elle ferait pitié à Dionysos lui-même par son air de jeunesse, par un menton délicat, par des cheveux blonds que n'ont point couronnés ni le lierre, ni le smilax, ni le pampre, que ni la flûte n'a dérangés, ni la fureur bacchique. Irrité par les Bacchantes, il les irritait à son tour (c); il était en délire par cela même qu'il ne partageait pas le délire de Dionysos. Notre pitié est due aussi aux femmes qui sur le Cithéron furent frappées d'un tel aveuglement, qui sont devenues maintenant si clairvoyantes! Leur fureur est tombée, et en même temps la force qu'elles possédaient dans leurs transports. Tu vois comme sur le Cithéron elles s'élancent enivrées par la lutte, réveillant par leurs cris aigus l'écho de la montagne ; ici elles sont calmes, ce qu'elles ont fait dans leurs ébats de bacchantes, elles le comprennent; assises par terre, Tune a la tête penchée sur les genoux, l'autre sur l'épaule. Pour Agave, elle voudrait embrasser son fils et craint de le toucher; ses mains, ses joues, ses seins à moitié nus, sont couverts de sang. Harmonie et Cadmos sont aussi présents, mais non tels qu'ils étaient autrefois ; déjà les extrémités inférieures, depuis les cuisses, se transforment en serpents ; tout disparaît sous les écailles depuis les pieds jusqu'aux hanches; la méta- 292  morphose gagne les parties supérieures. Harmonie et Cadmos sont frappés d'épouvante ; ils s'embrassent mutuellement comme si, par cette étreinte, ils devaient arrêter leur corps dans sa fuite et sauver du moins ce qui leur reste encore de la forme humaine.

COMMENTAIRE.

Le meurtre de Penthée et les lamentations des Bacchantes sur leur œuvre sanguinaire, ces deux scènes, décrites par Philostrate, étaient-elles réunies dans le même cadre ou formaient-elles chacune un tableau distinct? De ces suppositions, qui toutes deux ont été faites, la première seule nous paraît conforme au texte de notre auteur. Philostrate, en eifet, après nous avoir montré les Bacchantes déchirant Penthée, ajoute : « Tout ceci a lieu sur la montagne ;plus près de not/s, voici Thèbes, etc. » Ces mots nous semblent indiquer clairement que les Ménades repentantes étaient placées sur le premier plan et que les Ménades furieuses s'agitaient dans le lointain. Welcker trouvait les deux scènes trop différentes pour être ainsi rapprochées ; c'est cette différence même, croyons-nous, qui aura déterminé l'artiste à faire entrer les deux scènes dans la même composition. Opposer à l'excès de la fureur l'excès de l'abattement, la consternation à la joie délirante, les tortures de la clairvoyance à la triste sécurité de l'égarement, faire valoir ces sentiments divers les uns par les autres, émouvoir deux fois le spectateur, en faveur de la victime et en faveur des bourreaux, telles étaient les ressources du sujet ainsi conçu, et un peintre les aurait dédaignées! L'unité de temps et de lieu n'était point une règle, nous le savons aujourd'hui, pour l'antiquité ; mais, Γ eût-elle été, que les artistes n'auraient pas failli à la violer, quand ils l'auraient pu faire avec avantage.

Le Cithéron se dressait donc au fond du tableau, et sur la pente de la montagne s'accomplissaient, aux yeux des spectateurs, les merveilles racontées par Euripide : « De la terre coule le lait, coule le vin, coule le nectar des abeilles... (1). Une des bacchantes, prenant son thyrse, en frappa un rocher d'où sortit aussitôt une eau limpide ; une autre inclina sa torche vers la terre, et à l'endroit même le dieu fit jaillir des flots de vin; celles qui désiraient s'abreuver de lait n'avaient qu'à écarter la terre du bout des doigts pour que la blanche liqueur coulât en abondance; leurs thyrses couronnés de lierre distillaient la douce rosée du miel (2). » Il peut se faire que dans la description de Philostrate, le souvenir d'Euripide soit entré pour autant que l'étude attentive du tableau ; le rhéteur en effet éprouve un tel plaisir à rappeler les grands poètes, à leur emprunter leurs expressions et leurs images 293 qu'on peut le soupçonner de sacrifier quelquefois à ce goût de lettré l'exactitude de l'observation. Mais le peintre, lui aussi, connaissait sans doute Euripide; il l'avait relu, vu peut-être à la scène, avant de composer son tableau : quoi d'étonnant dès lors qu'il ait cherché à reproduire par le pinceau les prodiges chantés par Euripide ? Vainement on objecte (3) que les sophistes se complaisaient dans les descriptions ; vainement on rappelle avec Lucien celui d'entre eux qui, écrivant une histoire, montrait à ses lecteurs ou auditeurs le chef ennemi fuyant dans une grotte ombragée parle lierre, la myrrhe, le laurier qui s'entrelaçaient et formaient un ravissant berceau (4). De tels ornements dans le récit d'une guerre peuvent être déplacés ; ils sont au contraire à leur place dans un tableau qui représente les mystères de Dionysos sur le Cithéron. Mais, dit-on, de tels prodiges se racontent ; ils ne peuvent se montrer aux yeux. C'est là, croyons-nous, une erreur, une vaine subtilité qui n'aurait point embarrassé les Grecs ; pour eux, non seulement tout ce qui est visible, mais tout ce qui peut être imaginé, peut aussi être représenté. D'ailleurs, dans le tableau qui nous occupe, un ruisseau de lait n'est pas plus difficile à peindre qu'un filet d'eau vive ; que le vin coule d'une fente de rocher au lieu de s'échapper d'un rhyton, comme il arrive tant de fois dans les peintures d'Herculanum et de Pompéi, ce n'est pas là une différence qui puisse gêner le pinceau ou choquer les yeux. Des thyrses dont l'écorce s'entrouvre et laisse tomber sur le sol les gouttelettes dorées d'un miel liquide, cela est aisé à représenter, et n'est point d'une invraisemblance ou d'une laideur à déplaire aux plus délicats.

Penthée renversé à terre est déchiré par les Ménades : ses tantes le tirent chacune par un bras et sa mère le traîne par les cheveux. Dans trois bas-reliefs en marbre qui représentent le même sujet, la disposition n'est pas la même que dans notre tableau et varie avec chacun d'eux. Sur l'un (5), une bacchante, appuyant un pied sur|i'oreille de Penthée assis, lui arrache le bras gauche ; une seconde, un genou en terre, tire sur le pied droit de l'infortuné ; une troisième, placée entre les deux premières, lui assène sur la tête un coup de hoyau. Un bas-relief de la galerie Giustiniani (6) nous montre Penthée également assis ; deux bacchantes l'ont saisi aux cheveux ; deux autres de chaque côté s'efforcent de lui arracher, l'une le bras droit, l'autre le bras gauche. Un marbre de Turin groupe les personnages à peu près de la même façon ; cependant, des deux Ménades placées derrière Penthée, l'une, au lieu de le prendre par les cheveux, se prépare à le frapper avec une branche d'arbre. Ces trois compositions semblent reproduire, avec de légères différences, un exemplaire unique, sans doute l'œuvre d'un grand maître. La peinture dé- 294 crite par Philostrate ne présente pas la même symétrie, le même contraste dans les mouvements et les attitudes. Est-ce là une faute qu'il faille, avec un commentateur (7), reprocher à l'artiste. Y a-t-il, au point de vue de l'esthétique ou de la vraisemblance, un inconvénient à laisser libres les jambes de Penthée? Nous ne le croyons pas : dans un dessin célèbre de Raphaël (8), la Calomnie traîne parles cheveux l'Innocence qui élève les mains jointes vers le ciel ; supposons que les deux bras soient tenus par deux personnages placés de chaque côté, et nous aurons la même situation que dans le tableau de Philostrate. Quelle résistance d'ailleurs peut opposer Penthée, ainsi traîné à terre, et n'ayant plus l'usage des bras; moins grande sans doute que l'Innocence de Raphaël, qui a conservé l'usage des jambes et des bras ? Sans doute, si l'Innocence ne se défend pas, c'est qu'elle est l'Innocence et qu'elle compte, à tort peut-être, sur elle-même et la protection du ciel; mais Penthée, plus fortement maintenu que Vlnnocence, est encore affaibli par la peur, et réduit à l'impuissance parla colère d'un dieu.

Dionysos ne paraît point sur les bas-reliefs que nous avons mentionnés. Sa présence doit-elle nous étonner, dans le tableau de Philostrate ? Non, sans doute, Euripide suppose que, lorsque Penthée fut assis au sommet du pin, l'étranger, c'est-à-dire Dionysos, se déroba à la vue, et qu'une voix, sans doute celle du dieu, cria d'en haut : « Jeunes femmes, je vous envoie celui qui vous méprise, vous, moi et mes orgies : vengez-vous de lui (9). » Dans Euripide, le dieu se révèle en disparaissant : les paroles meurtrières qu'il prononce ont plus d'effet que n'en pourrait avoir sa présence ; d'ailleurs il est là, quoique invisible, pour aiguillonner la fureur des bacchantes et jouir de sa vengeance. Ne pouvant faire parler Dionysos, l'art le met en scène : quoi de plus naturel et de plus légitime ? D'ailleurs, si Dionysos est absent des bas-reliefs antiques qui représentent la mort de Penthée, il paraît, avec tout son cortège, sur un bas-relief dont le sujet est le châtiment de Lycurgue (10).

Au pied de la montagne, les parents de Penthée recueillent ses membres dispersés ; la tête du malheureux roi est gisant à terre : Agave a du sang sur les mains, sur la figure, sur la poitrine. N'est-ce point là un spectacle hideux, peu conforme aux habitudes de l'art antique? Remarquons d'abord qu'en fait d'art un détail gracieux atténue singulièrement l'horreur des autres ; séparée du tronc, ensanglantée, la tête de Penthée n'est cependant point méconnaissable ; si elle n'avait plus l'éclat du teint, les chairs avaient conservé du moins cette fermeté qui convient à la jeunesse ; les cheveux 295 n'étaient point souillés au point de laisser le spectateur incertain au sujet de leur nuance. D'un autre côté, comme nous le montrons ailleurs, c'est un préjugé de croire que les artistes anciens évitaient de représenter le sang et les blessures; pour être constamment gracieux, l'art grec ne tombe pas dans une fausse et puérile délicatesse. Un peuple, qui a des légendes terribles, ne redoute point, dans l'art, les effets tragiques.

Penthée était le petit fils de Cadmos et d'Harmonie. Dans Euripide, Dionysos, paraissant sur le théâtre à la fin de la pièce, parle ainsi à Cadmos : « Tu seras métamorphosé en dragon, et la fille de Mars, Harmonie, que tu épouseras, quoique simple mortel, prendra la forme d'un serpent (11). » Le peintre de notre tableau, se souvenant de ce passage, avait représenté Cadmos et Harmonie au moment de leur transformation. Y a-t-il lieu de blâmer l'artiste de s'être ici inspiré du poète? Un commentateur (12) a prétendu que l'art antique représentait le résultat de la métamorphose, non la métamorphose elle-même. C'est une erreur que nous réfutons ailleurs. Un autre (13) trouve que cette métamorphose de Cadmos et d'Harmonie n'ayant aucun rapport avec le meurtre de Penthée est un véritable hors-d'œuvre. Si l'observation est juste, Euripide et le peintre ont mérité le même reproche, mais Euripide a pris soin de se justifier, et partant a justifié le peintre qui l'a suivi : « Montés sur un chariot traîné par des bœufs, dit Dionysos à Cadmos et Harmonie, vous montrerez le chemin aux barbares. A la tête d'une armée innombrable, tu détruiras une foule de villes, mais, quand ils ravageront le temple prophétique d'Apollon, ils auront un funeste retour. Mars te délivrera ainsi qu'Harmonie et vous transportera dans la terre des bienheureux. Ce n'est pas le fils d'un père mortel, c'est Bacchus issu de Jupiter qui vous parle en ce moment. Si vous aviez su être sages au lieu de vous abandonner à l'erreur, vous seriez heureux grâce à la protection du fils de Jupiter (14). » Ainsi, selon Euripide, la colère du dieu retombe sur Cadmos et Harmonie; ils sont coupables pour avoir eu un fils sacrilège. Le crime de Penthée a pour conséquence l'abaissement de sa maison. Ces différents événements ayant été liés entre eux soit par la légende, soit par le caprice du poète, il était naturel que le peintre les réunît dans le même tableau. D'ailleurs la pièce d'Euripide était si connue dans l'antiquité que les spectateurs d'une peinture, qui représentait la mort de Penthée, devaient y chercher des yeux, au milieu des autres personnages prenant part à l'action, Harmonie et Cadmos, ces deux victimes innocentes de la colère d'un dieu, ces deux ancêtres qui assistent à la mort de leur petit-fils, à la ruine de leurs espérances, frappés dans l'avenir comme dans le présent. Le dénouement 296 d'Euripide consiste en une suile de malheurs qui s'aggravent les uns par les autres ; le désespoir d'Agave rend Cadmos plus digne de pitié ; la triste métamorphose de Cadmos, en ajoutant aux douleurs d'Agave, excite plus vivement notre compassion pour elle. Reproduits et rapprochés de la même façon par l'art du peintre, ces événements devaient agir pareillement sur l'âme du spectateur. Ne voyons donc pas dans cette métamorphose un hors-d'œuvre ni même un de ces parerga (15), que les peintres employaient pour désigner le lieu de la scène; elle fait partie du sujet ; elle complète dignement cette histoire lamentable de Penthée.

En résumé, le sujet est emprunté à la pièce d'Euripide ; mais l'artiste n'a pas suivi le poète servilement. Ainsi Dionysos, qui disparaît dans la pièce au moment du meurtre y assiste dans le tableau ; présent dans la pièce, lorsque Cadmos et Harmonie sont métamorphosés en serpents, Philostrate ne le mentionne pas en décrivant la dernière scène. Dans Euripide Agave saisit la main gauche de Penthée, et, le pied appuyé sur le flanc du malheureux prince, elle lui arrache le bras (16) ; dans le tableau, elle le saisit par les cheveux ; les bras sont arrachés par les tantes. Penthée, dans la pièce, avait revêtu le costume féminin ; sur le conseil de Dionysos, il avait pris le thyrse et la mitre; Philostrate ne parle point de son costume ; il est probable qu'il était nu comme sur les bas-reliefs. Dans la pièce, c'est Cadmos lui-même qui recueille les débris de son petit-fils. Dans le tableau, subissant la métamorphose que le dieu lui inflige, il ne peut rendre à Penthée les derniers devoirs. Les parents se sont chargés de ce soin, dit Philostrate, qui désigne souvent par ce terme un peu vague des personnages qu'il n'a pu nommer autrement et qui peut-être n'avaient pas de nom dans l'esprit du peintre. D'un autre côté, comparé aux monuments antiques, le tableau de Philostrate présente, dans les parties analogues, des différences que nous avons relevées; les attitudes surtout ne sont pas les mêmes; rappelons toutefois que sur quelques-uns Penthée est traîné par les cheveux comme dans notre tableau. G'est donc une composition originale réunissant des traits empruntés à Euripide, et d'autres qui sont conformes ou du moins n'ont rien de contraire au caractère des monuments antiques (17).

(1) Eurip., Bacch., v. 143, traduct. Pessonn., I, p. 90.

(2) Id., ibid.9 ν• 105; trad. Pessonn., I, p. 107.

(3) Matz. De Philostrat, fide, p. 70 et 71.

(4) Lucien, Comment il faut écrire l'histoire, ch. xix.

(5) Sarcophage conservé au Campo Santo de Pise. Welcker le décrit d'après le peintre Lund son ami.

(6) Gal. Giustiniani, II, 10, Müller-Wieseler, Denkmäter der alten Kunst, II XXXVII, n°437.

(7) Matz, De Philostrat. fide, p. 109.

(8) Dessin du Louvre, gravé par Alpb. Leroy (chalcogr. du Louvre}.

(9) Eur. Bacch., 1078.

(10) Müller-Wieseler, Denk. d. a. Kunst, II, pl .XXXVII, n° 141.

(11) Eur.,  Bacch., 1332.

(12) Friderichs, Die Phil. Bilder.

(13) Matz, De Phil. fide, 110, note I.

(14) Eur., Bacch., 1334, traduct. Pess., II, p. 127.

(15) Welcker justifiait ainsi le peintre.

(16) Eur., Bacch., v. 1124.

(17) Outre les monuments cités, voir un vase de Ruvo (Minervini, Memor. acc, tav. l)i un vase de Jatta (Bull. Nap., III, tav. 6) une coupe de Calés, tous monuments mentionnés par l'Arch. Zeitung de l'année 1873, p. 80. Sur le vase de Ruvo, Penthée est agenouillée; de la main droite, il tire l'épée que saisit une Ménade ; il a la main gaucho enveloppée de sa chlamyde. La coupe de Calés le montre également à genoux; la main droite tient l'épée, la main gauche, le bouclier; une panthère lui déchire les flancs. Une Ménade ou une Furie (comme le veut Dilthey), se précipite le thyrse à la main, pour achever l'œuvre de vengeance.

 

 

ΤΥΡΡΗΝΟΙ

Ναῦς θεωρὶς καὶ ναῦς λῃστρική. Τὴν μὲν Διόνυσος εὐθύνει, τὴν δ´ ἐμβεβήκασι Τυρρηνοὶ λῃσταὶ τῆς περὶ αὐτοὺς θαλάττης. Ἡ μὲν δὴ ἱερὰ ναῦς βακχεύει ἐν αὐτῇ Διόνυσος καὶ ἐπιρροθοῦσιν αἱ Βάκχαι, ἁρμονία δέ, ὁπόση ὀργιάζει, κατηχεῖ τῆς θαλάττης, ἡ δὲ ὑπέχει τῷ Διονύσῳ τὰ ἑαυτῆς νῶτα, καθάπερ ἡ Λυδῶν γῆ, ἡ δὲ ἑτέρα ναῦς μαίνονται καὶ τῆς εἰρεσίας ἐκλανθάνονται, πολλοῖς δὲ αὐτῶν ἀπολώλασιν ἤδη αἱ χεῖρες. Τίς ἡ γραφή; τὸν Διόνυσον, ὦ παῖ, λοχῶσι Τυρρηνοὶ λόγου ἐς αὐτοὺς ἥκοντος, ὡς θῆλύς τε εἴη καὶ ἀγύρτης καὶ χρυσοῦς τὴν ναῦν ὑπὸ τοῦ ἐν αὐτῇ πλούτου γύναιά τε αὐτῷ ὁμαρτοίη Λύδια καὶ Σάτυροι [καὶ] αὐληταὶ καὶ ναρθηκοφόρος γέρων καὶ οἶνος Μαρώνειος καὶ αὐτὸς ὁ Μάρων. Καὶ Πᾶνας αὐτῷ ξυμπλεῖν ἀκούοντες ἐν εἴδει τράγων αὐτοὶ μὲν ἄξεσθαι τὰς Βάκχας, αἶγας δὲ ἀνήσειν ἐκείνοις, ἃς ἡ Τυρρηνῶν γῆ βόσκει. Ἡ μὲν οὖν λῃστρικὴ ναῦς τὸν μάχιμον πλεῖ τρόπον. Ἐπωτίσι τε γὰρ κατεσκεύασται καὶ ἐμβόλῳ καὶ σιδηραῖ αὐτῇ χεῖρες καὶ αἰχμαὶ καὶ δρέπανα ἐπὶ δοράτων. Ὡς 〈δ´〉 ἐκπλήττοι τοὺς ἐντυγχάνοντας καὶ θηρίον τι αὐτοῖς ἐκφαίνοιτο, γλαυκοῖς μὲν γέγραπται χρώμασι, βλοσυροῖς δὲ κατὰ πρῷραν ὀφθαλμοῖς οἷον βλέπει, λεπτὴ δὲ ἡ πρύμνα καὶ μηνοειδὴς καθάπερ τὰ τελευτῶντα τῶν ἰχθύων. Ἡ δὲ τοῦ Διονύσου ναῦς τὰ μὲν ἄλλα † πέτρᾳ μοι διείκασται—φολιδωτὴ δὲ ὁρᾶται τὸ ἐς πρύμναν κυμβάλων αὐτῇ παραλλὰξ ἐνηρμοσμένων, ἵν´, εἰ καὶ Σάτυροί ποτε ὑπὸ οἴνου καθεύδοιεν, ὁ Διόνυσος μὴ ἀψοφητὶ πλέοι—τὴν δὲ πρῷραν ἐς χρυσῆν πάρδαλιν εἴκασταί τε καὶ ἐξῆκται. Φιλία δὲ τῷ Διονύσῳ πρὸς τὸ ζῷον, ἐπειδὴ θερμότατον τῶν ζῴων ἐστὶ καὶ πηδᾷ κοῦφα καὶ ἴσα εὐάδι. Ὁρᾷς γοῦν καὶ αὐτὸ τὸ θηρίον—συμπλεούσας τῷ Διονύσῳ καὶ πηδώσας ἐπὶ τοὺς Τυρρηνοὺς μήπω κελεύοντος. Θύρσος δὲ οὑτοσὶ ἐκ μέσης νεὼς ἐκπέφυκε τὰ τοῦ ἱστοῦ πράσσων, καὶ ἱστία μεθῆπται ἁλουργῆ μεταυγάζοντα ἐν τῷ κόλπῳ, χρυσαῖ δὲ ἐνύφανται Βάκχαι ἐν Τμώλῳ καὶ Διονύσου τὰ ἐν Λυδίᾳ. Κατηρεφῆ δὲ τὴν ναῦν ἀμπέλῳ καὶ κιττῷ φαίνεσθαι καὶ βότρυς ὑπὲρ αὐτῆς αἰωρεῖσθαι θαῦμα μέν, θαυμασιωτέρα δὲ ἡ πηγὴ τοῦ οἴνου, ὡς κοίλη αὐτὸν ἡ ναῦς ἐκδίδοται καὶ ἀντλεῖται. Ἀλλ´ ἐπὶ τοὺς Τυρρηνοὺς ἴωμεν, ἕως εἰσίν· ὁ γὰρ Διόνυσος αὐτοὺς ἐκμήνας ἐντρέχουσι τοῖς Τυρρηνοῖς ἰδέαι δελφίνων οὔπω ἐθάδων οὐδὲ ἐγχωρίων τῇ θαλάσσῃ. Καὶ τῷ μὲν τὰ πλευρὰ κυάνεα, τῷ δ´ ὀλισθηρὰ τὰ στέρνα, τῷ δ´ ἐκφύεται λοφιὰ παρὰ τῷ μεταφρένῳ, ὁ δὲ ἐκδίδωσι τὰ οὐραῖα, καὶ τῷ μὲν ἡ κεφαλὴ φρούδη, τῷ δὲ λοιπή, τῷ δ´ ἡ χεὶρ ὑγρά, ὁ δ´ ὑπὲρ τῶν ποδῶν ἀπιόντων βοᾷ. Ὁ δὲ Διόνυσος ἐκ πρῴρας γελᾷ ταῦτα καὶ κελεύει τοῖς Τυρρηνοῖς τὰ μὲν εἴδη ἰχθύσιν ἐξ ἀνθρώπων, τὰ δὲ ἤθη χρηστοῖς ἐκ φαύλων. Ὀχήσεται γοῦν μικρὸν ὕστερον Παλαίμων ἐπὶ δελφῖνος οὐδὲ ἐγρηγορὼς οὗτος, ἀλλ´ ὕπτιος ἐπ´ αὐτοῦ καθεύδων, καὶ Ἀρίων δὲ ὁ ἐπὶ Ταινάρῳ δηλοῖ τοὺς δελφῖνας ἑταίρους τε εἶναι ἀνθρώποις καὶ ᾠδῆς φίλους καὶ οἵους παρατάξασθαι πρὸς λῃστὰς ὑπὲρ ἀνθρώπων καὶ μουσικῆς.

297 XVIII. LES TYRRHENIENS.

Voici deux navires : l'un d'apparat (a) ; l'autre à usage de pirates. Le premier est dirigé par Dionysos, l'autre est monté par les Tyrrhéniens qui infestent les parages voisins de leur pays. Dans la galère, les bacchantes célèbrent (b), en frémissant, les cérémonies sacrées et Dionysos préside ; une harmonie, celle qu'on entend dans les mystères, retentit sur la mer qui, s'aplanissant pour Dionysos, paraît aussi unie que le sol lydien. Saisis de folie, les matelots de l'autre vaisseau oublient de ramer; beaucoup d'entre eux n'ont déjà plus de mains. Quel est donc le sujet de ce tableau? c'est, mon enfant, la tentative des Tyrrhéniens pour surprendre Dionysos. Car ils ont entendu dire que Dionysos est un efféminé, un charlatan ; que son navire était comme une mine d'or, tant il contient de richesses ; qu'il est suivi de femmes lydiennes, de satyres, de joueurs de flûte, d'un vieillard portant férule; qu'il boit le vin de Maronée et que Maron lui-même (c) fait partie de son cortège. Ils savent aussi que les Pans naviguent avec Dionysos ; emmener les bacchantes et livrer à ces dieux, qui ont forme de boucs, des chèvres nées sur la terre tyrrhénienne, tel est leur projet. Le navire des pirates est armé en guerre : outre les épotides (d) et l'éperon dont il est muni, il possède des mains de fer, des lances à pointe acérée, de longs bâtons, munis de faux à leur extrémité. Pour semer l'effroi sur son passage, pour apparaître aux yeux de l'ennemi comme une bête monstrueuse, il est couleur vert de mer et ouvre à sa proue deux yeux menaçants qui semblent regarder; sa poupe, amincie en forme de croissant, ressemble à la queue recourbée des poissons. Le navire de Dionysos est comme une masse rocheuse (e), si ce n'est que la poupe a l'air d'être formée d'écaillés, elle disparaît en effet sous les cymbales qui se recouvrent Tune l'autre, utile précaution au cas où les Satyres, appesantis par le vin, céderaient au sommeil : car Dionysos ne saurait voguer en silence. Quant à la proue, elle présente, en saillie, l'image d'une panthère dorée. Cet animal est cher à Dionysos parce que de toutes les bêtes, c'est la plus ardente, parce qu'elle bondit avec la légèreté d'une Ménade. Tu vois d'ailleurs, sur le vaisseau même de Dionysos, une vraie panthère qui s'élance contre les Tyrrhéniens avant même que le dieu lui en ait donné l'ordre (f). Voici un thyrse qui du milieu du navire s'est dressé en guise de mât; il soutient des voiles de pourpre dont l'éclat chatoie dans l'ombre des plis, et sur lesquelles se détachent, brodées en or, les bacchantes du Tmolos et les aventures de Dionysos en Lydie. Que le 298 navire paraisse couronné par la vigne et le lierre, que les grappes se balancent au-dessus de lui, c'est là une merveille, mais rien n'est plus merveilleux que la source de vin qui jaillit de la cavité du navire et pour ainsi dire delà sentine. Mais retournons aux Tyrrhéniens pendant qu'ils sont encore eux-mêmes : car Dionysos, après avoir égaré leur raison, leur fait revêtir une forme étrange ; les voilà dauphins, mais dauphins peu familiers encore avec la mer ; l'un aies flancs azurés ; la poitrine de l'autre devient gluante ; une nageoire croît sur le dos de celui-ci; celui-là étale une queue récente ; ici la tête manque au corps, là le corps à la tête; l'un n'a plus que des mains sans consistance; l'autre se lamente, sentant ses pieds s'évanouir. A la proue Dionysos rit de l'aventure et encourage (g) les Tyrrhéniens qui d'hommes pervers se transforment ainsi .en animaux secourables. Dans peu de temps en effet Palémon parcourra les mers monté sur un dauphin, et cela sans être éveillé, mais étendu sur le dos de l'animal qui bercera son sommeil; et voici qu'Arion de Ténare nous prouve que les dauphins sont amis de l'homme, qu'ils se plaisent aux chants et qu'ils sont capables de prendre parti contre les pirates pour les hommes et la musique.

COMMENTAIRE.

La fable qui fait le sujet de notre tableau a été racontée diversement par les poètes. Dans l'hymne homérique en l'honneur de Dionysos, des pirates tyrrhéniens surprennent le dieu sur le rivage de la mer; ils l'entraînent dans leur navire, mais à peine ont-ils mis à la voile que des flots de vin arrosent le navire, qu'une odeur délicieuse se répand dans les airs, que la vigne et le lierre serpentent autour du mât, tapissent la voile, que le dieu métamorphosé en lion s'élance sur le chef des pirates et que les Tyrrhéniens éperdus se précipitent dans les flots où ils sont changés en dauphins. Seul le pilote qui avait dissuadé ses compagnons de saisir le dieu, non par repentir de son métier, mais parce qu'il avait reconnu Dionysos à l'éclat de sa beauté, fut soustrait au sort commun, et devint heureux, dit Homère. Ovide désigne le lieu de la scène, c'est l'île de Naxos (1). Non seulement le dieu se laisse prendre, mais il simule la douleur. Comme les pirates sont insensibles à ses larmes, le navire s'arrête immobile; le lierre embarrasse les rames, monte le long des mâts, s'étend sur les voiles. Bacchus, entouré de tigres, de lynx et de panthères, brandit un thyrse orné de pampres. On le voit, le Dionysos d'Ovide est tout à la fois plus raffiné et plus digne dans sa vengeance que le Dionysos homérique ; en effet il se moque doses ennemis réduits à l'impuissance, 299 et conserve jusqu'au bout la forme humaine. D'après Hygin (2), qui raconte la tradition de Naxos, les pirates s'étaient engagés à conduire le dieu dans celte île près de ses nourrices; séduits par l'amour du butin, ils méditaient de changer de route; Dionysos devine leur dessein, ordonne à ses compagnons de chanter, de faire résonner leurs cymbales et leurs tambours, de jouer de la flûte ; le délire, non l'effroi, s'empare alors des Tyrrhéniens qui se précipitent dans la mer. Telle est aussi à peu près la version d'Apollodore (3). Dans ces différents récits la métamorphose a lieu en pleine mer; on rapportait aussi sans doute que les Tyrrhéniens avaient reçu leur châtiment avant de s'embarquer ; car la frise du monument choragique de Lysicrate (4) nous montre les pirates poursuivis par les Satyres qui assomment les uns, traînent les autres sur le rivage jusqu'au bord des flots, forcent les autres à se jeter à la mer en les menaçant de leurs torches enflammées (5).

Notre peintre s'écarte à la fois et des récits poétiques et des représentations figurées que nous connaissons. La scène se passe en pleine mer, comme dans Homère, comme dans Ovide et dans Hygin; mais Dionysos n'est point sur le même navire que les pirates ;• le dieu parcourt les mers avec son cortège ; les Tyrrhéniens, armés en guerre, s'élancent à sa rencontre pour rassaillir et le piller : ingénieux prétexte pour offrir aux yeux deux navires de forme différente, et surtout pour donner à Dionysos une embarcation étrange simulant une panthère par sa proue et toute garnie de cymbales. Quant au Dionysos du peintre, il ressemble assez à celui que nous montre Ovide ; entouré par les bacchantes qui se livrent à leurs transports, prenant part lui-même à la célébration de son culte, il laisse à une panthère le soin d'effrayer les pirates, et par la raillerie met le comble à sa vengeance. Mais quoi ! Dionysos peut-il à la fois célébrer les mystères et rire de ses ennemis? n'est-ce pas là jouer deux rôles incompatibles, l'un sérieux et digne, l'autre presque au-dessous de la majesté divine ! L'objection a été faite ; nous ne la croyons pas fondée. Qu'on se représente Dionysos au milieu des Ménades, dans telle attitude que l'on voudra, assis peut-être, une coupe en main, un thyrse dans l'autre, comme sur tel vase célèbre (6); ne peut-on pas supposer qu'il laissait errer sur ses lèvres un sourire ironique justifiant l'interprétation de Philostrate ! Sur le monument de Lysicrate, le dieu assis caresse un lion et semble se soucier fort peu des pirates ; qu'on admire ce calme, ce 300 désintéressement de toute participation à la vengeance, sur une frise où l'aventure s'éparpille nécessairement en scènes isolées, où le dieu est séparé à la fois de ses ennemis et de ceux qui le vengent, rien de mieux ; mais dans une peinture où les personnages sont groupés, où les pirates et Dionysos se trouvent forcément en présence, convenait-il de nous montrer un dieu impassible ou distrait? Friederichs (7), qui l'a pensé, nous paraît avoir confondu non seulement les lois du bas-relief avee celles de la peinture, mais encore deux genres de composition fort différents, l'un qui procède par groupes séparés, l'autre qui réunit ensemble tous les acteurs d'une même scène. De combien de personnages se composait le cortège de Dionysos? D'après Philostrate, les pirates sont convaincus que des femmes lydiennes, des satyres, des joueurs de flûte, Silène et Maron, les Pans naviguent avec le dieu; mais tous ces personnages étaient-ils représentés? Le texte de Philostrate n'autorise pas à l'affirmer : on dirait même, à voir le tour qu'il prend pour nous parler du thiase divin, qu'il a voulu suppléer aux lacunes du tableau. Au début de sa description, quand il ne fait que de reconnaître le sujet, il ne parle que des Bacchantes qui entourent le dieu. En outre, nous savons que Silène n'était point avec Dionysos, quand le dieu fut surpris par les Tyrrhéniens ; selon Euripide (8), Silène, apprenant le danger que courait Dionysos, s'embarqua avec son fils pour aller à la recherche du dieu : ce fut dans cette expédition qu'il fut jeté par les vents sur les rochers de l'Etna et qu'il tomba au pouvoir des Cyclopes. Jusqu'à quel point cette légende, inventée peut-être par Euripide, avait-elle été admise et respectée par le peintre? Il est évident que l'artiste conservait le droit de la modifier suivant son caprice ou les nécessités de sa composition. D'un autre côté, si nous considérons les monuments antiques, il est rare de rencontrer un thiase uniquement composé de femmes ; presque toujours les satyres sont là dansant ou jouant de la flûte, pendant que les Ménades entre-choquent les cymbales, agitent le thyrse et secouent les tambours. Sur le vase que nous citions plus haut, des femmes apportent différents mets à Dionysos assis, mais un Satyre porte le canthare, un autre tient la lyre, un autre armé du thyrse et désigné sous le nom deCômos représente la joie bruyante des festins (9). Aussi, sans pouvoir affirmer la présence sur le navire de Silène et des Pans, nous sommes porté à croire que le thiase en voyage n'était pas formé des seules bacchantes.

La description de Philostrate nous permet de nous représenter sans peine le navire qui portait Dionysos. La Panthère dorée servait d'insigne, autrement dit, de parasémon. Ressemblait-elle aux instgnia des navires qui, dans le manuscrit du Vatican, composent la flotte d'Énée, c'est-à-dire, était-ce une 301 figure détachée, placée en vedette, au-dessus de la pointe extrême et supérieure de la proue? Non sans doute : c'est ici la proue elle-même qui avait été façonnée à l'image d'une tête de panthère, à peu près comme pour ces navires de Pompéi dont une figure humaine, surmontée du chénisque, compose toute l'étrave (10). Sur un vase peint à figures noires qui nous représente Dionysos et les Tyrrhéniens changés en dauphins, le navire se termine par une espèce de boutoir que Ton peut prendre pour une tête d'animal (11). De même le char ou navire posé sur des roues qui sur un autre vase porte Dionysos et deux satyres jouant de la flûte s'allonge en un museau pointu (12) ; mais ici ce museau ne forme pas toute la partie antérieure ; il n'en occupe que le milieu. Le texte de Philostrate fait penser à une disposition sensiblement différente : la proue se confondait sans doute avec son insigne.

La poupe était revêtue de cymbales qui probablement se recouvraient les unes les autres, elles remplaçaient les boucliers qui s'élèvent au-dessus du bastingage, masquant en partie les guerriers, dans certaines représentations de navires anciens (13). Le corps du navire, entre la poupe et la proue, ressemblait, dit Philostrate, à une pierre, à une masse rocheuse ; il nous est assez malaisé de nous représenter ce vaisseau, moitié panthère et moitié rocher. On a cru que Philostrate assimilait le navire de Dionysos à une de ces montagnes écartées où les poètes rencontrent le dieu se livrant à ses transports et récitant des vers aux Nymphes qui les répètent :

Bacchum in remotis carmina rupibus
Vidi docentem (14).

Et, en effet, ce mât qui ressemblait à un thyrse, cette vigne et ce lierre qui s'entrelaçaient aux cordages et tapissaient la voile, pouvaient rappeler à l'esprit les hauteurs et les grottes fréquentées par Dionysos. De plus on peut supposer que Philostrate qui veut peindre pour les yeux, après avoir assimilé la poupe à la queue recourbée d'un poisson et la proue à un monstre couvert d'écaillés, s'est demandé a quoi ressemblait l'entre-deux : une masse noire, jetée au milieu de la mer, ne lui a paru comparable à autre chose qu'à un rocher. La métamorphose ainsi expliquée n'en demeure pas moins singulière; ses différentes images s'excluent, ou du moins se nuisent l'une à l'autre.

C'était une idée ingénieuse du peintre que d'avoir déployé au-dessus de Dionysos et de son cortège cette voile de pourpre à personnages brodés en or; cette disposition lui permettait de compléter le thiase et en même 302 temps transportait l'imagination du spectateur sur cette terre de Lydie, regardée comme la contrée favorite du dieu, comme le théâtre de ses cérémonies les plus pompeuses et les plus bruyantes, par conséquent les plus sacrées. L'emploi de la pourpre ne saurait nous étonner; Cléopâtre remontant le Cydnus sur un navire à poupe d'or et aux avirons d'argent n'avait eu garde de dédaigner pour les voiles ce genre de luxe (15). D'ailleurs les Phrygiens étaient célèbres pour-leur habileté à mêler les fils d'or à la trame d'un tissu. Dans Virgile, la chlamyde garnie d'un double méandre de pourpre, qu'Énée donne à Cloanthe, était brodée en or : on y voyait, dit le poète, Ganymède enlevé par l'aigle de Jupiter; les chiens du jeune homme aboyant après l'oiseau ravisseur, les gardiens tendant les mains au ciel (16). La voile de pourpre décrite par Philostrate n'est point une merveille plus étonnante. Cette voile, sans doute obliquement tendue par rapport au spectateur de manière à laisser deviner le mouvement en avant du navire et à déployer toute sa richesse d'ornementation, était unique ; comme dans tel navire des peintures de Pompéi, elle s'abaissait des antennes jusque sur le pont, où les écoutes la fixaient aux deux côtés du navire.

Quant à l'embarcation des pirates, c'était un vaisseau de guerre antique; rien n'y manquait, ni l'éperon à fleur d'eau pour fendre ou rendre immobiles les navires ennemis, ni les épotides ou longs pieux saillants pour prévenir les chocs; ni les mains de fer pour saisir, ni les faux pour monter à l'abordage. Deux yeux menaçants, dit Philostrate, s'ouvraient à la proue. Était-ce, comme le prétend le rhéteur, pour mieux ressembler à un monstre marin et glacer l'ennemi d'effroi par un spectacle inattendu ? Était-ce, comme le veut Welcker, un symbole de la prudence avec laquelle un navire doit être dirigé ? Nous ne saurions dire ; toutefois, il est utile de rappeler que tous les navires de l'antiquité avaient ces sortes d'yeux; ils servaient à y engager les cordages des ancres qui étaient souvent attachées aux épotides (17). Cet œil, percé de chaque côté de la proue répondait aux besoins de la construction; qu'on l'ait tourné en parure, qu'on lui ait donné un air étrange et terrible, rien de moins étonnant; car les poètes, devancés sans douté en cela par l'imagination populaire, ont souvent considéré les navires comme des bêtes gigantesques, nageant à la surface des flots.

Les Tyrrhéniens se métamorphosent tous en dauphins ; mais la métamorphose des uns n'est pas aussi avancée que celle des autres. C'est la coutume des poètes, lorsque plusieurs personnages passent ainsi d'un état à un autre, de répartir entre eux les différentes phases de la transformation ; l'un est métamorphosé tout à fait, l'autre à demi, l'autre à peine. Cette variété est 303 un moyen d'amuser l'imagination du lecteur. Les artistes sans doute useront de cette ressource ; car eux aussi ne dédaignent pas la variété. Il est vrai que dans le monument de Lysicrate les Tyrrhéniens métamorphosés ne se présentent que sous une seule forme, celle d'un être qui aurait la tête d'un dauphin, les flancs et les jambes d'un homme; c'est l'état exactement intermédiaire que le sculpteur a choisi pour le représenter. Peut-être n'a-t-il pas cru pouvoir opposer l'un à l'autre (car les groupes répondent aux groupes,  les figures aux figures) deux formes d'aspect tout à fait différent; peut-être aussi a-t-il craint, s'il représentait des métamorphoses trop ou trop peu complètes, de donnera un tout nécessairement hétérogène, des parties trop menues pour être distinctes et pour s'allier convenablement avec les autres. Quel qu'ait été son motif, nous ne croyons pas que le peintre ait usé dans la composition de son tableau d'une licence excessive, ni même exceptionnelle en son art; cette variété de formes qui par elle-même est un avantage, en offrait ici un autre par surcroît; à la vue de ces hommes, déjà dauphins, mais à divers degrés, le spectateur devait croire plus aisément qu'il assistait à la métamorphose elle-même ; supposez tous les pirates moitié dauphins, moitié hommes ; l'illusion du mouvement est moins complète : on peut penser que la métamorphose a eu lieu il y a longtemps, qu'elle est ce qu'elle doit rester, qu'elle ne s'achèvera pas. Le peintre avait donc eu raison, selon nous, d'imiter en cette occasion les procédés poétiques.

(1) Ovide, Métam., III, v. 597 et suiv.

(2) Fabul., 134.

(3) Apollodore, III, 53.

(4) Stuart, Antiq. d'Ath.. I, ch. iv, pl. III. Müller-Wieseler, D. d. a. Κ., I, pl. XXXVII.

(5) Sur une plaque d'or donnée par la Gazette archéologique 1875, pl. II, « le dieu qui va combattre les Tyrrhéniens est représenté presque enfant, tenant lui-même les torches et s'avançant vers les flots de la mer. » Dans l'esprit de l'artiste, la tentative d'enlèvement avait eu lieu sans doute sur le rivage :il avait seulement choisi le moment où les Tyrrhéniens cherchaient déjà un refuge dans les flots contre la colère du dieu qui les poursuivait.

(6) Dubois-Maisonn, Intr. à l'élude des vases ant., pl. XXII. Müller-Wieseler, D. d. a. II. n° 585.

