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MACROBE
SATURNALES
LIVRE CINQ
CHAPITRE I. Que Virgile est supérieur à Cicéron, sinon sous tous les rapports, du moins en ce qu'il excelle dans tous les genres de style; tandis que Cicéron n'a excelle que dans un seul. De la division du style en quatre et en deux genres.
Eusèbe
s'étant arrêté en cet endroit, afin de prendre un peu de repos, toute
l'assemblée fut d'accord pour reconnaître dans Virgile l'orateur aussi bien
que le poëte, et l'observation aussi exacte des règles de l'art oratoire que
de celles de la rhétorique. - Dis-moi, ô le premier des docteurs, dit Aviénus
à Eusèbe, si l'on consent, comme il le faut bien, à mettre Virgile au rang
des orateurs, maintenant, l’homme qui étudie l'art oratoire, lequel
devra-t-il préférer, de Virgile ou de Cicéron? - Je vois, dit Eusèbe, ton
intention, où tu prétends venir et m'amener c'est à établir, entre les deux
écrivains, un parallèle que je veux éviter. Tu me demandes simplement lequel
est supérieur à l'autre, afin que , de ma réponse à cette question, il en
résulte nécessairement que l'un doive être plus étudié que l'autre. Mais je
veux que tu me dispenses d'une décision si difficile et si grave. Il ne
m'appartient pas de prononcer sur de si grandes questions; et quelle que dût
être mon opinion, j'en appréhenderais également la responsabilité. J'oserai
dire seulement, en considérant la fécondité si variée du porte de Mantoue,
qu'il embrasse tous les genres d'éloquence, tandis que Cicéron n'a qu'une
manière : son éloquence est un torrent abondant et inépuisable. Cependant, il
est plusieurs manières d'être orateur. L'un coule et surabonde; l'autre, au
contraire, affecte d'être bref et concis; l'un aime en quelque sorte la
frugalité dans son style; il est simple, et d'une sobriété d'ornements qui va
jusqu'à la sécheresse; l'autre ce complaît dans un discours brillant, riche
et fleuri. Toutes ces qualités si opposées, Virgile les réunit; son
éloquence embrasse tous les genres. - Je voudrais, dit Aviénus, que tu me
fisses sentir plus clairement ces diversités, en me nommant des modèles.
Eusèbe répondit: Il est quatre genres d'éloquence, le genre abondant dans
lequel Cicéron n'a point d'égal; le genre concis, dans lequel Salluste est
au-dessus de tous; le genre sec, dont Fronton est désigné comme le modèle;
enfin le genre riche et fleuri, qui abonde dans les écrits de Pline le jeune,
et de nos jours, dans ceux de notre ami Symmaque, qui ne le cède, sous ce
rapport, à aucun des anciens : or ces quatre genres, on les retrouve dans
Virgile.
Et campos ubi Troia fuit. Voilà comment, en peu de paroles, il détruit, il efface une grande cité, il n'en, laisse pas seulement un débris. Voulez-vous l'entendre exprimer la même idée avec de longs développements :
Venit summa dies et ineluctabile tempus « Le dernier jour est arrivé, que l'inévitable destin assigna à la race de Dardanus ! Il n'est plus de Troyens; Ilion, qui fut leur gloire, a passé. Le cruel Jupiter a tout livré à Argos; les Grecs sont maîtres de la ville, que la flamme « consume.... O patrie ! ô Ilion, demeure des dieux ! ô remparts célèbres partant d'assauts que leur livrèrent les fils de Danaüs!... Qui pourrait raconter le deuil et les désastres de cette nuit? Quelles larmes pourront égaler de telles douleurs? Elle croule cette cité antique, qui fut reine pendant tant d'années ! » Quelle source, quel fleuve, quelle mer répandirent jamais plus de flots, que Virgile en cet endroit répand d'expressions? Je passe maintenant à un modèle de simplicité dans l'élocution
Turnus, ut ante volans tardum praecesserat agmen, « Turnus, qui volait, pour ainsi dire, au-devant de son armée, à son gré trop tardive, arrive à l'improviste devant la ville, suivi de vingt cavaliers d'élite : il monte un cheval thrace, tacheté de blanc; il porte un casque doré, surmonté d'un panache rouge. » Voyez maintenant avec quels ornements, avec quelle richesse il sait exprimer, quand il veut, les mêmes choses :
Forte sacer Cybelae Choreus olimque sacerdos « Choré, consacré à Cybèle, et qui en fut autrefois le prêtre, se faisait remarquer au loin par l'éclat de ses armes phrygiennes; son cheval écumant s'agitait sous lui, décoré d'une peau brodée d'or, et garnie d'écailles de bronze, posées les unes sur les autres, comme les plumes sont sur l'oiseau; le fer étranger et la pourpre brillaient sur lui; il lançait des traits « fabriqués à Cortyne, avec un arc travaillé en Lycie. Il portait aussi une tunique brodée et des brodequins, à la manière des peuples barbares. » Vous venez de voir séparément des modèles de chaque genre de style en particulier. Voulez-vous voir maintenant comment Virgile sait les allier tous quatre, et former un tout admirable de leurs diversités :
Saepe etiam steriles incendere profuit agros « Souvent il convient de mettre le feu aux champs stériles, et de livrer le petit chaume aux flammes pétillantes; soit que cette opération communique actuellement à la terre de nouvelles forces et produise un abondant engrais, soit que le feu consume les substances délétères et fasse exhaler l'humidité superflue, soit que la chaleur élargisse les pores et les filtres secrets à travers lesquels les plantes renouvellent leurs sucs; soit enfin qu'au contraire la terre, par l'action du feu, s'endurcisse et resserre ses fissures, en sorte que ni les pluies, ni l'action rapide et puissante du soleil, ni le souffle glacial et pénétrant de Borée, ne lui enlèvent sa substance. »
Voilà un genre de style que vous ne trouverez nulle part ailleurs. Il réunit
tout: concision sans négligence, abondance sans vide, simplicité sans
maigreur, richesse sans redondance.
O praestans animi iuvenis, quantum ipse feroci « Jeune homme, votre âme est élevée ; mais plus votre courage est ardent, plus il me convient à moi de réfléchir mûrement, etc. » L'autre genre de style, au contraire, est audacieux, ardent, offensif. C'était celui d'Antoine; il n'est pas inusité dans Virgile :
— Haud talia dudum « Ce n'est pas ainsi que naguère tu parlais. Meurs, et va rejoindre ton frère. » Vous voyez que l'éloquence de Virgile se distingue par la réunion de la variété de tous les genres, que le poète opère avec tant d'habileté, que je ne puis m'empêcher d'imaginer qu'une sorte de prescience divine lui révélait qu'il était destiné à servir de modèle à tous. Aussi n'a-t-il suivi aucun autre modèle que la nature, mère de toutes choses, en la voilant; comme dans la musique l'harmonie couvre la diversité des sons. En effet, si l'on considère attentivement le monde, on reconnaîtra une grande analogie entre son organisation divine, et l'organisation divine aussi du poème de Virgile. Car, de même que l'éloquence du poète réunit toutes les qualités, tantôt concise, tantôt abondante, tantôt simple, tantôt fleurie, tantôt calme ou rapide, tout ensemble; de même aussi la terre, ici est ornée de moissons et de prairies, là hérissée de rochers et de forêts; ailleurs desséchée par les sables, plus loin arrosée par les sources, ou couverte en partie par la vaste mer. Pardonnez-moi cette comparaison; elle n'a rien d'exagéré; car si je prends dix rhéteurs parmi ceux qui fleurirent dans Athènes, cette capitale de l'Attique, je trouverai dans le style de chacun des qualités différentes; tandis que Virgile les aura réunies toutes en lui. CHAPITRE II. Des emprunts que Virgile a faits aux Grecs; et que le plan de l'Énéide est modelé sur ceux de l'Iliade, et de l'Odyssée d'Homère.
Évangelus
prenant la parole dit ironiquement :
— Troiae qui primus ab oris - « (Je chante) celui qui, poursuivi par le destin, arriva le premier des bords troyens en Italie, et atteignit les rivages latins; » - lorsqu'il en vient à commencer sa narration, ce n'est point de Troie, mais de la Sicile qu'il fait appareiller la flotte d'Énée :
Vix e conspectu Siculae telluris in altum « A peine leurs voiles joyeuses, perdant de vue la terre de Sicile, commençaient à cingler vers la haute mer. » - Ce qui est entièrement imité d'Homère, lequel évitant dans son poème de suivre la marche de l'histoire, dont la première loi consiste à prendre les faits à leur origine et à les conduire jusqu'à leur fin par une narration non interrompue, entre en matière par le milieu de l'action, pour revenir ensuite vers son commencement ; artifice usité par les poètes. Ainsi, il ne commence point par montrer Ulysse quittant le rivage troyen; mais il nous le fait voir s'échappant de l'île de Calypso, et abordant chez les Phéaciens. C'est là qu'à la table du roi Alcinoüs, Ulysse raconte lui-même sa traversée de Troie chez Calypso. Après cela, le poète reprend de nouveau la parole en son propre nom, pour nous raconter la navigation de son héros, de chez les Phéaciens jusqu'à Ithaque. Virgile, à l'imitation d'Homère, prend Énée en Sicile, et le conduit par mer jusqu'en Libye. Là, dans un festin que lui donne Didon, c'est Énée lui-même qui raconte sa navigation depuis Troie jusqu'en Sicile, en résumant en un seul vers, ce que le poète avait décrit longuement: Hinc me digressum vestris deus adpulit oris. « C'est de là que je suis parti pour venir, poussé par quelque dieu, aborder sur vos côtes. » Après cela le poète décrit de nouveau, en son propre nom, la route de la flotte, depuis l'Afrique jusqu'en Italie :
Interea medium Aeneas iam classe tenebat « Cependant la flotte d'Énée poursuivait sa route sans obstacles. » Que dirai-je enfin? le poème de Virgile n'est presque qu'un miroir fidèle de celui d'Homère. L'imitation est frappante dans la description de la tempête. On peut, si l'on veut, comparer les vers des deux poèmes. Vénus remplit le rôle de Nausicaa, fille du roi Alcinoüs ; Didon, dans son festin, celui d'Alcinoüs lui-même. Elle participe aussi du caractère de Scylla, de Charybde et de Circé. La fiction des îles Strophades remplace celle des troupeaux du Soleil. Dans les deux poèmes, la descente aux enfers, pour interroger l'avenir, est introduite avec l'accompagnement d'un prêtre. On retrouve Épanor dans Palinure; Ajax en courroux, dans Didon irritée; et les conseils d'Anchise correspondent à ceux de Tirésias. Voyez les batailles de l'Iliade, et celles de l'Énéide, où l'on trouve peut-être plus d'art; voyez, dans les deux poèmes, l'énumération des auxiliaires, la fabrication des armes, les divers exercices gymnastiques, les combats entre les rois, les traités rompus, les complots nocturnes; Diomède, à l'imitation d'Achille, repoussant la députation qui lui est envoyée; Énée se lamentant sur Pallas, comme Achille sur Patrocle; l'altercation de Drancès et de Turnus, pareille à celle d'Agamemnon et d'Achille, (quoique, dans l'un des deux poèmes, l'un soit poussé par son intérêt, et dans l'autre par l'amour du bien public) ; le combat singulier entre Énée et Turnus, dans lequel, comme dans celui d'Achille et d'Hector, des captifs sont dévoués, dans l'un aux mânes de Patrocle, dans l'autre à ceux de Pallas :
— Sulmone creatos « En ce moment Énée saisit, pour les immoler aux ombres infernales, quatre jeunes gens fils de Sulmuni et quatre autres qu'élevait Ufens. » Poursuivons. Lycaon, dans Homère, atteint dans sa fuite, a recours aux prières pour fléchir Achille, qui ne fait grâce à personne, dans la douleur qu'il ressent de la mort de Patrocle; dans Virgile, Magus, au milieu de la mêlée, se trouve dans une position semblable. Inde Mago procul infestam contenderat hastam? « Énée avait lancé de loin à Magus un javelot meurtrier. » Et lorsqu'il lui demande la vie en embrassant ses genoux, Énée lui répond :
— Belli commercia Turnus « Turnus a le premier banni de nos combats les échanges de guerre, lorsqu'il a tué Pallas. » Les insultes qu'Achille adresse au cadavre de Lycaon, Virgile les a traduites par celles qu'Énée adresse à Tarquitius. Homère avait dit :
ἐνταυθοῖ νῦν κεῖσο μετ' ἰχθύσιν, οἵ σ' ὠτειλὴν « Va au milieu des poissons, qui ne craindront pas de boire le sang qui coule de tes blessures; Ta mère ne te déposera point sur un lit pour t'arroser de ses larmes; mais les gouffres du Scamandre t'entraîneront dans le vaste sein de la mer. » Après lui le poète latin a dit : Istic nunc, metuende, iace, et reliqua. « Maintenant, guerrier redoutable, reste là étendu, etc. » CHAPITRE III. Des divers passages de Virgile traduits d'Homère. Je rapporterai, si vous le voulez, les vers que Virgile a traduits d'Homère, presque mot pour mot. Ma mémoire ne me les rappellera pas tous, mais je signalerai tous ceux qui viendront s'offrir à moi : νευρὴν μὲν μαζῷ πέλασεν, τόξῳ δὲ σίδηρον. (Iliade, IV, 123) « Il retire la corde vers sa poitrine, et place le fer sur l'arc. » Homère a exprimé toute l'action en aussi peu de mots que lui a permis la richesse de son idiome. Votre poète dit la même chose, mais en employant une période :
Adduxit longe, donec curvata coirent « Camille tend fortement son arc, au point que la courbure des deux extrémités les fit se rencontrer; ses deux mains sont à une égale distance du milieu de l'arc; la gauche dirige le fer, la droite tire le nerf vers sa poitrine. » Homère a dit
— Οὐδέ τις ἅλλη « On n'apercevait plus la terre, on ne voyait plus que le ciel et la mer. Alors Saturne abaissa sur le navire une nuée sombre, qui obscurcit la surface de la mer. » (Virgile)
— Nec iam amplius ulla « On n'apercevait plus aucune terre; de tous côtés on ne voyait que cieux et mers. » (Homère)
πορφύρεον δ' ἄρα κῦμα περιστάθη, οὔρεϊ ἶσον, « Pareil à une montagne, le flot azuré les enveloppe de ses plis. » (Virgile) Curvata in molis faciem circumstetit unda. « L'eau s'arrête autour (d'Aristée), et se courbe en forme de montagne. » Homère a dit, en parlant du Tartare τόσσον ἔνερθ' ᾿Αΐδεω ὅσον οὐρανός ἐστ' ἀπὸ γαίης· (Iliade, VIII, 15) « L'enfer est autant au-dessous de la terre, que le ciel au-dessus. » (Virgile)
Bis patet in praeceps tantum tenditque sub umbras, « Le Tartare est deux fois aussi profondément enfoncé vers les ombres, que l'Olympe est suspendu au loin dans les hauteurs de l'Éther. » (Homère) αὐτὰρ ἐπεὶ πόσιος καὶ ἐδητύος ἐξ ἔρον ἕντο, (Iliade, I, 469) « Après qu'ils eurent satisfait leur faim et leur soif. » (Virgile) Postquam exempta fames, et amor conpressus edendi. « Après qu'on eut apaisé la faim et éteint l'appétit. » (Homère)
τῷ δ' ἕτερον μὲν ἔδωκε πατήρ, ἕτερον δ' ἀνένευσε· « Telle fut la prière (d'Achille). Jupiter l'entendit, et, dans sa sagesse, l'exauça en partie, mais lui refusa l'autre partie - il voulut bien lai accorder de repousser la guerre de dessus les vaisseaux des Grecs; mais il lui refusa de revenir sauf du combat. » (Virgile)
Audiit, et votis Phoebus succedere partem « Phébus entendit la prière (d'Arruns), et il résolut d'en exaucer la moitié, mais il laissa l'autre se perdre dans les airs. » (Homère)
νῦν δὲ δὴ Αἰνείαο βίη Τρώεσσιν ἀνάξει « Énée doit désormais régner sur les Troyens, ainsi que les enfants de ses enfants et leur postérité. » (Virgile)
Hic domus Aeneae cunctis dominabitur oris, « C'est de là que la maison d'Énée dominera surtout le monde, ainsi que les enfants de ses enfants, et leur postérité. » Dans un autre endroit, Homère a dit
καὶ τότ' ᾿Οδυσσῆος λύτο γούνατα καὶ φίλον ἦτορ,
(Odyssée, XXII, 147) « Alors Ulysse sentit ses genoux fléchir sous lui, son courage l'abandonner; et s'adressant à son coeur magnanime, il se disait à lui-même. » De ces deux vers, Virgile n'en a fait qu'un Extemplo Aeneae solvuntur frigore membra. « A cette vue les membres d'Énée sont glacés par l'effroi. » (Homère)
πότνι' ᾿Αθηναίη ἐρυσίπτολι δῖα θεάων « Auguste Minerve, gardienne de la ville, la plus excellente des déesses, brise la hache de Diomède, et qu'il soit lui-même précipité devant les portes de Scée. » (Virgile)
Armipotens, praesens belli, Tritonia virgo, « Toute puissante modératrice de la guerre, chaste Minerve; brise de ta propre main le fer du ravisseur phrygien; renverse-le lui-même sur la poussière, et étends-le devant les portes (de la ville). » (Homère) οὐρανῷ ἐστήριξε κάρη καὶ ἐπὶ χθονὶ βαίνει· (Iliade, IV, 443) « (La Discorde) se montre d'abord d'une petite stature ; mais bientôt elle porte sa tête dans les cieux, tandis que ses pieds foulent la terre. » (Virgile) Ingrediturque solo et caput inter nubila condit. « (La Renommée) marche sur la terre, et cache sa tête parmi les nuages. » Homère a dit, en parlant du sommeil
καὶ τῷ νήδυμος ὕπνος ἐπὶ βλεφάροισιν ἔπιπτε, « Un doux sommeil, profond, délicieux, image de la mort, s'appesantit sur les paupières (d'Ulysse). » Virgile a dit à son tour Dulcis et alta quies placidaeque simillima morti. « Un sommeil doux et profond, semblable à une mort paisible. » (Homère)
ναὶ μὰ τόδε σκῆπτρον, τὸ μὲν οὔ ποτε φύλλα καὶ ὄζους
235 « Je te le promets, je t'en fais le plus grand des serments; par ce sceptre qui ne produira plus de rameaux ni de feuilles, puisqu'il a été séparé du tronc de l'arbre des montagnes qui le porta; par ce sceptre qui ne repoussera plus, puisque la hache l'a émondé de ses feuilles et dépouillé de son écorce, et que les juges des Grecs le tiennent dans leurs mains, lorsqu'ils rendent la justice au nom de Jupiter. » (Virgile)
Ut sceptrum hoc (dextra sceptrum nam forte gerebat) « Mon serment est aussi infaillible qu'il est certain que ce sceptre (Latinus portait alors le « sien) ne poussera jamais la moindre branche ni la moindre feuille qui puisse donner de l'ombrage, puisqu'il a été retranché du tronc maternel de l'arbre de la forêt, et dépouillé par le feu de ses feuilles et de ses branches, alors que la main de l'ouvrier osa le revêtir d'un métal précieux, pour être porté par les princes latins. »
Maintenant, si vous le trouvez bon, je vais cesser la comparaison des vers
traduits d'Homère par Virgile. Un récit si monotone produirait à la fin la
satiété et le dégoût, tandis que le discours peut se porter sur d'autres
points non moins convenables au sujet.
Est in secessu longo locus: insula portum « Là, dans une rade enfoncée, se trouve un port formé naturellement par les côtes d'une île; les vagues qui viennent de la haute mer se brisent contre cette île, et, se divisant, entrent dans le port par deux passages étroits : à droite et à gauche s'élèvent deux roches dont les sommités menacent le ciel, et à l'abri desquelles la mer silencieuse jouit du calme dans un grand espace; leur cime est chargée d'une forêt d'arbres touffus, qui répandent sur le port une ombre épaisse et sombre. Derrière la forêt, un antre est creusé dans les cavités des rochers suspendus; on y trouve des eaux douces, et des sièges taillés dans le roc vif. C'est là la « demeure des Nymphes; là, les vaisseaux battus par la tempête trouvent le repos, sans être attachés par aucun câble, ni fixés par des ancres. » (Virgile.)
« Sur la côte d'Ithaque, il est un port consacré au vieillard Phorcus, dieu marin. Ce port est produit par la disposition de la côte escarpée, qui s'ouvre entre deux lignes parallèles pour former un canal où la mer est à l'abri de la fureur des vents qui l'agitent au dehors; les vaisseaux bien construits peuvent séjourner dans l'intérieur de ce port, sans être attachés; l'olivier touffu orne le sommet de la côte - non loin est située une caverne gracieuse et profonde, consacrée aux Nymphes des eaux, dans l'intérieur de laquelle on trouve des urnes et des coupes formées par le roc, et où l'abeille fabrique son miel. » (Homère.)
CHAPITRE IV Des passages du premier livre de l'Énéide, traduits d'Homère.
Aviénus
pria Eustathe de ne point faire ses remarques sur des passages pris çà et là,
mais de suivre un ordre méthodique, en partant du commencement du poème.
