Philostrate : Tableaux

PHILOSTRATE L'ANCIEN

UNE GALERIE ANTIQUE.

LIVRE II + NOTES SUR LE TEXTE

livre I

LIVRE II

I. Chœur de femmes 353

II. Éducation d'Achille 357

III. Les Centaurides 364

IV. Hippolyte 367

V. Rhodogune 375

VI. Arrhichion 379

VIL Antiloque 382

VIII. Le Mêlés 388

IX. Penthée 393

563  X. Cassandre 397

XI. Pan 403

XII. Pindare 408

XIII. Ajax ou les Gyres 412

XIV. La Thessalie 415

XV. Glaukos, dieu marin 429

XVI. Palœmon 427

XVII. Les Îles 432

XVIII. Le Cyclope 444

XIX. Phorbas ou les Phlégyens 449

XX. Atlas 452

XXI. Antée 456

XXII. Héraklès parmi les Pygmées 462

XXIII. Héraklès furieux 465

XXIV. Thiodamas 472

XXV. Funérailles d'Abdère 475

XXVI. Présents d'hospitalité 478

XXVII. Naissance d'Athéna 480

XXVllï. Les Toiles 485

XXIX. Antigone 487

XXX. Evadné 490

XXXI. Thémistocle 492

XXXII. Palestra 490

XXXIII. Dodone 501

XXXIV. Les Heures 506

Télèphe blessé, épigramme 509

Notes sur le texte 513

Bibliographie des tableaux de Philostrate 557
 

 

ΥΜΝΗΤΡΙΑΙ

Ἀφροδίτην ἐλεφαντίνην 〈ἐν〉 ἁπαλοῖς μυρρινῶσιν ᾄδουσιν ἁπαλαὶ κόραι. Διδάσκαλος αὐτὰς ἄγει σοφὴ καὶ οὐδὲ ἔξωρος; ἐφιζάνει γάρ τις ὥρα καὶ ῥυτίδι πρώτῃ, γήρως μὲν τὸ ὑπόσεμνον ἕλκουσα, τούτῳ δ´ αὖ κεραννῦσα τὸ σῳζόμενον τῆς ἀκμῆς. Καὶ τὸ μὲν σχῆμα τῆς Ἀφροδίτης Αἰδοῦς, γυμνὴ καὶ εὐσχήμων, ἡ δὲ ὕλη συνθήκη μεμυκότος ἐλέφαντος. Ἀλλ´ οὐ βούλεται γεγράφθαι δοκεῖν ἡ θεός, ἔκκειται δὲ οἵα λαβέσθαι. Βούλει λόγου τι ἐπιλείβωμεν τῷ βωμῷ; λιβανωτοῦ γὰρ ἱκανῶς ἔχει καὶ κασίας καὶ σμύρνης, δοκεῖ δέ μοι καὶ Σαπφοῦς τι ἀναπνεῖν. Ἐπαινετέα τοίνυν ἡ σοφία τῆς γραφῆς, πρῶτον μὲν 〈ὅτι〉 τὰς ἀγαπωμένας λίθους περιβαλοῦσα οὐκ ἐκ τῶν χρωμάτων αὐτὰς ἐμιμήσατο, ἀλλ´ ἐκ τοῦ φωτός, οἷον ὀφθαλμῷ κέντρον τὴν διαύγειαν αὐταῖς ἐνθεῖσα, εἶτα ὅτι καὶ τοῦ ὕμνου παρέχει ἀκούειν. ᾌδουσι γὰρ αἱ παῖδες, ᾄδουσι, καὶ ἡ διδάσκαλος ὑποβλέπει τὴν ἀπᾴδουσαν κροτοῦσα τὰς χεῖρας καὶ ἐς τὸ μέλος ἱκανῶς ἐμβιβάζουσα. Τὸ μὲν γὰρ τῆς στολῆς ἀπέριττον καὶ μὴ δι´ ὄχλου αὐταῖς, εἰ ἀθύροιεν, ἢ τὸ ἐν χρῷ τῆς ζώνης ἢ τὸ εἰς βραχίονα τοῦ χιτῶνος ἢ ὡς ἀνυποδησίᾳ χαίρουσιν ἐφεστῶσαι ἁπαλῇ πόᾳ καὶ ἀναψυχὴν ἕλκουσαι παρὰ τῆς δρόσου, λειμών τε ὁ περὶ τὰς ἐσθῆτας καὶ τὰ ἐν αὐταῖς χρώματα, ὡς ἄλλο ἄλλῳ ἐπιπρέπει, δαιμονίως ἐκμεμίμηται· τὰ γὰρ συμβαίνοντα οἱ μὴ γράφοντες οὐκ ἀληθεύουσιν ἐν ταῖς γραφαῖς. Τὰ δὲ εἴδη τῶν παρθένων εἰ τῷ Πάριδι ἢ ἄλλῳ τῳ κριτῇ ἐπιτρέποιμεν, ἀπορῆσαι ἂν δοκεῖ ψηφίσασθαι, τοσοῦτον ἁμιλλῶνται ῥοδοπήχεις καὶ ἑλικώπιδες καὶ καλλιπάρῃοι καὶ μελίφωνοι· Σαπφοῦς τοῦτο δὴ τὸ ἡδὺ πρόσφθεγμα. Παραψάλλει δὲ αὐταῖς Ἔρως ἀνακλίνας τοῦ τόξου τὸν πῆχυν, καὶ ἡ νευρὰ παναρμόνιον ᾄδει καί φησι πάντα ἔχειν ὅσα ἡ λύρα, ταχεῖς τε οἱ ὀφθαλμοὶ τοῦ θεοῦ ῥυθμόν τινα οἶμαι διανοοῦντες. Τί δῆτα ᾄδουσι; γέγραπται γάρ τι καὶ ᾠδῆς· τὴν Ἀφροδίτην ἐκφῦναι τῆς θαλάττης λέγουσιν ἀπορροῇ τοῦ Οὐρανοῦ. Καὶ ὅπου μὲν τῶν νήσων προσέσχεν, οὔπω λέγουσιν, ἐροῦσι δὲ οἶμαι Πάφον, τὴν γένεσιν δὲ ἱκανῶς ᾄδουσιν· ἀναβλέπουσαι μὲν γὰρ ἐμφαίνουσιν, ὅτι ἀπ´ οὐρανοῦ, τὰς δὲ χεῖρας ὑπτίας ὑποκινοῦσαι δηλοῦσιν, ὅτι ἐκ θαλάττης, τὸ μειδίαμα δὲ αὐτῶν γαλήνης ἐστὶν αἴνιγμα.

353 LIVRE II

1. CHOEUR DE JEUNES PILLES.

Au milieu d'un frais bosquet de myrtes, de fraîches jeunes filles chantent Aphrodite éléphantine. Le chœur est dirigé par une femme d'expérience, mais belle encore ; car les premières rides ont je ne sais quelle grâce qui fond ensemble la gravité naissante de la vieillesse et le dernier éclat de l'âge en sa fleur. Aphrodite est nue, dans une attitude décente (a) : c'est une statue d'ivoire, formée de petits blocs rapprochés. Mais la déesse ne veut pas que l'on croie à une peinture; elle se détache en relief et semble offrir prise à la main. Veux-tu que sur son autel nous fassions une libation en paroles? Assez d'encens, de romarin, de myrrhe lui est offert; d'ailleurs il s'exhale ici, je crois, un peu de cet enthousiasme qui inspirait Sappho (b). Il nous faut donc louer l'habileté du peintre. D'abord, ornant la déesse des pierres précieuses qui lui sont chères, il n'a pas tant cherché à les imiter par la couleur que par un jeu de lumière (c) : un point brillant semblable à celui de la prunelle, les rend comme transparentes. C'est aussi un effet du talent, si nous entendons l'hymne. Car elles chantent, ces jeunes filles, elles chantent; et l'une d'elles perdant la mesure, la maîtresse de chœur la regarde, en battant des mains pour lui faire retrouver le véritable mouvement. Leur costume qui est des plus simples et ne les gênerait pas si elles voulaient jouer ; leur ceinture qui serre étroitement le corps, la tunique qui ne couvre pas les bras, la façon joyeuse dont pieds nus elles foulent l'herbe tendre, tout humide encore d'une rosée rafraîchissante ; leurs vêtements fleuris comme une prairie, remarquables par l'harmonie des couleurs, tout cela a été divinement rendu, et avec grande raison (d). Ce sont là des accessoires, mais la peinture qui les dédaigne manque de vérité. Quant à la beauté des jeunes filles, si nous chargions Pâris ou 354 tout autre arbitre de juger entre elles, il serait embarrassé, je crois, pour rendre sa sentence; tantôt elles rivalisent entre elles, ayant toutes des bras frais comme la rose, des yeux pleins de vivacité, de belles joues, une voix emmiellée, pour me servir d'une aimable expression de Sappho. Près d'elles, Éros penchant son arc (e) en pince la corde, la fait chanter dans tous les modes, et prétend qu'à elle seule elle est aussi complète que la lyre véritable ; il semble mouvoir ses yeux avec rapidité, comme s'il poursuivait, en pensée, quelque rythme. Que chantent donc les jeunes filles? car la peinture a représenté aussi quelque chose du chant. Elles disent qu'Aphrodite est sortie de la mer fécondée par une pluie céleste; en quelle île elle est abordée, elles ne le disent pas encore, mais elles nommeront Paphos. Oui, c'est bien la naissance de la déesse qu'elles célèbrent; leur attitude le montre assez ; fixer les yeux sur le ciel, c'est indiquer qu'elle en est descendue ; relever doucement les mains, en tenant la paume tournée en haut, c'est montrer qu'elle est sortie des flots; sourire, comme elles le font, c'est rappeler le calme de la mer.
 

COMMENTAIRE

COMMENTAIRE.

La statue d'Aphrodite, le bosquet de myrtes, le chœur de jeunes filles, tout montre que nous avons devant les yeux une fête de la déesse, ou du moins une des cérémonies de cette fête. Sommes-nous à Corinthe où, dans les périls de la cité, les courtisanes revêtues d'un costume solennel, faisaient en chantant et en dansant le tour des autels d'Aphrodite ? Mais ici le vêtement est des plus simples ; Philostrate n'a pu s'y tromper ; ce sont des jeunes filles qui forment le chœur sacré. Serions-nous à Hermione, cette ville voisine de Trézène, où les jeunes filles et les veuves qui devaient se remarier offaient un sacrifice à la déesse devant son temple (1)? Mais, il y aurait dans la composition un rôle principal, autre que celui d'une maîtresse de chœur. Le peintre n'a-t-il pas voulu nous conduire plutôt dans une de ces îles de la mer Égée, Rhodes, Chypre ou Paphos, qui honoraient dans Aphrodite la déesse des jardins, des fleurs, du printemps et des senteurs printanières ? Nous retrouvons ici les bosquets qui dans ces îles, couvertes d'une riche végétation, étaient consacrés au culte de la déesse. Le printemps est de retour ; qui en douterait à voir ces jeunes filles poser leurs pieds sur l'herbe fleurie des prairies? Leurs robes ou plutôt leurs tuniques, qui pour être simples de forme, n'en brillent pas moins de l'éclat des couleurs, ne font-elles pas allusion à la riche parure que le printemps apporte à la terre? Cette statue n'est-elle [point celle que les femmes de Paphos lavaient et 355 ornaient, lorsqu'au milieu d'un concours immense, formé par toute la population des îles voisines, elles célébraient la naissance d'Aphrodite (2) ? C'est cette fête sans doute que notre tableau a rappelée à Philostrate, et l'on est tenté de croire que le rhéteur ne s'est pas mépris sur les intentions de l'artiste.

Welcker a rapproché de ce tableau un bas-relief antique décrit par Winckelmann et Zoega. L'encens brûle sur un autel ; les jeunes filles ne chantent pas, mais semblent danser ; d'ailleurs elles portent le même costume que sans doute dans notre tableau, une tunique qui ne tombe pas plus bas que le genou et laisse le bras à découvert ; elles ont la même attitude, le regard levé vers le ciel, et les mains renversées comme les statues désignées sous le nom d'adorantes (3) ; leurs pieds, chaussés d'une semelle légère, sont presque nus ; elles ont sur la tête une couronne de joncs. D'ailleurs point de bosquet de myrte, point de statue d'Aphrodite, point de maîtresse de chœur, point d'Éros. Ce sont là des ornements, que la sculpture, astreinte à une économie plus rigoureuse des formes et des lignes, a supprimés, ou plutôt dont la peinture, plus riche et plus libre dans l'usage de ses richesses, a voulu égayer par surcroît un sujet déjà si gracieux.

Welcker critique plusieurs des interprétations de Philostrate, les jeunes filles ne pouvaient, selon lui, avoir les pieds nus pour mieux sentir la fraîcheur de la rosée ; des yeux élevés vers le ciel ne marquaient point que la déesse en était descendue ; des mains renversées ne signifiaient point qu'elle était sortie des flots ; un visage souriant n'était point un symbole de l'accalmie des flots. Ces critiques paraissent assez justes. Une explication plus naturelle s'offre pour chacun des détails que Philostrate relève dans notre tableau. Les pieds nus ont plus de grâce ; le sourire est chose aimable, et s'harmonise d'ailleurs avec le caractère de la scène et des chants ; les yeux se portent au ciel dans la prière ; les anciens n'imploraient le ciel qu'en élevant leurs mains ouvertes comme pour recevoir les présents de la divinité. Cependant nous devons nous souvenir que les anciens attachaient une grande importance aux particularités de leur culte ; le moindre geste, les moindres détails de costume ou d'altitude en usage dans les cérémonies pieuses, leur paraissaient avoir eu, dans l'esprit des fondateurs, hommes ou dieux, une signification mystérieuse. Interpréter les choses du culte et de la religion, était l'œuvre des philosophes et des sophistes ; Apollonius, dont Philostrate a raconté la vie, n'était pas moins célèbre pour son éloquence, ses leçons et ses miracles que pour sa compétence dans les matières divines ; la théologie ancienne n'était guère que la connaissance des symboles. Si 346 Philostrate se trompe ici, c'est moins sur l'intention du peintre que sur l'esprit d'une cérémonie religieuse ; s'il avait vu chanter et danser ces jeunes filles à Paphos même, et non en peinture, il se serait livré à ces mêmes interprétations. Ce n'est pas là un raffinement de commentateur et de critique d'art ; c'est de l'exégèse religieuse à la manière des anciens, au moins au temps des sophistes.

Welcker blâme aussi l'attitude d'Éros. C'est là, croyons-nous, un excès de sévérité. Éros est un enfant à qui il doit être permis d'imiter, sur un instrument quelconque, et surtout sur la corde d'un arc, un joueur de lyre. C'est un jeu sans doute, mais un jeu en rapport avec l'âge et l'humeur du personnage. Loin de reprocher à l'artiste un excès de raffinement, nous trouvons que ce détail a sa grâce et sa naïveté. Ce qui a pu donner le change à Welcker, c'est l'interprétation de Philostrate qui est en effet ingénieuse et peut-être subtile; il est difficile d'admettre qu'Éros fasse chanter une corde unique dans tous les tons et en tire les mêmes effets qu'un musicien des sept cordes de la lyre ; mais il est bien évident aussi que c'est là une prétention prêtée à Éros non par le peintre, mais par le sophiste. Ses yeux, dit Philostrate, comme animés d'un mouvement rapide, semblaient poursuivre des rythmes ; sans doute, Éros regardait l'espace, prêtait l'oreille à des sons imaginaires, souriait à ses propres conceptions mélodiques. Il parodiait jusqu'au bout le joueur de lyre enthousiaste.

L'attitude d'Aphrodite était sans doute celle de la Vénus de Médicis. Philostrate, il est vrai, dit seulement qu'elle était nue et décente ; mais si les jeunes filles chantaient la naissance de la déesse, n'est-ce pas Aphrodite, sortant des flots qui devait présider à la cérémonie et recevoir les prières et l'encens de ce jour? Or Aphrodite Anadyomène et la Vénus de Médicis, c'est tout un : c'est la déesse paraissant pour la première fois aux yeux des mortels, et se dérobant autant que le lui permet sa nudité native. La Vénus de Médicis passe, il est vrai, pour une reproduction de la Vénus de Gnide, non de Paphos. L'idole, adorée dans celte île sous le nom d'Aphrodite, était une boule ou une pyramide ; des médailles et des gemmes conservées jusqu'à ce jour nous la montrent sous cette forme au milieu des torches et des candélabres allumés. Mais à Paphos on connaissait l'Aphrodite de Gnide comme dans l'île de Rhodes on connaissait celle de Paphos ; le culte de l'ancienne idole ne nuisait pas à celui de la nouvelle, et ce n'était pas sans doute une boule ou une pyramide que les femmes de Paphos, pendant la fête d'Aphrodite plongeaient dans la mer et paraient des ornements les plus riches. Vraie ou fausse, notre supposition sur l'attitude de la déesse n'est pas du moins en contradiction avec notre supposition sur le sujet du tableau. Notre remarque n'a pas d'autre objet.

Les pierres précieuses, dit Philostrate, étaient imitées, non avec des couleurs, mais par la lumière. Philostrate veut faire entendre sans doute que l'artiste n'avait pas seulement cherché à reproduire les vives couleurs des 357 rubis et des améthystes, par exemple ; mais qu'à l'aide d'un point brillant, d'un réveillon placé à propos, semblable à celui dont les peintres illuminent les yeux de leurs personnages, il avait su donner à ces pierres leur éclat naturel, leur transparence ordinaire. C'est là sans doute un procédé assez commun, et qui ne mérite point l'étonnement, encore moins l'admiration ; mais Philostrate ne possède pas, comme nous l'avons dit, une esthétique bien sûre d'elle-même, tantôt il fait bon marché de l'imitation dans les arts, tantôt il l'exalte outre mesure. Il est toujours plutôt un sophiste ingénieux qu'un amateur éclairé.

La Vénus de Médicis, l'Aphrodite Anadyomène ne porte ni colliers ni bijoux ; ces ornements en effet seraient contraires à la conception même de l'artiste. La déesse se paraît de sa beauté, mais ne la relevait par aucune parure artificielle ; elle ne saurait avoir des bijoux, quand elle n'a point de vêtements. Mais l'Aphrodite de notre tableau est une idole ; ces ornements que le peintre avait représentés, que Philostrate remarque, elle les tient, non du sculpteur qui l'a modelée, mais de ses adorateurs qui l'ont parée pour sa fête. Avant de chanter leur hymne, les jeunes filles ont attaché à ses bras des bracelets garnis de pierres précieuses, ou suspendu à son cou ce collier qui dans beaucoup de statuettes d'Aphrodite, dessine une croix, et laisse pendre un coquillage sur la poitrine de la déesse (4).

La statue de Philostrate était, dit le texte grec, « un assemblage d'ivoire fermé ». Suivant Heyne (5), les statues en ivoire étaient composées de petits blocs réunis et cimentés ensemble sur un modèle de bois ou de terre destiné à former noyau. L'expression de Philostrate semble indiquer un travail analogue. Mais, comme cette opération, suivant toute apparence, ne devait avoir lieu que pour les œuvres de grande dimension, il semble que nous devions nous représenter ici l'image d'Aphrodite, non comme une statuette, mais comme une statue de grandeur naturelle. Sur les œuvres ainsi composées de petits blocs, la soudure se reconnaissait sans doute à des lignes légères, à une espèce de lacis régulier que le peintre avait imitée dans sa reproduction, et que Philostrate a cru devoir signaler d'un mot à ses jeunes auditeurs.

 

(l) Pausan., II, 34, 11.

(2) Voir Preller, G. M., I, p. 283.

(3) Philostrate dit des jeunes filles τὰς δὲ χείρας ὑτττίας ὑποκινοῦσαι. Panofka (Ann. dell' Inst., 1830, 324) traduit abaissant leurs mains ouvertes. Ce serait le geste indiqué en latin par susciptre puerum. Cette explication est aussi inutile que subtile. Les jeunes filles élevaient les mains renversées, supinas manus, pour prier comme celles du bas-relief.

(4) Cf. Bernouilli... Aphrodite, p. 31, 279, 297, 301. Cet archéologue cite surtout une épingle surmontée d'une statuette d'Aphrodite qui se trouve au British Muséum et une statuette d'ivoire de la Bibliothèque nationale à Paris (Catal. Chabouillet, n° 1220).

(5) Heyne, Antiq. Aufs.,t. II, p. 155, traduit par Jansen, dans le 1er vol. de la traduct de l'Hist. de l'Art par Winckelm. Cf. Quatrom de Quincy, Jup. Olymp.

ΑΧΙΛΛΕΩΣ ΤΡΟΦΑΙ

Νεβρὸς καὶ λαγώς, ταῦτα θηράματα τοῦ νῦν Ἀχιλλέως, ὁ δέ γε ἐν Ἰλίῳ πόλεις αἱρήσει καὶ ἵππους καὶ ἀνδρῶν στίχας, καὶ οἱ ποταμοὶ αὐτῷ μαχοῦνται μὴ ἐῶντι αὐτοὺς ῥεῖν, κἀκείνων μὲν τῶν ἔργων μισθὸν ἀποίσεται Βρισηίδα καὶ τὰς ἐκ Λέσβου ἑπτὰ καὶ χρυσὸν καὶ τρίποδας καὶ τὸ τοὺς Ἀχαιοὺς ἐπ´ αὐτῷ εἶναι, τὰ δὲ παρὰ τῷ Χείρωνι ταῦτα μήλων δοκεῖ καὶ κηρίων ἄξια, καὶ ἀγαπᾷς, ὦ Ἀχιλλεῦ, μικρὰ δῶρα πόλεις ἀπαξιώσων τότε καὶ τὸ κῆδος τοῦ Ἀγαμέμνονος. Ὁ μὲν οὖν ἐπὶ τῆς τάφρου καὶ ὁ κλίνας τοὺς Τρῶας ἐκ μόνου τοῦ βοῆσαι καὶ ὁ κτείνων ἐπιστροφάδην καὶ ἐρυθραίνων τὸ τοῦ Σκαμάνδρου ὕδωρ ἵπποι τε ἀθάνατοι καὶ ἕλξεις Ἕκτορος καὶ ὁ βρυχώμενος ἐπὶ τοῖς τοῦ Πατρόκλου στέρνοις Ὁμήρῳ γέγραπται, γράφει δὲ αὐτὸν καὶ ᾄδοντα καὶ εὐχόμενον καὶ ὁμωρόφιον τῷ Πριάμῳ. Τουτονὶ δὲ οὔπω ξυνιέντα ἀρετῆς, ἀλλὰ παῖδα ἔτι γάλακτι ὑποθρέψας καὶ μυελῷ καὶ μέλιτι δέδωκεν ὁ Χείρων γράφειν ἁπαλὸν καὶ ἀγέρωχον καὶ ἤδη κοῦφον· εὐθεῖα μὲν γὰρ ἡ κνήμη τῷ παιδί, ἐς γόνυ δὲ αἱ χεῖρες—ἀγαθαὶ γὰρ δὴ αὗται πομποὶ τοῦ δρόμου— κόμη τε ἡδεῖα καὶ οὐδὲ ἀκίνητος—ἔοικε γὰρ προσαθύρων ὁ ζέφυρος μετατάττειν αὐτήν, ὡς μεταπιπτούσης τῇδε κἀκεῖσε ἄλλοτε ἄλλος ὁ παῖς εἴη—ἐπισκύνιόν τε καὶ θυμοειδὲς φρύαγμά ἐστι μὲν ἤδη τῷ παιδί, πραΰνει δὲ αὐτὸ ἀκάκῳ βλέμματι καὶ παρειᾷ μάλα ἵλεῳ καὶ προσβαλλούσῃ τι ἁπαλοῦ γέλωτος. Ἡ χλαμὺς δέ, ἣν ἀμπέχεται, παρὰ τῆς μητρὸς οἶμαι· καλὴ γὰρ καὶ ἁλιπόρφυρος καὶ πυραυγὴς ἐξαλλάττουσα τοῦ κυανῆ εἶναι. Κολακεύει δὲ αὐτὸν ὁ Χείρων οἷον λέοντα πτῶκας ἁρπάζειν καὶ νεβροῖς συμπέτεσθαι· νεβρὸν γοῦν ἄρτι ᾑρηκὼς ἥκει παρὰ τὸν Χείρωνα καὶ ἀπαιτεῖ τὸ ἆθλον, ὁ δὲ χαίρει ἀπαιτούμενος καὶ τοὺς προσθίους ὀκλάσας εἰς ἴσον καθίσταται τῷ παιδί, μῆλα ἀπὸ τοῦ κόλπου ὀρέγων αὐτῷ καλὰ καὶ εὐώδη—καὶ γὰρ τοῦτο αὐτῶν ἔοικεν ἐγγεγράφθαι—καὶ κηρίον ὀρέγει τῇ χειρὶ σταγόνα λεῖβον δι´ εὐνομίαν τῶν μελιττῶν. Ὅταν γὰρ πόαις ἀγαθαῖς ἐντυχοῦσαι κυΐσκωσι, περιπληθῆ τὰ κηρία γίνεται καὶ ἀποβλύζουσι τὸ μέλι οἱ οἶκοι αὐτῶν. Ὁ δὲ Χείρων γέγραπται μὲν ὅσα κένταυρος· ἀλλὰ ἵππον ἀνθρώπῳ συμβαλεῖν θαῦμα οὐδέν, συναλεῖψαι μὴν καὶ ἑνῶσαι καὶ 〈νὴ〉 Δία δοῦναι ἄμφω λήγειν καὶ ἄρχεσθαι καὶ διαφεύγειν τοὺς ὀφθαλμούς, εἰ τὸ τέρμα τοῦ ἀνθρώπου ἐλέγχοιεν, ἀγαθοῦ οἶμαι ζωγράφου. Καὶ τὸ ἥμερον δὲ φαίνεσθαι τὸ τοῦ Χείρωνος ὄμμα ἐργάζεται μὲν καὶ ἡ δικαιοσύνη καὶ τὸ ὑπ´ αὐτῆς πεπνύσθαι, πράττει δὲ καὶ ἡ πηκτίς, ὑφ´ ἧς ἐκμεμούσωται· νυνὶ δὲ καὶ ὑποκορισμοῦ τι αὐτῷ ἔπεστιν εἰδώς που ὁ Χείρων, ὅτι τοὺς παῖδας τοῦτο μειλίσσεται καὶ τρέφει μᾶλλον ἢ τὸ γάλα. Ταυτὶ μὲν περὶ θύρας τοῦ ἄντρου, ὁ δ´ ἐν τῷ πεδίῳ παῖς ὁ ἱππηδὸν ἐπὶ τοῦ κενταύρου ἀθύρων ὁ αὐτὸς ἔτι· διδάσκει ὁ Χείρων τὸν Ἀχιλλέα ἱππάζεσθαι καὶ κεχρῆσθαι αὐτῷ ὅσα ἵππῳ, καὶ συμμετρεῖται μὲν τὸν δρόμον εἰς τὸ ἀνεκτὸν τῷ παιδί, καγχάζοντι δὲ αὐτῷ ὑπὸ τοῦ ἥδεσθαι προσμειδιᾷ μεταστρεφόμενος καὶ μόνον οὐχὶ λέγει „ἰδού σοι κροαίνω ἄπληκτος, ἰδοὺ καὶ ἐπικελεύομαί σοι· ὁ ἵππος ὀξὺς ἄρα καὶ ἀφαιρεῖ γέλωτα. Λαγαρῶς γάρ μοι ἱππασθείς, θεῖε παῖ, καὶ τοιῷδ´ ἵππῳ πρέπων ὀχήσῃ ποτὲ καὶ ἐπὶ Ξάνθου καὶ Βαλίου καὶ πολλὰς μὲν πόλεις αἱρήσεις, πολλοὺς δὲ ἄνδρας ἀποκτενεῖς, θέων ὅσα, καὶ συνεκφεύγοντας.“ Ταῦτα ὁ Χείρων μαντεύεται τῷ παιδὶ καλὰ καὶ εὔφημα καὶ οὐχ οἷα ὁ Ξάνθος.

II. ÉDUCATION D'ACHILLE.

Des faons, des lièvres, voilà quelle est maintenant la chasse d'Achille ; plus tard il prendra des villes, des chevaux, des rangées d'hommes; il aura pour adversaires des fleuves qu'il empêchera de couler ; et pour 358 prix de ses exploits, il possédera Briséis, sept femmes de Lesbos, de l'or, des trépieds; il aura le sort des Achéens entre ses mains (a). Des pommes, des rayons de miel, voilà sa récompense près de Chiron. Tu te contentes, Achille, de ces humbles dons, toi qui dédaigneras un jour et des villes et l'alliance d'Agamemnon. Un héros debout sur le bord d'un fossé, faisant reculer les Troyens par son seul cri de guerre, tuant sans relâche, teignant de sang les eaux du Scamandre, conduisant des chevaux immortels, traînant le cadavre d'Hector, rugissant de douleur sur le corps de Patrocle, tel nous apparut Achille dans Homère qui nous le montre aussi chantant, priant, partageant son toit avec Priam. Nous le voyons ici sous un autre aspect : c'est un enfant qui n'a pas encore conscience de son courage, qui se nourrit encore de lait, de moelle et de miel; il est l'élève de Chiron, aux chairs encore tendres, à l'air sauvage, déjà léger à la course; en effet la jambe est bien droite ; les mains viennent aux genoux, les mains, ces utiles auxiliaires pour le coureur. La chevelure charmante ne demeure point immobile ; le zéphire semble en se jouant la déranger, et la jeter tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, comme s'il voulait que l'enfant changeât d'aspect. Il a déjà un sourcil épais et menaçant; mais cette expression est corrigée par un regard sans méchanceté, par des joues où siège la pitié et qui s'éclairent de je ne sais quel tendre sourire. La chlamyde dont il est revêtu est sans doute un don de sa mère. Elle est belle, teinte en pourpre, d'une couleur changeante (b), alternativement sombre et brillante comme le feu. Chiron le flattant comme il ferait à un lion, l'encourage à prendre des lièvres, à voler sur la piste des faons ; c'est pourquoi, venant de saisir un faon, il se présente devant Chiron pour réclamer sa récompense ; la réclamation plaît au centaure qui s'agenouillant sur ses pattes de devant pour s'accommoder à la taille de son élève, tire de son sein des pommes de belle apparence, d'un parfum exquis (car cela aussi semble rendu par la peinture) et les tend à l'enfant, avec un rayon de miel qui s'épanche en gouttelettes, étant l'œuvre d'abeilles bien nourries. En effet quand les abeilles, trouvant à leur portée les plantes qui leur conviennent, se sont chargées de suc, les gâteaux s'emplissent outre mesure et les cellules qui les composent regorgent de miel. Chiron est représenté, comme d'ordinaire les centaures : unir un corps de cheval à un corps d'homme, ce n'est point là une merveille, mais dérober le passage d'une nature à l'autre, des deux n'en faire qu'une seule, ne laisser voir aux yeux les plus pénétrants ni où celle-ci finit, ni où celle-là commence, c'est là, je crois, l'œuvre d'un habile peintre. D'un autre côté, le regard de Chiron 359 est plein de douceur : c'est qu'il agit et pense selon la justice, c'est aussi que jouant de la cithare, il a subi l'influence de la musique (c). Il a aussi un air caressant, car il sait, le centaure, que les caresses sont, pour l'enfant, aussi douces que le miel, et plus nourrissantes que le lait. Ceci se passe à l'entrée de la caverne, mais vois dans la plaine, ce cavalier, cet enfant sur le dos du centaure, c'est toujours Achille. Chiron, son maître d'équitation, lui sert de monture, mesure la vitesse de sa course aux forces de l'enfant, et celui-ci riant aux éclats dans l'excès de sa joie, le centaure se retourne, lui sourit et lui dit presque : vois comme je piaffe sans l'aide du fouet ; vois comme je m'excite moi-même, en ta faveur ; tu ne rirais pas, si tu montais un cheval fougueux; exercé par moi sans rudesse et devenu habile à manier le cheval, tu seras porté un jour par Xanthos et Balios ; tu prendras des villes, tu extermineras de nombreux ennemis fuyant devant toi comme devant un dieu (d). » Ainsi parle Chiron ; riantes et belles prédictions, bien différentes des prédictions de Xanthos.

COMMENTAIRE

Achille, selon la fable, apprit du centaure Chiron, à chasser, à monter à cheval, à jouer de la lyre ; l'art nous montre Achille dans ces différents exercices. Tantôt il tient la lyre et semble des yeux interroger le centaure qui lui enseigne l'art de manier le plectrum (1) ; tantôt levant le bras et posant le pied en avant, il semble lancer le javelot ou se battre à coups de poings (2) ; telle pâte antique le représente monté sur le dos du centaure (3) ; sur tel bas-relief, il poursuit au galop un lièvre qu'il a blessé d'une flèche (4).

Lès deux scènes de notre tableau qui ont rapport, l'une à la chasse, l'autre à l'exercice du cheval, renferment quelques détails particuliers que nous ne retrouvons pas ailleurs. C'est une idée heureuse de nous montrer Achille revenant de la chasse, offrant un faon à son maître, et recevant pour récompense un rayon de miel et des fruits. De même, le centaure, se retournant vers son cavalier, l'encourageant du regard et par un sourire, est à la fois touchant et gracieux. On ne saurait trop louer l'artiste d'avoir ainsi renouvelé un sujet, sans doute bien des fois traité avant lui.

Dans la première scène le centaure, dit Philostrate, s'agenouillait sur ses pattes de devant pour s'accommoder à la taille de son élève. Ce n'est point là, ordinairement, l'attitude de Chiron ; dans une peinture de Pompéi, à la- 360 quelle nous avons déjà fait allusion, le centaure repose au contraire sur le train de derrière; de ses deux autres jambes, l'une, la gauche, jetée en avant, pose avec raideur sur le sol et soutient la partie supérieure du corps, qui est presque droite ; l'autre se replie légèrement, comme la jambe d'un cheval qui piaffe. Dans cette situation la tête du centaure domine de fort peu les épaules d'Achille, et son bras se trouve sans effort à la hauteur de la lyre, tenue par son élève. Dans notre tableau, L'arrière-train, dont ne parle point Philostrate, était sans doute entièrement dressé; fléchissant les jambes de




 

devant, le centaure mettait les genoux en terre ; ses mains descendant ainsi beaucoup plus bas, devaient tendre les pommes et les rayons, sans qu'il eût besoin de les abaisser, sans qu'Achille fût contraint de trop hausser les siennes. Cette attitude n'est pas fréquente ; nous la retrouvons pourtant sur une métope du Parthénon (5); seulement le centaure ainsi agenouillé a été réduit à cette situation par la force; un héros bondissant sur sa croupe l'a saisi par a barbe, et en même temps qu'il ramène la tête à lui, il pèse de tout son poids et de toutes ses forces sur la partie antérieure du cheval qui s'affaisse. Aussi un seul genou pose sur le sol ; l'autre jambe touche encore la terre du sabot replié sous elle et fait effort pour se redresser. Dans notre tableau, le centaure devait offrir à peu près le même aspect que le cheval de manège saluant à deux genoux les spectateurs de ses talents.

361 Philostrate loue beaucoup le peintre d'avoir dissimulé le passage de la nature humaine à celle du cheval. Lucien donne un éloge semblable à Zeuxis qui avait représenté des centaurides allaitant leurs petits (6). Si c'est là un mérite, il faut bien reconnaître que sur les monuments antiques conservés jusqu'à nous, nous le retrouvons rarement. Les anciens paraissent avoir représenté les centaures de trois manières; dans le principe, l'homme reste

#307a

entier avec son buste et ses jambes et la partie chevaline vient s'y souder par derrière; plus tard le cheval conservera ses quatre jambes; le buste de l'homme sera placé de telle sorte qu'il sera immédiatement continué par les deux jambes du cheval ; le corps de l'homme n'a ainsi aucune souplesse ; une ligne raide dessine les flancs et les jambes. Ces deux types manquent de grâce en général (7), le troisième est au contraire un chef-d'œuvre d'élé- 362 gance. L'artiste a conservé au cheval non seulement ses quatre pattes, mais la rondeur de son poitrail ; il coupe ce poitrail suivant une ligne représentant avec exactitude la ligne souple et flexible qui chez l'homme sépare la cuisse des hanches et du ventre (8). Seulement cette ligne dans tous les monuments est fortement marquée ; aussi est-il facile de dire : là commence la nature de l'homme, là finit celle du cheval. Est-ce un défaut? oui,s'il faut en croire Lucien et Philostrate : nous ne saurions être de cet avis. La transition ne pourrait être dérobée aux yeux qu'en altérant les formes des muscles ou en les coupant d'une façon arbitraire ; il faudrait alors confondre et souder deux muscles ensemble, un du cheval, l'autre de l'homme, ce qui ferait une partie peu distincte et tout à fait méconnaissable, sans vérité ni vraisemblance I Quoi de plus simple, au contraire, que de suivre, en découpant les formes pour les unir, le sillon tracé par la nature? Il n'y aura pas de disparate pour cela, pas plus que sur le corps d'un seul homme ou d'un seul cheval où les attaches des membres apparaissent nettement, où les muscles sont distincts les uns des autres. Sans doute l'artiste doit imiter, surtout en cela, les beaux individus chez lesquels les passages d'un plan à un autre, quoique visibles, n'ont rien de brusque et de heurté ; il y a, en peinture, un habile mélange des clairs et des ombres qui fait sentir les méplats sans exagération et montre sans pédantisme la science anatomique de l'ouvrier. Était-ce le grand talent de Zeuxis et le mérite de notre peintre, dans le tableau qui nous occupe ? Nous serions porté à le croire : mais les termes employés par Lucien et Philostrate ne prouvent pas, selon nous, que ces deux écrivains aient apprécié avec finesse l'art du peintre. Ils semblent avoir vu de loin et en passant; ils ont pris pour invisibles des détails qui ne frappaient pas les yeux ; ils ont cru à une confusion, à une soudure complète, là où il y avait sans doute une transition savamment ménagée.

Le trait le plus remarquable de notre tableau était l'expression du centaure. Philostrate nous parle de son regard plein de douceur et de son air charmant. Nous ne nous tromperons pas beaucoup en y joignant cet air de sérénité et de gravité que nous offre le centaure Chiron dans les monuments parvenus jusqu'à nous. Chiron était en effet, pour la Grèce antique, l'idéal du maître, comme Achille était l'idéal du disciple. Les anciens le chargèrent successivement de toutes les perfections qu'avec le cours du temps et l'expérience ils avaient appris à exiger des précepteurs de leurs enfants. Quand les mœurs adoucies bannirent de l'éducation la contrainte et les châtiments, l'illustre centaure ne fut pas seulement le très juste et le très savant Chiron, il fut encore le doux et le patient Chiron. Le Chiron des peintures morales et des pierres gravées a lu la philosophie de Platon; il connaît le précepte de la République. « Mais pas de violence pour les enfants dans les leçons que 363 tu leur donnes : fais plutôt en sorte qu'ils s'instruisent en jouant; par là tu seras plus à portée de connaître les dispositions de chacun (9). » Il sait que Plutarque a dit : « On doit porter les enfants à l'amour du bien par la douceur et la persuasion, jamais par des punitions dures et humiliantes qui conviendraient tout au plus à des esclaves et non à des enfants de condition libre. Les mauvais traitements et les affronts les découragent et les rebutent ; les éloges et les reproches réussissent bien mieux que la rigueur et la sévérité (10). Fidèle à ces nouvelles doctrines d'un siècle plus clément, il ne saurait, tout vertueux qu'il est, punir cruellement de molles inflexions de voix, comme ces maîtres dont parle le Juste dans Aristophane, ni employer contre ses disciples la verge recommandée par le stoïcien Chrysippe ; il est rempli d'indulgence et de mansuétude. On remarquera aussi quelle différence les artistes anciens mettent d'ordinaire entre Chiron quand il enseigne la musique à Achille, et Pan ou Marsyas apprenant à Olympe à jouer de la lyre. La situation est à peu près la même ; mais les maîtres ne se ressemblent guère, et l'art observe cette distinction. La douce gravité de Chiron fait penser que pour lui, comme pour Platon et Aristote, la musique n'est qu'un moyen, destiné à ouvrir l'âme aux impressions et à la modérer; outre que Marsyas ou le dieu Pan enseigne la flûte, cet instrument condamné par Aristote comme plus capable d'exciter les passions que de les calmer, le satyre ou le dieu, on le voit du reste à leur expression uniquement souriante, à l'absence de toute pensée sérieuse sur leur front, ne prétend qu'à une chose, former un élève habile dans la science des rythmes et de la mélodie (11).

Les centaures portent souvent sur les monuments une peau de bêle jetée sur leurs épaules ou serrée autour de leur cou. Tel nous devons nous représenter Chiron qui tirait de son sein, dit Philostrate, une pomme et un rayon de miel pour l'offrir à Achille. Une pierre gravée du musée Bourbon nous montre un satyre portant un Amour sur son épaule, et tenant devant lui des pommes, dans une peau de panthère attachée à son épaule. Chiron sans doute avait à peu prés pris la même attitude que ce satyre.

L'attitude d'Achille n'est pas aisée à déterminer. Philostrate parle de sa jambe bien tendue et de ses mains allant aux genoux. Il semblerait d'après ces mots qu'Achille est tout droit, les bras tombant, devant Chiron. Mais, d'un autre côté, il vient de prendre un faon qu'il rapporte à son maître ; ne serait-il pas naturel qu'il le tînt en l'air et le tendît à Chiron ? Un seul bras alors pendrait le long du corps et Philostrate, en parlant des mains, aurait 364 voulu dire que livrées à elles-mêmes elles auraient atteint le genou. On peut aussi admettre que le faon ayant été déposé à terre et l'un des bras restant dans la position indiquée par Philostrate, Achille tendait son autre main pour recevoir les présents de Chiron.

Cette main unique descendant jusqu'au genou ne laisse pas de nous surprendre. Jamais les mains ne descendent aussi bas. Était-ce une faute de dessin regardée comme une beauté par le trop ingénieux rhéteur? Les anciens auraient-ils remarqué, comme le veut Boettiger (12), que les coureurs avaient des bras plus longs que les autres hommes ? Quoi qu'il en soit, nous croyons qu'il ne faut pas trop prendre à la lettre les expressions de Philostrate; l'extrémité des doigts approchait sans doute de la rotule, sans pour cela la toucher, ce qui aurait été fort disgracieux, en dépit de l'explication naturaliste du rhéteur; l'expression même des mains « allant aux genoux», pouvait être comme technique pour désigner cette conformation particulière.

1) Peint, de Pompéi, Zahn, III,32. Overb. die Bildw. Atl. XIV, 5. C'est aussi le sujet d'une pierre gravée que nous reproduisons d'après Wicar.

(2) Orerb. Ibid., p. 285, n° 8.

(3) Orerb. Ibid., p. 285, n° 9 et 11.

(4) Ibid.,p. 284, n° 7.

(5) Müller-Wieseler, D. d. a. Κ.,  I, XXII, 112.

(6) Lucien, Zeuxis, c. 6.

(7) Nous donnons (p. 361) un exemple du premier type d'après une très belle intaille inédite de la Bibliothèque nationale (Catal. Chabouillet, n° 1689) ; on remarquera peut-être que cet exemple dément un peu notre assertion sur le manque de grâce que nous reprocherons à ce type du centaure ; mais on voudra bien observer par quel adroit artifice l'artiste a su racheter le défaut en question et même le changer en un très piquant effet ; la centauresse lève une jambe, une Jambe humaine, à la manière d'un cheval qui piaffe, et une jambe ainsi levée semble appartenir à la partie chevaline dont elle continue heureusement les lignes. Que l'on abaisse cette jambe par la pensée et l'on se rendra compte du tort que ferait à ce beau corps de femme cette croupe de cheval ainsi juxtaposée.

(8) Un bas-relief de sarcophage (Museo Pio Clem., 25) représentant des Amours et des Centaures semble faire exception.

(9) Platon, de la Républ., livre VII.

(10) Plutarque, De l'Éducation des enfants.

(11) Cf. A. d'Herc., III, p. 101 ; Roux, II, 14 et Ant. d'Herc, I, p. 47. Roux, II, 4. Dans ces deux tableaux qui représentent Marsyas et Olympos, la bonté est du moins peinte sur le visage de Marsyas. Dans le premier même, Marsyas est plus qu'un vulgaire joueur de flûte et qu'un simple maître de musique ; on sent que sous l'influence des idées philosophiques, les Marsyas mêmes ont emprunté quelque chose à l'élévation d'un Chiron.

(12) Vaseng. Fasc. III, 95. — Krause, gynm.,  367.

 

ΚΕΝΤΑΥΡΙΔΕΣ

Σὺ μὲν ᾤου τὴν τῶν κενταύρων ἀγέλην δρυῶν ἐκπεφυκέναι καὶ πετρῶν ἢ νὴ Δία ἵππων μόνον, αἷς τὸν τοῦ Ἰξίονος ἐπιθόρνυσθαί φασιν, ὑφ´ οὗ οἱ κένταυροι † οἰνωθέντες ἦλθον εἰς κρᾶσιν. Τοῖς δὲ ἄρα καὶ μητέρες ὁμόφυλοι ἦσαν καὶ γυναῖκες ἤδη καὶ πῶλοι ἐν εἴδει βρεφῶν καὶ οἶκος ἥδιστος· οὐ γὰρ οἶμαί σε ἄχθεσθαι τῷ Πηλίῳ καὶ τῇ ἐν αὐτῷ διαίτῃ καὶ τῷ τῆς μελίας φυτῷ ἀνεμοτρεφεῖ ὄντι καὶ παρεχομένῳ τὸ ἰθὺ ὁμοῦ καὶ τὸ μὴ κλᾶσθαι ἐν τῇ αἰχμῇ. Καὶ τὰ ἄντρα κάλλιστα καὶ αἱ πηγαὶ καὶ αἱ παρ´ αὐτοῖς κενταυρίδες, εἰ μὲν ἐπιλαθοίμεθα τῶν ἵππων, οἷον Ναΐδες, εἰ δὲ μετὰ τῶν ἵππων αὐτὰς λογιζοίμεθα, οἷον Ἀμαζόνες· ἡ γὰρ τοῦ γυναικείου εἴδους ἁβρότης ῥώννυται συνορωμένου αὐτῷ τοῦ ἵππου. Κένταυροι δὲ ταυτὶ τὰ βρέφη τὰ μὲν σπαργάνοις ἔγκειται, τὰ δὲ τῶν σπαργάνων ὑπεκδύεται, τὰ δὲ κλάειν ἔοικε, τὰ δὲ εὖ πράττει καὶ εὐροοῦντος τοῦ μαζοῦ μειδιᾷ, τὰ δὲ ἀτάλλει ὑπὸ ταῖς μητράσι, τὰ δὲ περιβάλλει αὐτὰς ὀκλαζούσας, ὁ δὲ ἐς τὴν μητέρα λίθον ἀφίησιν ὑβρίζων ἤδη. Καὶ τὸ μὲν τῶν νηπίων εἶδος οὔπω σαφὲς ἐμπλημμυροῦντος αὐτῷ τοῦ γάλακτος, τὰ δὲ ἤδη σκιρτῶντα ἐκφαίνει τι καὶ τραχύτητος, ὑπάρχει δὲ αὐτοῖς χαίτη μέλλουσα καὶ ὁπλαὶ ἁπαλαὶ ἔτι. Ὡς καλαὶ αἱ κενταυρίδες καὶ ἐν τοῖς ἵπποις· αἱ μὲν γὰρ λευκαῖς ἵπποις ἐμπεφύκασιν, αἱ δὲ ξανθαῖς συνάπτονται, τὰς δὲ ποικίλλει μέν, ἀποστίλβει δὲ αὐτῶν οἷόν τι τῶν ἐν κομιδῇ ἵππων. Ἐκπέφυκε καὶ μελαίνης ἵππου λευκὴ κενταυρὶς καὶ τὰ ἐναντιώτατα τῶν χρωμάτων εἰς τὴν τοῦ κάλλους συνθήκην ὁμολογεῖ.

III. LES CENTAURIDES.

Tu croyais que les centaures étaient nés des chênes, des pierres, ou même de cavales fécondées, dit la fable, par le fils d'Ixion, ce qui expliquerait comment ils réunissent en eux une double nature (a) : la vérité est que dans l'espèce des centaures les mères ont toujours eu de la ressemblance avec des femmes, leurs petits avec les enfants des hommes, et qu'ils avaient dès le principe le plus agréable des séjours. Je ne pense pas, en effet, que tu aies quelque prévention contre le Pélion, contre la vie qu'on y mène, contre les forêts de frênes cultivées par le vent, qui donnent des lances bien droites, à la pointe aussi dure que le fer. Que dire de ces belles cavernes, de ces sources que fréquentent les femelles des centaures, semblables à des Naïades si nous oublions leur nature chevaline, rappelant à certains égards les Amazones : c'est le cheval uni à la femme, c'est la force s'ajoutant à la délicatesse des formes. Quant aux enfants des centaures, les uns sont encore couchés dans leurs langes, les autres commencent à en sortir; ceux-ci semblent pleurer; ceux-là sont heureux et sourient à la mamelle qui leur verse le lait en abondance ; d'autres bondissent sous leur mère ; d'autres embrassent les centaurides agenouillées ; en voici un qui dans sa précoce insolence lance une pierre contre sa mère ; ceux-ci n'ont encore que les formes indistinctes de l'enfance aux chairs gonflées de lait ; ceux-là, qui bondis- 365 sent déjà, montrent je ne sais quelle rudesse de mœurs malgré leur crinière à peine naissante et leurs sabots encore tendres. Vois aussi comme les mères sont belles, même à ne considérer que leur partie chevaline ; blanche chez les unes, jaune chez les autres, ailleurs de teintes variées ; toutes brillent de cet éclat qui est propre aux cavales bien entretenues. Celle-ci, sur un corps de cheval tout noir, élève un buste d'une blancheur parfaite : ce violent contraste contribue à la beauté de l'ensemble.

COMMENTAIRE

Le peintre Zeuxis (1) avait représenté une famille de centaures. Un genou en terre, une jambe fortement tendue comme pour se relever, les pieds de derrière étendus, une centauride allaitait deux petits, prenant l'un sur son sein de femme, se laissant téter par l'autre, comme font les poulains. Un hippocentaure, vu à mi-corps, se penchait en souriant sur ce groupe ; de la main droite il élevait un lionceau comme pour faire peur aux enfants. Le tableau décrit par Philostrate montrait non pas seulement une famille mais une troupe de centaures dispersés sur les pentes du Pélion. Welcker compte sept centaures ou centaurides avec leurs petits. Philostrate indique en effet sept attitudes différentes ; il attribue, il est vrai, chacune d'elles à des groupes d'individus, mais Welcker prétend que le rhéteur emploie ici, par un artifice de langage qui lui est familier, le pluriel pour le singulier. Nous pensons que Welcker pèche ici par excès de précision. Le peintre avait sans doute groupé diversement un grand nombre de centaures, de tout sexe et de tout âge, Philostrate décrit les attitudes dont la vérité ou la grâce l'ont frappé. A-t-il décrit toutes celles qui étaient représentées ? toutes celles qu'il décrit appartenaient-elles à des centaures placés dans des groupes différents? C'est ce qu'il serait impossible de dire avec certitude. Plusieurs enfants, diversement posés, pouvaient appartenir à la même famille ; deux enfants de mère différente pouvaient se jouer sur le sein maternel sans être tout à fait la copie l'un de l'autre.

Toutes ces attitudes indiquées par Philostrate se laissent aisément saisir par l'imagination, sans que nous ayons besoin de recourir aux monuments ; chacun peut se représenter les petits centaures bondissant entre les jambes d'une centauride ou embrassant leur mère agenouillée. Les langes que mentionne le sophiste ont étonné un commentateur; le linge, dit-il, n'est point à l'usage d'êtres qui vivent en troupe sur le Pélion; Zeuxis, dans le tableau décrit par Lucien, s'était bien gardé de coucher ses centaures sur des tapis et leurs petits dans des berceaux. Cette critique est plus ingénieuse que juste. 366 Les centaures sont des hommes d'une autre espèce, et comme tels, ils ont des mœurs qui approchent de celles de l'homme en société. Ils sont plus féroces, plus insolents, plus enclins à l'ivresse que les hommes; mais en cela même, ils montrent qu'ils participent largement de la nature humaine» ils assistent à des festins ; ils jouent de la flûte de Pan ou de la lyre, ils pratiquent et enseignent l'art de la médecine ; ils enlèvent les femmes des peuples voisins, ou des héros, trop confiants dans leur honnêteté. L'art leur donne une place dans le thiase de Dionysos, ils sont mêlés à la légende des dieux et des demi-dieux. Sur les monuments, une peau de bête couvre souvent leurs épaules ou leurs flancs ; mais ils connaissent aussi l'usage des draperies. Chiron porte la chlamyde et quelquefois le chiton (2). Sur une gemme du Musée de Florence (3) qui représente une centauride allaitant un petit centaure, c'est une draperie et non la dépouille d'une panthère qui enveloppe la mère. Pourquoi les enfants des centaures n'auraient-ils pas reposé sur des langes? L'effet dépend du goût et de la mesure apportés par l'artiste dans la représentation : emmaillotés, les centaures seraient ridicules ; étendus sur un tissu habilement plié ou déplié, ils conserveront toute la grâce sauvage de leurs formes étranges.

La gemme que nous venons de citer nous montre une des attitudes décrites par Philostrate, La mère a ses quatre jambes repliées sous elle: d'une main elle tient et présente le sein au petit centaure, de l'autre elle touche le dos de l'enfant et le serre contre elle. Cette petite composition est trois fois précieuse ; elle supplée au tableau de Zeuxis, elle nous rend présente une des altitudes de notre peinture ; enfin, elle est l'une des rares images d'une mère allaitant son enfant que l'antiquité nous ait laissées. Si riche que Tût notre tableau en attitudes diverses, il n'offrait point cependant aux regards, comme la peinture célèbre de Zeuxis, un jeune centaure tétant sa mère à la façon des poulains. Quelques-uns des jeunes centaures étaient pourtant blottis sous le ventre maternel; mais ils bondissaient, ils se livraient à leurs ébats, ils jouaient entre eux; rien de plus. II est assez curieux que parmi les œuvres d'art parvenues jusqu'à nous aucune ne rappelle à cet égard la composition de Zeuxis (4). Si l'on se souvient que l'artiste replia sa toile en se plaignant de l'attention que la foule donnait à la nouveauté du sujet, on peut penser que ce double allaitement, ces deux maternités réunies en un même individu étaient précisément le trait original qui, au détriment de qualités plus rares, avaient émerveillé les spectateurs du tableau.

Bien fréquente, au contraire, était dans l'art antique, l'attitude du centaure jetant une pierre. Chez ces êtres à demi sauvages, c'était une manière de 367 combattre. Combien de fois retrouvons-nous ce geste dans la frise du temple de Thésée qui représentait la lutte des Lapithes et des Centaures ! Une peinture (5) nous montre également, à côté de Scylla armée d'un gouvernail, deux centaurides qui tiennent chacune une pierre dans une main et se préparent à la lancer. L'attitude était donc comme indiquée à notre peintre par la tradition, mais en plaçant cette pierre dans la main d'un enfant, en montrant cette main levée contre une mère, l'artiste a fait d'un trait vulgaire un trait qui caractérise ici à merveille la précoce insolence de cette race issue d'Ixion.

 

(1) Lucien, Zeuxis, IV.

(2) Overb. Die Bildw, t. VII et VIII.

(3) Mûller-Wiescler, D. d. a. Κ., I, 203 d'après Gori dans le Museum Florentinum. La même remarque s'applique à un camée reproduit dans les .Mon. ined. de Winckelmann, pl. 80 et qui représente aussi une Centauride allaitant un petit centaure.

(4) Stephani, Compte-rendu de la commiss. archéol. de Saint-Pétersb., année 1863, p. 197.

(5) Mûller-Wieseler, D. d. a. K., II, n° 593. — Gori Mus. Etr., II, 154.

 

ΙΠΠΟΛΥΤΟΣ

Τὸ μὲν θηρίον ἀρὰ Θησέως, ἐμπέπτωκε δὲ τοῖς Ἱππολύτου ἵπποις ἐν εἴδει ταύρου λευκοῦ κατὰ τοὺς δελφῖνας, ἥκει δὲ ἐκ θαλάττης κατὰ τοῦ μειρακίου οὐδεμιᾷ δίκῃ. Μητρυιὰ γὰρ Φαίδρα ξυνθεῖσα λόγον ἐπ´ αὐτῷ οὐκ ὄντα, ὡς δὴ ἐρῷτο ὑπὸ τοῦ Ἱππολύτου—αὐτὴ δὲ ἄρα τοῦ μειρακίου ἤρα— ἀπατᾶται ὁ Θησεὺς τῷ λόγῳ καὶ καταρᾶται τοῦ παιδὸς τὰ ὁρώμενα. Οἱ μὲν δὴ ἵπποι ὁρᾷς ὡς ἀτιμάσαντες τὸν ζυγὸν ἐλευθέραν αἴρουσι τὴν χαίτην, οὐ δὲ κροαίνοντες ὥσπερ οἱ λαμπροὶ καὶ ἔμφρονες, ἀλλ´ ἐξηρμένοι φόβῳ καὶ πτοίᾳ, ῥαίνοντες δὲ ἀφρῷ τὸ πεδίον ὁ μὲν ἐς τὸ θηρίον ἐπέστραπται φεύγων, ὁ δ´ ἀνεσκίρτηκεν ἐς αὐτό, ὁ δὲ ὑποβλέπει, τῷ δὲ εἰς τὴν θάλατταν ἡ φορὰ καθάπερ ἑαυτοῦ καὶ τῆς γῆς ἐκλαθομένῳ, μυκτῆρσι δὲ ὀρθοῖς ὀξὺ χρεμετίζουσιν, εἰ μὴ παρακούεις τῆς γραφῆς. Τροχοὶ δ´ ἅρματος ὁ μὲν ἐξήρμοσται τὰς κνήμας ὑπὸ τοῦ συγκλιθῆναι τὸ ἅρμα ἐς αὐτόν, ὁ δ´ ἐκλελοιπὼς τὸν ἄξονα φέρεται καθ´ ἑαυτὸν στροβούσης αὐτὸν ἔτι τῆς δίνης. Διεπτόηνται καὶ οἱ τῶν ὀπαδῶν ἵπποι καὶ τοὺς μὲν ἀποσείονται, τοὺς δ´ ἄγχοντας ποῖ ἤδη φέρουσι; σὺ δέ, μειράκιον, σωφροσύνης ἐρῶν ἄδικα μὲν ὑπὸ τῆς μητρυιᾶς ἔπαθες, ἀδικώτερα δὲ ὑπὸ τοῦ πατρός, ὥστε ὠδύρατο καὶ ἡ γραφὴ θρῆνόν τινα ποιητικὸν ἐπὶ σοὶ ξυνθεῖσα. Σκοπιαὶ μὲν γὰρ αὗται, δι´ ὧν ἐθήρας σὺν Ἀρτέμιδι, δρύπτονται τὰς παρειὰς ἐν εἴδει γυναικῶν, λειμῶνες δ´ ἐν ὥρᾳ μειρακίων, οὓς ἀκηράτους ὠνόμαζες, μαραίνουσιν ἐπὶ σοὶ τὰ ἄνθη, Νύμφαι τε αἱ σαὶ τροφοὶ τουτωνὶ τῶν πηγῶν ἀνασχοῦσαι σπαράττουσι τὰς κόμας ἀποβλύζουσαι τῶν μαζῶν ὕδωρ. Ἤμυνε δέ σοι οὐδ´ ἡ ἀνδρεία οὐδὲν οὐδὲ ὁ βραχίων, ἀλλά σοι τὰ μὲν ἐσπάρακται τῶν μελῶν, τὰ δὲ συντέτριπται, πέφυρται δ´ ἡ κόμη, καὶ τὸ μὲν στέρνον ἔμπνουν ἔτι καθάπερ μὴ μεθιέμενον τῆς ψυχῆς, τὸ δὲ ὄμμα περιαθρεῖ τὰ τετρωμένα. Φεῦ τῆς ὥρας, ὡς ἄτρωτός τις ἐλελήθει οὖσα. Οὐδὲ γὰρ νῦν ἀπολείπει τὸ μειράκιον, ἀλλ´ ἐπιπρέπει τι καὶ τοῖς τραύμασιν.

IV. HlPPOLYTE.

Docile aux inspirations de Thésée, ce monstre s'est jeté sur les chevaux d'Hippolyte, il ressemble par la forme à un taureau, par sa couleur verdâtre aux dauphins. Il a été vomi par la mer pour servir une injuste vengeance. Phèdre, belle-mère d'Hippolyte, a faussement accusé le jeune homme prétendant être aimée de lui, lorsque c'était elle qui l'aimait, et Thésée trompé par cette calomnie a fait contre son fils un vœu dont tu vois l'accomplissement. Les chevaux hérissent leur crinière affranchie du joug; ils ne piaffent pas comme des chevaux superbes et maîtres d'eux; ils sont éperdus, en proie à la terreur. Dans la plaine qu'ils blanchissent de leur écume, l'un en fuyant, se retourne vers le monstre, l'autre se précipite sur lui, l'autre le regarde d'un œil farouche, l'autre s'élance vers les flots comme s'il s'oubliait lui-même et la terre avec lui ; tous, les narines au vent, poussent des hennissements aigus que la peinture a rendus sensibles. Des roues du char, l'une a perdu ses rayons fracassés par le poids du char qui est tombé sur elle, l'autre chassée de son essieu roule encore dans la plaine, emportée par son élan. Saisis d'un même effroi, les chevaux des compagnons d'Hippolyte ont démonté leurs cavaliers, ou les entraînent au hasard, malgré leurs efforts désespérés. Quant à toi, jeune homme, ton amour de la sagesse t'a livré en proie à l'injustice de ta belle-mère, à l'injustice plus atroce de ton père. La peinture gémit sur toi, elle aussi ; elle est comme une espèce de lamentation poétique, de plainte funèbre, composée en ton honneur. Les hauteurs escarpées sur lesquelles tu chassais en compagnie de Diane nous apparaissent sous les traits de femmes qui se déchirent les joues; ces jeunes gens représentent les prés, purs de toute profanation, comme tu les nommais (a) ; par compassion pour toi, leurs 368 fleurs se flétrissent; tes nourrices, les nymphes de ces sources, soulèvent au-dessus de l'eau leur poitrine ruisselante (b) et s'arrachent les cheveux. Ni ton courage ni la force de ton bras n'ont pu te servir; tes membres ont été les uns déchirés, les autres broyés; tes cheveux sont souillés; ta poitrine respire encore comme si la vie ne l'abandonnait qu'avec peine et ton regard semble errer sur tes blessures. Comme tu es beau encore! Vraiment nous ne savions pas que la beauté fût invulnérable ; non seulement elle n'a pas abandonné le jeune homme, mais des blessures mêmes elle tire je ne sais quelle grâce.
 

COMMENTAIRE

Il est assez difficile de se représenter l'ordonnance du tableau d'après Philostrate qui s'est plus attaché à décrire le mouvement des chevaux et l'attitude des personnages qu'à nous indiquer la place des uns et des autres. D'un côté sans doute on apercevait la mer puisqu'un des chevaux se précipitait comme pour se jeter dans les flots ; les personnages qui représentaient les rochers devaient être placés sur le rivage, assis peut-être sur des rochers véritables, sans doute à l'arrière plan pour ne pas encombrer la scène principale ; l'autre côté ou le fond du tableau était occupé par une prairie, à l'extrémité de laquelle se tenaient sans doute les jeunes gens (le mot prairie en grec est du masculin) qui la personnifiaient, des ruisseaux la traversaient et des femmes à moitié sorties de l'eau figuraient les Nymphes des prairies humides, les nourrices d'Hippolyte. Sur le devant, un char renversé ; Hippolyte se soulevant dans un dernier effort, ses chevaux dispersés, à droite et à gauche; le monstre près de la mer où il allait rentrer. Dans le lointain et de côté, les compagnons d'Hippolyte divisés en groupes, les uns démontés, les autres emportés par leurs chevaux.

Hippolyte, avons-nous dit, se relevait pour retomber. En effet, si on le suppose gisant à terre, il est difficile de comprendre comment il laisse errer son regard sur ses blessures. Nous nous le représentons volontiers dans l'attitude du Gaulois mourant dont la main appuyée sur le sol et le bras roidi soutiennent le corps défaillant : seulement le Gaulois tombe, Hippolyte au contraire a conservé assez de force pour se redresser; le Gaulois ferme les yeux et meurt avec résignation, Hippolyte se regarde mourir et se pleure lui-même. Ses membres sans doute étaient déchirés, couverts d'une sanglante poussière, mais Hippolyte n'était point un tronc informe, privé d'un bras ou d'une jambe ί c'est de tout le corps, non du visage et de la poitrine seuls que Philostrate parle lorsqu'il s'écrie : « comme tu es beau encore I tu es couvert de blessures, mais ta beauté est invulnérable ! » On reconnaît là le respect de l'artiste grec pour la beauté et la grâce. Euripide

 



 

371 brise la tête d'Hippolyte contre les rochers, déchire ses membres en menus lambeaux ; un sculpteur aurait choisi le moment où Hippolyte renversé par le char et assailli par le monstre n'est pas encore blessé (1), ou bien il aurait montré Hippolyte traîné par ses chevaux, mais avant toute blessure (2); le peintre nous le représente ensanglanté et déchiré, mais non défiguré.

Le peintre avait multiplié dans ce tableau les personnages symboliques. Ce sont d'abord les Scopiai ou rochers qui étaient représentés par des femmes le nom grec étant du féminin. Velcker pense que Philostrate désigne ainsi des nymphes Oréades, comme il donne ailleurs le nom de Thalatlai à des Néréides. C'est là une erreur, croyons-nous ; les Scopiai et les Thalattai ne sont point des êtres créés par l'imagination populaire et qui appartiennent à la mythologie primitive; ce sont des personnifications conçues par un peintre pour servir d'ornements à son tableau ; les Oréades, les Néréïdes sont vieilles comme la fable, les Thalattai, les Scopiai sont tout au plus contemporaines des premiers essais en peinture et en sculpture ; il y a même lieu de penser qu'elles ont dû plutôt leur naissance aux écoles les moins reculées de l'antiquité. Quoi qu'il en soit, des archéologues dignes de foi ont cru reconnaître des Scopiai dans les peintures de Pompéi. Qu'est-ce en effet que cette figure couronnée, vêtue d'une étoffe blanche et violette, qui dans un tableau représentent Éros et Ganymède, regarde la scène du haut d'un rocher, demi-couchée et appuyée sur les deux coudes (3)? Nous retrouvons le même personnage, à peu près dans la même attitude, près d'une Aphrodite à sa toilette (4); le costume seul diffère; ailleurs, il accompagne une Aphrodite qui pêche, un Adonis, un Endymion, une Ariadne (5) ; tantôt il a des ailes tantôt une espèce de nimbe. Toujours il ressemble à un spectateur plus ou moins impassible delà scène et, pour être fidèle à son rôle et à son nom, occupe les sommets les plus élevés et les plus arides.

Les Nymphes qui seraient mieux nommées des Naïades, suivant la remarque de Welcker, se soulevaient à demi hors des sources ou ruisseaux. Elles s'arrachaient les cheveux, frappaient leur poitrine à coups redoublés et de leur sein, dit Philostrate, coulait l'eau en abondance. Cette image a paru bizarre aux commentateurs ; pour ne point la mettre sur le compte d'un artiste, on a supposé que Philostrate s'était servi d'une expression obscure à force d'être recherchée : il aurait voulu dire uniquement que l'eau ruisselait sur leur poitrine. Jusqu'ici l'explication est vraisemblable. Mais cette 372 eau d'où provient-elle? ce sont les larmes des Naïades, disent les [uns; c'est leur sang, disent les autres; l'eau est le véritable sang des Naïades, elles le font couler en se déchirant. Ne serait-il pas plus simple de penser que celte eau est celle même qu'elles représentent, celle de la source ou du ruisseau dont elles sont les divinités ; elles viennent de se soulever ; leur corps est encore humide; leurs cheveux sont ruisselants, l'eau en coulant sur leur poitrine paraît sortir de leur sein. Il pourrait se faire d'ailleurs, sans trop d'invraisemblance, que l'artiste eût voulu nous montrer les ruisseaux et les sources, comme s'échappant des seins mômes des Naïades;" l'idée est un peu singulière sans doute, l'imagé ne se rencontre pas ailleurs dans l'art antique : cependant ni l'image ni l'idée ne nous paraissent de nature à avoir effrayé un artiste ancien.

Welcker que les Scopiai de Philostrate ne surprennent pas, ne peut croire que les prairies fussent personnifiées. On rencontre, dit-il, des figures qui représentent des fleuves, des montagnes, des villes, mais non des prairies. L'artiste avait peint une terre couverte d'herbe et de fleurs ; ce sont-là les prairies que décrit Philostrate. Il dit, il est vrai, que ces prés avaient une beauté de jeunes gens; mais cela signifie qu'ils étaient fleuris comme au printemps. Pour notre part, nous ne voyons pas pourquoi les artistes anciens n'auraient pas personnifié les prairies, comme les montagnes, comme les rivages. Et de fait, les prés ont été reconnus, depuis Welcker, sur une peinture de Pompéi qu'Helbig dans son catalogue a intitulé le « Mariage de Jupiter » (6) et dont il décrit ainsi les trois personnages symboliques : « Au pied du rocher sur lequel Jupiter est placé sont assis sur le gazon trois jeunes gens aux formes délicates, notablement plus petits que les autres personnages, couronnés tous trois de lauriers et de primevères, sans doute des Leimones (prairies) mis là pour indiquer l'heureuse et subite fécondité de la nature, qui, selon le poète, signala à l'univers la conclusion du mariage sacré. » Enfin les peintures de l'Esquilin semblent avoir été retrouvées pour confirmer la description de Philostrate : une d'elles nous montre, sous la figure de femmes, des Nomai ou pâturages ; et ce ne sont pas les commentateurs modernes qui, faute de mieux, ont ainsi désigné des personnages énigmati-ques; le peintre a pris soin d'écrire leur nom au-dessus de leurs têtes, afin que le spectateur antique, si habitué qu'il fût à ces sortes de représenta-tations, ne pût se méprendre sur la qualité et le rôle d'un groupe. Pour revenir au tableau de Philostrate, le rhéteur aurait-il nommé les prairies entre les Naïades elles Scopiai, les aurait-il décrites à cette place, si elles n'eussent été personnifiées? Gela semble fort peu probable. Quant aux fleurs qui se flétrissent, ce sont celles, si l'on veut, qui composent la couronne des trois jeunes gens; sans doute le texte de Philostrate n'est pas assez précis ; il per- 373 met d'hésiter entre une guirlande et des fleurs encore sur pied ; mais il faut se rappeler que la description est censée faite devant le tableau, et que cette circonstance supprimait toute hésitation de ce genre. Disons mieux : si l'art, comme il apparaît dans la peinture de Pompei citée plus haut, avait l'habitude de couronner de fleurs les personnages représentant les prairies, le commentateur ne courait point le risque d'être obscur en remarquant que leurs fleurs semblaient languir et se faner.

Un éminent archéologue (7) incline à croire que le tableau décrit par Philostrate était une reproduction ou une imitation d'une peinture d'Antiphile, maître très célèbre de l'époque alexandrine, rival et contemporain d'Apelle. Une composition aussi étendue, aussi complexe, aussi riche en motifs pittoresques, pleine de mouvement et légèrement réaliste, ne peut appartenir qu'à un âge où l'art s'écartait de sa simplicité primitive et mérite d'être attribuée à un peintre qui possédant tous les secrets de son art traitait avec une égale facilité les sujets les plus divers. Brunn a raison sur un point ; la peinture sort d'une école nouvelle ; est-ce bien une raison pour croire qu'elle soit l'œuvre d'Antiphile? Pline parlant des sujets traités par cet artiste dit qu'il avait représenté l'effroi d'Hippolyte à la vue du taureau vomi par la mer (8). Dans notre peinture Hippolyte n'est plus effrayé ; terrassé et mourant, il se pleure lui-même, selon Philostrate, Le moment est différent; le sentiment n'est plus le même. Il est impossible de supposer que Pline l'Ancien ou l'écrivain qu'il suivait se soit trompé : en effet s'il désigne ainsi un tableau représentant la mort d'Hippolyte, c'est que ce tableau était surtout remarquable par la terreur qu'exprimait le visage du héros. A ce point de vue, le tableau d'Antiphile pourrait être bien mieux comparé à une des urnes de Chiusium que nous avons déjà citées (9); le héros tombé de son char oppose son bouclier au taureau qui bondit et déjà le frappe au front de ses cornes ; on voit qu'il se sent perdu ; il se raidit encore avec courage pour se défendre mais les traits contractés expriment l'angoisse et le désespoir. L'eflroi cependant est peint avec plus de force encore sur le visage d'un des compagnons d'Hippolyte qui, un genou en terre, élève son manteau au-dessus de sa tête comme pour s'en couvrir et se dérober à la vue d'un spectacle qui l'épouvante. Cette gradation dans la peinture de la terreur qui est à coup sûr un des grands mérites de ce très beau bas-relief, recommandait peut-être aussi le tableau d'Antiphile à l'admiration des anciens. Au contraire l'Hippolyte de notre peinture ressemblerait plutôt à l'Hippolyte de la seconde urne étrusque (10) ; le fils de Thésée a encore toute la partie supérieure du corps engagée dans le char; mourant, il laisse retomber sa tête sur laquelle 374 il replie le bras, dans l'attitude des figures qui dorment. Comme l'Hippolyte de Philostrate, il aurait pu dans cette situation, avant de rendre le dernier soupir, jeter un regard de pitié sur ses propres blessures, si la sculpture avait rendu les morsures du monstre ou les déformations de la chute.

D'ailleurs entre ces deux bas-reliefs et notre peinture, outre la différence de genre, il y a encore une grande différence de sentiment et de conception. Pour les anciens artistes comme pour les anciens poètes, la mort d'Hippolyte, quoique injuste, est l'œuvre de deux divinités : Poséidon lié par sa promesse se fait l'exécuteur d'un châtiment qu'il réprouve ; Aphrodite poursuit la vengeance de dédains qui l'outragent. La fatalité, la puissance paternelle, la colère d'une déesse implacable, la conscience étroite d'un dieu brutal: tout conspire pour opprimer l'innocence. Notre pitié s'accroît de la terreur qu'un pareil spectacle est bien fait pour nous inspirer, en nous montrant ce qu'il y a d'inévitable et d'inique dans le cours des choses humaines, ce qu'il y a d'odieusement funeste, non dans nos propres passions, mais dans celles des autres. L'art antique de la belle époque paraît avoir tenu à conserver ce caractère à la mort d'Hippolyte. Sur une des urnes de Chiusium (11) une femme portant une torche et qui ne peut être prise que pour une Erinnys ou Lyssa, personnifie soit l'imprécation meurtrière de Thésée contre son fils, soit la rage que Poséidon et Aphrodite soufflent au monstre marin; sur l'autre bas-relief (12), outre cette même furie qui ici s'éloigne triomphalement du lieu de la scène, nous apercevons Athéna, reconnaissable à son casque; la déesse tient un glaive, comme les compagnons d'Hippolyte. QueJ est son rôle? Il est assez malaisé de le définir; en tout cas elle rappelle Thésée dont elle est la protectrice. Jetons maintenant les yeux sur une peinture de vase qui représente Hippolyte debout sur son char et le taureau sortant des flots (13); un démon féminin, vêtu d'une tunique courte, les bras entourés de serpents, une torche à la main, s'élance au devant des chevaux; au-dessus de cette scène, on aperçoit le dieu Pan avec le pédum et la syrinx, Apollon avec l'arc et la branche de laurier, Athéna avec l'épie.u et le bouclier, Poséidon avec le trident, Aphrodite groupée avec Eros; le spectateur est averti ; les dieux contemplent la scène ; les uns ont envoyé la Furie, déchaîné le taureau; les autres pleurent Hippolyte ; tous jouent un rôle dans la catastrophe. Dans la peinture décrite par Philostrate les divinités de l'Olympe ont cédé la place à des figures allégoriques ; de la légende l'artiste semble n'avoir retenu que le dénouement, non les causes qui l'ont amené : il l'a épurée en quelque sorte, en écartant tout ce qui la rendait terrible et mystérieuse; mais cette épuration est un amoindrissement; au lieu d'arriver 375 à la pilié par l'effroi, il veut être avant tout et seulement pathétique ; ce qui le touche, c'est moins l'injustice du sort, que cette terrible inimitié des dieux contre le héros, que les horreurs du supplice et le contraste entre un corps mutilé et les restes de beauté qu'il conserve encore; ce qui le préoccupe, c'est moins la joie ou la pitié des immortels que la douleur probable de la nature qui perd en Hippolyte comme un compagnon et un favori. Les œuvres citées plus haut sont plus conformes à l'esprit de l'antiquité tragique et de la religion grecque; la peinture de Philostrate semble avoir été inspirée par la littérature élégante et sentimentale des Alexandrins. On peut relever toutefois dans la peinture de vase un trait qui est comme une transition entre la conception primitive et la nouvelle : la nature en effet assiste déjà à la catastrophe dans la personne d'un jeune Pan qui s'appuie coutre un rocher. Mais combien il y a loin entre cet art si sobre, si discret et l'art qui multiplie les Scopiai, les Thalassai et les Nymphes !

(1) Voir les urnes de Chiusium, dans Micall, l'Italie avant la domination romaine. Atlas, pl. XXXII et ΧΧΧIII. Nous avons fait reproduire la planche n° XXXII.

(2) Comme sur le célèbre sarcophage d'Agrigente, Gœthe, Mém, II, p. 121 de la traduct. ; Honel, Voy. pittoresq. de Sicile et de Malte, IV, tab. 238; Saint-Non, Voy. pitt. de Sicile et de Naples., IV, p. 82.

(3) Helb. Wandg., n° 155.

(4) Ibid., 305.

(5) lbid., 353, 354, 956. Cf. 971, 124, 1390.

(6) Helbig, Wandg., n° 114

(7) Brunn, Gesch. der Griech Künstlw, Zw. B, p. 249.

(8) Pl. H. N., 35, 114. Hippolytum tauro emisso expavescentem.

(9) Micall, ouvr. cité pl. XXXII.

(10) Ibid., pl. XXXIII.

(11) Micall, pl. XXXIII.

(12) Ibid. pl. ΧΧΧII (Voir notre gravure.)

(13) Arch. Zeit., p. 245 ; Kœrte, über Personnification psych. aff. in. d. sp. Vaseamalerei, p. 36)

 

ΡΟΔΟΓΟΥΝΗ

Καὶ τὸ αἷμα πρὸς τῷ χαλκῷ καὶ ταῖς φοινικίσι προσβάλλει τι ἄνθος τῷ στρατοπέδῳ, καὶ χαρίεν τῆς γραφῆς οἱ ἄλλος ἄλλως πεπτωκότες ἵπποι τε ἀτακτοῦντες μετ´ ἐκπλήξεως καὶ παρεφθορὸς ὕδωρ ποταμοῦ, ἐφ´ ᾧ ταῦτα, οἱ δὲ αἰχμάλωτοι καὶ τὸ ἐπ´ αὐτοῖς τρόπαιον—Ῥοδογούνη καὶ Πέρσαι νικῶσιν Ἀρμενίους ἐν σπονδαῖς ἀτακτήσαντας, ὅτε δὴ λέγεται ἡ Ῥοδογούνη κρατῆσαι τῆς μάχης οὐδὲ ὅσον τὰ δεξιὰ τῆς χαίτης ἀναλαβεῖν ξυγχωρήσασα ἑαυτῇ βραδῦναι. Ἢ οὐκ ἐπῆρται καὶ φρονεῖ ἐπὶ τῇ νίκῃ καὶ ξυνίησιν, ὡς ἔσοιτο ἀοίδιμος ἐπὶ τῷ ἔργῳ καὶ ἐν κιθάρᾳ καὶ ἐν αὐλῷ καὶ ἔνθα Ἕλληνες; προσγέγραπται δὲ αὐτῇ καὶ Νησαία ἵππος μέλαινα ἐπὶ λευκοῖς τοῖς σκέλεσι, καὶ τὰ στέρνα λευκὰ καὶ τὸ πνεῦμα ἀπὸ λευκοῦ τοῦ μυκτῆρος καὶ τὸ μέτωπον ἐν ἀρτίῳ τῷ κύκλῳ. Λίθων μὲν οὖν καὶ ὅρμων καὶ παντὸς ἁπαλοῦ κόσμου παρακεχώρηκεν ἡ Ῥοδογούνη τῷ ἵππῳ, ὡς ἀγάλλοιτο καὶ ἁβρῶς τὸν χαλινὸν διαπτύοι, κοκκοβαφεῖ δὲ ἐσθῆτι καταλάμπει πάντα πλὴν τοῦ ἑαυτῆς εἴδους ἐν ἡδείᾳ μὲν τῇ ζώνῃ καὶ τὴν ἐσθῆτα μετρούσῃ ἐς γόνυ, ἡδείᾳ δὲ τῇ ἀναξυρίδι καὶ παρεχομένῃ γραφὰς ἀπὸ κερκίδος, τὸ δὲ ἀπὸ ὤμου ἐς ἀγκῶνα τὸν χιτῶνα διαλείπουσαι πόρπαι ξυνάπτουσιν ὑπανισχούσης ἐναλλὰξ τῆς ὠλένης, ἔνθα ὁ δεσμός, ὁ δὲ ὦμος ἔγκειται· τὸ σχῆμα οὔπω Ἀμαζόνος. Καὶ τῆς ἀσπίδος ἄγασθαι χρὴ τὸ μέτριον καὶ ἀποχρῶν τῷ στέρνῳ καὶ τὴν ἰσχὺν τῆς γραφῆς ἐνταῦθα ἐξετάσαι· ὑπερβάλλουσα γὰρ ἡ ἀριστερὰ τὸν πόρπακα ἔχεται τῆς αἰχμῆς ἀφιστᾶσα τοῦ στέρνου τὴν ἀσπίδα, ὀρθῆς δὲ ἐκκειμένης τῆς ἴτυος ὁρᾶται μὲν καὶ τὰ ἔξω τῆς ἀσπίδος· ἢ οὐ χρυσᾶ ταῦτα καὶ οἷον ζῷα; τὰ δὲ ἔσω καὶ ἔνθα ἡ χεὶρ ἁλουργά, προσανθεῖ δὲ αὐτοῖς ὁ πῆχυς. Αἰσθάνεσθαί μοι δοκεῖς, ὦ παῖ, τοῦ ἐν αὐτῇ κάλλους καὶ βούλεσθαί τι καὶ περὶ τούτου ἀκούειν· ἄκουε δή. Σπένδει μὲν ἐπὶ τῇ τῶν Ἀρμενίων τροπῇ, καὶ ἡ ἔννοια εὐχομένης· εὔχεται δὲ αἱρεῖν τοὺς ἄνδρας, ὡς νῦν ᾕρηκεν· οὐ γάρ μοι δοκεῖ ἐρᾶν τοῦ ἐρᾶσθαι. Καὶ τὸ μὲν ἀνειλημμένον τῶν τριχῶν αἰδοῖ κεκόσμηται τὸ ἀγέρωχον κολαζούσῃ, τὸ δὲ ἄνετον βακχεύει αὐτὴν καὶ ῥώννυσι. Καὶ ξανθὸν μὲν καὶ χρυσοῦ πέρα τὸ ἀτακτοῦν τῆς κόμης, τὸ δὲ ἐπὶ θάτερα κείμενον ἔχει τι καὶ ἐς αὐγὴν παραλλάττον ὑπὸ τοῦ τετάχθαι. Τῶν δὲ ὀφρύων χαρίεν μὲν τὸ ἀπὸ τοῦ αὐτοῦ ἄρχεσθαι καὶ ὁμόθεν ἐκπεφυκέναι τῆς ῥινός, χαριέστερον δὲ τὸ περιῆχθαι· δεῖ γὰρ αὐτὰς μὴ προβεβλῆσθαι τῶν ὀφθαλμῶν μόνον, ἀλλὰ καὶ περιβεβλῆσθαι αὐτοῖς. Ἡ παρειὰ δὲ ὑποδέχεται μὲν τὸν ἀπὸ τῶν ὀμμάτων ἵμερον, εὐφραίνει δὲ τῷ ἱλαρῷ—τὸ γὰρ φιλομειδὲς ἐν παρειᾷ μάλιστα—καὶ οἱ ὀφθαλμοὶ κέκρανται μὲν ἀπὸ τοῦ χαροποῦ ἐς τὸ μέλαν, παρέχονται δὲ τὸ μὲν ἱλαρὸν ἀπὸ τοῦ καιροῦ, τὸ δὲ ὡραῖον ἀπὸ τῆς φύσεως, τὸ δὲ γαῦρον ἀπὸ τοῦ ἄρχειν. Στόμα δὲ ἁπαλὸν καὶ ἀνάμεστον ὀπώρας ἐρωτικῆς, φιλῆσαι μὲν ἥδιστον, ἀπαγγεῖλαι δὲ οὐ ῥᾴδιον. Ἃ δὲ ἀπόχρη σοι μαθεῖν ὅρα, παιδίον· χείλη ἀνθηρὰ καὶ ἴσα, στόμα σύμμετρον καὶ παραφθεγγόμενον τὴν εὐχὴν τῷ τροπαίῳ· κἂν παρακοῦσαι βουληθῶμεν, τάχα ἑλληνιεῖ.

V. RHODOGUNE.

Le sang rougit la terre, ajoutant une teinte vive à l'éclat de l'airain et des vêtements de pourpre, dont briUe le camp; c'est là un spectacle agréable, mais il nous plaît aussi de voir des cadavres couchés çà et là, des chevaux que la terreur jette hors des rangs, un fleuve qui roule des eaux ensanglantées. Voici des prisonniers et un trophée élevé par Rho-dogune et les Perses, à l'occasion de la victoire remportée sur les Arméniens. Ces peuples, pendant les cérémonies mêmes du traité, avaient couru aux armes; Rhpdogune, sans prendre même le temps de relever sa chevelure du côté droit, leur livra bataille et les défit. Ne sent-on pas qu'elle est heureuse et fière de sa victoire ? elle comprend sans doute que cet exploit sera chanté sur la cithare et la flûte en tout pays hellénique. Près d'elle est une cavale de Nisa noire, avec les jambes, le poitrail et les naseaux blancs, et une tache blanche parfaitement ronde, sur le front (a). Pierres précieuses, colliers, riches ornements de toute sorte, Rhodogune, les dédaignant pour elle (b), les a prodigués à son cheval, afin que, fier de sa parure, il ronge le frein avec moins d'impatience. Tout brille en elle de l'éclat de la pourpre, hors son visage qui brille par lui-même ; une ceinture gracieuse maintient la robe à la hauteur du genou ; ses braies collantes flattent l'œil par leurs broderies ; de l'épaule au coude une série d'agraffes rattache la manche de la tunique, et dans les intervalles apparaît la blancheur du bras. L'épaule est couverte : ce n'est donc point là tout à fait le costume des Amazones. Il nous faut aussi admirer le bouclier qui est de dimension moyenne, mais suf-  376 fit pour couvrir la poitrine. Le talent du peintre est ici digne de notre examen ; la main gauche passée dans l'anneau le dépasse et tient une lance, en écartant le bouclier de la poitrine; le bord du bouclier, ainsi tenu dans une position verticale, on en aperçoit les deux faces; la face extérieure n'est-elle pas resplendissante comme l'or (c) ? ne paraît-elle pas animée (d) ? La face intérieure, voisine de la main, s'empourpre des reflets de la tunique qui recouvre le bras jusqu'au coude. Tu me parais sentir la beauté de cette attitude, mon enfant, et tu veux que je discoure à ce sujet : écoute donc. Rhodogune fait des libations en l'honneur de sa victoire sur les Arméniens; le sens de sa prière se comprend; elle demande à vaincre les hommes, mais ainsi qu'elle les a vaincus aujourd'hui ; elle ne paraît pas en effet avide des triomphes qui sont dus à l'amour. Sa chevelure est en partie retenue par le bandeau ; de là un air de pudeur qui tempère la fierté de son visage ; elle flotte en partie ; de là un air animé, une apparence de force ; blonds et plus brillants que l'or sont les cheveux ainsi livrés à eux-mêmes. Les autres par cela seul qu'ils sont rangés (e), ne paraissent pas être tout à fait de la même nuance. Les sourcils naissent du même lieu et tout près de la racine du nez, ce qui est une grâce ; ils s'arrondissent d'une façon encore plus gracieuse ; car il ne faut pas seulement qu'ils fassent saillie au devant de l'œil; il faut encore qu'autour de lui ils dessinent une courbe. Un air de gaieté répandu sur la joue (car c'est la joue qui donne au sourire tout son charme) accompagne heureusement la douceur du regard (f). Les yeux sont d'un bleu profond, presque noir ; la nature les a fait beaux, la victoire les anime, le pouvoir royal les rend fiers; la bouche délicate est mûre pour l'amour, la baiser serait chose douce; la décrire est difficile. Mais voici ce qu'il te suffit de savoir, mon enfant ; les lèvres sont vermeilles, régulières ; la bouche bien proportionnée s'entr'ouvre pour prier, en action de grâces du trophée. Prêtons l'oreiUe, et nous entendrons peut-être Rhodogune s'exprimer en grec.

