ATHÉNÉE DE
NAUCRATIS
Différents repas chez les anciens. Vin propre à former des liaisons et à les entretenir. Noms de divers repas. Repas d’Homère comparés avec ceux de Platon, de Xénophon. Différents sens du mot aula. Repas des Egyptiens, de Platon et d’Homère. Antiochus surnommé Épimane, ses folies. Pompe d’Antiochus, de Ptolémée Philadelphe. Richesses de ce roi d’Egypte. Marine de Philopator; ses deux grands vaisseaux. Vaisseau d’Hiéron sa marine. Trirèmes sacrés d’Antigone. Engythèque. Repas d’Andocitas, d’Alexandre. Tyrannie du sophiste Athénion : cruautés qu’il commet dans Athènes. Appellicon de Téos. Socrate a-t-il porté les armes? Athénée le nie; ses preuves peu fondées. Anachronismes de Xénophon, de Platon. Socrate a-t-il été déclaré le plus sage des hommes? Ses liaisons avec Aspasie. Réflexions sur cette femme célèbre. Philosophes médisants. Gorgone, animal d’Afrique ; ses dangers. Bœufs à cornes singulières.
Le Livre V des Deipnosophistes
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
trADUCTION
LE BANQUET DES SAVANTS D'ATHÉNÉE.
LIVRE CINQUIÈME.
Différents repas chez les anciens. Vin propre à former des liaisons et à les entretenir. Noms de divers repas. Repas d’Homère comparés avec ceux de Platon, de Xénophon. Différents sens du mot aula. Repas des Egyptiens, de Platon et d’Homère. Antiochus surnommé Épimane, ses folies. Pompe d’Antiochus, de Ptolémée Philadelphe. Richesses de ce roi d’Egypte. Marine de Philopator; ses deux grands vaisseaux. Vaisseau d’Hiéron sa marine. Trirèmes sacrés d’Antigone. Engythèque. Repas d’An docitas, d’Alexandre. Tyrannie du sophiste Athénion : cruautés qu’il commet dans Athènes. Appellicon de Téos. Socrate a-t-il porté les armes? Athénée le nie; ses preuves peu fondées. Anachronismes de Xénophon, de Platon. Socrate a-t-il été déclaré le plus sage des hommes? Ses liaisons avec Aspasie. Réflexions sur cette femme célèbre. Philosophes médisants. Gorgone, animal d’Afrique ; ses dangers. Bœufs à cornes singulières.
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1. [185a] Chap. I. Voilà[1] sans doute, mon cher Timocrate, dans tout ce que nous venons de dire, de longs détails sur les festins ; cependant nous avons omis la partie la plus utile, et celle qui, loin d'accabler l’âme, la fait jouir, la nourrit même, comme si elle avait à son choix tout ce qui lui convient de prendre pour se repaître, conformément aux vues du divin Homère. Je vais donc vous rappeler ce que dit à cet égard l'excellent Masurius; car, selon le charmant Agathon,
« Nous faisons de l'accessoire l'œuvre principale, [185b] et nous travaillons à l'œuvre principale comme si c'était l'accessoire. »
Homère dit donc, au sujet de Ménélaüs:
« Ils le trouvèrent chez lui donnant à plusieurs amis le repas des noces de son fils et de sa fille irréprochable. »
Le poète indique par là qu'il était d'usage de donner des repas aux noces, soit pour rendre un hommage public aux dieux qui présidaient aux mariages, soit pour avoir des témoins de la publicité de ces engagements. Or, le roi de Lycie montre, en traitant magnifiquement Bellérophon, comment on doit traiter les étrangers à un repas.
« Il lui donna[2] l'hospitalité pendant neuf jours, et sacrifia neuf bœufs. »
2. ………….[3]Quant au vin, il semble qu'il a en lui-même quelque chose d'attrayant, qui échauffe l’âme, et la fait épanouir pour se communiquer aux autres. Voilà pourquoi les anciens ne demandaient pas d'abord aux étrangers qu'ils recevaient, qui ils étaient, mais après les avoir traités; respectant ainsi l'hospitalité en elle-même, et non en particulier, par égard pour chacun de ceux[4] qu'ils recevaient. Mais les législateurs ont sagement imaginé d'établir les repas qui se font actuellement, même en vertu des lois, tels que les Phylétiques,[5] les Démotiques, sans oublier les Thiases, les Phratriques ni ceux qu'on appelle Orgéoniques.
[186a] Il y a même à Athènes d'autres repas qui ont leur dénomination des philosophes, en mémoire de qui leurs sectateurs les font. Tels sont les Diogénistes, les Antipatristes, les Panætiastes.
Théophraste avait légué certaine somme pour une pareille assemblée, non, certes, afin qu'on s'y comportât indécemment et sans égard, mais dans l'intention que les convives[6] s'entretinssent à table avec honnêteté, et d'une manière instructive.
Chap. II. Les magistrats du Prytanée soupaient tous les jours en commun, sans commettre aucun excès, et devenaient ainsi le salut de l'état. Ils étaient tous à souper de cette manière, dit Démosthène, lorsqu'on vint leur annoncer la prise d'Elatée : [186b] « C’était le soir, dit cet orateur, et un courrier vint annoncer aux magistrats de ce tribunal qu'Elatée venait d'être prise. » Les philosophes ont pareillement eu soin d'établir des règles pour les repas qu'ils faisaient avec les jeunes gens qu'ils réunissaient. En effet, Xénocrate et Aristote, l'un dans l'académie, l'autre dans son Ecole, avaient réglé les repas avec ordre. Les Phéidities se faisaient avec le plus grand ordre à Sparte, et les villes de Crète n'apportaient pas moins d'attention à ceux qu'on y appelait andrées. Un poète n'a pas mal dit à ce sujet:
« Il ne faut pas que des amis, qu'on revoit[7] avec plaisir dans les Festins, s'absentent longtemps, [186c] car le souvenir d'un ami est toujours très agréable. »
Le philosophe Antipatre, donnant un jour un repas, ordonna aux convives qui se présentèrent de ne parler que de nouvelles découvertes.[8] On rapporte qu'Arcésilaüs, invité à un repas, s'y coucha par hasard à côté d'un gourmand qui dévorait tout. Comme il ne pouvait rien manger, quelqu'un des convives lui tendit quelque chose. Arcésilaüs lui dit :
« Bien vous arrive; et à Télèphe, ce que je pense.[9] »
Ce vorace se trouvait avoir le nom de Télèphe. Mais Zénon [186d] étant à table avec un de ces gourmands, celui-ci enleva le dessus d'un poisson au moment même qu'on venait de le servir : Zénon le retourne aussitôt de l'autre côté, disant :
« Tiens, achève-le[10] des deux côtés. »
Socrate, voyant un convive manger, sans mesure, de ce qu'on servait, dit hautement : « Vous qui êtes ici présent, quel est celui des convives qui mange du pain comme de la bonne chère, et de la bonne chère comme s’il mangeait du pain? »
3. Mais nous allons parler des festins d'Homère ; car il en détermine et les temps, et les personnes, et les causes. [186e] Xénophon et Platon l'ont copié en cela,[11] énonçant, dès le commencement de leurs écrits, et la cause du repas, et les convives, mais Epicure ne détermine ni le lieu, ni les personnes, et ne fait aucun préambule. On est donc obligé de deviner pourquoi un homme, prenant subitement la coupe, met en avant quelques questions, de même que s'il parlait dans une école. N'est-ce pas agir comme celui qui, selon Aristote,[12] vient à un repas sans s'être lavé, et couvert même de poussière?
Ensuite, Homère indique qui sont ceux qu'on doit inviter, [186f] disant que ce sont les gens les plus honnêtes et les plus considérés.
« Il appela les vieillards les plus considérés de tous les Grecs. »
Ce en quoi diffère Hésiode, qui décide qu’il faut surtout inviter les voisins
« Qui demeurent près de nous (de toi). »
C'est ce qu'on peut véritablement appeler un festin de rustres sans délicatesse, et auquel convient bien ce proverbe odieux à l'humanité :
[187a] « Les amis qui habitent loin de nous ne sont pas des amis. »
En effet, n'est-il pas absurde de n'estimer l'amitié que par le local, et non par les qualités morales. C'est pourquoi Homère dit que, lorsqu'on eut cessé de boire,
« Un vieillard proposa, le premier de tous, le sujet sur lequel il fallait délibérer. »
Mais parmi ceux qui donnent des repas où il n'y a pas d'ordre ni de réserve:
« Un flatteur débute, avant tous les autres, par un trait de bouffonnerie. »
D'ailleurs, Homère sait assortir dans ses repas des convives de différents âges et de différentes inclinations tels que Nestor, Ajax, Ulysse ; [187b] mais tous ayant eu la vertu pour but, quoiqu'ils y aient tendu par des voies différentes. Epicure, au contraire, n'y fait paraître que des commentateurs d'atomes, lorsqu'il a sous les yeux des exemples à suivre; Homère, pour la variété qu'il pouvait répandre dans ses repas; Platon et Xénophon, pour les grâces et les charmes. Parmi ceux que Platon réunit, on voit Eryximachus le médecin, le poète Aristophane, sans compter[13] ceux d'une autre honnête profession, qui s'y trouvent aussi; car il eût été indécent d'y introduire un flatteur et un plaisant injurieux.
Quant à Eschyle, il introduit des convives qui ne gardent pas de mesures. [177a] Xénophon y mêle quelques personnages du plus bas étage et grossiers. Homère s'y prend beaucoup mieux, et montre tout le génie possible par l'art avec lequel il fait contraster ses repas : [177b] on saisit toujours mieux les choses lorsqu'elles sont en parallèle. Le repas des amants de Pénélope est pour lui ce que serait celui de jeunes gens livrés à la bonne chère et à l'amour: Celui des Phéaciens est plus grave, cependant ayant lé caractère de la Volupté. A ces repas il oppose ceux qui se font à l'armée, et ceux qui se passent avec plus de gravité, selon toutes les lois de la discrétion. En outre, il a soigneusement distingué les repas publics de ceux où il n'y a que des parents, ou des amis; mais les repas d'Épicure ne sont composés que de philosophes.
4. [177c] Homère montre qui sont les convives qui ne doivent pas être, invités, mais qui, peuvent venir d'eux-mêmes, en indiquant, par un des amis, les personnages semblables qui s'y trouvent.
« Le brave Ménélas vint de lui-même chez lui (chez Agamemnon) »
On voit clairement par là qu'il n'est pas nécessaire qu'un frère, des père et mère, une femme soient invités; ni même toute autre personne, pour laquelle on a autant de considération ; autrement, ce serait avoir bien de la froideur et de l'indifférence pour eux. Cependant, quelques écrivains ont voulu motiver l'arrivée de Ménélaüs chez Agamemnon en ajoutant ce vers :
« Car il savait que son frère avait l'esprit fort occupé. »
Comme s'il fallait assigner la raison pour laquelle un frère vient de lui-même souper (chez un frère). [177d] En le nommant frère, n'était-ce pas donner une raison sensée? Dira-t-on (pour soutenir ce vers) que Ménélaüs ignorait que son frère donnait un repas ? Ne serait-ce pas un ridicule extrême, puisqu'il était évident qu'il y avait eu des bœufs d'immolés, et que tout le monde le savait ? Maïs comment Ménélaüs serait-il venu pour assister au repas, s'il ignorait cela? Ou, par Jupiter ! dira-t-on que Menelaüs, sachant Agamemnon dans l'embarras, lui pardonna de ne l'avoir pas invité, et que par déférence il y est venu de lui-même (comme celui qui a dit qu'il était venu sans être invité, de peur que le lendemain matin ils ne se regardassent en dessous, l'un honteux de n'avoir pas invité, l'autre reprochant de ne pas l'avoir été) ? mais il serait ridicule de supposer qu'Agamemnon eût oublié son frère, [177e] pour qui non seulement il faisait alors un sacrifice, mais même en faveur de qui il avait entrepris cette guerre, et surtout ayant invité ceux qui n'étaient ni de ses parents, ni même de sa patrie.
Athénoclès de Cyzique,qui a mieux saisi qu'Aristarque le sens de ce vers d'Homère, dit que ce poète, toujours attentif au décorum, nous donne à entendre que Ménélaüs touchait de trop près Agamemnon pour avoir besoin d'être invité.
Demétrius de Phalère regarde aussi comme une véritable gaucherie, indigne de l'Épopée, [177f] l'addition de ce vers :
« Car il savait que son frère avait l'esprit fort occupé. »
C'est, dit-il, avilir la partie des mœurs . Je pense il n'y a pas de galant homme qui n'ait un ami chez lequel il puisse aller lorsque celui-ci sacrifie, et sans attendre que cet ami l'invite. »
[178a] 5. Platon fait ainsi parler Socrate à ce sujet, dans son Banquet :
« Suis-moi, Aristodème, afin que nous renversions le proverbe qui dit :
« Les bons vont aux repas des bons, même sans y être invités. »
Néanmoins il semble qu'Homère non seulement altère ce proverbe en le prenant dans un sens inverse, mais même qu'il y manque essentiellement. En effet, après avoir fait d'Agamemnon un brave guerrier, et de Ménélaüs un lâche combattant, [178b] il introduit ce lâche au repas d'Agamemnon, qui vaut mieux que lui, et qui vient de sacrifier (un bœuf).
Bacchylide dit, en parlant de la maison de Céyx:
« Il s'arrêta au seuil de pierre ; mais ceux-là préparaient les mets : quant à lui, il dit : Les gens irréprochables peuvent venir d'eux-mêmes aux repas des gens de bien, ou l'on est, bien traité.
Des proverbes relatifs a ce sujet, l'on dit:
« Les gens de bien viennent d'eux-mêmes aux repas des gens de bien.»
L'autre :
« Les gens courageux viennent d'eux-mêmes aux repas des gens timides. »
Quoi qu'il en soit, Platon représente mal-à-propos comme un lâche Ménélaüs, [178c] qu'Homère appelle ainsi des combats ; qui, seul, se comporta en brave pour défendre le corps de Patrocle, et qui, malgré la grande infériorité de ses forces, osa combattre seul contre Hector, avant tous les autres : Ménélaüs enfin, seul à qui Homère donne cet éloge, parmi tous les autres guerriers.
« Il s'avança fièrement, plein de confiance dans sa valeur. »
Si donc Platon l'a réellement regardé comme un homme pusillanime, parce que l'ennemi injurieux l'appelle un lâche combattant, pourquoi n'a-t-il pas mis auparavant au rang des ladres, Agamemnon (que le même appelle brave guerrier) ; [178d] puisqu'on a dit ce vers contre lui :
« Ivrogne qui as l'œil aussi impudent qu'un chien, et le cœur d'un cerf. »
Il fallait encore observer que ce n'est pas Homère qui dit tout ce qu'il écrit dans son Poème. En effet, comment Ménélaüs serait-il un homme timide, lui qui seul éloigna Hector du corps de Patrocle, et qui après avoir tué Euphorbe, le dépouilla au milieu même des Troyens ? [178e] Il est absurde de n'avoir pas fait attention à tout le vers qui paraît contenir le blâme, mais dans lequel Ménélaüs est vraiment qualifié de boeen agathos, brave à la guerre. Or, c'est l'épithète qu'Homère a coutume de donner aux gens du courage le plus mâle.
6. Homère, qui est d'une exactitude scrupuleuse à tous égards, n'a pas non plus omis cette circonstance, quoique peu importante en elle-même, savoir, qu'il ne faut aller souper qu'après s'être bien arrangé et lavé. Voilà pourquoi Homère dit d'Ulysse, étant près d'aller à table chez les Phéaciens :
« Aussitôt une gouvernante lui dit de se laver. »
[178f] Il dit aussi, au sujet de Télémaque et de Pisistrate :
« Ils descendirent dans les baignoires bien polies, et se lavèrent. »
Il eût été indécent, dit Aristote, de se présenter à table avec de la sueur et de la boue. Il faut qu'un homme qui sait vivre, ne soit ni crasseux, ni malpropre : il se plaira encore moins à être couvert de boue. Mais il faut aussi que celui qui vient pour la première fois souper dans une maison, n'aille pas se placer sur-le-champ parmi les convives, pour satisfaire uniquement son appétit ; il prendra, au contraire, le temps nécessaire pour être vu, [179a] et connaître la maison.
Or, c'est ce qu'Homère n'a pas négligé:
« Ils entrèrent dans cette superbe maison, où ils furent étonnés en jetant les yeux dans tout l'intérieur du logis de ce roi, fils de Jupiter; car tout était aussi éclatant que le soleil et la lune,dans le haut palais du glorieux Ménélaüs. »
Aristophane, d'après le même principe, produit sur la scène, dans ses Guêpes,un vieillard acariâtre, et qui est fou de juger, mais ramené ensuite à des manières honnêtes et polies [179b] par son fils :
« Eh bien ! cessez : placez-vous sur ce lit, et apprenez à vous trouver à table avec politesse, et d'une manière sociale. »
Après lui avoir montré comment il doit se poser sur le lit, il lui dit :
« Ensuite faites des compliments sur quelques-uns des vaisseaux d'airain ; regardez attentivement le plafond; paraissez écouter avec admiration le son des instruments qui se font entendre du vestibule. »
7. Homère nous apprend encore ce qu'il faut faire avant de se mettre à manger, c'est-à-dire, offrir les prémices des aliments aux dieux. Voilà pourquoi Ulysse, [179c] racontant ce qui lui arriva étant avec ses compagnons dans l'antre de Polyphème, dit :
« Y allumant du feu, nous fîmes un sacrifice; ensuite prenant des fromages nous les mangeâmes. »
Achille y malgré l'empressement des députés qui étaient venus au milieu de la nuit :
« N'ordonne pas moins à Patrocle, son ami, d'offrir un sacrifice, et celui-ci jette les prémices sur le bûcher. »
Homère présente aussi les convives occupés de libations :
« De jeunes serviteurs couronnèrent les cratères de vin, [179d] les distribuèrent à chacun pour commencer par des libations; mais après qu'ils les eurent faites, etc. »
Platon observe aussi l'usage des libations à son Banquet. Après avoir soupé, dit-il, on fit des libations,et l'on rendit en chantant les hommages accoutumés, à la divinité. Xénophon se conforme pareillement à cet usage ; mais chez Épicure, point de libation, point de prémices pour les dieux. On s'y comporte comme Simonide le dit de cette femme irréligieuse,
« Qui mange souvent ses viandes sans en avoir fait un sacrifice. »
[179e] 8. On dit que les Athéniens apprirent à détremper proportionnément le vin du temps d'Amphyction, et que ce fut pour cette raison qu'on bâtit le temple de Bacchus-le-droit. En effet, Bacchus est vraiment un compagnon qui se tient droit, et n'expose pas à tomber, quand on ne prend de sa liqueur qu'avec modération, et certaine dose d'eau :
« Car j'y suis entraîné par le vin fou, qui excite même l'homme le plus sensé à chanter, à rire avec mollesse, à danser, et sans garder aucune mesure dans ces plaisirs; [179f] enfin, à dire des choses qu'il eût été plus avantageux de taire. »
Homère n'appelle pas le vin (eleos) fou, comme l'étant réellement, mais comme rendant tel. Il ne prétend pas non plus qu'on ait un air sombre et refrogné, qu'on ne chante pas, qu'on ne rie pas, ni qu'on ne se livre pas à la danse avec la réserve convenable : non, Homère n'est ni si rustre, ni si maladroit; [180a] mais il montre qu'il connaissait la différence qu'il fallait faire de la quantité et de la qualité des choses. C'est pourquoi il n'a pas dit simplement que le vin fait chanter l'homme réfléchi, mais qu'il le fait chanter sans réserve, et que par cet excès il le rend à charge aux autres. Il ne prétend pas qu'on s'abstienne de rire, ni même de danser ; non, certes; mais il applique à l'un et à l'autre l'épithète de mollesse efféminée, blâmant ainsi la faiblesse qui fait donner dans cet écart:
« Il excite, dit-il, à rire et à danser avec un air efféminé. »
Dans Platon, au contraire, les convives ne gardent pas de mesure; ils boivent jusqu'à ne pouvoir plus se tenir sur les pieds. [180b] Voyez la gaieté licencieuse à laquelle s'abandonne Alcibiade; combien il se comporte indécemment ! les autres y boivent une rasade de huit cotyles ou tasses, sous prétexte qu'Alcibiade a bu cette dose le premier.
On ne voit pas cet excès dans Homère, qui dit:
« Mais lorsqu'ils eurent bu et mangé autant qu'ils avoient d'appétit. »
Il y a donc des choses dont il faut absolument s'abstenir ; d'autres, dont on doit user avec mesure, les considérant comme des offrandes consacrées dont on n'approche que pour les regarder quelques instants. C'est dans ces vues qu'Homère a dit :
« Et le chant et la danse qui sont consacrés aux festins. »
9. Mais Homère n'attribue de penchant à ces plaisirs, au moins en général, qu'aux amans de Pénélope et aux Phéaciens, non à Ménélaus, ni à Nestor : [180c] ce que n'a pas compris Aristarque, au sujet des noces que fait Ménélaus. En effet, le repas était fini; les derniers jours des noces étaient expirés ; l'épouse avait été emmenée par l'époux. On avait également terminé les noces de Mégapenthès, et Ménélaus ne se trouvait plus qu'avec Hélène. Loin de bien saisir ces circonstances, Aristarque, trompé par ce vers;
« Donnant un repas de noces à nombre d'amis, »
interpola ceux-ci :
[180d] « C'est ainsi que les voisins et les amis du glorieux Ménélaus tenaient table dans sa haute maison, et se réjouissaient. Parmi eux chantait un divin musicien, s'accompagnant avec sa cithare. Deux cubistetères, commençant à chanter, pirouettèrent seuls au milieu de l'assemblée. »
Transportant ainsi, dans le quatrième livre de l'Odyssée, un passage du liv. 18 de l'Iliade, et avec la même erreur concernant la lettre ; car ce ne sont pas les cubistetères qui commencent, mais ils dansent au chant qu'a commencé à faire entendre un musicien. En effet, le mot exarchein, ou commencer, débuter, se dit proprement de la cithare. [180e] Voilà pourquoi Hésiode écrit dans son Bouclier:
« Les Muses piérides commencèrent le chant. »
Archiloque dit aussi :
« Ils commencèrent, au son de la flûte,un poean lesbyen.»
Stésichore appelle même la muse archesimolpe, ou qui commence le chant; et Pindare a dit, les préludes agésichores, ou qui mettent les chœurs en train. Diodore, disciple d'Aristophane, a voulu retrancher tout cet article des noces, s'imaginant qu'il s'agissait là des premiers jours des noces, au lieu de considérer que le poète parle de la fin et des reliquats du repas.
[180f] D'ailleurs, il veut que le poète ait écrit kath' hautous en parlant des deux cubistetères, lui faisant commettre un solécisme en écrivant avec l'aspirée ; car kat' authous est pour kala sphas autous, c'est-à-dire, seuls, séparément; mais si l'on dit heautous (eux-mêmes), c'est ici un solécisme.
Mais ces baladins introduits, comme je l'ai dit, dans un festin aussi réglé, sont une addition qui a été prise mal-à-propos d'une danse Crétoise dont il est parlé en ces termes, dans le liv. 18 de l'Iliad. (v. 592 etsuiv.):
[181a] « L'illustre Vulcain, boiteux des deux côtés, fît artistement un chœur semblable à celui que Dœdale avait un jour formé pour Ariadne aux beaux cheveux. De jeunes garçons et de jeunes filles, d'âge à trouver des bœufs, dansaient ensemble, se tenant tous par la main. »
Alors le poète ajoute :
« Une grande foule entourait avec joie ce chœur aimable. [181b] Un musicien commençant à chanter, deux cubistetères pirouettèrent séparément au milieu de cette assemblée. »
Or, cette danse, accompagnée de pirouettes, est particulière aux Crétois. Voilà pourquoi l'on dit à Mérion de Crète :
« Mérion, tout danseur que tu es, si je t'avais frappé, ma lance aurait bien pu te faire renoncer pour jamais à la danse. »
C'est aussi ce qui a fait donner le nom de Crétois aux hyporchèmes. La figure de ces danses est crétoise ; mais l'instrument vient des Molosses. [181c] Timée nous apprend que ceux qu'on appelait laconistes, chantaient en chœurs de forme carrée. En général, la musique était différente, selon les divers cantons de la Grèce; les Athéniens préférant les chœurs bachiques et circulaires ; ceux de Syracuse, les Iambistes; et d'autres en préféraient d'un autre caractère.
CHAP. XXVIII. Mais Aristarque insérant, dans là description du repas de Ménélaus, des vers qu'il ne convenait pas d'y ajouter, non seulement s'est écarté de la discipline de Lacédémone, et de la sagesse de ce roi, il a même retranché le chantre du chœur crétois, [181d] et tronquant les vers de cette manière :
« Une grande foule entourait cet aimable chœur, en se livrant à la joie ; mais deux cubistetères se mettant à danser seuls pirouettèrent au milieu de l'assemblée. »
De sorte que le mot exarchontes, commençant, n'est plus applicable à rien, puisqu'il n'est plus possible de conserver le rapport qu'il doit avoir avec le chantre;
11. mais il est d'autant moins vraisemblable qu'il y avait un chantre chez Ménélaus, que tout s'y passa, comme il est évident, en conversation familière, [181e] et qu'il n'y est nullement parlé ni de chantre, ni de chanson que ce musicien y ait fait entendre. D'ailleurs, on ne voit pas que Télémaque y ait prêté la moindre attention ; au contraire, il paraît plutôt considérer la maison en silence, et comme s'il n'y avait aucun étranger: que dis-je ! n'est-il pas absurde de faire entrer les fils de Nestor et d'Ulysse, deux hommes si recommandable si par leur prudence, comme deux jeunes gens assez mal élevés, pour ne pas faire la moindre attention à un chantre qu'on aurait eu exprès ? n'eussent-ils pas été de grossiers personnages ?
En effet, ne voyons-nous pas Ulysse attentif aux chantres des Phéaciens ?
« Mais Ulysse considérait attentivement [181f] les mouvements rapides des pieds ; il était même dans la plus grande admiration, quoiqu'en silence. »
Il avait cependant lieu d'être distrait par nombre de peines et d'inquiétudes, qui pouvaient lui faire dire :
« Eh ! mes soucis m'occupent plus que les chants. »
Télémaque n'eût-il donc pas essentiellement blessé toute honnêteté, si, entendant ce chantre, et voyant pirouetter ces cubistetères, il se fût uniquement occupé de parler à l'oreille de Pisistrate, et de promener ses regards sur les vases ou l'ameublement de la maison ? Mais [182a] Homère, en peintre habile, nous représente Télémaque tout semblable à son père. Il les fait reconnaître tous les deux par des larmes, l'un chez Alcinoüs, l'autre chez Ménélaüs.