Eustathe ayant donc retourné les feuilles jusqu'au talon, commença ainsi :
Aeole, namque tibi divum pater atque hominum rex « Éole ; toi à qui le père des dieux et des hommes a donné le pouvoir d'apaiser les flots, ou de les soulever par les vents. » (Homère)
κεῖνον γὰρ ταμίην ἀνέμων ποίησε Κρονίων, « Saturne a constitué (Éole) le gardien des vents, qu'il peut apaiser ou déchaîner à son gré. » (Virgile)
Sunt mihi bis septem praestanti corpore nymphae: « J'ai quatorze Nymphes d'une beauté parfaite; Déiopée est la plus belle d'entre elles ; elle sera à toi, unie par les liens durables du mariage. » (Homère)
ἀλλ' ἴθ', ἐγὼ δέ κέ τοι Χαρίτων μίαν ὁπλοτεράων « Ainsi donc, agis en ma faveur; et je te donnerai pour épouse la plus jeune des Grâces, Pasithée, pour laquelle tu brûles tous les jours de ta vie. » La tempête qu'Éole excite contre Énée, ainsi que le discours que celui-ci adresse à ses compagnons sur leur situation, sont imités de la tempête et du discours d'Ulysse, à l'égard duquel Neptune remplit le même office qu'Éole. Comme ce passage est long dans les deux poètes, je ne le rapporte point; j'en indiquerai le commencement pour ceux qui voudront le lire dans le livre de l'Énéide; c'est à ce vers : Haec ubi dicta, cavum conversa cuspide montem, « Il dit, et tourne son sceptre contre la montagne caverneuse. » Et dans Homère, au cinquième livre de l’Odyssée :
ὣς εἰπὼν σύναγεν νεφέλας, ἐτάραξε δὲ πόντον « Il dit; et prenant son trident, il rassemble les nuages et trouble la mer, en déchaînant les vents avec toutes leurs tempêtes. » (Virgile)
Ut primum lux alma data est, exire locosque « Dès que le jour secourable parut, il résolut de sortir pour aller reconnaître sur quelles nouvelles côtes il avait été jeté par les vents, et si ce pays, qui lui paraissait inculte, était habité par dès hommes ou par des bêtes, afin d'en instruire ensuite ses compagnons. » (Homère)
ἀλλ' ὅτε δὴ τρίτον ἦμαρ ἐυπλόκαμος τέλεσ' ᾿Ηώς, « Mais l'aurore du troisième jour s'étant levée radieuse, je prends ma lance et mon épée, et je m'élance hors du vaisseau, pour aller à la découverte, désirant d'entendre la voix d'un mortel et d'apercevoir quelques travaux de sa main. » (Virgile)
Nulla tuarum audita mihi neque visa sororum, « Qui es-tu, ô vierge, toi dont je n'ai jamais vu ni entendu la soeur, toi qui n'as ni le visage ni la voix d'une mortelle, toi qui es certainement une déesse? Es-tu la soeur de Phébus, ou l'une de ses nymphes? » (Homère)
"γουνοῦμαί σε, ἄνασσα· θεός νύ τις, ἦ βροτός ἐσσι; « Je te supplie, ô reine, que tu sois une divinité, ou bien une mortelle. Mais non, tu es une de ces divinités qui habitent la vaste étendue des cieux; ta beauté, ta stature, tes traits, me portent à te prendre pour Diane, fille du grand Jupiter ». (Virgile)
O dea, si prima repetens ab origine pergam, « O déesse, si je reprenais les événements à leur origine, et que tu eusses le loisir d'écouter les annales de nos malheurs, Vesper aurait auparavant borné dans le ciel la carrière du jour. » (Homère)
τίς κεν ἐκεῖνα « Quel mortel pourrait raconter toutes ces choses? cinq ou six ans ne suffiraient pas pour raconter tous les malheurs qu'ont éprouvés les généreux Grecs. » (Virgile)
At Venus obscuro gradientes aere sepsit, « Tandis qu'ils étaient en marche, Vénus répandit autour d'eux un brouillard épais dont ils furent enveloppés, afin que personne ne pût les apercevoir, ou retarder leurs pas, ou s'informer des causes de leur venue. » (Homère)
καὶ τότ' ᾿Οδυσσεὺς ὦρτο πόλινδ' ἴμεν· ἀμφὶ δ' ᾿Αθήνη « Alors Ulysse se mit en chemin pour aller vers la ville; et Pallas, qui le protégeait, répandit autour de lui une grande obscurité, afin qu'aucun des audacieux Phéaciens qu'il pourrait rencontrer ne l'insultât, et ne lui demandât même qui il était. » (Virgile)
Qualis in Eurotae ripis aut per iuga Cynthi « Telle sur les rives de l'Eurotas, ou sur les sommets du Cynthus, Diane conduit les choeurs des Oréades, qui dansent en groupes et par milliers à sa suite; elle marche le carquois sur l'épaule, et sa tête dépasse celles de ses compagnes; Latone, sa mère, en a le coeur ému d'une secrète joie. Telle était Didon; telle elle marchait joyeuse. » (Homère)
οἵη δ' ῎Αρτεμις εἶσι κατ' οὔρεα ἰοχέαιρα, « Telle que Diane, qui, la flèche à la main, parcourt l'Erymanthe ou le Taygète escarpé, se plaisant à poursuivre les chèvres sauvages et les cerfs agiles: les Nymphes des champs, filles de Jupiter, partagent ses jeux; elles sont toutes belles, mais la déesse se fait encore distinguer facilement parmi elles, outre qu'elle les dépasse de toute la tête. Cette vue inspire à Latone, sa mère, une joie secrète. Telle était Nausicaa parmi ses compagnes ». (Virgile)
Restitit Aeneas claraque in luce refulsit « Énée parut environné d'une lumière éclatante, ayant le port et la physionomie d'un dieu; car sa mère elle-même avait embelli sa chevelure, et répandu dans ses yeux l'éclat brillant de la jeunesse, la majesté et le bonheur; tel est l'éclat que la main de l'ouvrier sait donner à l'ivoire, ou à l'argent, ou à la pierre de Paros, qu'il enchâsse dans l'or. » (Homère)
αὐτὰρ ᾿Οδυσσῆα μεγαλήτορα ᾧ ἐνὶ οἴκῳ « Minerve donna à Ulysse l'aspect de la grandeur et de la prospérité; elle répandit la beauté sur son visage; elle forma de sa chevelure des boucles d'une couleur semblable à la fleur de l'hyacinthe. Tel l'ouvrier habile qui, instruit par Vulcain et Pallas, connaît tous les secrets de l'art de travailler ensemble l'or et l'argent, et d'en former des ouvrages élégants, de même la déesse répandit la grâce sur le visage et sur toute la personne d'Ulysse. » (Virgile)
Coram quem quaeritis adsum, « Il est devant toi, celui que tu cherches; le voici. C'est moi qui suis le Troyen Énée, sauvé des mers de Libye. » (Homère)
ἀνδρὸς ἀφεσταίη, ὅς οἱ κακὰ πολλὰ μογήσας « Me voici revenu, après vingt années de malheurs, sur les rivages de ma patrie. »
CHAPITRE V. Des passages du second livre de l'Énéide, traduits d'Homère. (Virgile) Conticuere omnes, intentique ora tenebant. « Tout le monde se tut, et attacha ses regards sur Énée. » (Homère) ὣς ἔφαθ', οἳ δ' ἄρα πάντες ἀκὴν ἐγένοντο σιωπῇ « Ainsi parla Hector, et tout le monde resta dans le silence. » (Virgile)
Infandum, regina, iuves renovare dolorem, « Tu m'ordonnes, ô reine, de renouveler des douleurs inouïes, en racontant comment les Grecs ont détruit les richesses de Troie et son lamentable empire. » (Homère)
ἀργαλέον, βασίλεια, διηνεκέως ἀγορεῦσαι « Il est difficile, ô reine, de te raconter sur-le-champ les malheurs si nombreux dont les célestes dieux m'ont accablé. » (Virgile)
Pars stupet innuptae donum extitiale Minervae: « Les uns fixent leurs regards sur le présent fatal offert à la chaste Minerve, et admirent l'énorme grandeur du cheval; Thymètes le premier, soit perfidie de sa part, soit que tels fussent les destins de Troie, Thymètes propose e de l'introduire dans l’enceinte des murs, et de le placer dans la citadelle: mais Capys et ceux qui jugeaient le mieux voulaient qu'on précipitât dans la mer, ou qu'on livrât aux flammes ce don suspect des Grecs insidieux, ou du moins qu'on entrouvrit ses entrailles et qu'on en visitât les cavités. La multitude incertaine se partage entre ces avis opposés. » (Homère)
ὣς ὁ μὲν ἑστήκει, τοὶ δ' ἄκριτα πόλλ' ἀγόρευον « Les Troyens, assis autour du cheval, tenaient un grand nombre de propos confus; trois avis obtiennent des partisans: de percer avec le fer le colosse de bois creux, de le précipiter du haut de la citadelle escarpée où on l'avait traîné; ou bien enfin, de l'y conserver pour être consacré aux dieux. Ce dernier avis dut être suivi; car il était arrêté par le destin que Troie devait périr dès qu'elle aurait reçu dans ses murs cet énorme cheval de bois, où étaient renfermés les chefs des Grecs qui apportaient aux Troyens le carnage et la mort. » (Virgile)
Vertitur interea caelum et ruit oceano nox « Cependant le soleil achève sa carrière, et la nuit enveloppe de ses vastes ombres les cieux, la terre et la mer. » (Homère)
ἐν δ' ἔπεσ' ᾿Ωκεανῷ λαμπρὸν φάος ἠελίοιο « Le soleil plonge dans l'Océan sa lumière éclatante, et en fait sortir la nuit sombre qui apparaît sur la terre. » (Virgile)
Hei mihi, qualis erat, quantum mutatus ab illo « Hélas ! qu'il était défiguré! Qu'il était différent de ce même Hector lorsqu'il revint du combat chargé des dépouilles d'Achille, ou le jour qu'il venait de lancer la flamme sur les vaisseaux phrygiens. » (Homère)
ὢ πόποι, ἦ μάλα δὴ μαλακώτερος ἀμφαφάασθαι « Certes, voilà Hector devenu maintenant moins redoutable que lorsqu'il incendiait nos vaisseaux ». (Virgile)
— Iuvenisque Choroebus « Le jeune Mygdonien Chorèbe, brûlant d'un fol amour pour Cassandre, était venu à Troie quelques jours auparavant, proposer à Priam de devenir son gendre, et aux Phrygiens d'accepter ses secours. » (Homère)
πέφνε γὰρ ᾿Οθρυονῆα Καβησόθεν ἔνδον ἐόντα, « Idoménée rencontre et tue Othryon de Cabèse, qui était venu depuis peu à Troie, pour y obtenir une réputation guerrière. Il demandait, mais il n'avait point encore obtenu, la main de Cassandre, la plus belle des filles de Priam; il s'était engagé à chasser les Grecs de devant Troie; et, à cette condition, le vieux Priam lui avait promis sa fille. C'était dans l'espoir de remplir son engagement, qu'il se présentait au combat. » (Virgile)
Sic animis iuvenum favor additus. Inde, lupi ceu « Les paroles d'Énée changent en fureur le courage des jeunes Troyens : semblables à des loups ravisseurs que la faim intolérable et l'aveugle rage animent pendant la nuit sombre, tandis que leurs petits délaissés attendent vainement leur pâture; ainsi, au milieu des traits et des ennemis, nous courons à une mort certaine, en traversant la ville par son centre, tandis que la nuit obscure et profonde l'enveloppe de son ombre ». (Homère)
βῆ ῥ' ἴμεν ὥς τε λέων ὀρεσίτροφος, ὅς τ' ἐπιδευὴς « (Sarpédon) résolut de marcher contre les Grecs; il était semblable au lion nourri dans les montagnes, et à qui la pâture manque trop longtemps; son coeur généreux lui commande d'aller attaquer les brebis, jusque dans les bergeries les mieux gardées; c'est en vain qu'il trouve les bergers armés de piques, faisant la garde avec leurs chiens : il ne reviendra pas sans avoir fait une tentative; et, ou il enlèvera sa proie d'un premier bond, ou il sera blessé lui-même par un trait lancé d'une main rapide. » (Virgile)
Inprovisum aspris veluti qui sentibus anguem « Tel que celui qui, sans y songer, ayant marché sur un serpent caché sous des ronces, s'éloigne rapidement et en tremblant du reptile qui élève son cou bleuâtre, enflé par la colère tel, à peu près, Androgée, saisi de frayeur, reculait à notre aspect. » (Homère)
ὡς δ' ὅτε τίς τε δράκοντα ἰδὼν παλίνορσος ἀπέστη « Ainsi celui qui aperçoit un serpent s'enfuit à travers les broussailles de la montagne; il recule, la crainte engourdit ses membres, la pâleur couvre ses joues; ainsi Alexandre doué d'une divine beauté, se sauve au milieu des superbes Troyens, par la crainte que lui inspire lé fils d'Atrée. » (Virgile)
Qualis ubi in lucem coluber mala gramina pastus, « Semblable au serpent qui sort de sa retraite humide et obscure, où, à l'abri de l'hiver, il dévorait sous la terre sa vénéneuse nourriture; revêtu maintenant d'une nouvelle peau et brillant de jeunesse, il déroule au soleil sa robe écailleuse, et, placé sur un lieu escarpé, il fait vibrer sa langue armée d'un triple dard. » (Homère)
ὡς δὲ δράκων ἐπὶ χειῇ ὀρέστερος ἄνδρα μένῃσι « Comme le serpent féroce, enflammé de colère et rassasié de nourritures venimeuses, attend l'homme, se tenant placé dans un creux et se roulant dans cette obscure retraite, ainsi Hector, dans l'ardeur de son courage, refusait de se retirer. » (Virgile)
Non sic, aggeribus ruptis cum spumeus amnis « C'est avec moins de fureur que le fleuve écumant renverse ses bords, et, abandonnant son lit, triomphe des digues énormes qui lui a furent opposées, pour aller porter sa rage dans les campagnes, et entraîner les troupeaux avec les étables où ils sont renfermés. » (Homère)
ὡς δ' ὁπότε πλήθων ποταμὸς πεδίον δὲ κάτεισι « Ainsi, lorsque Jupiter fait tomber des torrents de pluie du haut des montagnes, le fleuve inonde la campagne, et entraîne avec lui, jusqu'à la mer, des chênes desséchés et des larys, avec une grande quantité de limon. » (Virgile)
Ter conatus ibi collo dare brachia circum: « Trois fois il tenta de le serrer entre ses bras, trois fois il n'embrassa qu'une ombre vaine qui s'échappait de ses mains, aussi légère que le vent, aussi volatile que la fumée. » (Homère)
τρὶς μὲν ἐφωρμήθην, ἑλέειν τέ με θυμὸς ἀνώγει, « Trois fois je me sentis le désir et je tentai de l'embrasser, et trois fois elle échappa de mes mains, comme une ombre ou comme un songe; et chaque fois je sentais la douleur s'aigrir davantage dans mon âme. »
CHAPITRE VI. Des passages du troisième et du quatrième livre de l'Énéide, qui sont pris dans Homère.
Une
seconde tempête que subit Énée, et celle que subit Ulysse, sont toutes deux décrites
longuement dans les deux poètes; mais elles commencent ainsi qu'il suit : Postquam altum tenuere rates, nec iam amplius ullae « Lorsque nos vaisseaux tinrent la haute mer, et que déjà aucunes terres..... » Et dans Homère ἀλλ' ὅτε δὴ τὴν νῆσον ἐλείπομεν, οὐδέ τις ἄλλη (Odyssée, XII) « Quand nous eûmes perdu de vue l'île, qu'on n'aperçut plus la terre, qu'on ne vit que le ciel et la mer, qui tous deux environnaient le vaisseau de leur sombre profondeur. » (Virgile)
Accipe et haec, manuum tibi quae monumenta mearum « Reçois de moi, jeune homme, ces dons, ouvrages de mes mains. » (Homère)
δῶρόν τοι καὶ ἐγώ, τέκνον φίλε, τοῦτο δίδωμι, « Fils chéri, je te fais ce don : il est l'ouvrage d'Hélène, conserve-le en sa mémoire. » (Virgile)
Tendunt vela Noti fugimus spumantibus undis, « Les matelots déploient les voiles, nous fuyons à travers les vagues écumantes, là où les vents et le pilote dirigent notre course. » (Homère)
αὐτίκα δ' ὅπλα ἕκαστα πονησάμενοι κατὰ νῆα « Pour nous, nous déposons nos armes et nous nous asseyons, tandis que les vents et le pilote dirigent le vaisseau. » (Virgile)
Dextrum Scylla latus, laevum inplacata Charybdis « A droite est placée Scylla, à gauche l'implacable Charybde; trois fois celle-ci engloutit les flots dans un profond abîme, et trois fois elle les revomit dans les airs et les fait jaillir jusqu'aux astres. Scylla, enfoncée dans le creux d'une caverne obscure, avance la tête hors de son antre, et attire les vaisseaux sur ces rochers. Ce monstre, depuis la tète jusqu'à la ceinture, est une femme d'une beauté séduisante; poisson monstrueux du reste de son corps, son ventre est celui d'un loup, et il se termine par une queue de dauphin. Il vaut mieux, en prenant un long détour, doubler le promontoire sicilien de Pachynum, que de voir seulement dans son antre profond la hideuse Scylla, et les rochers bleuâtres qui retentissent des hurlements de ses chiens. » En parlant de Charybde, Homère dit
δεινὸν ἀνερροίβδησε θαλάσσης ἁλμυρὸν ὕδωρ. « Le gouffre de Scylla d'un côté, de l'autre le gouffre immense de Charybde absorbaient les flots de la mer. Ces gouffres ressemblaient ; lorsqu'ils les vomissaient, à la chaudière placée sur un grand feu, dont l'eau murmure et s'agite jusqu'au fond; et la colonne d'eau qu'ils lançaient dans les airs allait se briser contre la pointe des rochers : mais quand ils engloutissaient de nouveau l'onde amère, la mer paraissait ébranlée jusque dans ses fondements, et mugissait horriblement autour du rocher, au pied duquel on apercevait un banc de sable bleuâtre; à cette vue les compagnons d’Ulysse pâlirent de crainte. » Il dit, en parlant de Scylla :
ἔνθα δ' ἐνὶ Σκύλλη ναίει δεινὸν λελακυῖα. « C'est là qu'habite Scylla, et qu'elle pousse ses vociférations. La voix de ce monstre affreux ressemble à celle de plusieurs chiens encore à la mamelle, et la présence même d'un dieu ne pourrait adoucir la tristesse de son aspect. Il a douze pieds, tous également difformes; six têtes horribles, placées chacune sur un cou allongé, et armées d'une triple rangée de dents nombreuses, serrées, et qui menacent de la mort; la moitié de son corps est cachée dans un antre, mais il porte la tête hors de cet horrible gouffre, et, parcourant les alentours du rocher, il pêche des dauphins, des chiens de mer, et les plus grands poissons que la bruyante Amphitrite nourrit en cet endroit. » (Virgile)
O mihi sola mei super Astyanactis imago! « O chère et unique image de mon fils Astyanax, voilà ses yeux, voilà ses mains, voilà le port de sa tête. » (Homère)
κείνου γὰρ τοιοίδε πόδες τοιαίδε τε χεῖρες « Tels étaient ses pieds, ses mains; tel était son regard, son visage, sa chevelure. » (Virgile)
Ter scopuli clamorem inter cava saxa dedere: « Trois fois les écueils firent retentir le creux des rochers, et trois fois l'écume brisée nous fit voir les astres dégoûtants de rosée. » (Homère)
τῷ δ' ὑπὸ δῖα Χάρυβδις ἀναρροιβδεῖ μέλαν ὕδωρ.
105 « Au pied de ce rocher, trois fois par jour Charybde engloutit l'onde noirâtre, et trois fois elle la vomit. » (Virgile)
— Qualis coniecta cerva sagitta, « Telle la biche qui errait sans précaution dans les forêts de Crète, est frappée par la flèche du pasteur qui s'exerçait à lancer des traits, et qui l’a atteinte à son insu ; elle fuit à travers les bois et les détours du mont Dictys, mais le trait mortel reste fixé dans ses flancs. » (Homère)
ἀμφ' ἔλαφον κεραὸν βεβλημένον, ὅν τ' ἔβαλ' ἀνὴρ « Le cerf blessé par la flèche du chasseur fuit tant qu'il conserve de la chaleur dans le sang, et de la force dans les membres. » (Virgile)
Dixerat. Ille patris magni parere parabat « Jupiter a parlé, et déjà Mercure se dispose à exécuter les ordres de son auguste père. Il ajuste d'abord à ses pieds ses brodequins d'or, dont les ailes le soutiennent dans les airs, et le portent avec la rapidité de la flamme au-dessus des terres et des mers. Il prend ensuite son caducée, dont il se sert pour évoquer des enfers les pâles ombres, ou pour les y conduire; pour donner et ôter le sommeil, et pour fermer la paupière des morts. Avec son secours, il gouverne les vents et traverse les plus épais nuages. » (Homère)
ὣς ἔφατ', οὐδ' ἀπίθησε διάκτορος ἀργεϊφόντης. « Jupiter parla ainsi, et le meurtrier d'Argus n'a garde de lui désobéir; il s'empresse de chausser ses magnifiques, ses divins brodequins d'or, qui le portent, aussi rapide que les vents, au-dessus de la mer, comme au-dessus de la vaste étendue de la terre; il prend cette verge avec laquelle il appesantit ou excite à son gré les yeux des mortels, et il fend les airs, la tenant dans les mains. » (Virgile)
Ac velut annoso validam cum robore quercum « Ainsi, lorsque, soufflant du haut des Alpes, les Aquilons attaquent de toutes parts le vieux chêne endurci par l'âge, et se disputent entre eux pour l'arracher, l'air siffle, et le tronc secoué couvre au loin la terre de ses feuilles; néanmoins l'arbre demeure attaché aux rochers, et autant sa cime s'élève vers le ciel, autant ses racines plongent vers les enfers. » (Homère)
οἷον δὲ τρέφει ἔρνος ἀνὴρ ἐριθηλὲς ἐλαίης « Tel l'olivier cultivé par l'agriculteur, dans un terrain préparé avec soin, où l'eau coule avec abondance, accessible au souffle de tous les vents, pousse, grandit, étend au loin son feuillage bleu; mais tout à coup le vent survient en tourbillonnant, renverse la tranchée qui l'environne, et le couche sur la terre. » (Virgile)
Et iam prima novo spargebat lumine terras « Déjà l'Aurore, quittant le lit pourpré de Tithon, répandait sur la terre ses premiers feux. » (Homère)
᾿Ηὼς δ' ἐκ λεχέων παρ' ἀγαυοῦ Τιθωνοῖο (Le même) ᾿Ηὼς μὲν κροκόπεπλος ἐκίδνατο πᾶσαν ἐπ' αἶαν, (Iliade, VIII, 1) « Cependant l'Aurore, revêtue d'un manteau de pourpre, répandait ses feux sur la terre. »
CHAPITRE VII. Des emprunts que Virgile a faits à Homère, dans les cinquième et sixième livres de l’Énéide. (Virgile)
Ut pelagus tenuere rates nec iam amplius ulla « Dès que les vaisseaux eurent gagné la haute mer, et qu'on n'aperçut plus autour de soi que le ciel et les eaux, un nuage grisâtre, chargé de ténèbres et de frimas, se forma au-dessus de nous, et vint épouvanter les ondes de son obscurité. » (Homère)
ἀλλ' ὅτε δὴ τὴν νῆσον ἐλείπομεν, οὐδέ τις ἄλλη « Quand nous eûmes perdu de vue l'île, qu'on n'aperçut plus la terre, qu'on ne vit plus que la mer et les cieux, qui se chargeaient de sombres nuées. » (Virgile)
Vinaque fundebat pateris, animamque vocabat « Énée répand des coupes remplies de vin; il évoque la grande âme d'Anchise, et ses mânes qui dorment dans l'Achéron. » (Homère)
οἶνον ἀφυσσόμενος χαμάδις χέε, δεῦε δὲ γαῖαν « Achille arrosait la terre de vin, en invoquant l'âme de l'infortuné Patrocle. » (Virgile)
Levibus huic hamis consertam auroque trilicem (Homère)
δώσω οἱ τόδ' ἄορ παγχάλκεον, ᾧ ἔπι κώπη « Je lui donnerai (et j'espère qu'il appréciera ce présent) une cuirasse d'airain que j'ai enlevée à Astérope, et dont le contour est revêtu d'ornements d'étain poli. »
La lutte des coureurs est semblable dans les deux poètes. Comme elle comprend
dans chacun, un grand nombre de vers, le lecteur pourra comparer ces deux
morceaux semblables. Elle commence comme il suit Haec ubi dicta, locum capiunt, signoque repente. « Énée ayant ainsi parlé, ils prennent place; et au signal donné... » (Homère) στὰν δὲ μεταστοιχί, σήμηνε δὲ τέρματ' ᾿Αχιλλεὺς (Iliade, XXIII) « Ils se rangèrent en ordre; Achille leur montra les bornes de la carrière... » La lutte du pugilat commence ainsi dans Virgile Constitit in digitos extemplo adrectus uterque « A l'instant, chacun se dresse sur la pointe des pieds. » Et dans Homère :
τὼ δὲ ζωσαμένω βήτην ἐς μέσσον ἀγῶνα, « Alors les deux champions, levant ensemble l'un contre l'autre leurs mains robustes , s'accrochent en même temps, et entrelacent leurs doigts nerveux. »
Si l'on veut comparer la lutte à l'exercice de l'arc, voici où elle commence
dans les deux poètes: Protinus Aeneas celeri certare sagitta. « Aussitôt Énée invite ceux qui voudront disputer d'adresse à tirer de l'arc. » (Homère) αὐτὰρ ὃ τοξευτῇσι τίθει ἰόεντα σίδηρον, « Il fait distribuer aux tireurs d'arc un fer propre à servir de trait, dix haches à deux tranchants, et autant de demi-haches. »
Il aura suffi d'indiquer le commencement de ces narrations étendues, pour
mettre le lecteur à même de vérifier les imitations.
Dixerat, et tenues fugit ceu fumus in auras.
« Il dit et disparaît, comme la fumée légère s'efface dans les cieux.