COMMENTAIRE

Quelques anciens ont parlé de Rhodogune sans nous donner sur elle beaucoup plus de renseignements que Philostrate; nous savons qu'on lui avait élevé une statue d'or qui la représentait, comme notre tableau, les cheveux relevés d'un côté de la tête, de l'autre flottant en liberté. Une image de Rhodogune, avec la chevelure en désordre, aurait été gravée, selon Po-  377 lyen (1), sur l'anneau qui servait de cachet aux rois de Perse. Rhodogune devait être encore célèbre dans l'antiquité par son costume et sa beauté, car Néron en faisant prendre à un de ses favoris des vêtements de femme, et en lui donnant des suivantes, voulut qu'il s'appelât Rhodogune (2) : triste sort d'un nom illustré par des actions viriles !

Philostrate décrit si vaguement le champ de bataille qu'il est impossible d'assigner, même par conjecture, une place à chaque objet, et si minutieusement l'attitude de Rhodogune qu'il ne laisse rien à deviner au lecteur. La manière dont elle tient son bouclier peut toutefois sembler surprenante ; la main gauche passée dans l'anneau, dit le rhéteur, va au delà, et tient une lance en écartant le bouclier de la poitrine. La plupart des boucliers que nous voyons sur les monuments anciens ont deux anneaux sur la face intérieure» l'un au milieu, l'autre près du bord ; c'était sans doute un bouclier de ce genre que tenait Rhodogune, et c'est le second anneau dont parle ici Philostrate. Le bouclier de Rhodogune n'était point incliné, dit Philostrate ; il se présentait par le bord au regard du spectateur. Une petite inclinaison en dehors était cependant nécessaire pour permettre d'apercevoir la face intérieure qui était creuse; quant à la face extérieure, si elle avait été entièrement plane, elle n'eût pas été visible ; mais le bouclier ancien était bombé ; il était alors possible d'apercevoir, non pas sans doute la moitié, mais une portion notable de la partie convexe. Sur un vase antique (3), Athéna tient un bouclier serré contre elle ; on distingue très bien le rebord et une bande, très étroite, il est vrai, de la surface extérieure ; mais on comprend que cette bande s'élargirait si le bouclier était un peu plus penché du côté du personnage, et que la face extérieure n'en serait que plus visible, si tout en recevant cette inclinaison, le bouclier venait plus en avant (4). Le même effet encore pourrait se produire, si sans être plus penché d'un côté ou de l'autre, le bouclier était plus bombé. Sur telle œnochoé antique (5), représentant Hector traîné autour de Troie et Achille atteint par une flèche, des soldats élèvent leurs boucliers au-dessus de leur tête ; on aperçoit très bien la main passée dans l'anneau intérieur, et les godrons qui décorent la partie extérieure du bouclier (6). La description de Philostrate paraît donc répondre aux nécessités de la perspective, sauf en un point, déjà signalé ; le bouclier, au lieu d'être droit, devait être légèrement incliné en dehors.

Presque toujours sur les monuments, les dieux et les héros armés de la 378 lance et du bouclier tiennent la lance de la main droite, le bouclier de la main gauche. Il est aisé de comprendre pourquoi le peintre dans notre tableau n'a pas donné cette attitude à Rhodogune ; elle prie les dieux : elle achève d'élever son trophée ou tient une patère dans la main droite pour faire une libation aux dieux ; elle a donc fait passer sa lance dans sa main gauche. Celte attitude, d'ailleurs très naturelle, n'est point inconnue à Fart antique ; c'est celle de Minerve sur les monnaies du Bruttium.

Philostrate fait remarquer que Rhodogune n'est pas tout à fait vêtue comme une amazone. Le rhéteur pense en effet non aux amazones hellénisées par le ciseau des grands maîtres de la Grèce, mais à celles qui étaient restées asiatiques. Les premières ont toujours une épaule et un sein découverts ; leur tunique courte descend à peine jusqu'au genou et laisse les bras tout à fait libres ; les secondes portent la tunique à manches, serrée à la taille, les anaxyrides brodées, les chaussures pointues, quelquefois un second vêtement plus ample qui flotte sur le premier et ressemble à la chlamyde des hommes. C'est d'ailleurs le costume moitié historique, moitié de convention, que l'art antique avait adopté pour les peuples barbares, pour les habitants de l'Asie, comme pour ceux du nord de l'Europe, et qu'il se contentait d'enrichir ou de simplifier, suivant qu'ils avaient à représenter un Scythe ou un Perse (7).

Le choix du moment était heureux, Rhodogune s'élançant au combat ou aux prises' avec l'ennemi ne nous aurait guère laissé le loisir d'admirer autre chose que sa vaillance; en outre, elle n'eût pas été aussi reconnaissable; oh l'eût prise volontiers pour une de ces amazones que l'on rencontre si souvent sur les monuments figurés. Debout auprès d'un trophée, entourée de cadavres et de prisonniers, tenant d'une main la patère des libations, de l'autre, la lance et le bouclier, elle est la Rhodogune que connaît l'histoire, Rhodogune en possession de sa renommée ; la joie de la victoire qui s'épanouit sur son visage accroît sa beauté. C'est le plus beau moment de son règne et de sa vie ; c'est par conséquent celui où elle méritait le plus d'être offerte par la peinture à l'admiration des hommes.

 

(1) Polyen, Strat., LVIII, p. 600.

(2) Dion-Chrys., Orat., 64, p. 327.

(3) Gerh. Apul. Vasenb., tf. 6. Overbeck Die Bildw., p. 220, ne 53. Tab. X, 5.

(4) Voir aussi une statue de Pallas du Musée de Dresde (Becker, Augusteum, 41).

(5) Raoul Rochette, M. L, pl. 53. — Overb. Die Bildw, p. 461, n° 124, t. XIX, n° 12.

(6) Voir aussi une pierre gravée de la collection Blacas, qui représente un guerrier armé du bouclier et lançant une pierre. Inghirami, Gal. om. Iliade, tav. 97.

(7) Cf. Otto Jahn Einleitung in der Vasenkunde, p. CCIX.
 

 

ΑΡΡΙΧΙΩΝ

Ἐς αὐτὰ ἥκεις Ὀλύμπια καὶ τῶν ἐν Ὀλυμπίᾳ τὸ κάλλιστον· τουτὶ γὰρ δὴ ἀνδρῶν τὸ παγκράτιον. Στεφανοῦται δὲ αὐτὸ Ἀρριχίων ἐπαποθανὼν τῇ νίκῃ καὶ στεφανοῖ αὐτὸν οὑτοσὶ Ἑλλανοδίκης— ἀτρεκὴς δὲ προσειρήσθω διά τε τὸ ἐπιμελεῖσθαι ἀληθείας διά τε τὸ ὡς ἐκεῖνοι γεγράφθαι—στάδιόν τε ἡ γῆ δίδωσιν ἐν ἁπλῇ αὐλῶνι καὶ εἰσεχούσῃ τοσοῦτον, καὶ τὸ τοῦ Ἀλφειοῦ νᾶμα ἐξέρχεται κοῦφον—ταῦτά τοι καὶ μόνος ποταμῶν ἐπὶ τῆς θαλάττης ὀχεῖται—κότινοί τε αὐτῷ περιτεθήλασιν ἐν γλαυκῷ εἴδει καλοὶ καὶ κατὰ τὴν τῶν σελίνων οὐλότητα. Ταυτὶ μὲν οὖν μετὰ τὸ στάδιον ἐπισκεψόμεθα καὶ πολλὰ ἕτερα, τὸ δὲ ἔργον τοῦ Ἀρριχίωνος, πρὶν ἢ παύσασθαι αὐτό, σκοπῶμεν. Ἔοικε γὰρ μὴ τοῦ ἀντιπάλου μόνον, ἀλλὰ καὶ τοῦ Ἑλληνικοῦ κεκρατηκέναι· βοῶσι γοῦν ἀναπηδήσαντες τῶν θάκων καὶ οἱ μὲν τὼ χεῖρε ἀνασείουσιν, οἱ δὲ τὴν ἐσθῆτα, οἱ δὲ αἴρονται ἀπὸ τῆς γῆς, οἱ δὲ τοῖς πλησίον ἱλαρὸν προσπαλαίουσι· τὰ γὰρ ὄντως ἐκπληκτικὰ οὐ συγχωρεῖ τοῖς θεαταῖς ἐν τῷ καθεκτῷ εἶναι. Ἢ τίς οὕτως ἀναίσθητος, ὡς μὴ ἀνακραγεῖν ἐπὶ τῷ ἀθλητῇ; μεγάλου γὰρ δὴ αὐτῷ ὑπάρχοντος τοῦ δὶς ἤδη νικῆσαι τὰ Ὀλύμπια μεῖζον τοῦτο νυνί, ὅτε καὶ τῆς ψυχῆς αὐτὰ κτησάμενος εἰς τὸν τῶν ὀλβίων πέμπεται χῶρον αὐτῇ κόνει. Μὴ δὲ συντυχία νοείσθω τοῦτο· σοφώτατα γὰρ προυνοήθη τῆς νίκης. Καὶ τὸ πάλαισμα; οἱ παγκρατιάζοντες, ὦ παῖ, κεκινδυνευμένῃ προσχρῶνται τῇ πάλῃ· δεῖ γὰρ αὐτοῖς ὑπωπιασμῶν τε, οἳ μή εἰσιν ἀσφαλεῖς τῷ παλαίοντι, καὶ συμπλοκῶν, ἐν αἷς περιγίνεσθαι χρὴ οἷον πίπτοντα, δεῖ δὲ αὐτοῖς καὶ τέχνης ἐς τὸ ἄλλοτε ἄλλως ἄγχειν, οἱ δὲ αὐτοὶ καὶ σφυρῷ προσπαλαίουσι καὶ τὴν χεῖρα στρεβλοῦσι προσόντος τοῦ παίειν καὶ ἐνάλλεσθαι· ταυτὶ γὰρ τοῦ παγκρατιάζειν ἔργα πλὴν τοῦ δάκνειν ἢ ὀρύττειν. Λακεδαιμόνιοι μὲν οὖν καὶ ταῦτα νομίζουσιν ἀπογυμνάζοντες οἶμαι ἑαυτοὺς ἐς τὰς μάχας, Ἠλεῖοι δὲ [καὶ] ἀγῶνες ταυτὶ μὲν ἀφαιροῦσι, τὸ δὲ ἄγχειν ἐπαινοῦσιν. Ὅθεν τὸν Ἀρριχίωνα μέσον ἤδη ᾑρηκὼς ὁ ἀντίπαλος ἀποκτεῖναι ἔγνω καὶ τὸν μὲν πῆχυν τῇ δειρῇ ἤδη ἐνέβαλεν ἀποφράττων αὐτῷ τὸ ἆσθμα, τὰ σκέλη δὲ τοῖς βουβῶσιν ἐναρμόσας καὶ περιδιείρας ἐς ἑκατέραν ἀγκύλην ἄκρω τὼ πόδε τῷ μὲν πνίγματι ἔφθη αὐτὸν ὑπνηλοῦ τὸ ἐντεῦθεν θανάτου τοῖς αἰσθητηρίοις ἐντρέχοντος, τῇ δὲ ἐπιτάσει τῶν σκελῶν ἀνειμένῃ χρησάμενος οὐκ ἔφθη τὸν λογισμὸν τοῦ Ἀρριχίωνος· ἐκλακτίσας γὰρ τὸν ταρσὸν τοῦ ποδὸς Ἀρριχίων, ὑφ´ οὗ ἐκινδύνευεν αὐτῷ τὰ δεξιὰ κρεμαννυμένης ἤδη τῆς ἀγκύλης, ἐκεῖνον μὲν συνέχει τῷ βουβῶνι ὡς οὐκέτ´ ἀντίπαλον, τοῖς δέ γε ἀριστεροῖς ἐνιζήσας καὶ τὸ περιττὸν ἄκρον τοῦ ποδὸς ἐναποκλείσας τῇ ἀγκύλῃ οὐκ ἐᾷ μένειν τῷ σφυρῷ τὸν ἀστράγαλον ὑπὸ τῆς εἰς τὸ ἔξω βιαίου ἀποστροφῆς· ἡ γὰρ ψυχὴ ἀπιοῦσα τοῦ σώματος ἀδρανὲς μὲν αὐτὸ ἐργάζεται, δίδωσι δὲ αὐτῷ ἰσχύειν εἰς ὃ ἀπερείδεται. Γέγραπται δὲ ὁ μὲν ἀποπνίξας νεκρῷ εἰκάσαι καὶ τὸ ἀπαγορεῦον ἐπισημαίνων τῇ χειρί, ὁ δὲ Ἀρριχίων ὅσα οἱ νικῶντες γέγραπται· καὶ γὰρ τὸ αἷμα ἐν τῷ ἄνθει καὶ ὁ ἱδρὼς ἀκραιφνὴς ἔτι, καὶ μειδιᾷ καθάπερ οἱ ζῶντες, ἐπειδὰν νίκης αἰσθάνωνται.

VI. ARRHICHION.

Tu assistes aux jeux Olympiques et au plus beau de tous, je veux dire le pancrace ; le vainqueur Arrhichion est mort au milieu de sa victoire et voici Thellanodice qui le couronne ; un juge impartial (a) : il prouve en effet par son action qu'il aime la vérité ; un vrai juge : car il est représenté avec le costume de ces sortes d'arbitres. Le stade se trouve 379 dans une vallée unie (b), suffisamment longue, d'où s'échappent les eaux légères de l'Alphée (si légères que seules des eaux fluviales elles sont portées par les flots de la mer), entre des rives bordées de beaux oliviers sauvages, aux feuilles d'un vert pâle et frisées à la manière de Tache (c). Mais nous contemplerons plus tard ces objets et beaucoup d'autres; considérons le stade et l'exploit d'Arrhichion. Il semble qu'il ait triomphé non pas seulement de son adversaire, mais de la Grèce tout entière. Les spectateurs s'élancent de leurs sièges en poussant des cris ; les uns agitent leurs mains, les autres secouent leurs vêtements ; ceux-ci bondissent en l'air ; ceux-là, par amusement, engagent une lutte avec leurs voisins, car un spectacle si émouvant ne permet à personne de se contenir. Qui serait assez froid pour ne point acclamer un tel athlète ? C'était déjà bien glorieux pour lui d'avoir été deux fois vainqueur aux jeux Olympiques; sa troisième victoire est encore plus belle, car il l'achète de sa vie et c'est, couvert de poussière, qu'il entre dans le séjour des heureux; le hasard, crois-le bien, n'a pas conduit les événements, l'adresse la plus consommée a donné la victoire à notre athlète (d). C'est une lutte dangereuse, mon enfant, que le pancrace; il faut savoir tomber à la renverse, ce qui n'est point sans péril pour l'athlète ; il faut enlacer son adversaire, et vaincre, quoiqu'il paraisse vous tenir sous lui ; il faut avec art le serrer fortement, tantôt ici et tantôt là ; s'attaquer à la cheville d'un pied, tordre une main, frapper et assaillir en bondissant son adversaire; car le pancrace autorise tous ces moyens; il ne défend que de mordre et de crever les yeux (e). Et encore cette restriction n'est-elle point connue des Lacédémoniens qui ne luttent, j'imagine, que pour se préparer aux combats. Mais chez les Éléens, dont ce sont ici les jeux, sauf ces deux choses, tout est permis, même de serrer à étouffer. Aussi l'adversaire d'Arrhichion l'ayant saisi par le milieu du corps a résolu de le tuer; il lui applique le coude sur la gorge et intercepte la respiration ; ses cuisses pressent le bas-ventre d'Arrhichion et de chacun de ses pieds il lui entoure un jarret ; un sommeil mortel engourdit les sens d'Arrhichion ; mais le vainqueur qui a surpris ainsi son adversaire au point de l'étouffer, se laisse surprendre à son tour par l'habileté du vaincu, dont il cesse de comprimer la jambe assez fortement. Arrhichion en effet a repoussé par un violent effort le pied qui étreignait son jarret droit; sa jambe se balance maintenant dans l'air, il maintient alors son adversaire contre ses flancs, de façon à lui ôter tout moyen de résistance ; puis s'appuyant sur le côté gauche (f) et comprimant dans le pli du jarret l'extrémité du pied de son adversaire, il lui arrache par 380 un mouvement violent de conversion en dehors (g) l'os qui forme la malléole du pied ; l'âme en effet, lorsqu'elle s'échappe du corps, en fait une masse inerte, mais puissante par son poids même. Celui des deux athlètes qui étouffe l'autre a été représenté semblable à un mort et confessant de la main sa défaite ; Arrhichion, au contraire, est représenté comme le sont d'ordinaire les vainqueurs ; il a les couleurs de la santé ; la sueur ne s'est point refroidie sur son corps; il sourit comme font ceux qui survivant à la lutte ont conscience de leur victoire.

COMMENTAIRE

Arrhichion, vainqueur au pancrace, c'est-à-dire dans un combat qui réunissait le pugilat et la lutte, avait une statue dans le marché de Phigalie. Voici comment Pausanias décrit cette statue et raconte la dernière victoire et la mort d'Arrhichion. «Les pieds ne sont pas très écartés ; les mains collées au flanc descendent jusqu'aux fesses. C'est une statue de pierre ; elle portait dit-on une inscription que le temps a effacé. Cet Arrhichion (ainsi l'appelle Pausanias) avait été deux fois vainqueur aux jeux Olympiques, avant la 54e Olympiade; il le fut une troisième fois dans cette même Olympiade, grâce à l'équité des Hellanodices et à ses talents d'athlète. Comme il combattait pour la couronne d'olivier contre le seul adversaire qu'il n'eût pas encore terrassé, celui-ci (on ne sait qui il est) le saisit, l'enlaça vivement avec ses pieds et de ses mains lui comprima le cou. Arrhichion brisa un doigt de pied de son adversaire ; au même moment où il périssait lui-même étranglé, celui qui l'étranglait contraint par la douleur, s'avouait vaincu. Les Éléens déclarèrent Arrhichion vainqueur et couronnèrent son cadavre.

C'est la dernière attitude des combattants, la dernière figure de la lutte, comme disaient les Grecs, que notre tableau représente. Philostrale parle pour des Grecs habitués aux exercices du gymnase et pour des auditeurs qu'il suppose placés devant le tableau même ; il en résulte que sa description n'est peut-être pas tout à fait claire pour un lecteur moderne. Voici, selon nous, comment le peintre avait disposé son groupe. Arrhichion terrassé se retournait et s'appuyait pesamment sur le flanc et la cuisse gauche tournés du côté du spectateur; sa jambe droite qu'il venait de dégager paraissait comme suspendue, et se jouait librement dans l'air au-dessus de son rival qu'il tenait fortement pressé contre ses flancs ; les têtes des deux athlètes étaient écartées l'une de l'autre par le mouvement même du coude qui pressait la gorge d'Arrhichion ; ce coude était sans doute celui du bras gauche, afin que la figure de l'adversaire d'Arrhichion ne fût pas cachée et se tournât sans effort vers le spectateur ; avec la main droite il se déclarait vaincu. Le pied gauche qu'il avait enlacé autour de la jambe droite d'Arrhi- 381 chion était emprisonné dans le pli du jarret, et maintenu contre le sol par le poids même du corps d'Arrhichion. Cette position laissait comprendre comment le pied avait pu être luxé et la cheville déboîtée. Les doigts du pied avaient du être aussi écrasés, comme le raconte Pausanias qui, de son côté, ne parle pas de la cheville. Ainsi se concilierait le récit du périégète et la description de Philostrate.

Les attitudes sont bien différentes dans le fameux groupe en marbre de Florence qui représente deux lutteurs. Le vaincu a la figure et la poitrine tournées vers la terre ; il se soutient encore avec le bras gauche et le genou droit ; l'autre penché sur le dos du premier, lui enlace la jambe droite de sa jambe gauche; en même temps il lui saisit le bras droit et le ramène violemment en arrière, de manière sans doute à briser le dernier effort du bras qui se tend et à terrasser complètement son rival. Les deux groupes se ressemblent cependant à certains égards ; d'abord le sculpteur et le peintre ont combiné les mouvements de telle façon que les deux têtes sont entièrement visibles pour le spectateur ; d'un autre côté, les expressions sont presque les mêmes : dans le groupe de Florence, la joie, la sécurité, l'orgueil, s'épanouissent sur le visage du vainqueur; la douleur contracte les traits du vaincu. Ajoutez aux signes de la souffrance une pâleur mortelle, que la peinture seule peut rendre, le rival d'Arrhichion est présent à nos yeux ; fermez les yeux du vainqueur, dans le groupe de Florence; tempérez sa fierté et sa joie parle calme de la mort, et vous croirez voir Arrhichion. Un commentateur a prétendu, il est vrai, que la peinture de la mort dans l'art antique, admet la sérénité, non le sourire ; mais si c'est là une règle générale, le mérite d'un artiste consiste à s'en écarter à propos ; ainsi il évite le lieu commun. Or, Arrhichion n'est pas un mort ordinaire ; au moment même où il meurt, il se sent victorieux ; n'était-ce point le cas de mêler à l'expression générale de la mort les signes de la satisfaction que l'athlète dut éprouver à mourir ainsi, sur son vrai champ de bataille, et en homme qu'on a pu terrasser et tuer, mais non surpasser dans son art.

Outre les deux athlètes, le peintre avait encore représenté un Hellanodice et les spectateurs de la lutte. L'Hellanodice portait, dit Philostrate qui ne s'explique pas autrement, le costume de ces sortes d'arbitres ; un fragment de texte grec (1) nous apprend que les Hellanodices au nombre de dix dans les jeux Olympiques étaient vêtus de pourpre. Nous devons nous les représenter sans doute comme ces brabeutes, si fréquents dans les peintures de vases ; debout ou assis sur un ocladias, enveloppés dans une draperie qui laisse l'épaule à découvert ou emprisonnés dans le tribôn,ces juges des coups portés et rendus tiennent à la main un bâton ou une baguette fourchue, symbole de leur autorité. Ici l'Hellanodice, debout sans doute auprès d'Arrhichion 382 renversé, tenait en plus la couronne qu'il s'apprêtait à déposer sur le front du vainqueur.

Les spectateurs n'auraient pas été, pour nous autres modernes du moins, la partie la moins curieuse du spectacle. Les démonstrations de la joie et de la sympathie étaient-elles donc si vives, si bruyantes, si étranges même dans les jeux publics de la Grèce? Nous ne saurions en douter. Dion Chrysostome dans son discours sur Diogène de Sinope (2) raconte l'ovation faite à un athlète : « Il sortit du stade porté sur les épaules de ses admirateurs ; autour de lui, derrière lui retentissaient les acclamations d'une foule en délire; quelques-uns sautaient de joie et levaient les mains au ciel; d'autres jetaient sur l'athlète des bandelettes et des couronnes. » Les anciens semblent avoir souvent témoigné leur admiration par les gestes les plus expressifs. Pline le Jeune (3) se plaignant de l'indifférence des auditeurs conviés à une lecture, remarque qu'ils n'agitaient pas les mains, qu'ils ne se levaient pas de leurs sièges, ce qui prouve que tel était au moins l'usage des auditoires enthousiastes. Caracalla écoutant un sophiste en Gaule (4) fit à peu près comme les spectateurs d'Arrhichion qui secouaient leurs vêtements ; il se leva de son siège, leva les bras et rejeta sur son épaule le pan de sa chlamyde, tout cela pour témoigner son admiration.

 

(1).Beck., anecd. Cf. Etym magnum

(2) D. Chrys., Orat., IX, p. 292 (Reiske).

(3) Pl. m, ep., VI, 17, 2.

(4) Philostr., Vit. Soph., II, 32.

 

ΑΝΤΙΛΟΧΟΣ

Τὸν Ἀχιλλέα ἐρᾶν τοῦ Ἀντιλόχου πεφώρακας οἶμαι παρ´ Ὁμήρῳ, νεώτατον τοῦ Ἑλληνικοῦ ὁρῶν τὸν Ἀντίλοχον καὶ τὸ ἡμιτάλαντον τοῦ χρυσοῦ ἐννοῶν τὸ ἐπὶ τῷ ἀγῶνι. Καὶ ἀπαγγέλλει τῷ Ἀχιλλεῖ κεῖσθαι τὸν Πάτροκλον σοφισαμένου τοῦ Μενέλεω παραμυθίαν ὁμοῦ τῇ ἀγγελίᾳ, μεταβλέψαντος Ἀχιλλέως εἰς παιδικά, καὶ θρηνεῖ ἐρωμένου ἐπὶ τῷ πένθει καὶ συνέχει τὼ χεῖρε, μὴ ἀποκτείνῃ ἑαυτόν, ὁ δ´ οἶμαι καὶ ἁπτομένῳ χαίρει καὶ δακρύοντι. Αὗται μὲν οὖν Ὁμήρου γραφαί, τὸ δὲ τοῦ ζωγράφου δρᾶμα· ὁ Μέμνων ἐξ Αἰθιοπίας ἀφικόμενος κτείνει τὸν Ἀντίλοχον προβεβλημένον τοῦ πατρὸς καὶ τοὺς Ἀχαιοὺς οἷον δεῖμα ἐκπλήττει—πρὸ γὰρ τοῦ Μέμνονος μῦθος οἱ μέλανες—κρατοῦντες δὲ οἱ Ἀχαιοὶ τοῦ σώματος ὀδύρονται τὸν Ἀντίλοχον οἱ Ἀτρεῖδαι καὶ ὁ ἐκ τῆς Ἰθάκης καὶ ὁ [ἐκ] τοῦ Τυδέως καὶ οἱ ὁμώνυμοι. Ἐπίδηλος δὲ ὁ μὲν Ἰθακήσιος ἀπὸ τοῦ στρυφνοῦ καὶ ἐγρηγορότος, ὁ δὲ Μενέλεως ἀπὸ τοῦ ἡμέρου, ὁ δὲ Ἀγαμέμνων ἀπὸ τοῦ ἐνθέου, τὸν δὲ τοῦ Τυδέως ἡ ἐλευθερία γράφει, γνωρίζοις δ´ ἂν καὶ τὸν Τελαμώνιον ἀπὸ τοῦ βλοσυροῦ καὶ τὸν Λοκρὸν ἀπὸ τοῦ ἑτοίμου. Καὶ ἡ στρατιὰ πενθεῖ τὸ μειράκιον περιεστῶτες αὐτῷ θρήνῳ ἅμα, πήξαντες δὲ τὰς αἰχμὰς εἰς τοὔδαφος ἐναλλάττουσι τὼ πόδε καὶ στηρίζονται ἐπὶ τῶν αἰχμῶν ἀπερείσαντες οἱ πλεῖστοι δυσφορούσας τὰς κεφαλὰς τῷ ἄχει. Τὸν Ἀχιλλέα μὴ ἀπὸ τῆς κόμης—οἴχεται γὰρ τοῦτο αὐτῷ μετὰ τὸν Πάτροκλον—ἀλλὰ τὸ εἶδος αὐτὸν ἐνδεικνύτω καὶ τὸ μέγεθος καὶ αὐτὸ τὸ μὴ κομᾶν. Θρηνεῖ δὲ προσκείμενος τοῖς στέρνοις τοῦ Ἀντιλόχου, καὶ πυρὰν οἶμαι ἐπαγγέλλεται καὶ τὰ ἐς αὐτὴν καὶ τὰ ὅπλα ἴσως καὶ τὴν κεφαλὴν τοῦ Μέμνονος· ἀποτεῖσαι γὰρ καὶ τὸν Μέμνονα ὅσα τὸν Ἕκτορα, ὡς μηδὲ ταῦτα ὁ Ἀντίλοχος ἔλαττον τοῦ Πατρόκλου ἔχοι. Ὁ δ´ ἐν τῷ τῶν Αἰθιόπων στρατῷ δεινὸς ἕστηκεν ἔχων αἰχμὴν καὶ λεοντῆν ἐνημμένος καὶ σεσηρὼς ἐς τὸν Ἀχιλλέα. Σκεψώμεθα οὖν καὶ τὸν Ἀντίλοχον· ἡβάσκει μὲν ὑπήνης πρόσω, κομᾷ δὲ ἐν ἡλιώσῃ κόμῃ. Κοῦφος ἡ κνήμη καὶ τὸ σῶμα σύμμετρον ἐς ῥᾳστώνην τοῦ δρόμου καὶ τὸ αἷμα οἷον ἐπ´ ἐλέφαντι χρῶμα ἤνθηκεν ἐμπεσούσης αὐτῷ κατὰ τοῦ στέρνου τῆς αἰχμῆς. Κεῖται δὲ οὐ κατηφὲς τὸ μειράκιον οὐδὲ νεκρῷ εἰκάσαι, φαιδρὸν δ´ ἔτι καὶ μειδιῶν· τὴν γὰρ οἶμαι χαρὰν τὴν ἐπὶ τῷ τὸν πατέρα σῶσαι φέρων ἐν τῷ εἴδει ὁ Ἀντίλοχος ἀπώλετο ὑπὸ τῆς αἰχμῆς, καὶ τὸ πρόσωπον ἡ ψυχὴ κατέλιπεν οὐχ ὡς ἤλγησεν, ἀλλ´ ὡς ἐπεκράτησε τὸ εὐφραῖνον.

VII. ANTILOQUE.

Achille aimait Antiloque ; tu l'as sans doute deviné en lisant dans Homère, qu'Antiloque était le plus jeune des Grecs, et en pensant au demi-talent d'or, prix de la victoire. C'est de lui qu'Achille apprit la mort de Patrocle. Ménélas, par un choix habile, l'avait charge de la nouvelle, dans la pensée que ce serait pour le héros une consolation de reporter les yeux sur l'objet de sa tendresse. Antiloque se lamente avec son ami désolé, lui contient les mains, l'empêche de se tuer; Achille, j'imagine, est heureux de cette étreinte et de ces larmes. Tels sont les tableaux d'Homère ; voici le sujet traité par le peintre. Antiloque s'étant jeté devant son père, Memnon venu de l'Éthiopie tue le jeune homme et fait reculer les Achéens, glacés d'épouvante comme à la vue d'un monstre ; car avant Memnon, tout ce qu'on rapportait des nègres paraissait fabuleux. Les Achéens s'étant emparés du cadavre, Antiloque est pleuré par les Atrides, par le héros d'Ithaque, par le fils de Tydée, parles deux Ajax. Ulysse est reconnaissable à son aspect sévère, à la vivacité de son regard, Ménélas à la douceur de l'expression, Aga- 383 memnon à quelque chose de divin. Le fils de Tydée respire une indocile fierté. Ajax, fils de Télamon, a l'air farouche qui lui est propre ; Ajax le Locrien est prêt à tout oser. L'armée est rangée autour du cadavre qu'elle pleure ; appuyés sur leurs lances fixées en terre les compagnons d'Antiloque croisent les jambes et laissent tomber leur tête appesantie par la douleur. Achille ne se reconnaît pas à sa chevelure, il s'en est dépouillé depuis la mort de Patrocle, mais à sa beauté. Il se lamente couché sur la poitrine d'Antiloque ; il lui promet un bûcher, j'imagine, les offrandes habituelles, peut-être aussi les armes et la tête de Memnon. Memnon en effet subira le même châtiment qu'Hector ; car il ne faut pas qu'Antiloque, même en cela, soit moins bien traité que Patrocle ; quanta Memnon, il se tient debout dans l'armée des Éthiopiens, l'air menaçant, la lance dans la main, une peau de lion sur les épaules, provoquant Achille par son sourire. Mais considérons encore Antiloque, l'âge du premier duvet est déjà passé; il fait ondoyer une chevelure dorée; légère est la jambe ; le corps bien proportionné annonce un agile coureur. La poitrine, ensanglantée parla lance, brille comme l'ivoire teint de pourpre. Tout mort qu'il est, l'adolescent loin de paraître triste et de ressembler à un cadavre, a le visage serein et souriant; c'est que, j'imagine, quand Antiloque a été frappé de la lance, la joie d'avoir sauvé son père était peinte sur sa figure, et quand l'âme a cessé d'animer les traits, loin de souffrir, elle était dominée par un sentiment de bonheur.

COMMENTAIRE

Antiloque était le plus jeune des guerriers grecs, le plus beau après Achille, le favori du plus beau ; en outre il avait sauvé son père en lui faisant un rempart de son corps contre les coups du terrible Memnon. Quelle occasion pour un peintre de charmer les yeux et d'émouvoir la pitié tout à la fois en représentant la mort ou les funérailles d'un pareil héros !

L'ordonnance de notre tableau est aisée à comprendre : d'un côté ou peut-être sur le devant, on voyait le cadavre entouré d'Achille et des six autres chefs ; de l'autre côté ou plutôt sur un plan plus reculé, Memnon au milieu de quelques guerriers représentant l'armée éthiopienne.

On se demande tout d'abord comment Memnon qui est si près, qui brave Achille de son sourire, ne trouble pas le deuil des Achéens. Sur un certain nombre de monuments figurés (1), Memnon et Achille en viennent aux mains autour d'Antiloque ; on comprend que le fils de Nestor sera vengé 384 avant d'être pleuré. Notre tableau, au contraire, suppose que les Achéens ont dégagé le corps, repoussé l'armée éthiopienne et qu'Achille, accouru trop tard pour prendre part à la mêlée, se livre à la douleur en attendant le moment de tuer Memnon. L'artiste avait ou suivi une autre tradition, ou modifié, comme c'était son droit, le récit des poètes et des historiens fabuleux. D'ailleurs, sur d'autres monuments qui représentent Memnon tué par Achille, on ne voit pas le cadavre d'Antiloque, ce qui suppose qu'il a été enlevé avant le combat des deux héros. L'attitude prêtée parle peintre à Memnon n'est point sans intérêt ; il semble que le héros se recueille avant d'engager une nouvelle lutte, qu'il contemple un moment avec curiosité celui avec qui il doit en venir aux mains ; qu'il se réjouisse de sa douleur, et qu'il le regarde, à cause de cette douleur même qui éclate en sanglots, comme un adversaire peu digne de lui. Le spectateur qui pressent une autre tragédie après celle qu'il voit, qui sait même à quel dénouement cette arrogance mènera le héros éthiopien, n'en est que plus ému.

Six chefs, sans compter Achille et les compagnons d'Antiloque, entouraient le cadavre. Nous retrouvons presque les attitudes décrites par Philostrate sur une œnochoé en argent trouvée à Bernay, qui représente également une scène de deuil (2). Un cadavre est couché sur le sol ; un jeune homme assis sur un tertre, les jambes pendantes, un bras appuyé sur le genou gauche, la tête reposant sur le bras, semble en proie à une douleur profonde. Des guerriers l'entourent : trois s'appuient sur leur lance; deux autres, sur des espèces de bâton ; celui-ci laisse retomber ses mains et les croise (3) ; celui-là se renverse en arrière et saisit ses genoux à deux mains ; d'autres soutiennent d'une main leur tête qui s'affaisse. Le jeune homme assis près du cadavre est sans doute Achille, qui dans une autre scène du même vase, fait peser Hector dans une balance, avant de le délivrer contre rançon et pour ainsi dire au poids de l'or. Le cadavre est celui de Patrocle, suivant les archéologues; on pourrait croire que c'est celui d'Antiloque, s'il n'était pas plus vraisemblable que l'artiste eût voulu rapprocher sur le même vase la mort de Patrocle et la rançon d'Hector. Parmi les guerriers, on reconnaît Ulysse à son pilos ; le vieillard qui croise les mains est peut-être Nestor. Il semble que Nestor dût être également et à plus forte raison représenté dans notre tableau ; son fils Antiloque venait de le préserver d'une mort certaine, il l'avait vu tomber, victime de son dévouement; il avait essayé lui-même, avec les autres guerriers de s'emparer du cadavre. Des commentateurs ont voulu justifier le peintre : la douleur de Nestor, disent-ils, eût été trop grande; elle eût captivé l'attention au détriment de celle d'Achille, que le peintre voulait nous




 

montrer. Nestor pleurant son fils, Achille pleurant son favori, ce sont là deux sujets distincts que l'artiste a eu raison de ne pas réunir. Nestor, s'il avait été présenté, aurait eu le premier rôle ; c'est lui et non Achille qui se serait jeté sur la poitrine d'Antiloque. Cette explication nous paraît subtile : nous imaginons très bien, par exemple, Achille penché sur le cadavre, Nestor debout et croisant les mains ; Achille médite une vengeance ; Nestor est abattu et consterné par ce nouveau malheur qui frappe sa vieillesse. Ce sont là deux douleurs différentes : le premier rôle n'appartient pas plus à l'une qu'à l'autre ; d'ailleurs le sujet est plus encore la mort d'Antiloque que la douleur d'Achille ; en quoi l'unité serait-elle violée, parce que tous ceux qui regrettent Antiloque sont rangés autour de son cadavre ? La diversité dans l'expression de la douleur est une ressource précieuse dont un peintre ne se prive pas par amour de l'unité mal entendue. D'ailleurs il y a quelque chose de violent à séparer ceux qui doivent pleurer ensemble, par exemple le père et l'ami ! Nous aimerions mieux croire que Philostrate n'a pas reconnu le vieux Nestor dans le groupe de guerriers qui se pressaient autour du cadavre, ou qu'il a oublié de le nommer. Peut-être aussi a-t-il suivi une autre tradition mal connue de nous. Quintus Calaber raconte que Nestor, après la mort d'Antiloque, avait quitté le champ de bataille pour avertir Achille ; sans doute, il était rentré dans sa tente, où il attendait le retour d'Achille et préparait les funérailles de son fils. Ce ne sont point ici les funérailles qui sont représentées; c'est le premier éclat de la douleur d'Achille et des Grecs, après qu'ils eurent recouvré le cadavre. Nestor ne serait point là parce qu'il n'aurait pas combattu. Memnon lui-même (suivant Quintus Calaber) l'avait engagé à se retirer de la mêlée ; il s'en était retiré sans doute pour n'y plus rentrer. Sa vengeance était en bonnes mains.

Les guerriers qui pleurent Antiloque avaient chacun une expression différente, nous dit Philostrate ; et cette expression était conforme au rôle qu'ils jouent dans les poèmes homériques ; rien de plus vraisemblable. Ulysse, dans les représentations antiques, se distingue des autres héros non seulement par le bonnet pointu, mais encore par un air très remarquable de finesse et d'intelligence; son visage est bien celui d'un homme qui est sans cesse sur ses gardes, qui sait démêler promplement les avantages ou les inconvénients d'un parti, et qui dans l'exécution unit la vivacité à la persistance. Comme exemple de cette expression complexe, nous citerons surtout un buste en marbre reproduit par Tischbein (4) ; mais on retrouve Ulysse avec la même expression et presque avec les mêmes traits sur d'autres monuments, en particulier dans une peinture de Pompéi (5) qui réunit le héros et Pénélope et dans quelques-unes des miniatures du manuscrit ambroisien de 388 l'Iliade (6); ce qui prouve combien un certain type d'Ulysse était répandu dans l'antiquité. De même Agamemnon semblable aux dieux a d'ordinaire quelque chose de la majesté divine, caractère que le sceptre et le bandeau contribuent encore à marquer plus fortement. Ajax, fils de Télamon, a presque toujours l'air farouche et violent ; il est vrai qu'il est presque toujours représenté dans l'ardeur du combat. Toutefois nous ne croyons pas que pour chacun des héros énumérés par Philostrate, par exemple pour Ménélas, pour Diomède, pour Ajax fils d'Oilée, l'art eût adopté une expression constante, un type invariable ; les artistes anciens semblent, dans le choix de l'expression, s'être inspirés surtout de la situation dans laquelle chacun de ces héros était engagé. Philostrate, reconnaissant Agamemnon et Ulysse à des traits qui variaient peu avait supposé que les autres héros étaient peints d'après Homère, de façon à être à peu près toujours les mêmes; il semble avoir préféré à l'exactitude de l'observation la symétrie de sa phrase et le plaisir de trop comprendre ; d'ailleurs on se demande ce que signifie Y air libre, la liberté, de Diomède (7), si ce n'est point une réminiscence de la réponse hardie que le héros fait dans l'Iliade à Agamemnon (8), et comment, si tel est le cas, le peintre avait pu donner au héros pleurant Antiloque un aspect de brusque franchise qui aidât à le reconnaître ; de même l'expression prêtée à Ajax le Locrien qui était prêt, dit le texte grec, sans doute prêt à tout oser (9), paraît trop vague pour avoir caractérisé bien nettement en peinture le personnage. C'est là un de ces passages où le rhéteur voit les tableaux à travers les souvenirs de la poésie grecque, et leur attribue, pour mieux les louer, des perfections imaginaires.

 

(1) 0verbeck, Die Bildwerke, p. 514, 536.

(2) Overbeck, ibid., p. 481, n° 146. Raoul Roch. M. I., pl. 52.

(3) Les mains croisées, les jambes croisées servent à indiquer la douleur (Raoul Roch, Choix de peint, de Pompéi, 134. Letronne, Journ. des Savants, 1829, p. 532) ; mais ces attitudes ne sont pas constantes et sont souvent employées en un sens tout contraire (Voir Stephani Der ausruhende Her les, p. 144).

(4) Tischbein, Peint Homér., Od. IV ; Mlllin, Gal. myth., 172 bis, 627.

(5) Helbig, Wandg. 1332. Overb., die Bildw., Uf. 33, 16.

(6) Voir par ex. Inghirami, Gal. Om., tav. 108.

(7) ἐλευθερία.

(8) Iliad., X, 82.

(9) ἀπὸ τοῦ ἑτοίμου.

 

ΜΕΛΗΣ

Τὸ μὲν τοῦ Ἐνιπέως καὶ ὡς ἤρα ἡ Τυρὼ τοῦ ὕδατος, Ὁμήρῳ λέλεκται—λέγει δὲ ἀπάτην ἐκ Ποσειδῶνος καὶ τὸ ἄνθος τοῦ κύματος, ὑφ´ ᾧ ἡ εὐνή—οὑτοσὶ δὲ ὁ λόγος ἕτερος, οὐκ ἐκ Θετταλίας, ἀλλ´ Ἰωνικός. Ἐρᾷ ἡ Κριθηὶς ἐν Ἰωνίᾳ τοῦ Μέλητος, ὁ δ´ ἐφήβῳ ἔοικε καὶ ὁρᾶται τῷ θεατῇ ὅλος, ἐκεῖ ἐκβάλλων ὅθεν ἄρχεται. Πίνει δὲ οὐ διψῶσα καὶ λαμβάνεται τοῦ ὕδατος καὶ κελαρύζοντι προσδιαλέγεται καθάπερ λαλοῦντι, δάκρυα δὲ λείβει ἐρωτικὰ τῷ ὕδατι, καὶ ὁ ποταμός—ἀντερᾷ γάρ—χαίρει αὐτῶν τῇ κράσει. Χαρίεν μὲν οὖν τῆς γραφῆς αὐτὸς ὁ Μέλης ἐν κρόκῳ καὶ λωτῷ κείμενος καὶ ὑακίνθῳ χαίρων δι´ ἡλικίαν τοῦ ἄνθους καὶ παρεχόμενος εἶδος ἁβρὸν καὶ μειρακιῶδες καὶ οὐδὲ ἄσοφον —εἴποις ἂν τοὺς ὀφθαλμοὺς τοῦ Μέλητος ἀνασκοπεῖν τι τῶν ποιητικῶν—χαρίεν δὲ αὐτοῦ καὶ ὅτι μὴ λάβρους τὰς πηγὰς ἐκδίδωσι, καθάπερ τοὺς ἀμαθεῖς τῶν ποταμῶν γράφεσθαι νόμος, ἀλλὰ τὴν γῆν ἄκραν τοῖς δακτύλοις διαμώμενος ὑπέχει τὴν χεῖρα τῷ ὕδατι ἀψοφητὶ βλύζοντι· καὶ ὁρᾶται ἡμῖν, ὡς τῇ γε Κριθηίδι ὕδωρ οὗτος καὶ παρακάθηται ὀνείρατι, ὥς φασιν. Ἀλλ´ οὐκ ὄναρ ταῦτα, ὦ Κριθηίς, οὐδὲ εἰς ὕδωρ τὸν ἔρωτα τοῦτον γράφεις· ἐρᾷ γάρ σου ὁ ποταμός, εὖ οἶδα, καὶ σοφίζεταί τινα ὑμῖν θάλαμον κῦμα αἴρων, ὑφ´ ᾧ ἡ εὐνὴ ἔσται. Εἰ δὲ ἀπιστεῖς, λέξω σοι καὶ τὴν τοῦ θαλάμου τέχνην· λεπτὴ αὔρα κῦμα ὑποδραμοῦσα ἐργάζεται αὐτὸ κυρτὸν καὶ περιηχὲς καὶ ἀνθηρὸν ἔτι· ἡ γὰρ ἀνταύγεια τοῦ ἡλίου χρῶμα προσβάλλει μετεώρῳ τῷ ὕδατι. Τί οὖν, ὦ παῖ, λαμβάνῃ μου; τί δ´ οὐκ ἐᾷς καὶ τὰ λοιπὰ διεξιέναι τῆς γραφῆς; εἰ βούλει, καὶ τὴν Κριθηίδα διαγράψωμεν, ἐπειδὴ χαίρειν φῄς, ὅταν ἐναλύῃ αὐτοῖς ὁ λόγος. Λεγέσθω τοίνυν· ἁβρὸν μὲν αὐτῇ τὸ εἶδος καὶ μάλα Ἰωνικόν, αἰδὼς δὲ τῷ εἴδει ἐπιπρέπει καὶ ἀπόχρη τοῦτο τῇ παρειᾷ τὸ ἄνθος, ἡ χαίτη δὲ ἀνείληπται μὲν ὑπὸ τὸ οὖς, ἐπικοσμεῖται δὲ καὶ κρηδέμνῳ ἁλουργεῖ. Δῶρον Νηρηίδος ἢ Ναΐδος οἶμαι εἶναι τὸ κρήδεμνον· εἰκὸς γὰρ συγχορεύειν τὰς θεὰς ἐπὶ τῷ Μέλητι παρεχομένῳ τὰς πηγὰς οὐ πόρρω τῶν ἐκβολῶν. Βλέπει δὲ οὕτω τι ἡδὺ καὶ ἀφελές, ὡς μηδὲ ὑπὸ τῶν δακρύων ἐξαλλάττειν τὸ ἵλεων. Καὶ ἡ δέρη ἔτι ἡδίων ὑπὸ τοῦ μὴ κεκοσμῆσθαι· ὅρμοι γὰρ καὶ αὐγαὶ λίθων καὶ περιδέραια ταῖς μὲν ἐν μετρίῳ τῷ κάλλει γυναιξὶν οὐκ ἀηδῶς προσανθοῦσι καὶ νὴ Δί´ ὥρας τι ἐς αὐτὰς φέρουσιν, αἰσχραῖς δὲ καὶ ἄγαν ὡραίαις ἀντιπράττουσι· τὰς μὲν γὰρ ἐλέγχουσι, τῶν δὲ ἀπάγουσι. Τὼ χεῖρε ἀνασκοπῶμεν· ἁπαλοὶ οἱ δάκτυλοι καὶ εὐμήκεις καὶ λευκοὶ κατὰ τὴν ὠλένην. Ὁρᾷς δὲ καὶ τὴν ὠλένην ὡς διὰ λευκῆς τῆς ἐσθῆτος λευκοτέρα ὑποφαίνεται καὶ οἱ μαζοὶ ὀρθοὶ ὑπαυγάζουσι. Τί οὖν αἱ Μοῦσαι δεῦρο; τί δὲ ἐπὶ ταῖς πηγαῖς τοῦ Μέλητος; Ἀθηναῖοι τὴν Ἰωνίαν ὅτε ἀπῴκιζον, Μοῦσαι ἡγοῦντο τοῦ ναυτικοῦ ἐν εἴδει μελιττῶν· ἔχαιρον γὰρ τῇ Ἰωνίᾳ διὰ τὸν Μέλητα ὡς Κηφισοῦ καὶ Ὀλμειοῦ ποτιμώτερον. Ἐντεύξῃ μὲν οὖν αὐταῖς καὶ χορευούσαις ποτὲ ἐνταῦθα, νυνὶ δὲ γένεσιν τῷ Ὁμήρῳ αἱ Μοῦσαι κλώθουσι Μοίραις δοκοῦν, καὶ δώσει διὰ τοῦ παιδὸς ὁ Μέλης Πηνειῷ μὲν ἀργυροδίνῃ εἶναι, Τιταρησίῳ δὲ κούφῳ καὶ εὐφόρῳ, Ἐνιπεῖ δὲ θείῳ καὶ Ἀξιῷ παγκάλῳ, δώσει καὶ Ξάνθῳ τὸ ἐκ Διὸς καὶ Ὠκεανῷ τὸ ἐξ αὐτοῦ πάντας.

VIII. MÉLÈS.

Les amours de l'Énipée et de Tyro ont été chantées par Homère ; le
poète a dit aussi la ruse de Poséidon, les eaux formant une voûte brillante au-dessus de la couche nuptiale. Le sujet de ce tableau est autre; il ne vient pas de Thessalie mais d'Ionie. L'Ionienne Crithéis aime le Mélès; celui-ci a les traits d'un jeune homme ; il se laisse voir tout entier au spectateur, ayant son embouchure et sa source au même endroit. Crithéis boit sans avoir soif, puise dans sa main Peau du fleuve, cause avec le courant dont elle prend le murmure pour le bruit de la parole, répand des larmes amoureuses que le fleuve, lui aussi, épris d'amour, roule avec bonheur mêlées à ses propres flots. La peinture ne nous offre pas 389 d'objet plus attrayant que le Mélès lui-même. Le safran et le lotus lui font un lit, avec l'hyacinthe dont il aime la fleur, symbole de jeunesse; il montre les grâces tendres de l'adolescence, non sans un mélange de gravité; on dirait, à l'expression des yeux, que Mélès médite une de ces ruses, chantées par les poètes (a) ; mais ce qu'il y a de charmant en lui, c'est qu'il ne répand pas ses eaux avec violence, comme on le voit faire d'habitude dans les peintures à des fleuves sans esprit  (b); égratignant la terre du bout des doigts, il reçoit dans le creux de sa main l'eau qui jaillit sans bruit. C'est bien de l'eau que nous voyons là, nous et Crithéis, qui s'imagine aimer un fantôme, un rêve, comme on dit; mais non, ce n'est point un rêve, Crithéis; ce n'est point sur l'eau que tu écris ton amour; le fleuve t'aime, je le sais, et, soulevant ses flots, se prépare pour lui et pour toi une chambre, un lit nuptial. Comment se formera cette chambre, je te l'expliquerai si tu es incrédule. Un vent léger, courant sous la vague, l'arrondit en voûte, la rend spacieuse et de toutes couleurs, car les rayons réfléchis du soleil donnent un aspect irisé à l'eau suspendue dans les airs. Mais pourquoi, mon enfant, me prends-tu par la main (c) ? Que ne me laisses-tu parcourir les autres parties de ce tableau? Décrivons Crithéis, puisque tu le veux, puisque c'est un plaisir pour toi, dis-tu, que de m'entendre longuement sur un tel sujet. Ecoute donc. Par sa beauté délicate, c'est bien une femme d'Ionie; et cette beauté est rehaussée par la pudeur qui colore ses joues d'un éclat modéré ; sur sa chevelure, relevée au-dessous de l'oreille, est posé un crédemnon de pourpre. Cet ornement est, je pense, un don d'une Néréide ou d'une Naïade, car il est naturel que ces déesses s'unissent pour former un chœur auprès du Mélès, dont les sources sont si voisines de l'embouchure. Le regard de Crithéis, singulièrement aimable et naïf, annonce une bonté qui perce à travers les larmes ; son cou a d'autant plus de charme qu'il n'est point orné ; en effet les chaînes, les pierres aux feux étincelants, les colliers prêtent aux femmes médiocrement belles un aimable éclat, et même, si j'ose dire, leur donne une espèce de beauté ; mais celles qui sont belles outrés laides n'en reçoivent qu'un mauvais service; celles-là paraissent ce qu'elles sont ; l'œil distrait se détourne de celles-ci. Examinons les mains ; les doigts sont délicats, allongés sans excès, blancs comme le reste du bras ; et le bras lui-même, vois comme à travers la robe blanche il paraît plus blanc encore ; vois aussi comme les seins se soulevant eux-mêmes soulèvent l'étoffe transparente. Mais pourquoi les Muses sont-elles ici (d)? Pourquoi les voyons-nous près des sources du Mélès? Quand les Athéniens envoyèrent une colonie en Ionie, les Muses sous la forme 390 d'abeilles, conduisirent l'expédition ; elles se félicitaient d'habiter l'Ionie, à cause du Mélès dont elles savaient les eaux meilleures à boire que celles du Céphise et de l'Olmeios. Peut-être un jour les rencontreras-tu dansant en chœur ici-même : pour le moment elles filent le jour natal d'Homère avec l'approbation des Parques. Grâce au Mélès ou plutôt à son fils, le Pénée roulera l'argent dans ses eaux, le Titarésios sera léger et rapide, l'Énipée s'appellera divin, l'Axios très beau, Xanthos tirera son origine de Jupiter et tous les fleuves de l'Océan.

COMMENTAIRE

Sept villes, comme on sait, se disputaient l'honneur d'avoir donné naissance à Homère. L'antiquité paraît avoir penché en faveur des prétentions de Smyrne. Pindare donne à Homère l'épithète de Smyrnéen; Athènes, qui se regardait comme la métropole de Smyrne, n'eut garde de combattre une opinion qui attribuait au plus grand poète de la Grèce une origine presque athénienne. Le divin Homère ne pouvait être né d'un père et d'une mère mortels; les habitants de Smyrne racontaient donc qu'une nymphe nommée Crithéis s'était éprise de Mélès, un petit fleuve qui sortait de la ville pour se jeter dans la mer, et qu'Homère était né de ces amours. Le poète avait un temple à Smyrne, et l'on montrait la grotte d'Homère auprès des sources du Mélès.

La composition du tableau, décrit par Philostrate, est extrêmement simple. Un jeune homme, personnifiant le Mélès, est couché peut-être sur un lieu élevé d'où s'échappe une source peu abondante ; Crithéis se penche de la rive, puise de l'eau dans sa main : à quelque distance, soit à droite, soit à gauche, soit sur un plan plus éloigné, se tiennent les Muses.

L'art représente ordinairement les fleuves sous la figure d'un homme âgé à barbe épaisse, couronné de roseaux ou d'autres plantes aquatiques, couché près de ses sources ou plongé à demi dans la profondeur de ses eaux. Mais les petits fleuves, qui disparaissent presque aussitôt après être sortis de terre, qui ne sont ni majestueux ni terribles, reçoivent plutôt de la main de l'artiste les traits d'un adolescent. Acragas, qui arrosait Agrigente, avait sa statue dans le temple de Delphes ; c'était celle d'un jeune homme (1). L'Ilissus dans le fronton du Parthénon, le Sélinus sur une médaille (2), l'Oronte (3) dans un groupe du musée Pio-Clémentino, l'Asinès sur une médaille de Naxos (4), ont les grâces et l'éclat de la jeunesse. Sur les bas-reliefs qui représentent la chute de Phaéton, l'Éridan même, le roi des fleuves, n'est pas 391 toujours un vieillard ou un homme mûr. Une peinture de Pompéi nous représente un buste d'adolescent vêtu d'une tunique verte comme des eaux profondes, tenant une rame sur l'épaule, et à la main un vase qu'il approche de sa bouche ; c'est un fleuve à n'en pas douter, et peut-être le Sarnus qui arrosait les environs de Pompéi (5). Suivant Pline le Jeune, le Clitumne était représenté avec une robe prétexte (6). Ovide nous fait d'Acis un portrait tout juvénile : ses cornes mômes, qui étaient entrelacées de roseaux, étaient à peine naissantes (7). Le Mélès, dont le cours était si peu étendu, ne pouvait être personnifié que sous les traits d'un homme à la fleur de l'âge.

Philostrate nous dit que le fleuve se montrait tout entier aux yeux du spectateur ; faut-il entendre cela du jeune homme ou du ruisseau qu'il personnifiait ? Dans le premier cas, nous aurons le droit de nous étonner de l'explication de Philostrate ; les artistes ne paraissent pas, en effet, avoir mesuré la partie visible du génie d'un fleuve, à l'étendue de son cours ; dans la seconde supposition, c'est la phrase de Philostrate qui paraît étrange : il vient de dire que le fleuve ressemble à un éphèbe; lorsqu'il ajoute que le spectateur l'embrasse tout entier du regard, comment penser au cours d'eau et non au Mélès personnifié ? Toutefois cette supposition nous paraît la moins invraisemblable ; le rhéteur se plaît à confondre la chose et le personnage, comme pour mieux montrer que le peintre a eu le talent de les identifier.

L'attitude du Mélès n'est pas aisée à définir. Il est couché et tient sa main ouverte sous l'eau qui jaillit. Rien de plus clair. Mais que signifient ces ongles, ces doigts qui grattent la terre ? Sont-ce les doigts de cette même main qui reçoit l'eau jaillissante? Mais comment peut-il s'acquitter de deux mouvements, dont l'un suppose que la main a le dos tourné vers le sol, l'autre la . paume ?Le fleuve employait-il les deux mains, l'une à égratigner la surface du sol, l'autre à mesurer le débit d'un mince filet d'eau? Philostrate veut-il simplement parler de deux moments successifs ? Cette supposition nous paraît la plus acceptable. Philostrate a vu la main étendue ou entr'ouverte, mais c'est lui qui imagine que le dieu a promené ses ongles sur la terre ; un artiste n'aurait, sans doute, pas trouvé le geste ni assez gracieux ni assez clair pour être représenté. Quant à Philostrate, pour l'attribuer au fleuve, il n'a eu qu'à se souvenir d'Euripide qui nous montre les Bacchantes grattant la terre avec les doigts pour en faire jaillir des ruisseaux de lait (8).

Welcker pensait que le peintre avait représenté la voûte formée par les eaux du fleuve. L'étude du texte ne nous paraît pas favorable à cette opinion. Que dit, en effet, Philostrate ? Le fleuve t'aime, je lésais, et te prépare une chambre, en soulevant ces flots, sous lesquels sera le lit nuptial. Les 392 mots je le sais, ne semblent-ils pas indiquer que cette preuve de l'amour du fleuve pour Crithéis, Philostrate la tire de la fable, et non de la vue seule du tableau? Emploierait-il le futur, si ce lit nuptial était réellement visible? Si tu es incrédule, ajoute-t-il, je t'expliquerai l'art de cette chambre, c'est-à-dire la raison du phénomène. Philostrate aurait-il seulement songé à combattre l'incrédulité de son auditeur, si la voûte avait été là, devant ses yeux, resplendissante des couleurs de l'arc-en-ciel ? Nous n'avons garde d'ailleurs de prétendre avec un commentateur (9) que l'art antique aurait évité de représenter un pareil phénomène, comme contraire aux lois de la nature et choquant pour la raison ; ces sortes de scrupules sont aussi peu connus des artistes que des poètes anciens. Nous ne pensons pas non plus que les eaux suspendues dans les airs et formant comme une grotte, prête à recevoir les deux amants, eussent été d'un effet désagréable dans un tableau ; l'audace en tout cas n'eût pas été plus grande que celle de l'artiste qui sur un vase d'ancien style, cité par Brunn (10), nous montre deux vagues, se soulevant comme deux colonnes, pour effrayer ou pour assaillir Hercule, engagé dans sa lutte avec Néreus, et par suite avec les Néréides qui défendent, comme elles le peuvent, le dieu leur père. Il n'y aurait pas lieu non plus de s'étonner avec Matz si le peintre avait pris à la légende homérique d'Enipée et de Tyro, pour la transporter dans celle de Mélès et de Crithéis, cette invention d'un lit nuptial, si bien accommodé aux amours d'un fleuve ; ce sont là des emprunts tout naturels entre une fable et une autre, entre la poésie et la peinture.

Les Muses, dit Philostrate, étaient là, filant la naissance d'Homère. C'est là un rôle qui appartient aux Parques; mais les Parques l'ont cédé aux Muses, en cette occasion ; le premier jour d'un poète ne peut être filé par les mêmes mains que le premier jour des autres mortels. Reste à savoir l'attitude des Muses. Welcker suppose qu'elles formaient un chœur, mais Philostrate dit expressément qu'on pourra un jour les rencontrer, dansant en chœur, auprès des sources du Mélès. Leur attitude était donc tout autre. On serait tenté de croire que le peintre, les substituant aux Parques, avait uni les attributs de ces déesses à ceux des Muses ; peut-être l'une d'elles tenait-elle la quenouille et le fuseau. Une autre supposition nous semblerait encore plus vraisemblable ; c'est que les Muses n'étaient point représentées dans le tableau. Philostrate s'écrie bien : « Que viennent faire les Muses en cet endroit ? » Mais il peut se faire que le peintre eût représenté, à peu près comme dans le tableau des Amours, une grotte ou un temple avec cette inscription : Dédié aux Muses. Cette supposition rend le texte de Philostrate plus clair ; les Muses sont présentes quoique invisibles : tu les verras peut-être un jour, dit le sophiste, près des sources du Mélès : pour le moment, enfermées dans le sanctuaire, elles président à la naissance d'Homère.
 

(1) Aelien, V. H., 2, 33.

(2) Müll.-Wies., D. d. a. Κ., I, XLII, 194.

(3) Museo P. Cl., m, 46 ; Müll.-Wies., 1, 220.

(4) Grâsse, Handb. d. Num. Tab. XXXI, 1. On pourrait citer l'Inopos du Louvre ; mais est-ce bien un fleuve ? Cf. Frïöhner, Notice sur la sculpt. ant., n° 448.

(5) Holbig, Vandg.. 1013.

(6) Pl. mln.,  Epist VIII, 8.

(7) Ovide, Metam., 8, 561.

(8) Eur., Bacch., 708.

(9) Friederichs, Die Phil. Bild.

(10) Brunn, Die Philostr. Gm., 282. — Gerhard, Auserl. Vasenb., t.112.

 

ΠΑΝΘΕΙΑ

Πάνθεια ἡ καλὴ Ξενοφῶντι μὲν ἀπὸ τοῦ ἤθους γέγραπται, ὅτι τε Ἀράσπαν ἀπηξίου καὶ Κύρου οὐχ ἡττᾶτο καὶ Ἀβραδάτῃ ἐβούλετο κοινὴν γῆν ἐπιέσασθαι· ὁποία δὲ ἡ κόμη καὶ ἡ ὀφρὺς ὅση καὶ οἷον ἔβλεπε καὶ ὡς εἶχε τοῦ στόματος, οὔπω ὁ Ξενοφῶν εἴρηκε καίτοι δεινὸς ὢν περιλαλῆσαι ταῦτα, ἀλλ´ ἀνὴρ ξυγγράφειν μὲν οὐχ ἱκανός, γράφειν δὲ ἱκανώτατος, αὐτῇ μὲν Πανθείᾳ οὐκ ἐντυχών, Ξενοφῶντι δὲ ὁμιλήσας γράφει τὴν Πάνθειαν, ὁποίαν τῇ ψυχῇ ἐτεκμήρατο. Τὰ τείχη, ὦ παῖ, καὶ τὰς ἐμπιπραμένας οἰκίας καὶ αἱ Λυδαὶ αἱ καλαί, Πέρσαις ταῦτα ἀφῶμεν ἄγειν τε καὶ αἱρεῖν ὅ τι αὐτῶν ἁλωτόν. Καὶ ὁ Κροῖσος, ἐφ´ ὃν ἡ πυρά, οὐχὶ αὐτῷ Ξενοφῶντι—οὔκουν οἶδεν αὐτὸν ἢ ξυγχωρεῖ τῷ Κύρῳ— τὸν δὲ Ἀβραδάτην καὶ τὴν ἀποθανοῦσαν ἐπ´ αὐτῷ Πάνθειαν, ἐπειδὴ ταῦτα ἡ γραφὴ βούλεται, διασκεψώμεθα, οἷον τὸ δρᾶμα· ἤρων οὗτοι ἀλλήλων καὶ τὸν κόσμον ἡ γυνὴ τὸν ἑαυτῆς ὅπλα αὐτῷ ἐποιεῖτο, ἐμάχετο δὲ ἄρα ὑπὲρ Κύρου πρὸς Κροῖσον ἐπὶ τετραρρύμου ἅρματος καὶ ἵππων ὀκτὼ ** νέος ἔτι ἐν ἁπαλῇ τῇ ὑπήνῃ, ὁπότε καὶ οἱ ποιηταὶ τὰ δένδρα τὰ νέα ἐλεεινὰ ἡγοῦνται τῆς γῆς ἐκπεσόντα. Τὰ μὲν δὴ τραύματα, ὦ παῖ, οἷα ἐκ μαχαιροφόρων—τὸ γὰρ κατακόπτειν πρὸς τρόπου τῇ τοιαύτῃ μάχῃ—τοῦ δὲ αἵματος ἀκραιφνοῦς ὄντος τὸ μὲν τὰ ὅπλα χραίνει, τὸ δ´ αὐτόν, ἔστι δ´ ὃ καὶ διέρρανται κατὰ τοῦ λόφου, ὁ δὲ ἄρα χρυσοῦ κράνους ἀνέστηκεν ὑακίνθινος αὐτῷ τῷ χρυσῷ ἐπαστράπτων. Καλὰ μὲν οὖν ἐντάφια καὶ ταυτὶ τὰ ὅπλα τῷ γε μὴ καταισχύναντι αὐτὰ μηδὲ ἀποβαλόντι ἐν τῇ μάχῃ, πολλὰ δὲ Ἀσσύριά τε καὶ Λύδια Κῦρος ἀνδρὶ ἀγαθῷ δῶρα ἀπάγει τά τε ἄλλα καὶ ψάμμον χρυσῆν ἐπὶ ἁρμαμάξης ἐκ θησαυρῶν. Κροίσου τῶν ἀργῶν, Πάνθεια δὲ οὔπω τὰ πρόσφορα ἔχειν ἡγεῖται τὸν τάφον, εἰ μὴ ἐντάφιον τῷ Ἀβραδάτῃ αὐτὴ γένοιτο. Τὸν μὲν δὴ ἀκινάκην διελήλακεν ἤδη τοῦ στέρνου, ἀλλ´ οὕτω τι ἐρρωμένως, ὡς μηδὲ οἰμωγὴν ἐπ´ αὐτῷ ῥῆξαι. Κεῖται γοῦν, τὸ στόμα ξυμμετρίαν τὴν ἑαυτοῦ φυλάττον καὶ νὴ Δί´ ὥραν, ἧς τὸ ἄνθος οὕτω τι ἐπὶ χείλεσιν, ὡς καὶ σιωπώσης ἐκφαίνεσθαι. Ἀπήρτηται δὲ οὔπω τὸν ἀκινάκην, ἀλλ´ ἐνερείδει ἔτι ξυνέχουσα τῆς κώπης αὐτόν—ἡ δὲ κώπη ῥοπάλῳ χρυσῷ εἴκασται σμαραγδίνῳ τοὺς ὄζους, ἀλλ´ ἡδίους οἱ δάκτυλοι—μεταβέβληκέ τε οὐδὲν τοῦ εἴδους ὑπὸ τοῦ ἀλγεῖν, ἥ γε μηδὲ ἀλγεῖν ἔοικεν, ἀλλ´ ἀπιέναι χαίρουσα, ὅτι αὑτὴν πέμπει. Ἄπεισι δὲ οὐχ ὥσπερ ἡ τοῦ Πρωτεσίλεω καταστεφθεῖσα οἷς ἐβάκχευσεν, οὐδ´ ὥσπερ ἡ τοῦ Καπανέως οἷον † θυσίας ἀρθεῖσα, ἀλλ´ ἀσκεύαστον τὸ κάλλος καὶ οἷον ἐπὶ τοῦ Ἀβραδάτου ἦν φυλάττει αὐτὸ καὶ ἀπάγει, χαίτην μὲν οὕτω μέλαινάν τε καὶ ἀμφιλαφῆ περιχέασα τοῖς ὤμοις καὶ τῷ αὐχένι, δέρην δὲ λευκὴν ὑπεκφαίνουσα, ἣν ἐδρύψατο μέν, οὐ μὴν ὡς αἰσχῦναι· τὰ γὰρ σημεῖα τῶν ὀνύχων ἡδίω γραφῆς. Τὸ δὲ ἐν τῇ παρειᾷ ἔρευθος οὐδὲ ἀποθνῄσκουσαν διαφεύγει, χορηγοὶ δὲ αὐτοῦ ἥ τε ὥρα καὶ ἡ αἰδώς. Ἰδοὺ καὶ μυκτῆρες ἀνεσταλμένοι τὸ μέτριον καὶ βάσιν τῇ ῥινὶ πράττοντες, ἧς ὥσπερ πτόρθοι μηνοειδεῖς αἱ ὀφρύες ὑπὸ λευκῷ τῷ μετώπῳ μέλαιναι. Τοὺς δὲ ὀφθαλμούς, ὦ παῖ, μὴ ἀπὸ τοῦ μεγέθους μηδ´ εἰ μέλανες, ἀλλὰ τόν τε νοῦν θεωρῶμεν, ὅσος ἐν αὐτοῖς ἐστι καὶ νὴ Δία ὁπόσα τῶν τῆς ψυχῆς ἀγαθῶν ἔσπασαν ἐλεεινῶς μὲν διακείμενοι, τοῦ δὲ φαιδρῶς ἔχειν οὐκ ἀπηλλαγμένοι, καὶ θαρσαλέοι μέν, λογισμοῦ δὲ εἴσω μᾶλλον ἢ τόλμης, καὶ τοῦ μὲν θανάτου ξυνιέντες, οὔπω δὲ ἀπιόντες. Ὀπαδὸς δὲ ἔρωτος ἵμερος οὕτω τι ἐπικέχυται τοῖς ὀφθαλμοῖς, ὡς ἐπιδηλότατα δὴ ἀπ´ αὐτῶν ἀποστάζειν. Γέγραπται καὶ ὁ Ἔρως ἐν ἱστορίᾳ τοῦ ἔργου, γέγραπται καὶ ἡ Λυδία τὸ αἷμα ὑποδεχομένη καὶ χρυσῷ γε, ὡς ὁρᾷς, τῷ κόλπῳ.

393 IX. PANTHÉE.

Xénophon a peint la belle Panthée au moral ; il a dit comment elle dédaigna Araspe, résista aux consolations de Cyrus, et voulut partager le tombeau d'Abradate (a) ; mais ni sa chevelure, ni ses sourcils, ni son regard, ni sa bouche, n'ont été décrits par Xénophon, bien qu'il fût habile à parler sur ce sujet ; or voici qu'un homme, incapable d'écrire, très capable de peindre, n'ayant jamais rencontré Panthée, mais familier avec Xénophon, représente Panthée telle qu'il l'a vue en imagination, d'après ses vertus (b). Laissons les murs et les maisons brûler ; laissons les Perses emmener les belles Lydiennes et ravir tout ce qui peut être pris. Ne cherchons point Crésus et son bûcher qui ne sont point dans Xénophon lui-même; aussi le peintre ne connaît point ce détail ou le néglige par respect pour Cyrus ; considérons le drame que la peinture veut nous montrer, Panthée mourante sur le cadavre d'Abradate. Leur amour était mutuel ; la jeune femme avait voulu que ses ornemente servissent à embellir les armes de son mari (c) ; Abradate combattait pour Cyrus contre Crésus, monté sur un char à quatre timons et huit chevaux; c'était encore un jeune homme, à l'âge du premier duvet, à ce moment de la vie, où les arbres mêmes, arrachés au sol, inspirent de la compassion aux poètes. Les blessures d'Abradate, mon enfant, sont bien celles que fait la machaera dans les batailles ; les chairs sont comme hachées. Un flot de sang d'une pureté parfaite rougit les armes d'Abradate, Abradate lui-même, et s'est répandu même sur l'aigrette qui s'élève au-dessus d'un casque doré et dont l'éclat empourpré ajoute au rayonnement de l'or. C'est sans doute un beau linceul que ses armes, pour qui ne les a point déshonorées ni perdues dans le combat. Cyrus apporte à ce vaillant guerrier de nombreuses offrandes ravies à l'Assyrie ou à la Lydie, entre autres un char rempli d'un sable d'or qui a été trouvé dans les trésors inutiles du roi Crésus. Mais Panthée ne croit pas le tombeau assez riche en offrandes funèbres, si elle ne s'offre elle-même. Elle s'est déjà plongé un cimeterre dans la poitrine, et cela avec tant de force qu'elle n'a pas même poussé un gémissement. Elle s'affaisse donc : sa bouche conserve sa régularité parfaite, et même son éclat, qui au moment où elle se tait pour jamais brille encore sur ses lèvres (d). Elle n'a point encore retiré le cimeterre de la blessure, elle l'y enfonce davantage, le tenant par la garde ; cette garde ressemble à une tige d'or ayant deux branches garnies d'émeraudes, mais les doigts qui la tiennent sont plus agréables 394 à voir. D'ailleurs Panthée n'a rien perdu de sa beauté par la souffrance; pour dire mieux, elle ne paraît pas souffrir, mais plutôt quitter la vie avec joie, en femme qui se congédie elle-même. Elle ne se retire point comme la femme de Protésilas, après les cérémonies bachiques, encore couronnée de lierre, ni comme celle de Capanée, s'élançant de l'autel au tombeau ; elle conserve et emporte avec elle cette beauté sans apprêts qu'admirait Abradate, laissant flotter sur ses épaules et sa nuque une épaisse chevelure noire, et montrant la blancheur d'un cou embelli plutôt que déparé par la trace délicate des ongles (e). L'approche de la mort n'enlève point à ses joues l'éclat qu'elles tiennent de la beauté et de la pudeur. Les narines légèrement relevées dessinent comme une base au nez qui à son sommet déploie, semblables à deux rejetons en forme de croissant, des sourcils noirs sous un front blanc. Quant aux yeux, mon enfant, ne les admirons point pour être grands ou noirs; considérons le sentiment profond qui se peint en eux, et par Jupiter, toutes les qualités de l'âme qu'ils attirent pour ainsi dire du fonda la surface; la pitié attendrit leur regard sans en voiler l'éclat ; ils sont hardis, mais d'une hardiesse où il entre plus de raison que de témérité ; ils attendent la mort, mais ne sont point encore fermés. Le désir, compagnon de l'amour, a si bien mouillé ses yeux qu'il s'en échappe visiblement comme goutte à goutte. Voici d'ailleurs Éros lui-même, témoin naturel d'une pareille scène (f), voici la Lydie qui recueille le sang de Panthée, et cela, comme tu vois, dans le pli doré de sa robe.

COMMENTAIRE

Il est assez difficile après avoir lu cette description de se représenter exactement l'attitude du groupe principal, c'est-à-dire de Panthée et d'Abradate. Philostrate nous montre la cuirasse teinte de sang, le casque au panache violet, le glaive à la garde enrichie d'émeraudes ; il nous décrit les doigts et le visage de Panthée, mais il oublie de nous dire comment l'artiste avait posé ces deux personnages. Pour nous éclairer sur ce point, nous sommes obligé de recourir à Xénophon qui a raconté toute cette histoire d'Abradate et de son héroïque épouse : « Et maintenant, dit un serviteur à Cyrus, on raconte que sa femme, après avoir enlevé son corps et l'avoir mis sur le chariot dont elle se sert ordinairement, l'a transporté sur les bords du Pactole. Là, pendant que ses eunuques et ses serviteurs creusent sous une éminence un tombeau pour le mort, on dit que sa femme assise à terre soutient sur ses genoux la tête de son mari qu'elle a revêtu de ses plus beaux ornements (1). » Plus loin il est dit : « Panthée au même instant tire 395 un poignard dont elle s'était depuis longtemps munie, se frappe et posant la tête sur la poitrine de son mari elle expire. » Xénophon, comme on le voit, est plus précis que Philostrate ; sans doute le rhéteur qui est devant le tableau oublie de mentionner ce qui ne saurait échapper à l'observation du spectateur; Xénophon, au contraire, voulant peindre pour l'imagination entre dans des détails qu'un lecteur ne saurait deviner de lui-même. Etait-ce bien là cependant l'attitude de Panthée et d'Abradate dans le tableau? Ce qui pourrait nous inspirer quelque doute à cet égard, c'est que dans Xénophon, Panthée a paré son mari de ses riches accoutrements, sans doute après lui avoir enlevé son armure de guerre, tandis que dans le tableau Abradate a encore sa cuirasse et son casque : en tout cas, si l'on suppose que Panthée avait jeté ces précieuses étoffes sur l'armure elle-même, elles ne devaient pas avoir été reproduites par le peintre, puisque Philostrate ne les décrit pas. L'artiste s'était donc écarté sur certains points du récit de Xénophon ; pourquoi l'aurait-il suivi pour l'attitude ? nous croyons néanmoins qu'il ne faut pas attacher trop d'importance à ce raisonnement : le passage de Xénophon était célèbre et classique dans l'antiquité ; l'attitude de Panthée mourante devait être gravée dans toutes les imaginations ; un peintre pouvait négliger certains détails de la description de Xénophon ; il lui était difficile de grouper Abradate et Panthée autrement que l'écrivain.

Xénophon décrit encore plus amplement que Philostrate le costume d'Abradate (2). « Il allait endosser sa cuirasse de lin, vêtement national, lorsque Panthée lui présente un casque d'or, des brassards et de larges bracelets du même métal, une tunique de pourpre plissée par le bas, descendant jusqu'aux talons, et un panache de couleur hyacinthe. » La peinture avait sans doute conservé à Abradate, non seulement les pièces de cette armure que mentionne le rhéteur, mais encore toutes celles qu'énumère Xénophon. Le corps était sans doute sillonné de larges blessures. Dans Xénophon, Cyrus, s'approchant d'Abradate, lui prend la main qui se détache et tombe ; car les Égyptiens lui avaient coupé le poignet. Peut-être le peintre n'avait-il pas négligé ce détail ; ce serait une de ces mutilations que Philostrate attribue à la machœra. Quant à Panthée, elle était vêtue sans apprêts, dit le rhéteur ; cette remarque était nécessaire, car on aurait pu croire qu'en sa qualité de Lydienne, elle portait comme Rhodogune, dans un tableau précédent, la robe de pourpre serrée autour de la taille par une élégante ceinture, tombant jusqu'aux genoux, agrafée sur les bras, et des anaxyrides brodées. La simplicité dans le vêtement semble indiquer le costume grec, c'est-à-dire, le chiton.

Deux autres personnages, Éros et la Lydie, étaient groupés avec Panthée et Abradate. Philostrate ne dit rien de l'attitude d'Éros ; Welcker a conclu de ce silence que ce dieu n'était peut-être pas représenté. Philostrate aurait 396 voulu simplement nous avertir qu'en pareil cas les artistes ont l'habitude d'introduire Eros dans leurs compositions. Le texte nous paraît, trop précis pour douter de la présence d'Éros. Éros, dans les tableaux de Pompéi, est avec Aphrodite auprès d'Adonis blessé ; tantôt il soutient la main du jeune chasseur ; tantôt il tient un flambeau renversé ; ici, il essuie ses larmes ; là ; il porte un vase à parfums ; ailleurs, il s'occupe à quelque action indifférente, par exemple à saisir un cygne dans un bassin (3). Dans la gravure qui accompagne le texte de Biaise de Vigenère la main d'Abradate repose sur le bras d'Éros qui en approche ses lèvres comme pour l'embrasser. Cette attitude, sinon le baiser, paraît conforme aux habitudes de l'art antique.

Philostrate décrit le geste de la Lydie ; mais c'est précisément ce geste qui nous gêne pour assigner une place précise à ce personnage dans la composition. Gaspar Isac,le graveur de Biaise de Vigenère, voulant à la fois rester fidèle au texte de Xénophon et à celui de Philostrate, a imaginé une singulière disposition : Panthée est assise plus haut qu'Abradate dont elle soutient le corps à demi penché sur ses genoux ; auprès d'elle la Lydie est debout tenant avec les deux mains une espèce de tablier, dans lequel jaillit, en décrivant une courbe, le sang de Panthée. Peut-être ne faut-il pas prendre à la lettre l'expression de Philostrate. La Lydie, comme souvent les images des provinces et des villes, était sans doute à demi couchée sur le sol, plus bas que Panthée et Abradate ; son riche chiton, brodé sans doute ou constellé à la mode orientale, remontait par dessus la ceinture, de manière à former ces plis que les anciens nommaient le colpos (κόλπος) ; le sang qui s'échappait de la blessure de Panthée tombait ou paraissait devoir tomber sur le chiton de la Lydie. Peut-être aussi éloignait-elle de son corps le pli supérieur du chiton, comme pour recueillir le sang précieux de l'héroïne : cette attitude en elle-même n'a rien qui paraisse opposé aux conditions et à l'esprit delà peinture ; elle a paru toutefois suspecte, parce qu'elle semble être la conséquence d'une idée chère à Philostrate ; dans la description du tableau qui représentait Ménœcée, il dit en effet, parlant de ce héros : « Or debout près de l'antre du dragon, il relève l'épée dont il s'est déjà percé le flanc. Recevons, mon enfant, recevons dans le pli de notre robe le sang qui s'écoule de sa blessure. » Mais ce rapprochement n'autorise-t-il pas une autre conjecture, c'est que le sentiment qui nous porte à recueillir le sang des personnages illustres ou d'êtres aimés de nous était devenu à l'époque de Philostrate, un lieu commun, dont les peintres, comme les écrivains, essayaient de tirer le meilleur parti?

Welcker remarque avec raison que les armes d'Abradate ne sont pas comme le voulait Heyne, éparses dans la plaine ;ce sont les armes mêmes qui servent pour ainsi dire de linceul glorieux au guerrier mort. De même, selon Welcker, on ne devait pas apercevoir dans le lointain une ville en feu, des femmes emmenées en captivité. Il est certain que le tour employé par Phi- 397 lostrate pour parler de tous ces objets laisse quelque indécision dans l'esprit : on dirait qu'il veut rappeler le récit de Xénophon plutôt que décrire le tableau ; nous ne voyons pas cependant pourquoi l'artiste aurait dédaigné ou n'aurait pu exécuter un pareil fond de tableau. Welcker prétend encore que Cyrus n'amenait pas vers Abradate un char tout chargé de sable d'or; il pense que Philostrate ne parle de ces offrandes funèbres que pour les opposer à l'offrande que Panthée fuit d'elle-même : il ajoute que pour représenter Cyrus apportant des présents, il eût fallu montrer aussi un bûcher, des funérailles, que c'eût été là un autre moment de l'action, un autre sujet.

Toutes ces raisons ne nous paraissent pas décisives. Dans Xénophon, au moment où Panthée se donne la mort, Cyrus songe à honorer la mémoire d'Abradate. Pourquoi le peintre n'aurait-il pas mis à profit ce détail pour ajouter à l'intérêt que nous inspirent Abradate et Panthée elle-même ; Abradate ainsi honoré par le roi, Panthée qui aurait trouvé dans la générosité de Cyrus tant de raisons de ne pas mourir? D'ailleurs Cyrus, la ville, les captifs, le chariot, s'ils étaient représentés, ne devaient apparaître que dans le lointain, et par suite ne détournaient en rien l'attention du groupe principal.

(1) Xénoph., Cyr., VII, 3. Traduct. Talbot.

(2) Cyr., VI, 4.

(3) Helbig, Wandg., 331 et suiv.
 

 

ΚΑΣΑΝΔΡΑ

Οἱ κείμενοι κατ´ ἄλλος ἄλλο τοῦ ἀνδρῶνος καὶ τὸ ἀναμὶξ τῷ οἴνῳ αἷμα καὶ οἱ ἐκπνέοντες ἐπὶ τραπεζῶν κρατήρ τε οὑτοσὶ λελακτισμένος ὑπὸ ἀνδρός, ὃς πρὸς αὐτῷ σπαίρει, κόρη τε χρησμῳδὸς τὴν στολὴν εἰς πέλεκυν ἐμπεσούμενον ἑαυτῇ βλέπουσα— τὸν Ἀγαμέμνονα ἥκοντα ἐκ Τροίας ἡ Κλυταιμνήστρα δέχεται τούτῳ τῷ τρόπῳ οὕτω μεθύοντα, ὡς καὶ τὸν Αἴγισθον θαρσῆσαι τὸ ἔργον. Ἡ Κλυταιμνήστρα δὲ πέπλου τέχνῃ τινὸς ἀπείρου τὸν Ἀγαμέμνονα περισχοῦσα πέλεκυν ἐς αὐτὸν ἧκεν ἀμφήκη τοῦτον, ὃς καὶ τὰ δένδρα αἱρεῖ τὰ μεγάλα, τήν τε τοῦ Πριάμου κόρην καλλίστην νομισθεῖσαν τῷ Ἀγαμέμνονι χρησμούς τε ἀπιστουμένους ᾄδουσαν ἀποκτείνει θερμῷ τῷ πελέκει. Καὶ εἰ μὲν ὡς δρᾶμα ἐξετάζομεν, ὦ παῖ, ταῦτα, τετραγῴδηται μεγάλα ἐν σμικρῷ, εἰ δ´ ὡς γραφήν, πλείω ἐν αὐτοῖς ὄψει. Σκόπει γάρ· λαμπτῆρες οὗτοι χορηγοὶ φωτός—ἐν νυκτὶ γὰρ ταῦτά που—κρατῆρες δ´ ἐκεῖνοι χορηγοὶ ποτοῦ φανότεροι τοῦ πυρὸς οἱ χρυσοῖ, πλήρεις δὲ ὄψων τράπεζαι, βασιλεῖς ὧν ἐσιτοῦντο ἥρωες, ἐν κόσμῳ δὲ οὐδὲν τούτων· ἀποθνῄσκοντες γὰρ οἱ δαιτυμόνες τὰ μὲν λελάκτισται, τὰ δὲ συντέτριπται, τὰ δὲ ἀπ´ αὐτῶν κεῖται. Καὶ κύλικες δὲ ἐκ χειρῶν πίπτουσι πλήρεις αἱ πολλαὶ λύθρου, καὶ ἀλκὴ τῶν ἀποθνῃσκόντων οὐδεμία· μεθύουσι γάρ. Τὰ δὲ τῶν κειμένων σχήματα ὁ μὲν ἐκτέτμηται τὴν φάρυγγα σίτου τι ἢ ποτοῦ ἕλκουσαν, ὁ δ´ ἀποκέκοπται τὴν κεφαλὴν ἐς τὸν κρατῆρα κύπτων, ὁ δὲ ἀπήρακται τὴν χεῖρα φέρουσαν ἔκπωμα, ὁ δὲ ἐφέλκεται τὴν τράπεζαν ἐκπεσὼν τῆς κλίνης, ὁ δ´ εἰς ὤμους καὶ κεφαλὴν κεῖται, ποιητὴς ἂν φαίη κύμβαχος, ὁ δ´ ἀπιστεῖ τῷ θανάτῳ, ὁ δὲ οὐκ ἔρρωται φυγεῖν οἷον πέδης ἐμβεβλημένης αὐτῷ τῆς μέθης· ὠχρὸς δὲ οὐδεὶς τῶν κειμένων, ἐπειδὴ τοὺς ἐν οἴνῳ ἀποθνῄσκοντας οὐκ εὐθὺς ἀπολείπει τὸ ἄνθος. Τὸ δὲ κυριώτατον τῆς σκηνῆς Ἀγαμέμνων ἔχει κείμενος οὐκ ἐν πεδίοις Τρωικοῖς οὐδὲ ἐπὶ Σκαμάνδρου τινὸς ἠιόσιν, ἀλλ´ ἐν μειρακίοις καὶ γυναίοις, βοῦς ἐπὶ φάτνῃ—τουτὶ γὰρ τὸ μετὰ τοὺς πόνους τε καὶ τὸ ἐν δείπνῳ—κυριώτερα δὲ ἐν οἴκτῳ τὰ τῆς Κασάνδρας, ὡς ἐφέστηκε μὲν αὐτῇ μετὰ τοῦ πελέκεως ἡ Κλυταιμνήστρα μανικὸν βλέπουσα καὶ σεσοβημένη τὰς χαίτας καὶ τραχεῖα τὴν ὠλένην, αὐτὴ δὲ ὡς ἁβρῶς τε καὶ ἐνθέως ἔχουσα περιπεσεῖν ὥρμηκε τῷ Ἀγαμέμνονι ῥιπτοῦσα ἀφ´ αὑτῆς τὰ στέμματα καὶ οἷον περιβάλλουσα τῇ τέχνῃ αὐτόν, διηρμένου δὲ ἤδη τοῦ πελέκεως ἀναστρέφει τοὺς ὀφθαλμοὺς ἐκεῖ, βοᾷ δὲ οὕτω τι οἰκτρόν, ὡς καὶ τὸν Ἀγαμέμνονα τῷ λοιπῷ τῆς ψυχῆς ἐλεεῖν ταῦτα ἀκούοντα· μεμνήσεται γὰρ αὐτῶν καὶ ἐν Αἵδου πρὸς Ὀδυσσέα ἐν τῇ ἀγορᾷ τῶν ψυχῶν.