12. Chez Épicure, au contraire, on ne voit à sa table que des flatteurs qui se louent l'un l'autre; et chez Platon, tout est plein de railleurs qui se persiflent avec acrimonie; car je ne parlerai pas d'Alcibiade : dans Homère, c'est à la sagesse des convives qu'on applaudit.
Voici ce que quelqu'un dit dans Homère, paraissant même ne pas oser parler :
[182b] « Ravis de ta voix, nous l'entendons en ta présence comme celle d'un dieu. »
Mais le même reprend sans balancer ce qui n'a pas été bien dit ou bien fait :
« Et s'il y a encore quelque chose de plus, suivez mon avis; car je n'aime pas a me lamenter après le repas. »
Dans un autre endroit, Homère fait dire :
« Télémaque, quelle parole t'est sortie de la bouche? »
[187c] Epicure fait encore proposer à ses repas quelques questions sur la digestion; ce qui est de très mauvais augure parmi des convives : on y parle même ensuite de la fièvre. Mais que dirai-je de l'irrégularité, de l'incohérence de ses termes?
Je laisse à Platon[14] (son Aristophane) qui, tourmenté d'un hoquet, se guérit en se gargarisant avec de l'eau, qu'tâchant de se faire éternuer en s'insinuant une paille dans les narines pour les chatouiller; car Platon voulait; plaisanter et persifler.[15] Ensuite il se moque des phrases isokooles et des antithèses d'Agathon, et il fait parler Alcibiade, qui s'ouvre sans réserve sur sa honteuse passion. Or, voilà comment écrivent ceux qui excluent Homère de leur république! [187d] mais, dit Démocharès : « On ne fait pas une lance avec de la sarriette, et on ne forme pas d'honnêtes gens avec de pareils discours. »
Chap. III. Or, Platon persifle non seulement Alcibiade, il n'épargne même pas Charmide, Ethydème, ni plusieurs autres jeunes gens. C’est assurément berner la ville d'Athènes, le musée de la Grèce ; cette ville, que Pindare appelle la forteresse de l’Hellade, et Thucydide, l’Hellade de l’Hellade, dans son Epigramme sur Euripide; cette ville, dis-je, que la Pythie a nommée le Foyer et le Prytanée de tous les Grecs.
[187e] Mais on peut voir dans Platon même qu'il a faussement chargé cette jeunesse. En effet, il dit, dans son Alcibiade, que ce célèbre Athénien était déjà âgé lorsqu'il commença à s'entretenir avec Socrate, et après que tous ceux qui avaient été épris de la beauté du jeune Alcibiade, l'eurent abandonné. C'est ce qu'il assure positivement au commencement de son dialogue. On verra, si l’on veut, dans son dialogue intitulé Charmide, les contradictions dans lesquelles il tombe. Il y présente Socrate d'une manière contradictoire, tantôt ayant les yeux éblouis [187f] et fascinés par l'amour qu'il a pour le jeune Charmide, tantôt ne pouvant tenir en place, ou tel qu'un faon terrassé par la force d'un lion, mais en même temps n'ayant que du mépris pour sa beauté.
13. Quant à Xénophon, quoique son Banquet mérite des éloges, il y a des choses qui méritent autant de blâme. C'est Callias qui donne le repas, à cause de la victoire, qu'Autolycus, objet de son amour, avait remportée aux panathénées, où il avait été; couronné Pancrate. A peine les convives se sont-ils placés sur les lits, qu'ils fixent attentivement le jeune homme, [188a] et cela en présence de son père qui était assis à côté de lui.
« Comme une lumière[16] qui paraît au milieu de la nuit, attire à elle les regards, de même la beauté d'Autoïyeus fixait sur elle les yeux de tous les convives. Bientôt il n'y eut personne de l'assemblée qui ne se sentît l'âme émue par sa présence. Les uns gardaient le silence, mais les autres se déclaraient assez par leurs gestes. »
Homère n'a jamais hasardé un pareil langage. Un des Troyens, ennemi d'Hélène, frappé de l'éclat de ses charmes, ne put, en la voyant, se refuser à rendre justice à la vérité.
[188b] « Non, dit-il,[17] on ne doit pas en vouloir aux Troyens et aux Grecs de souffrir tant de peines pour une telle femme : elle a vraiment un port de déesse. »
Cependant il ajoute :
« Malgré cela, toute belle qu'elle est, qu'elle s'embarque pour retourner chez elle. »
Les deux jeunes gens, Pisistrate et Télémaque, se trouvant chez Ménélaüs, demeurent dans un silence respectueux, quoiqu'au milieu d'un repas de noces où Hélène, assise à côté d'eux, [188c] les avait interdits par l'éclat de sa célèbre beauté.
Mais pour quelle raison Socrate, qui avait pu soutenir la présence de joueuses de flûte et d'un enfant qui dansait en jouant de la cithare, que dis-je! le spectacle d'une femme qui pirouettait indécemment, refuse-t-il du parfum? C'est qu'assurément il n'aurait pas souffert, sans faire rire, qu'on le parfumât, se rappelant ces vers :
« Quoi! tu parles de ces hommes à figures blêmes, et sans souliers, du nombre desquels sont le vaurien de Socrate et Chæréphon. »
Mais ce qui suit s'accorde aussi mal avec l'air refrogné de ces gens. [188d] Or, il s'agit de Critobule, jeune élégant, qui se moque de son vieux maître Socrate, et dit qu'il est beaucoup plus laid que les Silènes. A ces mots, Socrate prétend le disputer avec lui au sujet de la beauté, et choisissant pour jugés la danseuse et l'enfant, il décide que le prix de la victoire sera un baiser des juges. Quel est donc le jeune homme qui, tombant sur de pareils écrits, ne se pervertira pas plutôt que d'être porté à suivre la vertu!
14. Mais dans Homère, on ne se propose au festin de Ménélaüs que des questions sérieuses, comme on ferait dans une école pour s'instruire, et l'on s'y amuse sensément d'une conversation qui plait aux interlocuteurs, et à nous qui en lisons le récit. Ainsi,
[188e] Télémaque[18] venant du bain, on sert, et Ménélaüs engage à manger, en disant:
« Allons, prenez, réjouissez-vous; lorsque vous aurez mangé, nous vous demanderons qui vous êtes. »
Ensuite, il ajoute à leur portion, une partie de ce qu'on lui avait servi, et il le fait avec bonté :
« Il dit, et mit devant eux des tranches de filet de bœuf, leur présentant [188f] cette pièce qu'on lui avait servie, comme le morceau d'honneur. »
Les jeunes gens ayant mangé en silence, se parlent comme il convient à leur âge, en baissant modestement la tête en avant. Ils ne s'entretiennent pas des mets, ni des servantes de celui qui les a invités, et qui leur ont apprêté le bain ; mais les riches possessions de celui qui les a reçus, sont l'objet de leur conversation. »
« C'est dans le palais de Jupiter qu'il y a[19] de pareilles richesses.»
Séleucus dit qu’il vaut mieux lire ainsi ce vers, mais Aristarque ne le lit pas comme il convient.
[189a] « Tel est certes intérieurement le palais de Jupiter dans l'Olympe. »
Car ce n'est pas seulement la beauté de la maison qu'ils admirent (en effet, peut-on croire que les murs étaient ornés d’electre,[20] d'argent et d'ivoire?). Ce qu'ils disent de la maison, est que le son y retentit fortement, comme réellement on le remarque dans les maisons très vastes et très hautes ; mais en parlant des vases et de l'ameublement, c'est la matière qu'ils en admirent, savoir, l'or, l'electre, l'argent et l'ivoire. En conséquence, le poète ajoute convenablement:
« C'est dans le palais de Jupiter qu'il y a de telles richesses, [189b] et en ainsi grande quantité. Oui, je demeure interdit en les considérant. »
Mars en lisant comme Aristarque îp
«Tel est, certes, l’intérieur du palais de Jupiter. »
Il n’y a plus de cohérence si l’on ajoute :
« En aussi grande quantité, etc. »
Il y aurait un solécisme dans cette leçon, ou construction insolite :
15. d'ailleurs, le mot aulee, ne se dit pas d'une maison. Nous appelons ainsi un lieu en plein air et nous disons; diduloonizein d’un endroit particulier que le vent peut traverser en liberté. En outre, le mot aulos signifie, un instrument [189c] par lequel le vent passe : nous appelons encore aulos toute figure qui s étend sur une ligne droite, comme le stade et un jet de sang
« Aussitôt, un jet épais (aulos) fit éruption par ses narines. »
Nous donnons le nom d'auloopis[21] à un casque.» lorsqu'il se prolonge droit en hauteur sur le milieu. Il y avait à Athènes des auloones[22] sacrés dont Philochore fait mention dans son neuvième livre. On dit vulgairement auloonas, des canaux, au masculin, comme le font Thucydide dans son Quatrième livre, et les autres écrivains prosaïques ; mais les poètës font ce mot féminin, [189d] comme Carcinus dans son Achille:
« Une profonde fosse[23] (auloona) qui entourait l’armée. »
Sophocle dit, dans ses Schytes
« Des précipices! des roches entrouvertes et: des fosses voisines du rivage. »
On doit même regarder comme au féminin ce que dit Ératosthène, dans son Hermès :
« Un fossé profond se trouve entre deux. »
Il dit ici bathys, profond, au masculin, comme on lit bathys eersee,[24] une rosée profonde.
Ainsi tout ce dont il vient d’être parlé se nomme aulee et aulon. [189e] Néanmoins on dit actuellement aulee, en parlant du palais d'un roi. C’est ainsi que Ménandre écrit :
« Faire sa cour dans les palais (aulas) et aux satrapes. »
Diphile dit aussi, en se servant d’Aulas :
« Aller faire sa cour dans les palais[25] des rois, c'est, selon moi, un métier de banni, ou de mendiant, ou de fripon. »
Il emploie cette expression, soit parce que ces palais ont toujours intérieurement une vaste cour en plein air, soit parce que les gardes des princes sont logés, et couchent près de ces palais.
Homère emploie le mot aulee, pour signifier partout un lieu en plein air, où était l'autel de Jupiter Erkeios.[26] [189f] C’est ainsi qu'on trouve Pelée
« Dans l'enceinte de la cour (aulees), tenant une coupe d'or avec laquelle il faisait des libations de vin rouge sur la victime qui brûlait. »
Priam, selon le même,
« Se roulait dans la fange, dans l'enceinte de la cour (aulees). »
Ulysse ordonne à Phémius (à Médon) :
« De sortir de la maison, et de passer dans la cour (auleen) [190a] pour éviter le carnage. »
Mais pour revenir à Télémaque, on voit, par ce que dit Ménélaüs, que ce jeune prince loua en même temps et la maison, et les richesses qui y étaient.
« Mon cher enfant, aucun mortel ne peut le disputer à Jupiter. Sa maison et ses possessions ne sont pas sujettes à périr. »
Reprenons actuellement le repas. Homère y trouve adroitement occasion de faire parler les convives, afin d'amener la comparaison[27] et la différence des richesses et d'un ami. En effet, Ménélaüs ne met pas brusquement ses richesses en avant, mais c'est avec délicatesse qu'il en parle dans la suite de son discours, et après avoir entendu louer sa fortune. Il ne nie donc pas qu'il soit riche; cependant il prévient avec art l'envie que ses biens pourraient susciter, en ajoutant aussitôt : oui je les ai, [190b] mais c'est après avoir souffert beaucoup de maux. Malgré cela, il ne se croit pas digne d'être comparé aux dieux :
« Leurs demeures, leurs possessions sont immortelles. »
Il montre ensuite les dispositions fraternelles de son cœur; et après avoir dit, comme forcément, je vis et je suis riche, il oppose à cet aveu celui de l'amitié :
« Hélas! que ne puis-je habiter ce séjour, [190c] en donnant les deux tiers de mes biens, pour voir vivre les braves qui sont péris dans la vaste Troie, loin d'Argos! »
Chap. IV. Quel est donc celui des descendants des guerriers morts pour un tel homme, qui ne dût pas se croire amplement indemnisé[28] de la perte affligeante de son père, en l'entendant rappeler avec ce trait de reconnaissance? Mais Ménélaüs, voulant montrer qu'il n'était pas également redevable à tous ceux qui lui avaient montré de la bienveillance, ajoute :
« Quelque affligé que je sois de la perte de ces braves, je ne les regrette pas tous [190d] autant qu'un d'eux en particulier, qui, par les soucis qu'il me cause, me prive du sommeil, et me permet à peine de prendre quelque nourriture. »
Ménélaüs, également attentif à ne pas paraître négliger aucun de ceux qui touchaient Ulysse de près, les rappelle nommément :
« Oui, le vieux Laërte, la sage Pénélope et Télémaque, qu'il a laissé tout jeune[29] au logis, le pleurent amèrement.»
Télémaque se mettant à pleurer, Ménélaüs s'arrête. Pendant ce temps-là,[30] Hélène entre, et tire des inductions de la ressemblance qu'elle croit apercevoir; [190e] car les femmes, toujours attentives à s'observer les unes les autres dans leur conduite, sont fort habiles à discerner si un enfant ressemble à ses père et mère. Pisistrate, de son côté, coupe la conversation par quelques détails ; car il ne devait pas être là comme un Satellite. Il fait donc connaître, dans son Discours, mais avec beaucoup de modestie, quelle est la raison de la retenue timide de Télémaque. Ménélaüs ajoute qu'il aurait désiré passer les jours de sa vieillesse avec Ulysse surtout, vu leur étroite amitié :
[190f] 17. bientôt ils pleurent tous, conformément aux circonstances. Hélène, comme fille de Jupiter, et instruite dans plusieurs sciences par les Sages de l'Egypte, jette dans le vin une panacée vraiment souveraine contre la douleur et la tristesse, et entre, en filant, dans de grands détails au sujet d'Ulysse. Ce n'était pas pour chercher à se faire applaudir, qu'elle s'occupait de ce travail, mais parce qu'elle y avait été habituée à la maison paternelle. C'est pourquoi Vénus lui apparaissant après le combat particulier,
« Lui parle sous la figure d'une vieille très âgée qui filait de la laine, et qui s'était autrefois occupée à travailler de belles laines à Lacédémone, où elle demeurait. »
On voit quelle était son assiduité à ce travail, par ces vers du poète :
« En même temps, Adraste lui place une très belle chaise ; Alcippe apporte un tapis de laine mollette ; [191b] Phylo lui présente une corbeille d'argent, qu'Alcandre, femme de Polybe, lui avait donnée. Or, cette corbeille, que lui met devant elle sa servante Phylo, était remplie de fil bien travaillé. Il y avait aussi en travers une quenouille chargée de laine de couleur pourpre foncée. »
Hélène paraît cependant avoir eu certain amour-propre de son talent. C'est pourquoi elle dit à Télémaque, en lui donnant un voile :
[191c] « Mon fils, je te fais ce présent : tu te souviendras que c'est l'ouvrage des mains d'Hélène, et tu le feras porter à l'aimable épouse que tu prendras. »
Cette assiduité au travail montre aussi sa sagesse ; car le poète ne la fait pas paraître comme une femme livrée au luxe et à la mollesse en conséquence de sa beauté. Ainsi on la trouve occupée à tisser et à varier avec art les ornements de son ouvrage.
« Iris trouva Hélène dans son palais, travaillant en gros point[31] un large tapis éclatant, où elle avait déjà représenté plusieurs combats [191d] que les Grecs et les Troyens avaient soutenus pour elle. »
18. Homère nous apprend encore que c'est à ceux qui sont invités, d'avertir ceux qui les traitent, quand il est temps qu'on se retire. C'est pourquoi Télémaque dit à Ménélaüs:
« Ça donc, menez-nous à la chambre à coucher, afin que nous jouissions au lit du plaisir du sommeil. »
Minerve, qui a pris la figure de Mentor, dit aussi à Nestor :
[191e] « Çà donc, coupez les langues,[32] mêlez du vin, afin qu'après avoir fait des libations à Neptune et autres divinités, nous allions coucher ; car voici l'heure. »
Il semble même qu'aux fêtes des dieux il n'était pas permis de passer l'heure d'aller au lit Voilà pourquoi Homère fait dire à Minerve, d'un ton sentencieux:
« Car voilà déjà nuit tombante : il ne convient pas que nous restions trop longtemps (assis) à table au repas des dieux. Allons-nous en donc. »
La loi ordonne même encore à présent de se retirer de certains sacrifices avant que le soleil se couche.
[191f] Les repas se faisaient anciennement chez les Egyptiens avec beaucoup de réserve, comme nous l'apprend Apollonius, qui a écrit sur cette matière. Ils soupaient assis, prenant une nourriture très légère et très saine, et ne buvaient de vin que ce qu'il en fallait pour avoir cette aimable gaieté que Pindare demandait à Jupiter.
« Que dois-je faire pour être chéri de toi, puissant maître du tonnerre, pour être chéri des Muses, et plaire[33] par une aimable gaîté! c'est ce que je te demande. »
[192a] Mais le Banquet de Platon n'est ni un tribunal, ni un sénat, ni une assemblée de philosophes.[34] En effet, Socrate ne veut pas quitter la table, quoiqu’Euryximaque, Phèdre, et quelques autres se soient déjà retirés. Socrate veut veiller avec Agathon et Aristophane, et bait dans un de ces grands vases d'argent que quelqu'un appelle puits.[35] Ce nom est on ne peut mieux approprié. Il boit même dans une coupe, et se fait gloire de sa dextérité. Platon ajoute que ces deux convives qui veillaient avec Socrate furent pris d'une envie de dormir; mais qu'Aristophane [192b] s'endormit le premier, et qu'Agathon ne se laissa aller au sommeil que vers le point du jour. Alors Socrate les ayant tous ensevelis dans les bras de Morphée, s'en alla au Lycée, tandis qu'il pouvait, dit Hérodicus, aller trouver les Lestrygoniens d'Homère,
« Chez lesquels[36] un homme qui passe la nuit sans dormir, reçoit un double salaire. »
19. Ce fut d'abord pour rendre hommage aux dieux que les hommes se réunirent à des repas. On s'y parait des couronnes propres à chaque divinité,[37] on y chantait des hymnes et des odes en leur honneur. Aucun esclave n'y servait : c'étaient les enfants des citoyens qui versaient le vin, comme on le voit faire au fils de Ménélaüs, quoique marié, et même à ses propres noces. [192c] Dans la belle Sapho, c'est Mercure qui est l'échanson des dieux. En un mot, c'étaient des gens libres qui apprêtaient tout pour les repas ; et les convives se retiraient lorsqu'il. faisait encore jour.[38]
Dans plusieurs repas des Perses on mettait quelques affaires en délibération, comme au repas que donne Agamemnon[39] étant à l'armée. Quant au repas d'Aleinous relativement, auquel Ulysse dit :
« Non,[40] certes, il n'y a pas de jouissance plus agréable [192d] que lorsque la joie règne dans tout le peuple, et que les convives entendent un musicien dans la maison. »
il a pour but la réception d'un étranger; d'ailleurs ce sont des Phéaciens, gens livrés naturellement aux plaisirs. Cependant si l'on compare ce repas à ceux de nos philosophes, on le trouvera bien »plus honnête ; et, s'il y règne de la gaieté, du plaisir, la décence n'en est pas bannie. Après l'exercice gymnique, un musicien récite, en chantant, Une fable mêlée de persiflage, sur les amours de Mars ; mais ce sont des avis qu'il suggère à Ulysse, concernant le meurtre des amans de sa femme. En effet, Ulysse apprenait par-là [192e] que Vulcain, quoique boiteux, avait vaincu le terrible Mars.
20. On s’asseyait alors à table pour souper. Voilà pourquoi Homère dit souvent :
« Ils étaient assis de suite sur des chaises[41] et des trônes. »
Ce que l'on appelait alors, trône, était un siège accompagné d'un gradin, et uniquement réservé[42] aux gens de condition libre. Le gradin se nommait threenys : c'est aussi de là que vint le nom de trône et que l'on place pour s'asseoir, comme si l'on disait en grec threesasthai charin.[43]
[192f] La chaise qu'on appelle klismos, est faite avec plus d'appareil, et disposée de manière à pouvoir s'y incliner; mais ce qu'on appelle diphros[44] est un siège beaucoup plus simple. C'est pourquoi il est dit dans Homère, qu'Ulysse ayant l'air d'un mendiant, on lui donna un misérable diphros et une petite table.
Ils avaient à côté d'eux les cratères, où le vin était mêlé avec l'eau, comme le nom[45] l'indique. Les jeunes gens qui servaient, puisaient dans ces vaisseaux pour présenter la coupe pleine aux gens les plus distingués ; mais ils ne donnaient que certaine quantité, et la même à tous les autres. Voilà pourquoi Agamemnon dit à Idoménée:
[193a] « On t'a toujours tenu la coupe pleine, comme à moi, lorsque tu avais envie de boire. »
Ils se portaient réciproquement la santé, non comme nous le faisons, mais présentant le vase plein; au lieu que nous commençons par le vider presque entièrement.
Homère dit à ce sujet :
« Ayant rempli la coupe de vin, il salua Achille, en la lui présentant. »
Nous avons déjà dit combien ils mangeaient de fois, c'est-à-dire trois[46], parce que le même repas est appelé tantôt dîner, tantôt souper : car c'est apprêter à rire que de soutenir qu'ils prenaient quatre repas, parce que le poète dit :
« Toi, viens deielieesas. »
Ils interprètent ce mot grec par après avoir goûté, sans réfléchir que cela signifie, après avoir passé le temps de l’après-midi jusque vers le soir ; [193b] mais on ne peut prouver qu'aucun personnage d'Homère ait pris trois repas.
On est encore tombé dans une autre, erreur en mettant ces trois vers de suite :
« Une vénérable gouvernante servit du pain, ajoutant divers mets, pour les traiter avec ce qui se trouvait. Le cuisinier[47] servit des plats de viandes. »
Si donc la gouvernante servit divers mets, il est bien évident que le cuisinier ne devait pas servir des viandes qui étaient des reliefs de la veille. C'est pourquoi les deux premiers vers de ce passage suffisaient.
Lorsque les convives avaient fini leur repas, les serviteurs enlevaient les tables, comme on le voit chez les Phéaciens et aux repas des amans de Pénélope.
[193c] « Les serviteurs emportèrent tout l'appareil, entea, du repas. »
Il est clair que, par appareil, il s'agit de tout vase et ustensile de table ; car on appelle entea celles des armes qui servent à couvrir, comme la cuirasse, les jambiers et autres pièces qui deviennent la défense[48] des différentes parties du corps.
Homère appelle megara, doomata, klisies, les maisons de ses héros ; actuellement on leur donne le nom de xenoones,[49] androones.
21. Mais, mes amis, quel nom donnerons-nous au repas[50] que fit Antiochus, surnommé Epiphanes (illustre), mais vraiment Epimanes (furieux), si l'on considère ses actions? [193d] Ce fut un des rois de Syrie, descendant de Séleucus. Or, voici ce que Polybe en dit : « Quelquefois se dérobant[51] à ses serviteurs en sortant furtivement de son palais, il se retrouvait cependant çà et là dans la ville le second ou le troisïème avec eux! On le voyait surtout chez les ciseleurs en argent, des orfèvres, affectant de parler en homme instruit; et en amateurs des arts, avec les graveurs en relief et d’autres artistes. Ensuite il se rabaissait jusqu'à se familiariser avec le premier homme du peuple qu'il rencontrait et buvait avec les étrangers les plus méprisables, qui se trouvaient à la ville. [193e] S'il apprenait que quelques jeunes gens fissent un repas entre eux, il s’y présentait sans avoir; prévenu avec des castagnettes et une symphonie,[52] de sorte que la plupart se retiraient en fuyant, à la vue de cette étrange conduite.
Souvent, quittant ses habits royaux, il se couvrait d'une tebenne (toga), il parcourait la place publique faisant le candidat, prenant la main aux uns en les saluant, embrassant les autres, sollicitant leur suffrage, soit pour être édile, soit pour être tribun. [193f] Dès qu'il avait obtenu la dignité qu'il demandait, il s'asseyait sur une chaise d'ivoire (la curule), selon l'usage des Romains, se faisait rendre compte des ventes et achats, et jugeait avec beaucoup d'empressement et de zèle, de sorte que les gens sensés ne savaient qu'en dire, les uns le prenant pour un imbécile, les autres pour un fou. En effet, à sa manière de faire très largesses, on l'eût facilement jugé tel.
Chap. V. Antiochus paraissait aussi bizarre dans les présents qu'il faisait, [194a] donnant aux uns des osselets de chamois, aux autres des dattes, à ceux-là de l'or. Quelquefois il faisait des présents inattendus à des gens qu'il rencontrait pour la première fois. Il surpassa en magnificence, tous les autres rois, lorsqu'il envoyait à différentes villes de quai faire.des sacrifices les jours de fêtes, ou dans les hommages qu'il rendait aux dieux. C'est ce qu'on peut aisément présumer par le temple de Jupiter Olympien[53] de la ville d'Athènes, et par les statues qu'il avait fait placer autour de l'autel de Délos.
Il allait au bain public lorsque tout le peuple y était en foule, [194b] et on lui apportait des vases pleins.des parfums les plus exquis. Quelqu'un lui disant : « Vous êtes heureux vous, rois, qui pouvez faire usage de ces parfums, et répandre partout où vous êtes[54] l'odeur la plus agréable! » Antiochus ne lui répond rien; mais étant entré le lendemain dans l’endroit où cet homme se baignait, il lui fît verser sur la tête plein un très grand pot de parfum de myrrhe en larmes; de sorte.que ceux qui se baignaient s'étant levés, se roulèrent dans le parfum, plusieurs même tombèrent ne pouvant pas tenir pieds sur cette matière onctueuse, sans excepter le roi : [194c] ce qui fît beaucoup rire.
22. Ce même roi, ayant appris les grandes actions que Paul-Emile avait faites en Macédoine, voulut surpasser ce général Romain par un excès de libéralité.[55] Il envoya donc dans nombre de villes des députés et des théores,[56] pour annoncer les combats gymniques qu'il se disposait à donner à Daphné. Aussi les Grecs ne manquèrent pas de se rendre en foule; et avec le plus grand empressement vers lui; il ouvrit donc cette fête par ce pompeux cortège:
[194d] Cinq mille jeunes gens d'élite, armés à la romaine, et couverts de cottes de mailles, marchaient en tête : immédiatement après eux, suivaient cinq mille Mysiens, et trois mille Ciliciens armés en troupe légère, la tête ceinte d'une couronne d'or. Trois mille Thraces et cinq mille Galates marchaient derrière eux, précédant vingt mille Macédoniens et cinq mille fantassins armés de boucliers d’airain sans compter une troupe d’Argyraspides,[57] suivie de deux cent-quarante paires de gladiateurs, [194e] après lesquels s’avançaient mille cavaliers montés sur des chevaux de Nise, et trois mille, sur des chevaux du pays. La plus grande partie de ces chevaux avait des harnais tout couverts d'or, et les cavaliers des couronnes d’or : l'argent brillait sur les harnais des autres. La troupe de cavalerie appelée les Compagnons, au nombre de mille, et dont les chevaux étaient harnachés en or, précédait, à leur suite, le corps des Amis[58] dont le nombre était égal, et les harnais d’une pareille richesse. Cette marche était soutenue par mille hommes d'élite que suivait le corps appelé la Cohorte *, composée d'environ, mille hommes qui faisaient: la troupe la plus forte de la cavalerie! [194f] Enfin, les Cataphractes, au nombre de quinze-cents cavaliers, armés de toutes pièces, couverts, comme leurs chevaux, d'une manière analogue au nom de la troupe, s'avançaient les derniers.