» (Homère)
"ὣς ἔφατ', αὐτὰρ ἐγώ γ' ἔθελον φρεσὶ μερμηρίξας
205
« Ainsi parla (Anticlée). Moi, j'eus la pensée d'embrasser l'âme de ma mère
défunte; trois fois je le tentai , et trois fois elle échappa de mes mains,
comme une ombre ou comme un songe. » La sépulture de Palinure est imitée de celle de Patrocle. L'une commence par ce vers (dans Virgile) Principio pinguem taedis et robore secto « D'abord ils élevèrent un bûcher formé de bois résineux et de chênes fendus. » L'autre, par celui-ci (dans Homère) οἳ δ' ἴσαν ὑλοτόμους πελέκεας ἐν χερσὶν ἔχοντες (Iliade, XXIII) « Ils allèrent avec des haches couper le bois nécessaire. » Et plus loin : ποίησαν δὲ πυρὴν ἑκατόμπεδον ἔνθα καὶ ἔνθα, (Iliade, XXIII) « Ils élevèrent un bûcher de cent pieds carrés, et, la douleur dans le coeur, ils placèrent dessus le cadavre de Patrocle. »
Quelle similitude dans les insignes des deux tombeaux !
At pius Aeneas ingenti mole sepulchrum « Énée fit élever un grand tertre-au-dessus du tombeau de Misène ; il le décora de ses armes, d'une rame et d'une trompette. Ce monument a donné son nom à la haute montagne sur laquelle il est placé, et elle le conservera dans tous les siècles. » (Homère)
αὐτὰρ ἐπεὶ νεκρός τ' ἐκάη καὶ τεύχεα νεκροῦ, « Après que le cadavre et les armes d'Elpénor eurent été brûlés, qu'on eut formé un tertre sur son tombeau et érigé une colonne au-dessus, nous posâmes encore en haut un monument, et une rame artistement travaillée. » (Virgile) Tunc consanguineus Leti Sopor. « Alors le Sommeil, frère de la Mort... » (Homère) ἔνθ' ῞Υπνῳ ξύμβλητο κασιγνήτῳ Θανάτοιο, (Iliade, XIV) « Junon joignit en cet endroit le Sommeil, frère de la Mort. » (Virgile)
Quod te per caeli iucundum lumen et auras « Je t'en conjure au nom de la douce lumière du ciel et de l'air que tu respires, au nom de ton père et de ton fils Iule, ta plus douce espérance, tire-moi, ô héros, de l'état où je suis, et fais jeter un peu de terre sur mon corps; tu le peux facilement, en allant la chercher au port de Véïes. » (Homère)
νῦν δέ σε τῶν ὄπιθεν γουνάζομαι, οὐ παρεόντων, « Je te conjure au nom de tes ancêtres qui ne sont plus, au nom de ton épouse et du père qui a pris soin de ton enfance, au nom de Télémaque ton fils unique, que tu as laissé dans ton palais; je te conjure, ô roi, de te souvenir de moi lorsque tu seras parvenu dans l'île d'Ea, où je sais que tu vas diriger ton vaisseau, en quittant le domaine de Pluton; ne me laisse plus désormais sans deuil et sans sépulture, de peur que je n'attire sur toi la colère des dieux, mais brûle mon cadavre avec toutes les armes qui m'ont appartenu; sur les bords de la mer écumeuse, élève-moi un tombeau qui apprenne mes malheurs à la postérité, et place au-dessus une rame, instrument dont je me servais, quand je partageais l'existence avec mes compagnons. » (Virgile)
Nec non et Tityon, Terrae omniparentis alumnum, « On voyait aussi dans ce lieu Tityus, fils de la Terre, dont le corps étendu couvre neuf arpents de surface. Un insatiable vautour déchire avec son bec crochu, son foie indestructible, ses entrailles sans cesse renaissantes pour son supplice; et, se repaissant dans l'ouverture de sa poitrine, qui lui sert d'asile, il en dévore incessamment les chairs à mesure qu'elles se reproduisent. » (Homère)
καὶ Τιτυὸν εἶδον, Γαίης ἐρικυδέος υἱόν, « J'ai vu Tityus, fils orgueilleux de la Terre, renversé sur le sol dont il couvrait neuf arpents; des vautours l'entouraient de tous côtés, et, pénétrant dans ses entrailles, allaient lui ronger le foie, sans que ses mains pussent les repousser. C'était en punition de ce qu'il avait osé faire violence à Latone, illustre épouse de Jupiter, lorsqu'elle traversait les riantes campagnes de Panope pour se rendre à Delphes... » (Virgile)
Non, mihi si linguae centum sint oraque centum, « Quand j'aurais cent bouches et cent langues, avec une voix de fer, je ne pourrais vous décrire leurs diverses espèces de crimes, et raconter, seulement en les nommant, leurs divers supplices. » (Homère)
πληθὺν δ' οὐκ ἂν ἐγὼ μυθήσομαι οὐδ' ὀνομήνω, « Je ne pourrais nommer seulement les nombreux chefs des Grecs, quand j'aurais dix langues et dix bouches, une voix infatigable et une poitrine d'airain. »
CHAPITRE VIII. Des vers des septième et huitième livres de l'Énéide qui sont pris dans Homère. (Virgile)
Hinc exaudiri gemitus iraeque leonum « On entendait gémir dans son île des lions furieux qui luttaient contre leurs liens, et rugissaient dans l'horreur des ténèbres; des sangliers et des ours qui poussaient des hurlements monstrueux, semblables à ceux des loups, dans les étables où ils étaient renfermés : c'étaient des hommes que la cruelle Circé avait dépouillés de leur forme, pour les métamorphoser en animaux féroces. » (Homère)
εὗρον δ' ἐν βήσσῃσι τετυγμένα δώματα Κίρκης « Dans un vallon agréable, ils trouvèrent la maison de Circé, bâtie en pierres polies, autour de laquelle erraient des lions et des loups des montagnes, que la magicienne avait apprivoisés par ses enchantements. » (Virgile)
Quid petitis? quae causa rates aut cuius egentes « Que demandez-vous? quels motifs ou quels besoins vous ont conduits, à travers tant de mers, sur les rivages de l'Ausonie? Vous seriez-vous égarés de votre route, ou bien quelque tempête telle qu'on en essuie souvent sur mer..... » (Homère)
ἤ τι κατά πρῆξιν ἦ μαψιδίως ἀλάλησθε « O étranger ! qui êtes-vous? Quel est le but de votre navigation? est-ce quelque affaire? ou bien errez-vous à l'aventure, comme les pirates qui vont exposant leur vie, pour nuire à autrui? » (Virgile)
Ceu quondam nivei liquida inter nubila cycni « Ainsi, au retour du pâturage, les cygnes au plumage blanc font retentir les nues qu'ils traversent de leurs chants mélodieux, que répètent au loin les bords du Caïstre et du lac Asia. » (Homère)
τῶν δ' ὥς τ' ὀρνίθων πετεηνῶν ἔθνεα πολλὰ « Ainsi de grandes troupes d'oiseaux, d'oies sauvages, de grues ou de cygnes au long col et au blanc plumage, voltigent, en déployant leurs ailes, sur les prairies de l'Asia et sur les bords du fleuve Caïstre, et font retentir la campagne de leurs nombreux gazouillements. » (Virgile)
Illa vel intactae segetis per summa volaret « Elle aurait pu voler sur la surface d'un champ couvert d'une riche moisson, sans blesser dans sa course les fragiles épis; ou courir au milieu des mers, en glissant sur les vagues, sans mouiller seulement la plante de son pied rapide. » (Homère)
αἳ δ' ὅτε μὲν σκιρτῷεν ἐπὶ ζείδωρον ἄρουραν, « Tantôt ces cavales bondissaient sur la terre féconde, tantôt elles couraient dans les champs au-dessus des épis mûrs, sans les briser, et tantôt elles s'abattaient sur la vaste surface des ondes amères. » (Virgile)
Vescitur Aeneas simul et Troiana iuventus
« On sert à Énée et aux Troyens, ses compagnons, le
dos entier d'un boeuf, et des viandes offertes sur l'autel. » (Homère)
νώτοισιν δ' Αἴαντα διηνεκέεσσι γέραιρεν
« Le roi Agamemnon leur donna un boeuf de cinq ans,
consacré à Saturne. » (Virgile)
Evandrum ex humili tecto lux suscitat alma, « Évandre est éveillé dans son humble habitation par le retour heureux de la lumière, et par le chant matinal des oiseaux nichés sous son toit. Le vieillard, se lève, couvre son corps d'une tunique, et attache à ses pieds les cordons de la chaussure tyrrhénienne; il met ensuite sur son épaule un baudrier, d'où pend à son côté une épée d'Arcadie; une peau de panthère tombe de son épaule gauche sur sa poitrine; deux chiens, ses fidèles gardiens, sortent avec lui de la maison, et accompagnent leur maître. » (Homère)
ὤρνυτ' ἄρ' ἐξ εὐνῆφι βοὴν ἀγαθὸς Μενέλαος « Il s'assied, il revêt une tunique neuve et brillante, et par-dessus un vaste manteau, il attache sur ses jambes lavées une chaussure élégante, et il ceint son épée ornée d'anneaux d'argent. » (Le même)
βῆ ῥ' ἴμεν εἰς ἀγορήν, παλάμῃ δ' ἔχε χάλκεον ἔγχος, « Il s'avance vers l'assemblée, tenant sa lance à la main; il n'était pas seul, ses deux chiens blancs le suivaient. » (Virgile)
O mihi praeteritos referat si Iuppiter annos, « Oh! si Jupiter me rendait mes premières années, alors que pour la première fois, vainqueur sous les murs. de Préneste, je détruisis une armée et je brûlai des monceaux de boucliers, après avoir de ma propre main envoyé dans les enfers le roi Hérilus, auquel Féronie, sa mère, par un prodige étonnant, avait donné trois vies. Il fallut le vaincre trois fois et trois fois lui donner la mort, ce que mon bras sut accomplir. » (Homère)
αἲ γὰρ Ζεῦ τε πάτερ καὶ ᾿Αθηναίη καὶ ῎Απολλον « Plût aux dieux que je fusse jeune et vigoureux, comme lorsque la guerre s'alluma entre nous et les Éléens, à l'occasion de l'enlèvement d'un troupeau de boeufs: je tuai Itymon et le vaillant Hypirochide, habitant de l'Elide, qui les amenait chez lui; ce dernier, en les défendant, tomba des premiers, frappé par un trait lancé de ma main. » (Virgile)
Qualis ubi oceani perfusus Lucifer unda, « Telle l'étoile du matin, dont Vénus chérit particulièrement les feux, élève dans les cieux son disque sacré, et dissipe les ténèbres. » (Homère)
οἷος δ' ἀστὴρ εἶσι μετ' ἀστράσι νυκτὸς ἀμολγῷ « Telle Vesper, la plus brillante étoile du firmament, se distingue entre toutes les autres pendant une nuit calme. » (Virgile)
En perfecta mei promissa coniugis arte « Voici le don précieux que je t’ai promis, les armes faites de la main de mon époux : désormais ne crains pas, ô mon fils, de défier au combat les superbes Laurentins et l'audacieux Turnus. Vénus dit; et embrassant son fils, elle dépose devant lui, au pied d'un chêne, les armes étincelantes. » (Homère)
τύνη δ' ῾Ηφαίστοιο πάρα κλυτὰ τεύχεα δέξο « Vulcain, après avoir fabriqué pour Achille un vaste et solide bouclier, lui fit encore une cuirasse plus éclatante que la flamme; il lui fit aussi un casque pesant, et qui s'adaptait exactement sur la tempe; il était d'ailleurs habilement ciselé en or; il lui fit encore des brodequins d'étain ductile : après qu’il eut terminé toutes ces armes, il vint les apporter à la mère d'Achille. » (Virgile)
Ille deae donis et tanto laetus honore « Le héros, charmé de l'insigne honneur que lui font les présents de la déesse, ne peut se rassasier de les regarder, de les examiner en détail, et de les tenir dans ses mains. » (Homère) τέρπετο δ' ἐν χείρεσσιν ἔχων θεοῦ ἀγλαὰ δῶρα. (Iliade, XIX, 18) « Il jouissait de tenir dans ses mains les dons magnifiques du dieu; et après en avoir admiré à son gré l'admirable fabrication... »
CHAPITRE IX. Des passages du neuvième livre de l'Énéide qui sont pris dans Homère. (Virgile)
Iri, decus caeli, quis te mihi nubibus actam « Iris, vous l'ornement de l'Olympe, quelle divinité vous fait traverser les airs, pour descendre vers moi sur la terre? » (Homère) ῏Ιρι θεὰ τίς γάρ σε θεῶν ἐμοὶ ἄγγελον ἧκε; (iliade, XVIII) « O déesse Iris, quel dieu vous a envoyée vers moi? » (Virgile)
Nec solos tangit Atridas « Les Atrides ne sont pas les seuls qui aient essuyé un pareil outrage. » (Homère)
ἦ μοῦνοι φιλέουσ' ἀλόχους μερόπων ἀνθρώπων « La belle Hélène n'est-elle pas la cause pour laquelle les Atrides ont amené ici l'armée des Grecs? Mais les Atrides ne sont pas les seuls des humains qui aiment leurs femmes. » (Virgile)
Sed vos, o lecti, ferro quis scindere vallum « Quels sont les braves qui s'apprêtent à briser ce faible retranchement, et à pénétrer avec moi dans un camp déjà épouvanté? » (Homère)
ὄρνυσθ' ἱππόδαμοι Τρῶες, ῥήγνυσθε δὲ τεῖχος « Avancez hardiment, cavaliers troyens; renversez le mur qui défend les Grecs, et jetez la flamme dévorante sur leurs vaisseaux. » (Virgile)
Quod superest, laeti bene gestis corpora rebus « Employez soigneusement ce qui reste du jour à réparer vos forces, après de si heureux succès, et préparez-vous à donner l'assaut demain. » (Homère)
νῦν δ' ἔρχεσθ' ἐπὶ δεῖπνον,
ἵνα ξυνάγωμεν ῎Αρηα. (Iliade, XIX, 275) (Virgile)
Sic ait inlacrimans: humero simul exuit ensem « Ainsi parle Ascagne, les larmes aux yeux ; en même temps il délie de dessus son épaule son épée d'or, renfermée dans un fourreau d'ivoire, ouvrage admirable de Lycaon, artiste de Gnosse. Mnestée donne à Nisus la peau velue d'un lion, et le fidèle Aléthès échange son casque avec lui. » (Homère)
Τυδεΐδῃ μὲν δῶκε μενεπτόλεμος Θρασυμήδης « Le fils de Tydée avait laissé sur la flotte son épée et son bouclier; le puissant guerrier Thrasymède lui donne la sienne, qui était à deux tranchants, et le couvre de son casque, qui avait la forme d'une tête de taureau, mais sans ornement ni crinière. Ulysse, d'un autre côté, donne à Mérion son carquois, son arc et son épée. » (Virgile)
Protinus armati incedunt, quos omnis euntes « Ces deux guerriers ainsi armés partent, accompagnés jusqu'aux portes par l'élite des jeunes gens et des vieillards, qui forment des voeux pour eux ainsi que le bel Iule. » (Homère)
τὼ δ' ἐπεὶ οὖν ὅπλοισιν ἔνι δεινοῖσιν ἐδύτην, « Après les avoir revêtus de ces armes redoutables, les chefs de l'armée les laissèrent partir. » (Virgile)
Egressi superant fossas, noctisque per umbram « Au sortir des portes, ils franchissent les fossés, et, à la faveur des ombres de la nuit, ils entrent dans le camp ennemi, où ils commencent par donner la mort à un grand nombre de guerriers; ils trouvent les soldats étendus çà et là sur l'herbe, et plongés dans le vin et dans le sommeil; ils voient les chars dételés le long du rivage, et les conducteurs couchés au milieu des harnais et des roues; des armes étaient par terre, à côté de vases remplis de vin. Le fils d'Hyrtacide prenant le premier la parole : Euryale, dit-il, il faut signaler notre audace; en voilà l'occasion, en voici le moment. Toi, prends garde, et observe au loin, qu'aucune troupe ne vienne nous prendre par derrière; moi, je vais ravager ce quartier, et t'ouvrir un large passage. » (Homère)
τὼ δὲ
βάτην προτέρω
διά τ' ἔντεα καὶ
μέλαν αἷμα, 470 « Ils s'avancent à travers les armes et le sang; ils arrivent d'abord dans les rangs des Thraces, qui dormaient accablés de fatigue; à côté d'eux étaient posées à terre et sur trois rangs leurs armes brillantes. » Et peu après « Les chevaux de Rhésus étaient rangés en demi-cercle, et attachés par la bride autour du siège où il dormait. Ulysse l'aperçut le premier, et le fit voir à Diomède. Diomède, lui dit-il, voilà celui que nous a désigné Dolon, que nous avons tué; voilà ses chevaux; c'est le moment d'user de ta force; mais avant d'employer les armes, il faut délier les chevaux; ou bien je vais le faire, tandis que tu frapperas leur maitre. » (Virgile) Sed non auguriis poterat depellere pestem. « Mais la connaissance qu'il avait de l'art des augures ne put garantir Rhamnès de la mort. » (Homère) ἀλλ' οὐκ οἰωνοῖσιν ἐρύσατο κῆρα μέλαιναν, (Iliade, VIII, 859) « La science des augures ne servit point à Eunomus pour éviter la cruelle mort ». (Virgile)
Et iam prima novo spargebat lumine terras « Déjà l'Aurore, quittant le lit pourpré de Tithon, répandait sur la terre ses premiers feux. » (Homère)
᾿Ηὼς δ' ἐκ λεχέων παρ' ἀγαυοῦ Τιθωνοῖο « L'Aurore quittait le lit du beau Tithon pour porter la lumière aux dieux et aux mortels.»
La mère d'Euryale, qui, à l'affreuse nouvelle de la mort de son fils, jette sa
quenouille et ses fuseaux, et court, échevelée et poussant des hurlements,
vers les remparts et vers l'armée, pour y répandre sa douleur en plaintes et
en lamentations, est une imitation complète d'Andromaque pleurant la mort de
son époux. « Andromaque ayant ainsi parlé se mit à courir dans le palais, essoufflée et hors d'elle-même; ses servantes la suivaient; mais lorsque, parvenue, à là tour où étaient les soldats, elle jeta les yeux en bas de la muraille, et qu'elle aperçut Hector, que les rapides coursiers traînaient autour de la ville... » (Virgile) O vere Phrygiae, neque enim Phryges. « Allez, Phrygienne (car vous ne méritez point le nom de Phrygien), allez sur la montagne. » (Homère) Ὦ πέπονες, κάκ᾽ ἐλέγχε, Ἀχαιΐδες, οὐκέτ᾽ Ἀχαιοί. « O lâcheté, ô honte! Femmes! car vous ne méritez pas le nom de Grecs. » (Virgile)
Quos alios muros aut quae iam moenia habetis? « Quels murs, quels autres remparts avez-vous? Quoi ! un homme, ô mes concitoyens, enfermé de toute part dans vos retranchements aura fait impunément un tel massacre dans la ville, et précipité dans les enfers tant de jeunes guerriers? Votre malheureuse patrie, vos antiques dieux, le grand Énée, lâches, ne réveilleront-ils pas en vous la honte et la douleur? » (Homère)
ὦ φίλοι ἥρωες Δαναοὶ θεράποντες ῎Αρηος « Pensez-vous que nous ayons des auxiliaires derrière nous, ou quelque mur inébranlable qui repousse les attaques de nos ennemis? Nous n'avons pas près de nous une ville fortifiée, où nous puissions nous défendre, secourus par une population entière; nous sommes au contraire renfermés par la mer dans le pays des Troyens, qui le défendent bien armés. »
CHAPITRE X. Des emprunts que Virgile a faits à Homère dans les autres livres de l'Énéide. (Virgile)
Tela manu iaciunt: quales sub nubibus atris « Ils lancent leurs traits, et tels que les grues, regagnant les bords du Strymon, se donnent entre elles des signaux au milieu des nuées épaisses, et, traversant les airs avec bruit, fuient les vents du midi en poussant des cris d'allégresse. » (Homère)
ἠΰτε περ κλαγγὴ γεράνων πέλει οὐρανόθι πρό· « Les Troyens s'avançaient en poussant des cris, semblables aux troupes de grues qui, après avoir fui l'hiver et ses longues pluies, retournent en criant vers l'embouchure des fleuves qui descendent dans l'Océan. » (Virgile)
Ardet apex capiti, cristique ac vertice flamma « Le casque d'Énée jette sur sa tête un éclat étincelant; la crinière s'agite, semblable à la flamme, et son bouclier d'or vomit au loin des éclairs. Telle une comète lugubre lance ses feux rougeâtres au sein d'une nuit sans nuage; ou tel le brûlant Sirius se lève pour apporter aux mortels consternés la sécheresse et les maladies, et attriste le ciel même de sa funeste lumière. » (Homère)
τὸν δ' ὃ γέρων Πρίαμος πρῶτος ἴδεν ὀφθαλμοῖσι « Le casque et le bouclier de Diomède jetaient autour de lui la flamme, semblables, à l'étoile d'automne, qui brille davantage alors qu'elle se plonge dans l'Océan. Ainsi rayonnaient sa tête et sa poitrine. » (Le même) « Achille s'avançait, semblable à l'étoile brillante d'automne, appelée le Chien d'Orion, dont les rayons étincellent entre ceux de tous les autres astres, au milieu d'une nuit sereine; mais cette lumière brillante est un signe de deuil, qui ne promet que la mort aux tristes mortels. » (Virgile)
Stat sua cuique dies: breve et inreparabile tempus « Chacun a son jour marqué; le temps de la vie est court et irréparable. » (Homère)
μοῖραν δ'
οὔ τινά φημι
πεφυγμένον
ἔμμεναι
ἀνδρῶν, « Il n'est, je pense, aucun des humains, et le fort pas plus que le faible, qui évite le destin qui lui fut assigné en naissant. » (Le même)
αἰνότατε Κρονίδη ποῖον τὸν μῦθον ἔειπες. « Quelles paroles inconsidérées dis-tu, ô fils de Saturne? Veux-tu soustraire un mortel à la triste mort qui lui est depuis longtemps réservée par le destin : » (Virgile) Fata vocant, metasque dati pervenit ad aevi. « Ses destinées l'appellent, Turnus touche à la borne des jours qui lui furent accordés. » (Homère)
Μοῖραν δ᾽ οὔτινά
φημι πεφυγμένον ἔμμεναι ἀνδρῶν, « Le destin funeste de Pésandre le conduisit à la mort ». (Virgile)
Per patrios manes, per spes surgentes Iuli, « Au nom des mânes de votre père, au nom d'Iule, votre espoir naissant, conservez-moi la vie pour mon père et pour mon fils. Je possède une belle maison; des objets en argent ciselé, de la valeur de plusieurs talents y sont enfouis; j'ai encore beaucoup d'or brut et ouvré. La victoire des Troyens n'est pas attachée à mon existence, et un homme de plus ne changera rien aux événements. A ces paroles de Magus Énée répond : Garde pour tes enfants ces talents d'or et d'argent dont tu me parles; Turnus a le premier, en tuant Pallas, banni de cette guerre ces sortes de transactions ; ainsi le veut Iule, ainsi le veulent les mânes de mon père Anchise. En disant ces mots, il lui saisit le casque de la main gauche, et, renversant eu arrière la tête du suppliant, il lui enfonce dans le sein son épée jusqu'à là garde. » (Homère)
ζώγρει ᾿Ατρέος υἱέ, σὺ δ' ἄξια δέξαι ἄποινα· « Fils d'Atrée, fais-moi prisonnier, et accepte pour ma délivrance une rançon convenable. II y a de grandes richesses et des objets précieux dans la maison de mon père; de l'or, de l'airain, des ouvrages en fer, dont mon père te donnera certainement une grande quantité, s'il apprend que je vis encore sur les vaisseaux des Grecs. » (Virgile)
Inpastus stabula alta leo ceu saepe peragrans, « Tel, souvent, le lion parcourt à jeun de vastes pâturages, entraîné par la faim dévorante : s'il aperçoit un chevreuil timide ou un cerf qui dresse son bois, il ouvre, dans le transport de sa joie, une gueule effrayante, hérisse sa crinière, et, fondant sur sa proie, lui déchire les entrailles et s'abreuve de son sang. C'est avec une pareille impétuosité que Mézence se précipité sur les épais bataillons de l'ennemi. » (Homère)
ὥς τε λέων ἐχάρη μεγάλῳ ἐπὶ σώματι κύρσας « Comme le lion affamé se réjouit à la vue d'une proie considérable, telle qu'un cerf ou qu'un chevreuil, et la dévore avidement, malgré qu'il soit poursuivi par des chiens rapides et par des jeunes gens courageux; ainsi tressaillit de joie Ménélas en apercevant le bel Alexandre, sur lequel il se promettait de venger son injure. » (Le même)
βῆ ῥ' ἴμεν ὥς τε λέων ὀρεσίτροφος, ὅς τ' ἐπιδευὴς
300 « Sarpédon résolut de marcher contre les Grecs. Il était semblable au lion nourri dans les montagnes, et à qui la pâture manqua trop longtemps : son coeur généreux lui commande d'aller attaquer les brebis jusque dans les bergeries lés mieux gardées; c'est en vain qu'il trouve les bergers armés de piques, faisant la garde avec leurs chiens : il ne reviendra pas sans avoir essayé une tentative, et ou bien il enlèvera la proie du premier bond, ou bien il sera blessé lui-même par un trait lancé d'une main rapide. Un pareil mouvement de courage poussait dans ce moment Sarpédon à attaquer la muraille, et à se précipiter dans les retranchements. » (Virgile) Spargitur et tellus lacrimis, spargantur et arma. « La terre et leurs armes sont mouillées de leurs pleurs.» (Homère)
Δεύοντο ψάμαθοι, δεύοντο δὲ τεύχεα φωτῶν
« Leurs armes et le rivage étaient arrosés de leurs larmes. » (Virgile)
Cingitur ipse furens certatim in
praelia Turnus: « Le bouillant Turnus s'empresse aussi de s'armer pour le combat; déjà il avait revêtu une cuirasse rutule, formée d'écailles d'airain, et il avait chaussé ses brodequins dorés; déjà son épée traînait à son côté; et, la tête encore découverte, il accourait du haut de la citadelle tout éclatant d'or. » (Homère)
Ὣς φάτο· Πάτροκλος δὲ κορύσσετο νώροπι χαλκῷ. « Ainsi parla Achille, et cependant Patrocle se revêtait d'un airain brillant; il commença par chausser des brodequins magnifiques, attachés par des crochets d'argent; après cela il couvrit sa poitrine de la cuirasse brillante et semée d'étoiles du fils bouillant d'Éacus; il suspendit à son épaule son épée d'airain, ornée d'anneaux d'argent, son bouclier solide et vaste et plaça sur sa tête son casque artistement travaillé, orné d'une crinière de cheval et d'une aigrette menaçante. » (Virgile)
Purpureus
veluti cum flos succisus aratro « Ainsi se fane et meurt la fleur pourprée, déchirée par le tranchant de la charrue; ou telle la tige fatiguée du pavot plie sous le poids des gouttes de la pluie. » (Homère)
Μήκων δ᾽ ὡς ἑτέρωσε κάρη βάλεν, ἥτ᾽ ἐνὶ κήπῳ « Comme le pavot des jardins fléchit sa tête altière sous le poids de ses graines et des eaux pluviales, ainsi Gorgythion incline sa tête frappée. »
CHAPITRE XI. Des passages de Virgile empruntés à Homère, et où il semble être resté supérieur.