 

X. CASSANDRE.

Des personnages gisant çà et là dans une salle de festin, le vin et le sang mêlés ensemble, des hommes mourant près des tables, ce cratère repoussé du pied par un convive dans les convulsions de l'agonie, une jeune fille en robe de prophétesse, les yeux fixés sur une hache qui va tomber sur elle : tout indique le retour d'Agamemnon après la guerre de Troie et l'accueil qui lui est fait par Clytemnestre. L'ivresse de tous est si profonde qu'Égisthe lui-même s'est enhardi à frapper ; quant à Clytemnestre, elle a prudemment enveloppé Agamemnon d'un voile sans issu et l'a frappé d'une de ces haches à deux tranchants qui servent à couper les arbres de haute taille ; puis avec cette même hache, chaude encore, elle tue la fille de Priam qui avait eu le tort de paraître belle aux yeux d'Agamemnon, et qui chantait des oracles mal écoutés. A ne considérer que le sujet, ce sont là, mon enfant, de bien grands forfaits accomplis en peu de temps; si nous examinons la peinture,mille objets frappent nos yeux : voici les lampes qui dispensent la lumière (car tout cela se passe pendant la nuit) ; voici les cratères d'or plus resplendissants que le feu ; voici les tables chargées de mets telles qu'elles étaient dressées pour les héros; mais aucun de ces objets n'est à sa place. Les uns ont été foulés aux pieds par les convives, les autres ont été mis en pièces, les autres rejetés au loin ; les mains ont abandonné les coupes pleines de sang pour la plupart. Tous ces hommes meurent sans défense, car 398 ils sont ivres. Ils sont renversés dans des attitudes diverses; c'est que l'un a eu la gorge coupée au moment où il mangeait ou buvait ; que l'autre a eu la tête séparée du corps, pendant qu'il se penchait sur le cratère ; cet autre portait la main à la bouche quand le fer lui a enlevé la main ; celui-ci roulant à bas du lit, entraîne avec lui la table ; celui-là est tombé sur les épaules et la tête, le poète dirait en tournoyant sur lui-même (a), tel d'entre eux doute encore de sa perte, tel autre n'a point la force de fuir ; on dirait que l'ivresse lui a mis des entraves aux pieds. Pas un n'est pâle ; car ceux qui meurent dans l'orgie conservent encore quelque temps la vivacité du teint. Le principal personnage du drame est Agamemnon ; il est étendu, non dans les plaines de Troie ni sur les rivages du Scamandre, mais au milieu de jeunes hommes et de jeunes femmes ; le taureau repose près de la crèche ; ainsi disons-nous quand le festin succède aux fatigues. Mais c'est Cassandre qui nous inspire la pitié la plus vive. Clytemnestre, la fureur dans les yeux, les cheveux en désordre, le bras raidi (b), tient la hache suspendue sur sa victime ; celle-ci dans un transport de tendresse et d'enthousiasme veut s'élancer vers Agamemnon ; elle jette loin d'elle ses bandelettes et pour ainsi dire l'enveloppe des insignes de son art (c) ; mais elle lève les yeux vers la hache levée sur elle et pousse un cri si lamentable que le héros qui l'entend emploie ce qui lui reste de vie à la pleurer ; il se souviendra, en effet, de cette scène dans les enfers, et la racontera à Ulysse au milieu des âmes rassemblées.

COMMENTAIRE

Dans l'Odyssée, Ulysse évoquant les ombres des guerriers morts se trouve en présence d'Agamemnon qui lui raconte comment il fut ainsi assassiné par Clytemnestre (1) : « Divin fils de Laërte, Ulysse aux nombreux expédients, Poséidon n'a point eu raison de moi sur ma flotte en excitant le souffle détesté des vents terribles; des ennemis ne m'ont point fait périr sur la terre; c'est Égisthe qui a préparé ma mort ; il m'a tué de concert avec ma perfide épouse, dans son palais, dans un repas qu'il me donnait, comme on tue un bœuf à l'étable. Je mourus ainsi de la mort la plus misérable ; autour de moi mes compagnons furent massacrés sans merci comme les pourceaux aux dents blanches qu'un homme riche et puissant fait tuer pour une noce, pour un repas par écot ou un festin somptueux. Tu as déjà vu bien des hommes tomber sous le fer, soit isolément, soit dans la violente mêlée ; mais c'est en voyant ce carnage que tu aurais surtout gémi en ton cœur. Autour du cratère, des tables chargées, nous étions gisants dans le palais ; tout le sol 399 ruisselait de sang. J'entendis alors la voix lamentable de la fille de Priam, de Cassandre que la perfide Clytemnestre tuait auprès de moi ; pour moi, je soulevais mes mains ; je les laissai retomber contre terre, mourant avec le glaive dans la poitrine ; l'infâme s'éloigna, elle n'eut même pas assez de pi lié pour me fermer les yeux et la bouche au moment où j'allais chez Hadès. » Les tragiques, Eschyle le premier, ajoutèrent ou adoptèrent une tradition qui ajoutait une circonstance étrange à cette scène sanglante. Ils racontaient que Clytemnestre, avant de frapper son mari, l'avait enveloppé d'un filet qui le livrait sans défense à ses coups. Une femme, même armée d'une hache, n'aurait pu, sans la ruse, massacrer le vainqueur de Troie, même désarmé. Tel était sans doute le sentiment du peuple ou des poètes qui modifièrent ainsi la légende homérique. Nous ne possédons que peu de monuments où la mort d'Agamemnon soit représentée ; néanmoins il est curieux d'étudier, sur ces monuments, dans quelle mesure l'art grec paraît s'être inspiré à la fois d'Homère et des tragiques. Une peinture de vase (2) nous montre Agamemnon vêtu à la mode orientale ou plutôt demi vêtu, et assis sur un riche tapis qui rappelle le luxe déployé par Clytemnestre pour recevoir son mari ; un jeune homme nu lui passe une main autour du cou et s'apprête à le frapper d'un couteau qu'il tient dans l'autre main : est-ce Égisthe ou un satellite d Égisthe ou un des prisonniers Troyens que, suivant une autre tradition, Clytemnestre aurait armés contre Agamemnon ? Une femme brandit une arme d'une espèce inconnue ; c'est sans doute Clytemnestre. Elle tourne les yeux du côté d'Agamemnon, mais elle semble s'éloigner de la scène de meurtre : où va-t-elle ? se prépare-t-elle à frapper Cassandre qui, dans tous les cas, n'est pas présente ? Un serviteur se retire emportant un bassin ; est-ce, comme on l'a voulu, une allusion à une tradition d'après laquelle Agamemnon aurait été tué dans un bain ? Un Hermès ithyphallique, à droite, semble posé sur un amas de pierres : est-ce un symbole de la passion d'Égisthe pour Clytemnestre, ou, comme le prétend Raoul Rochette, un témoin approprié d'un festin où tous les convives sont ivres ? Deux bas-reliefs, représentant le même sujet, donnent heureusement lieu à moins de questions; sur l'un (3) Agamemnon est déjà entouré du filet fatal qui lui couvre la poitrine, les bras et la tête sauf le visage ; il s'est réfugié vers un autel sur lequel au moment d'être frappé il pose déjà un genou ; cet autel déplace le lieu de la scène : nous ne sommes plus dans la salle du festin, à moins de considérer cet autel comme celui où l'on faisait des libations avant le repas, et où l'on brûlait les prémices des mets. Dans tous les cas, ni Homère ni les tragiques ne parlent de cette circonstance. Égisthe est armé de la machœra ; Clytemneste brandit une espèce de lance ou plutôt un banc de la salle du festin qu'elle laisse retomber lourdement sur la tête d'Agamemnon : détail imaginé 400  sans doute par l'artiste mais qui peut paraître rappeler le banquet où le meurtre s'est accompli. Une furie étrusque, un esclave effrayé, complètent cette composition. Egisthe et Clytemnestre jouent le même rôle, sont armés de la même manière sur un autre sarcophage (4) ; mais Agamemnon est couché sur un siège garni de riches coussins au lieu de poser le genou sur un autel; il n'est point enveloppé d'un filet, mais il a le bras droit entouré d'une draperie qui est là, disent les archéologues, pour rappeler le tissu funeste, le filet d'enfer suivant l'expression d'Eschyle (5). Ces deux dernières compositions"ont donc cela de commun avec notre tableau qu'elles nous montrent « l'étoffe sans issue » jetée par Clytemnestre sur Agamemnon. Tout le reste d'ailleurs diffère tellement et de notre tableau et du récit soit homérique, soit tragique, qu'on serait presque tenté de croire à une erreur des archéologues. Nous ne savons même pas si le filet était posé dans notre tableau comme sur l'un ou l'autre des monuments étrusques que nous avons décrits. Nous croirions volontiers qu'Agamemnon gisant à terre était enveloppé de cette étoffe comme d'un linceul. En effet le véritable sujet n'est point la mort d'Agamemnon, mais bien celle de Cassandre; il n'y avait donc point d'inconvénient à dérober le héros aux regards du spectateur. Toutefois, si Agamemnon semblait pleurer plus sur Cassandre que sur lui-même, si ce détail n'est point inventé par Philostrate, le visage devait être découvert, et la composition conservait son unité, puisque l'expression même de l'illustre victime devait ajouter à la compassion du spectateur pour Cassandre.

Philostrate nous décrit suffisamment l'attitude de Clytemnestre et celle de Cassandre. Clytemnestre était sans doute, comme toutes les femmes grecques, vêtue du chiton ; elle ne devait point porter le peplos ou manteau qui aurait gêné ses mouvements. Les femmes qui brandissent une hache, sur les monuments figurés, ont quelquefois des tuniques brodées ou ornées de franges et parsemées d'étoiles ; mais c'est presque toujours leur seul vêtement. Quant à Cassandre, en sa qualité de prêtresse (6), elle était peut-être revêtue d'un manteau par dessus sa tunique, et d'un voile qui lui couvrait la tête et flottait sur le dos ; une couronne était peut-être posée sur sa tête, une bandelette ornait ses cheveux, ou plutôt elle venait de se dépouiller de ses insignes, surtout de ses bandelettes qu'elle tendait, avec ses mains, vers Agamemnon, comme pour le mettre sous la protection d'un sacerdoce qui ne la protégeait pas elle-même, C'était là sans doute un geste pathétique ; nous croyons cependant que la Cassandre d'Homère est plus naturelle quand elle porte ses mains au devant du coup qui la menace. Un commentateur a critiqué le mouvement de Cassandre dans le tableau, sous prétexte qu'il ne peut s'expliquer que par un transport d'amour, et que dès lors, Clytemnestre 401 ne vengeant plus sa fille, comme dans Eschyle, mais vengeant elle-même ses droits d'épouse, le sujet perd de sa dignité. L'observation est juste ; mais, dans l'art et la poésie grecque, la légende a-t-elle toujours conservé ce caractère de grandeur qu'Eschyle lui avait imprimé? Quoi d'étonnant dès lors si un peintre, contemporain de Philostrate, ne pense pas comme Eschyle; s'il arme Clytemnestre plutôt contre l'époux infidèle que contre le père barbare ; s'il fait de l'amour l'instrument de la terrible fatalité qui devait renverser la maison des Atrides ? Gardons-nous de dire avec Brunn (7), pour justifier le peintre, que le geste de Cassandre n'exprimait pas l'amour, que son attitude

 

rappelait seulement la voyante pleurant sur la destinée qui l'avait amenée en Grèce pour mourir avec Agamemnon. Philostrate aurait-il dit que Cassandre se précipitait vers le héros dans un transport de tendresse et d'enthousiasme, si son visage ne portait point la trace de son amour ? Il a vu le tableau ; ne contestons pas une explication qui, pour ne pas être conforme à la conception d'Eschyle, ne dénature point essentiellement l'antique légende, et qui surtout ne paraît point contraire à l'esprit des écoles plus récentes, en particulier de l'école alexandrine.

Le peintre avait habilement varié les attitudes des convives menacés par les satellites d'Égisthe. Le texte de Philostrate mêle ici d'une façon assez obscure la description et l'explication : ce sont deux choses qu'il importe de distinguer. L'un a la gorge ouverte, l'autre a la tête séparée du tronc ; ainsi sans doute étaient représentés leurs cadavres dans la salle du festin : c'est Philostrate qui imagine que le premier a été tué au moment où il buvait ou mangeait, le second au moment où il se penchait sur le cratère ; sans doute 402 un cratère placé auprès du dernier cadavre autorisait la conjecture du rhéteur. Un autre avait eu le bras coupé au moment où il saisissait une coupe ; et peut-être la coupe se voyait-elle à ses pieds dans le tableau. On pourrait, il est vrai, faire une supposition contraire ; de ces trois convives, l'un était représenté buvant ou mangeant, l'autre se penchant sur un cratère, l'autre portant une coupe à sa bouche ; Philostrate, apercevant le meurtrier près d'eux, les aurait vus déjà tués, chacun dans une attitude différente ; c'est l'opinion de Brunn, à laquelle l'étude du texte ne semble pas favorable, ni cette hésitation même de Philostrate qui ne sait si le premier mange ou boit; hésitation qu'il n'aurait point eue, si le peintre avait choisi le moment qui avait précédé et non celui qui avait suivi la mort. Un quatrième, frappé sans doute dans le dos, était tombé sur la table qu'il avait entraînée dans sa chute. C'est précisément l'altitude d'un personnage représenté sur une urne étrusque, dans une scène de meurtre au milieu d'un festin;il est à demi couché, la figure contre la table qu'il tient encore et qu'il semble avoir saisi pour s'arrêter dans sa chute (8). Un cinquième touchait le sol avec les épaules et la tête ; cette attitude qui peut paraître singulière n'est pas sans exemple ; nous la retrouvons sur un bas-relief qui représente la mort d'Égisthe et de Clytemnestre. Égisthe est tombé à la renverse, ses jambes repliées reposent encore sur l'appui d'un siège ; la poitrine est suspendue entre le siège et la terre ; la tête touche le sol; les bras sont étendus (9). Nous devons observer avec quel soin le peintre, soit par des accessoires heureusement placés, soit par l'attitude, montrait que tous les personnages avaient été tués dans l'état d'ivresse. Non seulement il restait ainsi fidèle à la légende, mais encore ses cadavres ne ressemblaient pas aux cadavres d'une autre scène de meurtre ; il échappait ainsi au lieu commun en peinture. Philostrate toutefois outre peut-être l'intention du peintre, quand pour expliquer qu'aucun des cadavres n'est pâle, il observe que ceux qui meurent dans l'orgie conservent encore pendant quelque temps la vivacité du teint ; pour rendre la scène plus pathétique, il fallait qu'on pût croire que le meurtre venait de s'accomplir ; or rien n'était plus propre à produire cette illusion que la vue de cadavres encore chauds et palpitants, légèrement empreints encore des couleurs de la vie. Il est inutile de supposer avec Brunn (10) que Philostrate a confondu ici l'effet d'une lumière particulière avec les effets de l'ivresse.

Deux questions se posent encore au sujet de notre tableau. Égisthe était-il représenté? S'il l'avait été, dit Welcker, Philostrate aurait décrit Son attitude. On peut ajouter que le tableau représentant la mort de Cassandre, non celle d'Agamemnon, le rôle d'Égisthe est terminé, et que sa présence 403 n'est pas indispensable. Cependant, si l'attitude d'Égisthe n'est pas décrite, ce personnage est nommé par Philostrate : « L'ivresse de tous est si profonde, dit le sophiste, qu'Égisthe lui-même s'est enhardi à frapper. » Nous nous représentons volontiers Égisthe, le couteau à la main, contemplant son œuvre achevée et attendant que Clytemnestre ait achevé la sienne (11).

Philostrate nous montre Agamemnon assis dans le festin au milieu de femmes et déjeunes gens. Les jeunes gens sont massacrés comme Agamemnon lui-même. Mais quelles sont ces femmes et que sont-elles devenues au milieu du carnage? Welcker croit qu'il ne faut pas trop presser le texte de Philostrate. Mais Philostrate entend sans doute par ces femmes Clytemnestre et Cassandre elle-même. Agamemnon, remarque le rhéteur, n'est plus sur les rivages de Troie, au milieu de ses soldats et de son conseil ; il est dans un festin auquel assistent, outre des jeunes gens, les compagnons d'Égisthe et les siens, sa femme et son amante, celle-ci incapable de le protéger, celle-là acharnée à sa perte.

(1) Od., II, 408-425.

(2) Raoul Roch., M. I., pl. 28. Overb., Die Bildw., 680, n° 4 (pl. XXVIII, n° 4).

(3) R. Roch., M. I., 29. Orerbeck, Die Bildw., 682, 5 (pl. XXVIII, 3).

(4) Overb., Die Bildw., 683, 6.

(5) Agam., 1602.

(6) Helbig, Wandg., n° 1794 et suiv., 1391 et suiv. Cf Raoul Roch., Choix de peint. de Pompéi, pl. XXV, vign. XV, p. 294 et suiv.

(7) Brunn, Die Philostr. Gem., p; 261.

(8) Inghirami, Gal. Om., lliad, pl. 91. — Mongez et Wicar, galerie de Florence et palais Pitt. Nous avons fait reproduire, d'après ce dernier ouvrage, le personnage en question.

(9) Bas-relief du musée Pio-Cl. (M. P. CL V, 22; Oberveck, Die Bildw. Atlas XXIX, 1).

(10) Brunn, Die Ph Gem., p. 331.

(11) Cf. Friederichs, Nachtrügliches, p. 163 {lahrbücher de Fleckeisen, Supplément b, 1864-72) ; Brunn, même journal, 1871, p. 91.

ΠΑΝ

Τὸν Πᾶνα αἱ Νύμφαι πονηρῶς φασὶν ὀρχεῖσθαι καὶ ἐκπηδᾶν τοῦ προσήκοντος ἐξαίροντα καὶ ἀναθρῴσκοντα κατὰ τοὺς ἀγερώχους τῶν τράγων, αὐταὶ δ´ ἂν μεταδιδάξαιεν αὐτὸν ἑτέραν ὄρχησιν ἡδίω τῷ ἤθει, προσέχοντι δ´ αὐταῖς οὐδέν, ἀλλὰ πειρῶντι αὐτὰς καὶ ἀποτεταμένῳ τὸν κόλπον ἐπιτίθενται κατὰ μεσημβρίαν, ὅτε δὴ λέγεται καθεύδειν ὁ Πὰν ἐκλελοιπὼς τὴν θήραν. Ἐκάθευδε δ´ ἄρα πρότερον μὲν ἀνειμένος τε καὶ πρᾷος τὴν ῥῖνα καὶ τὸ ἐπίχολον αὐτῆς λεαίνων τῷ ὕπνῳ, τήμερον δὲ ὑπερχολᾷ· προσπεσοῦσαι γὰρ αὐτῷ αἱ Νύμφαι περιῆκται μὲν ἤδη τὼ χεῖρε ὁ Πάν, δέδιε δὲ ἐπὶ τοῖς σκέλεσιν, ἐπειδὴ βούλονται αἴρειν αὐτά. Τὸ δὲ δὴ γένειον, οὗ πλεῖστος αὐτῷ λόγος, ἐξύρηται μαχαιρίδων ἐσβεβληκυιῶν ἐς αὐτό, φασὶ δὲ τὴν Ἠχὼ ἀναπείσειν ὑπερορᾶν τε αὐτοῦ καὶ μηδὲ φθέγγεσθαι πρὸς αὐτὸν ἔτι. Ταῦτα αἱ Νύμφαι πανσυδί, σὺ δὲ κατὰ δήμους αὐτὰς ὅρα· τὰ μὲν γὰρ τῶν Ναΐδων εἴδη—ῥανίδας ἀπορραίνουσιν αὗται τῆς κόμης—ὁ δὲ περὶ ταῖς Βουκόλοις αὐχμὸς οὐδὲν φαυλότερος τῆς δρόσου, αἱ δὲ Ἀνθοῦσαι τὰς χαίτας ἐκπεφύκασιν ὑακινθίνοις ὁμοίως ἄνθεσιν.

XI. PAN.

Pan, disaient les Nymphes, danse sans aucune grâce; dans ses transports désordonnés il saute et bondit comme les boucs à la joie pétulante ; apprenons-lui une autre danse d'un caractère plus aimable. Mais Pan, loin de les écouter, portait la main sur elles, touchait leurs seins (a). Elles l'ont donc surpris, vers le milieu du jour, à l'heure où, dit-on, le dieu s'abandonne au sommeil, après la fatigue de la chasse. Car il dormait autrefois dans une pose indolente, les ailes du nez mollement rabattues, dépouillées par le sommeil de toute marque de colère ; aujourd'hui le dieu est outré de fureur ; assailli par les nymphes qui lui ont attaché les mains derrière le dos, il craint pour ses jambes qu'elles veulent saisir. Sa barbe, à laquelle il tient tant, est tombée sous le fer du rasoir. Ses ennemies lui disent qu'elles persuaderont à Écho de le mépriser, de ne plus lui parler. Après avoir contemplé d'un seul regard le groupe des Nymphes, examinons-les par tribus : voici les Naïades avec leurs cheveux qui laissent tomber l'eau goutte à goutte ; voici les nymphes agrestes, non moins belles avec leur chevelure négligée et aride. En voici d'autres qui ont reçu de la nature une couronne de fleurs, couleur de l'hyacinthe.

COMMENTAIRE

Les Nymphes sous différents noms habitent, comme le dieu Pan, les montagnes, les forêts, le bord des ruisseaux; aussi est-il souvent groupé, sur 404 les monuments figurés, avec ces gracieuses divinités des lieux agrestes et solitaires. Tantôt il les poursuit, tantôt il les surprend pendant leur sommeil; tantôt il les a saisies et s'efforce de vaincre leur résistance ; tantôt il les porte dans ses bras et paraît s'enfuir avec sa proie. Mais dans notre tableau les rôles sont changés. Pan est au pouvoir des Nymphes qui lui ont lié les mains derrière le dos et qui cherchent à lui lier les jambes, sans doute pour les délier plus tard, puisqu'il s'agit, selon Philostrate, de lui apprendre à danser avec grâce.

Nous n'avons à rapprocher de cette composition qu'un bas-relief antique qui décore la panse d'un cratère en marbre (1). Pan, étroitement enveloppé dans une peau de bête, porte le pédum dans la main gauche. Trois femmes l'entourent en dansant et semblent vouloir le contraindre à danser lui-même. L'une d'elles, à défaut de la main droite qu'il refuse de donner et qu'il serre contre la poitrine, a saisi sa peau de bête par une extrémité ; elle semble faire claquer les doigts de sa main libre comme pour marquer la mesure et encourager le dieu récalcitrant. Une autre femme, placée derrière le dieu, tient la robe de sa compagne et semble, autant qu'on peut le conjecturer, porter la main sur Pan, pour le faire tourner sur lui-même. Une troisième femme a dans sa main une autre extrémité de la peau de bête ; l'autre main étant inutile, elle l'a posée gracieusement sur sa hanche. L'attitude et la figure du dieu expriment la mauvaise humeur ; avoir son embarras comique, on dirait qu'il craint d'être jugé maladroit et disgracieux, et de faire rire à ses dépens s'il dansait en pareille compagnie.

On voit les ressemblances, mais aussi les différences entre ce bas-relief et notre tableau. Pan est libre et pourrait se dérober à l'obsession de ses compagnes ; il n'a point la barbe coupée ; il n'est point enchaîné : il n'a pas été surpris ; il en résulte qu'il est mécontent et non pas irrité. Nous sommes obligé de demander à une autre œuvre d'art quelle pouvait être l'expression grimaçante de Pan dans notre tableau. Un bas-relief du Bristish-Museum (2) nous présente trois têtes de Pan; l'une est couronnée de lierre ; les yeux, le nez, la bouche, tous les traits de la figure semblent se dilater et s'épanouir : c'est le joyeux compagnon de Dionysos. A côté, est le Pan qui inspire la terreur ; la chevelure abondante, sans couronne ni bandeau, est rejetée en arrière ; les yeux sont fixes et ronds ; la prunelle est marquée ; la bouche s'ouvre grandement, et, par ce mouvement même, force les narines à se relever. La troisième tête, ornée de pommes et de feuilles de pin, a un air sévère et courroucé ; le sourcil est froncé et entraîne dans son mouvement les yeux qui s'abaissent, tout en restant ouverts et menaçants. Mais de






 

407 toutes les images antiques du dieu Pan, il n'en est peut-être point qui exprime plus vivement le mécontentement et la colère qu'un buste d'une peinture murale de Pompéi (3) : le sourcil froncé au point de toucher l'angle interne de l'œil, la bouche ouverte, la lèvre supérieure fortement contractée, lui donnent la physionomie la plus bourrue du monde : ajoutez que les longues oreilles sont droites, que les cornes s'élèvent sur le front d'un air menaçant, et sont séparées par une mèche de cheveux, qui par sa raideur ressemble presque à une troisième corne. Tel devait être, à peu près, le Pan de notre tableau.

Nous devons relever une autre différence entre la composition décrite par Philostrate et le bas-relief du cratère où Pan est représenté dansant malgré lui. Les femmes qui entourent Pan sont plutôt des Ménades que des Nymphes. Les Ménades, il est vrai, jouent à peu près, dans la légende de Pan, le même rôle que les Nymphes ; le dieu les poursuit comme celles-ci ; il danse avec elles, et, de leur côté, elles le harcèlent comme feraient les Oréades et les Naïades, peut-être avec plus d'audace et d'emportement. Mais notre bas-relief, groupant des Bacchantes autour du dieu, ne peut nous donner aucun renseignement sur le costume des Nymphes qui assaillaient le dieu dans le tableau. Elles étaient, dit Philostrate, réparties en trois groupes ; du moins reconnaît-il parmi elles, à leurs attributs, les Naïdes ou Naïades qui sont les nymphes des eaux, les Bucoloi ou nymphes des troupeaux au pâturage, les Anthusiai ou nymphes des prés fleuris. Sur les monuments figurés, les nymphes ont les pieds et les bras nus, la chevelure flottante, des robes courtes relevées très haut par la ceinture ; mais des attributs particuliers les distinguent. On reconnaît les Naïades, par exemple, aux coquillages qu'elles tiennent sur leur poitrine, au vase dont elles se servent pour puiser de l'eau, à leur couronne de roseau. Les Oréades sont assises sur des rochers. La facilité de varier ces attributs permettait à un artiste de représenter toutes les tribus de Nymphes dont l'imagination des Grecs avait peuplé la nature entière.

Nous avons recherché les analogies que les œuvres d'art présentent avec la description de Philostrate, au point de vue de la représentation des personnages ; on peut se demander si le sujet est bien d'accord avec la légende du dieu. Pan, en effet, n'est pas toujours le dieu gauche et maladroit qui a besoin d'apprendre à danser avec grâce ; c'est lui qui donne des leçons aux autres ; il accompagne les danseurs sur la syrinx ou le chalumeau, il danse lui-même au son de ces instruments, et en mesure ; il conduit le chœur des Nymphes; Sophocle l'appelle le chef, le créateur ]des chœurs divins (4) ; selon Pindare (5), il est, pour les dieux, le choreutês par excellence ! Maïs 408 d'un autre côté, Pan, le dieu qui lutte à coups de cornes avec les boucs, le dieu qui bondit avec tant de fougue sur ses pieds fendus, peut-il toujours respecter la mesure et la convenance ? Il sera donc le dieu des transports désordonnés, comme il est le dieu des transports soumis à la cadence. C'est le premier de ces dieux que les Nymphes ont entrepris de corriger. Rien ne prouve mieux la souplesse de la mythologie antique que cette facilité laissée par elle aux artistes de considérer la même divinité sous deux aspects tout à fait différents.

(1) Mus. Borb., VII, t. 9. — Müller-Wiesel., D. d. a. K., II, 549. Le musée du Louvre possède un fragment de bas-relief qui a beaucoup de rapport avec celui-ci; Frühner le décrit dans sa Notice de la sculpture antique (n° 289), mais n'indique pas ce rapprochement qui nous paraît de nature à en rendre l'explication plus aisée. (Voir la planche ci-contre.)

(2) Combe, Terracott. in British Mus., pl. XXIV, n° 45: — Müll.-Wies., II, 527.

(3) Pitt. d'Ecc.,IV, 100. Ternite, II, t. 6. — Müll.-Wies., II, 523.

(4) Soph., Aj., v. 693.

(5) Arist., t. I, p. 49.

 

ΠΙΝΔΑΡΟΣ

Οἶμαι θαῦμά σοι εἶναι τὰς μελίττας οὕτω γλίσχρως γεγραμμένας, ὧν γε καὶ προνομαία δήλη καὶ πόδες καὶ πτερὰ καὶ τὸ χρῶμα τῆς στολῆς οὐκ ἀτακτοῦσιν, ἴσα τῇ φύσει διαποικιλλούσης αὐτὰ τῆς γραφῆς. Τί οὖν οὐκ ἐν σίμβλοις αἱ σοφαί; τί δὲ ἐν ἄστει; κωμάζουσιν ἐπὶ τὰς τοῦ Δαϊφάντου θύρας— γέγονε δὲ ἤδη Πίνδαρος, ὡς ὁρᾷς—πλάττειν κἀκ νηπίου αὐτόν, ἵν´ ἐμμελὴς ἤδη καὶ ἔμμουσος ᾖ, καὶ ποιοῦσι ταῦτα. Τὸ μὲν γὰρ παιδίον εἰς δάφνην ἀπόκειται καὶ κλῶνας μυρρίνης ξυμβαλλομένου τοῦ πατρὸς ἱεροῦ τεύξεσθαι τοῦ παιδός, ἀφ´ ὧν κύμβαλά τε κατήχει τῆς οἰκίας, ὅτε ἐτίκτετο, καὶ τύμπανα ἠκούετο ἐκ Ῥέας, ἐλέγοντο δὲ καὶ αἱ Νύμφαι χορεῦσαί οἱ καὶ ἀνασκιρτῆσαι τὸν Πᾶνα· φασὶ δὲ αὐτόν, ὅτε Πίνδαρος ἐς τὸ ποιεῖν ἀφίκετο, ἀμελήσαντα τοῦ σκιρτᾶν ᾄδειν τὰ τοῦ Πινδάρου. Ἡ Ῥέα δὲ ἄγαλμα ἐκπεπόνηται καὶ καθίδρυται μὲν αὐτοῦ καὶ περὶ θύρας, οἶμαι δὲ καὶ λίθου τὸ ἄγαλμα φαίνεσθαι κατεσκληκυίας ἐνταῦθα τῆς γραφῆς καὶ τί γὰρ ἄλλο ἢ ἐξεσμένης; ἄγει καὶ τὰς Νύμφας ἐνδρόσους καὶ οἵας ἐκ πηγῶν, ὁ δὲ Πὰν ἐξορχεῖται μὲν ῥυθμὸν δή τινα, φαιδρὸν δὲ αὐτῷ τὸ εἶδος καὶ τῆς ῥινὸς οὐδὲν χολῶδες. Αἱ δὲ εἴσω μέλιτται περιεργάζονται τὸ παιδίον ἐπιβάλλουσαι τὸ μέλι καὶ τὰ κέντρα ἀνέλκουσαι δέει τοῦ ἐγχρίσαι. Ἐξ Ὑμηττοῦ τάχα ἥκουσι καὶ ἀπὸ τῶν λιπαρῶν καὶ ἀοιδίμων· καὶ γὰρ τοῦτο οἶμαι αὐτὰς ἐνστάξαι Πινδάρῳ.

XII. PlNDARE.

C'est un étonnement pour toi, j'imagine, que ces abeilles si finement peintes, dont toutes les parties, la trompe, les pieds, les ailes se laissent si bien distinguer, qui présentent la même disposition, la même variété de couleurs que dans la nature. Pourquoi ne sont-elles pas dans leur ruche, ces sages ouvrières? Pourquoi viennent-elles dans une ville? Elles se pressent joyeusement (a) aux portes de Daïphantos (car Pindare est déjà né, comme tu vois) pour former l'enfant dès le berceau, pour lui donner le goût de la mélodie et du chant. Elles sont à l'œuvre. L'enfant repose sur le laurier et sur des branches de myrte, son père conjecturant qu'il lui était né un enfant sacré ; en effet la maison avait retenti du bruit des cymbales, à sa naissance ; on avait entendu le tambour de Rhéa ; on disait encore que les Nymphes unies par la main avaient dansé en son honneur et que Pan s'était mis à sauter. (Plus tard, dit-on, quand Pindare fut poète, le dieu, cessant de danser, chanta les vers de Pindare.) La statue de Rhéa, habilement travaillée, a été placée près des portes; je m'imagine voir une statue en vrai marbre, tant la peinture a bien reproduit la dureté de la pierre, et, pour ainsi dire, les marques du ciseau ! L'artiste a représenté les Nymphes humides de rosée et comme sortant de leurs sources. Pan danse je ne sais sur quel rythme ; son visage est radieux; ses narines ne respirent pas la colère. A l'intérieur de la maison, les abeilles empressées autour de l'enfant lui versent le miel sur les lèvres, rentrant leur aiguillon, de peur de le piquer. Elles viennent sans doute de l'Hymette et d'Athènes, la ville brillante, la ville au poétique renom ; le miel qu'elles distillent sur la bouche du poète se sentira de cette origine.

COMMENTAIRE

Pindare semble avoir eu une dévotion particulière pour Cybèle, la déesse orientale. Pausanias (1) rapporte que de son temps on montrait encore la mai- 409 son de Pindare, et près de cette maison un temple de Rhéa, édifié et dédié par le poète. Dans une de ses odes (2), Pindare s'écrie : « Je veux implorer dans mes prières la mère des dieux, la vénérable déesse que des jeunes filles, accompagnées du dieu Pan, célèbrent, dans mon vestibule, par des chants nocturnes. » Ces jeunes filles sont-elles les Nymphes dont parle Philostrate, comme le veut Welcker ; sont-elles, comme le prétendent d'autres commentateurs, des prêtresses de la déesse choisies parmi les jeunes Thébaines? Nous ne savons ; toujours est-il que la première opinion n'a rien d'invraisemblable, qu'elle n'est point contraire au sentiment des scholiastes (3), et qu'elle a pu prévaloir dans l'antiquité au point de s'imposer aux artistes qui, prenant pour sujet la naissance de Pindare, avaient songé à représenter dans un même tableau l'enfant divin, la statue de Cybèle et le dieu Pan. Comment d'ailleurs imaginer que le dieu Pan avait pu se mêler à un chœur de jeunes Thébaines, et non aux nymphes, parfois ses ennemies et ses victimes, mais souvent aussi ses gracieuses compagnes? Il est donc inutile de supposer, pour expliquer la présence des Nymphes dans la composition, qu'elles n'y ont été introduites que par l'imagination de Philostrate se méprenant sur le sens d'un passage de Pindare, ou se rappelant que dans le tableau précédent, le dieu Pan était groupé avec les Nymphes (4) ; et c'est mal raisonner, de tirer de cette supposition toute gratuite un argument contre l'authenticité du tableau. Pour revenir à Pindare, ses vers cités plus haut prouvent que le poète, comme les Lydiens (5), unissait dans un même culte Pan et Cybèle : « Ο Pan, roi de l'Arcadie, s'écrie-t-il quelque part, gardien des sanctuaires augustes, compagnon de la Grande-Mère, toi qui aimes les grâces vénérables et qui fais leurs délices (6) » : Il ajoute dans l'élan d'une piété que nous trouvons presque irrévérencieuse à force d'être hardie : « Ο bienheureux toi que les Olympiens appellent le chien fidèle de la grande déesse. » De là naquirent différentes légendes ; on racontait (7) qu'un jour, sur un© montagne voisine d'Olympie, Pindare avait vu passer une statue en pierre de Rhéa qui marchait d'elle-même, et qu'ayant consulté l'oracle de Delphes il avait reçu cette réponse : « Élève un temple à la mère des Dieux. » On racontait encore que Pan, plein d'admiration pour un Pœan composé par Pindare, le répétait sur les montagnes, en chantant et en dansant (8).Plutarque prétend, il est vrai, qu'à cette nouvelle Pindare fut médiocrement charmé, comme si l'admiration du plus grossier des dieux eût été une insulte pour 410 son talent poétique ; mais Plutarque oublie que Pindare avait appelé Pan le choreutôs teleôtatos (11), c'est-à-dire le maître de chœur parfait, le danseur et le musicien par excellence (12) ; enfin on avait supposé qu'à la naissance de Pindare les cymbales et le tambour de Rhéa avaient dû retentir, et que Pan, qui est aussi un dieu prophète, avait célébré par des chants et des danses le premier jour d'un enfant destiné à devenir son adorateur et son poète préféré.

La douceur du langage poétique égale celle du miel, du lait ou du nectar ; ce sont là des comparaisons fréquentes chez les anciens, et que nous retrouvons sous toutes les formes. Simonide était appelé Mélicertés (13). Suivant une épigramme funéraire composée par Simonide en l'honneur d Ana-créon (14), ce poète, même dans le silencieux séjour des morts, ne cessait pas de faire résonner sa lyre et de moduler des chants aussi doux que le miel. Pour une imagination grecque, les abeilles n'abandonnent pas les poètes, même après leur mort : « Que toujours ta tombe, ô divin Sophocle, dit une autre épigramme (15), soit arrosée des libations de leur miel, afin qu'une cire éternelle parfume tes tablettes attiques. » Sur la tombe d'Hésiode, les chevriers apportent du lait mêlé avec du miel : « Le vieillard n'avait-il pas, en effet, dit le poète, chanté des vers aussi doux que le miel et le lait, lui qui s'était abreuvé aux pures sources des neuf Muses (16),. » Christodore, décrivant une statue d'Homère, voit une abeille voltiger sur ses lèvres et y distiller son miel (17). Les abeilles, racontaient les Grecs, s'étaient posées sur la bouche de Platon enfant, qui devait être aussi harmonieux dans la prose que les plus grands poètes dans leurs vers. Pindare venait de naître, dit Christodore, des abeilles, se posant sur ses lèvres, distillèrent leur miel, témoignage de ses poétiques destinées (18) et en effet, selon une épigramme, on pourrait affirmer, en entendant ses vers, qu'un essaim d'abeilles les a composés dans la cité de Cadmus (19). Quoi d'étonnant, dès lors, si l'art, s'emparant de la tradition, a voulu nous montrer l'abeille, « la blonde ouvrière qu'on prendrait pour une muse », au moment même où elle communique à l'enfant qu'elle a choisi entre tous le don de l'harmonie et de l'inspiration poétique? Mais, dit un commentateur, c'est là un rôle symbolique qui devient énigmatique et choquant, dès qu'au lieu d'être présenté en vers à la seule imagination, 411 il s'offre à nos yeux dans un tableau. D'une part, en effet, nous craindrons pour l'enfant ainsi environné d'abeilles qu'il est plus aisé de prendre pour des insectes irritables que pour des messagères de la muse ; d'autre part, en supposant leur rôle nourricier clair pour tous, nous ne saurons si c'est l'âme ou le corps qu'elles nourrissent (20). Ce sont là de vaines subtilités : le Grec voyait dans les abeilles des êtres intelligents, en communication avec les dieux et les hommes; il ne distinguait pas entre les abeilles symboliques et les abeilles réelles ; qu'il se les représentât en esprit, qu'il les aperçût dans la nature ou dans un tableau, elles lui apparaissaient comme chargées d'une double attribution, celle de faire leur miel, celle d'inspirer aux poètes les doux accords; ou plutôt les deux attributions se confondaient en une seule, car c'était le suc recueilli par les abeilles sur les fleurs qui se transformait, suivant qu'il était déposé dans une ruche ou sur les lèvres d'un homme, en miel doré et parfumé, ou en miel poétique, c'est-à-dire en un langage mesuré et cadencé à souhait pour le plaisir de l'oreille. Il n'y a donc pas lieu ici de blâmer le peintre ou de supposer que Philostrate, en composant ce tableau d'imagination, s'écarte des habitudes de l'art antique. Tel jaspe antique nous montre une abeille sortant de la bouche d'un personnage que les archéologues ont cru reconnaître pour Platon (21). Telle gemme (22) représente une tête laurée, environnée d'abeilles : selon Boettiger (23), cette tête est celle de Jupiter enfant ; selon Welcker, qui, comme Zoega, ne reconnaît pas dans cette image les traits du Père des dieux, ce serait Pindare ou un autre grand poète de la Grèce. Quelque explication qu'on adopte, les abeilles ont toujours dans cette représentation un rôle symbolique ; ou elles sont là pour inspirer à Jupiter la clémence (24), ou elles apportent à un poète le langage « aux douceurs souveraines». Quel est le spectateur qui redouterait les piqûres d'abeilles pour Jupiter ou pour Pindare ? Qui serait tenté de croire que ces abeilles, dérangées dans leur travail, sont sorties de leurs ruches pour se venger d'un importun ? Matz, qui partageait les scrupules de Friederichs à l'égard de notre tableau, cite une composition du peintre Schwind, qui aurait compris, dit-il, l'étrange erreur du peintre ancien ou de Philostrate. Dans le tableau de Schwind, en effet, un essaim d'abeilles voltigeait au-dessus de la tête de Pindare enfant et s'apprêtait à descendre sur ses lèvres ; mais Rhéa étendait la main pour les écarter. On ne saurait être plus ingénieux ni mieux dénaturer aussi l'esprit d'une légende grecque. Rhéa chasser les abeilles ! c'eût été vouloir étouffer la poésie au berceau. Nous doutons qu'en pareil cas 412 Pindare eût eu pour Rhéa le culte qu'il lui avait voué. Si Philostrate avait décrit un tableau semblable à celui de Schwind, c'est alors qu'on en aurait pu mettre en doute l'authenticité (25).

Philostrate, en énumérant les différents objets et personnages du tableau, ne nous dit point quelle est la place de chacun d'eux. Si Ton veut essayer de suppléer à son silence, nous placerions volontiers l'enfant et par suite la porte de Daïphantos, tout à fait sur le premier plan, puisque le spectateur pouvait non seulement distinguer les abeilles, mais compter pour ainsi dire les nuances de leur corsage changeant. La statue de Rhéa s'élevait sans doute en avant de la porte, entre celle-ci et le berceau ; la maison elle-même représentée en tout ou en partie devait occuper un des côtés de la composition, afin de laisser la place nécessaire aux nymphes et à Pan. Le Pan et les Nymphes formaient un chœur, sans doute à peu de distance du berceau, puisque Philostrate distingue si bien l'expression du dieu Pan.

Placée sur le vestibule de Daïphantos, la statue de Cybèle devait être assise, si elle ressemblait à celle que Pindare avait fait placer dans le temple qu'il avait dédié à la Grande-Mère. Pausanias (26) nous apprend en effet que cette statue, œuvre d'Àrtémidoros et de Socrate, était de marbre pentélique comme son siège. Quant à ses attributs, portait-elle la couronne murale ou le modius? Voyait-on des lions debout à ses côtés ou blottis dans son sein ? Avait-elle tout simplement, comme dans telle peinture de Pompéi (27), la main droite appuyée sur un sceptre, la main gauche sur un tympanon? On peut choisir entre ces conjectures.

(1) Paus., IX, 25, 6.

(2) Pyth., ,, ant. 4.

(3) Au moins le Scholiaste laisse-t-il le choix entre Protomachfé et Eumélie, filles de Pindare et les nymphes.

(4) Matz, De Phil.., p. 121.

(5) Prell., G. M., I, 615.

(6) Pind., Frag., 63; Böch, III, 591.

(7) Sch. ad Pind. P., III, 137.

(8) Plut., t. II, p. 1103 A.

(11) Dans Arist., t. I, p. 40, df.

(12) Voir l'épigr. d'Antipater sur Pindare, Anth. de Planude, 305. Antipater fait l'éloge de Pindare, en rappelant que le dieu du Ménale, oubliant sa musette pastorale, a chanté un des hymnes du poète.

(13) Schol., Vesp., 1402.

(14) Anth. pal., VII, 25.

(15) Anth. pal., épigr. d'Erucius, VII, 36.

(16) Ep. d'Alcée, A. Pal., VII, 55.

(17) Anth. pal., II, 342.

(18) Ibid., V, 385.

(19) Ibid., VII, 34.

(20) Friedr., Die Ph. Bild., 124.

(21) Cadès, Grosse Abdrucksamml., XXXII, 76; Monum. dell' Instit., III, tav. 7, 2. Stephani (Compte rendu de la commiss, archéol. de Saint-Pétersbourg, pour l'année 1877, p. 98, note 6) signale l'erreur de Braun qui a pris l'abeille pour un papillon.

(22) Winck., M. I., t. XII.

(23) Boettiger, Amalth., t. I, p. 63.

(24) Ζεὺς μειλίχιος. Cf. Vinet., Dict. d. B. Arts, art. ABEILLE.

(25) Musée de Carlsruhe; voir Kunstbl., 1845, p. 174.

(26) Paus., IX, 25, 3.

(27) Helbig, Wandg., 1158.

 

ΓΥΡΑΙ

Αἱ τοῦ πελάγους ἀνεστηκυῖαι πέτραι καὶ ἡ ζέουσα περὶ αὐτὰς θάλαττα ἥρως τε δεινὸν βλέπων ἐπὶ τῶν πετρῶν καί τι καὶ φρονήματος ἔχων ἐπὶ τὴν θάλατταν—ὁ Λοκρὸς βέβληται μὲν τὴν ἑαυτοῦ ναῦν, ἐμπύρου δὲ αὐτῆς ἀποπηδήσας ὁμόσε κεχώρηκε τοῖς κύμασι, τῶν μὲν διεκπαίων, τὰ δὲ ἐπισπώμενος, τὰ δὲ ὑπαντλῶν τῷ στέρνῳ, Γυραῖς δ´ ἐντυχών—αἱ δὲ Γυραὶ πέτραι εἰσὶν ὑπερφαίνουσαι τοῦ Αἰγαίου κόλπου—λόγους ὑπέρφρονας λέγει κατὰ τῶν θεῶν αὐτῶν, ἐφ´ οἷς ὁ Ποσειδῶν αὐτὸς ἐπὶ τὰς Γυρὰς στέλλεται φοβερός, ὦ παῖ, καὶ χειμῶνος πλέως καὶ τὰς χαίτας ἐξηρμένος. Καίτοι ποτὲ καὶ συνεμάχει τῷ Λοκρῷ κατὰ τὸ Ἴλιον, σωφρονοῦντι δὲ καὶ φειδομένῳ τῶν θεῶν—ἐρρώννυ αὐτὸν τῷ σκήπτρῳ—, νῦν δ´, ἐπειδὴ ὑβρίζοντα ὁρᾷ, τὴν τρίαιναν ἐπ´ αὐτὸν φέρει καὶ πεπλήξεται ὁ αὐχὴν τῆς πέτρας ὁ ἀνέχων τὸν Αἴαντα, ὡς ἀποσείσαιτο αὐτὸν αὐτῇ ὕβρει. Ὁ μὲν δὴ λόγος τῆς γραφῆς οὗτος, τὸ δὲ ἐναργές· λευκὴ μὲν ὑπὸ κυμάτων ἡ θάλαττα, σπιλάδες δ´ αἱ πέτραι διὰ τὸ ἀεὶ ῥαίνεσθαι, πῦρ δὲ ἐκ μέσης ᾄττει τῆς νεώς, ἐς ὃ ἐμπνέων ὁ ἄνεμος πλεῖ ἡ ναῦς ἔτι καθάπερ ἱστίῳ χρωμένη τῷ πυρί. Ὁ δὲ Αἴας οἷον ἐκ μέθης ἀναφέρων περιαθρεῖ τὸ πέλαγος οὔτε ναῦν ὁρῶν οὔτε γῆν, καὶ οὐδὲ τὸν Ποσειδῶ προσιόντα δέδοικεν, ἀλλ´ ἔοικε διατεινομένῳ ἔτι· οὔπω τοὺς βραχίονας ἡ ῥώμη ἀπολέλοιπεν, ὁ αὐχήν τε ἀνέστηκεν οἷος ἐπὶ Ἕκτορα καὶ Τρῶας. Ὁ μὲν δὴ Ποσειδῶν ἐμβαλὼν τὴν τρίαιναν ἀπαράξει τὸ τρύφος αὐτῷ Αἴαντι τῆς πέτρας, αἱ δὲ Γυραὶ αἱ λοιπαὶ μενοῦσί τε, ἐς ὅσον θάλαττα, καὶ ἄσυλοι ἑστήξουσι τῷ Ποσειδῶνι.

XIII. LES GYRES.

Sur ces rochers dominant les flots et battus par la vague écumante, se tient un héros au regard terrible et qui paraît comme courroucé contre la mer. C'est le Locrien Ajax. S'élançant de son navire frappé par la foudre et enveloppé parles flammes, il s'est jeté au-devant des vagues, nageant à travers les unes, glissant sur les autres, refoulant les autres de chaque côté par l'effort de sa poitrine (a). Ayant atteint les Gyres, rochers qui s'élèvent au milieu de la mer Égée, il se répand en orgueilleuses imprécations contre les dieux ; sur quoi Poséidon lui-même s'avance contre les Gyres, l'épouvante de la tempête répandue sur ses traits, la chevelure hérissée. Cependant il combattait autrefois avec le héros locrien contre Ilion, mais alors celui-ci avait des sentiments modestes et se gardait d'offenser les dieux. Au lieu donc de lui communiquer comme jadis 413 une force invisible en le touchant de son sceptre, le dieu, témoin d'une telle arrogance, s'arme contre lui de son trident. Il s'apprête à frapper la crête du rocher pour faire tomber d'une même chute Ajax et son orgueil. Tel est le sujet du tableau : on croit voir les roches blanchissantes, les écueils minés par le travail incessant des flots, le navire vomissant la flamme qui se gonfle au souffle du vent, et voguant ainsi comme à l'aide d'une voile. Ajax, comme revenu de son ivresse, parcourt des yeux la mer sans apercevoir la terre ni un vaisseau ; il ne s'effraie même pas à la vue de Poséidon qui s'approche et semble encore se raidir contre la divinité; ses bras ont conservé toute leur force ; il porte fièrement la tête comme autrefois en face d'Hector et des Troyens. Le dieu d'un coup de trident va précipiter Ajax avec un fragment de rocher : ce qui reste des Gyres existera aussi longtemps que la mer, élevant au-dessus des flots une cime respectée de Poséidon.

COMMENTAIRE

Selon Homère (1), les navires d'Ajax poussés par Poséidon allèrent se briser contre les Gyres, rochers énormes situés près de Mykonios ; mais le dieu n'avait pas dessein de faire périr le héros ; il lui eût laissé la vie sauve, si Ajax ne s'était écrié, dans un accès d'arrogance et d'impiété, qu*il échapperait au danger malgré le courroux des dieux. Poséidon offensé abattit d'un coup de trident le quartier de rocher sur lequel Ajax s'était réfugié. Plus tard les poètes, Euripide le premier peut-être (2), racontèrent que Pallas, irritée contre Ajax qui avait commis le sacrilège de violer Cassandre près de ses autels, avait décidé Poséidon à soulever la mer Égée, qu'elle-même s'armant de la foudre de Jupiter l'avait lancée contre Ajax et son vaisseau. C'est la tradition que suit Virgile (3), en y ajoutant un trait qui rappelle la première fable; en effet, s'il nous représente Ajax foudroyé, il nous le montre aussi transporté dans un tourbillon sur la pointe de ce rocher qui, selon Homère, fut le témoin de sa mort. Un tableau d'Apollodore avait pour sujet « Ajax brûlé par la foudre» ; l'artiste avait donc suivi le récit d'Euripide : nous ne savons si dans les autres détails il se rapprochait de la tradition homérique (4). Dans notre tableau, au contraire, la foudre a été lancée contre le vaisseau qui vomit des flammes, mais elle n'a pas atteint Ajax qui, comme dans Homère, 414 s'abîme au milieu des flots, avec une partie des Gyres ébranlées par le trident de Poséidon.

Le sujet ainsi conçu est évidemment plus dramatique, puisque Ajax périt après avoir échappé une première fois à la mort; il est aussi plus pittoresque puisqu'il permet au peintre de représenter tout à la fois, les effets de la foudre qui consume le navire, l'agitation des flots qui battent les Gyres, Poséidon armé du trident, Ajax isolé sur une pointe de rocher, épuisé de fatigue, mais conservant une âme indomptable. Un commentateur a cependant critiqué le moment choisi et la tradition adoptée par l'artiste : quoi, dit-il, nous avons devant les yeux un dieu courroucé, et ce dieu, au lieu de menacer et de frapper le coupable lui-même, tourne sa fureur contre un rocher ; si bien que rien n'empêche le spectateur de croire qu'il se sauvera à la nage, comme il l'a déjà fait une première fois ! que devient alors le prestige du dieu ? Brunn répond à Friederichs : l'action de Poséidon est motivée parles paroles du héros : il s'est vanté d'avoir échappé non seulement à la foudre mais aux flots soulevés contre lui; il croit avoir vaincu Poséidon lui-même ; il est juste qu'il périsse englouti par la mer, et non tué d'un coup de trident. Le dieu, en frappant le rocher semble lui dire : voici ta forfanterie à l'épreuve ; voyons si tes bras sont assez forts pour te soutenir longtemps au milieu des vagues soulevées. La critique et la réponse nous paraissent également subtiles : le spectateur qui voit Poséidon lever le trident sent bien qu'Ajax est perdu ; si Ajax a pu atteindre les Gyres, c'est parce que Poséidon lui était encore favorable; en bravant le dieu, il s'est montré indigne de cette protection : il est réduit à lui-même ; il faudrait être aussi impie que le héros pour croire qu'il puisse se soustraire au châtiment. Qu'importe dès lors le moyen employé par le dieu pour se venger, si la vengeance est certaine ? D'ailleurs, le trident garde son rôle qui est d'ébranler la terre, non d'enlever un homme, comme avec une fourche, ce qui serait, on l'avouera, une image assez déplaisante à présenter aux regards.

Welcker suppose que les Gyres étaient placées au milieu du tableau entre Poséidon qui poussait son char sur les eaux et le navire enflammé que les vents emportaient au loin. Celte ordonnance est sans doute simple et nette ; elle permet de distinguer aisément les personnages et les objets. Il est évident néanmoins que le peintre aurait pu représenter les Gyres et Ajax d'un côté du tableau, le navire au dernier plan, Poséidon s'approchant du rocher, et par conséquent tout près du spectateur. Cette disposition aussi claire que la précédente serait moins symétrique et ne donnerait pas au navire la même importance qu'aux personnages. Il n'est pas non plus nécessaire de se représenter Poséidon monté sur un char; les monuments figurés nous le montrent tantôt porté par un cheval ou un hippocampe (5), tantôt po- 415 sant les pieds sur les vagues, debout entre un hippocampe et un dragon marin (6), tantôt n'élevant au-dessus des flots que la partie supérieure du corps (7), et ressemblant assez au Neptune de Virgile qu'on a tort de citer quelquefois comme un exemple de l'impuissance de l'art à reproduire certaines images poétiques :

et alto
Prospiciens summa placidum caput cxtulit unda (8).

Suivant Philostrate, Poséidon avait les cheveux hérissés. La chevelure de Poséidon, sur les monuments figurés, change d'aspect, suivant que l'artiste a voulu représenter le dieu qui apaise ou soulève les flots, le dieu qui contemple ou parcourt son domaine, le dieu au repos ou agissant : tantôt ses cheveux retombent mollement des deux côtés, encadrant une figure paisible (9), tantôt ils sont comme humides et ruisselants (10) ; tantôt ils frisent, ils ondulent sur le front au-dessous d'un bandeau, et semblent agités par la violence des vents (11) ; tantôt ils se dressent sur le sommet de la tête (12), et le dieu ressemble alors de très près à celui que nous décrit Philostrate.

Le dieu tient aussi son trident de différentes manières, suivant les circonstances ; tantôt il s'appuie sur son trident, aux pointes tournées en haut, comme ferait un guerrier sur sa lance (13) : c'est Poséidon au repos ; tantôt il le tient comme un sceptre (14) : c'est Poséidon, souverain des mers ; tantôt les pointes du trident sont tournées vers la surface de la terre ou de la mer : c'est le dieu qui a cessé de menacer ou de commander, qui contemple en silence l'effet de ses ordres ou de sa victoire, ou bien encore c'est le dieu qui explore le sol pour en faire jaillir des sources (15) ; tantôt enfin, et c'était sans doute le cas dans le tableau décrit par Philostrate, il tient le trident à la hauteur des yeux et s'apprête à le lancer contre un obstacle qui cédera à la violence du choc (16).

 

(1) Hom., Od. IV, 499, sq.

(2) Eur.,Troad., 80.

(3) Virg., Aen., I, 42-48.

(4) Pl. XXXV, 36, 1. Ajax fulmine incensus» Brunn (Die Phil. Gem.,259),dans le désir d'assimiler le tableau d'Apollodore au tableau décrit par Philostrate, pense que le titre donné par Pline est elliptique et qu'il faut lire : incendie par la foudre du navire d'Ajax et mort du héros grec* Rien ne nous paraît autoriser cette conjecture.

(5) Monnaie de Potidée (Milling. Syll., pl. II, n° 22, Müller-Wies., II, 78). Pàto anuq. du Musée de Berlin (Müll.-Wies., II, n° 78e).

(6) Par exemple, sur un bas-relief du Musée du Vatican, Müll.-Wies., II, 17e; Overbeck, Kunstm., Atlas, XII.

(7) Millin, Gal myth., pl. CLXII ; Müll.-Wies., II, 69e.

(8) Virg., Aen., I, 126.

(9) Statuette de Dresde, Becker, Augusteum, taf. 40. — Overb., Kunstm., atl. XII, 32. Müll. Wies., II, 70.

(10) Cohen, Méd. cons., pl. XXXII, Plautia n° 4, Müll.-Wies., II, n° 68d.

(11) Monnaies en bronze du Bruttium, Müll.-Wies., II, 68b.

(12) Overb. Kunstm., Atl., taf. n° 11 et 12. Voir aussi les planches jointes au texte, Poséidon, Taf. II, n° 1 et 2, III,1.

(13) Overb., Kunstm, Atl. taf. XII. — Müll.-Wies. II, taf. n° VI et VII. Voir aussi Bronzes antiq. du Louvre, n° 248.

(14) Méd. d'Adrien, Müll.-Wies., II, VI, 72.

(15) Voir dans Müll.-Wies., II, taf. VI, les n° 71b, 70b, 74b.

(16) Revers d'une monnaie en bronze de Posidonia, Fiorelli, Mon. inéd. d. citt. Gr., 7. Müller-Wies., II, 74b.

 

ΘΕΤΤΑΛΙΑ

Αἰγυπτιάζει μὲν ἡ προσβολὴ τῆς γραφῆς, ὁ λόγος δὲ αὐτῆς οὐκ Αἰγύπτιος, ἀλλ´ οἶμαι Θετταλῶν· Αἰγυπτίοις μὲν γὰρ παρὰ τοῦ Νείλου ἡ γῆ, Θετταλοῖς δὲ Πηνειὸς οὐ συνεχώρει πάλαι γῆν ἔχειν, περιβεβλημένων τοῖς πεδίοις ὀρῶν καὶ τοῦ ῥεύματος ἐπικλύζοντος αὐτὰ ὑπὸ τοῦ μήπω ἐκβαλεῖν. Ῥήξει οὖν ὁ Ποσειδῶν τῇ τριαίνῃ τὰ ὄρη καὶ πύλας τῷ ποταμῷ ἐργάσεται. Τούτῳ γὰρ νυνὶ τῷ ἔργῳ ἐφέστηκεν ἀθλῶν αὐτὸ καὶ ἀνακαλύπτων τὰ πεδία, καὶ διῆρται μὲν ἡ χεὶρ εἰς τὸ ἀναρρῆξαι, τὰ δὲ ὄρη, πρὶν πεπλῆχθαι, διίσταται τὸ ἀποχρῶν τῷ ποταμῷ μέτρον. Ἀγωνιζομένης δὲ πρὸς τὸ ἐναργὲς τῆς τέχνης τὰ δεξιὰ τοῦ Ποσειδῶνος ὁμοῦ καὶ ὑπέσταλται καὶ προβέβηκε καὶ ἀπειλεῖ τὴν πληγὴν οὐκ ἀπὸ τῆς χειρός, ἀλλ´ ἀπὸ τοῦ σώματος. Γέγραπται δὲ οὐ κυάνεος οὐδὲ θαλάττιος, ἀλλ´ ἠπειρώτης. Τῷ τοι καὶ ἀσπάζεται τὰ πεδία καὶ ὁμαλὰ ἰδὼν καὶ εὐρέα, καθάπερ θαλάττας. Χαίρει καὶ ὁ ποταμὸς οἷον λυθεὶς καὶ φυλάττων τὸ ἐς ἀγκῶνα—ποταμῷ γὰρ ὀρθοῦσθαι οὐ σύνηθες—ἀνατίθεται τὸν Τιταρήσιον ὡς κοῦφον καὶ ποτιμώτερον καὶ ὁμολογεῖ τῷ Ποσειδῶνι ἐκρυήσεσθαι ὁδῷ χρώμενος. Ἀνίσχει καὶ ἡ Θετταλία συνιζάνοντος ἤδη τοῦ ὕδατος ἐλαίᾳ κομῶσα καὶ ἀστάχυι καὶ πώλου ἐφαπτομένη συνανίσχοντος. Ἔσται γὰρ καὶ ἵππος αὐτῇ παρὰ τοῦ Ποσειδῶνος, ὅταν τὴν ἀπορροὴν τοῦ θεοῦ καθεύδοντος ἡ γῆ ὑποδέξηται εἰς ἵππον.

XIV. LA THESSALIE.

Au premier regard jeté sur cette peinture, ou croit voir l'Égypte, 416 mais c'est une erreur : la contrée est celle des Thessaliens. Si les Égyptiens en effet sont redevables au Nil de leur pays, le Pénée autrefois ne permettait pas aux Thessaliens d'avoir une contrée, toutes les plaines étant environnées de montagnes et inondées par le fleuve qui ne trouvait point d'issue. Poséidon frappera la montagne de son trident et ouvrira les portes au fleuve ; le moment choisi est précisément celui où le dieu s'efforce de dégager les plaines. La main qui doit frapper est déjà levée; mais les montagnes, avant de recevoir le coup, s'en Couvrent laissant entre elles un passage suffisant pour le fleuve. L'effort du dieu est rendu d'une manière frappante ; le côté droit se ramasse sur lui-même et se porte en avant tout à la fois; si bien que Poséidon menace non pas tant de la main que du corps tout entier. Ce n'est point ici le dieu azuré, le dieu de la mer; c'est le Poséidon de la terre ferme. C'est pourquoi il aime à voir les plaines parfaitement unies et spacieuses comme la mer. Le fleuve aussi se félicite et semble s'enorgueillir (a) ; appuyé sur le coude (les fleuves n'ont point l'habitude de se tenir debout), il soutient le Titarèse dont les eaux sont plus légères et plus douces, et s'engage vis-à-vis de Poséidon à s'épancher hors des plaines en suivant la route qui lui est ouverte. Émergeant à mesure que les eaux s'abaissent, la Thessalie se couronne d'oliviers, d'épis, et caresse un poulain d'apparition récente comme elle-même, présent de Poséidon; en effet la terre fécondée par le dieu endormi doit enfanter un cheval.

COMMENTAIRE

Autrefois, disent les géographes anciens (1), la Thessalie offrait l'aspect d'un vaste lac entouré de montagnes. Un tremblement de terre sépara lOlympe et l'Ossa, et forma la célèbre vallée de Tempe, par laquelle se précipita, pour se jeter dans le golfe Thermaïque, un nouveau fleuve, le Pénée, grossi de nouvelles rivières qui lui amenèrent toutes les eaux de la Thessalie.

Pour les poètes et l'imagination populaire, c'était Poséidon qui avait, d'un coup de trident, ouvert une brèche dans la ceinture des montagnes thessaliennes. Rien n'était plus naturel que d'expliquer un phénomène physique de cette sorte par une semblable intervention de la divinité* Poséidon, dans Homère, est le dieu qui ébranle la terre ; divinité marine, il est aussi le dieu des plaines qui ressemblent à la surface unie des mers; enfin, Poséidon,qui était lui-même un cavalier infatigable, un dompteur émérite, passait pour avoir donné aux hommes le premier cheval, soit qu'il l'eût fait sortir de terre d'un coup de trident, soit que la terre fécondée par le dieu, comme le 417 veut Philostrate, eût produit un être écumant comme les vagues, et semblable en cela à son père, le souverain de l'élément liquida, soit encore que l'animal, utile au labour et mobile comme le flot, fût né des amours de Poséidon et de Démêler (2). Or la Thessalie nourrissait dans ses vastes plaines une forte et belle race de chevaux ; elle devait donc être redevable et de ses chevaux et de ses plaines à la générosité du même dieu.

Pour représenter cette transformation de la Thessalie, l'allégorie offrait une précieuse ressource. Si le peintre eût voulu s'en passer, que nous eût-il montré ? une vallée traversée par un fleuve. C'eût été là peut-être un paysage charmant, non la peinture d'un événement considérable dans l'histoire d'un peuple et d'une contrée. Des personnages empruntés à la Fable, comme Poséidon, ou allégoriques comme la Thessalie, le Pénée et le Titarèse, permettaient à l'artiste, non seulement de plaire aux yeux, mais encore de représenter, sans laisser à l'esprit la possibilité de prendre le change, un phénomène de l'ordre purement physique, un tremblement de terre.

On peut se demander en lisant la description de Philostrate quel est au juste le moment choisi. L'œuvre de Poséidon est-elle entièrement accomplie ? Les montagnes sont entr'ouvertes et le Pénée s'écoule librement vers la mer ; mais pourquoi Poséidon conserve-t-il toujours l'attitude d'un homme qui va frapper? Pourquoi cette main levée en l'air, ce trident en arrêt, ce corps à moitié porté en avant, à moitié rejeté en arrière ? Croirons-nous, avec Philostrate, que les montagnes, à peine menacées, ont pressenti la volonté du dieu, et lui ont obéi avec plus d'empressement qu'il n'en a mis lui-même à les frapper ? L'explication paraît subtile et aurait pu échapper à un spectateur moins pénétrant que Philostrate. Penserons-nous, au contraire, que Poséidon est là non pour laisser retomber son trident sur des rochers déjà fendus de la base au sommet, mais pour indiquer la manière dont ils ont été fendus? Malgré l'autorité de Welcker et celle de Stephani (3), cette explication qui procède d'ailleurs d'une idée juste sur la part faite à la convention dans l'art antique, ne laisse pas de nous paraître insuffisante. L'artiste aurait donc réuni dans son tableau, dans une seule et même scène, deux circonstances appartenant à des moments distincts de la durée, Poséidon s'apprêtant à frapper comme si rien n'eût été fait, les montagnes se séparant, comme si le dieu les eût déjà frappées ; et le spectateur aurait été chargé tour à tour d'oublier la brèche en considérant l'attitude du dieu, et l'attitude du dieu, en considérant la brèche ! Nous aimons mieux croire que Poséidon est représenté au milieu de la tâche qu'il s'est imposée ; un premier coup de trident a entr'ouvert les montagnes; un second, un troisième coup, sont 418 nécessaires pour ouvrir au Pénée une issue plus large ; Welcker se trompe en repoussant cette supposition comme contraire à la dignité d'un dieu: ce qui serait indigne de Poséidon, ce serait d'entreprendre sans réussir, de briser par exemple les pointes de son trident contre les rochers ; ce n'est point ici le cas. Poséidon n'a point travaillé en vain ; son œuvre n'est pas achevée, mais on voit bien qu'il est de force à l'achever, le trident peut bien d'un seul coup abattre la saillie d'un rocher sur lequel Ajax s'est réfugié, comme dans le tableau précédent ; mais, quand il s'agit de creuser une vallée sur une longueur de quarante stades et une largeur d'un plèthre entre deux montagnes qui sont, dit Élien, d'une merveilleuse hauteur (4), on conçoit que le trident se reprenne à deux fois. En admettant l'objection de Welcker, ce n'est pas un second coup qui serait contraire à la dignité du dieu, ce serait l'emploi même du trident. En effet, pourquoi un ordre de sa bouche ne suffirait-il pas ? Nous retomberions ainsi dans l'explication de Philostrate que Welcker rejette comme trop subtile.

Les détails donnés par Philostrate confirment d'ailleurs notre interprétation. Si la transformation de la contrée est en voie de s'accomplir, le paysage doit participer à la fois de l'aspect primitif et de celui qu'il aura plus tadr. Or, que dit Philostrate ? Il nous apprend d'abord que la peinture est égyptise. C'est-à-dire qu'elle ressemble à un de ces paysages antiques où l'œil ne rencontre guère que de l'eau, des roseaux et des animaux aquatiques ; puis il nous parle de la joie du dieu à la vue des plaines unies et spacieuses comme la mer. Dans sa dernière phrase, confondant à la fois la contrée et la divinité allégorique qui sans doute la représentait, il nous dit que la Thessalie, émergeant à mesure que les eaux s'abaissaient, se couronnait d'oliviers et d'épis. La Thessalie n'était donc ni tout à fait une plaine ni tout à fait un marécage ; Brunn (5) a raison quand il compare cette peinture à la mosaïque de Pales-trina où quelques îlots apparaissent çà et là au milieu des eaux débordées du Nil (6).

Nous ne reviendrons pas sur l'attitude du dieu qui nous paraît suffisamment décrite par Philostrate, et que nous avons déjà rencontrée dans le tableau des Gyres. Le Poséidon Pétrseos, c'est-à-dire le dieu qui fend les rochers, le dieu de la légende thessalienne, n'est pas toujours ainsi représenté sur les monuments figurés. Un scarabée de Vulci (7) nous montre un Poséidon appuyant fortement le pied droit sur un rocher et de ses deux mains, posées sur la crête même, cherchant à écarter deux blocs déjà dis- 419 joints ; sa main droite, tout occupée qu'elle est à cet ouvrage, tient par l'extrémité opposée aux pointes le trident abaissé obliquement vers le sol. Peut-être le dieu s'est-il déjà servi de cette arme puissante pour fendre le rocher ; ses mains achèvent l'œuvre du trident. Si cette dernière supposition est vraie, il faudrait en conclure que les anciens n'avaient pas sur la dignité des dieux la même opinion que Welcker. L'effort d'ailleurs est manifeste, et le dieu conçu par l'artiste comme un être plus robuste qu'un homme, a pourtant besoin, comme un homme, de raidir ses muscles et de lutter contre les obstacles. Quoi qu'il en soit, on voit par cet exemple que l'art grec ne s'astreignait guère à conserver au même personnage, dans la même action, la même attitude. Quelques archéologues reconnaissent sur notre scarabée le Poséidon crénouchos ou Nymphagétès, c'est-à-dire le dieu des fontaines ; mais entre ces deux personnages il y a identité, au moins pour l'action, puisque l'un et l'autre ouvrent le rocher, l'un pour en faire jaillir une source, l'autre pour livrer un passage aux fleuves.

Une autre phrase de Philostrate mérite encore notre attention. Ce n'est point ici, dit le sophiste, le dieu azuré, le dieu marin, c'est le Poséidon de terre ferme. Philostrate fait-il allusion à l'aspect du dieu ou au rôle qu'il joue? La première hypothèse est la plus vraisemblable; les artistes variaient non seulement l'attitude et les attributs, mais aussi les couleurs, suivant qu'ils avaient à représenter un Poséidon marin ou un Poséidon Pétrœos. Dans les peintures d'Herculanum et de Pompéi (8), Poséidon, qui est toujours le dieu des mers, porte sur l'épaule et le bras une chlamyde azurée. Une fois même, dans le tableau qui représente Apollon et Poséidon construisant les murs deTroie, le dieu a la barbe et la chevelure vertes. Sur la mosaïque du Louvre, où Poséidon est groupé avec Amphitrite, l'artiste a jeté un manteau vert sur le bras du dieu et donné une coloration bleuâtre à sa barbe et à ses cheveux. Quels étaient la couleur et le costume réservés au Poséidon Pétraeos? Les peintres de Pompéï et d'Herculanum, ne présentant à nos yeux que le Poséidon marin, ne nous apprennent rien à ce sujet ; et Philostrate ne nous apprend qu'une chose, c'est que l'azur ne faisait point partie des couleurs employées par le peintre.

Le Pénée et le Titarèse formaient un groupe dans notre tableau ; le Pénée était appuyé sur le coude, mais quelle était l'attitude du Titarèse ? Philostrate se sert pour la décrire d'un mot assez vague : Pénée, dit-il, soutient Titarèse ; il ajoute que cette attitude signifie que les eaux du Titarèse sont  420 plus légères que celles du Pénée. Pour qu'une telle allégorie fût parfaitement claire, il eût fallu sans doute asseoir ou couchera demi le Titarèse sur les genoux du Pénée ; attitudes qui ont paru bizarres , mais dont l'art grec offre néanmoins quelques exemples plus ou moins analogues, c'est ainsi par exemple que sur le fronton orientai du Parthénon une des deux déesses connues sous le nom de Mœres ou Parques, est étendue mollement comme l'Ariadne du Vatican et appuie avec familiarité le coude sur le genou de sa sœur assise ; c'est ainsi encore que sur le fronton occidental du même temple (et l'attitude en est presque aussi singulière que celle de sainte Anne et la Vierge dans un tableau célèbre de Léonard de Vinci) Aphrodite nue est assise, jambes pendantes, sur les genoux de Diane sa mère. U nous semble toutefois que si l'altitude du groupe eût été aussi caractéristique, Philostrate l'aurait décrite plus longuement, ou du moins se serait servi pour l'indiquer d'une expression plus précise. Ne faisons point violence à son texte, et nous comprendrons peut-être que le Titarèse à demi couché près du Pénée, et comme le Pénée, s'appuyait légèrement sur le dos ou l'épaule de ce dernier; quant à l'explication que donne Philostrate de cette attitude, elle n'était peut-être pas venue à l'esprit de l'artiste. Le Titarèse était un affluent important du Pénée : n'était-ce pas un motif suffisant pour grouper ensemble les deux fleuves et les appuyer l'un contre l'autre ?

La Thessalie caressait un cheval enfanté, dit Philostrate, par la terre, que le dieu, pendant son sommeil, avait fécondée. Ici encore, il faut distinguer entre le peintre et son commentateur. Si la plaine était couverte d'eau, Poséidon, le Poséidon de terre ferme, n'a pu s'y coucher et s'y endormir; d'ailleurs, d'après la fable, il ne prit de repos qu'après avoir rompu la chaîne des montagnes. Mais l'artiste n'a sans doute point songé à la légende ; il s'est rappelé seulement que la Thessalie nourrissait de nombreux chevaux dans ses pâturages, et il a placé près du personnage chargé de la représenter un cheval, comme il lui a mis sur la tête une couronne d'olivier et d'épis, pour indiquer son genre de gloire et de richesse.

(1) Strab., IX.

(2) Cf. Preller, Gr. Myth., I, 483.

(3) Compte rendu de la Commiss, archéol. de Saint-Pétersb., 1874, p. 143 et suiv, Stepbani voit dans ce tableau une prolepse analogue à celle du fronton ouest du Parthénon qui représente la dispute d'Athéna et de Poséidon ; l'olivier et le cheval sortaient de terre, avant que le sol eût été touché par la lance d'Athéna et par le trident de Poséidon.

(4) Élien, III, et Pline l'Anc, H. N., IV, c. viii.

(5) Jahrb. de Fleckeisen, 1871, p. 31.

(6) On remarquera que nous empruntons à Philostrate lui-même les preuves de l'interprétation que nous substituons à la sienne. La contradiction qui existe entre les traite de la description et l'intention attribuée au peintre par le rhéteur, n'est-elle pas, pour la peinture elle-même, une présomption d'authenticité ? Il y aurait accord, si Philostrate avait tout inventé.

(7) Cadès, Impr. di M. gemm., cent. III, n° 3. Müll.-Wies., II, 74.

(8) Helbig, Wandg., 1266. Cf. 171, 17?, 174. Le n° 174 représente Poséidon et Amymone. La barbe et les cheveux de Poséidon sont gris et cette couleur leur a été conservée dans la planche jointe à l'ouvrage de Raoul Rochette. Helbig fait remarquer que la couleur primitive a été altérée par l'action de l'air. Dans la représentation des dieux marins, les peintres donnaient peut-être quelquefois à la chair même une couleur verdâtre. Nous n'en avons pas d'exemple, mais nous savons que Plancus jouant et mimant lo rôle de Glaucus dans un festin, s'était fait teindre en bleu azuré (Velleius Paterc, II, 83).

 

ΓΛΑΥΚΟΣ ΠΟΝΤΙΟΣ

Βοσπόρου καὶ Συμπληγάδων ἡ Ἀργὼ διεκπλεύσασα μέσον ἤδη τέμνει τὸ ῥόθιον τοῦ Πόντου, καὶ θέλγει τὴν θάλατταν Ὀρφεὺς ᾄδων, ἡ δὲ ἀκούει καὶ ὑπὸ τῇ ᾠδῇ κεῖται ὁ Πόντος. Τὰ μὲν δὴ ἀγώγιμα τῆς νεὼς Διόσκουροι καὶ Ἡρακλῆς Αἰακίδαι τε καὶ Βορεάδαι καὶ ὅσον τῆς ἡμιθέου φορᾶς ἤνθει, τρόπις δὲ ὑφήρμοσται τῇ νηὶ δένδρον ἀρχαῖον, ᾧ κατὰ Δωδώνην ὁ Ζεὺς ἐς τὰ μαντεῖα ἐχρῆτο. Γνώμη δὲ ἐς τὸν πλοῦν ἥδε· χρυσοῦν ἀπόκειταί τι ἐν Κόλχοις κώδιον κριοῦ ἀρχαίου, ὃς λέγεται τὴν Ἕλλην ὁμοῦ τῷ Φρίξῳ διὰ τοῦ οὐρανοῦ πορθμεῦσαι· τοῦτο Ἰάσων ἑλεῖν, ὦ παῖ, ποιεῖται ἆθλον—φρουρὸς γάρ τις αὐτῷ δράκων ἐμπέπλεκται δεινὸν βλέπων καὶ ὑπερορῶν τοῦ καθεύδειν—ὅθεν ἄρχει τῆς νεώς, ἐπειδὴ βλέπει ἐς αὐτὸν ἡ τοῦ πλοῦ αἰτία. Καὶ Τῖφυς μέν, ὦ παῖ, κυβερνᾷ, λέγεται δὲ οὑτοσὶ πρῶτος ἀνθρώπων ἀπιστουμένην θαρρῆσαι τὴν τέχνην, Λυγκεὺς δὲ ὁ Ἀφαρέως ἐπιτέτακται τῇ πρῴρᾳ δεινὸς ὢν ἐκ πολλοῦ τε ἰδεῖν καὶ ἐς πολὺ καταβλέψαι τοῦ βάθους καὶ πρῶτος μὲν ὑποκειμένων ἑρμάτων αἰσθέσθαι, πρῶτος δὲ ὑποφαίνουσαν γῆν ἀσπάσασθαι. Ἀλλὰ νῦν ἐκπεπλῆχθαί μοι δοκεῖ καὶ τὸ τοῦ Λυγκέως ὄμμα τὴν προσβολὴν τοῦ φάσματος, ὑφ´ οὗ καὶ οἱ πεντήκοντα σχασάμενοι τὴν εἰρεσίαν Ἡρακλῆς μὲν ἄτρεπτος μένει τοῦ θεάματος, ἅτε δὴ πολλοῖς ὁμοίοις ἐντυχών, οἱ δὲ λοιποὶ θαῦμά τι οἶμαι τοῦτο λέγουσιν· ὁρᾶται γὰρ αὐτοῖς Γλαῦκος ὁ Πόντιος, οἰκῆσαι δὲ οὑτοσί ποτε λέγεται τὴν ἀρχαίαν Ἀνθηδόνα καὶ πόας μέν τινος ἐπὶ θαλάττης γεύσασθαι, κύματος δὲ ὑποδραμόντος αὐτὸν ἐς τὰ τῶν ἰχθύων ἀπηνέχθη ἤθη. Μαντεύεται μὲν οὖν μέγα τι, ὡς εἰκός— περίεστι γὰρ αὐτῷ τῆς τέχνης—τὸ δὲ εἶδος ὑγροὶ μὲν αὐτῷ γενείων βόστρυχοι, λευκοὶ δὲ ἰδεῖν καθάπερ κρουνοί, βαρεῖς δὲ πλόκαμοι κόμης καὶ τοῖς ὤμοις ἐποχετεύοντες ὅσον ἐσπάσαντο θαλάττης· ὀφρῦς λάσιαι, συνάπτουσαι πρὸς ἀλλήλας οἷον μία. Φεῦ τοῦ βραχίονος, ὡς γεγύμνασται πρὸς τὴν θάλασσαν ἐμπίπτων ἀεὶ τοῖς κύμασι καὶ λεαίνων αὐτὰ ἐς τὴν νῆξιν. Φεῦ τῶν στέρνων, ὡς λάχνη μὲν αὐτοῖς ἐγκατέσπαρται βρύων κομῶσα καὶ φυκίων, γαστὴρ δὲ ὑπόκειται παραλλάττουσα καὶ ἀπιοῦσα ἤδη. Ἰχθὺν δὲ εἶναι τῷ λοιπῷ τὸν Γλαῦκον δηλοῖ τὰ οὐραῖα ἐξηρμένα καὶ πρὸς τὴν ἰξὺν ἐπιστρέφοντα, τὸ δὲ μηνοειδὲς αὐτῶν ἁλιπορφύρου τι ἄνθος ἔχει. Περιθέουσι δ´ αὐτὸν καὶ ἀλκυόνες ὁμοῦ μὲν ᾄδουσαι τὰ τῶν ἀνθρώπων, ἐξ ὧν αὐταί τε καὶ ὁ Γλαῦκος μεθηρμόσθησαν, ὁμοῦ δ´ ἐνδεικνύμεναι τῷ Ὀρφεῖ τὴν ἑαυτῶν ᾠδήν, δι´ ἣν οὐδὲ ἡ θάλαττα ἀμούσως ἔχει.

XV. GLAUKOS, DIEU MARIN.

Laissant derrière soi le Bosphore et les Symplégades, le navire Argo
fend déjà les eaux du Pont; Orphée par ses chants charme la mer attentive et aplanit le chemin liquide. Le navire porte les Dioscures, Héraclès, les Aeacides, les fils de Borée, toute une race de demi-dieux qui florissait alors; la carène a été faite d'un arbre antique que Jupiter avait choisi dans la forêt de Dodone pour rendre ses oracles. Voici le motif de cette expédition. Une toison d'or est conservée à Colchos, celle de l'antique bélier qui, dit-on, passa à travers les airs Hellé et Phryxos. Jason veut s'en emparer, mais elle ne peut être que le prix d'une victoire (a), car dans 421 ses replis se glisse un gardien au regard terrible, un dragon qui ne connaît point le sommeil. Jason commande le navire, en sa qualité de promoteur de l'entreprise. Le pilote est Tiphys, le premier homme qui, dit-on, ait osé pratiquer un art suspect. Lynccus, fils d'Apharée, se tient à la proue; doué d'un regard perçant qui voit de loin et distingue sous les flots à une grande profondeur, il aperçoit, le premier, les rochers cachés; le premier, il salue la terre apparaissant à l'horizon. Mais en ce moment les yeux de Lyncée expriment l'épouvante, à l'approche d'une vision qui suspend les rames dans les mains de cinquante rameurs. Héraclès seul habitué aux spectacles étranges, n'est point ému ; mais je me trompe bien si pour les autres ce n'est point un prodige (b) ; ils ont en effet devant les yeux Glaukos, le dieu marin. Glaukos, dit la fable, habitait autrefois l'antique Anthédon ; il goûta un jour je ne sais quelle herbe du rivage ; surpris et emporté par le flot, il descendit aux lieux qu'habitent les poissons. ïl prophétise quelque grand événement, car il excelle en cet art. Quant à son aspect, les poils frisés de sa barbe sont humides et blancs comme l'écume de l'eau jaillissante ; sa chevelure retombe en lourdes tresses, et verse sur ses épaules l'eau dont elle est chargée, ses sourcils épais se rapprochent de manière à n'en faire qu'un. Quel bras robuste ! on voit qu'il a lutté contre la mer frappant sans cesse les flots et les aplanissant pour mieux nager. Admire cette poitrine couverte par endroits de poils qui ont retenu l'algue et les mousses; le ventre ne répond point au reste du corps ; il se replie au-dessous du buste. Car Glaukos finit en poisson, comme le prouve les deux queues qui se redressent et se retournent vers la hanche (c); chacune d'elles est terminée par un croissant qui brille d'un éclat voisin de la pourpre. Autour de lui chantent en courant des Alcyons, autant pour célébrer les actions de la race humaine dont ils ont fait partie, eux et Glaukos, sous leur première forme, que pour montrer leur voix à Orphée, leur voix qui est la musique de la mer.

COMMENTAIRE

Un pêcheur d'Anthédon, en Béotie, ayant mangé une herbe merveilleuse se précipita dans la mer et devint un dieu marin. Il s'appela Glaukos, nom qui semble avoir désigné, surtout dans le principe, la clarté et la transparence de l'eau, miroir de la voûte azurée. En souvenir de son ancienne origine il fut le dieu des pêcheurs qui lui adressaient des prières et portaient sur eux son image comme amulette. On devine assez que le dieu ne put exaucer tous les souhaits ; aussi, s'il passa pour une divinité bienveillante, il fut considéré quelquefois comme un démon hostile, dont on redoutait l'apparition et que 422 l'on cherchait à se rendre favorable par des jeûnes et des offrandes. Associé aux êtres marins, il eut comme eux ses amours ; amours dignes d'un monstre marin, comme celui que lui inspira Scylla (1); amours étranges et malheureux comme celui qu'il éprouva pour Ariadne. Semblable encore sur ce point aux divinités marines, il connaît l'avenir ; tantôt ses prédictions sont riantes comme le nom qu'il porte; tantôt aussi, c'est un prophète de malheur. La légende supposait alors que pour jouer un pareil rôle, Glaukos n'était point content de son immortalité ; des matelots l'avaient entendu gémir sur son sort, et cela dans le dialecte éolien ; détail qui ajoutait, comme on le sent de reste, un grand poids à leur témoignage (2).

La grande expédition maritime des temps mythologiques devait aussi avoir rencontré Glaukos. Dans le poème d'Apollonius de Rhodes, Glaukos apparaît aux Argonautes au moment où, sur le conseil de Tiphys, ils quittaient la terre des Mysiens, abandonnant Héraclès qui parcourait le pays à la recherche d'Hylas. Sorti de l'eau jusqu'aux flancs, hérissé d'une épaisse chevelure, l'habile devin du dieu Nerée, saisit le vaisseau de sa puissante main et engagea les navigateurs à poursuivre leur route ; Héraclès était destiné à une autre gloire; il devait, après nombreux travaux, être admis à la table des dieux ; quant à Hylas, il était devenu l'époux d'une nymphe. Si dans le tableau, Héraclès, comme le veut Philoslrate, était sur le navire, on voit que le peintre avait suivi une autre tradition et choisi un autre moment : que disait alors le dieu Glaukos ? Il prophétisait sans doute le succès de l'expédition ; il saluait l'entrée du navire Argo dans les eaux dont il était le gardien.

L'ordonnance de ce tableau ne peut être conçue de deux manières différentes : d'un côté, voguait le navire Argo, avec son équipage de demi-dieux; de l'autre se dressait Glaukos, le dieu marin, le prophète des matelots.

Il est intéressant de comparer le portrait que Philostrate fait de Glaukos d'après notre tableau avec celui que Platon a tracé de la même divinité (3) : « II est difficile, dit-il, pour ceux qui voient Glaukos de reconnaître en lui sa première nature ; les flots, à force de battre son corps en ont brisé et détaché certaines parties ; d'autres ont été broyées et tout à fait altérées ; d'un autre côté, il s'est accru, en se couvrant de coquillages, d'algues et de pierres ; si bien qu'il ressemble bien plus à un monstre qu'au pêcheur d'Anthédon. " Voila sans doute Glaukos, tel qu'il est sorti de l'imagination populaire ; il est informe ; il est hideux ; il se confond avec un rocher, bizarrement découpé par le travail incessant des flots, couvert de plantes parasites. Les artistes ont dégrossi ce bloc ; ils lui ont laissé le buste de l'homme ; ils lui ont donné une queue à replis multiples, deux même quelquefois, terminées chacune 423 par une espèce de croissant; il est devenu assez semblable à un de ces tritons que nous rencontrons si fréquemment sur les monuments figurés, et qui, loin de nous paraître des monstres, nous semblent réunir heureusement les grâces de deux espèces différentes. Toutefois, entre le Glaukos informe que se représentait vaguement l'esprit superstitieux des marins, et le Glaukos ennobli et embelli de Fart, les monuments nous offrent des images de Glaukos qui tiennent l'entre-deux et relient, pour ainsi dire, les deux conceptions. On croit avoir retrouvé une de ces amulettes dont nous parlions plus haut (4). Sur un corps de poisson couvert d'écaillés épaisses et serrées, terminé par une queue qui se replie sur elle-même, muni en avant de pattes palmées et en arrière de nageoires, s'élève une tête humaine surmontée d'un diadème qui ressemble à une crête de coq. Si c'est là Glaukos, comme le pensait Welcker et Gœdechens après lui, c'est le Glaukos le plus rapproché de la légende primitive; c'est le premier effort de l'art pour donner une forme à l'être imaginé par la superstition populaire. Ailleurs nous voyons sur les monuments un monstre composé non seulement d'un buste à forme humaine et d'un corps pisciforme, mais aussi de gueules de loups et de chiens qui tiennent aux flancs (5). Est-ce là Glaukos? Les archéologues ont cru reconnaître dans cet être hétérogène l'amant de Scylla qui, elle aussi, a le corps enté d'une meute inguinale. Ailleurs enfin Glaukos a tout à fait le masque de Silène, les longues oreilles et la tête chauve (6). Le Glaukos décrit par Philostrate est le Glaukos de l'art parvenu à son entier développement ; le Glaukos conçu comme dieu prophétisant, non comme divinité de la vague hurlante et dévorante ; aussi point d'écaillés ; point de têtes de chiens ni de loups; point de longues oreilles ; point de traits grimaçants; toutefois pour mieux peindre sa force, pour caractériser l'habitant des mers, l'artiste nous le représente tout velu et tout hérissé d'algues et autres herbes marines. Ces traits et les autres concordent d'ailleurs avec ceux que nous rencontrons sur les monuments : sa barbe est souvent ruisselante ou détendue par l'eau qu'elle contient ; si elle ne se charge pas de plantes marines, elle en affecte elle-même la forme onduleuse, l'aspect gras et compact (7) ; les sourcils se rejoignent ; ici plus sauvage, là d'expression plus douce, il paraît toujours puissant et robuste ; s'il tient une rame ou un trident, on sent qu'il doit manier l'un ou l'autre avec une force peu commune; s'il ne tient rien, on est tenté de dire avec Philostrate que ses bras sont faits pour briser la résistance des vagues.