Tous ces différents corps avaient des surtouts de pourpre; plusieurs en avaient même de brochés en or, où l'on voyait des figures d'animaux. On vit aussi s'avancer cent chars a six chevaux, quarante à quatre; un char attelé d'autant[59] d’éléphants, et un autre où il y en avait deux. Trente-six éléphants marchaient ensuite séparément les uns après les autres.
23. Il serait bien difficile de donner ici les autres détails de ce cortège particulier : il faut donc se contenter de les rapporter succinctement. Huit cents jeunes gens environ accompagnaient la marche avec des couronnes d'or, [195a] menant mille bœufs gras. Il y avait à peu près trois cents tables[60] consacrées à ces cérémonies, et huit cents dents d'éléphants. Quant au nombre des statues, il est impossible de le dire au juste; car on y porta en pompe celles de tous les dieux ou génies, (démons) reconnus pour tels chez les hommes, sans excepter celles des héros.[61] Les unes étaient dorées, les autres revêtues de robes de drap d'or. On les avait richement accompagnées de tous les attributs qui leur étaient particuliers à chacune, selon les traditions vulgaires consacrées dans l'histoire.
[195b] Elles étaient suivies des statues de la nuit, du jour, de la terre, du ciel, de l'aurore et du midi. On peut conjecturer de ce qui suit, quelle était là quantité des vases d'or et d'argent. Denys, l'un des amis d'Antiochus, et son secrétaire pour les lettres, avait fait venir à ce cortège mille enfants, portant chacun un vase d'argent, qui ne pesait pas moins de mille dragmes. Six cents autres enfants[62] que le roi avait réunis, marchaient à leur suite, portant aussi des vases d'or : deux cents femmes, ayant chacune un pot de parfum, en faisaient des aspersions le long de la marche. [195c] Après elles s'avançaient en pompe quatre-vingts autres femmes assises sur des brancards à pieds d'or, et cinq cents autres sur des brancards à pieds d'argent, toutes richement parées.
Voilà ce qu'il y avait de plus brillant dans ce pompeux cortège.
24. Il y eut des combats gymniques, des monomachies,[63] des parties de chasse, pendant les trente jours qu'il fit durer ces fêtes. Tous ceux qui combattirent au gymnase s'oignirent, les cinq premiers jours, de parfum de safran qu'on tirait de cuvettes d'or. [195d] On eut donc pour se frotter, les quinze premiers, du parfum de safran pendant cinq jours,[64] du parfum de cinnamome pour les cinq suivants, et du parfum de nard pour les cinq derniers de la quinzaine. On apporta de même, pour les quinze jours suivants, savoir, pour les cinq premiers, du parfum de fenugrec;[65] de marjolaine, pour les cinq suivants, et d'iris pour les cinq derniers. Chacun de ces parfums avait une odeur différente.
On dressa tantôt mille triclins[66] tantôt quinze cents ; avec le plus grand appareil, pour les repas de la Fête ; c’était le roi qui ordonnait et réglait tout lui-même. Monté sur un méchant cheval,[67] il courait partout le cortège, faisant avancer les uns, arrêter les autres. [195e] Il se tenait à l'entrée pendant les repas, faisant entrer ceux-ci, plaçant ceux-là sur les lits. Il entrait lui-même devant les serviteurs qui apportaient les mets; mais passant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, il s'asseyait à côté des convives, ou il s'étendait sur l'un ou l'autre lit. Quelquefois laissant le morceau, ou là bouchée, ou le gobelet qu'il tenait, il se levait d'un saut, passait ailleurs, et parcourait toutes les tables, recevant debout les santés qu'on lui portait : il allait folâtrer d'un autre côté avec les uns ou les autres, et même avec les baladins.
[195f] On le voyait aussi, vers la fin des repas, et lorsque nombre de personnes s'étaient retirées, se laisser introduire, couvert, par les bouffons qui le mettaient à terre, lui roi, comme un de leur troupe. Si l'on faisait entrer les musiciens, aussitôt il dansait, sautait, faisait son rôle avec les bouffons, au point de faire rougir et partir tous ceux qui en étaient témoins.
Toutes ces choses furent exécutées avec les fonds qu'il s'était procurés en Egypte, soustrayant tout ce qu'il put, et trompant, contre toutes les lois de l'honneur, le roi Ptolémée Philométor, pendant sa minorité. Ses amis contribuèrent à ces dépenses; mais les dépouilles des temples qu'il avait pillés, lui en avaient procuré la plus grande partie.
[196a] 25. Chap. VI. Nous étions tous étonnés à table du but que pouvait s'être proposé ce roi, qui, par cette conduite, ne paraissait pas épiphanes (illustre), mais vraiment épimanes (fou) ; lorsque Masurius joignit à ces détails celui de la fête pompeuse que l'excellent Ptolémée Philométor donna à Alexandrie. Or, le récit de Masurius est pris du liv. 4 de l'histoire d'Alexandrie, écrite par Callixène de Rhodes. Voici donc ce que dit cet historien :
« Mais avant de commencer le récit de la marche, je vais vous exposer tout l'ensemble du pavillon qu'on avait élevé dans l'enceinte de la citadelle, et séparément des logis où étaient les soldats, les artisans et les étrangers. Ce fut en effet un pavillon extraordinairement beau, et dont le récit mérite d'être entendu. [196b] On l'avait fait assez grand pour contenir cent trente lits rangés en cercle. On avait élevé, sur les deux faces de la longueur, cinq colonnes de bois, hautes de cinquante coudées; mais il y avait Une colonne de moins dans la largeur. Sur ces colonnes étaient des architraves[68] formant un carré, qui soutenait toute la couverture de la salle, proprement dite, où l'on mangea. On y avait tendu, au milieu, un ciel couleur pourpre, bordé d'une bande blanche : aux deux côtés, de droite et de gauche, s'élevaient de grosses pièces de bois couvertes d'une tenture chamarrée en blanc, représentant des tours. [196c] On avait tendu dans les intervalles[69] de faux lambris peints.
« Quatre des colonnes avaient la forme d'un palmier, et celles qui étaient dans les intervalles ressemblaient à un thyrse. En dehors de ces colonnes régnait, sur trois côtés, un péristyle,[70] qui formait avec ces colonnes une galerie étroite, et couverte en forme de voûte. C’était dans cette galerie que restait la suite (les gens) de ceux qui étaient admis au festin ; et le dedans était tout garni d'une tenture de couleur pourpre. On avait suspendu au milieu, dans les différents intervalles, des peaux d'animaux [196d] aussi singulières par leur variété, qu'étonnantes par leur grandeur.
« En dehors, et tout autour du péristyle, on avait placé en plein air des lauriers, des myrtes et autres arbres convenables aux circonstances, et dont le feuillage formait une couverture continue. Tout le sol était jonché de fleurs différentes ; car l'Egypte produit en abondance et en toute saison (vu la température[71] avantageuse de l'air, et l'habileté de la culture), ce qui ne vient même qu'en petite quantité en d'autres contrées dans la saison convenable. Aussi l'on n'y voit jamais manquer les roses, les violettes blanches, ni même (ou bien rarement) aucune autre fleur. Voilà pourquoi, ce festin ayant été fait au milieu de l'hiver, le spectacle parut si étrange aux convives.[72]
[196e] « En effet, on n'aurait jamais pu trouver dans une autre ville, pour faire les couronnes, toutes les fleurs qu'on fournit à foison à ce grand nombre de convives, pour s'en couronner, et pour en joncher[73] tout le sol du pavillon, de manière qu'il parut vraiment une prairie enchantée.
26. « Il y avait sur les jambes de force qui soutenaient le pavillon, cent animaux en marbre, de la main des plus habiles artistes. Dans les intervalles, on voyait des tableaux de l'école de Sicyone.[74] On y avait aussi alternativement placé nombre d'autres sujets choisis ; des tuniques de drap d'or et des soubrevestes les plus brillantes, [196f] dont quelques-unes représentaient, dans leur tissu même, des figures de rois; d'autres, des sujets tirés de la fable. Au-dessus étaient rangés par ordre, et alternativement, des boucliers[75] d'or et d'argent. On avait pratiqué, dans les parties supérieures, des enfoncements (ou loges) de huit coudées chacune,[76] dont six sur chaque côté qui faisait la longueur, et quatre sur ceux de la largeur. Dans ces loges, étaient à table divers personnages de tragédie, de comédie, [197a] de pièces satyriques, revêtus des vrais habits convenables à leurs rôles respectifs, de sorte qu'ils se trouvaient, sur chaque côté, vis-à-vis les uns des autres : à côté de ces convives simulés étaient les vases qui devaient leur servir à boire. Au milieu des antres on avait laissé des cavités[77] pour y placer des trépieds de Delphes en or, avec leurs supports. Le comble du pavillon était surmonté de plusieurs aigles d'or qui se regardaient en face, et de la grandeur de quinze coudées.
« Des deux côtés du pavillon il y avait intérieurement cent lits d'or, à pieds de sphinx : quant à la partie qui était en face, on en avait laissé la vue entièrement libre. [197b] On avait couvert ces lits de tapis pourpres, de laine de la première qualité. Quant aux soubassements de ces lits, ils étaient d'un art et d'un goût exquis. Le sol des intervalles des lits était couvert de simples tapis de Perse, dont le tissu représentait divers animaux du dessin le plus parfait. Deux cents tables à trois pieds étaient dressées devant les convives, c'est-à-dire, deux pour chaque lit, sur leur gradin qui était d'argent Il y avait en vue, au fond de la salle, cent cuvettes d'argent avec leur aiguière. [197c] En face de la salle on avait dressé une autre table pour poser les calices, les vases à boire, et en; général tout ce qui était nécessaire, soit pour le service,[78] soit pour l'appareil. Or, toutes ces choses étaient d'or, et enrichies de pierreries d'un travail admirable; mais il me paraît qu'il serait trop long de m'arrêter aux détails de tout cet appareil en particulier, et de désigner chaque chose nommément; j’ajouterai seulement que tout cet or et cet argent montait à dix mille talents d'argent pesant.
27. Chap. VII. Après avoir exposé en général l'appareil du pavillon, passons à la marche du pompeux cortège. Il prit d'abord par le stade qui est près de la ville. [197d] La bannière[79] de l'étoile du matin partit la première; car ce fut au lever de cet astre que l'on se mit en marche. Après elle s'avançait la bannière qui portait le nom des père et mère du roi et de la reine : elle était suivie de tous les corps, qui chacun avaient en tête les bannières de leur divinité, et mis d’une manière convenable à l'histoire de ces dieux. La marche fut close par la bannière de l'étoile du soir, la saison concourant avec la marche de ces différents corps pour en terminer alors le passage ; mais si l'on veut à cet égard des détails particuliers, on jettera les yeux sur les tableaux qui représentent les cérémonies qui se font tous les cinq ans.[80]
[197e] Quant à la division Dionysiaque, elle était précédée de Silènes, les uns couverts d'une robe pourpre foncé, les autres de robes pourpre clair. Ils étaient suivis de Satyres, tenant des torches ornées de feuilles de lierre[81] en or. Après eux s'avançaient des victoires ayant des ailes d'or. Elles portaient des foyers[82] à brûler les parfums, hauts de six coudées, ornés de branches de lierre en or.[83] Ces victoires avaient des tuniques, dont le tissu représentait diverses figures d'animaux, et elles étaient ornées de la plus riche parure en or.
[197f] A leur suite venait un autel double, de six coudées, garni d'un feuillage de lierre en or, et autour duquel courait une guirlande de pampre d'or, attachée avec des bandelettes d'une bigarrure blanche. Derrière étaient cent vingt enfants, couverts de tuniques de pourpre, portant de l'encens, de la myrrhe et du safran dans des bassins d'or.[84] Après eux s'avançaient quarante Satyres ceints de couronnes de lierre en or. Ils avaient à la main une seconde couronne faite de pampre en or.[85] Ils s'étaient peints[86] le corps, les uns de couleur pourpre, [198a] les autres de vermillon, et de plusieurs autres couleurs : deux Silènes les suivaient en chlamydes de couleur pourpre, avec des souliers blancs. L'un d'eux avait un chaperon et un petit caducée d'or, l'autre tenait une trompette. Entre eux deux marchait un homme haut de plus de quatre coudées, en habit d'acteur tragique et avec un masque, portant une corne d'abondance toute d'or.
Derrière lui, venait une femme de très belle taille, parée richement en or et en argent : [198b] d'une main elle tenait une couronne de Persea de l'autre une palme. On l'avait surnommée penteteride. (Après elles s'avançaient les quatre saisons,[87] bien parées, portant chacune les fruits qui leur sont propres : à leur suite, venaient deux thymiatères[88]) de lierre en or, et de six coudées : il y avait entre deux un autel carré d'or. Alors passèrent d'autres Satyres couronnés de lierre en or, et vêtus de pourpre. Les uns portaient un vase d'or à verser le vin, les autres un carchesion (voyez liv. 11). Le poète [198c] Philiscus, prêtre de Bacchus, et tous les gens attachés par leurs professions au culte de ce dieu, les suivaient. On portait après eux des trépieds analogues à celui de Delphes, prix destinés aux chefs des athlètes.[89] Celui qui était destiné au chef des adolescents[90] avait neuf coudées de haut ; mais celui du chef des hommes faits (athlètes) en avait douze.
28. Ensuite passa un char à quatre roues, long de 14 coudées,[91] sur 8 de large, traîné par 180 hommes. Sur ce char était la statue de Bacchus, haute de dix coudées, faisant une libation avec une tasse d'or. Ce Bacchus avait une tunique traînante, et par-dessus une çrocote[92] d'un tissu transparent. Extérieurement il avait un autre vêtement de pourpre broché en or.
[198d] Sur ce chariot, et devant Bacchus,[93] était un cratère de Laconie, fait en or, tenant quinze métrètes; un trépied d'or, sur lequel était un thymiatère d'or, deux tasses d'or, pleines de casia[94] et de safran. On avait formé autour de lui un berceau avec des pampres, du lierre et autres verdures, d’où pendaient des couronnes des guirlandes, des thyrses, des tambours, des bandelettes, des masques tragiques, comique, et satyriques, [198e] Sur ce char étaient aussi les prêtres, les prêtresses; les ithyphalles,[95] des troupes bacchiques de toute espèce, et les femmes qui portaient les vans. On vit passer ensuite les Macètes, autrement appelées Mimallones, Bassares, Lydiennes, ayant les cheveux épars et couronnées, les unes avec des serpents, les autres avec de l'if, de la vigne et du lierre. Celles-ci avaient des poignards à la main, celles-là des serpents.
Après elles, s'avançait un autre, char à quatre roues, large de huit coudées, traîné par soixante hommes, [198f] emportant assise la figure de Nisa,[96] haute de huit coudées. Elle était revêtue d'une tunique jaune brochée en or, par-dessus laquelle était un surtout de Laconie. Cette figure se levait artificiellement, sans que personne y touchât : elle versait alors du lait d'une coupe, et se rasseyait. Elle tenait de la main gauche un thyrse, autour duquel on avait roulé des bandelettes. Sa tête était couronnée de lierre et de raisins en or, enrichis de pierreries. Un feuillage l'ombrageait aussi. Aux quatre coins du char on avait fiché quatre torches d'or.
[199a] Après elle ; un autre char à quatre roues, long de vingt coudées, et large de seize, était roulé[97] par trois cents hommes. On y avait construit un pressoir haut de vingt-quatre coudées, large de quinze, et plein de raisins. Soixante Satyres foulaient, chantant au son de la flûte la chanson du pressoir. Silène y présidait, et le vin doux coulait tout le long du chemin. Suivait un autre char à quatre roues, long de vingt-cinq coudées, large de quatorze, et mené par soixante hommes. Il portait une outre faite de peaux de léopards cousues ensemble, et contenant trois mille métrètes. [199b] La liqueur en coulait, lâchée peu à peu, le long de la marche. Il était accompagné de cent vingt Satyres et Silènes, tous couronnés. Les uns portaient des pots à verser le vin, les autres des coupes, ou de grands thériclées:[98] or, tous ces vases étaient d'or.
29. Près de cette outre on menait un cratère d'argent, tenant six cents métrètes: il était sur un char à quatre roues, traîné par six cents hommes. Au défaut de ses bords, à ses anses et à sa base, il y avait des animaux en relief,[99] [199c] et dans son milieu, il régnait tout autour un cordon d'or enrichi de pierreries. Derrière on portait deux abaques d'argent,[100] de douze coudées de large, sur six de haut. Ces abaques étaient ornés d'acrotères[101] à leur partie supérieure, et tout autour dans leur milieu. Il y avait à leurs pieds trois figures[102] d'une demi-coudée, et nombre d'autres d'une coudée: il y avait aussi dix grandes bassines, seize cratères, dont les plus grands contenaient trente métrètes, et les moindres cinq; ensuite six chaudières, vingt-quatre banootes[103] sur cinq engythèques ; deux cuves d'argent, sur lesquelles étaient posées vingt-quatre barils (bikoi); [199d] une table, toute d'argent, de douze coudées, et trente autres de six coudées : outre cela, quatre trépieds, dont l'un, d'argent massif, avait de tour vingt-six coudées ; les trois autres, plus petits, étaient enrichis de pierreries dans leur milieu. On portait à la suite quatre-vingts trépieds d'argent, semblables à ceux de Delphes, plus petits que les précédents, et dont les angles formaient un carré exact;[104] vingt-six urnes ; seize amphores semblables à celles des Panathénées, et cent soixante vases à rafraîchir le vin (psyctères). [199e] Le plus grand contenait six métrètes, et le moindre deux. Voilà tout ce qui était en argent.
30. Après cette division, marchait celle qui portait en pompe les vases et ustensiles d'or; savoir, quatre cratères en or, semblables à ceux de Laconie, et autour desquels courait un cordon de pampre : d'autres contenant quatre métrètes, deux d'ouvrage de Corinthe : il y avait à leur partie supérieure de très belles figures en relief,[105] et d'autres en demi-bosse, tant au cou qu'au ventre, et faites avec le plus grand soin. Ces deux cratères de Corinthe contenaient chacun huit métrètes; ils étaient sur des engythèques : une grande cuve dans laquelle il y avait dix barils, [199f] deux bassins, contenant chacun cinq métrètes, deux cothons,[106] chacun de deux métrètes ; vingt-deux psyctères, dont le plus grand contenait trente métrètes, et le plus petit une. On portait aussi en pompe quatre grands trépieds d'or, un buffet d'or; où l'on serrait la vaisselle d'or : ce buffet avait dix coudées de haut et six gradins. Il était enrichi de pierres précieuses, et présentait sur ses gradins nombre de figures de quatre palmes de haut, travaillées avec beaucoup d'art : deux calices d'or, et deux de cristal doré; deux engythèques d'or, hautes de quatre coudées, trois autres moindres; dix urnes; [200a] un autel de trois coudées ; vingt-cinq grands mazonomes.
A leur suite marchaient seize cents enfants, vêtus de tuniques blanches, les uns couronnés de lierre, les autres de pin. Deux cent-cinquante d'entre eux portaient des congés d'or, et quatre cents des congés d'argent ; trois cent-vingt autres portaient des psyctères d'or; d'autres en portaient d'argent. Après eux, les autres enfants portaient, pour le service du vin, des pots dont vingt étaient d'or, cinquante d'argent, et trois cents en émaux de toutes les couleurs. [200b] Or, les vins ayant été mêlés dans les urnes et les tonneaux, ceux qui étaient dans le stade en goûtèrent la douceur avec modération.
31. L'auteur (Callixène) ajoute à tous ces détails des tables de quatre coudées, sur lesquelles on portait nombre de choses dignes d'être contemplées, soit par leur richesse, soit par leur appareil. On voyait entre autres le lit de Sémélée, sur lequel étaient plusieurs personnes vêtues de tuniques de drap d'or, enrichies dé pierreries les plus précieuses.
Mais il ne faut pas passer sous silence ce grand char à quatre roues, long de vingt-deux coudées, large de quatorze, traîné par cinq cents hommes. [200c] On voyait dessus un antre singulièrement profond, fait de lierre, et peint en rouge. De; cet antre s'envolaient, le long de la marche, des pigeons, des ramiers, des tourterelles, ayant à leurs pattes des rubans attachés,[107] afin que les spectateurs pussent les saisir au vol. Deux sources en jaillissaient aussi, l'une de lait, l'autre de vin. Toutes les nymphes qui l'entouraient (ce char) avaient des couronnes d'or. On y voyait aussi Mercure, avec un caducée d'or, et les habits les plus riches.
Un autre chariot passa avec tout l’appareil de Bacchus à son retour des Indes. [200d] Ce dieu était mené en pompe, haut de douze coudées, assis sur un éléphant, et vêtu d'une robe de pourpre, avec une couronne de lierre et de pampre en or, tenant en outre un thyrse d'or. Il avait une chaussure (des brodequins) dorée. Devant lui, et sur le col de l'éléphant, était assis un petit Satyre de cinq coudées, couronné de branches de pin d'or. De la main droite il semblait donner un signal avec une corne de chèvre en or. L'éléphant avait tout son harnais en or, et une guirlande de lierre en or autour du col. [200e] A sa suite marchaient cinq cents petites filles, vêtues de tuniques de pourpre, et ceintes d'une tresse en or : celles qui étaient en tête, au nombre de cent vingt, avaient des couronnes de pin en or : elles étaient suivies de cent vingt Satyres armés de toutes pièces, les uns en argent, les autres en bronze.
[200f] 32. Chap. VIII. Derrière eux s'avançaient cinq bandes d'ânes montés par des Silènes et des Satyres couronnés. De ces ânes, les uns avaient des fronteaux et des harnais en or, d'autres en argent. On avait fait partir après eux, vingt-quatre chars attelés d'éléphants, soixante autres attelés de deux boucs, douze autres attelés de snaks,[108] sept attelés d'oryx,[109] et quinze de bubales. Il y avait en outre huit attelages de deux autruches, sept de deux âne-cerfs,[110] quatre d'ânes sauvages, et quatre chariots.[111]...... Sur tous ces chars étaient montés des enfants vêtus de tuniques, ayant des cochers et de larges chapeaux.[112] A côté d'eux étaient montés d'autres enfants plus jeunes, armés de petits boucliers et de thyrses munis d'une lance. Ils étaient couverts d'habits de drap d'or. Ceux qui faisaient la fonction de cocher, étaient couronnés de pin, les autres plus jeunes l'étaient de hêtre. On fit suivre des chars attelée de dix chameaux: il y avait de chaque côté trois de ces chars de file, après lesquels marchaient des chariots attelés de mulets : [201a] ces chariots-ci portaient les tentes des nations étrangères. On avait aussi placé dessus des femmes Indiennes qui y étaient assises avec d'autres, mises comme des captives. Quelques-uns.des chameaux portaient trois cents mines d'encens ; d'autres deux cents livres de safran ; de casia, du cinnamome, d'iris et d'autres aromates. Près d’eux étaient des Ethiopiens portant les présents;[113] savoir, les uns six cents dents d'éléphants, les autres deux mille troncs d'ébène ; d'autres soixante cratères d'or et d'argent, des paillettes d'or. [201b] Ils étaient suivis de deux chasseurs ayant des javelots d'or, et menant des chiens au nombre de deux mille quatre cents: ces chiens étaient les uns de l'Inde, les autres de l’Hyrcanie, ou Molosses, ou d'autres races. Passèrent ensuite cent-cinquante hommes portant des arbres d'où pendaient toutes sortes de bêtes sauvages et d'oiseaux: on vit porter dans des cages des perroquets, des paons, des pintades, des faisans, et nombre d'autres oiseaux d'Ethiopie.
Après avoir parlé de beaucoup d'autres choses, et fait le détail des troupeaux d'animaux, [201c] Callixène ajoute cent trente moutons d'Ethiopie, trois cents d'Arabie ; vingt de Nègrepont[114]…………………………Vingt-six bœufs tous blancs des Indes, huit d'Ethiopie, un grand ours blanc, quatorze léopards, seize panthères, quatre lynx, trois oursons, une girafe, un rhinocéros d'Ethiopie.
33. Ensuite venait, sur un char à quatre roues, Bacchus représenté au moment où il se sauva à l'autel de Rhéa, lorsqu'il était poursuivi par Junon : il avait une couronne d'or. Priape était debout à côté de lui, couronné de lierre en or. La statue de Junon avait aussi une couronne d'or. [201d] Celles d'Alexandre et de Ptolémée étaient couronnées de lierre en or.
La statue de la Vertu, debout à côté de Ptolémée, avait une couronne d'olivier en or. Priape se trouvait aussi parmi ces rois, couronné de lierre en or. La ville de Corinthe, placée à côté de Ptolémée, avait un diadème d'or. Devant toutes ces statues, on avait placé un buffet[115] rempli de vaisselle d'or, et un cratère d'or de cinq métrètes.
Ce char était suivi de [201e] femmes richement vêtues, et magnifiquement parées : elles portaient les noms des villes, soit de l'Ionie, soit de celles des Grecs qui habitaient l’Asie et les îles, et qui avaient été rangés sous la domination des Perses. Elles avaient toutes des couronnes d'or. On menait aussi sur un autre chariot un thyrse d'or de quatre-vingt-dix coudées, une lance d'argent de soixante coudées. Un autre chariot portait un phalle d'or de cent vingt coudées, chargé de différentes figures, et entouré de guirlandes dorées. Il y avait à son extrémité un astre d'or de six coudées de circonférence.
De tout le grand nombre de choses [201f] qui se trouvèrent à cette pompeuse cérémonie, je n'ai voulu présenter que ce qui était en or et en argent; car il y avait encore beaucoup d'objets dignes d'être vus et d'être rapportés; nombre de bêtes féroces, de chevaux : vingt-quatre très grands lions ; en outre, plusieurs autres chars à quatre roues, qui portaient les images des rois et même celles des dieux.