Je
laisse au jugement des lecteurs à décider ce qu'ils doivent prononcer après
la comparaison des passages des deux auteurs que je viens de citer. Pour moi, si
l'on me consulte, j'avouerai que je trouve que Virgile a été quelquefois plus
développé en traduisant, comme dans le passage suivant :
Qualis apes aestate nova per florea rura « Telle est, dans les campagnes fleuries, l'active ardeur que déploient les abeilles aux premiers rayons du soleil de l'été, lorsqu'elles traînent leurs nymphes hors de la ruche, ou qu'elles travaillent à épaissir leur miel trop liquide, et qu'elles distribuent dans leurs cellules ce doux nectar. Les unes reçoivent les fardeaux de celles qui arrivent, d'autres se réunissent en troupe pour repousser loin de leurs ruches des essaims paresseux de frelons. Le travail se poursuit avec ardeur, et le miel embaume l'air de l'odeur du thym dont il est composé. » (Homère)
ἠΰτε ἔθνεα εἶσι μελισσάων ἁδινάων « Comme on voit entrer et sortir incessamment un grand nombre d'abeilles, à l’ouverture du creux de la pierre où s'est fixé leur essaim, tandis que d'autres volent en groupe sur des fleurs printanières, et que d'autres errent dispersées; ainsi de nombreuses troupes de Grecs sortaient de leurs tentes et de leurs vaisseaux, et se répandaient sur la vaste étendue du rivage, se rendant à l'assemblée. »
Vous voyez que Virgile a décrit les abeilles au travail, qu'Homère les a dépeintes
errantes; l'un s'est contenté de dépeindre le vol incertain et égaré de
leurs essaims , tandis que l'autre exprime l'art admirable que leur enseigna la
nature.
O socii, neque enim ignari sumus ante malorum, « O mes compagnons, le ciel, qui permit autrefois que nous éprouvassions le malheur, donnera un terme à celui que nous subissons aujourd'hui, comme à ceux, plus grands encore, dont il nous a délivrés. Vous avez évité les rochers des Cyclopes, vous avez entendu les fureurs de Scylla, et vous avez approché de ses écueils mugissants : ranimez donc votre courage, repoussez les tristes frayeurs; peut-être un jour vous éprouverez quelque volupté à rappeler ces choses. » (Homère)
" 'ὦ φίλοι, οὐ γάρ πώ τι κακῶν ἀδαήμονές εἰμεν· « O mes amis, sans doute rien ne nous garantit que nous échapperons au danger; mais nous en avons vu de plus grands lorsque le Cyclope redoutable nous enfermait dans cette sombre caverne, d'où mon courage, ma prudence et mon adresse nous ont retirés; j'espère que quelque jour nous nous en ressouviendrons. » Ulysse ne rappelle à ses compagnons qu'une seule infortune; Énée leur fait espérer la fin de leur souffrance présente, par l'exemple d'une double délivrance. D'ailleurs Homère a dit d'une manière un peu obscure — Καί που τῶνδε μνήσεσθαι ὀϊω, « J'espère que quelque jour nous nous en ressouviendrons. » Tandis que Virgile a dit plus clairement Forsan et haec olim meminisse iuvabit « Peut-être un jour vous éprouverez quelque volupté à rappeler ces choses: »
Ce que votre poète ajoute ensuite offre des motifs de consolation bien plus
puissants. Il encourage ses compagnons, non seulement par des exemples de salut,
mais encore par l'espoir d'un bonheur futur, en leur promettant pour récompense
de leurs travaux, non pas seulement des demeures paisibles, mais encore un
empire.
Ac veluti summis antiquam in montibus ornum « Tel, au haut de nos montagnes, l'orme antique résiste aux coups redoublés des bûcherons qui s'efforcent de l'arracher; il conserve encore son attitude superbe, et agite seulement les branches qui forment sa cime; mais enfin, miné peu à peu par les coups, il fait entendre a lé dernier craquement, et déchire par sa chute le sein de la montagne. » (Homère)
ἤριπε δ' ὡς ὅτε τις δρῦς ἤριπεν ἢ ἀχερωῒς « Asius tombe, semblable au chêne, ou au peuplier à la feuille blanchâtre, ou au pin élevé que les charpentiers abattent pour en faire des bois de construction, avec des haches fraîchement aiguisées. »
Votre poète a exprimé avec beaucoup de soin la difficulté de couper un
gros arbre, tandis que l'arbre d'Homère est coupé sans qu'il soit question
d'aucun effort.
Haud segnis strato surgit Palinurus et omnes « Le diligent Palinure se lève polir observer les vents; et prête l'oreille à leur bruit; il explore les astres qui déclinent silencieusement sur l'horizon, l'Arcture, les Hyades pluvieuse; les deux Ourses, et l'armure dorée d'Arion. » (Homère)
αὐτὰρ ὁ πηδαλίῳ ἰθύνετο τεχνηέντως « Assis au gouvernail, Ulysse le dirigeait lui-même avec habileté; le sommeil n'appesantissait point ses paupières; mais il observait les Pléiades, le Bootès qui se couche à l'occident, l'Arctos (l'Ourse), surnommée encore le Char, qui roule du même côté et qui regarde Orion, laquelle est la seule des constellations qui soit sur l'Océan, un infaillible garant contre les tempêtes. »
Le pilote qui étudie le ciel doit lever fréquemment la tête, pour chercher
des signes de sécurité dans les diverses régions d'un horizon serein. Virgile
a rendu admirablement, il a pour ainsi dire, peint et coloré cette action: En
effet, l'Arcture est située vers le septentrion; le Taureau. dans lequel sont
placées les Hyades, est situé, ainsi qu'Orion, dans la partie méridionale du
ciel. Virgile indique les divers mouvements de tête de Palinure, par l'ordre
dans lequel il énumère ces constellations. Il nomme d'abord l'Arcture;
Palinure est donc tourné vers le septentrion; les Hyades pluvieuses, Palinure
se tourne vers le midi; les deux Ourses, il se retourne vers le septentrion.
Enfin, il observe (circumspicit) l'armure dorée d'Orlon : Palinure se
tourne de nouveau vers le midi. De plus, le mot circumspicit (il regarde
autour) peint un homme qui se tourne alternativement de différents côtés. Homère
se contente de fixer une seule fois les yeux de son pilote sur les Pléiades,
qui sont situées dans la région australe, et sur le Bootès et l'Arctos; qui
sont placés au pôle septentrional.
Nec tibi diva parens, generis
nec Dardanus auctor, « Non, perfide, tu n'es point le fils d'une déesse, et Dardanus ne fut point ton père; mais le Caucase t'enfanta dans ses affreux rochers, et tu as sucé le lait des tigresses d'Hyrcanie. » (Homère)
Νηλεές· οὐκ ἄρα σοί γε πατὴρ ἦν
ἱππότα Πηλεὺς, « Cruel, certainement Pélée ne fut point ton père, ni Thétis ta mère; mais c'est la mer qui t'a engendré. » Virgile, dans ce passage, ne se contente point, comme le poëte dont il l'a imité, de reprocher à Énée sa naissance; mais encore il l'accuse d'avoir sucé le lait sauvage d'une bête féroce; il ajoute de son propre fonds : Hyrcanaeque admorunt ubera tigres « .... Tu as sucé le lait des tigresses d'Hyrcanie. »
Parce qu'en effet, le caractère de la nourrice et la nature de son lait
concourent ensemble pour former le tempérament. Le lait se mêle au sang que
l'enfant, si tendre encore, a reçu de ses parents, et ces deux substances
exercent une grande influence sur les moeurs. De là vient que la nature prévoyante,
et qui voulut que l'enfant trouvât dans sa première nourriture une nouvelle
cause de participation à la substance de sa mère, produit l'affluence du lait
à l'époque de l'enfantement. En effet, le sang, après avoir formé et nourri
le foetus dans ses parties les plus intimes, lorsqu'arrive l'époque de
l'enfantement, s'élève vers les parties supérieures du corps de la mère,
blanchit en devenant lait, pour servir de nourriture au nouveau-né, dont il fut
déjà le premier élément. Aussi ce n'est pas sans raison que l'on pense que,
comme la semence a naturellement la propriété de former un être ayant des
similitudes, quant au corps et quant à l'âme, avec celui dont elle émane, de
même le lait, par sa nature et par ses propriétés, exerce une pareille
influence. Cette observation ne s'applique point exclusivement à l'homme, mais
encore aux animaux. Car si l'on fait allaiter un bouc par une brebis, ou un
agneau par une chèvre, il est constant que la laine du premier deviendra plus
rude, et le poil du second plus doux. De même, la nature des eaux et des terres
dont se nourrissent les plantes et les fruits a plus d'influence sur leur bonne
ou mauvaise qualité, que la semence qui les a produits; et l'on voit souvent un
arbre vigoureux et florissant languir, transplanté dans un terrain de mauvaise
qualité. Concluons de tout cela qu'Homère a négligé, dans la peinture des
moeurs féroces, un trait que Virgile a recueilli.
Non tam praecipites biiugo certamine campum « Les chars qui disputent le prix aux combats du cirque partent de la barrière et s'élancent dans la lice avec moins de vitesse; et leurs a conducteurs, secouant les rênes flottantes, ne montrent pas tant d'ardeur lorsque, penchés sur leurs coursiers, ils les animent du fouet. » (Homère)
ἡ δ', ὥς τ' ἐν πεδίῳ τετράοροι ἄρσενες ἵπποι, « Tels des chevaux qui traînent un char dans la lice, excités tous ensemble par les atteintes du fouet, relèvent la tête, et parcourent rapidement la carrière ».
Le poète grec ne fait mention que
du fouet qui anime les chevaux à la course, quoique cependant, par l'expression
ὑψόσ' ἀειρόμενοι,
il ait rendu avec autant d'élégance qu'il est possible la rapidité de leur
course. Mais Virgile décrit admirablement, et tout à la fois, et les chars s'élançant
de la barrière, et dévorant l'arène avec une incroyable rapidité; et
s'emparant de la circonstance du fouet, indiquée seulement par Homère, il
peint les conducteurs secouant les rênes flottantes, frappant du fouet avec
rapidité et sans intervalle; enfin il n'a omis aucune partie de l'équipage
d'un quadrige, pour parvenir à la description complète d'une de ces lices où
ils concourent.
Magno veluti cum flamma sonore « Ainsi, lorsqu'on entretient activement la flamme avec des branchages placés sous le ventre d'une chaudière pleine d'eau, la chaleur soulève intérieurement les entrailles du liquide courroucé; un nuage de fumée et d'écume s'élève au-dessus de la chaudière, d'où bientôt l'eau s'échappe en lançant dans l'air une noire vapeur. » (Homère)
ὡς δὲ λέβης ζεῖ ἔνδον ἐπειγόμενος πυρὶ πολλῷ « Comme une chaudière où l'on fait fondre la graisse d'un porc, bouillonne en tout sens, excitée par l'ardeur du feu entretenu avec du bois sec; ainsi bouillonnaient enflammées les ondes du Scamandre. »
Le poète grec peint une chaudière bouillonnante sur un grand feu, et l'on
remarque dans ses vers l'expression πάντοθεν ἀμβολάδην,
qui imite avec beaucoup de justesse le bruit des globules d'air s'échappant de
toutes parts. Dans le poëte latin, la description est plus com-plète et plus
achevée. C'est d'abord le bruit dela flamme : πάντοθεν ἀμβολάδην
est rendu par exultant astu latices.
Il peint ensuite un nuage de fumée et d'écume s'élevant au-dessus de la
chaudière. Enfin, ne trouvant pas de mot exactement juste pour peindre la
fureur concentrée du liquide, il y supplée par un équivalent : nec jam se
capit unda; ce qui rend bien l'effet produit sur l'eau par la grande intensité
du feu placé au-dessous. Virgile a donc réuni tout l'effet de la trompette poétique
dans cette description, qui renferme avec exactitude toutes les circonstances du
phénomène qu'il a voulu peindre
Portam, quae ducis imperio commissa, recludunt « (Pandarus et Bitias), s'en reposant sur leurs armes, ouvrent la porte que leur chef leur a confiée, et invitent l'ennemi à s'approcher du mur. Semblables à deux tours, ils se postent en dedans, à droite et, à gauche. Ils sont hérissés de fer, et l'aigrette de leur casque s'agite fièrement sur leur tête. Tels sur les bords du Pô, ou du riant Athésis (Adige), deux chênes pareils portent vers les cieux leur tête chargée de feuilles, et agitent leur cime élevée. » (Homère)
τὼ μὲν ἄρα προπάροιθε πυλάων ὑψηλάων « Insensés ! ils trouveront aux portes du camp deux enfants généreux des belliqueux Lapithes le valeureux Polypeetès fils de Pirithoüs, et Léontéus non moins terrible que Mars. Ces deux guerriers s'étaient placés devant les portes, et, semblables au chêne élevé qui, fixé sur la montagne par des racines profondes, résiste chaque jour aux vents et aux tempêtes, ils attendaient sans fuir le brave Asius, remplis de confiance en leur courage et en leurs armes. »
Les soldats grecs Polypeetès et Léontéus, placés aux portes du camp,
attendent, immobiles comme des arbres, l'arrivée du guerrier ennemi Asius. Là
s'arrête la description d'Homère. Dans Virgile, Bitias et Pandarus ouvrent la
porte du camp, comme pour se mettre en la puissance de l'ennemi, et lui offrir
toutes les facilités qu'il pouvait désirer, afin de s'emparer du camp. Tantôt
le porte Compare les deux héros à des tours, tantôt il peint l'éclat
brillant de leurs aigrettes. Il n'a pas négligé néanmoins la comparaison des
arbres, employée par Homère; mais il l'a, développée avec plus de pompe et
d'étendue.
Olli dura quies oculos et
ferreus urguet « Une cruelle léthargie, un sommeil pénible appesantissent les paupières d'Orode, et l’éternelle nuit vient ouvrir ses yeux. » (Homère) Ὣς ὁ μὲν ἔνθα πεσὼν κοιμήσατο χάλκεον ὕπνον. « Ainsi tomba Iphidamas en cet endroit, et il s'y endormit d'un sommeil d'airain. »
CHAPITRE XII. Des passages dans lesquels les deux poètes sont d'une égale beauté.
Il
est certains passages dans lesquels les deux poètes sont à peu près d'une égale
beauté, comme les suivants
— Spargit rara ungula rores « Les pieds rapides des chevaux (de Turnus) font jaillir le sang, en foulant la terre qui en est imprégnée. » (Homère)
αἵματι δ' ἄξων « L'essieu du char et les roues, jusqu'à la hauteur du siège étaient souillés du sang que faisaient jaillir les pieds des chevaux. » (Virgile) — Et luce coruscus ahena. « ... l'éclat brillant des casques d'airain. » (Homère) αὐγὴ χαλκείη κορύθων ἄπο λαμπομενάων « La splendeur brillante de leurs casques d'airain. » (Virgile) — Quaerit pars semina flammae. « Les uns cherchent des semences de feu. » (Homère) σπέρμα πυρὸς σώζων « .... conservant la semence du feu. » (Virgile)
Indum sanguineo veluti violaverit ostro « Semblable à l'ivoire qu'on aurait plongé dans une teinture de pourpre. » (Homère) ὡς δ' ὅτε τίς τ' ἐλέφαντα γυνὴ φοίνικι μιήνῃ « Semblable à l'ivoire qu'une femme de Méanie teint avec de la pourpre. » (Virgile)
— Si tangere portus « S'il faut que celui que je ne peux nommer a touche au port et qu'il gagne la terre, si Jupiter l'a ainsi arrêté, et que cette destinée soit irrévocable, que du moins, troublé par un peuple belliqueux, chassé des lieux où il aura abordé, séparé de son fils Iule, il soit réduit à implorer le secours de l'étranger, après avoir vu périr misérablement ses compagnons; qu'après s'être soumis au joug d'une honteuse paix, il ne jouisse pas longtemps de cet empire objet de ses désirs, mais qu'il périsse prématurément, et que son corps reste sur l'arène, privé de sépulture. » (Homère)
'κλῦθι, Ποσείδαον γαιήοχε κυανοχαῖτα, « Exauce-moi, ô Neptune, toi dont la noire chevelure enveloppe la terre: si tu es réellement mon père et que tu ne me désavoues point pour ton fils, fais que le fils de Laërte, cet Ulysse destructeur des cités, ne revienne point dans Ithaque, sa patrie; ou si les destins ont arrêté qu'il doit revoir ses amis, sa maison, les bords qui l'ont vu naître, qu'il n'y parvienne que tard et sous de malheureux auspices, sur un vaisseau étranger, après avoir perdu tous ses compagnons; et qu'enfin il trouve sa famille en proie aux calamités. » (Virgile)
Proxima Circaeae raduntur litora terrae: « Bientôt la flotte rase les rivages du pays qu'habite Circé, lieux inaccessibles que la puissante fille du Soleil fait retentir de ses chants continuels, palais superbe qu'elle éclaire la nuit par la flamme du cèdre odorant, tandis qu'elle fait glisser la navette rapide entre des fils déliés. » (Homère)
ἤιεν, ὄφρα μέγα σπέος ἵκετο, τῷ ἔνι νύμφη « Mercure ne s'arrêta que lorsqu'il fut parvenu à la vaste caverne qu'habitait la Nymphe aux cheveux bouclés; et, comme elle se trouvait dedans, il s'y abattit. Un grand feu était allumé au foyer, et l'île était embaumée au loin de l'odeur du cèdre et des éclats de thye qui y brûlaient. Calypso elle-même chantait d'une voix agréable au-dedans de la caverne, en parcourant des doigts la toile qu'elle tissait d'un fil d'or. » (Virgile)
Maeonio regi quem serva Licymnia furtim « (Hélénor était fils) du roi de Méonie; l'esclave Licinia, sa mère, l'avait fait partir secrètement pour Troie, muni des armes interdites à sa condition. » (Homère)
Βουκολίων δ' ἦν υἱὸς ἀγαυοῦ Λαομέδοντος « Bucolion était le plus âgé des fils de l'illustre Laomédon; et sa mère l'avait mis au monde hors du mariage. » (Virgile)
Ille autem expirans: Non me, quicumque es, inulto « Quel que tu sois, dit (Orode à Mézence) en expirant, tu n'auras pas été impunément mon vainqueur, tu ne t'en réjouiras pas longtemps. De pareilles destinées t'attendent aussi, et tu seras bientôt couché sur ce même champ. Mézence lui répondit, avec un sourire mêlé de colère : Meurs en attendant; le père des dieux et le roi des hommes verra ce qu'il a à faire de moi. » (Homère)
ἄλλο δέ τοι ἐρέω, σὺ δ' ἐνὶ φρεσὶ βάλλεο σῇσιν· « Je te dirai une autre chose, que tu peux renfermer en ton âme. Toi non plus, tu ne poursuivras pas longtemps le cours de la vie; déjà la mort s'apprête à paraître à tes côtés, suivie du destin tout-puissant qui te livre aux mânes de l'illustre Achille fils d'Éacus. » Et ailleurs
...κῆρα δ' ἐγὼ τότε δέξομαι ὁππότε κεν δὴ « Le divin Achille parla ainsi (à Hector) déjà expiré : Meurs. Pour moi, j'accepterai mon destin, alors qu'il plaira à Jupiter et aux autres dieux immortels de le terminer. » (Virgile)
Qualis, ubi aut leporem aut candenti corpore cygnum « Tel l'oiseau qui porte la foudre de Jupiter s'élance vers les cieux, enlevant dans ses griffes crochues un lièvre, ou un cygne au blanc plumage; ou tel un loup terrible enlève de l'étable un agneau, que redemandent les bêlements multipliés de sa mère. Un cri s'élève de tous côtés : l'ennemi envahit le camp, et en comble les fossés. » (Homère)
οἴμησεν δὲ ἀλεὶς ὥς τ' αἰετὸς ὑψιπετήεις, « Il se retourne et se précipite, semblable à l'aigle qui, de son vol élevé, descend sur un champ, à travers les sombres nuées, pour enlever le tendre agneau ou le lièvre timide; ainsi se précipitait Hector, brandissant son épée aiguë. »
CHAPITRE XIII. Des passages dans lesquels Virgile n'atteint pas à la majesté du vers d'Homère. Puisque Virgile n'aurait pas à rougir de s'avouer lui-même inférieur à Homère, je vais dire en quels passages il m'a semblé plus faible que son modèle
Tunc caput orantis nequicquam et multa parantis « Alors (Énée), sans écouter les prières (de Tarquitus) et tout ce qu'il se disposait à lui dire , « abat la tête par terre et la sépare du tronc, » Ces deux vers de Virgile sont traduits de ce vers d'Homère φθεγγομένου δ' ἄρα τοῦ γε κάρη κονίῃσιν ἐμίχθη. (Iliade, X, 457) « (Dolon) parlait encore, que sa tête roulait dans la poussière. » Quelle rapidité d'expression, sans rien ôter à la plénitude de l'image! Les efforts de Virgile n'ont pu atteindre jusque-là. Dans la course des chars, de quelles couleurs Homère peint l'un d'eux qui devance d'un peu celui qui le suit, et qui presque l'atteint !