S'il faut en croire les archéologues les plus autorisés, l'art antique, poursuivant son évolution du type de Glaukos, aurait fait de cette divinité, informe d'abord, composée ensuite de trois natures, un être semblable à l'homme de 424 tous points. Tel nous le montrerait, par exemple, un cratère d'Agrigente qui représente, suivant les commentateurs, Glaukos reçu par Poséidon dans l'empire des mers ; tel il serait sur le vase célèbre d'Ergotimos et Clitias qui le représente au moment où, épris d'Ariadne, il s'offre aux yeux de l'équipage de Théseus ; tel encore nous le verrions sur un camée de Vienne, si tant est que le personnage qui tend Mélicerte à une femme doive être pris pour Glaukos. Nous doutons un peu, il est vrai, de toutes ces interprétations ; car partout où Glaukos est désigné par son nom, partout où il a été reconnu avec une entière certitude, il ressemble à peu près au Glaukos de Philostrate.

Quelle était dans notre tableau la couleur de Glaukos? Philostrate remarque que le croissant dessiné par la queue brillait d'un éclat voisin de la pourpre. On sait que les anciens désignaient par le même mot la couleur sombre de la mer ; nous pouvons donc croire que le peintre avait employé pour cette partie du corps un vert profond, à reflets bleuâtres et violets. D'un autre côté, comme dans les poissons en général la couleur de l'extrémité caudale rappelle, en l'accentuant, celle de tout le corps, il est probable que toute la partie pisciforme de Glaukos était d'une teinte azurée, légèrement différente de celle des eaux dans lesquelles elle était plongée. Tout s'accorde, croyons-nous, pour appuyer cette conjecture ; d'abord l'artiste devait chercher à justifier ce mot de Glaukos qui, après s'être dit de la clarté des mers, a désigné leur couleur ; le poète Nonnos, parlant de Pan Glaukos, dit que ses membres étaient en tout semblables à la mer pour la couleur ; enfin, comme le rapporte l'historien Velleius Paterculus (8), Plancus dansant Glaukos dans un festin, suivant l'expression antique, avait paru tout azuré, nu et traînant une queue. Quant à la partie humaine de notre Glaukos, tant pour satisfaire à la vraisemblance que pour se mieux détacher sur le fond azuré des flots, elle devait offrir ces tons roux que nous remarquons sur la poitrine des tritons et autres dieux marins, dans les peintures d'Herculanum et de Pompéi. Nous remarquerons toutefois que le Glaukos d'Ovide a les bras et sans doute tout le corps d'un vert foncé comme la mer elle-même.

Si nous reportons maintenant nos regards sur le navire, nous aurons à nous demander si Philostrate a vraiment reconnu les héros embarqués avec Jason et comment il les a distingués les uns des autres. Écartons tout d'abord Tiphys et Lyncée; le premier en sa qualité de pilote, se tient près du gouvernail; le second est en observation à la proue; leurs talents leur assignent une place spéciale et cette place les fait reconnaître. Mais Jason, Héraclès, les iEacides, les Dioscures, les fils de Borée, comment les distinguer entre eux, sans l'aide d'attributs individuels ? Sur les monuments figurés, Héraclès est ordinairement armé d'une massue et couvert d'une peau de lion ; Orphée est vêtu de la robe traînante à longues manches; il tient la lyre et paraît inspiré ; les Dioscures portent une espèce de bonnet, en forme d'oeuf ; 425 en leur qualité de vents, les fils de Borée se reconnaissaient à ces ailes largement déployées qu'Ovide et les peintures de vase attachent à leurs épaules (9),


 

ou bien ils étaient tels que les décrit Apollonius : « A l'extrémité de leurs pieds de chaque côté s'agitaient en les portant des ailes sombres, illuminées, chose merveilleuse, par des écailles d'or; autour de leurs épaules tombaient du 426 sommet de la tête et du cou une chevelure azurée que secouait le souffle du vent (10). » Mais il est à remarquer, d'un côté, que Philostrate est muet sur ces attributs, et nomme tous les héros à la suite les uns des autres sans leur accorder une mention particulière, sans désigner leur place, et comme s'il réfléchissait qu'ils sont là parce qu'ils doivent y être; d'un autre côté, les artistes anciens ne donnent pas toujours des attributs distinctifs aux personnages, si illustres qu'ils soient, qui assistent, sans y prendre une part active, à une scène principale. Nous ne saurions en citer un meilleur exemple, en cette occasion, que le fameux bas-relief du coffret en bronze trouvé à Praeneste  (11). Le sujet choisi par l'artiste est le débarquement des Argonautes sur les côtes de Bithynie. Pollux attache à un arbre Amykos, le roi inhospitalier qu'il vient de vaincre au pugilat. Outre les cestes dont les deux personnages sont armés, leur action, leur attitude les désigne suffisamment. On reconnaît encore Athéna à son égide, Castor à son bonnet, un fils de Borée à ses ailes (12), Silène à son ventre bombé et à sa queue de cheval ou plutôt de satyre; mais où est Jason? Héraclès est-il présent? Qui nommera les Aeacides, Tiphys, Lyn-cée, Euphémos et Erginos, ces fils de Poséidon, au milieu de tant de personnages nus qui ne diffèrent guère entre eux que par l'attitude? Les archéologues, il est vrai, l'ont essayé, et cette tentative prouve un zèle louable; mais outre qu'ils ne sont point d'accord entre eux, leurs raisons uniquement tirées de la place des personnages, de leur âge, de leur vigueur, du degré d'attention qu'ils semblent apporter à la scène principale, ne paraissent pas concluantes. La difficulté est la même pour la fameuse cista Borgia qui, selon les archéologues les plus autorisés, représente les Argonautes prenant congé de Cysikos. « Faire des conjectures sur le nom et le rôle de chaque personnage, dit Gaedechens, serait plus qu'inutile » ; on ne saurait guère nommer que Cysikos et Jason, tous deux reconnaissables à la place principale qu'ils occupent dans la composition. Une remarque semblable s'applique au vase de Bernay dont nous avons fait reproduire plus haut une des scènes (13), Achille pleurant Patrocle. Ulysse se reconnaît au pilos; mais entre ces jeunes gens où est Antiloque, si Antiloque est présent? Entre ces vieillards comment distinguer Nestor de Phœnix, et ceux-là désignés, quel nom donner à chacun des autres? En était-il ainsi dans notre tableau, et Philostrate en ne cherchant point à reconnaître les personnages un à un, en les nommant comme en bloc, au- 427 rait-il été plus prudent que d'ordinaire les archéologues modernes? On serait tenté de le croire à le voir si sobre de détails sur les principaux Argonautes. En tous cas, il n'y a pas lieu de lui reprocher son silence, ni surtout d'en tirer cette conséquence qu'il n'a pas vu le tableau qu'il décrit; outre que rien ne le forçait à tout dire, s'il n'a pas parlé d'attributs, c'est que le peintre les avait peut-être supprimés.

Philostrate parle de cinquante rameurs. Avait-il donc compté l'équipage et peut-on supposer qu'un peintre eût groupé un si grand nombre de personnages sur un seul vaisseau? Gaedechens répondant à Friederichs sur ce point, observe que si le navire était représenté, comme il est probable d'ailleurs, dans le sens de sa longueur, vingt-cinq rameurs placés sur le côté visible laissaient deviner aisément que l'équipage était de cinquante hommes, que de plus ce nombre de vingt-cinq personnages se retrouvant, dans la même condition, sur des peintures de vase dont le champ est assez limité (14), rien n'empêche de penser que dans une peinture plus étendue, un peintre ait pu à ce point multiplier l'équipage d'un navire. Tout cela paraît juste. Toutefois nous croyons, pour notre part, que Philostrate ne se piquait point d'exactitude ; il savait par les poètes qu'Argo était un navire de cinquante rames ; que l'artiste eût représenté les cinquante rameurs ou non, Philostrate se les représentait à lui-même. D'ailleurs si on a permis tant de fois à l'art de substituer quelques hommes à une armée ou à une foule, c'est que l'imagination du spectateur est complaisante ; pourquoi cette complaisance étonnerait-elle de la part d'un rhéteur qui cherche de lui-même l'illusion et qui plus que tout autre est disposé à entrer dans les artifices et les conventions de la peinture?

Les héros sans doute exprimaient leur épouvante, à peu près comme sur tel bas-relief les compagnons d'Ulysse dont l'effroi, à la vue des Sirènes, est cependant mêlé de curiosité (15). Nous possédons d'ailleurs un terme de comparaison plus approprié; sur le vase François, les compagnons de Théseus, troublés par l'apparition du même Glaukos, reculent, lèvent les mains, semblent s'agiter de toutes manières (16). Tout autre est l'expression des compagnons d'Ulysse sur une médaille contorniate (17) ; ils se sont armés de la lance et du bouclier contre Scylla et ne reculent même pas en voyant le monstre saisir l'un d'entre eux par la chevelure. Philostrate a bien compris pourquoi l'artiste avait donné à tous ses personnages les signes de l'épouvante; c'était pour mieux faire ressortir le courage inébranlable d'Héraclès.

Des Alcyons chantaient autour de Glaukos. Aucun commentateur ne veut accepter l'explication de Philostrate; elle paraît en effet subtile. Gaedechens observe d'abord qu'entre Glaukos et Halcyoné il y avait un étroit rapport; ensuite que les Alcyons permettaient au peintre de remplir heureusement son tableau, 428 de dissimuler un peu la rupture d'équilibre que devait produire l'opposition de deux masses nécessairement inégales comme Glaukos et Argo. La première raison dispense peut-être de la seconde, dont nous ne saurions d'ailleurs juger qu'avec le tableau sous les yeux. Halcyoné, suivant certains auteurs, passait pour la mère de Glaukos (18); l'apparition des Alcyons, comme celle de Glaukos, était un pronostic du temps; couvant leurs œufs pendant les jours sereins de l'hiver, ils annonçaient à la fois et ces jours sereins qu'on nommait alcyonnés et les tempêtes de la mauvaise saison (19); sur une pierre gravée (20) on voit voltiger au-dessus de la tête de Glaukos des oiseaux qui sont peut-être des alcyons. Enfin les navires qui entraient dans le Pont-Euxin rencontraient sans doute des bandes de ces oiseaux ; quoi d'étonnant dès lors que l'artiste ait placé des alcyons sur la route d'Argo voguant vers la Colchide ?

(1) Voir, p. 425, la reproduction d'une peinture antique représentant Glaukos et Scylla.

(2) Voir la très intéressante dissertation de M. Vinct sur Glaukos, Ann. dell' Inst., XV, p. 144-305 et surtout la monographie de Gœdechens, Glaukos der Meergott. Le tort des deux savants, surtout du second, est d'avoir vu Glaukos un peu partout.

(3) Plat., Pol. 10, p. 611.

(4) Recueil des antiq. et monum. marseillais, 1773, pl. XXV, 3. Cf. Gœdechons, ouvr. déjà cité, p. 185.

(5) Par ex. un cratère du Musée de Naples. M. Borb., XII, t. 57. Cf. Gœdech., p. 130.

(6) Miroir du musée do Bologne. Gœdech., p. 158.

(7) Mosaïque de Carth., Mon. d. Inst., V, 38. Gœdech., p. 181.

(8) V. Pat, II, 83.

(9) Ov, M., 6, 712. Cf. Stephani, Arg. Bornas und die Boreaden (Mém. de l'Ac. des se. de Saint-Pétereb., sér. 7, t. XVI, 1871), p. 6-14. Heydem, Neapl. vasens, n° 2912, — Ann. d. Instit 1870, 225. — Helbig, Bull, de Inst., 1872, 43,

(10) Apoll., Arg. I, 920, sq.

(11) Müll.-Wies., D d. a. K, n° 300.

(12) Les suppositions relatives à cette figure ailée sont bien singulières. Les uns renient que ce soit le Génie de la mort ; les autres prennent ce personnage pour une divinité locale du nom de Sosthènes; les autres enfin, comme Wieseler, prétendent qu'il représente les ombres des hommes tués par Amykos au pugilat. Puisque les fils de Borée font partie de l'expédition et qu'ils sont ordinairement représentés avec des ailes, il est plus simple, ce semble, de reconnaître ici soit Zéthés, soit Calais. L'artiste n'a placé parmi les spectateurs qu'un des Boréades pour ne point encombrer sa composition par deux figures ailées.

(13) Voir p. 385.

(14) Millingon, Vases coghill, pl. LII, cité par Gaedechene.

(15) Sarcoph. de Volterra, Raoul Roch., I/. p. 376 ; Müller-Wieeeler, D. d a. k, II, n° 757.

(16) Gedech., p. 83 et 156.

(17) Müller-Wiesel., U. d. a. K., I, taf. LXXII, n° 413.

(18) Athén., VII, 296 b.

(19) Voir Gubernatis, Mythol. zoolog., traduct. Regnaud, II, p. 283.

(20) Goedoch., p. 113.

 

ΠΑΛΑΙΜΩΝ

Ὁ θύων ἐν Ἰσθμῷ δῆμος—εἴη δ´ ἂν ὁ ἐκ τῆς Κορίνθου—καὶ βασιλεὺς οὑτοσὶ τοῦ δήμου— Σίσυφον αὐτὸν ἡγώμεθα—τέμενος δὲ τουτὶ Ποσειδῶνος ἠρέμα τι προσηχοῦν θαλάττῃ—αἱ γὰρ τῶν πιτύων κόμαι τοῦτο ᾄδουσι—τοιάδε, ὦ παῖ, σημαίνει· ἡ Ἰνὼ τῆς γῆς ἐκπεσοῦσα τὸ μὲν ἑαυτῆς Λευκοθέα τε καὶ τοῦ τῶν Νηρηίδων κύκλου, τὸ δὲ τοῦ παιδὸς ἡ γῆ Παλαίμονι τῷ βρέφει χρήσεται. Καταίρει δὲ ἤδη ἐς αὐτὴν ἐπὶ δελφῖνος εὐηνίου, καὶ ὁ δελφὶς τὰ νῶτα ὑποστρωννὺς φέρει καθεύδοντα διολισθάνων ἀψοφητὶ τῆς γαλήνης, ὡς μὴ ἐκπέσοι τοῦ ὕπνου· προσιόντι δὲ αὐτῷ ῥήγνυταί τι κατὰ τὸν Ἰσθμὸν ἄδυτον διασχούσης τῆς γῆς ἐκ Ποσειδῶνος, ὅν μοι δοκεῖ καὶ Σισύφῳ τούτῳ προειπεῖν τὸν τοῦ παιδὸς εἴσπλουν καὶ ὅτι θύειν αὐτῷ δέοι. Θύει δὲ ταῦρον τουτονὶ μέλανα ἀποσπάσας οἶμαι αὐτὸν ἐκ τῆς τοῦ Ποσειδῶνος ἀγέλης. Ὁ μὲν οὖν τῆς θυσίας λόγος καὶ ἡ τῶν θυσάντων ἐσθὴς καὶ τὰ ἐναγίσματα, ὦ παῖ, καὶ τὸ σφάττειν ἐς τὰ τοῦ Παλαίμονος ἀποκείσθω ὄργια—σεμνὸς γὰρ ὁ λόγος καὶ κομιδῇ ἀπόθετος ἅτ´ ἀποθειώσαντος αὐτὸν Σισύφου τοῦ σοφοῦ· σοφὸν γὰρ ἤδη που δηλοῖ αὐτὸν ἡ ἐπιστροφὴ τοῦ εἴδους—τὸ δὲ τοῦ Ποσειδῶνος εἶδος, εἰ μὲν τὰς Γυρὰς πέτρας ἢ τὰ Θετταλικὰ ὄρη ῥήξειν ἔμελλε, δεινὸς ἄν που ἐγράφετο καὶ οἷον πλήττων, ξένον δὲ τὸν Μελικέρτην ποιούμενος ὡς ἐν τῇ γῇ ἔχοι, μειδιᾷ καθορμιζομένου καὶ κελεύει τὸν Ἰσθμὸν ἀναπετάσαι τὰ στέρνα καὶ γενέσθαι τῷ Μελικέρτῃ οἶκον. Ὁ δὲ Ἰσθμός, ὦ παῖ, γέγραπται μὲν ἐν εἴδει δαίμονος ἐνυπτιάζων ἑαυτὸν τῇ γῇ, τέτακται δὲ ὑπὸ τῆς φύσεως Αἰγαίου καὶ Ἀδρίου μέσος κεῖσθαι καθάπερ ἐπεζευγμένος τοῖς πελάγεσιν. Ἔστι δὲ αὐτῷ μειράκιον μὲν ἐν δεξιᾷ, Λέχαιόν τοι, κόραι δὲ ἐν ἀριστερᾷ· Θάλατται δὲ αὗται καλαὶ καὶ ἱκανῶς εὔδιοι τῇ τὸν Ἰσθμὸν ἀποφαινούσῃ γῇ παρακάθηνται.

XVI. PALAEMON.

Ce peuple sacrifiant dans l'Isthme doit être celui de Corinthe; son roi que voici, s'appelle Sisyphe, j'imagine ; enfin voilà le téménos de Poséidon, entouré de pins dont les cimes répondent par un doux murmure à celui des flots. Ino et son enfant sont tombés à la mer; pour Ino, elle sera Leucothoé et entrera dans le chœur des Néréides ; pour l'enfant, c'est la terre qui le possédera. Et déjà il aborde, porté par un dauphin. L'animal complaisant aplanit son échine sous l'enfant qui dort et pour ne point le réveiller glisse sans bruit sur l'onde tranquille. Au moment où l'enfant approche, un sanctuaire s'ouvre dans l'Isthme, au milieu des entrailles de la terre, par la volonté de Poséidon qui sans doute a prédit à Sisyphe l'arrivée d'un nouvel hôte et lui a prescrit un sacrifice. Le roi immole donc, comme tu vois, un taureau noir qu'il a choisi, j'imagine, dans le troupeau consacré à Poséidon. Ne parlons ni du rite du sacrifice (a), ni du costume des sacrificateurs, ni des libations, ni de la manière d'égorger les victimes, toutes choses propres aux mystères de Palœmon; c'est là une science vénérable et tout à fait réservée, introduite dans la religion par Sisyphe le sage : de cette sagesse même, son air attentif et grave est déjà une preuve. Quant à Poséidon, s'il devait fendre les rochers du nom de Gyres ou les montagnes de la Thessalie, il serait représenté avec des yeux farouches et semblerait frapper ; mais donnant l'hospitalité à Mélicerte et voulant le cacher dans le sein de la terre, il sourit à l'enfant qui entre dans le port, il ordonne à l'Isthme d'ouvrir son giron et d'offrir un asile au fils d'Ino. L'Isthme, mon en- 429 fant, est représenté sous la figure d'un dieu ; il repose sur la terre, les yeux tournés vers le ciel, et comme dans la nature, semblable à un pont jeté entre deux mers, il sépare l'Adriatique et la mer Egée. A sa droite se tient un jeune homme, Léehœon, j'imagine ; ces jeunes filles à gauche sont peut-être les Cenchrées (b) ; voici enfin, assises près de la terre qui représente l'Isthme des Thalattai (mers) unissant la beauté à une sérénité profonde.

COMMENTAIRE

Ce tableau contient un assez grand nombre de personnages auxquels il se* rait malaisé peut-être d'assigner une place précise dans la composition. Il nous semble, d'après la description de Philostrate, distinguer deux groupes principaux, d'un côté, les personnages allégoriques, l'Isthme, le Léchaeon, les Cenchrées, les Thalattai avec Poséidon ; de l'autre, les Corinthiens, réunis sous la présidence de Sisyphe, leur roi, pour offrir un sacrifice à Poséidon, ou à Mélicerte. Mais, outre ces personnages, il est question d'un téménos ou enceinte de Poséidon, d'un adyton ou sanctuaire de Palsemon. Welcker plaçait cette enceinte à gauche, et dans cette enceinte d'abord le sanctuaire du jeune dieu, puis le temple qui occupait ainsi à peu près le milieu de la composition : Poséidon était debout à la porte de son temple la tête tournée vers Isthmos. Cette ordonnance prête à quelques objections : d'abord Philostrate ne parle point d'un temple de Poséidon, mais bien d'un téménos; quant au sanctuaire qui s'ouvre au moment même dans l'Isthme pour recevoir Mélicerte, il est plus naturel, ce semble, de le placer tout près du dieu qui représente l'isthme, c'est-à-dire du côté des figures allégoriques. On pourrait même supposer, sans trop d'invraisemblance, que ce sanctuaire n'était point représenté dans la peinture; à l'approche de Palaemon, dit Philostrate, il se forme par rupture comme un adyton dans 1 isthme, la terre s'étant entr'ouverte sur Tordre de Poséidon. Est-ce bien une caverne creusée dans les falaises du rivage que décrit ainsi le rhéteur? Ne désignerait-il pas plutôt une ouverture du sol par laquelle on descendrait à un sanctuaire de Palaemon ? L'adyton de ce dieu, suivant Pausanias, était un souterrain. Sans doute le peintre n'était pas obligé, en représentant l'isthme de Corinthe, de se conformer scrupuleusement à la vérité géographique; mais il pouvait aussi supprimer sans inconvénient l'image du sanctuaire destiné à Palœmon. Quant au passage de Philostrate sur ce sanctuaire, il faudrait le considérer comme faisant partie du récit et du commentaire, non de la description. Nous avons déjà eu l'occasion de remarquer que souvent Philostrate semble décrire encore, quand il se borne à rappeler les circonstances de la légende que le peintre a pu reproduire. Enfin si l'escarpement de la côte offrait une espèce de grotte aux yeux des spectateurs, il était difficile, comme le veut Welcker, déplacer le peuple de Corinthe à l'entrée ou, comme il le dit, au-dessous de 430 cette grotte. Il faut donc, croyons-nous, modifier ainsi l'ordonnance proposée par Welcker pour une partie du tableau : point de temple de Poséidon ; un téménos, c'est-à-dire un bois de pin, s'étendant jusqu'au rivage, et formant une espèce d'enceinte, au milieu de laquelle Sisyphe entouré de son peuple, sacrifiait un taureau noir à Poséidon.

Poséidon et les figures allégoriques composaient, comme nous l'avons dit, un groupe qui faisait pendant au groupe des personnages réunis dans le bois de pin. On ne doit pas s'étonner, avec un critique, que les figures allégoriques soient nombreuses : les artistes anciens opposent presque toujours des masses égales les unes aux autres : Isthmos, Léchseon, les Cenchrées qu'on peut supposer représentées par deux figures, deux Thalattai, n'étaient pas trop nombreux pour faire équilibre à tout un peuple, c'est-à-dire sans doute à cinq ou six personnages qui représentaient le peuple de Corinthe (1). Poséidon, le dieu des mers, était d'un côté le personnage principal comme Sisyphe, le roi de l'Isthme l'était de l'autre. Si on place Sisyphe à l'extrémité gauche du tableau, il en résulte que Poséidon devait être la dernière figure à droite ; si le roi de Corinthe occupait le centre de la composition, Poséidon devait être près de lui, le visage tourné vers les figures allégoriques et par conséquent tournant le dos à Sisyphe. De quelque façon que l'on entende l'ordonnance de ce tableau, les deux scènes étaient bien distinctes; l'attitude symétrique et opposée des personnages montrait qu'ils ne se mêlaient pas les uns aux autres.

Dans le second groupe, le personnage principal après Poséidon était Isthmos. Poséidon placé en face de lui semblait lui parler. De là l'explication ingénieuse de Philostrate, motivée d'ailleurs peut-être par le geste d'isthmos : « Poséidon lui ordonne de déployer sa poitrine, c'est-à-dire sans doute d'ouvrir les bras, pour recevoir Mélicerte. Isthmos avait à sa droite le Léchseon, à sa gauche les Cenchrées ; mais les Thalattai n'étaient probablement pas si voisines de lui ; c'est pour ce motif sans doute que Philostrate dit d'elles, non pas qu'elles sont assises près d'isthmos mais près de la terre où Isthmos était représenté ; elles étaient sans doute au nombre de deux, l'une pour la mer Égée, l'autre 431 pour la mer Adriatique. Ces deux groupes, ces deux scènes, étaient rassemblés sur une longue langue de terre s'étendant dans le tableau même entre deux mers ; ce qui permet à Philostrate de dire aussitôt, au premier coup d'œil jeté sur la peinture : « voici un sacrifice dans un isthme. »

Welcker fait remarquer, à propos de ce tableau, que l'artiste a réuni, dans la même composition, deux circonstances qui ont dû se suivre, dans l'ordre des faits. Mélicerte n'a pas encore abordé, il n'est pas encore dieu, et déjà Sisyphe lui rend un culte. Philostrate, pour tout expliquer, prétend ingénieusement que Sisyphe a été averti par Poséidon de l'arrivée de Mélicerte. Welcker aime mieux croire que l'artiste a usé du privilège qui consiste à regarder comme simultanées des actions successives. On pourrait adopter une troisième explication, plus simple peut-être. Sisyphe offre un sacrifice à Poséidon (le taureau noir était la victime préférée de ce dieu) lorsque Mélicerte, porté sur un dauphin aborde dans l'isthme. La cérémonie, commencée en l'honneur de Poséidon, s'achève avec des rites particuliers en l'honneur de Mélicerte et de Poséidon qui amenait ainsi dans l'isthme et semblait recevoir un nouveau dieu, protecteur des matelots en détresse. Des trois explications aucune d'ailleurs n'est contraire à l'esprit de la légende grecque et au génie de l'art antique. Celle de Philostrate s'accorde mieux peut-être avec une antique tradition que nous a conservée un commentateur de Pindare : Leucolhoé et les Néréides formant un chœur auraient apparu à Sisyphe et lui auraient ordonné de célébrer les jeux isthmiques en l'honneur de Mélicerte (2). Poséidon remplace ici Leucothoé et le dieu commande un sacrifice et non des jeux ; mais les deux récits ont un trait commun : Sisyphe, le fondateur des mystères de Palaemon, aurait été favorisé d'une apparition divine et aurait ainsi connu, par avance, l'arrivée du nouveau dieu.

Il est intéressant de comparer avec notre tableau un célèbre camée du Musée de Vienne qui bien qu'offrant plusieurs difficultés d'interprétation, jusqu'ici peu résolues, paraît cependant se rapporter au culte corinthien de Palaemon. Au milieu de la composition se tient Poséidon le pied sur un rocher; sa main droite s'appuie sur un sceptre ou un trident; il tient dans sa main gauche soit un morceau d'étoffe qu'on a pu prendre pour une mappa, signal des jeux, soit pour un pan de vêtement qui recouvre une partie de la jambe. A droite et à gauche se voient deux chevaux attachés par la bride, comme il semble, levant toutefois une jambe et comme prêts à courir. Dans la partie inférieure du camée, comme au fond de la mer, apparaissent deux figures ; à gauche un enfant tient à la main une pomme de pin, un coquillage, suivant d'autres; à droite une femme couchée, à demi relevée sur un coude. Directement au-dessus de la tête de Poséidon, une espèce de base, autel ou tombeau, reposant sur un ornement formé de feuilles d'ache, soutient un;» ligure d'enfant ailé, tout semblable à Éros; à gauche un personnage vu de 432 dos et de profil, moitié couché, moitié relevé, semble tendre un enfant à une figure de femme qui placée à gauche dans une position analogue, agite une étoffe, soit pour amuser l'enfant, soit pour l'en couvrir après qu'elle l'aura reçu. Des pins voisins de ces chevaux, les chevaux eux-mêmes, la présence de Poséidon, la représentation des feuilles d'ache, tout indique qu'il est fait allusion aux jeux isthmiques et que l'artiste a voulu nous transporter à Corinthe. Si les deux enfants non ailés ne représentent pas le même personnage, l'un des deux du moins, celui de la bande supérieure, ne peut guère être que Mélicerte. La figure tournée vers lui est ou Aphrodite recevant Mélicerte parmi les dieux, ou mieux une divinité locale représentant Corinthe et offrant l'hospitalité au nouveau dieu. Le personnage qui tient Mélicerte sera ou Néreus ou Glaukos, un des dieux quelconques de la mer qui ont accueilli Mélicerte, après sa chute dans les flots, ou plus exactement (le tableau décrit par Philostrate semble autoriser cette explication) Isthmos qui partagea avec Corinthe la gloire d'avoir reçu l'enfant divin. Éros est là sans doute pour désigner plus spécialement Corinthe qui avait pour ces deux enfants, Éros et Mélicerte, un culte particulier. Quant à l'enfant et la femme de la bande inférieure, il faut les considérer sans doute comme Mélicerte et Ino-Leucothoé. Ino après sa chute est devenue une Néréide ; à demi couchée, elle s'apprête à demeurer dans son nouveau séjour ; Mélicerte qui est assis, qui paraît plein de vie, qui joue avec la pomme de pin ou le coquillage, attend le moment où il doit être reçu par Corinthe et Isthmos. C'est là du moins, selon nous, l'explication la plus vraisemblable du camée de Vienne (3).

 

(1) C'est à tort, selon nous, que Brunn, trop frappé de l'objection de Friederichs, cherche à réduire le nombre des figures. Nous croyons cependant devoir donner les raisons de cet habile archéologue : « Philostrate, dit-il, après avoir mentionné Léchseon et Cenchrea ajoute : voici des mers (θάλατται) belles et suffisamment calmes ; il faut entendre par ces mers, non des personnifications de la mer Egée et de la mer Adriatique, mais la représentation même de la partie de mer renfermée dans les deux bassins ou les deux ports, le Léchœon et le Cenchrea. L'idée do calme profond s'accorde bien avec cette conjecture. D'ailleurs le mot de Κεγχρειαί ne se trouve pas dans tous les manuscrits; d'autres donnent κόραι, jeunes filles, et ce mot s'appliquerait à des figures représentant les mers Égée et Adriatique. Les figures représentant le port de Cenchrée seraient ainsi supprimées. Enfin, si l'on veut maintenir Κεγχρειαί , il ne s'en suit pas que le port de Cenchrée, désigné en grec par un pluriel, fût représenté dans le tableau par plusieurs figures. Dans une des peintures du mont Esquilin, un seul personnage représente les Άκταί ou rivages. Millingen a cru reconnaître les ports personnifiés de Léchaeon et de Cenchrée sur une médaille (Sylloge of ancitnt uned. coins., II, 80, 56). Il n'y a que deux personnages. »

(2) Argum. de la 1ere isthm., Boeck ad Pind., I, p. 511. Cf. Frag. I, Boeckh, III, 558.

(3) Voir, pour les différentes explications, MüIler-Wieseler, Denkm. de. alt K. zw. Band, n° 75d et les ouvrages auxquels il renvoie.

 

 

ΝΗΣΟΙ

Βούλει, ὦ παῖ, καθάπερ ἀπὸ νεὼς διαλεγώμεθα περὶ τουτωνὶ τῶν νήσων, οἷον περιπλέοντες αὐτὰς τοῦ ἦρος, ὅτε Ζέφυρος ἱλαρὰν ἐργάζεται θάλατταν προσπνέων τῆς ἑαυτοῦ αὔρας; ἀλλ´ ὅπως ἑκὼν λελήσῃ τῆς γῆς, καὶ θάλαττά σοι ταυτὶ δόξει μήτ´ ἐξηρμένη καὶ ἀναχαιτίζουσα μήθ´ ὑπτία καὶ γαληνή, πλωτὴ δέ τις καὶ οἷον ἔμπνους. Ἰδοὺ ἐμβεβλήκαμεν· ξυγχωρεῖς γάρ που; καὶ ὑπὲρ τοῦ παιδὸς ἀποκρίνασθαι· „ξυγχωρῶ καὶ πλέωμεν“. Ἡ μὲν θάλαττα, ὡς ὁρᾷς, πολλή, νῆσοι δ´ ἐν αὐτῇ μὰ Δί´ οὐ Λέσβος οὐδ´ Ἴμβρος ἢ Λῆμνος, ἀλλ´ ἀγελαῖαι καὶ μικραί, καθάπερ κῶμαί τινες ἢ σταθμοὶ ἢ νὴ Δία ἐπαύλια τῆς θαλάττης. Ἡ μὲν δὴ πρώτη σφῶν ἐρυμνή τέ ἐστι καὶ ἀπότομος καὶ τειχήρης τὴν φύσιν ἀκρωνυχίαν ἐξαίρουσα πανόπτῃ Ποσειδῶνι, κατάρρους τε καὶ ὑγρὰ καὶ τὰς μελίττας βόσκουσα ὀρείοις ἄνθεσιν, ὧν δρέπεσθαι καὶ τὰς Νηρηίδας εἰκός, ὅταν τῇ θαλάττῃ ἐπιπαίζωσι. Τὴν δὲ νῆσον τὴν ἐφεξῆς ὑπτίαν τε καὶ γεώδη οὖσαν οἰκοῦσι μὲν ἁλιεῖς τε καὶ γεωργοὶ ἅμα, ξυμβάλλονται δὲ ἀγορὰν ἀλλήλοις οἱ μὲν τῶν γεωργουμένων, οἱ δὲ ὧν ἤγρευσαν, Ποσειδῶ δὲ τουτονὶ γεωργὸν ἐπ´ ἀρότρου καὶ ζεύγους ἵδρυνται λογιούμενοι αὐτῷ τὰ ἐκ τῆς γῆς, ὡς δὲ μὴ σφόδρα ἠπειρώτης ὁ Ποσειδῶν φαίνοιτο, πρῷρα ἐμβέβληται τῷ ἀρότρῳ καὶ τὴν γῆν ῥήγνυσιν οἷον πλέων. Αἱ δ´ ἐχόμεναι τούτων νῆσοι δύο μία μὲν ἄμφω ποτὲ ἦσαν, ῥαγεῖσα δὲ ὑπὸ τοῦ πελάγους μέση ποταμοῦ εὖρος ἑαυτῆς ἀπηνέχθη. Τουτὶ δ´ ἔστι σοι καὶ παρὰ τῆς γραφῆς, ὦ παῖ, γινώσκειν· τὰ γὰρ ἐσχισμένα τῆς νήσου παραπλήσιά που ὁρᾷς καὶ ἀλλήλοις ξύμμετρα καὶ οἷα ἐναρμόσαι κοῖλα ἐκκειμένοις. Τοῦτο καὶ ἡ Εὐρώπη ποτὲ περὶ τὰ Τέμπη τὰ Θετταλικὰ ἔπαθε· σεισμοὶ γὰρ κἀκείνην ἀναπτύξαντες τὴν ἁρμονίαν τῶν ὀρῶν ἐναπεσημήναντο τοῖς τμήμασι, καὶ πετρῶν τε οἶκοι φανεροὶ ἔτι παραπλήσιοι ταῖς ἐξηρμοσμέναις σφῶν πέτραις, ὕλη θ´, ὁπόσην σχισθέντων τῶν ὀρῶν ἐπισπέσθαι εἰκός, οὔπω ἄδηλος· λείπονται γὰρ δὴ ἔτι αἱ εὐναὶ τῶν δένδρων. Τὸ μὲν δὴ τῆς νήσου πάθος τοιοῦτον ἡγώμεθα, ζεῦγμα δὲ ὑπὲρ τοῦ πορθμοῦ βέβληται, ὡς μίαν ὑπ´ αὐτοῦ φαίνεσθαι καὶ τὸ μὲν ὑποπλεῖται τοῦ ζεύγματος, τὸ δὲ ἁμαξεύεται· ὁρᾷς γάρ που τοὺς διαφοιτῶντας αὐτό, ὡς ὁδοιπόροι τέ εἰσι καὶ ναῦται. Τὴν δὲ νῆσον, ὦ παῖ, τὴν πλησίον θαῦμα ἡγώμεθα· πῦρ γὰρ δὴ ὑποτύφει αὐτὴν πᾶσαν σήραγγάς τε καὶ μυχοὺς ὑποδεδυκὸς τῆς νήσου, δι´ ὧν ὥσπερ αὐλῶν ἡ φλὸξ διεκπαίει ῥύακάς τε ἐργάζεται δεινούς, παρ´ ὧν ἐκπίπτουσι ποταμοὶ πυρὸς μεγάλοι τε καὶ τῇ θαλάττῃ ἐπικυμαίνοντες. Καὶ φιλοσοφεῖν μὲν βουλομένῳ τὰ τοιαῦτα νῆσος ἀσφάλτου καὶ θείου παρεχομένη φύσιν, ἐπειδὰν ὑφ´ ἁλὸς ἀνακραθῇ, πολλοῖς ἐκπυροῦται πνεύμασι τὰ τὴν ὕλην ἐξερεθίζοντα παρὰ τῆς θαλάττης ἀνασπῶσα· ἡ γραφὴ δὲ τὰ τῶν ποιητῶν ἐπαινοῦσα καὶ μῦθον τῇ νήσῳ ἐπιγράφει, γίγαντα μὲν βεβλῆσθαί ποτε ἐνταῦθα, δυσθανατοῦντι δ´ αὐτῷ τὴν νῆσον ἐπενεχθῆναι δεσμοῦ ἕνεκεν, εἴκειν δὲ μήπω αὐτόν, ἀλλ´ ἀναμάχεσθαι ὑπὸ τῇ γῇ ὄντα καὶ τὸ πῦρ τοῦτο σὺν ἀπειλῇ ἐκπνεῖν. Τουτὶ δὲ καὶ τὸν Τυφῶ φασιν ἐν Σικελίᾳ βούλεσθαι καὶ τὸν Ἐγκέλαδον ἐν Ἰταλίᾳ ταύτῃ, οὓς ἤπειροί τε καὶ νῆσοι πιέζουσιν οὔπω μὲν τεθνεῶτας, ἀεὶ δὲ ἀποθνῄσκοντας. Ἔστι δέ σοι, ὦ παῖ, μηδ´ ὑπολελεῖφθαι δόξαι τῆς μάχης ἐς τὴν κορυφὴν τοῦ ὄρους ἀποβλέψαντι· τὰ γὰρ ἐπ´ αὐτῆς φαινόμενα ὁ Ζεὺς ἀφίησι κεραυνοὺς ἐπὶ τὸν γίγαντα, ὁ δ´ ἀπαγορεύει μὲν ἤδη, πιστεύει δὲ τῇ γῇ ἔτι, καὶ ἡ γῆ δὲ ἀπείρηκεν οὐκ ἐῶντος αὐτὴν ἑστάναι τοῦ Ποσειδῶνος. Περιβέβληκε δὲ αὐτοῖς ἀχλύν, ὡς ὅμοια γεγονόσι μᾶλλον ἢ γινομένοις φαίνοιτο. Τὸν δὲ περίπλουν κολωνὸν τοῦτον οἰκεῖ δράκων πλούτου τινὸς οἶμαι φύλαξ, ὃς ὑπὸ τῇ γῇ κεῖται. Τοῦτο γὰρ λέγεται τὸ θηρίον εὔνουν τε εἶναι τῷ χρυσῷ, καὶ ὅ τι ἴδῃ χρυσοῦν, ἀγαπᾶν καὶ θάλπειν· τό τοι κώδιον τὸ ἐν Κόλχοις καὶ τὰ τῶν Ἑσπερίδων μῆλα, ἐπειδὴ χρυσᾶ ἐφαίνοντο, διττὼ ἀύπνω ξυνεῖχον δράκοντε καὶ ἑαυτοῖν ἐποιοῦντο. Καὶ ὁ δράκων δὲ ὁ τῆς Ἀθηνᾶς ὁ ἔτι καὶ νῦν ἐν ἀκροπόλει οἰκῶν δοκεῖ μοι τὸν Ἀθηναίων ἀσπάσασθαι δῆμον ἐπὶ τῷ χρυσῷ, ὃν ἐκεῖνοι τέττιγας ταῖς κεφαλαῖς ἐποιοῦντο. Ἐνταῦθα δὲ χρυσοῦς αὐτὸς ὁ δράκων· τὴν γὰρ κεφαλὴν τῆς χειᾶς ὑπερβάλλει δεδιὼς οἶμαι ὑπὲρ τοῦ κάτω πλούτου. Κατηρεφὴς δὲ κιττῷ τε καὶ σμίλακι καὶ ἀμπέλοις ἥδε ἡ νῆσος οὖσα Διονύσῳ μὲν ἀνεῖσθαί φησι, τὸν Διόνυσον δ´ ἀπεῖναι νῦν καὶ ἐν ἠπείρῳ που βακχεύειν ἐπιτρέψαντα τῷ Σειληνῷ τὰ ἐνταῦθα ἀπόρρητα· τὰ δὲ ἀπόρρητα κύμβαλά τε ταῦτα ὕπτια καὶ κρατῆρες ἀνεστραμμένοι χρυσοῖ καὶ αὐλοὶ θερμοὶ ἔτι καὶ τὰ τύμπανα ἀψοφητὶ κείμενα, καὶ τὰς νεβρίδας ὁ ζέφυρος οἷον αἴρει ἀπὸ τῆς γῆς, ὄφεις τε οἱ μὲν ἐμπλέκονται τοῖς θύρσοις, οἱ δ´ ὑπὸ τοῦ οἴνου παρεῖνται ζώννυσθαι αὑτοὺς ταῖς Βάκχαις καθεύδοντας. Βότρυς δὲ οἱ μὲν ὀργῶσιν, οἱ δὲ περκάζουσιν, οἱ δ´ ὄμφακες, οἱ δ´ οἰνάνθαι δοκοῦσι σεσοφισμένου τοῦ Διονύσου τὰς ὥρας τῶν ἀμπέλων, ὡς ἀεὶ τρυγῴη. Ἀμφιλαφεῖς δ´ οὕτω τι οἱ βότρυς, ὡς καὶ τῶν πετρῶν ἀπηρτῆσθαι καὶ τῇ θαλάττῃ ἐπικρέμασθαι, ὀπωρίζουσί τε προσπετόμενοι θαλάττιοί τε καὶ ἠπειρῶται ὄρνιθες· τὴν γὰρ ἄμπελον ὁ Διόνυσος παρέχει κοινὴν πᾶσι πλὴν τῆς γλαυκός, ἐκείνην δὲ μόνην ἄρα ἀπωθεῖται τῶν βοτρύων, ἐπειδὴ τοῖς ἀνθρώποις διαβάλλει τὸν οἶνον. ᾨὰ γὰρ τῆς γλαυκὸς εἰ φάγοι παιδίον, ἀπεχθάνεται τῷ οἴνῳ πᾶσαν τὴν ἡλικίαν καὶ οὔτ´ ἂν πίοι καὶ φοβοῖτο τοὺς μεθύοντας. Σὺ δ´ οὕτω τι θρασύς, ὦ παῖ, ὡς μηδὲ τὸν Σειληνὸν τοῦτον, τὸν φύλακα τῆς νήσου, φοβεῖσθαι μεθύοντά τε καὶ ἁπτόμενον τῆς Βάκχης. Ἡ δ´ οὐκ ἀξιοῖ ἐς αὐτὸν βλέπειν, ἀλλὰ τοῦ Διονύσου ἐρῶσα ἀνατυποῦται αὐτὸν καὶ ἀναγράφει καὶ ὁρᾷ μὴ παρόντα· τὸ γὰρ τῶν ὀφθαλμῶν ἦθος τῇ Βάκχῃ μετέωρον μέν, οὐ μὴν ἔξω γ´ ἐρωτικῶν φροντίδων. Ταυτὶ δὲ ἡ φύσις τὰ ὄρη ξυνθεῖσα νῆσον εἴργασται δασεῖάν τε καὶ ὕλης πλέω, ὁπόση κυπαρίττου τε ὑψηλῆς καὶ πεύκης καὶ ἐλάτης δρυῶν τε αὖ καὶ κέδρου· καὶ γὰρ τὰ δένδρα τὸν ἑαυτῶν γέγραπται τρόπον. Τὰ μὲν δὴ ἔνθηρα τῆς νήσου συοθῆραί τε ἀνιχνεύουσι καὶ ἐλαφηβόλοι λόγχας ἐπὶ τὰ θηρία ἠρμένοι καὶ τόξα ἔνιοι. Καὶ μαχαίρας δέ, ὦ παῖ, καὶ κορύνας φέρουσιν οἱ ἀγχέμαχοι σφῶν καὶ θρασεῖς, δίκτυά τε ταῦτα διῆκται τῆς ὕλης τὰ μὲν ἐγκολπίσασθαι θηρίον, τὰ δὲ δῆσαι, τὰ δὲ σχεῖν τοῦ δρόμου. Καὶ τὰ μὲν εἴληπται τῶν θηρίων, τὰ δὲ μάχεται, τὰ δὲ ᾕρηκε τὸν βάλλοντα, ἐνεργὸς δὲ πᾶς βραχίων νεανίας, καὶ συνεξαίρουσι βοὴν κύνες ἀνδράσιν, ὡς καὶ τὴν ἠχὼ φάναι ξυμβακχεύειν τῇ θήρᾳ. Τὰ δὲ μεγάλα τῶν φυτῶν δρυτόμοι σπαθῶσι διατέμνοντες, καὶ ὁ μὲν διαίρει τὸν πέλεκυν, ὁ δὲ ἐμβέβληκεν, ὁ δὲ θήγει λαβὼν ἀπεστομισμένον ὑπὸ τοῦ πλήττειν, ὁ δ´ ἐπισκοπεῖται τὴν ἐλάτην ἱστοῦ ἕνεκεν τεκμαιρόμενος τοῦ δένδρου πρὸς τὴν ναῦν, ὁ δὲ τὰ νέα καὶ ὀρθὰ τῶν δένδρων τέμνει ἐς τὰ ἐρετικά. Ἡ δ´ ἀπορρὼξ πέτρα καὶ ὁ τῶν αἰθυιῶν δῆμος καὶ ὁ ἐν μέσαις ὄρνις ἀπὸ τοῦ τοιοῦδε γέγραπται λόγου. Οἱ ἄνθρωποι ταῖς αἰθυίαις ἐπιτίθενται μὰ Δί´ οὐ τῶν κρεῶν ἕνεκα· μέλαν γὰρ καὶ νοσῶδες καὶ οὐδὲ πεινῶντι ἡδὺ τὸ ἐξ αὐτῶν κρέας, γαστέρα δὲ παρέχονται παισὶν ἰατρῶν, οἵαν τοὺς γευσαμένους αὐτῆς εὐσίτους ἀποφαίνειν καὶ κούφους, ὑπνηλαὶ οὖσαι καὶ πυριάλωτοι· νύκτωρ γὰρ αὐταῖς ἐναστράπτουσι. Προσάγονται δὲ τὸν κήυκα ὄρνιν ἐπὶ μοίρᾳ τῶν ἁλισκομένων μελεδωνὸν εἶναι καὶ προεγρηγορέναι σφῶν. Ὁ δὲ κήυξ θαλάττιος μέν, χρηστὸς δὲ ὄρνις καὶ ἀπράγμων καὶ θηρᾶσαι μέν τοι ἀδρανής, πρὸς δέ γε ὕπνον ἔρρωται καὶ καθεύδει σμικρά. Ταῦτά τοι καὶ ἀπομισθοῖ τοὺς ὀφθαλμοὺς ἐκείναις. Ἐπειδὰν οὖν ἐπὶ δαῖτα ἀποπτῶσιν, ὁ μὲν οἰκουρεῖ περὶ τὴν πέτραν, αἱ δ´ ἥκουσιν ἐς ἑσπέραν ἀπάγουσαι δεκάτην αὐτῷ τῶν τεθηραμένων καὶ καθεύδουσιν ἤδη περὶ αὐτὸν οὐ καθεύδοντα οὐδ´ ἂν ἡττηθέντα ὕπνου ποτέ, εἰ μὴ αὐταὶ βούλονται. Εἰ δὲ δόλου του προσιόντος αἴσθοιτο, ὁ μὲν ἀναβοᾷ τορόν τε καὶ ὀξύ, αἱ δ´ ἀπὸ συνθήματος ἀρθεῖσαι φεύγουσιν ἀνέχουσαι τὸν μελεδωνόν, εἰ πετόμενος ἀπείποι ποτέ. Ἀλλ´ ἐνταῦθα ἕστηκε καὶ τὰς αἰθυίας περιορᾷ. Ἔστι δ´ αὐτοῦ τὸ μὲν ἐν μέσαις ἑστάναι ταῖς ὄρνισιν ὁ Πρωτεὺς ὁ ἐν ταῖς φώκαις, τὸ δὲ μὴ καθεύδειν ὑπὲρ τὸν Πρωτέα. Ἐνταῦθα δέ, ὦ παῖ, καὶ καθώρμισται ἡμῖν, καὶ ὅ τι μὲν ὄνομα τῇ νήσῳ οὐκ οἶδα, χρυσῆ δ´ ἂν πρός γε ἐμοῦ ὀνομάζοιτο, εἰ μὴ μάτην οἱ ποιηταὶ τὴν τοιάνδε ἐπωνυμίαν ἐξευρήκασι τοῖς καλοῖς τε καὶ θαυμασίοις πᾶσιν. ᾬκισται μὲν δή, ὁπόση βασίλεια μικρὰ δέξασθαι· οὐ γὰρ ἀρόσει γε ἐνταῦθά τις οὐδὲ ἀμπελουργήσει, περίεστι δ´ αὐτῇ πηγῶν, ὧν τὰς μὲν ἀκραιφνεῖς τε καὶ ψυχρὰς ἐκδίδωσι, τὰς δὲ ἐκπυρώσασα. Ἔστω δ´ οὕτω τις εὔρους, ὡς καὶ τῇ θαλάσσῃ ἐπιπλημμυρεῖν. Τό τοι ῥόθιον τοῦτο πηγαὶ ὑποκυματίζουσι ζέουσαι καὶ οἷον ἐκ λέβητος ἀναπαλλόμεναί τε καὶ ἀναπηδῶσαι, περὶ ἃς βέβληται ἥδε ἡ νῆσος. Τὸ μὲν οὖν θαῦμα τῆς τῶν πηγῶν ἐκδόσεως εἴτε τῆς γῆς προσῆκε νομίζειν εἴτε τῇ θαλάσσῃ οἰκειοῦν, δικάσει ὅδε ὁ Πρωτεύς· ἥκει γὰρ δὴ θεμιστεύσων τοῦτο. Τὰ δὲ πεπολισμένα τῆς νήσου σκοπῶμεν. ᾬκισται γὰρ δὴ ἐν αὐτῇ πόλεως καλῆς τε καὶ λαμπρᾶς εἴδωλον ὅσον οἰκία, καὶ βασιλικὸν εἴσω τρέφεται παιδίον, ἄθυρμα δὲ αὐτῷ πόλις. Θέατρα γάρ ἐστιν, ὁπόσα αὐτόν τε δέξασθαι καὶ τοὺς συμπαίστας τουτῳὶ παῖδας, ἱππόδρομός τε ἐξῳκοδόμηταί τις ἀποχρῶν τοῖς Μελιταίοις κυνιδίοις περιδραμεῖν αὐτόν· ἵππους γὰρ δὴ ὁ παῖς ταῦτα ποιεῖται καὶ συνέχει σφᾶς ζυγόν τε καὶ ἅρμα, ἡνιοχήσονται δὲ ὑπὸ τουτωνὶ τῶν πιθήκων, οὓς τὸ παιδίον θεράποντας ἡγεῖται. Λαγωὸς δὲ οὑτοσὶ χθὲς οἶμαι εἰσῳκισμένος ξυνέχεται μὲν ἱμάντι φοινικῷ καθάπερ κύων, δεδέσθαι δ´ οὐκ ἀξιοῖ καὶ διολισθῆσαι τοὺς δεσμοὺς ἐθέλει πιστεύων τοῖς προσθίοις τῶν ποδῶν, ψίττακός τε καὶ κίττα ἐν οἰκίσκῳ πλεκτῷ Σειρήνων δίκην ἐν τῇ νήσῳ ᾄδουσιν· ᾄδει δὲ ἡ μὲν ὁπόσα οἶδεν, ὁ δὲ ὁπόσα μανθάνει.

XVII. LES ÎLES.

Veux-tu, mon enfant, que nous parlions de ces îles, comme si sur un navire nous en faisions le tour pendant le printemps, alors que le zéphyr, promenant son haleine sur les flots, donne à la mer un riant aspect? Cette mer aussi, que tu vois, t'engage à quitter le rivage ; elle n'est ni soulevée, ni déchaînée ; elle n'est pas non plus unie et dormante, elle aide la manœuvre des matelots, elle est comme animée d'un souffle de vie. Nous voici déjà embarqués, avec ta permission, n'est-il pas vrai ? — Et l'enfant de répondre je ne demande pas mieux ; mettons à la voile (a). — La mer, comme tu le vois, s'étend au loin ; elle est parsemée d'îles qui ne ressemblent point en vérité à Lesbos, à lmbros ou à Le m nos; à les voir si modestes, si petites, on dirait des villages, des lieux d'escale ou encore des fermes échelonnées sur la mer. La première d'entre elles escarpée, inaccessible, naturellement fortifiée, élève jusqu'au ciel 433 la cime de ses hauteurs, d'où Poséidon surveille l'horizon; des ruisseaux y portent partout la fraîcheur ; ses montagnes se couvrent de fleurs qui nourrissent les abeilles et que les Néréides cueillent sans doute quand elles se jouent à la surface des flots (b). L'île voisine dont le sol est uni et propre à la culture, est habitée par des pêcheurs et des laboureurs qui apportent sur un marché commun, ceux-ci leur récolte, ceux-là leur pêche. Voici un Poséidon laboureur qu'ils ont élevé sur une charrue munie d'un joug, attribuant à ce dieu les bienfaits de la terre ; mais pour que Poséidon n'ait point tout à fait l'air d'une divinité de terre ferme, une proue a été adaptée à la charrue, et le dieu en ouvrant le sol semble naviguer. Les deux îles qui suivent n'en formaient qu'une autrefois ; elles ont été séparées par la mer qui s'est frayé un passage et qui a laissé entre elles deux la largeur d'un fleuve. Tu peux, mon enfant, te rendre compte du fait, en regardant la peinture ; l'île en se déchirant, a mis en face l*une de l'autre deux côtes de même aspect, symétriques, avec des enfoncements et des saillies qui se correspondent. En Europe, dans la Thessalie, la vallée de Tempe présente un aspect semblable. Ouvertes par des tremblements de terre, les montagnes ont encore conservé sur leur pente la trace de la rupture ; on voit les cavités qu'a produites l'arrachement des roches et qui pourraient encore les recevoir ; la forêt qui a suivi les montagnes dans leur écartement n'a pas complètement disparu ; les fosses où plongeaient les racines des arbres se distinguent encore. Selon toute apparence, notre île a eu le même sort ; un pont, jeté sur le détroit, des deux îles semble n'en faire qu'une ; de l'une à l'autre on se rend soit en barque, soit en char ; tu vois les allants et venants, ici des voyageurs par terre, là des matelots. L'île voisine, mon enfant, nous offre un spectacle merveilleux ; dans toute son étendue, couve un feu souterrain qui vomit la flamme parles fissures et les cavernes comme par autant de canaux ; celte lave terrible forme de grands fleuves de feu qui se jettent en bouillonnant dans la mer* Voici la raison de ce phénomène. Le sol de l'île est de même nature que l'asphalte et le soufre ; une fois minée par les flots, elle est battue par les vents qui viennent de la mer et qui mettent le feu à toute cette matière combustible. La peinture suit le récit des poètes et nous explique l'éruption de l'île par la fable ; c'est un géant, dit celle-ci, qui a été précipité là autrefois ; comme il avait peine à mourir, une île jetée sur lui, devait lui servir de prison ; mais loin de céder, il lutte encore sous la terre, et lance avec menace des torrents de feu. Ainsi veulent faire, dit-on typhon en Sicile, Encelade en Italie; ces deux géants 434 sur lesquels pèsent des continents et des îles ne sont pas encore morts, mais ils ne cessent de mourir. Tu peux, mon enfant, te croire transporté sur le lieu du combat, si tu regardes le sommet de la montagne ; car voici ce qu'on y voit. Zeus lance la foudre sur le géant qui bien qu'à bout de forces a toujours confiance dans le secours de la terre; mais la terre contenue par Poséidon qui l'empêche de se dresser, renonce à la lutte. L'artiste a enveloppé cette scène d'un brouillard afin qu'elle parût plutôt appartenir au passé qu'au présent. Quant à cette colline (c), baignée de tous côtés par la mer, elle est habitée par un dragon qui y garde, j'imagine, un trésor caché sous la terre. Car cet animal a, dit-on, de la tendresse pour l'or ; tout ce qui est doré, il l'aime avec passion et le couvre de son corps ; c'est pourquoi la toison de Colchos et les pommes des Hespérides qui brillaient de l'éclat de l'or, étaient gardées par deux dragons, toujours éveillés, qui les regardaient comme leur bien propre. Et ce dragon d'Athènes qui habite dans l'Acropole, s'il protège les Athéniens, c'est sans doute à cause des cigales d'or, dont ils ornaient leur chevelure. Le dragon qui est ici est lui-même doré, comme nous pouvons en juger ; car il sort la tête de son antre, craignant, j'imagine, pour son trésor enfoui. Cette autre île qui disparaît sous le lierre, le smilax et les vignes, nous dit qu'elle est consacrée à Dionysos, mais Dionysos est absent et promène son ivresse sur le continent, laissant à Silène le soin de célébrer ici les mystères ; les cymbales sacrées gisent à terre sur le sol; les cratères d'or sont renversés ; les flûtes, encore tièdes, reposent à côté des tambours muets ; le zéphyr soulève de terre les nébrides ; des serpents s'enroulent autour des thyrses, pendant que d'autres, ivres de vin et endormis, se laissent porter par les Bacchantes comme des ceintures. Le raisin est ici gonflé de suc, là commence à mûrir; ailleurs il n'est pas mûr ou paraît être en fleur ; car Dionysos a eu la précaution de ne point assigner aux vignes la même époque de maturité afin de prolonger la vendange. Les grappes sont tellement abondantes qu'elles descendent avec la falaise et pendent au-dessus des flots. Des bandes d'oiseaux tant de la mer que de la terre s'abattent sur les raisins pour les becqueter. Dionysos, en effet, veut que la vigne se donne à tous les oiseaux, il ne repousse de ses grappes que la chouette qui inspire aux hommes l'horreur du vin ; car si un enfant vient à manger les œufs d'une chouette avant de savoir parler et d'avoir pris du vin, il déteste cette liqueur pendant toute sa vie, se garde d'en boire lui-même et redoute l'ivresse des autres. Quant à toi, mon enfant, tu as assez de hardiesse pour regarder le gardien de l'île, Silène, qui est ivre pourtant et 435 porte la main sur une bacchante. Celle-ci ne daigne pas tourner les yeux vers lui, c'est Dionysos qu'elle aime, que son imagination lui représente, et qu'elle voit, bien qu'absent ; aussi le regard de la bacchante est-il comme fixé sur l'espace, et ne laisse pas de réfléchir une pensée amoureuse. Plus loin, la nature en rapprochant les montagnes, a formé une île couverte d'épais fourrés et de forêts, où l'on distingue le cyprès élevé, le pin, le sapin, le chêne et le cèdre, car chaque arbre a été représenté avec le caractère qui lui est propre. Cette île est peuplée de sangliers et de cerfs que des chasseurs poursuivent, armés les uns de lances, les autres de flèches ; les plus hardis ont l'épée courte et la massue pour combattre de près. Ces filets que tu vois sont tendus à travers les halliers pour envelopper, enlacer ou arrêter le gibier ; et déjà certaines bêtes sont prises, d'autres combattent, d'autres ont terrassé leur adversaire. Aucun des chasseurs, aucun bras ne reste inactif, les chiens mêlent leurs aboiements aux cris des hommes ; Écho elle-même semble partager l'ivresse de la chasse. Des bûcherons abattent de grands arbres qui jonchent le sol (d) ; l'un a la hache levée, l'autre a déjà frappé ; l'autre aiguise sa cognée émoussée par un long usage ; celui-ci considère un sapin pour savoir s'il peut en faire un mât de navire ; l'autre abat des jeunes arbres bien droits, pour les façonner en rames. Quant à cette roche escarpée, à celte bande de mouettes rangées autour d'un autre oiseau, voici quelle a été la pensée de l'artiste en les peignant. Les hommes font la guerre aux mouettes, non point à cause de leur chair qui est noire, malsaine et de mauvais goût, même pour celui qui a faim, mais parce que leur ventre fournit un remède dont se servent les médecins pour rendre à leurs malades l'appétit et la souplesse des organes. Comme elles cèdent aisément au sommeil et que les chasseurs les prennent la nuit en les éblouissant par l'éclat de la lumière (e), elles s'adjoignent le céyx qui, moyennant une part dans le butin, prévoit et veille pour elles. Le céyx est aussi un oiseau de mer, mais insouciant, paresseux, de peu d'entrain pour la chasse ; d'ailleurs il résiste au sommeil et dort peu. C'est pourquoi il loue ses yeux aux mouettes. Quand celles-ci se mettent en quête de leur nourriture, il fait sentinelle au logis, c'est-à-dire sur le rocher ; le soir elles reviennent, lui apportent la dixième partie de leur chasse, puis elles s'endorment rangées autour - de leur gardien qui ne dort pas et qui ne se laisse vaincre par le sommeil que quand elles le veulent bien. Sent-il approcher quelque piège, il pousse un cri aigu et perçant, et toutes, jx ce signal, s'enlèvent et fuient soutenant leur gardien de peur que ses forces ne le trahissent en volant. 436 Pour le moment, il se tient sur le rocher et promène son regard sur les mouettes endormies. Debout au milieu de ces oiseaux, il ressemble à Protée au milieu des phoques ; mais il ne dort pas ; c'est un avantage sur Protée. Cependant, nous voici abordés dans une île : quel est son nom ? je l'ignore ; je l'appellerais volontiers l'île d'or, si les poètes n'avaient à la légère donné ce nom à tout ce qui est beau et merveilleux. Pour toute habitation, elle offre un petit palais ; il serait impossible d'y labourer la terre ou d'y cultiver la vigne ; mais les sources y abondent, les unes limpides et fraîches, les autres bouillantes ; l'île est tellement arrosée qu'elle verse à la mer l'excès de ses eaux. Tu vois avec quelle impétuosité elles jaillissent. C'est que les sources placées au centre de l'île et sortant de terre en bouillonnant, sont comme l'eau qui s'agite dans une chaudière et passe par-dessus les bords. Cette merveilleuse production des sources doit-elle être attribuée à la mer ou à la terre? c'est une question que décidera Protée ; il est venu en effet pour se prononcer sur ce point. Mais considérons maintenant l'autre partie de l'île, la ville ou plutôt le simulacre d'une ville, car si elle est belle et brillante elle n'est pas plus grande qu'une maison. Un enfant royal y est élevé et la ville lui sert d'amusement. En effet elle renferme des théâtres assez grands pour le recevoir lui et les compagnons de ses jeux (f) ; elle possède aussi un hippodrome de grandeur raisonnable pour être parcouru par les petits chiens de Milet ; car l'enfant se sert de ces animaux comme de chevaux ; il les attelle au joug et au char et leur donne pour cochers des singes dont il fait ses serviteurs. Voici un lièvre introduit d'hier dans la maison; il est retenu par une laisse de pourpre comme un chien, mais il est mécontent d'être enchaîné et s'efforce de se dégager de ses liens à l'aide de ses pattes de devant. Voici enfin dans une cage tressée un perroquet et une pie qui, comme des Sirènes, font retentir l'île de leurs chants ; celle-ci chante ce qu'elle sait par elle-même, celui-là ce qu'il apprend.

COMMENTAIRE

Le célèbre archéologue Welcker a fait de ce tableau un commentaire très curieux, mais aussi très hasardé, que nous devons tout d'abord résumer. Le peintre, dit-il, avait représenté sept îles : nombre consacré chez les anciens par la religion et la politique, et en même temps adopté par l'art pour des raisons d'esthétique. Il se prête, en effet, complaisamment aux lois de la symétrie. Un objet, un personnage sur sept étant placé au centre, les six autres se répartissent naturellement en deux groupes qui se font équilibre, et de 437 plus chaque élément un groupe peut être opposé à un élément de l'autre. Dans notre tableau, l'ordre suivi par le commentateur serait aussi Tordre dans lequel les lies étaient disposées ; en effet, si Philostrate, après avoir invité l'enfant à s'embarquer s'était promené d'île en île sans autre guide que sa fantaisie, n'eût-il pas averti le lecteur? Puisque les îles sont au nombre de sept et que Philostrate procède avec méthode, c'est la quatrième nommée qui doit occuper la place principale ; or la quatrième, c'est cette île qui vomit des tourbillons de fumée et qui écrase un géant sous son poids. Cette île est flanquée de la troisième et de la cinquième qui ont entre elles des analogies frappantes. En effet, si la troisième qui est maintenant composée de deux îles n'en formait qu'une autrefois, c'est qu'elle a été divisée par l'action du feu ; la cinquième est consacrée à Dionysos et Dionysos a une étroite parenté avec Héphaestos. La seconde qui offre des plaines unies, habitées par des pêcheurs et des laboureurs, fait pendant à la sixième qui, montagneuse et boisée, est chère aux chasseurs et aux bûcherons. Enfin la première, escarpée et déserte, ne ressemble en rien à la septième qui mérite d'être appelée l'île dorée, autant pour son magnifique palais que par ses richesses naturelles, ses vignes, ses pâturages, ses sources chaudes et froides.

Les îles sont donc placées à la suite les unes des autres, et elles se répondent comme les personnages d'un bas-relief. En outre, à les bien considérer, ce ne sont pas des îles inventées par le caprice d'un artiste ; elles ressemblent beaucoup aux îles Eoliennes. D'abord, comme ces dernières, elles sont au nombre de sept. Parmi les îles Éoliennes, trois surtout Thérasia appelée plus tard Hiéra Héphsestou, Lipara et Strongilé (Stromboli), lançaient des tourbillons de flammes et de fumée ; or, sur les sept îles représentées par le peintre, trois sont aussi de nature volcanique. La troisième île, qui est formée de deux autres, répond à l'île Didyme (île double) qui, suivant Strabon, s'appelait ainsi à cause de sa configuration. En outre, dit Brunn, qui adopte le sentiment de Welcker, les monnaies des îles Lipariennes présentent une tête de Poséidon et un trident; or la seconde île, dans Philostrate, est consacrée à Poséidon. La caverne du dragon, c'est la grotte du monstre marin que l'on montre à Filicuri (l'ancienne Phœnicusa). La dernière île, celle qui est habitée par un enfant de race royale, c'est celle que l'anonyme de Ravenne désigne sous le nom de Basilidin, et qui s'appelle encore aujourd'hui Basiluzzo. Le brouillard qui enveloppe l'une des îles, les tourbillons que forment les flots échauffés auprès de la dernière, ce sont là des faits mentionnés par Strabon, à propos des îles Éoliennes (1). Reconnaissez donc dans cette peinture, nous dit-on, une de ces espèces de cartes murales, sur lesquelles les anciens, au lieu d'employer nos signes conventionnels, représentaient des villes, des bois, des montagnes. Outre la table de Peutinger et les dessins 438 que renferment les manuscrits des Agrimensores latins, Brunn cite une Italie murale (in pariete picta Italia) de la galerie géographique du Vatican, qui offre à la fois le caractère d'une carte et d'un tableau.

Ce sont là, pensons-nous malgré ces analogies et ces autorités, des hypothèses aventurées et qui ont pour premier tort, celui de se contredire. Si le peintre a voulu représenter les îles Éoliennes, est-il admissible qu'il ait été si vivement préoccupé de la symétrie ? Les îles Éoliennes, il faut le supposer, n'ont reçu de la nature ni la même variété d'aspect que présentent les îles de notre tableau, ni cette disposition régulière que Philostrate prétend reconnaître dans l'œuvre de l'artiste. Welcker, qui a pressenti l'objection, cherche à y répondre : selon lui, le peintre, en prenant son sujet dans la nature, l'a modifié et plié aux caprices de son imagination et aux lois de la symétrie ; c'est une composition moitié réelle; moitié de fantaisie. En tout cas, la part de la fantaisie est si grande, qu'on ne sait trop où en est la limite ; et les traits qu'on suppose fournis par la réalité sont si peu nombreux ou si peu importants qu'il paraît plus vraisemblable de les attribuer au hasard qu'à l'exactitude de l'artiste. Poséidon, par exemple, était une divinité honorée dans toutes les îles ; les flots tourbillonnent et les nuages s'amoncellent autour de toute île volcanique. En outre les différences entre les îles du tableau et les îles Éoliennes sont peut-être plus manifestes encore que les ressemblances. Toutes les îles Lipariennes couvaient un feu intérieur ; il n'y en a que trois dans la peinture qui récèlent la flamme ou qui aient subi l'action du feu. Un taureau de mer n'est point un dragon. Puis si le peintre avait voulu représenter les îles Eoliennes, ne nous eût-il pas montré, la principale divinité de ces îles, Éole, en même temps qu'il y plaçait Jupiter, Poséidon et Héphsestos.

Welcker compte sept îles dans notre tableau ; il ne nous est pas prouvé qu'il ne faille en compter huit ou même neuf. La colline du dragon gardien d'un trésor fait partie, suivant Welcker, de l'île où Silène poursuit une bacchante. Philostrate, en parlant de cette colline, dit qu'elle est entourée d'eau de tous côtés ; c'est donc une île distincte de toutes les autres. Plus loin, il ajoute : cette île est couverte de vignes et de lierre. Est-ce un nouvel îlot, est-ce le même qu'il désigne ainsi? Les arguments de Welcker, tirés de la construction même de la phrase grecque, ne paraissent pas décisifs. Il semble que Philostrate, apercevant sur une même île des objets si divers, eût cherché à expliquer pourquoi l'artiste les avait ainsi réunis. L'explication d'ailleurs eût été facile, puisque le serpent apparaît souvent dans les scènes bachiques. Si Philostrate, en présence du dragon, le considère comme le gardien d'un trésor enfoui dans le sol, c'est sans doute que ce dragon n'était point sur la même île que Silène. En outre, ce rocher escarpé sur lequel les mouettes sont posées en cercle autour d'un alcyon n'est-il point séparé par un bras de merde l'île des chasseurs et des bûcherons ? Ce sont là des sujets bien différents, et 439 qui semblent demander un théâtre distinct. N'oublions pas que d'après Philostrate ces îles sont très petites; sans doute l'artiste s'était plu à varier la scène et le paysage avec chacune d'elles ; et cet amour de la variété l'avait conduit à représenter des îles moindres les unes que les autres ; il y avait des îlots ; il y avait aussi de simples rochers ; pour les îlots, il avait choisi les sujets à personnages multiples ; sur les rochers il s'était contenté de peindre un dragon ou^des mouettes.

D'un autre côté, cette symétrie dans la disposition des îles ne nous frappe pas autant que Welcker. Il oppose l'île inhabitée à l'île d'or; mais elle pouvait tout aussi bien être opposée à celle où les pêcheurs et les laboureurs apportent sur un marché commun, les uns leur blé, les autres leurs poissons. Comment admettre qu'il y ait un rapport entre l'île consacrée à Dionysos et l'île séparée en deux par un tremblement de terre ? Dionysos, sans doute, est né au milieu du feu et c'est l'action du feu qui d'une île en a fait deux ; mais quelle érudition ne faut-il pas avoir pour songer à ce lointain rapport à la vue de Silène et d'un pont jeté sur deux îles ! Pourquoi, en suivant le même système, ne verrait-on pas un contraste entre l'île d'or et File volcanique que Welcker place au centre ? L'une éveille à l'esprit les idées de gaieté et de vivacité ; l'autre présente l'image de la lutte et du désespoir. Ici nous apercevons un géant, là un enfant. On pourrait multiplier les observations de cette sorte ; elles prouvent, nous semble-t-il, que l'artiste a cherché la variété, mais non la symétrie dans la variété ; ses îles ressemblent ou diffèrent plus ou moins entre elles ; mais il ne paraît pas qu'elles aient été disposées en face les unes des autres selon leurs ressemblances ou leurs différences.
Par sa variété même, ce tableau nous offre tous les types de la peinture de paysage chez les anciens. Ici c'est le paysage peint pour lui-même, pour ses accidents de terrain, pour sa grâce sauvage ou cultivée ; là c'est le paysage familier, servant de cadre à la vie humaine ; là le paysage héroïque ou mythologique, rappelant le rôle des dieux dans les légendes primitives sur la formation des contrées. Ailleurs, enfin, voilà le paysage de fantaisie, tel qu'on le rencontre sur les murs de Pompéi et d'Herculanum, tel que le décrit Vitruve, unissant les disparates, modifiant la taille des objets naturels, dédaignant la vraisemblance.

Le paysage mythologique mérite surtout d'attirer notre attention et d'être comparé aux autres représentations de même nature dans l'art antique.

On pourrait croire avec Heyne que le Poséidon Panoptès (qui voit tout) était debout sur une des hauteurs de la première île. Dans ce cas, il faudrait se le représenter posant un pied sur un rocher, laissant tomber sa main droite sur la cuisse, tenant dans sa main gauche le trident, et fixant ses regards sur les flots. Cette attitude que présentent quelques statues (3), qui se 440 rencontre sur des gemmes et des monnaies (3), est celle qui semble le mieux convenir au dieu, en tant qu'il surveille l'empire de la mer; mais le texte de Philostrate n'autorise point expressément cette supposition de Heyne. Un rocher élevait ses pointes vers les nues; c'était un observatoire pour Poséidon Panoptôs, remarque Philostrate ; mais Poséidon pouvait être absent de son observatoire.

Le Poséidon laboureur n'est point une conception qui doive nous surprendre. D'autres noms, donnés au dieu, par exemple celui de pkytalmios, nourricier, indiquent assez que les anciens le regardaient comme le dispensateur des biens de la terre. Ce qui peut paraître plus étrange, c'est l'union étroite de deux attributs dissemblables ; il n'est pas rare de rencontrer Neptune debout sur une proue, ou tenant à la main un aplustre, cette partie de la poupe ancienne ; nulle part le navire ou le fragment de navire qui porte Poséidon ne se termine par un soc ou par un timon de charrue. C'est là, il faut l'avouer, une idée singulière qui a pu tenter un artiste comme elle a souri à Philostrate, mais qui n'en est pas moins plus ingénieuse que pittoresque.

Jupiter lançant la foudre est représenté sur mainte œuvre d'art ; mais ce qui est rare, sinon tout à fait introuvable, c'est de le voir enveloppé d'un nuage. On comprend très bien cependant l'emploi de ce nuage en peinture; le ciel est couvert quand Jupiter s'arme de la foudre ; la foudre même « étant composée, comme dit le poète (4), de trois rayons d'une grêle épaisse, de trois d'une nuée orageuse, de trois d'un feu ardent et de trois d'un feu rapide, » il n'est pas surprenant qu'elle dégage autour d'elle une fumée semblable à un nuage. Selon Philostrate, ce nuage est là pour indiquer qu'il s'agit d'un fait passé; un brouillard en peinture servirait de séparation entre deux moments de la durée; de même que par l'éloignement dans l'espace les objets cessent d'être distincts, de même en leur faisant perdre quelque chose de leur netteté, on peut les éloigner dans le temps. L'explication nous paraît plus ingénieuse que naturelle. Toutefois il n'est pas impossible que Philostrate ait raison ; nous savons quelle large place l'art antique fait à la convention ; si une convention nous semble trop osée, si elle est sans exemple, ce ne sont pas des motifs suffisants pour prononcer qu'elle a été inventée par un rhéteur, non par un artiste. À l'aide de la prolepse ou de l'anticipation, l'art grec ouvre quelquefois une perspective sur les conséquences lointaines de la scène qu'il représente. Pourquoi à l'aide d'un procédé analogue, ne mettrait-il pas sous les yeux des circonstances dont le sujet qu'il a choisi n'aurait dû que réveiller le souvenir dans l'esprit du spectateur?

On ne saurait dire d'après le texte de Philostrate si l'artiste avait représenté le géant foudroyé et Poséidon ébranlant la terre de son trident. En sup- 440 posant le géant visible, il s'affaissait sans doute sur le bord du cratère dans lequel il allait être précipité; son corps ne se terminait point en serpent, comme celui des géants sur un grand nombre d'œuvres d'art; un pareil détail eût été signalé par Philostrate à l'attention de son jeune auditoire, ami du merveilleux. Le visage exprimait à la fois la douleur et l'arrogance; et c'est pour ce motif que Philostrate aura pu dire: il renonce à la lutte et cependant il a encore confiance dans la terre. Alors et toujours dans cette même supposition, tout ce drame représenté au milieu des airs eût été comme une vision du passé ; car si c'est le géant qui vomit la flamme à travers les soupiraux de la montagne, il devait avoir déjà son tombeau dans les profondeurs de l'île.

L'île consacrée à Dionysos offre un spectacle dont les traits divers se retrouveraient sur les monuments figurés. Les artistes ont souvent accumulé, dans un désordre calculé, les cymbales, les cratères, les flûtes, les nébrides, les thyrses. Le serpent est un symbole dionysiaque, et il n'est pas étonnant de le voir enlacer le corps des Ménades, comme il s'enroule sur le bras d'une bacchante ou d'une Ariadne dans une statue du Vatican (5). Nous ne connaissons point, il est vrai, d'œuvre d'art qui représente le raisin à divers degrés de maturité sur une même vigne ; mais c'est là une merveille souvent célébrée dans l'antiquité par les poètes et les écrivains ; sur la vigne d'Alcinoüs, à côté du raisin à peine formé, se colore le raisin déjà mûr (6). Pourquoi ce trait n'aurait-il pu passer du poème dans le tableau ? En l'honneur de qui la vigne fera-t-elle des merveilles, si ce n'est de Dionysos ? Le but de l'art n'est pas sans doute de ramener aux proportions de la réalité les inventions des poètes, et ce n'est pas ainsi qu'il faut entendre la fameuse théorie des limites entre l'art et la poésie. Dans une peinture mythologique l'invraisemblable peut être plus vrai que la vérité selon la nature.

La présence de Protée dans les flots qui baignent la dernière île est plus surprenante. Philostrate l'explique en disant qu'il est venu pour décider s'il faut attribuer à l'action de la mer ou des feux souterrains l'ébullition des sources. Mais il n'est guère naturel dépenser que l'artiste se soit préoccupé des causes du phénomène ni qu'il ait introduit dans sa peinture une espèce de devin qui pourra donner, un jour, la raison du phénomène, mais dont la présence n'éclaire en rien le spectateur. Il faut donc renoncer à l'explication de Philostrate qui paraît n'avoir été qu'un ingénieux artifice pour échapper à une question témérairement soulevée ; mais faut-il en conclure que Protée est aussi une invention de Philostrate et que le sophiste décrivant un tableau fictif n'a été amené à parler ici de Protée comme visible que parce qu'il avait comparé plus haut les mouettes autour de l'alcyon aux 442 phoques rangés autour de Protée ? Ce serait là une conjecture hardie; Protée le dieu marin, le dieu qui mène paître les phoques et les dauphins, troupeau de Poséidon, Protée, berger de l'océan, a naturellement sa place dans un tableau qui représente, comme le nôtre, un paysage maritime (7). Si nous avions une conjecture à faire, plutôt que de nier sa présence, nous supposerions volontiers qu'il était entouré de monstres marins dans le tableau, et que c'est précisément ce groupe qui a donné lieu à Philostrate de comparer plus haut les mouettes aux phoques et l'alcyon à Protée.

A l'extrémité de cette même île, le peintre avait représenté des constructions sans doute étranges et fantastiques, comme celles qu'on rencontre parfois, dans les peintures campaniennes ; le sophiste en effet ne paraît pas trop savoir s'il doit les appeler une ville ou un palais. Apercevant des enfants qui se livrent à des jeux non communs, il prend le parti de dire que décidément nous avons sous les yeux un palais, et dans ce palais, un enfant de race royale et ses compagnons. Tout ce petit tableau de genre que décrit ensuite Philostrate est bien composé d'éléments antiques et bien conçu dans l'esprit de l'antiquité. On sait combien les animaux susceptibles d'être apprivoisés, les chiens, les singes, les lièvres mêmes, étaient recherchés par les anciens. La maison du Complaisant de Théophraste est toujours remplie de mille choses curieuses qui font plaisir à voir ou que Ton peut donner, comme des singes, des chiens de Laconie, des pigeons de Sicile, etc. (8). » Lucien raconte deux fois cette histoire du singe de Cléopâtre qui dansait excellemment, mais qui un jour oublia la cadence et arracha son masque pour courir après des noix jetées sur le sol (9). La comédie nouvelle est pleine d'allusions aux singes nourris dans la maison. Démiphon, dans le Marchand de Plaute, rêve qu'il vient d'acheter une chèvre et qu'il en confie la garde à un singe (10). Dans le Soldat Fanfaron, tel personnage se promenant sur les toits pour regarder dans l'intérieur,des maisons, prétend être à la recherche d'une poule, d'un pigeon ou d'un singe échappé (11) ! On a retrouvé de petits singes en terre cuite dans des tombes d'enfants (12). Dans une peinture campanienne, un enfant armé d'un fouet fait danser un singe. Quant aux chiens de Milet, on les reconnaît souvent sur les peintures de vases « à leur petite taille, à leur museau pointu, à leurs oreilles droites, à leur queue relevée et touffue (13)». 443 Ce sont là sans doute aussi les signes qui ont appris à Philostrate l'origine des chiens représentés par l'artiste. Le lièvre est également un animal domestique : sur telle coupe du Musée de Berlin, un enfant lient un lièvre en laisse. Mort ou vivant, il est souvent offert en cadeau par les amants à l'objet de leur tendresse. Dans la comédie nouvelle, mon petit lièvre, mi lepus, est un terme d'affection, au même titre que mon passereau ou ma colombe (14) ; ce qui prouve que, comme ces animaux, il faisait les délices des femmes et des enfants. La réunion de ces divers animaux dans notre peinture et l'usage auquel l'artiste les a fait servir n'ont donc rien qui puisse nous surprendre ; ici encore nous reconnaissons les mœurs antiques.

 

(1) Strabon, VI, p. 276. — Cf. Brunn, Die Philostr. Gem., p. 296, et Jahrb. de Fleckeie. 1871, p. 10.

(2) Statue du Musée de Latran, Clarac, Musée de sculpt., IV, pl. DCCXLIV, n° 1797. - Statue du Musée de Dresde, Becker, August., II, taf. 47; Clarac, IV, pl. DCCXLIII.

(3) Voir par ex. une médaille de Démotrios Poliorcète, Mionnet, Descr., I, 580-817, Overb., Griech. Kunstm., Poséidon, p. 293, n° 2, et une médaille d'Adrien, Overb,, Ibid , n° 3.

(4) Virg., Aeneid., VIII, 429.

(5) Mus. P. CL, III, 43. Raoul Roch., Mon. in., I, pl. V; Guigniaut, Relig. de l'antiq., pl. CXXIII, n° 461.

(6) Od., VII, 125.

(7) Cf. une peinture d'Herculanum (Pitt. d'Er., II, 39) qui représente Protée, berger de la mer.

(8) Théoph., ch. v.

(9) Lucien, Apologie pour ceux qui sont aux gages des grands, 5 et Pécheurs, 36.

(10) On sait que les comédies latinos sont des traductions ou imitations des comédies grecques. L'imitation va même beaucoup plus loin qu'on ne le pense communément ; nous nous proposons de le montrer un jour.

(11) Mercator, II, 1. — Miles Gloriosus, II, *2 7, et ailleurs.

(12) Arch. Zeit., 1866, pl. CXVII. Cf. sur toute cette question des animaux apprivoisés, le Dict. des antiq. de Saglio et Daremberg, p. 692 et suiv. Nous avons emprunté quelques traits au savant article de MM. Cougny et Saglio.

(13) Même diction.

(14) Plaut, Casina, I, 1. 50. — Dans le Persan (III, 9) le» banquiers qui prennent la fuite sont comparés aux lièvres lâchés dans le cirque.
 

ΚΥΚΛΩΨ

Οἱ θερίζοντές τε τὰ λήια καὶ τρυγῶντες τὰς ἀμπέλους οὔτε ἤροσαν, ὦ παῖ, ταῦτα οὔτε ἐφύτευσαν, ἀλλ´ αὐτόματα ἡ γῆ σφίσιν ἀναπέμπει ταῦτα· εἰσὶ γὰρ δὴ Κύκλωπες, οἷς οὐκ οἶδα ἐξ ὅτου τὴν γῆν οἱ ποιηταὶ βούλονται αὐτοφυᾶ εἶναι ὧν φέρει. Πεποίηται δὲ αὐτοὺς καὶ ποιμένας τὰ πρόβατα βόσκουσα, ποτόν τε τὸ γάλα τούτων ἡγοῦνται καὶ ὄψον. Οἱ δ´ οὔτ´ ἀγορὰν γινώσκουσιν οὔτε βουλευτήριον, οὐδὲ οἶκον, ἀλλὰ τὰ ῥήγματα ἐσοικισάμενοι τοῦ ὄρους. Τοὺς μὲν ἄλλους ἔα, Πολύφημος δὲ ὁ τοῦ Ποσειδῶνος ἀγριώτατος αὐτῶν οἰκεῖ ἐνταῦθα, μίαν μὲν ὑπερτείνων ὀφρὺν τοῦ ὀφθαλμοῦ ἑνὸς ὄντος, πλατείᾳ δὲ τῇ ῥινὶ ἐπιβαίνων τοῦ χείλους καὶ σιτούμενος τοὺς ἀνθρώπους ὥσπερ τῶν λεόντων οἱ ὠμοί. Νυνὶ δὲ ἀπέχεται τοῦ τοιούτου σιτίου, ὡς μὴ βορὸς μηδὲ ἀηδὴς φαίνοιτο· ἐρᾷ γὰρ τῆς Γαλατείας παιζούσης ἐς τουτὶ τὸ πέλαγος ἀφιστορῶν αὐτὴν ἀπὸ τοῦ ὄρους. Καὶ ἡ μὲν σύριγξ ἔτι ὑπὸ μάλης καὶ ἀτρεμεῖ, ἔστι δ´ αὐτῷ ποιμενικὸν ᾆσμα, ὡς λευκή τε εἴη καὶ γαῦρος καὶ ἡδίων ὄμφακος καὶ ὡς νεβροὺς τῇ Γαλατείᾳ σκυμνεύει καὶ ἄρκτους. ᾌδει δὲ ὑπὸ πρίνῳ ταῦτα, οὐδ´ ὅπου αὐτῷ τὰ πρόβατα νέμεται εἰδὼς οὐδ´ ὁπόσα ἐστὶν οὐδ´ ὅπου ἡ γῆ ἔτι. Ὄρειός τε καὶ δεινὸς γέγραπται χαίτην μὲν ἀνασείων ὀρθὴν καὶ ἀμφιλαφῆ πίτυος δίκην, καρχάρους δὲ ὑποφαίνων ὀδόντας ἐκ βοροῦ τοῦ γενείου, στέρνον τε καὶ γαστέρα καὶ τὸ εἰς ὄνυχα ἧκον λάσιος πάντα. Καὶ βλέπειν μὲν ἥμερόν φησιν, ἐπειδὴ ἐρᾷ, ἄγριον δὲ ὁρᾷ καὶ ὑποκαθήμενον ἔτι καθάπερ τὰ θηρία τὰ ἀνάγκης ἡττώμενα. Ἡ δὲ ἐν ἁπαλῇ τῇ θαλάσσῃ παίζει τέτρωρον δελφίνων ξυνάγουσα ὁμοζυγούντων καὶ ταὐτὸν πνεόντων, παρθένοι δ´ αὐτοὺς ἄγουσι Τρίτωνος, αἱ δμωαὶ τῆς Γαλατείας, ἐπιστομίζουσαι σφᾶς, εἴ τι ἀγέρωχόν τε καὶ παρὰ τὴν ἡνίαν πράττοιεν. Ἡ δ´ ὑπὲρ κεφαλῆς ἁλιπόρφυρον μὲν λῄδιον ἐς τὸν ζέφυρον αἴρει σκιὰν ἑαυτῇ εἶναι καὶ ἱστίον τῷ ἅρματι, ἀφ´ οὗ καὶ αὐγή τις ἐπὶ τὸ μέτωπον καὶ τὴν κεφαλὴν ἥκει οὔπω ἡδίων τοῦ τῆς παρειᾶς ἄνθους, αἱ κόμαι δ´ αὐτῆς οὐκ ἀνεῖνται τῷ ζεφύρῳ· διάβροχοι γὰρ δή εἰσι καὶ κρείττους τοῦ ἀνέμου. Καὶ μὴν καὶ ἀγκὼν δεξιὸς ἔκκειται λευκὸν διακλίνων πῆχυν καὶ ἀναπαύων τοὺς δακτύλους πρὸς ἁπαλῷ τῷ ὤμῳ καὶ ὠλέναι ὑποκυμαίνουσι καὶ μαζὸς ὑπανίσταται καὶ οὐδὲ τὴν ἐπιγουνίδα ἐκλείπει ἡ ὥρα. Ὁ ταρσὸς δὲ καὶ ἡ συναπολήγουσα αὐτῷ χάρις ἔφαλος, ὦ παῖ, γέγραπται καὶ ἐπιψαύει τῆς θαλάττης οἷον κυβερνῶν τὸ ἅρμα. Θαῦμα οἱ ὀφθαλμοί· βλέπουσι γὰρ ὑπερόριόν τι καὶ συναπιὸν τῷ μήκει τοῦ πελάγους.