Après cela marchait un chœur de six cents hommes, parmi lesquels trois cents citharistes jouaient de leur instrument [202a] en accord. Ils avaient leurs cithares toutes garnies d'or en placage, et des couronnes de même métal. Après eux, passèrent deux mille taureaux d'une seule et même couleur, ayant les cornes dorées, des frontons d'or, et, au milieu des cornes, des Couronnes, des colliers, des égides devant le fanon : tout cela était d'or.
34. Ensuite marchaient les cortèges de Jupiter, de beaucoup d'autres dieux; en outre, celui d'Alexandre, représenté tout en or sur un char attelé d'éléphants, ayant d'un côté la Victoire, et de l'autre Minerve. On porta aussi en pompe nombre de trônes d'ivoire et d'or, [202b] sur l'un desquels était une couronne d'or ; sur un autre était une corne d'or; sur un troisième, une couronne d'or, et sur un quatrième, une corne d'or massif. On avait mis au-dessus du trône de Ptolémée Soter une couronne d'or, dont la matière valait dix mille pièces d'or : suivaient en pompe trois cent-cinquante thymiatères[116] d'or et des autels dorés, autour desquels couraient des guirlandes d'or. On avait attaché quatre torches d'argent aux côtés d'un de ces autels suivis de douze grilles ou foyers argentés, dont un avait douze coudées de tour et quarante de haut: il y en avait un autre de quinze coudées : venaient ensuite [202c] neuf trépieds de Delphes en or de quatre coudées ; huit autres de six coudées, un autre de trente, sur lequel il y avait des figures d'or de cinq coudées, et une guirlande de pampre en or tout autour.
Après cela, il passa sept palmiers hauts de huit coudées, un caducée, une foudre, l'un et l'autre de quarante coudées, un temple ; le tout doré. Ce temple avait quarante coudées de tour : outre cela, chacune des deux ailes était de huit coudées. On vit aussi à cette pompe nombre de figures dorées, [202d] dont plusieurs avaient douze coudées ; des bêtes féroces qui les surpassaient en grandeur, et des aigles de vingt coudées. Trois mille deux cents couronnes d'or faisaient partie de ce cortège. Il y avait une autre couronne d'or de quatre-vingts coudées de tour, enrichie de pierreries, et consacrée aux mystères, ou cérémonies religieuses. C'était la couronne qui embrassait l’entrée du temple; de Bérénice : en outre, on portait une Egide qui était aussi d'or. II passa nombre de couronnes d'or portées par de jeunes filles richement habillées. [202e] Une de ces Couronnes avait deux coudées d'élévation depuis le bord inférieur, et seize coudées de circonférence. N'omettons pas une cuirasse d'or de douze coudées, une autre d'argent de dix-huit coudées y sur laquelle on voyait douze foudres d'or de deux coudées; une couronne de chêne enrichie de pierreries; vingt boucliers d'argent ; soixante-quatre armures complètes; deux bottes d’or de trois coudées, douze bassins d'or; des coupes sans nombre; trente-six pots à verser le vin ; dix grands aleiptres,[117] douze urnes ; cinquante corbeilles à présenter le pain ; diverses tables; [202f] cinq buffets à serrer les vaisselles d'or; une corne toute d'or de trente coudées : or, tous ces vases et ustensiles d'or doivent être exceptés de ceux qui furent portés par le cortège même de Bacchus.
Ensuite marchaient quatre cents chariots portant l'argenterie, vingt portant la vaisselle d'or, et huit cents chargés d'aromates.
35. Toutes les parties de cette marche pompeuse étaient accompagnées de cavalerie et d'infanterie magnifiquement armées. L'infanterie était au nombre de cinquante-sept mille six cents hommes, [203a] et la cavalerie de vingt-trois mille deux cents.
Tout le monde parut dans cette marche pompeuse, habillé d'une, manière convenable à son personnage, et armé selon son caractère. Outre les armures complètes de chaque particulier, il y en eut encore beaucoup d'autres de réserve, dont il est difficile de marquer le nombre. On en verra le détail dans Callixène. On gagna jusqu'à vingt couronnes d'or dans les combats gymniques de cette fête. Ptolémée,[118] le premier parmi ces vainqueurs, et Bérénice en remportèrent vingt-trois, sur des chars dorés, à la course des chars, et l'un et l'autre eurent outre cela un terrain[119] sacré à Dodone.
Les dépenses en espèces montèrent à deux mille deux cents trente-neuf [203b] talents, et cinquante mines. Or, cet argent avait été compté dans les bureaux des intendants (de la maison royale), avant que le jour du spectacle arrivât, vu la générosité des princes qui donnaient ces couronnes.
Ptolémée Philadelphe, leur fils, obtint vingt couronnes d'or, dont il remporta deux sur ses chars dorés; une de six coudées, cinq de cinq coudées, six de quatre coudées, à la course des mules.
36. Eh bien! Messieurs les convives, quel royaume fut jamais si abondant en or? Ce n'est ni celui qui s'est emparé des mines des Perses et des Babyloniens, [203c] qui s'en est approprié les revenus, ni celui qui possède le Pactole, dont les eaux roulent des grains d'or; mais non, il n'y a que le Nil qui, appelé à juste titre Chrysorrhoas,[120] rende, dans ses abondantes productions nutritives, un or pur, et sans danger, par la culture de ses champs, de manière à fournir aux besoins de tous les hommes, et en répandant ainsi sa richesse par toute la terre, comme le fit autrefois Triptolème. Voilà pourquoi le poète de Byzance, surnommé Parménon, disait :
« O Nil! Jupiter de l'Egypte! »
Chap. IX. Ptolémée Philadelphe fut plus riche que nombre de rois. Il apportait le plus grand soin[121] à se faire honneur de tout ce qu'il entreprenait, [203d] et parvint ainsi à se procurer une marine infiniment plus nombreuse que celle de tous les autres souverains. Il eut aussi les plus grands vaisseaux. Voici l’état de sa marine : Deux vaisseaux de trente files de rameurs, un de vingt, quatre de treize, deux de douze, quatorze de onze, trente de neuf, trente-sept de sept, cinq de six, dix-sept de cinq, et le double en vaisseaux depuis quatre files jusqu'à trois et demie ; sans compter ceux qu'il envoyait aux îles, dans les villes de sa domination en Lycie, et qui montaient à plus de quatre mille. [203e] Il serait inutile de parler ici du nombre considérable de livres qu'il avait rassemblés, de ses bibliothèques, des savants qu'il réunissait dans le musée, puisque ce sont des choses encore très connues ;
37. mais puisque j'ai parlé de marine, entrons dans quelques détails à ce sujet.
Les vaisseaux que Ptolémée Philopator avait fait construire, méritent aussi d'être connus. Voici donc ce que Callixène en dit, liv. I de son histoire d'Alexandrie.
Philopator fît construire un vaisseau à quarante files de rameurs,[122] long de deux cents quatre-vingts coudées, ayant de large trente-huit coudées entre les deux chemins latéraux. [203f] Jusqu'à l’acrostolion[123] il avait quarante-huit coudées, et depuis les aphlastes de la poupe jusqu'à la partie à la mer, cinquante-trois coudées. Il portait quatre gouvernails. Les rames des thranites ou des rameurs supérieurs étaient longues de trente-huit coudées : [204a] c'étaient les plus longues; mais on en avait garni de plomb le manche qui arrivait dans l'intérieur du vaisseau, ce qui le rendait faciles à manier sur les apostis[124] par le grand poids qu'elles avaient ainsi à l'intérieur.
Ce vaisseau avait, deux poupes et deux proues ; sept éperons ou rostres, dont l'un avançait au-delà des autres qui étaient moins allongés. Quelques-uns se portaient même vers les épotides. La hauteur du vaisseau était partagée en douze étages[125] (ou galeries tournantes), chacun de six cents coudées de circuit : tout y était dans la plus exacte proportion. Les ornements n’y avaient été épargnés d aucun pote. On voyait à la poupe et, à la proue des figures de douze coudées : [204b] du reste, il n’y avait pas de place qui ne fût couverte de différents dessins formés en cire[126] de diverses couleurs, et le contour de la partie des rames qui était dans le vaisseau, était orné de lierre et de thyrses en relief. La quantité des agrès et des ustensiles qu'exigeait ce vaisseau était immense; cependant il y en avait suffisamment à toutes les parties où les manœuvres l’exigeaient.
Ptolémée fit essayer ce vaisseau avec plus de trois mille rameurs ; quatre cents matelots exécutaient les manœuvres : outre cela ; il y avait trois mille huit cent cinquante hommes de guerre sur le pont, sans compter le nombre assez considérable de ceux qui étaient sous les gradins des rameurs, dans les différents étages, afin de pourvoir aux vivres.
[204c] Ce vaisseau avait été tiré à l'eau, de dessus un chantier où il était entré la quantité de bois qu'il fallait pour construire cinquante vaisseaux à cinq files de rameurs. C'était aux clameurs d'une foule immense, et au son des trompettes qu'on l'avait amené à l'eau; mais un Phénicien imagina ensuite le moyen de l'en retirer[127] (et de le remettre à flot). Il fit creuser près du port une fosse profonde, de la longueur du vaisseau, et poser au fond de chaque côté, à la hauteur de cinq coudées, une bâtisse de pierres très solides, faisant entrer de chaque côté de grosses poutres qui traversaient la fosse, et toutes l’une à côté de l'autre. Il laissa sous ces pièces de bois un espace vide de quatre coudées entre le lit de la fosse; [204d] puis y introduisant l'eau de la mer, il en remplit toute la capacité ; de sorte que, par ce moyen, les premiers qui se trouvaient là pouvaient, en se réunissant à nombre suffisant, y faire entrer le vaisseau. Dès qu'il y était, il fermait l'ouverture de la fosse, en retirait l'eau avec des machines, et, cela fait, le vaisseau demeurait en sûreté sur cette espèce de plate-forme que faisaient les poutres transversales.
38. Ptolémée Philopator fit aussi construire un vaisseau pour aller sur le Nil, et le nomma Thalamègue. Il avait un demi-stade de long, et trente coudées dans sa plus grande largeur. [204e] Sa hauteur, y compris celle du pavillon, était à peu près[128] de quarante coudées. Il n'avait ni la forme des vaisseaux longs, ni celle des vaisseaux ronds, mais une singulière, et propre au service que pouvait en permettre la profondeur du Nil. En effet ; le fond en était plat[129] et large; mais le vaisseau bombait dans son: corps: On en avait suffisamment élevé les plats-bords, surtout à la proue, mais de manière que le bordage eût[130] une courbure saillante et rentrante, d'une forme agréable.
Ce vaisseau avait deux proues et deux poupes, et l’on avait beaucoup élevé les accastillages d'avant et d'arrière, [204f] à cause de la houle qui est souvent très forte sur le Nil. Au centre du vaisseau, étaient les salles à manger, les chambres à coucher, et toutes les commodités dont on avait besoin. Il régnait le long de trois côtés du bordage, deux galeries l'une sur l'autre pour se promener : elles n'avaient pas moins de cinq plèthres[131] d'étendue en tournant. L'inférieure était construite en forme de péristyles
[205a] L’espace[132] cintré de la galerie supérieure était bordé partout d'une balustrade, interrompue par de petites portes.
A l'entrée du côté de la poupe, on avait élevé à la première galerie un avant-corps[133] tout ouvert en face (de la poupe). On pouvait en faire le tour. Il était orné de colonnes dans sa circonférence : quant à la partie qui faisait face à la proue, on y avait d'abord élevé un propylée fait d'ivoire, et des bois les plus précieux. Lorsqu'on l'avait passé, on voyait une espèce d’avant-scène couverte aussi par sa situation.[134] Derrière, et dans le milieu de la partie latérale, il y avait pareillement un avant-corps où l’on entrait par un vestibule à quatre portes. [205b] De droite et de gauche il y avait des fenêtres pour procurer, de la salubrité.[135] La plus grande salle était jointe à ces compartiments. Elle était formée en périptère et assez étendue pour contenir vingt lits. La plus grande partie de ses matériaux était de pièces de cèdres qu’on avait détaillées et de cyprès de Milet. Vingt portes s’ouvraient dans son contour. On les avait ornées d’un placage de thya, relevé par des ornements d’ivoire. Les têtes des clous qui en garnissaient et les boucles du heurtoir étaient de cuivre dorés au feu. [205c] Les fûts des colonnes du contour étaient de cyprès surmontés d’un chapiteau corinthien en ivoire et ornés de dorures. Les architraves étaient d'or massif. On y avait adapté une frise éclatante, ornée de figures d'ivoire, hautes de plus d'une coudée, dont le travail; quoique peu précieux en lui-même, était digne d'être, admiré par son ensemble. La plate-forme qui couvrait la salle à manger était carrée, élégamment faite de bois de cyprès. Les ornements en étaient sculptés, et recouverts d'or
A côté de cette salle, était une chambre à coucher, où il y avait sept lits. [205d] Le long de cette chambre, régnait un corridor étroit, traversant le vaisseau dans sa largeur, et séparant l'appartement des femmes. Il y avait dans cet appartement une salle à manger à neuf lits, aussi richement ornée que la grande dont on vient de parler, et à côté, une chambre à coucher à sept lits. Voilà les compartiments de tout ce qu'il y avait au premier étage.
39. Lorsqu'on avait monté l'escalier adossé à la chambre à coucher, mentionnée ci-devant, on trouvait une autre salle à cinq lits, dont la couverture était faite en losanges, et près de là: un temple de Vénus fait en dôme,[136] où il y avait en marbre une statue de cette déesse. [205e] En face, était une autre salle à manger, faite en périptère, à cinq lits, et du travail le plus riche : les colonnes en étaient de pierre des Indes. Il y avait à côté de cette salle des chambres à coucher, dont l'appareil ne cédait en rien à celui des précédentes dont j'ai parlé.
Lorsqu'on passait vers la proue, on rencontrait, au premier étage, une salle bacchique faite en périptère, et à treize lits. Le subgronde était doré en placage jusqu'au contour de l'architrave. On en avait fait la couverture d'une forme analogue au caractère de Bacchus. Du côté droit, on avait pratiqué une grotte, dont les couleurs[137] étaient nuancées avec de vraies pierres précieuses relevées par des ornements en or. [205f] On y voyait les bustes des personnes de la famille royale, faits en marbre de Paros.[138]
Sur la plate-forme de la plus grande salle à manger, on avait pratiqué l'emplacement d'un belvédère des plus agréables. Ce belvédère s'élevait à volonté comme un pavillon ; car il n'y était réellement pas bâti.[139] On tendait, pour l'élever, des cercles sur des supports éloignés à certaine distance les uns des autres, [206a] et l'on étendait par dessus une banne pourpre avec ses pendants : c'était lorsqu'on voulait se promener sur le Nil.
Après cela on trouvait un espace découvert, ayant la même forme que l'avant-corps qui était dessous. On y avait fait aboutir un escalier en vis, qui conduisait aussi à la galerie couverte. A côté était une salle à manger, à neuf lits, de structure Égyptienne; car les colonnes[140] qu'on y avait élevées étaient rondes, et formées par des tambours qui étaient alternativement blancs et noirs. [206b] Les chapiteaux de cet ordre Égyptien sont de forme ronde, et tout le contour est orné de fleurons semblables à des roses qui commencent à s'épanouir. Quant à la partie qu'on appelle le panier, on n'y voit pas de volutes ou hélices, ni de feuillages rudes comme il y en a au haut des colonnes des Grecs; mais des calices ouverts de lotus du Nil, et des dattes telles qu'on les voit lorsque le palmier commence à les pousser. Il y a aussi d'autres feuillages en sculpture qui en font les ornements. Depuis l'astragale où ces fleurons prennent naissance, et qui couronne le tambour sur lequel pose le chapiteau, cette partie de la colonne présente un entrelacement de fleurs et de feuilles de fèves d'Egypte,
[206c] C'est donc ainsi que les Égyptiens font leurs colonnes, bigarrant de même leurs murailles par l'alternative de plinthes blanches et noires. Quelquefois même ils forment cette bigarrure avec de l'albâtre.
Il y avait en outre beaucoup d'autres pièces pratiquées dans le centre même, et dans d'autres parties du vaisseau : le mât avait soixante-dix coudées[141] de haut, et portait une voile de byssus, dont les cordages latéraux étaient teints en pourpre.
Mais toutes les richesses que le Roi Philadelphe avait conservées, [206d] furent dissipées par le dernier Ptolémée, surnommé Aulète, celui qui donna lieu à la guerre que Gabinius vint faire en Egypte. Ce dernier des Ptolémées était en effet moins un homme qu'un joueur de flûte et un magicien.
40. Chap. X. Vaisseau d'Hiéron.
Je crois ne pas devoir passer sous silence le vaisseau qu'Hiéron II, roi de Syracuse, fit construire sous l'inspection d'Archimède. Moschion a écrit, à ce sujet, un ouvrage sur lequel je suis tombé dernièrement, et je l'ai lu avec attention. Voici donc ce qu'il écrit :
« Diocleides d'Abdère fut admiré pour l’hélépolis,[142] que Démétrius fît avancer sous la ville de Rhodes, afin d'en battre les murs; [206e] Timée, pour le bûcher élevé à Denys, tyran de Sicile; Hiéronyme, pour l'appareil du char sur lequel on transporta le corps d'Alexandre; Polyclète, pour la lampe qu'il fit au roi Persée ; mais Hiéron, Roi de Syracuse, qui témoigna aux Romains une amitié sans réserve, ne causa pas moins d'admiration et d'étonnement, par le zèle avec lequel il s'occupa des temples et des gymnases. Il aimait aussi beaucoup à faire construire des vaisseaux, particulièrement de ceux qui servaient au transport des blés : [206f] or, je vais faire mention d'un de ces bâtiments. Quant aux bois de construction, il s'en procura, du mont Etna, une provision[143] avec laquelle on aurait pu construire soixante galères. Après avoir fait venir ces provisions, savoir, les bois pour les chevilles, les couples, les bordages et autres matières nécessaires, tant de l'Italie, que de la Sicile, il fit[144] venir, pour les cordages, du sparte d'Espagne, du chanvre et du kitlos[145] des pays qui bordent le Rhône ; et de plusieurs autres contrées, toutes les autres choses qui étaient nécessaires. Il rassembla aussi des charpentiers de marine et autres artisans.
Alors il mit à la tête de tous ces ouvriers Archias de Corinthe, constructeur, et lui recommanda de pousser tous les travaux. [207a] Hiéron était lui-même présent à tout pendant le jour. Le bordage fut élevé à moitié de sa hauteur en six mois, et à mesure que les planches étaient clouées sur les membres, et calfatées, on les doublait de feuilles de plomb. Trois cents charpentiers étaient continuellement occupés à travailler les bois, sans compter les aides qui les servaient. Hiéron voulut que cette partie du vaisseau fût lancée à l'eau telle qu'elle était, et qu'il fût achevé lorsqu'il y serait. Comme on s'occupait beaucoup des moyens de mettre cette seule partie à flot, Archimède, ce célèbre mécanicien, l'y mit lui seul, en faisant agir peu de personnes.[146]
[207b] En effet, il en vint à bout, moyennant une vis qu'il imagina; et c'est à lui qu'on est redevable de cette invention. L'autre moitié du bordage fut pareillement achevée en six mois ; les planches furent attachées avec des clous[147] de cuivre, dont les uns pesaient dix mines, d'autres moitié plus, qu'on avait passés dans des trous faits avec des tarières, pour maintenir ces planches sur la membrure : outre cela, les clous étaient serrés sur le bordage par des lames de plomb, sous lesquelles on avait mis des étoupes imbibées de poix. Lorsqu'on eut achevé les dehors, on fit les ouvrages internes.
[270c] 41. Ce vaisseau était, par sa disposition, propre à recevoir vingt files de rameurs, et avait trois coursiers, dont l'inférieur conduisait au lest, et à la cargaison proprement dite : on y descendait par de nombreux gradins. L'autre coursier avait été pratiqué pour ceux qui voulaient entrer dans les différents appartements : le troisième était pour le quartier des militaires. Les appartements du coursier du milieu y étaient, de chaque côté, appuyés sur le serrage du vaisseau : ils étaient destinés aux hommes, et au nombre de trente, ayant chacun quatre lits : celui des marins contenait quinze lits, et trois chambres à coucher à trois lits[148] pour les gens mariés. Ils avaient leur cuisiné le long (ou du côté) de la poupe.
Les planchers de tous ces compartiments étaient couverts de toutes sortes de pierres de rapport, formant une marqueterie, et sur lesquelles on avait merveilleusement représenté [207d] toute la fable de l'Iliade: on voyait aussi les mêmes[149] choses représentées aux ciels et sur les portes.
Sur l'étage supérieur étaient un gymnase et des galeries, pratiquées dans de justes proportions avec la grandeur du vaisseau. On avait fait dans le contour de ces promenades, et avec un art admirable, des planches de fleurs, dont les côtés étaient bordés[150] en terre cuite, ou en lames de plomb : il y avait, en outre, des berceaux de lierre blanc et de vignes, dont les racines tiraient leur nourriture de tonneaux remplis de terre, et étaient abreuvées de l'humidité nécessaire, de la même manière que les parterres. [207e] Or, ces berceaux ombrageaient les promenades.
Chap. XI. Il y avait ensuite un aphrodisium carrelé en agates et en autres pierres des plus belles qu'on voit en Sicile. Les parois, la couverture de la pièce étaient de bois de cyprès; on en avait embelli les portes de dessins et de reliefs, tant en ivoire qu'en thyia,.et de figures de vases à boire d'un travail achevé :
42. déjà on arrivait à une salle académique à cinq lits; les parois et les portes étaient travaillées en buis : il y avait une bibliothèque. Sur le toit se présentait un cadran[151] solaire fait à l’imitation de l’Héliotrope d'Achradine. [207f] On y voyait aussi une salle de bain à trois lits; trois chaudières servaient à faire chauffer l'eau; le bassin même du bain contenait cinq métrètes, et était revêtu de pierres de Taormine, de différentes couleurs.
On avait aussi fait plusieurs pièces pour les épibates[152] et pour ceux qui gardaient les pompes; outre cela, il y avait dix écuries de chaque côté du bardage, et l'on avait pratiqué le long des mêmes côtés des pièces pour les fourrages des chevaux, et pour les équipages et ustensiles des cavaliers et des valets.
[208a] On avait fait à la proue, avec des planches, de l'étoupe et de la poix, un réservoir contenant deux mille métrètes d'eau, et fermant à clef. A côté de ce réservoir, était un vivier fait de planches, garni de lames de plomb, et pareillement fermé.[153] On l'avait rempli d'eau de mer, et les poissons s'y entretenaient bien.
De chaque côté du bordage, on avait fait saillir, à des distances convenables, des pièces de bois pour y asseoir les bûchers, les fours, les cuisines, les moulins, et autres choses d'un usage nécessaire. [208b] A des intervalles proportionnés, et extérieurement,[154] on voyait, sur la circonférence du vaisseau, des cariatides de six coudées de haut, soutenant toutes.les masses qui étaient à la partie la plus élevée, et le triglyphe.[155] Quant au vaisseau même, il était orné de toutes les figures peintes qui pouvaient être relatives aux circonstances.
43. Il y avait huit tours dune grandeur proportionnée aux autres pièces du vaisseau : deux dominaient sur la poupe, et deux semblables sur la proue : les autres étaient situées vers le milieu du bâtiment. Au haut de chacune de ces tours on avait fait deux saillies[156] latérales, percées de créneaux, par lesquels on pouvait lancer des pierres sur les vaisseaux ennemis qui auraient approché du bordage. Pour cet effet, on y faisait monter quatre vigoureux soldats armés de toutes pièces, et deux archers. [208c] Le haut de ces tours était bien fourni de pierres et de traits. Le long du vaisseau, et de chaque côté, l'on avait élevé sur un échafaudage volant, un mur ayant des banquettes[157] et des parapets, où était placé un lithobole ; il en partait des pierres du poids de trois talents, et des traits de douze coudées : c'était une machine de l'invention d'Archimède. De chaque bord[158] du vaisseau, le lithobole portait à la distance d'un stade.
Au-dessous, il avait des lacis[159] faits de gros cordages, et qu'on avait suspendus avec des chaînes de cuivre. [208d] A chacun des trois mâts étaient attachées deux antennes sur lesquelles on avait établi des lithoboles, et on lançait de là des crocs et des navettes de plomb sur l'ennemi qui venait attaquer. Autour du vaisseau, régnait une palissade de fer, pour empêcher de monter à l'abordage. On y avait aussi placé sur tout le plat-bord des grappins prêts à être lancés, moyennant des machines, sur les vaisseaux ennemis, et les amener directement sous les coups. Soixante valeureux soldats étaient placés, armés de toutes pièces, à l'un et l'autre bord. Il y en avait d'aussi valeureux autour de chaque mât et aux antennes [208e] qui portaient les lithoboles. Les gabies de ces mâts étaient d'airain : or, c'était là qu'ils étaient placés autour des mâts. Il y en avait trois à la première hune[160] ou gabie, et ensuite un de moins à chaque hune qu'à la précédente. Moyennant des cabas et des moufles, on leur montait au thoorakion, ou à la voile tendue au-dessus de la hune, les pierres et les traits qu'ils devaient lancer.
Ce vaisseau avait quatre ancres de bois et huit de fer. Le mât de misaine et le mât d'artimon avaient été facilement trouvés; mais on eut de la peine à trouver le premier (le grand hunier). Ce fut un Porcher qui le découvrit dans les montagnes de l'Abruzzes.[161] [208f] Philéas, mécanicien de Taormine, l'amena à la mer. Quoique la sentine eût une extrême profondeur, un seul homme la vidait moyennant la vis sans fin qu'Archimède inventa. Ce vaisseau se nommait d'abord le Syracusain; mais Hiéron, l'envoyant en Egypte, changea ce nom en celui d’Alexandrin.
Ce prince avait plusieurs moindres bâtiments qui suivaient ce vaisseau. Le premier était une flûte portant trois mille talents pesant, et n'allant qu'à rames. Après elles marchaient[162] plusieurs barques et esquifs, de la charge de quinze cents talents. Il y avait dessus beaucoup de monde, outre celui dont j'ai parlé. Six cents autres hommes, toujours prêts à la proue, n'attendaient que le commandement. [209a] Un tribunal, formé du patron, du commandant et du capitaine de la proue, connaissait des délits, et jugeait selon les lois de Syracuse.
44. On avait chargé sur ce vaisseau soixante mille médimnes de bled, dix mille pots de salines de Syracuse ; vingt mille talents de viandes,[163] et vingt mille autres de différentes choses, sans y comprendre les vivres de tout l'équipage.
[209b] Hiéron ayant appris que des ports de Sicile, les uns ne pouvaient[164] recevoir ce vaisseau, les autres étaient trop dangereux, résolut de l'envoyer à Alexandrie, au roi Ptolémée, d'autant plus qu'on manquait alors de bled en Egypte ; ce qu'il fit aussi. Le vaisseau fut donc conduit à Alexandrie, où on l'entra dans le port à la remorque. Archimèle, poète épigrammatique, ayant fait une épigramme sur ce vaisseau, Hiéron lui envoya mille médimnes de froment, et les fit transporter jusque dans le Pirée, à ses frais.