(7) Frieder., Die Phil. Bilder., p. 188.

(8) Eurip., début du Cyclope.

(9) Müler-Wieeeler, D. d. a. K.,  II, XLVI, n° 685.

(10) Ant. d'Herc, I,p. 243. Roux, Herculanum et Pompéi, III, 5e sér. pl. XIV.

(11) Gerhard, Auserl. Vas., I, pl. XLIX. Cf. Gazette archéologique, 1875.

(12) Müller-Wieseler, D. d. a. K., pl. XLVIII, n° 604.

(13) Virgile du Vatican.

(14) Horace, Od.9 II, xix.

(15) Plut., Vie d'Antoine.

(16) En., V, 250. Cf. III et la note do Servius.

(17) Guhl et Köner, Das Leben der Griechen, I, 289. — Eustathe (1931) appelle aussi ὀφθαλμοί les trous par lesquels passaient les rames.

ΣΑΤΥΡΟΙ

Κελαιναὶ μὲν τὸ χωρίον, ὅσον αἱ πηγαὶ καὶ τὸ ἄντρον, ἐκποδὼν δὲ ὁ Μαρσύας ἢ ποιμαίνων ἢ μετὰ τὴν ἔριν. Μὴ ἐπαίνει τὸ ὕδωρ· καὶ γὰρ εἰ πότιμον καὶ γαληνὸν γέγραπται, ποτιμωτέρῳ ἐντεύξῃ τῷ Ὀλύμπῳ. Καθεύδει δὲ μετὰ τὴν αὔλησιν ἁβρὸς ἐν ἁβροῖς ἄνθεσι συγκεραννὺς τὸν ἱδρῶτα τῇ τοῦ λειμῶνος δρόσῳ, καὶ ὁ Ζέφυρος ἐκκαλεῖ αὐτὸν προσπνέων τῇ κόμῃ, ὁ δὲ ἀντιπνεῖ τῷ ἀνέμῳ ἕλκων τὸ ἀπὸ τοῦ στέρνου ἆσθμα, κάλαμοί τε αὐλοῦντες ἤδη παράκεινται τῷ Ὀλύμπῳ καὶ σιδήρια ἔτι, οἷς ἐπιτρυπῶνται οἱ αὐλοί. Ἐρῶντες δὲ αὐτοῦ Σατύρων τις ἀγέλη καταθεῶνται τὸ μειράκιον ἐρυθροὶ καὶ σεσηρότες, ὁ μὲν τοῦ στέρνου θιγεῖν δεόμενος, ὁ δὲ ἐμφῦναι τῇ δέρῃ, ὁ δὲ σπάσαι τι ἐπιθυμῶν φίλημα, ἄνθη τε ἐπιπάττουσι καὶ προσκυνοῦσιν ὡς ἄγαλμα, ὁ σοφώτατος δὲ αὐτῶν ἔτι θερμοῦ θατέρου [τοῦ] αὐλοῦ τὴν γλῶτταν ἀνασπάσας ἐσθίει καὶ τὸν Ὄλυμπον οὕτω φιλεῖν οἴεται, φησὶ δὲ καὶ ἀπογεύσασθαι τοῦ πνεύματος.

XIX. LES SATYRES.

Célènes est le lieu représenté, si ces sources et cet antre ne nous trompent pas; point de Marsyas, il est vrai ; c'est qu'il fait paître ses troupeaux, ou que sa querelle avec Apollon a déjà eu lieu (a). N'admire point l'eau : car, si limpide et si calme qu'elle ait été représentée, Olym-pos te semblera encore réunir plus d'attraits. Après avoir joué de la flûte (b), il dort, mol adolescent, sur un moelleux tapis de fleurs, mêlant sa sueur à la rosée de la prairie ; le zéphyre cherche à le réveiller en jouant dans sa chevelure, et lui de son côté répond aux caresses du vent par le souffle qui sort de sa poitrine. Les roseaux chantants sont aux pieds d'Olympos, avec les outils de fer qui servent à percer les flûtes (c). Éprise d'amour pour le jeune homme, la troupe des satyres le contemple; ils ont la joue en feu, le sourire sur les lèvres; ils voudraient l'un toucher la poitrine d'Olympos, l'autre se jeter à son cou, l'autre ravir un baiser ; ils sèment sur lui les fleurs et l'adorent comme une statue ; le plus avisé d'entre eux, saisissant une des flûtes encore tiède de la chaleur des lèvres, arrache la languette (e) et la mord ; il s'imagine ainsi embrasser Olympos et prétend même respirer avec délices le parfum de son haleine.

COMMENTAIRE.

La ville phrygienne de Célènes était célèbre dans l'antiquité par les deux fleuves qui l'arrosaient, le Méandre et le Marsyas. Le Méandre, suivant Xénophon, prenait sa source dans le palais même de Cyrus le Jeune, et coulait à travers le parc de ce prince avant d'entrer dans la ville (1). Le Marsyas qu'Hérodote appelle les Cataractes (2) jaillissait sur la place même de Célènes, au pied de la citadelle; près delà était suspendue une outre qu'on disait avoir été faite de la peau de Marsyas (3). Les mythologues remarquent que les Silènes étaient regardés dans l'Asie Mineure comme les génies des sources et qu'en cette qualité on les représentait assis ou debout sur une outre (4). De là sans doute est venue la légende de Marsyas, écorché par Apollon, et donnant naissance par les larmes et le sang qu'il répandit à un ruisseau qui fut appelé de son nom le Marsyas. Ce sont les sources du Marsyas que le peintre avait représentées dans notre tableau ; il est fâcheux que Philostrate ne décrive point le paysage avec plus de complaisance ; c'est à Quinte-Curce que nous sommes obligé de demander les détails qui nous permettent de voir le lieu de la scène en imagination. « La source descendant d'un sommet élevé tombe avec grand fracas sur un roc qui se trouve au-dessous; de là, étendant son cours, elle arrose les campagnes environnantes, toujours limpide et n'ayant d'autres eaux que les siennes; sa couleur étant semblable à celle d'une mer calme, les poètes, en quête de fiction, ont prétendu que les Nymphes, éprises d'amour pour le fleuve, avaient fixé leur séjour sur ce rocher (5). » L'artiste, outre la source, avait peint un antre, séjour d'Olympos et de Marsyas. C'est sans doute devant cet antre et sur les bords du fleuve que dormait Olympos, mollement étendu sur l'herbe.

Olympos, dit Philostrate, mêlait sa sueur à la rosée de la prairie. C'est là sans doute une antithèse forcée et de mauvais goût, d'autant plus désagréable pour nous qu'il s'y mêle une image, qui ne choquait pas les anciens, mais que nous écartons volontiers. Toutefois cette antithèse atteste qu'Olym-pos dormait bien d'un sommeil qui trahissait l'épuisement de ses forces, et que l'herbe était rendue de manière à donner comme une sensation de fraîcheur à ceux qui la regardaient. Le détail qui suit donne lieu à une observa- 305 tion analogue. Le Zéphyre, nous dit Philostrate, se joue dans la chevelure d'Olympos, et de son côté Olympos respire, à rencontre du Zéphyre, comme pour lui rendre ses caresses. On ne saurait s'exprimer d'une manière plus précieuse ; toutefois que signifie cette phrase, si ce n'est que la poitrine d'Olympos paraissait se soulever, que le satyre semblait vraiment dormir, que dans son sommeil, il conservait, comme cela doit être, toutes les apparences de la vie. Ainsi comprise, l'observation de Philostrate n'a plus rien qui étonne ; nous sommes habitués à ces effets merveilleux de la peinture.

Plusieurs satyres entouraient le jeune élève de Marsyas : « ils voudraient, dit Philostrate, l'un toucher sa poitrine, l'autre se jeter à son cou, l'autre ravir un baiser. » Quelle était donc l'attitude de ces trois satyres pour que Philostrate pût ainsi deviner le secret désir de chacun d'eux ? On serait tenté de croire que le rhéteur, pour jeter de la variété dans sa description, suppose chez les satyres une variété de sentiments que la peinture ne saurait rendre. Cependant, si l'on réfléchit que l'artiste, ayant à représenter quatre satyres, était nécessairement amené à donner à chacun d'eux une attitude différente, n'était-il pas naturel que l'un fixât ses yeux plutôt sur la poitrine, l'autre plutôt sur le cou, l'autre plutôt sur la bouche ? et si telle était réellement l'attitude de nos satyres, l'interprétation de Philostrate ne doit-elle pas nous paraître aussi juste qu'ingénieuse ? Ils ont la joue en feu, et ils rient de façon à découvrir les dents; ce dernier trait leur est commun avec le satyre qui dans un tableau du Titien découvre une Nymphe ; rien de plus vrai, de mieux observé que ce signe d'une passion brutale. Les satyres sèment les fleurs sur Olympos : cette action se concilie fort bien avec les trois attitudes légèrement différentes que nous supposons aux satyres ; en effet, ils pouvaient, en jetant des fleurs, avoir les yeux fixés celui-ci sur un point, celui-là sur un autre. Quant à l'action en elle-même, elle convient aux admirateurs d'Olympos; les vases grecs nous montrent souvent des génies volant dans les airs avec des couronnes et des bandelettes, au-dessus des chanteurs et des musiciens qu'ils s'apprêtent à couronner. Les fleurs entre les mains des satyres qui ne savent pas tresser et ne connaissent pas l'usage de la laine, remplacent avantageusement les bandelettes et les couronnes. D'ailleurs la coutume de jeter les fleurs est aussi antique que moderne ; voyez le tableau véritable ou de fantaisie que nous décrit Lucien (6), lorsqu'il nous montre Europe portée par le taureau divin suivi d'un cortège de Néréides, de Tritons et de dauphins, et Aphrodite laissant tomber des fleurs de toute espèce sur la jeune épouse. Les peintres de la renaissance, Raphaël le premier, ont emprunté à l'antiquité ce gracieux usage : ce sont des anges ou des heures, il est vrai,.que le grand peintre charge de répandre des fleurs, soit sur l'enfant Jésus, soit sur les dieux, assis à un banquet : simple différence, nécessitée 306 par la différence des sujets ! Mais, dit-on, ce quatrième satyre qui arrache et dévore la languette d'une flûte, n'est-il pas bien étrange? Pas plus sans doute que Daphnis, lorsqu'il baisait les chevreaux et les agneaux de Chloé, ou même lorsqu'il lui ôtait sa flûte, et, parcourant des lèvres tous les tuyaux d'un bout à l'autre, faisait semblant de lui vouloir montrer où elle avait failli afin de la baisera demi en baisant la flûte aux endroits que quittait sa bouche.» Ce sont façons d'amants dans l'antiquité et peu t-être aussi dans des temps moins naïfs. Le peintre sans doute observe comme le poète, comme le romancier, et son art, plus encore que celui du romancier ou du poète, se prête à reproduire les gestes et les attitudes qu'il a observés. On insiste et Ton demande comment le rhéteur sait que la languette de la flûte, ainsi arrachée et mordue, est encore tiède de la chaleur des lèvres (7). C'est là une conjecture, conséquence naturelle de la première, d'après laquelle Olympos vient de s'endormir. Blâmer Philostrate de les avoir faites l'une et l'autre, c'est lui reprocher d'avoir compris le tableau.

(1) Xénophon, Anab., I.

(2) Herod., VII, 26.

(3) Strab., XII, 378.

(4) Preller, Griechische MythoL, I, 607.

(5) Quinte-Curce, III, I.

(6) Lucien, Dial. mar., 15.

(7) Matz, De Philostr. fide, p. 63.


 

ΟΛΥΜΠΟΣ

Τίνι αὐλεῖς, Ὄλυμπε; τί δὲ ἔργον μουσικῆς ἐν ἐρημίᾳ; οὐ ποιμήν σοι πάρεστιν, οὐκ αἰπόλος οὐδὲ Νύμφαις αὐλεῖς, αἳ καλῶς ἂν ὑπωρχήσαντο τῷ αὐλῷ, μαθὼν δὲ οὐκ οἶδα ὅ τι χαίρεις τῷ ἐπὶ τῇ πέτρᾳ ὕδατι καὶ βλέπεις ἐπ´ αὐτό. Τί μετέχων αὐτοῦ; καὶ γὰρ οὔτε κελαρύζει σοι καὶ πρὸς τὸν αὐλὸν ὑπᾴσεται οὔτε διαμετροῦμέν σοι τὴν ἡμέραν, οἵ γε βουλοίμεθ´ ἂν καὶ ἐς νύκτας ἀποτεῖναι τὸ αὔλημα. Εἰ δὲ τὸ κάλλος ἀνακρίνεις, τοῦ ὕδατος ἀμέλει· ἡμεῖς γὰρ ἱκανώτεροι λέξαι τὰ ἐν σοὶ ἅπαντα. Τὸ μὲν ὄμμα σοι χαροπόν, πολλὰ δὲ αὐτοῦ πρὸς τὸν αὐλὸν τὰ κέντρα, ὀφρὺς δὲ αὐτῷ περιβέβληται διασημαίνουσα τὸν νοῦν τῶν αὐλημάτων, ἡ παρειὰ δὲ πάλλεσθαι δοκεῖ καὶ οἷον ὑπορχεῖσθαι τῷ μέλει, τὸ πνεῦμα δὲ οὐδὲν ἐπαίρει τοῦ προσώπου ὑπὸ τοῦ ἐν τῷ αὐλῷ εἶναι, ἡ κόμη τε οὐκ ἀργὴ οὔτε κεῖται καθάπερ ἐν ἀστικῷ μειρακίῳ λιπῶσα, ἀλλ´ ἐγήγερται μὲν ὑπὸ τοῦ αὐχμοῦ, παρέχεται δὲ αὐχμηρὸν οὐδὲν ἐν ὀξείᾳ καὶ χλωρᾷ τῇ πίτυι. Καλὸς γὰρ ὁ στέφανος καὶ δεινὸς ἐπιπρέψαι τοῖς ἐν ὥρᾳ, τὰ δὲ ἄνθη παρθένοις ἀναφυέσθω καὶ γυναίοις ἔρευθος ἑαυτοῖς ἐργαζέσθω. Φημί σοι καὶ τὰ στέρνα οὐ πνεύματος ἔμπλεα εἶναι μόνον, ἀλλὰ καὶ ἐννοίας μουσικῆς καὶ διασκέψεως τῶν αὐλημάτων. Μέχρι τούτων σε τὸ ὕδωρ γράφει κατακύπτοντα ἐς αὐτὸ ἀπὸ τῆς πέτρας. Εἰ δὲ ἑστηκότα ἔγραφεν, οὐκ ἂν εὐσχήμονα τὰ ὑπὸ τῷ στέρνῳ ἔδειξεν· ἐπιπόλαιοι γὰρ αἱ μιμήσεις τῶν ὑδάτων ἀπὸ τοῦ συνιζάνειν ἐν αὐτοῖς τὰ μήκη. Τὸ δὲ καὶ κλύζεσθαί σοι τὴν σκιὰν ἔστω μὲν καὶ παρὰ τοῦ αὐλοῦ τὴν πηγὴν καταπνέοντος, ἔστω δὲ καὶ παρὰ τοῦ Ζεφύρου ταῦτα πάντα, δι´ ὃν καὶ σὺ ἐν τῷ αὐλεῖν καὶ ὁ αὐλὸς ἐν τῷ πνεῖν καὶ ἡ πηγὴ ἐν τῷ καταυλεῖσθαι.

 XX. OLYMPOS.

Pour qui joues-tu de la flûte, Olympos? Que sert la musique dans la solitude ? Il n'est là ni berger ni chevrier pour t'entendre ; les Nymphes mêmes sont absentes, les Nymphes qui danseraient volontiers au son de la flûte. Je ne sais pourquoi tu te plais à regarder cette eau qui coule au pied du rocher. Qu'y a-t-il de commun entre elle et toi? Ce n'est pas pour toi qu'elle babille ; elle n'accompagnera pas les sons de ta flûte de mouvements cadencés (a) ; d'ailleurs nous ne te mesurons pas le temps, nous qui voudrions prolonger jusque dans la nuit le plaisir de t'entendre. Si c'est ta beauté que tu considères ainsi, n'interroge point l'eau ; mieux qu'elle, nous saurons te l'expliquer de point en point. Tes yeux sont brillants, presque tous leurs regards se concentrent sur la flûte (b) ; tes sourcils décrivent un arc, ils indiquent le caractère des airs que tu fais entendre ; ta joue paraît s'agiter et comme danser en cadence ; tu souffles dans l'instrument et tu ne gonfles outre mesure aucune partie de ton visage. Ta chevelure n'est point inculte ; elle n'est point non plus lisse et parfumée comme celle d'un jeune élégant; si elle se hérisse, si elle est sèche et aride, ce défaut ne paraît pas sous les feuilles vertes et rigides du pin qui ceignent ta tête. C'est là une belle couronne et qui rehausse l'éclat de ta beauté ; quant aux fleurs, laisse-les croître pour les jeunes filles ; laissons-les prêter aux femmes leurs éclatantes couleurs. Ta poitrine, j'ose l'affirmer, n'est point 307 seulement emplie par le souffle que lu en tires, mais par l'inspiration musicale, par la science des modulations. L'eau sur laquelle tu te penches du haut d'un rocher ne réfléchit que la partie supérieure de ton corps; si tu avais été debout, la partie au-dessous de la poitrine eût apparu déformée ; car les objets vus dans l'eau viennent comme à la surface en se ramassant sur eux-mêmes (c). En outre ton image vacille ; c'est que le souffle sortant de ta flûte vient frapper la source, c'est que le Zéphyre s'en mêle, le Zéphyre qui inspire le musicien, enfle la flûte, et ride la surface de l'eau.

COMMENTAIRE.

La composition de ce petit tableau, quoique très simple, ne laisse point d'être ingénieuse. Assis ou demi-couché sur un rocher, un jeune faune, Olympos, pour lui donner le même nom que Philostrate, joue de la flûte et se penche sur l'eau qui coule à ses pieds, comme pour étudier dans ce miroir la manière de tenir sa flûte avec élégance, et d'en tirer des sons sans altérer les traits de son visage; aimable variante à la fable de Narcisse. Ce n'est plus la beauté qui dépérit, en se contemplant elle-même; c'est l'artiste se donnant à lui-même pour spectateur et recherchant ces grâces extérieures qui ajoutent un attrait de plus au talent. Ainsi sans doute l'a compris Philostrate; cependant sa pensée ne laisse pas d'être assez incertaine. Il s'épuise en suppositions, avant de s'arrêter à la plus naturelle, à savoir qu'Olympos considère sa propre beauté; et c'est mal comprendre l'intention du musicien que de lui conseiller de ne plus regarder dans l'eau de la source.

Olympos portait une couronne de feuilles de pin qui, dit Philostrate, empêchait ses cheveux de paraître trop incultes. Une couronne semblable est souvent donnée, dans les bas-reliefs, aux Faunes, aux Silènes et même aux Centaures; les feuilles de pin qui la composent sont ordinairement très raid es, et plus larges peut-être que dans la nature. On conçoit très bien d'abord que cette couronne ait caché en grande partie les cheveux, puis qu'elle ait donné à la figure du jeune homme un caractère viril, presque sauvage. Elle valait bien le bonnet phrygien que porte quelquefois Olympos sur les monuments et dont l'absence dans notre tableau a paru à un commentateur une faute contre la tradition de l'art antique (1). Friederichs d'ailleurs se trompe : Olympos est souvent représenté nu-tête, soit qu'il assiste à la lutte d'Apollon et de Marsyas (2), soit qu'il joue lui-même de la double flûte en présence de son maître (3). D'un autre côté, Marsyas a quelquefois 308 la tête ceinte de feuilles de pin (4) : comment s'étonner que le disciple ait adopté la même couronne que le maître, surtout si cette couronne relève encore mieux l'éclat de la beauté chez le jeune homme qu'elle ne se concilie avec les cornes, la barbe épaisse, les oreilles pointues, et les traits un peu gros, bien qu'ennoblis, du vieux satyre. Olympos est nu ; il n'est guère permis d'en douter, à la manière dont Philostrate parle des mouvements de la poitrine et de la beauté de tout le corps réfléchi dans l'eau. Sur les peintures de vases (5) Olympos porte ordinairement un riche costume composé d'un chiton serré à la ceinture, de sandales hautes, et d'une chlamyde nouée sous le menton et flottant sur le dos. Cette différence ne saurait surprendre personne; la peinture de vases, essentiellement décorative, recherche, plus encore que toute autre peinture, le luxe du costume.

On trouvera peut-être que Philostrate insiste beaucoup sur la beauté et la grâce de notre joueur de flûte. Mais c'étaient là des qualités que les anciens estimaient d'autant plus qu'elles leur paraissaient difficilement conciliables avec la nécessité de souffler dans un instrument. Le bel Alcibiade disait que  le maniement de la lyre et du plectrum n'altère point les traits d'un homme bien né, tandis que, en soufflant dans la flûte, on se déforme la bouche et on se défigure à ne pas être reconnaissable même pour ses amis (6). » Minerve avait rejeté la flûte ayant contre elle le même grief (7). Apollonius de Tyane, donnant des conseils au musicien Canos de Rhodes, lui recommande trois choses comme essentielles : un souffle net et clair, une main agile et souple, une bouche qui s'applique convenablement à la flûte : or cette dernière condition est remplie lorsque les lèvres en embrassent bien le bout sans que le visage se gonfle (8). Nous rencontrons assez souvent sur les monuments des joueurs et des joueuses de flûte, Faunes ou Ménades ; le souffle enfle bien leurs joues, quelquefois assez fort, jamais cependant outre mesure ni de façon à déplaire; que Ton compare, par exemple, la bacchanale du vase Borghèse à tel dessin de Raphaël, qui représente deux nymphes et un satyre jouant de la flûte, on verra qu'à cet égard l'art moderne est plus hardi que l'art antique. Quant à Olympos lui-même, un tableau d'Herculanum nous le montre jouant de la flûte, on ne pourrait pas même dire de lui ce que dit Philostrate de l'Olympos qu'il décrit : « La joue parait s'agiter et comme danser en cadence. » Le visage est absolument au repos; on dirait 309 que le peintre ait voulu le montrer plutôt au moment de jouer que jouant déjà (9).

Philostrate a donc bien pu voir Olympos, tel qu'il nous le décrit; ce n'est pas que nous approuvions ou que nous trouvions parfaitement intelligibles tous les traits de sa description. A quoi, par exemple, Philostrate juge-t-il que la poitrine d'Olympos n'est point seulement emplie par le souffle qu'il en tire, mais encore par l'inspiration musicale, par la science des modulations? Le rhéteur est évidemment la dupe de son imagination ou cherche à imposer au lecteur ; il n'y a pas de signe sensible dans l'art pour exprimer de telles idées ; une poitrine, si bien peinte qu'elle soit, ne saurait être aussi éloquente. Jacobs adresse un autre reproche à Philostrate; il s'étonne que les objets réfléchis dans l'eau puissent se déformer, se ramasser sur eux-mêmes, et se demande pour quelle cause Philostrate a été amené à cette remarque singulière. L'observation du rhéteur ne manque pas cependant de justesse. Dans la nature, l'image réfléchie d'un personnage debout sur la rive d'un ruisseau égale, il est vrai, ce personnage en hauteur ; mais si notre point de vue se trouve placé à la hauteur de sa tête, nous verrons l'image réfléchie sous un angle beaucoup plus petit que l'objet lui-même, et par conséquent cette image, quoique identique à l'objet nous semblera plus petite. Or, le peintre qui représente les apparences plu* tôt que les réalités, aurait évidemment montré l'image d'Olympos en raccourci, s'il avait représenté debout Olympos lui-même. Le graveur qui a sculpté les planches pour la traduction de Biaise de Vigenère a mieux compris cet effet de perspective que le texte de Philostrate ; son Olympos est debout contrairement à la description ; mais, conformément à l'observation de l'auteur grec, l'image vue dans l'eau est altérée dans ses proportions et paraît même se ramasser sur elle-même. Philostrate cependant se trompe sur un point : ce ne sont point seulement les parties inférieures de la poitrine qui dans ce cas paraissent se déformer, c'est le corps tout entier.

(1) Friederichs, Die Phil. Bilder, p. 52.

(2) Helbig, Wandg., n° 231.

(3) Id., ibid., n° 215, 21C, 227. Roux, I, 107.

(4) Helbig, Wandg.,n° 231.

(5) Voir Millingen, V. Cogh.,B, pl. IV. Elite céramogr., II, 72, 73, C7 et Stophani, Compte rendu de la Comm. arch. Saint-Pétersbourg, 1875, p. 121.

(6) Arist., Pol., ch. vi.

(7) Voir un bas-relief d'Athènes, relatif à cette légende dans Stuart, Antiq. of Ath., II, ch. iii, p. 27, dans Mull.-Wies. D. d. a. K., Il, 239; le bas-relief du Louvre, n° 84 du catalogue, et aussi un bas-relief de sarcophage du palais Barberini. Müller-Wieseler, ibid., II, 407.

(8) Philostr., Vie d'Apollonius, V, 21.

(9) Antiq. d'Hèrc., V. 3, 101. — Roux, Herc. et Pomp., II, 11.

 

ΜΙΔΑΣ

Καθεύδει ὁ Σάτυρος, καὶ ὑφειμένῃ τῇ φωνῇ περὶ αὐτοῦ λέγωμεν, μὴ ἐξεγείρηται καὶ διαλύσῃ τὰ ὁρώμενα. Μίδας αὐτὸν οἴνῳ τεθήρακεν ἐν Φρυγίᾳ περὶ αὐτά, ὡς ὁρᾷς, τὰ ὄρη, τὴν κρήνην οἰνοχοήσας, ἐν ᾗ κεῖται παραβλύζων τοῦ οἴνου ἐν τῷ ὕπνῳ. Σατύρων δὲ ἡδὺ μὲν τὸ σφοδρόν, ὅτε ὀρχοῦνται, ἡδὺ δὲ τὸ βωμολόχον, ὅτε μειδιῶσι. Καὶ ἐρῶσιν οἱ γενναῖοι καὶ ὑποποιοῦνται τὰς Λυδὰς αἰκάλλοντες αὐτὰς τέχνῃ. Κἀκεῖνο αὐτῶν ἔτι· σκληροὶ γράφονται καὶ ἄκρατοι τὸ αἷμα καὶ περιττοὶ τὰ ὦτα καὶ κοῖλοι τὸ ἰσχίον, ἀγέρωχοι πάντα καὶ τὸ ἐπὶ τὰ οὐραῖα ἵπποι. Τὸ δὲ θήραμα τοῦ Μίδου τοῦτο γέγραπται μὲν ὅσα ἐκεῖνοι, καθεύδει δὲ ὑπὸ τοῦ οἴνου τὸ ἆσθμα ἕλκων ὡς ἐκ μέθης. Καὶ ἡ μὲν κρήνη πέποται αὐτῷ ῥᾷον ἢ ἑτέρῳ κύλιξ, αἱ δὲ Νύμφαι χορεύουσι τωθάζουσαι τὸν Σάτυρον ἐπὶ τῷ καθεύδειν. Ὡς ἁβρὸς ὁ Μίδας, ὡς δὲ ῥᾴθυμος. Μίτρας ἐπιμελεῖται καὶ βοστρύχου καὶ θύρσον φέρει καὶ στολὴν ἔγχρυσον. Ἰδοὺ καὶ ὦτα μεγάλα, ὑφ´ ὧν ἡδεῖς οἱ ὀφθαλμοὶ δοκοῦντες ὑπνηλοὶ φαίνονται καὶ μεθέλκουσι τὴν ἡδονὴν εἰς τὸ νωθρόν, αἰνιττομένης σπουδῇ τῆς γραφῆς ἐκμεμηνῦσθαι ταῦτ´ ἤδη καὶ διαδεδόσθαι τοῖς ἀνθρώποις ἐν καλάμῳ, μὴ κατασχούσης τῆς γῆς ἃ ἤκουσεν.

XXI. MIDAS.

Le satyre dort, parlons de lui à voix basse, de peur qu'il ne s'éveille et que le tableau ne s'évanouisse comme un fantôme (a). Midas l'a pris en Phrygie au pied de ces montagnes que tu vois : le roi avait mêlé du vin à l'eau de cette source, au bord de laquelle le satyre, encore étendu, vomit des flots de vin pendant son sommeil. Les satyres nous plaisent par leur vivacité, quand ils dansent, par leur gaieté bouffonne, quand ils sourient amoureusement, les dignes personnages (b), et que par leurs adroites caresses ils réduisent à leur merci les femmes lydiennes. Voici 310 encore des traits qui leur conviennent : des formes sèches, de longues oreilles, des hanches évidées, une queue de cheval ; ajoutez-y l'ardeur d'un sang impétueux (c), un air de fierté et d'insolence. Le prisonnier de Midas n'est point représenté autrement ; appesanti par le vin, il a cette respiration pénible qui est propre à l'ivresse, il boirait plus aisément toutes les eaux de la source qu'un autre ne ferait une coupe ; les nymphes bravant le satyre endormi forment une chaîne autour de lui. Admire la mollesse et l'indolence de Midas; il a grand soin de sa mitre, des boucles de sa chevelure ; il porte le thyrse et une robe brodée d'or. Vois aussi ses longues oreilles ; c'est elles qu'il faut accuser de la somnolence qui paraît envahir ses yeux si doux, de la langueur qui éteint l'aimable vivacité du regard. Le peintre veut nous rappeler que l'aventure a été divulguée, et que les roseaux ont parlé, la terre n'ayant pu garder le secret qui lui était confié.

COMMENTAIRE.

Les satyres, comme divinités de l'eau et des jardins, avaient le don de prophétie, mais les prophètes, dans l'antiquité (1), ne consentaient à parler que si on usait de surprise et de violence avec eux. Le roi Midas, qui, selon certaines traditions, avait apporté la culture de la vigne en Phrygie (2), imagina de mêler du vin à la source où s'abreuvait le satyre, cet amant des nymphes. Enivré par cette nouvelle liqueur, et, à son réveil, pressé de questions par le roi, le satyre blâma d'abord la curiosité fatale de Midas et prononça ensuite l'oracle fameux : « le premier bien pour l'homme, c'est de ne pas naître; le second, c'est de mourir le plus tôt possible (3). » Cette réponse, qui paraissait d'une sagesse trop profonde pour être émanée d'un homme, fut accueillie, admirée et commentée par les philosophes de l'antiquité : la légende prêtait moins à la peinture, qui ne saurait rendre une leçon de morale. C'est peut-être pour ce motif que le peintre de notre tableau, au lieu de se borner h nous montrer comme certains vases qui représentent le même sujet, un satyre endormi et un roi phrygien, avait peint les nymphes bravant pendant son sommeil le satyre qui les effrayait naguère par sa pétulance agressive. Il semble que ce chœur de nymphes, ainsi introduit dans la composition pour l'animer, eût dû charmer les yeux plus que les autres personnages, et que Philostrate aurait dû les décrire au moins aussi longuement que le satyre ou Midas. Selon Brunn, le peintre, afin de concentrer presque toute l'attention du spectateur sur le sujet principal, n'aurait em- 311 ployé que des traits légers et des couleurs discrètes pour représenter les nymphes, et aurait si bien réussi que Philostrate, à la vue de ce tableau, n'aurait pas songé à jeter sur les nymphes plus qu'un regard fugitif. Nous doutons un peu de la vérité de cette explication. Les nymphes, sans doute celles de la source, ne devaient pas être très éloignées du satyre ; puisqu'elles étaient là pour le braver, elles s'étaient sans doute approchées de lui aussi près que, dans Virgile, les Faunes et la naïade Églé de Silène, qui se réveille barbouillé du jus de la mûre. Des lors, toute perspective aérienne devenant inutile, il n'y avait pas lieu, ce semble, de nous montrer les nymphes sous forme de fantômes, comme si elles avaient dû être vues dans le lointain. En réalité ce qui, dans ce tableau, captive Philostrate, comme l'enfant à qui il s'adresse, c'est le satyre, c'est Midas, et cela est si vrai qu'il s'étudie à expliquer pourquoi les satyres en général — et non pas seulement le satyre du tableau — plaisent ordinairement dans les représentations de l'art. La légende aussi, plus que les nymphes, avait de l'attrait pour Philostrate; la Vie d'Apollonius et les Héroïques nous le montrent épris de tout ce qui est merveilleux, et en même temps curieux des aventures qui cachent un sens philosophique. Il aime ce satyre, croyons-le bien, et pour la manière dont il a été endormi, et pour ses formes étranges et pour les mots qui, à son réveil, sortiront de sa bouche; ces mots, il est vrai, il ne les rapporte pas ; il se souvient à temps qu'il ne fait pas œuvre de philosophe, mais ce double intérêt qu'il éprouve pour le satyre l'empêche de s'arrêter longtemps à contempler les nymphes qui sont ici des personnages épisodiques. Quant à la description des satyres, elle paraît d'une entière exactitude, et peut aisément se vérifier par l'examen des nombreux monuments qui représentent ces sortes de divinités agrestes.

Le satyre, nous dit Philostrate, dormait étendu près de la source qui l'avait enivré. Apollonius de Tyane, lui aussi, traversant un bourg de l'Éthiopie, avait endormi un satyre. Le thaumaturge, suivant Philostrate, versa quatre amphores égyptiennes dans l'abreuvoir du bétail, et invita le satyre à venir y boire, en ajoutant quelques menaces secrètes. Le satyre ne parut pas aux yeux des assistants ; mais le vin diminua de manière qu'on vit bien que quelqu'un le buvait. Lorsqu'il fut épuisé, Apollonius dit ; Maintenant faisons la paix avec le satyre, car il dort. Et, après avoir dit ces mots, il conduisit les habitants du bourg vers l'antre des nymphes qui était â une distance d'un plèthre; là il leur montra le satyre endormi (4). L'aventure, toujours merveilleuse, l'est moins dans notre tableau que dans ce récit de Philostrate; le satyre est venu là où le vin a été mêlé à l'eau; et il s'est endormi au même endroit. Ainsi comprise, la composition du tableau était plus simple et plus claire que si le peintre eût représenté Midas versant le vin dans un endroit, et le satyre endormi dans un antre éloigné.

312 Un détail a particulièrement choqué les commentateurs. Comment, a-t-on dit, un peintre a-t-il pu se résoudre à nous montrer un satyre rejetant le vin qu'il a pris? Est-ce bien là le tact et la délicatesse de l'art grec? Brunn justifie Philostrate et le peintre en citant deux coupes du musée Grégorio dont l'intérieur représente un comos bachique, et l'extérieur un des buveurs qui ne diffère de notre satyre qu'en ce qu'il ne dort pas, qu'il est debout, et que dans sa détresse il s'appuie sur une bacchante secourable. On le voit, le trait essentiel reproché à ce tableau de Philostrate, non seulement se retrouve ici ; peut être même est-il singulièrement aggravé ; car l'exagération et le manque de goût peuvent être mis sur le compte de Philostrate, toujours un peu suspect à cet égard, et l'on peut concevoir que le prisonnier de Midas dormait seulement la bouche ouverte, les lèvres encore humides des dernières gouttes du vin qu'il avait avalé. L'image eût été ainsi tout autre que celle qui accompagne la traduction de Biaise de Vigenère ; le graveur en effet a couché son satyre parmi les roseaux, incliné sa tête sur la source, et pour le reste l'a rendu semblable à un mascaron de fontaine en pleine activité. Quoi qu'il en soit, nous ne devohs pas nous faire de l'art antique une idée trop exclusive; il osait beaucoup, comme nous avons essayé de le montrer plus haut; d'ailleurs il faut bien supposer aussi qu'il vint un temps où les artistes manquèrent de goût ; les défauts de la décadence n'affectent pas la seule littérature.

La mitre et la robe brodée de Midas conviennent parfaitement à un roi oriental ; c'est le costume donné par exemple, sur un vase de Canusium (5), à Tantale, roi de Lydie, à Rhadamante, le juge aux enfers des morts asiatiques (6), à Orphée, le chanteur phrygien. Midas lient en outre le thyrse à la main : c'est que Midas, dans les légendes antiques, n'est pas seulement le prêtre de Cybèle, mais aussi celui du Dionysos orphique, c'est-à-dire du Dionysos qui était célébré sur les sommets de l'Olympe et les bords de l'Hèbre, et dont le culte avait un étroit rapport avec les cérémonies de la Grande-Mère, phrygienne et lydienne (7). Suivant la Fable, Apollon allongea démesurément les oreilles du roi phrygien, pour le punir d'avoir préféré les chants de Marsyas aux siens ; cet événement, d'après Ovide (8), serait postérieur à la rencontre du satyre par Midas. Mais la chronologie de la Fable est, comme on pense, incertaine et changeante ; œuvre des poètes et des artistes, elle varie aussi à leur gré. Deux vases, l'un provenant de Chiusium (9), l'autre de Palerme (10), nous montrent un silène entraîné devant Midas ; sur tous les deux le roi phrygien a les longues oreilles qui nous ser- 313 vent aie reconnaître, et sans lesquelles il ne serait plus qu'un roi barbare quelconque. C'est toujours le même principe ; l'art grec cherche ses avantages ; pour les atteindre, il n'hésite pas à confondre les temps et les dates.

On peut se demander comment de longues oreilles pouvaient contribuer à rendre plus douce l'expression de Midas. Pour avoir de longues oreilles pointues, semblables à celles des boucs, les Faunes ou Pan ne perdent rien de leur air sauvage et souvent railleur. Jacobs conjecture avec quelque vraisemblance qu'entre la figure de Midas et la tête d'un âne il y avait d'autres traits communs que les oreilles ; très probablement, l'artiste, songeant à l'ignorance de Midas, avait poussé le châtiment plus loin qu'Apollon ; outre les oreilles, il lui avait donné encore des yeux somnolents, presque sans regard. Ainsi dans le célèbre dessin de Raphaël d'après Apelle, l'Ignorance assise sur son trône ne se reconnaît pas seulement aux oreilles d'âne, elle a le front bas, le regard incertain, le sourire banal, tous signes de la crédulité et de la sottise.

(1) Preller, G. M, I, 604.

(2) ld., ibid., I, p. 532.

(3) Aristote cité par Plutarque, Consolation à Apollonius, 27.

(4) Vie d'Apollonius, VI, 27, traduction Chassang.

(5) Müller-Wiesel, D. d. a. K., I, 275a.

(6) Plat., Gorgias, 524, A.

(7) Preller, G.  M., dritte Auflage, I, p. 533.

(8) Ovide, Met., XI, 146.

(9) Ann. de l'inst. 1844. Tav. d'agg. D 3.

(10) Monum. de l'Inst., IV, tav. X.


 

ΝΑΡΚΙΣΣΟΣ

Ἡ μὲν πηγὴ γράφει τὸν Νάρκισσον, ἡ δὲ γραφὴ τὴν πηγὴν καὶ τὰ τοῦ Ναρκίσσου πάντα. Μειράκιον ἄρτι θήρας ἀπηλλαγμένον πηγῇ ἐφέστηκεν ἕλκον τινὰ ἐξ αὑτοῦ ἵμερον καὶ ἐρῶν τῆς ἑαυτοῦ ὥρας, ἀστράπτει δέ, ὡς ὁρᾷς, ἐς τὸ ὕδωρ. Τὸ μὲν οὖν ἄντρον Ἀχελῴου καὶ Νυμφῶν, γέγραπται δὲ τὰ εἰκότα· φαύλου τε γὰρ τέχνης τὰ ἀγάλματα καὶ λίθου 〈τοῦ〉 ἐντεῦθεν, καὶ τὰ μὲν περιτέτριπται ὑπὸ τοῦ χρόνου, τὰ δὲ βουκόλων ἢ ποιμένων παῖδες περιέκοψαν ἔτι νήπιοι καὶ ἀναίσθητοι τοῦ θεοῦ. Καὶ οὐδὲ ἀβάκχευτος ἡ πηγὴ τοῦ Διονύσου οἷον ἀναφήναντος αὐτὴν ταῖς Ληναῖς· ἀμπέλῳ γοῦν καὶ κιττῷ ἤρεπται καὶ ἕλιξι καλαῖς καὶ βοτρύων μετέσχηκε 〈καὶ〉 ὅθεν οἱ θύρσοι, κωμάζουσί τε ἐπ´ αὐτὴν σοφοὶ ὄρνιθες, ὡς ἑκάστου ἁρμονία, καὶ ἄνθη λευκὰ τῇ πηγῇ περιπέφυκεν οὔπω ὄντα, ἀλλ´ ἐπὶ τῷ μειρακίῳ φυόμενα. Τιμῶσα δὲ ἡ γραφὴ τὴν ἀλήθειαν καὶ δρόσου τι λείβει ἀπὸ τῶν ἀνθέων, οἷς καὶ μέλιττα ἐφιζάνει τις, οὐκ οἶδα εἴτ´ ἐξαπατηθεῖσα ὑπὸ τῆς γραφῆς, εἴτε ἡμᾶς ἐξηπατῆσθαι χρὴ εἶναι αὐτήν. Ἀλλ´ ἔστω. Σὲ μέντοι, μειράκιον, οὐ γραφή τις ἐξηπάτησεν, οὐδὲ χρώμασιν ἢ κηρῷ προστέτηκας, ἀλλ´ ἐκτυπῶσαν σὲ τὸ ὕδωρ, οἷον εἶδες αὐτό, οὐκ οἶσθα οὔτε τὸ τῆς πηγῆς ἐλέγχεις σόφισμα, νεῦσαι δεῖν καὶ παρατρέψαι τοῦ εἴδους καὶ τὴν χεῖρα ὑποκινῆσαι καὶ μὴ ἐπὶ ταὐτοῦ ἑστάναι, σὺ δ´ ὥσπερ ἑταίρῳ ἐντυχὼν τἀκεῖθεν περιμένεις. Εἶτά σοι ἡ πηγὴ μύθῳ χρήσεται; οὗτος μὲν οὖν οὐδ´ ἐπαΐει τι ἡμῶν, ἀλλ´ ἐμπέπτωκεν ἐπὶ τὸ ὕδωρ αὐτοῖς ὠσὶ καὶ αὐτοῖς ὄμμασιν, αὐτοὶ δὲ ἡμεῖς, ὥσπερ γέγραπται, λέγωμεν. Ὀρθὸν ἀναπαύεται τὸ μειράκιον ἐναλλάξαν τὼ πόδε καὶ τὴν χεῖρα ἐπέχον πεπηγότι τῷ ἀκοντίῳ ἐν ἀριστερᾷ, ἡ δεξιὰ δὲ περιῆκται εἰς τὸ ἰσχίον ἀνασχεῖν τε αὐτὸν καὶ σχῆμα πράττειν ἐκκειμένων τῶν γλουτῶν διὰ τὴν τῶν ἀριστερῶν ἔγκλισιν. Δεικνύει δὲ ἡ χεὶρ ἀέρα μέν, καθ´ ὃ κυρτοῦται ὁ ἀγκών, ῥυτίδα δὲ καθ´ ὃ στρεβλοῦται ὁ καρπὸς καὶ σκιὰν παρέχεται συνιζάνουσα εἰς τὸ θέναρ, λοξαὶ δὲ ἀκτῖνες τῆς σκιᾶς διὰ τὴν εἴσω ἐπιστροφὴν τῶν δακτύλων. Τὸ δὲ ἐν τῷ στέρνῳ ἆσθμα οὐκ οἶδα εἴτε κυνηγετικὸν ἔτι εἴτε ἤδη ἐρωτικόν. Τό γε μὴν ὄμμα ἱκανῶς ἐρῶντος. Τὸ γὰρ χαροπὸν αὐτοῦ καὶ γοργὸν ἐκ φύσεως πραΰνει τις ἐφιζάνων ἵμερος, δοκεῖ δ´ ἴσως καὶ ἀντερᾶσθαι βλεπούσης αὐτὸν τῆς σκιᾶς, ὡς ὑπ´ αὐτοῦ ὁρᾶται. Πολλὰ καὶ περὶ τῆς κόμης ἐλέχθη ἄν, εἰ θηρῶντι αὐτῷ ἐνετύχομεν. Μυρίαι γὰρ αὐτῆς αἱ κινήσεις ἐν τῷ δρόμῳ καὶ μᾶλλον, ἐπειδὰν ὑπὸ ἀνέμου τινὸς ἔμπνους γένηται, τύχοι δ´ ἂν καὶ λόγου νῦν. Ἀμφιλαφοῦς γὰρ οὔσης αὐτῆς καὶ οἷον χρυσῆς τὸ μὲν οἱ τένοντες ἐφέλκονται, τὸ δ´ ὑπὸ τῶν ὤτων κρίνεται, τὸ δὲ τῷ μετώπῳ ἐπισαλεύει, τὸ δὲ τῇ ὑπήνῃ ἐπιρρεῖ. Ἴσοι τε ἄμφω οἱ Νάρκισσοι τὸ εἶδος ἴσα ἐμφαίνοντες ἀλλήλων, πλὴν ὅσον ὁ μὲν ἔκκειται τοῦ ἀέρος, ὁ δὲ τὴν πηγὴν ὑποδέδυκεν. Ἐφέστηκε γὰρ τὸ μειράκιον ὕδατι ἑστῶτι, μᾶλλον δὲ ἀτενίζοντι ἐς αὐτὸ καὶ οἷον διψῶντι τοῦ κάλλους.