XVIII. LE CYCLOPE.

Ces moissonneurs (a) et ces vendangeurs que tu vois, mon enfant, n'ont fait ni semailles ni plantations ; le sol de lui-même produit pour eux la vigne et les moissons. Ce sont en effet des Cyclopes, pour lesquels comme le veulent les poètes, je ne sais pour quel motif, la terre est fertile sans culture. La terre a donc fait d'eux des pasteurs, en nourrissant leurs troupeaux dont le lait leur sert de boisson et d'aliment. Ils n'ont ni place publique ni un lieu pour délibérer, ni demeures privées; ils habitent les cavités de la montagne. Négligeant tous les autres, considère en cet endroit le plus sauvage d'entre eux, Polyphème, fils de Poséidon; son unique sourcil dessine un arc sur son œil unique ; son nez aplati descend sur sa lèvre. Voilà le monstre qui dévore les hommes comme un lion féroce, mais en ce moment il ne songe point à un tel repas, ne voulant paraître ni vorace ni odieux ; car il aime Galatée qui prend ses ébats dans cette mer, et la contemple du haut de la montagne. La syrinx est encore sous son bras ; immobile, il chante, à la manière des pasteurs, que Galatée est blanche et fière et plus douce que le raisin, et que pour Galatée il élève des faons et des petits ours. Il chante ainsi sous une yeuse, et pendant ce temps, ne sait ni où paissent ses brebis, ni combien elles sont, ni où est la terre. Le peintre lui a conservé l'aspect sauvage et terrible ; il secoue une chevelure épaisse et droite comme un pin ; ses mâchoires voraces découvrent des dents aiguës ; sa poitrine, son ventre, ses bras jusqu'aux ongles, tout est velu. Il veut prendre une tendre expression, conforme à son amour ; mais son regard a quelque chose de sauvage et de sournois, comme celui des bêtes féroces, quand 444 elles cèdent à la nécessité. Galatée, de son côté, se joue noblement sur les flots, menant un attelage de quatre dauphins unis par les mêmes sentiments comme par le même joug, et que dirigent, à l'aide du frein, les filles de Triton, servantes de Galatée, pour prévenir toute incartade de leur part, toute rébellion contre les rênes. Au-dessus de sa tête, elle déploie au souffle du zéphyr une étoffe légère couleur de pourpre qui lui donne de l'ombre, sert de voile au char, éclaire son front et sa tête d'un reflet charmant, moins charmant cependant que l'incarnat de ses joues. Ses cheveux ne flottent point au gré du vent ; chargés d'eau, ils défient les efforts du zéphyr. Le coude droit est en saillie, et l'avant-bras, d'une éclatante blancheur, s'incline au point que les doigts reposent sur l'épaule délicate de Galatée. Ses bras ont de molles rondeurs (b), les seins ont de la fermeté ; le genou même a sa grâce. Le pied, d'une délicatesse conforme à la beauté de l'ensemble, pose sur la mer et l'effleure comme pour servir de gouvernail au char. Les yeux sont une merveille ; leurs regards, comme perdus dans l'espace, semblent atteindre les dernières limites de la mer.

COMMENTAIRE

Les poètes ont feint que Polyphème, fils de Poséidon, s'était épris d'une nymphe de la mer. Un monstre sans pitié implorant la compassion d'une femme, le sauvage habitant d'une île redoutée apprenant à chanter, à jouer de la syrinx ou de la lyre pour attendrir celle qu'il aimait: c'était là une victoire de l'amour, digne d'être célébrée ! Aussi le fut-elle par Philoxénos, par Callimaque, par Théocrite, par Ovide, par Virgile. Le sujet sollicita également l'imagination des artistes ; si le peintre ou le sculpteur ne pouvait faire entendre les plaintes harmonieuses de Polyphème, du moins il avait une scène gracieuse à montrer, Galatée se jouant au milieu des flots et passant, indifférente et superbe, devant son étrange amant. Mais comment représenter Polyphème ? Les poètes en avaient fait un monstre horrible. « Rien n'est prodigieux comme ce géant, dit Ulysse dans Homère, il ne ressemble pas aux autres humains qui se nourrissent de froment, mais au sommet touffu d'une haute montagne entièrement isolée (1). » Il n'a qu'un œil, comme l'apprend la suite du récit homérique, et cependant ce n'est pas ce détail qui paraît avoir surpris tout d'abord Ulysse et ses compagnons. Dans Théocrite, il fait lui-même son portrait : « J'ai un épais sourcil qui s'étend sur mon front de l'une à l'autre oreille ; je n'ai qu'un œil, et un long nez descend sur ma lèvre (2). » Ramener le géant à des proportions plus humaines, ennoblir ses 445 traits, lui donner deux yeux comme à tout autre mortel ou bien ouvrir sur son front un troisième œil qui sans déparer le visage aidât à reconnaître Polyphème, c'était là un parti conforme aux habitudes de l'art, mais, d'un autre côté, contraire à l'esprit de la légende et peut-être à l'intérêt du sujet. Si Galatée dédaigne Polyphème, c'est à cause de sa laideur ; qu'il perde son air farouche, qu'il prenne des traits réguliers, qu'il devienne presque beau, il mérite autant d'être aimé que le bel Acis. Et de fait, les artistes qui ont représenté un Polyphème aimable, semblent aussi avoir changé toute la légende. Dans une peinture de Pompéi (3), Éros monté sur un dauphin apporte un diptychon ou lettre d'amour au Cyclope. Galatée consent à répondre; elle n'est plus sans doute insensible. Une autre peinture (4) nous montre, entre un Polyphème qui le menton dans sa main semble être dans l'attitude de l'attente, et une jeune fille, Galatée, reconnaissable à l'éventail, son attribut ordinaire, une autre femme qui paraît être une messagère envoyée par le Cyclope à la Néréide ; quand deux amants ne se fuient pas, quand ils consentent à se servir d'un intermédiaire, ils sont bien près de s'entendre. Ailleurs on a cru reconnaître un Polyphème dans un personnage qui embrasse une Galatée. Dans cette modification de la légende primitive, les poètes avaient peut-être précédé les artistes : une églogue de Théocrite nous montre Galatée lançant des pommes au troupeau de Polyphème, et Polyphème feignant d'aimer une autre femme. Chose singulière et bien digne de remarque ! le poète en nous représentant Galatée sensible à l'amour de Polyphème cherche, dirait-on, à atténuer l'idée de laideur que ce nom peut réveiller. « Je ne suis pas si laid, qu'on veut bien le dire, s'écrie le Cyclope; l'autre jour la mer était calme ; je me regardais dans l'eau ; ma barbe me parut belle à voir, belle aussi cette unique prunelle ; mes dents brillaient blanches et polies comme le marbre de Paros (5). » Il semble donc qu'il y ait eu deux manières différentes de concevoir ce sujet : ou Galatée fuit Polyphème, et alors le Cyclope demeure tel que l'a dépeint Homère, ou elle se laisse toucher par l'amour du Cyclope, et le Cyclope cesse d'être un monstre effrayant. Les œuvres d'art qui sont parvenues jusqu'à nous se rapporteraient plutôt à cette seconde manière, le tableau décrit par Philostrate tient plus de la tradition primitive.

Sera-ce une raison pour croire ce tableau sorti tout entier de l'imagination du sophiste, pour assurer que jamais artiste grec n'aurait représenté un Polyphème velu, avec un nés aplati et un œil unique? Nous ne le croyons pas. D'abord, il y avait bien quelque avantage, dans l'intérêt même du sujet, nous l'avons fait observer plus haut, à ne point changer un monstre 446 épouvantable en un pasteur d'églogue, et il est impossible qu'un artiste, entre beaucoup, ne l'ait pas remarqué. Ensuite, tout en admettant un certain rapport entre le Cyclope du tableau et le Polyphème homérique, il n'est point nécessaire de se représenter un monstre de laideur. Polyphème, comme dans les peintures de Pompéi, avait sans doute trois yeux, deux à la place ordinaire, le troisième au milieu du front; toutefois, comme Philostrate parle d'un œil unique, il est probable qu'il s'agit de l'œil du front, et que deux cavités indiquaient l'emplacement des deux autres yeux. Un masque antique trouvé à Lyon et reproduit par Millin (6), une gemme d'ailleurs assez grossière du Musée de Berlin (7), nous montrent que cette manière de représenter Polyphème n'était pas tout à fait étrangère à l'art antique. Dans un groupe en marbre représentant Polyphème et les compagnons d'Ulysse (8), le géant a trois yeux; celui du front, contrairement à l'usage de la statuaire, a la prunelle bien marquée ; les deux autres ressemblent à tous les yeux de statues. Pourquoi un pareil parti n'eût-il pas été adopté par la peinture ? Cela eût été d'autant plus aisé que la peinture a l'habitude de représenter les prunelles ; en ne donnant de prunelle qu'à un œil sur trois c'eût été indiquer suffisamment que les deux autres ne voyaient pas. Enfin, si Polyphème est velu, il est à remarquer qu'il ne l'était peut-être pas sur toutes les parties du corps, et qu'enfin la peinture, la sculpture même nous offrent des exemples analogues : ici ce sera un Pappo-Silène, là un géant, là un centaure (9). Ce qui eût été laid et insoutenable pour les yeux, c'eût été un corps humain entièrement velu; des touffes de poils, habilement disposées, laissant paraître les plans les plus étendus, les muscles les plus importants du corps, devaient plaire comme moyen de contraste et comme expression de la force, sans nuire à la beauté de l'ensemble. D'ailleurs, comme nous croyons l'avoir montré dans l'Introduction, à propos des représentations mêmes de Polyphème, la beauté d'un même personnage ne reste pas la même à toutes les époques de l'art ; vrai pasteur d'idylle dans tel tableau, ailleurs le cyclope est un paysan aux formes lourdes et à l'aspect demi-sauvage.

Des commentateurs convaincus que le Polyphème des poètes ne pouvait être en aucun cas celui des artistes, ont imaginé que Philostrate avait décrit Polyphème, non d'après le tableau qu'il avait sous les yeux, mais d'après ses souvenirs de lettré. Les mêmes critiques veulent exclure de la composition les Cyclopes semant et récoltant. C'est l'imagination de Philostrate, disent-ils, qui a peuplé l'île de Polyphème. Ces deux suppositions nous paraissent aussi in-vraisemblables l'une que l'autre. Pour les Cyclopes, le texte est précis ; le tour 447 de phrase ne prête pas à l'équivoque. Philostrate montre les personnages dont il parle. Quant à Polyphème, est-il vraisemblable que le rhéteur l'eût décrit comme un monstre, si le peintre en avait fait un pasteur aimable, aux traits nobles et réguliers? Et s'il eût songé à rappeler ici le Polyphème homérique, n'aurait-ce pas été pour le comparer au Polyphème qu'il avait sous les yeux? Faut-il aussi justifier la syrinx que tient Polyphème? Il est certain que dans les tableaux d'Herculanum le géant a une lyre entre les mains ; mais la syrinx convient encore mieux que la lyre à un pasteur. L'artiste même d'Herculanum ne lui a donné qu'une lyre grossière et comme rustique, craignant sans doute qu'on ne l'accusât de n'avoir rien laissé à Polyphème qui rappelât la vie toute pastorale et même sauvage des Cyclopes. La syrinx que tient Polyphème dans le groupe du Vatican cité plus haut, n'est pas antique ; mais si le restaurateur doit être blâmé, ce n'est pas pour avoir cru que la syrinx convenait à Polyphème, c'est pour lui avoir mis cet instrument entre les mains au moment où il s'apprête à tuer un des compagnons d'Ulysse.

Considérons maintenant Galatée et son cortège. Dans les peintures d'Herculanum et de Pompéi (10), tantôt Galatée est montée sur un dauphin, tantôt elle se contente d'appuyer la main ou le coude sur la tête de l'animal; souvent elle tient à la main une espèce d'éventail, semblable à une large feuille; quelquefois elle laisse flotter au-dessus de sa tête le pli de son vêtement. Là où son cortège est le plus nombreux, il est composé d'un amour qui volant au-dessus d'elle la couvre d'une espèce de parasol, et d'un Triton soufflant dans une conque. Ces différences ont surpris les commentateurs, comme si les peintures de la galerie de Naples devaient avoir été copiées sur celles d'Herculanum et de Pompéï ! Galatée est montée sur un char attelé de quatre dauphins ; des Tritons la précèdent tenant les rênes : c'est là une pompe solennelle pour une simple Néréide, disent les critiques, comme si la fantaisie de l'artiste n'avait pu élever Galatée à la dignité d'une Amphitrite 1 Galatée ne tient pas les rênes ; elle risque de tomber, elle devait inspirer au spectateur des inquiétudes préjudiciables à l'admiration du personnage et de l'œuvre elle-même; comme si la chute était à redouter sur les flots pour une divinité marine, comme si les anciens artistes ne nous montraient pas en bien des circonstances des personnages se tenant sur un char et le conduisant sans l'aide des rênes ! Brunn cite un diptyque qui représente Diane montée sur un char et tenant un flambeau à deux mains (11). Les rênes reposent quelquefois sur le bord du char comme dans une mosaïque, dont le sujet est le triomphe de Poséidon et d'Amphitrite (12). Sur telle frise (13), des 448 Amazones, montées sur leur char, se retournent pour tirer de Tare contre les ennemis qui les poursuivent, ou combattent avec le bouclier dans une main, la lance dans l'autre. Enfin, dit-on encore, le mouvement de la main droite n'est pas clair et paraît forcé; comme si la main qui tenait la draperie formant autour de la tête une espèce de nimbe ne pouvait pas s'infléchir de manière à effleurer presque l'épaule du bout des doigts. Dans une fresque de Pompéi (14), une femme assise sur un plafond et sous une espèce de dais, nous offre à peu près la même attitude; comme Galatée, elle déploie un voile autour de sa tête, comme Galatée, elle le retient de sa main droite qui toucherait l'épaule, si elle était un peu plus abaissée. Cette attitude n'avait point semblé contrainte et disgracieuse à Raphaël qui en a donné une toute semblable à sa Galatée. On ne peut même pas prétendre qu'un sophiste seul a pu assimiler à une voile de navire l'écharpe de Galatée, ainsi suspendue au-dessus du char. Dans une peinture campanienne (15) qui représente Aphrodite promenée sur les eaux par un centaure marin, deux amours tiennent chacun par une extrémité, au-dessus de la déesse, une draperie que deux divinités aériennes, deux vents favorables, gonflent à l'envi de leur souffle. Enfin, dire que le pied de Galatée servait de gouvernail au char, est peut-être un raffinement de rhéteur ; mais ce pied qui sort du char ne doit pas nous surprendre; dans le diptyque cité plus haut, Diane Lucifère pose le genou droit sur le bord du char, et de son pied gauche effleure une roue. Les roues du char de Galatée n'apparaissaient pas sans doute ; elles étaient plongées dans l'eau.

Les dauphins qui traînaient le char de Galatée étaient conduits par les filles de Triton. Cette expression nous indique assez sous quelle forme nous devons nous les représenter. Le Triton est moitié homme, moitié monstre marin ; les Tritonides, élevant au-dessus de l'eau une tête et une poitrine de femme, devaient se terminer par une queue de poisson à replis multiples. Les monuments sur lesquels nous reconnaissons les Tritonides sont assez rares; ils ne sont pas introuvables toutefois. Jahn décrivant un bas-relief de la Glyptothèque de Munich, qui d'ailleurs nous montre des Néréides avec les formes entièrement féminines, cite comme exemple de la conception contraire un sarcophage de la galerie Giustiniani, une peinture murale des Thermes de Titus et une gemme représentant une famille de Tritons (16). A ces exemples il faut ajouter un fragment de coupe découvert à Blisnilza (17).

 

(1) Stéphani, Compte rendu delà Commission arch. de Saini-Petersb., 13CG, p. 82

(1) Od., ch. ix, 190.

(2) Théocr., le Cyclope, v. 31, 32.

(3) Helbig, Wandg., 1048.

(4) Ibid., 1050.

(5) Théocr., ibid., VI, 34. Sur los modifications de cette légende, voir Helbig, Polyphemoe und Galateia, Symbola phil. Bonnens, p. 361.

(6) Millin, G. M, pl .CLXXIV, n° 631.

(7) Tölken, IV, n° 385.

(8) Overb., die Bildw., p. 76S, η° 17, Taf. XXI, n° 19.

(9) Voir un Faune et un Silène, Antiq. d'Hercul, I, 171, 175; un géant, Bullet. Nap., II, t. 6; un centaure femelle, Ant. d'Herc., III, 97 et les centaurée d'Aristeas et Papias au musée du Capitole.

(10) Helbig, Wandg., n° 1042-1049.

(11) Millin, G. M., 34, 121.

(12) Delamare, Explicat. scientif. de l'Algérie, pl. CXLI et CXLII. Cette mosaïque est au Louvre (Cat. n° 49).

(13) Museo Barb., II, P. AA. Roux, Herc et Pomp., I, pl. LVII.

(14) L. Barré, Ruines de Pompéi, IIe partie, pl. XXVI; Roux, I, pl. CI et CII.

(15) Helbig, Wandg., n° 303; Zahn, III, 4. Cf. Symbola phihl. Bonn., p. 372. Dans cette même peinture, la main d'Aphrodite est placée comme celle de Galatée dans notre tableau, et l'eau mouille un des pieds de la déesse. M. Helbig remarque à cette occasion que la peinture campanienne peut aider à confirmer l'authenticité des tableaux décrits par Philostrate. D'ailleurs M. Helbig croit avec Brunn que dans cette description du tableau du Cyclope la rentable description ne commence qu'après le portrait de Polyphème. Selon nous, le texte est très net et n'autorise cette opinion d'aucune manière.

(16) Jahn, Berich. d. kön sachs. Gessell. d. Wiss., 5 aug. 1854, p. 187.

(17) Stéphani, Compte rendu de la Commission arc. de Saint-Petersb., 1866, p. 82

 

ΦΟΡΒΑΣ

Ὁ μὲν ποταμός, ὦ παῖ, Κηφισὸς Βοιώτιός τε καὶ οὐ τῶν ἀμούσων, σκηνοῦσι δ´ ἐπ´ αὐτῷ Φλεγύαι βάρβαροι πόλεις οὔπω ὄντες. Οἱ δὲ πυκτεύοντες τόν τε οἶμαι Ἀπόλλωνα ὁρᾷς, ὁ δ´ αὖ Φόρβας ἐστίν, ὃν ἐστήσαντο οἱ Φλεγύαι βασιλέα, ἐπειδὴ μέγας παρὰ πάντας οὗτος καὶ ὠμότατος τοῦ ἔθνους. Πυκτεύει δὲ Ἀπόλλων πρὸς αὐτὸν ὑπὲρ τῶν παρόδων. Τὴν γὰρ εὐθὺ Φωκέων τε καὶ Δελφῶν ὁδὸν κατασχὼν οὔτε θύει Πυθοῖ οὐδεὶς ἔτι οὔτε παιᾶνας ἀπάγει τῷ θεῷ, χρησμοί τε καὶ λόγια καὶ ὀμφαὶ τρίποδος ἐκλέλειπται πάντα. Λῃστεύει δὲ τῶν ἄλλων Φλεγυῶν ἀποτάξας ἑαυτόν· τὴν γὰρ δρῦν, ὦ παῖ, ταύτην οἶκον πεποίηται, καὶ παρ´ αὐτὸν φοιτῶσιν οἱ Φλεγύαι δικασόμενοι δήπου ἐν τοῖς βασιλείοις τούτοις. Τοὺς δὲ βαδίζοντας ἐς τὸ ἱερὸν λαμβάνων γέροντας μὲν καὶ παῖδας εἰς τὸ κοινὸν τῶν Φλεγυῶν πέμπει λῄζεσθαί τε καὶ ἀποινᾶν, τοῖς δὲ ἐρρωμενεστέροις ἀνταποδύεται καὶ τοὺς μὲν καταπαλαίει, τοὺς δὲ ὑπερτρέχει, τοὺς δὲ παγκρατίῳ αἱρεῖ καὶ ὑπερβολαῖς δίσκων κεφαλάς τε ἀποκόπτων ἀνάπτει τῆς δρυὸς καὶ ὑπὸ τούτῳ ζῇ τῷ λύθρῳ, αἱ δ´ ἀπήρτηνται τῶν πτόρθων μυδῶσαι καὶ τὰς μὲν αὔους ὁρᾷς, τὰς δὲ προσφάτους, αἱ δὲ εἰς κρανία περιήκουσι, σεσήρασι δὲ καὶ ὀλολύζειν ἐοίκασιν εἰσπνέοντος αὐτὰς τοῦ ἀνέμου. Φρονοῦντι δὲ αὐτῷ ταῖς Ὀλυμπιάσι ταύταις ἥκει ὁ Ἀπόλλων εἰκάσας ἑαυτὸν μειρακίῳ πύκτῃ. Καὶ τὸ μὲν τοῦ θεοῦ εἶδος ἀκειρεκόμης, ὦ παῖ, γέγραπται καὶ τὰς χαίτας ἀνειληφώς, ἵνα εὐζώνῳ τῇ κεφαλῇ πυκτεύῃ, ἀκτῖνες δὲ ἀπανίστανται πέριξ τοῦ μετώπου καὶ μειδίαμα θυμῷ συγκεκραμένον ἡ παρειὰ πέμπει βολαί τε ὀφθαλμῶν εὔσκοποι καὶ συνεξαίρουσαι ταῖς χερσίν· αἱ δὲ ἐνήψαντο τοὺς ἱμάντας ἡδίους 〈ἢ〉 εἰ στέφανοι περὶ αὐταῖς ἦσαν. Πεπύκτευται δὲ αὐτὸν ἤδη—τὸ γὰρ ἐμβεβληκὸς τῆς δεξιᾶς ἐνεργὸν ἔτι δηλοῖ τὴν χεῖρα καὶ οὔπω καταλύουσαν τὸ σχῆμα, ᾧ ᾕρηκεν—ὁ Φλεγύας δὲ κεῖται ἤδη, καὶ ὁπόσον μὲν ἐπέχει τῆς γῆς ποιητὴς ἐρεῖ, κεχώρηκε δὲ εἰς κρόταφον αὐτῷ τὸ τραῦμα καὶ τὸ αἷμα ὥσπερ ἐκ πηγῆς ἐκδίδοται. Γέγραπται δὲ ὠμὸς καὶ συώδης τὸ εἶδος, οἷος σιτεῖσθαι μᾶλλον τοὺς ξένους ἢ κτείνειν. Τὸ δὲ ἐξ οὐρανοῦ πῦρ σκηπτὸς ἐπὶ τὴν δρῦν φέρεται συμφλέξων τὸ δένδρον, οὐ μὴν ἐξαιρήσων γε τὴν ἐπ´ αὐτῷ μνήμην· τὸ γὰρ χωρίον, ἐν ᾧ ταῦτα, Δρυός, ὦ παῖ, κεφαλαὶ ἔτι.

XIX. PHORBAS.

Ce fleuve, mon enfant, est le Céphise, celui de Béotie, un favori des Muses (a), lui aussi ; sur ces rives tu vois les tentes des Phlégyens, peuple barbare qui n'a point encore de ville. De ces deux personnages qui combattent à coups de poings, l'un est Apollon, je pense, l'autre Phorbas élu roi par les Phlégyens, comme le plus grand entre eux tous et le plus cruel de cette nation. Apollon en est venu aux mains avec lui pour ouvrir le passage, car Phorbas occupant la voie qui conduit directement en Phocide et à Delphes, personne n'offre de sacrifice dans Pytho, personne ne paie au dieu le tribut des péans; prophéties, oracles, voix du trépied, tout est délaissé. Le brigand est posté à l'écart des Phlégyens; tu vois ce chêne, c'est sa demeure ; c'est le palais royal où il reçoit les Phlégyens rassemblés pour rendre la justice. Les vieillards et les enfants qui se rendent au temple, Phorbas les saisit, les envoie au campement des Phlégyens pour y être dépouillés et rançonnés ; quant aux hommes robustes, il les force à jouter avec lui ; il terrasse les uns à la lutte, devance les autres à la course, est vainqueur au pancrace comme au disque ; puis coupant les têtes de ses victimes, il les suspend à son chêne et vit sous ces dépouilles sanglantes qui se balançant aux branches distillent la pourriture. Tu aperçois ces têtes ; celles-ci sont desséchées ; celles-là sont récentes ; en voici d'autres dont le crâne est à nu, qui entrebâillent les dents et qui paraissent gémir, traversées par le souffle du vent. Pendant que Phorbas s'enorgueillit de ces triomphes dignes d'Olympie, Apollon se présente dans l'appareil d'un jeune pugil ; le dieu se reconnaît d'ailleurs à sa longue chevelure rattachée par une bandelette, afin de combattre, pour ainsi dire, la tête armée à la légère; des rayons s'échappent de ses yeux, ses joues se contractent à la fois par l'effet du sourire et de la colère ; le regard perçant vise au but avec justesse et s'élève avec les mains elles-mêmes (b), ses mains sont enlacées dans les courroies ; elles seraient plus belles si elles étaient chargées de couronnes. La lutte est déjà terminée; la main assénée avec force conserve encore la position qu'elle a prise pour le coup décisif ; le Phlégyen couvre le sol de son corps, le poète dira sur quelle étendue. La tempe est ouverte, et le 450 sang s'échappe de la blessure comme l'eau d'une source. A voir l'air féroce, l'aspect de sanglier que le peintre a donné au monstre, on le croirait plus capable de manger les étrangers vivants que de les tuer par passe-temps. La foudre lancée du ciel tombe sur l'arbre et doit l'embraser, sans pourtant en effacer la mémoire : car le lieu, témoin de ces horreurs, s'appelle encore, mon enfant, « les têtes de chêne » (c).

COMMENTAIRE

On voit encore près de Coronée, sur une hauteur (1), les ruines d'une ancienne ville, Panopée, qui dominait la route menant de Béotie en Phocide, du lac Copaïs à Delphes. Panopée était la principale forteresse des Phlégyens, peuple de brigands, qui répandaient la terreur dans toute la contrée voisine. Ils ne tenaient aucun compte de Jupiter, dit Homère, et c'est là, dans l'antiquité homérique, le plus grand outrage qui puisse être adressé à un peuple. Phlegyas, un de leurs rois, et probablement le plus renommé, puisque après lui la contrée s'appela de son nom Phlegyanthide, subissait dans les enfers un supplice cruel : c'est lui qui dans Virgile s'écrie au milieu de l'épaisse nuit des enfers : Apprenez par mon exemple à être juste et à ne pas mépriser les dieux (2). Phlegyas expiait sans doute quelque attentat à la majesté divine. Tout prêts à braver le souverain des dieux, les Phlégyens n'étaient point capables de respecter la puissance d'Apollon. Selon Pausanias (3), les Phlégyens avaient poussé l'insolence jusqu'à attaquer le temple d'Apollon delphien: ils furent presque tous exterminés par la foudre ou engloutis dans un tremblement de terre. Enfin la Fable parle d'un roi phlégyen du nom de Phorbas qui, posté à Panopée, interceptait la route de Delphes à tous les étrangers qui venaient consulter Apollon et lui offrir des sacrifices.

Le sujet de notre tableau est emprunté à cette légende: doué d'une force extraordinaire, Phorbas provoquait soit à la course, soit à la lutte, soit au pugilat, les adorateurs du dieu. La Fable imagina qu'Apollon, acceptant le défi de Phorbas, avait pris les cestes pour vaincre le brigand qui en déshonorait l'usage. La beauté du dieu opposée à la laideur d'une espèce de monstre, la force vaincue par l'adresse, l'impiété et l'insolente confiance en soi terrassée par ses propres armes, tels étaient les avantages du sujet choisi par l'artiste. Si on veut bien se rappeler quel parti les artistes modernes ont tiré soit de la lutte de David contre le géant Goliath, soit du combat de l'archange saint Michel contre le démon, on ne sera pas surpris de voir un peintre grec représenter la victoire d'Apollon sur Phorbas. C'est le principe même de l'art qui semble triompher avec le dieu, comme avec saint Michel; la force et la 451 beauté, en s'unissant dans le même personnage, en se manifestant par une action nécessairement gracieuse, et cependant d'une redoutable énergie, se prêtent un mutuel éclat, et satisfont tous les besoins de notre esprit, aussi amoureux de la puissance que de la forme irréprochable.

Les œuvres d'art qui nous restent, ne nous montrent point, il est vrai, Apollon armé de cestes. Ses armes ordinaires sont l'arc et les flèches ; quelquefois, comme l'Apollon de la collection Stroganoff, il tient l'égide redoutable, c'est-à-dire une tête de Méduse s'épanouissant sur un fragment de peau. Mais Apollon passait pour avoir vaincu Arès au pugilat, comme Hermès à la course (4), et c'est pour ce motif, dit Pausanias, c'est en souvenir de cette victoire que la danse des athlètes, nommés Pantathles, était accompagnée par la flûte sur le mode pythique. Le scholiaste d'Homère (5), après avoir raconté la victoire d'Apollon sur Phorbas, nous apprend qu'à partir de ce moment le dieu fut regardé comme un « éphore » ou surveillant du pugilat. Enfin, dans les gymnases et les palestres, Héraclès, Hermès et Apollon étaient souvent réunis. Héraclès, c'était la force physique ; Hermès, c'était l'adresse ; Apollon, c'était la grâce dans l'emploi de la force et de l'adresse. Dans un semblable groupe, Apollon était-il représenté, les mains garnies des cestes, l'une en posture de parer, l'autre d'asséner un coup comme telle statue ou telle image de pugiliste dans nos musées et sur les vases antiques ? c'est ce que nous ne saurions dire; mais ni cette attitude ni ces armes, attachées autour des bras par des courroies qui fixaient un réseau aux larges mailles et ne cachaient point le nu, n'étaient de nature, selon nous, à déparer l'élégance obligée d'un Apollon (6). Pour revenir à notre tableau, la main qui avait frappé était restée suspendue en l'air; comme Phorbas est à terre, qu'il est blessé à la tète, qu'il a une taille de géant, il est probable que le coup avait été porté de bas en haut; l'adversaire d'Apollon était tombé avant même que le dieu eût eu le temps de ramener sa main près du corps ; c'était du moins la supposition faite par l'artiste qui avait voulu montrer à la fois et l'issue du combat et le geste qui avait décidé la victoire en faveur d'Apollon. Il avait donc, comme le pugiliste du Musée de Dresde, les deux bras jetés en avant, l'un un peu plus haut, l'autre un peu plus bas.

Le dieu avait la tête entourée d'une bandelette pour combattre, dit le sophiste, plus à la légère. Les athlètes, en effet, ont presque toujours sur les monuments grecs les cheveux ou tondus ou assez courts; quand ils sont 452 longs, une bandelette passant derrière l'oreille les comprime et les maintient (7) ; nous ne parlons pas des athlètes romains dont les cheveux ramassés en touffe étaient noués sur le sommet de la tête. Apollon, à qui les poètes et les artistes donnent une longue chevelure flottante, ne pouvait pas se passer de la bandelette pour lutter contre Phorbas ; il faut reconnaître cependant qu'Apollon porte quelquefois la bandelette, alors même qu'il n'est point armé des cestes et qu'il n'est point conçu comme le dieu du pugilat (8); sans doute la bandelette, qui dans les cérémonies du culte orne les victimes, les prêtres et les prêtresses, désigne le dieu qui annonce l'avenir, et dont le poète grec dit, à la vue de sa statue : « Il semble qu'on entende sa voix prophétique et que par ses oracles il dissipe les maux des mortels (9). » Cette bandelette n'aurait-elle point convenu dans notre tableau au dieu qui avait quitté tout exprès le trépied prophétique de Delphes pour se venger de Phorbas, l'ennemi de son temple, et rouvrir aux peuples consternés le chemin de ses oracles, trop longtemps muets et délaissés ? Oui, sans doute, mais, dans ce cas, l'artiste aurait sans doute conservé au dieu sa chevelure longue et flottante, « qui descend en boucles frisées sur les deux épaules ». Tel nous apparaît un buste que les archéologues rapportent à l'époque de Phidias (10) : Apollon porte la ténia, mais elle n'empêche point les cheveux de retomber en anneaux de chaque côté de la figure. Apollon, sans ses longs cheveux et la tête ceinte d'une bandelette, est bien un Apollon pugiliste, et l'explication de Philostrate doit nous paraître fondée de tout point.

Phorbas, étendu sur le sol, baignait dans son sang ; des têtes décharnées étaient suspendues aux branches d'un chêne. Nous avons montré ailleurs que les anciens n'ont pas toujours craint, en étalant aux yeux de tels spectacles, d'offenser Indélicatesse du spectateur, et que douter de l'authenticité d'un tableau antique, parce qu'il est conçu dans un style réaliste, c'est mal raisonner et méconnaître la variabilité inhérente à l'art lui-même qui, après avoir épuisé les émotions douces, cherche naturellement à exciter les émotions les plus fortes.

 

(1) Au sud d'un village appelé Ἄγιος βλάσις. Cf. Bursian, Geogr. von Griech., I, Band, p. 168.

(2) Virg., Aen., VI, 618.

(3) Paus., IX, 36, 2 et 3.

(4) Paus., v, 7, 10.

(5) Il., 23, 660 (Dindorf, IV, 326).

(6) Les Amours ou les Génies portent quelquefois les cestes ; tantôt comme dans un bas-relief de Florence (Müll.-Wies., II, 653b) l'extrémité des doigts dépasse seule le ceste maintenu sur la main par des courroies qui couvrent le poignet de leur réseau ; tantôt, comme dans une peinture de Pompéi (Roux, V, 37), le ceste est une espèce de gant qui en laissant toujours libre l'extrémité des doigts, monte jusqu'au coude ; il n'y a plus trace de courroie. Dans les deux cas, le ceste est loin de nuire à la grâce de l'enfant qui en est armé.

(7) Vase du Musée de Naples, Bull. Nap., IV, 5, t. V, 10, 20.

(8) Müller-Wiesel, D. d. a. Κ., II, n° 118, 118a.

(9) Ibid., n° 119.

(10) Anthol. pal., II, LI. Le poète Christodore de Coptos décrit trois statues d'Apollon qui se trouvaient dans le gymnase public, le Zeuxippe. Il est assez remarquable que toutes ces statues représentent le dieu prophète, aucune, le dieu pugiliste. Les statues d'Apollon, comme les autres que l'on voyait dans le Zeuxippe, n'avaient pas été sans doute destinées primitivement à orner un gymnase.

 

ΑΤΛΑΣ

Καὶ Ἄτλαντι ὁ Ἡρακλῆς οὐδὲ προστάξαντος Εὐρυσθέως ἤρισεν, ὡς τὸν οὐρανὸν οἴσων μᾶλλον ἢ ὁ Ἄτλας· τὸν μὲν γὰρ συγκεκυφότα ἑώρα καὶ πεπιεσμένον καὶ κείμενον ἐς γόνυ θάτερον καὶ μικρὰ καταλειπόμενα αὐτῷ τοῦ ἑστάναι, αὐτὸς δ´ ἂν καὶ μετεωρίσαι τὸν οὐρανὸν καὶ στῆσαι ἀναθέμενος εἰς μακρὸν τοῦ χρόνου. Τὸ μὲν δὴ φιλότιμον τοῦτο οὐδαμοῦ ἐκφαίνει, φησὶ δὲ συναλγεῖν τε Ἄτλαντι ἐφ´ οἷς μοχθεῖ καὶ μετασχεῖν ἂν τοῦ ἄχθους αὐτῷ. Ὁ δ´ οὕτω τι ἄσμενος εἴληπται τοῦ Ἡρακλέους, ὡς ἱκετεύειν αὐτὸν τλῆναι ταῦτα. Γέγραπται δὲ ὁ μὲν ἀπειρηκώς, ὡς ἱδρῶτι συμβάλλεσθαι, ὁπόσος ἀπ´ αὐτοῦ στάζει, βραχίονός τε ξυνεῖναι τρέμοντος, ὁ δὲ ἐρᾷ τοῦ ἄθλου. Δηλοῖ δὲ τοῦτο ἥ τε ὁρμὴ τοῦ προσώπου καὶ τὸ ῥόπαλον καταβεβλημένον καὶ αἱ χεῖρες ἀπαιτοῦσαι τὸν ἆθλον. Σκιὰς δὲ τὰς μὲν τοῦ Ἡρακλέους οὔπω θαυμάζειν ἄξιον, εἰ ἔρρωνται [τοῦ ἄθλου]—τὰ γὰρ τῶν κειμένων σχήματα καὶ οἱ ὀρθοὶ μάλα εὔσκιοι, καὶ τὸ ἀκριβοῦν ταῦτα οὔπω σοφόν—αἱ δὲ τοῦ Ἄτλαντος σκιαὶ σοφίας πρόσω· οὑτωσὶ γὰρ τοῦ συνιζηκότος συμπίπτουσί τε ἀλλήλαις καὶ οὐδὲν τῶν ἐκκειμένων ἐπιθολοῦσιν, ἀλλὰ φῶς ἐργάζονται περὶ τὰ κοῖλά τε καὶ εἰσέχοντα· τὴν γαστέρα καὶ προνενευκότος τοῦ Ἄτλαντος ὁρᾶν τε ὑπάρχει καὶ ἀσθμαινούσης ξυνιέναι. Τά τε ἐν τῷ οὐρανῷ, ὃν φέρει, γέγραπται μὲν ἐν αἰθέρι, ὁποῖος περὶ ἀστέρας ἕστηκεν, ἔστι δὲ ξυνεῖναι ταύρου τε, ὃς δὴ ἐν οὐρανῷ ταῦρος, ἄρκτων τε, ὁποῖαι ἐκεῖ ὁρῶνται. Καὶ πνευμάτων τὰ μὲν γέγραπται ξὺν ἀλλήλοις, τὰ δὲ ἐξ ἀλλήλων, καὶ τοῖς μὲν φιλία πρὸς ἄλληλα, τὰ δὲ σῴζειν ἔοικε τὸ ἐν τῷ οὐρανῷ νεῖκος. Νῦν μὲν οὖν ἀναθήσεις ταῦτα, Ἡράκλεις, μετ´ οὐ πολὺ δὲ ξυμβιώσεις αὐτοῖς ἐν τῷ οὐρανῷ πίνων καὶ περιβάλλων τὸ τῆς Ἥβης εἶδος· ἄξῃ γὰρ τὴν νεωτάτην καὶ πρεσβυτάτην τῶν θεῶν, δι´ αὐτὴν γὰρ κἀκεῖνοι νέοι.

XX. ATLAS.

Héraclès, cette fois sans avoir reçu l' ordre d'Eurysthée, lutta aussi contre Atlas, se faisant fort de porter le ciel mieux que le géant qu'il  453 voyait courbant le dos, écrasé sous le poids, appuyé sur un genou et perdant presque l'équilibre : lui au contraire il se sentait capable de soulever le ciel et de se tenir debout sous le fardeau pendant un long temps. Ici, le héros dissimulant tout sentiment de rivalité, dit à Atlas qu'il compatit à ses souffrance et qu'il veut prendre pour lui une part de sa lourde tâche. Atlas non seulement accueille avec joie les offres d'Héraclès, mais il le prie de venir à son secours. A voir dans la peinture son corps ruisselant de sueur, son bras qui tremble, on conjecture, on comprend qu'il cède à la fatigue ; le héros au contraire désire ardemment éprouver ses forces. Tout le prouve, l'empressement peint sur son visage, sa massue jetée à terre, ses mains qui réclament le fardeau. Les ombres sur le corps d'Héraclès sont bien rendues ; mais le succès du peintre ne doit pas nous surprendre (a) ; car dans la position couchée ou verticale l'ombre se prête très bien à l'imitation et la dessiner avec exactitude n'est point un rare mérite ; mais les ombres répandues sur Atlas sont merveilleuses ; comme il est ramassé sur lui-même, elles se couvrent les unes les autres ; les parties saillantes non seulement n'en sont pas obscurcies, mais éclairent par voie de reflet les parties creusées et rentrantes. Aussi sous le buste qui se penche, on distingue aisément le ventre, on croit le voir s'abaisser et se soulever. L'espace éthéré avec les constellations qui font partie du fardeau d'Atlas, a été représenté tel qu'il est ; voici le taureau, c'est bien celui qui brille au ciel ; voilà les ourses, ce sont bien celles qu'on voit là haut; voici les vents ; ceux-ci soufflent ensemble, ceux-là dans des directions différentes ; fidèles ici comme dans le ciel même à leurs amitiés et à leurs haines. Aujourd'hui Héraclès, tu soulèves ces êtres divers, bientôt tu vivras dans le ciel au milieu d'eux, tenant la coupe dans une main, et de l'autre enlaçant la belle Hébé ; car tu dois épouser la plus jeune et la plus âgée des divinités, la plus âgée, car si les dieux aussi ont été jeunes, c'est grâce à elle.

COMMENTAIRE

Pour obéir aux ordres d'Eurysthée, Héraclès se transporta en Mauritanie, pénétra dans le jardin des Hespérides et cueillit les pommes d'or après avoir tué le dragon qui les gardait; suivant d'autres traditions, Héraclès aurait chargé Allas, père des Hespérides, de cueillir pour lui les fruits merveilleux, et"pendant l'absence d'Atlas, aurait, à sa place, soutenu le fardeau du ciel sur ses épaules. Atlas de retour se proposa pour porter lui-même les pommes à Eurysthée ; Héraclès n'était point tenté d'accepter l'offre; d'un autre côté, il y avait quelque danger à la repousser. En effet, si Atlas eût voulu persister 454 dans ses intentions, le héros pliant sous le poids du ciel, n'eût eu aucun moyen de contraindre le géant à reprendre sa place. Que fit Héraclès ? Il feignit de vouloir un coussin pour ses épaules. Atlas, au lieu d'aller le chercher lui-même, reprit son fardeau pour ne plus le quitter. Sur le coffre de Cypsélos (1), Atlas portant le ciel, tenait les pommes dans ses mains; un héros, Héraclès, s'approchait, levant une épée nue ; une légende ironique accompagnait cette représentation :

Atlas que voici soutient le ciel ; mais pour les pommes il les lâchera.

On peut supposer d'après ce vers grec, qu'Atlas comptait garder les pommes comme un gage, jusqu'au retour d'Héraclès. Philostrate ne suit pas cette tradition ; il supprime tout lien entre la fable d'Atlas et celle des Hespérides ; il suppose qu'Héraclès se substitua au Titan, uniquement pour éprouver la résistance de ses épaules.

Dans notre tableau, Héraclès n'a point encore, comme sur plusieurs monuments figurés pris la place d'Atlas (2) ; le Titan a un genou en terre; son dos plie sous le poids. C'est l'attitude de la statue connue sous le nom de l'Atlas Farnèse (3). La sueur ruisselant sur le corps d'Atlas a choqué des commentateurs ; on s'est étonné qu'un peintre antique ait essayé de rendre un détail d'une réalité si vulgaire ; mais outre que l'antiquité n%avait pas à ce sujet les mômes répugnances que nous autres modernes, il se pourrait faire que le sophiste eût vu ou feint de voir plus que l'artiste n'avait représenté; d'une statue qui paraît vivante, on dit: elle parle, elle marche; pourquoi d'une figure exprimant la fatigue, ne dirait-on pas qu'elle est comme baignée de sueur? Pline s'exprime ainsi au sujet de Parrhasius (4) : « Il y a encore de lui deux tableaux célèbres : l'un représente un coureur armé, disputant le prix de la course : on croit le voir suer ; l'autre un coureur déposant ses armes : on croit le voir haleter. » Une épigramme de l'Anthologie sur Thésée et le taureau de Marathon est ainsi conçue : « Tel est le talent de l'auteur de ce bronze que la bête semble respirer et l'homme être couvert de sueur (5). » Philostrate, 455 il est vrai, est plus affirmatif ; mais il a vu aussi le bras trembler, et comme cet effet ne saurait être rendu par la peinture, il faut croire que les deux traits ont été fournis uniquement par l'imagination de Philostrate. Nous savons qu'il aime l'illusion, qu'il s'y prête et qu'il veut que le spectateur s'y prête comme lui.

On peut se demander maintenant si notre Atlas soutenait sur ses épaules un globe comme l'Atlas Farnèse, ou si l'artiste s'était contenté de représenter


 

le ciel avec ses constellations comme fond et couronnement de son tableau. D'un côté, il paraît avoir été nécessaire, pour montrer qu'Atlas supportait un fardeau, de lui élever les mains en l'air et de faire reposer tant sur les mains que sur les épaules du Titan une masse distincte de tout ce qui l'environnait; aussi sur les monuments figurés, vases, pierres gravées, le ciel est-il toujours, en ce cas, représenté soit par un globe, soit par une demi-sphère. D'un autre côté, Philostrate ne fait pas la mention expresse d'un globe ; il ne parle que 456 de constellations placées dans le ciel et peintes, dit-il, au milieu de l'éther. Nous croyons que l'artiste n'avait représenté du globe céleste qu'un segment de cercle, embrassant toute la partie supérieure du tableau ; ainsi il échappait à l'inconvénient d'avoir à représenter dans les airs autre chose que le ciel et donnait au spectateur la sensation d'une masse énorme pesant sur le dos du Titan. C'est ainsi que le sujet paraît avoir ^té conçu sur un miroir étrusque de Vulci (6) : Héraclès qui tient les pommes des Hespérides s'éloigne d'Atlas ; celui-ci soutient de ses mains la voûte étoilée représentée seulement par une partie de sphère qui dessine avec la circonférence du miroir une espèce d'ovale irrégulier. Sur le vase d'Archémoros (7), dont un côté représente Héraclès au jardin des Hespérides, Atlas, dans la partie supérieure de la peinture, soutient la voûte étoilée dont on n'aperçoit qu'une faible portion. L'artiste, il est vrai, a représenté en dehors de cette voûte étoilée, Eosphoros monté sur un cheval, Hélios porté sur un bige, de sorte que le ciel et Lucifer ne se trouvent pas faire partie du globe céleste. Où pourrait à la rigueur imaginer une disposition semblable pour le tableau de Philostrate : le ciel dont parle le sophiste serait la voûte étoilée; l'éther dont il fait mention comme enveloppant les constellations (8), aurait été un autre espace céleste avec d'autres signes, d'autres figures; par exemple, le taureau avait été représenté comme une constellation dans l'air, et comme un taureau véritable sur le globe ou fragment de globe, porté par Atlas ; ici les ourses auraient figuré sous forme d'animaux ; là, comme groupe d'étoiles; enfin c'est dans le champ libre de l'air que les vents eussent été personnifiés (9). Toutefois nous n'oserions trop insister sur une pareille conjecture ; la part de la convention, très grande dans tout l'art antique, l'est surtout dans la peinture de vase, et ce serait une erreur que d'attribuer toutes les hardiesses de cette dernière à la peinture, si hardie qu'elle soit, de mur ou de chevalet.

(1) Pausan., V, 18, 4.

(2) Par exemple sur la métope découverte le 19 avril 1876, dans les fouilles d'Olympie, Héraclès supporte la voûte céleste ; Atlas lui apporte les pommes des Hespérides. Pausanias par une méprise que la hauteur du bas-relief explique, a pris dans sa description, Atlas pour Héraclès, et ce dernier pour Atlas (V. 10, 9). Le ciel no pèse pas directement sur les épaules d'Héraclès; du moins le fardeau qu'il supporte ressemble à un coussin. Si la légende a raconté qu'Héraclès avait rendu le fardeau à Atlas, sous prétexte d'aller chercher un coussin, elle a bien pu imaginer aussi que le dieu avait eu tout d'abord recours à cet adoucissement; Héraclès était aussi fort qu'Atlas; maie ses épaules, faute d'habitude, n'étaient pas aussi endurcies (Cf. Die Ausgrabungen von Olympia, vol. I, pl. XXVI).

(3) Voir le mot Atlas dans le Dict. d'antiq. de Daremberg et Saglio. L'article de M. Vinet nous dispense de renvoyer aux ouvrages spéciaux.

(4) Pline, H. N., XXXV, 48.

(5) Anth. pal., IV, 105.

(6) Micali, Monum. pour serv. etc., pl. XXXVI, 3. Gerhard, Etrusk. Spieg.t Il, pl. CXXXVII. Guigniaut, Nouvelle Gal. myth., pl. CLXXXVI, n° 685

(7) Guigniaut, N. Gal. myth., pl. CCVII, n° 665.

(8) Voici en effet la traduction littérale de ce passage de Philostrate : « les choses (qui sont) dans le ciel sont représentées dans l'éther (représenté lui-même) tel qu'il se tient autour d'elles. " Nous lisons αὐτά ; le sens nous paraît le même qu'avec le mot ἀστέρα; que propose Brunn. Brunn toutefois peut avoir raison, attendu que les manuscrits donnent αὐτάς; et non αὐτά.

(9) Sur les différentes représentations d'Atlas portant le globe céleste, voir l'opuscule de Gedekens, Der Marmorne Himmelsglobos. Partout où les signes du Zodiaque sont représentés, ils affectent la forme d'êtres vivants.

 

ΑΝΤΑΙΟΣ

 Κόνις οἵα ἐν πάλαις ἐκείναις ἐπὶ πηγῇ ἐλαίου καὶ δυοῖν ἀθληταῖν ὁ μὲν ξυνδέων τὸ οὖς, ὁ δὲ ἀπολύων λεοντῆς τὸν ὦμον κολωνοί τε ἐπικήδειοι καὶ στῆλαι καὶ κοῖλα γράμματα—καὶ Λιβύη ταῦτα καὶ Ἀνταῖος, ὃν Γῆ ἀνῆκε σίνεσθαι τοὺς ξένους λῃστρικῇ οἶμαι πάλῃ. Ἀθλοῦντι δὲ αὐτῷ ταῦτα καὶ θάπτοντι οὓς ἀπώλλυε περὶ αὐτήν, ὡς ὁρᾷς, τὴν παλαίστραν, ἄγει τὸν Ἡρακλέα ἡ γραφὴ χρυσᾶ ταυτὶ τὰ μῆλα ᾑρηκότα ἤδη καὶ κατὰ τῶν Ἑσπερίδων ᾀδόμενον—οὐκ ἐκείνας ἑλεῖν θαῦμα τοῦ Ἡρακλέους, ἀλλ´ ὁ δράκων—καὶ οὐδὲ γόνυ φασὶ κάμψας ἀποδύεται πρὸς τὸν Ἀνταῖον ἐν τῷ τῆς ὁδοιπορίας ἄσθματι τείνων τοὺς ὀφθαλμοὺς εἰς νοῦν τινα καὶ οἷον διάσκεψιν τῆς πάλης ἐμβέβληκέ τε ἡνίαν τῷ θυμῷ μὴ ἐκφέρειν αὑτὸν τοῦ λογισμοῦ. Ὑπερφρονῶν δὲ ὁ Ἀνταῖος ἐπῆρται, δυστήνων δέ τε παῖδες 〈ἢ〉 τοιοῦτόν τι πρὸς τὸν Ἡρακλέα ἐοικὼς λέγειν καὶ ῥωννὺς αὑτὸν τῇ ὕβρει. Εἰ πάλης τῷ Ἡρακλεῖ ἔμελεν, οὐκ ἄλλως ἐπεφύκει ἢ ὡς γέγραπται, γέγραπται δὲ ἰσχυρὸς οἷος καὶ τέχνης ἔμπλεως δι´ εὐαρμοστίαν τοῦ σώματος, εἴη δ´ ἂν καὶ πελώριος καὶ τὸ εἶδος ἐν ὑπερβολῇ ἀνθρώπου. Ἔστιν αὐτῷ καὶ ἄνθος αἵματος καὶ αἱ φλέβες οἷον ἐν ὠδῖνι θυμοῦ τινος ὑποδεδυκότος αὐτὰς ἔτι. Τὸν δὲ Ἀνταῖον, ὦ παῖ, δέδιας οἶμαι· θηρίῳ γάρ [ἄν] τινι ἔοικεν ὀλίγον ἀποδέων ἴσος εἶναι τῷ μήκει καὶ τὸ εὖρος, καὶ ὁ αὐχὴν ἐπέζευκται τοῖς ὤμοις, ὧν τὸ πολὺ ἐπὶ τὸν αὐχένα ἥκει, περιῆκται δὲ καὶ ὁ βραχίων, ὅσα καὶ ὦμοι. Στέρνα καὶ γαστὴρ ταυτὶ σφυρήλατα καὶ τὸ μὴ ὀρθὸν τῆς κνήμης, ἀλλὰ ἀνελεύθερον ἰσχυρὸν μὲν τὸν Ἀνταῖον οἶδε, ξυνδεδεμένον μὴν καὶ οὐκ εἴσω τέχνης. Ἔτι καὶ μέλας Ἀνταῖος κεχωρηκότος αὐτῷ τοῦ ἡλίου ἐς βαφήν. Ταυτὶ μὲν ἀμφοῖν τὰ ἐς τὴν πάλην. Ὁρᾷς δὲ αὐτοὺς καὶ παλαίοντας, μᾶλλον δὲ πεπαλαικότας, καὶ τὸν Ἡρακλέα ἐν τῷ κρατεῖν. Καταπαλαίει δὲ αὐτὸν ἄνω τῆς γῆς, ὅτι ἡ Γῆ τῷ Ἀνταίῳ συνεπάλαιε κυρτουμένη καὶ μετοχλίζουσα αὐτόν, ὅτε κέοιτο. Ἀπορῶν οὖν ὁ Ἡρακλῆς ὅ τι χρήσαιτο τῇ Γῇ συνείληφε τὸν Ἀνταῖον μέσον ἄνω κενεῶνος, ἔνθα αἱ πλευραί, καὶ κατὰ τοῦ μηροῦ ὀρθὸν ἀναθέμενος, ἔτι καὶ τὼ χεῖρε ξυμβαλών, τὸν πῆχυν λαγαρᾷ τε καὶ ἀσθμαινούσῃ τῇ γαστρὶ ὑποσχὼν ἐκθλίβει τὸ πνεῦμα καὶ ἀποσφάττει τὸν Ἀνταῖον ὀξείαις ταῖς πλευραῖς ἐπιστραφείσαις εἰς τὸ ἧπαρ. Ὁρᾷς δέ που τὸν μὲν οἰμώζοντα καὶ βλέποντα ἐς τὴν Γῆν οὐδὲν αὐτῷ ἐπαρκοῦσαν, τὸν δ´ Ἡρακλέα ἰσχύοντα καὶ μειδιῶντα τῷ ἔργῳ. Τὴν κορυφὴν τοῦ ὄρους μὴ ἀργῶς ἴδῃς, ἀλλ´ ἐκεῖ ἐπ´ αὐτῆς θεοὺς ὑπονόει περιωπὴν ἔχειν τοῦ ἀγῶνος· καὶ γάρ τοι χρυσοῦν γέγραπται νέφος, ὑφ´ ᾧ οἶμαι σκηνοῦσι, καὶ ὁ Ἑρμῆς οὑτοσὶ παρὰ τὸν Ἡρακλέα ἥκει στεφανώσων αὐτόν, ὅτι αὐτῷ καλῶς ὑποκρίνεται τὴν πάλην.

XXI. ANTÉE.

Un nuage de poussière, comme dans les luttes qui ont lieu près de la source d'huile (a), deux athlètes dont l'un couvre son oreille de l'amphotide, l'autre détache de ses épaule une peau de lion, des tertres funè- 457 raires (b), des colonnes et des lettres gravées en creux, tous ces détails rappellent la Libye et Antée, véritable brigand enfanté par la terre pour provoquer à la lutte et dépouiller les étrangers. Voilà les exploits du monstre (c), voilà comme il ensevelissait, dans la palestre même, ceux qu'il tuait ; en face de lui, la peinture amène Héraclès. Le héros s'est déjà emparé des fameuses pommes des Hespérides (d). Tromper la vigilance des Hespérides était facile : mais tuerie dragon, voilà la merveille. Sans prendre le temps de fléchir le genou (e), comme on dit, encore tout haletant de la fatigue d'une longue route, Héraclès se prépare au combat. Son regard est fixe ; c'est qu'il songe à la lutte, qu'il étudie ses mouvements; il a mis un frein à sa colère, pour ne point s'emporter au delà de la prudence. Gonflé d'orgueil et plein de mépris pour son adversaire, Antée semble lui adresser ces paroles (f) : « Malheur à ceux dont les fils... » et d'autres semblables, et par ces injures il affermit son propre courage. En supposant Héraclès rompu aux exercices de la lutte (g), il n'eût point été autre qu'il n'est ici représenté, tant il paraît robuste, tant on le juge adroit lutteur, à le voir si bien proportionné. Il a d'ailleurs la taille d'un géant et une beauté plus qu'humaine : son sang a de l'éclat ; ses veines, gonflées parla colère, sont comme en travail. Antée lui inspire, je crois, quelque frayeur,mon enfant; il ressemble en effet à une bête féroce, ayant presque la même dimension en longueur et largeur (h) ; le cou est uni aux épaules de telle sorte que la plus grande partie de celles-ci semble appartenir au cou ; son bras a la même épaisseur que les épaules ; cette poitrine, ce ventre qui semblent comme faits au marteau, cette cuisse mal tournée et trop lourde donnent à Antée une grande force, mais enchaînent ses mouvements et lui ôtent le secours de l'art. Voilà pour la scène qui précède la lutte. Mais tu as aussi sous les yeux la lutte elle-même ou plutôt la fin de la lutte et la victoire ' d'Héraclès. Le héros vient à bout de son adversaire en l'élevant au-dessus du sol ; car la terre se soulevait d'elle-même pour secourir Antée et le redressait comme à l'aide d'un levier, toutes les fois qu'il fléchissait. Héraclès après avoir vainement lutté contre une telle manœuvre, saisit Antée par le milieu du corps, au-dessus du ventre, à l'endroit des flancs, le soulève sans fléchir lui-même, le presse contre sa cuisse, maintient ses deux bras, et plaçant le coude au-dessous des parties molles du ventre qu'il écrase, il arrête la respiration et tue Antée en lui enfonçant dans le foie l'extrémité aiguë des côtes. Tu le vois gémissant et l'œil fixé sur la terre qui ne peut le secourir ; Héraclès au contraire, dans la plénitude de ses forces, sourit à son ouvrage. Considère avec attention 458 le sommet de la montagne, et pense que de là, comme d'un observatoire, les dieux contemplent le combat. En effet, le peintre a représenté un nuage d'or qui sert, j'imagine, de tente aux dieux, et je vois Hermès en descendre pour couronner Héraclès, qui lui a donné le spectacle d'une si belle lutte.

COMMENTAIRE

Welcker distinguait deux scènes dans ce tableau : l'une représentait Héraclès et Antée, au moment où les deux adversaires se rencontrent ; Héraclès venait de quitter le jardin des Hespérides ; il tenait encore dans les mains les fameuses pommes qu'il devait rapporter à Eurysthée; il détachait ou avait déjà détaché sa peau de lion ; Antée, au milieu des tombeaux qui renfermaient ses victimes, prenait l'amphotide et se préparait à défier le héros au pugilat. Dans le seconde scène, Héraclès soulevait de terre le géant et l'étouffait dans ses bras. Selon Brunn, au contraire, le spectateur n'aurait eu sous les yeux que la victoire d'Héraclès; les préparatifs de la lutte, longuement décrits par le sophiste, Philostrate ne les aurait vus qu'en imagination ; c'est un tableau qu'il compose à l'imitation du peintre, et qu'il place, en esprit à côté du tableau véritable, par manière de préface et pour éviter l'allure trop simple d'un récit.

Il est difficile de partager cette opinion, quand on lit attentivement la description de Philostrate. Pourquoi en effet le rhéteur réunirait-il, dans sa première phrase, les objets qu'il voit bien réellement, puisqu'ils l'aident à reconnaître le sujet, comme les tombeaux, les stèles, les inscriptions, et des actes qui auraient eu lieu plus tôt, comme les préparatifs d'Antée et d'Héraclès ? D'un autre côté, nous savons que les anciens aimaient à montrer au spectateur, dans le même cadre, les différents épisodes d'une même histoire, d'une même légende. C'est une question que nous avons traitée ailleurs et sur laquelle il serait superflu de revenir. Rappelons toutefois un des exemples les plus frappants de cette pratique, et le plus propre à être cité en cette occasion. Dans une des peintures trouvées dans les fouilles de l'Esquilin, en 1845, Circé se tient à la porte de son palais pour recevoir Ulysse et dans l'intérieur même du palais Circé est à genoux devant Ulysse qui a tiré l'épée (1). La première scène de ce tableau n'est pas nécessaire, comme on le voit, pour expliquer la seconde; elle n'a d'autre objet que de rappeler le récit homérique. Au moins, dans notre peinture, y avait-il quelque intérêt à voir les deux adversaires, au moment où leurs yeux se rencontrent pour la première fois, où ils se mesurent du regard, et se préparent à une lutte sans merci. D'ailleurs le tableau, Atlas portant le ciel, et ceux qui suivent, Héraclès parmi les Pygmées,



 

461 Héraclès furieux, Tkeiodamas, la Sépulture d'Abdère, forment avec le tableau d'Antée comme une série de scènes qui toutes concernent Héraclès; l'artiste s'était complu évidemment à montrer le héros sous différents aspects et dans diverses attitudes. Jusqu'à quel point et comment ces différents épisodes étaient-ils séparés les uns des autres? c'est ce que nous saurions dire. Mais est-il étonnant que dans une suite semblable l'artiste ait représenté Héraclès avant sa lutte avec Antée comme il l'avait représenté au moment de la victoire ? Il semble même, pour les deux premiers tableaux, qu'il ail tenu à nous montrer le lien entre les deux épisodes. Héraclès est en Mauritanie ; Atlas est allé chercher les pommes d'or pendant qu'Héraclès soutenait le ciel (ce n'est pas la tradition adoptée par Philostrate, nous l'avons vu ; mais elle pouvait avoir été suivie par l'artiste) ; il a repris son fardeau et le héros, tenant les pommes, s'est remis en route ; c'est alors qu'il arrive dans le pays d'Antée. Ainsi cette première scène, sans parler de son intérêt propre, sert au moins à nous montrer à quel moment de la vie d'Héraclès la fable plaçait sa lutte avec le fils de la Terre.

Des commentateurs se sont étonnés de voir. Antée prendre pour la lutte les amphotides qui n'étaient en usage qu'au pugilat. Brunn croit à une précaution d'Antée qui craignait d'être mordu à l'oreille, comme il arrivait dans la lutte, par son adversaire. Nous aimons mieux penser qu'Antée défiait ordinairement ses adversaires au pugilat, mais qu'Héraclès, qui n'avait point emporté de cestes dans son expédition au jardin des Hespérides ou qui était peut-être impatient de combattre, se fia à la force de son bras pour terrasser son adversaire. Antée s'était préparé au pugilat; il n'avait pas achevé ses préparatifs qu'il fut contraint d'engager la lutte.

Philostrate décrit avec assez de précision l'attitude des deux adversaires. On peut se demander cependant comment ils étaient placés l'un par rapport à l'autre. Héraclès était-il vu de face, et en prenant Antée à bras le corps, le tenait-il légèrement contre lui et tourné du côté du spectateur? Cette position est une des plus favorables à l'art; elle permet à l'œil de bien distinguer les deux personnages et d'examiner un à un tous les détails, soit de mouvement, soit d'anatoraie. Une pierre gravée (2) représente ainsi les deux adversaires; si les mains d'Antée étaient prisonnières, si le coude d'Héraclès était plus près des côtes du Titan, au lieu de peser sur les cuisses, on serait tenté d'assimiler pour l'attitude cette composition à celle que décrit Philostrate. Le regard même d Antée, sur cette pierre gravée, est dirigée en bas: circonstance que Friederichs blâmait dans le tableau de Philostrate, sous prétexte qu'Antée, serré, étouffé dans les bras d'Héraclès, devait rejeter la tête en arrière. Rien n'est moins exact. Brunn oppose à la critique de Friederichs le groupe de la galerie de Florence; il faut remarquer en outre que 462 dans la peinture des Nasons, citée par Priederichs, Antée ne jette pas la tête en arrière mais regarde devant lui. Quant aux peintures de vases, elles ne sauraient être comparées à notre tableau ; elles représentent en effet un autre moment de la lutte : Héraclès aux prises avec Antée ne s'est pas encore avisé de soulever son adversaire et de lui ravir ainsi le secours de la Terre qui le rendait invincible (3).

La peinture nous montre un troisième personnage, Hermès couronnant le vainqueur. Ce rôle est ordinairement attribué à la Victoire sur les monuments figurés ; mais nous ne voyons pas pourquoi Hermès, qui présidait aux luttes du gymnase, qui était le messager des dieux, n'aurait pas remplacé la victoire, surtout quand l'athlète était fils de Jupiter. D'ailleurs Hermès n'était point condamné à ne porter que le caducée ; sur un vase du musée de Naples (4) qui représente Électre assise au pied d'une stèle funèbre, le dieu, placé derrière Électre, tient à la main une couronne et s'apprête à la déposer, soit sur la tête d'Électre, soit sur le chapiteau delà colonne. Cette couronne est-elle une offrande aux mânes d'Agamemnon? présage-t-elle à Oreste et à Électre le succès de leur entreprise ? c'est ce que la critique n'a pu décider avec certitude; mais cette peinture prouve du moins que les artistes savaient au besoin changer les rôles et surtout modifier les attributs.

 

(1) Voir l'Introduction, p. 105 et la planche ci-contre.

(2) De Wilde, Selectae gemnae ant., n° 153 : Guîgn., N. G. myth., n° 165 b. Museo Chiusino, II, 148.

(3) Stepbani (Compte rendu de la Comm. arch. de Saint-Pétersb. 1806, p. 13 et suiv.) considérant que dans la Métope du Thésoion Antée touche encore la terre de ses pieds, que sur les peintures do vases Antée et Héraclès posent toujours sur le sol, qu'avant Apollodore, grammairien du IIe siècle av. J.-C, il n'est fait mention nulle part du stratagème employé par Héraclès, conclut que cette particularité n'a été connue que fort tard de la légende et de l'art antique, et que Philostrate et Libanius ont dû penser dans leur description à des œuvres d'époque romaine. Nous sommes bien convaincu, pour notre part, que les tableaux décrits par Philostrate, s'ils ont été exécutés, appartiennent à une époque très postérieure à l'âge classique; malgré l'absence de preuves en sens contraire, il nous paraît moins démontré que l'art romain ou même l'art postérieur à Alexandre, ait seul représenté Héraclès soulevant de terre Antée. Aucun sujet d'ailleurs ne paraît avoir été plus fréquent dans l'art antique. Stephani, dans l'ouvrage et l'endroit déjà cités, énumère les statues, les peintures de vases et autres, les mosaïques, les pierres gravées et les médailles qui représentent la lutte d'Antéo et d'Héraclès. Il fait remarquer toutefois que beaucoup de pierres gravées ne sont pas véritablement antiques.

(4) Overbeck, Die Bildw., 28, 5 ; texte, p. 688, n° 15.

 

ΗΡΑΚΛΗΣ ΕΝ ΠΥΓΜΑΙΟΙΣ

Ἐν Λιβύῃ καθεύδοντι τῷ Ἡρακλεῖ μετὰ τὸν Ἀνταῖον ἐπιτίθενται οἱ Πυγμαῖοι τιμωρεῖν τῷ Ἀνταίῳ φάσκοντες· ἀδελφοὶ γὰρ εἶναι τοῦ Ἀνταίου, γενναῖοί τινες, οὐκ ἀθληταὶ μὲν οὐδ´ ἰσοπαλεῖς, γηγενεῖς δὲ καὶ ἄλλως ἰσχυροί, καὶ ἀνιόντων ἐκ τῆς γῆς ὑποκυμαίνει ἡ ψάμμος. Οἰκοῦσι γὰρ οἱ Πυγμαῖοι τὴν γῆν ὅσα μύρμηκες καὶ ἀγορὰν ἐναποτίθενται, ἐπισιτίζονται δὲ οὐκ ἀλλότρια, ἀλλ´ οἰκεῖα καὶ αὐτουργά· καὶ γὰρ σπείρουσι καὶ θερίζουσι καὶ πυγμαίῳ ζεύγει ἐφεστᾶσι, λέγονται δὲ καὶ πελέκει χρήσασθαι ἐπὶ τὸν ἄσταχυν ἡγούμενοι αὐτοὺς δένδρα εἶναι. Ἀλλὰ τοῦ θράσους· ἐπὶ τὸν Ἠρακλέα οὗτοι, καὶ ἀποκτεῖναι καθεύδοντα· δείσειαν δ´ ἂν οὐδ´ ἐγρηγορότα. Ὁ δὲ ἐν ἁπαλῇ τῇ ψάμμῳ καθεύδει καμάτου αὐτὸν ὑποδεδυκότος ἐν πάλῃ καὶ παντὶ τῷ στέρνῳ τὸ ἆσθμα ἐφέλκεται χανδὸν ἐμπιπλάμενος τοῦ ὕπνου, αὐτός τε ὁ Ὕπνος ἐφέστηκεν αὐτῷ ἐν εἴδει μέγα οἶμαι ποιούμενος τὸ ἑαυτοῦ ἐπὶ τῷ τοῦ Ἡρακλέους πτώματι. Κεῖται καὶ ὁ Ἀνταῖος, ἀλλ´ ἡ τέχνη τὸν μὲν Ἡρακλέα ἔμπνουν γράφει καὶ θερμόν, τὸν δὲ Ἀνταῖον τεθνηκότα καὶ αὖον καὶ καταλείπει αὐτὸν τῇ Γῇ. Ἡ στρατιὰ δὲ οἱ Πυγμαῖοι τὸν Ἡρακλέα περισχόντες μία μὲν αὕτη φάλαγξ τὴν ἀριστερὰν χεῖρα βάλλουσι, δύο δὲ οὗτοι λόχοι στρατεύουσιν ἐπὶ τὴν δεξιὰν ὡς μᾶλλον ἐρρωμένην, καὶ τὼ πόδε πολιορκοῦσι τοξόται καὶ σφενδονητῶν ὄχλος ἐκπληττόμενοι τὴν κνήμην ὅση· οἱ δὲ τῇ κεφαλῇ προσμαχόμενοι τέτακται μὲν ἐνταῦθα ὁ βασιλεὺς καρτερωτάτου αὐτοῖς τούτου δοκοῦντος, ἐπάγουσι δὲ καὶ οἷον ἀκροπόλει μηχανάς, πῦρ ἐπὶ τὴν κόμην, ἐπὶ τοὺς ὀφθαλμοὺς δίκελλαν, θύρας τινὲς ἐπὶ τὸ στόμα καὶ τὰς τῆς ῥινὸς οἶμαι πύλας, ὡς μὴ ἀναπνεύσαι ὁ Ἡρακλῆς, ἐπειδὰν ἡ κεφαλὴ ἁλῷ. Ταυτὶ δὴ περὶ τὸν καθεύδοντα, ἰδοὺ δὲ ὡς ὀρθοῦται καὶ ὡς ἐπὶ τῷ κινδύνῳ γελᾷ τούς τε πολεμίους πανσυδὶ συλλεξάμενος ἐς τὴν λεοντῆν ἐντίθεται καὶ οἶμαι τῷ Εὐρυσθεῖ φέρει.

XXII. HÉRACLÈS PARMI LES PYGMÉES.

Héraclès s'étant endormi sur la terre de Libye après avoir tué Antée est assailli par les Pygmées qui veulent venger Antée, disaient-ils. car ils sont frères du géant, des frères qu'il peut avouer : ce ne sont pas des athlètes ni des lutteurs émérites, il est vrai, mais ils sont fils de la Terre, et d'ailleurs robustes. A leur sortie du sol, le sable ondule comme les flots de la mer. Les Pygmées en effet habitent sous la terre, comme les fourmis ; ils ont leur grenier de réserve et se nourrissent non sur le bien 463 d'autrui, mais sur leurs provisions propres et leur récolte. Car ils sèment et moissonnent, traînés par un attelage de chevaux nains ; on dit même qu'ils se servent de la hache contre les épis qui sont pour eux des arbres. Admire leur audace ! les voilà qui s'avancent vers Héraclès et qui prétendent le tuer pendant son sommeil ; d'ailleurs ils ne le craindraient pas, même s'il était éveillé. Héraclès, vaincu par les fatigues de la lutte, dort mollement étendu sur le sable ; la bouche ouverte, il respire de toute la force de ses poumons et, pour ainsi dire, s'emplit de sommeil. Le sommeil personnifié se tient à ses côtés, se glorifiant, je suppose, d'avoir terrassé Héraclès. Antée est aussi couché, mais par une merveille de l'art, Héraclès respire et conserve la chaleur de la vie, tandis qu'Antée paraît un cadavre, une dépouille aride que la terre attend. L'armée des Pygmées a donc enveloppé Héraclès ; une phalange dirige ses attaques contre la main gauche ; ces deux compagnies marchent contre la main droite qui est une position plus forte ; des archers font le siège des pieds et toute une troupe de frondeurs celui des cuisses qui les frappent de stupeur par leur masse. L'assaut de la tête paraissant plus difficile, c'est là que s'est porté le roi avec un corps d'élite. Ils approchent des machines comme pour emporter une citadelle ; voici le feu pour embraser sa chevelure ; voici un hoyau à deux pointes pour lui crever les yeux, voici des portes pour fermer sa bouche, d'autres pour fermer ses narines ; car il ne faut point qu'Héraclès puisse respirer, quand la tête sera prise. Ceci a lieu pendant son sommeil, mais vois comme le héros se dresse de toute sa hauteur, comme il rit à la vue de ses formidables ennemis, comme il les enveloppe tous pêle-mêle dans sa peau de lion, et se dispose, je pense, à les porter à Eurysthée.
 

COMMENTAIRE

Les Pygmées sont surtout célèbres dans la mythologie antique par leurs combats avec les grues : Homère compare déjà le cri des Troyens marchant contre les Grecs au cri rauque des grues, lorsque fuyant les frimas et les grandes pluies de l'hiver elles volent jusqu'au fleuve Océan pour porter aux Pygmées le carnage et la mort (1). Sur les monuments cette lutte est représentée de cent façons différentes; tantôt un seul Pygmée est aux prises avec une seule grue; tantôt c'est une mêlée générale, divisée en groupes distincts, comme le combat des Amazones et des Athéniens sur la frise du temple de 464 Βassae. Tantôt les Pygmées sont armés de la lance et du bouclier comme des héros ; tantôt ils brandissent la massue comme Héraclès dont ils portent quelquefois la peau de lion sur la tête ou sur les bras; tantôt ils sont nus et tantôt armés de toutes pièces ; tantôt c'est le Pygmée qui succombe sous les coups de bec et de griffe ; tantôt c'est la grue qui a reçu une blessure mortelle et que le Pygmée triomphant emporte sur ses épaules.

Il est plus rare de rencontrer les Pygmées associés à Héraclès lui-même. On cite cependant un fragment de bas-relief (2) qui représente un Pygmée se glissant le long d'une échelle et se penchant pour boire furtivement dans une coupe qu'Héraclès, d'ailleurs distrait et portant ailleurs ses regards, tient à la main. Quant à la légende d'après laquelle Héraclès aurait été assailli par les Pygmées, nous ne la connaissons que par notre peinture; l'artiste l'avait-il empruntée aux poètes ou l'avait-il inventée pour avoir un piquant sujet de tableau? c'est ce que nous ne saurions dire. Quand Héraclès endormi semble laisser une proie facile à ses ennemis, ce sont les satyres qui l'entourent, qui lui dérobent sa massue et son arc; ce fut une idée ingénieuse que de substituer les Pygmées aux satyres et que de donner à ces nains, fils de la Terre, une hardiesse que les satyres ne montrent pas ; le contraste entre le héros assailli et ses agresseurs n'en est que plus frappant; et la vengeance prêtera à rire; quelle aventure, en effet, est plus plaisante que celle de ces nains présomptueux qui, après avoir déployé contre Héraclès toutes les ressources de la poliorcétique la plus raffinée se laissent ramasser comme par un coup de filet et disparaissent tous dans les plis d'une peau de lion?

Les commentateurs ne sont pas d'accord sur le véritable sujet de notre tableau. Welcker prétendait qu'Héraclès était représenté au moment où il se réveillait, se redressait; où par ce seul mouvement il débusquait de toutes ses positions l'armée d'attaque et faisait des prisonniers qu'il serrait soigneusement dans sa peau de lion. Toute la description du siège, Philostrate l'aurait faite d'imagination, pour expliquer la dernière scène de l'histoire, la seule qui fût représentée. Jahn n'admet pas cette supposition : si elle était vraie, dit-il, je ne comprends pas comment Philostrate peut dire que l'on voit Héraclès respirer avec force et que près de lui se lient le dieu du sommeil tout fier d'avoir dompté le héros. Il croit donc, avec Heyne, que toute la On de ce morceau est en récit; que Philostrate en s'écriant « vois, comme il se redresse » veut simplement répondre à la pensée du spectateur, qui à la vue du héros assailli par des nains, pressent le moment où, en riant, il les chargera tous sur son épaule. Aux arguments de Jahn, il en faut joindre un autre, tiré de la disproportion entre les deux descriptions ; Philostrate décrirait si longuement ce qu'il n'a pas vu et passerait si vite sur ce qu'il voit ! Le véritable sujet serait le réveil d'Héraclès, et dans l'ecphrasis de Philostrate, il 465 ne serait guère question que de ce qui se passe pendant son sommeil ! Mais quoi I n'y a-t-il pas lieu de concevoir que l'artiste avait choisi son moment et représenté la scène de telle sorte que l'on devinait aisément tout ce qui avait précédé? Héraclès se redresse, mais il a dormi, comme l'atteste la présence du Sommeil, et aussi une pesanteur des yeux et de tout le corps, qu'ont toujours su rendre des artistes de talent; les pygmées ne prennent pas la fuite, comme le veut Welcker, puisque, d'après Philostrate, ils auraient attaqué Héraclès même éveillé; Héraclès étend les mains pour les prendre ; quelques-uns sont déjà enfermés dans la peau de lion; mais les archers, les frondeurs

sont encore à leur poste ; les machines, les hoyaux à deux pointes, tous les préparatifs d'un siège régulier sont encore visibles. Héraclès se dégagera en un instant; mais cet instant n'est pas encore venu ou n'est pas tout à fait écoulé, si court qu'il soit. Reste une difficulté. Pourquoi Philostrate dit-il qu'Héraclès dormait la bouche ouverte, s'il n'était pas représenté ainsi dans le tableau ? Cette objection qui ne peut être faite à Welcker puisqu'il suppose que Philostrate, dans la première partie de cette ecphrasis, raconte et ne décrit pas, est au contraire très forte contre une opinion d'après laquelle il n'y 466 aurait, dans le texte de notre auteur, aucun trait qui ne fût descriptif et qui n'eût rapport au tableau. Héraclès en effet ne pouvait être représenté tout à la fois dormant et s'é veillant. En dernière analyse, il faut choisir entre deux suppositions : ou le tableau représente Héraclès endormi et tout ce que dit Philostrate du réveil d'Héraclès n'est pour le sophiste qu'un moyen de nous rappeler, sous forme de description, la fin de l'aventure, ou l'artiste avait représenté deux scènes distinctes. Pourquoi, en effet, n'aurait-on pas aperçu, sur le premier plan, l'assaut livré à Héraclès par les Pygmées, et sur un plan plus reculé, Héraclès s'éloignant avec sa proie vivante en sautoir sur ses épaules ? Un mot semble, au premier abord, s'opposer à cette hypothèse : Philostrate dit en effet que le héros se redresse, non qu'il s'est redressé ; mais c'est là une de ces manières de parler que Philostrate affectionne, parce qu'il les croit favorables à l'illusion et de nature à relier pour l'imagination des spectateurs des scènes nécessairement séparées par un intervalle de temps plus ou moins long.

Quel aspect présentaient les Pygmées ? Ctésias (3), qui place les Pygmées dans l'Inde, en fait un portrait hideux. C'étaient, dit-il, de petits hommes hauts de deux coudées au plus, le plus souvent d'une demie, noirs et camus ; leurs parties naturelles descendaient jusqu'à la cheville ; leur chevelure était si longue et si épaisse qu'elle pouvait leur servir de vêtements. Nous reconnaissons quelques-uns de ces traits sur les monuments figurés : nez trop court, tête trop grosse, espèce de crête de coq sur la tête, jambes torses, formes pesantes, tels se montrent à nous les Pygmées des vases peints ou des pierres gravées. Était-ce aussi le cas dans le tableau de Philostrate ? Jahn, parlant du bas-relief mentionné plus haut qui représente un Pygmée buvant dans la coupe d'Héraclès, fait observer que le Pygmée n'est point ici un nain difforme. C'est que dans ce sujet, ajoute-t-il, il s'agissait surtout d'opposer le nain au géant, non de provoquer le rire par une parodie de combat entre adversaires à peu près égaux, comme dans la lutte entre les Pygmées et les Grues. Dans le tableau de Philostrate, le point important, c'était aussi la taille des Pygmées, non leur laideur ; on peut croire avec quelque vraisemblance que cette laideur avait été atténuée par l'artiste.

 

(1) Horn., Il, III, 3 et suiv. Sur cette question des Pygmées et les monuments qui les représentent, voir Jahn, Arch. Beiträg., n° XVII.

(2) Goattai, M.J., 1876, Zoega, basiiril., 69.

(3) Ctés. Ind. II, dans Photius. Bibl., c. LXXII.

 

ΗΡΑΚΛΗΣ ΜΑΙΝΟΜΕΝΟΣ

 Μάχεσθε, ὦ γενναῖοι,  τὸν Ἡρακλέα καὶ πρόβατε. Ἀλλ´ οὖν τοῦ λοιποῦ γε παιδὸς ἀπόσχοιτο δυοῖν ἤδη κειμένοιν καὶ στοχαζομένης τῆς χειρός, ὡς καλὸν Ἡρακλεῖ. Μέγας μὲν ὑμῶν ὁ ἆθλος καὶ μείων οὐδὲν ὧν πρὸ τῆς μανίας αὐτὸς ἤθλησεν. Ἀλλὰ δείσητε μηδέν· ἄπεστιν ὑμῶν Ἄργος βλέπων καὶ τοὺς Εὐρυσθείδας ἀποκτεῖναι δοκῶν, ἐγὼ δὲ ἤκουσα αὐτοῦ παρ´ Εὐριπίδῃ καὶ ἅρμα ἡγουμένου καὶ κέντρα ἐς τοὺς ἵππους φέροντος καὶ τὴν Εὐρυσθέως οἰκίαν ἀπειλοῦντος ἐκπέρσειν· ἀπατηλὸν γάρ τι ἡ μανία καὶ δεινὸν ἐκ τῶν παρόντων ἀγαγεῖν εἰς τὰ μὴ παρόντα. Τούτοις μὲν οὖν ἀπόχρη ταῦτα, σοὶ δὲ ὥρα γίνεσθαι τῆς γραφῆς. Ὁ μὲν θάλαμος, ἐφ´ ὃν ὥρμηκε, Μεγάραν ἔχει καὶ τὸν παῖδα ἔτι, κανᾶ δὲ καὶ χέρνιβα καὶ οὐλαὶ καὶ σχίζαι καὶ κρατήρ, τὰ τοῦ Ἑρκείου, λελάκτισται πάντα καὶ ὁ μὲν ταῦρος ἕστηκεν, ἱερεῖα δὲ προσέρριπται τῷ βωμῷ βρέφη εὐγενῆ καὶ τῇ λεοντῇ πατρός· βέβληται δ´ ὁ μὲν κατὰ τοῦ λαιμοῦ καὶ δι´ ἁπαλῆς γε τῆς φάρυγγος ἐκδεδράμηκεν οἰστός, ὁ δὲ εἰς αὐτὸ διατέταται τὸ στέρνον καὶ ὄγκοι τοῦ βέλους μέσων διεκπεπαίκασι τῶν σπονδύλων ὡς δῆλα εἰς πλευρὰν ἐρριμμένου. Αἱ παρειαὶ δὲ αὐτῶν διάβροχοι, καὶ μὴ θαυμάσῃς, εἰ ἐδάκρυσαν τὰ πέρα τοῦ δακρῦσαι· παισὶ γὰρ εὔρουν τὸ δάκρυον, κἂν μικρὸν δείσωσι κἂν μέγα. Οἰστροῦντι δὲ τῷ Ἡρακλεῖ περίκειται πᾶς ὁ τῶν οἰκετῶν δῆμος οἷον βουκόλοι ταύρῳ ὑβρίζοντι, δῆσαί τις ἐπιβουλεύων καὶ κατασχεῖν τις ἀγῶνα ποιούμενος καὶ κεκραγὼς ἕτερος, ὁ δ´ ἤρτηται τῶν χειρῶν, ὁ δὲ ὑποσκελίζει, οἱ δὲ ἐνάλλονται· τῷ δὲ αἴσθησις μὲν αὐτῶν οὐδεμία, ἀναρριπτεῖ δὲ τοὺς προσιόντας καὶ συμπατεῖ, πολὺ μὲν τοῦ ἀφροῦ διαπτύων, μειδιῶν δὲ βλοσυρὸν καὶ ξένον καὶ τοῖς ὀφθαλμοῖς ἀτενίζων εἰς αὐτά, ἃ δρᾷ, τὴν δὲ τοῦ βλέμματος ἔννοιαν ἀπάγων εἰς ἃ ἐξηπάτηται. Βρυχᾶται δὲ ἡ φάρυγξ καὶ ὁ αὐχὴν ἐμπίπλαται καὶ ἀνοιδοῦσιν αἱ περὶ αὐτὸν φλέβες, δι´ ὧν ἐς τὰ καίρια τῆς κεφαλῆς ἀναρρεῖ πᾶσα χορηγία τῆς νόσου. Τὴν Ἐρινὺν δέ, ἣ ταῦτα ἴσχυσεν, ἐπὶ μὲν σκηνῆς εἶδες πολλάκις, ἐνταῦθα δὲ οὐκ ἂν ἴδοις· εἰς αὐτὸν γὰρ εἰσῳκίσατο τὸν Ἡρακλέα καὶ διὰ τοῦ στέρνου χορεύει μέσῳ αὐτῷ εἴσω σκιρτῶσα καὶ τὸν λογισμὸν θολοῦσα. Μέχρι τούτων ἡ γραφή, ποιηταὶ δὲ προσπαροινοῦσι καὶ ξυνδοῦσι τὸν Ἡρακλέα καὶ ταῦτα τὸν Προμηθέα φάσκοντες ὑπ´ αὐτοῦ λελύσθαι.

XXIII. HÉRACLÈS FURIEUX.

Luttez contre Héraclès (a), braves serviteurs, et repoussez-le en avançant vous-mêmes. Que du moins il épargne celui de ses enfants qui vit encore (b), deux sont déjà morts, et l'arc à la main, il vise le troisième, 467 avec une justesse digne d'Héraclès (c). C'est là pour vous un travail de héros; Héraclès lui-même, avant sa folie, n'a rien fait de plus ardu. Mais n'ayez aucune crainte ; il ne pense point à vous : c'est Argos qu'il voit, ce sont les fils d'Eurysthée qu'il croit massacrer. Je l'ai entendu dans Euripide au moment où monté sur un char et pressant les chevaux de l'aiguillon il menaçait d'exterminer la race d'Eurysthée. La folie est en effet sujette à l'erreur ; elle ne voit pas les objets qui sont présents ; elle voit ceux qui ne le sont pas. Mais en voilà assez à l'adresse des serviteurs ; il est temps de te faire connaître le sujet du tableau. Cette chambre vers laquelle Héraclès se précipite renferme Mégara et un fils d'Héraclès, le dernier survivant. Corbeilles, bassin pour les mains, orge du sacrifice, bois du bûcher, cratère, tous les objets du culte de Jupiter Hercéen ont été foulés aux pieds ; le taureau est là debout ; mais ces nobles enfants (d) du héros, véritables victimes, sont gisants près de l'autel et de la peau de lion. Celui-ci, la flèche Ta atteint au gosier et a traversé les chairs délicates de la gorge. L'autre est tombé sur la poitrine ; les pointes de la flèche qui l'a tué se sont engagées dans les vertèbres, comme il est aisé de le voir, le corps étant couché sur le flanc. Leurs joues sont humides de larmes (e) ; et ne t'étonne pas s'ils ont pleuré un peu seulement ; petites ou grandes elles sont d'or, elles sont touchantes les larmes des enfants. Toute la foule des serviteurs se presse autour du héros en délire comme les pâtres autour d'un taureau furieux (f) : l'un cherche à l'enchaîner, l'autre se met en posture de le contenir, un troisième crie ; celui-ci se pend aux mains du héros ; celui-là essaie de lui faire manquer le pied; d'autres lui livrent un véritable assaut. Mais Héraclès sans voir même ceux qui luttent contre lui les disperse de côté • et d'autre, les foule aux pieds; l'écume sort abondamment de sa bouche ; il sourit d'une manière étrange et terrible ; il a le regard fixé sur l'œuvre même de ses mains, mais son esprit est détourné de la réalité par une image trompeuse. Des mugissements s'échappent de sa gorge ; les veines du cou se sont gonflées, laissant ainsi remonter jusque dans les parties les plus délicates de la tête la maladie et son cortège d'effets désastreux (g). Ce désordre est l'œuvre de l'Erinnys que tu as vue souvent sur la scène, mais qui ne paraît point ici ; car elle est entrée dans la personne même d'Héraclès; elle se livre à ses transports dans la poitrine du héros, y bondit avec fureur, et trouble profondément sa raison. Tel est le sujet de notre tableau ; les poètes dépassent le peintre en audace ; ils enchaînent Héraclès, et prétendent néanmoins que c'est Héraclès qui a délivré Prométhée.
 