Chap. XII. Voici l'épigramme :
[209c] « Qui a placé sur le globe terrestre cet énorme vaisseau? quel souverain l'a fait aborder ici avec des cordages à l'épreuve de tout? comment le bordage a-t-il été attaché sur les couples? avec quelle hache a-t-on taillé la membrure pour en former le ventre? Ses flancs, également vastes, ressemblent à ceux des cimes de l'Etna, ou à quelqu'une des Cyclades que la mer Egée renferme dans son sein. Ce sont sans doute les géants [209d] qui ont voulu se frayer ainsi une route pour arriver aux cieux. En effet, ses hunes touchent aux astres, et il a son triple thoracion dans les vastes nuages. Les cordages des ancres qui le retiennent, sont aussi gros que ceux avec lesquels Xerxès enchaîna le détroit de Sestos et d'Abydos. L'inscription nouvellement gravée au-dessous du couronnement de sa proue,[165] indique celui qui a mis à flot cette quille : elle nous apprend que c'est Hiéron, [209e] ce souverain de Sicile, et originaire de la Doride, pour envoyer à la Grèce et aux îles ce riche vaisseau chargé de vivres:[166] mais toi, Neptune, conserve-le sur tes flots bouillonnants. »
J'omets ici volontiers la trirème sacrée sur laquelle Antigone vainquit les généraux de Ptolémée, près de Leucolla, promontoire de l'île de Coos; car cette galère, dont il fit l'hommage à Apollon, n'était pas le tiers, ni même le quart de ce grand vaisseau, nommé le Syracusain, ou l’Alexandrin.
45. Chap. XIII. Voilà donc ce que nous avions à dire sur les vaisseaux : [209f] nous n'en avons pas donné les détails en commençant par ceux des Béotiens,[167] mais par ceux qui avaient servi à des pompes brillantes.
Comme je présume que l'aimable Ulpien va nous demander[168] encore ce qu'on doit entendre par engythèque dans Callixène[169] nous lui répondrons qu'il y a un discours qu'on attribue à l'orateur Lysias, qui a pour titre, sur l’engythèque. Or, en voici le début : « Messieurs, si Lysimène avait dit quelque chose de juste ou de vraisemblable, etc. » Puis continuant, il dit : « Je ne me serais jamais mis en peine de plaider sur une engythèque qui ne vaut pas trente dragmes. »
[210a] Il nous apprend ensuite qu'elle était d'airain : « Mais voulant, l'année dernière, la faire arranger, je la remis dans une boutique de chaudronnier; car elle est composée de plusieurs pièces : on y voit des faces de satyres, des magots, et d'autres ornements[170] de même grandeur. C'est en effet un ouvrier qui fait beaucoup d'ustensiles de même forme, ou analogues. »
Or, Lysias, disant que c'est une engythèque d'airain, montre clairement que Callixène entendait par là que c'étaient des supports sur lesquels on plaçait les bassins de cuivre. C'est aussi dans ce sens qu'en a parlé Polémon le Périégète, dans le troisième livre de son ouvrage, qu'il a dédié à Antigonus [210b] et à Adée. En exposant le tableau que fit Sillax de Rhégio à Phlionte, dans le portique du Polémarque, Polémon s'exprime ainsi : « Il y avait une engythèque, et, dessus, une coupe.» Epicharme et Simonide ont parlé de ce Sillax. Hégésandre de Delphes, qui a écrit un commentaire sur les statues et les portraits en relief, dit qu'il y avait à Delphes un support fait par Glaucus de Chio, ressemblant à une engythèque de fer; que c'était un présent qu'y avait envoyé Alyattus, et qu'il est rappelé dans Hérodote, qui le nomme Hypokreeteeridion.[171] Hégésandre ajoute : [210c] « Moi-même j'ai vu ce présent à Delphes, où il était déposé. C'était réellement une chose digne d'être vue, à cause des petites figures, des animalcules, des petites plantes qui y étaient en relief : or, on pouvait[172] y poser aussi des cratères et autres vases. »
Quant à ce qu'on appelait l’angothèque chez les Alexandrins, c'était un support triangulaire, creux au milieu, et sur lequel on pouvait poser un vase de terre. Les pauvres s'en procurent en bois ; les riches en ont de cuivre ou d'argent.
46. Après avoir parlé des engythèques, revenons aux rois amateurs des grands repas.
Le roi du même nom[173] que [210d] l'Antiochus dont nous avons parlé, fils de Démétrius, donnait tous les jours des repas à une foule de monde, selon Posidonius. Outre les vivres qu'on y consommait, il donnait à chacun des convives des tas de viandes pour être emportés; comme quadrupèdes, oiseaux, poissons, tout entiers et tout accommodés, de manière qu'ils pouvaient en remplir des chariots. Après cela, c'était force mélipectes, des couronnes[174] sans nombre parfumées de myrrhe et d'encens, avec des touffes de rubans d'or, de la longueur[175] d'un homme.
Un autre Antiochus, dit le même Posidonius, donnant des jeux publics à Daphné, traita aussi le monde avec beaucoup de somptuosité. D'abord, il fit servir à chaque personne des viandes tout entières; après cela on distribua aux convives des oies, des lièvres, des chevreuils tout vivants, des couronnes d'or, nombre de vases d'argent, d'esclaves, de chevaux, de chameaux. Tous ceux qui eurent un chameau, furent obligés de boire étant dessus, après quoi ils emmenèrent et le chameau et le valet qui était debout à côté.
Posidonius dit encore que les Syriens se réunissaient souvent, [210f] après la fatigue des travaux nécessaires, pour se livrer ensemble aux plaisirs de la table, vu la fertilité de leur pays, se comportant aux gymnases comme aux bains, s'y oignant le corps d'huiles précieuses et de parfums ; agissant dans leurs grammatées (c'est ainsi qu'ils appelaient les lieux où ils se réunissent à table) comme dans des tavernes, passant la meilleure partie du jour à se gorger de vin et de manger, emportant même beaucoup de choses chez eux, et s'en retournant[176] accompagnés du son tumultueux des chélonides, de sorte que les villes retentissaient partout de ce vacarme musical.
[211a] 47. Pour moi, mes amis, je ferai ici l'éloge du repas qui se donna chez Alexandre,[177] roi de Syrie. Cet Alexandre, fils putatif, ou supposé d'Antiochus Epiphane, fut réellement regardé comme tel à cause de la haine qu'on avait pour Démétrius, dont Athénée, un de nos amis pressens, a parlé dans son histoire des rois de Syrie.[178] Voici donc comment se passa ce repas :
Diogène, le philosophe Épicurien, originaire de Séleucie en Babylonie, [211b] était un homme qui savait parler lorsqu'il voulait le faire. Alexandre, quoiqu'attaché aux principes[179] des Stoïciens, l'avait reçu favorablement, et lui marquait même beaucoup d'égards, malgré sa vie déréglée, sa mauvaise langue, et l'envie dont il était dévoré. Il n'épargnait même pas les rois s'il trouvait une plaisanterie mordante à faire. Demandant un jour une chose bien étrangère à la philosophie, savoir, de porter une robe de pourpre et une couronne d'or, au milieu de laquelle serait l'image de la Vertu, dont il se disait le prêtre, Alexandre le lui accorda, sans faire même aucune difficulté au sujet de la couronne : Diogène, amoureux de certaine femme Lysiode, lui en fit aussitôt présent.
[211c] Alexandre l'ayant su, invita des philosophes et des gens de marque à un repas, sans oublier Diogène. Dès qu'il se fut présenté, on lui dit de se placer sur le lit avec sa couronne et sa robe. Diogène répondit que ce n'était pas là le moment. Alexandre fit signe aussitôt, ordonnant d'introduire les musiciens, parmi lesquels entra la Lysiode, ayant sur la tête la couronne de la Vertu, et revêtue de la robe de pourpre. A l'instant tout le monde éclata de rire; mais le philosophe, sans se déconcerter, se répandit en éloges sur la personne de la Lysiode (ou de la Musicienne, voyez l. 14, ch. 4).
[211d] L'Antiochus qui monta sur le trône[180] après Alexandre, ne pouvant souffrir la mauvaise langue de Diogène, lui fit couper la tête.
Alexandre était généralement fort affable, aimait à s'entretenir des sciences dans la conversation; bien différent de cet Athénien, philosophe Péripatéticien, qui, après avoir présidé aux écoles d'Athènes, de Messène et de Larisse en Thessalie, usurpa la souveraineté dans Athènes. Posidonius d'Apamée en parle d'une manière très circonstanciée. Quoique les détails en soient un peu longs, je vais vous les présenter, [211e] afin que nous puissions connaître exactement ces prétendus philosophes, et qu'on ne se lie pas aveuglément à l'air imposant de ces gens portant tribons et barbe longue. Agathon dit à propos sur ce sujet :
« Si je dis la vérité, je ne te plairai pas ; mais si je te plais en quelque chose, je ne dirai pas la vérité. »
Mais puisque le proverbe dit la vérité plaît, je vais vous raconter ce qui concerne cet homme.
48. Il se trouva dans l'école du Péripatéticien Eurymnée un nommé Athénion, qui s'appliquait le plus soigneusement à étudier ses principes. Cet homme ayant donc acheté une Egyptienne, eut accointance avec elle. Cette femme étant devenue mère, soit de lui, [211f] soit d'un autre, l’enfant[181] fut nourri chez son maître Athénion et sous le même nom; ayant reçu certaine éducation, il conduisait par la main, avec sa mère, son maître devenu vieux ; mais ce maître étant mort, il en recueillit la succession, devint nouveau citoyen d'Athènes, et fut inscrit dans les registres sous le nom d'Athénion: alors il épousa une fille assez jolie, et embrassa la profession de Sophiste, cherchant de tous côtés des jeunes gens à instruire, Il tint école à Messène, [212a] à Larisse en Thessalie : ayant amassé beaucoup d'argent, il revint à Athènes. Les Athéniens le nommèrent leur député auprès de Mithridate, lorsque les affaires de ce prince étaient le plus florissantes. Athénion sut s'insinuer dans l'esprit de Mithridate, devint un de ses amis, et en obtint les plus libres accès auprès de sa personne.
Dans cette position, le Sophiste releva l'esprit des Athéniens par les lettres qu'il leur envoyait, leur marquant qu'il avait le plus grand crédit auprès du roi de Cappadoce : « Vous allez être en état, leur disait-il, de vous libérer de toutes vos dettes, de vivre en bonne intelligence, de recouvrer votre démocratie, et vous recevrez de grandes libéralités tant pour l'Etat même, qu'en particulier. »
[212b] Les Athéniens, fiers de ces avis, s'imaginaient déjà voir le gouvernement de Rome renversé.
49. L'Asie ayant donc changé de parti,[182] Athénion reprit la route d'Athènes : battu par la tempête, il fut jeté à Caryste. Les Cécropides l'ayant appris,[183] envoyèrent, pour le ramener, de longs vaisseaux, et une litière à pieds d'argent. Il entre enfin, et la plus grande partie [212c] de la ville vole pour le recevoir. Nombre d'autres personnes y coururent aussi, uniquement pour jouir de ce spectacle, voyant avec étonnement ce jeu singulier de la fortune, cet Athénion, dis-je, nouveau citoyen du nombre des inscrits, entrant dans Athènes, porté dans une litière à pieds d'argent, et placé sur des tapis de pourpre, lui qui auparavant n'avait pas vu la moindre bande de pourpre sur son tribun. Jamais aucun Romain n'avait paru le disputer à ce point, en faste et en mollesse, à l'Attique: hommes, femmes, enfants, tous coururent donc pour voir cette pompeuse entrée, attendant les plus grands avantages de Mithridate, d'autant plus que cet Athénion, qui, dans l'indigence, avait donné des instructions pour de l'argent, [212d] traversait et la contrée et la ville en pompe, comme un efféminé, en conséquence de la faveur du roi.
La compagnie des ouvriers de Bacchus alla aussi au-devant de lui, le prièrent, sous le nom de messager d'un nouveau Bacchus,[184] de se rendre à leur foyer commun, et d'être présent aux prières et aux libations qu'ils voulaient y faire. Cet homme, qui par le passé n'était jamais sorti que d'une maison de louage, fut alors porté au logis de Dieusus, homme qui s'était enrichi à la perception des revenus de Délos. Cette maison était; superbement ornée en tapis, en peintures, en statues[185] et garnie de vases et d'ustensiles d'argent. En sortant de chez Dieusus, il était couvert d'une magnifique chlamyde traînante, ayant au doigt une bague d'or où était enchâssée une pierre gravée, qui présentait [212e] le portrait de Mithridate. Nombre de serviteurs[186] allaient devant et derrière lui.
On fît des sacrifices dans le terrain consacré des ouvriers de Bacchus, en présence d'Athénion, et les libations furent annoncées par un héraut.
Le lendemain, nombre de personnes se rendirent à son logis, attendant qu'il sortit.[187] Le céramique était rempli de citoyens, d'étrangers, et le peuple accourait de lui-même à l'assemblée générale. A peine Athénion pouvait-il avancer, escorté de ceux qui captaient la bienveillance du peuple, chacun s'empressant de toucher seulement sa robe.
50. Chap. XIV: Etant donc monté sur la tribune qu'on avait élevée pour les Généraux romains, devant le portique d'Attalus, il se tint debout, parcourut des yeux toute rassemblée, et dit : « Athéniens, les circonstances et les intérêts de la patrie m'obligent de vous dire ce que je sais ; cependant l'importance de ce que j'ai à vous communiquer, et la nouveauté du concours qui m'environne, m'arrêtent. » [213a] Aussitôt il s'élève un cri général, qui lui dit de parler avec confiance. Il reprend son discours: « Je vais donc vous présenter des choses que vous n'auriez jamais pu vous imaginer, même en songe, bien loin d'avoir osé les espérer. Le roi Mithridate est maître de la Bithynie et de la haute Cappadoce; il tient aussi sous sa domination la partie adjacente de l'Asie, jusqu'à la Pamphylie, et la Cilicie. Les rois d'Arménie, et de Perse sont ses satellites. Il règne sur les nations qui sont autour du Palus-Méotide, du Pont, dans le contour de trente mille stades. »
« Quintus Oppius, commandant pour les Romains en Pamphylie, lui a été livré, et le suit dans les chaînes. [213b] Manius Aquilius, proconsul, lui qui avait triomphé de la Sicile, est maintenant attaché, par une longue chaîne, à un Bastarne haut de cinq coudées, et mené à pieds par un cavalier. Quant aux autres Romains,[188] ils se sont réfugiés aux pieds des statues des dieux; les autres ont repris les vêtements carrés,[189] et les noms de leur ancienne patrie. Il n'est pas une ville qui ne rende à Mithridate des honneurs plus grands que ceux qu'on rend aux hommes, et qui ne l'appelle dieux, tous les oracles lui annoncent même l'empire de toute la terre. Voilà pourquoi de grandes armées sont en marche pour soumettre la Thrace [213c] et la Macédoine : toutes les contrées de l'Europe se jettent dans son parti. Il lui vient des députés non seulement des peuples de l'Italie, mais même de Carthage, et qui lui offrent de se joindre à lui pour anéantir Rome. »
51. Athénion s'arrête un peu à ces mots; laisse parler toute cette foule sur les choses étranges qu'il annonçait, puis se frottant le front, il dit : « Qu'est-ce donc que je vous conseille? De ne plus persévérer dans l'anarchie que le sénat romain entretient parmi vous, jusqu'à ce qu'il lui plaise de décider quelle forme de gouvernement vous devez avoir. Ne voyons plus avec indifférence les lieux sacrés fermés, les gymnases délabrés, [213d] les théâtres sans spectateurs, les tribunaux sans orateurs, et le peuple privé de la liberté de s'assembler au pnyx,[190] consacré à cet usage par les oracles mêmes. »
« Non, Athéniens, ne voyons plus avec indifférence la voix sacrée de Bacchus réduite au silence, le vénérable temple des deux divinités[191] fermé, et les écoles des philosophes sans maîtres et sans auditeurs. »
Ce vil esclave ayant dit ces choses, et beaucoup d'autres semblables, [213e] la foule s'entretint encore[192] de ce qu'elle venait d'entendre; et courant aussitôt au théâtre, elle déclara Athénion commandant de toutes les troupes. Alors ce Péripatéticien s'étant rendu à l'orchestre avec une démarche aussi fière que celle de Pythoclès,[193] remercia les Athéniens, et leur dit : « Puisque vous venez de recouvrer votre autorité souveraine, et que je suis actuellement à la tête du gouvernement, si vous secondez mes vues, je pourrai faire autant à moi seul, que vous tous ensemble. »
Après ce discours, il créa, pour gouverner avec lui, les officiers qu'il voulut, les nommant devant le peuple chacun selon leur emploi.
[213f] 52. A peine se fut-il passé quelques jours, que le philosophe, devenu le tyran de la patrie, fit voir[194] à quoi tendaient les principes insidieux des Pythagoriciens, et quel était pour eux le vrai but de la philosophie dont le bon Pythagore avait posé la base, comme l'ont rapporté Théopompe,[195] liv. 8 de ses Philippiques, et Hermippe, disciple de Callimaque.
Athénion ne tarda donc pas à se défaire des citoyens qui, quoique bien intentionnée, [214a] ne suivaient pas les principes de l'école d'Aristote et de Théophraste, tant est vrai le proverbe qui dit : « Point d’épée dans la main d'un esclave. » Il mit des gardes aux portes de la ville; de sorte que nombre d'Athéniens, qui redoutaient l'avenir, prirent la fuite en descendant des murs avec des cordes, pendant la nuit;mais Athénion l'ayant su, fit mettre à leur poursuite des cavaliers qui tuèrent les uns, ramenèrent les autres chargés de chaînes. Quant à lui, il se fit escorter d'une garde nombreuse de soldats cuirassés.
Il convoquait souvent des assemblées, où il affectait d'être instruit des affaires des Romains : [214b] accusant alors plusieurs citoyens d'entretenir une correspondance secrète avec les fugitifs, et de tramer contre l'état, il les faisait mettre à mort, ayant posé trente gardes[196] à chaque porte, qui, de sa part, ne permettaient ni d'entrer, ni de sortir. Il s'appropria les biens de nombre de personnes, et amassa tant d'argent qu'il en remplit plusieurs puits.[197] Il envoyait dans les campagnes des escouades pour observer ceux qui quittaient la contrée. Ces patrouilles les lui ramenaient, et il les faisait périr sans forme de procès, après la question la plus cruelle. [214c] Il en accusait d'autres de trahison, en supposant qu'ils cherchaient à procurer aux fugitifs les moyens de rentrer dans la patrie. Ceux qui pouvaient se sauver avant d'être traînés à son tribunal prenaient la fuite ; les autres étaient condamnés en sa présence, et lui-même donnait aussi sa voix.
Il fit régner la disette dans la ville, ne distribuant que quelques orges et un peu de bled, ou il envoyait de tous côtés, et dans les campagnes, ses soldats chercher les fugitifs qui pouvaient être revenus dans les limites [214d] de la république, ou ceux qui voulaient passer les frontières. Si quelqu'un était arrêté, il le faisait étendre sur le banc;[198] plusieurs périssaient même dans les tourments.
Il fit publier à son de trompe que tout le monde fût rentré chez soi au coucher du soleil ; défendant à qui que ce fût de sortir, même avec une lanterne.
53. Il pilla les biens des citoyens, et même ceux des étrangers, osant aussi porter la main sur le trésor d'Apollon, qui était à Délos.[199] Pour cet effet, il envoya dans cette île Appellicon de Téos, devenu citoyen d'Athènes, homme qui avait joué toutes sortes de rôles dans sa vie, quittant un état aussitôt qu'il l'avait pris. Lorsqu'il jouait le rôle de philosophe, il avait ramassé beaucoup d'écrits des Péripatéticiens, avait même acheté la bibliothèque d'Aristote, et d'autres en assez grand nombre, [214e] car il était fort riche. Il avait même en sa possession les anciens décrets originaux du peuple, qu'il avait enlevés du temple de Cybèle, et tout ce qu'il y avait d'anciens monuments, ou de gardé en dépôt. Surpris dans ces vols à Athènes, il s'était sauvé pour éviter le danger; mais peu de temps après, il osa y reparaître en gagnant l'amitié de plusieurs personnes, et se rangea du parti d'Athénion, comme attaché aux principes de la même école.[200]
Mais Athénion, se tenant aux dogmes[201] de la philosophie péripatéticienne, [214f] ne distribuait aux insensés Athéniens qu'un chœnix d'orge pour chaque personne, pendant quatre jours ; nourriture faite pour des poules, et non celle qu'on devait donner à des hommes,
Appellicon ayant donc fait voile pour Délos, s'y comporta plus en homme qui voulait étaler de la grandeur, qu'en sage militaire, et ne posa de gardes dans cette île qu'avec beaucoup de négligence. Il se livra même au sommeil sans faire garder la partie de l'île qu’il laissait derrière lui, et sans se retrancher. Orobius, commandant des troupes Romaines qui y étaient, [215a] et qui gardait Délos, profitant de la nuit lorsqu'il n'y avait pas de clair de lune, fit avancer ses soldats, et tombant sur ces gens endormis, tailla en pièces, et les Athéniens et ceux qui étaient avec eux dans cette expédition, comme on aurait égorgé des bestiaux. Il en tua six cents, et fit environ quatre cents prisonniers. Le brave Appellicon se sauva secrètement de Délos. Orobius s'étant aperçu que plusieurs s'étaient sauvés ensemble dans les maisons de la campagne, les brûla avec les maisons mêmes, et toutes leurs machines de guerre, sans épargner l'hélépole qu'Appellicon avait dressée en batterie à son arrivée dans l'île.
[215b] Orobius éleva un trophée sur les lieux mêmes, et un autel[202] où il mit cette inscription :
« Ce tombeau renferme les corps des étrangers qui, combattant sur les bords de Délos, perdirent la vie dans la mer, lorsque les Athéniens, ayant réuni leurs armes à celles du Roi de Cappadoce, vinrent piller cette île sacrée. »
54. Lysias, philosophe, Epicurien, usurpa aussi la souveraine autorité à Tarse. Sa patrie l'ayant nommé Stephanephore,[203] c'est-à-dire, prêtre d'Hercule, il ne voulut pas quitter cette suprême dignité ; mais il s'autorisa de son habit[204] pour devenir tyran. [215c] Il était vêtu d'une tunique[205] demi-blanche, ayant par dessus une magnifique chlamyde en surtout, une chaussure blanche de Laconie, et une couronne de laurier en or, sur la tête. Il ravissait le bien des riches pour le donner aux pauvres, faisant tuer ceux qui le refusaient.
55. Tels sont donc les chefs sortis des écoles de la philosophie. Démocharès ou Cratès dit à leur sujet : « Comme on ne peut faire une lance d'un brin de sarriette, de même on ne fera pas un soldat irréprochable d'un Socrate.[206] »
Chap. XV. Platon, il est vrai, nous dit que Socrate fit trois campagnes ; la première à Potidée, [215d] la seconde à Amphipolis, la troisième contre les Béotiens, et dans laquelle se donna la bataille près de Délion. Quoique personne n'ait dit cela, Platon assure que Socrate y mérita le prix de la valeur, tandis que les Athéniens prirent tous la fuite, et qu'il en périt un grand nombre; mais ce sont autant de mensonges. En effet, ce fut sous l'archonte Alcée que se fit la campagne d'Amphipolis, Cléon commandant un corps de citoyens d'élite, selon Thucydide. Il fallait donc que Socrate fût du nombre de ces citoyens d'élite, lui qui n'avait que son manteau et son bâton.[207] [215e] Or, quel historien, quel poète l'a dit : où Thucydide nous a-t-il peint ce brave de Platon? qu'y-a-t-il d'analogue entre un bouclier et un bâton? quand Socrate a-t-il marché vers Potidée, comme Platon le dit dans son Charmide? ajoutant même que Socrate céda le prix de la valeur à Alcibiade. Ni Thucydide, ni Isocrate n'ont rien dit de tel, l'un dans son histoire, l'autre dans son discours sur l’Attelage.[208]
Dans quel combat Socrate a-t-il remporté le prix de la valeur? enfin, qu'a-t-il donc fait en général de si éclatant, de si remarquable, tandis qu'il ne se livrait aucun combat, [215f] selon l'histoire de Thucydide?
Mais Platon ne s'en tient pas aux détails de ces prodiges, il ajoute le combat qui se livra près de Délion, supposant dans Socrate une valeur qu'il n'a pas eue. En accordant que Socrate eût pris Délion, comme le rapporte Hérodique, disciple de Cratès, dans ce qu'il adresse au Philosocrate, il n'en a pas moins fui honteusement, lorsque Pagondas[209] fit sortir à l'improviste deux brigades de cavalerie cachées derrière une éminence, pour fondre sur les Athéniens. Ce fut alors qu'ils quittèrent précipitamment Délion, fuyant, [216a] les uns vers la mer, les autres vers Oropus, et plusieurs vers le mont Parnèthe, poursuivis par la cavalerie Béotienne et celle de Locres, qui massacrèrent ceux qu'ils purent joindre. C'est donc au milieu de ce désordre et de cette terreur des Athéniens, que Socrate, bravant l'ennemi, et dardant les yeux sur lui, tint ferme seul, et arrêta la cavalerie Béotienne et celle de Locres; mais Thucydide n'en fait aucune mention; aucun poète n'en parle.
D'ailleurs, comment Socrate a-t-il pu céder[210] le prix de la valeur à Alcibiade, n'ayant eu lui-même aucune part [216b] à cette expédition? Platon, cet homme chéri de Mnémosyne,[211] dit, dans son Criton, que Socrate ne fît jamais de voyage que pour aller à l'Isthme.[212] Il est vrai qu'Antisthène, disciple de Socrate, dit la même chose que Platon au sujet du prix de la valeur ; mais ce rapport est faux, car ce chien[213] flatte beaucoup Socrate : ainsi nous ne devons croire ni l'un ni l'autre. Or, voici ce qu'écrit Antisthène, ajoutant encore au faux récit de Platon : — [216c] « Nous avons appris, Socrate, que tu as remporté le prix de la valeur contre les Béotiens[214] — Doucement, étranger : ce fut Alcibiade qui eut ce prix, et non moi. — Oui, parce que tu le lui cédas, comme nous l'avons su. » Mais le Socrate de Platon dit s'être trouvé à Potidée, et que c'est là qu'il céda le prix de la valeur à Alcibiade. Or, selon tous les historiens, la campagne de Potidée, où Phormion commandait, est antérieure à celle de Délion.