πνοιῇ δ' Εὐμήλοιο μετάφρενον εὐρέε τ' ὤμω « (Les chevaux de Diomède) échauffaient leurs vastes flancs au souffle d'Eumélus, et volaient, la tête tendue vers lui. » (Virgile) Humescunt spumis flatuque sequentum. « Ils mouillent de leur souffle et de leur écume ceux qui les suivent. » Homère est plus admirable encore dans la peinture de la rapidité de celui qui suit immédiatement le premier dans la course à pied ἴχνια τύπτε πόδεσσι πάρος κόνιν ἀμφιχυθῆναι· (Iliade, XXIII, 763) « Les pieds (d'Ulysse) foulaient la trace de ceux (d'Ajax) avant qu'ils eussent soulevé la poussière. » Voici quel est le sens de ce vers : Si quelqu'un court sur un sol poudreux aussitôt que son pied aura quitté la terre, on en découvre infailliblement l'empreinte; et cependant la poussière que le coup du pied a soulevée est retombée sur l'empreinte plus vite que la pensée. Le divin poète dit donc que le second des coureurs suivait de si près le premier, qu'il occupait la trace. de son pied avant que la poussière fût retombée. Pour exprimer la même chose, que dit le poète latin? — Calcemque terit iam calce Diores. «... Déjà le pied de Diorès foule celui (d'Hélymus). » Remarquez dans cet autre vers l'exactitude d'Homère κεῖτ' ἀποδοχμώσας παχὺν αὐχένα, κὰδ δέ μιν ὕπνος (Odyssée, IX, 372) « (Polyphème) était couché, laissant pencher sa lourde tête. » Virgile a dit Cervicem inflexam posuit « (Polyphème) reposa sa tête penchée. »
Comparons
encore, si vous voulez, les vers suivants
ἅρματα δ' ἄλλοτε μὲν χθονὶ πίλνατο πουλυβοτείρῃ, « Les chars tantôt touchaient la terre, et tantôt voltigeaient en l'air. » (Virgile) :
Iamque humiles, iamque elati sublime videntur « (Des chevaux) paraissaient tantôt raser la terre, et tantôt s'élancer en haut, portés dans le vide des airs, » (Homère) πασάων δ' ὑπὲρ ἥ γε κάρη ἔχει ἠδὲ μέτωπα, (Odyssée, VI, 107) « Diane surpasse de la tête toutes les Nymphes, au-dessus desquelles apparaissait son front. » (Virgile) — Ingrediensque deas supereminet omnes. « (Diane) marchant au milieu des Nymphes, élève sa tête au-dessus de toutes. » (Homère) ὑμεῖς γὰρ θεαί ἐστε πάρεστε τε ἴστέ τε πάντα, (Iliade, II, 484) « (Muses) vous êtes ciel déesses, vous êtes présentes; vous savez toutes choses, » (Virgile) Et meministis enim, divae, et memorare potestis. « Vous vous en souvenez, ô Muses, et vous pouvez le remémorer. » (Homère)
αὐτὰρ ὃ θυμὸν ἄϊσθε καὶ ἤρυγεν, ὡς ὅτε ταῦρος « (Hippodamante) mugissait en rendant l'esprit, comme mugit un taureau que des adolescents traînent avec violence au pied du dieu d'Hélicon, sacrifice qui réjouit Neptune. » (Virgile)
Clamores simul horrendos ad sidera tollit: « En même temps (Laocoon) pousse vers le ciel d'horribles cris; tels sont les mugissements du taureau lorsqu'il s'enfuit blessé de l'autel, et qu'il dérobe sa tête à la hache mal assurée. » Si l'on compare la contexture des deux morceaux, quelle grande distance l'on apercevra entre eux l C'est avec beaucoup de justesse qu'en parlant du taureau traîné à l'autel, Homère fait mention d'Apollon ῾Ελικώνιον ἀμφὶ ἄνακτα « Au pied du dieu d'Hélicon. » Et aussi de Neptune γάνυται δέ τε τοῖς ἐνοσίχθων « Sacrifice qui réjouit Neptune. » Car Virgile lui-même nous fournit la preuve qu'on immolait principalement le taureau dans les sacrifices que l'on offrait à ces deux divinités, lorsqu'il dit Taurum Neptuno, taurum tibi, pulcher Apollo. « J'offrirai un taureau à Neptune, un taureau à toi, ô bel Apollon ! » (Virgile)
In segetem veluti cum flamma furentibus Austris « Ainsi lorsque par un vent furieux la flamme vient à se manifester au milieu des moissons; ou lorsque le torrent rapide, tombant du haut de la montagne, bouleverse les champs et les labeurs du boeuf, renverse les joyeuses moissons et entraîne les forêts déracinées; placé sur la cime d'un roc escarpé, le pâtre reste dans la stupeur, en entendant cet étrange fracas. » (Homère)
ὡς δ' ὅτε πῦρ ἀΐδηλον ἐν ἀξύλῳ ἐμπέσῃ ὕλῃ, « Ainsi, lorsque le feu dévorant vient à se manifester dans une forêt sauvage, partout où le porte le vent qui tourbillonne, les branches tombent sur les troncs, renversées par la violence du feu. » Et ailleurs
θῦνε γὰρ ἂμ πεδίον ποταμῷ πλήθοντι ἐοικὼς « (Diomède) courait furieux : semblable au torrent qui inonde la campagne, renverse subitement les ponts qu'il rencontre dans son cours, sans que les ouvrages dont ils sont munis puissent le contenir, sans qu'il puisse être retenu dans son arrivée subite, quand se précipite la pluie de Jupiter, par les clôtures répandues çà et là dans les champs verdoyants ; ainsi par le fils de Tydée étaient dispersées les phalanges épaisses des Troyens. »
En
réunissant ces deux comparaisons de la flamme et du torrent, Virgile les a
altérées et n'a atteint la majesté d'aucune d'elles.
Adversi rupto ceu quondam turbine venti « Ainsi, lorsque les vents contraires se précipitent déchaînés; lorsque Zéphyre, Notus, Eurus qui souffle du côté du char riant de l'Aurore, s'entre-choquent entre eux; les forêts frémissent, et l'empire écumeux de Nérée, agité par le trident, vomit les mers du fond de ses abîmes. » (Homère)
ὡς δ' ἄνεμοι δύο πόντον ὀρίνετον ἰχθυόεντα
5 « Ainsi deux vents, Borée et Zéphyre, qui soufflent du côté de la Thrace, par leur soudaine arrivée émeuvent la mer poissonneuse; et aussitôt l'onde noire s'élève en monceaux, et une grande quantité d'algue est dispersée hors de la mer. » Et ailleurs
ὡς δ' Εὖρός τε Νότος τ' ἐριδαίνετον ἀλλήλοιιν « Ainsi, lorsque le vent d'occident et le vent du midi combattent entre eux, dans les gorges des montagnes, la forêt profonde en est ébranlée; le hêtre, le frêne, le cornouiller à l'épaisse écorce, maltraitent réciproquement et tumultueusement leurs longs rameaux, qui latent avec fracas; ainsi les Troyens et les Grecs se livraient de mutuels assauts, sans qu'aucun d'eux songeât à la fuite désastreuse. »
En formant des deux comparaisons du
poète grec une seule plus lumineuse, Virgile a racheté le tort que nous lui
avons reproché plus haut. Prosequitur surgens a puppi ventus euntes. « Cependant le vent qui s'élève à la poupe seconde les navigateurs. » (Homère)
ἡμῖν δ' αὖ κατόπισθε νεὸς κυανοπρῴροιο « (Circé) envoie de nouveau sur l'arrière du vaisseau, dont la proue est peinte, un vent favorable et ami, qui remplit la voile et seconde la marche. »
Virgile a heureusement rendu κατόπισθε νεὸς par
surgens a puppi; mais Homère excelle par les épithètes
nombreuses qu'il applique au vent avec tant de justesse.
Visceribus miserorum et sanguine vescitur atro. « (Polyphème) se repaît du sang et des entrailles des malheureux qui tombent entre ses mains. Je l'ai vu moi-même, couché sur le dos, au milieu de son antre, saisir avec son énorme main deux de nos compagnons, et les briser contre le rocher. » (Homère)
ἀλλ' ὅ γ' ἀναΐξας ἑτάροις ἐπὶ χεῖρας ἴαλλε, « (Polyphème) se jetant sur mes compagnons, saisit de la main deux d'entre eux, les brisa contre terre, comme de petits chiens ; et les lambeaux de leur cervelle jaillirent sur le sol. Ayant ensuite séparé les membres, il les disposa pour son repas. Il se mit à les dévorer comme eut fait le lion des montagnes, et il ne laissa rien de leurs chairs, ni de leurs intestins, ni même de leurs os. Pour nous, en voyant ces lamentables atrocités, nous élevâmes en pleurant nos mains vers Jupiter, tandis que le désespoir s'emparait de notre âme. »
Dans Virgile, la narration du fait est
concise et nue; Homère, au contraire, a mêlé à la sienne un pathétique
égal à l'atrocité de l'action qu'il raconte.
Hic et Aloidas geminos inmania vidi « Là, je vis les deux fils d'Aloéus, ces deux monstrueux géants qui tentèrent d'enfoncer de leurs mains la voûte céleste, et de précipiter Jupiter de son trône sublime. » (Homère)
῏Ωτόν τ' ἀντίθεον τηλεκλειτόν τ' ᾿Εφιάλτην, « Oton comparable aux dieux, et le glorieux Éphialte, géants que la terre nourrit, et plus beaux encore que le bel Orion. Dès l'âge de neuf ans, ils avaient neuf coudées de circonférence et neuf brasses de hauteur. Ils menaçaient les immortels de porter jusque dans les cieux l’effort tumultueux de la guerre; et, pour s'y frayer un accès, ils avaient tenté d'entasser l’Ossa sur l'Olympe, et le Pélion chargé de forêts sur l'Ossa. »
Homère décrit les membres des
géants, et mesure en long et en large, les vastes dimensions de leurs corps.
Votre poète se contente de dire, monstrueux géants, sans ajouter rien autre
chose, et sans oser employer les termes métriques. S'agit-il de ces montagnes
entassées pour l'entreprise insensée des géants? il se contente de dire : qui
tentèrent d'enfoncer de leurs mains la voûte céleste. Enfin, si l'on compare
chaque point l'un après l'autre, on y trouvera une différence fâcheuse pour
le poète latin.
Fluctus uti primo coepit cum albescere ponto: « Ainsi, lorsque le premier souffle du vent commence à faire blanchir le flot, la mer s'enfle peu à peu, et soulève les ondes, et bientôt elle surgit depuis le fond de ses abîmes jusqu'aux cieux. » (Homère)
ὡς δ' ὅτ' ἐν αἰγιαλῷ πολυηχέι κῦμα θαλάσσης « Ainsi, lorsque sur le rivage sonore le flot de la mer est ému par l'arrivée soudaine du zéphyr, il commence d'abord à s'élever; mais, bientôt brisé contre la terre, il frémit avec grand bruit, se gonfle, et s'élance contre les promontoires, et vomit l'écume de la mer. »
Homère décrit jusqu'aux premiers
mouvements de la mer, et jusqu'à ces premiers flots qui naissent sur le rivage.
Virgile a négligé ces choses-là. Il traduit : πόντῳ μέν τε πρῶτα κορύσσεται,
par : paulatim sese tollit mare. Tandis qu'il se borne à soulever
le flot depuis le fond des abîmes jusqu'aux nues, Homère le décrit avec une
vérité qu'aucune peinture ne saurait égaler, s'enflant, s'élevant, se
recourbant, se brisant contre le rivage, qu'il couvre des immondices qu'il a
ramassées.
Dixerat: idque ratum Stygii per flumina fratris, « Après avoir parlé, (Jupiter) confirme son serment par le Styx où règne son frère, par les torrents de poix et les gouffres de ses rives; et l'Olympe entier tressaille d'un mouvement de son front. » (Homère)
ἦ καὶ κυανέῃσιν ἐπ' ὀφρύσι νεῦσε Κρονίων· « Le fils de Saturne confirme ses paroles d'un mouvement de ses noirs sourcils; son immortelle chevelure s'agite sur son front immortel, et le vaste Olympe en est ébranlé. » Et ailleurs
καὶ τὸ κατειβόμενον Στυγὸς ὕδωρ, ὅς τε μέγιστος « Que l'eau du Styx reçoive ma promesse; ce qui est le serment le plus grand et le plus grave que puissent faire les heureux immortels. » Lorsque Phidias exécutait la statue de Jupiter Olympien, interrogé où il prendrait le modèle de l'effigie du dieu, il répondit qu'il avait trouvé le type primitif de Jupiter dans les trois vers d'Homère (que nous venons de citer) : ἦ καὶ κυανέῃσιν ἐπ' ὀφρύσι νεῦσε Κρονίων·... « Le fils de Saturne confirme ses paroles, etc. » ;
et que c'était des sourcils et de la
chevelure décrits par Homère qu'il avait tiré le visage entier de son
Jupiter. Virgile, comme vous l'avez vu, a négligé ces deux objets; mais il n'a
pas omis, il est vrai, l'Olympe ébranlé par un mouvement du front majestueux
du dieu. Quant au serment, il l'a pris dans un autre endroit d'Homère, pour
compenser sans doute, par cette addition, la stérilité de sa traduction. Ora puer prima signans intonsa iuventa. « Le visage du jeune homme décelait une adolescence encore imberbe. » (Homère) πρῶτον ὑπηνήτῃ, τοῦ περ χαριεστάτη ἥβη. (Iliade, XXIV, 348) « Entrant dans l'âge de puberté, époque la plus gracieuse de la jeunesse. »
Pour avoir omis de rendre τοῦ περ χαριεστάτη ἥβη, qui exprime la puberté naissante, la description du poète
latin est moins gracieuse.
Ut fera, quae densa venantum septa corona « Comme une bête féroce qui, entourée d'une foule de chasseurs, tourne sa fureur contre leurs traits, et, se jetant au-devant d'une mort certaine, s'enfonce elle-même dans leurs épieux, » (Homère)
Πηλεΐδης δ' ἑτέρωθεν ἐναντίον ὦρτο λέων ὣς
165 « Le fils de Pélée se précipitait contre lui, semblable au lion meurtrier qu'une foule de chasseurs rassemblés ambitionne de mettre à mort; il va d'abord les méprisant; mais si quelque jeune homme impatient du combat le frappe de sa lance, il se retourne en rugissant, l'écume naît entre ses dents, le naturel indompté se réveille en lui : il frappe de sa queue ses cuisses et ses flancs, il s'excite au combat, et, les regardant d'un air menaçant, il se précipite le premier sur les chasseurs, pour tuer quelqu'un d'entre eux; ainsi Achille incitait sa force et son grand coeur à marcher contre le magnanime Énée. »
Vous voyez que la comparaison latine
est réduite à la plus grande maigreur qu'il soit possible; la comparaison
grecque au contraire, et par l'abondance des mots et par celle des tableaux,
égale l'appareil d'une chasse réelle. Cette fois, la différence est si
grande, qu'il y aurait presque à rougir d'établir la comparaison.
Haud aliter Troianae acies aciesque Latinae « Ainsi s'entre-choquent l'armée troyenne et l'armée latine; l'on combat pied à pied, corps à corps. » (Homère)
ὣς ἄραρον κόρυθές τε καὶ ἀσπίδες ὀμφαλόεσσαι.
215 « Le bouclier était pressé contre le bouclier, le casque contre le casque, le soldat contre le soldat. »
Je laisse au lecteur à juger toute la
différence qui existe entre ces deux passages.
Utque volans alte ruptum cum fulva draconem « Ainsi l'aigle sauvage, au vol élevé, enlève un serpent qui s'attache aux griffes qui le blessent, entoure les jambes de l'oiseau de ses replis sinueux, hérisse ses horribles écailles, et siffle en dressant sa tête; et néanmoins, malgré la lutte, l'aigle le presse de son bec crochu, en même temps qu'il frappe l'air de ses ailes. » (Homère)
ὄρνις γάρ σφιν ἐπῆλθε περησέμεναι μεμαῶσιν « Un oiseau était venu à passer, conformément à leur désir. C'était un aigle au vol élevé, qui, se dirigeant à gauche, rappelait les troupes du combat. Il portait dans ses serres un énorme serpent ensanglanté, mais encore palpitant de vie, et qui lui résistait encore; car s'étant replié en arrière, il frappa l'aigle à la poitrine, près du cou : la douleur fit que l'oiseau lâcha le serpent à terre; et celui-ci vint tomber au milieu de la troupe, tandis que l'aigle, en poussant des cris, s'envola dans la direction du vent. »
Virgile reproduit l'action de l'aigle
qui saisit une proie; et il ne parait pas avoir remarqué les présages qui
l'accompagnent dans Homère. L'arrivée de l'aigle du côté gauche, qui
semblait interdire aux vainqueurs d'avancer davantage, la morsure qu'il reçoit
du serpent qu'il tient dans ses serres, ce tressaillement d'un augure non
équivoque, la douleur qui fui fait abandonner sa proie et s'envoler en poussant
un cri; ce sont autant de circonstances qui animent la comparaison, et dont
l'omission laisse aux vers du poëte latin l'apparence d'un corps sans âme.
Parva metu primo, mox sese attollit in auras, « (La Renommée) est d'abord faible et timide, mais bientôt elle s'élève dans les airs; et tandis qu'elle marche sur la terre, elle cache sa tête dans les nues. » (Homère)
ἥ τ' ὀλίγη μὲν πρῶτα κορύσσεται, αὐτὰρ ἔπειτα « (La Discorde) s'élève faible d'abord; mais bientôt elle cache sa tête dans le ciel, et marche sur la terre. » Homère dit qu'Éris, c'est-à-dire la Discorde, est d'abord faible dans ses commencements, et s'accroît ensuite au point de toucher jusqu'au ciel. Virgile a dit la même chose de la Renommée, mais c'est avec moins de justesse; car les accroissements de la discorde et ceux de la renommée ne sont pas les mêmes. En effet, la discorde, lors même qu'elle est parvenue à produire des guerres et des dévastations réciproques, demeure toujours la discorde, telle qu'elle fut dans le principe; tandis que la renommée, lorsqu'elle est parvenue à un immense accroissement, cesse d'être elle-même, et devient notoriété publique. Qui s'aviserait, en effet, de parler de renommée, s'il s'agissait d'une chose connue dans le ciel et sur la terre? En second lieu, Virgile n'a pas même pu atteindre l'hyperbole d'Homère. Celui-ci a dit jusqu'au ciel (οὐρανῷ ), l'autre dit jusqu'à la région des vents et des nuages (auras et nubila ). La cause pour laquelle Virgile n'a pas toujours égalé les passages qu'il traduisait, c'est la continuité avec laquelle il s'efforce de faire passer, dans toutes les parties de son ouvrage, des imitations d'Homère. Or il ne pouvait pas toujours être donné aux forces humaines d'atteindre jusqu'à cette divinité poétique. Prenons pour exemple le passage suivant, dont je désire soumettre l'appréciation à votre jugement. Minerve, protectrice de Diomède, lui prête dans le combat des flammes ardentes, dont l'éclat rejaillissant de son casque et de ses armes lui sert d'auxiliaire contre l'ennemi. δαῖέ οἱ ἐκ κόρυθός τε καὶ ἀσπίδος ἀκάματον πῦρ (Iliade, V, 4) « La flamme jaillissait avec abondance du bouclier et du casque (de Diomède). » Virgile, trop émerveillé cette fiction, en use immodérément; tantôt il dit de Turnus
— Tremunt sub vertice cristae « Une aigrette couleur de sang s'agite au haut de son casque, et des éclairs étincelants partent de son bouclier. » Tantôt il dit la même chose d'Épée
Ardet apex capiti, cristisque ac vertice flamma « Son casque brille sur sa tête, au-dessus de laquelle une aigrette se déploie en forme de flamme; son bouclier d'or vomit de vastes feux. » Ceci est d'autant plus déplacé en cet endroit, qu'Épée ne combattait pas encore, et ne faisait que d'arriver sur un vaisseau. Ailleurs
Cui triplici crinita iuba galea alta Chimaeram « Le casque (de Turnus ), décoré d'une triple crinière, supporte une Chimère, dont la gueule vomit les feux de l'Etna. » Veut-il faire admirer les armes que Vulcain vient d'apporter sur la terre à Énée, Virgile dit Terribilem cristis galeam flammasque vomentem? « Son casque terrible est armé d'une aigrette, et vomit des flammes. » Veut-on un autre exemple de cet abus de l'imitation? Séduit par l'éclat de ce passage (d'Homère) que nous avons cité plus haut :
ἦ καὶ κυανέῃσιν ἐπ' ὀφρύσι νεῦσε Κρονίων· « Le fils de Saturne confirme ses paroles, etc. » Virgile a voulu tardivement attribuer aux paroles de Jupiter une semblable révérence. Après l'avoir fait parler sans fracas, dans le premier, le quatrième et le neuvième livre, il dit (dans le dixième), lorsqu'après les débats de Jupiter et de Vénus, Jupiter va prendre la parole
Infit. Eo dicente deum domus alta silescit, « La demeure sublime des dieux est dans le silence; la terre tremble sur sa base; l'air immobile se tait ; les zéphyrs s'arrêtent, et les mers paisibles calment leur surface ». Comme si ce n'était pas le même Jupiter, qui peu auparavant a parlé, sans que l'univers manifestât sa vénération. Une pareille inopportunité se remarque dans l'emploi que fait le poète, de la balance de Jupiter, emprunté de ce vers (d'Homère) : καὶ τότε δὴ χρύσεια πατὴρ ἐτίταινε τάλαντα, (Iliade, XXII, 208) « En ce moment le père des dieux soulevait ses balances d'or. » Car Junon ayant déjà dit, en parlant de Turnus :
Nunc iuvenem inparibus videre video concurrere fatis, « Maintenant je vois ce jeune homme prêt à venir lutter contre des destins inégaux; le jour des Parques approche, avec la force ennemie. » Il était manifeste qu'il devait infailliblement périr; cependant le poète ajoute tardivement
Iuppiter ipse duas aequato examine lances « Jupiter tient lui-même deux balances en équilibre, et place dans leurs bassins les destinées diverses des deux combattants. » Mais il faut pardonner à Virgile ces fautes, et d'autres, où l'a fait tomber une admiration excessive pour Homère. D'ailleurs, il était difficile qu'il ne fût pas quelquefois inférieur à celui que , dans tout le cours de son ouvrage, il se propose constamment pour modèle. Car il a toujours les yeux fixés sur Homère, pour tâcher d'imiter sa simplicité, sa grandeur, l'élévation et la majesté calme de son style. C'est chez lui qu'il a puisé les traits magnifiques et variés de ses héros, l'intervention des dieux, les autorités mythologiques, l'expression des sentiments de la nature; la recherche des souvenirs , la prodigalité des comparaisons, l'harmonie d'une éloquence entraînante, et enfin l'ensemble imposant des diverses parties.
CHAPITRE XIV. Que Virgile s'est tellement complu dans l'imitation d'Homère, qu'il a voulu imiter quelques-uns de ses défauts. Avec quel soin il a imité les épithètes ainsi que les autres ornements du discours.