XXII. NARCISSE.

Cette source reproduit les traits de Narcisse, comme la peinture reproduit la source, Narcisse lui-même et son image. Le jeune homme, de retour de la chasse, se tient debout près de la source, soupirant pour lui-même, épris de sa propre beauté, illuminant l'eau, comme tu vois, de sa grâce éclatante. Quant à cet antre (a), c'est celui d'Achéloos et des nymphes. La vraisemblance a été observée : car on y voit des statues grossièrement sculptées dans une pierre qui provient du lieu même ; les unes ont été rongées par le temps ; les autres ont été mutilées par des enfants de bouviers ou de pâtres, qui, en raison de leur âge, ne sentent pas encore la présence du dieu. Elle n'est point non plus étrangère au cuite dionysiaque, cette source que Dionysos a fait comme jaillir pour les bacchantes. La vigne, le lierre, le lierre hélix aux belles vrilles (b), y forment un berceau chargé de grappes de raisins, entremêlé dfr ces férules qui donnent les thyrses (c) ; au-dessus d'elle, prennent leurs ébats des oiseaux qui gazouillent mélodieusement, chacun à sa façon. Des fleurs, nées près de l'eau, en honneur du jeune homme, ne font que d'entr'ouvrir leurs blanches corolles ; fidèle à la vérité, la peinture nous montre la goutte de rosée suspendue aux pétales : une abeille se pose sur la fleur ; je ne saurais dire si elle est trompée par la peinture, ou si ce n'est pas nous qui nous trompons en croyant qu'elle existe réellement. Mais soit, il y a erreur de notre part. Quant à toi, ô jeune homme, ce n'est pas une peinture qui cause ton illusion ; ce ne sont pas.314 des couleurs, ni une cire trompeuse qui te tiennent enchaîné (d) ; tu ne vois pas que l'eau te reproduit tel que tu te contemples ; tu ne t'aperçois pas de l'artifice de cette source, et cependant il te suffirait pour cela de te pencher, de passer d'une expression à une autre, d'agiter la main, de changer d'altitude ; mais, comme si lu venais de rencontrer un compagnon, tu restes immobile, attendant ce qui va suivre. Crois-tu donc que la source va entrer en conversation avec toi? Mais Narcisse ne nous écoute point : l'eau a captivé ses yeux et ses oreilles. Disons, du moins, comment le peintre l'a représenté. Debout, le jeune homme croisant les pieds s'appuie de la main gauche sur son épieu fiché en terre, pendant que la main droite repose sur ses flancs; ainsi il se soutient lui-même (e), et sa hanche droite présente une forte saillie par suite de l'abaissement de la gauche. On aperçoit l'air entre le coude et le bras, à la hauteur du coude (f) ; des plis se dessinent à la jointure du poignet. Des ombres sillonnent la paume de la main en lignes obliques (g), par suite de la position des doigts qui s'infléchissent en dedans. Sa poitrine se soulève : est-ce l'animation de la chasse qui persiste encore, est-ce déjà un soupir amoureux? Je ne saurais dire : le regard est bien celui d'un homme qui aime avec passion ; naturellement vif et farouche, il est tempéré par je ne sais quelle langueur voluptueuse ; peut-être s'imagine-t-il être aimé comme il aime, son image le regardant avec la même tendresse qu'il la regarde. Nous aurions beaucoup à dire sur sa chevelure si nous avions rencontré Narcisse pendant qu'il chassait ; que de mouvements, en effet, lui aurait imprimés la vitesse de la course, aidée surtout par le souffle du vent ! mais, telle qu'elle est, nous ne saurions nous en taire. Très abondante et comme dorée, elle retombe en partie sur le cou, en partie sur les oreilles qui la partagent ; ondoyante sur le front, elle se mêle au poil follet du visage. Les deux Narcisse sont semblables, brillent de la même beauté ; la seule différence entre eux, c'est que l'un se détache sur un fond qui est le ciel, et que l'autre est vu comme plongé dans l'eau; le jeune homme se tient immobile au-dessus de l'eau qui est immobile, ou plutôt qui le contemple fixement, et comme éprise de sa beauté.

COMMENTAIRE.

La fable de Narcisse a été souvent racontée par les poètes et reproduites par les artistes. Nous laissons aux mythologues le soin de décider si, comme le veut Pausanias (1), Narcisse est le nom d'un jeune Thespien qui aurait été 315 épris de sa sœur, et qui, l'ayant perdue, aurait cru, à cause de sa ressemblance avec elle, la contempler encore en se regardant lui-même dans une source; si toute cette légende n'a pas été inventée plutôt pour donner une leçon à la beauté, fière d'elle-même et dédaigneuse de tout autre visage que le sien propre (2) ; ou bien encore, si le sort de Narcisse est l'image de ces fleurs qui poussent sur la rive d'un ruisseau et se fanent après un moment d'éclat. Ni le peintre dont Philostrate décrit le tableau, ni Philostrate ne paraissent avoir songé à l'une ou à l'autre de ces diverses interprétations de la légende. Nos observations ne porteront donc que sur la composition du tableau et l'attitude de Narcisse.

Si nous considérons les peintures de Pompéi et d'Herculanum qui nous représentent Narcisse (elles sont nombreuses : M. Helbig dans son catalogue en compte jusqu'à trente-sept), nous serons étonnés tout d'abord de voir combien dans toutes sans exception le paysage est pauvre et presque désolé : des rochers nus, taillés à pic ou faisant saillie sur une source, un roseau qui se dissimule au bord du cadre, un arbre sortant des flancs arides d'une colline, quelques fleurs éparses sur les bords du ruisseau, voilà, en les réunissant, presque toutes les richesses de la campagne où les peintres de Campanie ont placé leur Narcisse ; on y chercherait vainement et le lierre et les grappes de raisin que Philostrate paraît si ravi de contempler et de décrire ; point d'antre pour abriter les nymphes, point de statue pour indiquer un lieu consacré et fréquenté ; on peut croire que jusqu'à ce moment Narcisse s seul a pénétré dans cette solitude; que cette eau n'a réfléchi jusqu'ici qu'un seul visage, celui de Narcisse. Nous constatons la différence, sans songer à critiquer soit les décorateurs d'Herculanum et de Pompéi, soit le peintre de notre Narcisse ; il nous semble cependant que, si le paysage forme quelquefois pour les personnages un cadre naturel, et comme obligé, c'est surtout pour Narcisse ; ainsi sans doute l'a pensé le Poussin, quand, selon l'expression de Félibien (3), il a représenté Narcisse dans un lieu délicieux. Si Narcisse est fatigué de la chasse, s'il est accablé par la chaleur, ne doit-il pas rechercher, non seulement l'eau qui étanchera sa soif, mais encore la partie la plus épaisse du bois qui le garantira des rayons du soleil ?

Hic puer et studio yenandi lassus et aestu
Procubuit faciemque loci fontemque secutus (4).

La description de Philostrate, toute vraisemblable qu'elle est, est pourtant surprenante en un point : pourquoi l'antre est-il ainsi revêtu des plantes consacrées à Dionysos? Ce dieu ne joue aucun rôle dans la légende de 316 Narcisse. Faut-il croire que l'artiste, en faisant courir dans son paysage le lierre et le pampre, n'a point songé à Dionysos et que Philostrate se trompe sur son intention ? Faut-il penser au contraire que, se rappelant les liens qui unissent Dionysos aux Nymphes, le peintre a cru que, partout où il y avait une grotte et une source, fréquentées par les nymphes,les plantes aimées du dieu devaient croître d'elles-mêmes? Quoi qu'il en soit, ce séjour des nymphes charmait agréablement la vue ; demander plus à un artiste même ancien, c'est peut être s'exagérer les devoirs de la peinture, même mythologique.

Le moment choisi par les artistes qui ont traité Ce sujet n'est pas toujours le même. Tantôt Narcisse, assis sur un rocher, n'a pas encore aperçu son image qui se réfléchit dans l'eau ; tantôt, il semble se contempler avec quiétude et comme indifférence ; on dirait qu'il n'a pas encore eu le temps de remarquer sa beauté et de s'éprendre de lui-même ; tantôt il étend derrière lui son vêtement, de manière à se découvrir tout entier, et se penche tellement sur l'eau que sa chute paraît imminente (5). Ce dernier moment est certainement le plus favorable : le geste, l'attitude tout vient en aide au peintre pour marquer la force de la passion, déjà empreinte sur le visage. C'est aussi le moment le plus dramatique, étant le plus près du dénouement fatal (6).

D'autres personnages accompagnent souvent Narcisse : c'est Écho couronnée de roseaux, ou tenant à la main une guirlande, ou s'appuyant ici sur une urne, là sur un pilier ; c'est l'Amour ou un Génie, tenant un flambeau renversé, de manière à l'éteindre, symbole ou de la mort qui attend Narcisse ou des sentiments pervertis qu'il éprouve pour lui-même. Mais, à côté de ces compositions, d'autres peintures, comme la nôtre, nous montrent Narcisse entièrement seul (7).

Philostrate décrit longuement, non cependant sans quelque obscurité, l'attitude du jeune chasseur. Narcisse croisait les pieds ; cette altitude, qui n'est point une marque de mollesse excessive, mais qui se concilie mal avec la dignité suprême, n'était point donnée par les artistes anciens aux dieux augustes et terribles, comme Zeus et Pluton; au contraire, les Érotés et les satyres, personnes placées au bas de l'échelle mythologique, la plèbe divine, pour ainsi dire, infléchissent volontiers leurs corps, s'appuient mollement sur des colonnes ou des cippes, penchent la tête et ramènent une jambe sur l'autre; Apollon, Dionysos, Hermès, Héraclès même, quand il se repose, imitent en cela les Érotés et les satyres; ils tiennent trop de l'homme pour éviter avec affectation la grâce nonchalante (8). Nulle pose, ce semble, ne convenait mieux à Narcisse qui n'est point un dieu, qui abandonne la chasse, l'exercice viril par excellence, pour se mirer comme une femme, dans l'eau d'une fontaine, et qui, se livrant sans résistance aux séductions de sa propre beauté, doit périr de langueur. La position de la main gauche qui tient l'épieu n'est

 


pas difficile à imaginer ; elle nous est donné par une foule de monuments (9): sans doute le bras gauche s'arrondissait mollement autour de la lance qu'il soutenait, de manière que le dos de la main fût tourné vers le spectateur. Quant à la main droite, elle avait le poignet appuyé sur le flanc, et se retour- 318 nait en dehors, comme dans le Faune de Praxitèle; seulement les doigts devaient être plus fermés, afin de produire des ombres qui s'étendissent sur la paume de la main (10). Il n'y a donc pas lieu, nous semble t-il, de critiquer avec Friederichs (11) la position de Narcisse comme peu naturelle et mal conçue ; nous avons cité le Faune, parce que de toutes les statues antiques, c'est peut-être la plus connue qui ait la même attitude ; mais Narcisse lui-même, dans une peinture de Pompéi, reproduite par Zahn (12), pourrait, mis en face de notre Narcisse, lui rendre le même service que l'eau de la source dans laquelle il se mire ; c'est la même position des jambes, le même mouvement des hanches; il s'appuie également sur un épieu et la main droite repose de la même façon sur le flanc; toutefois le corps tout entier se présente un peu autrement aux regards du spectateur (13).

 

(1) Paus., IX, 31, 8.

(2) Preller, G. M.,  I, 598.

(3) Entretiens sur la vie des peintres, IV, p. 83. Voir le tableau du Louvre, n° 212.

(4) Ovide, Mét., III, 413.

(5) Ces deux mouvements peuvent être distingués l'un de l'autre comme le prouve la pierre gravée, du musée de Florence, que nous reproduisons d'après Wicar : Narcisse a ôté sa draperie ; il ce s'est pas encore penché sur l'eau.

(6) Voir Ant. d'Herculan., VIII, tav. 28-31.

(7) Voir Helbig, Wandgemälde, etc., n° 1358, 1361, 1364, 1366.

(8) Sur l'emploi de cette attitude dans les œuvres d'art, voir Stephani, Der ausruhende Herakles, p. 174.

(9) Voir par exemple, Pitt. d'Ercol., IV, p. 45 et 49. Raphaël a imité cette attitude dans sa figure de la Paix.

(10) Les gravures qui présentent le Faune de face (Müller-Wieseler D. .a .d K  I, 143) ne laissent pas voir la paume de la main ; mais pour un spectateur placé un peu à droite de la statue, la paume de la main devient visible et les jambes paraissent croisées.

(11) Die Philostrat. Bilder, p. 61.

(12) Zahn, III, 63 Cf. Brunn, die Philostr. Gemälde, p. 189.

(13) Outre les monuments cités plus haut, voir Pitt. d'Ercol, V, 27 et 29, I, II, 63; Lippert. I, II, 63; Mus. Flor., II, 34, 2; Clarac p. 590, n° 1281 ; Chabouillet, 1791. Sur ce dernier monument, qui est une cornaline, Narcisse est agenouillé aux bords de la source; il tient dans la main droite la fleur qui sert à le caractériser. Nous avons fait graver cette pièce inédite pour la feuille de titre du présent ouvrage. —Voir aussi une terre cuite de Tanagra, la plus ancienne représentation connue de Narcisse, suivant M. Heilbig (Séance du 31 janv. de l'Inst. arch. allem., dont l'opinion est adoptée par M. Fr. Lenormant (Gaz. arch., 1879, Ia n, p. 52).
 

ΥΑΚΙΝΘΟΣ

Ἀνάγνωθι τὴν ὑάκινθον, γέγραπται γὰρ καί φησιν ἀναφῦναι τῆς γῆς ἐπὶ μειρακίῳ καλῷ καὶ θρηνεῖ αὐτὸ ἅμα τῷ ἦρι γένεσιν οἶμαι παρ´ αὐτοῦ λαβοῦσα, ὅτε ἀπέθανε. Καὶ μή σε λειμὼν ἀναβάλῃ τοῦτο, καὶ γὰρ ἐνταῦθα ἐκπέφυκεν, ὁποία τῆς γῆς ἀνέσχε. Λέγει δὲ ἡ γραφὴ καὶ ὑακινθίνην εἶναι τῷ μειρακίῳ τὴν κόμην καὶ τὸ αἷμα ἔμβιον τῇ γῇ γινόμενον εἰς οἰκεῖόν τι χρῶσαι τὸ ἄνθος. Ῥεῖ δὲ ἀπ´ αὐτῆς τῆς κεφαλῆς ἐμπεπτωκότος αὐτῇ τοῦ δίσκου. Δεινὴ μὲν ἡ διαμαρτία καὶ οὐδὲ πιστὴ λέγεται κατὰ τοῦ Ἀπόλλωνος· ἐπεὶ δὲ οὐ σοφισταὶ τῶν μύθων ἥκομεν οὐδὲ ἀπιστεῖν ἕτοιμοι, θεαταὶ δὲ μόνον τῶν γεγραμμένων, ἐξετάσωμεν τὴν γραφὴν καὶ πρῶτόν γε τὴν βαλβῖδα τοῦ δίσκου. Βαλβὶς διακεχώρισται μικρὰ καὶ ἀποχρῶσα ἑνὶ ἑστῶτι, εἰ μὴ τὸ κατόπιν καὶ τὸ δεξιὸν σκέλος ἀνέχουσα, πρανῆ τὰ ἔμπροσθεν, καὶ κουφίζουσα θάτερον τοῖν σκελοῖν, ὃ χρὴ συναναβάλλεσθαι καὶ συμπορεύεσθαι τῇ δεξιᾷ. Τὸ δὲ σχῆμα τοῦ δίσκον ἀνέχοντος ἐξαλλάξαντα τὴν κεφαλὴν ἐπὶ δεξιὰ χρὴ κυρτοῦσθαι τόσον, ὅσον ὑποβλέψαι τὰ πλευρά, καὶ ῥιπτεῖν οἷον ἀνιμῶντα καὶ προσεμβάλλοντα τοῖς δεξιοῖς πᾶσι. Καὶ ὁ Ἀπόλλων οὕτω πως ἐδίσκευσεν, οὐ γὰρ ἂν ἄλλως ἀφῆκεν, ἐμπεσὼν δὲ ὁ δίσκος ἐς τὸ μειράκιον τὸ μὲν κεῖται καὶ ἐπ´ αὐτοῦ γε τοῦ δίσκου—Λακωνικὸν μειράκιον καὶ τὴν κνήμην ὀρθὸν καὶ δρόμων οὐκ ἀγύμναστον καὶ βραχίονα ὑπεγεῖρον ἤδη καὶ τὴν ὥραν τῶν ὀστῶν ὑπεκφαῖνον—ἀπέστραπται δὲ Ἀπόλλων ἔτι ἐφεστὼς τῇ βαλβῖδι καὶ κατὰ γῆς βλέπει. Πεπηγέναι φήσεις αὐτόν, τοσοῦτον αὐτῷ τῆς ἐκπλήξεως ἐμπέπτωκεν. Ἀμαθής γε ὁ Ζέφυρος νεμεσήσας αὐτῷ καὶ τὸν δίσκον ἐς τὸ μειράκιον παρείς, καὶ γέλως δοκεῖ τῷ ἀνέμῳ ταῦτα καὶ τωθάζει περιωπὴν ἔχων. Ὁρᾷς δὲ οἶμαι αὐτὸν ἐν πτηνῷ τῷ κροτάφῳ καὶ ἁβρῷ τῷ εἴδει, καὶ στέφανον φέρει πάντων ἀνθέων, μικρὸν δὲ ὕστερον καὶ τὴν ὑάκινθον αὐτοῖς ἐμπλέξει.

XXIII. HYACINTHE.

Reconnais l'hyacinthe à son inscription ; la fleur elle-même nous rappelle qu'elle est née de la terre, en l'honneur d'un bel adolescent; au retour de chaque printemps, elle le pleure sans doute par reconnaissance de la vie qu'il lui a communiquée en mourant. Et que l'aspect de cette prairie couverte de fleurs ne te fasse pas croire à une autre origine (a) ; en tant que plante, elle est bien née de ce sol ; mais le jeune homme, c'est le peintre qui nous l'apprend, avait une chevelure semblable pour la couleur à l'hyacinthe ; le sang qu'il perdit avec la vie fut bu par la terre et fournit sa teinte propre à la fleur. Ici le sang coule de la tête sur laquelle le disque est tombé : maladresse étrange qu'on ose à peine mettre sur le compte d'Apollon. Mais puisque nous sommes venus voir des tableaux, en simples curieux, non pour expliquer les mythes ni pour émettre des doutes, ne considérons que la peinture, et d'abord la borne même du jeu (b). C'est une petite levée de terre suffisante pour un homme s'y tenant debout ; supportant la jambe droite, 319 elle permet au corps de se pencher en avant et rend plus aisé le mouvement de la jambe gauche, rejetée en arrière, qui doit s'élancer et se déplacer en même temps que la main droite. Ainsi posé, le discobole doit, tournant la tête vers la droite, se pencher à ce point qu'il ait les yeux fixés sur sa hanche, puis jeter le disque en le tirant comme d'un puits et en faisant effort de toute la partie droite du corps. C'est ainsi qu'Apollon a lancé le disque ; il n'aurait pu faire autrement. Atteint par le disque, c'est sur le disque lui-même que l'adolescent est couché (c). C'était un jeune Lacédémonien, exercé à la course, aux jambes bien droites, au bras déjà plein de vigueur ; laissant deviner sous les^chairs une gracieuse ossature. Apollon encore debout sur la borne a détourné les yeux et regarde la terre ; on dirait qu'il est comme frappé d'immobilité, tant est grande la stupeur qui l'accable. C'est le barbare Zéphyre qui dans sa colère contre le dieu a dirigé le disque contre le jeune homme. Tout cela lui paraît un jeu, et il rit du lieu élevé d'où il observe. Tu le reconnais, je pense, aux ailes de ses tempes, à son air efféminé, à sa couronne tressée de toutes les fleurs auxquelles il mêlera bientôt l'hyacinthe.

COMMENTAIRE.

Apollon raconte lui-même, dans Lucien (1), comment il tua Hyacinthe. « Il apprenait à lancer le disque, lorsque le Zéphyre, le père des vents, qui depuis longtemps aimait Hyacinthe, mais en était méprisé, profite du moment où, selon l'ordinaire, je jetais le disque en l'air, se met à souffler du mont Taygète et dirige le disque sur la tête du pauvre enfant : le coup fait jaillir le sang et l'enfant expire aussitôt. Je me suis vengé du Zéphyre en le poursuivant à coups de flèches, tandis qu'il fuyait vers la montagne; j'ai élevé au jeune garçon un tombeau à Amyclée, au lieu même où le disque Ta frappé, et de son sang j'ai fait produire à la terre la plus agréable et la plus charmante des fleurs, ornée des lettres qui témoignent mes regrets de cette mort. »

Nous avons cité ce passage, parce que Lucien donne au Zéphyre, dans la fable d'Apollon et d'Hyacinthe, le même rôle que le peintre de notre tableau. Cette aventure n'était pas toujours racontée de la même façon : dans Ovide, Hyacinthe s'empresse trop de relever le disque que vient de lancer le dieu et qui, rebondissant, frappe le jeune homme à la tête. Sans doute les poètes avaient imaginé et cette intervention de Zéphyre et cette imprudence d'Hyacinthe pour n'avoir point à reprocher à un dieu une inexplicable mala- 320 dresse. Il faut croire que l'expédient ne satisfait pas entièrement Philostrate, puisqu'il s'écrie : maladresse étrange, difficile à croire de la part d'Apollon; ou plutôt, au moment où Philostrate écrit ces mots, il n'a pas encore aperçu le Zéphyre souriant derrière Apollon, et ne pense pas encore à l'ingénieuse façon dont les artistes avaient cherché à sauver l'honneur du dieu, si habile à tirer de Tare et à lancer le disque.

Outre l'attitude présente d'Apollon, si conforme à la douleur qui l'accable, Philostrate nous décrit encore l'attitude qui a précédé. Apollon, pour lancer le disque, avait fléchi le genou, penché le corps en avant, renvoyé la main droite en arrière, tourné le visage de côté, puis par un brusque mouvement qui avait communiqué au disque une force et un élan considérables, il avait repris sa position naturelle. Cette attitude est celle que nous admirons dans le Discobole de Myron : un seul détail manque à la description de Philostrate, comme l'a fait observer Welcker ; le rhéteur ne parle pas de la main gauche, qui sans doute venait s'appuyer sur le genou droit, comme pour l'affermir, ni du genou gauche, se pressant fortement contre le genou droit, pour aider l'action de la main. On remarquera d'ailleurs que le Discobole décrit par Philostrate, comme celui quia été exécuté par Myron, ne tourne pas la tête de manière à voirie disque, à l'instant où le bras le tient en l'air, à la plus grande distance possible du corps, mais bien de façon à le saisir du regard au passage et à le suivre dans son élan jusqu'au but qu'il doit atteindre (2).
Hyacinthe était étendu sur le sol. Philostrate remarque qu'il a les jambes bien droites. C'était là une qualité fort appréciée par les Grecs chez les jeunes gens et les jeunes filles qui s'exerçaient à la course ; au contraire les jambes, décrivant une courbe, passaient pour moins agiles, moins solides et surtout pour moins belles (3). Les molles rondeurs du bras commençaient à se soulever, dit Philostrate ; ce détail caractérise assez bien le jeune homme dans l'âge de la puberté. La beauté des os se laissait deviner à travers la peau; comment Philostrate a-t-il pu louer la beauté des os, quand rien ne nuit plus à la beauté que des os mal couverts par les muscles ? D'ailleurs puisque les muscles commencent à s'arrondir sur le bras, comment ne cachent-ils pas toute la charpente osseuse du corps ? Nous ferons remarquer d'abord que Philostrate ne parle point des os comme apparents ; il devine qu'ils sont beaux» sans doute parce qu'il voit des muscles bien en place, et un corps brillant de jeunesse et de beauté. Puis la position d'Hyacinthe qui était couché, et dont la tête était peut-être plus basse que le reste du corps, n'était-elle pas de nature à faire ressortir les os du thorax? Ces os, bien formés, ni trop forts ni trop frêles, dessinant sur la peau des sillons réguliers, arrachent 321 naturellement un cri d'admiration à un Grec, épris de la beauté physique. On rapporte que Michel-Ange, aveugle, éprouvait une espèce d'enthousiasme, en touchant de ses mains certains os du corps humain : pourquoi, aux yeux des Grecs, les os n'auraient-ils pas eu leur beauté comme les muscles (4)?

Un artiste célèbre de l'antiquité, Nicias, avait peint un Hyacinthe qu'Auguste vit avec ravissement dans la ville d'Alexandrie, qu'il fit emporter à Rome et qui plus tard, par les soins pieux de Tibère, fut placé dans le temple

 élevé au premier des empereurs romains. Nous ne connaissons rien de ce tableau si ce n'est qu'Hyacinthe y était représenté dans l'éclat de la toute première jeunesse. Brunn (5) a conclu de ce simple détail, transmis par Pausanias (6), que le tableau décrit par Philostrate ne pouvait être la reproduction de l'œuvre de Nicias; en effet, dit-il, le sophiste grec a eu sous les 322 yeux un jeune homme beaucoup plus robuste. Le texte de Philostrate ne nous paraît pas autoriser tout à fait un semblable raisonnement ; Hyacinthe n'y est point représenté comme un jeune homme complètement formé;il est bien dit qu'il était exercé à la course, mais les Grecs se livraient, dès l'âge le plus tendre, à tous les exercices de la palestre ; les bras sont déjà vigoureux, dit Philostrate, mais quoi? l'observation du sophiste ne prouve-t-elle pas que la vigueur l'étonnait, en raison même de la jeunesse du personnage? Remarquons aussi que Pausanias a pu se servir d'une expression un peu forcée ; il ne décrit pas en effet le tableau de Nicias ; il n'en parle qu'à propos d'une autre œuvre d'art où Hyacinthe porté au ciel par Athéna et Artémis avait déjà, dit-il, de la barbe au menton. Quand on compare pour signaler une différence, il peut arriver que la différence soit exagérée. Nous ne prétendons pas d'ailleurs que la peinture de la galerie napolitaine fût une copie d'après Nicias ; il nous semble même que tous les tableaux décrits par Philostrate, offrent dans leur composition des traits nouveaux et singuliers qui ne permettent pas de croire à une reproduction complète de quelque œuvre bien connue ; mais il ne nous paraît pas non plus qu'il y ait ici à signaler une différence d'âge entre l'Hyacinthe admiré par Auguste et celui que Philostrate décrit avec complaisance.

L'attitude d'Apollon est faite un peu pour nous étonner. On peut se demander pourquoi le dieu ne se précipite pas vers le jeune homme qu'il a blessé, pourquoi il ne le relève pas, pourquoi même en supposant qu'il se sache impuissant à le rappeler à la vie, il ne lui prodigue pas ses secours? Un peintre moderne n'aurait pas manqué, croyons-nous, de concevoir ainsi le sujet. L'art antique recherche moins les effets que la passion violente et le mouvement peuvent donner ; que l'on considère par exemple l'expression et l'attitude d'Aphrodite dans les peintures campaniennes qui représentent la mort d'Adonis ; non seulement la déesse est calme, mais elle semble inattentive et sans prévenance; est-ce bien là une femme, est-ce bien là une amante, pourrait penser un spectateur moderne? Des Amours, il est vrai, s'empressent autour du moribond et bandent la plaie; mais leur activité ne fait que mieux ressortir l'entière inaction d'Aphrodite. La douleur ne se trahit que par un léger assombrissement du visage. Apollon restait aussi immobile dans notre tableau ; mais l'expression de sa douleur paraît avait été assez marquée, à en juger par les termes dont se sert Philostrate. Il faut bien reconnaître d'ailleurs que cette immobilité et cette stupeur pouvaient avoir leur beauté.

Un troisième personnage se mêle à la scène. Le Zéphyre n'a été reconnu sûrement que sur la Tour des Vents à Athènes. Une peinture de la maison de Cérès à Pompéi (7), représente un jeune homme nu, avec des ailes aux épaules et de petites plumes sur le front qui s'abat doucement, soutenu par deux Amours, vers une jeune femme endormie. La plupart des archéologues re- 323 connaissent Chloris et le Zéphyre ; selon d'autres, Ariadne endormie est charmée par un songe que personnifie le génie ailé. Il nous semble difficile de ne pas voir un amant dans ce jeune homme que deux amours conduisent et qui regarde une jeune femme couchée avec une telle expression de tendresse; nous n'oserions décider si c'est Chloris qui dort et si c'est le Zéphyre qui s'approche, mais il nous semble qu'on peut sans trop d'invraisemblance se figurer le Zéphyre de la galerie napolitaine sous les traits de ce génie pompéien. Gomme le Zéphyre de Phiiostrate, il a un air presque féminin ; il n'est pas couronné de fleurs mais il tient une couronne à la main. Placez-le sur une hauteur comme ces figures qui dominent la scène principale, dans les peintures anciennes; à la tendresse peinte sur son visage substituez un sourire ironique, une expression de joie railleuse, et vous croirez voir le Zéphyre décrit par Philostrate dans le tableau d'Hyacinthe.

(1) Lucien, Dial. des dieux, 14, 2 (traduct. Talbot).

(2) Sur cette attitude, cf. Welcker, A. Denkm., I, p. 417.

(3) Philip., 14,15 ; Arist., I, ep. 27. — Cf. Philostr., Περὶ γυμν. «Les jambes qui ne vont pas tout droit aux chevilles, et qui sont obliques et inclinées en dedans, font pencher le corps, comme les bases non droites soutiennent mal les colonnes solides » (traduct. Minoide-Mynas, p. 38 du texte, 92 de la traduct.).

(4) Nous reproduisons d'après Wicar une gemme du musée de Florence qui représente un discobole ; l'attitude est tout autre que celle qui est décrite par Philostrate, mais le personnage par son air de jeunesse et de vigueur répond assez bien à ridée que le rhéteur nous donne de son Hyacinthe.

(5) Brunn, Die gr. Künstler, Zw. B. 195.

(6) Pausanias, III, 19, 4.

(7) Souvent reproduite. Voir Mttller-Wieseler, D. d. ait Kunst. 1,124.
 

ΑΝΔΡΙΟΙ

Τὸ τοῦ οἴνου ῥεῦμα τὸ ἐν Ἄνδρῳ τῇ νήσῳ καὶ οἱ μεθύοντες τοῦ ποταμοῦ Ἄνδριοι λόγος εἰσὶ τῆς γραφῆς. Ἀνδρίοις γὰρ δὴ ἐκ Διονύσου ἡ γῆ ὕποινος ῥήγνυται καὶ ποταμὸν αὐτοῖς ἀναδίδωσιν· εἰ μὲν ἐνθυμηθείης ὕδωρ, οὔπω μέγα, εἰ δὲ οἶνον, μέγας ὁ ποταμὸς καὶ θεῖος· ἔστι γὰρ τούτου ἀρυσαμένῳ Νείλου τε ὑπεριδεῖν καὶ Ἴστρου καί που φάναι περὶ αὐτῶν, ὅτι κἀκεῖνοι βελτίους ἂν ἐδόκουν ὀλίγοι μέν, ἀλλὰ τοιοῦτοι ῥέοντες. Καὶ ᾄδουσιν οἶμαι ταῦτα γυναίοις ἅμα καὶ παιδίοις ἐστεφανωμένοι κιττῷ τε καὶ σμίλακι, καὶ οἱ μὲν χορεύοντες ἐφ´ ἑκατέρας ὄχθης, οἱ δὲ κατακείμενοι. Εἰκὸς δέ που κἀκεῖνα εἶναι τῆς ᾠδῆς, ὡς δόνακα μὲν Ἀχελῷος, Πηνειὸς δὲ Τέμπη φέρει, Πακτωλὸς δὲ ** ἄνθη λοιπόν, οὑτοσὶ δὲ ὁ ποταμὸς πλουσίους τ´ ἀποφαίνει καὶ δυνατοὺς τὰ ἐν ἀγορᾷ καὶ ἐπιμελεῖς τῶν φίλων καὶ καλοὺς καὶ τετραπήχεις ἐκ μικρῶν· ἔστι γὰρ κορεσθέντι αὐτοῦ συλλέγεσθαι ταῦτα καὶ ἐσάγεσθαι ἐς τὴν γνώμην. ᾄδουσι δέ που, ὅτι μόνος ποταμῶν οὗτος μήτε βουκολίοις ἐστὶ βατὸς μήθ´ ἵπποις, ἀλλ´ οἰνοχοεῖται μὲν ἐκ Διονύσου, πίνεται δὲ ἀκήρατος, μόνοις ἀνθρώποις ῥέων. Ταυτὶ μὲν ἀκούειν ἡγοῦ καὶ ᾀδόντων αὐτὰ ἐνίων, κατεψελλισμένων τὴν φωνὴν ὑπὸ τοῦ οἴνου. Τὰ μέν〈τοι〉 ὁρώμενα τῆς γραφῆς· ὁ μὲν ποταμὸς ἐν βοτρύων εὐνῇ κεῖται τὴν πηγὴν ἐκδιδοὺς ἄκρατός τε καὶ ὀργῶν τὸ εἶδος, θύρσοι δ´ αὐτῷ περιπεφύκασι καθάπερ οἱ κάλαμοι τοῖς ὕδασι, παραμείψαντι δὲ τὴν γῆν καὶ τὰ ἐν αὐτῇ ταῦτα συμπόσια Τρίτωνες ἤδη περὶ τὰς ἐκβολὰς ἀπαντῶντες ἀρύονται κόχλοις τοῦ οἴνου. Καὶ τὸ μὲν πίνουσιν αὐτοῦ, τὸ δ´ ἀναφυσῶσιν, εἰσὶ δ´ οἳ καὶ μεθύουσι τῶν Τριτώνων καὶ ὀρχοῦνται. Πλεῖ καὶ Διόνυσος ἐπὶ κῶμον τῆς Ἄνδρου καὶ καθώρμισται μὲν ἡ ναῦς ἤδη, Σατύρους δὲ ἀναμὶξ καὶ Ληνὰς ἄγει καὶ Σειληνοὺς ὅσοι. Τὸν Γέλωτά τε ἄγει καὶ τὸν Κῶμον ἱλαρωτάτω καὶ ξυμποτικωτάτω δαίμονε, ὡς ἥδιστα ὁ ποταμὸς αὐτῷ τρυγῷτο.

XXIV. LES ANDRIENS.

Les Andriens enivrés par le fleuve de vin qui traverse leur île, tel est le sujet de cette peinture. C'est Dionysos qui pour les Andriens a fait jaillir du sein de la terre ce véritable fleuve, petit en comparaison de nos rivières, divin et considérable, si vous pensez qu'il roule des flots de vin. Celui qui y puise peut mépriser le Nil et l'Ister, et dire qu'ils vaudraient mieux, si moins importants qu'ils ne le sont, ils étaient semblables à celui-ci. Et voilà sans doute ce que chantent les Andriens, avec leurs femmes et leurs enfants, tous couronnés de lierre et de smilax, les uns dansant, les autres couchés sur l'une et l'autre rive. J'imagine les entendre : l'Achéloos, disent-ils, produit des roseaux ; le Pénée arrose des vallées verdoyantes, les fleurs croissent sur les bords du Pactole (a), mais ce fleuve enrichit les hommes, les rend puissants sur la place publique, riches et serviables envers leurs amis, leur donne la beauté, et fussent-ils des nains, une taille de quatre coudées ; car tous ces avantages* celui qui s'est enivré ici, peut les réunir, s'en parer en imagination. Ils chantent aussi sans doute que seul d'entre les fleuves celui-ci n'est point franchi par les troupeaux et les chevaux, que, versé dos mains mêmes de Dionysos, il est bu dans toute sa pureté, ne coulant que pour les hommes. Imagine-toi entendre cet hymne, et aussi le balbutiement de quelques chanteurs avinés. Voici maintenant ce qui se voit Couché sur un lit de grappes de raisin, le teint empourpré et le visage un peu bouffi (b), le fleuve répand ses eaux ; des thyrses ont poussé près de lui, comme les roseaux dans les fleuves ordinaires. Au moment où il quitte la terre et les banquets dont il est témoin, vers l'embouchure, les Tri- 324 tons viennent à sa rencontre, et puisant le vin dans leurs conques, le boivent ou le lancent dans les airs en soufflant ; quelques-uns même d'entre eux sont ivres et se mettent à danser. Dionysos se rend par mer vers Andros et ses festins; déjà le navire est entré dans le port, amenant la troupe confuse des satyres, des bacchantes, des silènes (c); il porte aussi et le Rire et Cômos, les dieux les plus gais, les meilleurs compagnons de l'ivresse, les plus dignes d'assister le dieu, en humeur de vendange.

COMMENTAIRE.

Dans certaines villes de la Grèce, dans les îles de la mer Égée, la fêle de Dionysos était célébrée chaque année par des sacrifices et des réjouissances. Le dieu qui avait accompli autrefois tant de prodiges, attestait alors par de nouvelles merveilles sa présence au milieu de ses adorateurs. En Eubée et en Achaïe, une vigne sacrée sortait de terre le matin, se chargeait de fleurs vers midi, et le soir portait des grappes, dorées par le soleil d'un jour (1). A Élis trois vases de bronze, placés vides dans le temple et gardés parles citoyens et les étrangers qui apposaient leur sceau sur les portes se remplissaient de vin pendant la nuit (2). A Chios, à Naxos, à Téos, le vin jaillissait de terre. A Andros, au mois de janvier, dans une fête appelée Théodaisies, une source, dite source de Dionysos, prenait soudainement le goût, et sans doute aussi la couleur du vin ; sept jours durant, elle conservait ces propriétés miraculeuses; mais l'eau puisée à cette source, les perdait, si elle était emportée loin] du temple. Les Grecs racontaient ce prodige; Mucianus, un Romain qui avait été trois fois consul, l'attestait; et Pline y croyait sur la foi des Grecs et surtout de Mucianus (3).

De cette source cachée dans le sanctuaire de Dionysos, Philostrate ou le peintre a fait un fleuve qui traverse l'île d'Andros. Ainsi Lucien parlant du fleuve de vin qui coulait à Chios (4), dit qu'il était assez profond et assez large pour être navigable ; mais Lucien exagère par ironie : le peintre embellit la légende, pour la rendre plus pittoresque; c'était son droit.

On peut ainsi se représenter le tableau décrit par Philostrate : d'un côté, à gauche par exemple, l'extrémité de l'île d'Andros ; de l'autre côté, à droite, la mer dans laquelle se jette le fleuve de vin. Comme il est probable que le peintre, en plaçant le génie du fleuve sur un amas de grappes de raisins, avait voulu figurer les sources même du fleuve, il fut sans doute contraint pour mettre une plus grande distance entre l'embouchure et la source, de 325 reléguer le génie au dernier plan, peut-être sur une hauteur, d'où il dominait la scène. Rien de plus ingénieux d'ailleurs que de lui avoir fait un lit de grappes et de pampres ; le ruisseau de vin était ainsi expliqué aux yeux et à la raison ; l'esprit, qui est souvent en peinture une cause d'obscurité, ne saurait être trop loué quand il rend, comme ici, le sujet plus clair (5). Le fleuve avait le visage empourpré, comme il convenait à celui qui épanche des flots vermeils. On sait que les anciens barbouillaient de cinabre la statue de Dionysos, et que les artistes ont quelquefois choisi le marbre rouge comme pour dispenser ses adorateurs d'avoir recours à ce fard bachique. Le long du fleuve et sur les deux rives, les adorateurs de Dionysos dansaient ou dormaient. Philostrate prête l'oreille à leurs chants, croit les entendre balbutier par suite de l'ivresse ; illusion d'un spectateur enthousiaste, effusion lyrique en laquelle se complaît le rhéteur, d'ailleurs hommage sincère rendu au talent de l'artiste qui avait su, sans doute, donner à ces personnages tous les caractères de la vie et de l'ivresse bachique. Dionysos lui-même arrivait sur son navire à l'embouchure du fleuve, et s'apprêtait sans doute à débarquer. Il était précédé par les Tritons, ces éternels compagnons de tout dieu qui navigue, de Dionysos comme de Poséidon. Étaient-ils attirés par le vin, comme on pourrait le croire (6)? ils étaient là plutôt pour ouvrir la marche, pour faire cortège au dieu ; ils faisaient partie du thiase. Nous devons nous les représenter sous leur forme habituelle, moitié hommes, moitié poissons. Les uns soufflent dans une conque; les autres dansent. Gomment dansent les Tritons? sans doute ils formaient un chœur, et se soulevaient, en souriant, hors des flots ; une attitude, une expression semblable ont pu seules révéler à Philostrate que ces êtres, à demi plongés dans l'eau, se livraient à une espèce de danse. Était-ce en soufflant dans leurs conques, ou par la bouche, à la manière des dauphins, que les Tritons rejetaient l'eau qu'ils avaient puisée? La question a été faite et résolue diversement (7); nous croyons qu'ils se servaient de leurs conques : l'image devait être ainsi plus élégante et plus gracieuse.