56. Chap. XVI. Les philosophes[215] sont donc menteurs à tous égards, et ne s'aperçoivent pas qu'ils écrivent beaucoup de choses contre l’ordre des temps.
Chap. XVII. C'est ainsi que le bon Xénophon [216d] s'abuse sans y prendre garde, lorsqu'il suppose, dans son Banquet, qu'il se trouva[216] avec les autres convives au repas que donna Callias, fils d'Hipponicus, lorsqu'Autolycus (fils de Lycon), son bon ami, remporta la couronne du Pancrace. Or, Xénophon[217] n'était peut-être pas encore né, au moins aurait-il été enfant à cette époque : mais c'est justement l'époque de l'archontat d'Aristion, sous lequel Eupolis, donnant son Autolycus, fit persifler, par Démostrate, la victoire de ce Pancrace.
[216e] En outre, Xénophon, dans son Banquet, fait dire ce qui suit par Socrate : « Cependant Pausanias, qui aimait passionnément le poète Agathon, prenant la défense de ceux qui s'abandonnaient à cette incontinence, dit qu'une armée composée de bons amis, serait la plus brave, parce que, selon lui, les uns et les autres auraient surtout honte de s'abandonner. » Il serait bien étonnant que des gens accoutumés à braver tout reproche, et à ne pas se respecter réciproquement, rougissent de commettre une lâcheté ; [216f] mais on peut voir, par le Banquet de Platon, que Pausanias n'a jamais rien dit de semblable. En effet, je ne connais pas d'écrit de Pausanias : personne, ni même Platon, ne l'a non plus fait parler ainsi sur le commerce réciproque des gens livrés à cette passion ; mais que Xénophon ait imaginé cela ou qu'il ait eu du Banquet de Platon un exemplaire différent, peu importe, et parlons de son erreur sur les dates.
Aristion, sous lequel on suppose que le repas a été fait[218] fut Archonte quatre ans avant Euphème, [217a] sous lequel Platon rapporte la victoire d'Agathon, faisant alors tenir à Pausanias le discours précéder sur les liaisons amoureuses. Il est donc étonnant, et même prodigieux que Socrate, soupant chez Callias, blâme comme des propos indécents, ce qui, loin d'avoir été dit alors, ne peut même l'avoir été que quatre ans après chez Agathon.
57. Chap. XVIII. Mais le Banquet[219] de Platon est un vrai roman. En effet, Platon n'avait que quatorze ans lorsqu'Agathon remporta le prix; car ce fut à la fête des Pressoirs, sous l'archonte Euphème, qu'il obtint cette couronne : or, Platon est né sous l'archontat d'Apollodore, successeur d'Euthydème, et il est mort à l'âge de quatre-vingt-deux ans, sous l'archontat [217b] de Théophile, successeur de Callimaque, quatre-vingt-deuxième archonte depuis Apollodore ; mais le quatorzième archonte, depuis Apollodore et la naissance de Platon, est Euphème, sous lequel se donna le repas à l'occasion de la victoire d'Agathon. Cependant, Platon nous montre lui-même que cette assemblée avait eu lieu longtemps auparavant, en parlant ainsi au commencement de son Banquet : —Tu te trompes, si tu penses que cette assemblée a eu lieu depuis peu de temps, de sorte que je m'y sois même trouvé. [217c] — Je le pensais,[220] dit-il. —Mais, lui répondis-je, comment donc, ô Glaucon! Ignores-tu qu'Agathon n'est pas venu ici depuis nombre d'années?
« Alors, poursuivant, il me dit : Apprends-moi donc quand cette assemblée a eu lieu. — J'étais encore enfant, répondis-je, lorsqu'Agathon remporta le prix de la tragédie. »
On peut donner nombre de preuves des anachronismes que fait Platon; car il écrit indistinctement tout ce qui se présente sur sa langue imprudente, pour me servir de l'expression d'un poète. En effet, observez qu'il ne parle pas de choses qui n'aient pas été écrites,[221] et même avec beaucoup de réflexion;
[217d] par exemple, il écrit dans son Gorgias : — « Cet Archélaüs est donc malheureux, selon ce que tu dis. — Oui, certes, s'il est injuste. » Ensuite Platon dit expressément : « Qu'Archélaüs était alors roi de Macédoine ; » puis il ajoute : « Et ce Périclès, qui est mort il n'y a pas longtemps. » Mais si Périclès est mort depuis peu de temps, Archélaüs n'est donc pas encore sur le trône; et si Archélaüs est roi, il y a donc longtemps que Périclès est mort. En effet, Perdiccas a régné avant Archélaüs, selon Nicomède d'Acanthe,[222] et pendant quarante et un ans; Théopompe dit trente-cinq; Anaximène, quarante; Hiéronyme, vingt-huit; [217e] Marsias et Philochore, vingt-trois.
Prenons le moindre des nombres rapportés par ces historiens, c’est-à-dire, vingt-trois ans. Or, Périclès est mort la troisième année de la guerre de Péloponnèse, sons l'archontat d'Épaminon, même époque[223] de la mort de Perdiccas, à qui succéda Archélaüs. Comment donc Périclès est-il mort depuis peu de temps, selon Platon?
Platon fait encore parler ainsi Socrate dans le Gorgias : « Je voulus, l'année dernière, lorsque ma tribu[224] gérait les fonctions de Prytanée, [217f] recueillir les suffrages, puisque c'était à moi de prononcer; mais je ne pus le faire.[225] » Or, ce fut particulièrement un principe de probité qui fit agir ainsi Socrate ; car il ne voulut pas porter atteinte aux lois de la démocratie. C'est ce que Xénophon montre assez clairement dans le premier livre de son histoire de la Grèce.
« Quelques magistrats disant qu'on ne porterait pas de suffrages contre les lois, [218a] Callixène monta une seconde fois à la tribune, et les accusa. Les auditeurs crièrent qu'on nommât ceux qui ne voulaient pas donner leur suffrage : alors les magistrats, intimidés, convinrent tous de le donner, excepté Socrate, fils de Sophronisque, qui dit formellement qu'il ne le donnerait pas, mais qu'il se conformerait en tout aux lois. »
La sentence qu'il s'agissait alors de porter, concernait Érasinide et les autres Généraux qui n'avaient pas recueilli les corps de ceux qui étaient péris au combat naval; livré près des îles Arginuses, sous l'archonte Callias, vingt-quatre ans après la mort de Périclès.
[218b] 59. « Mais Platon confond encore les dates[226] dans son Protagoras, dialogue qu'il écrivit après la mort d'Hipponique, dont. Callias avait déjà recueilli la succession, et Protagoras étant à Athènes pour la seconde fois depuis peu de jours. » Or, Hipponique avait été mis avec Nicias à la tête de l'armée sous l'archonte Euthydème, pour marcher contre les Tanagriens et les troupes auxiliaires des Béotiens. Il remporta la victoire, et mourut peu après, selon toute apparence, avant qu'Eupolis donnât sa pièce intitulée les Flatteurs, sous l'archonte Alcée; [218c] car cette pièce indique que Callias avait recueilli tout récemment une succession. En outre le poète Eupolis y présente Protagoras comme étant à Athènes. D'un autre côté, Ameipsias, qui, d’un autre côté, avait donné sa pièce intitulée la Barbe, n’y compte pas Protagoras parmi ceux qui tenaient école publique à Athènes. Il est donc clair que Protagoras s'y trouva dans l'intervalle des représentations de ces deux pièces.
Mais Platon, dans ce dialogue, introduit Hippias d'Élide comme présent à Athènes avec plusieurs de ses compatriotes. Cependant, il n'est pas probable qu'ils aient pu s'y trouver en sûreté avant la trêve d'un an qui fut conclue [218d] sous l’archonte Isarque, au mois Élaphébolion. D'un autre coté, Platon suppose lui-même que ce dialogue ne fut pas fait vers le temps que cette trêve venait d'être conclue. En effet, il dit : « Si c’étaient des sauvages tels que ceux que Phérécrate a fait présenter aux fêtes des Pressoirs. » Or, cette pièce des Sauvages fut jouée sous l’archonte Aristion, à qui Astyphile succéda, et le cinquième, depuis Isarque, car voici la suite de ces magistrats: Isarque, Arninias, Alcée, Aristion, Astyphile, [218e] C'est donc contre l'ordre[227] même de l'histoire que Platon, dans ce dialogue, fait trouver à Athènes, Hippias et ses compagnons, qui étaient nécessairement des ennemis, puisque la trêve ne subsistait plus.
Chap. XIX. Platon dit ailleurs[228] que Chæréphon demandant à la Pythie s'il y avait un homme plus sage que Socrate y elle répondit : Personne.
Mais Xénophon[229] ne s'accorde pas avec cela dans ce qu'il dit : « Chæréphon interrogeant un jour l'oracle de Delphes à mon sujet, Apollon répondit, devant plusieurs témoins, qu'il n'y avait personne de plus juste et de plus circonspect que moi. » [218f] Or, comment se persuader avec raison que Socrate, avouant lui-même qu'il ne soit rien, a été déclaré le plus sage des hommes par un dieu qui soit tout? car si ne rien savoir est vraiment la sagesse, savoir tout est donc le vice même ; mais qu'avait besoin Chæréphon d'importuner ce dieu, en l'interrogeant au sujet de Socrate, qui était assez croyable par lui-même, lorsqu'il disait : Je ne suis pas un sage. [219a] Il était aussi absurde d'aller faire une telle demande à l'oracle, que de faire celles-ci:
« Y[230] a-t-il d'autres laines plus mollettes que celles de l'Attique? y a-t-il des Souverains plus puissants que ceux de la Bactriane et des Mèdes? ou s'il y a quelqu'un plus camus que Socrate? » Ce dieu se moque,[231] sans doute avec justice, de ceux qui lui font de semblables questions, comme il fit à l'égard de celui qui lui dit : « Fils de Jupiter et de Latone, comment pourrai-je m'enrichir? » (soit Esope le fabuliste, soit tout autre qui l'ait imaginé.) Le dieu lui répondit en le bernant : « Si tu parviens à posséder tout le terrain qui est entre Corinthe et Sicyone. »
61. Mais aucun des poètes comiques n'a rappelé ce que Platon a dit de Socrate; savoir, [219b] qu'il était fils d'une sage-femme aux sourcils rabattus, ni que Xanthippe fût une femme acariâtre, qui lui jeta un bassin d'eau à laver les mains, sur la tête, ni qu'Alcibiade eût couché avec lui sous la même couverture : or, Aristophane, qui se trouvait au Banquet de Platon, s'en serait infailliblement moqué sur le théâtre. Non, Aristophane n'aurait pas manqué de le traduire à cet égard, comme corrupteur de la jeunesse.
Voici comment parle à cet égard Aspasie,[232] [219c] qui enseigna la rhétorique à Socrate, art dans lequel elle était si versée. Les vers que je vais rapporter de cette femme, ont été publiés par Héradicus, disciple de Cratès, comme étant vraiment d'elle.
« Asp. Socrate, tu n'as pu me cacher que le fils de Dinomaque et de Clinias a fait la plus vive impression sur ton âme. Mais, écoute, si tu veux te bien trouver de l'amour que tu as pour ce jeune homme, et ne te refuse pas à ce que je te conseille : au contraire, sois docile, et tu réussiras beaucoup mieux. Socr. A peine eus-je entendu cela, qu'extasié de joie, je baignai mon corps [219d] de sueur; je soupirai, mes yeux fondirent en pleurs malgré moi. Asp. Arrête ces soupirs, et remplis-toi l'esprit de l'enthousiasme[233] de la poésie. Oui, tu pourras te l'attacher par les charmes puissants de la musique; car c'est le premier lien de l'amitié : c'est par la musique que tu le captiveras, en portant jusqu'à son âme, par la voie des oreilles, l'image entière de ta passion. »
C'est donc le bon Socrate qui va à la poursuite de celui qu'il aime, ayant une Milésienne pour maîtresse en amour : ainsi, ce n'est plus Socrate qui est recherché, comme le dit Platon, et à qui Alcibiade tendait un appât au fil d'une ligne. Socrate ne cesse même de pleurer [219e] dans le malheur qu'il éprouve. C'est pourquoi Aspasie, qui voit l'état où il est réduit, lui dit :
« Pourquoi pleures-tu, mon cher Socrate? te sens-tu l'âme troublée par le désir qui s'y est fixé, après avoir éclaté, comme la foudre, des yeux de ce jeune homme insensible? mais je t'ai promis de le fléchir[234] en ta faveur. »
Platon montre bien, dans son Protagoras, que Socrate est réellement pris d'amour pour Alcibiade, qui cependant est déjà âgé de presque trente ans. [219f] Voici ce qu'il dit : « D'où viens-tu donc Socrate? est-ce de courir après la beauté d'Alcibiade? Pour moi, je le vis dernièrement, et il me parut réellement encore beau, quoique dans l'âge viril. Je dis homme, mon cher Socrate; car il peut vraiment être compté parmi nous autres, puisqu'il a déjà le menton couvert de barbe. [220a] Socr. Mais qu'est-ce que cela fait! toi qui es grand panégyriste d'Homère, tu sais qu'il a dit que le premier poil qui fleurit sur le menton, tel qu'Alcibiade l'a maintenant, est quelque chose de bien beau. »
62. Chap. XX. Il est assez naturel à la plupart des philosophes de médire encore plus que les poètes comiques. C est ce qu'on avait dans Eschine, disciple de Socrate. Il critique amèrement, dans son Télaugès, Critobule, fils de Criton, au sujet de son impolitesse et de sa saleté dans sa manière d'être. Il n'épargne même pas, non plus Télaugès, qui payait tous les jours une demi-obole au foulon pour l'habit qu'il portait, se ceignant d'une peau garnie de son poil, et ayant, pour chaussure, des sandales dont les courroies étaient de sparte pourri. Il raille aussi, [220b] presque sans, réserve, l'orateur Télésante, dans son Aspasie, il appelle lourdaud et stupide Hipponique, fils de Callias, et, dit que, toutes les Ioniennes sont des femmes débauchées et vénales, sans exception. Son dialogue, intitula Callias, est l'exposé du différend qu'il y eut entre Callias et son père, et une raillerie des sophistes Prodicus et Anaxagore. Il rapporte que Prodicus initia son disciple Théramène à ses débauches ; que l'autre[235] initia de même Philoxène, fils d'Euryxis, et Ariphrades, frère d'Aristognote le Citharède : le but d'Eschine étant de faire connaître la corruption[236] et l'infamie des disciples, et de montrer par là quelle était la doctrine de ceux qui les avaient instruits.
Il censura amèrement Alcibiade, dans son Axiochus, lui reprochant son ivrognerie, et sa passion effrénée pour les femmes d'autrui.
63. Antisthène charge également Alcibiade, dans son second Cyrus, disant qu'il ne connaissait plus: aucune loi, ni à l’égard des femmes, ni dans toute sa conduite ; qu'il couchait indistinctement avec sa mère, sa fille; sa sœur,; selon l'usage des Perses. [220d] Il a passé en revue toute la conduite des orateurs d'Athènes, dans son Dialogue politique, et peint au vif Gorgias dans son Archélaüs. Son Aspasie est une satire continuelle de Xanthippe et de Paralus, fils de Périclès : l’un dit-il, était toujours avec Archestrate, qui s'abandonnait à tout ce qui se passe dans des lieux de prostitution ; l'autre était intimement lié avec Euphémus, qui n'avait que des railleries grossières et froides à lâcher contre ceux qu'il rencontrait. Eschine appelait Platon Sathon,[237] et publia même contre lui un dialogue auquel il donna maladroitement ce titre grossier. »
[220e] Au reste, il n'y a pour ces gens[238] aucun homme honnête susceptible de donner un bon avis, aucun général d'armée[239] qui fasse son devoir, aucun sophiste digne d'estime, aucun poète qui ait quelque mérite, pas même une seule démocratie où il y ait du bon sens. Quant à Socrate, il est toujours avec la joueuse de flûte Aspasie, dans les ateliers des artisans, s'entretenant familièrement avec Piston l'armurier, enseignant à la courtisane [220f] Théodète comment elle doit tirer parti de ses bons amis : or, c'est ce que dit Xénophon, dans le liv. 3 (le texte porte liv. 2) de ses Dits mémorables.[240] On y voit Socrate apprendre à Théodète des moyens de se faire aimer, tels que n'en ont jamais imaginé Nico de Samos, la Callistrate de Lesbos, Phliænis de Leucade, ni même Pythonique d'Athènes.
Cependant rien n'égalait leur expérience en ce genre.
Enfin, je n'aurais jamais assez de temps si je voulais rapporter ici toutes les graves critiques des philosophes ; car, pour parler avec Platon, je vois accourir à moi une troupe [221a] de ces Gorgones, Pégases, et autres monstres, dont le nombre est aussi grand que la forme bizarre en est étonnante : ainsi je me tairai.
64. Après ces détails de Masurius, dont nous admirâmes tous le profond savoir, le silence régna par toute la table; mais Ulpien l'interrompit.
Il me paraît, amis, que vous voilà noyés dans un torrent de paroles contre toute attente, étant surtout bien arrosés de vin pur:
« Car un homme qui hume le vin, comme un cheval boit l'eau, n'a plus qu'un idiome scythe, ne connaissant même pas un koppa.[241] Il reste plongé, sans pouvoir parler, au fond du tonneau, [221b] aussi assoupi que s'il avait pris une potion d'opium. »
selon l'expression de Parménon le Byzantin : ou bien auriez-vous été pétrifiés par ces Gorgones, dont on vient de nous parler? Mais en parlant de Gorgones, il y. a réellement eu certains animaux qui ont été cause que des hommes sont devenus pierres. Voici ce qu'Alexandre de Mynde en dit, dans le second livre de son Histoire des Bêtes de somme.
« Les Numides de la Lybie appellent Gorgone certain animal qui a toujours les yeux fixés en bas. Selon la plupart de ceux qui en parlent, on dirait à sa peau que ce n'est qu'une brebis, sauvage : d'autres le comparent à un veau. On dit que cet animal a une haleine capable de tuer tout ce qui se trouve à sa rencontre. [221c] Il a une crinière qui lui tombe du front sur les yeux, et qu'il ne sépare qu'avec peine, en la secouant, à cause de sa pesanteur ; mais lorsqu'il regarde, après, l'avoir ainsi séparée, il tue celui sur lequel il fixe les yeux par dessous : ce n'est point par son haleine, comme on le dit, mais par le seul regard qu'il lance. C'est ainsi qu'il fait mourir. »
« Voici comment cet animal fut connu. Quelques-uns des soldats de Marius, qui faisait la guerre à Jugurtha, aperçurent cette Gorgone ; s'imaginant que c'était une brebis suivante parce qu’elle avait toujours le regard fixé en bas, et qu'elle allait lentement, ils coururent dessus pour la tuer avec leurs épées; [221d] mais l'animal surpris, secouant aussitôt la crinière qui lui pendait sur les yeux, se fit jour, les regarda, et tua ainsi ceux qui allaient se jeter sur lui. D'autres ayant réitéré cette attaque plusieurs fois, périrent de même, de sorte que personne n'en revenait. »
« Quelques-uns ayant appris des habitants de ces lieux quelle était la nature de cet animal, des cavaliers numides allèrent, par ordre de Marius, lui tendre de loin des embûches, le percèrent de traits, et l'apportèrent au Général. Or, la peau de cet animal et l'histoire de la conquête de Marius prouvent qu'il était réellement tel. »
[221e] Mais voici un fait incroyable, rapporté par le même historien. Il dit qu'il y a dans la Lybie des bœufs qu'on appelle opisthonomes, parce qu'ils ne marchent pas en avant pour prendre leur pâture, mais qu'ils le font à reculons. Selon lui, ces animaux ne peuvent paître naturellement, parce que leurs cornes, au lieu de se courber en s'élevant sur leur tête comme sur celle des autres animaux analogues, se courbent par en bas, et leur couvrent les yeux au point de les empêcher de voir en avant. Or, il n’y a aucun autre écrivain qui atteste ce fait incroyable, que ce seul historien.
[221f] 65. Ulpien ayant ainsi parlé, Larensius ajouta son propre témoignage pour appuyer ce qu’il venait de dire. Oui, Marius envoya des peaux de ces animaux à Rome, et personne ne put conjecturer au juste de quels animaux elles étaient, tant elles parurent extraordinaires ; mais on les suspendit au capitole dans le temple d’Hercule, où les Généraux qui triomphent donnent un repas aux citoyens, [222a] comme plusieurs de nos historiens et de nos poètes le rapportent.
Quant à vous autres grammairiens qui selon Hérodique de Babylone, ne nous rapportez rien de semblable :
« Fuyez hors de la Grèce, doctes Aristarques, sur la vaste surface de la mer, plus timides qu'un faon ; vous qui rongez sans cesse dans des coins comme le bombyx,[242] qui ne parlez que par monosyllabes, et qui n'avez qu'à discourir sur les pronoms sphin,[243] sphooïn, min, nin. Que ce soient là vos sottes occupations;[244] mais qu'Hérodique ait en partage la Grèce, et Babylone cette fille des dieux! »
Car, selon le comique Anaxanaride :
[222b] « Il y a du plaisir à faire part à tout le monde d'une chose que l'on a inventée; mais ces gens qui ne savent rien que pour eux-mêmes, n'ont d’abord aucun juge de leur talent ensuite c’est ici une envie mal placée de leur part. Il faut donc communiquer au public tout ce que l'on trouve de nouveau. »
La plupart des convives, se retirant peu à peu, après ces discours quittèrent l’assemblée.[245]
FIN DU LIVRE CINQUIÈME
[1] Je lis houtoos avec les manuscrits, laissant de côté les réflexions hasardées, ou plutôt mal fondées, de Casaubon.
[2] Iliade, 16, v. 174.
[3] Je mets ici des points. Il y a une lacune dont on ne s'est pas douté.
[4] Texte : hekastou heemoon. Je traduis généralement dans le sens de xenoon pour heemoon.
[5] Ce que Pollux appelle phyleen hestian, faire un repas de tribu, donner un repas à une tribu. Casaubon reproche à Daléchamp d'avoir changé phylétiques en philétiques. Il est vrai que Daléchamp traduit selon ce dernier mot; mais Casaubon n'avait aucune pudeur, ou n’a consulté de sa vie aucun texte d'Athénée : il aurait vu que philétique est la leçon des premières éditions et de le Comte; ainsi le docte médecin n'en est pas l'auteur. Je lis donc phylétique avec le manuscrit A. Je voudrais ensuite que le passage grec fut ainsi écrit : Phyleetika deipna, kai ta phratrika, prosetaxan eti de tous thiasous, kai ta deemotika, ha kai palin oggeoonika legomena. Voyez, sur la vraisemblance de la dernière partie, telle que je l'écris, Potter, antiq. gr. t. I, ch. 9, édit. anglaise ; et Pollux pour le sens de tous les mots du passage, liv.3, n°. 51, 52, 67; l. 8, nos 110, 111; l. 9, n°. 8, n° 143, etc. Si on lit attentivement ces citations, on verra que je ne me trompe pas.
[6] Je lis tous kata tou symposiou logous. Casaubon ne devait pas ignorer que kata, dans le sens de per ou inter, est très usité en grec avec le génitif: ainsi je laisse son k. to symposion, et je garde le texte à cet égard. Du reste, Casaubon suit le manuscrit d'Ægius sans le nommer. Je laisse plus bas à Casaubon les réflexions qu'il fait sur le passage de Démosthène. Adam s'en est laissé imposer par ces fausses idées, que je ne réfuterai pas.
[7] Casaubon veut encore changer ici. Je garde symposioisi. Le mot philos est tantôt actif, tantôt passif. Horace l'a employé dans le même sens: Pindare l'a fait aussi passif, p. 191 du texte grec. Ainsi, symposioisi philos signifie celui qui est bien reçu aux festins quelconques. Theoisi philos, est aimé des dieux.
[8] Sophisme se prend dans le sens de to sesophismenon. Pourquoi prendrions-nous sans preuve le mot en mauvaise part?
[9] Adam voulait ici suivre le Comte : je suis les manuscrits, que je trouve conformes à l'imprimé, pour de ha egoo nooo.
[10] Casaubon devait au moins consulter le Comte, qui rend le vrai texte dans sa version. Ut sit laboratum ex utrisque partibus, ou hin’ hod’ epi thater exergaseetai. Il faut être Casaubon pour trouver dans ce passage la métamorphose d'Ino. La réponse de Zénon était une réprimande sévère.
[11] Apomattesthai ; c'est proprement calquer.
[12] La terminaison oon de legoon, a fait disparaître hoos qui suivait, et rendait tout clair. Je le rends au texte. Hoos Aristot. Laissons les futilités de Casaubon.
[13] Rétablissez le texte, en lisant alloon d'ap allees kalees proaireseoos eti ontoon. Deux lignes au-dessous, lisez peri après zeetai.
[14] Je lis Platoni de — parieemi, et knisas dans la même phrase, pour Platon et Athénée. Jamais Platon n'a écrit ici kineesas. En outre, il faut ee de tais pour en de lais. Les mots ee de supposent therapeuomenon. Casaubon fait pitié ici. Je prie enfin, et je supplie le lecteur d'être assez indulgent pour ne pas exiger de moi que je réfute toutes les inepties de ce critique léger dans le cours de cet ouvrage : ce serait un supplice pour moi, surtout dans ce livre-ci : je m'arrêterai à l'essentiel.
[15] Texte, diasyrein avec les manuscrits. — Ensuite isokooles signifie dont les divisions (membres) sont égales.
[16] C'est le texte de Xénophon.
[17] Iliade, 3, vers 156.
[18] Ajoutez Pisistrate.
[19] Odyssée, liv. 4, v. 74. Je ne saurais trop décider laquelle des deux leçons est préférable. Celle de Seleucus paraît plus naturelle, en ce qu'elle joint directement hossa, etc. avec kteemata ; mais je répète ici qu'on ne trouvera pas la raison du génitif des mots qui sont au v. 73, si on ne lit et ne construit pas steropeen kalchou, chrysou, etc. kaddoomata, etc. M. de Villoison, à qui je l'ai fait observer, s'est trouvé de mon avis.
[20] Doit-on entendre ici ce mot du métal composé dont parlent Platon, Pline et autres, ou du succin (ambre jaune), dont on faisait différents ouvrage dès la plus haute antiquité? C'est ce que je ne puis décider. Quant à la demande que fait Athénée, elle porte à faux; si l'on suppose tant de richesses chez Ménélaüs, on peut en même temps croire que les murs y étaient couverts de plaques d'or, d'argent, etc. : les Péruviens avaient ainsi orné les murs de leurs palais et de leurs temples. Je ne citerai pas le Critias de Platon. Athénée croit trouver un solécisme dans la leçon d'Aristarque, en ce que lé mot hossa ne se lie plus avec ce qui précède. Je pense autrement. On peut prendre cela pour une exclamation. La surprise permet cette espèce de désordre dans le discours. Le texte de Séleucus est plus régulier, mais peut-être moins vrai. Les réflexions que l'auteur fait ensuite sur le mot aulee, me paraissent peu fondées. Il ne serait pas difficile de les combattre, en ce qu'elles sont trop générales.