Virgile se complaît
tellement à imiter Homère, qu'il imite même des défauts mal à
propos reprochés à ses vers. Ainsi, il approuve dans la versification
d'Homère ces sortes de vers que les Grecs appellent ἀκέφαλοι
(acéphales), λαγαροί (lâches), ὑπερκαταληκτικοί
(hypercataleptiques), et il ne craint pas de les imiter.
arietat in portas,..
Parietibus textum caecis iter,
et autres vers semblables. »
Et duros obice postes.
Consilium ipse pater et magna incepta Latinus. Exemples de vers hypercatalepliques, c'est-à-dire, trop longs d'une syllabe.....
quin protinus omnia. ....Vulcado decoquit
Spumas miscens argenti vivaque sulphura.
.... arbutus horrida.
On trouve aussi dans Homère des vers nus et sans ornements, qui ne
diffèrent en rien du langage ordinaire de la conversation. Virgile
parait affectionner en eux une noble négligence. ἵππους δὲ ξανθὰς ἑκατὸν καὶ πεντήκοντα (Iliade, XI, 679) « ........ Cent cinquante juments rousses toutes saillies. » (Virgile)
Omnia vincit Amor, et nos cedamus Amori
Nudus in ignota, Palinure, iacebis harena. Il est aussi des répétitions gracieuses, que Virgile ne redoute pas.
Pan etiam Arcadia mecum si iudice certet, « Pan lui-même, s'il voulait entrer en lice avec moi, au jugement de l'Arcadie; Pan lui-même, au jugement de l'Arcadie, s'avouerait vaincu. » Virgile, en les imitant, nous a révélé son admiration pour les épithètes homériques:
μοιρηγενής (né sous un astre heureux) , et mille autres expressions du même genre, qui sont comme des étoiles brillantes dont l'éclat divin répand la variété sur la majestueuse poésie d'Homère. A ces épithètes répondent, dans Virgile, celles de
malesuada fames (la faim mauvaise conseillère),
et tant d'autres qu'un lecteur attentif remarquera presque à chaque
vers.
φαίης κε ζάκοτόν τέ τιν' ἔμμεναι ἄφρονά τ' αὔτως.
οὐκ ἂν βρίζοντα ἴδοις ᾿Αγαμέμνονα Virgile n'a pas négligé non plus d'imiter cette tournure de phrase
Migrantes cernas totaque ex urbe ruentes
Totumque instructo Marte videres
Pelago credas innare revulsas
Studio incassum videas gestire lavandi. Le divin Homère sait rattacher très à propos au fil de sa narration les événements soit récents, soit écoulés depuis longtemps, sans néanmoins les disposer par ordre chronologique ; et de cette manière, en ne laissant rien ignorer des événements passés, il évite les formes du style historique. Achille, avant sa colère, avait déjà renversé Thèbes d'Asie et plusieurs autres cités. Mais le poème d'Homère ne commence qu'avec cette colère. Toutefois, pour ne pas nous laisser ignorer les faits antérieurs, la narration en est amenée à propos
ᾠχόμεθ' ἐς Θήβην ἱερὴν πόλιν ᾿Ηετίωνος, « Nous sommes allés à Thèbes, la ville sacrée d'Éétion : nous l'avons dévastée, et nous avons amené ici toutes ses dépouilles. » Et ailleurs
δώδεκα δὴ σὺν νηυσὶ πόλεις ἀλάπαξ' ἀνθρώπων, « J'ai dévasté douze villes avec la flotte, et onze dans les champs troyens avec l'armée de terre » De même, lorsqu'il est question de Calchas, le poète saisit l'occasion de nous faire connaître quel est celui qui dirigea la flotte des Grecs vers les rivages troyens qui leur étaient inconnus
καὶ νήεσσ' ἡγήσατ' ᾿Αχαιῶν ῎Ιλιον εἴσω « (Calchas) avait dirigé vers Ilion les vaisseaux des Grecs, au moyen de l'art de la divination qu'Apollon lui avait donné. »
Calchas raconte encore le présage que donna aux Grecs, durant leur
navigation, ce serpent qui dévora des passereaux; ce qui leur
annonçait que leur armée aurait dix ans à passer dans le pays ennemi.
Dans un autre endroit, c'est un vieillard qui raconte d'anciens
événements. Or, on sait que la vieillesse est verbeuse, et se plaît
à faire des narrations
ἤδη γάρ ποτ' ἐγὼ καὶ ἀρείοσιν ἠέ περ ὑμῖν « Pour moi, j'ai eu affaire jadis avec des hommes plus vaillants que vous, etc. »
et ailleurs εἴθ' ὣς ἡβώοιμι βίη τέ μοι ἔμπεδος εἴη, (Odyssée, XIV, 468) « Ah ! si j'étais aussi jeune, et si j'avais encore toutes mes forces, etc. »
Virgile a très bien imité ces divers artifices
Nam memini Hesionae visentem regna sororis « Je m'en souviens, lorsque Priam, fils de Laomédon, vint visiter les États de sa soeur Hésione. » (Didon :) Atque equidem memini Teucrum Sidona venire « Je me souviens même que Teucer vint autrefois à Sidon. » (Évandre :)
Qualis eram cum primam aciem Praeneste sub ipsa « Tel que j'étais lorsque, pour la première fois, je mis en déroute une armée sous les murs mêmes de Préneste. » Voyez aussi le récit tout entier du vol et de la punition de Cacus. Enfin Virgile n'a jamais négligé, à l'exemple de son modèle, de nous instruire des faits anciens. Exemple : Namque ferunt luctu Cygnum Phaethontis amati « Car on dit que Cygnus, pleurant son bien-aimé Phaéton. » - Et plusieurs autres exemples semblables.
CHAPITRE XV. Des diversités qu'on observe dans les dénombrements de troupes chez Virgile et chez Homère. Dans les énumérations de soldats auxiliaires (ce que les Grecs appellent catalogues), Virgile continue à s'efforcer d'imiter Homère; mais néanmoins il s'éloigne un peu quelquefois de sa méthode, pleine de noblesse. Homère, omettant les Lacédémoniens, les Athéniens et même les Mycéniens, auxquels appartenait le chef de l'armée, commence son énumération par la Béotie. Ce n'est point par un motif pris de la dignité du rang de cette province, mais parce qu'elle lui offre un promontoire très connu pour point de départ. C'est de là qu'il s'avance, parcourant successivement les pays alliés, tant insulaires que littoraux. Les régions qu'il rencontre sur sa route, limitrophes les unes des autres, le ramènent progressivement au point d'où il est parti, sans qu'aucun écart l'ait fait dévier. Mais, fidèle à son ordre méthodique, quand son énumération est terminée, il se retrouve au lieu où il l'avait commencée. Virgile au contraire, n'observant aucune méthode dans la mention qu'il fait des divers pays, bouleverse par de fréquentes divagations la disposition des lieux. Le premier individu qu'il nomme est Massicus, chef des guerriers de Clusium et de Cose : après lui vient Abas, accompagné des soldats de Populonie et d'Ilva (l'île d'Elbe); ensuite Asilas, envoyé par les habitants de Pise, dont la situation, très éloignée de l'Étrurie, est trop connue pour qu'il soit besoin de la faire remarquer. Il revient ensuite à Cose, à Pyrges et à Gravisca, villes situées non loin de Rome, aux contingents desquelles il assigne pour chef Astur. De là Cygnus l'entraine en Ligurie, et Ocnus à Mantoue. Si l'on parcourt ensuite l'énumération des auxiliaires de Turnus, et la situation des régions auxquelles ils appartiennent, l'on verra que Virgile n'a pas mieux suivi cette fois l'ordre de la disposition des lieux. D'autre part, Homère a soin de ramener dans la suite de la guerre, pour y venir éprouver un sort heureux ou fatal , tous ceux dont il a prononcé le nom dans son énumération. Lorsqu'il veut mentionner la mort de ceux qui n'y ont point été compris, il introduit une dénomination collective, au lieu d'un nom d'homme. Lorsqu'il veut parler de la mort d'un grand nombre d'individus, il appelle cela une moisson d'hommes. En un mot, il ne se permet pas facilement de prononcer ou d'omettre, dans le combat, tout nom en dehors ou en dedans de son catalogue. Virgile s'est affranchi de ces difficultés; car il omet de reparler, dans le courant de la guerre, de quelques-uns de ceux qu'il a nommés dans son énumération, tandis qu'il en nomme d'autres dont il n'avait point parlé jusque-là. Il dit que, sous la conduite de Massiens,
mille manus iuvenum venisse dixit qui moenia Clusi « vinrent mille jeunes gens des villes de Clusium et de Cose. » Et, dans la suite, il fait fuir Turnus Qua rex Clusinis advectus Osinius oris « sur le vaisseau qui avait amené Osinius, roi de Clusium. » Cet Osinius n'avait point encore été nommé. D'ailleurs; n'est-il pas absurde de mettre le roi sous les ordres de Massicus? Enfin, ni Massicus, ni Osinius, ne jouent aucun rôle durant le cours de la guerre. Il en est de même fortemque Gyam fortemque Serestum, pulcher quoque Aquiculus, et Mavortius Haemon, et fortissimus Umbro, et Virbius Hippolyti proles pulcherrima bello « Des courageux Gyas et Séreste, du bel Équitolus, du belliqueux Hémon, du vaillant Umbron, de Virbius, brillant rejeton d'Hippolyte. » Ils n'ont obtenu, parmi la foule des combattants, aucune mention, soit glorieuse, soit honteuse. Astur, Cupanon et Cygnus, célèbres par les fables de Cygnus et de Phaéton, ne font rien dans le combat; tandisque les noms obscurs d'Alésus et de Saratus y figurent, ainsi qu'Atinas, qui n'avait point été nommé auparavant. De plus, par défaut d'attention, Virgile introduit la confusion parmi les personnages qu'il nomme. Ainsi, dans le neuvième livre, Asilas terrasse Corinée, lequel reparaît dans le douzième pour tuer Ébuse
Corinaeum sternit Asilas, IX « Corinée, qui se trouvait là, saisit sur l'autel un tison ardent, et le porte au visage d'Ébuse, qui venait le frapper. » De même Numa, après avoir été tué par Nisus, se trouve ensuite poursuivi par Énée. Persequitur fortemque Numam. Celui-ci tue Camerte, dans le dixième livre; et, dans le douzième, Iuturna formam adsimulata Camertae. « Juturne prend la forme de Camerte. » Clorée est tué dans le onzième livre par Camille, et dans le douzième, par Turnus. Je me demande si Palinure-Jasides et Japix-Jasides sont deux frères. Hippocoon est qualifié fils d'Hyrtacide, tandis que je retrouve ailleurs « Asilas, fils d'Hyrtacide, renverse Corinée. » A la vérité, il est possible que deux individus aient porté le même nom; mais voyez l'exactitude d'Homère dans de pareils cas. Comme il a deux Ajax dans son poème, il appelle l'un : Αἴαντα Τελαμώνιον « le « fils de Télamon; » et l'autre : ᾿Οϊλῆος ταχὺς Αἴας « le bouillant fils d'Oïlée. » Il dit ailleurs que ces deux héros ἶσον θυμὸν ἔχοντες ὁμώνυμοι, (Iliade, XVII) « avaient le même nom et le même courage. »
C'est ainsi qu'il a soin de séparer par des insignes spéciaux ceux qui
portent un nom semblable, afin que les différents prénoms ne jettent
point le lecteur dans l'incertitude.
οἳ δ' ᾿Ασπληδόνα ναῖον
οἳ δ' Εὔβοιαν ἔχον
οἳ δ' ῎Αργός τ' εἶχον Τίρυνθά τε
οἱ δ' ἷξον κοίλην Λακεδαίμονα κητώεσσαν, Virgile, au contraire, varie ses tournures, ayant l'air d'appréhender les répétitions, comme des fautes ou comme des taches
Primus init bellum Tyrrhenis asper ab oris
Filius huic iuxta Lausus,
Post hoc insignem fama per gramina currum
Tum gemini fratres
Nec Praenestinae fundator,
At Messapus equum domitor,
Ecce Sabinorum prisco de sanguine,
Hic Agamemnonius,
Et te montosae
Quin et Marrubia venit de gente sacerdos,
Ibat et Hippolyti proles. Peut-être quelques personnes penseront que la variété de l'un est préférable à la divine simplicité de l'autre. Pour moi, je ne sais comment il se fait qu'Homère soit le seul chez qui ces répétitions ne me paraissent point déplacées. Elles me semblent convenables au génie antique du poète et à la nature même de l'énumération. N'ayant dans ce morceau que des noms à relater, il n'a point voulu se donner la peine de tourmenter minutieusement son style, pour y répandre de la variété; mais, à l'exemple de celui qui passe effectivement une armée en revue, il se sert simplement des expressions numériques; ce qui n'empêche pas qu'il ne sache, quand il le faut, ajouter d'ingénieuses circonstances aux noms des chefs de l'armée :
αὐτὰρ Φωκήων Σχεδίος καὶ ᾿Επίστροφος ἦρχον
Λοκρῶν δ' ἡγεμόνευεν ᾿Οϊλῆος ταχὺς Αἴας
Νιρεὺς αὖ Σύμηθεν ἄγε τρεῖς νῆας ἐΐσας Virgile lui-même admirait les énumérations accumulées d'Homère, qu'il a traduites avec une grâce que j'oserais presque dire supérieure à celle de l'original :
οἳ Κνωσόν τ' εἶχον Γόρτυνά τε τειχιόεσσαν, « Ceux qui habitent Gnosse, Gortyne qui est bien enceinte de murs, Lyctum, Milet, la blanche Lycaste, et Phaste. » (Homère). C'est à l'exemple de ce passage, et d'autres semblables, que Virgile a dit
Agmina densentur campis, Argivaque pubes « Les campagnes sont couvertes de troupes les jeunes descendants des Argiens, les batailIons des Arunces, les Rutules, les vieux Sicaniens, et auprès d'eux le corps des Gauranes,et les Labiens qui portent des boucliers peints; les peuples qui habitent les bords du Tibre, et ceux qui cultivent la rive sacrée du Numicus, qui labourent les collines Rutules et la montagne de Circé, champs que protège Jupiter Anxur etc. »
CHAPITRE XVI. Des ressemblances qui se rencontrent dans les dénombrements (de troupes) de Virgile et dans ceux d'Homère; des maximes fréquentes qui se trouvent dans leurs ouvrages; des passages dans lesquels Virgile, soit par hasard, soit à dessein, s'éloigne d'Homère; et de ceux dans lesquels il dissimule ses imitations. Nos deux poètes ont soin, dans leurs dénombrements de troupes, après des détails arides et des catalogues de noms propres, de placer un récit d'une poésie agréable, pour délasser l'esprit du lecteur. Homère sait amener, parmi les énumérations des noms de pays et de villes, des récits qui rompent la monotonie.
καὶ Πτελεὸν καὶ ῞Ελος καὶ Δώριον, ἔνθά τε
μοῦσαι 595 « Ceux qui habitaient Pylos et la riante Arénée, et Thryon où est un gué de l'Alphée, et Apys qui est bien bâtie; Cyparisse, Amphigénée, Plétée, Élos, Dorion, où les Muses privèrent le Thrace Thamyris de l'art du chant ce Thamyris, fils d'Eurytus, natif d'Oechalie, assurait orgueilleusement qu'il triompherait, au chant, des Muses elles-mêmes, filles de Jupiter; mais, celles-ci irritées l'aveuglèrent, lui enlevèrent l'art divin du chant, et lui firent perdre le souvenir de fart de jouer de la cithare. » Et ailleurs
τῶν μὲν Τληπόλεμος δουρὶ κλυτὸς ἡγεμόνευεν, « Le chef de ces peuples était Tlépolème, que sa lance avait rendu célèbre. Hercule l'eut d'Astyochée, qu'il amena d'Éphyre, ville située sur les bords du fleuve Sellente, après avoir dévasté plusieurs villes habitées par les enfants de Jupiter. Tlépolème, après avoir été nourri dans l'abondance, tua bientôt l'oncle chéri de son père, le vieux Licymnius, fils de Mars. » Voyez aussi ce qui suit et les ornements, dont Homère l'embellit. Virgile, fidèle à suivre son modèle, intercale dans son premier dénombrement l'épisode d'Aventin et celui d'Hippolyte, et dans le second l'épisode de Cygnus. Ce sont ces ornements mêlés à la narration qui en détruisent la monotonie. Virgile observe la même chose, avec beaucoup d'élégance, dans tous ses livres des Géorgiques. Ainsi, après les préceptes, arides de leur nature, pour soulager l'esprit et l'oreille du lecteur, il termine chacun de ses livres par un épisode qui en est déduit. Dans le premier livre, ce sont les signes précurseurs des orages; dans le deuxième, l'éloge de la vie champêtre; dans les troisième, la description de l'épidémie des troupeaux; le quatrième enfin est terminé par l'épisode, bien amené, d'Orphée et d'Arislée. C'est ainsi que, dans tous les ouvrages de Virgile, reluit l'imitation d'Homère. La poésie d'Homère est remplie de sentences,et chacun de ses apophtegmes est devenu proverbe, et a passé dans la bouche de tout le monde.
ἀλλ' οὔ πως ἅμα πάντα θεοὶ δόσαν ἀνθρώποισιν·
(Iliade, IV, 320)
χρὴ ξεῖνον παρεόντα φιλεῖν, ἐθέλοντα δὲ πέμπειν.
(Odyssée, XV, 73)
Μέτρον
δ᾽ ἐπὶ πᾶσιν ἄριστον,
οἱ πλέονες κακίους
(Odyssée, II, 278)
δειλαί τοι δειλῶν γε καὶ ἐγγύαι ἐγγυάασθαι.
(Odyssée, VIII, 351)
ἀφρὼν δ᾽ ὅς
κ᾽ ἐθέλοι πρὸς κρείσσονας ἀντιφερίζειν, Voyez aussi plusieurs autres vers en forme de maximes. Il ne manque pas non plus de ceux-là dans Virgile.
Non omnia possumus omnes,
Omnia vincit Amor
Labor omnia vincit
Usque adeone mori miserum est?
Stat sua cuique dies,
Dolus an virtus, quis in hoste requirit?
Et quid quaeque ferat regio et quid quaeque recuset,
Auri sacra fames On trouve dans Virgile mille autres maximes pareilles, qu'il deviendrait fastidieux de rapporter, puisqu'elles sont dans la bouche de tout le monde, et qu'elles se présentent d'elles-mêmes à l'esprit du lecteur. Quelquefois cependant, soit fortuitement, soit spontanément, Virgile s'écarte des principes d'Homère. Ainsi, le poète grec ne reconnaît point la Fortune; il attribue la direction universelle de toutes choses à un seul dieu qu'il appelle Moira; et le mot μοῖρα (le hasard) ne se trouve nulle part dans son poème. Virgile, au contraire, non seulement reconnaît et mentionne le hasard, mais il lui attribue encore la toute puissance; tandis que les philosophes qui ont prononcé son nom reconnaissent qu'il n'a par lui-même aucune force, mais qu'il est seulement le ministre du destin ou de la providence. Dans les fables, comme dans les narrations historiques, Virgile s'écarte aussi quelquefois d'Homère. Ainsi, chez ce dernier, Égéon combat pour Jupiter, tandis que, chez l'autre, il combat contre lui. Virgile nous représente Eumèdes, fils de Dolon, comme un guerrier courageux qui a hérité de la bravoure et de la vigueur de son père, tandis qu'Homère fait de Dolon un lâche. Le poète grec ne fait pas la moindre mention du jugement de Pâris ; il ne fait point de Ganymède le rival de Junon enlevé par Jupiter, mais l'échanson de Jupiter enlevé dans le ciel par les dieux, pour les servir. Virgile attribue le ressentiment de la déesse Junon à ce qu'elle n'obtint pas, au jugement de Pâris, le prix de la beauté, motif qui serait honteux pour toute femme honnête; et il prétend que c'est à cause de cet adultère débauché qu'elle persécuta toute sa nation. D'autres fois, c'est avec une sorte de dissimulation que Virgile imite son modèle. II changera la disposition d'un lieu qu'Homère aura décrit, pour empêcher qu'on ne le reconnaisse. Homère, par une grande idée, suppose que le bouleversement de la terre arrache des enfers Pluton lui-même, poussant des cris d'épouvante.
ἔδεισεν δ' ὑπένερθεν ἄναξ ἐνέρων ᾿Αϊδωνεύς, « Le père des dieux et des hommes fit entendre son tonnerre au haut du ciel, d'une manière effroyable, tandis que Neptune ébranla les fondements immenses de la terre et les sommets élevés des montagnes. Les racines et les sommets de l'Iida, qu'arrosent de nombreuses sources, furent ébranlés, ensemble avec la ville des Troyens et les vaisseaux des Grecs. Pluton lui-même fut effrayé au fond de son royaume infernal; il se leva de son trône et s'écria d'épouvante, redoutant que Neptune, en ébranlant la terre, ne la fît entrouvrir au-dessus de lui, et que ces demeures hideuses et terribles, qui font frémir les dieux eux-mêmes, ne fussent ouvertes aux regards des mortels et des immortels. » Virgile a profité de cette conception; mais pour la faire paraître neuve, au lieu de la mettre en récit, il en fait une comparaison
Non secus ac si qua penitus vi terra dehiscens « Telle à peu près la terre, si, profondément déchirée, elle découvrait les demeures infernales et les royaumes sombres, détestés des dieux; si on apercevait d'en haut l'abîme sans mesure, et les mânes tremblants, à l'immission de la lumière. » Voici un autre exemple de ces larcins dissimulés. Homère avait dit que le travail ne trouble point la vie des immortels : θεοὶ ῥεῖα ζώοντες (Odyssée, IV, 804) « Les dieux vivent paisiblement. » Virgile répète la même chose d'une façon détournée
Di Iovis in tectis casum miserantur inanem « Les dieux, dans le palais de Jupiter, déplorent les malheurs inutiles des deux peuples, et la condition des mortels, condamnés à tant de travaux, » dont, par conséquent, ils sont eux-mêmes exempts.
CHAPITRE XVII Que Virgile n'a pas suffisamment motivé l'origine de la guerre qui s'élève entre les Troyens et les Latins. Des morceaux qu'il a traduits d'Apollonios et de Pindare; et qu'il s'est plu non seulement à employer des. noms grecs, mais encore des désinences helléniques.
Ce qui fait ressortir
évidemment le secours qu'Homère a prêté à Virgile, ce sont les
moyens que celui-ci a imaginés lorsque la nécessité l'a contraint à
inventer des motifs de guerre, dont Homère n'avait pas eu besoin,
puisque la colère d'Achille, qui donne sujet à son poëme, n'eut lieu
que la dixième année de la guerre de Troie. C'est d'un cerf, blessé
par hasard, que Virgile fait un motif de guerre; mais sentant que ce
moyen est faible et même puéril, il le renforce de la douleur que cet
événement occasionne aux habitants de la campagne, dont les agressions
suffisent pour amener les hostilités. Mais il ne fallait pas que les
serviteurs de Latinus, et surtout ceux qui étaient attachés au service
des écuries royales, et qui, par conséquent, n'ignoraient pas
l'alliance que le roi avait contractée avec les Troyens, les dons qu'il
leur avait faits de plusieurs chevaux et d'un char attelé, vinssent
attaquer le fils d'une déesse (Énée). Qu'importe, après cela, que la
plus grande de toutes descende du ciel, et que la plus horrible des
Furies soit évoquée du Tartare; que des serpents viennent, comme au
théâtre, répandre l'horreur sur la scène; que la reine, non contente
de sortir de la retraite que la bienséance impose aux femmes, et de
parcourir les rues de la ville, associant à ses fureurs d'autres mères
de famille, prenne l'essor vers les bois, et que cette troupe de femmes,
jusqu'alors pudiques, devienne un chœur de Bacchantes qui célèbre de
folles orgies? qu'importe, dis-je, tout cela? J'avoue que j'eusse mieux
aimé que, dans cet endroit comme en d'autres, Virgile eût trouvé
quelque chose à imiter dans son modèle ordinaire, ou dans quelque
autre des écrivains grecs.