Quant au Rire et à Cômos, ce sont des personnages du thiase; sans doute, ils avaient, comme sur les vases, l'aspect de Satyres ou de Faunes, et non les 326 traits du Cômos que Philostrate nous dépeint, dans la description qui porte ce titre ; Cômos, sous la figure d'un jeune homme qui porte l'épieu et le flambeau, est un personnage exceptionnel ; il convient là, où il faut personnifier la joie des festins, à laquelle se livrent des adolescents; dans le cortège de Dionysos, il semble qu'il doive conserver son caractère primitif de divinité sylvestre et fougueuse; il représente plus une force de la nature qu'une habitude de la vie civilisée ; il participe plus à l'essence divine ; il tient moins de l'allégorie.

(1) Scliol. Eur., Phoen., v. 235. Cf. Walcken. Euph. fragm., p. 170.

(2) Pausan., VI, 26, 1 et 2.

(3) Pline, H. Ν, II, 106; XXXI, 13.

(5) Lucien, Hist. vérit, I, 7.

(6) Feuerbach (Kunstgesch. Abhandlung, p. 38) a cru connaître la personnification d'un fleuve de vin dans une statue du Louvre qui est généralement regardée comme un Dionysos. Il est certain que le dieu ou le génie est couché dans l'attitude d'un fleuve, et qu'à part deux statues analogues, prêtant par suite aux mômes incertitudes d'interprétation, on ne rencontre guère dans l'art antique de Dionysos couché. Le personnage, quel qu'il soit, a la tête couronnée de lierre et de pampre et s'appuie sur un cep de vigne en torsade, presque semblable à une corne d'abondance. Un enfant sur lequel il pose la main semble vouloir grimper le long de sa poitrine. Pour Feuerbach, c'est un cubitus; pour les autres interprètes un génie bachique. Malheureusement pour l'explication de Feuerbach, le dieu repose sur une peau de panthère, dont les griffes sont parfaitement visibles ; un tel attribut ne parait convenir qu'à Dionysos.

(7) C'était l'opinion de Welcker.

(8) Voir sur le rapport des monstres marins avec Dionysos Jahn. Bericht zur kön sach. Gess. 1854, p. 190.

ΕΡΜΟΥ ΓΟΝΑΙ

 Ὁ κομιδῇ παῖς ὁ ἔτι ἐν σπαργάνοις, ὁ τὰς βοῦς εἰς τὸ ῥῆγμα τῆς γῆς ἐλαύνων, ἔτι κἀκεῖνος ὁ συλῶν τὰ βέλη τοῦ Ἀπόλλωνος Ἑρμῆς οὗτος. Μάλα ἡδεῖαι αἱ κλοπαὶ τοῦ θεοῦ· φασὶ γὰρ τὸν Ἑρμῆν, ὅτε τῇ Μαίᾳ ἐγένετο, ἐρᾶν τοῦ κλέπτειν καὶ εἰδέναι τοῦτο οὔτι πω ταῦτα πενίᾳ δρῶν ὁ θεός, ἀλλ´ εὐφροσύνῃ διδοὺς καὶ παίζων. Εἰ δὲ βούλει καὶ ἴχνος αὐτοῦ κατιδεῖν, ὅρα τὰ ἐν τῇ γραφῇ. Τίκτεται μὲν ἐν κορυφαῖς τοῦ Ὀλύμπου, κατ´ αὐτὸ ἄνω τὸ ἕδος τῶν θεῶν. Ἐκεῖ δὲ Ὅμηρος οὔτε ὄμβρων αἰσθάνεσθαί φησιν οὔτε ἀνέμων ἀκούειν, ἀλλ´ οὐδὲ χιόνι βληθῆναί ποτε αὐτὸ δι´ ὑπερβολήν, εἶναι δὲ θεῖον ἀτεχνῶς καὶ ἐλεύθερον ἁπάντων παθῶν, ὧν μετέχει τὰ τῶν ἀνθρώπων ὄρη. Ἐνταῦθα τὸν Ἑρμῆν ἀποτεχθέντα Ὧραι κομίζονται. Γέγραφε κἀκείνας, ὡς ὥρα ἑκάστης, καὶ σπαργάνοις αὐτὸν ἀμπίσχουσιν ἐπιπάττουσαι τὰ κάλλιστα τῶν ἀνθέων, ὡς μὴ ἀσήμων τύχῃ τῶν σπαργάνων. Καὶ αἱ μὲν ἐπὶ τὴν μητέρα τοῦ Ἑρμοῦ τρέπονται λεχὼ κειμένην, ὁ δ´ ὑπεκδὺς τῶν σπαργάνων ἤδη βαδίζει καὶ τοῦ Ὀλύμπου κάτεισι. Γέγηθε δὲ αὐτῷ τὸ ὄρος—τὸ γὰρ μειδίαμα αὐτοῦ οἷον ἀνθρώπου—νόει δὲ τὸν Ὄλυμπον χαίροντα, ὅτι ὁ Ἑρμῆς ἐκεῖ ἐγένετο. Τίς οὖν ἡ κλοπή; βοῦς νεμομένας ἐν τῷ τοῦ Ὀλύμπου πρόποδι, ταύτας δήπου τὰς χρυσόκερως καὶ ὑπὲρ χιόνα λευκάς—ἀνεῖνται γὰρ τῷ Ἀπόλλωνι—ἄγει στροβῶν εἰς χάσμα τῆς γῆς, οὐχ ὡς ἀπόλοιντο, ἀλλ´ ὡς ἀφανισθεῖεν εἰς μίαν ἡμέραν, ἔστ´ ἂν τὸν Ἀπόλλω δάκῃ τοῦτο, καὶ ὡς οὐδὲν μετὸν αὐτῷ τοῦ γεγονότος ὑποδύεται τὰ σπάργανα. ἥκει καὶ ὁ Ἀπόλλων παρὰ τὴν Μαῖαν ἀπαιτῶν τὰς βοῦς, ἡ δὲ ἀπιστεῖ καὶ ληρεῖν οἴεται τὸν θεόν. Βούλει μαθεῖν ὅ τι καὶ λέγει; δοκεῖ γάρ μοι μὴ φωνῆς μόνον, ἀλλὰ καὶ λόγου τι ἐπιδηλοῦν τῷ προσώπῳ· ἔοικεν ὡς μέλλων πρὸς τὴν Μαῖαν λέγειν ταῦτα· „ἀδικεῖ με ὁ σὸς υἱός, ὃν χθὲς ἔτεκες· τὰς γὰρ βοῦς, αἷς ἔχαιρον, ἐμβέβληκεν ἐς τὴν γῆν, οὐκ οἶδ´ ὅποι τῆς γῆς. Ἀπολεῖται δὴ καὶ ἐμβεβλήσεται κατωτέρω πρὸ τῶν βοῶν.“ ἡ δὲ θαυμάζει καὶ οὐ προσδέχεται τὸν λόγον. Ἔτ´ αὐτῶν ἀντιλεγόντων ἀλλήλοις ὁ Ἑρμῆς ἵσταται κατόπιν τοῦ Ἀπόλλωνος καὶ κούφως ἐπιπηδήσας τοῖς μεταφρένοις ἀψοφητὶ λύει τὰ τόξα καὶ συλῶν μὲν διέλαθεν, οὐ μὴν ἠγνοήθη σεσυληκώς. Ἐνταῦθα ἡ σοφία τοῦ ζωγράφου· διαχεῖ γὰρ τὸν Ἀπόλλω καὶ ποιεῖ χαίροντα. Μεμέτρηται δὲ ὁ γέλως οἷος ἐφιζάνων τῷ προσώπῳ θυμὸν ἐκνικώσης ἡδονῆς.

XXV. LA NAISSANCE D'HERMÈS.

Cet enfant tout jeune, encore dans ses langes, qui pousse des génisses vers une ouverture de la terre, c'est Hermès, c'est lui encore qui dérobe les flèches d'Apollon. Ils sont tout à fait plaisants les larcins du dieu. On dit que le fils de Maia, à peine né, eut la passion et le génie du vol ; non par indigence, puisqu'il était dieu, mais par manière de passe-temps et par espièglerie. Veux-tu savoir ce qu'il sait faire ? considère le tableau. Hermès vient de naître sur les sommets de l'Olympe, dans les hautes demeures des dieux. Ce séjour, dit Homère, ne connaît point la pluie, n'entend point le souffle des vents, n'est point battu de la neige, tant il est élevé : la montagne toute divine, est exempte des intempéries qui sont le partage des montagnes habitées par les hommes. C'est là que les Heures prennent soin d'Hermès. Car ces déesses sont aussi représentées, chacune avec la grâce qui lui est propre ; elles enveloppent l'enfant dans ses langes et répandent sur lui les plus belles fleurs, honneur bien dû au berceau d'un dieu. Puis elles se tournent du côté de la mère d'Hermès, que l'on voit étendue sur son lit; alors Hermès se dégage de ses langes, se met à marcher et descend de l'Olympe. La montagne se réjouit à sa vue; elle sourit presque comme le ferait un homme ; elle est toute fière en effet d'avoir donné naissance à Hermès. Mais venons au larcin. Ces génisses que tu vois paître, au pied de l'Olympe, ont les cornes dorées, la robe plus blanche que la neige ; c'est qu'elles sont consacrées à Apollon. Hermès les emmène, les pousse devant lui vers une excavation de la terre, non pour les y laisser périr, mais pour les faire disparaître pendant un jour, jusqu'au moment où Apollon s'avisera de songer à elles, puis l'enfant, comme s'il n'était pour rien dans l'aventure, rentre dans ses langes. Mais voilà Apollon qui vient trouver Maia pour réclamer ses génisses; celle-ci se montre incrédule, et croit que le dieu veut plaisanter. Veux-tu savoir ce qu'il dit? Il me semble non seulement le voir parler, mais comprendre son langage d'après sa figure. Il est 327 donc sur le point de tenir ce discours à Maia : « Je suis victime de ton fils, cet enfant que tu as mis au monde hier ; les génisses qui faisaient ma joie, il me les a précipitées dans un abîme, je ne sais lequel ; il périra à son tour, et sera précipité plus bas que les génisses. Maia s'étonne, ne comprend pas ses paroles. Pendant cet entretien même, Hermès se tient derrière Apollon, saute sur ses épaules d'un bond léger et sans bruit, détache l'arc du dieu; il fait son larcin sans être aperçu, mais le larcin une fois commis, l'auteur n'en est pas douteux. C'est là que l'artiste a fait preuve de talent; il a déridé Apollon, il nous le montre souriant de ce sourire qui se pose sur le visage, quand la colère cède ù un sentiment de plaisir.

COMMENTAIRE.

Au premier abord, cette description de Philostrate semble s'appliquer à quatre ou cinq tableaux différents, renfermés dans le même cadre. Premier tableau : Hermès vient de naître, il est entouré par les Heures. Second tableau : pendant que les Heures considèrent Maia couchée sur son lit, Hermès se débarrasse de ses langes ; l'Olympe personnifié sourit en le voyant marcher. Troisième tableau : Hermès pousse devant lui les bœufs d'Apollon. Quatrième tableau : Hermès est rentré dans son berceau ; Apollon se tient l'air courroucé et menaçant devant Maia. Cinquième et dernier tableau : Hermès saute sur les épaules d'Apollon et lui dérobe ses flèches ; le dieu se retourne, moitié irrité, moitié souriant. Cette multiplicité de sujets, cette répétition des mêmes personnages ne sauraient aisément se comprendre ; aussi n'est-ce point ainsi, pensons-nous, qu'il faut se représenter la composition décrite par Philostrate. L'auteur mêle assez confusément, il faut l'avouer, les traits purement descriptifs, et les explications qu'il emprunte à la légende d'Hermès enfant. En dernière analyse, le tableau semble avoir contenu deux scènes ; au pied de l'Olympe, Hermès poussant les bœufs ; sur la montagne, Apollon dépouillé de son carquois. Pour mieux expliquer et mieux relier ces deux scènes, Philostrate nous raconte tous les événements qui ont précédé ou suivi la première, et il les raconte comme s'il les voyait s'accomplir, comme si de nouveaux tableaux, représentant chaque instant de la légende, passaient successivement devant ses yeux. Lui-même il invite le lecteur ou le spectateur à cet effort d'imagination par cette phrase un peu obscure : « Si tu veux reconnaître les traces d'Hermès, considère le tableau. » Ce sont bien, en effet, des traces qu'il suit, non le dieu lui-même ; ce qu'il voit l'aide à retrouver les faits, les situations et les scènes que le peintre n'a pu représenter.

Revenons maintenant sur les principaux détails de cette peinture. Quelle 328 était l'attitude des Heures ? « Elles enveloppent, dit Philostrate, le dieu dans les langes ; elles répandent sur lui les plus belles fleurs. » Cette scène paraît être sortie entièrement de l'imagination du rhéteur ; tel a été le rôle des Heures, au moment même de la naissance d'Hermès, mais ce n'est pas ce moment même que le peintre a voulu représenter, puisque Hermès avait eu le temps de descendre la montagne, et même de la remonter à l'insu de sa mère et des Heures elles-mêmes. Donc la véritable attitude des Heures nous est indiquée par ces mots : elles se tournent du côté de Maia. Chacune était représentée avec la grâce qui lui est propre. Sur les monuments, les Heures, au nombre de trois ou quatre, se livrent à la danse, portent dans les mains des fruits et des fleurs ; plus tard, les artistes leur donnèrent les différents attributs des saisons, à l'Heure du printemps, par exemple, un lièvre dans une main, une corbeille de fleurs dans l'autre ; à l'Heure de l'été, une faucille et un calathos plein d'épis ; à l'Heure de l'automne, la couronne de fruits, le panier rempli de pommes ou de grenades, le cep de vigne avec ses raisins ; à l'Heure de l'hiver, une branche effeuillée, un couple de canards (1). Les Heures du tableau de Philostrate, conçues non comme la personnification des saisons ou des heures du jour, mais comme des divinités chargées de rendre des soins aux grandes déesses, n'étaient sans doute distinguées que par l'expression et le caractère même du visage : Philostrate songeant aux attributs qui les accompagnent d'ordinaire, nous avertit qu'ici elles ne les avaient pas, en nous disant : chacune a sa grâce propre.

Maia reposait sur un lit, comme Alcmène après la naissance d'Hercule, que représente une médaille du musée Pio-Clementin (2), comme Léda, la mère des Dioscures, sur un autre monument (3), comme Sémélé, la mère de Dionysos dans la peinture célèbre du prince Gargarine, ou sur tel bas-relief de sarcophage (4). Mais, ainsi que le fait remarquer Welcker, Maia devait avoir une autre attitude, une autre expression que Léda, Sémélé ou Alcmène, — non pas que Hermès fût beaucoup plus âgé qu'Héraclès, que Dionysos, que les Dioscures (il venait de naître, dit expressément Philostrate), — mais la scène est différente : Maia devait se soulever pour écouter Apollon, et sans doute montrer sur son visage un étonnement mêlé de crainte.

Il est assez facile de se représenter Apollon debout devant Maia et Hermès le dépouillant de ses flèches. Nous ne connaissons aucun monument qui puisse être rapporté à cette scène ou à la précédente, le vol des bœufs.  Mais les archéologues ont cru reconnaître Hermès partant pour dérober les bœufs d'Apollon, sur une pierre gravée (5) ; le dieu est enveloppé d'un petit 329 manteau, que l'on peut prendre, avec beaucoup de bonne volonté, pour la couverture de son berceau. Ailleurs, sur des bas-reliefs (6), Hermès enfant nous apparaît demi-vêtu ; il se défend devant Zeus d'avoir dérobé les bœufs d'Apollon. Faut-il en conclure que l'Hermès de Philostrate était ainsi représenté? nous n'oserions l'affirmer. Dans les compositions où Hermès est seul, la couverture et les langes en rappelant la légende, indiquent clairement l'intention friponne du jeune dieu ; mais ici tout est clair, sans langes ni couverture, puisque le dieu, dont on voit le berceau chasse lui-même les génisses vers une cavité de la montagne. L'artifice employé par les artistes qui ont gravé des gemmes ou modelé des terres cuites eût été inutile au peintre.

On sait que cette légende est le sujet d'un des hymnes homériques. Il est curieux de voir comment le peintre a modifié la légende pour composer son tableau. Selon le poète, Hermès naît de Maia dans une grotte du mont Cyllène, à peine a-t-il été baigné et enveloppé de langes par les Nymphes, qu'il sort de son berceau ; il découvre une écaille de tortue et en fait* une lyre ; revient à son berceau et cache la lyre dans les langes ; puis le voilà qui se remet en route ; il arrive en Piérie, au pied du mont Olympe, où paissaient les troupeaux d'Apollon ; il emmène avec lui quinze génisses, il traverse la Thessalie et la Béotie où il rencontre Battos, l'espion, le pâtre bavard, qui le surprit elle trahit; cette expédition avait duré toute la nuit; au point du jour Hermès avec son butin atteint Pylos près de l'Alphée, et cache les génisses dans une cavité ; puis retourne sur le mont Cyllène, rentre dans son berceau, à l'insu de sa mère et des Nymphes, et s'enveloppe dans ses langes, la lyre à la main en guise de hochet. Averti par Battos, Apollon court au mont Cyllène ; il menace ; Hermès ment avec tant d'effronterie et d'habileté que le dieu malgré son courroux ne peut s'empêcher de rire. Apollon veut l'arracher de son berceau ; il se défend avec tant d'énergie qu'il échappe aux mains de son frère. Tous deux se rendent près de Jupiter qui termine le débat. Selon Alcée (7), à qui Horace devait emprunter plus tard ce détail, Hermès au moment même où Apollon éclatait en menaces, lui aurait dérobé ses flèches. De toute cette légende le peintre n'a pris que deux scènes ; elles avaient heu l'une aux bords de l'Alphée, l'autre sur le mont Cyllène ; le peintre les rapproche et conserve ainsi l'unité de lieu ; tout se passe sur le sommet et au pied d'une même montagne, l'Olympe, du moins suivant Philostrate qui a bien pu d'ailleurs se tromper ici sur l'intention du peintre. Les. bœufs d'Apollon paissaient, il est vrai, près du mont Olympe ; mais c'est sur le mont Cyllène que les poètes font naître Hermès. La lyre était 330 absente, la composition en recevait une autre unité; elle ne montrait qu'Hermès, le dieu du vol, et non Hermès, le dieu de l'invention. Le peintre aurait-il pu nous montrer Battos changé en un rocher escarpé, oui sans doute, mais qui l'aurait reconnu à moins que la métamorphose n'eût pas été tout à fait complète ? Il avait préféré substituer à Battos qui aurait détourné l'attention de la scène elle-même, pour la reporter sur les suites du larcin, la figure demi-souriante dOlympos, qui jouait alors dans le tableau, ce rôle de témoin ému et sympathique, si fréquent dans les œuvres d'art de la Grèce, tragédies ou comédies, peintures ou bas-reliefs. Enfin, le dénouement adopté par l'artiste était celui d'Alcée ; moins solennel que celui d'Homère, il était plus gai et plus plaisant; il épargnait une nouvelle scène, et se prêtait mieux à l'unité de lieu.

(1) Cf. Helbig, Wandgem., n° 975-1004.

(2) Museo Pio Clem., t. IV, pl. 37. Cf. Millin, Galer. myth., 109.

(3) Millin, Voy. au Midi de la France, II, 39. G. myth., pl. 144.

(4) Müller-Wieseler, D. d. a. K., II, 391 et 392.

(5) Müller-Wieseler, D. d. a. K. II, 331. — Lippert, Daktyl. Suppl. n° 186. Voir aussi une statue du palais Spada (Braun, 2e déc. des marbres antiques) et sur cette statue Feuerbacb, Kunsgesch. Abh.. p. 42.

(6) Braun, Ant. Marmorw. Déc. 2, t. I.

(7) Pausan., 7, 20, 2. Horace, Od., I, 10.
 

ΑΜΦΙΑΡΕΩΣ

Τὸ τοῖν δυοῖν ἅρμα ἵπποιν—τὸ γὰρ ἐπὶ τεττάρων οὔπω τοῖς ἥρωσι διὰ χειρὸς ἦν, εἰ μὴ ἄρα Ἕκτορι τῷ θρασεῖ—φέρει τὸν Ἀμφιάρεων ἐκ Θηβῶν ἐπανιόντα, ὁπότε αὐτῷ ἡ γῆ λέγεται διασχεῖν, ὡς μαντεύοιτο ἐν τῇ Ἀττικῇ καὶ ἀληθεύοι σοφὸς ἐν πανσόφοις. Ἑπτὰ οὗτοι 〈οἱ〉 Πολυνείκει τῷ Θηβαίῳ τὴν ἀρχὴν κατακτώμενοι οὐδεὶς ἐνόστησε πλὴν Ἀδράστου καὶ Ἀμφιάρεω, τοὺς δὲ λοιποὺς ἡ Καδμεία κατέσχεν. Ἀπώλοντο δὲ οἱ μὲν ἄλλοι δόρασι καὶ λίθοις καὶ πελέκεσι, Καπανεὺς δὲ λέγεται κεραυνῷ βεβλῆσθαι, πρότερος οἶμαι κόμπῳ βαλὼν τὸν Δία. Οὗτοι μὲν οὖν ἑτέρου λόγου, κελεύει δὲ ἡ γραφὴ βλέπειν ἐς μόνον τὸν Ἀμφιάρεων φεύγοντα κατὰ τῆς γῆς αὐτοῖς στέμμασι καὶ αὐτῇ δάφνῃ. Καὶ οἱ ἵπποι λευκοὶ καὶ ἡ δίνη τῶν τροχῶν σπουδῆς ἔμπλεως καὶ τὸ ἆσθμα τῶν ἵππων ἀπὸ παντὸς τοῦ μυκτῆρος, ἀφρῷ δὲ ἡ γῆ διέρρανται καὶ ἡ χαίτη μετακλίνεται, διαβρόχοις τε ὑπὸ ἱδρῶτος οὖσι περίκειται λεπτὴ κόνις ἧττον μὲν καλοὺς ἀποφαίνουσα τοὺς ἵππους, ἀληθεστέρους δέ. Ὁ δὲ Ἀμφιάρεως τὰ μὲν ἄλλα ὥπλισται, μόνου δὲ ἀμελεῖ κράνους ἀνιεὶς τὴν κεφαλὴν Ἀπόλλωνι, βλέπων ἱερὸν καὶ χρησμῶδες. Γράφει δὲ καὶ τὸν Ὠρωπὸν νεανίαν ἐν γλαυκοῖς γυναίοις—τὰ δέ ἐστι Θάλατται—γράφει καὶ τὸ φροντιστήριον Ἀμφιάρεω, ῥῆγμα ἱερὸν καὶ θειῶδες. Αὐτοῦ καὶ Ἀλήθεια λευχειμονοῦσα, αὐτοῦ καὶ ὀνείρων πύλη—δεῖ γὰρ τοῖς ἐκεῖ μαντευομένοις ὕπνου— καὶ Ὄνειρος αὐτὸς ἐν ἀνειμένῳ τῷ εἴδει γέγραπται καὶ ἐσθῆτα ἔχει λευκὴν ἐπὶ μελαίνῃ, τὸ οἶμαι νύκτωρ αὐτοῦ καὶ μεθ´ ἡμέραν. Ἔχει καὶ κέρας ἐν ταῖν χεροῖν ὡς τὰ ἐνύπνια διὰ τῆς ἀληθοῦς ἀνάγων.

XXVI. AMPHIARAOS.

Ce char à deux chevaux (les héros de ce temps, à l'exception de l'audacieux Hector, n'attelaient pas encore quatre chevaux ensemble) porte Amphiaraos au retour de Thèbes, quand la terre s'entr'ouvrit, dit-on, sous ses pas voulant qu'il fût devin en Attique, prophète véridique et savant au milieu des hommes les plus éclairés. Des sept chefs qui s'efforcèrent de rendre le pouvoir à Polynice le Thébain, nul ne revint dans sa patrie, excepté Adraste et Amphiaraos. Quant aux autres, la terre de Cadmée les garde. Tous moururent frappés ou par la lance ou par les pierres, ou par la hache ; seul Capanée, pour avoir blessé Jupiter par son orgueil provocateur, fut foudroyé. Mais nous parlerons ailleurs de ces chefs ; la peinture nous invite à regarder Amphiaraos, pénétrant déjà dans la terre entr'ouverte, la tête ceinte de bandelettes et de feuilles de laurier. L'attelage est blanc ; les roues du char semblent tourner avec rapidité ; les chevaux soufflent à pleins naseaux ; ils humectent la terre de leur écume ; leurs crinières sont couchées ; à la sueur qui ruisselle sur leurs flancs, se mêle une fine poussière qui les rend moins beaux, mais plus vrais. Amphiaraos est couvert de toutes ses armes ; il ne lui manque que le casque, sa tête étant consacrée à Apollon ; il a le regard d'un homme divin, d'un prophète. L'artiste nous montre aussi Orope sous les traits d'un adolescent, au milieu de femmes au vêlement azuré qui représentent les mers ; voici le sanctuaire où médite Amphiaraos, l'antre sacré et mystérieux. Là se tient la Vérité en robe blanche; là sont aussi les portes des songes. Car, pour consulter l'oracle, il faut dormir. Le Rêve lui-même est représenté avec un visage où se peint l'a- 331 bandon ; il porte une robe blanche sur une noire ; c'est que la nuit et le jour lui appartiennent. Il a une corne entre ses mains pour montrer qu'il introduit les songes par la porte de vérité.
 

COMMENTAIRE.

Les sept chefs assiégeaient Thèbes ; Étéocle et Polynice venaient de tomber frappés l'un par l'autre ; le combat entre les Thébains et les assiégeants, un moment suspendu par le duel des frères, avait repris avec un nouvel acharnement, lorsque Jupiter envoya une terreur panique à l'armée argienne, qui prit la fuite en désordre. Le Thébain Périklyménos s'attacha à la poursuite d'Amphiaraos qui monté sur son char et accompagné de son écuyer, poussait ses chevaux dans la direction d'Orope ; le devin était sur le point d'être atteint, mais Jupiter lançant la foudre, ouvrit la terre, qui engloutit les deux héros avec l'attelage. Plus tard les Grecs élevèrent à Orope, près de la mer, sur la frontière de l'Attique et de la Béotie un temple à Amphiaraos qui y était honoré comme un dieu et consulté comme un oracle (1).

Le peintre de notre tableau voulant caractériser le lieu de la scène, avait représenté la ville d'Orope sous la figure d'un jeune homme; ce personnage, dans la pensée de l'artiste, était-il la ville elle-même, ou Orope, fils de Lycaon qui avait fondé la ville? La première supposition paraît plus vraisemblable. C'était un usage parmi les anciens de personnifier les contrées, les villes, les montagnes : le fameux Ialysos que Protogène mit sept ans à peindre, suivant la tradition, et qui, avant d'être exposé à Rome dans le temple de la Paix, attirait à Rhodes les Grecs et les Romains, n'était sans doute autre que la cité d'Ialysos elle-même, une des trois villes de cette île célèbre (2). Des femmes au vêtement azuré accompagnaient Orope ; Philostrate les appelle Thalattai, c'est-à-dire les mers. Pourquoi plusieurs figures pour représenter la mer qui baignait les côtes de l'Attique? Peut-être parce que cette mer baignait aussi celles de Béotie; c'étaient alors deux mers différentes et chacune méritait d'être personnifiée. Peut-être aussi les poètes et les artistes ont-ils multiplié les Thalattai par la même raison qu'ils ont compté tant de Néréides; l'imagination s'est représenté d'abord ces êtres comme des personnifications d'une ou de plusieurs mers en particulier; puis abandonnant l'abstraction, elle en a fait des habitants de la mer; or des habitants doivent peupler, c'est-à-dire être nombreux. Les Thalattai se remarquaient sans doute assez souvent dans les tableaux des peintres anciens; une peinture d'Herculanum dont le sujet est Persée délivrant Andromède nous montre une figure de femme vêtue d'un chiton violet qui regarde le 332 monstre et tend les deux mains, c'est avec raison, ce semble, que les archéologues ont nommé ce personnage une Thalatta (3) ; ailleurs une Thalatta, debout sur le rivage et vêtue également de violet, étend les mains vers Phryxos, qui traverse les flots, assis sur un bélier (4). Mais si Philostrate a reconnu des Thalattai dans ces deux femmes, c'est moins sans doute à cause de leur manteau aux couleurs chatoyantes que parce que la peinture offrait aux regards tout près d'elles le rivage même de Béotie, et un coin de mer.

Philostrate nous parle de la terre qui s'entr'ouvre, et aussi d'un sanctuaire où médite Amphiaraos. Par ce sanctuaire, il ne faut pas sans doute entendre le temple élevé près d'Orope à Amphiaraos, mais une grotte, une excavation naturelle dans le flanc d'une montagne ; on y voyait deux portes, les portes des songes. Le vêtement blanc de la Vérité ne saurait nous étonner, c'est le vêtement des prêtresses, et la Vérité est comme la prêtresse d'Amphiaraos ; c'est le vêtement qui lui convient le mieux, quand elle n'est pas nue. Comment Apelle l'avait-il représentée dans son tableau de la Calomnie? Nue peut-être, comme Raphaël en recomposant ce tableau; mais il avait donné un vêtement noir au Repentir, ce qui nous oblige, pour le contraste, à la croire vêtue de blanc, si nous supposons qu'elle n'était pas nue. La nudité, c'est l'absence de toute coquetterie; la blancheur, c'est l'absence de toute tache ; ces deux états semblent naturels chez la Vérité, qui doit haïr la parure comme une hypocrisie, et craindre l'apparence du mensonge comme une souillure.

Le Rêve avait naturellement sa place dans un antre où se pratiquait l'oneiromancie. Le sanctuaire d'Amphiaraos n'avait rien à envier sur ce point au sanctuaire d'Esculape ; Pausanias raconte que visitant à Sicyone deux bâtiments élevés dans le péribole de ce temple, il vit dans le premier la statue couchée du Sommeil et dans le second la statue d'Oneiros accompagnée de celle du Sommeil qui endormait un lion (5). Ce passage important doit nous empêcher de tomber dans l'erreur de plusieurs commentateurs qui ont confondu Oneiros avec le Sommeil ; ce sont là deux divinités, dont les attributs étaient sans doute à peu près les mêmes, mais que cependant l'art et la mythologie savaient au besoin distinguer l'une de l'autre. Nulle part d'ailleurs, ni Oneiros ou le Rêve, ni Hypnos le Sommeil, ne nous apparaissent, comme en ce tableau, vêtus à la fois de blanc et de noir. Est-ce donc là une singularité qui doive nous surprendre et nous inspirer des doutes sur l'authenticité du tableau? Nous ferons remarquer d'abord que si l'art grec s'est jamais montré inventif et varié, c'est surtout dans la représentation du Sommeil, et des divinités qui ont d'étroits rapports avec lui, comme le Rêve 333 ou la Mort. Chaque artiste semble n'avoir pris conseil, sur ce point, que de sa fantaisie ou des exigences de son sujet ou de ses idées plus ou moins philosophiques ou religieuses sur le rôle du sommeil dans la vie. Ainsi Hypnos est tantôt un enfant (6), tantôt un jeune homme (7), tantôt un vieillard (8); ici il est légèrement vêtu; là il disparaît sous des draperies épaisses ; il a des ailes d'oiseau ; il peut avoir des ailes de papillon, à la tête et aux épaules (9) ; on le rencontre aussi sans ailes d'aucune sorte. Ici il est debout; là couché ; il s'appuie sur un bâton ou sur un arbre. Par une conception assez subtile, l'artiste qui avait sculpté le coffre de Cypsélos avait représenté le Sommeil, sous les traits d'un enfant noir dormant dans les bras d'une femme (10) ; la couleur indiquait la nuit comme le temps du sommeil ; la femme la personnifiait.

Le double vêtement blanc et noir est un raffinement. Les premiers et les derniers temps d'un art produisent quelquefois ces sortes de bizarreries ingénieuses ; l'époque de Philostrate ne s'est pas montrée plus subtile que celle de Cypsélos; eUe n'a fait qu'unir deux subtilités de même ordre, au lieu de se borner à une seule. D'ailleurs, il faut le reconnaître, cette double robe, quelque étrange qu'elle dût paraître, distinguait assez bien le Sommeil qui a pour séjour la grotte d'Amphiaraos du dieu ordinaire du sommeil, puisque dans cette grotte on consultait le devin, nuit et jour, en dormant. La corne entre les mains du Rêve ou du Sommeil ne paraît pas s'être rencontrée sur les monuments ; mais, d'un côté, le témoignage de Servius ne nous permet pas de douter que la corne fût quelquefois l'attribut du Sommeil (11) ; de l'autre, nous savons que les poètes ont quelquefois suivi en cela l'exemple des artistes, à moins que les artistes n'aient suivi les exemples des poètes (12). Philostrate nous explique la signification de cette corne. Homère a parlé des portes de corne qui laissent passer les songes vrais et des portes d'ivoire qui laissent passer les songes menteurs; la corne serait dans les mains du Sommeil ou du Rêve un symbole de vérité. Cette conclusion paraît un peu forcée ; car ce qui se comprend très bien de la porte de corne qui est transparente et en cette qualité, laisse mieux voir pour ainsi dire, l'avenir caché derrière elle, se comprend mal de l'instrument appelé corne; peut-être faut-il rejeter l'interprétation de Philostrate et penser que la corne tenue^ ici par le Rêve, n'est que le symbole de la libéralité avec laquelle il prodigue les songes à chacun et surtout aux visiteurs d'Amphiaraos.

334 Le char d'Amphiaraos était traîné par deux chevaux, parce que, dit Philostrate, les héros de cette époque n'attelaient pas encore quatre chevaux ensemble. Nous avons déjà rencontré celte raison, et nous en avons contesté la valeur. Les artistes de l'antiquité ne paraissent pas avoir connu ces scrupules d'archéologues ; les monuments donnent tantôt, deux tantôt quatre chevaux au char d'Amphiaraos (13). Même diversité chez les poètes! Anti-maque et Stace sont d'accord avec notre peintre (14); Sophocle, Euripide.. Properce, placent le devin sur un quadrige (15). Le nombre des chevaux n'est point embarrassant pour les poètes ; il pouvait l'être quelquefois pour les artistes disposant d'un espace limité.

Philostrate décrit avec complaisance les chevaux d'Amphiaraos ; un détail l'a surtout frappé, c'est la poussière mêlée à la sueur ; il remarque, comme le ferait Un critique moderne, que les chevaux en sont moins beaux, mais plus vrais. « Notez, dit un fin commentateur, que ce naturalisme ne se trouve ni dans le fougueux quadrige d'Orope, ni dans le pompeux quadrige du musée Bourbon, ni dans les peintures murales, et à plus forte raison dans les peintures de vases où tout est de convention. Était-il simplement dans l'imagination de Philostrate ? (16) » Pourquoi, dirons-nous, cette supposition ? Le fougueux quadrige d'Orope est un marbre, le pimpant quadrige du musée Bourbon est un monochrome sur marbre; de peinture murale et de peinture de vase représentant le retour d'Amphiaraos, nous n'en connaissons pas ; d'ailleurs, comme le fait remarquer M. Vinet, ce sont des genres qui admettent une grande part de convention. Notre composition, au contraire, était un tableau, et sans doute un tableau qui n'était point conçu dans le genre décoratif. Le naturalisme ou le réalisme, comme on voudra l'appeler, n'était point ici déplacé. Les petits détails ont leur prix en peinture; en peinture aussi, le sacrifice de la beauté à la vérité tourne souvent au profit de l'art. Dira-t-on que le réalisme n'eut jamais ni sa petite ni sa grande place dans l'art antique ; nous ne le croyons pas, et nous avons cherché ailleurs à exposer nos raisons : nous n'en voulons donner ici qu'une seule ; quand on voit combien les artistes aiment à différer les uns des autres, est-il probable que depuis la naissance de l'art antique jusqu'à sa décadence, tous les peintres aient été d'accord pour repousser de leurs tableaux la représentation de la réalité, qui s'offre d'elle-même au talent, et qui est un des moyens les plus puissants que possède la peinture pour frapper l'imagination ?

Il est d'autres points sur lesquels notre tableau diffère des monuments analogues; sur le plus beau de tous, le bas-relief d'Orope (17), Bâton conduit le char; Amphiaraos porte le casque, mais tout le corps est nu ; Philostrate ne


 

parle point de Bâton, et quant à Amphiaraos, il n'a de nu que la tête. Sur le monochrome d'Herculanum (18), Amphiaraos, coiffé du casque, n'a pour tout vêtement qu'une chlamyde qui s'enroule autour de son cou; il tourne la tête en arrière et semble mesurer la distance qui le sépare de l'ennemi. Sur un bas-relief de la villa Pamphili, d'époque romaine (19), Amphiaraos est armé de toutes pièces, et Bâton ne se tient pas à ses côtés. La différence la plus grande entre tous ces monuments et notre tableau est celle-ci : Philostrate nous dit qu'Amphiaraos a déjà le regard d'un homme divin, d'un prophète; nous ne retrouvons nulle part cette expression. Sur les monuments que nous avons cités, Amphiaraos est un guerrier semblable à tous les autres : rien ne fait pressentir qu'il sera un jour l'oracle de la Grèce. Pourquoi cette différence ? c'est que sans doute les monuments qui nous sont restés ne nous représentent point Amphiaraos sur le point de s'abîmer dans la terre entrouverte, mais bien quittant le champ de bataille et poursuivi par l'ennemi ; c'est encore un des sept chefs devant Thèbes; il est déjà un devin, puisqu'il Tétait avant de quitter Argos ; mais ce n'est point son seul caractère. Dans Philostrate au contraire, le guerrier s'évanouit, le devin reste; il va prendre possession de son sanctuaire ; l'air martial doit faire place à l'air inspiré.

(1) Pind., Némn 9, 25 ; Pausan , IX, 8, 2 ; 9, 1.

(2) Elien, Var. Hist., XII, 20. — Strabon, XIV, 652.

(3) Hclbig, Wandg, n° 1184.

(4) Ibid., n° 1258.

(5) Pausan., II, X, 2.

(6) Zoega, Bassir, II, p. 206 et 210.

(7) Ibid., II, 93, p. 208, η• 22. Millin, Gal. myth., t. XXXIV, n° 121.

(8) Bas-relief de la villa Albani, Hirt. Bilderbuch, t. XXVII, 2.

(9) Sur le sens de ses ailes de papillon, voir Jahn, Arch. Beiträge, p. 55 et Stephani. Compte rendu, 1877, p. 140, 154.

(10) Pausan., V, 18,1.

(11) Ad Virg., Aen, VI, 894.

(12) Stace, Théb., V, 199.

(13) Voir Overbeck, Atl. III, Die Bitdwerk., η° 6, 7, 5, VI, C, 7, 9.

(14) Antimaque selon le scholiaste de Pindare, Ol . VI, 21.

(15) Soph., op. Strab., IX, p. 499 ; Eurip., Suppl. 950; Prop., III, 34, 29.

(16) Vinet, Revue archéologique, 1872.

(17) Overb. die Bildw., VI, 6.

(18) Ibid.,VI, 7.

(19) Welcker, Alte Denkm, II, Taf. X, 16 ; Annali dell' Institut., XVI, tav. d'agg. Overbeck, die Bildw., p. 146, n° 71.
 