468 COMMENTAIRE

Le sujet de ce tableau est emprunté à Euripide. Dans la tragédie, le héros après avoir tué Lycus qui s'était emparé de Thèbes et méditait le massacre de la famille d'Héraclès, est saisi de fureur au milieu du sacrifice qu'il offrait aux dieux pour le remercier de la victoire et purifier sa maison. Il veut tuer Eurysthée après Lycus ; il se croit à Mycènes; son père, sa femme, ses fils, il les prend pour le père, la femme et les fils d'Eurysthée. « Les enfants, saisis de frayeur, s'enfuient et cherchent un refuge, l'un sous le voile de sa mère, l'autre derrière une colonne, un autre, comme l'oiseau timide, près de l'autel. La mère s'écrie : « Malheureux père, que fais-tu? Tu vas tuer tes enfants. » Le même cri est poussé par le vieillard et par la foule des serviteurs. Pour lui, il poursuit un enfant autour de la colonne, gagne sur lui de vitesse et s'arrêtant en face de lui, d'un trait il lui perce le foie. L'enfant tombe à la renverse, et en expirant arrose le marbre de son sang. Hercule pousse un cri de joie, et d'une voix triomphante: « Voilà, dit-il, un des fils d'Eurysthée étendu mort à mes pieds ; son trépas me venge de la haine de son père, » Alors il tend son arc contre celui des enfants qui, tapi contre l'autel, se croyait à l'abri. L'infortuné s'élance d'abord aux genoux de son père, lève une main suppliante vers son menton et son cou : « Mon père chéri, s'écrie-t-il, ne me tue pas ; je suis à toi ; je suis ton fils ; ce n'est pas le fils d'Eurysthée que tu vas frapper. » Hercule roulait les yeux farouches d'une gorgone ; et comme l'enfant se tenait en deçà de l'arc, il lève sa massue au-dessus de sa tête, comme un forgeron qui bat le fer, la laisse retomber sur la tête blonde de l'enfant et lui brise le crâne. Deux de ses fils tués, il s'apprête à faire une troisième victime ; mais la malheureuse mère le prévient eut emporte son enfant dans l'intérieur de la maison où elle s'enferme. Lui, se croyant alors sous les murs des Cyclopes, sape, ébranle les portes, en fait sauter les battants et d'un même coup abat sa femme avec son fils. Alors il s'élançait pour immoler son vieux père lorsque, visible à tous les yeux, apparut Pallas, brandissant dans sa main une lance armée d'un fer pointu. D'une pierre lancée contre la poitrine d'Hercule, elle arrêta le héros prêt à commettre cet horrible forfait, et elle le plongea dans un sommeil profond. Il tomba sur le sol, heurtant de l'épaule une colonne qui s'était brisée dans l'écroulement de la maison et gisait renversée sur sa base. Renonçant dès lors à fuir, nous avons aidé le vieillard à l'attacher à la colonne, afin qu'il ne puisse à son réveil commettre de nouveaux forfaits (1). »

L'artiste avait très heureusement choisi le moment où Héraclès, ayant tué deux de ses enfants, tourne sa fureur contre le troisième et la mère, enfermés dans l'intérieur de la maison. Il excitait ainsi dans l'âme du spectateur 469 deux émotions différentes, se renforçant l'une l'autre : la première était un sentiment d'horreur à la vue d'une pareille scène de carnage ; la seconde, un sentiment de cruelle angoisse, à la vue de cet enfant et de cette femme qui se sentent perdus. Dans une étude sur Héraclès au repos, Stephani (2) fait remarquer que le moment le plus tragique de toute cette histoire est le retour d'Héraclès à la raison, non la scène de meurtre ; qu'ainsi l'avaient fort bien compris non seulement Euripide et Sénèque, mais encore Lysippe et le peintre Néarchos. L'observation ne nous paraît juste qu'en partie ; dans une tragédie, où le poète peut exprimer avec force les sentiments dont le personnage est pénétré, nul doute que les remords d'Héraclès, sa douleur de père, son horreur de lui-même, ne soient très pathétiques ; dans une œuvre d'art, si l'artiste n'a qu'une figure à nous montrer, nous serons plus émus, en voyant un Héraclès, comme celui de Néarchos « abattu par le repentir de sa folie » (3) ou comme celui de Lysippe,pleurant et soutenant sa tête (4) avec sa main, qu'un Héraclès en proie à la fureur; toutefois, pour être réellement touché, faut-il que le spectateur se retrace par l'imagination les événements qui ont précédé. Si ces événements eux-mêmes sont mis devant nos yeux, l'émotion ne doit-elle pas être plus immédiate, plus prompte à naître, et plus forte? Ajoutons qu'il nous est plus facile, devant un furieux, de prévoir son repentir que devant un affligé de nous rappeler à quels excès il s'est emporté ; si bien que dans le premier cas, notre émotion s'accroît encore de toute la douleur que nous présageons pour le personnage en scène.

Un critique a prétendu que la composition de ce tableau devait prêter au rire ; en effet, dit-il, si Mégara s'est enfermée dans une chambre, elle n'est plus visible, et l'on n'aperçoit plus qu'Héraclès, dont la fureur en présence d'une porte est tout à fait inintelligible et par suite très ridicule. Le spectateur voyait sans doute dans le tableau Mégara et le survivant des trois enfants, aussi bien que la porte de la chambre où ils s'étaient réfugiés ; il suffisait pour cela au peintre de représenter une simple cloison, séparant les deux scènes ; cet artifice n'était pas plus inconnu aux artistes anciens qu'aux modernes; témoin, par exemple, le tableau de la prise de Troie par Polygnote où l'on apercevait, d'un côté, l'intérieur de la ville de Troie, d'un autre, la plaine qui s'étendait de la ville au rivage (5). D'ailleurs, puisque le héros vise son fils, c'est que la porte a déjà cédé à ses efforts.

Les ressemblances comme les différences entre la tragédie et le tableau méritent d'être remarquées. Dans Euripide, le sacrifice n'est pas encore con- 470 sommé; les victimes sont devant l'autel de Jupiter. Dans le tableau, le taureau est encore debout, attendant le coup mortel. Euripide ne parle pas des vases renversés et foulés aux pieds; mais un pareil désordre n'est-il pas naturel? Ne rend-il pas la scène plus vraie et plus présente, en quelque sorte (6) ? Nous ne serons donc pas de l'avis du critique qui prétendait que par là l'artiste détournait l'attention du sujet principal pour la fixer sur des détails. Nous n'aurons même pas besoin de répondre avec un autre que ces objets pouvaient être tenus dans l'obscurité et dans un certain éloignement.

Dans Euripide, un des enfants, atteint d'une flèche dans la région du foie, tombe à la renverse ; l'autre s'affaisse sous un coup de massue qui lui brise le crâne. Dans le tableau, l'arc a servi à tuer l'un et l'autre ; la flèche a traversé le gosier du premier, a pénétré dans les vertèbres du second. Pourquoi cette différence? Le poète pouvait expliquer au spectateur qu'un des enfants ayant couru au devant de son père s'était trouvé trop près pour permettre contre lui l'usage de l'arc; ce mouvement de l'enfant, plein de confiance dans sa prière, ajoutait d'ailleurs au récit un trait touchant. Si l'artiste avait peint un des enfants percé d'une flèche, l'autre assommé, le spectateur n'eût vu là qu'une différence inexplicable, et s'il avait cherché à se l'expliquer, cet effort même eût détruit en partie l'émotion. Il était donc plus simple et plus habile tout à la fois de montrer les deux enfants succombant sous les flèches de leur père qui tenait encore son arc à la main. Peut-être aussi le peintre a-t-ii cru qu'un visage d'enfant baigné de larmes, décoloré, mais non déformé par la mort, était plus propre à inspirer de la compassion qu'un crâne brisé. L'art antique, croyons-nous, ne reculait pas devant les scènes d'horreur, du moins à l'époque de Philostrate ; mais il y a quelquefois à gagner même au point de vue de l'émotion, à atténuer l'horreur du spectacle. C'était le cas pour notre tableau (7).

Dans Euripide il n'est point question de l'attitude des serviteurs pendant toute cette scène de meurtre ; mais après la mort des enfants, quand Héraclès, atteint d'une pierre en pleine poitrine et plongé dans le sommeil n'est plus qu'une masse inerte, les serviteurs aident le vieux père du héros à attacher 471 son fils à une colonne. En supposant que les serviteurs avaient lutté contre Héraclès, le peintre animait la scène, remplissait le champ de son tableau, et donnait de la force d'Héraclès, accrue par la fureur, une idée encore plus saisissante. On s'est demandé toutefois comment le peintre avait pu sans confusion grouper tant de personnes autour du héros ; on doit observer que ce groupe peut se diviser lui-même en plusieurs : deux des serviteurs sont expressément indiqués comme tout près d'Héraclès, c'est d'abord celui qui lui prend les mains, ensuite celui qui essaie de le faire tomber. Quant à celui qui médite de l'enchaîner, au deuxième qui se mettait en posture de le contenir, au troisième qui criait, ils pouvaient être placés tous les trois à quelque distance d'Héraclès ; restent, il est vrai, ceux qui lui livrent un véritable assaut. Quelle était leur attitude, leur place dans le tableau ? Peut-être portaient-ils de côté ou par derrière la main sur Héraclès. En tout cas, si nous supposons qu'ils n'étaient que deux, ils ne pouvaient, isolés ou réunis, dérober aux spectateurs les mouvements du héros. Il n'est donc pas nécessaire de supposer avec Brunn pour justifier Philostrate ou l'artiste grec que Philostrate avait employé le pluriel pour le singulier; cette inexactitude de langage était peut-être dans les habitudes du sophiste, comme l'a cru Welcker ; mais ici du moins il nous semble inutile de l'admettre.

Les critiques indiquent encore une autre différence entre le poète et le sophiste. Dans la tragédie, la Lyssa personnifiée se montre au spectateur elle est absente du tableau. Philostrate ne parle d'elle que pour dire qu'elle est entrée dans l'âme du héros, qu'elle le mène ou plutôt l'égaré, qu'elle est invisible. Mais la différence, relevée ici, est plutôt une ressemblance ; en effet le messager qui raconte dans la tragédie les fureurs d'Héraclès ne dit point qu'il ait vu Lyssa. Lyssa et Iris qui la déchaîne ont paru aux yeux du chœur, mais Lyssa annonce elle-même qu'elle pénétrera invisible dans le palais d'Héraclès.

Un peintre ami de l'allégorie aurait pu sans doute représenter Lyssa planant au-dessus d'Héraclès et lui soufflant ses fureurs; c'est ainsi que sur des peintures de vases nous apercevons auprès de Médée, tirant l'épée pour tuer ses enfants, auprès de Lycurgue massacrant sa femme et son fils, auprès de Térée, auprès d'Oreste> des figures de démons. Friederichs admire beaucoup cet emploi des êtres allégoriques qui personnifient le crime ou la passion et semblent en assumer tout l'odieux ; de sorte que le héros qui souillait ses mains dans le sang n'apparaissait plus que comme un instrument aveugle plus digne d'inspirer la compassion que l'horreur. Mais, comme l'a montré Brunn (8), cet artifice ne se rencontre guère que sur des vases et des bas-reliefs d'une époque ancienne; et si les artistes y ont eu recours, ce n'est pas pour rendre le héros moins odieux, mais bien pour suppléer à l'impuissance 472 de l'art qui était encore incapable d'exprimer les passions par les seuls traits du visage. En effet avec les progrès de la peinture, ces figures de démons deviennent plus rares et disparaissent entièrement; dans les peintures campaniennes et sur beaucoup de bas-reliefs, Médée, Oreste et Lycurgue sont représentés comme l'Héraclès de notre tableau ; c'est dans leur âme que la passion est entrée ; c'est là qu'elle exerce ses ravages, attestés par l'altération de la physionomie et la violence du geste ; mais elle ne se montre point à côté d'eux, sous les traits d'une divinité infernale; elle n'existe pas en dehors d'eux. L'art de la décadence (et probablement aussi l'art alexandrin, à en juger par les peintures campaniennes) dédouble quelquefois le personnage, il l'assiste d'un génie; mais se conformant à ses tendances il choisit, pour les personnifier, des sentiments aimables ou tendres qui permettent l'introduction dans le tableau de figures gracieuses. Sans doute c'est là un acheminement à l'emploi des figures, comme la Lyssa, et si le peintre l'eût représentée, dans un tableau d'Héraclès furieux, nous n'en aurions témoigné aucune surprise; mais il n'y a pas lieu de s'étonner non plus qu'il ne l'ait pas fait. En somme il a été plus fidèle à l'esprit de son époque en l'omettant qu'il ne l'eût été en l'admettant.

Pour nous résumer, le peintre, empruntant son sujet à la pièce d'Euripide, s'est conformé au récit du poète; rien de plus naturel, et l'on ne saurait voir là un motif pour douter de l'authenticité de la peinture ; cette exactitude d'ailleurs n'est pas rigoureuse ; quelques détails ont été ajoutés ; d'autres ont été modifiés; mais ces additions et ces changements n'ont rien que de conforme aux lois de la peinture et aux habitudes de l'art antique (9).

(1) Hercule furieux, v. 975; trad. Pessonneaux, I, p. 378.

(2) Der ausruhende Herakles, p. 146.

(3) Tristem insaniae pœnitentia, pl. H. N.9 35, 141.

(4) Nicet. Choniat. De signis Constantinop., 5.

(5) Voir une miniat. du manuscrit ambroisien de l'Iliade, Ang. Mai, tab., XLI ; Inghir. Ga. Orner. Il, tav.. CXXV. Une porte divise la composition en deux parties égales; d'un côté, les Troyens armés de torches et de pieux s'élancent pour pénétrer dans le camp des Grecs ; de l'autre, les Grecs, mal protégés par la porte, se précipitent en désordre vers leurs vaisseaux.

(6) Voir dans Inghirami Galleria Omerica, Il., tav., 91, la reproduction d'un bas-relief étrusque qui représente, selon Inghirami, « une famille troyenne surprise à table par les Grecs », en tout cas, une scène de meurtre pendant un festin. Les urnes, les coupes, les amphores, les cyathes, sont jetés de côté et d'autre. La figure de la page 401 du présent ouvrage est empruntée à ce bas-relief.

(7) Rien ne prouve mieux que ces changements l'indépendance de l'art antique. En réalité, il ne relève que de lui-même; il suit la légende, mais il s'en écarte parfois,sans autre motif pour cela qu'un intérêt esthétique. Ainsi, suivant la Fable, Adonis avait été blessé à la cuisse; sur tel bas-relief, la blessure est au mollet, ce qui permet à l'artiste de montrer un des chiens du chasseur qui s'approche de la partie malade et la flaire, comme par un sentiment de compassion. Ailleurs, sur une pierre gravée (Arch. Zeit, 1849. Taf., VI), Philoctète est blessé à la cuisse, non au pied, sans doute pour mieux frapper l'œil du spectateur. Voir Welcker, Alt. Denkm, II, p. 117.

(8) Brunn, Die Philostr. Gem.f p. 256.

(9) Sur ce sujet d'Héraclès furieux, voir Stephani, Compte rendu de la commise, arch. de Saint-Pétersb., 1862, p. 120 et Ann. dell' Inst., 1864, 289 et 324.

ΘΕΙΟΔΑΜΑΣ

Τραχὺς οὗτος καὶ νὴ Δί´ ἐν τραχείᾳ τῇ γῇ· Ῥόδος γὰρ αὕτη ἡ νῆσος, ἧς τὸ τραχύτατον Λίνδιοι, γῆ σταφίδας μὲν καὶ σῦκα ἀγαθὴ δοῦναι, ἀρόσαι δὲ οὐκ εὐδαίμων καὶ ἁμαξεῦσαι ἄπορος. Ὁ δὲ στρυφνὸς καὶ ἐν ὠμῷ τῷ γήρᾳ γεωργὸς νοείσθω, Θειοδάμαντα τὸν Λίνδιον εἴ που ἀκούσας ἔχεις. Ἀλλὰ τοῦ θράσους· ὀργίζεται τῷ Ἡρακλεῖ Θειοδάμας, ὅτι ἀροῦντι αὐτῷ ἐπιστὰς ἀποσφάττει τὸν ἕτερον τῶν βοῶν καὶ σιτεῖται σφόδρα ἐθὰς ὢν τοῦ τοιούτου σιτίου. Ἡρακλεῖ γάρ που παρὰ Πινδάρῳ ἐνέτυχες, ὁπότε εἰς τὴν τοῦ Κορωνοῦ στέγην ἀφικόμενος σιτεῖται βοῦν ὅλον, ὡς μηδὲ τὰ ὀστᾶ περιττὰ ἡγεῖσθαι, Θειοδάμαντι δὲ περὶ βουλυτὸν ἐπιφοιτήσας καὶ πῦρ κομισάμενος—ἀγαθοὶ δὲ ἐμπυρεύσασθαι καὶ οἱ λίθοι—ἀπανθρακίζει τὸν βοῦν ἀποπειρώμενος τῶν σαρκῶν, εἰ μαλάττονται ἤδη, καὶ μόνον οὐχὶ ἐγκαλῶν ὡς βραδεῖ τῷ πυρί. Τὰ τῆς γραφῆς οἷα μηδὲ τὸ εἶδος παρεωρακέναι τῆς γῆς· ὅπου γάρ τι καὶ μικρὸν ἑαυτῆς ἀρόσαι παραδέδωκεν ἡ γῆ, ἔοικεν, εἰ συνίημι, οὐδὲ ἀπόρῳ. Ὁ δὲ Ἡρακλῆς τὸ μὲν ἐρρωμένον τῆς διανοίας ἐπὶ τὸν βοῦν ἔχει, τὸ δὲ ῥᾴθυμον αὐτῆς ταῖς τοῦ Θειοδάμαντος ἀραῖς δέδωκεν, ὅσον τὴν παρειὰν ἀνεῖσθαι, ὁ γεωργὸς δὲ λίθοις ἐπὶ τὸν Ἡρακλέα. Καὶ ὁ τρόπος τῆς στολῆς Δώριος, αὐχμός τε τῇ κόμῃ καὶ περὶ τῷ μετώπῳ πίνος καὶ ἐπιγουνὶς καὶ βραχίων, οἵους ἡ φιλτάτη γῆ τοὺς ἑαυτῆς ἀθλητὰς ἀποτελεῖ. Τοῦτο τοῦ Ἡρακλέους τὸ ἔργον καὶ ὁ Θειοδάμας οὗτος σεμνὸς παρὰ Λινδίοις, ὅθεν βοῦς μὲν ἀρότης Ἡρακλεῖ θύεται, κατάρχονται δὲ ἐπαρώμενοι, ὅσα οἶμαι ὁ γεωργὸς τότε, χαίρει δὲ ὁ Ἡρακλῆς καὶ Λινδίοις δίδωσι καταρωμένοις τὰ ἀγαθά.

XXIV. THEODAMAS.

Si cet homme est de mœurs sauvages, sauvage aussi est la contrée ; car je reconnais l'île de Rhodes et le territoire de Lindos, le plus rocailleux de l'île ; la vigne et le figuier y poussent heureusement, mais le labour n'y réussit point et les chemins manquent pour les chariots. Ce vieillard, encore vert, au visage sombre, est un laboureur, Thiodamas de Lindos, dont tu n'es pas sans avoir entendu parler. Admire son audace ; il s'emporte contre Héraclès qui près de lui égorge et dévore un des bœufs de son attelage. Le héros est coutumier d'un pareil repas ; tu as lu dans Pindare comment Héraclès, étant entré sous le toit de Coronos, dévora un bœuf tout entier, y compris les os. Le héros a rencontré Thiodamas à l'heure où l'on dételle les bœufs ; il s'est procuré du feu à l'aide de pierres fort commodes pour cet usage, et le voilà qui fait rôtir 473 le bœuf sur les charbons enflammés, tâtant les chairs, examinant le degré de cuisson et gourmandant presque la paresse du feu. L'artiste n'a point négligé de donner au sol son caractère propre ; car là même où la terre ne se refuse pas à toute culture, on voit bien, si je ne me trompe, qu'elle manque de fertilité (a). Héraclès n'a qu'une pensée, dévorer le bœuf ; les imprécations de Thiodamas le préoccupent tout juste assez pour dérider son visage. Le laboureur assaille d'ailleurs Héraclès à coups de pierres ; sa chevelure est inculte ; son visage immonde ; ses bras, ses genoux sont ceux que la terre, dans sa tendresse, donne aux athlètes qui luttent contre elle. Depuis cet exploit d'Héraclès, Thiodamas est vénéré des Lindiens qui immolent au héros un bœuf de labour, et commencent le sacrifice par des imprécations, celles-là, j'imagine, que profère l'antique laboureur. Héraclès aime à les entendre et comble de biens les habitants de Lindos, en récompense de leurs malédictions.
 

COMMENTAIRE

Héraclès pressé par la faim était capable de manger un bœuf tout entier ; de là le surnom de Buphagos qu'il mérita à plusieurs reprises. Philostrate parle de son séjour chez le roi des Lapithes, Goronos, et prétend que là il dévora un bœuf avec ses os. Chez les Dryopes du mont Oeta où d'autres auteurs placent sa rencontre avec Thiodamas, il aurait partagé le bœuf avec Déjanire, son fils Hyllos et Lichas le gouverneur de son fils, s'il faut en croire le scoliaste d'Apollonius; selon Apollodore, il se le réserva pour lui seul et l'engloutit dans son estomac. En Triphylie, il engagea avec Lépréos, le roi des Caucones, un combat de voracité ; les deux adversaires tuèrent un bœuf en même temps, se mirent en devoir de le déchirer à belles dents, et dit Pausanias, Lépréos se montra aussi grand mangeur qu'Héraclès. A Thermydres, port de l'île de Rhodes, Héraclès, débarquant, rencontra un bouvier qui conduisait un char attelé de deux taureaux ; il en détela un, le sacrifia et le mangea. Le bouvier trop faible pour lui résister, se retira sur une hauteur, dit Apollodore, et se mit à l'accabler d'injures. C'est à cette dernière légende que l'artiste avait emprunté le sujet du tableau décrit par Philostrate ; seulement le rhéteur donne au bouvier le nom de Thiodamas qui, selon certains auteurs et Apollodore entre autres, appartient au laboureur Dryope.

L'ordonnance du tableau était d'une grande simplicité; d'un côté, Héraclès faisait rôtir son bœuf et surveillait la cuisson, comme un héros d'Homère ; de l'autre, à distance sans doute et peut-être sur une hauteur, on apercevait le bouvier s'armant de pierres contre le héros ; ce qui permet à Philostrate de supposer qu'il proférait aussi des injures contre le ravisseur de son taureau. On voit avec plaisir que l'artiste, au lieu de montrer seulement un Héraclès 474 affamé et vorace, avait donné à son visage une expression de malice et d'ironique indifférence. Jacobs suppose que ce trait était emprunté à quelque comédie ancienne; nous savons en effet que la comédie antique aimait à représenter Héraclès, à lui imposer un rôle ridicule, et surtout à railler son grand appétit. Trois Héraclès faméliques sont connus à la scène, dit Tertullien (1). Cependant la conjecture de Jacobs ne semble pas nécessaire pour expliquer l'attitude et l'expression d'Héraclès. Si la scène se passe vraiment dans l'île de Rhodes, comme le prétend Philostrate, s'il est vrai que les Rhodiens, en sacrifiant à Héraclès, l'accablaient d'imprécations pour mériter ses faveurs, on comprend que l'artiste, faisant allusion à cet usage, ait peint un Héraclès souriant et presque joyeux d'être insulté. On peut dire, il est vrai, que Philostrate s'est trompé sur le lieu de la scène, que le peintre a voulu nous transporter en Dryopide, non à Rhodes, que ce Thiodamas est bien celui qui a soulevé les Dryopes contre Héraclès; et que, s'il porte le costume dorien, ce n'est pas parce que Rhodes, postérieurement à Héraclès, fut colonisée par des Doriens, mais bien parce que les Doriens s'établirent en Dryopide qui prit le nom de Doride. Dans ce cas, nous n'aurions pas besoin, pour expliquer l'air insouciant d'Héraclès, de rappeler la singularité d'un culte local; sa physionomie exprimerait la confiance du héros en lui-même, son mépris pour ses adversaires, et aussi cette tranquillité de conscience dans le mal qui s'unit souvent à un excès de force physique. Quoi qu'il en soit, cette expression d'Héraclès devait faire, au point de vue de l'art, sinon au point de vue de la religion, le principal intérêt du tableau.

Cette légende avait sans doute inspiré d'autres artistes dans l'antiquité. Une épigramme grecque de l'anthologie décrit une peinture qui représentait Héraclès entraînant par les cornes un bœuf de labour et brandissant sa massue. «Tel était Héraclès, lorsqu'il rencontra Thiodamas, dit le poète ; mais le sanglant sacrifice n'a point été montré. L'artiste a mis sans doute une plainte, une prière, sur les lèvres de Thiodamas ; Héraclès l'aura entendu et le bœuf est épargné (2). » L'auteur de l'épigramme s'est mépris vraisemblablement sur les intentions de l'artiste. Héraclès affamé était sourd aux prières, et Thiodamas, à en croire la tradition, n'était pas d'humeur à prier. On se demande d'ailleurs comment l'artiste avait pu mettre une plainte sur les lèvres de Thiodamas, qui n'était pas représenté, puis on se dit que si Thiodamas avait été représenté, au lieu de réclamer humblement son bœuf, il aurait, 475 comme dans notre tableau, assailli Héraclès à coups de pierres. Héraclès emmenait le bœuf pour le tuer ; sinon, à quoi lui aurait servi de brandir sa massue ?

(1) Anthol. Plan.,n° 101. Trad. F. D. (Hachette) II, 150. La traduction parle d'une statue, mais il s'agit évidemment d'une peinture comme le prouve le mot γράψε.

(2) Comme Héraclès était d'origine thébaine, on a supposé qu'Athènes la ville polie et brillante, en se moquant d'Héraclès, raillait Thèbes, la ville aux manières rustiques, à l'intelligence épaisse. Rien de moins exact : Syracuse avait devancé Athènes dans cette parodie des aventures d'Héraclès ; avant Cratinos, avant Stratus, Épicharme avait montré sur la scène un Héraclès vorace et enclin à l'ivresse (Cf. Artaud, Fragments pour servir à l'hist. de la comédie ancienne et Fr. Lorenz, Leben und Schriften des Koers Epicharmus).

 

 

ΑΒΔΗΡΟΥ ΤΑΦΑΙ

Μὴ τὰς ἵππους, ὦ παῖ, τὰς τοῦ Διομήδους ἆθλον ἡγώμεθα τοῦ Ἡρακλέους, ἅς γε καὶ ᾕρηκεν ἤδη καὶ συντέτριφε τῷ ῥοπάλῳ—καὶ ἡ μὲν κεῖται αὐτῶν, ἡ δὲ ἀσπαίρει, τὴν δὲ ἀναπηδᾶν ἐρεῖς, ἡ δὲ πίπτει, βάρβαροι ταῖς χαίταις καὶ ἐς ὁπλὴν λάσιοι καὶ ἄλλως θηρία· φάτναι δὲ ὡς ἀνάπλεῳ μελῶν ἀνθρωπείων καὶ ὀστῶν εἰσιν, οἷς εἰς τὴν ἱπποτροφίαν ταύτην ὁ Διομήδης ἐχρήσατο, αὐτός τε ὁ ἱπποτρόφος ὡς ἀγριώτερος ἰδεῖν ἢ αἱ ἵπποι, πρὸς αἷς πέπτωκεν—ἀλλὰ τουτονὶ τὸν ἆθλον χαλεπώτερον χρὴ δοκεῖν Ἔρωτός τε πρὸς πολλοῖς ἐπιτάττοντος αὐτὸν τῷ Ἡρακλεῖ μόχθου τε ἐπ´ αὐτῷ οὐ μικροῦ ὄντος. Τὸν γὰρ δὴ Ἄβδηρον ὁ Ἡρακλῆς ἡμίβρωτον φέρει ἀποσπάσας τῶν ἵππων, ἐδαίσαντο δὲ αὐτὸν ἁπαλὸν ἔτι καὶ πρὸ Ἰφίτου νέον, τουτὶ δὲ ἔστι καὶ τοῖς λειψάνοις συμβαλέσθαι· καλὰ γὰρ δὴ ἔτι ἐν τῇ λεοντῇ κεῖται. Τὰ μὲν δὴ δάκρυα τὰ ἐπ´ αὐτοῖς καὶ εἰ δή τι περιεπτύξατο αὐτῶν καὶ ὀλοφυρόμενος εἶπε καὶ τὸ βαρὺ τοῦ προσώπου τὸ ἐπὶ πένθει δεδόσθω καὶ ἄλλῳ ἐραστῇ· ἄλλο ἐχέτω τι καὶ ἡ στήλη γέρας ἐφεστηκυῖα καλοῦ σήματι· ὁ δ´ οὐχ ὅπερ οἱ πολλοὶ πόλιν τε τῷ Ἀβδήρῳ ἀνίστησιν, ἣν ἀπ´ αὐτοῦ καλοῦμεν, καὶ ἀγὼν τῷ Ἀβδήρῳ κείσεται, ἀγωνιεῖται δ´ ἐπ´ αὐτῷ πυγμὴν καὶ παγκράτιον καὶ πάλην καὶ τὰ ἐναγώνια πάντα πλὴν ἵππων.

XXV. LES FUNERAILLES D'ABDÈRE.

N'allons pas croire, mon enfant, quie ravir les cavales de Diomède et les faire périr sous la massue, ait été pour Héraclès une dure épreuve [a). L'une déjà morte est gisante ; l'autre râle ; celle-ci semble vouloir se relever ; celle-là s'affaisse ; toutes ont la crinière hérissée, le sabot velu ; ce sont de vraies bêtes fauves. Les mangeoires sont abondamment remplies de chairs et d'ossements humains, seule nourriture en usage dans les écuries de Diomède, et voilà le maître lui-même plus sauvage encore que ses cavales auprès desquelles il est tombé. L'épreuve la plus terrible pour Héraclès est celle qui lui fut imposée par Éros après tant d'autres : car une cruelle douleur vient ici s'ajouter à la fatigue ; le voilà qui emporte, après l'avoir arraché à la dent des cavales, le corps demi-dévoré d'Abdère ; jeune encore et dans un âge plus tendre qu'Iphitos, le malheureux a servi de repas à ces monstres. Ce qui reste de lui permet encore de juger ce qu'il était ; ils conservent encore leur beauté, ces débris que renferme la peau de lion. Si le héros a versé des larmes sur cette dépouille inanimée, s'il a jeté ses bras autour du cadavre, s'il a proféré des gémissements, si son visage est assombri par la douleur, ce sont là des marques d'affection données à d'autres amants (b) ; quelques-uns élèvent sur la tombe du bel adolescent qu'ils ont aimé une stèle qui parle de lui avec honneur ; un hommage plus rare est réservé à Abdère ; Héraclès fonde une ville que nous appelons Abdère de son nom ; il établira ensuite des jeux et près du tombeau on se disputera le prix du pugilat, du pancrace, de la lutte, de tous les exercices, la course des chevaux exceptée.

COMMENTAIRE

Eurysthée ordonna à Héraclès, pour huitième travail, de lui amener à Mycènes les juments de Diomède, fils d'Ares et de Cyrène, roi des Bistoniens. Ces cavales se nourrissaient de chair humaine ; dans l'AIceste d'Euripide, le chœur avertit Héraclès, récemment débarqué pour cette expédition, qu'il verra des crèches arrosées de sang (1). Le héros, aidé par quelques jeunes gens de bonne volonté, s'empara des cavales, les soumit au frein, et 476 monté sur le char même du roi, les poussa vers la mer. Les Bistoniens accoururent pour les reprendre; il fallut combattre. Abdéros, un fils d'Hermès, dont le héros était épris, fut chargé de garder les cavales, mais il ne put les contenir et fut dévoré. Vainqueur, Héraclès tua Diomède, le livra en pâture à ses chevaux, et bâtit une ville du nom d'Abdère. Selon les uns, il massacra les cavales ; selon les autres, il les emmena et les donna à Eurysthée qui les mit en liberté.

Les commentateurs varient sur le sens de cette légende. Le stoïcien Cléanthe prétendait que Diomède, roi de la Thrace, forçait les étrangers à entrer dans le lit de ses filles qui étaient des monstres de laideur. Le mot grec qui signifie jument s'applique quelquefois en effet aux femmes de mauvaise vie (2). Les mythologues modernes qui voient dans Héraclès un dieu solaire veulent que Diomède soit un roi de la tempête, ses cavales, les souffles de l'ouragan qui poussent les navires sur les rochers et qui tombent, dès que les rayons du soleil commencent à percer entre les nuages ; Abdère, fidèle compagnon d'Héraclès, serait alors l'étoile du matin (3).

Cette légende, comme toutes celles qui concernent Héraclès, appela l'attention des artistes. Tantôt ils représentent Héraclès saisissant par la bride ou par la tête les cavales fougueuses : admirable occasion pour faire piaffer des chevaux et pour tendre, dans un vigoureux effort, tous les muscles d'un corps robuste (4) ; tantôt, comme sur un bas-relief du Louvre, Héraclès, qui a tué les cavales gisantes sur le sol, pèse de sa main sur la tête de Diomède qui s'affaisse ; tantôt, comme sur le trône d'Àmyclées, Héraclès châtiait Diomède: quel était ce châtiment? Héraclès assommait-il Diomède d'un coup de massue, comme sur une médaille d'Antonin le Pieux (5) ? Le livrait-il en pâture à la dent de ses cavales, suivant la tradition ? Pausanias avant de commencer sa description du trône d'Amyclées avertit le lecteur que pour ne pas le fatiguer il sera avare de détails sur chaque sujet; ce scrupule est d'autant plus méritoire chez Pausanias qu'il est plus rare, mais d'autant plus fâcheux en cette circonstance qu'il nous prive d'une comparaison avec Philostrate. D'autres artistes avaient montré Abdère déchiré par les chevaux (6) ; enfin dans la peinture qui nous occupe, Héraclès emportait les restes d'Abdère dans sa peau de lion et s'apprêtait à les ensevelir.

Les chevaux de Diomède et Diomède lui-même étaient étendus morts ou mourants sur le sol ; l'artiste n'avait donc pas suivi la légende d'après laquelle les chevaux auraient été amenés à Mycènes. On conçoit d'ailleurs aisément 477 pourquoi il avait pris ce parti, soit qu'il eût modifié de lui-même la fable reçue, soit qu'il eût «adopté une tradition particulière. La présence des cavales indiquait le sujet à première vue : si le peintre les eût représentées attelées à un char ou tenues par la bride, le spectateur se serait demandé avec étonnement pourquoi Abdère n'était pas encore vengé ; il semble que fou de douleur à la vue du cadavre de son jeune compagnon, Héraclès ait dû en effet oublier l'ordre d'Eurysthée et ne songer qu'à ses ressentiments.

Le peintre avait donné aux cavales un aspect de bêtes féroces, une crinière hérissée, des sabots velus ; le groupe du Vatican n'offre pas ces détails curieux, que la sculpture néglige volontiers ; d'ailleurs l'idée des deux compositions était différente ; le sculpteur voulait montrer la force du héros et la fougue de cavales indomptées, qui, suivant une tradition, donnèrent naissance à toute une race de chevaux illustres et devaient compter, parmi leurs descendants, le fameux cheval de Seius Cneius « cheval bai, d'une grandeur extraordinaire, à la tête élevée, à la crinière épaisse et brillante (7), » réunissant enfin toutes les perfections. Le peintre, au contraire, ne s'était proposé que d'inspirer l'horreur et la compassion ; la compassion pour Abdère, l'horreur pour Diomède et ses cavales.

Cette horreur était même poussée si loin, qu'elle a rendu suspecte à quelques critiques l'authenticité du tableau. Des restes ensanglantés, des lambeaux de chair humaine, des membres détachés du corps, quel spectacle à offrir aux yeux ! les anciens l'auraient-ils supporté ? Nous avons déjà répondu plusieurs fois à des objections semblables (8) ; si le réalisme n'apparaît point dans les œuvres de la belle époque, il n'est pas sûr qu'il ne se soit pas glissé dans l'art, à une époque de décadence ; s'il semble exclu de la peinture décorative, il n'est pas sûr que la peinture de chevalet n'ait pas quelquefois, pour être plus pathétique, sacrifié la beauté à la vérité ; d'ailleurs Philostrate est ici, comme partout, très sobre de détails : qui nous dit que la peau du lion repliée sur le corps d'Abdère ne cachait pas des plaies horribles ? Qui nous dit que Philostrate ne décrit pas plutôt ce qu'il devine que ce qu'il voit réellement ? En tout cas, le tableau ne présentait pas que des objets hideux, puisque Abdère tout couvert de blessures, tout lacéré qu'il était, conservait encore des traces de beauté. De tels contrastes enlèvent à la beauté ce qu'elle a de froid par elle-même, à la pitié ce qu'elle peut avoir de trop poignant. Jamais l'art n'atteint mieux son but, ce semble, que quand il sait tenir ainsi en équilibre, sans les affaiblir l'un par l'autre, les sentiments dont il nous affecte.

(1) Eur. 496. Cf. Herc. fur., v. 380.

(2) Élien., Ν. A, IV, 11.

(3) Preller, II, 201 ; Decharme, Myth. gr., p. 490.

(4) Groupe du Vatican, M. P. CL., pl. IV, 40, 41,42 ; conque de la Villa Albani, Winkelm M. inéd., 2, XXXV; bas-relief ayant appart. au cardin. Borgia (Millin, Gal. myth., pl. CXVII. n° 453).

(5) Mionn., Suppl., IX, pl. 8, 24.

(6) Vase de Vomci, édité par Roulez (Acad. roy. de Brux., t. IX, n° 3).

(7) Aulu-Gelle, III, 9, Cf. Diod., 4, 15.

(8) Voir l'introduction, p. 81 et SUIY.

 

ΞΕΝΙΑ

Ὁ μὲν ἐν τῷ οἰκίσκῳ λαγωὸς δικτύου θήραμα, κάθηται δὲ ἐπὶ τῶν σκελῶν ὑποκινῶν τοὺς προσθίους καὶ ὑπεγείρων τὸ οὖς, ἀλλὰ καὶ βλέπει παντὶ τῷ βλέμματι, βούλεται δὲ καὶ κατόπιν ὁρᾶν δι´ ὑποψίαν καὶ τὸ ἀεὶ πτήσσειν, ὁ δ´ ἐκκρεμάμενος τῆς αὔου δρυὸς ἀνερρωγώς τε τὴν γαστέρα καὶ διὰ τοῖν ποδοῖν ἐκδεδυκὼς ὠκύτητα κατηγορεῖ τοῦ κυνός, ὃς ὑπὸ τῆς δρυὸς κάθηται διαναπαύων ἑαυτὸν καὶ δηλῶν μόνος ᾑρηκέναι. Τὰς πλησίον τοῦ λαγὼ νήττας, ἀρίθμει δὲ αὐτὰς δέκα, καὶ τοὺς ὅσαιπερ αἱ νῆτται χῆνας οὐ δεῖ βλιμάζειν· ἀποτέτιλται γὰρ αὐτῶν τὸ περὶ τὰ στέρνα πᾶν ἐκεῖ τοῖς πλωτοῖς ὄρνισι πλεονεκτούσης τῆς πιμελῆς. Εἰ δὲ ζυμίτας ἄρτους ἀγαπᾷς ἢ ὀκταβλώμους, ἐκεῖνοι πλησίον ἐν βαθεῖ τῷ κανῷ. Καὶ εἰ μὲν ὄψου τι χρῄζεις, αὐτοὺς ἔχεις— τοῦ τε γὰρ μαράθου μετέχουσι καὶ τοῦ σελίνου καὶ ἔτι τῆς μήκωνος, ἥπερ ἐστὶν ἥδυσμα τοῦ ὕπνου— εἰ δὲ 〈δευτέρας〉 τραπέζης ἐρᾷς, τουτὶ ἐς ὀψοποιοὺς ἀναβάλλου, σὺ δὲ σιτοῦ τὰ ἄπυρα. Τί οὖν οὐ τὰς δρυπεπεῖς ἁρπάζεις, ὧν ἐφ´ ἑτέρου κανοῦ σωρὸς οὗτος; οὐκ οἶσθ´ ὅτι μικρὸν ὕστερον οὐκέθ´ ὁμοίαις ἐντεύξῃ ταύταις, ἀλλὰ γυμναῖς ἤδη τῆς δρόσου; καὶ μηδὲ τραγημάτων ὑπερίδῃς, εἴ τί σοι μεσπίλου μέλει καὶ Διὸς βαλάνων, ἃς τρέφει λειότατον φυτὸν ἐν ὀξεῖ τῷ ἐλύτρῳ καὶ ἀτόπῳ λέπειν. Ἐρρέτω καὶ τὸ μέλι [τῆς τῶν ἰσχάδων συνθήκης] παρούσης παλάθης ταυτησὶ καλουμένης καὶ ὅ τι ἂν εἴποις· οὕτως ἡδὺ πέμμα. Περιαμπίσχει δὲ αὐτὴν φύλλα οἰκεῖα παρέχοντα τῇ παλάθῃ τὴν ὥραν. Οἶμαι τὴν γραφὴν ἀποφέρειν τὰ ξένια ταυτὶ τῷ τοῦ ἀγροῦ δεσπότῃ, ὁ δὲ λούεται τάχα Πραμνείους ἢ Θασίους βλέπων ἐνὸν τῆς γλυκείας τρυγὸς ἐπὶ τῇ τραπέζῃ πιεῖν, ὡς εἰς ἄστυ κατιὼν ὄζοι στεμφύλου καὶ ἀπραγμοσύνης καὶ κατὰ τῶν ἀστυτρίβων ἐρεύγοιτο.

478 XXVI. PRÉSENTS D'HOSPITALITÉ.

Ce lièvre enfermé dans une cage a été pris au filet ; il est assis sur ses pattes de derrière et remue doucement celles de devant; il dresse l'oreille et ouvre les yeux aussi grands qu'il peut ; il voudrait regarder derrière lui, tant il est inquiet et sans cesse tremblant ; cet autre qui est suspendu à une branche de chêne desséchée, le ventre ouvert et les pattes dépouillées, témoigne de la vitesse du chien assis au pied de l'arbre pour se reposer et aussi pour montrer que seul il a pris la bête. Voici des canards, au nombre de dix (tu peux les compter) et des oies en nombre égal ; il n'est pas besoin de tâter les uns ni les autres ; ils ont été plumés tout autour de la poitrine qui est l'endroit le plus gras chez les oiseaux aquatiques. Aimes-tu les pains au levain ou les pains octablomes (1), ils sont ici près dans une profonde corbeille (a). Aimes-tu avec le pain un assaisonnement (b), ces pains eux-mêmes te l'offriront, car ils sont apprêtés avec le fenouil, le persil et les pavots qui procurent un si doux sommeil. Es-tu impatient d'être à table : renvoie ces provisions au cuisinier, mais en attendant, régale-toi des bonnes choses qui n'ont pas besoin de voir le feu (c). Pourquoi ne t'empares-tu pas de ces fruits qui s'élèvent en deux corbeilles? ne sais-tu pas que, pour peu que tu attendes, tu ne les retrouveras plus tels qu'ils sont maintenant, avec leur parure de rosée ? Ne regarde pas non plus avec indifférence les friandises, si tu n'as pas d'antipathie contre les nèfles et contre les châtaignes, ce fruit étrange, à l'enveloppe hérissée de pointes, qui vient sur le plus lisse des arbres. Ni le miel ni rien de ce qui lui ressemble n'a de prix à côté de cet amas de figues, de cette palathé (d), c'est le nom usité ; rien n'est plus doux que ce fruit. Quant au panier, les feuilles de figuiers qui l'enveloppent lui donnent encore un aspect plus agréable. Je crois voir la peinture offrir ces présents au maître du sol qui les produit, mais ce maître est sans doute au bain (e), songeant à un vin de Pramne ou de Thasos, lorsqu'il pourrait boire un vin délicieux à sa table, revenir à la ville tout parfumé de vendange et d'oisiveté, et se mêler aux citadins avec le hoquet de l'ivresse (f).

(1) Mot à mot de huit bouchées. Il est probablement question de pains divisés en compartiments par des sillons allant du centre à la circonférence ; les peintures campaniennes offrent des pains qui ont cet aspect.

COMMENTAIRE

A ce tableau de nature morte, comme nous dirions, il serait aisé de trouver 479 un pendant parmi les peintures campaniennes ; il y a mieux : les objets qu'il représentait sont si fréquents sur les murs de Pompéi qu'il suffirait presque de copier ici un détail, là un autre pour refaire entièrement le tableau. On ne retrouverait peut-être pas le lièvre en cage, mais voici le lièvre éventré et suspendu par les pattes (2). S'il n'y a pas de chien pour garder un lièvre mort, une peinture de salle à manger, dit Mazois (3), nous montre un chien défendant contre un chat et un chien plus gros un morceau de pain et un morceau de viande. Ailleurs nous voyons quatre canards attachés au croc ; l'un est sans vie et pend de toute la longueur de son corps ; les trois autres encore vivants redressent la tête : tous les quatre, ainsi disposés, forment un groupe harmonieux, naturel, bien qu'astreint aux lois de la symétrie. Dans la casa dei Dioscuri (4), une oie git sur le sol, les pattes attachées ensemble, il est vrai qu'elle n'a pas la poitrine plumée, comme les oies de notre tableau. Nombreux sont les paniers de figues (5) ; les pains non plus ne sont pas rares ; il y en a de petits et de gros; des blancs et des bruns ; les uns à quatre divisions, les guadrœ des latins, les autres à sillons multiples, partant du centre (6) ; étaient-ils analogues aux pains octablomes dont parle Philostrate? Il semble naturel de le croire.

Il est fâcheux que Philostrate ne nous donne pas sur ce tableau quelques détails techniques. On aimerait à savoir si les objets étaient disposés avec symétrie ou dans un désordre pittoresque, si l'artiste avait simulé la nature dans ses moindres accidents, si les couleurs, tout en restant vraies, se fondaient dans un ensemble harmonieux, si un sage emploi du clair-obscur donnait à toute chose un relief suffisant ; mais le sophiste ne veut pas tant louer le talent du peintre que lutter avec la peinture elle-même pour exciter le désir du spectateur : de là ces particularités suggérées à l'écrivain par l'imagination plutôt qu'observées sur le tableau, comme ces pains parfumés de fenouil, de persil ou de pavot; de là cette invitation à faire main basse sur le fruit qui dans quelques instants aura perdu de sa fraîcheur. En outre un tableau de nature morte ne porte pas en lui-même son explication, aux yeux d'un rhéteur. Pourquoi l'artiste a-t-il réuni tous ces objets ? sans doute parce qu'ils faisaient bien ensemble, et que rapprochés ils servaient à la décoration d'un panneau ; mais ce motif n'est pas suffisant pour Philostrate. Ce sont là des présents que le sol, que la peinture, suivant le terme de Philostrate, offre au propriétaire, comme le fermier à son patron ; ce sont des présents envoyés des champs à la ville, ils prouvent la richesse de l'heureux mais trop dédaigneux possesseur.

(2) Helb.,Wandg., n° 1692.

(3) Ibid., n° 1661 et suiv.

(4) Ant. d'Erc, vol. V, p. 375. Roux aîné, I, pl. IV et V.

(5) Ant (d'H., 2e p., 299 et 287.

(6) Antiquités de Pompéi, II, 55, p. 99, Helbig, n* 1606.
 

 

ΑΘΗΝΑΣ ΓΟΝΑΙ

 Οἱ μὲν ἐκπληττόμενοι θεοὶ καὶ θεαὶ προειρημένον αὐτοῖς μηδὲ Νύμφας ἀπεῖναι τοῦ οὐρανοῦ, παρεῖναι δὲ αὐτοῖς ποταμοῖς, ὧν γίνονται, φρίττουσι δὲ τὴν Ἀθηνᾶν ἄρτι τῆς τοῦ Διὸς κεφαλῆς ἐν ὅπλοις ἐκραγεῖσαν Ἡφαίστου μηχαναῖς, ὡς πέλεκυς. Τὴν δὲ ὕλην τῆς πανοπλίας οὐκ ἂν συμβάλοι τις· ὅσα γὰρ τῆς ἴριδος χρώματα παραλλαττούσης εἰς ἄλλοτε ἄλλο φῶς, τοσαῦτα καὶ τῶν ὅπλων. Καὶ ὁ Ἥφαιστος ἀπορεῖν ἔοικεν, ὅτῳ ποτὲ τὴν θεὸν προσαγάγηται· προανάλωται γὰρ αὐτῷ τὸ δέλεαρ ὑπὸ τοῦ τὰ ὅπλα συνεκφῦναί οἱ. Ὁ δὲ Ζεὺς ἀσθμαίνει σὺν ἡδονῇ, καθάπερ οἱ μέγαν ἐπὶ μεγάλῳ καρπῷ διαπονήσαντες ἆθλον, καὶ τὴν παῖδα ἐξιστορεῖ φρονῶν τῷ τόκῳ, καὶ οὐδὲ τῆς Ἥρας τι δεινὸν ἐνταῦθα, γέγηθε δέ, ὡς ἂν εἰ καὶ αὐτῆς ἐγένετο. Καὶ θύουσιν ἤδη τῇ Ἀθηνᾷ δῆμοι δύο ἐπὶ δυοῖν ἀκροπόλεων, Ἀθηναῖοι καὶ Ῥόδιοι, γῇ καὶ θαλάττῃ, καὶ ἄνθρωποι γηγενεῖς, οἱ μὲν ἄπυρα ἱερὰ καὶ ἀτελῆ, ὁ δὲ Ἀθήνησι δῆμος πῦρ ἐκεῖ καὶ κνῖσα ἱερῶν. Ὁ καπνὸς δὲ οἷον εὐώδης γέγραπται καὶ μετὰ τῆς κνίσης ἀναρρέων. Ὅθεν ὡς παρὰ σοφωτέρους ἀφίκετο ἡ θεὸς καὶ θύσαντας εὖ, Ῥοδίοις δὲ λέγεται χρυσὸς ἐξ οὐρανοῦ ῥεῦσαι καὶ διαπλῆσαι σφῶν τὰς οἰκίας καὶ τοὺς στενωποὺς νεφέλην εἰς αὐτοὺς ῥήξαντος τοῦ Διός, ὅτι κἀκεῖνοι τῆς Ἀθηνᾶς ξυνῆκαν. Ἐφέστηκε τῇ ἀκροπόλει καὶ ὁ δαίμων ὁ Πλοῦτος, γέγραπται δὲ πτηνὸς μὲν ὡς ἐκ νεφῶν, χρυσοῦς δὲ ἀπὸ τῆς ὕλης, ἐν ᾗ ἐφάνη. Γέγραπται καὶ βλέπων· ἐκ προνοίας γὰρ αὐτοῖς ἀφίκετο.

480 XXVII. NAISSANCE D'ATHÉNA.

Ce sont des dieux et des déesses que tu vois ainsi frappés de stupeur; ordre a été donné à tous, même aux nymphes, de ne pas quitter le ciel et de comparaître, ces dernières avec les fleuves qui leur ont donné naissance. Ce qui les fait trembler, c'est la vue d'Athéna qui vient de sortir tout armée de la tête de Jupiter, ouverte par l'industrie d'Héphaestos, ainsi que l'indique la hache (a). On ne saurait trop dire de quelle matière est faite l'armure de la déesse ; autant Iris déploie de couleurs en reflétant la lumière de mille façons, autant les armes d'Athéna présentent de nuances. Héphœstos a l'air de se demander avec inquiétude comment il gagnera les bonnes grâces de la déesse ; ne pouvant donner à la déesse les armes avec lesquelles elle est née, le dieu a perdu d'avance les moyens de lui être agréable. Zeus respire avec plaisir comme font ceux qui, au prix d'un pénible travail, ont obtenu un grand résultat; Il contemple sa fille et paraît fier de son ouvrage. Quant à Héra, loin d'avoir l'air courroucé, elle se réjouit comme si Athéna était née d'elle. Et déjà sur deux acropoles, deux peuples,les Athéniens et les Rhodiens (b), la terre et la mer, offrent des sacrifices à la déesse; à Rhodes, le feu n'étant pas employé, la cérémonie reste incomplète ; chez les Athéniens, rien ne manque, ni le feu, ni la graisse brûlée des victimes, ni la fumée qui s'échappe de l'autel, en répandant une douce odeur dont la peinture nous apporte presque la sensation ; aussi la déesse est-elle venue chez les Athéniens comme plus sages et plus savants dans l'art des sacrifices. Quant aux Rhodiens, un nuage creva sur leur tête et il s'en échappa une pluie d'or qui remplit leurs maisons et leurs rues ; c'est ainsi que Zeus les récompensa pour avoir salué la naissance d'Athéna. Sur le sommet de l'Acropole se tient Ploutos ; il est représenté avec des ailes, étant descendu des nuées ; il est en or ayant paru sous la forme de ce métal ; enfin il a des yeux, ce n'est point en effet par aveuglement qu'il est allé chez les Rhodiens.

COMMENTAIRE

Le sujet de ce tableau est emprunté à Pindare qui, dans sa septième olympique raconte les origines de l'île de Rhodes et du culte d'Athéna lindienne, " Athéna n'était pas encore née, mais le moment était proche où, par le secours d'Héphaestos et de sa hache d'acier la déesse s'élancerait du cerveau de son père* en poussant un cri terrible qui devait faire frémir d'épouvante 481 le ciel et la terre. Alors le dieu qui éclaire le monde, le fils d'Hypérion, recommande aux Rhodiens, ses enfants chéris, de se préparer à élever les premiers un magnifique autel et à instituer des sacrifices en l'honneur d'Athéna. Mais les Rhodiens dans leur précipitation, montèrent, sans emporter avec eux la semence de la flamme ardente, sur l'Acropole où ils tracèrent une enceinte destinée à des sacrifices sans feu ; Jupiter amenant sur leurs têtes une blanche nuée, couvrit l'ile d'une pluie d'or, et la déesse aux yeux étincelants accorda aux Rhodiens la supériorité sur tous les mortels dans les travaux des mains. Aussi sur toutes les routes, cheminaient leurs œuvres, semblables à des êtres vivants. Telle fut la récompense accordée à la pieuse pensée des Rhodiens ; une plus grande était réservée à la fidèle observation des rites : Athéna choisit pour son séjour la ville d'Athènes où les premières victimes avaient été brûlées sur ses autels. »

La naissance d'Athéna a été souvent représentée parles artistes anciens (1), mais les monuments que nous connaissons n'offrent qu'une scène ; ici, nous en avons deux, l'une se passant dans l'Olympe, l'autre sur la terre. Un continent et une île, deux peuples, deux sacrifices, une statue symbolique, tels sont les éléments de cette seconde scène que l'art moderne rejetterait sans doute dans un lointain vaporeux, mais que l'artiste ancien avait dû représenter sur le premier plan, et avec des traits nettement arrêtés. Dans cette composition, la naissance d'Athéna reste toujours la scène principale. Avait-elle la même grandeur que dans l'hymne homérique et dans Pindare? « La déesse, dit l'hymne (2), jaillit soudain de la tête immortelle, brandissant une lance acérée ; le grand Olympe trembla terriblement sous le poids de la déesse aux yeux glauques ; tout autour la terre retentit d'un son épouvantable ; la mer aussi s'agita ; ses vagues sombres se soulevèrent, mais rentrèrent soudainement dans le calme ; le brillant fils d'Hypérion arrêta un 482 long temps ses coursiers, jusqu'à ce que la jeune vierge, Pallas Athéna, eût enlevé de ses épaules les armes divines ; le prudent Jupiter fut réjoui. » Ce sont là de fortes images, propres à la poésie, mais que l'art ne chercherait pas à retracer sans trahir sa faiblesse et son impuissance. L'artiste cependant avait essayé de suppléer, dans la mesure de ses ressources, à cette infériorité de la peinture ; nymphes et fleuves étaient présents, pour rendre la scène plus solennelle; les dieux et les déesses donnaient des marques d'effroi. Si Philostrate ajoute qu'Héphaestos avait l'air de se demander comment il gagnerait les bonnes grâces de la déesse, venue au monde tout armée et par cela même dispensée d'avoir recours aux bons offices du dieu, c'est là une subtilité de rhéteur qui a dû prendre volontairement l'expression de l'étonnement pour celle de l'inquiétude : si l'on voulait lutter de finesse avec le sophiste, ne pourrait-on pas lui répondre qu'Héphaestos avait tort d'être inquiet ; le coup de hache asséné sur la tête de Jupiter valait bien, en pareille circonstance, le don d'un bouclier ou d'une cuirasse. Philostrate est mieux inspiré, ou, pour parler plus exactement, il a mieux observé quand il lit un sentiment de fierté et de satisfaction sur le visage de Jupiter. Ce n'était point non plus le lieu de songer aux jalousies d'Héra ; il est difficile de croire qu'elle se réjouissait ; l'étonnement, qui est le sentiment le plus naturel en présence d'un fait si merveilleux, ne devait point laisser de place à la joie. En tout cas si l'artiste, comme le veut Philostrate, avait peint un Héphaestos inquiet et une Héra joyeuse, il aurait volontairement affaibli l'intérêt de son sujet, et détruit l'unité d'impression ; d'une scène qui devait avoir un caractère religieux, il eût fait une scène moitié sérieuse, moitié riante ; d'un grand événement théologique, il n'eût aperçu que le côté anecdotique et familier. Toutefois il y aurait quelque témérité à contester tout à à fait les assertions de Philostrate : nous n'avons point le tableau, et rien ne saurait en tenir lieu ; d'un autre côté, l'œuvre appartient à une époque de décadence, où l'élément humoristique se mêlait aux sujets les plus sévères; où même la réunion de caractères contradictoires dans une même peinture ne paraît pas avoir été sans exemple (3). Enfin, on pourrait croire qu'il y a eu ici, de la part de Philostrate et peut-être de l'artiste, une réminiscence de quelque poète comique ; nous savons, en effet, qu'Hermippe avait donné une comédie, intitulée La naissance d'Athênâ, où sans doute le poète raillait les douleurs de Zeus et les dispositions des dieux à l'égard de la nouvelle déesse; un même esprit de scepticisme et d'ironie règne dans le dialogue de Lucien entre Jupiter et Héphaestos : « Nous ne savions pas, dit ce dernier à Jupiter délivré, que tu avais un camp au lieu de tête. Mais vois donc, eUe saute, elle danse la pyrrhique, agite son bouclier, brandit sa lance, est saisie d'enthousiasme. Ce qui est plus fort, c'est qu'elle est devenue tout à coup fort belle et bonne à marier. » Et le dieu la demande à Jupiter pour le prix du 483 service qu'il vient de lui rendre. Sur le refus de son père, il déclare qu'il enlèvera la déesse. L'artiste, empruntant son sujet à Pindare, aurait dû sans doute oublier les poètes comiques, comme Hermippe, et les écrivains satiriques, comme Lucien ; mais on n'échappe qu'avec peine à l'esprit de son temps, et on est tenté de l'introduire là même où il n'a que faire.

Un des frontons du Parthénon représentait aussi la naissance d'Athéna ; malheureusement, il ne nous en reste que des fragments et, par une ironie du hasard, Pausanias, assez riche de détails sur le fronton que nous possédons presque entièrement, ne fait qu'indiquer d'un mot la scène représentée sur l'autre (4). Néanmoins et malgré ces personnages mutilés, ces torses sans tête; malgré celte brèche béante qui placée au beau milieu du tympan, nous prive de la scène principale, on devine, à voir ces dieux ou déesses, assis ou couchés, que la composition ne devait pas faire sur l'esprit du spectateur la même impression que la lecture de l'hymne homérique ; la terre et le ciel se réjouissent, mais leur joie est tranquille, sans mélange d'effroi et de stupeur ; à l'époque de Phidias et de ses élèves, les Grecs sont familiers avec le mystère de la naissance d'Athéna ; ils n'éprouvent plus l'étonnement naïf des vieux âges au récit des légendes divines ; la théologie, les pratiques même du culte ont discipliné l'imagination qui dans une scène religieuse semble plus préoccupée de la beauté et de la grâce qu'accessible à l'émotion; les lois delà sculpture, devinées d'instinct plutôt que formulées avec rigueur, empêchent d'ailleurs l'artiste de lutter avec les poètes et lui imposent des moyens tout différents de plaire et de toucher. Si on retranche de notre peinture les traits qui la déparent et qui sont peut-être de l'invention de Philostrate, elle devait tenir le milieu, pour le sentiment, entre l'hymne homérique et Pindare, d'un côté, de l'autre, le fronton de Parthénon ; moins hiératique que dans l'œuvre du sculpteur, la scène était aussi moins saisissante, accompagnée d'effets moins violents que chez l'un ou l'autre poète. La peinture nous paraîtrait alors tout à fait dans son rôle d'art intermédiaire, participant à la fois aux hardiesses de la poésie et aux timidités de la sculpture*. Remarquons en outre que le peintre, usant de toutes ses ressources, avait donné à l'armure d'Athéna un merveilleux éclat ;ily avait donc dans la stupeur des dieux et des déesses, de l'admiration et de l'éblouissement. Le sentiment se serait ainsi compliqué, sans que pour cela l'unité d'impression eût été brisée. Si, au contraire, nous regardons comme exactes toutes les indications de Philostrate, le tableau n'a plus de commun que le sujet, avec Homère, avec Pindare, avec le fronton du Parthénon ; il n'a d'analogie, pour le sentiment, qu'avec la poésie alexandrine, les Métamorphoses d'Ovide et les peintures campaniennes ; il semble même qu'une telle œuvre n'ait pu être conçue que sous l'influence combinée de la poésie et de l'esprit sophistique. Ce n'est plus la mythologie réduite aux proportions 484 d'un tableau de genre, c'est la mythologie dénaturée par l'introduction de la parodie ; c'est quelque chose se rapprochant du genre que les anciens appelaient hilaro-tragique.

Une statue en or, représentant le génie Ploutos, était debout sur l'Acropole de Rhodes. Une pareille allégorie et un semblable rapprochement entre Athéna et Ploutos ne sauraient nous étonner. A Thèbës, Ploutos enfant reposait dans les bras de Tychê ou la Fortune, considérée comme sa mère ou sa nourrice (5); chez les Athéniens, une statue de Céphisodole le représentait porté par Iréné, la Paix (6); à Thespies, Ploutos se tenait debout à côté d'Athéna ergané, l'ouvrière, la déesse des ouvrages à la main (7) ; c'est qu'en effet les travaux de femmes étaient une source de richesse dans l'économie domestique des anciens. Or il était tout aussi naturel de caractériser parla présence du génie Ploutos l'opulence accordée à tout un peuple par Athéna ou par Zeus en l'honneur de sa fille. Quant à l'emploi de l'or et à l'explication qu'en donne Philostrate, il n'y a rien là non plus que de très vraisemblable. Pausanias parie d'une statue dorée de la Fortune qu'il avait vue à Elée (8) ; Ploutos, non moins que la Fortune, méritait d'être en or, surtout à Rhodes, l'île à la pluie d'or et aux colosses dorés. Philostrate remarque en outre que Ploutos n'était pas aveugle ; cela pourrait faire supposer qu'il l'était quelquefois dans les représentations de l'art ; mais Philostrate, en cet endroit, devait songer au Ploutos d'Aristophane qui aveugle de naissance a besoin des secours d'Esculape pour jouir de la vue. D'ailleurs l'explication que donne Philostrate paraît plus ingénieuse que fondée. Le peintre, en représentant une statue de Ploutos avec des prunelles, n'avait fait que se conformer aux habitudes de la sculpture ancienne en or et en argent qui enchâsse souvent des pierres précieuses dans le globe de l'œil ; mais l'eût-il représenté aveugle, que Philostrate n'eût pas eu raison de dire qu'il était tel parce que le Ploutos de la légende n'y voit pas ; il eût partagé, à titre de statue, cette cécité conventionnelle qui est commune à presque toutes les statues antiques. Enfin, selon Philostrate, Ploutos avait des ailes. Sur les monuments parvenus jusqu'à nous (9), Ploutos, presque toujours groupé avec Déméter, caractérisé tantôt par une corbeille pleine d'épis qu'il tend à la déesse, tantôt par ces mêmes épis qu'il tient dans un pli de son vêtement, tantôt enfin par la corne d'abondance, n'est jamais ailé. C'est à tort que Wieseler a cru lui reconnaître des ailes sur une pâte du Musée de Berlin (10). L'absence de 485 es attributs ordinaires et la présence des ailes s'explique ici d'une façon toute naturelle ; d'un côté, Ploutos ne représente pas ici les richesses que produit la terre, mais l'or que le commerce et l'industrie font affluer dans l'île de Rhodes ; d'un autre côté, Ploutos est identifié avec un de ces génies que l'art antique, surtout depuis Alexandre, a tant prodigués, qui personnifient une abstraction, et qui sont toujours ailés. D'ailleurs Philostrate en se croyant obligé d'expliquer pourquoi Ploutos est ailé, semble prouver qu'il connaissait des représentations de Ploutos sans ailes.

(1) Outre le fronton oriental du Parthénon, Pausanias cite un groupe de l'Acropole d'Athènes (I, 24,2). Suivant Strabon (VIII, .343), Cléanthe de Corinthe avait peint la naissance d'Athéna; nous ne savons rien de plus sur cet ouvrage. Pour les monuments qui sont parvenus jusqu'à nous on peut voir dans Müller-Wieseler. Alt.  Denkm., n" 227 et 228, deux peintures archaïques d'après des vases de Voici ; sur  l'une (n° 227), Athéna sort de la tête de Jupiter assis; Apollon joue de la lyre ; derrière Jupiter, Eileithyia (?) assiste le dieu. Arès revêtu de ses armes est présent. Les personnages paraissent surtout s'intéresser à Jupiter, ce qui n'est pas le cas dans la peinture décrite par Philostrate. La même remarque s'applique au n° 228, mais Athéna est debout sur les genoux de Jupiter. Wieseler conjecture qu'Athéna était ainsi représentée sur le fronton oriental du Parthénon. Les n° 125 et 126, dans Millin, Galerie rnyth., représentent le même sujet. Sur le bas-relief (n° 125) Jupiter est en proie aux douleurs de l'accouchement ; dans le n° 126, qui reproduit les peintures d'une patère étrusque, une déesse (Thana, Ilithya?) reçoit Athéna sortant avec la lance et le bouclier de la tête de Jupiter assis : Sethlans (Héphaestos) est encore armé do la hache et lève les yeux sur l'apparition ; Thalna (Aphrodite) soutient le dieu. Ici encore le personnage principal est Jupiter. Sur les autres représentations, voir Gerhard Α. V., 1 à 3. Lenormant et de Witte, Élite des monum. céram., I. LIV-LXV; Berndorf, Ann. d'Inst. 1865, p. 373, a fait l'énumération de tous les vases connus qui représentent ce mythe.

(2) Hymne hom., 18.

(3) Déjà dans la peint camp., voir Helbig, Untersuch, p. 89 et suiv. ; p. 102.

(4) Paus., 1, 24, 5. Müller-Wieseler, D. d a. Κ. , n° 120.

(5) Paus.,IX, 17,2.

(6) P., I, 8, 2.

(7) P., IX, 26, 8.

(8) P., VI, 25, 4.

(9) Voir l'art, de M. F.Lenormant sur Cérèa dans le Dict. des antiquités de Daremberg et Saglio.

(10) Overb., Gr. myth., Demoter, p. 505.
 

 

ΙΣΤΟΙ

Ἐπεὶ τὸν τῆς Πηνελόπης ἱστὸν ᾄδεις ἐντετυχηκὼς ἀγαθῇ γραφῇ καὶ δοκεῖ σοι πάντα ἱστοῦ ἔχειν, στήμοσί τε ἱκανῶς ἐντέταται καὶ ἄνθεα κεῖται ὑπὸ τῶν μίτων καὶ μόνον οὐχ ὑποφθέγγεται ἡ κερκὶς αὐτή τε ἡ Πηνελόπη κλαίει δακρύοις, οἷς τὴν χιόνα τήκει Ὅμηρος, καὶ ἀναλύει ἃ διύφηνεν, ὅρα καὶ τὴν ἀράχνην ὑφαίνουσαν ἐκ γειτόνων, εἰ μὴ παρυφαίνει καὶ τὴν Πηνελόπην καὶ τοὺς Σῆρας ἔτι, ὧν τὰ ὑπέρλεπτα καὶ μόλις ὁρατά. Οἰκίας μὲν οὐκ εὖ πραττούσης προπύλαια ταῦτα, φήσεις αὐτὴν χηρεύειν δεσποτῶν, αὐλὴ δὲ ἔρημος εἴσω παραφαίνεται, καὶ οὐδὲ οἱ κίονες αὐτὴν ἔτι ἐρείδουσιν ὑπὸ τοῦ συνιζάνειν καὶ καταρρεῖν, ἀλλ´ ἔστιν οἰκητὸς ἀράχναις μόναις· φιλεῖ γὰρ τὸ ζῷον ἐν ἡσυχίᾳ διαπλέκειν. Ὅρα καὶ τὰ μηρύματα· τοῦτο ἀναπτύουσαι τὸ νῆμα καθιᾶσιν εἰς τοὔδαφος—δεικνύει δὲ αὐτὰς ὁ ζωγράφος κατιούσας δι´ αὐτοῦ καὶ ἀναρριχωμένας ἀερσιποτήτους κατὰ τὸν Ἡσίοδον καὶ μελετώσας πέτεσθαι—καὶ οἰκίας δὲ προσυφαίνουσι ταῖς γωνίαις τὰς μὲν εὐρείας, τὰς δὲ κοίλας· τούτων αἱ μὲν εὐρεῖαι χρησταὶ θερίζειν, ἃς δὲ κοίλας ὑφαίνουσιν, ἀγαθὸν τοῦτο χειμῶνος. Καλὰ μὲν οὖν καὶ ταῦτα τοῦ ζωγράφου· τὸ γὰρ οὕτω γλίσχρως ἀράχνην τε αὐτὴν διαπονῆσαι καὶ στίξαι κατὰ τὴν φύσιν καὶ τὸ ἔριον αὐτῆς ὑπομόχθηρον γράψαι καὶ 〈τὸ〉 ἄγριον ἀγαθοῦ δημιουργοῦ καὶ δεινοῦ τὴν ἀλήθειαν, ὁ δ´ ἡμῖν καὶ τὰ λεπτὰ διύφηνεν. Ἰδού· τετράγωνος μὲν αὕτη μήρινθος περιβέβληται ταῖς γωνίαις οἷον πεῖσμα τοῦ ἱστοῦ, περιῆπται δὲ τῇ μηρίνθῳ λεπτὸς ἱστὸς πολλοὺς ἀποτετορνευμένος τοὺς κύκλους, βρόχοι δὲ ἐκτενεῖς ἀπὸ τοῦ πρώτου κύκλου μέχρι τοῦ σμικροτάτου διαπλέκονται διαλείποντες 〈ἀπ´〉 ἀλλήλων ὅσον οἱ κύκλοι. Αἱ δὲ ἔριθοι δι´ αὐτῶν βαδίζουσι τείνουσαι τοὺς κεχαλασμένους τῶν μίτων. Ἀλλὰ καὶ μισθὸν ἄρνυνται τοῦ ὑφαίνειν καὶ σιτοῦνται τὰς μυίας, ἐπειδὰν τοῖς ἱστοῖς ἐμπλακῶσιν. Ὅθεν οὐδὲ τὴν θήραν αὐτῶν παρῆλθεν ὁ ζωγράφος· ἡ μὲν γὰρ ἔχεται τοῦ ποδός, ἡ δὲ ἄκρου τοῦ πτεροῦ, ἡ δὲ ἐσθίεται τῆς κεφαλῆς, ἀσπαίρουσι δὲ πειρώμεναι διαφυγεῖν, ὅμως οὐ ταράττουσιν οὐδὲ διαλύουσι τὸν ἱστόν.

XXVIII. LES TOILES.

Devant une bonne peinture représentant Pénélope à son métier, tu chantes les louanges de l'artiste : voilà bien, dis-tu, une véritable toile : les fils de la chaîne sont bien tendus ; les ornements se voient sous les lisses ; on entend presque le son de la navette ; Pénélope elle-même pleure de vraies larmes, semblables à la neige fondante (a), selon l'expression d'Homère, et défait son propre ouvrage. Considère maintenant de près le travail d'une araignée (b) ; vois si elle n'est pas meilleure ouvrière que Pénélope et même que les Sères dont les tissus d'une extrême finesse échappent presque à la vue. C'est ici le vestibule d'une maison peu fortunée ; on dirait qu'elle n'a point de maître; à l'intérieur, on aperçoit une cour déserte ; les colonnes qui se sont affaissées et déjetées ne soutiennent plus rien ; les seuls hôtes sont les araignées ; c'est un animal qui recherche le silence pour tisser sa toile. Vois-les maintenant à l'œuvre ; le fil qu'elles tirent de leur corps, elles le laissent tomber à terre. Le peintre nous les montre descendant et grimpant le long de cette échelle, insectes à la haute volée (c), comme les appelle Hésiode ; elles tissent dans les angles leurs demeures dont les unes sont tout en surface, les autres sont de forme concave : les premières sont des habitations d'été, les autres offrent un asile commode pendant l'hiver; Autres remarques à l'honneur du peintre : son araignée d'une exécution minutieuse, hérissée et tachetée comme dans la nature, présente à la vue quelque chose de menaçant et de sauvage (d) ; reconnais à ces traits un artiste habile, soucieux de la vérité, et soucieux à ce point qu'il a représenté les fils les plus menus du tissu. Vois en effet : un fil quadruple (e), servant de câble, est fixé aux angles de la toile ; à ce fil se suspend la toile légère formée de nombreux cercles concentriques ; ces cercles sont réunis depuis le premier et le plus grand jusqu'au plus petit par des fils qui les traversent en droite ligne, ne laissant entre eux d'autre distance que celle qui est entre les cercles. Les ouvrières parcourent 486 le tissu pour tendre les lisses qui se sont relâchées. Elles trouvent d'ailleurs la récompense de leurs peines ; elles dévorent les mouches que leurs filets ont retenues captives. Le peintre n'a pas oublié de représenter ce genre de chasse. Une mouche est retenue par la patte ; l'autre, par l'extrémité de l'aile ; la tête d'une autre est déjà dévorée. Les victimes tressaillent et font des efforts pour fuir ; mais elles ne peuvent ni briser ni agrandir les mailles du tissu.

COMMENTAIRE

Ce tableau rentre dans le genre que les anciens désignaient sous le nom de rhopographie ou peinture de menus objets. La perfection du travail, l'exactitude de l'imitation, tels sont les mérites propres à ce genre ; tels sont aussi ceux que Philostrate découvre et loue dans notre tableau. Cependant le sujet avait ici un certain intérêt par lui-même, et le sophiste semble l'avoir compris; cette toile ingénieusement construite, cette araignée en embuscade, ces mouches prisonnières, ce sont là des merveilles qu'il ne saurait être interdit aux peintres de représenter avec amour plus qu'au savant d'observer avec curiosité. La toile décrite par Philostrate est particulièrement remarquable par sa régularité ; elle semble avoir été faite par une de ces Épeires, dont les toiles, véritables chefs-d'œuvre de tissage, amusent l'œil autant qu'elles étonnent l'esprit (1). Pour justifier le choix d'un pareil sujet, il n'est pas besoin de rappeler une maxime chère à la critique moderne : « tout ce qui a vie a droit »; il suffit de croire que le droit existe partout où aux signes vulgaires de la vie se joignent les signes supérieurs de l'intelligence et de l'instinct. Si l'artiste eût tendu dans les angles de son vestibule délabré les toiles informes et sordides que filent plusieurs espèces d'araignées, peut-être serions-nous de l'avis de Heyne qui s'écriait : voici un singulier sujet de peinture, mirum argumentum tabulœ. Mais nous avons devant les yeux une araignée savante, une toile belle en son genre ; à ce titre, l'araignée et sa toile méritent de figurer dans une galerie d'art, comme la toile de l'Épeire diadème, d'illustrer un ouvrage sur les mœurs des insectes.

La description de Philostrate convient bien à une toile d'araignée ; voilà les fils que M. Blanchard, comme le rhéteur grec, appelle des câbles, destinés à soutenir l'édifice (2); voici les rayons et les cercles concentriques ; mais comment Philostrate peut-il dire qu'entre les rayons il y a la même distance 487 qu'entre les cercles? D'un côté, la distance entre les rayons va s'élargissant du centre à la circonférence; de l'autre, les cercles, du moins dans la toile de l'Épeire, sont beaucoup plus nombreux que les rayons et se pressent pour ainsi dire les uns contre les autres. Sans doute Philostrate veut dire que les cercles, eu se rapprochant de la circonférence, tendaient à s'écarter les uns des autres, dans la même mesure que les rayons. Y a-t-il des exemples d'une pareille toile ? Nous l'ignorons ; mais s'il y a là une inexactitude, elle ne saurait guère nous surprendre de la part des artistes anciens qui aimaient, comme le prouve l'emploi fréquent des formes conventionnelles, à exagérer la régularité naturelle; d'ailleurs, dans les toiles d'araignées ainsi construites, on remarque réellement un écart plus grand entre les grands cercles qu'entre les petits. On conçoit à la rigueur que le peintre ait été conduit à faire cet écart aussi grand que celui des rayons.

Il est inutile, ce semble, de remarquer que Pénélope n'était point représentée dans le tableau ; si l'artiste eût voulu montrer la femme d'Ulysse, il ne l'eût point vraisemblablement assise à son métier, dans une cour en ruines, au milieu de toiles d'araignées. Un mot mal interprété a fait penser à un critique que Philostrate faisait allusion à un tableau de la même galerie et voisin de celui qui nous occupe ; il n'en est rien ; Philostrate, en rappelant Pénélope, ne veut que relever par une comparaison le mérite du tableau ; il plaide à sa manière, et en sophiste la cause de la phorographie.

(1) Voir Em. Blanchard, Métamorphoses des Insectes, p. 684.

(2) Ibid. " A l'automne, on voit dans tous nos jardins, bion campée au milieu de sa toile, la grosse Épeire de notre pays, l'Épeire diadème, qui a reçu son nom des ornements qui se dessinent sur la teinte rosée de son abdomen... Dans la toile do cette belle araignée, on distingue les cordages qui soutiennent l'édifice; les rayons et les cercles qui forment la trame. " L'admiration de H. Blanchard égale celle de Philostrate, ce qui justifie le sophiste.

 

 

ΑΝΤΙΓΟΝΗ

Τοὺς μὲν ἀμφὶ Τυδέα καὶ Καπανέα καὶ εἰ δή τις Ἱππομέδων καὶ Παρθενοπαῖος ἐνταῦθα Ἀθηναῖοι θάψουσιν ἀγῶνα ἀράμενοι τὸν ὑπὲρ τῶν σωμάτων, Πολυνείκην δὲ τὸν Οἰδίποδος Ἀντιγόνη ἡ ἀδελφὴ θάπτει νύκτωρ ἐκφοιτήσασα τοῦ τείχους καίτοι κεκηρυγμένον ἐπ´ αὐτῷ μὴ θάπτειν αὐτὸν μηδὲ ἑνοῦν τῇ γῇ, ἣν ἐδουλοῦτο. Τὰ μὲν δὴ ἐν τῷ πεδίῳ νεκροὶ ἐπὶ νεκροῖς καὶ ἵπποι, ὡς ἔπεσον, καὶ τὰ ὅπλα, ὡς ἀπερρύη τῶν ἀνδρῶν, λύθρου τε οὑτοσὶ πηλός, ᾧ φασι τὴν Ἐνυὼ χαίρειν, ὑπὸ δὲ τῷ τείχει τὰ μὲν τῶν ἄλλων λοχαγῶν σώματα μεγάλοι τέ εἰσι καὶ ὑπερβεβληκότες ἀνθρώπων, Καπανεὺς δὲ γίγαντι εἴκασται· πρὸς γὰρ τῷ μεγέθει βέβληται ὑπὸ τοῦ Διὸς καὶ ἔτι τύφεται. Τὸν Πολυνείκην δὲ ἡ Ἀντιγόνη μέγαν καὶ κατ´ ἐκείνους ὄντα καὶ ἀνῄρηται τὸν νεκρὸν καὶ θάψει πρὸς τῷ τοῦ Ἐτεοκλέους σήματι διαλλάττειν ἡγουμένη τοὺς ἀδελφούς, ὡς λοιπὸν ἔτι. Τί φήσομεν, ὦ παῖ, τὴν σοφίαν τῆς γραφῆς; σελήνη μὲν γὰρ προσβάλλει φῶς οὔπω πιστὸν ὀφθαλμοῖς, μεστὴ δὲ ἐκπλήξεως ἡ κόρη θρηνεῖν ὥρμηκε περιβάλλουσα τὸν ἀδελφὸν ἐρρωμένοις τοῖς πήχεσι, κρατεῖ δὲ ὅμως τοῦ θρήνου δεδοικυῖά που τὰ τῶν φυλάκων ὦτα, περιαθρεῖν τε βουλομένη πάντα τὰ πέριξ ὅμως ἐς τὸν ἀδελφὸν βλέπει τὸ γόνυ ἐς γῆν κάμπτουσα. Τὸ δὲ τῆς ῥοιᾶς ἔρνος αὐτοφυές, ὦ παῖ, λέγεται γὰρ δὴ κηπεῦσαι αὐτὸ Ἐρινύας ἐπὶ τῷ τάφῳ, κἂν τοῦ καρποῦ σπάσῃς, αἷμα ἐκδίδοται νῦν ἔτι. Θαῦμα καὶ τὸ πῦρ τὸ ἐπὶ τοῖς ἐναγίσμασιν· οὐ γὰρ ξυμβάλλει ἑαυτῷ οὐδὲ ξυγκεράννυσι τὴν φλόγα, τὸ ἐντεῦθεν δὲ ἄλλην καὶ ἄλλην τρέπεται καὶ τὸ ἄμικτον δηλοῖ τοῦ τάφου.

XXIX. ANTIGONE.

Tydeus et Capaneus, de même Hipomédon et Parthénopaeos, s'ils se trouvent ici au nombre des morts (a), seront ensevelis parles Athéniens qui ont combattu pour recouvrer leurs cadavres. Quant à Polynice, fils d'Œdipe, c'est Antigone sa sœur qui l'ensevelit; c'est elle qui, pendant la nuit, étant sortie des murs, confie sa dépouille au sol de la patrie que la proclamation prétendait lui interdire, sous prétexte qu'il en avait rêvé l'asservissement. La plaine est couverte de corps amoncelés, de chevaux couchés là où ils sont tombés, des armes abandonnées parles guerriers, et enfin de cette boue sanglante qui, dit-on, comble de joie Enyo. Au pied du mur, au milieu des cadavres des chefs reconnaissables à leurs proportions plus qu'humaines, on aperçoit Capaneus semblable à un géant et par sa taille et par son genre de mort ; atteint par la foudre de Zeus, il est enveloppé de fumée. Antigone a soulevç le corps de Polynice, aussi grand que celui des autres chefs, pour l'ensevelir dans le monument d'Étéocle, pensant ainsi réconcilier les deux frères, seule réconciliation désormais possible. Admirons, mon enfant, l'habileté du peintre : 488 la lune répand sur la scène une lumière douteuse ; frappée d'épouvante, la jeune fille qui entoure de ses bras robustes le corps de son frère est sur le point de pousser un gémissement ; mais elle retient le cri sur ses lèvres, craignant qu'il n'arrive jusqu'aux oreilles des gardiens ; et tout en voulant promener ses yeux autour d'elle, elle contemple son frère, un genou appuyé sur le sol. Le grenadier que tu vois a poussé de lui-même ; ou plutôt les Erinnyes, dit-on, l'ont fait croître sur le tombeau (b) ; si tu cueillais un fruit, maintenant encore le sang jaillirait de l'arbre. Le feu allumé pour la cérémonie funèbre (c) nous offre aussi un aspect étonnant ; il ne s'élève point d'un seul jet ; au lieu de se fondre ensemble, les flammes se séparent et forment des foyers distincts, montrant par là que les deux frères ennemis sont encore tels dans leur tombeau.

COMMENTAIRE

Toutes les circonstances représentées dans ce tableau nous paraissent s'expliquer d'elles-mêmes. Nous voyons un champ de bataille ; c'est en eÎTet après un combat général entre les Thébains et l'armée des Sept chefs qu'eut lieu le combat singulier des deux frères. Il fait nuit; c'est la nuit qu'avait dû choisir Antigone pour enfreindre les ordres de Créon ; ainsi l'avait compris Sophocle qui fait dire aux gardes, annonçant à Créon que son autorité avait été méconnue : « Dès que le premier garde du jour nous eut révélé le fait, ce fut pour nous une triste surprise (1). » Dans Sophocle (2), il est vrai, Antigone retourne sur le champ de bataille, à l'heure de midi, à la faveur d'un ouragan qui obscurcit le ciel, pour achever la cérémonie sacrée; mais entre les deux moments, le peintre n'avait-il pas la liberté du choix ? Euripide couvre aussi des ombres de la nuit l'entreprise audacieuse de la jeune fille (3). Sur un bas-relief de la villa Pamphili( 4),les gardes dorment pendant qu'Antigone soulève son frère ; c'est donc encore là une scène de nuit Le peintre avait représenté le feu du sacrifice ; Sophocle ne parle que de libations (5); mais le feu était employé dans les sacrifices funèbres et particulièrement dans ceux que les Thébains offraient tous les ans aux fils d'Oedipe (6). Antigone sacrifie aux mânes des deux frères et s'apprête à déposer le cadavre de Polynice dans le tombeau d'Étéocle ; toute une plaine des environs deThèbes s'appelait Antigone (7), parce que, dit Pausanias, Antigone ne pouvant soulever le 489 corps de son frère l'avait traîné jusque-là pour le jeter sur le bûcher allumé d'Étéocle. Cette tentative, infructueuse d'ailleurs, pour les réconcilier dans la mort, était donc indiquée par la tradition. Les flammes se séparaient, comme si Polynice eût déjà été étendu sur le bûcher; c'est là un exemple de la prolepse ou anticipation, assez souvent usitée dans l'art antique. Enfin sur le tombeau d'Étéocle on voyait un grenadier ; cet arbre dont les fruits sont remplis d'une liqueur rouge, était le symbole des morts violentes ; il avait crû aussi, s'il faut en croire Pausanias, sur le monument de Ménœcée (8).

Ce tableau a été cependant l'objet de critiques très vives. Friederichs (9) s'étonne qu'un artiste ait donné à Capaneus la taille d'un géant; comme si, pour justifier l'expression de Philostrate, il ne suffisait pas d'une différence même légère entre les proportions de Capaneus et celles des cadavres voisins ! Il lui déplaît de voir tant de cadavres amoncelés, comme si le peintre devait imiter la sculpture qui couche un ou deux guerriers sur le sol pour représenter les massacres de tout un champ de bataille! Il blâme le choix du moment, et prétend qu'il y aurait plus d'héroïsme chez Antigone à violer les ordres de Créon en plein jour. Si c'est là une faute, l'artiste, nous l'avons vu, ne l'a commise qu'après Sophocle et Euripide ; mais Antigone est tout autre que ne la conçoit Friederichs ; elle n'agit point par bravade, mais par piété ; ensevelir son frère, échapper ensuite, s'il se peut, aux suites de sa désobéissance ; sinon les subir avec fermeté, cela suffit à l'héroïsme d'une vierge grecque; elle ne se laisse point effrayer par le danger mais ne^ourt pas au martyre. Antigone est vaillante, mais le sentiment de son courage ne l'aveugle pas au point de ne lui faire redouter ni obstacle chez les autres et dans les choses, ni faiblesse de sa part. A sa sœur qui lui représente qu'elle entreprend l'impossible, le poète lui fait répondre : « Eh bien, quand la force me manquera, je m'arrêterai. » On dirait qu'elle prévoit alors l'espèce de défaillance qu'elle éprouve dans le tableau. Elle ne manifeste, il est vrai, aucun trouble, lorsque dans Sophocle les gardes de Créon la saisissent; mais se sentant perdue, elle prend alors son parti ; si résignée qu'elle soit en ce moment, elle a pu trembler avant d'être surprise. Où donc est la différence entre l'Àntigone du peintre et celle du poète ? Toutes les deux sont également héroïques, mais le peintre désespérant de rendre par les ressources propres à son art le mélange de résolution et de modération que nous admirons dans le caractère d'Antigone, nous montre la jeune fille accessible à une crainte instinctive que lui inspirent tout à la fois son isolement et l'aspect sinistre du lieu. Ce n'est pas là altérer la conception du poète; c'est transporter une figure, pour ainsi dire, d'un art dans un autre. Enfin ce qui choque le plus Friederichs, c'est cette pâle lumière de la lune répandue sur le lieu 490 de la scène; mais on sait maintenant de façon certaine que les effets de lumière n'étaient point inconnus à la peinture antique (10). On peut conclure: en supposant que le tableau ait été inventé de toutes pièces par Philostrate, il n'a rien qui trahisse le secret de celte origine; si la description du sophiste n'est point faite d'après un tableau, un artiste ancien aurait pu exécuter le tableau d'après la description du sophiste.