τᾶς ἐρεύγονται μὲν ἀπλάτου πυρὸς ἁγνόταται « (L'Etna) dont l'abîme vomit les sources sacrées d'un feu inaccessible. Ces fleuves brûlants ne semblent, dans l'éclat du jour, que des torrents de fumée rougis par la flamme; dans l'obscurité de la nuit, c'est la flamme elle-même, roulant des rochers qu'elle fait tomber avec fracas sur la profonde étendue des mers. Typhée, ce reptile énorme, vomit ces sources embrasées; prodige affreux dont l'aspect imprime l'épouvante, et dont on ne peut sans frayeur se rappeler le souvenir. » Écoutez maintenant les vers de Virgile, qui paraissent une ébauche plutôt qu'un tableau
Portus ab accessu ventorum inmotus et ingens « Le port où nous abordâmes est vaste, et tout à fait à l'abri des vents; mais on entend tonner auprès les horribles éruptions de l'Etna. Tantôt il vomit dans les airs une sombre nuée, où brille l'étincelle, où fument des tourbillons de poix, d'où partent des globes de feu qui s'élèvent jusqu'aux astres; tantôt il décharge et lance dans les airs des rochers arrachés des entrailles de la montagne, où ses profonds bouillonnements font rejaillir avec fracas les pierres liquéfiées, et agglomérées en une seule masse. »
Fidèle à la vérité, Pindare commence à peindre l'Etna tel qu'il se
montre réellement, exhalant la fumée pendant le jour, et laissant
échapper des flammes durant la nuit. Virgile, tout occupé à faire du
fracas, en rassemblant des expressions retentissantes, n'a fait aucune
distinction entre ces deux moments. Le poète grec peint magnifiquement
l'éruption des sources embrasées, les torrents de fumée, et ces
colonnes tortueuses de flamme qui, semblables à des serpents de feu,
sont portées jusqu'à la mer. Mais lorsque, pour rendre ῥόον καπνοῦ
Dirus Ulixes,
spelaea ferarum,
daedala tecta,
Rhodopeiae arces,
Altaque Panchaea, ...
Atque Getae atque Hebrus et Actias Orithyia,
Thyas, ubi audito stimulant trieterica Baccho
Non tibi Tyndaridis facies invisa Lacaenae
Ferte simul Faunique pedem Dryadesque puellae
Hinc atque hinc glomerantur Oreades,
Pars pedibus plaudunt choreas,
Milesia vellera nymphae
Drymoque Xanthoque Ligeaque Phyllodoceque,
Alcandrumque Haliumque Noemonaque Prytaninque
Amphion Dircaeus in Actaeo Aracintho
Senior Glauci chorus Inousque Palaemon. Voici un vers du grammairien Parthénlus, lequel parmi les Grecs a été quelquefois utile à Virgile . « A Glaucus, à Nérée, à Mélicerte fils d'Inoo. » Virgile a dit Glauco et Panopeae et Inoo Melicertae « A Glaucus, à Panopée, à Mélicerte fils d'Inoo. » (Et ailleurs) Tritonesque citi, et inmania cete « Les Tritons légers, et les énormes cétacés. » Il aime jusqu'aux déclinaisons des Grecs, en sorte qu'il dit Mnesthea, au lieu de Mnestheum. car lui-même avait dit ailleurs: nec fratre Mnestheo. Au lieu d'Orpheo, il préfère décliner à la manière des Grecs Orphi, comme dans ce vers: Orphi Calliopea, Lino formosus Apollo « Orphée fils de Calliope, (Orphi Calliopea) le bel Apollon, père de Linus. » Et (dans celui-ci) Vidimus, o cives, Diomede - « Nous avons vu; citoyens, Diomède (Diomedon).» Cet accusatif en en est grec; car si quelqu'un pense qu'il a dit Diomedem en latin, la mesure du vers n'existera plus. Enfin, Virgile s'est complu à donner à tous ses poèmes des titres grecs, Bucolica, Georgica, Aeneis, noms qui sont tous d'une forme étrangère à la langue latine.
CHAPITRE XVIII. Des passages que Virgile a traduits des Grecs, si clandestinement qu'on peut à peine reconnaître où il les a puisés. Nous n'avons parlé jusqu'ici que des emprunts de Virgile qui sont connus de tout le monde, et de quelques-uns qui ne sont pas ignorés des Romains. J'en viens maintenant à ceux qui, provenant d'une connaissance profonde des lettres grecques, ne peuvent par conséquent être connus que des personnes qui ont fait de cette littérature l'objet d'une étude approfondie. Car, de même que la science de ce poète se montre scrupuleuse et circonspecte, de même elle se tient dissimulée et à demi voilée; tellement qu'il est plusieurs des passages qu'il a traduits, dont il n'est pas facile de reconnaître la source. Dans l'exorde des Géorgiques, on trouve les vers suivants
Liber et alma
Ceres, vestro si munere tellus « Liber, et vous bienfaisante Cérès, si la terre vous doit d'avoir échangé le gland de Chaonie pour l'épi nourrissant des blés, et d'avoir mêlé dans les coupes d'Achéloüs (pocula Acheloïa) la liqueur tirée du raisin. »
La foule des grammairiens ne fait remarquer rien autre chose à ses
disciples, au sujet de ces vers, sinon que c'est Cérès qui a fait
abandonner aux hommes leur antique nourriture, et qui leur a appris à
substituer le blé au gland; et que Liber découvrit la vigne et en retira
le vin, pour, former, mêlé avec l'eau, la boisson de l'homme.
Ἤμουν ἄγριον « Je me sentais pesant. » « C'était du vin, bu sans être mêlé avec de l'eau (Ἀχελῶῳ). » C'est-à-dire du vin pur, en latin merum. Maintenant, voici dans quels termes Éphore, historien très connu, nous apprend , dans le livre second de son Histoire, les causes de cette locution Τοῖς μέν οὒν ἄλλοις ποταμοῖς οἱ πλησιόχωροι μόνοι θύουσιν· τὸν δὲ Ἀχελῷον μόνον πἀντας ἀνθρώπους συμβέβηκεν τιμᾶν, οὐ τοῖς κοινοῖς ὀνόμασιν ἀντὶ τῶν ἰδίων, τοῦ Ἀχελῴου τὴν ἰδίαν ἐπωνυμίαν ἐπὶ τὸ κοινὸν μεταφέροντας. Τὸ μὲν γὰρ ὕδωρ ὅλως, ὅπερ ἐστὶ κοινὸν ὅνομα, ἀπὸ τῆς ἰδίας ἐκείνου προσηγορίας Ἀχελῷον καλοῦμεν, τῶν δὲ ἄλλων ὀνομάτων τὰ κοινὰ πολλάκις ἀντὶ τῶν ἰδίων ὀνομάζομεν, τοὺς μὲν ἀθηναίους Ἕλληνας, τοὺς δὲ Λακεδαιμονίους Πελοποννησίους ἀποκαλοῦντες. Τούτου δὲ τοῦ ἀπορήματος οὐδὲν ἔχομεν αἰτιώτατον εἰπεῖν ἢ τοὺς ἐκ Δωδώνης χρησμοῦς· σχεδὸν γὰρ ἐν ἅπασιν αὐτοῖς προστάττειν ὁ θεὸς εἴωθεν Ἀχελώῳ θύειν, ὥστε πολλοὶ, νομίζοντες οὐ τὸν ποταμὸν τὸν διὰ τῆς ἀκαρνανίας ῥέοντα ἀλλὰ τὸ σύνολον ὕδωρ Ἀχελῷον ὑπὸ τοῦ χρησμοῦ καλεῖσθαι, μιμοῦνται τὰς τοῦ θεοῦ προσηγορίας. Σημεῖον δὲ, ὅτι πρὸς τὸ θεῖον ἀναφέροντες οὕτω λέγειν εἰώθαμεν· μάλιστα γὰρ τὸ ὕδωρ Ἀχελῷον προσαγορεύομεν ἐν τοῖς ὅρχοις καὶ ἐν ταῖς εὐχαῖς καὶ ἐν ταῖς θυσίαις, ἅπερ πάντα περὶ τοὺς θεούς. « Les fleuves sont adorés seulement par les peuples qui habitent sur leurs bords; mais le fleuve Achéloüs, lui seul , est adoré par tous les hommes. Il ne partage pas la dénomination commune des fleuves; mais c'est de lui qu'elle leur a été transportée dans le langage commun. Ainsi, au lieu d'appeler l'eau de son nom spécial, nous lui donnons le surnom d'Achéloüs, emprunté à ce fleuve; tandis que souvent, dans d'autres circonstances, nous employons le nom commun, au lieu du nom spécial. Par exemple, on appelle les Athéniens Hellènes, et les Lacédémoniens, Péloponnésiens. Je ne saurais assigner d'autre cause à l'exception dont il s'agit, que les paroles de l'oracle de Dodone, lequel donnait presque toujours pour réponse : Sacrifiez à Achéloüs. De sorte que plusieurs personnes, pensant que l'oracle n'entendait pas désigner exclusivement par le nom d'Achéloüs le fleuve qui coule chez les Acarnaniens, mais toute espèce d'eau en général, attribuèrent ce surnom à l'eau des fleuves de leur pays, et leur donnèrent par suite le nom du dieu, qui est passé après, dans le langage ordinaire, surtout quand il s'agit de l'eau qu'on offre à l'occasion des sacrifices, des prières, des serments, et de tout ce qui concerne les dieux. » Il n'est pas possible de démontrer plus clairement que, dans les temps les plus reculés de la Grèce, le nom d'Achéloüs était employé pour désigner l'eau en général. Virgile s'est donc exprimé d'une manière savante, lorsqu'il a dit que Liber mêla le vin avec Achéloüs. Il ne serait pas besoin d'autres témoignages en faveur de cette assertion, après ceux du poète comique Aristophane et de l'historien Éphore. Cependant ne nous en contentons point. Didyme, incontestablement le plus savant des grammairiens, après avoir donné la raison rapportée ci-dessus par Éphore, en ajoute encore une autre, qu'il déduit en ces termes πρεσβύτατον εὶναι Ἀχελῷον τιμὴν ἀπονέμοντας αὐτῷ τοὺς ἀνθρώπους πάντα ἁπλῶς τὰ νάματα τῷ ἐκείνου ὀνόματι προσαγορεύειν· ὁ γοῦν Ἀγησιλαος διὰ τῆς πρώτης ἱστορίας δεδήλωκεν p458ὅτι Ἀχελῷος πάντων τῶν ποταμῶν πρεσβύτατος. Ἔφη γὰρ· Ὠκεανὸς δὲ γαμεῖ Τηθὺν, ἑαυτοῦ ἀδελφήν· τῶν δὲ γίνονται τρισχίλιοι ποταμοί· Ἀχελῷος δὲ αὐτῶ, πρεσβύτατος, καὶ τετίμηται μάλιστα « Peut-être serait-il mieux de dire que c'est parce qu'Achéloüs est le plus ancien des fleuves, que les hommes lui font l'honneur de donner son nom à toutes les eaux en général. Car Agésilas, dans le premier livre de son Histoire, nous instruit du droit d'aînesse du fleuve Achéloüs. L'Océan, dit-il, ayant épousé Téthys, sa soeur, il naquit de cette union trois mille fleuves, et Achéloüs fut l'aîné de tous; c'est pourquoi il est le plus révéré. » Quoique ces témoignages soient plus que suffisants pour prouver que ce fut une locution familière aux anciens, d'employer le nom d'Achéloüs pour désigner génériquement l'eau; j'y ajouterai encore celui de l'illustre tragique Euripide, que le même grammairien Didyme expose en ces termes, dans son ouvrage intitulé « Du style de la tragédie. » Euripide nous dit, dans Hypsipyle,
Ἀχελῷον πᾶν ὕδωρ Εὐριπίδης φησὶν ἐν Ὑψιπύλῆ. Λέγων γὰρ περὶ ὕδατος ὅντος
σφόδρα πόῤῥω τῆς Ἀκαρνανίας, ἐν ᾗ ἐστιν ὁ ποταμὸς Ἀχελῷος, φησιν· « qu'Achéloüs signifie toute eau en général; car, en parlant d'un fleuve très éloigné de l'Acarnanie, province dans laquelle coule le fleuve Achéloüs, il dit « Je montrerai le cours de l'Achéloüs. » On lit dans le septième livre (de l'Énéide) les vers suivants, où il est question des Berniques et de leur principale ville, qui était alors Ananie
— Quos
dives Anagnia pascit, «... Les fils du fleuve Amasène, que nourrit la « riche Anagnie. Tous n'ont pas des armes, un bouclier, ou un char retentissant. La plupart font pleuvoir des balles de plomb mortel; d'autres portent un épieu à chaque main, et sur la tête un bonnet de la peau fauve du loup. Ils ont le pied gauche nu, et l'autre est recouvert d'une chaussure faite de cuir cru. » On ne trouve nulle part, que je sache, que cet usage d'aller au combat, un pied chaussé et l'autre nu, ait jamais existé en Italie; mais je prouverai bientôt, par le témoignage d'un auteur grave, que cet usage a été celui de certains peuples de la Grèce. Il faut admirer ici l'idée qui a dirigé secrètement le poète. Car ayant lu que les Herniques, dont la capitale est Anagnie, étaient des descendants des Pélasges, et de plus qu'ils tiraient même leur nom d'un de leurs anciens chefs, Pélasge de nation, nommé Hernicus, il a imaginé d'attribuer aux Herniques, qui sont une ancienne colonie des Pélasges, une coutume qu'il avait lu être celle des Étoliens. Or, Julius Higin, au second livre de son traité des Villes (d'Italie), prouve longuement que les Herniques ont eu pour chef un Pélasge nommé Hernicus. Quant à la coutume des Étoliens, d'aller au combat un pied chaussé et l'autre nu, l'illustre poète Euripide nous l'atteste. Dans sa tragédie de Méléagre, un messager paraît sur la scène, et décrit le costume des chefs qui s'étaient réunis pour aller à la poursuite du sanglier (de Calydon). Voici le passage
Τελαὼν δὲ χρυσοῦν
αἰετὸν πέλτης ἔπι « Un aigle d'or brille sur le bouclier que Télamon oppose au sanglier; des feuilles de vigne couronnent la tête de ce héros, honneur de Salamine, sa patrie chérie; l'Arcadienne Atalante, haïe de Vénus, conduit ses chiens; elle est vêtue élégamment; elle porte un arc et une hache à deux tranchants. Les fils de Thestius ont le pied gauche nu, et l'autre chaussé d'un brodequin ; costume qui rend léger à la course, et qui est d'un usage général chez les Étoliens.... » Remarquez que Virgile a conservé soigneusement le texte d'Euripide, car celui-ci avait dit — τὸ λαιὸν ἴχνος ἀνάρβυλοι ποδός, « Ils ont le pied gauche nu. »
Et c'est bien le même pied qui est nu dans
— vestigia
nuda sinistri « .... La trace de leur pied gauche marque le sol. » Toutefois, pour vous prouver l'attention que nous avons donnée à cette question, nous vous ferons là-dessus une observation qui n'est connue que de peu de monde. Euripide a encouru, à cette occasion, le reproche d'ignorance de la part d'Aristote, lequel soutient que c'était le pied droit, et non le gauche, qui était nu chez les Étoliens. A l'appui de ce que j'avance, je vais citer les expressions d'Aristote dans le livre second de sa Poétique, où il dit, en parlant d'Euripide
Τοὺς δὲ Θεστίου
κόρους τὸν μὲν ἀριστερὸν πόδα φησὶν Εὐριπίδης ἐλθεῖν ἔχοντας ἀνυπόδετον·
λέγει γοῦν, ὅτι « Euripide dit que les fils de Thestius vinrent « (à la chasse) ayant le pied gauche nu. Voici ses expressions : « Ils ont le pied gauche nu, et l'autre chaussé d'un brodequin, ce qui rend léger à la course. » Tandis que la coutume des Étoliens était, tout au contraire, de chausser le pied gauche et d'avoir le pied droit nu; ce qui me paraît plus convenable pour rendre rapide à la course. » Vous voyez, d'après cela, que Virgile a préféré l'autorité d'Euripide à celle d'Aristote; car je me refuse à croire que ce poète, si profondément instruit, ait ignoré ce passage d'Aristote; et il doit avoir eu ses motifs pour donner la préférence à Euripide; car les ouvrages des tragiques grecs lui étaient très familiers, comme il est facile de s'en convaincre d'après ce que nous avons déjà dit, et d'après ce que nous dirons bientôt.
CHAPITRE XIX. Des autres passages que Virgile a pris chez les Grecs, dans les quatrième et neuvième livres de l'Énéide. Dans la description de la mort de Didon, au quatrième livre de l'Énéide, Virgile emploie les deux vers suivants, pour nous apprendre que le cheveu (fatal) n'avait point encore été tranché
Nondum illi flavum Proserpina vertice crinem « Proserpine ne lui avait point encore enlevé son cheveu blond, ni dévoué sa tête à Orcus et au Styx. » Bientôt Iris est envoyée par Junon pour couper ce cheveu, et l'apporte à Orcus. Cette fiction n'est point adoptée par Virgile sans quelque fondement, ainsi que le suppose Cornutus, homme d'ailleurs très savant, qui fait sur ces vers la remarque suivante : Unde haec historia, ut crinis auferendus sit morientibus, ignoratur: sed adsuevit poetico more aliqua fingere, ut de aureo ramo. « On ignore d'où est tirée cette histoire du cheveu coupé aux mourants; mais on sait que Virgile, conformément aux usages de la poésie, invente des fictions, comme, par exemple, celle du rameau d'or. »
Ainsi s'exprime Cornutus. Je suis fâché qu'un homme si savant,
particulièrement versé dans les lettres grecques, n'ait pas connu le
beau poème d'Euripide, dans lequel Orcus est mis
Ἡ δ᾽ οὖν
γυνὴ κάτεισιν εἰς Ἅιδου δόμους. « Cette femme se présente pour entrer dans le royaume d'Adès (Pluton). Je vais à elle, afin de la consacrer par le glaive; car il est consacré aux dieux des enfers celui dont ce glaive aura coupé le cheveu. » Il est évident, je pense, quelle est l'autorité d'après laquelle Virgile a admis la fiction du cheveu coupé. Les Grecs emploient le mot ἁγνίσαι, pour désigner l'action de consacrer aux dieux. C'est pourquoi Virgile fait dire à Iris
—
Hunc ego Diti « Je vais, selon qu'il m'est prescrit, apporter ce cheveu à Dis, auquel il est consacré; et toi, je te délie de ce corps. » Je viens de prouver que la plupart des passages cités plus haut sont appuyés sur l'autorité des poètes tragiques; maintenant, je vais signaler ce que Virgile a pris à Sophocle. Dans le quatrième livre (de l'Énéide), Elisse, (Didon) abandonnée par Énée, a recours aux prières des pontifes et aux invocations des magiciennes ; et, entre autres pratiques qu'elle met en usage pour calmer son amour, Virgile dit qu'elle se fait apporter des herbes coupées avec des faux d'airain. Ne semble-t-il pas naturel de se demander ici comment les faux d'airain sont venues dans l'esprit de Virgile? Je vais mettre sous vos yeux les vers du poète, et ceux de Sophocle qu'il a imités
Falcibus et messae ad lunam quaeruntur aenis « On apporte des herbes couvertes de leur duvet, coupées au clair de la lune, avec des faux d'airain, et qui distillent un suc noir et venimeux. »
Une tragédie de Sophocle porte, jusque dans son titre, l'indication de
ce qui fait l'objet de nos recherches. Elle est intitulée
῾Ριζοτόμοι:
(ceux qui coupent des racines).
Médée y est représentée cueillant des herbes vénéneuses, la tête tournée
derrière le dos, pour ne pas être victime elle-même de la violence de
l'odeur léthifère, et exprimant leur suc dans des vases d'airain, après
les avoir coupées avec des faux du même métal.
Ἥδ᾽ ἐξοπίσω
χερὸς ὄμμα τρέπουσ᾽ «Celle-ci , le visage tourné par derrière, reçoit dans des vases d'airain le suc qui découle de l'incision ». Et peu après
— Αἵδε καλύπται « Elle recueillait dans des paniers couverts les racines qu'elle avait coupées avec des faux d'airain, en criant et poussant des hurlements. » C'est indubitablement de ce .passage de Sophocle, que Virgile a tiré ses faux d'airain. On a d'ailleurs plusieurs preuves qu'on employait très souvent des instruments d'airain dans les sacrifices, et principalement lorsqu'il s'agissait ou de calmer quelqu'un, ou de le dévouer, ou de dissiper des maladies. Je ne dis rien de ce vers de Plaute Mecum habet patagus morbus aes Ni de cet autre de Virgile Curetum sonitus crepitantiaque aera « Les sons des Curètes et l'airain retentissant. » Mais je veux rapporter les paroles de Carminius, dans le livre second de son savant et curieux ouvrage sur l'Italie : Prius itaque et Tuscos aene vomere uti, cum conderentur urbes, solitos in Tageticis eorum sacris invenio, et in Sabinis ex aere cultros quibus sacerdotes tonderentur. « Jadis les Toscans se servaient de charrues à soc d'airain, pour tracer les fondements des villes; ils s'en servaient aussi dans le culte qu'ils rendaient à Tagès. Chez les Sabins, on se servait de lames d'airain pour couper les cheveux des prêtres. »
Il serait trop long de passer en revue les nombreux passages des plus
anciens auteurs grecs, qui attestent la grande vertu qu'ils attribuaient
aux sons de l'airain. Il suffit, pour le moment, d'avoir prouvé que
c'est d'après les écrivains grecs que Virgile a parlé des faux d'airain.
Stabat in egregiis Arcentis filius armis, « Le fils d'Arcens se faisait remarquer par « l'éclat de ses armes, par sa chlamyde brodée en couleur, et teinte de rouge ibérique. Il était beau de visage, et son père, qui l'avait envoyé à cette guerre, l'avait élevé dans un bois consacré à Mars, auprès du fleuve Symèthe, où est situé l'autel engraissé (pinguis) et placable de Palicus. »
Quel est ce dieu Palicus, ou plutôt quels sont ces dieux Paliques (car
ils sont deux), dont il n'est fait mention, que je sache, dans aucun
écrivain latin? C'est dans les sources les plus profondes de la
littérature grecque que Virgile les a trouvés.