ΘΗΡΕΥΤΑΙ

Μὴ παραθεῖτε ἡμᾶς, ὦ θηρευταί, μηδὲ ἐπικελεύεσθε τοῖς ἵπποις, πρὶν ὑμῶν ἐξιχνεύσωμεν, ὅ τι βούλεσθε καὶ ὅ τι θηρᾶτε. Ὑμεῖς μὲν γὰρ ἐπὶ χλούνην σῦν φατε ἵεσθαι, καὶ ὁρῶ τὰ ἔργα τοῦ θηρίου—τὰς ἐλαίας ἐξορώρυχε καὶ τὰς ἀμπέλους ἐκτέτμηκε καὶ οὐδὲ συκῆν καταλέλοιπεν οὐδὲ μῆλον ἢ μηλάνθην, πάντα δὲ ἐξῄρηκεν ἐκ τῆς γῆς τὰ μὲν ἀνορύττων, τοῖς δὲ ἐμπίπτων, τοῖς δὲ παρακνώμενος. Ὁρῶ δὲ αὐτὸν καὶ τὴν χαίτην φρίττοντα καὶ πῦρ ἐμβλέποντα, καὶ οἱ ὀδόντες αὐτῷ παταγοῦσιν ἐφ´ ὑμᾶς, ὦ γενναῖοι· δεινὰ γὰρ τὰ τοιαυτὶ θηρία ὅτι ἐκ πλείστου κατακούειν τοῦ ὁμάδου—ἐγὼ μέν〈τοι〉 οἶμαι τὴν ὥραν ἐκείνου τοῦ μειρακίου διαθηρῶντας ὑμᾶς τεθηρᾶσθαι ὑπ´ αὐτοῦ καὶ προκινδυνεύειν ἐθέλειν. Τί γὰρ οὕτω πλησίον; τί δὲ παραψαύοντες; τί δὲ παρ´ αὐτὸ ἐπέστραφθε; τί δὲ ὠστίζεσθε τοῖς ἵπποις; οἷον ἔπαθον. Ἐξήχθην ὑπὸ τῆς γραφῆς μὴ γεγράφθαι δοκῶν αὐτούς, εἶναι δὲ καὶ κινεῖσθαι καὶ ἐρᾶν—διατωθάζω γοῦν ὡς ἀκούοντας καὶ δοκῶ τι ἀντακούσεσθαι—σὺ δ´ οὐδ´ ὅσα ἐπιστρέψαι παραπαίοντα ἐφθέγξω τι παραπλησίως ἐμοὶ νενικημένος, οὐκ ἔχων ἀνείργεσθαι τῆς ἀπάτης καὶ τοῦ ἐν αὐτῇ ὕπνου. Σκοπῶμεν οὖν τὰ γεγραμμένα· γραφῇ γὰρ παρεστήκαμεν. Περίκεινται μὲν δὴ τῷ μειρακίῳ νεανίαι καλοὶ καὶ καλὰ ἐπιτηδεύοντες καὶ οἷα εὐπατρίδαι. Καὶ ὁ μὲν παλαίστρας τι ἐπιδηλοῖ τῷ προσώπῳ, ὁ δὲ χάριτος, ὁ δὲ ἀστεϊσμοῦ, τὸν δὲ ἀνακεκυφέναι φήσεις ἐκ βιβλίου. Φέρουσι δὲ αὐτοὺς ἵπποι παραπλήσιοι οὐδεὶς ἄλλος ἄλλῳ, λευκός τις καὶ ξανθὸς καὶ μέλας καὶ φοῖνιξ, ἀργυροχάλινοι καὶ στικτοὶ καὶ χρυσοῖ τὰ φάλαρα—ταῦτά φασι τὰ χρώματα τοὺς ἐν Ὠκεανῷ βαρβάρους ἐγχεῖν τῷ χαλκῷ διαπύρῳ, τὰ δὲ συνίστασθαι καὶ λιθοῦσθαι καὶ σῴζειν ἃ ἐγράφη—οὐδὲ τὴν ἐσθῆτα συμβαίνουσιν ἢ τὴν στολήν. Ὁ μὲν γὰρ εὔζωνος ἱππάζεται καὶ κοῦφος, ἀκοντιστὴς οἶμαι ἀγαθὸς ὤν, ὁ δὲ πέφρακται τὸ στέρνον ἀπειλῶν πάλην τινὰ τῷ θηρίῳ, 〈ὁ δὲ καὶ τὰς κνήμας, ὁ δὲ〉 καὶ τὰ σκέλη πέφρακται. Τὸ δὲ μειράκιον ὀχεῖται μὲν ἐφ´ ἵππου λευκοῦ, μέλαινα δέ, ὡς ὁρᾷς, ἡ κεφαλὴ τῷ ἵππῳ καὶ λευκὸν ἀποτετόρνευται κύκλον ἐπὶ τοῦ μετώπου κατ´ αὐτὸ τῆς σελήνης τὸ πλῆρες, καὶ φάλαρα ἔχει χρυσᾶ καὶ χαλινὸν κόκκου Μηδικοῦ· τουτὶ γὰρ τὸ χρῶμα προσαστράπτει τῷ χρυσῷ καθάπερ οἱ πυρώδεις λίθοι. Στολὴ τῷ μειρακίῳ χλαμὺς ἔχουσά τι ἀνέμου καὶ κόλπου—τὸ μὲν χρῶμα ἐκ φοινικῆς ἁλουργίας, ἣν ἐπαινοῦσι Φοίνικες, ἀγαπάσθω δὲ τῶν ἁλουργῶν μάλιστα· δοκοῦν γὰρ σκυθρωπάζειν ἕλκει τινὰ παρὰ τοῦ ἡλίου ὥραν καὶ τῷ τῆς εἵλης ἄνθει ῥαίνεται—αἰδοῖ δὲ τοῦ γυμνοῦσθαι πρὸς τοὺς παρόντας ἔσταλται χειριδωτῷ φοινικῷ, συμμετρεῖται δὲ ὁ χιτὼν ἐς ἥμισυ τοῦ μηροῦ καὶ ἴσα τοῦ ἀγκῶνος. Καὶ μειδιᾷ καὶ χαροπὸν βλέπει καὶ κομᾷ ὅσον μὴ ἐπισκοτεῖσθαι τοὺς ὀφθαλμούς, ὅτε ἀτακτήσει ἡ κόμη ὑπὸ τοῦ ἀνέμου. Τάχα τις καὶ τὴν παρειὰν ἐπαινέσεται καὶ τὰ μέτρα τῆς ῥινὸς καὶ καθ´ ἓν οὑτωσὶ τὰ ἐν τῷ προσώπῳ, ἐγὼ δὲ ἄγαμαι τοῦ φρονήματος· καὶ γὰρ ὡς θηρατὴς ἔρρωται καὶ ὑπὸ τοῦ ἵππου ἐπῆρται καὶ συνίησιν, ὅτι ἐρᾶται. Σκευοφοροῦσι δὲ αὐτοῖς ὀρεῖς καὶ ὀρεωκόμος ποδοστράβας καὶ ἄρκυς καὶ προβόλια καὶ ἀκόντια καὶ λόγχας, ἐφ´ ὧν οἱ κνώδοντες, καὶ κυναγωγοὶ συστρατεύουσι καὶ σκοπιωροὶ καὶ τὰ ἔθνη τῶν κυνῶν, οὐχ αἱ τὴν ῥῖνα ἀγαθαὶ μόναι ἢ αἱ ταχεῖαι αὐτῶν, ἀλλὰ καὶ αἱ γενναῖαι· ἔδει γὰρ καὶ ἀλκῆς ἐπὶ τὸ θηρίον. Γράφει δὴ Λοκρίδας Λακαίνας Ἰνδικὰς Κρητικάς, τὰς μὲν ἀγερώχους καὶ ὑλακτούσας, ** τὰς δὲ ἐννοούσας, αἱ δὲ μεθέπουσι καὶ σεσήρασι κατὰ τοῦ ἴχνους. Καὶ τὴν Ἀγροτέραν προιόντες ᾄσονται· νεὼς γάρ τις αὐτῆς ἐκεῖ καὶ ἄγαλμα λεῖον ὑπὸ τοῦ χρόνου καὶ συῶν κεφαλαὶ καὶ ἄρκτων, νέμεται δὲ αὐτῇ καὶ θηρία ἄνετα, νεβροὶ καὶ λύκοι καὶ λαγωοί, πάντα ἥμερα καὶ μὴ δεδιότα τοὺς ἀνθρώπους. Ἔχονται μετὰ τὴν εὐχὴν τῆς θήρας. Καὶ τὸ θηρίον οὐκ ἀνέχεται λανθάνειν, ἀλλ´ ἐκπηδᾷ τῆς λόχμης, εἶτα ἐμπίπτει τοῖς ἱππεῦσι καὶ ταράττει μὲν αὐτοὺς ἐκ προσβολῆς, νικᾶται δὲ ὑπὸ τῶν βαλλόντων καιρίᾳ μὲν οὐκ ἐντυχὼν διά τε τὸ φράττειν πρὸς τὰς πληγὰς διά τε τὸ μὴ ὑπὸ θαρρούντων βάλλεσθαι, μαλαχθεὶς δὲ πληγῇ ἐπιπολαίῳ κατὰ τοῦ μηροῦ φεύγει διὰ τῆς ὕλης, ἐκδέχεται δὲ αὐτὸν ἕλος βαθὺ καὶ λίμνη πρὸς τῷ ἕλει. Διώκουσιν οὖν βοῇ χρώμενοι οἱ μὲν ἄλλοι μέχρι τοῦ ἕλους, τὸ δὲ μειράκιον συνεμβάλλει τῷ θηρίῳ ἐς τὴν λίμνην καὶ τέτταρες οὗτοι κύνες, καὶ τὸ μὲν θηρίον ἵεται τρῶσαι τὸν ἵππον, ἀπονεῦσαν δὲ τοῦ ἵππου τὸ μειράκιον καὶ ἐς τὰ δεξιὰ μετακλῖναν ἀφίησι τῇ χειρὶ πάσῃ καὶ βάλλει τὸν σῦν κατ´ αὐτὸ μάλιστα τὸ συνάπτον τὴν πλάτην τῇ δέρῃ. Τοὐντεῦθεν οἱ μὲν κύνες κατάγουσι τὸν σῦν ἐς τὴν γῆν, οἱ δὲ ἐρασταὶ βοῶσιν ἀπὸ τῆς ὄχθης οἷον φιλοτιμούμενοι πρὸς ἀλλήλους, ὅστις ὑπερκεκράξεται τὸν πέλας, καὶ πέπτωκέ τις ἀπὸ τοῦ ἵππου μὴ κατασχών, ἀλλ´ ἐκθορυβήσας τὸν ἵππον· ὃς δὴ καὶ στέφανον αὐτῷ πλέκει παρὰ τοῦ λειμῶνος τοῦ ἐν τῷ ἕλει. Ἔτι ἐν τῇ λίμνῃ τὸ μειράκιον, ἔτι ἐπὶ τοῦ σχήματος, ᾧ τὸ παλτὸν ἀφῆκεν, οἱ δὲ ἐκπεπλήγασι καὶ θεωροῦσιν αὐτὸ οἷον γραφέν.

XXVII. LA CHASSE AU SANGLIER.

Ne nous devancez pas, vous qui chassez : ne poussez pas vos chevaux à toute bride, avant que nous n'ayons deviné quel est votre dessein, et quelle bête vous poursuivez. Vous allez courre un sanglier, dites-vous, et en effet, je vois le dégât commis par l'animal ; il a déraciné les oliviers, il a coupé les vignes; il n'a laissé debout ni un figuier ni un pommier, ni un seul arbre à fruit (a) ; il a tout dévasté, fouillant ici la terre, se ruant là, frottant son corps contre les plantes ; je le vois qui hérisse ses soies, qui jette le feu par les yeux ; je perçois le bruit de ses dents qu'il aiguise contre vous, braves chasseurs; car ces animaux ont une ouïe merveilleusement fine pour entendre de loin le bruit d'une troupe en marche. La beauté de ce jeune homme vous a séduits ; et vous les poursuivants, vous êtes vraiment ses captifs; et pour lui vous vous jetez au-devant du danger. Pourquoi, en effet, êtes-vous si près de lui, au point de le toucher ? Pourquoi vos yeux sont-ils tournés sur lui seul? Pourquoi vos chevaux sont-ils ainsi serrés les uns contre les autres? Mais quoi ? voilà que l'illusion est complète ; je crois voir, non 336 des personnages peints, mais des êtres réels qui se meuvent, qui sont en proie à l'amour; car je les raille comme s'ils m'entendaient, et je m'imagine entendre leur réponse. Et toi, qui n'as rien dit pour me ramener à la réalité alors que je m'égarais, lu étais la dupe de la même illusion, tu n'as pas su mieux que moi te défendre contre l'artifice du peintre et le sommeil de la raison! Mais regardons la peinture elle-même, puisque nous sommes devant elle. Autour du jeune homme que j'ai dit, sont rangés d'autres jeunes gens, beaux et épris des belles choses, de bonne famille, selon toute apparence ; l'un se distingue par un air viril qui sent sa palestre, l'autre par une grâce naïve, l'autre par ses manières élégantes. On dirait que cet autre vient de fermer son livre et de relever les yeux. Ils sont montés sur des chevaux tous différents entre eux, l'un est blanc, l'autre isabelle, l'autre noir, l'autre bai-brun, tous ont des freins d'argent, des housses brodées, des phalères d'or. Ces couleurs diverses sont versées par les barbares voisins de l'Océan sur l'airain incandescent (b) ; elles prennent de la consistance, el ce qui est peint ainsi demeure inaltérable. Point de ressemblance, non plus dans les vêtements et la tenue. L'un des cavaliers rattache par une ceinture une légère tunique ; c'est, je crois, un homme habile à lancer le javelot ; cet autre, comme s'il menaçait le sanglier d'une lutte corps à corps a la poitrine et les jambes armées de toutes pièces. Quant à l'adolescent, le cheval qui le porte est blanc ; la tête seule est noire ; mais sur le front s'arrondit une tache blanche, semblable pour la forme à la pleine lune, il a des phalères d'or et une bride teinte en écarlate de Médie ; unie à l'éclat de l'or, cette couleur brille comme l'escarboucle. Le jeune homme a pour vêtement une chlamyde légèrement enflée et ridée par le vent, teinte avec cette pourpre tyrienne, chère aux Phéniciens (c), et qui est bien la plus belle des pourpres; car, bien qu'elle soit d'une couleur sombre, elle participe en quelque sorte de l'éclat du soleil et semble refléter tout l'éclat chatoyant de l'arc-en-ciel (d). Ne voulant point, par pudeur, se montrer nu à ses compagnons, il a revêtu une légère tunique de pourpre qui descend jusqu'au milieu de la cuisse et couvre le bras jusqu'au pli du coude. Il sourit, son regard est plein de vivacité ; sa chevelure qui est longue ne l'est pas assez pour voiler ses yeux quand elle sera agitée par le vent. Un autre admirera peut-être ses joues,- sonnez si bien proportionné, et successivement chaque partie de sa figure ; pour moi, j'aime surtout son air superbe ; on voit en effet qu'il est brave comme un chasseur doit l'être, qu'il est fier de son cheval, qu'il se sent aimé. Des mulets et des muletiers portent l'attirail 337 des chasseurs, trappes, filets, épieux, javelots, lances armées de leurs dents latérales. Voici les valets de limiers, les piqueurs ; voici les chiens de différentes espèces, non seulement ceux qui ont l'odorat exquis ou les pieds agiles, mais encore les chiens courageux ; car il faut de la vaillance contre le sanglier. Chiens de Locres, de Laconie, Indous et Crétois sont là devant nos yeux, les uns qui dressent fièrement la tête et aboient ; les autres comme se recueillant ; ceux-là qui quêtent et grincent des dents en suivant la piste. Quand les chasseurs seront plus loin, ils chanteront un hymne en l'honneur d'Artémis chasseresse ; car elle a en cet endroit un temple, une statue polie par le temps et pour offrandes des tètes de sangliers et d'ours. Là aussi paissent en toute liberté, dédiés à la déesse, des faons, des loups, des lièvres, tous animaux apprivoisés et qui ne redoutent point rapproche de l'homme. Après la prière, la chasse commence. Le sanglier qui ne peut se tenir caché bondit hors de sa bauge, se précipite sur les cavaliers, et par son élan même jette le désordre parmi eux. Accablé sous le nombre des traits, il n'est point cependant blessé mortellement, car il oppose aux coups une véritable armure, et, d'un autre côté, ses ennemis ne l'attaquent point avec assez de hardiesse. Atteint d'une légère blessure qui ralentit sa course, il fuit à travers les halliers, il entre dans un marais profond et du marais dans un lac voisin. Tous les chasseurs le poursuivent avec des cris jusqu'au marais, mais le jeune homme se précipite avec la bête dans le lac, suivi des quatre chiens que tu vois. Le sanglier se retourne furieux contre le cheval; il le blesserait si le jeune homme penché sur sa monture et manœuvrant à droite ne lançait à la bête de toute la force de sa main un trait qui l'atteint, à l'endroit même où le cou se confond avec l'épaule. Les chiens ramènent le sanglier vers la terre, tandis que nos amoureux crient du rivage, comme à l'envi les uns des autres, chacun cherchant à dominer la voix de son voisin. L'un d'eux est tombé pour avoir effrayé son cheval au lieu de le contenir; un autre tresse pour le vainqueur une couronne avec les fleurs qu'il cueille dans cette prairie marécageuse; le jeune homme est encore dans le lac, conservant l'attitude qu'il a prise pour lancer le javelot; ses compagnons, saisis d'étonnement, le contemplent comme s'il était peint.

COMMENTAIRE.

Après avoir lu cette description de Philostrate, on se demande s'il s'agit d'un seul tableau ou de plusieurs ; on peut en effet en compter jusqu'à trois, 338 pouvant s'intituler, le premier : Les Préparatifs de la chasse; le second : Le Sanglier blessé et poursuivi; le troisième : la Mort du Sanglier. De ces trois sujets, le second ne paraît pas se renfermer en un cadre aussi bien que les deux autres. Le sanglier, dit Philostrate, bondit sur les chasseurs ; accablé parle nombre des traits, il fuit; les chasseurs le poursuivent avec des cris à travers une forêt et jusque dans le lac. Tous ces traits qui appartiennent à différents instants de la durée ne semblent point composer un ensemble. On dirait que Philostrate, placé en face d'une ou deux scènes de chasse, se croit obligé de nous raconter une chasse complète ; les épisodes que l'artiste n'a pas représentés, il les voit en imagination; il supplée, autant qu'il est en lui, à l'impuissance de l'art; décrire est un exercice charmant pour un rhéteur, mais à la description mêler le récit, c'est en outre échapper à la monotonie du genre que Ton a choisi; c'est quelquefois faire preuve d'érudition : c'est montrer ici par exemple qu'on a lu le Traité de Xénophon sur la chasse; c'est aussi suivre l'exemple d'Homère, qui dans sa description du bouclier d'Achille raconte au moins autant qu'il décrit. Tous ces avantages, réels ou faux, Philostrate n'était point homme à les dédaigner. Supprimons donc ce second tableau, et considérons tout ce que dit Philostrate sur la poursuite du sanglier comme une manière de transition. Mais quoi? ces objections ne valent-elles pas aussi contre le premier tableau? Si Philostrate a imaginé une scène pour en relier deux autres, n'a-t-il pas pu imaginer aussi la première et la seconde, en guise de préface à une troisième? C'était l'opinion de Wetcker. Selon cet archéologue, le moment choisi par l'artiste était celui où le jeune homme, engagé avec son cheval dans le marais, se penche pour lancer le javelot contre le sanglier ; ou plutôt le javelot a été lancé, et les chiens ramènent le sanglier vers la terre ; mais le jeune homme a conservé son attitude. Cette scène aurait formé le premier plan ; sur le second se seraient tenus les autres chasseurs qui n'étaient pas assez éloignés pour qu'on ne distinguât pas l'expression de leur visage, leurs gestes, la couleur de leurs chevaux ; plus loin le spectateur aurait aperçu le temple de Diane, puis des mules et des muletiers, des serviteurs portant tout l'attirail de la chasse. Le regard de Philostrate se serait d'abord porté sur les objets les plus éloignés; il a vu des rets, des filets; c'est là, en aurait-il conclu, que les chasseurs se sont réunis pour commencer la chasse; il a vu un temple de Diane : les chasseurs s'y sont arrêtés pour prier, ainsi que le recommande Xénophon ; ils sont arrivés au bord du marais; un seul y est entré. Pourquoi ? C'est que tous épris d'amour pour l'un d'entre eux ont voulu lui laisser l'honneur d'abattre la bête, tout en se tenant prêts à lui venir en aide, s'il courait quelque danger. Cette manière d'entendre le tableau et d'expliquer la description de Philostrate nous paraît fort plausible. Cependant il faut avouer que, dans cette supposition, Philostrate confond comme à plaisir ce qu'il voit avec ses yeux, et ce qu'il ne voit qu'en imagination ; qu'il se sert de termes trom- 339 peurs, qu'il raconte comme il décrirait ; que s'il veut nous expliquer le sujet d'un tableau, il devrait, non donner plus de clarté à ses préambules, mais les séparer plus nettement de l'exposition qu'ils préparent. Comment Philostrate peut-il voir le sanglier aiguiser ses dents contre les chasseurs, s'il est déjà blessé mortellement? Comment peut-il voir les jeunes gens se serrer contre leur compagnon, si celui-ci est déjà dans le marais ? Pourquoi parle-t-il de quatre espèces de chiens dont les uns aboient, les autres se recueillent, les autres sont lancés sur la piste de l'animal, s'il n'y a en tout, comme le pense Welcker, que les quatre chiens qui ramènent le sanglier vers la terre ? Toutes ces difficultés disparaissent, si nous conservons deux tableaux, les Préparatifs de la chasse et la Mort du sanglier ; alors la composition tout entière aurait présenté l'aspect d'un bas-relief; les deux scènes auraient été juxtaposées , et séparées sans doute entre elles par le temple de Diane.

Autre question aussi délicate et dont la solution ne serait point inutile pour juger l'œuvre du peintre. Philostrate, en supposant de l'amour entre les chasseurs et le jeune homme qui tue la bête, entrait-il bien dans l'intention de l'artiste? Ce qui peut suggérer un doute à cet égard, c'est que l'amour entre des jeunes gens est pour les rhéteurs de l'époque de Philostrate, pour Philostrate lui-même, un thème favori ; sans doute les artistes; qui appartenaient à la môme société que les sophistes, ont pu eux aussi emprunter leurs sujets à des légendes et des aventures amoureuses du môme genre ; sans doute ils ont dû croire que cet amour étrange, dont la peinture plaisait aux lecteurs, était aussi un moyen de renouveler l'intérêt des scènes souvent représentées, comme une expédition militaire, comme une chasse. Mais ici, tous les traits purement descriptifs de Philostrate ont-ils besoin pour être expliqués de la supposition du sophiste ? Ne serait-il pas plus simple de penser que le peintre a voulu représenter la chasse d'un enfant de race princière, d'un Ascagne quelconque? Les chasseurs qui, dit Philostrate, paraissent être des Eupatrides, seraient des nobles qui composent le cortège du jeune prince ; s'ils l'entourent, s'ils se serrent autour de lui, c'est qu il est confié à leur garde, c'est qu'il est plus encore leur chef que leur compagnon, c'est qu'ils le respectent pour la noblesse de son origine, autant qu'ils l'admirent pour son éclatante beauté, c'est qu'ils attendent de lui un de ces regards auquel les courtisans se montrent si sensibles ; s'ils lui laissent l'honneur de la victoire, ce n'est pas complaisance d'amoureux ; comme tels, ils préféreraient peut-être lui rapporter, comme Méléagre à Atalante, la hure du sanglier, ou le rendre témoin de leur propre valeur ; c'est politesse de cour et peut-être fidélité à l'étiquette ; quant à la couronne tressée par l'un d'eux, c'est plus encore un symbole de victoire qu'un témoignage d'amour. Remarquez d'ailleurs qu'il porte un riche costume, tout resplendissant de l'éclat de la pourpre, celte couleur royale, purpura regum; qu'il a un air 340 fier et superbe, bien plus convenable encore chez un fils de roi que chez un adolescent « qui se sent aimé ».

ΠΕΡΣΕΥΣ

Ἀλλ´ οὐκ Ἐρυθρά γε αὕτη θάλασσα οὐδ´ Ἰνδοὶ ταῦτα, Αἰθίοπες δὲ καὶ ἀνὴρ Ἕλλην ἐν Αἰθιοπίᾳ. Καὶ ἆθλος τοῦ ἀνδρός, ὃν ἑκὼν ἔτλη κατὰ ἔρωτα, οἶμαί σε, ὦ παῖ, μὴ ἀνήκοον εἶναι τοῦ Περσέως, ὅν φασιν Ἀτλαντικὸν ἀποκτεῖναι κῆτος ἐν Αἰθιοπίᾳ πεζεῦον ἐπὶ τὰς ἀγέλας καὶ τοὺς ἐν γῇ ἀνθρώπους. Ταῦτ´ οὖν ἐπαινῶν ὁ ζωγράφος καὶ οἰκτείρων τὴν Ἀνδρομέδαν, ὅτι κήτει ἐξεδόθη, τετέλεσται ἤδη ὁ ἆθλος, καὶ τὸ μὲν κῆτος ἔρριπται πρὸ τῆς ᾐόνος ἐμπλημμυροῦν πηγαῖς αἵματος, ὑφ´ ὧν ἐρυθρὰ ἡ θάλασσα, τὴν δὲ Ἀνδρομέδαν ἀπαλλάττει τοῦ δεσμοῦ ὁ Ἔρως· γέγραπται δὲ πτηνὸς μὲν τὸ εἰωθός, νεανίας δὲ παρ´ ὃ εἴωθε, καὶ ἀσθμαίνων γέγραπται καὶ οὐκ ἔξω τοῦ μεμοχθηκέναι· καὶ γὰρ εὐχὴν ἀνεβάλετο τῷ Ἔρωτι ὁ Περσεὺς πρὸ τοῦ ἔργου παρεῖναι αὐτὸν καὶ κατὰ τοῦ θηρίου συμπέτεσθαι, ὁ δὲ ἀφίκετο καὶ ἤκουσε τοῦ Ἕλληνος. Ἡ κόρη δὲ ἡδεῖα μέν, ὅτι λευκὴ ἐν Αἰθιοπίᾳ, ἡδὺ δὲ αὐτὸ τὸ εἶδος· παρέλθοι ἂν καὶ Λυδὴν ἁβρὰν καὶ Ἀτθίδα ὑπόσεμνον καὶ Σπαρτιᾶτιν ἐρρωμένην. Κεκαλλώπισται δὲ ἀπὸ τοῦ καιροῦ· καὶ γὰρ ἀπιστεῖν ἔοικε καὶ χαίρει μετ´ ἐκπλήξεως καὶ τὸν Περσέα βλέπει μειδίαμά τι ἤδη ἐς αὐτὸν πέμπουσα. Ὁ δὲ οὐ πόρρω τῆς κόρης ἐν ἡδείᾳ καὶ λιβανώδει πόᾳ κεῖται στάζων ἐς τὴν γῆν ἱδρῶτα καὶ τὸ δεῖγμα τῆς Γοργοῦς ἔχων ἀπόθετον, μὴ ἐντυχόντες αὐτῷ λαοὶ λίθοι γένωνται. Πολλοὶ οἱ βουκόλοι γάλα ὀρέγοντες καὶ οἴνου ἐπισπάσαι, ἡδεῖς Αἰθίοπες ἐν τῷ τοῦ χρώματος ἀτόπῳ καὶ βλοσυρὸν μειδιῶντες καὶ οὐκ ἄδηλοι χαίρειν καὶ οἱ πλεῖστοι ὅμοιοι. Ὁ Περσεὺς δὲ ἀσπάζεται μὲν καὶ ταῦτα, στηρίζων δὲ ἑαυτὸν ἐπὶ τοῦ ἀριστεροῦ ἀγκῶνος ἀνέχει τὸν θώρακα ἔμπνουν ὑπὸ ἄσθματος, ἐμβλέπων τῇ κόρῃ, καὶ τὴν χλαμύδα τῷ ἀνέμῳ ἐκδίδωσι φοινικῆν οὖσαν καὶ βεβλημένην αἵματος ῥανίσι καὶ 〈ἃ〉 προσέπνευσεν αὐτῷ τὸ θηρίον ἐν τῷ ἀγῶνι. Ἐρρώσθων Πελοπίδαι παρὰ τὸν τοῦ Περσέως ὦμον· καλῷ γὰρ ὄντι αὐτῷ καὶ ὑφαίμῳ προσήνθηκέ τι τοῦ καμάτου καὶ ὑπῳδήκασιν αἱ φλέβες ἐπιλαμβάνον τοῦτο αὐτάς, ὅταν πλεονεκτήσῃ τὸ ἆσθμα. Πολλὰ καὶ παρὰ τῆς κόρης ἄρνυται.

XXVIII. PERSÉE.

Ce n'est point ici la mer Érythrée (a) ni l'Inde. Tu vois des Éthiopiens, un héros grec en Éthiopie et l'entreprise périlleuse dans laquelle ce héros se jette par amour. Je pense, mon enfant, que tu n'es pas sans avoir entendu parier de Persée, le vainqueur de ce monstre qui échappé de la mer Atlantique, désolait l'Éthiopie, s'attaquant tout à la fois aux troupeaux et aux hommes. Le peintre a donc choisi ce sujet par admiration pour le héros et par compassion pour Andromède qui fut exposée au monstre. Le combat est terminé ; l'énorme bête est étendue sur le rivage, baignée dans des flots de sang qui se mêlent à la mer et la colorent ; Andromède est délivrée de ses liens par Éros. Selon l'habitude, le dieu est ailé ; mais contrairement à l'usage, il est représenté sous les traits d'un jeune homme ; il respire avec force ; on sent qu'il n'a point accompli sa tâche sans fatigue. Persée avait, en effet, avant le combat, supplié Éros de venir en personne, de fondre avec lui sur le monstre, et le dieu est arrivé, fléchi par les prières du héros. La jeune fille, charmante en Éthiopie par l'éclatante blancheur de son teint est encore plus charmante par les traits même de son visage ; elle éclipserait et les grâces délicates de la Lydienne, et la beauté imposante de l'Athénienne, et les attraits plus virils de la femme Spartiate. La circonstance même ajoute à sa beauté ; elle semble, en effet, conserver quelque défiance, sa joie est mêlée d'étonnement, elle fixe sur Persée un regard animé déjà par un sourire (b). Le héros est couché non loin de la jeune fille sur l'herbe tendre et parfumée; la terre est humide de ses sueurs; il tient à l'écart l'épouvantail delà Gorgone de peur de changer en pierres ceux dont les regards la rencontreraient. Des pâtres en grand nombre offrent au héros du lait et du vin. Les Éthiopiens ne sont point sans charme, malgré l'étrangeté de leur couleur; leur sourire, quoique farouche, exprime cependant la joie ; la plupart de ces hommes se ressemblent ; Persée reçoit leurs offrandes avec empressement, et s'appuyant sur le coude, il soulève sa poitrine haletante ; ses yeux sont fixés sur la jeune fille. Il laisse flotter au gré du vent sa chlamyde de pourpre, toute parsemée des gouttelettes de sang qui ont rejailli sur elle dans la lutte contre le monstre. Laissons les Pélopides se vanter de leur épaule; elle n'égale 341 point celle de Persée. À sa beauté naturelle, à l'éclat d'un sang riche, la fatigue ajoute je ne sais quelle grâce; les veines se sont gonflées, comme il arrive quand la respiration devient plus pressée. La présence de la jeune fille est aussi pour beaucoup dans cette grande animation.

COMMENTAIRE.

Andromède n'a pas encore été détachée du rocher sur lequel elle a été exposée, et cependant Persée, son fiancé, son généreux défenseur, se livre au repos ! N'est-on pas tenté de lui dire : " Vous n'avez accompli que la moitié de votre tâche, en tuant le monstre. A quoi vous servent vos talonnières, si vous ne volez pas vers celle que vous avez sauvée? Si terrible qu'on puisse le concevoir, un combat n'a pas dû épuiser la force d'un héros tel que vous ; le prix de la victoire n'est pas ici une couronne que vous deviez attendre de vos juges ; c'est votre fiancée ; elle peut croire que la gloire de la sauver et le péril vous ont tenté plus que sa beauté ne vous a séduit, » A l'artiste nous dirions : Voyez comme les peintres de Pompéi, comme plusieurs sculpteurs de bas-reliefs ont traité cette légende. Ont-ils voulu nous montrer l'instant qui suit la victoire de Persée ? le héros, plaçant le pied sur une saillie de rocher, tient dans sa main gauche un peu en arrière, la tête de Méduse, et de la main droite soutient Andromède déjà délivrée de ses fers pour l'aider à descendre (1)? Veulent-ils, au contraire, nous montrer Persée au repos? Us placent auprès de lui Andromède. Le héros appuie sa main droite sur l'épaule de sa fiancée, et tous deux contemplent le monstre qui meurt sous leurs yeux (2). Des fatigues de Persée nous n'apercevons aucune trace sur sa figure, ni sur son corps, ni dans son attitude ; point d'abattement, point de veines gonflées, point de visage baigné de sueur, point d'Éthiopiens apportant du lait pour réconforter le héros. Rien ne nous empêche de croire qu'il a vaincu le monstre sans effort, c'est bien le héros que nous voyons ailleurs planer avec aisance dans les airs, au-dessus du monstre, ou s'avancer avec sécurité au devant de lui jusque dans les flots, la harpe dans une main, la tête de Méduse dans l'autre. S'il a éprouvé les émotions de la lutte, nous sommes bien sûrs qu'elles n'ont pas persisté après la victoire; tant il y a de grâce et de dignité dans tous ses mouvements !

La comparaison avec les œuvres d'art qui nous restent n'est donc point favorable à notre tableau. Ne nous hâtons pas cependant de le juger avec sévérité. Aux yeux des anciens, il devait avoir un premier mérite, c'était de rappeler une pièce d'Euripide ; selon le poète grec, les pâtres de l'Éthiopie avaient apporté du lait et du vin au héros épuisé de fatigue (3) ; c'était 342 l'Amour qui avait délivré Andromède, peut-être sous la figure d'un jeune homme ailé. Ces inventions avaient peut-être paru bizarres et téméraires aux premiers spectateurs de la pièce d'Euripide (4) ; mais, comme il arrive, à la faveur d'une poésie éclatante, les conceptions extraordinaires se font accepter; puis elles perdent peu à peu ce qu'elles ont d'étrange; elles acquièrent même un certain attrait et se soutiennent par elles-mêmes, après ne s'être soutenues que par la richesse de la diction.

Mais, dit-on, l'art qui emprunte son sujet à un autre art doit le modifier suivant ses propres règles et son propre génie ; oui, sans doute, s'il y a tout à gagner à modifier, et tout à perdre à conserver la conception première. Était-ce le cas pour notre tableau? L'artiste, en suivant Euripide, pouvait renouveler, du moins en peinture, un sujet, maintes fois traité avant lui mais d'une façon différente : ses devanciers avaient représenté un Persée aimable et charmant invincible par supériorité de nature, sortant du combat comme d'un festin ; il conçut un autre Persée, aussi vaillant que le premier mais plus semblable à un vigoureux athlète; ne remportant pas la victoire sans peine, tombant de fatigue aux pieds de sa fiancée, conservant tout juste assez de force pour la considérer, non pour dénouer ses liens. Le spectateur comprendra que Persée a couru quelque risque, son dévouement pour Andromède n'en paraîtra que plus touchant; la récompense, qui lui est réservée, n'en semblera que plus méritée. Mais fallait-il qu'Andromède, exposée depuis longtemps et qui avait passé par toutes les émotions de la terreur et de l'espérance, restât enchaînée après la victoire de son libérateur? Non sans doute. Le peintre aura recours à un artifice souvent employé par son art ; l'Amour interviendra pour achever la tâche entreprise par Persée : n'est-ce pas lui, d'ailleurs, qui l'a commencée, de concert avec le héros, puisque Persée ne s'est jeté dans cette aventure que par amour? Le poète avait montré Persée implorant Éros, le peintre montrera Éros répondant à son appel et conservant d'ailleurs son rôle ordinaire, qui est d'amener la jeune fille vers son fiancé ; car c'est là ce que fera Éros, nous n'en pouvons douter, après avoir détaché Andromède. Tel fut sans doute le raisonnement de notre peintre; et il faut bien avouer que dans cette manière de concevoir son sujet, ce qu'il perdait en délicatesse et en grâce, il devait le gagner en vérité, et aussi peut-être en émotion ; un Persée victorieux du monstre, mais vaincu par la fatigue, est plus voisin de l'humanité ; il nous touche plus que s'il n'avait besoin pour vaincre que de se montrer. Dans une peinture de vase citée par Brunn (5), la délivrance d'Andromède est aussi l'œuvre de deux personnages : Persée vainqueur du monstre est assis sur un rocher ; la tête de Méduse, désormais inutile, gît à l'écart ; Athénâ détache Andromède. Quelle pouvait être ici 343 l'intention de l'artiste, sinon de faire remonter jusqu'à la déesse protectrice d'Athènes, la gloire d'avoir sauvé la fille de Cépheus et de Cassiopée? Derrière le héros, l'antiquité voit presque toujours la divinité ; c'est le diminuer en quelque sorte, mais c'est le grandir aussi, si l'on considère qu'il y avait de l'honneur, aux yeux des anciens, à être digne d'un patronage céleste. Quand les dieux eurent perdu de leur prestige, quand les Génies et les Erotés, envolés de l'idylle comme de leur nid, eurent envahi presque tous les genres et aussi les œuvres d'art, c'est l'Amour naturellement, qui devait, en de pareilles scènes, prendre la place d'Athéna. Le dédoublement de l'action, qui était autrefois un hommage de piété permit alors d'introduire un motif gracieux dans la composition, au risque de l'altérer et de l'affaiblir. Est-ce le cas dans notre tableau? non, puis qu'ici l'épuisement du héros nous donne une plus haute idée de l'entreprise qu'il avait accomplie. L'intervention d'Éros conserve l'attrait qu'elle communique à toute œuvre et le sujet lui-même n'y perd rien, du moins en intérêt et eu grandeur.

Le Persée de notre tableau portait son costume accoutumé. Philostrate nous parle seulement de la chlamyde de pourpre qui flottait au vent; les peintres de Pompéi et d'Herculanum lui donnent le même vêtement, non cependant sans en varier les couleurs ; ici, il est rouge, là bleu, ailleurs chatoyant entre le rouge et le bleu (6). Sur les vases, dont les peintures sont conçues dans un style décoratif, Persée est quelquefois revêtu de cette tunique orientale, qui présente à l'œil une agréable variété de dessins (7) ; sur les peintures murales il n'a que la chlamyde qui, comme on le sait, couvre peu et laisse voir, tantôt plus, tantôt moins, les beautés plastiques du héros ; c'est de cette dernière façon qu'était sans doute représenté notre héros, puisque Philostrate a si bien pu juger de la beauté de son épaule plus blanche et plus ravissante que l'épaule d'ivoire de Pélops. Les gouttelettes de sang qui avaient rejailli sur la pourpre sans doute violacée de la chlamyde montrent bien l'intention réaliste du peintre ; c'est un détail qui s'harmonise avec d'autres, tels que les veines gonflées, la sueur perlant sur le corps. 11 n'est pas inutile toutefois de remarquer qu'ici comme ailleurs le réalisme se mêle aux compositions antiques dans une petite proportion qui ne suffit point pour faire d'un tableau ce que nous appelons une œuvre réaliste. C'est un élément de contraste, c'est un moyen de relever la beauté et la grâce, rien de plus. Persée sur les monuments a tantôt le bonnet phrygien, tantôt quand il porte la tunique orientale, la tiare ou cidaris, tantôt le pélasos avec ou sans ailes ; ses pieds sont tantôt nus, tantôt munis de brodequins, de sandales ou de ta-lonnières. Philostrate nous laisse ignorer le parti adopté à cet égard par le peintre; de toutes ces portions du vêtement, la cidaris seule s'accommode• rait mal avec le reste du costume. De même nous ne savons si Andromède 344 était nue comme dans un tableau décrit par Lucien, ou bien, comme sur la plupart des monuments, vêtue d'un chiton qui laisse voir, suivant les cas, une plus ou moins grande partie de la poitrine.

Éros avait dans le tableau la taille et la figure d'un jeune homme. Philostrate remarque avec raison que l'art représente ordinairement Éros sous les traits d'un enfant; mais l'exception qu'il signale n'est pas la seule. Userait aisé de citer une foule de statues, de pierres gravées, de peintures même qui nous montrent Éros comme un adolescent (8). Tel est, entre autres, un camaïeu ou graffito de Pompéi qui représente Éros tenant dans la main gauche un bouclier orné du Gorgoneion et appuyant la main droite sur un épieu (9). Ces armes sont des jouets entre les mains d'un enfant; sont-elles maniées par un adolescent, elles prennent, elles reprennent plutôt leur signification belliqueuse. Sans doute le peintre de notre tableau n'avait pas cru devoir associer un enfant à l'entreprise d'un héros, et puisque Éros peut être de deux âges, grâce à l'imagination des artistes et des poètes, il était naturel de lui donner, en cette occasion, l'âge des pensées généreuses et des brillants exploits. Faut-il croire maintenant avec Philostrate qu'Éros était encore haletant, par suite de la part qu'il avait prise à la lutte contrôle monstre. Cela paraît bien subtil, et plus digne d'un rhéteur qui fait le métier de commentateur que d'un artiste qui cherche à être clair pour tous, et non pas seulement pour un sophiste ingénieux. .Peut-être l'Amour se soulevait-il sur la pointe des pieds pour détacher Andromède, et cet effort lui donnait-il l'air de respirer péniblement; peut-être aussi, car il est difficile en ces questions de s'arrêter à une supposition qui satisfasse de tout point, peut-être Philostrate avait-il bien deviné l'intention du peintre : car un artiste pouvait tout aussi bien qu'un rhéteur faire ce beau raisonnement ; puisque le monstre avait eu à combattre un héros amoureux, c'est comme s'il avait eu deux adversaires, Persée et Éros, et tous deux doivent être fatigués par leur propre victoire, celui-là plus, parce qu'il n'est qu'un homme, celui-là moins, mais d'une façon visible, à cause de sa nature divine.

Les Éthiopiens devaient former, dans notre tableau, un singulier groupe. Pourquoi le peintre les avait-il introduits dans sa composition? sans doute pour être fidèle jusqu'au bout à la fable d'Euripide, et aussi parce que la peinture sait tirer parti des figures étranges. Combien de fois les maîtres vénitiens ont-ils représenté des nègres, dans des tableaux qui par le sujet même ne semblaient pas pouvoir les admettre? Les nègres en effet peuvent servir de repoussoirs ; ils exaltent les couleurs qui les avoisinent ; ils communiquent un éclat surprenant au teint des personnages qu'ils accompagnent; si un sang généreux paraissait couler dans les veines de Persée, comme le 345 fait remarquer Philostrate, c'était là peut-être un effet dû en partie au contraste. D'ailleurs, les nègres ne sont point dénués d'un certain charme (10); ils nous intéressent à la fois comme semblables à nous et différents de nous; nous aimons particulièrement leur sourire, qui est au physique comme leur certificat d'humanité, et qui pourtant, par un air étrange, légèrement farouche, les distingue des hommes de race blanche. Tout cela nous paraît avoir été bien senti et bien observé par Philostrate. Nous ajouterons enfin, que soit tradition dans l'art, soit souvenir d'Euripide, les Éthiopiens ont dû figurer quelquefois à côté de Persée, sur les monuments; on connaît du moins un vase qui réunit ainsi notre héros et ces hommes d'une autre contrée : c'est une hydrie du Musée britannique (11) ; dans le jeune homme vêtu d'un manteau oriental et coiffé de la cidaris, les archéologues reconnaissent Persée ; deux personnages se tiennent à ses côtés ; ils ont le nez écrasé, les lèvres épaisses, les cheveux crépus ; ne sont-ce pas là nos Éthiopiens du tableau de Philostrate (12) ?

 

(1) Helbig Wandg, n° 1186, 1187, 1188, 1189.

(2) Ibid., 1190.

(3) Nauck, 135. fragm. trag.

(4) lbid., 132.

(5) Journal de Flenkeisen, 1871, p. 83. La peinture en question a été éditée dans l'Arch Zeitung, 1852, pl. 42

(6) Helbig. Wandg. 1181a, 1203.