 

(1) Soph., Antig., 253.

(2) Ibid., v. 405.

(3) Welcker, Tragg., p. 568; Hygin,Fzb., 72.

(4) Overbeck, Die Bildw. Taf. VI, 9.

(5) Antig., v. 431.

(6) Paus., IX, 18, 3.

(7) Ibid., IX, 25,1.

(8) Ibid., IX, 25,1. Voir plus haut, pour la mort de Ménœcée, I, IV, p. 213.

(9) Frieder., Die Phil. Bild., p. 87 et suiv.

(10) Voir l'introduction, p. 129 et Helbig, Untersuch., p. 211 et suiv.

 

 

ΕΥΑΔΝΗ

Ἡ πυρὰ καὶ τὰ ἐς αὐτὴν ἐσφαγμένα καὶ ὁ ἀποκείμενος ἐπὶ τῇ πυρᾷ μείζων ἢ ἀνθρώπου δόξαι νεκρὸς ἡ γυνή τε ἡ σφοδρὸν οὕτω πήδημα ἐς τὸ πῦρ αἴρουσα ἐπὶ τοιοῖσδε, ὦ παῖ, γέγραπται· τὸν Καπανέα οἱ προσήκοντες θάπτουσιν ἐν τῷ Ἄργει, ἀπέθανε δὲ ἄρα ἐν Θήβαις ὑπὸ τοῦ Διὸς ἐπιβεβηκὼς ἤδη τοῦ τείχους. Ποιητῶν γάρ που ἤκουσας, ὡς κομπάσας τι ἐς τὸν Δία κεραυνῷ ἐβλήθη καὶ πρὶν ἐς τὴν γῆν πεσεῖν ἀπέθανεν, ὅτε δὴ καὶ οἱ λοχαγοὶ οἱ λοιποὶ ὑπὸ τῇ Καδμείᾳ ἔπεσον. Νικησάντων Ἀθηναίων ταφῆναι σφᾶς πρόκειται ὁ Καπανεὺς τὰ μὲν ἄλλα ἔχων ὥσπερ Τυδεὺς καὶ Ἱππομέδων καὶ οἱ λοιποί, τουτὶ δὲ ὑπὲρ πάντας λοχαγούς τε καὶ βασιλέας· Εὐάδνη γὰρ ἡ γυνὴ ἀποθανεῖν ἐπ´ αὐτῷ ὥρμηκεν οὔτε ξίφος τι ἐπὶ τὴν δέρην ἕλκουσα οὔτε βρόχου τινὸς ἑαυτὴν ἀπαρτῶσα, οἷα ἠσπάσαντο γυναῖκες ἐπ´ ἀνδράσιν, ἀλλ´ ἐς αὐτὸ τὸ πῦρ ἵεται οὔπω τὸν ἄνδρα ἔχειν ἡγούμενον, εἰ μὴ καὶ αὐτὴν ἔχοι. Τὸ μὲν δὴ ἐντάφιον τῷ Καπανεῖ τοιοῦτον, ἡ δὲ γυνὴ καθάπερ οἱ ἐς τὰ ἱερεῖα στεφάνους τε καὶ χρυσὸν ἐξασκοῦντες, ὡς φαιδρὰ θύοιτο καὶ ἐς χάριν τοῖς θεοῖς, οὕτως ἑαυτὴν στείλασα καὶ οὐδὲ ἐλεεινὸν βλέπουσα πηδᾷ ἐς τὸ πῦρ καλοῦσα οἶμαι τὸν ἄνδρα· καὶ γὰρ βοώσῃ ἔοικεν, δοκεῖ δ´ ἄν μοι καὶ τὴν κεφαλὴν ὑποσχεῖν τῷ σκηπτῷ ὑπὲρ τοῦ Καπανέως. Οἱ δὲ Ἔρωτες ἑαυτῶν ποιούμενοι ταῦτα τὴν πυρὰν ἀπὸ τῶν λαμπαδίων ἅπτουσι καὶ τὸ πῦρ οὔ φασι χραίνειν, ἀλλ´ ἡδίονί τε καὶ καθαρωτέρῳ χρήσεσθαι θάψαντες αὐτῷ τοὺς καλῶς χρησαμένους τῷ ἐρᾶν

XXX. EVADNE.

Que signifie ce bûcher sur lequel gisent des victimes égorgées et un cadavre d'une taille extraordinaire ? Quelle est cette femme qui s'élance avec tant d'impétuosité dans les flammes ? Ce tableau, mon enfant, nous transporte dans la ville d'Argos (a), où Capaneus est enseveli par ses proches ; c'est à Thèbes que le héros est mort, lorsqu'il avait déjà escaladé les murs de la ville. Tu sais par les poètes comment il fut foudroyé par Jupiter en punition de son arrogance et comment il expira avant même d'avoir atteint le sol dans sa chute, le jour où les autres chefs périrent aussi sur la terre cadméenne. Après la victoire des Athéniens qui leur assure à tous la sépulture, Capaneus est exposé ; les mômes honneurs lui seront rendus qu'à un Tydeus, à un Hippomédon et aux autres ; mais il en est un qui le met au-dessus de tous les rois et capitaines. Evadné a résolu de mourir sur son cadavre ; elle n'approche point l'épée de sa gorge, elle ne se suspend point à un lacet, tous genres de mort choisis par des veuves désolées ; mais elle se jette dans le feu, persuadée qu'elle ne retrouverait pas son mari, si son mari ne la retrouvait à ses côtés (b). Tel est l'hommage funèbre rendu à Capaneus. Sa femme, imitant ceux qui parent les victimes dè couronnes et d'or pour rendre le sacrifice plus solennel et plus agréable aux dieux, a revêtu ses plus beaux ornements ; ses regards ne veulent point exciter la pitié; on dirait qu'en s'élançant au milieu des flammes elle appelle son mari, car elle semble crier : je ne doute pas que pour sauver Capaneus elle n'eût exposé sa tête aux coups de la foudre. Les Amours se sont chargés d'allumer le bûcher avec leurs torches ; loin d'en être souillée, la flamme de leurs flambeaux n'en sera, pensent-ils, que plus belle et plus pure, quand elle aura servi à rendre les derniers honneurs à ceux qui ont su aimer.

COMMENTAIRE

Le sujet de ce tableau est emprunté aux Suppliantes d'Euripide. Les traits 491 de véritable description sont rares dans la description de Philostrate ; un bûcher, des victimes égorgées, un cadavre d'une taille remarquable, une femme richement parée, entrouvrant les lèvres comme pour appeler son mari et se jetant dans les flammes : voilà toute la composition, à s'en rapporter uniquement au texte grec. Les autres chefs tués devant Thèbes avaient-ils aussi leur lit funèbre et leur bûcher? On peut le conjecturer, non l'affirmer. Les parents de Capaneus sont mentionnés; étaient-ils présents? Philostrate ne le dit pas d'une façon précise. On peut supposer que s'ils avaient assisté à la scène, Philostrate aurait décrit leur attitude désolée, leur visage assombri par la douleur. Dans Euripide, Iphis, le père d'Evadné, voit sa fille se précipiter dans les.flammes: c'est là une des situations les plus pathétiques de la pièce grecque; aussi le chœur s'adressant à Iphis, s'écrie-t-il : « Hélas ! hélas ! que ton sort est cruel, malheureux, d'avoir été témoin de ce trait d'audace ! et Iphis répond : Vit-on jamais personne plus à plaindre que moi (1)? » Peut-être le peintre avait-il cru devoir supprimer ce personnage; il ne semble pas, en effet, avoir voulu représenter une scène de deuil et d'affliction, mats le triomphe de l'amour conjugal; ce qui le préoccupe, ce n'est pas le caractère pathétique de son sujet, c'est ce qu'il y a de noble, d'élevé, d'attendrissant et d'enviable dans le sacrifice d'Evadné. A ce point de vue, nous ne saurions blâmer la présence des Amours, qui allument le feu du bûcher avec la même torche dont ils embrasent les cœurs d'amants ; ailleurs l'idée nous semblerait peut-être subtile et d'une grâce affectée; elle nous paraît ici conforme au sentiment dont l'artiste a voulu se faire l'interprète ; elle tend à présenter la mort sous un aspect plus aimable qu'effrayant; c'est, en effet, la mort qui réunit et non celle qui sépare. Il faut se rappeler, d'ailleurs, pour bien comprendre le rôle des Amours, qu'en allumant ici le bûcher de Capaneus avec leurs torches, ils se conformaient à la coutume antique. Dans l'Énéide, les Troyens, réunis autour du cadavre de Misène, baissent Tiussi leurs torches et mettent le feu au bûcher en se détournant :

Subjectam more parentum Aversi tenuere facem (2).

Le génie de la mort lui-même, s'il l'on s'en rapporte à l'interprétation de Welcker, aurait été, par allusion à cette coutume, représenté quelquefois avec une torche renversée (3). Revenons à la comparaison avec Euripide : dans le poète grec, Evadné se précipite d'un rocher élevé qui domine le bûcher (4); Philostrate ne parle point de ce rocher; un corps tombant d'une hauteur n'était peut-être point une image à offrir aux yeux; peut-être 492 l'artiste avait-il représenté Evadné montant à grands pas sur le bûcher, avec tous les signes de l'impatience et d'une hâte excessive. De même nous ignorons quels étaient les ornements d'Evadné ; le poète est sur ce point aussi vague que le sophiste, et nous ne pouvons savoir comment le peintre avait suppléé au silence d'Euripide. Elle s'était ornée comme une victime, dit Philostrate; des bandelettes, des étoffes blanches, des fleurs peut-être, composaient sa dernière parure ; elle devait avoir aussi ses joyaux, ses colliers et ses bracelets, tous ornements qui suivaient souvent la femme antique jusque dans le tombeau. Un détail étranger à Euripide, ce sont les victimes égorgées sur le bûcher. Euripide fait dire au chœur (5) : «Je vois hors du palais les offrandes consacrées aux morts par Thésée » ; mais ces offrandes, ces anathemata, consistaient sans doute en guirlandes de fleurs, en bandelettes, en corbeilles de fruits, envases remplis de lait ou de miel pour les libations. Il est pourtant question d'un sacrifice sanglant dans les Suppliantes ; mais ce sacrifice est célébré, moins en l'honneur des morts que pour consacrer le serment par lequel Adraste promet à la ville d'Athènes une reconnaissance éternelle. C'est Athéna qui prescrit les rites de la cérémonie, « Tu as dans ton palais, dit-elle à Thésée, un trépied d'airain qu'après avoir ruiné Ilion, Hercule, courant à de nouveaux exploits, te chargea de placer près de l'autel pythien. Sur ce trépied égorge trois brebis et grave le serment dans la cavité intérieure; puis mets-le sous la garde du dieu qui règne à Delphes, comme un monument de ce serment et un témoignage aux yeux de la Grèce (6) ». L'artiste en représentant des victimes égorgées sur le bûcher de Capaneus, avait-il voulu faire allusion à ce serment et au sacrifice qui l'accompagne? Nous ne le pensons pas ; il aurait aussi représenté le trépied, et Philostrate, plein de la lecture d'Euripide, n'aurait pas oublié de signaler ce détail. Nous croyons plutôt que l'artiste s'était rappelé les anciennes funérailles des héros et qu'il a mêlé, à des traits donnés par Euripide, d'autres traits qu'il empruntait aux cérémonies funèbres de l'âge homérique.

(1) Eur., Suppl., 1074, traduct. Pesson., II, p. 405.

(2) Virg., En., VI, 224. Cf. Thuc, II, 52 ; Iliade, XXIII, 177 ; Soph , Trach., 1198, etc.

(3) Welcker explique ainsi le groupe célèbre de Saint-Ildefonse, A. D., 1, p. 375; d'après le savant archéologue, l'artiste aurait réuni le génie de la Mort et celui du Sommeil.

(4) Suppl., 1644.

(5) Suppl, 983.

(6) Ibid.,v. 1197, trad. Peseonneaux,II,p. 409.
 

 

ΘΕΜΙΣΤΟΚΛΗΣ

Ἕλλην ἐν βαρβάροις, ἀνὴρ ἐν οὐκ ἀνδράσιν 〈ἅτε〉 ἀπολωλόσι καὶ τρυφῶσιν ἀττικῶς ἔχων μάλα τοῦ τρίβωνος ἀγορεύει σοφὸν οἶμαί τι μεταποιῶν αὐτοὺς καὶ μεθιστὰς τοῦ θρύπτεσθαι. Μῆδοι ταῦτα καὶ Βαβυλὼν μέση καὶ τὸ σημεῖον τὸ βασίλειον ὁ χρυσοῦς ἐπὶ τῆς πέλτης ἀετὸς καὶ ὁ βασιλεὺς ἐπὶ χρυσοῦ θρόνου στικτὸς οἷον ταώς. Οὐκ ἀξιοῖ ἐπαινεῖσθαι ὁ ζωγράφος, εἰ τιάραν καλῶς μεμίμηται καὶ καλάσιριν ἢ κάνδυν ἢ θηρίων τερατώδεις μορφάς, οἷα ποικίλλουσι βάρβαροι, ἀλλ´ ἐπαινείσθω μὲν ἐπὶ τῷ χρυσῷ γράφων αὐτὸν εὐήτριον καὶ σῴζοντα, ὃ ἠνάγκασται, καὶ νὴ Δία ἐπὶ τῷ τῶν εὐνούχων εἴδει, καὶ ἡ αὐλὴ χρυσῆ ἔστω—δοκεῖ γὰρ μὴ γεγράφθαι· γέγραπται γὰρ οἵα ᾠκοδομῆσθαι—λιβανωτοῦ τε καὶ σμύρνης αἰσθανόμεθα—τὰς γὰρ τῶν ἀέρων ἐλευθερίας οὕτω παραφθείρουσιν οἱ βάρβαροι —καὶ δορυφόρος ἄλλος ἄλλῳ διαλεγέσθω περὶ τοῦ Ἕλληνος ἐκπληττόμενοι αὐτὸν κατὰ δή τινα σύνεσιν μεγάλων αὐτοῦ ἔργων. Θεμιστοκλέα γὰρ οἶμαι τὸν τοῦ Νεοκλέους Ἀθήνηθεν ἐς Βαβυλῶνα ἥκειν μετὰ τὴν Σαλαμῖνα τὴν θείαν ἀποροῦντα, ὅποι σωθήσεταί ποτε τῆς Ἑλλάδος, καὶ διαλέγεσθαι βασιλεῖ περὶ ὧν στρατηγοῦντος αὐτοῦ ὁ Ξέρξης ὤνητο. Ἐκπλήττει δὲ αὐτὸν οὐδὲν τῶν Μηδικῶν, ἀλλὰ τεθάρσηκεν οἷον καθεστὼς ἐπὶ τοῦ λίθου, καὶ ἡ φωνὴ οὐκ ἀπὸ τοῦ ἡμεδαποῦ τρόπου μηδίζων ὁ Θεμιστοκλῆς· ἐξεπόνησε γὰρ ἐκεῖ τοῦτο. Εἰ δ´ ἀπιστεῖς, ὅρα τοὺς ἀκούοντας, ὡς 〈τὸ〉 εὐξύνετον ἐπισημαίνουσι τοῖς ὄμμασιν, ὅρα καὶ τὸν Θεμιστοκλέα τὴν μὲν τοῦ προσώπου στάσιν παραπλήσιον τοῖς λέγουσι, πεπλανημένον δὲ τὴν τῶν ὀφθαλμῶν ἔννοιαν ὑπὸ τοῦ λέγειν, ὡς μετέμαθεν.

XXXI. THÉMISTOCLE.

Ce Grec entouré de barbares, ce personnage à l'aspect viril, au milieu d'hommes efféminés (a), cet Athénien, car il porte le tribon, prononce, je crois, quelque éloquent discours pour convertir son auditoire et l'arracher à la mollesse. Nous sommes chez les Mèdes, au milieu même de Babylone : voici l'insigne royal, l'aigle d'or sur le bouclier échancré ; voici sur son trône d'or le roi lui-même, étoile comme un paon. Nous ne louerons pas le peintre d'avoir imité la tiare, la calasi- 493 ris, le candys et les bêtes fantastiques de toutes sortes que les barbares brodent sur les étoffes, mais bien pour ces fils d'or habilement mêlés au tissu et disposés suivant des formes qu'ils ne sauraient plus perdre ; et aussi, que Jupiter m'en soit témoin, pour la figure de ces eunuques. C'est également de l'or véritable qui brille dans cette cour du palais peinte de manière à ne pas paraître une peinture, mais une construction réelle. Des odeurs d'encens et de myrrhe viennent jusqu'à nous ; car les barbares, loin de laisser l'air à sa pureté naturelle, le vicient par des parfums. De ces deux doryphores nous dirons qu'ils s'entretiennent au sujet du personnage grec dont leur intelligence étonnée sent confusément la grandeur. Tu as reconnu en effet Thémistocle, le fils de Néoclès, qui, comme tu l'as appris, vint d'Athènes à Babylone, après l'immortelle victoire de Salamine, ne trouvant en Grèce aucun asile sûr et eut avec le grand roi un entretien sur les services qu'il avait rendus à Xerxès, comme général de l'armée grecque. L'appareil des rois Mèdes ne l'intimide pas ; il parle avec assurance comme du haut de la tribune. La langue dont il se sert n'est point la nôtre, mais celle des Mèdes dont il avait fait une longue étude en Perse même. Si tu ne me crois pas, regarde comme les auditeurs témoignent par l'expression du regard qu'ils Je comprennent ; comme Thémistocle lui-même, qui a bien d'ailleurs le port de tête d'un orateur, laisse errer ses yeux en homme qui se sert d'une langue nouvellement apprise.
 

COMMENTAIRE

Thucydide (1) raconte que Thémistocle exilé écrivit à Artaxerxès pour lui offrir ses services ; que, sur la réponse favorable du grand roi, il apprit la langue des Perses et se forma à leurs usages; qu'après avoir passé une année dans cette espèce d'initiation, il se présenta devant le roi qui releva plus haut que pas un des Grecs venus auprès de lui. On dirait que l'historien voie dans cet accueil fait à Thémistocle par le grand roi une espèce d'hommage rendu à la supériorité de la race grecque ; il place, en effet, après ce récit, l'éloge du génie de Thémistocle et oublie d'être sévère pour sa trahison. Plutarque (2), qui a consulté tous les historiens, ses devanciers, sur cette fameuse entrevue, la raconte avec tous les détails les plus propres à frapper l'imagination du lecteur. Thémistocle s'adresse d'abord à Artaban, capitaine de mille hommes : Artaban répond que ceux-là seuls peuvent entretenir le roi qui consentent à l'adorer. Thémistocle acceptant la condition est introduit et se sert d'un 494 interprète; il s'offre à la colère ou à la clémence du roi; il raconte une vision divine et un oracle; le roi renvoie l'audience au lendemain et pendant la nuit s'écrie trois fois : « J'ai Thémistocle l'Athénien. » Le lendemain (Plutarque coupe habilement son récit pour ménager l'intérêt), nouvelle entrevue; les courtisans se méprennent sur les intentions du roi, insultent Thémistocle; un d'entre eux va jusqu'à dire : « Serpent grec aux couleurs changeantes, c'est le bon génie du roi qui t'a conduit ici. » Mais le roi comble Thémistocle de présents, le rassure, l'invite à parler. Thémistocle répond que la parole humaine ressemble à une tapisserie historiée et figurée; que toutes deux veulent être développées et que pour les développer il faut du temps ; il demande donc un an pour apprendre la langue perse. Ébloui par ces honneurs, Plutarque, tout moraliste qu'il est, ne flétrit point la trahison de Thémistocle et semble approuver cette parole du proscrit : « Ο mes enfants, nous étions perdus, si nous n'avions été perdus! »

Ces deux récits montrent d'abord que l'entrevue de Thémistocle et du grand roi était presque aussi célèbre dans l'antiquité grecque que la bataille de Salamine; ensuite qu'elle avait exercé l'imagination grecque, qu'elle l'avait même séduite, au point de la rendre, pour ainsi dire, complice de Thémistocle. On comprend donc qu'un peintre ait été tenté par un tel sujet; il était sûr de plaire à des spectateurs grecs; s'il ne pouvait, comme Plutarque, donner à cette entrevue un intérêt presque dramatique, du moins, il avait pour compenser ce désavantage, la ressource d'un contraste pittoresque entre une cour resplendissante des plus vives couleurs et un Athénien, vêtu du plus humble costume qui fût porté à Athènes et qui par cela même convenait à un exilé.

C'est bien ce contraste aussi qui a frappé notre auteur. Il nous est aisé, à l'aide de sa description, de nous représenter le costume du roi et de ses courtisans. La tiare droite s'élevait sur la tète du monarque comme une espèce de tour dont le parapet serait dentelé; les courtisans n'ont que la tiare molle, c'est-à-dire un bonnet souple qui s'affaisse légèrement sur lui-même. La calasiris était une tunique de pourpre ornée d'une large bande blanche à l'endroit de la poitrine (3) ; le candys (4) se jetait, comme un manteau, et s'entr'ouvrait pour laisser voir la calasiris. Philostrate ne parle pas des anaxyrides que les Perses portent d'ordinaire sur les monuments ; peut-être celte partie du vêtement était-elle cachée par la calasiris qui est appelée quelquefois une tunique tombant jusqu'aux pieds; peut-être aussi Philostrate, qui parle de figures de bêtes brodées, après avoir fait mention de la calasiris et 495 du candys, désigne-t-il les anaxyrides par leurs ornements les plus habituels au lieu de les désigner par leur nom; il est à remarquer, en effet, que sur la fameuse mosaïque de Naples, les pantalons seuls sont ornés de broderies, et que ces broderies représentent des animaux fantastiques, des griffons aux ailes d'or ou des hippocampes (5).

L'art antique a souvent représenté les costumes orientaux, mais le plus souvent sans se piquer d'une exactitude scrupuleuse ; sur ce point, il croit s'être acquitté de sa tâche, dirait-on, quand il a pu réunir assez de traits pour rendre reconnaissable, à première vue, la nationalité de son personnage ; encore ne distingue-t-il souvent qu'entre les barbares et les Grecs, donnant aux premiers toujours à peu près le même costume, qu'ils soient de la Perse ou de la Thrace (6). Toutefois il y a, même à cet égard, une différence entre les monuments d'époque différente ; avec les progrès du temps, l'art s'écarte davantage du style conventionnel ; le vase du Musée de Naples, connu sous le nom de Vase des Perses, nous montre Darius, des courtisans, des doryphores; on y reconnaît de nombreuses analogies, pour le costume, entre cette peinture et les bas-reliefs découverts en Perse; toutefois on peut constater aussi des différences notables. La coiffure de Darius, par exemple, est très librement représentée ; elle ressemble beaucoup plus au bonnet phrygien qu'à la tiare (7). Dans la mosaïque de Pompéi, que nous mentionnions plus haut, le souci de l'exactitude, sinon du détail, paraît avoir été porté plus loin. Dans quelle catégorie aurait-il fallu placer, à ce point de vue particulier, le tableau de Thémistocle? La description du sophiste est trop sommaire pour que nous puissions répondre à cette question avec certitude; toutefois, si cette peinture avait été exécutée au temps de Philostrate, il est probable que l'artiste, se conformant aux traditions de l'école et au goût contemporain, avait montré pour la couleur locale au moins autant de respect que l'auteur de la mosaïque pompéienne.

Philostrate croit devoir remarquer que tout ce luxe, tout cet appareil n'éblouit pas Thémistocle. Ainsi son héros, Apollonius de Tyane, reçu à la cour du roi de Perse, pousse l'indifférence jusqu'à l'affectation (8). Loin de contempler avec curiosité les merveilles qu'il rencontre sur son passage, il appelle son confident Damis et s'entretient avec lui d'une femme poète et musicienne, élève et compagne de Sappho. Cette espèce de dédain à l'égard des magnificences orientales paraît avoir été de tradition chez les Grecs depuis Solon. Est-ce donc le dédain qu'exprimait le visage de Thémistocle ? Non sans doute, c'eût été une faute de la part de l'artiste; l'homme d'État qui avait su si bien se plier aux usages des Perses, qui avait adoré le roi selon 496 Plutarque, ne dut point prendre, en face du grand roi, des airs offensants. La description de Philostrate ne nous permet pas d'ailleurs de nous le figurer sous cet aspect. Thémistocle conservait, dit le rhéteur, l'assurance d'un orateur parlant à la tribune; il en avait l'attitude et le port de tête. On ne pouvait le représenter d'une façon plus digne.

Les autres réflexions du sophiste nous paraissent moins justes. Thémistocle, dit-il, parle perse : on le voit à l'air de ses auditeurs qui paraissent le comprendre et à celui de Thémistocle lui-même qui laisse errer son regard comme un homme qui chercherait ses mots. Cette dernière expression nous paraît difficile à rendre, avec les moyens dont dispose la peinture ; l'imagination du rhéteur aura suppléé à l'insuffisance inévitable de l'art; en contemplant le tableau, il a vu les personnages s'animer, les yeux se mouvoir dans leur orbite, le regard changer de direction, et parcourir l'espace comme pour y découvrir ce qui échappait à la mémoire encore hésitante. D'ailleurs Philostrate a raison; l'artiste a dû supposer que Thémistocle parlait au grand roi dans la langue médique; la présence d'un interprète qui semble avoir assisté à l'entrevue racontée par Plutarque, eût dans un tableau détourné l'attention du personnage principal. C'eût été le cas de sacrifier la tradition aux convenances de l'art, même si cette tradition n'avait pas varié suivant les historiens, laissant ainsi au peintre une liberté absolue.

(1)Thuc, I, 137 et 138.

(2) Plut, Vie de Thém., 28.

(3) Hesych. : χιτµvν πλατύσημος. Cf. Xénoph., Cyr., VIII, 3, 13: χιτῶvνα πορφυροῦν μεσόλευκον.

(4) Cf. Hérod, 2, 81 et la note de l'édit. Creuzer-Baehr; le candys est comparé au burnous arabe; mais le burnous arabe est muni d'un capuchon que n'ont pas les manteaux des personnages royaux de Perse sur les monuments (Porter, Trav. 1, pl. XCIV). Sur les mêmes monuments le manteau a des manches, il n'en a pas sur la mosaïque de Naples: mais ici le manteau pourrait être d'une autre sorte que le candys ; c'était sans doute un vêtement de combat analogue à la chlamyde grecque.

(5) Roux aîné, Herculanum et Pompéi, V, 6e série, pl. XX ; Museo Borbonico, 8, pl. XXXVI.

(6) Voir l'article Barbares dans le Dict. des Antiq. de Daremberg et Saglio ; et le même article par M. Vinet dans le Dict. de l'Académie des Beaux-Arts.

(7) Voir, sur ce vase, l'article de Heydemann dans l'Annali dell Instit., 1878.

(8) Vie d'Apoll, I, 30.
 

 

ΠΑΛΑΙΣΤΡΑ

Ὁ μὲν χῶρος Ἀρκαδία, τὸ κάλλιστον Ἀρκαδίας καὶ ᾧ μάλιστα ὁ Ζεὺς χαίρει—Ὀλυμπίαν αὐτὸ ὀνομάζομεν—ἆθλον δὲ οὔπω πάλης οὐδὲ τοῦ παλαίειν ἔρως, ἀλλ´ ἔσται. Παλαίστρα γὰρ ἡ Ἑρμοῦ ἡβήσασα νῦν ἐν Ἀρκαδίᾳ πάλην εὕρηκε, καὶ ἡ γῆ χαίρει πως τῷ εὑρήματι, ἐπειδὴ σίδηρος μὲν πολεμιστήριος ἔνσπονδος ἀποκείσεται τοῖς ἀνθρώποις, στάδια δὲ ἡδίω στρατοπέδων δόξει καὶ ἀγωνιοῦνται γυμνοί. Τὰ μὲν δὴ παλαίσματα παιδία. Ταυτὶ γὰρ ἀγέρωχα σκιρτᾷ περὶ τὴν Παλαίστραν ἄλλο ἐπ´ ἄλλῳ ἐς αὐτὴν λυγίζοντα, εἴη δ´ ἂν γηγενῆ· φησὶ γὰρ ὑπ´ ἀνδρείας ἡ κόρη μήτ´ ἂν γήμασθαί τῳ ἑκοῦσα μήτ´ ἂν τεκεῖν. Διαπέφυκε δὲ ἀπ´ ἀλλήλων τὰ παλαίσματα· κράτιστον γὰρ τὸ ξυνημμένον τῇ πάλῃ. Τὸ δὲ εἶδος τῆς Παλαίστρας, εἰ μὲν ἐφήβῳ εἰκάζοιτο, κόρη ἔσται, εἰ δὲ εἰς κόρην λαμβάνοιτο, ἔφηβος δόξει. Κόμη τε γὰρ ὅση μηδ´ ἀναπλέκεσθαι ὄμμα τε ἀμφοτέρῳ τῷ ἤθει καὶ ὀφρὺς οἵα καὶ ἐρώντων ὑπερορᾶν καὶ παλαιόντων· φησὶ γὰρ πρὸς ἄμφω τὰ ἔθνη ἐρρῶσθαι μαζῶν τε οὐδ´ ἂν παλαίοντα θιγεῖν τινα· τοσοῦτον αὐτῇ περιεῖναι τῆς τέχνης. Καὶ αὐτοὶ δὲ οἱ μαζοὶ μικρὰ τῆς ὁρμῆς παραφαίνουσιν ὥσπερ ἐν μειρακίῳ ἁπαλῷ, θῆλύ τε ἐπαινεῖ οὐδέν, ὅθεν οὐδὲ λευκώλενος θέλει εἶναι, οὐδὲ τὰς Δρυάδας ἐπαινεῖν ἔοικεν, ὅτι λευκαίνουσιν ἑαυτὰς ἐν ταῖς σκιαῖς, ἀλλὰ τὸν Ἥλιον ἅτε κοίλην Ἀρκαδίαν οἰκοῦσα αἰτεῖ χρῶμα, ὁ δ´ οἷον ἄνθος τι ἐπάγει αὐτῇ καὶ φοινίττει τὴν κόρην μετρίᾳ τῇ εἵλῃ. Καθῆσθαι δέ, ὦ παῖ, τὴν κόρην πάνσοφόν τι τοῦ ζωγράφου· πλεῖσται γὰρ τοῖς καθημένοις αἱ σκιαὶ καὶ τὸ καθῆσθαι αὐτῇ ἱκανῶς εὔσχημον, πράττει δὲ τοῦτο καὶ ὁ θαλλὸς τῆς ἐλαίας ἐν γυμνῷ τῷ κόλπῳ. Ἀσπάζεται δέ που τὸ φυτὸν τοῦτο ἡ Παλαίστρα, ἐπειδὴ πάλῃ τε ἀρήγει καὶ χαίρουσιν αὐτῷ πάνυ ἄνθρωποι.

XXXII. PALESTRA.

Nous avons devant les yeux l'endroit le plus beau de l'Arcadie, celui qui a les préférences de Jupiter, la plaine d'Olympie ; les hommes n'y luttent point encore, ne connaissent point encore la passion de la lutte, mais ce moment est proche. Car Palestra, la fille d'Hermès, est déjà dans la fleur de l'âge ; déjà elle a inventé la lutte, et la terre se réjouit de celte découverte qui, mettant trêve aux querelles des hommes, les obligera à déposer le fer belliqueux, qui leur fera oublier les camps pour les stades où du moins ils combattront nus. Ces enfants sont les différentes figures de la lutte : car ils bondissent avec pétulance autour de Palestra, et suivant ses lois, plient leur corps à mille postures diverses (a); on les dirait nés de la terre, car la vierge montre assez par son aspect viril qu'elle ne se soumettra point volontiers au joug du mariage et qu'elle n'aura point d'enfants. D'ailleurs ces figures de la lutte sont bien différentes entre elles (b) : la meilleure est celle qui tient du pugilat (c). Quant à l'aspect de Palestra, elle paraîtra jeune fille si on la compare à un jeune homme, et jeune homme si la pensée se représente une jeune fille. Sa chevelure est trop courte pour être relevée ; son regard 497 ne désigne pas un sexe plus que l'autre ; son sourcil témoigne de son mépris pour les amants et même pour les lutteurs ; elle semble dire qu'elle se sent forte contre les uns et les autres et qu'on ne saurait lui toucher le sein en luttant, tant elle excelle dans son art. Sa poitrine, semblable à celle d'un adolescent, offre des seins à peine formés ; d'ailleurs elle n'a aucun des goûts féminins ; elle ne veut point avoir des bras éclatants de blancheur; certainement elle n'approuve pas les Dryades qui, pour être blanches, recherchent l'ombre ; habitante des profondes vallées de l'Arcadie, elle demande au soleil la faveur d'un teint hâlé et le soleil colore la jeune fille d'un éclat légèrement rougeâtre (d). Palestra est assise, et c'est là, mon enfant, une très heureuse idée du peintre , car les ombres projetées ainsi par le corps sont plus nombreuses, et c'est là, d'ailleurs, une attitude qui n'a point par elle mauvaise grâce. Elle fait bien aussi, cette branche d'olivier que Palestra appuie sur son sein ; la déesse aime cette plante qui donne aux lutteurs l'huile indispensable et fait les délices des hommes.
 

COMMENTAIRE

« Les exercices gymnastiques, dit Philostrate (1), se divisent en deux espèces, ceux qui demandent de l'agilité, tels que le stade, le doliche ou longue course, la course armée, le double stade, le saut; et ceux qui demandent de la force, tels que le pancrace, la lutte, le pugilat. » La palestra est, à proprement parler, l'endroit où les athlètes se livraient à ces derniers exercices, et la déesse de la palestra est la déesse des lutteurs et des pugilistes. Philostrate est le seul qui mentionne cette divinité, mais l'art qui a créé tant d'êtres allégoriques comme la Peur, la Poursuite, l'Impudence, l'Occasion, la Mansuétude, n'a pas dû hésiter à personnifier la palestra. Dans Stace, c'est une divinité qui fait couler l'huile sur ses membres (2) ; pourquoi le peintre ne l'eût-il pas représentée une branche d'olivier à la main? Quant aux petils génies qui personnifient les différentes figures de la lutte, ils sont frères de cet Agon (3) qui, debout à côté d'Ares, à Olympie, représentait le combat belliqueux; et de cet autre, qui tenant entre ses mains des haltères, représentait l'exercice du saut. Il n'est pas rare, d'ailleurs, de rencontrer sur les œuvres d'art des enfants jouant, luttant, courant, et qui peuvent être pris pour les génies de la course, de la lutte, de tel ou tel jeu.

Par son nom, la Palestra devait être une femme; par la nature des exercices auxquels elle préside, elle devait avoir l'aspect viril. De là cet effort de l'artiste pour unir dans un même personnage la grâce à la force; on sait 498 d'ailleurs que ces êtres, participant d'une double nature, ont un charme particulier; plus encore qu'une figure idéale de héros ou d'héroïne, ils semblent s'écarter de la réalité ; aux beautés qu'ils empruntent à des sexes différents, ils ajoutent une grâce de plus, une grâce étrange, résultant de la fusion de deux éléments contraires. Tantôt, comme dans le centaure, le contraste demeure entier; il serait choquant, si l'art ne ménageait habilement la transition entre une croupe qui n'a rien de l'homme et un buste qui n'a rien du cheval ; tantôt, comme dans l'hermaphrodite, la transition est partout, mais le contraste quoique localisé, est tellement accusé qu'il en paraît brutal ; enfin

 

dans certaines figures, comme les Amazones, comme Athéna, comme Artémis, comme notre Palestra même, il y a encore un contraste, mais un contraste qui résulte plutôt de l'accentuation que de l'altération de certaines formes, un contraste qui ne paraît point en opposition avec les lois de la nature, un contraste qui semble commandé par la nature même des personnages représentés et qui, par ce motif, se résout franchement en un accord pour l'esprit. II n'est pas inutile, d'ailleurs, de faire remarquer que Palestra n'a point, comme l'a cru un critique, des seins atrophiés ou rudimentaires, ce qui aurait présenté aux yeux une image peu gracieuse. C'est une jeune fille dans la fleur de l'âge ; comme telle et aussi parce qu'en sa qualité de pa- 499 lestra elle est moins femme qu'une autre déesse, elle a les seins peu développés. Brunn la compare, non sans raison, à une statue du Musée Pio Clémentino (4), qui représente une jeune fille courant ; la charpente de la poitrine, les os et les muscles, dit-il, annoncent la force, mais la convexité des seins n'est que discrètement marquée; cette statue a, d'ailleurs, d'autres traits communs avec Palestra ; si les cheveux tombent par derrière sur ses épaules, ils sont, comme ceux des lutteurs et des coureurs, très courts sur le front. Palestra, dit Philostrate, pressait sur son sein une branche d'olivier. Le rhé-

 


teur explique cet attribut en disant que l'olivier rend des services aux lutteurs. Brunn aime mieux croire que l'olivier représente le prix de la victoire. Nous sommes tenté d'être de l'avis du sophiste contre le savant archéologue. Sur les monuments qui représentent des luttes, le Pédotribe ou tout autre personnage porte souvent une branche de palmier ; c'est bien là une récompense réservée aux vainqueurs, la feuille de palmier ne pouvant servir à un autre usage. Les anciens parlent bien de couronnes d'olivier décernées aux vain- 500 queurs des jeux olympiques (5), mais presque toujours l'idée de la lutte et de la palestra se lie dans leur esprit avec le souvenir de l'huile dont se frottaient les lutteurs. La lutte est appelée par Stace uncta pales. Dans Théocrite, Delphis doit s'élancer de la grasse palestre (6) : dans Ovide (7), la palestra luisante est l'exercice cher à la jeunesse. Quoi qu'il en soit, un attribut qui peut être expliqué assez vraisemblablement de deux façons ne saurait être déplacé ; il n'y a donc pas lieu de reprocher à la Palestra, comme le fait Friederichs, de ne point tenir dans sa main la strigile ou le vase d'huile des lutteurs.

Il est à regretter que Philostrate n'ait pas décrit les attitudes des génies qui s'ébattaient autour de Palestra. Les monuments antiques qui représentent des hommes ou des enfants aux prises, peuvent jusqu'à un certain point suppléer à ce silence. Tantôt les deux adversaires étendent les bras l'un vers l'autre et semblent ne vouloir se toucher que par les doigts; c'est le prélude du combat (8). Tantôt la lutte est engagée: un des athlètes a la main passée derrière la nuque de son adversaire qui fléchit sous l'étreinte (9) ; tantôt un des lutteurs force l'autre à mettre les deux genoux en terre, le prend par le cou et le serre à l'étouffer (10) ; tantôt le plus adroit parvient à saisir le pied ou la jambe de son adversaire et lui fait perdre ainsi l'équilibre (11); tantôt, saisi par le milieu du corps, soulevé de terre et tournant sur lui-même, le vaincu va frapper le sol de la terre, à moins que le vainqueur ne s'agenouille, comme pour le déposer et lui faire toucher la terre des épaules (12) ; tantôt les deux jouteurs sont entrelacés, et l'un pèse de tout son poids sur le corps de l'autre terrassé qu'il menace encore du poing (13). Ce sont là les figures principales de la lutte ; mais combien d'autres encore étaient classées, avaient leur nom, sans compter celles que pouvaient faire naître les hasards de la lutte et la souplesse des combattants (14) ! Pour revenir à notre tableau, les génies qui entouraient Palestra, n'étaient sans doute ni nombreux ni groupés en beaucoup défigures, car Philostrate suppose qu'ils reproduisent ces figures les unes après les autres. Il n'y aurait point eu lieu de faire une semblable supposition, si chaque figure delà lutte eût été représentée par un couple de génies combattant. L'artiste avait sans doute pris le même parti que l'auteur d'un bas-relief de la galerie de Florence  (15). A droite de la composition, deux amours préludent à la lutte : deux autres, placés à gauche, préludent au pugilat ; 501 groupé avec chacun de ces couples, un troisième amour, qui tient une palme à la main, semble faire les fonctions de pédotribe. Au milieu, un amour debout porte la main à la couronne qu'il a déjà reçue comme vainqueur, son adversaire terrassé se soulève sur un bras; à droite et à gauche de ce groupe, deux amours, l'un portant une palme, l'autre sonnant de la trompette, se font pendant. Dans ce bas-relief toutes les attitudes violentes ont été évitées. La lutte ne se présente que sous deux formes, la lutte proprement dite et le pugilat; et pour ces deux exercices l'artiste ne nous montre pour ainsi dire qu'une figure, celle du début, la moins savante et la moins compliquée. Volontiers nous rapprocherions, pour la composition, notre tableau du bas-relief: la Palestra tiendrait la place du groupe central ; deux ou trois couples d'amours, groupés dans des attitudes plus ou moins simples, auraient représenté à eux seuls les innombrables palahmata ou figures de la lutte.

(1) Sur la Gymnastique, traduct. Minoïde Hynas, p. 62 (texte, c. IV).

(2) St. Th., VI, 827.

(3) Pausanias, V, 20, 3; V, 26,  3.

(4) Mus. Pio Cl., III, 27. Voir Krause, Die Gymnast. und Agon. der Hellenen, pl. VII, f 15,

(5) Pline, XV, 5.

(6) Id., 2, 51.

(7) Met., VI, 41.

(8) Hamilton, anciens vases (par Tischbein), IV, 44; Krause, Die Gymn., pl. X, n° 28.

(9) Clarac, H, 228 ; Krause, Die Gymn.9 X, 26 bis.

(10) Gal. de Flor., II, 23, 3 ; Krause, XI, 32.

(11) Krause, 39 et 40 ; Mon. dell lnst.91,22. Voir aussi Krause, f. 38.

(12) Krause, D. G., XI, f. 35 bis, 31 bis, 39c.

(13) Krause, f. 30, 31, 31 bis.

(14) Voir Pollux, III, 155 et les explications de Krause, Gym. Il, Ag.,l, p. 415 et suiv.

(15) Gal. di Firenze, ser. IV, vol. III, t. 120; Müll, Wies. D. d. a. K. Taf. LII, n° 653.

 

ΔΩΔΩΝΗ

Ἡ μὲν χρυσῆ πέλεια ἔτ´ ἐπὶ τῆς δρυὸς ἐν λογίοις ἡ σοφὴ καὶ χρησμοί, οὓς ἐκ Διὸς ἀναφθέγγεται, κεῖται δ´ οὗτος ὁ πέλεκυς, ὃν μεθῆκεν Ἑλλὸς ὁ δρυτόμος, ἀφ´ οὗ κατὰ Δωδώνην οἱ Ἑλλοί, στέμματα δ´ ἀνῆπται τῆς δρυός, ἐπειδὴ καθάπερ ὁ Πυθοῖ τρίπους χρησμοὺς ἐκφέρει. Φοιτᾷ δ´ ὁ μὲν ἐρέσθαι τι αὐτήν, ὁ δὲ θῦσαι, καὶ χορὸς οὑτοσὶ ἐκ Θηβῶν περιεστᾶσι τὴν δρῦν οἰκειούμενοι τὴν σοφίαν τοῦ δένδρου, οἶμαι δὲ καὶ τὴν χρυσῆν ὄρνιν ἐκεῖ παλευθῆναι. Οἱ δ´ ὑποφῆται τοῦ Διός, οὓς ἀνιπτόποδάς τε καὶ χαμαιεύνας ἔγνω Ὅμηρος, αὐτοσχέδιοί τινές εἰσι καὶ οὔπω κατεσκευασμένοι τὸν βίον, φασὶ δὲ μηδ´ ἂν κατασκευάσασθαι· τὸν γὰρ Δία χαίρειν σφίσιν, ἐπειδὴ ἀσπάζονται τὸ αὐτόθεν. Ἱερεῖς γὰρ οὗτοι, καὶ ὁ μὲν τοῦ ἐρέψαι κύριος, ὁ δὲ τοῦ κατεύξασθαι, τὸν δ´ ἐς πόπανα χρὴ πράττειν, τὸν δὲ ἐς οὐλὰς καὶ κανᾶ, ὁ δὲ θύει τι, ὁ δ´ οὐ παρήσει ἑτέρῳ δεῖραι τὸ ἱερεῖον. Ἐνταῦθα δὲ ἱέρειαι Δωδωνίδες ἐν στρυφνῷ τε καὶ ἱερῷ τῷ εἴδει· ἐοίκασι γὰρ θυμιαμάτων τε ἀναπνεῖν καὶ σπονδῶν. Καὶ τὸ χωρίον δὲ αὐτὸ θυῶδες, ὦ παῖ, γέγραπται καὶ ὀμφῆς μεστόν, χαλκῆ τε Ἠχὼ ἐν αὐτῷ τετίμηται, ἣν οἶμαι ὁρᾷς ἐπιβάλλουσαν τὴν χεῖρα τῷ στόματι, ἐπειδὴ χαλκεῖον ἀνέκειτο τῷ Διὶ κατὰ Δωδώνην ἠχοῦν ἐς πολὺ τῆς ἡμέρας καί, μέχρι λάβοιτό τις αὐτοῦ, μὴ σιωπῶν

XXXIII. DODONE.

La savante colombe aux ailes d'or se tient encore sur le chêne fatidique pour redire les oracles qui viennent de Jupiter {a) ; voici la hache abandonnée par le bûcheron Hellos qui donna son nom aux Helles de Dodone ; des bandelettes sont suspendues à l'arbre, car comme le trépied de Pytho, il rend des oracles. L'un vient pour l'interroger, l'autre pour faire un sacrifice. Il est entouré en ce moment par un chœur de Thébains qui font hommage à leur patrie de la sagesse de l'arbre ; et en effet, c'est chez eux, je crois, que la colombe aux ailes d'or s'est laissée prendre au piège. Quant à ces devins de Zeus, dont les pieds ne connaissent pas l'usage du bain et qui dorment sur la dure, suivant Homère, ce sont gens sans prévoyance du lendemain, et n'ayant point encore de moyens certains d'existence. D'ailleurs ils ne veulent point en avoir, prétendant qu'ils font plaisir à Zeus en se contentant ainsi des premières choses venues. Ce sont en effet les prêtres de Zeus : l'un est chargé de parer les murs du temple, l'autre récite les prières ; celui-ci dispose les gâteaux sacrés; celui-là, l'orge et les corbeilles; celui-là égorge la victime ; cet autre est le seul à la dépouiller de sa peau. De ce côté, tu reconnais les prêtresses de Dodone à leur aspect sévère et vénérable ; on dirait qu'elles respirent l'odeur des libations et des parfums. D'ailleurs le peintre a représenté la fumée de l'encens qui enveloppe tout ce lieu et jusqu'aux voix divines dont il retentit : voici une statue en airain de la nymphe Écho qui met, comme lu le vois, la main sur sa bouche ; en effet, parmi les offrandes consacrées à Zeus dans le temple de Dodone, il y avait un bassin qui résonnait pendant la plus grande partie du jour et qui ne se taisait que si on venait à le toucher.

502 COMMENTAIRE

Beaucoup de monuments antiques, peintures de vases, peintures murales et bas-reliefs représentent des libations et des sacrifices ; il en est peu qui nous offrent une cérémonie religieuse avec le même développement de mise en scène que le tableau décrit par Philostrate. On ne peut guère, à ce point de vue, le comparer qu'à deux célèbres peintures d'Herculanum qui ont pour sujet l'une et l'autre une cérémonie isiaque(1). Dans l'une, des deux côtés d'un autel placé sur le premier plan, sont rangées et s'échelonnent sur les degrés d'un temple deux files d'adorateurs ; sur le seuil du temple paré de guirlandes, et entre deux sphinx, se tiennent debout trois personnages, un prêtre portant l'urne sacrée d'Isis, un autre prêtre agitant le sistre, une prêtresse aux cheveux flottants, le sistre dans une main, le seau dans l'autre; au pied de l'autel, on aperçoit d'autres ministres du culte, reconnaissables à l'épée, au rameau, au flabellum, tous instruments sacrés et mystiques. L'autre peinture représente également l'entrée d'un temple ; onze figures, adorant, priant, jouant d'instruments divers ou présentant des offrandes entourent l'autel, au-dessus duquel plane une épaisse fumée ; sur le seuil, entre doux colonnes parées de feuillage et de guirlande, au milieu d'un -groupe de cinq figures, un personnage exécute une danse sacrée: sistres, crotales, trompettes, tambours, corbeilles, vases mystiques, croix ansée, ibis même, tout est réuni pour caractériser le lieu et la scène. Bien différente, sans doute, est la cérémonie de notre tableau ; elle est grecque, l'autre égyptienne; elle a pour objet le culte d'un arbre, l'autre s'adresse à une divinité ; mais les peintures d'Herculanum nous prouvent du moins que les artistes anciens aimaient à représenter, dans toute leur pompe, les cérémonies religieuses et ne s'effrayaient point de montrer un nombre considérable de personnages dans des actions et des attitudes diverses.

Dans notre tableau, nous distinguons sans peine trois groupes principaux, les habitants de Thèbes, les prêtres, les prêtresses. Quelle était la place de ces trois groupes ? Il est assez difficile de la déterminer. Les prêtres, il semble, devaient se tenir tout près de l'arbre et de l'autel; car il devait y avoir aussi un autel allumé et fumant. Les prêtresses formaient-elles un groupe tout à fait distinct ? étaient-elles mêlées aux prêtres comme dans les peintures d'Herculanum citées plus haut? c'est ce que Ton ne saurait dire. Peut-être, comme dans les mêmes peintures, le chœur des Thébains, divisé en deux, formait-il deux files, deux demi-cercles autour de l'arbre, les prêtres et les prêtresses occupant le milieu de la composition. Cette ordonnance nous paraît être la plus vraisemblable.

Les attitudes des différents personnages se dessinent assez bien pour l'imagination. Les Thébains assistent en spectateurs à la cérémonie sacrée ; si 502 Philostrate dit qu'ils semblent s'approprier la sagesse de l'arbre, c'est sans doute parce que leurs figures exprimaient l'admiration et le recueillement. Les six prêtres ont chacun leur rôle, suffisamment indiqué par l'auteur grec. Reste une difficulté : un des prêtres sacrifie ; mais Philostrate a déjà parlé de deux personnages qui viennent l'un pour interroger, l'autre pour sacrifier. Il y aurait donc dans le tableau deux sacrifices, l'un accompli par le prêtre, l'autre par un pieux adorateur. Nous ne le pensons pas : Philostrate en disant que l'un vient pour consulter l'oracle, l'autre pour sacrifier, ne parle point d'actions représentées; il indique les motifs qui ont fait entreprendre à tant de personnes le voyage de Dodone. Les prêtres interrogent la colombe pour les dévots; ils accomplissent aussi pour eux les sacrifices. Les prêtresses ne touchaient pas sans doute aux instruments du culte, puisque Philostrate se contente de mentionner leur air sombre et sévère. Combien étaient-elles ? Hérodote qui avait vu les prêtresses de Dodone, qui les avaient interrogées, prétend qu'elles étaient trois, et il donne leurs noms : Proménie, Timarète et Nicandre (2). Welcker conjecture que le peintre s'était conformé à celte autorité.

Philostrate ne nous donne sur le costume des personnages aucun renseignement, et il serait difficile de suppléer à son silence, Welcker supposant, d'après le récit d'Hérodote, que ces Thébains viennent non de Thèbes, la ville de Cadmos, mais de Thèbes l'égyptienne, s'étonne que le rhéteur n'ait point songé à décrire leur costume étranger. Devons-nous donc nous les représenter comme ces assistants qui, dans la cérémonie isiaque d'Herculanum, portent sur leur tête une coiffure en lin bigarrée et par dessus leur tunique sans manches une espèce de manteau, pallium ou palla, également orné de couleurs diverses? La remarque de Welcker nous amènerait presque à cette conclusion ; toutefois du silence de Philostrate à ce sujet, ne serait-il pas plus juste d'inférer que les personnages qu'il prend pour des Thébains n'ont été introduits dans le tableau par l'artiste que comme la représentation de la foule pieuse qui venait de toutes parts consulter le célèbre oracle de Zeus ? C'est Philostrate qui, se rappelant que la colombe de Dodone est venue d'Égypte, a jugé à propos de voir des Égyptiens dans les personnages qui lui rendent un culte. D'ailleurs, si ce sont des Thébains, est-il bien nécessaire de les considérer comme des Thébains d'Égypte ? Oui, sans doute, si nous adoptons le récit d'Hérodote ; mais on dirait que Philostrate suive une autre tradition. En effet, d'après Hérodote, la colombe de Dodone s'était envolée de Thèbes en Égypte ; d'après Phiiostrate, cette même colombe aurait été prise à Thèbes. La légende elle-même s'était peut-être chargée de confondre les deux villes et de substituer la Thèbes de Cadmos à la Thèbes égyptienne, en modifiant également les autres circonstances du récit (3).

504 Aux personnages dont nous avons Ressayé d'indiquer la place et l'attitude, l'artiste avait ajouté une figure allégorique, à laquelle Philostrate donne le nom d'Echo. Le rhéteur voit dans sa présence une allusion à un détail du culte dodonéen qu'il ne fait que mentionner. Des renseignements plus complets nous sont nécessaires pour comprendre la pensée de l'artiste et l'interprétation de Philostrate. Plusieurs anciens rapportent que le temple de Zeus à Dodone était formé par une enceinte de bassins ou de trépieds, disposés de telle sorte que si l'un venait à être frappé, tous retentissaient à la ronde et que le son transmis ainsi d'un vase à l'autre exécutait une série innombrable de tours (4). Selon d'autres auteurs, il y aurait eu à Dodone deux colonnes voisines, sur l'une un vase d'airain, sur l'autre un enfant armé d'un fouet ; le vent poussait le fouet contre le vase d'airain qui retentissait (5). La première de ces traditions semble avoir été la plus répandue; c'est celle que paraît adopter Ménandre, quand il compare la langue d'une certaine Myrtile à l'airain de Dodone qui résonne tout le jour, si on le touche, mais se tait pendant la nuit, plus discret en cela que la bavarde qui, une fois qu'elle a commencé, parle jour et nuit (6). C'est aussi celle que suit Philostrate, en y ajoutant toutefois ce détail merveilleux qu'il fallait toucher un des bassins pour arrêter les vibrations. Revenant à notre tableau nous avons à nous demander si Écho était une statue ou une jeune fille assistant de loin ou de près à la cérémonie ; ensuite si le geste que lui avait donné l'artiste convenait à son caractère. Nous avons supposé le premier problème résolu, dans notre traduction; le texte de Philostrate n'est point cependant parfaitement clair ; aie traduire littéralement il signifie qu'un Écho d'airain était honoré en ce lieu et qu'on le voyait portant la main à sa bouche. Pourquoi cet écho est-il appelé d'airain ? est-ce parce qu'il était représenté par une statue en airain ? ne serait-ce pas plutôt parce qu'une figure de jeune fille personnifiait le son rendu par l'airain ? Brunn adopte cette dernière supposition ; nous avons de la peine à être de son avis. l'écho d'airain, pour dire l'écho renvoyant le son de l'airain, nous paraît une expression d'une concision outrée qui eût rendu la phrase inintelligible, même pour les anciens. Au contraire il est assez naturel de dire qu'un écho d'airain est honoré en un lieu, pour signifier que les hommages s'adressent à une statue en airain. L'emploi de ce métal, sans être d'ailleurs nécessaire à la clarté de l'allégorie, nous paraît en ce sens une convenance de plus qui a pu sourire à un artiste grec. Reste le geste : comment, dit Friederichs, une statue, personnifiant la résonance de l'airain et d'une airain qui ne se tait jamais s'il n'est touché, mettrait-elle le doigt sur sa bouche, comme le dieu du silence ? Voilà un être allégorique qui par son geste con- 505 tredit son sens allégorique et par conséquent sa raison d'être. Brunn répond que Philostrate a dû se tromper dans l'explication du geste. Si Écho porte sa main à la bouche, ce ne serait point, selon cet archéologue, avec l'intention de montrer que le contact seul de la main peut faire cesser les vibrations d'un vase métallique, mais bien pour caractériser sa vraie nature qui est de répéter les paroles étrangères sans pouvoir produire aucun son. Brunn cite à l'appui de son opinion un tableau campanien qui représente Narcisse (7); dans cette peinture, on aperçoit en effet, à l'arrière plan, à demi cachée par un rocher couvert de buissons, une figure de femme qui met un doigt sur sa bouche. Les archéologues présument que cette femme est Écho dont la légende est étroitement unie à celle de Narcisse. Il nous semble bien aussi à nous que ce personnage est Écho ; mais si Écho met ici un doigt sur sa bouche, c'est pour indiquer qu'elle se tait, depuis que Narcisse épris de lui-même ne fait plus retentir les forêts de sa voix et qu'elle se taira désormais, Narcisse étant condamné à mourir. Le geste que fait Écho est donc ici, selon nous, de circonstance ; il ne sert point à caractériser la nature du personnage. Voyons si dans notre tableau, le geste d'Écho ne s'expliquerait pas d'une manière aussi naturelle. Le son produit par un vase d'airain, transmis d'un vase à l'autre, va en s'affaiblissant et finit par se perdre dans l'air ; il s'éteint, pour ainsi dire, de lui-même; une statue ou une figure de femme mettant le doigt sur sa bouche, n'offre-t-elle pas comme une image de ce phénomène qui n'arrive point de lui-même à l'existence, mais semble se la ravir à lui-même par suite de son évolution? Sans doute nous ne sommes plus d'accord avec la tradition merveilleuse suivant laquelle les vibrations de l'airain de Dodone auraient duré éternellement sans l'intervention d'une cause extérieure; mais cette tradition n'a pour elle que l'autorité assez suspecte de Philostrate lui-même qui pourrait bien avoir renchéri sur la légende pour en tirer une explication aussi subtile qu'inutile d'un geste naturel. Une phrase obscure et mal comprise des commentaires a pu faire croire qu'Etienne de Byzance était d'accord sur ce point avec Philostrate : il n'en est rien ; ce grammairien se contente de dire que si on touche un des trépieds de Dodone, le son se communique de l'un à l'autre et que la résonance persiste jusqu'à ce qu'elle revienne à son point de départ (8). Voilà sans doute ce qui se passait à Dodone et voilà aussi le sens du geste que l'artiste avait donné à la statue d'airain ; Écho reçoit du dehors l'impulsion qui la fait parler, mais c'est elle-même qui s'impose le 506 silence. Enfin, si cette explication paraît trop subtile, ne pourrait-on pas dire que si Écho porte la main à ses lèvres, ce n'est pas comme pour le dieu du Silence afin de montrer qu'elle se tait, mais bien pour indiquer qu'elle parle et que tout son rôle est de parler ? Elle n'est qu'une bouche à proprement parler; il est bien juste qu'elle désigne tout spécialement sa bouche à l'attention du spectateur.

(1) Ant. d'Erc.,ν, II,ρ. 321 et 315; Roux, II, pl. LXVIII et LXIX; Helbig, Wandg., 1111 et 1112

(2) Hérod., II, 55.

(3) Sur l'oracle de Dodone et les diverses questions qui le concernent, voir Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l'antiquité, II, p. 273.

(4) Demo, De proverbiis, apud Suid.

(5) Zenobius, VI, 5.

(6) In Arrephoro, Meineke, Com. poet. fragm., IV, p. 89. Voir Bouché-Leclercq, ouvr. cité, II, 306.

(7) Helbig, 1806 ; Mus. Borb., VII, 2; Wieseler, Echo, fig. 2, p. 67 ; Brunn, Die phil. Gem., p. 277.

(8) Voici le pass. d'Ét. de Byzance : τρίποδοι; πολλοὺς ἀλλήλων πλησίον ὥστε τὸν ἑνὸς ἁπτομενου παράπεμπειν διὶ τῆς ψάυσεως τὴν ἐπήχησιν ἑκάστῳ καὶ διαμένει τὸν ἦχον ἄχρις αὖθις τοῦ ἑνὸς ἐφάψηται. Une des traductions de Gronovius (il en donne trois du fragment d'Ét. de Byz. où se trouve ce passage) est ainsi conçue : « Adeo ut si unum percutias strepitum simul et contactum ad unumquemque eorum transmittas qui perdurat usque dum sonus ad unum illum redierit. » {De Dodone, fragment Stephani, Jac. Gron, 1681, p. 9.)

 

ΩΡΑΙ

Τὸ μὲν ἐπὶ ταῖς Ὥραις εἶναι τὰς τοῦ οὐρανοῦ πύλας Ὁμήρῳ ἀφῶμεν εἰδέναι καὶ ἔχειν—εἰκὸς γάρ που αὐτὸν ξυγγενέσθαι ταῖς Ὥραις, ὅτε τὸν αἰθέρα ἔλαχε—τουτὶ δὲ τὸ σπουδαζόμενον ὑπὸ τῆς γραφῆς καὶ ἀνθρώπῳ ξυμβαλεῖν ῥᾴδιον. Αἱ γὰρ δὴ Ὧραι αὐτοῖς εἴδεσιν ἐς τὴν γῆν ἀφικόμεναι ξυνάπτουσαι τὰς χεῖρας ἐνιαυτὸν οἶμαι ἑλίττουσι καὶ ἡ γῆ σοφὴ οὖσα εὐφορεῖ αὐταῖς τὰ ἐνιαυτοῦ πάντα. „μὴ πατεῖτε τὴν ὑάκινθον ἢ τὰ ῥόδα“ οὐκ ἐρῶ πρὸς τὰς ἠρινάς· ὑπὸ γὰρ τοῦ πατεῖσθαι ἡδίω φαίνεται καὶ αὐτῶν τι τῶν Ὡρῶν ἥδιον πνεῖ. Καὶ „μὴ ἐμβαίνετε ἁπαλαῖς ταῖς ἀρούραις“ οὐκ ἐρῶ πρὸς τὰς χειμερίους σφῶν· τὸ γὰρ πατεῖσθαι αὐτὰς ὑπὸ τῶν Ὡρῶν ποιήσει ἄσταχυν. Αἱ ξανθαὶ δὲ αὗται βαίνουσιν ἐπὶ τῆς τῶν ἀσταχύων κόμης, οὐ μὴν ὡς κλάσαι ἢ κάμψαι, ἀλλ´ εἰσὶν οὕτω τι ἐλαφραί, ὡς μηδὲ ἐπημύειν τὸ λήιον. Χαρίεν ὑμῶν, ὦ ἄμπελοι, τὸ λαβέσθαι τῶν ὀπωρινῶν ἐθέλειν· ἐρᾶτε γάρ που τῶν Ὡρῶν, ὅτι ὑμᾶς ἐργάζονται καλὰς καὶ ἡδυοίνους. Ταυτὶ μὲν οὖν οἷον γεωργίαι τῆς γραφῆς, αὐταὶ δ´ αἱ Ὧραι μάλα ἡδεῖαι καὶ δαιμονίου τέχνης. Οἷον μὲν γὰρ αὐτῶν τὸ ᾄδειν, οἵα δὲ ἡ δίνη τοῦ κύκλου καὶ τὸ κατόπιν ἡμῖν μηδεμιᾶς φαίνεσθαι ὑπὸ τοῦ πάσας οἷον ἔρχεσθαι, βραχίων δὲ ἄνω καὶ ἐλευθερία ἀφέτου κόμης καὶ παρειὰ θερμὴ ὑπὸ τοῦ δρόμου καὶ οἱ ὀφθαλμοὶ συγχορεύοντες. Τάχα τι καὶ μυθολογῆσαι συγχωροῦσιν ὑπὲρ τοῦ ζωγράφου· δοκεῖ γάρ μοι χορευούσαις ταῖς Ὥραις ἐντυχὼν σεισθῆναι ὑπ´ αὐτῶν εἰς τὴν τέχνην ἴσως αἰνιττομένων τῶν θεῶν, ὅτι χρὴ σὺν ὥρᾳ γράφειν.
 

XXXIV. LES HEURES.

Que les portes du ciel sont confiées à la garde des Heures, Homère seul a pu le savoir et le dire, car il avait vécu avec les Heures, ayant eu lui-même le ciel pour premier séjour ; mais tout homme est capable de reconnaître le sujet de notre peinture. Descendues du ciel sous la forme qui leur est propre, les mains enlacées, les Heures mènent, j'imagine, la ronde de Tannée ; la terre, savante en l'art de plaire, produit sous leurs pas les richesses de toutes les saisons. Je ne dirai pas au\ Heures du printemps : Ne foulez pas l'hyacinthe et les roses ; car foulées par elles, ces fleurs n'en paraissent que plus charmantes et retiennent je ne sais quel parfum émané des Heures mêmes (a). Je ne dirai point aux Heures de l'hiver: Ne marchez pas sur la terre molle des sillons; car les épis naîtront là où elles auront posé leurs pas. Celles-ci, qui sont blondes, marchent sur la pointe des épis sans les briser ni les courber, tant elles sont légères, tant elles pèsent peu sur la moisson ! C'est un spectacle charmant que de vous voir, ô vignes, essayer de retenir dans leur vol les Heures de l'automne ; car vous les aimez, ces Heures auxquelles vous devez votre beauté et la liqueur sucrée de vos fruits. Mais ce n'est là que le côté rural, pour ainsi dire, de notre tableau (b); pour les Heures elles-mêmes, elles sont pleines de charme et peintes avec un art merveilleux. Vois en effet comme elles semblent bien chanter, avec quelle rapidité tourne leur ronde, comme nulle d'entre elles n'est vue de dos, toutes semblant venir au-devant du spectateur. Elles ont un bras levé, leur chevelure flotte en liberté, leurs joues sont animées par la course ; leur yeux même participent à la cadence. Je ne sais si elles ne nous permettent point de raconter une fable sur le peintre ; il me semble en effet qu'il rencontra les Heures comme elles dansaient, que sur leurs exhortations pressantes il se mit à l'ouvrage, les déesses voulant ainsi montrer, j'imagine, que le sentiment de la grâce est nécessaire au peintre.

507 COMMENTAIRE

Sur le sol, des fleurs, des vignes, des épis ; dans les airs, des figures qui semblent descendre du ciel et dansent en chœur, voilà tous les éléments du tableau que décrit Philostrate. Rien n'est plus facile, semble-t-il, pour l'imagination que de se représenter une composition semblable ; cependant le texte du sophiste nous laisse indécis sur plus d'un point.

Et d'abord combien y avait-il d'Heures ? Pausanias, parlant du culte qu'on leur rendait à Athènes, n'en nomme que deux : Thallo, l'heure du printemps, Carpô, l'heure de l'été (1). Elles n'étaient que deux aussi sur le trône d'Amyclées (2) ; Hésiode (3) en connaît trois ; mais les noms qu'il donne à chacune d'elles, Eunomia, la Législatrice, Diké, la Justice, Eirénè, la Paix, montrent qu'il n'a point en vue les Heures qui président aux saisons ; d'ailleurs celles ci sont bien les sœurs des premières, car les unes représentent dans le monde moral la mesure, la régularité, la grâce que les autres personnifient dans le monde physique. Sur les monuments figurés elles sont trois en général, soit que ce nombre ait été consacré de bonne heure par la religion ou la tradition poétique, soit qu'il ait permis aux artistes de former un groupe élégant et bien pondéré. Enfin des poètes ont compté quatre Heures en les identifiant aux quatre saisons de l'année, ou même douze, en les prenant pour les douze heures du jour et de la nuit. Les archéologues ont pensé que dans notre tableau la ronde de l'année était menée par quatre heures, répondant aux quatre saisons caractérisées d'ailleurs par les fleurs du printemps, les épis de l'été, les vignes de l'automne, les labours de l'hiver. Mais nous devons ici remarquer le langage de Philostrate ; ce n'est point à l'Heure, mais aux Heures printanières qu'il s'adresse ; ce sont des Heures à la chevelure dorée qui se suspendent sur la pointe des épis ; ce sont des Heures que les vignes cherchent à arrêter dans leur course. Il faut donc supposer, croyons-nous, que le chœur n'était pas seulement composé de quatre figures de femmes ; peut-être étaient-elles douze, autant que de mois dans Tannée, et se partageaient-elles en quatre groupes, trois heures par saison; peut-être aussi l'artiste s'étudiant à composer un groupe harmonieux, n'avait-il point réglé le nombre de ses figures d'après leur signification allégorique.

Quelle était maintenant la situation des Heures, les unes par rapport aux autres ? La première idée qui se présente à l'esprit, c'est qu'elles dansaient en cercle ; et en effet, dit Philostrate, elles font tourner l'année sur elle-même ; elles se tiennent par les mains. Vois, ajoute le rhéteur, avec quelle rapidité leur ronde est entraînée ! D'un autre côté, quelques-unes d'entre elles au moins ont un bras levé ; en outre nulle n'était vue de dos ; elles 508 paraissaient venir au-devant du spectateur. Un critique, voyant là autant de contradictions, se hâte de conclure contre l'authenticité du tableau : Philostrate aurait tout imaginé, et dans son inexpérience des choses de l'art, il aurait décrit des attitudes qui ne peuvent exister ensemble ; ou plutôt son imagination mobile aurait composé un groupe pour le défaire ensuite et le refaire d'une autre façon. Le reproche est grave, mais si grave qu'il semble se détruire de lui-même. Comment supposer chez Philostrate, ou une telle ignorance ou une telle irréflexion ? Il est même à remarquer que les prétendus détails contradictoires sont réunis dans la même phrase ; si bien que s'il y a contradiction, elle est grossière et flagrante. L'examen des monuments figurés nous permet, croyons-nous, de comprendre et de justifier Philostrate. Par exemple, si nous considérons le monument connu sous le nom d'autel des douze dieux (4), les Heures se suivent au lieu de former un chœur, et cependant elles exécutent une danse sacrée ; car deux d'entre elles relèvent leur chiton, et celle du milieu, repliant le bras vers l'épaule, soutient légèrement avec deux doigts le pan de sa palla. Ainsi les Heures sont disposées sur une seule ligne, comme elles pouvaient l'être dans notre tableau, et Tune d'elles fait le geste qui semble indiqué par Philostrate ; il est vrai qu'elles ne se tiennent pas les mains. Mais sur un autre côté de l'autel triangulaire qui représente les trois Grâces, celle du milieu donne la main à ses deux compagnes; de sa main libre, l'une de celles-ci relève son chiton; l'autre a saisi son voile. On pourrait presque leur appliquer la phrase suspecte de Philostrate, car elles semblent entraînées par un mouvement circulaire et en même temps sont tournées vers le spectateur. La seule différence c'est qu'elles paraissent s'avancer avec lenteur de gauche à droite, tandis que les Heures de Philostrate tournent avec rapidité. En admettant cette disposition nous sommes obligé, comme on le voit, de supposer que les Heures ne se tenaient pas toutes par la main et, tout en menant une espèce de ronde, ne formaient pas un cercle complet ; si cette supposition paraît trop hardie, on pourrait encore concevoir une autre ordonnance : en effet, si sur plusieurs personnes dansant en cercle, quelques-unes ou une seule, suivant le nombre, sont tournées en dedans, toutes les autres étant tournées en dehors, il est évident que l'artiste pourra les montrer toutes de face entièrement ou presque de face au spectateur ; reste à savoir si cette disposition était familière à l'antiquité, ou si seulement elle était employée par l'art ; le bas-relief du Louvre, connu sous le nom des Danseuses (5), nous paraît lever tout espèce de doute à ce sujet. Cinq jeunes filles qui semblent faire partie d'un vaste chœur qui se déroulerait autour d'un temple, se tiennent par la main; trois d'entre elles, vues de dos ou de profil, ont le côté droit du corps tourné vers les 509 colonnes du temple, les deux autres au contraire ont ce même côté tourné vers le spectateur et sont vues presque de face. Repliez le chœur sur lui-même; laissez les premières, celles qui nous tournent le dos, accomplir leur évolution et rejoindre leurs deux compagnes en passant derrière elles : toutes ces jeunes filles seront tournées vers le spectateur. Rien n'empêche de croire que les Heures, dans notre tableau, avaient été groupées d'une façon semblable.

Enfin il ne faut peut-être pas attacher une importance exagérée aux expressions de Philostrate ; quand il dit qu'aucune des Heures n'était vue par derrière, il faut peut-être entendre que celles-là même qui étaient vues de dos tournaient le visage vers le spectateur ; et quand il ajoute qu'il en était ainsi parce que «toutes semblaient venir », il explique peut-être à sa façon, c'est-à-dire avec subtilité, les intentions de l'artiste. Les Heures, selon lui, se seraient tournées vers le spectateur, non pour lui laisser voir un visage aimable et souriant, mais pour lui bien montrer qu'elles descendaient du ciel vers lui et pour chercher leur bienvenue dans ses yeux. Une peinture murale antique (6) nous montre trois jeunes femmes, Heures ou Grâces, formant un chœur en se tenant par la main; l'une d'entre elles, celle qui est placée à gauche du spectateur, semble entraîner ses compagnes; dans son impétuosité elle s'écarte vivement de celle qui la suit, si bien que derrière les bras tendus et les mains enlacées de ces deux femmes, vues chacune de profil, on aperçoit presque tout entière et de face la troisième danseuse. Une disposition analogue paraît se concilier assez bien avec les termes mêmes dont se sert Philostrate, surtout si l'on admet, comme nous serions assez disposé à le faire, que la danse des Heures se composait de quatre groupes, formés chacun de trois jeunes femmes (7).

Nous ne discuterons pas la question de savoir si les Heures planaient dans les airs ou se posaient sur le sol; les détails donnés par Philostrate nous paraissent se concilier avec l'une ou l'autre de ces deux suppositions. Si elles descendaient du ciel, elles effleuraient peut-être du pied les fleurs et les épis, elles semblaient accrocher leur robe aux vrilles de la vigne. Si elles étaient descendues, elles dansaient au premier plan, au milieu d'un paysage où l'œil distinguait les plantes de diverses saisons. Un critique (8) s'est représenté le terrain comme divisé en quatre compartiments, en quatre bosquets, et a blâmé l'auteur d'une pareille disposition ; c'eût été là en effet une ordonnance assez maladroite et contraire même à l'idée de grâce que la danse des 510 Heures devait éveiller dans l'esprit du spectateur. Mais rien n'autorise, dans le texte de Philostrate, à croire qu'elle ait été adoptée par l'artiste. A en juger par les habitudes de la peinture campanienne (qui d'ailleurs, comme nous l'avons dit, diffère à certains égards des tableaux de Philostrate), le paysage aurait été traité d'une manière sommaire ; une rose aurait peut-être représenté les jardins ; une vigne aurait tenu lieu d'un vignoble, un épi, d'un champ. Philostrate, en feignant de voir des champs et des bosquets, n'aurait fait que se prêter à une convention usitée dans l'art antique, il aurait compris le langage du peintre, et en présence du signe, il eût parlé comme s'il eût été en présence des objets que ce signe représentait. Tout cela est sans doute possible; mais il est possible aussi, nous l'avons vu (9), que le paysage, au troisième siècle, eût reçu un développement qui le rapprochait de notre paysage moderne.

(1) Pausanias,IX, 35, 3.

(2) Ibid., III, 18, 10.

(3) Hés., Theog., 901.

(4) Au Louvre, Frühner, notice n° 1 ; Bouillon, III, autels, pl. I, Müller-Wieeeler, D. d. a. K., I, pl. XII, 13.

(5) CUrac, Musée de sculpt., 259, pl. I, 163.

(6) O. Müller, Manuel d'Archéol., Atlas de la trad. Nicard, pl. XXXIX, n° 180.

(7) Brunn (Iahrb. fur Phil., 1871) n'admet que quatre heures en tout; ces heures se tiennent alors toutes par la main. Pour expliquer comment aucune n'est vue tout à fait de dos, Brunn groupe ensemble, par la pensée, trois figures empruntées à un candélabre antique du Louvre (Clarac, pl. CLXIII) et une figure d'Éros (Braun, ant. marmw., dec, II, 5); Brunn est obligé, comme nous, de ne pas prendre à la rigueur les expressions de Philostrate.

(8) Quadriparttium viridarium ; Matz, De Phil. fide, p. 66.

(9) Voir l'Introduct., p. 117 et suiv.
 

 


 

XXXV. TELEPHE BLESSE (1).

Ce héros est le chef indomptable de la Teuthranie, c'est Télèphe qui naguère tenant tête aux Grecs, ensanglantait la terrible mêlée et remplissait de cadavres les eaux rougies du Caïque ; c'est le guerrier qui affrontait la lance d'Achille ; maintenant blessé à la cuisse, il couve un mal cruel ; le souffle semble l'abandonner, sa chair toute vive se consume et se tord convulsivement (a). Tant de souffrances ne rassurent point le cœur tremblant des Achéens qui fuient pêle-mêle le rivage de Teuthras.

COMMENTAIRE

Séduite par Héraclès, Augé, la fille de Cépheus roi de Tégée, avait donné le jour à Télèphe. Cépheus la condamna à périr dans la mer, mais elle dut la vie à la compassion de Nauplios chargé d'exécuter la sentence. Elle se réfugia auprès de Teuthras, roi de Mysie, qui l'épousa. Nourri par une biche, sur le mont Parthénios, élevé au milieu des bergers, Télèphe, dès qu'il fut grand, se mit à la recherche de sa mère, et l'ayant trouvée, devint le fils adoptif et, l'héritier de Teuthras. Il était roi de Mysie, quand les Grecs réunis pour venger Ménélas, débarquèrent dans ce pays, et le ravagèrent, le prenant pour la Troade. Télèphe à la tête des Mysiens, marcha contre les envahisseurs ; il tua Thersandre, le fils de Polynice, blessa Patrocle, fut lui-même blessé par Achille. Les Grecs toutefois ne purent se rallier ; ils se rembarquèrent et retournèrent en Grèce, après différentes épreuves. Télèphe ne pouvait être guéri 511 que par celui qui rayait blessé ; déguisé en mendiant, il pénétra dans le camp des Grecs, s'empara du jeune Oreste, et se réfugiant sur un autel, menaça de tuer reniant, si les Grecs ne voulaient point avoir pitié de lui. Un peu de rouille, détachée de la lance d'Achille, guérit la blessure que cette lance avait faite: ainsi s'accomplit l'oracle.

La poésie et les arts s'emparèrent de cette légende (2). Les monuments conservés jusqu'à nous, ou que nous connaissons par la mention des écrivains anciens, peuvent se diviser en quatre groupes : sur les uns, Télèphe vient de naître (3), sur les autres, Télèphe est un guerrier combattant (4) ; d'autres nous transportent dans le camp des Grecs, nous le montrent levant le poignard sur Oreste ou recevant les soins d'Achille qui fait tomber de sa lance sur la blessure ouverte la rouille bienfaisante (5).

Quel était le moment choisi par l'artiste, dans l'œuvre que décrit Philostrate? Si nous voulons nous en rapporter aux seules paroles du sophiste, Télèphe vient d'être blessé et les Grecs, malgré cette victoire, s'éloignent du Calque. Il semble toutefois étonnant que dans une semblable composition, Achille ne fût pas représenté: Achille fuyait-il donc avec tous les Grecs? Dans les Héroïques, Philostrate prétend que si Achille avait blessé Télèphe, c'était Protésilas qui lui avait enlevé son bouclier ; il nous montre un grand nombre de guerriers et l'épouse même de Télèphe prenant part à la lutte. Pourquoi Télèphe reste-t-il seul, et s'il n'est pas seul, pourquoi Philostrate ne mentionne-t-il pas ses adversaires ou ses compagnons ? D'un autre côté, si Télèphe blessé demeure sur le champ de bataille, après la fuite de tous les ennemis, ne devait-il pas être entouré de cadavres abattus par ses braves Mysiens ou par lui-même? D'où vient donc que l'auteur de l'épigramme, au lieu de nous décrire une semblable scène comme présente à ses yeux, se borne à nous rappeler le Calque ensanglanté ? Ces difficultés d'interprétation disparaissent si l'on veut bien supposer que l'œuvre décrite est, non pas une composition à plusieurs personnages, mais la représentation du seul Télèphe par la peinture ou la sculpture. Mais comment concilier cette supposition avec les paroles de l'auteur grec : « Tant de souffrances ne rassurent point le cœur tremblant des Grecs qui fuient en désordre le rivage de Teuthras. » On aurait tort, croyons-nous, d'attacher une trop grande importance à ce détail. Philostrate emploie ici, avec toute la liberté de la poésie, un procédé dont il a fait usage dans ses descriptions en prose ; c'est en imagination qu'il voit les Grecs en déroute ; non seulement il anime le personnage représenté par l'art, mais il le replace en esprit dans le cadre qui lui sourit le plus ; il s'est souvenu d'ailleurs des vers de Pindare qui montre les Grecs se précipitant sur 512 leurs vaisseaux, comme il s'est rappelé les expressions du même poète sur les eaux sanglantes du Caïque (6); il n'a point voulu perdre de semblables images, sans trop s'inquiéter de savoir s'il laisse le lecteur indécis sur le véritable sujet de la représentation. Nous avons cru reconnaître un exemple du même artifice dans une épigramme sur Thiodamas (7): « Sans doute, dit le poète, l'artiste a mis sur les lèvres de Thiodamas une plainte, une prière; Héraclès l'aura entendu et le bœuf est épargné. » Si Thiodamas avait été présent, il n'aurait point eu l'air d'un homme qui prie, comme nous l'avons montré ; puis, s'il l'était, pourquoi l'auteur donne-t-il comme une conjecture son interprétation de l'expression de Thiodamas, au lieu de dire qu'il priait bien réellement ? Une fois que nous avons exclu de la composition l'épisode de la fuite des Grecs et que nous considérons l'œuvre comme une statue ou comme une peinture à un seul personnage, le moment pourrait bien être tout autre que ne l'indique Philostrate : Télèphe ne vient pas d'être blessé ; mais il n'est pas encore guéri ; il arrive peut-être dans le camp des Grecs ; il est à Argos, il s'apprête à ravir Oreste. Le sculpteur n'a eu qu'une pensée : représenter Télèphe en proie à la douleur. Comme le héros était connu par sa vaillance et sa fermeté, peut-être, outre l'expression de la souffrance, lui avait-il donné un regard résolu et menaçant, qui aura rappelé à l'interprète les vers de Pindare et le combat sur les bords du Caïque.

Certains traits rapportés par Philostrate feraient croire que Télèphe était conçu dans un style assez réaliste. On Serait tenté de se demander si le poète, pour mieux louer la puissance de l'art, n'a point exagéré les qualités par lesquelles l'œuvre cherchait à exciter la compassion ; toutefois il n'est guère possible, comme nous l'avons montré, de douter que l'art grec n'ait aimé, surtout dans sa dernière période, à faire de fortes impressions sur l'esprit du spectateur et n'ait eu recours, pour cela, à des moyens violents d'expression.

Télèphe avait-il la jambe enveloppée d'un bandage, comme sur beaucoup de monuments qui le représentent?Le texte grec peut sembler prêter à cette supposition;Télèphe, est-il dit, « cache en sa cuisse une pesanteur funeste », ce que nous avons traduit: « il couve un mal cruel » ; le mot grec en effet (κεύθων) ne nous paraît pas s'appliquer à un bandage qui aurait recouvert une partie de la cuisse, mais bien plutôt à une douleur dont la cause gît dans la profondeur des chairs. La blessure n'était pas visible; la souffrance seule l'était. C'est ainsi que dans une épigramme sur le Philoctète de Parrhasios (8), il n'est point fait mention de la plaie qui rongeait le héros, mais il est dit : « Au dedans la douleur le dévore. »
 

(1) Comme Philostrate l'Ancien avait composé, suivant Suidas, un livre d'épigrammes, on a dû lui attribuer cette épigramme sur Télèphe dont l'auteur, mentionné par l'Anthologie de Planude, est un Philostrate.

(2) Cf. Jahn, Archäol. Aufsäfze, Telephos, p. 160 ; Overbeck, Die Bildw., p. 294 et suiv.

(3) Voir surtout la peint, campan., n° 1143 d'Helbig; Roux, II, I.

(4) Un fronton du temple d'Athéna Aléa à Tégée (Pausanias, VIII, 45, 4) et des médailles ; peut-être l'Ara Casali. Voir Jahn et Overb.

(5) Ces deux derniers groupes très nombreux. Voir Overbeck., l. c.

(6) Pind., Ol. IX, antistr., 3.

(7) Voir plus haut, tabl, XXIV, p. 472.

{8) Anth. Plan., n° 111.

 

NOTES SUR LE TEXTE

537 LIVRE II

I. — CHOEUR DE JEUNES FILLES.

(a) . Aphrodite est nue, dans une attitude décente. Texte de Kayser : καὶ τὸ μὲν σχῆμα τοῦ τῆς Ἀφροδίτης ἔδους γυμνὴ καὶ εὐσχήμων. Kayser ajoute aux manuscrits τοῦ et change Αἰδοῦς ou αἰδοῦς en ἔδους. La correction nous paraît hardie. Jacobs lisait : τῆς Ἀφροδίτης Αἰδοῦς γυμνὴ., etc., et traduisait : Veneris figura ipsius Aedus similis est. Son attitude est celle de la pudeur, ou plutôt son altitude est celle d'Aphrodite Aido. Les Lacédémoniens adoraient une Aphrodite sous ce nom (Xénoph. Conv., c, VIII, 35).

(b) . Il s'exhale ici, je crois, un peu de cet enthousiasme qui inspirait Sappho, en grec δοκεῖ δέ μοι καὶ Σαπφοῦς τι ἀναπνεῖν. Welcker traduit : videtur (ara) mihi amorem spirare qualem Sapphica carmina ; l'autel respire l'amour comme les poésies de Sapho. Il ne peut être question ici d'amour. Philostrate annonce qu'il veut faire une libation de paroles ou d'éloquence sur l'autel : sa première raison, c'est qu'on offre à la déesse assez d'encens, de romarin ; quelle peut être la seconde raison, si ce n'est qu'il éprouve, à la vue de l'autel et de la déesse, le même enthousiasme poétique qui inspirait à Sapho ses chants en l'honneur d'Aphrodite?

(c). Il n'a pas tant cherché à les imiter par la couleur que par un jeu de lumière. Ainsi comprend Welcker, bien que la traduction littérale donne : il les a imitées par un effet de lumière, non par des couleurs. Mais il est bien difficile d'admettre qu'un effet de lumière suffise à rendre des pierres précieuses, à moins qu'elles ne fussent incolores, comme le diamant ; et dans ce cas, l'étonnement de Philostrate serait singulier.

(d) . Tout cela a été rendu divinement, et avec grande raison... Nous croyons devoir ajouter ces derniers mots, à cause de la phrase suivante qui explique non le terme de divinement, mais pourquoi Philostrate approuve le peintre. — Ce sont là des accessoires, τὰ ξυμβαίνοντα, mais la peinture qui les dédaigne manque de vérité. Heyne entendait par τὰ ξυμβαίνοντα les couleurs s'harmonisant entre elles. Welcker fait remarquer que le terme de ξυμβαίνοντα s'applique et à τὸν λειμῶνα et à ὡς ἄλλῳ ἄλλο ἐπιπρέπει. Il en conclut qu'il signifie, les parties accessoires, tout ce qui entoure l'objet principal. Mais ξυμβαίνοντα désigne ici, outre les costumes et l'harmonie des couleurs, tous les détails mentionnés dans la phrase précédente ; la vérité d'ensemble résulte de l'exactitude dans les détails, telle nous paraît être la pensée de l'auteur.

(e) . Penchant son arc, ἀνακλίνας τοῦ τόξου τὸν πῆχυν. Ὁ πῆχυς; désigne le milieu de l'arc. L'arc repose donc par son milieu sur la poitrine ou le bras d'Éros.

II. — ÉDUCATION D'ACHILLE.

(a). Et le sort des Achéens entre ses mains, en grec καὶ τὸ τοὺς Ἀχαίους ἐπ' αὐτῷ εἶναι. Olea-rius traduit : et apud Graecos auctoritatem ; Westermann : et in ipsos Achaeos potestatem. Le sens que nous avons adopté nous paraît plus conforme à la légende et à l'expression même εἶναι ἐπί τινι.

(b). De couleur changeante, ἀλιπόρρυρος, καὶπυραυγὴς, ἐξαλλάττουσα τοῦ κυανῆ εἶναι — ἀλιπόρφυρος se dit des objets teints avec la pourpre que l'on retirait des coquilles. C'était 538 une couleur sombre, tirant sans doute sur le violet. De là l'expression de κυάνεος, qui paraît avoir désigné un bleu foncé. La pourpre s'illuminait de reflets rouges aux rayons du soleil : le mot περαυγής, éclatant comme le feu, exprime bien cet effet.

(c) . Il a subi ï'influence de la musique, ἡ πηκτὶς, ὑφ' ἧς ἐκμεμούσωται. Olearius traduit: « cithara quœ musici ei speciem induit » ; Westermann : « cilhara qua eruditus est. » Il nous semble qu'ἐκμουσόω contient une idée de plus : c'est faire sortir de la foule, en inspirant le goût des muses, le goût de la musique. C'est une allusion à l'influence civilisatrice que les anciens attribuaient volontiers à la musique. Cf. Eurip. Bacch, 825 : Διόνυσος ἡμᾶς ἐξεμούσωμεν τάδε, c'est une habileté, c'est un art que Dionysos nous a enseigné, nous devons à Dionysos une telle supériorité.