Τί δῆτ᾽ ἐπ᾽ αὐτοῖς
ὄνομα θήσονται βροτοί; « Quel nom leur donnent les mortels? Jupiter veut qu'on les nomme Paliques, et ce nom leur est attribué avec justice, puisqu'ils sont retournés des ténèbres à la lumière. » Voici maintenant un passage de Callias, livre septième de son histoire de Sicile Ἡ δὲ Ἐρύκη τῆς μὲν Γελῴας ὅσον ἐνενήκοντα p469στάδια διέστηκεν, ἐπιεικῶς δὲ ἐχυρός ἐστιν ὁ τόπος καὶ τὸ παλαιὸν Σικελῶν γεγενημένη [ἡ] πόλις· ὑφ᾽ ᾗ καὶ τοὺς Δέλλους καλουμένους εὶναι συμβέβηνεκν. Οὗτοι δὲ κρατῆρες δύο εἰσὶν οὓς ἀδελφοὺς τῶν Παλικῶν οἱ Σικελιῶται νομίζουσιν, τὰς δὲ ἀναφορὰς τῶν πομφολύγων παραπλησίας βραζούσαις ἔχουσιν. « Éryx est éloigné de Géla d'environ quatre-« vingt-dix stades. C'est une montagne aujourd'hui entièrement déserte, et jadis ce fut une ville de la Sicile. Là sont situés deux gouffres que les Siciliens appellent Delloï, qu'ils croient frères des Paliques et dont les eaux sont continuellement bouillonnantes. » Voici actuellement un passage de l'ouvrage de Palémon, intitulé Des fleuves merveilleux de la Sicile περὶ τῶν ἐν Σικελίᾳ θαυμαζομένων προταμῶν sic ait: Οἱ δὲ Παλικοὶ προσαγορευόμενοι παρὰ τοῖς ἐγχωρίοις αὐτόχθονες θεοὶ νομίζονται. ὑπάρχουσιν δὲ τούτων *ἕδη οἱ δύο Ἀδελφοὶ, κρατῆρρες χαμαίζηλοι. προσιέναι δὲ ἀγιστεύοντας χρὴ πρὸς αὐτοὺς ἀπό τε παντὸς ἄγους καὶ συνουσίας ἔτι τε καί τινων ἐδεσμάτων. φέρεται δὲ ἀπ᾽ αὐτῶν ὀσμὴ βαρεῖα θείου, καὶ τοῖς πλησίον ἱσταμένοις καρηβάρησιν ἐμποιοῦσα δεινήν· τὸ δὲ ὕδωρ ἐστὶ θολερὸν αὐτῶν, καὶ τὴν χρόαν ὁμοιότατον χαλαιρύπῳ λευκῳ. φέρεται δὲ κολπύμενόν τε καὶ παφλάζον, οἷαί εἰσιν αἱ δῖναι τῶν ζεόντων ἀναβολάδην ὑδατων. φασὶν δὲ εἶναι καὶ τὸ βάθος ἀπέραντον τῶν κρατήρων τούτων, ὥστε καὶ βοῦς εἰσπεσόντας ἠφανῖσθαι, καὶ ζεῦγος ὀρικὸν ἐσελαυνόμενον, ἔτι δὲ φορβάδας ἐναλανένας. Ὅρκος δὲ ἔστιν τοῖς Σικελιώταις μέγιστος καθηραμένων τῶν προκληθέντων. οἱ δὲ ὀρκωταὶ γραμμάτιον ἔχοντες ἀγορεύουσιν τοις ὁρκουμένοις περὶ ῳν ἂν χρῄζωσιν τοὺς p472ὅρκους· ὁ δὲ ὁρκούμενος, θαλλὸν κραδαίνων, ἐστεμμένος ἄζωστος καὶ μονοχίτων, ἐφαπτόμενος τοῦ κρατῇρος ἐξ ὑποβολῆς δίεισιν τὸν ὅρκον. καὶ ἂν μὲν ἐμπεδώσῃ τοὺς ῥηθέντας ὅρκους, ἀσινὴς ἄπεισιν οἴκαδε· παραβάτης δὲ γενόμενος τῶν θεῶν ἐμποδὼν τελευτᾷ. Τούτων δὲ γινομένων ἐγγυητὰς ὑπισχνοῦνται καταστήσειν τοῖς ἱερεῦσιν, ἐπὴν ἐπάρατόν τι γένηται, κάθαρσιν ὀφλισκάνουσιν τοῦ τε μένους. Περὶ δὲ τὸν τόπον τοῦτον ᾦκησαν Παλικηνοὶ πόλιν ἐπώνυμον τούτων τῶν δαιμόνων Παλικήν. « Les dieux, dit-il, que (les Siciliens) appellent Paliques, sont regardés comme étant originaires de l'île; ils ont pour frères deux gouffres très profonds, dont on ne doit s'approcher, afin de leur rendre les honneurs religieux, que revêtu de vêtements nouveaux et purifié de toute souillure charnelle. Il s'exhale de ces gouffres une forte odeur de soufre, qui excite une ivresse effrayante dans ceux qui s'approchent de leurs bords. Leurs eaux sont troublées, et d'une couleur très ressemblante à celle d'une flamme blanchâtre; elles s'agitent et font le même bruit que si elles bouillonnaient modérément. On dit que la profondeur de ces gouffres est incommensurable, tellement que des boeufs y étant tombés y disparurent, ainsi qu'un chariot attelé de mulets, et des cavales qui étaient sautées dedans. Il est, chez les Siciliens, une sorte de serment qui est la plus solennelle des justifications que l'on puisse exiger. Les juges du serment lisent sur un billet, à ceux qui doivent le prêter, le serment qu'on exige d'eux; ceux-ci , brandissant une branche d'arbre, ayant à la tête couronnée, le corps sans ceinture et ne portant qu'un seul vêtement, s'approchent du gouffre et font le serment requis. S'ils retournent chez eux sains et saufs, leur serment est confirmé; mais s'ils sont parjures, ils expirent aux pieds des dieux. Au reste, (ceux qui jurent ) sont tenus de constituer entre les mains des prêtres des cautions qui leur garantissent, en cas d'événement, les frais des purifications qui doivent être pratiquées à l'égard des assistants. Auprès de ces gouffres habitèrent les Paliciens, dont la ville fut surnommée Palicina, du nom de ces divinités. » Ainsi s'exprime Polémon. Xénagore, dans le troisième livre de son Histoire des lieux où existent des oracles, dit ce qui suit Καὶ οἱ Σικελοὶ τῆς γῆς ἀφορούσης p474ἔθυσαν Πεδιοκράτει τινὶ ἥρωϊ, προστάξαντος αὐτοῖς τοῦ ἐκ Παλικῶν χρηστηρίου, καὶ μετὰ τὴν ἐπάνοδον τῆς εὐφορίας πολλοῖς δώροις τὸν βωμὸν τῶν Παλικῶν ἐνέπλησαν. « La Sicile ayant été affligée de stérilité, ses habitants, par l'ordre de l'oracle des Paliques, sacrifièrent à un certain héros; et après « le retour de la fertilité, ils comblèrent d'offrandes le temple des Paliques. » Voilà, je pense, pleinement terminée, et appuyée sur de graves autorités, l'explication d'un passage de Virgile, que nos littérateurs ne regardent pas même comme obscur, et sur lequel ils se contentent de savoir et d'apprendre à leurs disciples que Palicus est le nom d'une certaine divinité. Mais quelle est cette divinité, et d'où vient son nom? Ils l'ignorent et ils ne cherchent pas à le savoir, ne soupçonnant pas même où ils pourraient le trouver, dans l'ignorance où ils sont des ouvrages grecs.
CHAPITRE XX. Des Gargares et de la Mysie, d'après le premier livre des Géorgiques. N'omettons pas de parler des vers suivants, que nous trouvons dans le premier livre des Géorgiques
Humida solstitia atque hiemes orate serenas, « Agriculteurs , invoquez des solstices humides et des hivers sereins; la poussière de l'hiver réjouit les champs où croissent les céréales. Rien n'enorgueillit davantage les champs de la Mysie, et c'est alors que les Gargares s'étonnent eux-« mêmes de leurs propres moissons. » Dans ce passage, outre que le sens du poète paraît plus obscur et plus complexe qu'à son ordinaire, il se présente encore une question, qui tient à l'antiquité grecque. Qu'est-ce que ces Gargares que Virgile cite comme un exemple de fertilité? Ils sont situés dans la Mysie, qui est une province de l'Hellespont; et le mot est au pluriel, parce qu'en effet il est deux points qui portent ce nom; savoir : le sommet du mont Ida, et une ville située sur cette même montagne. C'est du sommet de la montagne qu'Homère veut parler, lorsqu'il dit
Ἴδην δ᾽ ἵκανεν πολυπίδακα, μητέρα θηρῶν,
« Il vient sur l'Ida qu'arrosent de nombreuses «
fontaines, à Gargare qui nourrit des animaux Dans ce passage, le sens indique assez que par le mot Gargare il faut entendre le sommet le plus élevé de l'Ida; car c'est de Jupiter que parle le poète. Ce sens est encore plus manifeste dans un autre passage du même poète Ὣς ὁ μὲν ἀτρέμας εὗδε πατὴρ ανὰ Γαργάρῳ ἄκρῳ, « Ainsi le père (des dieux) reposait paisiblement au sommet du Gargare. » Le vieux écrivain Epicharme, dans sa pièce intitulée les Troyens, a dit
—
Ζεὺς ἄναξ « Le tout-puissant Jupiter, habitant du Gargare « neigeux. »
D'après ces passages, il est clair que la cime du mont Ida porte le nom
de Gargare. Μετὰ δὲ τὴν ἄσσον ἐστὶ τὰ Γάργαρα πλησίον πόλις « Gargare est une ville située près d'Assos. » Il n'est pas le seul qui en fasse mention. Un ancien écrivain nommé Philéas, dans son livre intitulé l'Asie, en parle en ces termes : Μετὰ ἄσσον πόλις ἐστὶν ὄνομα Γάργαρα· ταύτης ἔχεται ἄντανδρος. « Auprès « d'Assos est une ville nommée Gargare, proche d'Antandros. » On attribue à Aratus un livre d'Élégies; où il a dit, en parlant d'un poète nommé Diotime
Αἰάζω
Διότιμον, ὃς ἐν πέτραισι κάθηται « Je pleure Diotime qui, assis sur des pierres, enseignait (alphabet aux enfants des Gargaréens. »
Ces vers nous apprennent même le nom des citoyens de cette ville, qui y
sont nommés Gargaréens. Nullo tantum se Mysia cultu iacet « Rien n'enorgueillit davantage les champs de la Mysie. » Comme s'il disait : Tout pays qui sera convenablement humecté égalera en fécondité les champs de la Mysie. Lorsque Homère dit Ἴδην πολυπίδακα « Il vint sur l'Ida qu'arrosent de nombreuses fontaines,»
il veut parler du territoire situé au pied de la montagne; car
πολυπίδακα signifie,
arrosé par
Ἐτύγχανον μὲν ἀγρόθεν πλείστους φέρων « Je rencontrai dans la campagne un grand nombre d'hommes qui se rendaient à la fête, au nombre de vingt environ. D'un lieu élevé, je vois une grande multitude d'hommes (Γάργαρ᾽ ἀνθρώπων) rangés en cercle. »
Il est évident, comme vous voyez, que le poète a employé le mot Gargare,
pour multitude. Ἔνδον γὰρ ἡμῖν ἐστιν ἀνδρῶν Γάργαρα. « Il y a une multitude d'hommes (ἀνδρῶν Γάργαρα) ici dedans. »
Le poète Aristophane, dans sa comédie des Acharnes, fabrique un mot
composé de celui de ἅδ᾽ ὠδυνήθην ψαμμακοσιογάργαρα. « Mes douleurs sont innombrables. »
Varron, dans ses satires Ménippées, a plusieurs fois employé le mot
Ψαμμακόσια
seul, pour plusieurs mais
Aristophane ajoute Gargara pour exprimer une quantité innombrable. Ἰὼ Κάϊκε Μύσιαί τ᾽ ἐπιῤῥοαέ. « O vous aussi, courant d'eau de la Mysie. » Nous avons indiqué les auteurs grecs chez lesquels Virgile a puisé pour ce passage; faisons voir encore, et pour l'agrément du sujet, et pour démontrer que votre poète a recueilli des ornements de tous côtés chez les divers auteurs de l'antiquité, faisons voir d'où il a tiré Hiberno laetissima pulvere farra. « La poussière de l'hiver réjouit les champs où croissent les céréales. » On trouve, dans un très ancien livre de poésies qu'on croit composées avant toutes celles que nous avons en latin, ce vieux et rustique chant Hiberno pulvere verno luto grandia farra, camille, metes. « Avec un hiver poudreux et un printemps « boueux, tu moissonneras, ô Camille, une grande quantité de grains. »
CHAPITRE XXI. Des diverses sortes de coupes. Souvent Virgile donne aux coupes des noms grecs, comme carchesia, cymbia, cantharos, scyphos. Exemple de la première dénomination
— Cape Maeonii carchesia
Bacchi: « Prends ce carchésion, rempli de vin de Méonie, et faisons, dit (Cyrène), des libations à l'Océan. » Ailleurs Hic duo rite mero libans carchesia Baccho « Ici, il répandit, suivant le rite religieux, deux carchésions remplis de vin pur, dont il fit des libations à Bacchus. » Exemple de la seconde Inferimus tepido spumantia cymbia lacte « Nous déposâmes sur le tombeau (de Polydore) des cymbia remplies de lait encore fumant. » Exemple de la troisième
Et gravis adtrita pendebat cantharus ansa Exemple de la quatrième Et sacer inplevit dextram scyphus « Évandre prend dans sa main un scyphus sacré. »
On se contente de savoir que ce sont là des dénominations de coupes;
mais quelle fut leur
—
Κῆνοι δ᾽ ἄρα πάντες
« ils firent tous des libations avec des carchélions, et formèrent des voeux pour le bonheur Cratinus, dans Bacchus Alexandre
Στολὴν
δὲ δὴ τίν᾽ εὶχεν· τοῦτό μοι φράσον· « Il portait un vêtement tout d'une même cou« leur, un thyrse, une robe jaune, et un carchésion peint de diverses couleurs. » Sophocle, dans sa pièce intitulée Tyro
Πρὸς τήνδε μοι « Il se place au milieu de la table, et parmi les mets et les carchésions. »
Voilà pour ce qui concerne le carchésion inconnu aux Latins, et
mentionné seulement par Ἔπιεν ἡ ῾Ρόδη κυμβίον ἀκράτου, « Après que la rose a couronné pour nous un cymbion de vin pur. » Le poète Anaxandride, dans sa comédie intitulée les Campagnards, dit
Προπινόμενα καὶ μέστ᾽ ἀκράτου κυμβία
« Buvons de grands cymbia, et qu'un vin pur nous désaltère. » Démosthène lui-même fait mention du cymbion dans son discours contre Midias : Ἐπ᾽ ἀστράβης δὲ ὀχούμενος ἐξ ἀργούρας τῆς Εὐβοίας, χλανίδας δὲ καὶ κυμβία καὶ κάδους ἔχων, ῳν ἐπελαμβάνοντο οἱ πεντηκοστολόγοι « Vous êtes parti d'Argyre en Eubée, monté sur une voiture commode, et traînant avec vous des manteaux et des cymbia, objets soumis aux pentecostologues (les cinquante percepteurs de l'impôt). » Cymbia, comme l'indique la contexture du mot, est un diminutif de cymba, mot qui désigne chez vous, comme chez les Grecs, de qui vous le tenez, une espèce de navire. Et en effet, j'ai remarqué que, chez les Grecs, plusieurs sortes de coupes ont reçu leur dénomination de quelques agrès de marine; comme le carchésion, ainsi que je l'ai dit plus haut, et le cymbion, deux coupes de forme haute, et qui ont quelque ressemblance avec un navire. Le savant Ératosthène fait mention de cette dernière coupe, dans une lettre adressée au Lacédémonien Hagétor, où l'on trouve les paroles suivantes : Κρατῆρα γὰρ ἔστησαν τοῖς θεοῖς, οὐκ ἀργύρεον οὐδὲ λιθοκόλλητον, ἀλλὰ τῆς κωλιάδος· τοῦτον δὲ ὁσάκις εἰσπληρώσαιεν, ἀποσπείσαντες τοῖς θεοῖς, ᾠνοχόουν ἐφεξῆς βαπτιστῷ κυμβίῳ. « Ils avaient consacré aux dieux une coupe qui n'était ni d'argent ni enrichie de pierres précieuses, mais fabriquée à Colla; et lorsqu'on la remplissait, l'on faisait des libations aux dieux, en vidant successivement la coupe dans un cymbion. »
Quelques-uns ont pensé que cymbium était un mot syncopé de cissybium,
duquel plusieurs Ἐν τῇ ἱεροποιΐῃ τοῦ Διδυμάιου Διὸς κισσᾠ σπονδοποιέονται· ὅθεν τὰ ἀρχαῖα ἐκπώματα κισσύβια φωνέεται. « Lorsqu'on offre un sacrifice à Jupiter Didyme, l'on fait des aspersions avec des feuilles de lierre; de là vient que les anciennes coupes ont été appelées cissybies. » Callimaque fait aussi mention de cette sorte de coupe
Καὶ γὰρ ὁ Θρηϊκίην
μὲν ἀνήνατο χανδὸν ἄμυστιν « Il refusa de boire tout d'un trait, à la manière des Thraces, une amyste de vin pur; il préféra le petit cissybion. » Ceux qui pensent que le mot cissybium est formé de οἱονεὶ κίσσινον fait de lierre, s'appuient de l'autorité d'Euripide, qui dans Andromède s'exprime ainsi qu'il suit
— Πᾶς δὲ ποιμένων
ἔῤῥει λεώς, « La foule des pasteurs accourt, portant une coupe faite de bois de lierre, remplie ou de lait, onde la liqueur délicieuse, honneur de la vigne, et qui étouffe le chagrin. »
Après avoir terminé ce qui concerne le cymbion, il nous reste à prouver
par des exemples
Ἥκει λιπὼν Αἰγαῖον ἁλμυρὸν βάθος « Ô Straton ! voici enfin Théophile qui arrive, après avoir traversé la mer Égée. Quel bonheur pour moi de t'annoncer le premier l'heureuse arrivée de ce fils, et celle du canthare doré.- STRAT. Quel canthare? - Le vaisseau. » Et sacer inplevit dextram scyphus. « Évandre prend dans sa main un scyphus sacré. » Comme le canthare est la coupe de Bacchus, le scyphus est la coupe d'Hercule. Ce n'est pas sans motif que les sculpteurs anciens ont représenté ce dieu une coupe à la main, et quelquefois ivre et chancelant; car, d'après d'anciennes traditions, Hercule poussé par les vents aurait traversé d'immenses mers dans une coupe, en guise de nacelle. Je ne prendrai que peu de chose à l'antiquité grecque, concernant ces deux circonstances. Une preuve non obscure (sans parler de celles qui sont plus connues) que ce héros était un grand buveur, c'est ce que lui fait dire Éphippus, dans Busiris
Οὐκ οὶσθά μ᾽ ὄντα, πρὸς θεῶν,
Τιρύνθιον « Ne sais-tu pas, par Dieu! que je suis Tirynthus d'Argos? Les ivrognes se mêlent dans toutes les querelles, et y sont toujours vainqueurs. » Un autre fait qui est de même peu connu, c'est l'existenee, proche d'Héraclée, ville fondée par Hercule, de la nation des Cylicranes, nom formé ἀπὸ τῆς κύλικος, espèce de coupe qu'au moyen du changement d'une lettre nous avons nommée calix. Phérécyde et Panyasis, ce dernier écrivain grec d'un grand mérite, disent qu'Hercule traversa les mers sur une coupe, et vint aborder à Érythée, île de la côte d'Espagne. Je ne rapporte point leurs paroles, parce que je regarde ce fait moins comme une histoire que comme une fable; et je présume qu'Hercule aura navigué, non sur une coupe, mais sur un navire du nom de scyphus; en sorte qu'il en aura été de même à l'égard du cymbion, dérivé de cymba (barque), que pour le cantharus et le carchésion, que nous avons démontré être des termes de navigation. CHAPITRE XXII. De quelques autres passages de Virgile.
Virgile emprunte quelquefois des
noms propres aux histoires les plus anciennes des Grecs. Vous savez
qu'il nomme une compagne de Diane Opis. Ce nom, que des gens peu
instruits
Velocem
interea superis in sedibus Opin, « Cependant la fille de Saturne, qui était alors dans les demeures célestes, appelait la légère Opis, l'une des vierges ses compagnes qui composent son cortége sacré. Voici les paroles qu'elle lui adressait avec tristesse. » Et plus bas : At Trivia custos iamdudum in montibus Opes « Cependant Opis, fidèle gardienne de Trivia (était assise) depuis longtemps au haut de la montagne. »
Voilà donc, selon Virgile, Opis compagne et suivante de Diane. Apprenez
maintenant d'où il a tiré ce nom, lequel, comme je vous le disais, est
un surnom qu'il avait vu attribué à la déesse elle-même, et qu'il
transporte à sa compagne.
ἀλλ᾽ ὅγε
πευθόμενος πάγχυ Γραικοῖσι μέλεσθαι « Ce peuple, sachant que Timothée fils de Thersandre, habile dans la musique et dans la poésie, excitait universellement l'admiration des Grecs, l'honora d'un don sacré de mille sicles d'or, afin qu'il célébrât Opis qui lance des flèches rapides, et qui a un temple célèbre à Cenchrée. » Et peu après Μηδὲ θεῆς προλίπῆ Λητωϊδος ἄκλεα ἔργα. « ... Afin qu'il ne laissât pas sans gloire les actions de la fille de Latone. » Il est prouvé, si je ne me trompe, qu'Opis est un surnom de Diane, et que C'est l'érudition de Virgile qui lui à suggéré de transporter ce nom à la compagne de la déesse.
Excessere omnes adytis arisque relictis « Tous les Dieux quittèrent leurs autels et abandonnèrent leurs sanctuaires. »
Personne ne recherche où Virgile a pris cette idée. Il est constant
toutefois que c'est dans Euripide, qui, dans sa Troade, fait dire à
Apollon, quand Troie va être prise, les paroles
Λείπω τὸ κλεινὸν Ἴλιον,
βωμούς τ
ἐμούς· « Vaincu par Junon et par Minerve, qui renversent de concert les murs phrygiens, j'abandonne l'illustre Ilion, et les temples qu'on m'y a élevés; car lorsque la triste solitude s'est emparée d'une ville, le culte des dieux y est négligé, et ils n'y sont plus honorés. » Ce passage nous apprend d'où Virgile a tiré que les dieux abandonnent une ville au moment qu'elle va être prise. Ce n'est pas non plus sans quelque autorité de la vieille Grèce qu'il a dit Ipsa Iovis rapidum iaculata e nubibus ignem. « (Junon ) elle-même du haut du ciel lança la foudre rapide de Jupiter. »
Car Euripide met en scène Minerve, sollicitant de Neptune des vents
contraires à la flotte des Grecs, et lui disant qu'il doit faire le même
usage de la foudre contre les Grecs, qu'en aurait fait Jupiter de qui il
la tient. Munere sic nivea lanae, sic credere dignum est, et reliqua. « Il l'entraîne dans les forêts profondes... (s'il faut croire ce qu'on en dit) par le charme d'une toison plus blanche que la neige. » Valérius Probus, homme très savant, remarque, sur ce passage, qu'il ignore d'où le poète a tiré cette fable ou cette histoire. Cette ignorance m'étonne de la part d'un tel homme. C'est le poète Nicandre qui est l'auteur de cette histoire. Didyme, le plus savant des grammairiens qui ont existé jusqu'ici, donne a ce fait l'épithète de fabuleux. C'est parce que Virgile n'ignorait pas cette circonstance qu'il a ajouté Si credere dignum es « S'il faut croire ce qu'on en dit; »
comme pour prévenir qu'il s'appuyait sur un auteur fabuleux.
Quae Phoebo pater omnipotens, mihi
Phoebus Apollo « Phébus l'apprit du dieu tout-puissant; à son tour, Phébus Apollon me l'a révélé. » A de tels passages les grammairiens, pour excuser leur ignorance, attribuent ces fictions au génie de Virgile, plutôt qu'à son savoir; et ils ne disent pas même qu'il les a empruntées à d'autres, pour ne pas se trouver contraints à nommer les auteurs. Mais j'atteste que dans ce passage, le savant poète n'a fait que suivre l'illustre tragique Eschyle, qui, dans la pièce intitulée en latin Sacerdotes (les Prêtres), dit
Στέλλειν ὅπως τάχιστα· ταῦτα γὰρ πατὴρ
« Il faut partir le plus promptement possible, car voici les oracles que Jupiter dicte à Loxias (Apollon), » Et ailleurs Πατρὸς προφήτης ἐστὶ Λοξίας Διός. « Jupiter est le père prophétique de Loxias (Apollon). » N'est-il pas évident que c'est de là que Virgile a tiré qu'Apollon répète les oracles que lui dicte Jupiter? Après cela, ne reste-t-il pas prouvé pour nous que, de même que Virgile ne peut pas être compris par celui qui n'entend pas la langue latine, il ne peut pas l'être non plus par celui qui n'a pas approfondi jusqu'au dernier degré de l'érudition grecque? Car si je ne craignais de devenir fatigant, je pourrais remplir de gros volumes de ce que ce poète a puisé dans les parties les moins connues de l'érudition des Grecs; mais ce que j'en ai rapporté suffit pour établir ma proposition.
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