(7) Hydrie du musée Britann. Annali dell Instituto, 1844, III.

(8) Müller-Wieseler, D. d. a. Κ., I, 145 ; II, 630, 632, 644, 651.

(9) Helbig, Wandg., n° 621.

(10) La plus jeune fille du roi Christophe, très instruite et fort jolie, est morte à Pise; sa beauté d'ébène repose libre sous les portiques du Campo Santo, loin du champ des cannes et des mangliers à l'ombre desquels elle était née esclave (Châteaubr., Mém. d'Outre-Tombe, VI, p. 99).

(11) Ann. dell' Inst, 9 1841,III. Cf. L'article de Trendelenburg, Ann., 1872, 108.

(12) Pour les autres monuments relatifs au mythe d'Andromède et Persée voir Arch. Zeit, 1862 (art de Fedde), Annali dell' Inst., 1872, et Bulllet., 1836.
 

ΠΕΛΟΨ

Στολὴ δὲ ἁπαλή, σχῆμα ἐκ Λυδίας, καὶ μειράκιον ἐν ὑπήνῃ πρώτῃ Ποσειδῶν τε μειδιῶν ἐς τὸ μειράκιον καὶ ἀγάλλων αὐτὸ ἵπποις δηλοῖ Πέλοπα τὸν Λυδὸν ἐπὶ θάλατταν ἥκοντα, ὡς εὔξαιτο τῷ Ποσειδῶνι κατὰ τοῦ Οἰνομάου, ὅτι μὴ χρῆται γαμβρῷ ὁ Οἰνόμαος, ἀλλὰ κτείνων τοὺς τῆς Ἱπποδαμείας ἐρῶντας φρονεῖ τοῖς τούτων ἀκροθινίοις ἀτάκτων λεόντων κεφαλαῖς οἷον θήραν ᾑρηκότες. Καὶ εὐχομένῳ τῷ Πέλοπι ἥκει χρυσοῦν ἅρμα ἐκ θαλάττης, ἠπειρῶται δὲ οἱ ἵπποι καὶ οἷοι διαδραμεῖν τὸν Αἰγαῖον αὐχμηρῷ τῷ ἄξονι καὶ ἐλαφρᾷ τῇ ὁπλῇ. Ὁ μὲν οὖν ἆθλος εὐδρομήσει τῷ Πέλοπι, τὸν δὲ τοῦ ζωγράφου ἆθλον ἡμεῖς ἐξετάζωμεν. Οὐ γὰρ σμικροῦ οἶμαι ἀγῶνος ἵππους μὲν ξυνθεῖναι τέτταρας καὶ μὴ ξυγχέαι τῶν σκελῶν τὸ κατὰ ἕνα αὐτῶν, ἐμβαλεῖν δὲ αὐτοῖς μετὰ τοῦ χαλινοῦ φρόνημα στῆσαί τε τὸν μὲν ἐν αὐτῷ τῷ μὴ θέλειν ἑστάναι, τὸν δ´ ἐν τῷ κροαίνειν βούλεσθαι, τὸν δ´ ἐν τῷ ** τίθεσθαι, ὁ δὲ γάνυται τῇ ὥρᾳ τοῦ Πέλοπος καὶ εὐρεῖαι αὐτῷ αἱ ῥῖνες, ὅσα χρεμετίζοντι. Ἔτι κἀκεῖνο σοφίας· ὁ Ποσειδῶν τοῦ μειρακίου ἐρᾷ καὶ ἀναφέρει αὐτὸ ἐς τὸν λέβητα καὶ τὴν Κλωθώ, ὅτε Πέλοψ ἀστράψαι ἐδόκει τῷ ὤμῳ. Καὶ τοῦ μὲν γαμεῖν οὐκ ἀπάγει αὐτόν, ἐπειδὴ ὥρμηκεν, ἀγαπῶν δὲ ἀλλ´ ἐφάψασθαι τῆς χειρὸς ἐμπέφυκε τῇ δεξιᾷ τοῦ Πέλοπος ὑποτιθέμενος αὐτῷ τὰ ἐς τὸν δρόμον, ὁ δὲ ὑπέρφρον ἤδη καὶ Ἀλφειὸν πνεῖ, καὶ ἡ ὀφρὺς μετὰ τῶν ἵππων. Βλέπει δὲ ἡδὺ καὶ μετέωρον ὑπὸ τοῦ τιάρᾳ ἐπισοβεῖν, ἧς οἷα χρυσαῖ λιβάδες ἡ κόμη τοῦ μειρακίου ἀποστάζουσα μετώπῳ ὁμολογεῖ καὶ ἰούλῳ συνανθεῖ καὶ μεταπίπτουσα τῇδε κἀκεῖσε ἐν τῷ καιρίῳ μένει. Γλουτὸν καὶ στέρνα καὶ ὅσα περὶ τοῦ γυμνοῦ τοῦ Πέλοπος ἐλέχθη ἄν, καλύπτει ἡ γραφή· ἐσθὴς 〈χειρί, ἐσθὴς〉 αὐτῇ καὶ κνήμῃ. Λυδοὶ γὰρ οἱ ἄνω βάρβαροι καθείρξαντες ἐς τοιάσδε ἐσθῆτας τὸ κάλλος λαμπρύνονται τοιοῖσδε ὑφάσμασιν ἐνὸν λαμπρύνεσθαι τῇ φύσει. Καὶ τὰ μὲν ἄλλα ἀφανῆ καὶ εἴσω, τὸ δὲ τῆς στολῆς, ἔνθα ὁ ὦμος ὁ ἀριστερός, τέχνῃ ἠμέληται, ὡς μὴ κρύπτοιτο αὐτοῦ ἡ αὐγή· νύξ τε γὰρ ἐπέχει καὶ λαμπρύνεται τῷ ὤμῳ τὸ μειράκιον, ὅσον ἡ νὺξ τῷ ἑσπέρῳ.

XXIX. PÉLOPS.

Des vêtements somptueux, le costume lydien, un jeune homme dans l'âge du premier duvet, Poséidon souriant à ce jeune homme, et lui faisant don de chevaux superbes, tout nous fait reconnaître Pélops le Lydien, venu vers la mer pour appeler la colère de Poséidon contre Oenomaos. Ce prince ne voulant point de gendre, comme on sait, faisait périr tous les prétendants d'Hippodamie ; puis, à la manière des chasseurs qui ont pris des bêtes sauvages, se composait un trophée avec la tête, les mains et les pieds de ses victimes. Pélops a prié : et voilà qu'il voit sortir des flots un char en or, traîné par des chevaux de terre ferme, mais capables de traverser la mer Égée sans mouiller l'essieu et d'une course rapide. Pélops parcourra la carrière avec succès, mais voyons avec quel succès le peintre a parcouru la sienne. Ce n'est point, en effet, pour l'artiste une petite entreprise que d'atteler quatre chevaux à un char, de manière à laisser voir toutes les jambes sans qu'il y ait confusion ; de les montrer à la fois impétueux et dociles au frein, de représenter l'un impatient de partir, l'autre trépignant, pendant qu'un troisième se laisse manier, et que le quatrième, fier de porter un si beau 346 cavalier ouvre de larges narines et semble hennir. Ceci encore est une preuve d'habileté. Poséidon aime le jeune homme depuis le jour où Pélops, sortant du bassin de Clotho (a), éblouit le dieu par l'éclat de son épaule. Cependant Poséidon, loin de le détourner du mariage auquel il aspire, content d'ailleurs de toucher, de presser de sa main la main de Pélops, lui fournit les moyens d'être vainqueur à la course. Quant au héros, il respire l'ardeur de la lutte (b), il lève fièrement les yeux sur les chevaux. Son regard exprime la joie et l'orgueil de porter la tiare ; de cette coiffure s'échappe en ondes dorées une chevelure qui accompagne heureusement les traits du visage, s'unit au duvet des joues, et tombant de chaque côté de la tête, reste gracieusement immobile. Les flancs, la poitrine de Pélops, toutes les parties dont on aimerait à juger la beauté (c), nous sont dérobés, avec la cuisse elle-même (d), par le vêtement ; c'est que les Lydiens et autres barbares emprisonnent la beauté dans les habits, et se parent fièrement de leurs tissus quand ils pourraient se parer des grâces naturelles. Le corps est donc tout entier caché ; cependant là où commence l'épaule gauche, la tunique mal ajustée s'entr'ouvre pour en laisser voir l'éclat ; car, la nuit couvrant la terre, le jeune homme est éclairé par son épaule qui rayonne comme l'étoile du soir au milieu des ténèbres.

COMMENTAIRE.

Pindare a certainement inspiré à l'artiste le sujet de cette peinture. « Pélops arrivé, dit le poète, à l'âge florissant où un léger duvet ombrage le menton, Pélops rêva une alliance qui s'offrait alors à sa valeur; il voulut vaincre le roi de Pise et conquérir ainsi sur son père l'illustre Hippodamie. Étant venu seul, au milieu des ténèbres, près du rivage et de la mer blanchissante, il invoqua le dieu des mers bruyantes, le dieu armé du trident; Poséidon parut à ses yeux, tout près de lui, et Pélops dit : « Poséidon, si les aimables dons de Cypris émeuvent ta reconnaissance, arrête dans son élan le fer d'Oenomaos, conduis-moi sur un char... jusqu'en Élide; assure-moi « la victoire; déjà ayant fait périr treize hommes, il diffère le mariage de sa fille » Ainsi il priait Poséidon, et ses paroles ne furent pas vaines : le dieu l'honorant lui donna un char d'or et des chevaux aux ailes infatigables (1). »

La composition du tableau est des plus simples : Poséidon serre la main d'un jeune homme vêtu à la mode lydienne ; près d'eux se voit un char doré, attelé de quatre chevaux.

347 Le costume oriental de Pélops ne saurait nous surprendre. Pélops est le fils de Tantale, un roi asiatique dont la légende se rattache étroitement au culte du Jupiter du mont Sipyle. La ville de Sipylos, bâtie sur cette montagne était aussi appelée Tantalis. Le Zeus protecteur des Tantalides avait son autel sur le mont Ida. Quand des villes voisines du Sipyle eurent été renversées par un tremblement de terre, on donna le nom de mer de Tantale à un lac qui prit la place des cités disparues. Niobé, la fille de Tantale, après avoir perdu ses fils et ses filles, fut changée en un rocher escarpé qui faisait partie du Sipyle. Au temps de Pausanias on conservait encore dans cette contrée le souvenir de Pélops (2). La légende dOenomaos et d'Hippodamie aurait eu, suivant les mythologues, une origine asiatique (3). Aussi les auteurs anciens disent tantôt le Lydien, tantôt le Phrygien Pélops. Sur les monuments figurés Pélops est presque toujours représenté nu ; mais il porte le bonnet qui distingue les Phrygiens et en général les princes de l'Asie. Dans notre tableau, il portait sans doute le même costume que Paris, lorsque le fils de Priam est entièrement vêtu, c'est-à-dire la mitre aux bandelettes flottantes, la tunique serrée à la taille, le manteau ou chlamyde, enfin les anaxyrides tantôt unies et tantôt brodées qui enveloppent les jambes. Des commentateurs ont demandé comment, sous une tunique qui s'applique étroitement au corps et monte jusqu'au cou, l'épaule gauche pouvait être visible. Philostrate, bien consulté, aurait mis sur la voie de la réponse, qui d'ailleurs est fort simple ; c'est, dit le sophiste, l'effet d'une négligence étudiée. La tunique était donc à cet endroit mal ajustée ou mal agrafée ; or nous voyons sur beaucoup de monuments que les manches de la chiridota, de la tunique phrygienne, sont composées de deux morceaux, réunis entre eux au moyen de boucles ou de brides ; sans doute l'artiste n'avait noué ces brides que sur le bas de la manche, laissant celles-ci entr'ouvertes à la hauteur de l'épaule. Enfin on peut encore supposer que la tunique de Pélops avait des manches rapportées qui laissaient à découvert une partie de l'épaule et des bras; cette particularité de costume n'est pas sans exemple sur les monuments antiques (4).

Cette épaule, ainsi découverte, éclairait, dit Philostrate, les ténèbres naissantes, comme l'étoile du soir éclaire la nuit. C'est là un effet qu'il n'est point difficile de concevoir; une ombre crépusculaire enveloppait sans doute tous les personnages, d'autant plus épaisse qu'elle s'éloignait plus de Γ épaule de Pélops. Il n'est pas même nécessaire de croire que l'artiste ait eu l'intention de rendre l'épaule plus lumineuse. Pélops, étant le principal personnage de la scène, devait être placé, sinon en pleine lumière, puisqu'il faisait nuit, du moins dans la partie la plus éclairée de la composition ; il se détachait donc en clair sur le fond obscur du tableau ; les broderies, les couleurs vives du 348 costume lydien devaient faire ressortir la blancheur de l'épaule, seule partie visible de tout le corps ; quoi d'étonnant, si Philostrate a exagéré l'éclat de cette épaule, et s'il a interprété subtilement un effet qui résultait du jeu môme des couleurs juxtaposées?

Poséidon était nu ; sans doute il montrait son présent dont il expliquait l'usage. Peut-être tenait-il, dans sa main restée libre, le trident, son attribut ordinaire.

Philostrate remarque que les chevaux attelés au char n'étaient point des chevaux marins. Ce détail méritait à peine d'être relevé, selon l'observation de Welcker : en effet à quoi des chevaux marins, qui se terminent en queue de poisson et dont les pattes ressemblent à des nageoires, auraient-ils servi à Pélops pour vaincre les célèbres cavales d'Oenomaos ? Philostrate, selon Welcker, confond ici deux traditions, celle d'après laquelle Pélops aurait reçu dans le Péloponnèse le quadrige divin, et une autre d'après laquelle il aurait été transporté d'Asie en Grèce par les chevaux marins de Poséidon. Il nous semble qu'à son tour Welcker fait une supposition inutile ; les chevaux donnés par Poséidon, à moins d'être sortis de terre, n'ont pu arriver dans le Péloponnèse qu'en traversant les flots ; et ce qui n'a rien d'étonnant de la part de chevaux marins est un prodige de la part de chevaux conformés pour courir dans le stade d'Olympie. La réflexion de Philostrate n'avait pae d'autre portée dans son esprit. Les chevaux n'étaient point ailés : d'après Welcker, l'art des Grecs, dans sa période florissante, était trop soucieux de vérité pour oser représenter des chevaux avec des ailes. Cette opinion nous semble hasardée ; sur le coffre de Cypsélos, conçu, il est vrai, dans un style archaïque, les chevaux de Pélops avaient des ailes; ils en ont également sur un scarabée de cornaline, conservé à la Bibliothèque nationale (5). En outre, les tableaux de Philostrate n'appartiennent certainement pas à la belle époque de l'art grec; et sans doute, des audaces qui auraient passé pour téméraires au temps d'Aristide et d'Apelle, semblaient légitimes au temps d'Aristodème de Carie, ce peintre que Philostrate avait fréquenté. Toutefois nous ne croyons pas que dans notre tableau, le peintre eût donné des ailes aux chevaux ou au char de Pélops ; mais nous le concluons plutôt du silence du sophiste à cet égard que des habitudes de l'art. Philostrate qui vante ces chevaux pour avoir traversé les mers sans mouiller l'essieu du char, aurait-il oublié de voir ou de mentionner un détail, qui, merveilleux par lui-même, expliquait du moins le prodige qu'il admire I

Philostrate loue en outre le peintre d'avoir représenté sans confusion les jambes des quatre chevaux. C'est là un mérite assez fréquent dans les œuvres de l'art grec. Pour n'en citer qu'un exemple, le bas-relief d'Orope qui représente Amphiaraos sur son char est remarquable à cet égard. Tout est bien distinct, et les jambes qui ne se couvrent point les unes les autres, et les 349 corps qui se séparent modérément, et les têtes qui toutes, comme dans notre tableau, ont une attitude différente. Tels nous devons nous représenter les chevaux de Pélops, moins l'élan imprimé au char.

(1) Pind., Olymp. If,Ant. et Ep. 3

(2) Strab., I, 58, Plin., II, 205; V, 117. Paus., V, 13, 4 ; VIII, 17, 3.

(3) Preller, G. M., III, 383.

(4) Voir Raoul Rochette, Choix de peint, de Pompéi, p. 111 et 136.

(5)  Chabouillet, n° 1790.

ΞΕΝΙΑ

Καλὸν καὶ συκάσαι καὶ μηδὲ ταῦτα παρελθεῖν ἀφώνους. Σῦκα μέλανα ὀπῷ λειβόμενα σεσώρευται μὲν ἐπὶ φύλλων ἀμπέλου, γέγραπται δὲ μετὰ τῶν τοῦ φλοιοῦ ῥηγμάτων. Καὶ τὰ μὲν ὑποκέχηνε παραπτύοντα τοῦ μέλιτος, τὰ δ´ ὑπὸ τῆς ὥρας οἷον ἔσχισται. Πλησίον δὲ αὐτῶν ὄζος ἔρριπται μὰ Δί´ οὐκ ἀργὸς ἢ κενὸς τοῦ καρποῦ, σκιάζει δὲ καὶ σῦκα τὰ μὲν ὠμὰ καὶ ὀλύνθους ἔτι, τὰ δὲ ῥυσὰ καὶ ἔξωρα, τὰ δὲ ὑποσέσηπε παραφαίνοντα τοῦ χυμοῦ τὸ ἄνθος, τὸ δ´ ἐπ´ ἄκρῳ τοῦ ὄζου στρουθὸς διορώρυχεν, ἃ δὴ καὶ ἥδιστα σύκων δοκεῖ. Καρύοις δὲ ἅπαν ἔστρωται τοὔδαφος, ὧν τὰ μὲν παρατέτριπται τοῦ ἐλύτρου, τὰ δὲ ἔγκειται μεμυκότα, τὰ δὲ παρεμφαίνει τὴν διαφυήν. Ἀλλὰ καὶ ὄγχνας ἐπ´ ὄγχναις ὅρα καὶ μῆλα ἐπὶ μήλοις σωρούς τε αὐτῶν καὶ δεκάδας, εὐώδη πάντα καὶ ὑπόχρυσα. Τὸ δὲ ἐν αὐτοῖς ἔρευθος οὐδὲ ἐπιβεβλῆσθαι φήσεις, ἀλλ´ ἔνδον ὑπηνθηκέναι. Κεράσου δὲ ταῦτα δῶρα ὀπώρα τις αὕτη βοτρυδὸν ἐν ταλάρῳ, ὁ τάλαρος δὲ οὐκ ἀλλοτρίων πέπλεκται λύγων, ἀλλ´ αὐτοῦ τοῦ φυτοῦ. Πρὸς δὲ τὸν σύνδεσμον τῶν κλημάτων εἰ βλέποις καὶ τὰς ἐκκρεμαμένας αὐτῶν σταφυλὰς καὶ ὡς κατὰ μίαν αἱ ῥᾶγες, ᾄσῃ τὸν Διόνυσον οἶδα καὶ ὦ πότνια βοτρυόδωρε περὶ τῆς ἀμπέλου ἐρεῖς. Φαίης δ´ ἂν καὶ τοὺς βότρυς τῇ γραφῇ ἐδωδίμους εἶναι καὶ ὑποίνους. Κἀκεῖνο ἥδιστον· ἐπὶ φύλλων κράδης μέλι χλωρὸν ἐνδεδυκὸς ἤδη τῷ κηρῷ καὶ ἀναπλημμυρεῖν ὡραῖον, εἴ τις ἀποθλίβοι, καὶ τροφαλὶς ἐφ´ ἑτέρου φύλλου νεοπαγὴς καὶ σαλεύουσα καὶ ψυκτῆρες γάλακτος οὐ λευκοῦ μόνον, ἀλλὰ καὶ στιλπνοῦ· καὶ γὰρ στίλβειν ἔοικεν ὑπὸ τῆς ἐπιπολαζούσης αὐτῷ πιμελῆς.

XXX. LES PRESENTS D'HOSPITALITÉ.

Il est beau de cueillir les figues, et aussi de ne point passer près d'elles sans dire mot. Voici des figues noires, en tas sur des feuilles de vigne ; elles distillent un suc abondant. Le peintre a représenté les fissures de l'enveloppe ; les unes en effet s'entr'ouvrent et donnent passage à une espèce de miel, les autres sont comme fendues en deux par la maturité. Tout auprès de ces figues est étendue une branche de figuier, point stérile ma foi, mais chargée de fruits. Sous ses feuilles, elle cache des figues, les unes encore dures et compactes, les autres ridées et flétries; les autres bâillant un peu et laissant voir l'éclat doré du suc ; celle-là, tout au haut de la branche, a été creusée par le bec d'un oiseau, ce qui n'arrive, semble-t-il, qu'aux figues les plus savoureuses. Tout le sol est jonché de noix dont les unes n'ont plus de brou, les autres l'ont encore, mais entrouvert, les autres enfin laissent voir à nu le bord des deux valves. Les poires s'entassent sur les poires, les pommes sur les pommes ; partout des constructions de fruits à dix étages, partout un parfum délicieux, une couleur dorée. L'incarnat dont brillent ces fruits ne paraît point avoir été appliqué à leur surface, mais s'être épanoui du dedans au dehors. Voici les dons du cerisier : voici dans ce panier toute une récolte de grappes, et le panier lui-même n'a été tressé qu'avec les sarments de la vigne. Si tu considères les rameaux entrelacés, les grappes qui s'y suspendent, les grains qui se laissent examiner un à un, tu chanteras Dionysos, j'en suis sûr, et tu entonneras l'hymne en l'honneur de la vigne : « Ο vénérable mère des grappes vermeilles ! (a)» On dirait en effet que les raisins représentés par le peintre sont mûrs à point et gonflés de liqueur. Autre détail charmant. Voici sur des figues de figuier un rayon de miel d'un jaune pâle ; les cellules de cire sont récentes et prêtes à déborder, pour peu qu'on les pressât. Sur une autre feuille, nous voyons un fromage nouvellement caillé et qui semble trembler encore ; puis voici des jattes remplies d'un lait, je ne dirai pas blanc, mais éclatant de blancheur ; cet éclat, il le doit à la crème qui flotte à sa surface.

350 COMMENTAIRE.

Les habitants de la province et de la campagne remerciaient leurs hôtes de la ville par des envois de fleurs, de fruits, de provisions de toute sorte. Philostrate suppose que les fruits représentés dans notre peinture étaient un cadeau de ce genre : de là le titre qu'il a choisi. Était-ce bien l'intention de l'artiste?nous en doutons un peu. Dans tous les cas, il n'importe guère; en face d'un tableau semblable, le spectateur se demande seulement si les fruits ont été représentés avec tous leurs accidents de forme et de couleur, et s'ils ont été groupés pour le plus grand plaisir des yeux.

Y avait-il dans l'antiquité un mot pour désigner plus particulièrement ce que nous appelons la peinture de genre et surtout la peinture de nature morte? Oui, répondent la plupart des archéologues et ce mot est rhopogrophie.

Rhopographie, à considérer l'étymologie du mot, signifie ou peinture de menus objets ou peinture de plantes sans doute maigres et chétives (1). Dans le premier sens une épigramme de l'Anthologie fait dire aune mère consacrant son fils Micythe à Dionysos qu'elle offrait aux dieux, non un grand ni un important tableau comme les riches, mais une humble peinture, une rhopicographie (2). Dans le second, Cicéron a pu écrire cette phrase (3): « Ces lieux sont charmants ; mais la rhopographie des bords de cette rivière me parait de nature à amener promptement la satiété. » Toutefois Cicéron a pu désigner ainsi moins encore les plantes et les arbustes que les autres éléments du paysage, rochers, accidents de terrain, villas et chaumières.

Le terme de rhopographie existait donc, à n'en pas douter, dans la langue grecque; mais, d'un côté, rhopos est môme pour les anciens une expression archaïque que les grammairiens remplacent, pour la mieux faire entendre, par une expression plus moderne et qu'ils n'entendent pas eux-mêmes tous tout à fait de la même façon (4); d'un autre côté, ce terme, partout où il se rencontre, sert à exprimer un sentiment de dédain plus ou moins marqué. Nous croirions donc volontiers qu'entre le mot de rhopographie et nos expressions de peinture de genre et peinture de nature morte, il n'y a point parité absolue ; nous désignons, en parlant ainsi, un genre, un vrai genre bien classé et bien déterminé, qui a pour ainsi dire son rang et sa dignité ; pour les anciens la rhopographie n'est pas un genre : c'est un mot qu'ils ont 351 employé quelquefois pour caractériser plus fortement la bassesse des sujets choisis par un peintre. Userait donc à peu près à notre peinture de nature morte ce que le mot de bambochade est à notre peinture de genre.

Il y eut dans l'antiquité un peintre très renommé pour son talent à représenter « les boutiques de barbiers et de cordonniers, les ânes, les provisions de bouche (5). » Pline prétend que pour cette raison il fut surnommé rhyparographe ou peintre de choses viles. Welcker proposait de lire rhopographe.Les deux termes conviennent évidemment aux sujets favoris de Piraïcus ; l'un est un peu plus fort que l'autre, et voilà tout. On conçoit qu'un amateur, devant les tableaux de ce maître, ait prononcé le terme de rhopographie, et qu'un autre ait répondu : c'est mieux que cela ; c'est de la rhyparographie. Comme le mot se trouve dans tous les manuscrits de Pline, comme il désigne, non l'obscénité mais la bassesse des sujets, et que d'ailleurs, dans l'antiquité, les métiers et tout ce qui en dépendait étaient rangés dans les choses basses (6), il n'y a pas lieu de hasarder une correction qui rend le surnom du peintre moins plaisant. Si c'est là une erreur due à l'étourderie d'un copiste, il y a peu d'erreurs qui se défendent mieux; elle est de celles dont on peut dire : felix culpa (7) !

A ce mot de rhopographie qu'il croyait désigner un genre, Welcker (8) opposait le mot de mégalographie qui se rencontre dans Vitruve. « Les anciens, dit l'architecte latin, se mirent ensuite à orner de paysages variés les longues galeries ; ils choisirent, pour les représenter, des lieux remarquables par quelque particularité ; en effet on peint des ports, des promontoires, des rivages, des fleuves, des montagnes, des détroits, des temples, des bois, des troupeaux, des pasteurs ; de même en quelques endroits, les anciens employèrent une mégalographie qui représentait les images des dieux ou des mythes se développant avec ordre, par exemple les combats de Troie ou les aventures d'Ulysse (9). » Il nous semble que dans ce passage la mégalographie désigne une peinture qui représente, en plusieurs scènes, de grands événements, une peinture semblable aux peintures esquilines par opposition à la peinture des sujets isolés ou à celle de paysage, non par opposition aux tableaux de Piraïcusqui représentaient des échoppes, des étals de marchands ou des animaux. La mégalographie ne serait pas plus notre grande peinture que la rhopographie ne serait notre peinture de genre ou de nature morte.

Question de mots après tout ! car quel que soit le terme dont les anciens se sont servis pour désigner les tableaux de nature morte, il n'est pas dou- 352 teux qu'ils aient connu ce genre de peinture. Les murs d'Herculanum et de Pompéi, comme cette description de Philostrate, en font foi. Nous avons essayé, dans l'introduction, de dire en quoi le tableau décrit par Philostrate diffère des peintures analogues de la Campanie ; nous ne reviendrons pas sur ce sujet.

(1) Suivant qu'on fait venir ce mot de ῥωπος ou de ῥῶπες. Cf. Etym. M. Welcker ad Philostratum, p. 396 et les textes réunis par Jahn, Darstellungen des Handwerks und Handsverkehrs.

(2) Anth. pal., VI, 355, (ῥωπικὰ γραψαμένα.

(3) Ad Atticum, XV, 16.

(4) Cf. Jahn, ouvrage cité.

(5) Pl., H. Ν. V, 35, 37.

(6) Artes sordidae (Cic, De off., I, 42, 15; Sen., epp. 38, 21).

(7) Urlichs (Chret. Plin.) a proposé rhopicographos. C'est toujours un mot plus faible et moins dédaigneux que rhyparographos.

(8) Jahn aussi, voir l'ouvr. déjà cité.

(9) Vitr., VII, 5.
 

NOTES SUR LE TEXTE

REMARQUE. — Nous avons suivi en général le texte de l'édition Kayser ; les notes suivantes sont surtout destinées à justifier notre opinion quand nous nous sommes écarté do la leçon de Kayser ou du sens adopté par les commentateurs Olearius, Jacobs, Welcker,.Kayser ou Westermann.

AVANT-PROPOS

(a). Dans les manuscrits, le mot προοίμιον est suivi du mot Ἑλλαδίᾳ ou Ἑλλάδια. Dans le premier cas, il faudrait entendre que l'ouvrage est dédié à un certain Helladias ; dans le second, on ne sait trop ce que le mot signifierait. L'explication d'Olearius d'après laquelle Ἑλλάδια, mis pour Ἑλλαδικά, signifierait tableaux de l'école grecque, semble peu naturelle.

(b). La réalité même, τὴν ἀλήθειαν, la vérité et par suite la réalité. Mépriser la peinture, ce n'est pas aimer les choses elles-mêmes dont elle est l'image. C'est un peu par mépris du monde extérieur que Pascal m'aimait pas la peinture : « Quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire pas les originaux ! » Art. XXV, n° LV.

(c). La raison, λόγον. C'est le sens donné à ce mot par Welcker ; et en effet trouver les justes proportions peut être considéré comme l'oeuvre de la raison. Mais la proportion, συμμετρία, était aussi une qualité du style, et c'est un sophiste qui parle. Peut-être faudrait-il entendre avec Olearius et Heyne la science des proportions, par laquelle l'art de la peinture se rattache à l'art de la parole. Ce serait une pensée singulière ; mais Callistrate a bien comparé l'éloquence de Démosthène à l'art du statuaire ! Nous avons traduit de la façon la plus favorable pour le jugement et le bon goût de Philostrate. La première phrase de l'auteur, que nous présentons au public, ne doit pas être un objet d'étonnement ; les subtilités de la seconde, qui est parfaitement claire, n'auront que trop de quoi surprendre.

(d). Ce qui apparaît dans le ciel, τὰ φαινόμενα. Les astres ou plutôt, comme le veut Olearius qui rapproche un passage de la Vie d'Apollonius (II, 22), les formes diverses que prennent les nuages. Le commencement de la phrase indique bien que Philos- 514 trate songe à ce qui change et se transforme, non à ce qui demeure ; les dieux tiennent le pinceau, comme le peintre ; de là résulte la variété des spectacles que le monde nous offre.

(e). On lit dans le Dictionnaire de Littré : « La plastique, nom donné, chez les Grecs, à toutes les branches de la sculpture et même à toute imitation du corps humain, en y comprenant la graphique. » C'est trop étendre le sens du mot ἡ πλαστική, comme le prouve le passage de Philostrate qui distingue la peinture, par conséquent le dessin, de la plastique, et qui comprend sous ce terme, la statuaire, la sculpture et la glyptique. L'exemple que M. Littré emprunte à Barthélémy (Anach., ch. xxxv, note 27) semble assez mal choisi : « Après eux parurent Dédale et Théodore qui étaient de Milet, auteurs de la statuaire et de la plastique. » Barthélémy ne semble pas comprendre la statuaire dans la plastique, ce qui restreint trop le sens du mot que M. Littré, par sa définition, étend outre mesure. D'ailleurs l'auteur de l'Anacharsis se trompe: le statuaire est un πλάστης„ aussi bien que le sculpteur, aussi bien qu'un artiste qui modèle l'argile.

(f). Le Lygdos ou Lygdinos parait avoir été un marbre de Paros (Pline, H. N., XXXVI, 13; Hésych., Diod. de Sic., II, p. 135). Cependant Pline rapporte qu'autrefois, sans doute avant d'avoir été trouvé dans l'île de Paros (Lygdinos in Paro repertos esse), le Lygdos était tiré d'Arabie. Arrien (Périple de la mer Erytrhée) cite également ce marbre parmi les objets de commerce qu'on allait chercher en Arabie. Il était d'une blancheur remarquable; la glyptique semble l'avoir employé comme la sculpture.

(g). Ils sont d'un vert bleuâtre, γλαυκὸν ὄμμα, littéralement un oeil glauque. Glauque se dit en français d'un vert blanchâtre ou bleuâtre. C'est le sens qu'Aulu-Gelle (N. A., II, 26) donne aussi au mot grec ; mais il ajoute que les anciens Romains, pour exprimer la teinte glauque de certains yeux, se servaient du mot coesia qui, selon Nigidius, a pour forme primitive coelia et désigne la couleur du ciel. Il semblerait alors que les mots γλαυκός et coesius indiqueraient une couleur plus voisine du bleu que du vert, le ciel ne paraissant vert que par suite d'effets de lumière tout à fait accidentels. — Sur le sens de ce mot, voir Gaedechens, Glaukos, der Meergott, p. 34, note 3.

(h). Ξανθὴν κόμην... καὶ πυρσὴν καὶ ἡλιῶσαν. Ce sont les différentes nuances d'une même couleur comme l'indique ce passage d'Aulu-Gelle (2, 26): ξανοὸς autem et ἐρυθρὸς; et πύρρος et φοῖνιξ habere quasdam distantias coloris rué videntur vel augentes eum vel- remittentes, vel mixta quadam specie temperantes. Ἡλιῶσα doit, d'après cela, signifier la nuance la plus claire du blond ; ξανθή πυρσή se rapprochent sans doute du rouge.

(i). Aristodème de Carie ne nous est pas autrement connu. Peut-étre est-ce celui qui est mentionné d'un mot dans Clément d'Alexandrie (Stromata, I, 225).

(j). Par amour de la peinture, Ἐπὶ ζωγραφίᾳ. Mita Appoll., 1V, 35, ieiez Ani mie, in vin-
cula ob philosophiam conjectus est.

(k). On voyait dans le forum romain un tableau d'Eumélos représentant Hélène (Vit. Soph., II, 5). Nous ne savons rien de plus sur ce peintre. Ottfr. Müller (Man. d'Arch., I, 213) le rattache à l'époque des Antonins. Cf. Brun n, G. d. Griech. K., II, p. 309.

(l). Ἀφ' ὧν.. τοῦ δοκίμον ἐπιμελήσονται et quod bonum sit in ejusmodi rebus, animadvertant ; de façon qu'ils puissent remarquer ce qui est bien, et le distinguer de ce qui est mal. C'est en quoi consiste le goût.

(m). Suivant Strabon, V, 346, 377, il y avait à Naples tous les cinq ans un concours de musique et de gymnastique.

(n). A quatre ou cinq étages. Les constructions de ce genre paraissent avoir été rares. Hérodote parle avec admiration des maisons de Babylone qui ont trois ou 515 quatre étages. Les maisons de Thèbes, suivant Diodore de Sicile, en avaient quatre ou cinq. Le Septizonium, béti par Septime Sévère, en comptait sept, comme le nom l'indique. Les peintures campaniennes offrent aussi quelquefois des constructions du même genre (Cf. Ant. d'Jl., lI, p. 285).

(o). Ἐνηρμοσμένων. Passage important pour l'archéologie de la peinture. Les murs eux-mêmes n'étaient pas peints comme à Herculanum et à Pompéi ; les tableaux, πίνακες étaient encastrés dans les murs ; par conséquent avaient été peints sur le chevalet et dans l'atelier. Il en était nécessairement de même des tableaux qui décoraient les portiques d'Octavie ou de Philippe, à Rome, puisque ces tableaux, oeuvre d'Antiphile, de Zeuxis, de Céphisodore et de Pausias (Pline, 36, 27) avaient été apportés de Grèce. Un passage des lettres de Synésius (135, p. 232 B) ferait également croire que les peintures de Polygnote dans le Poecile d'Athènes n'étaient point des peintures murales dans le sens où nous l'entendons. Suivant Letronne (Lettres d'un Antiq., p. 458 et Appendice, p. 118), « le mot  ἐνημορσμένων pourrait ne s'entendre que de l'arrangement des tableaux, placés avec symétrie au milieu des peintures de décor qui en ornaient les murs. Le verbe ἐναρμόζειν n'emporte que l'idée de disposition symétrique coordonnée avec une autre, et non celle d'encastrement comme le verbe ἐγκροτεῖν, dont le sens est précis et déterminé ». Cette explication nous parait difficile à accepter : d'abord la proposition ἐν, qui entre dans la composition du mot, semble indiquer quelque chose de plus qu'une simple juxtaposition ; puis, si l'auteur avait voulu parler d'une disposition symétrique par rapport à des peintures de décor, il aurait joint à ce mot ἐνηρμοσένων , un mot pour désigner ces peintures ; or il n'en est rien. Le mot γραφαὶ qui précède indique des peintures en général, et πίνακες indique que ces peintures sont sur bois.

(p). Προβεβλήσθω. C'est le mot technique. L'auditeur propose,προβάλλεται, c'est-à-dire fait la question, indique le sujet; et le sophiste répond.

LIVRE PREMIER

II. — CÔMOS.

(a) Ἀπὸ τοῦ καιροῦ, à l'occasion, à l'ensemble des circonstances, c'est-à-dire aux effets mêmes de l'obscurité et à la présence de la bande joyeuse.

(b) Τὰ προπύλαια. Un vestibule digne d'un palais. Les Grecs désignaient par propylées, une espèce de portique placé à l'entrée d'une enceinte sacrée ou d'une citadelle. Philostrate se sert de ce mot, et non de  πρόθυρον pour donner une plus haute idée de la magnificence du vestibule et de la demeure des jeunes mariés.

(c). Πρόβολιον, un épieu. Welcker ne s'expliquant pas la présence d'un épieu dans la main de Cômos, a proposé d'entendre par προβόλιον,, une espèce de vêtement, analogue à l'ἀμπεχόνιον, petit manteau à l'usage des deux sexes (Poll. , VII, 49). Cette conjecture nous a paru très hasardée et fort inutile. Voir le commentaire.

(d) Ὅταν... μετέρχηται ὁ λόγισμος εἰς λήθην ὧν συνέχει, littéralement: quand notre esprit passe à l'oubli des choses ou idées qu'il renferme. Nous avons dû nous écarter quelque peu du texte dans la traduction.

(e) Τυφλώττουσί γε ἄνευ τούτων αἱ γράφαι. Praecipuo suo lumine et ornamento destituuntur (Jacobs) . L'expression grecque est beaucoup plus forte que ne semble le croire Jacobs. Des personnages dont les yeux sont ternes et mornes rendent une peinture comme aveugle.

516 (f) ἀπαρακαλύπτως, sans être couverts: il s'agit évidemment des masques qui étaient en usage dans ces espèces de réjouissances. Cf. Demosth., De falsa legat., 28, et Choricius, Elog. de Marcianos, Boissonade, p. 102.

(g). Ξανθός, est une nuance du rouge, comme le prouve le passage d'Aulu-Gelle (N. A., 2, 28) cité ci-dessus. C'est le rouge mêlé de jaune.

(h) Τί λοιπὸν τοῦ Κώμου; Quid reliquum est Comi ? Sans doute, que reste-t-il à dire sur Cômos? ou plutôt: quels sont les personnages autres que Cômos, quels seraient-ils, sinon ceux qui célèbrent Cômos?

(i) Et â nous de les voir. Nous avons cru devoir abandonner le texte de Kaiser, ἡμῖν μὴ ὁρᾶσθαι, et à nous de n'être pas vus. La phrase grecque est plus symétrique, dans l'édition de Kaiser; mais on ne comprend pas comment les flambeaux qui sont représentés dans la peinture empêchent le spectateur d'être vu par les personnages du tableau, ni quelle est l'importance de cette observation . La négation ne se retrouve d'ailleurs ni dans le Parisinus (1696), ni dans le Laurentianus (LXIX, 30). C'est une correction assez singulière de Jacobs.

(j) Καὶ ὑπόδημα κοινὸν ἔχουσι. Les chaussures sont communes, c'est-à-dire les femmes ont celles des hommes, les hommes ont celles des femmes. Mais les deux derniers mots ne se trouvent pas dans les manuscrits; ils ont été ajoutés. pour donner un sens plausible à la phrase. Peut-être faudrait-il entendre comme s'il y avait καὶ ὑπόδημά ἐστι παρὰ τὸ οἰκεῖον καὶ ζώνυνται et traduire simplement chaussés et vêtus d'une façon extraordinaire.

(k). οὗ μάλιστα δεῖται ὁ κῶμος . Κῶμος est écrit par une petite lettre dans les textes. Par conséquent il faudrait traduire le battement de mains usité surtout dans ces sortes de réjouissances. Comme il n'y a pas en français de mot équivalent à κῶμος, nous nous sommes servi du nom du dieu lui-même, en continuant l'allégorie ; le sens est manifestement le même.

III. — LES FABLES.

(a). Dans Homère (Iliade, XIX, 407), Xanthe, un des chevaux d'Achille, doué soudain de la voix par Junon, prédit à son maître une mort prochaine. Ce n'est point là une fable ; mais, Homère ayant donné la parole à un cheval, cela avait suffi aux Grecs pour faire du poète l'inventeur de la fable, comme il était l'inventeur de tous les autres genres. Les titres d'Hésiode et d'Archiloque sont plus sérieux; néanmoins les fables ont raison : c'est bien à Ésope qu'elles devaient porter leurs hommages.

(b). Καὶ λόγου τοῖς θηρίοις μεταδέδωκε λόγου ἕνεκεν. Westermann traduit : rationem animalibus orationis causa tribuit. Il donne la raison aux animaux pour qu'ils puissent parler. C'est plutôt le contraire : il donne le langage aux animaux pour qu'ils puissent nous faire la leçon ; la phrase suivante se lie mieux avec ce sens ; « en effet, dit Philostrate, Ésope réprime ainsi la cupidité, etc. à Philostrate, par une habitude assez fréquente chez les Grecs, joue sur les sens divers du mot λόγος, la raison et la parole.

(c). Tiennent â la fois de l'homme et de la bête. Le commentaire de Jacobs a mis hors de doute le sens de ce passage. On traduisait autrefois, les hommes mêlés aux bêtes composaient le choeur qui entourait Ésope. Jacobs a rapproché les mots θήρια ἀνθρώποις συμβαλλόμενα, d'une autre phrase de Philostrate, ἵππον συμβάλλειν ἐνθρώπῳ, où il est question d'un centaure. Συμπλάσασα indique aussi une combinaison d'éléments divers ; φιλοσοφεῖ ἡ γραφὴ καὶ τὰ τῶν μύθων σώματα, montre que l'artiste, pour représenter les fables, avait eu recours à un expédient ingénieux et nouveau. Enfin, il sertit étrange que les Fables, dans le même tableau, fussent représentées à la fois par des figures humaines et par des bêtes.