[21] Athénée se tromperait-il? Auloopis signifie l’espèce de douille qui s'élevait sur la crête du casque, et dans laquelle; on plaçait l'aigrette ou le plumet qui surmontait cette partie de l'armure, pour en former le cimier.
[22] Je ne vois pas ce que Philochore entendait par auloones sacrés.
[23] Hésychius et d’autres donnent à ce mot la signification de sépulcres. Pausanias, liv. I, p. 27, parle de certains sépulcres des environs d'Athènes, assez particulièrement; mais ce mot signifie aussi canal, vallée, fosse ; et en général, tout ce qui forme une ouverture longue et étroite: Athénée n'explique rien, et je ne me rappelle rien.
[24] Il faut nécessairement lire le texte de l'auteur, pour sentir ce qu’il veut dire. Notre langue ne présenterait qu'une syntaxe absurde avec des substantifs masculins et des adjectifs féminins.
[25] Cela est bien vrai.
[26] Dieu domestique enfermé dans l'enceinte, ou protecteur de la maison.
[27] Synkrinoo a les deux sens, comparer et juger après la comparaison. Ceci est relatif à ce que dit Ménélaüs, au sujet de ceux qui périrent devant Troie, Odyssée, liv. 4, v. 97. — Helas! que ne, etc.
[28] Les manuscrits de le Comte semblent favoriser antaxioos, comme lit ici Turnèbe. Les miens portent ontaxian, comme l'imprimé que je crois exact.
[29] C'est le sens de neon gegaoos, de gaoo cresco, etc. On a pris un autre sens mal à propos.
[30] Casaubon m'arrête encore ici. Epeisodos est la vraie leçon, non epeisodion, qu'il fabrique pour gâter le texte. Il suffit de lire le vers 121 et suiv, du liv. 4 de l'Odyssée, pour être convaincu qu'il s'agit de l’entrée inattendue d'Hélène, comme le signifie le mot epeisodos. Mais Casaubon veut un épisode; alors chaque scène de l'Odyssée sera un épisode. Quel pauvre critique! Ensuite tosoutoo des manuscrits est une leçon très exacte, et préférable ici à toutoo : c'est interea.
[31] C'est le diplax, ou dimitos des Grecs. Dans le gros point on prend deux fils du canevas, et un seul pour le petit point. C'était d'un semblable ouvrage que s'occupait Hélène. Diplax signifie aussi une robe doublée, autrement diploïs et diplee : lœna ; ce qui n'est pas le sens de ce passage, car Hélène travaillait à une pièce de tapisserie.
[32] Je traduis à la lettre cette équivoque, qui peut être relative aux langues que l'on offrait à Mercure en quittant la table. Outre les autres sens qu'on donnait à cet usage, c'était pour avertir les convives de ne rien répéter de ce qui s'était dit à table : de là est venu coupez les langues pour faites silence.
[33] Casaubon veut à l’aimable gaité ; mais Pindare, qui demande cette gaîté à Jupiter, dément cette idée. Meloon est la leçon, comme on le voit dans Hésychius. D'autres ont eu tort de lire ici melon au neutre.
[34] Texte, leschee. Casaubon, grand hébraïsant, dit que ce mot signifie sermo dans l’hébreu. Personne ne le prouvera. Ce serait dans cette langue un appartement quelconque, soit pour loger, soit pour y déposer comme en magasin, ou pour y prendre le frais, etc.; mais jamais on ne prouvera qu'il y a le sens de sermo, conversation, discours, entretien. Ainsi laissons-là notre doctissime.
[35] Voyez livre xi, ch. a, p. 46a du texte grec. C.
[36] Odyssée, liv. x, vers 84. Conférez aussi, sur cet usage chez les Grecs, Pollux, liv. 6, p. 633, n°. 109 et note 99; ou Aristoph. et le Scholiaste.
[37] Voyez ici Paschal, de Coron.
[38] Casaubon veut parler ici, pour prouver ensuite qu'il n'avait rien à dire.
[39] Iliade, liv. 7, v. 313. Les copistes ont écrit ici strateia pour stratia.
[40] Odyssée, liv. 9, v. 5.
[41] Klismos, siège avec un dossier ; thronos, siège avec un gradin ou marchepied.
[42] Je lis autos monon, etc. Pursan lisait autos men oun. Changeons le moins possible.
[43] Ces homoiologies ne peuvent se rendre en français; nous pouvons seulement y voir que threenys, comme thranos} vient de thraomai, je m'assieds; et c'est tout ce que veut dire l'auteur.
[44] Banc où deux peuvent être portés, ou s'asseoir ; de dis, deux ; et pheroo, latin fero. Diphros a encore d'autre sens.
[45] Crateer vient de keraoo, je détrempe en mêlant ; mais keraoo vient de keras, corne, parce que les premiers vases à boire ont été des cornes d'animaux. Voyez liv. 11, au mot keras.
[46] Je garde cette leçon, conforme aux manuscrits de Lecomte et aux miens. Conférez liv. 4, ch. 9 et 10. L'auteur serait ici en contradiction avec ce qu'il a dit dans les extraits de l'Abréviateur. Ainsi laissons-là Casaubon qui veut lire non trois ; mais nous ne pouvons pas juger l'auteur d'après les détails du liv. I : tenons-nous-en donc ici aux textes des manuscrits, quelque apparentes que soient les contradictions.
[47] Ce troisième vers se trouve avec les deux précédents, liv. I, v. 189 de l'Odyssée ; mais il n'est pas à leur suite, liv. 7, vers 175. Quoiqu'en dise Casaubon, le mot daitros peut signifier ici cuisinier. Du reste, sa note est fort inutile.
[48] Je lis antia avec le manuscrit A. Cette vraie leçon est rappelée par, dans le manuscrit B: Le Comte l’a aussi vu dans les siens ; et c'est celle d’Ægius à qui Casaubon la devait. Pursan lit entea selon l'étymologie de Favorinus : Ta entea, kathaper entos ta tou soomatos. meree, periechonta, kai skeponta. C'est aussi l'étymologie d'Eustathe; mais antia est exact.
La leçon alyoon de Casaubon est une ineptie. Les manuscrits s’y refusent, au point même que je trouve ainsi dans le manuscrit A heautoon, le manuscrit B porte autoon, comme les autres textes. — En suivant donc ma conjecture, on traduirait : « Se dérobant de son palais, il paraissait, quelquefois avec un ou deux de ses courtisans dans l’un ou l’autre endroit de la ville. » Casaubon, qui donne aux savants dans ce chapitre, l'épithète de Tirésias, est souvent lui-même encore plus aveugle.
[49] Texte, on les regarde, comme des Xénons, c'était la partie des édifices, destinée à loger les étrangers. Androns signifie l'appartement ou la salle des hommes. Voyez Vitruve.
[50] Texte, symposion hoper Antiochos, etc. Tous les textes sont ici altérés; Casaubon même ne s'en, est pas aperçu. Il faut lire hoper epoieesen Ant. ou quelque chose d'analogue; autrement il n'y a pas de sens.
[51] Je traduis le texte tel qu'il est, parce que le mot ou verbe apodidraskoo, a aussi le sens actif. Je garde autoon, que Casaubon n'a pas compris. Autoon deuteros kai tritos signifie, se trouvant tantôt avec un, tantôt avec deux de ces gens. Le mot therapeuoon peut aussi désigner les courtisans, comme on le voit dans le passage de Ménandre, p. 189, lit. E. Cependant le texte me paraîtrait plus exact, si on prenait apodidraskoo comme verbe neutre, faisant ensuite toon therapeuontoan, hou t. t. p., autos e. d. k. tr.
[52] Quoiqu’on puisse interpréter ici keramiou, par un pot de parfum, je lis kerameoon} avec des castagnettes ; mais n’entendez pas avec Casaubon des instruments de terre cuite, qui seraient bientôt cassés en les frappant l'un contre l'autre. Il s'agit de ces quilles, comme l'explique Hésychius.
[53] Casaubon est singulièrement absurde sur ce qu'il dit au sujet de ce temple. Il indique ici Pausanias en général. C'est sans doute le livre V; mais ce livre prouverait qu'il faut lire ici eleiois, puisque les présents qu'Antiochus fit à ce temple y sont détaillés. Voilà donc comment Casaubon interprète les auteurs. Voyez Pausan., liv. V, p. 159, lig. 19, édit. Sylburg, 1583. Quant à l'égide d'or dont Antiochus fit présent à la ville d'Athènes, elle fut placée au-dessus du théâtre, et non donnée pour le temple de Jupiter Olympien d'Athènes. Pausanias ne dit pas un mot ailleurs de ce en quoi Antiochus a contribué à la construction de l’olympium d'Athènes; Ensuite Casaubon devait dire que l'ancien olympium était l'ouvrage de Deucalion, selon la tradition, ce qui fait voir que Persée n'en fut que le premier restaurateur.
En outre, Casaubon, dans ses notes sur Strabon, renvoie à Athénée pour prouver ce qu'il y avance : or, nous n'y voyons aucune preuve de ce que dit Strabon. Il est certain qu'Athénée manque ici de mémoire, ou qu'il faut lire eleiois. Mais dans les notes de notre docteur sur Athénée, il renvoie à Pausanias, qui lui est contraire, au moins pour ce qui regarde Antiochus.
Strabon ne fait que nommer le temple, sans parler de ce prince. C'est ainsi que Casaubon ballottait et les lecteurs et sa pauvre tête. Qu'Adrien ait achevé l’olympium d'Athènes, cela est vrai ; Pausanias ledit formellement, liv. I, p. 16; mais ce n'est pas ce dont il s'agit.
[54] On lirait peut-être mieux ici heedista : kai meeden, etc.
[55] La leçon la plus vraie ici est megalœrgei doorea.
[56] Ceux qui étaient députés pour régler les cérémonies religieuses. C'est tout ce que je puis dire ici.
[57] Armés d'un bouclier d’argent.
[58] Corps analogue à celui des rois de Perse. Voyez Brisson, De regn. Pers.
[59] J'ajoute ce mot (c'est-à-dire attelé de quatre éléphants) pour le distinguer du synooris, qui n'en avait que deux.
[60] Texte, theooriai, mot dû aux copistes qui ne comprirent pas theoorideis ou thyoorides qui vaut mieux. Voyez Pollux, liv. 4, n°. 123, not. 86: c'étaient les tables sur lesquelles on mettait les gâteaux.
[61] On n'oubliait pas les héros dans de pareilles cérémonies, parce qu'on en redoutait la vengeance. Ils passaient pour des génies malfaisants.
[62] Croyons le texte, malgré le rêve de Casaubon.
[63] Ce mot est équivoque ici. L'auteur l'entend-t-il de gladiateurs qui combattirent à mort? Je n'en sais rien.
[64] Casaubon a très mal entendu tout ce passage.
[65] Voyez Dioscoride, liv. I, ch. 58, sur ce parfum, ou onguent.
[66] Lits à trois personnes ; ici.
[67] Texte, eutelee, une rosse. Mais les copistes n'auraient-ils pas changé eklelee en eutelee? Le contraste de ce méchant cheval n'aurait de probabilité, au milieu de ce brillant cortège, que par les extravagances de ce Prince insensé.
[68] Vitruve a détaillé en partie cette construction égyptienne, liv. 6, ch. 5.
[69] Lisez ici etetato pour etetakto.
[70] Casaubon veut expliquer ceci, mais il n'a nullement aperçu le vice du texte. Lisez peristylos een, hoo meen epepoieeto syr., etc.
[71] Casaubon fait encore ici une de ses remarques inutiles; mais il a peu compris l'auteur dans tous ces détails.
[72] Ou si étonnant aux étrangers.
[73] Casaubon voit ici dans l'épitomé une leçon qui est une faute palpable, et nous la donne comme une vérité ; mais c'est du Casaubon.
[74] Le manuscrit A, sikyonikoon, et sikyoniakoon, leçon du manuscrit B ; ainsi les manuscrits ne sont pas tels que le dit Casaubon, sans exception; mais zoographioon, que veut Casaubon, est une absurdité. Il signifierait peintures ou tableaux; ce qui est déjà indiqué par pinakes.
[75] Les manuscrits s'accordent, avec les premières éditions, sur le féminin chrysai, argyrai.
[76] Texte, dans les places supérieures qui étaient chacune de huit coudées. Le texte sera plus exact en lisant oktapechee} rapporté à antra : c'est le sens que j'ai suivi.
[77] Texte, nymphai; enfoncement, ou espèce de niches. C'est la vraie leçon de tous les textes, que Casaubon veut changer en nymphaia, temples des nymphes; mais passons-cela. Callixène n'entend ici que des enfoncements pour y placer les trépieds. On les avait ménagés à propos dans les cavités de ces antres, pour cet usage. Les Grecs, très jaloux de ces trépieds, les y plaçaient, comme les Romains des urnes.
[78] Je garde ici kai, que Casaubon veut retrancher; mais il entend mal ce récit. Les manuscrits s'opposent à cette correction qui trouble tout.
[79] Je me sers du mot bannière pour mieux faire comprendre cette marche, en désignant ainsi les différents corps qui avaient chacun en tête les statues ou simulacres dont ils portaient le nom.
[80] C'est-à-dire, au commencement de chaque cinquième année. Ce lustre quadriennal, qu'on a aussi remarqué en Amérique et dans l'ancienne Rome, remonte à une date qui se perd dans la nuit des temps. C'est de l'Egypte, ou plutôt de l'Ethiopie que tous les peuples l'ont eu après la dernière révolution du globe dont a parlé M. le Comte Carli, dans ses lettres sur l'Amérique. Je renvoie à ces lettres.
[81] C'est la leçon de tous les textes. Il faut être Casaubon pour lire ici byssinas, au lieu de kissinas. Les enfants savent que le lierre était l'ornement des suppôts de Bacchus, dont les satyres faisaient partie. Il était le symbole de l'éternité ; ce qu'aucun interprète n'a compris. J'en parlerai ailleurs.
[82] Ou grilles montées sur un support, pour contenir le charbon embrasé qui servait à brûler les parfums.
[83] Je suis ici la conjecture d'Adam, qui lisait kloosi, ramulis. Canosi que propose Casaubon, appartient à Lecomte. Daléchamp lit kiosi. Kission étant d'usage en diminutif pour kissee, je croyais pouvoir lire kissiois chrysois kai keœisi, ce qui présente mieux la lettre « de branches de lierre en or, et parfumées d'essences. » Mais je préférerais kloosi.
[84] Ou corbeilles. On a vu dans le livre précédent que mazonome signifient un piat, même très grand, et une corbeille à servir le pain.
[85] Je lis ici diachryson pour kai chryson.
[86] Texte, ehechroonto, comme le manuscrit A ; mais ekechrinto dans le manuscrit B.
[87] Je prends dans mes manuscrits ce que je mets en parenthèses. Ægius l'avait vu dans le manuscrit Farnèse.
[88] Autel destiné à brûler les parfums.
[89] Texte, choreegois. Ce mot indique ceux qui devaient pourvoir les athlètes de tout ce dont ils avaient besoin, ou ceux qui tenaient le premier rang parmi eux. Il a encore d'autres sens étrangers ici.
[90] On verra dans les Politiques d'Aristote, que dès la première jeunesse on allait disputer le prix aux jeux gymniques.
[91] Je suis les manuscrits.
[92] Robe, sans autre ouverture que celle par où il fallait passer la tête, à laquelle ressemblaient les anciennes chapes des premiers évêques chrétiens : le bas était bordé d'une frange.
[93] Je lis autou avec les manuscrits, non autaan. Quant à la métrète, je parlerai de sa capacité à l'index.
[94] Espèce de laurier. Voy. Dioscoride, liv. I. ch. 11, et M. Adanson.
[95] Pièce essentielle dans les cérémonies bacchiques ; mais Casaubon me surprend ici en lisant orpheoteletai pour persees teletai ; leçon des copistes qui n'ont pu comprendre gerras teletai. Il s'agit du phallus. Or, l'auteur ne pouvoir en parler qu'ici, comme pièce essentielle aux ithyphalles.
[96] Statue qui représentait la ville de Nisa, où Bacchus était particulièrement révéré ; mais lisez speisan pour speiran, plus bas, versant, non pas semant : faute d'édition.
[97] Je lis eileto avec mes manuscrits; mais le manuscrit B porte, en marge, eipeto, suivait.
[98] Vase particulier d'Hercule. Voyez les pierres gravées de Stosch, par Winckelmann, et liv. 11.
[99] Il faut lire ici tetoreumena, non tetorneumena, qui signifierait, faits sur un tour; faute très fréquente.
[100] Lisez kylikeia, des buffets à serrer les coupes, les gobelets : le mot kylikia signifiant de petits gobelets, induirait en erreur. La faute est dans les manuscrits.
[101] Ouvrages en bosse, ou demi-bosse.
[102] Texte, zooa. En terme de gravure ou de sculpture, ce mot animaux s'entend de toute figure d'animal, y compris même l'homme.
[103] Les manuscrits donnent tous cette leçon, et je ne puis me décider à la rejeter. Ces vases ont probablement eu leur nom de banos, petit, et oota, oreilles : ce sont donc des vases à petites anses. C'est un de ces mots qui ne se rencontrent qu'une fois dans les anciens; mais ce n'est pas une raison pour les rejeter. Combien de mots ne seraient plus grecs, si nous avions perdu Hésychius, Eudème et autres? — J'ai expliqué, liv. 4, ce qu'on entendait par engythèque, sans les superfluités de Casaubon.
[104] Tétramètre: c'est ici un angle de 90 degrés. Le carré était donc parfait.
[105] Lisez encore ici tetoreumena.
[106] Vase de terre cuite, particulièrement en usage pour boire parmi les soldats. Ils le serraient dans leur havresac ; voyez liv. 11.
[107] Je lis lemniskois avec les manuscrits et les imprimés. Casaubon veut lire liniskois avec son misérable Abréviateur qu'Eustathe copie toujours.
[108] Casaubon garde à propos le mot koolon, mais sans savoir ce qu'il signifie. C'est un animal très rapide, analogue à une brebis, et qui se voit dans les campagnes de la Neiska en Tartarie. Sur le Borysthène, on l'appelle snak, akkim, akhoïm.
[109] Les naturalistes n'ont encore pu déterminer quelle est l'espèce de cet animal ; ainsi on le prendra pour un bouc sauvage, le chamois, le bubalus même des anciens si l'on veut : c'est au moins un analogue. Quant au bubatus dont parle ensuite l'auteur, les anciens ne nous en déterminent pas assez les caractères, pour s'arrêter à leurs descriptions. M. Belin a fait quelques remarques sur l’oryx et le bubalus, dans son Oppien mais on ne peut en rien conclure : il vaut mieux avouer qu'on ne sait rien à cet égard. Aucun naturaliste ne m'éclaire ici, quoique j'en consulte un grand nombre.
[110] L'âne-cornu, à tête de cerf; animal d'Ethiopie : texte, onelaphos, leçon des manuscrits, et que les copistes ont tronquée, pour écrire simplement cerf, elaphos.
[111] Après sauvages, ou agrioon, je divise et je lis kai harmata tess. Il manque ici le nom des animaux attelés. Le Comte a lu, et quatre chars sur lesquels étaient, etc. sans lire tous.
[112] Si les pétases ou chapeaux appartiennent aux cochera, il faut lire ici syn petasois.
[113] Texte, doorophoroi. Mes manuscrits et les premières éditions s'accordent ici contre Casaubon, qui veut lire doryphoroi} comme Daléchamp, des lanciers.
[114] Il y a ici une lacune, autrement tous les mots suivants doivent être à l'accusatif, régis par epipherei. Ensuite holoi leukoi n'est pas précisément la leçon des manuscrits, ni des premières éditions. Je trouve dans le manuscrit B holoi leukoi, et dans le manuscrit A, koloileukoi d'un seul mot; mais en marge. kaiholoileukoi, ou holoikeukoi. Le Comte a lu koloi, dont il a fait kola membra, ne sachant pas deviner mieux. Les premiers imprimés portent kooloi : ce serait donc encore des snaks dont il a été parlé. Il faudrait donc traduire des snaks blancs, vingt-six bœufs des Indes. Au reste, la lacune prouve que le texte est trop altéré pour qu'on s'en écarte : tenons-nous-en aux imprimés, en attendant quelque manuscrit plus exact, si jamais il s'en trouve, et laissons les conjectures.
[115] Je lis kylikeion, buffet, ou abaque.
[116] Daléchamp lit 300 thymiatères et cinquante autels. Cette leçon me paraît vraie. Si l'on suit le texte, le nombre des autels ne sera pas exprimé : on peut donc lire, sans kai, penteehonta de boomoi. La particule kai est soulignée dans le manuscrit B comme inutile.
[117] Vases à mettre les parfums, ou matières des onctions.
[118] Casaubon est ici un pauvre interprète ; il veut que le mot vingt, ou eikosi, soit relatif aux personnes, et non le nombre des couronnes; mais il pouvait voir, sept lignes plus bas, que Ptolémée fils remporta aussi vingt couronnes, tandis que ses père et mère n'en avaient remporté que vingt-trois entre eux deux. Ces nombres prouvent donc qu'il s'agit des couronnes, et non des personnes : d'ailleurs, serait-il probable que Ptolémée, qui produit ce nombre incroyable de couronnes, eût fixé à vingt le nombre de ceux qui pourraient en remporter, parmi cette foule innombrable de personnes qui assistaient à la fête? Adam fait cette réflexion sensée ; mais il se trompe singulièrement lorsqu'il dit que des couronnes que remporta Ptolémée fils, les unes étaient sur des chars d’or, les autres suspendues à des colonnes. Ce n'est pas ici le sens de l'auteur : il veut dire que, de ces couronnes, les unes furent remportées par les chars dorés du prince, les autres par les chars attelés de mules, epide toon toon heemionoon, comme il faut lire pour epide kionoon. Ce sont sans doute les gens de ce prince qui ont remporté ces couronnes pour lui, comme ceux de son père et de sa mère, mais sur les chars qui leur appartenaient. Ces courses des mules n'ont rien de surprenant: c'est ainsi que Pausanias remporte le prix avec ses mules dans Pindare, Olym, 5, v. 15. Nous avons vu à la ligne première, p. 201 du texte grec, qu'il y avait des attelages de mules : mais Casaubon n'examine pas les choses de si près; aussi ne dit-il rien sur ce vice du texte. Je conserve donc le texte qu'il n'entend pas, et je corrige celui qu'il croyait exact, contre toute raison.
[119] Casaubon nous donne encore ici du Casaubon. Ptolémée et son épouse sont gratifiés d'un champ qu'on leur consacre à Dodone ; mais qui a dit à Casaubon que c'était pour y bâtir des temples à leur honneur? C'était un grand privilège que d'avoir un champ consacré en Grèce ; honneur qu'on ne rendait qu'aux dieux et aux héros, et qui fut à peine accordé a quelques grands hommes pour des services signalés rendus à la patrie. Certainement Callixène ne songeait pas ici à des temples : c'est donc à tort que Casaubon veut que Callixène comprenne ici les dépenses de ces temples dans les frais de cette fête. Callixène a seulement pour but de faire connaître les frais en argent déboursé, sans ce que le reste pouvait valoir en nature. Ensuite Casaubon veut ici promeetheian, pour prothymian, sans aucune autorité, parce qu'il n'entend pas l'auteur.
[120] Fleuve, ou courant d'or.
[121] Casaubon s’amuse ici à radoter avec Philon, mais il se garde bien de jeter ensuite aucun jour sur le vaisseau dont il va être parlé. Ses notes sont pitoyables.
[122] C'est ainsi que je rends tessaracontère. Le lecteur n'aura qu'une idée vague de la position des rameurs, de leurs files et du rang de rames de ce grand vaisseau, et d'autres dont les anciens nous parlent, s'il n'a pas lu la dissertation qu'Isaac Vossius a écrite à ce sujet, et qui est imprimée dans le Recueil de ses Observations, Lond. 1685, in 40; c'est l'édition que j'ai : on l'a réimprimée dans la grande collection de Grævius. Ce savant a eu l'honneur de la solution de ce problème, sur lequel les érudits ont tant disputé sans rien déterminer, malgré les monuments qui devaient les guider. Baïf a été la cause première des erreurs. Charles Etienne, qui a donné un extrait de son ouvrage, s'est trompé avec lui. Un académicien Français de nos jours, M. Leroi, homme plein d’érudition et de sagacité, développa les idées de Vossius, dans les mémoires qu'il lut aux séances de l'académie des Inscriptions, en 1770. Ses observations sont précieuses, même pour la marine actuelle : cependant il n'a pas tiré de Vossius tout l'avantage qu'il pouvait; il a même omis quelques réflexions essentielles. On consultera donc Vossius et les mémoires de l'académie des Inscriptions, t. 73, p. 432 et suiv., in 12. Ils me dispensent de tout commentaire.