(d) . Fuyant devant toi comme devant un dieu. Les textes diffèrent beaucoup. Olearius : Θεὼν, ὅασα συνεφεύγοντες, tantum cursa properans, quantum qui fuga tibi se subducere conabuntur. Θεών est la leçon vulgaire ; συνεφεύγοντες est une correction d'Olearius. Il faudrait, dit Jacobs, οἱ συνεκφεύγοντες:. Kayser écrit avec trois manuscrits, le Laurentianus LXIX, 30, le Jacobaeus 845, le Laudianus : Θεὸν ὅσα καὶ συνεκφεύγοντες. Malgré l'embarras apporté à la phrase par la place de ὅσα et par καὶ, nous avons suivi celte leçon qui a pour elle tant d'autorités.

III. — LES CENTAURIDES.

(a) Ce qui expliquerait comment ils réunissent en eux une double nature. Centaure, selon Pindare (Pyth., II, 78), serait né des amours d'Ixion et de la nuée que Junon se substitua à elle-même. L'union de Centaure et des cavales du Pélion donna naissance à la race des Centaures, moitié hommes et moitié chevaux. Telle est évidemment la fable à laquelle Philostrate fait allusion. Si le sens est clair, le texte n'est pas très bien établi : Olearius écrivait οὗ οἱ Κένταυροι ἑνωθέντες ἦλθον ἐς κρᾶσιν, leçon adoptée par Westermann, et traduite par lui de la manière suivante : Unde centauri conjuncti mixtam adepti sint naturam. Jacobs rétablissait le texte de presque tous les manuscrits, οἰνωθέντες qu'il traduisait Centauri illi ebrietate sua famosi. Mais celte mention d'ivresse est au moins singulière ici. Kayser prend le parti de mettre ἑνωθέντες; entre parenthèses comme douteux. Il indique en note qu'il a trouvé ἡνωθέντες dans un manuscrit, le Laudianus 682. ἑνωθέντες; pourrait avoir été écrit pour ἑνωθένετς. On a proposé ὁρμηθέντες. Nous proposerions volontiers à notre tour ὁμοιωθέντες, rendus semblables (d'un côté au fils d'Ixion, de l'autre aux cavales), ils ont une nature mixte. Brunn comparant avec le texte de Philostrate un passage du scoliaste de Pindare (Pyth., If, 78) où il est dit que le fils d'Ixion s'appelait Centaure et que les Centaures furent ainsi appelés du nom de leur père, propose de lire ὀνομασθέντες. Il nous semble que si telle avait été la pensée de Philostrate, il aurait, comme le scoliaste, nommé le fils d'Ixion.

IV. HIPPOLYTE.

(a) . Les prés, purs de toute profanation, comme tu les nommais. Ce sont les termes dont se sert Hippolyte dans Euripide {Hipp., 73).

(b) . Leur poitrine toute ruisselante, mot à mot, laissant échapper Veau de leurs mamelles. Voir le commentaire.

539 V. — RHODOGUNE.

(a). Une tache blanche, parfaitement ronde sur le front. Traduit littéralement, le texte grec, καὶ τὸ μέτωπον ἐν ἀρτίῳ τῷ κύκλῳ signifie le front dans un cercle parfait. On pourrait croire que c'est le front qui est rond. Mais outre que cette forme de front serait singulière, Philostrate énumère dans cette phrase toutes les parties de l'animal qui sont blanches, les jambes, le poitrail, les narines ; sans doute avec le dernier terme de rénumération, qui est le front, il faut sous-entendre le mot blanc, exprimé avec tous les autres. C'est l'explication de Jacobs, adopté par Westermann.

(b) . Rhodogune, les dédaignant pour elle, les a prodigués, etc. Il y a simplement dans le grec λίθων μὲν οὖν καὶ ὅρμων... παρακεχώρηκεν ἡ Ῥοδογύνη τῷ ἵππῳ que Wrestermann traduit gemmis igitur et monilia.... equo concessit Rhodogune. Le terme de παραχωρέω, avec le génitif, nous a paru indiquer plus que celui de concessit, en latin, ou de donner en français : Rhodogune ne porte point de bijoux, mais elle aime les ornements pour son cheval.

(c) . Resplendissante comme l'or, ἦ οὐ χρυσᾶ ταῦτα. Jacobs prenait Χρυσᾶ dans le sens de remarquable, de précieux. Nous ne voyons pas qu'il y ait lieu de faire violence au mot. Le bouclier était brillant sans doute, et jetait le même éclat que l'or. Le peintre avait rendu l'effet de la lumière tombant sur le cuivre.

(d) . Les autres, par cela seul qu'ils sont à leur place, ne paraissent pas avoir tout à fait la même nuance. Il y a dans le grec τὸ δὲ ἐπὶ θάτερα κείμενον ἔχει τι καὶ ἐς αὐτὴν μαράλαττο (Codex Bruxellensis, 11182). Jacobs a changé αὐτὴν en αὐφήν, correction adoptée par les éditeurs suivants. Il nous semble qu'il n'y a aucun inconvénient à conserver αὐτὴν; παραλάττειν, signifiant différer, παραλάττειν εἰς αὐτήν, c'est différer d'avec soi-même. C'est précisément le cas de la chevelure de Rhodogune, blonde là où elle était éparse, un peu plus sombre là où elle était tressée et relevée.

(e) . Un air de gaieté répandu sur les joues accompagne heureusement la douceur du regard. On serait tenté de traduire τὸν ἀπὸ τῶν ὀμμάτων ἵμερον, par le désir amoureux qui brille dans les yeux, si Philostrate ne venait pas de nous dire que Rhodogune était insensible à l'amour; ἵμερος nous paraît donc signifier la vivacité aimable du regard.

VI. — ARRHICHION,

(a). Un juge impartial. Il y a dans le texte ἀτρεκὴς δὲ προσειρήσθω. Philostrate joue sur le mot ἀτρεκής, qui signifie vrai. L'Hellanodice est deux fois vrai, d'abord parce qu'il couronne Arrichion, et ensuite parce qu'il est fidèlement représenté. Nous avons essayé de conserver le sens, tout en atténuant ce que ce jeu de mot peut avoir de choquant pour nous.

(b). Une vallée unie. Certains manuscrits donnent ἐν ἀπαλῇ αὐλῶνι, leçon adoptée par Kayser. Nous avons repris l'ancienne leçon, ἐν ἁπλῇ, qui est celle de Jacobs et qui paraît avoir au moins autant de sens que l'autre.

(c) . Frisé à la manière de l'ache. L'olivier n'a pas la feuille frisée. Faudrait-il lire παρά au lieu de κατά et traduire auprès de l'ache à la feuille frisée ? Biaise de Vigenère traduit : Joignant ces grosses touffes d'ache crespelue, comme s'il avait lu παρά et non κατά.

(d) . L'adresse la plus consommée a donné la victoire à notre athlète, en grec : σοφώτατα γὰρ προὐνοήθη καὶ τὸ πάμαισμα τῆς νίκης sapientissime enim et victoriœ luclatio prospexit 540 (West.). — Jacobs et les éditions antérieures écrivent τὸ πάλαισμα οὐκ ἀγνοήσεις. Kayser a corrigé cette leçon d'après le Laurentianus, LVIII, 32 et le Vindobonensis 331.

(e) . Ὀρύττειν, crever les yeux. Ainsi comprennent les commentateurs. Ne pourrait-on pas entendre qu'il était défendu d'imiter ce Damoxène qui enfonça ses ongles et ses doigts dans les flancs de son rival Creugas ? ὀρύττειν qui signifie fouiller, creuser, s'appliquerait assez bien à une action de ce genre.

(f) . S'appuyant sur le côté gauche, τοῖς δὲ γ' ἀριστεροῖς ἐνιζήσας; ; si on suppose que les deux athlètes ne luttent pas à terre, ἐνιζήσας signifiera qu'Arrhichion fléchit le genou gauche, s'assied sur le jarret gauche ; mais comment concilier ce mouvement avec la position de la jambe suspendue en l'air?

(g) . Par un mouvement violent de conversion en dehors. Arrhichion se retourne sur lui-même. C'est encore un mouvement que l'on ne comprendrait guère, si Arrhichion était resté debout ou avait simplement fléchi le genou. Il est étonnant que Westermann traduise ὑπὸ τῆς ἐς τὰ ἕξω βιαίου ἀποστροφῆς par vi extortum (non sinit talum in vertebra manere) ; βίαιου seul est traduit. Pour comprendre cette description si concise de Philostrate, aucun mot grec n'est de trop.

VIII. — MÊLÉS.

(a). Une de ces ruses chantées par les poètes ; par exemple, la ruse de Poséidon pour abuser Tyro, celle du même dieu pour faire violence à Amymone.

(b). Des fleuves sans esprit, ἀμαθεῖς dans le texte. Le Mêlés, qui a vu naître Homère, est un fleuve lettré, suivant le sophiste.

(c) . Mais pourquoi, mon enfant, me prends-tu par la main... Le passage qui précède est une espèce de parenthèse, une explication, à l'occasion du tableau. L'enfant saisit la main de Philostrate, sans doute pour l'avertir qu'il s'écarte de son sujet. Philostrate feint de croire que l'enfant veut le conduire devant un autre tableau : de là les mots : Que ne me laisses-tu parcourir les autres parties de cette peinture? L'enfant lui répond alors qu'il désire entendre la description de Crithéis elle-même.

(d) . Mais pourquoi les Muses sont-elles ici? Τί οὖν αἱ Μοῦσαι δεῦρο; il est à remarquer que Philostrate emploie δεῦρο qui exprime le mouvement, et non ἐκεί. La phrase signifie donc plutôt : comment les Muses sont-elles venues ici ? Cette traduction serait plus favorable que l'autre à la supposition que nous avons soumise au lecteur dans le commentaire (p. 392).

IX. — PANTHÉE.

(a) . Et voulut partager le tombeau d'Abradate. Nous lisons κοινῇ γῆν ἐπιέσασθαι (ce sont les mots de Xénophon, Cyr. VI, 4, 6), et non ἐπισπάσασθαι, que donnent Kayser et Westermann. Le sens du reste est le même, quelque leçon qu'on adopte.

(b) . Telle qu'il l'a vue en imagination d'après ses vertus, ὁποίαν τῇ ψυχῇ ἐτεκμήρατο. Jacobs, qui propose ce sens, croit aussi que l'on pourrait entendre avec Biaise de Vigenère : il l'a pourtraicte ici telle qu'il l'a imaginée dans son esprit. Philostrate aurait sans doute employé dans ce sens νοῦς et non ψυχή.

(c) . Servirent à embellir les armes de son mari. Littéralement : elle faisait de ses ornements des armes pour son mari. Xénophon (Cyropéd. VI, 4) dit que Panthée apporta à son mari toute une armure, une cuirasse d'or, un casque d'or, des brassards et de larges bracelets à mettre autour des poignets, une tunique de pourpre, descendant jusqu'aux pieds, plissée par le bas, un panache couleur d'hyacinthe ; puis un 541 peu plus loin, Abradate s'adressant à sa femme : « Tu as donc, femme, lui dit-il, mis en pièces tes propres ornements pour m'en faire des armes ? »

(d) . La bouche conserve sa régularité parfaite et même son éclat, qui au moment où elle se tait pour jamais brille encore sur ses lèvres. Le texte des manuscrits est ainsi Conçu : Κεῖται γοὺν τὸ στόμα ξυμμετρίαν τὴν ἑαυτοῦ φύλαττον καὶ νὴ Δι' ὥραν, ἧς, τὸ ἄνθος, οὕτω τι ἐπὶ χείλεσιν, ὡς σιωπώσης ἐκφαίνεσθαι. Les commentateurs ont torturé cette phrase qui pourtant nous paraît très claire. La difficulté portait, à leurs yeux, sur ἄνθος, et σιωπώσης; comment l'auteur pouvait-il dire qu'une bouche, bien que se taisant, conservait son éclat? Quel rapport trouver entre le silence et la fraîcheur des lèvres ? Jacobs proposait de lire φωνῆς à la place de ὧραν ἧς, et comprenait que la bouche même fermée et silencieuse semblait faire entendre une voix charmante. Mais l'expression ἄνθος φωνῆς est bien hardie ; elle est inusitée en grec comme le prouve Jacobs lui-même ; enfin on ne peut imaginer une pensée plus maniérée. Nous conservons le texte tel qu'il est : ὥρα est la beauté, la grâce de la bouche ; ἄνθος, l'éclat des lèvres, éclat qui persiste, dit le rhéteur, au moment où la bouche se tait, c'est-à-dire après la mort. Si l'on devait changer un mot, on mettrait ἀποθανούσης à la place de σιωπώσης ; mais le changement ne nous paraît pas nécessaire. — Wittenbach (Ep crit.,p. 258) proposait de changer κεῖται en κέκλεισται; la bouche est fermée ; mais χιϊται a pour sujet Panthée, non la bouche, et τὸ στόμα φύλαττον est un accusatif absolu, comme il s'en rencontre beaucoup dans Philostrate.

(e) . Embelli plutôt que déparé par la trace délicate des ongles. Il y a dans le texte τὰ γὰρ σημεῖα τῶν ὀνύχον ἡδίω γραφῆς;, littéral, les traces des ongles sont plus agréables qu'une peinture. Ces mots ί&ἡδίω γραφῆς paraissent avoir été une expression toute faite, en usage pour louer la beauté d'un objet. Philostrate l'applique ailleurs (Vie de Sopk. 11,1,75, p. 550) au péplum d'Athéna. En français on dit dans un sens analogue : C'était une fille de seize à dix-sept ans faite à peindre (Le Sage, Guzm. d'Alf. VI, 8J ; un tour du visage et un menton à peindre (Sév. 120). Comparez le grec γραφικὸς ἀνήρ, et en latin, graphicus homo, expressions qui prennent d'ailleurs un sens ironique, chez les comiques.

(f) . Le dieu, témoin naturel d'une pareille scène : Ἐv ἱστορίᾳ τοῦ ἔργου ; ἱστορία signifiant témoignage, le membre de phrase signifie qu'Éros est là pour être témoin, ou pour témoigner de l'acte, c'est-à-dire pour le raconter, pour en indiquer le mobile. Jacobs semble adopter le premier sens; le scoliaste donne le second; les deux nous paraissent ne pas différer beaucoup. Nous préférerions cependant le premier, le mot ἱστορεῖν, ayant quelquefois en grec la signification de voir (Cf. Letronne, Statue de Memnon, p. 243).

X. — CASSANDRE.

(a). Le poète dirait, en tournoyant sur lui-même, ποιητὴς ἂν φαίη κύμβαχος. C'est l'expression d'Homère, II. V, 586.

(b). Le bras raidi, τραχεῖα τὴν ὠλένην. Les explications sont diverses. Selon Heyne, ces mots marquent simplement la haine de Clytemnestre ; il ajoute cependant que le sophiste a peut-être voulu décrire les muscles tendus par l'effort. Jacobs remarque que τραχύς implique une idée de férocité, et ne sait que faire de ώλένη. Welcker comprend le bras levé, d'un air féroce, ce qui explique ὠλένη, en conservant le sens que Jacobs donne à τραχεῖα. Τραχύς signifie littéralement rqde et dur ; un bras rude ou dur ne peut être qu'un bras tendu et raidi ; il est inutile de chercher le sens dérivé de τραχεῖα, quand le sens propre de l'épithète convient si bien à l'objet et à l'action.

542 (c). Et, pour ainsi dire, enveloppe le héros des insignes de son art, οἷον περιβάλλουσα τῇ τέχνῃ αὐτόν. Jacobs entendait par τίχνη la sainteté de son art. Nous suivons l'explication de Welcker, τέχνη est le mot général, remplaçant στέμματα, les bandelettes, qui se trouve dans le membre de phrase précédent

XI. — PAN.

(a). Touchait leurs seins. Nous suivons la correction de Jacobs, ἁπτομένῳ τῶν κόλπων que Kayser a introduite dans son texte. La leçon vulgaire, ἀποτεταμένῳ τὸν κόλπον, ne présente pas de sens. Quant à l'action elle-même, elle est si fréquente sur les monuments figurés et surtout dans les peintures de vases que nous ne saurions nous étonner de la rencontrer ici.

XII. — PINDARE.

(a). Elles se pressent joyeusement, pour former l'enfant dés le berceau, etc., en grec κωμάζουσιν..., πλάττει καὶ νηπίου αὐτόν, etc. Les anciennes éditions, se conformant aux manuscrits, écrivaient πλάττει et commençaient une nouvelle phrase avec ce mot. Jacobs, qui donne ce texte, comme ses devanciers, le déclare inintelligible, et croit à une lacune. Welcker proposa de lire πλάττειν, et cita des exemples nombreux des verbes de mouvement construits avec l'infinitif, pour marquer le but. La correction de Welcker est certainement ingénieuse ; elle ne nous paraît pas nécessaire. Le sujet de πλάττει est ἡ γραφή, la peinture, comme ce mot est plus bas le sujet d'ἄγει. Philostrate, suivant l'habitude des sophistes, attribue à la peinture elle-même une action faite par les personnages eux-mêmes, comme plus bas (κατασκληκυίας... τῆς γραφῆς καὶ ... ἐξεσμένης) il attribuera également à l'art une qualité qui convient seulement à l'objet représenté.

XIII. — LES GYRES.

(a). Nageant à travers les unes, glissant sur les autres, refoulant les autres de chaque CÔlé pur l'effort de Sa poitrine, τῶν μὲν διεκπαίων, τὰ δ' ἐπισπώμενος, τὰ δὲ ὑπαντλῶν τῷ στέρνῳ. Les expressions de Philostrate sont un peu obscures; ἐπισπώμενος signifie littéralement qui attire vers soi. Par le mouvement des bras jetés en avant, Ajax semblait prendre les vagues corps à corps et les faire pousser sous lui. Jacobs traduisait ὑπαντλῶν par pectori fluctus subjiciens, ce qui ne paraît pas présenter beaucoup de sens, Ἀντλεῖν signifiant puiser de l'eau pour la jeter d'un endroit dans un autre, il nous semble que Philostrate veut dire que la poitrine en se soulevant, à chaque nouvel effort, puise pour ainsi dire l'eau de la mer et la rejette de chaque côté.

XIV — LA THESSALIE.

(a). Le fleuve aussi se félicite et semble s9enorgueillir. Χαίρει καὶ ὁ ποταμὸς οἷον αὐχῶν. — Les anciennes éditions et celles de Jacobs donnent καὶ ὁ ποταμὸς οἷον αὖθις, qui ne présente pas de sens. Wyttenbach avait proposé οἷον ἀνθίσταται, ou ἀνίαταται φυλάττων ; Jacobs : οἷον ἀρθεὶς καὶ φυλάττων, en donnant à καὶ le sens de quoique. Kayser a lu 543 αὐχῶν dans des manuscrits delà seconde famille. Il faut s'en tenir à ce texte qui présente un sens raisonnable.

XV. — GLAUKOS, DIEU MARIN.

a) . Jason veut s'en emparer, mais elle ne peut être que le prix dune victoire, τούτο Ιάσων luh, ώ παι, ποιιΐται άβλον. Jacobs et après lui Westermann traduisent : hoc vellus auferendum suseepit Jason. Αβλον signifie plus qu'un combat ; c'est le prix de la lutte. La phrase, signifie donc littéralement : il se propose comme prix de son expédition l'enlèvement de la toison.
b) . Héraclès seul... n'est point ému; mais je me trompe bien si pour les autres ce n'est point un prodige, etc. 11 y a dans le texte ; ήρακλΐ; jùv ίτμπτις μενιι του θαύματος... οί ΐέ λοιποί 6x0pwt τι otjxou τοϋτο λίγουσιν. Littéralement : Héraclès n'est point ébranlé par la vue de ce prodige ; mais les autres disent, je pense, que c'est un prodige. Les deux membres de phrase veulent s'opposer l'un à l'autre, mais ne s'opposent point avec assez de force. Cette réflexion, les autres disent que c'est un prodige, paraît bien faible ; on attendrait plutôt une phrase comme celle-ci : mais les autres sont éperdus de frayeur; loin de s'amuser à se dire entre eux qu'ils voient un prodige, ils devraient avoir perdu l'usage de la parole. Ils ne parlent pas en effet ; λιγουβι comme φααι signifie : ils pensent, ils trouvent; et quant à la tournure de phrase, c'est une espèce de litote qui dit moins pour faire entendre plus.
c) . Philostrate emploie le pluriel τα ουραία. Il nous a semblé qu'il voulait ainsi désigner les deux queues que l'art donne souvent aux monstres marins et particulièrement à Glaukos (voir par exemple une pierre gravée dans Muller Wieseler, Denk. d. ail. Kunst, II, 85 et Gœdcchens, Glaukos, passim). Quant à (wouSe;, ce mot désigne sûrement non le repli de la queue, mais le croissant qui termine l'extrémité caudale.

XVI. — PALiEMON.

a). Ne parlons pas ici ni du rite du sacrifice, etc. Le scrupule de Philostrate est bien fait pour nous surprendre. Pourquoi craint-il de décrire ce que le peintre n'a pas craint de représenter ? Nous n'en voyons qu'une seule explication : Philostrate a hâte d'en venir à des détails plus importants : le silence prescrit aux initiés sur les mystères lui sert de prétexte pour ne point insister sur le costume des prêtres et les apprêts ouïes rites du sacrifice.
6). A gauche se pressent des jeunes filles, sans doute les Cenchrées. Cenchrées était le port de Corinthe sur la mer Egée. Le mot était en grec du pluriel et du féminin ; de là plusieurs figures de femmes pour représenter le port. Les mots grecs κ•γχρ*ιαί που τάχα ne se trouvent d'ailleurs que dans un seul manuscrit, le Laudianus 682. Si on les regardait comme une glose, les jeunes filles désignées par Philostrate ne seraient autres que la mer Egée et la mer Adriatique.
XVII. — LES ILES.

α). Συγχωρά; γάρ που (xat υπέρ rcu παιίος άποχρινίσθαι) συγχωρά» xal πλίαμιν.. OleariUS rejetait les cinq mots entre parenthèses comme résultunt d'une glose introduite dans le texte. Jacobs conjecture que Philostrate avait écrit ύπίρ σου άπο*ρί*α*θαι et que le 544 commentateur aura écrit en marge ou au-dessus de σοῦ le mot παιδὸς, pour expliquer à quelle personne il fallait rapporter le pronom. La phrase ainsi amendée n'en reste pas moins singulière ; comment Philostrate peut-il dire à l'enfant qui l'accompagne : tu me permets de répondre pour toi ? il ajoute ensuite, comme s'il parlait au nom de l'enfant : « je te le permets, embarquons-nous. » Remarquons en outre que les deux verbes συγχωρεῖς et συγχωρῶ ne seraient pas, dans ce cas, employés tout à fait de la même manière, n'auraient pas entre eux la relation que suppose la forme même de la phrase. A celte question, Tu me permets de répondre, Philoslrate répondrait pour l'enfant, je te permets, non de répondre, mais de nous embarquer. Tout, au contraire, devient clair et net, si on supprime les cinq mots: « Nous voilà embarqués. Tu permets, n'est-ce pas. — Comment donc? gagnons le large... »

6). Ὅταν τῇ υαλάττης ἐπιπαίζωσι. Jacobs s'étonne que les Néréides jouant à la surface de la mer puissent cueillir les fleurs sur les montagnes. Il présume que Philostrate aura écrit : ὅταν ἀκτῇ θαλάττης, ακ ayant pu aisément se changer en αν. Mais cette conjecture ingénieuse paraît inutile; les fleurs répandues sur l'Ile entière pouvaient descendre avec la pente du rivage jusqu'à la surface de l'eau. En outre, comme pour se promener sur le rivage, les Néréides doivent d'abord sortir de la profondeur des flots, l'écrivain a bien pu n'exprimer qu'une partie de sa pensée, laissant au lecteur le soin de deviner l'autre.

c) . Quant à cette colline baignée de tous côtés parla mer, τὸν δὲ περίπλουν κολωνὸν τοῦτον.
Welcker veut que l'île mentionnée ici soit la même que celle dont il est question
plus bas dans ces mots : κατηρεφὴς δὲ κιττῷ τε καὶ σμίλακι καὶ ἀμπέλοις ἥδε ἠ νῆσος. Autre-
ment, dit il, dans cette dernière phrase, le substantif ἡ νῆσος précéderait l'attribut
κατηφερὴς. Philostrate, en effet, pour les autres lies, quand il passe de l'une à l'autre,
commence par le substantif. Nous ne voyons pas cependant pourquoi il y aurait là
une règle absolue ; il semble tout naturel de commencer, dans les langues anciennes,
par le mot qui fait image, et ce mot c'est l'attribut, du moins dans la phrase qui
nous occupe : κατηφερὴς δὲ κιττῶ. En outre il paraît singulier que Philostrate ait dési-
gné la même île, la première fois par κολῶνος, qui signifie une hauteur, un tertre,
une éminence, et ensuite par νῆσος, mot qui, surtout après κολωνός, semble indiquer
une lie plus considérable. Du reste les scènes décrites conviennent très bien à
l'idée donnée parles mots κολωνός et νῆσος; sur le rocher, se trouve le dragon ; sur
l'île se célèbre la fête bacchique.

d) . Des bûcherons abattent de grands arbres qui jonchent le sol, σπαθῶσι διατέμνοντες. Heyne traduisait σπαθῶσι par renverser. Jacobs préfère le sens de briser, de fendre, et cite Aristophane (Nub., 54) qui emploie ce verbe pour ἀναλίσκειν, dépenser, ce qui est, dit-il, une signification analogue. Il nous semble qu'il faut remonter au sens primitif de σπαθάω qui signifie tisser serré. Les bûcherons, en jetant les arbres les uns sur les autres, forment un abatis qui recouvre le sol comme d'un tissu serré. La hache sert de navette, et les arbres sont les fils de la trame. Ainsi compris, le mot σπαθάω implique toujours une idée de fendre ou de renverser les arbres, mais il est bien plus fort et plus expressif que ne le pensaient Heyne et Jacobs.

e) . Πυριάλωτοι, νύκτωρ γὰρ αὐταῖς ἐναστράπτουσι. Jacobs trouvant la particule γάρ inexplicable, proposait de lire à la place le mol πῦρ. La répétition du mot πῦρ contenu déjà dans πυριάλωτοι serait singulière. En outre, γάρ s'explique par une de ces ellipses familières aux langues anciennes. Elles ont besoin de sommeil, et sont par suite aisées à prendre au moyen du feu. Voici en effet la manière employée pour les chasser. On profite delà nuit, et on les éblouit par une vive clarté.

f) . Καὶ τοὺς συμπαίστας τοτουσὶ παῖδας. Ces deux derniers mots sont une correction de Jacobs* Avant lui, on lisait τούτῳ ἱππάδας, et Ton comprenait que les enfants 545 jouaient au cheval fondu. Jacobs croit que ἱππὰς; est un adjectif qui signifie relatif au cheval, si bien qu'on pouvait dire ἱππὰς στολὴ, ἱππὰς τάξις mais non employer ἱππὰς dans le sens de cavalier, et comme substantif. Il est certain, comme on le voit par la suite de la description, que les enfants ne jouent pas au cheval fondu ; ils font courir des chars traînés par des chiens, et dirigés par des singes. Ne pourrait-on pas dès lors lire τοὺς συαπαίστας τούτους (leçon des manuscrits de Paris, 1760 et 1761) et considérer ἵππαδας comme un adjectif, exprimant le goût des enfants pour les courses de char? Il n'y aurait pas lieu, dans ce cas, de faire violence au texte des manuscrits, du moins de quelques-uns.

XVIII. — LE CYCLOPE.

(a).Οἱ θερίζοντες, etc. Brunn fait remarquer que Philostrate, pour parler des Cyclopes, [remploie pas l'adjectif démonstratif, qu'il remploie au contraire pour désigner les moissons: οὔτε ἤροσαν ταῦτα. Il croit pouvoir en conclure que les Cyclopes n'étaient pas représentés. C'est une conjecture des plus hasardées. L'article sert de démonstratif, ici et dans beaucoup d'autres passages de Philostrate : en montrant les Gyres, au tableau XIII de ce même livre, le rhéteur dit: αἱ τοῦ πελάγους ἀνεστηκθῖαι πέτραι ; le tableau XVI commence par ces mots : Ὁ θύων ἐν Ἰσθμῷ δῆμος. On en citerait aisément beaucoup d'autres exemples. De même plus loin, lorsque Philostrate dit: τοὺς μὲν ἄλλους ἔα.  Πολύφημος δὲ... οἰκεῖ ἐνταῦθα, Brunn et Matz entendent: « Voici la terre des Cyclopes; mais nous n'avons pointa nous occuper de leur genre de vie; il s'agit ici seulement de Polyphème. " Philostrate parlerait des Cyclopes en général, et ne songerait même pas encore à décrire Polyphème, tel qu'il était représenté ; οἰκεῖ, en effet, dit Hatz, n'aurait pas de sens, si Philostrate voyait déjà le géant occupé à chanter sous son arbre. Les deux commentateurs traduisent trop librement τοὺς μὲν ἄλλους, et trop littéralement cfcit; Philostrate dit : laisse les autres Cyclopes, ce qui ne peut signifier que : détourne les yeux des autres Cyclopes, et non cesse de penser à eux;et οἰκεῖ signifie que Polyphème a sa grotte en cet endroit, peut-être même qu'il habite sous l'arbre, depuis qu'il est amoureux. Rien n'empêchait Philostrate, il semble, de dire que c'était là le séjour de Polyphème, avant de décrire le monstre.

(b). Καὶ ὠλέναι ὑποκμαίνουσι. Jacobs entend, les bras se meuvent avec lenteur; mais il ne paraît pas être question ici du mouvement. Philostrate décrit la beauté de chaque partie: les seins sont fermes, dit-il, le genou lui-même a sa beauté. Nous croyons par suite que ὑποκυμαίνουσι est employé dans le sens figuré : il désigne le mouvement, l'ondulation d'une ligne plus qu'un mouvement réel ; les bras s'arrondissent mollement, veut dire le sophiste. Dans le Traité sur la gymnastique, Philostrate parlant des veines des pugilistes dit: οἷς δ' αἱ βαθεῖαι τύχωσι καὶ ἐπικυμαίνουσαι (ὑπὸ?); ceux dont les veines, profondément situées, ne dessinent sur la peau qu'une légère ondulation.

XIX. PH0RBAS,

(a) Un ami des Muses. - Outre le Céphise de Béotie, il y avait celui de l'Attique et celui de l'Argolide. Philostrate, en appelant le Céphise de Béotie, un ami des Muses, lui aussi, veut sans doute dire simplement que les Muses étaient connues et aimées; aussi bien en Béotie qu'en Attique. Il pense à Pindare, son poète favori. D'ailleurs si l'on veut trouver dans la fable une explication de cet éloge donné au Céphise, 546 on peut rappeler, avec Jacobs, que les Grâces étaient honorées d'un culte près du Céphise (Pind., Ol., XIV), que l'eau de la fontaine de Castalie, consacrée aux Muses, passait pour un don fait par le fleuve Céphise à une nymphe nommée Castalie, que l'on croyait à une communication souterraine entre le fleuve et la fontaine, si bien que des espèces de gâteaux sacrés, jetés, à certains jours, dans le Céphise revenaient quelque temps après à la surface des eaux Castaliennes. (Paus., X, 8, 9.)

(b) Le regard perçant vise au but avec justesse et s'élève avec les mains elles-mêmes. — Nous traduisons ainsi les mots συνεξαίρουσα ταῖς χερσίν ; Olearius,dont l'opinion est adoptée par Jacobs, entendait que les yeux d'Apollon s'abaissaient ou s'élevaient, pour suivre les mouvements des bras de son adversaire. Mais il est évidemment question ici des mains d'Apollon. Philostrate, en effet, après ces mots ταῖς χειρσίν, ajoute, Αἱ δὲ ἐνήψαντο, etc., ces mains, celles dont je viens de parler, sont armées des cestes. Or, ces derniers mots s'appliquent sans contredit aux mains d'Apollon. Philostrate veut dire que les mains du dieu ne frappent pas au hasard, qu'elles sont dirigées dans tous leurs mouvements par un œil d'une justesse parfaite; pour cela, le regard est obligé de s'élever ou de s'abaisser avec elles.

(c) Les têtes du chêne. — Philostrate fait sans doute ici une confusion. Hérodote (IX, 39) parle d'un défilé, conduisant du Cithéron à Platée, qui s'appelait communément les Trois têtes, et chez les Athéniens, les têtes du chêne. Leake (Trav. in North. Gr., II, p. 330, 344), place ce lieu au midi de Platée, vers le bourg appelé Kriiakuki, près de la route conduisant de Platée à Mégare. Mais il est clair qu'il n'y a aucun rapport entre ce lieu, cette allée de chênes courant sur les pentes du Cithéron, et la contrée des Phlégyens qui habitaient sur les bords du Céphise. De deux choses l'une : ou Philostrate se souvient d'Hérodote mal à propos et confond les lieux ; ou il y avait en Grèce, un autre endroit appelé du même nom ; supposition qui n'a d'ailleurs rien d'invraisemblable, si l'on songe combien sont fréquentes dans un même pays les mêmes dénominations de lieux.

XX. — ATLAS.

(a) Les ombres sur le corps d'Héraclès sont bien rendues ; mais le succès du peintre ne doit pas nous surprendre. Il y a dans le texte : σκιάς δὲ τὰς μὲν τοῦ Ἡρακλέως οὔπω θαυμάζειν ἄξιον εἰ ἔρρωνται τὸν ἆθλον. Jacobs proposait de supprimer τὸν ἆθλον et d'entendre εἰ ἔρρωνται, si les ombres sont vigoureuses et nettes. Mais Philostrate ne veut point dire que les ombres sont d'autant plus difficiles à reproduire qu'elles sont plus vigoureuses, ce qui serait faux d'ailleurs ; il dit seulement que quand il y a des parties qui avancent et d'autres qui rentrent, le jeu des ombres est plus compliqué et se prête moins à la fidélité de l'imitation. Welcker nous paraît ici avoir bien compris le sophiste ; Philostrate vient de parler d'une lutte à soutenir, d'un prix à remporter par le héros ; il ajoute : l'artiste qui a dessiné les ombres, a aussi remporté le prix dans son art.

(b) Ceux-ci soufflent ensemble, ceux-là dans des directions différentes, γέγραπται γὰρ τὰ μὲν ξὺν ἀλλήλοις, τὰ δὲ ἐξ ἀλλήλων ; selon Jacobs il serait question ici des constellations, non des vents ; il faudrait traduire alors: les unes sont groupées ; les autres éparses. Le texte de Philostrate se prête peut-être aux deux interprétations. Nous avons préféré cependant faire rapporter τὰ μὲνν au dernier mot exprimé, πνευμάτων, plutôt qu'à τὰ ἐν οὐρανῷ, expression qui en est séparée par toute une phrase. En outre nous avons pour nous l'autorité du ecoliaste et celle d'Olearius (Voir dans l'édition de Kayser» p. 447, note 21 concernant la page 425).

547 XXI. — ANTÉE.

(a) Κόνις οἷα ἐν πάλαις ἐκείνη ἐπὶ πηγῇ ἑλαίου, passage très tourmenté par les commentateurs. Heyne lisait ἐπὶ τῇ γῇ ἕλαιον, à terre un petit vase rempli d'huile. Jacobs substituait ἐχῖνος à ἐκείνη, et entendait : un vase, qui était comme une source d'huile ; Welcker, voyait à la fois une corbeille pleine de poussière, et un vase rempli d'huile, comme sur certains monuments antiques. Brunn adopte la leçon οἷα ἐν πάλαις ἐκείναις et croit que πηγὴ ἑλαίου désigne un lieu spécial dans le gymnase grec ; à l'appui de cette opinion il cite un passage de la Vie des sophistes où il est dit qu'Héracïidès le sophiste décora le gymnase d'Esculape à Smyrne d'une fontaine d'huile au toit d'or. Le sens serait donc d'après Brunn : Voilà un nuage de poussière; voilà la source d'huile, comme dans les jeux de la Grèce, si différents cependant de la lutte qui est ici représentée. Toutefois κόνις ἐπὶ πηγῇ, une poussière près d'une source pour dire voici de la poussière et une source nous paraît une expression singulière. Tout en suivant la leçon de Brunn, nous préférons considérer ἐπὶ πηγῇ comme une explication de ἐκείναις  ; un nuage de poussière s'élève comme dans ces luttes qui ont lieu près de la fontaine d'huile, c'est-à-dire dans les gymnases. On voit la différence ; le vase ou la fontaine n'était pas représenté.

(b) Des tertres funéraires. — Nous lisons ἐπικήδεοι non ἐπιτήδειοι. Le sens d'ailleurs, serait à peu près le même avec ce dernier mot ; des tertres convenant à pareil lieu ne sauraient être que des tombeaux.

(c) Voilà les exploits, etc. — Nous sommes de l'avis de Welcker : Antée n'était pas représenté luttant ou ensevelissant ses victimes. Philostrate ne fait ici que rappeler les mœurs du géant.

(d) S'est déjà emparé des pommes des Hespérides. — Nous mettons un point après ᾑρηκότα ἤδη et nous lisons comme Jacobs, τὰ τῶν Ἑσπερίδων ᾀδόμενα, quant à l'exploit tant célébré du jardin des Hespérides, etc.. τά au lieu de κατά se trouve dans le Parisinus, n° 1696 ; et ἀδόμενα se lit dans le Laurentianus, LXIX, 30 et dans deux manuscrits de Wolfenbuttel, les n° 82 et 25.

(e) Sans prendre le temps de fléchir le genou, comme on dit : — Expression proverbiale, pour dire, sans prendre le temps de se reposer. Philostrate l'emploie encore, Vie d'Apoll., II, 6, p. 54 ; VIII, 15, p. 357; Vies des Soph., II, 5, 3, p. 571.

(f) Malheur à ceux dont les fils. — Citation d'un passage célèbre d'Homère. Dans l'Iliade, VI, 125. Diomède s'adresse ainsi à Glaucos; « Malheur à ceux dont les fils viennent au devant de ma colère ; mais si, l'un des immortels, tu descends du ciel, je ne veux point combattre les divinités célestes. »

(g) En supposant Héraclès, etc. — Εἰ δὲ καὶ πάλης τῷ Ἡρακλεῖ ἔμελεν, οὐκ ἄλλως ἐπεφύκει. Westermann traduit : Hercules autem, etsi luctam exercebat, non alia tamen quam qua pictus est fuit indole. Hercule, bien que rompu aux exercices de la lutte, avait bien la force que le peintre lui a donnée ici. Nous ne comprenons guère l'opposition renfermée dans cette phrase ; Philostrate nous semble plutôt vouloir dire qu'Hercule a toute la vigueur d'un lutteur bien qu'il n'en soit pas un de profession.

(h) Θηρίῳ γάρ τινι ἔοικεν. — Jacobs sous prétexte qu'une bête féroce n'est pas aussi longue que large, proposait de lire ῥίῳ γάρ τινι ἔοικεν, il ressemble au sommet d'une montagne ; et a l'appui de ce sens, il citait Homère qui a dit : Οὐδὲ ἐώκει ἀνδρί γε σιτοφάγῳ ἀλλὰ ῥίῳ ὑληεντι. Mais il ne faut pas prendre à la lettre les mots de Philostrate; le sophiste ne veut pas dire qu'Antée offre des dimensions carrées en tout sens, maie que les proportions relatives de la largeur et de la hauteur ne sont pas chez lui les 548 mêmes que chez les autres hommes ; il était court et trapu, μορφὰν βραχὺς;, suivant l'expression de Pindare, Isthm. III, 89.

XXIII. — HÉRACLÈS FURIEUX.

(a). Μάχεσθε, ὦ γενναῖοι, τὸν Ἡρακλέα. Ce dernier mot paraît avoir été ajouté dans le texte de Philostrate; en effet, μάχεσθαι, ne se construit pas avec l'accusatif. On a proposé, καταμάχεσθε.

(b). Que du moins il épargne. Nous conservons la leçon des manuscrits, Ἀλλ' οὐ τοῦ λοίπου γε παιδὸς ἀπόσχοιτο. Kayser et Westermann écrivent Ἀλλὰ τοῦ λοίπου. Le texte de Kayser donne comme sens : combattez, avancez, mais que du moins il épargne... celui des manuscrits : combattez ; mats (si vous ne parvenez pas à le repousser] il n'épargnera pas... Ἀλλὰ, qui fait la difficulté, nous paraît plus clair, si l'on admet le texte des manuscrits.

(c) . L'arc à la main, il vise le troisième avec une justesse de coup d'oeil bien digne d'Héraclès. Le texte n'est pas aussi précis. Philostrate dit : la main visant, comme il est beau, comme il convient à Héraclès. Sans doute, le sophiste veut dire qu'à la manière dont le geste d'Héraclès était rendu on devinait que la flèche irait au but.

(d) . Mais les nobles enfants du héros. Nous suivons la correction approuvée par Boissonnade et Jacobs, βρεφῆ εὐγενῆ. Kayser considère βρέφη comme une glose et change ἀγεννῆ en τὰ γένη. La correction de Brunn βρεφῆ εὐγενῆ καὶ τηλεθάοντα nous paraît beaucoup trop hardie : quand les manuscrits offrent un sens plausible, pourquoi les corriger ?

(e) . Leurs joues sont humides de larmes. Καὶ μὴ θαυμάσης εἰ ἐδάκρυσάν τι, περὶ τοῦ δακρῦσαι παισὶ γὰρ χρυσοῦν τὸ δάκρυον καὶ μικρὸν δ' ἴσως καὶ μέγα.  Passage très diversement interprété. Biaise de Vigenère traduit : Et ne nous faut pas esbahir s'ils ont épandu quelques larmes d'autant qu'aux enfants elles sont toujours à commandement, petites et grandes. On ne sait pas trop comment χρυσοῦν peut avoir ce sens ; ensuite quelle singulière réflexion! n'est-ce pas le cas de pleurer ou jamais? Jacobs lit ἐδάκρυσα : Ne t'étonne pas si je pleure en les voyant pleurer ; les larmes des enfants sont délicieuses et propres à exciter la compassion. Quant aux mots μικρὸν δ' ἴσως καὶ μέγα, et prima lacryma non minus quam magna, Jacobs avoue qu'il ne sait pas pourquoi ils ont été ajoutés. Welcker semble par son silence adopter le sens de Jacobs pour le premier membre de la phrase ; quant aux derniers mots, ils signifient selon lui que les larmes des enfants, petites en elles-mêmes, moindres que celles des adultes, sont peut-être (ἴσως, fortajsse) grandes par rapport à la douleur qu'elles attestent. Cette explication nous paraît subtile et forcée ; de plus ἴσως n'est pas construit avec μέγα mais avec μίκρον. Kayser propose : « Ne t'étonne pas de voir des larmes représentées ; car les larmes des enfants sont aimables, les petites aussi bien que les grandes. Cette dernière réflexion de Philostrate serait toujours inutile et froide. Il nous semble que les commentateurs n'ont pas attaché assez d'importance au pronom τι. Philostrate veut dire : Ne t'étonne pas de voir qu'ils n'ont laissé échapper que quelques larmes ; des larmes peu abondantes, quand elles sont versées par des enfants, émeuvent autant qu'un déluge de pleurs. Les mots difficiles, μικρόν ίσως καί μέγα, sont alors l'explication toute naturelle de τι. Quant à περὶ τοῦ δακρῦσαι, il faut se garder de les considérer comme un glose ; cette répétition est certainement une de ces négligences de style recherchées par le sophiste. Ne t'étonne pas au sujet de larmes, si peu abondantes que soient ces larmes.

(f) . Comme les patres autour d'un taureau furieux. Quelques critiques ont été cho- 549 qués de voir tant de personnages autour d'Héraclès. Le texte nous semble se prêter à une explication qui en diminuerait le nombre, Philostrate après avoir dit que la foule des serviteurs entoure Héraclès, ajoute : οἷον βουκόλοι ταύρῳ ὑβρίζοντι, δῆσαί τις ἐπιβουλεύων καὶ κεκραγὼς ἕτερος· ὁ δὲ ἤρηται τῶν χείρων, ὁ δὲ ὑποσκελίζει  Les pronoms τίς, τίς, pourraient se rapporter aux pâtres dont l'un cherche à enchaîner le taureau, l'autre s'efforce de le contenir. Au contraire, ὁ δὲ, ὁ δὲ se rapporteraient aux serviteurs. Il semble que Philostrate, s'il avait voulu parler des mêmes personnages, aurait employé partout ou τίς, ou ὁ δὲ ; dans toutes ses énumérations, même quand il a à désigner un grand nombre de personnes, il emploie toujours ὁ μὲν, ὁ δὲ ; jamais τίς pour les uns et ὁ δὲ pour les autres. Enfin les mots δῆσαί τις ἐπιβουλεύων s'appliqueraient plutôt à un taureau qu'à Héraclès ; les serviteurs, il est vrai, attachent Héraclès à une colonne, dans la tragédie d'Euripide, mais c'est après ses fureurs, et lorsqu'il est plongé dans le sommeil.

(g). La maladie et son cortège d'effets désastreux. Nous avons renoncé à rendre en français la précision et la hardiesse poétique de l'expression grecque, ἡ χορηγία τοῦ νόσου, la chorégie de la maladie.

XXIV. — THIODAMAS.

(a). Car là même où la terre ne se refuse pas à toute culture, on voit bien, si je ne me trompe, qu'elle manque de fertilité. Nous adoptons la correction proposée par Jacobs qui substituait εὐσπόρῳ à ἀπόρῳ ou ἀπορεῖν, en faisant remarquer que plusieurs manuscrits (le Laudianus et le Parisinus, 1696) donnaient ἀσπόρῳ, ce qui rendrait probable une altération de ευ en ας, puis en α. Avec ἀσπόρῳ ou ἀπορεῖν, le sens nê nous paraît pas satisfaisant. Philostrate dirait en effet que là où elle la terre ne se refuse pas à toute culture, elle paraît fertile. S'exprimerait il ainsi précisément pour, louer le peintre d'avoir conservé à une contrée stérile son caractère sauvage? N'est-it pas plus vraisemblable de penser qu'il a voulu dire : là même où la terre produit, l'artiste a fait en sorte de montrer qu'elle ne produisait que peu de chose ?

XXV. — LES FUNÉRAILLES D'ABDÈRE.

(a) .N'allons pas croire, mon enfant, que ravir les cavales de Diomède, les faire périr par sa massue ait été pour Héraclès une dure épreuve. Welcker, dans une note d'ailleurs obscure, semble avoir compris : « le tableau ne représente pas un des travaux d'Héraclès, le massacre des chevaux de Diomède, mais bien les funérailles d'Abdère. » Nous ne saurions traduire ainsi. Philostrate compare un travail d'Héraclès, le massacre des chevaux, avec la douleur qu'il éprouve de la mort d'Abdère, et il en conclut que cette dernière épreuve, imposée par Éros, est plus pénible que la première. La suite de la description ne laisse aucun doute à ce sujet.

(b) . Ce sont là des marques d'affection données à d'autres amants ; quelques-uns élèvent... Le texte paraît avoir été altéré. Jacobs écrit: καὶ τὸ βαρὺ τοῦ προσώπου τῷ ἐπὶ πένθει δεδόσθω, καὶ ἄλλῳ ἐραστῇ ἄλλο.  Ἐχέτω τι, etc. En note il fait remarquer qu'il faut lire probablement, avec Heyne : τὸ ἐπὶ πένθει, leçon adoptée par Kayser et que nous avons suivie ; en outre, il propose de mettre un point après ἐραστῇ et de lire pour la suite : ἀλλ' ἔχέτω τι καὶ. Kayser adopte la ponctuation, mais supprime ἄλλο en s'appuyant sur l'autorité du Parisinus, 1761. Il nous semble que la correction de Jacobs a le mérite de bien distinguer deux idées différentes. Philostrate vient de dire  550 que tous les amants donnent à peu près les mêmes signes de douleur, après la mort de l'objet aimé ; Héraclès a fait comme eux. Mais il en est d'autres qui élèvent une stèle ; Héraclès fera mieux et plus; il fondera une ville du nom d'Abdère.

XXVI. — PRÉSENTS D'HOSPITALITÉ.

(a). Aimes-tu les pains au levain ou les pains octablômes. Les uns et les autres devaient être au levain ; mais parmi les pains au levain, il s'en trouvait qui présentaient l'aspect d'une roue à sept rayons, et qui par conséquent étaient divisés en huit compartiments. Les octablômes ne sont opposés aux premiers pains mentionnés que parce qu'ils ont une forme différente, et non parce qu'ils ont subi une autre préparation.

(b). Aimes-tu avec le pain un assaisonnement, ces pains eux-mêmes te l'offriront. Nous suivons l'explication de Welcker ; Jacobs pensait qu'il s'agissait ici de pains différents des premiers et proposait de lire, au lieu de αὐτοὺς ἔχεις, αὐτοῦ ἔχεις, tu les trouves là même, c'est-à-dire dans la corbeille.

(c) . Es-tu impatient d'être à table..., en grec : εἰ δὲ τραπέζης ἐρᾷς..., etc. Jacobs prétendant que les idées ne s'enchaînaient pas très bien proposait de placer δευτέρας devant τραπέζης; le sens aurait été: si tu aimes le dessert, renvoie aux cuisiniers toutes ces provisions (lièvres, oies, etc.) qui ont besoin d'être apprêtées, et régale-toi de fruits. La correction est ingénieuse, mais ne nous semble pas nécessaire. Philostrate veut dire : Si à la vue de ces provisions, tu es impatient de te mettre à table, envoie les lièvres et les oies aux cuisiniers, et en attendant, ou bien, sans les attendre, mange des fruits. Le tableau, selon Philostrate qui trouve en cela un mérite, contient et ce qui peut exciter la gourmandise et ce qui peut la satisfaire sur-le-champ.

(d) . De cette palathé... Παλάθη est un amas de figues, ou de fruits d'autre sorte. Nous avons traduit τῆς τῶν ἰσχάδων συνθήκης qui est certainement une glose interpolée mais qui donne plus de clarté à la phrase, surtout pour des lecteurs modernes.

(e) . Mais ce maître est sans doute au bain, etc. Tout ce passage paraît avoir été mal compris par les commentateurs. Biaise de Vigenère traduit : « Lequel par adventure est maintenant à l'estuve, muguettant quelque bouteille de Pramnien ou Thasien, encores qu'il ait la commodité de boire du vin doux à sa table ; mais c'est afin que redescendant à la ville son haleine sente mieux la raffle et la fainéantise et qu'il en parfume les citoyens. » Jacobs ne paraît pas avoir compris autrement. Par conséquent, d'après Bl. de Vigenère et Jacobs, le maître du champ, dédaigne le vin recueilli sur ses terres, pour boire le vin de Pramne ou de Thasos qui lui monte à la tête ; et quand il vient à la ville, il est ivre. C'est le contraire, selon nous, que veut dire Philostrate ; le maître du champ pourrait s'enivrer, à la campagne, de vin doux et retourner en cet état à la ville ; il préfère vivre à la ville, et, comme les habitants de la ville, prendra chaque jour son bain et boire du vin de Pramne qui n'enivre pas, comme le vin nouvellement fermenté. Philostrate d'ailleurs n'entend pas le blâmer, mais lui faire au contraire un mérite de cette conduite. Le grec se prête très bien à cette explication : ἑνὸν... πιεῖν ὡς ἄστυ κατιὼν ὅζοι, signifie lorsqu'il pourrait boire au point de sentir, etc. ; ce qui a trompé Vigenère, c'est qu'il a construit βλέπων avec ὡς ἐς ἄστυ κατιὼν ὅζοι. Hais rien ne l'autorisait à rapprocher ainsi des mots que le grec a séparés avec intention.

(f) . Le texte grec dit : « vomir sur le citadin. » Nous savons que le premier devoir du traducteur est l'exactitude ; mais le courage nous a manqué ici pour le remplir. Quelques lecteurs nous pardonneront peut-être cette faiblesse.

551 XXVII. — NAISSANCE D'ATHÉNA.

(a). Ainsi que l'indique la hache. En grec, il y a seulement ὡς ὁ πέλεκυς. Jocobs sous-entend φησὶ. Mais ces mots ὡς ὁ πέλεκυς pourraient bien être une interpolation, destinée à expliquer μηχαναῖς.

(b). Les Athéniens et les Rhodiens, la terre et la mer. Après ces mots, viennent ceux-ci dans le texte grec : καὶ ἄνυρωποι γηγενεῖς. C'est probablement une explication du scoliaste, portant sur h&ioi. Jacobs supposait très ingénieusement que Philostrate avait ajouté καὶ θαλαττογενεῖς. C'eût été une répétition.

XXVIII. — LES TOILES.

(a). Qui font,dit Homère, fondre la neige, en grec: οἷς τὴν χιόνα τήκει Ὅμηρος, c'est-à-dire les larmes par lesquelles Homère fond la neige. L'expression est des plus obscures. Voici d'ailleurs la traduction du passage d'Homère auquel Philostrate fait allusion : « La reine qui écoute Ulysse pleure abondamment; son visage fond en larmes. Telle la neige rassemblée par Zéphyre au sommet des montagnes fond sous les chaudes haleines d'Euros en ruisseaux qui vont gonfler les fleuves ; telles les belles joues de la reine se fondent en pleurs, à cause de son époux, Od., XIX, 204. Selon Heyne, Philostrate aurait voulu dire : ces larmes sous lesquelles le visage de Pénélope se fond, dans Homère, comme la neige sous les chaudes haleines de l'Euros. En substituant τὸν χρῶτα mot employé par Homère en parlant du visage de Pénélope, à χιόνα, la phrase signifierait les larmes, dont Homère dit qu'elles faisaient fondre le visage de Pénélope. L'expression serait plus claire, mais il faudrait faire violence aux manuscrits. Nous croyons bien plutôt à une défaillance de mémoire chez Philostrate ; il a cru qu'Homère avait dit des larmes de Pénélope qu'elles étaient assez brûlantes et assez abondantes pour fondre la neige des montagnes.

(b). Ὅρα καὶ τὴν ἀράχμην ὑφαίνουσαν ἐν γειτόνων. Heyne entendait par ces mots, ἐκ γειτόωνων, que l'araignée était presque aussi habile que Pénélope ; Jacobs pense que Philostrate parle de deux tableaux, l'un représentant Pénélope à son métier, l'autre, dans le voisinage, tout près du premier. Il propose en outre de lire ἐκεὶ τόπων. Il ne nous paraît pas possible de supposer que Philostrate parle de deux tableaux (voir le commentaire), ce qui écarte la première explication ; la seconde s'éloigne trop de la leçon des manuscrits. Brunn propose de lire ἐκ γενύων; l'araignée file avec sa mâchoire; là est sa supériorité sur Pénélope qui emploie la navette ! {Symbol. Bonn, phil., p. 446). Tout nous semble étrange ici, et le sens et le mot employé: le mot γενύων peut-il se dire de l'araignée ? Philostrate compare certainement le travail de l'une et de l'autre fileuse en lui-même, non pour les instruments que chacune d'elle emploie. Il nous semble qu'il faut maintenir ἐκ γειτόνων et conserver à cette expression le sens qu'elle a dans Aristophane où elle signifie de prés ; on construira les deux mots grecs avec ὅρα et non avec ὑφαίνουσαν; cette irrégularité est peu de chose. La suite des idées vient justifier ce sens ; Philostrate, dit: si tu rencontrais un tableau représentant Pénélope, tu admirerais sa tapisserie ; eh bien, approche et tu vas voir un travail qui n'est en rien moins admirable.

(c) . Insectes à la haute volée, en grec : ἀερσιποτήτους, qui volent haut. Nous regardons les mots suivants καὶ μελετώσα; πέτεσθαι, comme une glose qui se sera introduite dans le texte.

(d) . Son araignée d'une exécution minutieuse, etc. Dans le texte donné par les ma- 552 nuscrits, καὶ τὸ ἕριον αὐτῆς ὑπομόχθηρον γράψαι ἄγφριον, le mot ὑπομόχθηρον s'explique malaisément. Comment peut-on dire que le duvet de l'araignée est un peu pervers? — L'explication donnée par le scoliaste : τὸ πολλοῦ μόχθου δεόμενον n'est point conforme au sens habituel du mot et rendrait άγριον tout à fait inexplicable. Nous croyons qu'il faut lire: καὶ στίξαι κατὰ τὴν φύσιν τὸ ἕριον καὶ τὸ αὐτῆς ὑπομόχθηρον γράψαι καὶ ἄγριον ; ce simple déplacement d'ἕριον, auquel nous ajoutons l'article, rend la phrase parfaitement claire.

(e). Ce quadruple fil, en grec: τετράγωνος μὲν αὕτη μήρινθος, littéralement, ce fil à quatre angles; ainsi entendue, l'expression n'a pas de sens; ou le mot τετράγωνος s'est substitué dans le texte à un autre mot, signifiant quatre comme τετραπλάσιος, τετράδος (les mots ταῖς γωνίαις qui suivent auraient, dans ce cas, entraîné l'altération des dernières syllabes de notre mot, signifiant quadruple), ou le mot τετράγωνος est employé simplement par Philostrate dans le sens de quadruple ; le mot signifierait alors le fil qui se divise en quatre pour gagner quatre angles différents.

XXIX. ANTIGONE.

(a). S'ils se trouvent ici au nombre des morts. Nous mettons la virgule après ἐνταῦθα, comme Kayser et Westermann ; en la plaçant avant, comme Jacobs, il faudrait traduire : s'ils se trouvent au nombre des morts, ils seront ensevelis ici même, sur le champ de bataille.

(b). Le grenadier que tu vois est né de lui-même; ou plutôt, les Erinnyes, dit-on, Vont fait croître sur le tombeau. Ou plutôt n'est pas dans le texte ; littéralement, il faudrait traduire : car ce sont les Erinnyes, dit-on, qui l'ont fait croître. Mais si ce sont les Erinnyes qui l'ont fait croître, il ne serait pas né de lui-même. La phrase serait contradictoire en français; elle ne l'est pas en grec, parce que αὐτοφυής se dit de tout ce qui pousse, sans la volonté et la participation de l'homme. On pourrait donc encore traduire: ce ne sont pas les hommes, ce sont les Erinnyes qui l'ont planté. Mais nous nous serions ainsi trop écarté du texte.

(c). Le feu allumé pour la cérémonie funèbre, en grec : τὰ ἐναγίσματα. Heyne, et après lui Friederichs, entendent par ce mot le feu du bûcher. Selon Friederichs, s'il n'est pas question de la flamme qui brûle les deux cadavres, on ne comprend pas pourquoi elle se divise. Un passage de Pausanias (IX, 18, 3) répond à cette objection: « On raconte, dit-il, que les Thébains offrent des sacrifices funèbres aux fils de Thèbes et à ceux qu'on nomme héros ; pendant ces sacrifices, la flamme se divise en deux, et la fumée même ne se confond pas. » En outre, le mot ἐνάγισμα signifie toujours sacrifice funèbre; ainsi, dans ce passage même, Pausanias s'exprime ainsi: τούτοις ἐναγιζόντων αὐτῶν.

XXX. — ÉVADNÉ.

(a). Ce tableau, mon enfant, nous transporte dans la ville d'Argos. Philostrate semble à certains égards suivre le récit d'Euripide; il dit, en effet, que les Athéniens ont dû battre les Thébains pour enlever les cadavres; d'après d'autres traditions, ces cadavres avaient été livrés par les Thébains, sur les simples représentations de Thésée. Mais Philostrate n'est pas d'accord avec Euripide sur le lieu de la sépulture. Dans le Suppliantes, en effet, c'est à Eleusis, et non à Argos, que les corps furent enterrés. Il nous paraît difficile que Philostrate ait changé le lieu de la sépulture, tout en  553 admettant les autres circonstances du récit ; aussi serions-nous porté à croire que les mots ἐν τῷ Ἄργει n'appartiennent pas au texte de Philostrate.

(b). Persuadée qu'elle ne retrouverait pas son mari, si son mari ne la retrouvait à ses côtés. Nous lisons: οὔπω τὸν ἄνδρα ἔχειν ἡγουμένη, nondum se virum suum habere credens, nisi et ipse se habeat. La pensée est subtile, claire cependant. Evadné a retrouvé son mari, mais elle ne croirait pas l'avoir retrouvé, si les flammes ne devaient pas la consumer en même temps que lui, c'est-à-dire si la mort ne les réunissait pas. La plupart des manuscrits (Laurentianus, LXIX, 30 ; Jacobaeus, 845; Laudianus, 682) donnent ἡγούμενον. Kayser adopte cette leçon, et Westermann qui la reproduit, traduit ainsi : sese immittit in ignem quasi nondum virum se habere crediturum, nisi et se habeat. Le feu ne croirait pas brûler le mari, s'il ne brûlait pas aussi la femme I C'est là renchérir sur toutes les subtilités des sophistes. Heyne, approuvé par Jacobs, proposait de lire: οὔπω τὸν ἄνδρα παντ' ἔχειν ἡγουμένη, pensant que son mari n'aurait pas tout, que la cérémonie funèbre ne serait pas complète, si elle ne montait pas elle-même sur le bûcher. C'est là un sens très raisonnable, et d'autant plus acceptable qu'il est d'accord avec un autre passage de Philostrate, dans le tableau de Panthée, où il est dit que Panthée ne croit pas le tombeau assez riche en offrandes funèbres, si elle n'en fait pas elle-même partie. Nous avons préféré cependant une leçon qui n'ajouté rien au texte, et se contente de changer ἡγούμενον en ἡγουμένη ; encore ἡγουμένη se trouve-t-il dans certains manuscrits ( Vossiana epitome et Baroccianus, 131).

XXXI. — THÉMISTOCLE.

(a). Ce personnage à l' aspect viril. Les manuscrits donnent le texte suivant: ἀνὴρ οὐκ ἐν ἀνδράσιν ἀπολωλόσι καὶ τρυφῶσιν, cet homme qui n'est pas au milieu d'hommes (attendu qu'il est entouré d'hommes) perdus de mollesse. Rien de moins satisfaisant, au point de vue grammatical, que cette construction. Le Baroccianus seul écrit ἀνὴρ ἐν ἀνδράσιν ; la phrase est ainsi très claire et très correcte. Il faut adopter ce texte, ou si l'on conserve οὐκ, supprimer, comme le fait Kayser, les deux mots ἀπολωλοσι et τρυφῶσιν. D'ailleurs, quelque leçon que l'on suive, le sens n'est pas douteux.

XXXII — LA PALESTRA.

(a). Et, suivant ses lois, plient leurs corps à mille postures diverses ; en grec : ἄλλο ἐπ' ἄλλῳ ἐςς αὐτὴν λυγίζοντα. Jacobs a très bien expliqué ἄλλὸ ἐς αὐτὴν λυγίζοντα, modo hoc, modo illud palestricae artis genus exhibentes, se livrant tantôt à un exercice, tantôt à un autre. Mais il a négligé d'expliquer ἐς αὐτὴν. Westermann traduit : alio super alio palestricae artis genere in eam irruentes, se précipitant sur Palestra. On ne comprend guère comment ces enfants peuvent se jeter sur Palestra, tout en se livrant aux différents exercices de la lutte. Il nous a semblé que αὐτὴν, tout en se rapportant à le Palestre personnifiée, indiquait aussi les exercices désignés sous le nom de palestre, les règles et les lois de ces exercices. Quant à ἐς, on trouve ce mot employé dans un sens analogue. Ainsi, Vie des Soph., p. 505, Philostrate dit : ὁ δὲ Ἀμάρτυρος ἰσχὺν ἐνδείκνυται κεκολασμένην ἐς ῥυθμοὺς, une force châtiée suivant les rythmes, asservie aux lois du rythme.

(b). D'ailleurs bien différentes sont entre elles ces formes de la lutte. Le texte de Phi- 554 lostrate est si concis que les idées ne paraissent pas s'enchaîner très bien entre elles. Cependant il est aisé avec quelque réflexion de saisir la pensée de l'auteur. Les formes de la lutte sont représentées, dit-il, par autant d'enfants — ces enfants sont nés de la terre, non de Palestra. — En outre ces enfants diffèrent entre eux comme diffèrent entre elles les formes de la lutte; la meilleure de ces formes, ajoute Philostrate, est celle qui se compose à la fois de la lutte et du pugilat. Cette dernière réflexion est comme placée entre parenthèse.

(c) . La meilleure est celle qui tient du pugilat. Nous substituons πυγμή à πάλη suivant la correction proposée par Kayser. La phrase est ainsi plus claire ; toutefois πάλη ne modifierait pas le sens. Παλαιόσματα, ce sont les différentes formes du combat, que le combat soit la lutte ou le pugilat ; Philostrate aurait dit alors : la meilleure forme du combat, la plus estimée est celle qui tient de la lutte; c'est-à-dire, dans sa pensée, celle qui unit la lutte au pugilat, le pancrace en un mot. Cf. le traité de Philostrate Sur la gymnastique, traduction Minoïde-Mynas, p. 11 et 17 du texte, 67 et 72 de la traduction.

(d) . D'un éclat légèrement rougeâtre, en grec : μιτρίᾳ τῇ ἴδῃ Nous avons déjà rencontré ce mot ἴδη (I, 27) dont le sens exact est incertain mais qui désigne certainement une couleur vive.

XXXIII. — DODONE.

(a). La savante colombe, aux ailes d'or, se tient encore sur le chêne fatidique, pour redire les oracles qui viennent de Jupiter; en grec : ἡ μέν χρυσῆ πέλεια ἔτ' ἐπὶ τῆς δρυὸς ἐν λογίοις ἡ σοφὴ καὶ χρησμοὶ οὓς ἐκ Διὸς ἀναφθέγγεται ; mot à mot : la Colombe dorée encore sur le chêne, la savante (colombe) en oracles et les oracles qu'elle prononce [comme] venant de Jupiter. Ce style semble assez décousu. Jacobs a proposé de lire χρησμούς au lieu de χρησμοὶ οὗς, même de changer ἔτ en ἔστι ; ou bien encore de lire ἡ ἐπὶ τῆς δρυὸς, ἐν λογίοις ἦν σοφὴ, καὶ οἱ χρησμοί etc. ; Ce qui forcerait à sous-entendre σοφοί εἴσιν, après χρησμοί. L'absence de l'article devant χρησμοί semble prouver que ce mot était construit avec ἐν comme λογίοις; par conséquent, nous lisons ἐν λογίοις ἡ σοφὴ καὶ χρησμοῖς, savante dans les oracles et prédictions. Il n'est point nécessaire alors de changer ἔτ' en ἔστι.

XXXIV — LES HEURES OU LES SAISONS.

(a) . Et retiennent je ne sais quel parfum émané des Heures mêmes. En grec: καὶ αὐτῶν τι τῶν Ὡτων ἥδιον πνεῖ . Le mot ἥδιον a embarrassé les commentateurs : Olearius traduisait littéralement, flores ipsis Horis suavius oient. Jacobs trouvant avec raison que c'était là un sens subtil et bizarre, a proposé de lire : καὶ αὐτῶνών τι Ὥρῶν νὴ Λί' ἁναπνεῖ. Enfin Kayser maintient άναπνεῖ et supprime νὴ Δί' — Il nous semble que l'on peut conserver ἥδιον, sans expliquer la phrase comme Olearius. Philostrate vient de dire que les fleurs foulées par les Heures n'en paraissent que plus charmantes; il veut ajouter sans nul doute qu'elles ont aussi plus de parfum, et que ce parfum, ce surcroît d'odeur leur est communiqué par les Heures. Elles respirent, dit-il, je ne sais quoi de plus agréable ἥδιον τι, qui est le parfum des Heures elles-mêmes, αὐτῶν τῶν Ὥρῶν .

(b) . Mais ce n'est que la partie, pour ainsi dire champêtre de notre tableau. Nous avons essayé de rendre l'expression assez obscure du texte : ταυτὶ μὲν οὖν οἷον γεψργίαι τῆς 555 γραφής; littéralement, ce sont là comme les cultures, comme les champs cultivés de la peinture. Philostrate opposant les Heures elles-mêmes à γιωργίαι, il faut entendre par ce mot, tout ce qui n'est pas les Heures, c'est-à-dire les fleurs, les moissons et les vignes.

TÉLÈPHE BLESSÉ.

(a). Sa chair toute vive se consume et se tord convulsivement. Littéralement, il se fond contracté avec sa chair vive, Ἐμψύχῳ σαρκί ne nous paraît pas indiquer que la chair semblait vivante, grâce au talent de l'artiste ; il est inutile de sous-entendre ἄλγεσι avec σὺνελκόμενος, comme le veut Jacobs ; il n'y a pas non plus d'opposition entre λιπόπνους et ἐμωὺχῳ σαρκαί, et Ton ne doit pas entendre : quoiqu'il expire, l'artiste a su montrer ce qui lui reste de vie. Les mots sont accumulés par l'auteur : τήκεται, ἐμψύχῳ σαρκὶ, συνελόμενος, pour peindre l'intensité d'une douleur qui ronge les chairs et contracte les muscles sans pourtant amener la mort.




BIBLIOGRAPHIE

DES TABLEAUX DE PHILOSTRATE L'ANCIEN








MANUSCRITS.

Les tableaux de Philostrate oui été souvent lus dans l'antiquité et par suite souvent copiés. Kayser dans son édition donne la liste des manuscrits. Gomme cette liste, d'ailleurs fort longue, ne saurait avoir d'intérêt que pour ceux qui voudraient consulter le texte grec, nous avons cru inutile de la reproduire dans une traduction.

ÉDITIONS.

1503. Edition Aldine.
1517. Icônes Philostrati; Philostrati juniori$ Icônes; Éjusdem Heroica; Descriptiones Callistrati; Vitae Sophistarum, gr. Vlorenliae sumptu Ph. Juntae Florentini Anno a nativitate Domini XVII supra mille. Cette édition reproduit l'édition Aldine de 1503.
1522. Deuxième édition Aldine, in-folio.
1535. Deuxième édition Juntine. Venetiis in of/lc. LucaeAnt. Juntae, in-8. —368 pp. ; β ff. de table. Morelli l'a transcrite pour son édition.
Sans date. Philostrati Imagines. Ejusdem Heroica. Ejusdem Vitae Sophistarum. Philostrati Junioris Imagines. Callistrati Descriptiones. Omnia recenti castigatione emendata, Venetiis. Sur le litre un chat tenant un rat (marque de Sessa). Cette édition ne paraît pas plus correcte que les Aldines, malgré la promesse du titre. Quelques variantes paraissent empruntées k des manuscrits que n'auraient pas connus les Aldines.
1&50» Édition imprimée & Venise par un des frères da Sabio (Giovann' Antonio dl Nicolini) et désignée dans Kayser, dans Boissonnade {Heroica)f sous le nom d'editio Nicoliniana. Morelli prétend s'en être servi pour son édition*
1608• Édition de Morelli ; dépourvue de critique»
1709. Édition d'Olearius {Phtiostratorum quae supersunt omnia...) Lipstee, in-fbL Olearius se servit pour constituer le texte, des variantes empruntées par Bentley au Barocdanuê et au Laudianus, et probablement d'un commentaire commencé par le même critique. On reproche à Olearius, dans le choix des variantes, dans les corrections apportées au texte et dan» Fiaterprétation, de la négligence et une hardiesse qui n'est pas toujours heureuse.


558

BIBLIOGRAPHIE

1825. Edition de Jacobs et Welcker (Philostraturum imagines et Callicrati statuât... Lipsiae). Jacobs est l'auteur du commentaire philologique. On ne saurait être plus savant ni plus ingénieux que l'illustre critique ; nul ne connaissait mieux la langue des Sophistes, leurs habitudes d'esprit ; nul n'était plus à même de distinguer la glose du texte, ou de corriger les fautes des copistes. Toutefois Jacobs, parmi les manuscrits de la ir0 classe, ne s'est servi que du Parisinus, 1696 et du Laurentianus, LXIX, 30 ; de plus il semble avoir attaché une trop grande import tance aux Gudferbytani, 23, 77 et 82. D'un autre côté, on peut trouver qu'il fait quelquefois abus de la science ; les rapprochements entre les sophistes sont parfois plus ingénieux ou curieux que nécessaires; le critique se défie trop du texte vulgaire et de l'interprétation commune; il aime à supposer la difficulté pour avoir le plaisir de la résoudre avec un luxe inouï de citations et d'exemples. Le commentaire archéologique est dû à Welcker, dont la compétence est indiscutable. Toutefois Welcker semble annoter les tableaux de Philostrate comme en courant; il mentionne les œuvres d'art qui ont du rapport, par le sujet, avec la peinture de la galerie napolitaine; il indique de quelle façon il entend la composition du tableau ; mais on peut lui reprocher, il semble, de n'avoir pas tenu assez décompte ni de la différence des temps ni de la différence des genres ; de plus son essai de reconstitution est insuffisant; le tableau ne se présente point assez nettement à l'imagination ; là où Welcker supplée le mieux au silence de Philostrate, il oublie à peu près de prouver ce qu'il affirme. Enfin l'illustre archéologue n'est pas exempt d'une certaine témérité dans l'interprétation ; entre les conjectures, il ne choisit pas toujours les plus plausibles ; quelquefois même il lui arrive d'entendre autrement que Jacobs, si bien qu'on se prend à regretter que les deux savants, collaborant à une même édition, n'aient pas pris la peine de se mettre d'accord. Est-il besoin d'ajouter que la science a fait quelques progrès depuis Welcker, et que par ce seul fait, son commentaire ne répond pas tout à fait aux exigences modernes?
1846. Edition de Kayser. Cette édition a le grand mérite de présenter, au bas des pages, une riche collection de variantes empruntées tant aux manuscrits qufaux éditions énumérées plus haut Les préfaces et les notes, bien que courtes, sont importantes ; les unes et les autres attestent une grande sûreté de critique, et renferment de précieuses indications. Toutefois, ce n'est là, à proprement parler, qu'un texte; le commentaire fait défaut. Nous avons suivi le texte de cette excellente édition ; nous avons averti le lecteur quand nous avons cru devoir nous en écarter.
1849. Edition de Westermann, dans la collection grecque-latine de Firmin Didot. Westermann s'est conformé presque partout au texte de Kayser. Nous avons consulté utilement la liste peu longue des variantes qu'il adopte ou qu'il propose. La traduction latine est d'une rare fidélité; elle n'échappe peut-être pas toujours au reproche d'obscurité, ce qui, d'ailleurs, ne saurait étonner, quand il y a nécessité de traduire littéralement un auteur obscur par lui-même. Nous avons également averti quand nous avons compris autrement que Westermann.


TRADUCTIONS.

1579. Les images oti tableaux de platte peinture de Philostrate Lemnien, sophiste grec, décrits en trois liwes, avec arguments et annotations sur chacun Vieeux, par le traducteur* Paris, Nie. Chesneau, 1578, in-4, 2 vol. — La langue française, enr

DES TABLEAUX DE P11IL0STHATE L'ANCIEN 859
cherchant à se mouler sur le grec des sophistes, acquiert des qualités d'élégance et de souplesse qui forment un piquant contraste avec les dernières traces de sa rudesse primitive ; mais la traduction est fort inexacte.
1596. Deuxième édition du même ouvrage, avec addition des Heroica et des statues de Callistrate ; même format.
1609. Troisième édition du même ouvrage, in-fol. Paris, Cramoisy. Le titre porte que la nouvelle édition est enrichie d'annotations, qu'elle a été revue « sur l'original » et que les tableaux sont représentés en taille-douce avec des épigrammes sur chacun d'iceux par Thomas d'Embry. Le texte a été sans doute revu et ,1a traduction annotée par Morelli, qui a corrigé quelques erreurs, mais en a ajouté de nouvelles. Les planches, au nombre de 58, sont de Jaspar Isac, Léon Gaultier et Thomas de Leu. Elles ne sont curieuses que parce qu'elles montrent comment, à cette époque, on interprétait l'art antique, et aussi pour un certain mélange de raideur, de naïveté et d'effort vers le style qui tient à la fois des écoles françaises et des écoles italiennes.
1614. Quatrième édition du même ouvrage, in-folio comme le précédent (chez Ve, Abel Langelier).
1029. Cinquième édition, in-fol.
1G37. Sixième édition, in-fol.
18 28. Le Pitture dei Filostrati fatte in volgare la prima votta da Pilippo Mercuri con le varianti lezioni tratte da MSS Vaticani. La traduction de Mercuri est plus élégante qu'exacte. Quant aux variantes tirées des manuscrits du Vatican, si Mercuri s'en est servi, il ne les donne pas. Les notes sont insignifiantes. L'auteur reproduit, à la fin du volume, l'étude de Jacobs sur Philostrate et les manuscrits qui ont servi à constituer l'édition de 1825. On n'y trouve même pas la préface de Welcker.


ÉTUDES DIVERSES, COMMENTAIRES ET JUGEMENTS PRINCIPAUX.

1792. Τ Boden, De arte ac judicio Pl. Philostrati in descr. imaginibus. Hafniae, 1792, 31,34.
1796-1800. Commentaire de Heyne. Heyne est le premier qui se soit occupé de la question d'art; sur la question d'authenticité, il reste indécis, lia corrigé un grand nombre de passages. Jacobs et Welcker reconnaissent s'être beaucoup servis de ces études. (Ce commentaire est contenu dans le V• volume des Opuscula de Heyne.)
1770. Ignarra,De palaestra Neapolitana.
1818. Goethe (Pfiilostrats Gemdlde und Antik und Modem) a classé les tableaux de Philostrate d'après la nature des sujets, et en a donné une analyse dans laquelle il a cherché à séparer les traits de pure description et les ornements ajoutés par le sophiste. Goethe croit à l'existence de la galerie décrite par Philostrate ; il est à remarquer qu'il se montre moins sévère envers les sophistes en général que nous affectons de l'être aujourd'hui, et qu'il attache une véritable importance, au point de vue de l'histoire de l'art et de la littérature, aux descriptions de notre auteur. Il prétend que Jules Romain avait lu Philostrate et qu'il s'est souvent souvenu de cette lecture dans ses compositions. On trouve cette étude de Goethe dans le XIIe volume des CEuvres complètes (Stuttgart, 1879).
1822. Tolken, Ueber das verschiedene Verhdltniss der antiken und modernen Malerei tur Poésie, Berlin.


560 BIBLIOGRAPHIE DES TABLEAUX DE PHILOSTRATE L'ANCIEN.
1825. Thierscb, Wcrth der Schilderungen des Philostratus von wirklichen Gemàlde.
Tûbing, Kunstblatt, 1828, p. 63 et suiv. 1828. Wiedasch, Panthia, ein Gemàlde aus Philostrati sen. Imag., II, 9 ; Allg. Schulzeit.,
1828, II, Nr. 46 et 47.
1836. Passow Frz., Ueber die Gemdlde des dlteren Philostratos, dans leitscltrift Λ à.
Alterthumsw, 1836, N. 71, 72, 73. Etudes reproduites dans les Mélanges du même
auteur publiés à Leipzig, 1843. 1337. Ed. Mûller, Histoire de la Théorie de Îart chez les anciens (en allemand), Π,
315, 327.
1844. Kayser, De pinacotheca quadam Neapolitana. Heid.
1860. Friederichs, Die Philoslratischen Bilder, Erlangen. Etude intéressante sur les tableaux de Philostrate ; mais l'auteur, qui conteste l'authenticité, est peu difficile sur le choix des arguments. Friederichs connaît bien l'antiquité figurée, mais il confond trop les époques ; il compare les tableaux de Philostrate aux œuvres classiques, et comme celles-ci lui paraissent de beaucoup supérieures par l'invention et la composition, il en conclut que jamais peintre n'a pu concevoir les tableaux décrits par le sophiste. 11 aurait peut-être raison s'il s'agissait d'un contemporain d'Apelle ; mais des peintures décrites sans nom d'artistes par un sophiste, du m6 siècle, ne peuvent guère avoir été exécutées longtemps avant cette époque. En tout cas, il est possible qu'elles soient contemporaines de Philostrate lui-même.
1861. Brunn, Die Philoslratischen Gemàlde gegen X. Friederichs vertheidigt. Étude publiée dans la Revue de Fleckeisen,, et tirée à part. — L'auteur, très versé dans la connaissance de l'antiquité figurée, combat pied à pied toutes les assertions de Friederichs. Sur certains points, il nous paraît trop absolu ; d'ailleurs nous nous plaisons à reconnaître tout ce que nous devons à cette savante étude.
1863. Friederichs, Nachtràgliches zu den Philostratischen Bilder. L'auteur se défend contre Brunn du reproche de légèreté ou d'ignorance. Le débat d'ailleurs porte sur des points de détail.
1367. Matz, De Philostratorum in desmbendis imaginibus fi.de. Ouvrage écrit en latin, de lecture difficile. L'auteur a étudié particulièrement la description d'objets d'art, ecphrasis, chez les anciens; il montre le lien qui existe entre cet exercice d'école et les descriptions de Philostrate ; il croit pouvoir en tirer la conclusion que Philostrate a décrit des œuvres imaginaires ; il accorde seulement à Brunn que le sophiste a pu s'inspirer d'œuvres réelles qu'il aurait vues en divers endroits.
1861 et 1871. Brunn. Réponse à Friederichs etàMalz, dans le supplément du journal de Fleckeisen, 1861 et le journal lui-même, 1871, Heft 1 et 2•


TABLE

ANALYTIQUE









INTRODUCTION
Pages
1. Les Philoslrate. — Vie de Philoslrate l'Ancien. — Education des sophis-
tes. — Les maîtres de Philostrate. — Avocats et sophistes, — So-
phistes contemporains de Philostrate. —Influence de Julia Domna;
la Vie d'Apollonius de Tyane. — Voyage en Gaule. — Vies des So-
phistcs. — Autres ouvrages de Philostrate. — Les Tableaux de Phi-
loslrate ; la question d'authenticité 1 à 30
II. Comparaison]entre la peinture antique elles Tableaux de Philostrate.

— Différents genres et différents styles. — Rapports avec les textes poétiques. — La poésie et les bas-reliefs de sarcophages. — Confusion des genres aux époques de décadence. — Les personnifications dans l'art antique. — Eros et Erotes. — Les phases antiques de l'allégorie. — Variabilité du costume et des attributs. — Choix du sujet et du moment. — Choix des détails; le réalisme antique. — Représentation des métamorphoses. — Fantaisie et convention. — Répétition du même personnage en un même tableau. — Couleur locale. — Le paysage. — Les effet de lumière. — Peinture de genre.
— Natures mortes. — Dessin, clair-obscur, coloris 30 à 141
III. La critique d'art chez les anciens. — Importance relative de l'inven-
tion, de l'exécution, de l'expression. — Admiration pour ce qui vit ou
semble vivre* — La théorie de l'illusion est-elle antique? — L'illusion
chère aux écrivains anciens et modernes. — Singularité et subtilité
des interprétations. — Caractères de la critique dans les descriptions
de Philoslrate 141 à 170
IV. L'ecphrasis ou description des œuvres d'art dans l'antiquité. — Chez les
poètes ; dans la philosophie; chez les sophistes ; dans le roman grec. — Comment rattachée au sujet principal. — Importance de l'ecphrasis aux yeux des anciens. — Lutte entre la parole et les beaux-arts. — Conséquences de cette rivalité. — Embarras de la critique pour reconstituer les tableaux décrits par les anciens. — Caractères propres à l'ecphrasis de Philostrate. — Le style de Philoslrate. —
Résume. — Retour sur la question d'authenticité 170 à 198

562

TABLE ANALYTIQUE.



LIVRE I
Page?.
Avant-propoa
I. Le Scamandrc 200
II. Cômos • 204
III. Les Fables 209
IV. Ménœcée 213
V. Les Coudées 2*7
VI. Les Amours 22*
VII. Memnon 228
VIII. Poséidon et Amymone 233
IX. Le Marécage 238
X. Amphion 245
XL Phaéton • - • • 250
XII. Le Bosphore et les Pêcheurs : 2S8
XIII. Sémélé ■ • • 264
XIV. Ariadne . 270
XV. Pasiphaé. 276
XVI. Pélops et Hippodamie. . 28i
XVII. Les Bacchantes 2Ô*
XVIII. Les Tyrrhéniens 297
XIX. Les Satyres. 3<>3
XX. Olympos 306
XXL Midas 309
XXII. Narcisse 313
XXIII. Hyacinthe 3'8
XXIV. Les Andriens 323
XXV. Naissance d'Hermès 326
XXVI. Amphiaraos 330
XXVII. La chasse au sanglier 335
XXVIII. Persée 340
XXIX. Pélops 3*»
XXX. Les présents d'hospitalité 3W


LIVRE 11

I. Chœur de femmes • • • • 3&3
II. Education d'Achille 357
III. Les Centaurides 36*
IV. Hippolyte 367
V. Rhodogune 375
VI. Arrhichion 379
VIL Antiloque 382
VIII. Le Mêlés 3*8
IX. Penthéc 393
TABLE ANALYTIQUE S63
Pages.
X. Cassandrc 397
XI. Pan 403
XII. Pindare 408
XIII. Ajax ou les Gyres 412
XIV. LaThessalie 415
XV. Glaukos, dieu marin 429
XVI. Palœmon 427
XVII. Les lies 432
XVIII. Le Cyclope 444
XIX. Phorbas ou les Phlégyens 4*9
XX. Atlas 452
XXI. Antée 456
XXII. Héraklès parmi les Pygmées 462
XXIII. Héraklès furieux 46:»
XXIV. Thiodamas 472
XXV. Funérailles d'Abdère 475
XXVI. Présents d'hospitalilé 478
XXVII. Naissance d'Athénft 480
XXVllï. Les Toiles 485
XXIX. Anligone 487
XXX. Evadné 490
XXXI. Thémistocle 492
XXXII. Palestra 490

XXXIII. Dodone 501
XXXIV. Les Heures 506
Télèphe blessé, épigram me 5,9
Notes sur le texte 5i3
Bibliographie des tableaux de Philostrate 557


















I776-Î0. Co»»ni. Typ. et Mér. C»ere





Librairie RENOUARD, 6, rue de Tournon, Paris
HENRI LOONES, SUCCESSEUR

DERNIÈRES PUBLICATIONS

VAN DYCK ET SES ÉLÈVES
Par Alfred MIGHIELS
DEUXIÈME ÉDITION
i beau vol. in-8° colombier, avec 15 eaux-fortes du maître, reproduites en fac-similé
par l'héliogravure et 16 autres gravures dont 12 hors texte. Broché 30 fr.
Belle demi-reliure amateur fr.
Ce livre contient toutes sortes de renseignements Inédits et d'études nouvelles d'après lee tableaux du maître. Chargé par le Gouvernement français d'aller en Italie et en Angleterre compléter ses recherches, l'auteur en a rapporté les informations les plus précieuses. Jamais pareil flot de lumière n'aura éclairé la vie et les œuvres d'un peintre célèbre et mal connu.

RAPHAËL, PEINTRE DE PORTRAITS
Fragments d'histoire et d'iconographie sur les personnages représentés dans les portraits de Raphaël
Par F.-A. GRUYER, membre de l'Institut
2 vol. in-8° ornés du portrait de Raphaël de la Galerie de Florence, reproduit
d'après COINY, par l'héliogravure. — Prix 80 fr.
• Étudier Raphaël comme peintre de portraits, voir les portraits qu'il a peints sous le jour particulier gui leur convient, connaître les personnages que représentent ces portraits, placer ces personnages dans le milieu oû ils ont vécu, tâcher même d'y vivre un moment aorc eux, chercher à reconstituer leur identité morale, recueillir Us éléments épars de leur iconographie, pénétrer dans un cercle assez large pour contenir à la fois quelque chose de la religion, de l'histoire, de fart, de la philosophie et des lettres du plus lumineux des siècles modernes, tel est le but que nous poursuivons dans cette étude. »
Ainsi parle l'auteur en tête de sa proface, ainsi se trouvent définis le but et l'utilité de l'ouvrage.

DICTIONNAIRE GÉNÉRAL
DES
ARTISTES DE L'ÉCOLE FRANÇAISE
ARCHITECTES, PEINTRES, SCULPTEURS, GRAVEURS ET LITHOGRAPHES
Par feu Emile BELUER DE LA CHAVIGNEME et continué par Louis Ail Y RAY, statuaire
Le Dictionnaire générai des Artistes de l'École française comprendra 15,000 notices biographiques qui formeront 2 forts vol. in-8° jésus, chacun d'environ i,200 pages sur 2 colonnes.
La publication se continue par livraisons bi-mensuelles de 2 feuilles ; les 30 premières ont paru (juillet 1881), et avant la fin de 1882 nous aurons publié les 75 livraisons qui composeront l'ouvrage.
Prix de chaque livraison 1 fr. 5θ

LA QUATRIÈME ÉDITION
D Ε L A
GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN
Architecture — Sculpture — Peinture — Jardins Gravure en pierres fines — Gravure en médailles — Gravure en taille-douce Eau-forte — Manière noire — Aqua-Unte — Gravure en bois Camaïeu — Gravure en couleurs — Lithographie
Par Charles BLANC
de l'Académie française.
1 vol. grand in-8° jésus orné de 300 gravures dans le texte et terminé par une
table analytique du plus grand intérêt 20 fr.
Demi-reliure chagrin 24 fr. | Reliure d'amateur 27 fr.
!-8l. — Corbeii, imprimerie Crété.