517 IV. — MÉNŒCÉE.

(a). Passage difficile et controversé. Le texte porte : δεῖ γὰρ κλέτττεσθαι τοὺς ὀφθαλμοὺς τοῖς ἐπιτηδέιοις κύκλοις ξυναπίοντας. — Kλέπτειν se dit des objets qui se dérobent à la vue. Ainsi on trouve dans Philostrate (Vie des Soph. I, vii), κλέπτων ἑαυτὸν ὀφθαλμῶν καὶ ὤτων : se dérobant à la nécessité de paraître et de parler. Par suite, ὀφθαλμοὶ κλέπτονται signifiera, perdre de vue. Un passage de Philostrate (Icones, II, 19), rapproché par Jacobs, explique le mot συναπίοντας ; le rhéteur dit en effet des yeux de Galatée ξυναπίοντες τῶν μήκει τοῦ πελάγους;, ils s'en vont avec l'étendue de la mer, ils étendent leur regard jusqu'aux dernières limites de la mer. Quant à κύκλος, il signifie très souvent dans Philostrate, foule, nombre, surtout société formant un tout (Vit Apoll, II, 28; V. Soph., I, XXV, 5, τῷ Μουσείου κύκλῳ; Heroica, prooemium, τοῦ τῶν γεωργῶν κύκλου) ; ici, il doit s'entendre des différentes lignes qui assiègent la ville de Thèbes. Mais comment comprendre κύκλοις ἐπιτηδέοις;, des cercles, des rangs convenables, conformes? L'auteur veut sans doute marquer par ce mot la différence qui résulte pour le regard en passant d'une ligne à une autre, le rapport entre la distance des objets et la perception de l'œil. Ἐπιτηδέοις complète et explique ainsi ἀναλογία, que nous avons traduit par « effet de perspective », et qui littéralement signifie analogie, proportion, rapport ; or, de quels rapports peut-il être question ici si ce n'est de ceux dont s'occupe la perspective? Philostrate a donc voulu dire simplement que plusieurs rangées d'hommes étant placées à la suite les unes des autres, et sur des plans différents, la première se voit entière, mais cache une partie de la seconde, qui cache un peu plus la troisième et ainsi de suite ; il ne fait que répéter, et expliquer ce qu'il vient de dire plus haut. Jacobs a tort de croire que le lieu est en pente; pour que cet effet de perspective se produise, il suffit que la ligne d'horizon se trouve au-dessus des personnages. Enfin c'est un contre-sens que de traduire: oculi ordines ita, ut supra diximus, dispositos et artificiose exhibitos quodammodo sequentes et cum iis recedentes, decipiuntur et falluntur, ita ut verum exercitum se videre existiment in hunc modum, maenibus circumdatum, non picltm. » Il n'y a aucune espèce d'illusion d'optique ; l'œil n'est point trompé, parce que les objets se cachent et se masquent en partie les uns les autres.

(b). Οὐ λευκόν. Westermann traduit par non pallidum. Il ne s'agit pas tout à fait de la pâleur, mais de cette blancheur de la peau, de cette délicatesse de teint qui résulte d'une vie sédentaire et renfermée. Olearius cite Dion Chrys. qui, en parlant d'un prince, habitué à vivre au milieu des femmes, s'exprime ainsi (Or., IV, p. 177): λευκὸς ἰδεῖν, τρυφερός.

(c) . Platon le philosophe était fils d'Ariston et de Perictioné. Philostrate pense sans doute à ce passage de la République : « Ne dites-vous pas du nez camus qu'il est joli, de l'aquilin que c'est le nez royal, de celui qui tient le milieu qu'il est parfaitement bien proportionné ; que les bruns ont un air martial, que les blancs sont les enfants des dieux? (Rép., V, p. 474, trad. Grou, p. 259.)

(d) . C'est une des conditions de la beauté. Aussi ne faut-il pas lire, en omettant une négation, ἀτοτρέπτῳ τένοντι. Jacobs a raison de se ranger sur ce point au sentiment d'Olearius, mais nous ne savons pourquoi il cite à l'appui de son opinion la phrase de Philostrate parlant de Patrocle dans les Heroica (XIX, 9, p. 736): ἡ κεφαλὴ δὲ ἐβεβήκει ἐπ' αὐχένος οἷον αἱ παλαῖστραι ἀκοῦσιν. Ἐβεβήκει ferait plutôt penser à une certaine raideur, tout au moins à un cou ferme et droit.

(e) . La chevelure est abondante sans excès. Jacobs cite plusieurs exemples tendant à prouver qu'une chevelure longue était un signe d'orgueil. Nous ne croyons pas que Philostrate ait songé ici au caractère de son héros ; il ne parle que de sa beauté ; 518 une chevelure trop longue serait disgracieuse. Si Patrocle dans les Heroïca porte les cheveux ni trop longs ni trop courts, μέτρα ἐπαινῶν κόμης; (XIX, 15), ce n'est point par humilité ; on remarquera que dans l'une et l'autre description, cette circonstance se trouve unie à des détails de l'ordre physique.

(f). Tu l'entendras pousser son cri d'adieu, τετριγοίας αὐτῆςς, le cri que les âmes font entendre dans Homère. Le poète le compare au cri des chauves-souris (Od., XXIV, 519).

V. — LES COUDÉES.

(a). Προσάγεται οὖν καὶ οἷον ἔρχεται αὐτῷ ἐκ τοῦ ὕδατος βρέφη. On traduit ordinairement: accedunt igitur et velut ex aqua ejus proveniunt pusiones ; ils s'approchent et semblent comme sortir des eaux. Προσάγεται nous paraît avoir ici un sens plus marqué : c'est l'eau elle-même, qui par sa crue amène les Coudées, images de la crue. Le mot οἷον qui a embarrassé Jacobs s'explique alors sans peine ; ils semblent venir au dieu en sortant des flots; l'expression de Philostrate tend à confondre le flot qui monte et l'enfant qui en représente la crue; la phrase équivaut à celle-ci; à mesure que la profondeur augmente, le nombre des enfants semble se multiplier.

(b). Nous avons adopté la correction ingénieuse de Brunn (Symbola philol Bonnens. p. 442)qui lit ἱεροὶ καὶ θειώδεις au lieu de ἱεροὶ καὶ εὐώδεις. C'est la même expression que Philostrate applique plus loin à l'antre d'Àmphiaraos, ῥῆγμα ἱερὸν καὶ θειῶδες;. Cette correction rend inutiles toutes celles qui ont été tentées sur ἱεροί.

(c) . Ἔναυλος a deux sens; il signifie qui retentit des sons de la flûte ou d'un autre instrument; ou qui séjourne, qui habite dans, habituel par suite. Ici on arrive à peu près au même sens, en prenant le mot dans l'une ou l'autre acception.

(d) . On devine qu'il est d'une stature à toucher le ciel, οὐρανομήκης ἐπινοῆσαι. Il importe de remarquer le mot ἐπινοῆσαι, qui n'a nulle part le sens de voir, de remarquer, mais bien de concevoir, d'imaginer.

(e) . En signe d'assentiment. Nous suivons le texte de Jacobs qui met un point après προσνέυων. Seulement Jacobs a tort de croire que par ce mot Philostrate désigne l'air grave et sévère du dieu: προσνεύω signifie baisser la tête pour dire oui; ce quia trompé Jacobs, c'est que Philostrate parle du signe d'assentiment avant d'avoir parlé de la demande.

VI. — LES AMOURS.

(a). Χρυσᾶ καὶ πυρσὰ καὶ ἡλιώδη. Πυρσός indiquant une nuance du rouge, il semblerait que les deux mots χρυσᾶ καὶ ἡλιώδη, qui doivent désigner à peu près la même couleur, dussent être à côté l'un de l'autre. Nous avons conservé dans la traduction l'ordre du grec.

(b). Ποικίλαι ἐφεστίδες désigne proprement un vêtement de dessus, une espèce de manteau. Les Amours, quand ils sont vêtus, n'ont qu'une chlamyde, ou une bande d'étoffe jetée sur les bras et les épaules ; ce ne sont donc pas pour les Amours des vêtements de dessus, puisqu'ils ne se couvrent pas d'autres vêtements, mais l'auteur grec a pu leur donner le nom d'éphestrides par rapport à l'usage habituel de ces vêtements qui se portaient sur la tunique. C'est ainsi que dans une épigramme de l'Anth. (Anth. Pal., IX, 153, 3) ἐφεστρίς; semble désigner la draperie dont s'enveloppera Aphrodite sortant du bain et qui est d'ordinaire jetée sur un vase à parfum : Πῆ Παφίης ἀλάβαστρα καὶ ἡ πάγχρυσος ἐφεστρίς; Ἐφεστρὶς; est un terme générique comprenant 519 la chlamyde: plus loin, un Amour agite sa chlamyde pour effrayer un lièvre. L'etymo-logicon magnum (402,50) et le scoliaste de Lucien (Dial. mortuor., X, 4) disent expressément que l'ephestris est un vêtement de dessus qu'on appelle manduas, chlamys ou porpé. — On peut croire d'après cela que les éphestrides qui sont à terre sont aussi des chlamydes.

(c). D'après les dictionnaires τάλαρος serait une espèce de panier en osier. Rich l'assimile au qualus des Latins, panier servant à mettre la laine ou la vendange. Les τάλαροι dont parle Philostrate, étaient sans doute en métal, puisqu'ils étaient l'œuvre d'Héphaeslos et qu'on y voyait des pierres précieuses enchâssées. L'orfèvrerie ancienne imitait, sans doute comme la nôtre, les ouvrages de vannerie. — Le mot μαργηλὶς, que nous traduisons par perles ne se rencontre pas ailleurs. On a supposé qu'il était la traduction grecque du mot latin margarita.

(d) Πάντες ἐν τοῖς τῆς διαμαρίιας σχήμασι, ils tombent tous dans l'attitude de leur erreur. Nous avons dû, pour être clair, paraphraser l'expression grecque. Le sens d'ailleurs ne paraît pas douteux : ceux qui dans leur élan sont passés par-dessus la tête du lièvre ne doivent pas tomber de la même façon que ceux qui ont cherché à l'attraper avec la main.

(e) .Ποῦ δὴ καὶ κατὰ τί τῶν μήλων ἐκείνῃ ; καὶ est une correction. Welcker comprend : où est-elle et quel rapport cette déesse a-t-elle avec les pommiers? Philostrate répondrait à la seconde question en disant que les Nymphes, mères des Amours qui s'ébattent dans le verger, doivent leur fécondité à Aphrodite, ou bien encore il voudrait faire entendre que les pommiers sont fertiles. Celle explication nous parait subtile ; de plus le texte, lu ainsi, semble singulier. Pourquoi κατὰ si l'on comprend : quid pomorum illi? Westermann traduit : ubi tandem est et quanam horti parte? Il comprend comme nous par conséquent ; mais en maintenant la ponctuation de Jacobs et Kayser, il rend ἐκείνῃ inintelligible. Nous proposons de mettre le point et virgule avant ἐκείνῃ et de considérer ce mot comme une réponse. Ubi est et quanam horti parte? illac, et le sophiste indique du doigt la grotte d'Aphrodite.

(f) Le mot toujours n'est pas dans le texte. Jacobs le rétablit dans la phrase grecque. Le mot εὔχονται, ils prient,ils souhaitent, contenant l'idée d'avenir, les Grecs n'avaient sans doute pas besoin d'y ajouter un adverbe de temps. Le verger est beau; ils demandent qu'il soit beau; on entend sans peine, ils demandent qu'il reste toujours aussi beau.

VII. — MEMNON.

(a). Ce fameux frêne d'Achille, je suppose. Le texte porte simplement le frêne. Chiron avait abattu un frêne du Pélion pour en faire une lance à l'usage d'Achille.

(b). Attestant que le héros avait l'âge de son vainqueur. Les anciens s'apitoyaient sur Achille qui était mort jeune. Philostrate veut faire bénéficier Memnon de cette pitié ; de là le tour un peu embarrassé dont il se sert. Il semblerait en effet qu'il eût été plus simple de dire : un léger duvet, attestant la jeunesse du héros. Philostrate tient évidemment plus à rappeler la mort prématurée d'Achille que celle de Memnon.

(c). Tous les manuscrits donnent: καί ἐστιν ἐπὶ τέρμασι τῆς γραφῆς σπουδή, ce qui ne paraît pas présenter un sens plausible. Jacobs corrige: ποῦ δὴ καὶ κατὰ τί τῆς γῆς τάφος,etc. Welcker supprime le premier τάφο; comme inutile, Kayser supprime σπουδὴ καὶ τί τῆς γῆς comme des mots parasites qui ont été introduits dans le texte par imitation d'un passage du tableau précédent. L'opinion de Welcker nous parait plus vraisemblable en présence de l'unanimité des manuscrits. D'ailleurs, ces mots ποῦ δὴ κατὰ τί τῆς γῆς; ne constituent pas la seule ressemblance de ce passage avec 520 le passage correspondant du tableau des Amours. — Les mots : « Tourne les yeux vers Aphrodite » qui précèdent: « Où est-elle? en quelle partie du verger?  répondent tout fait à la phrase : « Et regarde, le corps a été enlevé. Memnon est sur les confins du tableau. »

(d). Son attitude est celle, etc. Philostrate compare le Memnon du tableau (celui du premier plan) au colosse d'Éthiopie; ils se ressemblent, dit-il, à cela près que le colosse est assis. Celte réflexion semble prouver que le Memnon du dernier plan n'était pas représenté sous la forme d'une statue.

IX. — LE MARAIS.

(a). Il y a en grec φλοιόν qui signifie écorce, enveloppe, pellicule. Est-ce le papyrus qui est ainsi désigné? Pline (H. N., XVI, 39) rapproche les mots de papyrus et de calamus ; mais le papyrus provenait surtout d'Égypte et de Syrie, et rien n'indique que le peintre ait eu l'intention de représenter un paysage de ces contrées. Faut-il lire φλοόν? Il s'agirait alors de la fléole, genre de plantes monocotylédones, périspermées, de la famille des Graminées, type de la tribu des Phlioïdées. Ce genre de plantes vient en effet dans les terrains humides.

(b). Μυρίκη, le tamaris. On lit dans Pline, XIII, 37, I : Myricen quam aliiTamaricen vocant, et XXIV, 41, 1 : Myricen quam et Tamaricen vocat Lenoeus, similem scopis Amerinis. Les botanistes modernes placent le Tamaris dans la famille des Tamariscinées, classe des Guttifères; la famille des Myricées appartient à la classe des Amentacées. Μυρίκη dérivant sans doute de μύρειν, couler, les anciens donnèrent ce nom à des espèces qui croissaient au bord des ruisseaux et des rivières, et principalement au tamaris. Les modernes ont restreint le sens de ce mot, et le tamaris a cessé de rentrer dans la catégorie de plantes qu'il désigne. Ce procédé très légitime d'ailleurs, de la science moderne, rend quelquefois très difficile la détermination des plantes nommées par les anciens.

(c) . Le κύπειρος ou κύπευρον des Grecs semble correspondre exactement au souchet des modernes. Ce genre appartient à la famille des Cypéracées, tribu des Cypérées. Le papyrus des anciens, est une espèce de souchet, le souchet à papier.

(d) . Les textes portent αὐξόμεναι ou αὐξανομέναι τοῦ ἄνω. Jacobs avait proposé de lire τῷ ἀνέμῳ, les anciens pensant que les arbres se développent par l'effet même du vent. Mais le simple changement de τοῦ ἄνω en τὸ ἄνω, semble donner un sens suffisant. Comparez Eunape, Vie de Jamblique, p. 71 : κατὰ δὲ τὸ κλέος ἀμφοῖν αὐξόμενον ἄνω et la note de Boissonnade, p. 194. Brunn lit τοῖς ἄνω (Symb. Philol. Bonn., p. 442). Cette correction nous semble forcée. Il faudrait expliquer, croissant sur les montagnes d'en haut, et entendre par là les hautes régions de la montagne ! L'observation de Philostrate parait d'ailleurs exacte. Voir Bernardin de Saint-Pierre, Études de la nature, étude Ve. « Il s'en faut beaucoup que le froid soit l'ennemi de toutes les plantes, puisque ce n'est que dans le Nord que l'on trouve les forêts les plus élevées et les plus étendues qu'il y ait sur la terre. Ce n'est qu'au pied des neiges éternelles du mont Liban que le cèdre, le roi des végétaux, s'élève dans toute sa majesté. Le sapin, qui est après lui l'arbre le plus grand de nos forêts, ne vient à une hauteur prodigieuse que dans les montagnes à glace et dans les climats froids de la Norvège et de la Russie, etc. »

(e) . Où croît l'ache en abondance; sans doute l'apium palustre, l'ache des marais, plante qui ressemble au persil (petroselinum) avec des feuilles plus grandes.

(f) . Comme par jets, οἷον αὐλούς τοῦ ὕδατος. Jacobs a déterminé parfaitement le sens de 521 ce mot αὐλοὺς; à l'aide de deux passages, l'un d'Homère (Od., XXII, 18), l'autre d'Athénée (V. p. 189).

(g). Il est difficile de savoir quel est le genre de plante désigné sous ce nom par Philostrate et les anciens. Les fleurs de l'Amarante sont bien en effet disposées en panicule ou en épis composés; mais l'amarante ne croit pas d'ordinaire dans les lieux marécageux. Biaise de Vigenère traduit par passe-velours, qui est le nom vulgaire de la Célosie; mais cette plante ne se plait pas non plus dans les terrains humides. Dioscoride (IV, ch. v) dit qu'on appelle Amarante une plante nommée aussi élichryse et chrysanthème ; mais les chrysanthèmes, outre qu'ils ne sont point des plantes aquatiques, ne présentent point de fleurs disposées en épis.

(h). Les anciens appelaient nome une sorte d'air assujetti à une cadence toujours la même. Le nome orthien était consacré à Pallas (Dio Chys. or., I, p. 45) et usité avant la bataille pour animer le courage des soldats ; il se distinguait des autres nomes par la vivacité du rythme.

X. AMPHION.

(a). Le texte porte : ἀφῆκε κατὰ των λίθων τὰ μέλη, littéralement, il lança les accords contre les pierres ; les accords sont considérés comme des espèces de messagers qui vont porter aux pierres l'ordre du musicien. Nous avons dû renoncer à cette image dans la traduction française, et nous servir d'une expression commune, afin de ne pas être moins concis que l'auteur.

(b). Iliade, IV, 105. — Les anciens étaient divisés sur le sens de ce mot ἴξαλος. De toutes les significations données par Eustathe la plus vraisemblable paraît être celle de bondissant. Homère joignant cette épithète à celle d'ἄγριος, sauvage, ἴξαλος désigne peut-être la vigueur du bond chez un animal sauvage.

(c) . Ἐς τὰ οἰκεῖα, pour les choses qui lui sont propres. Olearius veut qu'il soit question des flèches qui étaient, dit-il, faites de corne. 11 renvoie à un passage de l'Iliade (XI, 385) fort controversé. Il s'agit bien plutôt de l'arc: dans le passage de l'Iliade, auquel est emprunté le mot ἴξαλος, Homère ne parle point des traits, mais de l'arc de Pandaros qui avait été fait avec les cornes d'un bouc (Il., IV, 105 et suiv.).

(d) . Δεινὰ ἐναράξαι. Westermann traduit gravia in ipsa irruenti, ce qui semble donner à ἐναράξαι le sens d'un passif. Mais l'infinitif après δεινὸς a ordinairement le sens actif, δεινὸς λέγεινν, habile à parler ; δεινὸς ἐναράξαι, terrible à frapper, capable de porter un coup terrible.

(e) . Que forment les montants. Nous avons ajouté ces mots au texte pour plus de clarté.

(f) . Sur toute sa surface des cercles irréguliers, λαγαροὺς περιβέβληται κύκλους. — On serait tenté de croire que l'expression de λαγαροὶ κύκλοι désigne une espèce de lyre particulière. Eustathe dit en effet (Odyss., p. 1464): ὅτι δὲ κοιλότητά τινα ἡ λαγαρότης συμαίνει, δῆλον ἐκ τοῦ λαγαρόκυκλος λύρα ἢ κίθαρα. Toutefois il semble, d'après le contexte, qu'il s'agisse ici des taches circulaires de l'écaillé.

(g) . Enserrent des ombilics de couleur blonde, ξανθοῖς τοῖς ὀμφαλοῖς. Voici la note de Jacobs : « Quid sint in ea parte lyrae quam Noster testudinem vocat, non satis apparet. In proximis quidem ὀμφαλοί sunt umbilici sive κόλλοπες quibus chordae aptantur. At illi sunt in jugo. Num igitur in circulis illis quibus distincta, media pars tanquam in scutulis eminebat, eaque eminentia ut umbo ὀμφαλός vocatur? At scrupulum injicit hoc quod statim idem vocabulum de alia re usurpatur. » Deux sens donc selon le commentateur; par ὀμφαλοί il faudrait entendre ou les chevilles qui servent à tendre 522 les cordes ou la partie de l'écaillé limitée par chaque cercle et bombée à son centre. Ce sens seul est admissible, après la mention que Philostrate a faite de taches circulaires. L'objection que se fait Jacobs à lui-même ne prouve qu'une chose, c'est que, dans la phrase suivante, il faut prendre ὀμφαλοί dans le même sens ou adopter un autre mot. — Voir la note suivante.

(h) Portée par le chevalet, la partie inférieure fait saillie et vient à la rencontre des ombilics; Toῖς ὀμφαλοῖς ἁπαντῶσι. On peut supposer que dans la lyre décrite, les cordes s'arrêtent à la partie supérieure de l'écaillé; cette disposition se rencontre dans quelques lyres que nous présentent des peintures de vases (Voir Lenormant et de Witte, Elite céram., H, pl. 86 ; Guhl et Köner, Das Leben d. Griech. u. d. Römer, p. 237, f. 236. — Félis, Hist. de la Musique, III, 253, 3). Peut-être faut-il substituer à ὀμφαλοῖς le mot ὀφθαλμοῖςς que donnent l'Epitome palatina et le Vaticanus, 87. Ὀφθαλμοί signifierait alors les trous dans lesquels les cordes sont passées et fixées à la table d'harmonie. Les exemples tout à fuit identiques manquent, non les analogues; ainsi on appelait ὀφθαλμοί les trous pratiqués à la proue des vaisseaux et par lesquels on passait les cordages des ancres.

(i). Au-dessous du joug, on dirait (je ne vois rien de mieux pour les décrire) qu'elles se sont couchées tout de leur long sur la lyre, τὰ δὲ ὑπὸ τῷ ζυγῷ κοῖλα δοκοῦσιν, σχῆμα που τοῦτο αὐτῶν ἀναλογώτατον, ἀνακικλίσθαι σφᾶς ὀρθὰς ἐν τῇ λύρᾳ. Kayser et Weslermantl, et avant eux Jacobs, mettent un point après δοκοῦσιν, ce qui rend la phrase tout à fait inintelligible. Nous considérons le membre de phrase σχῆμά που τοῦτο αὐτῶν ἀναλογώτατον, comme une parenthèse, et c'est la manière de les figurer, de les représenter, σχῆμα, la plus Conforme à la vérité ἀναλογώτατον ; ἀνακεκλίσθαι, dépend de δοκοῦσιν, elles paraissent s'être couchées, s'être comme rejetées en arrière; le sophiste oppose la partie rentrante, pour ainsi dire, des cordes, à la partie saillante qui est supportée par le Chevalet, μαγάδι.  Τὰ ὑπὸ τῷ ζυγῷ κοῖλα est opposé à νευραὶ δὲ τὰ μὲν ἐπὶ μαγάδι; d'un côté les cordes reposant sur le chevalet ; de l'autre les cordes qui s'étendent dans la partie creuse, vide, que les montants laissent entre eux et le joug. — Les cordes étaient couchées bien droites sur la lyre : Olearius dit à ce propos : « nempe in lyris quarum forma erat nostris testudinibus non absimilis qualem Mercurii fuisse aiunt, non ὀρθαί fides sed quae ex testudine versus cornua continuabantur ». Jacob avoue ne comprendre ni le texte de Philostrate, ni l'explication d'Olearius. Nous croyons avoir donné le sens du passage de Philostrate. Quant à la note d'Olearius, il est aisé de la comprendre. Le savant commentateur veut dire certainement que dans certaines lyres, les cordes en s'éloignant du corps de la lyre, de l'écaillé de tortue, s'écataient les unes des autres et se rapprochaient des montants. Les peintures de vases offrent de nombreux exemples de cette disposition (Voir Gerhard, Auserl. Vaseng^ I, pl. 2). — D'après Fétis (Hist. génèr. de la Musique, III, p. 250) la lyre trouvée par lord Elgin et conservée au Musée britannique aurait eu sept cordes disposées de la même façon. Philostrate, selon Olearius, ferait remarquer que les cordes étaient droites sur la lyre d'Amphion.

(j). Ψάλλει καὶ [ἡ ἑτέρα χείρ] τείνει τὸν νοῦν ἐς τὴν πητίδα. Jacobs a proposé de retrancher ἡ ἑτέρα χείρ qui ne se comprend guère avec τείνει τὸν νοῦν, et qui paraît s'être glissé dans cet endroit par l'erreur d'un copiste, trop préoccupé de l'une des dernières phrases du même morceau, où se trouve en effet ἡ ἑτέρα χείρ. Mais ne peut-on pas lire, sans rien retrancher, ψάλλει ἡ ἑτέρα χεὶρ καὶ τείνει ? — ἡ ἑτέρα χείρ désigne ordinairement la main gauche; mais c'est justement avec cette main que le musicien pinçait les cordes de la lyre. — Jacobs fait d'ailleurs remarquer avec raison que πηκτίς; désigne la lyre et non le plectre.

(k). Οἱ τῶν ἀποθέτων ποινταί. Heyne avait cru qu'il s'agissait ici de vers peu connus et peu lus. D'après le scoliaste (cité dans l'édition de Kayser, p. 44, col. 1, 388, les 523 poètes qui ont précédé et suivi Homère auraient été appelés ἀπόθετα, parce qu'ils ont raconté des faits passés sous silence par Homère. Welcker entend par τὰ ἀπόθετα, les hymnes sacrés dont les recueils étaient conservés par des familles sacerdotales. A l'appui de son opinion, il cite un passage de Platon, dans le Phèdre, où on lit deux vers sur l'Amour, empruntés, dit le philosophe, par les Homérides, aux vers apothétes; or ces vers d'un caractère mystique rappellent l'école orphique. Plutarque énumérant dans son Traité de la Musique, les anciens airs joués sur la flûte et la cithare (De Music, 4) nomme entre autre l'apothête. D'un autre côté Pollux (IV, 65) dit que cet air est employé pour les hymnes sacrés. De ses diverses citations et du sens même du mot ἀπόθετος, désignant toujours dans Philostrate et dans les autres auteurs quelque chose de secret, de mystérieux et de sacré (Philostr., V. Soph., II, 16 ; Plat., Symp., VIII, 8, 2), il semble résulter que Welcker a raison contre Heyne et le scoliaste.

(l). Kayser a conservé l'ancienne leçon οὐ γὰρ ἀφ' ἑνὸς φέρει χρώματος. Westermann lit avec raison ἐφ' ἑνὸς μένει χρώματος. Un passage d'Aristénète (1,11, p. 29), qui a imité et copié même en partie cette phrase de Philostrate, apermis de restituer à peu près sûrement le texte de notre auteur. Boissonnade cependant [ad Aristenetum, p. 394) propose φαίνιι aulieu<pip« et dep.mt.

(m). Τῇ δεξιᾷ δὲ παραπήττων τὰς νευρὰς, καὶ ἡ ἑτέρα χεὶρ ἐν... Tel est le texte de Jacobs, de Kayser, de Westermann. Cependant les mots ψάλλω et παραπλήττειν ne peuvent guère aller ensemble ; ψάλλειν, c'est pincer les cordes de la lyre; παραπλήττειν, c'est les frapper avec l'instrument de percussion appelé plectre. Il semblerait donc qu'il faut ponctuer avec le manuscrit de Florence, παραπλήττων τὰ νευρὰς, ψάλλει καὶ ἡ ἑτέρα χείρ. On remarquera que παραπλήττων n'est point isolé, qu'il peut se construire naturellement avec le verbe qui le précède, κάθηται; en outre, que c'est bien la main gauche qui pince les cordes, dans toutes les représentations de joueurs de lyre, et que c'est la main droite qui les frappe avec le plectre.

(n). Ce n'est point le geste, l'action d'étendre la main, qui parait surprenante en peinture, à Philostrate ; c'est l'artifice par lequel la main semble sortir du tableau. Le mot ἀπαυδαθιεῖσθαι ne saurait tromper ; la sculpture seule, croyait-il, avait montré une telle audace ; ce n'est point une audace chez le sculpteur, qui ne saurait dissimuler la saillie ; il semble au contraire qu'on puisse vanter l'audace du peintre, quand avec des éléments sans profondeur il donne la sensation du relief. Philostrate veut donc dire : ce que le sculpteur jusqu'ici avait seul pu faire, un peintre l'a osé.

XI — PHAÉTHON.

(a). Mot h mot, le globe du soleil se précipitant vers la terre entraîne les astres. Philostrate semble emprunter son expression à Homère (Iliade, VIII, 485) qui sans doute regardait les astres comme formant dans le ciel une vaste procession, si bien que les premiers semblaient entraîner les derniers.

(b). Ἐκπίπτει δὲ τὸ μειράκιον, καὶ καταφέρεται. Τήν τε γὰρ ἐμπέρησται καὶ τὰ στέρνα ὑπετύφεται. Le jeune homme tombe: en effet sa chevelure est embrasée, etc. Le γὰρ parait singulier: Wiescler (Phaéton, p. 12, η. I) se demande s'il ne faut point rétablir après καταφέρεται un mot comme καταρεκαυνώθεν, foudroyé. Il rejette d'ailleurs cette correction, non pas comme inutile ou bizarre, mais parce que, selon lui, Phaéton, dans le tableau de Philostrate, est brûlé et étouffé par le feu du soleil, non par la foudre ; la phrase où se trouve γὰρ est alors destinée à expliquer la manière dont Phaéton est tombé du char ; et signifie à peu près : en effet l'ardeur du 524 soleil l'a contraint à lâcher les rênes..., etc. Le mot foudroyé n'est pas dans le texte, et il serait étonnant qu'un mot si long, surtout en grec, ait été passé par le copiste; mais l'idée qu'il exprime était certainement dans l'esprit de Philostrate ; de là vient l'emploi de γὰρ. Si Philostrate ne parle point expressément de la foudre, c'est que tous les anciens connaissaient la fable qui attribuait au feu céleste la mort de Phaéthon. Wieseler lui-même ne cite aucune version différente.

(c) . Ζηφυρῷ τε χρήσονται ἐλαφρῷ καὶ ἐνοδίῳ La correction de ἐνοδίῳ en εὐδίῳ, proposée par Heyne, adoptée par Jacobs, semble inutile. Zéphyre est rapide ; aussi les cygnes le trouvent-ils partout sur leur route, en allant des bords de l'Éridan à ceux de lister. Ce détail semble s'accorder mieux que le souffle paisible du Zéphyre avec la pensée de Philostrate, qui nous parle d'une espèce d'alliance entre les cygnes et le Zéphyre pour pleurer Phaéthon.

(d) . Ὥστε ὥρα καὶ ψάλλειν. Jacobs semble admettre la correction de Welcker, ὥστε, ὅρα, καὶ ψάλλειν. Cependant il ajoute: « Similiter de tempore dici ad canendum invitante in Vita Apoll, VII, 11. p. 287 : οἱ μὲν τέτιγες, ὑποψαλλούσηνς αὐροῦς τῆς ὥρας (τῆς μεσεμβρίας  scil), ἐν ὠδαῖς ἦσαν. D'après cette citation il faudrait lire ὥρα, et entendre par là que l'heure, une certaine heure de la journée, invite les cygnes à chanter, Ὥρας semble plutôt avoir été mis et dans ce passage et dans le tableau de Phaéton pour αὔρα, le souffle du zéphyr, qui tire des sons des ailes du cygne. Voir Boissonn., Heroica, p. 643.

(e) . Le texte porte ῥίζας βαλλομένη ταῖς κορυφαῖς. Nous renonçons à comprendre ce mot κορυφαῖς. Les racines ne sauraient se trouver à côté de la cime. Jacobs a proposé παρυφαῖς, correction approuvée par Kayser et Westermann ; il faudrait donc traduire « sous la bordure des robes naissent des racines ». Παρυφή est en effet une frange ou raie de couleur des robes antiques. Jacobs cependant, peu satisfait de cette conjecture, se demandait s'il ne fallait pointure σφυροῖς, sous les chevilles, sous les pieds. Wieseler (Phaet., p. 22, note 1) croit que l'altération a porté sur un mot comme κόραi, jeunes filles, et remplace κορυφαῖς par ταῖς τῶν κορῶν πέζαις;. Brunn (Symb.Philol. Bonn., p. 414) propose ἀκρωνυχίαις;, les extrémités. Ne pourrait-on pas lire ὀρυκταῖς ou ὀρθχαῖς; fossuris, les cavités de la terre? C'est le mot qui se rapproche le plus du mot donné par les manuscrits. Le sens est plausible ; Philostrate dirait que les racines creusent le sol, s'ouvrent un passage dans la terre.

(f) . Si nous comprenons bien ce passage, Philostrate veut dire que les larmes des Héliades, semblables à la résine que distille l'écorce de certains arbres, se solidifient à mesure qu'elles descendent plus bas. Dans les yeux, elles sont liquides ; sur les joues, elles ont déjà pris plus de consistance ; sur la poitrine, c'est de l'or, ou plutôt de l'ambre, substance qui présente, suivant les variétés, toutes les nuances du jaune.

(g) . Κόλπον ὑπέχει. On ne peut guère entendre par κόλπος que le pli de la robe étendue pour recevoir Phaéton dans sa chute. Il ne peut être question de la poitrine: Philostrate n'aurait pas dit que le fleuve étendait la poitrine, mais bien les bras. D'ailleurs les fleuves étaient quelquefois représentés vêtus ; tout le monde se rappelle l'image du Nil, dans Virgile (Ε/ι., VIII, 712): Pandentemque sinus ac tota veste vocantem. Le mot χρῶμα qui se trouve dans la plupart des manuscrits, au lieu de σχῆμα, et que maintient l'édition de Kayser, s'explique difficilement. Wieseler (Phaét.,22, n. 2) propose τὸ παραχρῆμα δεξόμενος, à la place de τὸ γὰρ σχῆμα OU χρῶμα δεξαμένοι. Il est certain que l'emploi de l'aoriste est singulier. L'Éridan n'a pas reçu, mais il va recevoir Phaéton dans sa chute. Quant à τὸ παραχρῆμα, aussitôt, c'est un mot qui semble inutile; l'Éridan étend le pli de sa robe pour recevoir Phaéton ; viendrait-il à l'esprit de quelqu'un de dire « pour le recevoir immédiatement»? En prenant le futur sans changer le cas, δεξομένου, nous conservons σχῆμα. Philostrate veut dire sans nul doute: c'est l'attitude naturelle en pareil cas.

525 (h). Γεωργήσει II cultivera ; expression bizarre : Philostrate veut dire que, de même que le jardinier recueille les fruits des arbres plantés et cultivés par lui, de même l'Éridan recueillera l'ambre produit par les peupliers de ses bords. Jacobs, en expliquant γεωργεῖν par « rigando colere », nous parait s'éloigner du véritable sens.

(ι). Ψήγματα; rognures. Jacobs: « Sic dictae Heliadum lacrimae ob similitudinem cum auro. » La comparaison est plus complète encore: Philostrate assimile l'ambre, recueilli dans les eaux, à ces paillettes d'or que roulent certains fleuves.

XII. — LE BOSPHORE.

(a). Τὰ δὲ ἐπὶ τῇ ὄχθῃ γύναια, Kayser pense que ces mots ont été empruntés à la description précédente pour combler, tant bien que mal, une lacune du texte. On peut conjecturer d'un autre côté que la lacune était plus considérable ; plus loin, en effet, Philostrate semble dire qu'il avait promis de parler des pêcheurs. Cette promesse ne se retrouvant nulle part était sans doute exprimée dans les phrases du début. L'accord des manuscrits est, il faut le dire, contraire à ces deux suppositions-, la description commence partout de la même manière, et quanta la promesse, on peut à la rigueur comprendre que Philostrate s'était fait la promesse à lui-même, sans l'exprimer. La description commence un peu brusquement; mais cela se comprend de la part d'un auteur qui a le tableau sous les yeux ; il parle du premier objet qui s'offre à sa vue.

(b). Le stade olympique, celui dont il est sans doute question ici, est de 185 mètres ; par conséquent le Bosphore serait large d'environ 740 mètres d'après Philostrate. On sait que la largeur de ce détroit varie de 250 à 3,000 mètres.

(c) . Πεῖσμα βάλλονται. Olearius et Westermann traduisent : Jam ancoram demittunt. Il n'est pas question ici de l'ancre, mais de l'amarre qui servait à fixer le navire ou la barque au rivage. Le vers d'Homère (Od., IX, 136): Ἐν δὲ λιμὴν εὔορμος, ἓν' οὐ χρεὼ πείσματός ἐστιν, οὔτ' εὐνὰς βαλέειν, montre bien la différence entre l'amarre et l'ancre,
entre πεῖσμα et εὐνή.

(d) . Ἀνδρῶνας. Le dictionnaire de Rich au mot Andron, définit ainsi cette partie de la maison grecque : « Elle consistait en une cour (αὐλή), entourée de colonnades, autour de laquelle étaient disposés les divers appartements exigés pour le service du maître... » Il y a là une erreur assez grave : Vitruve (VI, 7) donne le sens du mot ἄνδρών. « Graeci ἀνδρῶνας appellant oecos,ubi convivia virilia solent esse, quod eo mulieres non accedunt. » Les Grecs désignent par άνδρώνας les grandes salles où les hommes font habituellement leurs festins et où les femmes ne pénètrent point. Ces salles, il est vrai, s'ouvrent au midi par des portiques appelés ἀνδρωνίτιδες, mais il ne faut pas les confondre ni avec la cour ni avec le portique.

(e) . Bâti de pierres jaunâtres, κιρροειδής. D'après des passages d'Aulu-Gelle (II, 26; XIII, 29), de Pline (XIV, 9), de Galien (Meth. Med., 12), κιρρός désigne une couleur intermédiaire entre le rouge et le jaune.

(f) . Καθιεμένων ἐς αὐτὴν τῶν ὀφθαλμῶν ; quo fit ut magis etiam nigricare mare videatur, in ipsum demissis oculis. Ainsi traduit Westermann qui reproduit à peu près la traduction d'Olearius. On peut se demander pourquoi la mer parait plus sombre, plus bleue ou plus noire, à ceux dont le regard s'abaisse. Mais elle doit sembler d'une couleur plus foncée au pied de cette falaise qui s'avance au-dessus des eaux ; καθιεμένων aurait été alors employé par Philostrate pour dire que le regard pénétrait sous la crête en saillie de la falaise.

(g) . Il y a dans le grec, ὁ δὲ κροτεῖν φησι. Comme le fait remarquer Jacobs, cette expression a le sens de plausum edens repraesentatur.

526  h). Γελᾷ κατὰ τοῦ κώμου, elle se rit du cômos. Voir sur le cômos, p. 205 et suiv.

(i). A nager pour aborder. Le texte porte simplement νεῖν, à nager. Nous avons cru devoir ajouter « pour aborder» afin de préciser le sens. Les barques ne peuvent approcher ; les jeunes gens, s'ils veulent accomplir leur projet d'enlèvement, seront forcés de se jeter à la nage. νεῖν, opposé à πλεῖν, ne peut avoir le sens de naviguer, la phrase ne présenterait plus de sens. On ne peut l'entendre non plus dans le sens français du mot nager appliqué aux embarcations, « ramer pour voguer sur l'eau », puisque le mouvement des rames est suspendu. Il ne reste plus dès lors, que le sens que nous avons adopté.

(j). Καὶ τὰ ὄντα, καὶ τὰ γινόμενα, καὶ ὡς ἂν γένοιτο ἔνια. C'est la leçon de tous les manuscrits ; seule, l'epitome Vossiana donne ἐκμέμακται γὰρ ἡ γραφὴ τὰ γενηθέντα καὶ τὰ γενόμενα ; Olcarius traduit : et quae sunt et quae fiunt et ut quaedam fieri possint ; Westermann se contente de changer le dernier membre de phrase en ut fleri nonnulla possunt. Il faudrait donc traduire en français, ce qui est, ce qui se passe, et la manière dont certaines choses peuvent se faire ! Nous cherchons vainement dans ces derniers mots un sens plausible. Comment la peinture peut-elle exprimer la manière dont les choses qui ne se font pas peuvent se faire? Faut-il comprendre que le peintre avait représenté certains objets, tels qu'on les rencontre dans la nature, et d'autres qui ne sont que simplement possibles? Mais rien ne présente, dans la description de Philostrate, un tel caractère. Nous croyons que Philostrate distingue dans le tableau les trois moments de la durée, le passé, le présent et l'avenir; le présent est désigne par τά ὄντα, le passé par τά γενόμενα (qu'il est nécessaire, dans cette conjecture, de substituer à γνόμενα, mais l'altération de γενόμενα, portant sur une lettre, n'a rien d'invraisemblable), et l'avenir, par ὡς ἂν γένοιτο ἔνια. Pourquoi cette tournure, « comment certaines choses se passeraient » et non pas tout simplement τὰ γενησόμεναα, ou τὰ ἐσόμενα, comme dans le vers bien connu d'Homère :

Ὃς ᾔδη τὰ ἐόντα, τά τ' ἐσσόμενα πρό τ' ἐόντα ?

C'est que Philostrate ne veut pas dire précisément que le peintre a représenté les choses de l'avenir, mais qu'on pressent, à la façon dont il représente les choses du présent, comment se passeront celles qui suivront. Par exemple, les jeunes gens vont débarquer, ils enlèveront la jeune femme, et la ramèneront dans leurs barques jusqu'à la ville.

(k). Hiéron. Quel est le lieu ainsi désigné par Philostrate? Il semble qu'il y ait eu dans le Bosphore de Thrace deux points connus sous ce nom. Dans les Vies des Sophistes, Philostrate parle d'un temple ἱερόν placé à l'embouchure du Pont, παρὰ τὰς ἐκβολάς. Or l'embouchure du Pont, considéré comme un fleuve venant du Pont-Euxin, se trouvait près de la ville de Byzance, désignée d ailleurs dans le même passage du sophiste. D'un autre côté Hérodote (IV, 87) dit que le pont jeté par Darius sur le Bosphore était à moitié route entre Byzance et le temple élevé à l'entrée du détroit, ἐπὶ τῷ στόματι. Il s'agit ici évidemment d'un point situé, en Europe ou en Asie, à l'extrémité septentrionale du Bosphore. D'un autre côté Polybe, décrivant le Bosphore, s'exprime ainsi (IV, 39) : « En sortant du Pont, on rencontre l'endroit appelé Hiéron (τὸ καλούμενον Ἱερόν) ; c'est là, dit-on, que Jason, au retour de Colchide. sacrifia aux douze dieux ; c'est un lieu situé en Asie, séparé de la côte d'Europe par un bras de mer de douze stades et faisant face à la place de Sérapieion, en Thrace. Ce Hiéron répond assez à celui dont parle Hérodote, et tout à fait à celui que décrit ici Philostrate : «< Là tu aperçois, je pense, un temple entouré de colonnes, et à l'entrée du détroit, le fanal élevé qui sert de guide aux navigateurs venant du Pont »

(l). On lit dans le texte : « ἱκανὼς γάρ μοι τὰ τοῦ βοσπόρου διανενόηται » τί φήσεισ; λέλοιπέ με 527 τὰ τῶν ἁλιέων etc. Weetermann traduit! « Satis enim quae ad Bosporum pertinent consideravi. » Quid dicis ? restat ut exponam de piscatoribus. Différentes corrections ont été proposées, l'interrogation  τί φήσεις, paraissant rompre mal à propos la suite du discours. Cette critique ne nous semble pas très fondée ; aussi rejetons-nous les corrections. Tu prétends, dit Philostrate à l'enfant son interlocuteur, que je t'ai parlé trop longtemps du Bosphore, et tu semblés t'en plaindre ; que diras-tu, quand tu vas m'entendre te décrire la pèche du thon, qui a lieu aussi dans te Bosphore? mais je ne puis me dispenser de cette description.

(m). Nulle part cette promesse n'a été faite par Philostrate. Olearius donnait à ἐπηγγείκαμην, le sens de « je m'étais promis ». Mais ce serait le seul exemple du verbe ἐπαφφέλλεμαι employé avec cette signification. Jacobs pense que les premières lignes de la description nous manquent, et c'est la conjecture la plus vraisemblable. Voir plus haut la note a.

(n). C'est l'ordre décrit aussi par Plutarque, De solertia animal, 979 f. Trad. Ricard, Œuvres morales, IV, 531. Quant à l'usage d'épier ainsi les thons, il était très connu dans l'antiquité. Aristophane compare Cléon épiant les revenus de l'État pour les dévorer au pécheur guetteur de thons; φόρους θυνησκοπεῖς (Equites, v. 313). Voir aussi Elien, H. Α., XV, 5.

(ο). Βαθεῖ δικτύῳ, un filet profond ; sans doute un filet qui descend profondément sous l'eau. Ce devait être un engin assez semblable au thonaire de poste dont se servent les pécheurs provençaux pour prendre le thon et qui mesure 3m,84 sur 9m,60.

XIII. — SÉMÉLÉ.

(a) . Τίκτεται, οἶμαι, νὴ Δία, πρὸς τὸ πῦρ. Nous adoptons le sens proposé par Jacobs. Le feu donne la mort à Sémélé, et le jour à Dionysos. Si on traduisait πρὸς τὸ πῦρ par « dans le feu »y « auprès du feu », les expressions de οἶμαι et de νὴ Δία, qui marquent l'étonnement, ne seraient pas assez justifiées.

(b) . Σκιαγραφεῖ. Ce mot désigne un simple dessin au trait (Phil., Vit. Αρ., 2, 28 et 1, 2). Il semble s'être dit aussi de tout ce qui était obscur, effacé, à peine visible, comme le prouve cette phrase, citée par le Thésaurus d'Henri Estienne, σκιαγραφούμενον τὸ ἀμυδρῶς καὶ ὀλιγοστῶς καταλαμβανόμενον (Hemst., Zonarae, p. 1657). L'antre formé par la flamme était donc à peine ébauché.

(c) . Les hélices, ἕλικες. Pline (XVI, 62) et Théophr. (H. PL, 3, 18,6 sq. ; 7, 8. 1) distinguent trois espèces, de lierre et donnent le nom d'ἕλιξ à l'une d'elles.

(d) . Εἰ στεφανοῖ τὸ πῦρ ἐπὶ τῷ Διονύσῳ ἡ φῆ. Nous conservons le texte de Jacobs, au lieu de εἰ στεφανοῖτο πῦρ... Ce n'est pas en effet la terre qui se couronne de flammes ; le feu qui a consumé le palais de Cadmos est venu du ciel; mais c'est bien la terre qui fait pousser les plantes, et qui par suite semble mettre sur la grotte de feu comme une couronne de verdure. Le verbe doit donc être à l'actif et non au moyen. On peut du reste ici prendre στεφανοῖ dans l'acception de couronner ou dans celle d'orner qu'il a quelquefois (Phil., V. Α., IV, 7, p. 145. — Στέφεινν dans Soph,, Antig., 431. — Ajax, 93). Le sens de la phrase n'en paraît pas changé.

(e) . Le texte porte simplement : ἐπὶ τῷ Ἀρλτάιωνος, οἶμαι, καὶ Πένθεψς, αἵματι. Le sens n'est pas douteux, mais la phrase est d'une concision qui la rend obscure. Nous avons cru devoir être plus explicite dans une traduction française.

528 XIV. — ARIADNE.

(a). Il y a dans le grec φάσματα. Jacobs entend par ce mot les différents aspects que prenait le dieu, suivant la légende, et cite à l'appui de son opinion un passage de Plutarque (t. II, p. 389 B) et un autre de Macrobe (Sat., 1, 8). Heyne et Welcker veulent qu'il ne soit ici question que des attributs : l'énumération des cornes, des baies de lierre, de la panthère, semble leur donner raison. Cependant les mots ὧν κἃν μικροῦ τύχῃ τις, ᾕρηκε τὸν θέον, s'expliquent assez mal dans cette supposition. Philostrate entend, il nous semble, par φάσματα les formes changeantes qu'affecte le dieu, et, sous ce nom, il comprend aussi les attributs; dès lors il peut dire, si un artiste parvient à fixer par le pinceau une de ces formes variables que Dionysos revêt successivement, il a comme saisi le dieu ; l'image est d'une entière ressemblance. C'est pour employer ce mot d'ᾕρηκε (a saisi, a fixé), que Philostrate se sert d'abord de φάσματα (apparitions, ombres insaisissables, impalpables).

(b). Παρδάλις ὑπερφαινομένη. Panthera apparens, traduit Westermann. Il est assez singulier de voir figurer ici la panthère au même titre que les cornes, les thyrses, les nébrides. D'après Apollodore, Eustatbe et Photius (voir le dict. d'Henri Estienne), Homère aurait écrit πόρδαλις pour désigner l'animal, et πάρδαλις; la peau de la panthère ; dans le dialecte attique πάρδαλις aurait été synonyme de πόρδαλις. Παρδαλίη; ou παρδαλῆ désigne plus souvent la peau de la panthère; mais nous pensons être autorisé par la remarque même d'Eustathe et d'Apoilodore à traduire ici πάρίαλις par peau de panthère. Phurnutus, De N. D., ch. xxvii : Νέβριδα ἤ πάρδαλιν αὐτὸν ἐνῆφθαι. Les éditeurs du dict. d'Henri Estienne pensent qu'il faut lire παρδαλῆν. Mais la conjecture nous parait inutile. Dans la description des statues antiques, le mot de pardalide semble même avoir prévalu pour désigner la peau de panthère. Voir Fröhner, Notice sur la sculpt. ant., n° 240, 244 et passim. D'ailleurs ὑπεκφαινομένη, qui se montre par dessous, ne conviendrait guère, appliqué à la panthère ; au contraire, il s'applique très bien à la peau de l'animal, quand, attachée sur l'épaule, elle laisse voir contre le flanc les griffes et la tête de la panthère.

(c). Μεθύων ἔρωτι. Kayser supprime les mots suivants περὶ τῶν ἀκρατῶς ἐρώντων comme une glose. Ils paraissent en effet inutiles, mais ils sont dans tous les manuscrits.

XV. — PASIPHAÉ.

(a). Quelle espèce de vêtement les anciens désignaient-ils par ce mot τρίβων ? Était-ce un manteau, était-ce une tunique? ni l'un ni l'autre probablement. C'était une pièce d'étoffe grossière, souvent râpée (de là le nom de τρίβων) dont s'enveloppaient les pauvres gens, et les philosophes à leur imitation ; laissée flottante, elle ressemblait à un manteau ; mise en double (Antisthène le premier avait imaginé de la porter ainsi), rattachée peut-être sur l'épaule par une agrafe ou serrée à la ceinture, elle faisait l'office d'une tunique. D'autres vêtements étaient ainsi à deux fins ; Pollux (VII, 47) dit que l'ἔξωμις; est à la fois un vêtement de dessus (περίβλημα) et une tunique ouverte sur un côté (χιτὼν ἑτερομάσχαλος). D'un autre côté l'exomis est quelquefois comparée au tribon.

(b). Ce passage a embarrassé les commentateurs. Comment concevoir, a-t-on dit, que les mouvements des deux amours soient opposés, que l'un se baisse quand l'autre se relève? C'est le contraire qui devrait avoir lieu. Un commentateur a proposé de supprimer toute une phrase comme interpolée ; mais celte phrase est 529 longue et, en outre, se trouve dans tous les manuscrits. Friederichs, si sévère pour Philostrate, prétend que le sophiste, au lieu de décrire le tableau qu'il a sous les jeux, décrit ce qui doit se passer. Cette supposition ne rend pas le texte plus clair. « Les mouvements sont alternatifs, dit Philostrate ; l'un se baisse pour se relever ; l'autre se relève pour se baisser. » Pour se faire entendre, dans la supposition de Friederichs, il aurait dû dire : « Tous les deux sont baissés maintenant, mais ils se relèveront, » ou bien: «Tous les deux sont relevés, mais on voit qu'ils se baisseront.» On peut faire, croyons-nous, deux conjectures. Suivant la première, les deux amours seraient posés sur le sol ; l'un serait chargé de pousser la scie en haut ; l'autre de la ramener vers la terre. L'attitude des deux amours serait ainsi contrastée; mais il faut avouer que cette manière de faire manœuvrer la scie est assez singulière et qu'elle ne se rencontre sur aucun des monuments qui nous présentent des amours occupés à cet exercice. D'après la seconde, nous laisserions un des amours sur le baudet, l'autre à terre, mais celui-ci placé de telle sorte qu'au lieu de se baisser, quand la scie descend, il se rejetât en arrière, laissant à ses mains seules le soin d'accompagner l'instrument. Cette interprétation nous parait s'accorder complètement avec la description que Philostrate fait de ce second amour, surtout quand il dit: t Aspirant l'air d'en haut, appuyant les mains en bas sur la scie, il a le ventre gonflé par l'effort. »

XVI. — HIPPODAMIE.

(a). Nous rendons par deux mots le grec ἔκπληξις, qui, suivant Clément d'Alexandrie (Str. 2, p. 376), désigne une épouvante causée par un spectacle imprévu.

(b). Τέθριπποί τε ἦσαν καὶ ἤδη ἁρματπιται. Jacobs pense qu'il faut lire ἁρματῖτα τε ἤσαν καὶ ἤδη τέθριπποι : ils se servaient déjà de chars auxquels ils attelaient quatre chevaux. Il est impossible de traduire sans adopter cette correction. Le Dictionnaire d'Henri Estienne traduit aplatirai par bigales, bigarii, mais ne donne aucune autorité ; le texte de Philostrate montre que ce mot a un tout autre sens.

XVII. — LES BACCHANTES.

(a) . Littéralement, il est tombé ayant secoué Penthée aux Bacchantes sous l'aspect d'un lion, ταῖς βάγχαις ἐν εἴδει λέοντος. Brunn pense que Penthée était revêtu d'une peau de lion, comme dans une métope de Sélinonte Actéon est couvert d'une peau de biche (Journal de Fleckeisen, 1871, p. 85). La chose est possible ; toutefois il nous a semblé que Philostrate, dans ce cas, aurait parlé plus explicitement. L'expression ἐν ἔδει dans Philostrate (cf. l'édit. de Jacobs, p. 228, note P. 8, 23), signifie avec l'air, sous l'aspect de. Dans le passage qui nous occupe nous croyons qu'il faut construire ἐν ἔδει avec βάκχαις; pour les Bacchantes, il a l'apparence d'un lion.

(b) . Ἐμπλήσας τὴν παρειὰν χόλου. Le sens de cette expression est déterminé par un passage de la Vie d'Apollonius où Philostrate, parlant de Domiticn, dit : «  ἡ δὲ ὀρφὺς ἐπίπειται τῷ τοῦ ὀφθαλμοῦ ἤθει, μεστη δ' ἡ παρειὰ χολῆς (VII, 28). La joue était pleine de colère. Or nous savons par Suétone que Domitien avait l'air modeste, le teint coloré, vultu modesto ruborisque pleno. La rougeur pouvait passer à la fois pour un signe de modestie et de colère.

(c) . Ἐρρώνυντο μὲν ὑπ' αὐτῶν. Jacobs suppose qu'après le mot οἰστρος et avant ἐρρώνυντο, le texte primitif faisait mention des Bacchantes : et dès lors les deux pronoms αὐτῶν et 530 αὐτὰς se rapporteraient au même substantif, et désigneraient tous les deux les Bacchantes. Nous ne voyons pas trop la nécessité de supposer une lacune ;les Bacchantes ont été nommées plus d'une fois ; l'esprit du lecteur remplace sans peine le substantif qui manque. D'ailleurs Jacobs comprend très bien le passage : les hurlements des Bacchantes excitent la colère de Penthée, et l'entêtement de Penthée excite la fureur des Bacchantes. Un grand nombre d'exemples cités par Jacobs prouvent que le verbe ῥώννυμι a été souvent employé dans ce sens d'exciter. Quant à l'idée en elle-même, elle est très claire et parfaitement naturelle : Ovide, dans son récit de la mort de Penthée, l'exprime deux fois, et la développe avec complaisance :

Acrior admonitu est, irritaturque retenta
Et crescit rabies ; remoraminaque ipsa nocebant.
Sic ego torrentem, qua nil obstabat eunti,
Lenius, et modico strepitu decurrere vidi.
At quacumque trabes obstructaque saxa tenebant,
Spumeus et fervens, et ab objice eaevior ibat (M. III, 566).

et plus loin :

Penthoa sic ictus longis ululatibus aether
Movit, et audito clangore recanduit ira.

Ce détail se transmettait sans doute de poète en poète; il faisait partie de la légende poétique de Penthée.

XVIII. — LES TYRRHÉNIENS

(a). Ναῦς θεωρίς, le navire Théoris, c'est-à-dire à l'usage des théories ou processions solennelles envoyées pour consulter un oracle. On nommait spécialement ainsi le navire qui d'Athènes allait à Délos tous les ans depuis Thésée. Ici le vaisseau n'est appelé Théoris que parce qu'il porte le thiase de Dionysos ; peut-être aussi à cause de sa magnificence.

(b) . Le mol βακχεύει employé par Philostrate est bien vague. Signifie-t-il que Bacchus se livre aux mêmes transports que les Bacchantes ? Mais généralement Bacchus, dans les monuments, ne partage point le délire de son cortège; quelquefois on dirait qu'une légère ivresse fait chanceler ses pas, ou appesantit ses paupières. Est-ce en ce sens qu'il faut entendre le mot grec ? Peut-être n'est-il question que de la part qu'il prend aux célébrations de ces orgies : ce sens est plus d'accord avec la suite de la description qui nous représente ce même Dionysos riant de la mésaventure des Tyrrhéniens ; trop aviné ou agité par la fureur bachique, il n'aurait pu avoir le sourire moqueur,

(c) . Καὶ αὐτὸς ὁ Μάρων. Maronée était une ville de Thrace, célèbre par son vin. Dans l'Odyssée, Maron, prêtre d'Apollon dans la ville d'ismarus, donne à Ulysse un vin qui pour être bu devait être mêlé de vingt parties d'eau. C'était donc un vin excellent Or Ismarus et Maronée paraissent, au témoignage de Pline, avoir été la même ville. Philostrate veut sans doute parler et de celte ville de Maronée et de ce même Maron que l'on regarda plus tard comme le fils d'Evanthès ou d'Oenopion ou de Silène ou de Bacchus. (Voir Dict. des antiq., de Daremberg et Saglio, p. 597.)

(d) . Ἐπωτίσι, nous donnons l'explication de ces mots dans le commentaire. Les épotides étaient mobiles (Thuc. VII, 36) ; du moins c'était un appendice que l'on pouvait aisément ajouter à l'armement du navire. Elles servaient à soutenir les ancres 531 (EUR. Iph. T. 1350), On a cru reconnaître ces épotides sur des peintures d'Herculanum. Voir A. d'H. I, pl. 243 et 239; Roux, III, 5e série, pl. 14 et 24. — Voir aussi Guhl und Koner, Das Lebender Griechen, p. 210.

(e) . Τὰ μὲν ἄλλα πέτρᾳ. La singularité de la métaphore avait surpris Jacobs, qui cherchait un nom de monstre de quatre syllabes, à mettre à la place de πέτρᾳ μοι δοκεῖ ou de πέτρα μοι δι (εἴκασθαι). Welcker conservait le texte et défendait la comparaison. Il nous semble qu'il faut conserver le texte, mais condamner la comparaison. Brunn a proposé πηλαρύδι, à un thon (Symb. phil. Bonn. 446). Nous ne croyons pas qu'il puisse être question à celte place d'un poisson. Nous comprendrions ainsi la suite des idées : la poupe ressemble à un poisson; la poupe a un monstre couvert d'écaillés ; l'entre-deux a un vrai navire. Nous lirions donc volontiers Δηλίᾳ Θεωρίδι εἰκασται, Philostrate aurait repris le mot θεωρίς qui est plus haut.

(f) . Le texte de Keyser porte καὶ αὐτὸ τὸ θήριον συμπλεούσας τῷ Διονύσῳ καὶ πηδώσας. Westermann conserve ce texte et traduit : « ipsam feram cum Baccho navigantes et nondum illo jubente in Tyrrhenos irruentes. » Ce pluriel et ce singulier ainsi unis ont, en grec comme en latin, un effet assez étrange. Certains manuscrits, entre autres le Laurentianus, LVlII, 32 et l'édition de Jacobs, écrivent συμπλέον καὶ πηδῶν, mots qui s'accorderaient alors naturellement avec αὐτὸ τὸ θήριον. Dans ce cas, il n'y aurait eu qu'une seule panthère sur le navire. Si on lit συμπλεούσας, il faut en supposer plusieurs, et c'est déjà une difficulté, qu'aggrave, selon nous, la difficulté d'appliquer la phrase selon la grammaire.

(g). Καὶ κελεύει τοῖς Τυρρηνοῖς. Jacobs propose la correction très forcée de καὶ χλεύη ἐπὶ τοῖς... L'ironie est déjà exprimée par le mot γελᾷ. Mais Dionysos ne se contente pas de rire, il encourage les Tyrrhéniens dans leur métamorphose, il les félicite de leur conversion. 11 peut se faire qu'il manque un mot dans le texte grec; mais le sens ne parait pas douteux.

XIX. — LES SATYRES.

(a) , Ἢ μετὰ τὴν ἔριν. Après sa lutte avec Apollon, et non absent pour cause de lutte avec Apollon, comme le voulait Welcker. Sur les monuments, Olympos assiste à ce combat.

(b) . Les manuscrits donnent ᾠδαι δὲ, ou ᾠδαι ὲ μετὰ τὴν αὔλησιν. Il faudrait donc traduire : Olympe chante après avoir joué de la flûte. De là le commentaire de Welcker qui suppose qu'Olympos est assis près de la source. Tous les mots qui suivent, ἀβρὸς ἐν ἀβροῖς ἄνθεσι, et ἕλκων τὸ ἀπὸ τοῦ στέρνου ἆσθμα  (et non φωνὴν) semblent indiquer qu'Olympos est couché. C'est donc une ingénieuse correction que d'avoir substitué καθεύδει à καὶ ᾠδαὶ δέ.

(c) . Σιδήρια ἔτι οἷς ἐπιθρύπτονται οἱ αὐλοί : « Ferreaque instrumenta quibus tibiae poliuntur. » Nulle part on ne trouve ἐπιθρύπτω avec le sens de polir. — Westermann : « Instrumenta quibus tibiae perforantur. » Mais ἐπιθρέπτω signifie plutôt briser que creuser. Peut-être faudrait-il comprendre les instruments qui servaient à Olympos pour couper dansle marécage voisin de Célènes les roseaux dont il faisait des flûtes.

(e) . Θατέρου τοῦ αὐλοῦ τὴν γλῶτταν, la languette de l'une des flûtes ; sans doute la partie de la flûte, qui servait d'embouchure. Pollux, Onomasticon, II, IV, 40, parle et de ces languettes et de la boite, το γλωττοκομεῖον, destinée à les renfermer. Dans un tableau d'Herculanum (Ani. d'/i. 2, p. 125, Roux, V, 2), représentant Apollon et Marsyas, deux flûtes sont à terre près du satyre. Leur extrémité est garnie de petites chevilles qui ne sont autres peut-être que ces languettes dont parle Philostrate. Les 532 deux flûtes égales (tibiae pares) trouvées dans un tombeau d'Athènes et conservées au British Muséum présentent chacune une embouchure séparée (a separate mouth, dans le Dictionn. de Smith). Est-ce la languette, γλῶσσα ?

XX. — OLYMPOS

(a). Καὶ πρὸς τὸν αὐλὸν ὑποέσται. Kayser supprime καὶ et ὑποέσται. Le scoliaste {cod. Paris, 1696) explique par ὑπήκοον ἔσται, l'eau ne t'écoutera pas. Heyne entendait : l'eau ne cessera pas de murmurer pour t'écouter, et supposait un verbe comme ὑποστέλλεται. Welcker, considérant que dans les mots suivants il est fait allusion à la clepsydre, regardait ὑποέσται comme l'altération d'un mot technique voisin d'ὑφίημι et signifiant qu'on laissait couler l'eau ; l'eau de la source n'avait point été mise à courir pour mesurer le temps à Olympos. Rien de plus subtil qu'une pareille interprétation. Brunn (Symb. Phil. Bonnens., p. 444), s'appuyant sur un passage analogue de Callistrate, propose ὑφοῦται ; mais dans Callistrate le sens est complété par ἔρωτι; les flots de la mer, y est-il dit, se gonflent par amour du chant. Nous croyons que le sens du passage est indiqué par le début de la description. Il n'est là, dit Philostrate, ni berger ni chevrier pour t'entendre ; les Nymphes mômes sont absentes, les Nymphes qui danseraient volontiers au son de la flûte. Philostrate veut dire évidemment que l'eau n'entendra pas Olympos, et qu'elle ne s'agitera pas, qu'elle ne dansera pas aux sons de sa flûte. Le mot altéré serait donc ὑπορχήσεται ou un mot analogue.

(b). Πολλὰ δὲ αὐτοῦ τὰ πρὸς τὸν αὐλὸν τὰ  κέντρα. C'est Jacobs qui a précisé et mis hors de doute le sens de κέντρα. Nous ne croyons pas nécessaire de reprendre ses citations et ses raisonnements ; κέντρα signifie donc les rayons qui semblent sortir des yeux. Quant à πολλὰ τὰ κέντρα, c'est une expression équivalente de πολλοῖς ὀφθαλμοῖς τινα περισκοπεῖν, quel'on trouve dans Héliodore, VI, 3, p. 229. Philostrate parle donc de l'attention qu'Olympos donne à son jeu. Cependant, en mettant πολλά et non πάντα, l'auteur veut peut-être indiquer qu'Olympos partage son attention entre son image et la flûte, que néanmoins il regarde plus la flûte que son image.

(c). Ἐπιπόλαιοι γὰρ, etc. — Le sens de cette phrase que Jacobs n'a point comprise ne nous paraît pas douteux. Il s'agit du raccourcissement non réel, mais apparent, que subirait une figure pour un spectateur dont le point de vue serait bien élevé au-dessus du niveau de l'eau. Nous avons insisté sur ce point dans le commentaire. Le mot ἐποπόλαιον est plus difficile à expliquer ; il signifie ordinairement superficielles ; l'auteur veut-il dire que, par suite du raccourcissement, l'objet parait venir comme à la surface? Ou bien faut-il comme Westermann traduire ce mot par parum accuratœ ? en ce cas l'auteur dirait simplement que l'objet est rendu d'une façon inexacte par l'eau qui le réfléchit. Nous avons préféré la première de ces deux conjectures.

XXI. — MIDAS.

(a). Μὴ ἐξεγείρηται καὶ διαλύσῃ τὰ ὁρωμένα, ne expergefactus quœ videmus confundat (Westerm.). Philostrate veut sans doute dire que si le satyre s'éveillait, il mettrait en fuite les Nymphes qui le considèrent. Midas ne fuirait pas puisqu'il est là pour s'emparer du satyre et l'interroger à son réveil.

(b). Οἱ γενναῖοι, belluli (Westerm.).

(c). Ἄκρατοι τὸ αἷμα. Heyne comprenait : toto corpore rubentes* Jacobs explique par : feroidi sanguinis, et compare ἄκρατος ὀργήν dans Esch., Prom. ,699. Il remarque pour- 533 tant que ἄκρατος se dit de la couleur, et qu'on trouve dans les Heroica de Philostrate (IV, 4, p. 702) ὑπέρυθρος καὶ ἕτοιμος τὸ αἷμα. Est-ce pour condamner le premier sens qu'il donne ? Il nous parait cependant avoir raison contre Heyne : ἀκρατος se dit bien de la couleur, mais il faut que le nom de la couleur soit exprimé, comme dans le tableau I, VII: τὸ γὰρ ἀκράτῳ ἐν αὐτῷ μέλαν, et dans Callistr., Stat., IV, ἀκράτ ιω τῷ μέλανι. Or, αἷμα, dans Philostrate, n'est pas employé pour désigner la couleur propre au sang, mais bien les qualités morales que l'abondance du sang suppose. Boissonnade traduit les deux mots cités plus haut des Heroica par subrufus et sanguine promptus, Sthénélos n'a pas le sang à fleur de peau, mais il a l'impétuosité de la jeunesse.

XXII. — NARCISSE.

(a) Quant à cet antre, c'est celui d'Achéloos et des Nymphes. L'Achéloos, fleuve de l'Épire qui sépare l'Acarnanie de l'Étolie, coule loin de la contrée de Thespie où les poètes et les mythologues placent ordinairement la fable de Narcisse. Philostrate se rappelle le passage du Phèdre de Platon (230 b) : " Les statues et les offrandes nous montrent que nous avons devant nous l'antre de quelques nymphes et d'Achéloos. » Comme Socrate qui parle ainsi se trouve sur les bords de l'Illissus, on peut croire que Platon fait également allusion à un passage de quelque poète, que nous ne connaissons pas. Il s'agirait alors d'un antre semblable à l'antre célèbre et vanté par les poètes d'Achéloos et des Nymphes.

(b). Ἀμπέλῳ γοῦν καὶ κιττῷ ἤρπεται καὶ ἕλιξι καλαῖς, mot à mot elle est couronnée (la grotte) de vigne, de lierre, et de beaux hélix. Ἕλιξ désigne en grec tout objet tourné en spirale, les vrilles des plantes grimpantes, par exemple. Il n'est guère admissible cependant que Philostrate, après avoir nommé la vigne elle lierre, finisse sa phrase sans changer la construction, en désignant les vrilles du lierre et de la vigne. Le mot hélix s'applique aussi à une espèce de lierre. Pline (XVI, 62) après avoir distingué le lierre mâle et le lierre femelle, ajoute : « Species horum generum tres : est enim candida, et nigra edera, tertiaque quae vocatur helix. » Nous avons cru que Philostrate avait voulu plutôt désigner cette troisième espèce de lierre que les vrilles du lierre.

(c) . Ὅθεν οἱ θύρσοι. Jacobs suppose qu'il faut lire, καὶ νάθηκος, ὅθεν οἱ θύρσοι. Peut-être faut-il tout simplement faire rapporter ὅθεν à tous les mots qui précèdent ; le lierre, en effet, et les grappes de raisin servaient, non à faire le thyrse, mais à l'orner.

(d) . Κηρῷ. C'est la cire ayant servi pour peindre. Les tableaux décrits par Philostrate étaient donc des peintures à l'encaustique. Voir sur ce genre de peinture, Helbig, Wandgemàlde> XI, et la discussion au sujet de la célèbre phrase de Pline (XXXV, 149): « Encausto pingendi duo fuisse antiquitus genera constat; cera, et in ebore, cestro, id est viriculo ; donec classes pingi coepere; hoc tertium accessit, resolutis ignis ceris penicillo utendi. »

(e) . Ἀνασχεῖν τε αὐτὸν. Welcker : « Dextram lumbo inniti ait Philostratus, simul quo illa Narcissum sustentet, quod sine hoc fulcro qui pedem pede promit facile vacillat, simul quo manu fortiter in lumbum dextrum pressa, nates, quas pro praecipua venustatis parte habet, in alteram partem compactae appareant. » Nous avouons ne rien comprendre à cette explication de Welcker ; d'abord il n'est pas dit que Narcisse a un pied sur l'autre ; en outre, la pression de la main sur la hanche ne saurait en aucune façon soutenir Narcisse qui, d'ailleurs, n'a pas besoin d'être soutenu, puisqu'il s'appuie sur un épieu, avec la main gauche ; enfin ce n'est pas en appuyant, même fortement, la main droite sur le flanc droit, que la hanche peut 534 faire à gauche une forte saillie. Nous croyons que le texte de Philostrate a été mal ponctué; les mots ἡ δεξιὰ δὲ περιῆκται ἐς τὸ ἰσχίον, forment comme une parenthèse; après avoir dit que Narcisse tient un épieu dans sa main gauche, Philostrate ajoute que c'est afin de se soutenir et faire saillir la hanche gauche; aucune attitude n'est plus naturelle ; c'est celle d'un très grand nombre de statues.

(f) . Δεικνύει δὲ ἡ χεὶρ ἀέρα μέν. Le bras montre l'air, nous avons traduit: on aperçoit l'air entre le corps et le bras. Mais nous conservons des doutes sur la correction du texte. La phrase signifie mot à mot : le bras montre l'air, là où le coude s'infléchit, et une ride, là où le poignet se retourne. La ride ou pli du poignet serait donc opposée à l'air : les deux mots ne sont pas du môme ordre! Ne faut-il pas supposer à la place de ἀέρα un mot désignant une partie du corps, une partie du coude? Si les manuscrits n'étaient pas tous d'accord pour donner cet incompréhensible ἀέρα*, nous aurions volontiers proposé ἄρθρα, l'articulation.

(g) . Λοξαὶ δ' ἀκτῖνες. Le dos de la main repose sur la hanche qui reçoit la principale lumière ; l'ombre dans laquelle se trouve la paume de la main est produite par les doigts qui, en s'écartant,laissent passer des rayons de lumière; de là l'expression de αἱ ἀκτῖνες σκίας, les rayons de l'ombre, c'est-à-dire les lignes obscures séparées par des lignes de lumière. Ces lignes obscures étaient naturellement obliques, attendu que les doigts qui se ferment s'infléchissent du côté du pouce. Comparez avec cette expression d'ἀκτῖνες;, le vers de La Fontaine :

Les derniers traits de l'ombre empêchent qu'il ne voie
 Le filet.

(VIII, 22, Le Chat et le Rat.)

XXIII. — HYACINTHE.

(a). Καὶ μή σε λειμὼν ἀναβάλῃ τοῦτο· καὶ γὰρ ἔνταυθα ἐκπέφυκεν, ὅποια τῆς γῆς ἄνεχε. C'est Welcker qui a donné la véritable explication de cette phrase. Voici sans doute la pensée de l'auteur : ayant dit que l'hyacinthe était née du sang d'Hyacinthe, il s'aperçoit qu'on pourrait douter de cette origine, en voyant toute une prairie parsemée de fleurs diverses. Mais il observe que cette fleur n'a pas alors la teinte qu'elle aura plus tard ; c'est le sol qui l'a produite, mais c'est le sang du jeune homme qui l'a colorée, et qui a fait d'elle une véritable hyacinthe ; explication subtile peut-ôtre, mais qui ne l'est pas plus que beaucoup d'autres explications données par la mythologie antique.

(b) . La borne mime du jeu, βαλβίς, etc. —- Ici encore, pour l'explication de tout ce passage, c'est Welcker que nous suivons. La principale difficulté porte sur κουφιζόμενος θάτερον τοῖν σκελοῖν. Welcker a bien compris que les deux jambes étaient sur la même levée, seulement que l'une n'y posait que par les doigts du pied ; κουφιζόμενος qui signifie au propre allégeant prend le sens de supportant à peine, soutenant le poids léger d'un pied à peine posé.

(c) . Τὸ μὲν κεῖται ἐπ' αὐτοῦ γε τοῦ δίσκου, — Tel est le texte de Kayser, ce qui signifierait: Il est couché en partie sur le disque, en partie (τὸ δὲ, etc.) et il y aurait une lacune. Jacobs proposait de lire: τὸ μὲν κεῖται καὶ ἐπ' αὐτῷ τὸ τοῦ δίσκου, il est couché, et sur lui est posé le disque qui l'a tué. Toutes ces suppositions nous paraissent inutiles. Philostrate dit: le disque est venu frapper le jeune homme; celui-ci (τὸ μὲν) est tombé, et tombé sur le disque qui l'a frappé. Il devrait y avoir régulièrement ὁ δὲ pour répondre à τὸ μὲν ; mais la construction de la phrase, amenant δίσκου au génitif, a dispensé l'auteur de recourir à cette locution.

535 ΧΧΙV. — LES ANDRIENS.

(a), Ὡς δόνακα μὲν Ἀχελῷος, Πηνειὸς δὲ Τέμπη φέρει, Πακτωλὸς δὲ ἀνθη λοιπόν. — L'Achéloos produit des roseaux, le Pénée des Tempé, des vallées comme celle de Tempé ; le mot φέρει ne s'applique avec justesse qu'au premier terme, δόνακα; c'est un zeugma. Quant à λοιπόν, il a ordinairement chez Philostrate le sens du latin jam; et pour n'en plus citer qu'un, le Pactole produit des fleurs (Voir Philostr. le Jeune, XIV, et Philostr. l'Aîné, Vie d'Apoll., 1, 16, p. 20). Le Pactole était célèbre dans l'antiquité, pour une espèce de pierre à couleur changeante et pour les paillettes d'or qu'on trouvait dans son lit. Mais les fleurs du mont Tmolus, d'où sort le Pactole, avaient été aussi chantées par les poètes. Philostrate se souvient sans doute du Tmolus fleuri, τὸν ἀνθεμώδη Τμῶλον d'Euripide (Bacch., 402).

(b). Ἄκρατίς τε καὶ ὀργῶν τὸ ἐἶδος, — Ἄκρατις... τὸ εἶδος, sans mélange quant à la figure. Ἄκρατος dans Philostrate (voir plus haut, XXI, ἄκρατος τὸ αἶμα s'applique à la couleur, au teint; le teint du dieu est dans tout son éclat, par conséquent, chaud et coloré.

(c). Amenant la troupe confuse des satyres, des bacchantes, des silènes, καὶ Σειληνὸς οἱ τὸν Γελωτά τε ἄγει. Telle est la leçon delà plupart des manuscrits. Dans deux (Flor. et Paris. 1696) on lit καὶ σειληνοὺς ὅσοι τὸν γέλωτα. Jacobs mettait un point après ὅσοι, et traduisait : et Silenos, quotquot sunt. Kayser aime mieux lire καὶ Σειληνὸς οἱ τὸν Γελωτὰ-ά τε ἄγει, etc. Nous croyons que Philostrate n'aurait pas répété le mot ἄγει, en lui donnant la seconde fois un autre sujet que la première. Nous reprenons donc le texte de Jacobs, plus conforme aux manuscrits, et aux habitudes de l'auteur.

XXVII. — LA CHASSE AU SANGLIER.

(a) Ni un pommier ni un seul arbre à fruit, οὐδὲ μῆλον ἢ μελάνθην. Μελάνθη ne se trouve nulle part ailleurs. Philostrate fait évidemment allusion à un vers d'Homère : Αὐτῇσιν ῥίζησι καὶ αὐτοῖς ἄνθεσι μήλων, avec les racines et les fleurs des pommiers, ou, selon Eustathe, des arbres fruitiers, en général. Mais l'expression de Philostrate n'en devient pas plus claire; il vient de désigner les figuiers, les pommiers (μῆλον ne peut avoir un autre sens, à côté de συκῆ); il semblerait que μελάνθη dût désigner ou une troisième espèce d'arbre, ou des arbres fruitiers en général. Welcker rapproche μηλάνθη de οἰνάνθη qui signifie fleur de la vigne et vigne. Il s'en suivrait que Philostrate parle, non d'une nouvelle espèce d'arbre, mais des fleurs du pommier. Οἰνάνθη signifie aussi vigne sauvage ; μελάνθη aurait-il le sens de pommier sauvage?

(b). Ces couleurs diverses sont versées par les barbares voisins de l'Océan sur l'airain incandescent... Les barbares dont parle Philostrate sont les Gaulois, et les ouvrages obtenus par ce procédé sont des émaux, les incoctilia de Pline (H. Ν., XXXIV, 162).

(c) . Il y a dans le texte: cette pourpre phénicienne que louent les Phéniciens. Brunn suppose (Symb. Philolog. Bonn., p. 444) que la fin de cette phrase est une glose introduite dans le texte.

(d) . Et semble refléter tout l'éclat chatoyant de l'arc-en-del. Le texte porte et non ἴδης et non ἴριδος; qui est une correction proposée par Wittenbach (Ep. cr., 278). Wester-mann laisse ἴδης; dans le texte et traduit : et iridis conspergitur colore, ἴδη, d'après Jacobs, désignerait le mont Ida, qui se couvrait de fleurs éclatantes, en l'honneur de Jupiter et de Junon. Boissonnade (Heroica, p. 603) cite l'explication que Moschopulos donne de ce passage même de Philostrate; ἄνθος serait employé métapbysiquement pour désigner la couleur, et ἴδη serait le nom d'une plante, βοτάνη τις. Mais quelle plante ?

536 XXVIII. — PERSÉE.

(a). Ce n'est point ici la mer Érythrée. Philostrate craint qu'abusés par la vue du sang, mêlé aux flots, ses auditeurs ne croient apercevoir la mer Érythrée ou mer Rouge. Dans la géographie, souvent assez vague de Philostrate, les Éthiopiens habitent les pays les plus reculés vers l'Occident; ils sont voisins de l'Atlas ; ainsi le monstre qui devait dévorer Andromède sort de la mer Atlantique, c'est-à-dire de la mer qui baigne les contrées où s'élève le mont Atlas. Le lieu de la légende n'avait pas toujours été le même. On sait qu'Homère divisait les Éthiopiens en deux peuples, ceux du levant, ceux de l'occident (Od., I, 23, 24); Hérodote (7, 61), Phérécyde (Schol. Apoll, 4, 1091), Cratinus (dans Pollux, 10, 156) regardent Cépheus, le père d'Andromède, comme un roi des Éthiopiens orientaux. Plus tard (Strab., 16, 759; Pausan., 4,35, 5) c'est à. Jopé (Jaffa) que Persée délivrera Andromède. Plus tard encore sans doute, on raconta que Persée parcourut la Libye, la tête de Méduse à la main, qu'il changea Atlas en pierre. La légende s'établit alors chez les Éthiopiens occidentaux. Euripide (fr. 134) parle, comme Philostrate, du monstre bondissant hors des profondeurs de la mer Atlantique pour faire périr Andromède.

(b). Elle fixe sur Persée un regard animé déjà par un sourire. Le texte porte : μειδίαμά τι ἤδη ἐς αὐτὸν πέμπουσα. Jacob propose de lire ἥδυ au lieu de ἤδης. 11 est certain que le mot ἥδυ se trouve souvent joint chez les auteurs grecs et même dans Philostrate à μειδίαμα. Mais ἤδη ne parait point ici hors de propos ; Andromède commence à sourire ; son premier sourire, après tant d'émotions, est pour son libérateur.

XXIX. — PÉLOPS.

(a). Pélops sortant du bassin de Clotho, etc.. Philostrate suit le récit de Pindare, O,1,71.

(b). Il respire l'ardeur de la lutte ; le texte porte Ἀλφειὸν πνεῖ, il respire l'Alphée. La lutte entre Pélops et Oenomaos, qui fut l'origine des jeux Olympiques, eut lieu au bord de l'Alphée. Voir plus haut le tableau XVI. Ἀλφειόν est du reste une correction de Saumaise, pour ἀφνειόν. Aristophane avait dit (Av., 1112) : Ἀλλ' οὕτοσε τρέχει τις Ἀλφειὸν πνέων.

(c) . Toutes les parties dont on aimerait ά juger la beauté. Le texte de Jacobs, Kayser et Westermann donne : ὅσα περὶ γυμνοῦ τοῦ Πέμοπος ἐλέχθη ἂν, que Westermann traduit : Quaecumque de nudo Pelope dici possent; en français, tout ce qui pourrait être dit de Pélops nu, la peinture ou le vêtement le couvre. Le sens ne nous parait guère satisfaisant. Le Laurentianus, LV, 7, compris par Kayser dans les manuscrits de la troisième catégorie, donne ἐλέγχθη, à la place de ἐλέχθη; la phrase signifie alors quaecumque de nudo Pelope deprehenderentur, toutes les parties dont on pourrait juger, si Pélops était nu. Philostrate exprime un regret que nous avons essayé de rendre.

(d) . Nous ont été dérobées, avec la cuisse elle-même, par le vêtement* Nous suivons le texte remanié par Kayser. Les manuscrits de la première famille donnent ἡ γραφὴ ἐσθὴς αὐτῇ καὶ κνήμῃ. Kayser, pour avoir un sens raisonnable, supprime ἡ γραφὴ et καὶ. Westermann supprime ἐσθής et conserve γραφή. Le sens est le même dans les deux cas.

XXX. — LES PRÉSENTS D'HOSPITALITÉ.

(a). Ô vénérable mère des grappes vermeilles! mots empruntés à Aristophane Pax, 520.