[123] M. Leroi observe très bien que les dimensions que Calliyene donne de la hauteur du vaisseau de Philopator, sont encore plus indéterminées que celles de la longueur. » Cela est vrai ; mais ce n'est pas sa faute : le texte est manifestement vicié. M. Leroi le traduit même infidèlement, si l'on s'arrête à la lettre de tous les manuscrits. Il n'y a pas de sens, à moins qu'on ne suppose que N. le Comte a lu en thalassee, dans la mer, in mari) ce qui me paraît vraisemblable. Lorsque l'auteur dit jusqu'à l’acrostolion, le comprend-t-il dans cette hauteur? ou se fixe-t-il au couronnement de la proue, où commençaient ces ornements appelés acrostolions? Je crois plutôt ce dernier sentiment ; ainsi, lorsqu'il parle de la hauteur à la poupe; il faut aussi l'entendre sans compter la hauteur où l'on élevait ces ornements ; qu'on y nommait aphlastes. Assurément, lorsqu'on dit la maison a tant de haut jusqu'au toit, ou depuis le toit, ce toit n'y est pas compris : c'est donc du couronnement de la proue et de celui de la poupe qu'il faut prendre ici les mesures. Or, depuis celui de la proue il y aurait un: peu plus de quatre vingt-deux pieds de France, et à la poupe, un peu plus de quatre-vingt-dix jusqu'au niveau de la mer, en suivant le sens que M. Leroi, d'après Casaubon, donne au texte grec. Or, je demande à présent si ces mesures sont prises en piétant perpendiculairement, ou en suivant la ligne oblique que pouvait présenter le vaisseau depuis le couronnement de la proue et de la poupe jusqu’au niveau de la mer, où elle faisait un angle plus ou moins aigu avec la surface de l'eau. Dans le premier cas, je soutiens qu'il était impossible que des rames de soixante-quatre pieds quelques pouces, pussent servir aux thranites, ou rameurs supérieurs. Dans le second cas, la difficulté ne peut être résolue bien clairement. Ceux qui ont prétendu que les deux hauteurs assignées à la proue et à la poupe devaient se prendre depuis le talon de la quille, où depuis le fond du vaisseau, ne me paraissent donc pas si mal fondés, et l'on peut croire que Callixène avoir eu intention de dire epi to eschaton en tee thalassee meros. M. Leroi, qui, comme moi, a vu plusieurs ports en France et chez l'étranger, sait que les vaisseaux plats, ou presque plats, comme sont assez souvent ceux des Hollandais, tirent beaucoup moins d'eau que les vaisseaux dont le fond décrit une courbe plus rentrante : or, celui dont il s'agit était ainsi construit, puisqu'on le tirait de l'eau pour l'asseoir sur les poutres de la fosse dont il est parlé : au reste, le texte de l'auteur étant altéré, et la conjecture de Casaubon étant ici absolument nulle, je crois que M. Leroi s'est trop avancé en prenant un parti décidé sur ces dimensions. Quant à la longueur et à la largeur prise entre les rameurs supérieurs, il donne à la première quatre cents quatre-vingts pieds de France, et à la seconde soixante-quatre pieds deux pouces, en fixant la coudée égyptienne à 20 pouces six lignes et demie de notre pied ; ainsi ce vaisseau était plus grand qu'on ne l'avait cru jusqu'à lui. Mais j'ajouterai qu'il me parait que les proportions auraient été assez bien observées entre les hauteurs et la largeur, en s'arrêtant aux mesures que j'ai rapportées. Vossius observe que ce vaisseau devait tirer plus de vingt pieds d'eau, puisqu'il était plus grand que celui d'Hiéron, qu'aucun port de Sicile, ne pouvait admettre. Supposons vingt-quatre, les rames des Thranites auraient peut-être touché l'eau à la profondeur de deux pieds ; ce qui n'était pas suffisant. Supposons-les aussi longues ailleurs qu'à la proue, il en résultera que la hauteur, prise du couronnement de la proue ou de la poupe, était réellement estimée, dans Callixène, depuis le fond même du vaisseau, qui aurait eu à la première quatre-vingt-deux pieds quelques pouces, et à la seconde quatre-vingt dix. Si en outre le vaisseau tirait, supposons vingt-six pieds, alors elles pouvaient servir partout, car il n'y avait pas de rame à la poupe, celles de la proue étaient au rang supérieur, posées, latéralement sur les épotides où elles avaient leur centre de mouvement : la hauteur de ce vaisseau ne serait donc pas un problème si obscur, en expliquant l'auteur dont je n'ai traduit que la lettre. Enfin, Callixène, qui ne fait aucune distinction entre les œuvres vives et les œuvres mortes du vaisseau d'Hiéron, et qui conséquemment le suppose piété depuis le fond, sur une ligne à plomb, semble démontrer qu'il faut l'entendre de même à l'égard de celui-ci; car, je le répète, étant plat, il tirait peu d'eau proportionnément à sa grandeur : nos grands bateaux normande en font preuve. On verra dans les pierres gravées de Stosch, publiées par Winckelmann, des exemples de vaisseaux à plusieurs gouvernails.
[124] Je me sers du terme apostis, qui, en grec, se dit episcalmis. L'auteur dit eschaume, cheville qui fixe la rame, soit avec un anneau, soit avec une courroie que les Grecs appelaient tropooteer. Apostis est le bois sur lequel est le centre du mouvement de la rame : quelquefois elle passait dans un tympan vertical fixé à côté du plat-bord : un ancien navire votif en cuivre le prouve.
[125] Je rends ce qu'a peut-être voulu indiquer l'auteur, non ce qu'il dit à la lettre. Le texte est hypozoomata. Pollux, qui a recueilli beaucoup plus de mots qu'il n'en entendait, n'étant pas Grec de nation, prend ce terme comme désignant une partie du gouvernail. C'est une erreur qu'ont aperçue ses éditeurs, mais qu'ils n'ont pas corrigée. Daléchamp paraît l'avoir entendu des couples, qui forment les côtes d'un vaisseau, c'est une autre erreur. Il s'agit des préceintes, terme français, qui rend le grec à la lettre. En fortifiant le corps du vaisseau, elles marquaient les étages établis sur des galeries internes à chaque préceinte. C'est ainsi que nous disons en architecture un cours de plinthes, dont chacun marque un étage aux maisons; mais M. Leroi a mal entendu cela d'autant de ponts; c'étaient des galeries tournantes dans l'intérieur, qui, à l’exception de l'espace qu'elles occupaient, laissaient le vide nécessaire pour éviter le méphitisme, inévitable si, chaque étage avait été fermé par un pont entier. Si le calastrome, ou pont supérieur, était entier, il y avait certainement des écoutilles qui renouvelaient l'air avec les ouvertures latérales, et donnaient entrée aux différents étages des galeries.
[126] Les Egyptiens excellaient dans cet art, comme dans celui de composer des statues entières de pièces de rapport, qui en nuançaient même les couleurs naturelles.
[127] J'ai traduit dans le sens d'anholkee, puisque l'auteur dit comment le Phénicien imagina le moyen de mettre ce vaisseau à sec et hors de la mer ; autrement on traduira : De le remettre à flot, après l'en avoir retiré. On suit que les anciens ne laissaient pas continuellement leurs vaisseaux à l'eau. Corrigez ici tis epenœese, pour hoos ep., C. lin. 6, texte grec, p. 204, et D. lin. 6, to d'anoichthen, etc. Je suis les imprimés et le manuscrit A. Daléchamp et Lecomte ont lu platyteron ee : le manuscrit B porte ee platyteron ; mais le comparatif tient souvent lieu de superlatif: c'est le sens du manuscrit A.
[128] C'est la leçon de mes manuscrits, préférables au texte de l'épitomé ou de l'oracle de Casaubon.
[129] Alitenees ici, non halitenees : fond écrasé, plat.
[130] Casaubon bavarde encore ici avec son anaklasis, qu'il ne connaît pas. Imaginez chaque côté du bordage selon la courbure d'une, conchoïde, et vous aurez toute l'idée du texte. La conchoïde est la courbe que décrit le gras de jambe depuis le jarret jusqu'au-dessus du talon, et dont cette extrémité inférieure, devenue supérieure, soutenait le plat-bord.
[131] L'auteur dit périmètre, ou pourtour, contour ; mais ne régnant que de trois côtés, elles ne faisaient pas tout le contour ; ainsi je dis étendue en tournant.
[132] C'était la galerie même.
[133] Je lis ici prootee au datif (proteei), qui se rapporte à l'une des peripatoi, ou galeries précédentes : ensuite je lis prostas pour pros ex, etc. Ce mot reparaît un peu plus bas, lig. 9 du texte, même page 205, dans pros ta (hetera), mais il est entier, p. 206, lig. 3, au génitif prostados: c'est ce que l'on appelle avant-corps. Si ce bâtiment eût été sur l'un ou l'autre côté, on l'eût nommé parastas, en parlant exactement, quoique Callixène ait dit plus bas prostas en parlant du côté. Casaubon ne voit ici que de la fumée. Je lis donc proteei — etetakto prostas ex enantiou men an. Je préférerais epetetakto. Ligne suivante, je trouve peripatos een, manuscrit B; peripteros est dans le manuscrit A : peripatos désigne l'espace où l'on pouvait se promener ou marcher entre le pterôme ou mur, et les colonnes qui l'entouraient : périptère désigne ces colonnes, qui n'étaient que d'un rang simple; ici elles formaient un cercle. Voyez Philandre sur Vitruve, liv. 2, ch. 1 : ainsi l'une et l'autre leçon est admissible. Périptère a un sens plus précis; on traduirait donc, c'était un périptère, ou une colonnade circulaire, au lieu de, on pouvait en faire le tour.
[134] Si Casaubon avait mis un point après palin il aurait vu clair; cela eût mieux valu que de changer le texte d'Hésychius, qu'il ne comprenait pas, mais qu'Alberti conserve à propos.
[135] Je ne sais où Casaubon pêche ici son euæian, que je ne vois, dans aucun des textes manuscrits ou imprimés. Je sais qu'euæes est grec, mais pourquoi le substituer à un mot certain et bon? Euageia est salubrité.
[136] Casaubon veut faire ici l'homme instruit, mais en pure perte ; il n'y entend rien. Je rends tholœidees comme l'interprètent les architectes les plus renommés : voyez le Diction. d'Architec. de M. Roland de Virloys.
[137] J'étais tenté de lire ici chooma pour chrooma, si les textes avaient présenté quelque équivoque dans la lettre même, et je l'aurais entendu de la masse générale des pierres unies par des interstices en or.
[138] C'est ici le vrai sens. Adam, qui ne comprend presque pas plus tous ces détails que Casaubon, entend ici des rubis avec Agricola : l’erreur est singulière.
[139] Je m'en tiens à la lettre de tous les textes, sans admettre avec Casaubon ouk epeen ouden. S'il y avait à corriger, je lirais ouk epeen pleen diatonaia de, etc. Il est possible que pleen ait disparu après peen. Casaubon montre ici toute sa morgue magistrale, pour avoir rétabli une terminaison pluriel avec les manuscrits, et que le bon sens indique sans aucune autre autorité ; mais par diatonaia, il faut entendre et les cercles et les supports qui soutenaient les cercles. En effet, ce mot a ce sens dans le dialecte alexandrin des Septante. Au reste, je lis ici, p. 206 du grec, liv. 2, anepetan., non enepetan., ensuite meta de touto, aithrion, etc. : corrigez après teen krypteen dans le texte.
[140] Ce passage est remarquable pour l'architecture. On voit donc un genre chez les Egyptiens, et même très beau. J'ose assurer que c'est des Égyptiens que les Grecs ont appris leur architecture : n'ayant pas de lotus, ils y ont suppléé par les feuilles d'acanthe, et ont aussi changé la forme des chapiteaux. Il est évident que les Égyptiens ont pris la forme de leur colonne du lotus. On en peut voir une esquisse dans une des gravures que M. Knight a jointes à son culte de Priape. J'ai rendu l'auteur avec la plus grande précision.
[141] Corrigez dans le texte grec autees hebdom.
[142] Hélépole, ou machine à prendre les villes. Le lecteur voudra bien lire ce qu'a dit, sur cette machine, M. Joly de Maizeroy, art. des Sièges, p. 336, art. iv. Il devait au moins dire, p. 245, que Démétrius Poliorcète n'en était pas l'inventeur.
[143] Casaubon est ici maladroit : lisez eis hyleen men, xyloosin ek, etc. On voit comment les copistes ont fait xyloon : la faute est dans tous les anciens textes. Xyloosis, vraie leçon, signifie provision de bois.
[144] Ou rassembla, réunit : texte, syneegage, qui est a la fin de la phrase avant kai. Il faut effacer de qui le suit, ou il n'y a plus de sens. Je lis donc syneegage ; kai naup. Si l'on garde syneegage de kai, il faut le supposer encore après Sikelias. Quant à leukaia, Casaubon se trompe. S'il avait lu Hésychius, il aurait vu que ce mot indique ici du sparte, et non de l'écorce de peuplier.
[145] Que signifie kitton? Gesner lit pittan, de la poix ; mais il est facile de changer. Kittos indique le lierre en général; mais il y en a de diverses espèces. L'auteur indique plus loin qu'il s'agit du lierre blanc. Ptolémée, par un de ces caprices ordinaires aux princes, voulut avoir de ce lierre du Rhône pour les berceaux dont il est parlé : ainsi je crois qu'on doit garder ici kitton, puisqu'on peut en voir l'usage. Il est aussi parlé de poix ; mais notre texte n'en dit rien dans ce passage : ne changeons pas.
[146] Casaubon nous écrase ici de citations, pour prouver que sooma signifie esclave. Les Lexiques, entre autres Baduell, l'avaient bien fait entendre avant lui ; ainsi ses preuves étaient fort inutiles : mais un père appelait aussi ses enfants soomata. En outre, sooma se prend aussi pour une personne. Si quelques personnes étaient dans le cas de bien seconder les vues d'Archimède, c'étaient sans doute les ouvriers qui travaillaient à la construction. Pourquoi donc l'esprit gauche de Casaubon veut-il préférer ici des esclaves? Il voulait montrer que sooma désigne un esclave. Quelle pitié!
[147] Entendez ici des boulons de fer. Casaubon fait ici un docte commentaire à sa mode: il voulait citer Vitruve, et en fait l'application la plus gauche, sans rien expliquer. Il s'est bien gardé de dire un mot de parodos, en nous écrasant de réflexions nauséabondes.
Parodos suppose aussi een, erat, mais il faut ensuite lire echousa rapporté à naus, pour echoon ; Casaubon n'a pas aperçu le vice. Quant à parodos, il signifie, à la lettre, passage, chemin, et en terme de marine, sur nos galères, coursier.
[148] C'est le sens que Daléchamp donne à thalamous de treis eiche triclinous, et je n'en vois pas de meilleur, mais sans le croire vrai.
[149] Je lis ta’uta, non tauta.
[150] Le manuscrit A complète ici le texte : molybdainoon katestegnoomenoon : lisez molybdidoon katestegnoomenais, ce qui sera plus exact. En outre, pourquoi Casaubon veut-il retrancher ee après keramidoon, qui peut très bien être pris pour substantif? Je sais qu'il est parlé plus haut de molybdainai keramides, mais l'un n'est pas l'interprétation de l'autre, puisque le texte porte, sans variation, la distinction ee, malgré la pitoyable logique de Casaubon. N'est-ce pas une singulière inadvertance que de ne pas vouloir admettre des bordures de terre cuite, et comparer en même temps ces planches de fleurs et ces jardins à ceux d'Adonis, qu'on portait dans des vases de terre cuite? Telle est la logique de ce docteur. Il cherche ensuite querelle à Daléchamp, qui a mieux entendu le texte que lui, et l'a très bien rendu ; mais Ruffin a aussi sa dose en passant.
[151] Texte, polos: c'est ici le vrai sens. Ces cadrans furent ainsi nommés de la hauteur du pôle ou de la latitude qu'il fallait prendre pour les faire. Héliotrope est un cadran dont l'aiguille marque, par son ombre, le tour qu'est supposé faire le soleil. Achradine était une des quatre parties de la ville de Syracuse. J'évaluerai toutes les mesures à l'index.
[152] Le sens indéterminé de ce mot me l'a fait conserver. Il ne peut avoir ici que l'un ou l'autre de ces deux sens, 1°. tout militaire non compris parmi les gens de mer quelconques ; 2°. ceux qui étaient de quart, ou de garde, tour à tour, pour le service et les manœuvres : d'autres le prendront peut-être pour les passagers qui se trouvaient sur ce vaisseau. Je pense ici autrement : au reste, on prendra le sens qu'on voudra.
[153] Corrigez dans le texte kleistoon pour pleistoon
[154] Texte, ektos : c'est la leçon de tous les textes actuels, manuscrits et imprimés. Eustathe lit entos intérieurement; ce serait alors pour soutenir les baux qui portaient la charge supérieure de tout ce dont il est parlé; mais je préfère la leçon de nos textes. Ces supports soutenaient tout ce qu'on avait établi ou placé sur ces saillies externes. L'auteur avait probablement écrit ektos kai entos, dehors et dedans ; selon l'usage, je le croirais volontiers. On peut aussi traduire Atlas pour Consoles, au lieu de Cariathides.
[155] Voyez sur le triglyphe, Philandre, Vitruve, liv. 4, ch. 1, p. 128; et sur son origine, M. Carli, Lettres Améric., dans celle où il parle des anciens peuples de l'Italie.
[156] Casaubon devait lire ici parededmeento, non parededento, quoique ce mot-ci soit le texte actuel. Ensuite keraiai sont des saillies.
[157] Je ne m'arrête pas au rêve de Casaubon, qui veut corriger ici un texte exact, faute de le comprendre.
[158] Il faut lire ici hekateron toon toichoon eballen, etc. comme plus bas, hekateroo de toon toichoon. En effet, que veut dire hekateron toon beloon eballen? Il faudrait supposer qu'il n'y avait que deux traits, ensuite prendre eballen comme verbe neutre, dans le sens de porter : l'un et l'autre des traits portait, ce qui est absurde ici. Une correction un peu plus hardie serait peut-être plus exacte : hekateros de toon lithoboloon eballen, car il y en avait un de chaque côté du vaisseau, comme le texte le fait entendre : au reste, j'ai fait sentir l'un et l'autre en traduisant. Casaubon passe ici sans rien dire. Louons-le cependant d'une correction heureuse qu'il doit à Ægius : pararteemata, pour paratreemata, que Daléchamp avait expliqué en suivant, sans doute, Philandre sur Vitruve, liv. 10, ch. 17, mais mal à propos ici.
[159] Pour amortir le coup des pierres ou des globes de fer, de plomb, que pouvait lancer l’ennemi. Il est important de lire sur ces machines et leurs effets, les détails instructifs de M. Joly de Maizeroy, art. des Sièges.
[160] Ce passage mérite attention. Doit-on entendre ce mot première de.la seule hune du grand mât supposé d'une seule pièce, ou de la hune du grand mât de hune, qui est la seconde pièce du grand mât, etc. en supposant les mâts de ce vaisseau composés de plusieurs pièces, qui s'inséraient au chouquet, comme dans nos vaisseaux? Il paraît cependant que le grand mât de ce vaisseau était d'un seul brin : il n'y avait donc que trois hunes. Je crois ce sentiment incontestable, surtout d'après les anciens monuments, et ce que l'auteur dit ci-après. Néanmoins, les anciens tendaient une seconde toile au haut du grand hunier, parce qu'ils ne plaçaient pas la hune si près du bout du grand mât. Cette partie éminente, qu'ils appelaient le fuseau, leur tenait lieu de grand mât de hune, et ainsi des autres mâts. Cette voile se nommait, chez eux, thoorakion, mot sur lequel on a disputé fort inutilement. Voyez liv. XI, au mot carchesium pris pour un vase.
[161] Le texte porte Brettania pour Brettia. Je me rappelle la même erreur dans les histoires d'Apollonius, p. 107, édit. Xylandr. Scutinus de Chio avait écrit Brettian, un copiste en fit Brettanian, et le troisième écrivit Brettanikeen neeson, pour expliquer le mot. Il vit donc en Angleterre des olives sans noyaux, des raisins sans pépins, qu'Apollonius plaçait dans l'Abruzzes.
[162] Je suis la marge du manuscrit B, où je trouve meth’ hon, qui est exact.
[163] Texte de Casaubon, kreoon : mes manuscrits et les premières éditions portent ereoon, mot qui semblerait indiquer eireoon, de laines. Les bêtes à laine de Sicile rendaient beaucoup de laine, et elles étaient très nombreuses.
[164] Je suis la leçon de l'abrégé, ou djnatoi. Enfin, me voici arrivé à la fin de ce précieux morceau, qui n'avait pas encore été bien compris. Si j'ai jamais connu le travail, j'ose assurer que c'est en le traduisant.
[165] C'est le sens de la vraie leçon, epoomis; l'endroit même où se mettait cette inscription se nommait l’œil de la proue. Casaubon, qui n'entend pas ce mot, veut mal à propos epootis, qui ferait un sens absurde.
[166] Je lis ici karpoon, avec le manuscrit A et l'épitomé. Au reste, il faut l’abondance stérile de Casaubon pour écrire une grande page in folio sur ces vers, où rien n'est obscur.
[167] Comme Homère, Iliade 2.
[168] Mes manuscrits portent prosbaloûnta pour probai.
[169] J'ai déjà expliqué ces engythèques, ou tablettes, nommées servantes.
[170] Je lis alla d'eti meg.
[171] A la lettre, ce mot signifie support de coupes ou gobelets, mais voyez Hérodote, liv. i, ch. 25.
[172] Je lis kai après phytaria3 comme le sens l'exige. L'auteur veut dire, qu'outre tout l'appareil mentionné, on pouvait encore, etc.
[173] Est-ce Antiochus Sidetès, fils de Démétrius Soter, ou Antiochus Grypus, fils, de Démétrius Nicanor et de Cléopâtre? Cette demande d'Adam n'est pas déplacée. Le lecteur plus éclairé que moi cherchera la réponse. Casaubon n'a même pas songé à la difficulté.
[174] Cf. liv. 12, ch. 10, p. 640, pour tout ce passage.
[175] Cet andromeekesi figure aussi mal ici qu'au liv. 12.
[176] Le texte nous présente ici un instrument nommé chelidone, mais plus exactement chelonidon, au liv. 12. Casaubon, qui rappelle la vraie leçon, ne l'explique pas. En conservant chelidone, on aurait un terme qui, généralement, signifierait des chants barbares, sans mesure et sans règle. Voyez Scott, Proveb., p. 571 ; mais chelonidon serait ici un mot composé, Phénicien ou Syrien, dont la langue arabe donnerait l'explication. Chelon indique un instrument à plusieurs courbures, et idon marque qu'il est du genre des instruments à vents. Ce serait donc une espèce de serpent analogue à ceux de nos églises. Voyez Simon, lexique hébreu, au mot choul, et houd par aïn, Leipzig, 1771, in 8° : on voit alors la raison de ce grand bruit. Si l'on prend le mot chelon de chal, qui indique la force, ce sera une grande flûte, ou plutôt une espèce de trompe. Voilà mes conjectures.
Du reste, il n'y a rien à changer dans ce passage, que Casaubon flagelle mal-à-propos.
[177] Alexandre Balas, lié d'amitié avec Jonathas, frère de Judas Macchabée. Maccab. I, ch. 10. Adam.
[178] Cet ouvrage de notre Athénée est perdu.
[179] Il faut lire ici basileoos— chairontos, ou too basilei — chaironti. Cependant je soupçonne une autre erreur. Je mettrais un point après basileoos, et je lirais chairoon ti} leçon indiquée par chaironti, qui est constant dans tous les textes; ainsi ce serait chairoon ti, epol., etc. Alexandre, quoiqu'un peu attaché aux — ou goûtant un peu les dogmes des Stoïciens, lui marquait donc beaucoup, etc. — Je crois être ici près de la vérité.
[180] Celui qui fut surnommé Theos, ou Dieu. Adam.
[181] Il faut supposer ici pais, enfant.
[182] Pour prendre celui de Mithridate.
[183] Les Athéniens : c'est une ironie contre eux.
[184] Daléchamp traduit en supposant neooterou. Je lis tinos neou, B.
[185] Corrigez andriasi, dans le texte.
[186] L'auteur n'aurait-il pas écrit therapeuontes? Des gens qui lui faisaient la cour.
[187] Je conserve prosodos, leçon vraie et constante, autorisée par tous les bons écrivains. Proodos est un rêve de Casaubon. Rangeons-le arec nombre d'autres que je passe.
[188] C'est-à-dire, les étrangers à qui Rome avait accordé le droit de bourgeoisie.
[189] Les manteaux.
[190] Pour délibérer, ou pour l'élection des magistrats. Harpocration dit que ce Heu fut ainsi nommé, parce qu'on y était à l'étroit : mais Ulpien sur Démosthène, dit que cet endroit fut nommé pnyx, parce.que le peuple s'y assemblait souvent ; pyknoos : de falsa legat., p. 114, édit. Wolff. 1607. Je crois ces deux étymologies également fausses ; mais je ne connais pas la vraie. On s'assemblait aussi dans le dionysium, ou temple de Bacchus.
[191] Casaubon entend ici Cérès et Proserpine. On a cru aussi pouvoir appliquer ce mot à Castor et Pollux. Le premier sentiment est plus vrai.
[192] Le manuscrit B porte authis pour autois.
[193] C'est ce que Démosthène dit d’Eschine, de fals. legat., quatre pages avant la fin du discours. Il est étonnant que Kuster n'ait pas conféré ici Démosthène. Il s'agit de Pythoclès, fils de Pythodore, ibid. p. 229. Ce Pythoclès était d'intelligence avec Philippe depuis qu'il en avait été bien reçu, et marquait le plus grand mépris pour les Athéniens, particulièrement pour Démosthène, qui reprochait à Eschine d'avoir la même fierté et les mêmes sentiments contre l'État. Voyez Démosth., ib. p. 242, et Scott., Prov. græc, p. 508. Le mot isa marque donc et la fierté d'Athénion et ses sentiments perfides ; ce qui fut bientôt connu. Casaubon aurait mieux fait de se taire. Plus bas, lettre F, lig. 4, le manuscrit A porte hypolaboon ponctué, et en marge, hypobaloon.
[194] Je lis ici tyrannon auton ho philosophos katesteesato, toon Pythagorikoon anadeixas dogmata peri, etc. Ensuite alla kai Hermippos. — Plus loin, eutheoos houtos kai tous, etc. — Voici les leçons qui m'autorisent : anadeixas n'est qu'une fois dans le manuscrit B, et il est certain qu'il ne peut être ici deux fois. Ensuite je trouve kai to dans le manuscrit A, avant toon Pyth., et j'en forme katesteesato, qui est indispensable ici. Le manuscrit B me présente dogmata pour dogma, et il est préférable, comme on le sent. — Je vois, devant Hermippos, kai dans le manuscrit A, et alla dans le manuscrit B, ce qui donne alla kai dans un sens affirmatif.
[195] M. Meiner, professeur à Göttingen, a bien prouvé qu'on ne doit pas croire ce que Théopompe a dit de Pythagore : « Cet écrivain, dit-il, admiré comme historien, et pour son habileté à peindre les hommes, n'a cependant parlé des plus célèbres personnages qu'avec envie, et en critique partial. On lui a reproché d'être plagiaire, d'avoir rapporté des contes puérils, et des fables qu'il avait imaginées. » Voyez ses preuves dans son histoire de l'origine, des progrès et de la décadence des sciences en Grèce et à Rome, t. I, p. 292, in 8°., 1781, à Lemgo. Il est étonnant que cet excellent ouvrage ne soit pas encore publié en français. Quant à Hermippus, M. Meiner prouve que c'était l'homme le plus faux qui eût jamais écrit, et réfute solidement ce qu'en a dit Joseph. Voyez ibid. p. 228; ainsi cette censure d'Athénée tombe d'elle-même : mais Athénée veut s'amuser ici, comme dans tout ce qui suit, sur les philosophes.
[196] Je lis ici après autous : kai kata tas pylas triakonta katasteesas phylakas out’ eisienai, etc. : effacez eph’ hekastees, glose marginale de kata tas p. On peut cependant la laisser, à la rigueur, entre deux virgules, après pylas : elle ne trouble pas le sens.
[197] Exagération singulière, si le texte est exact, ou entendez de grands vases.
[198] Voyez ici Jungermann sur Magius, de equuleo. J'ai déjà parlé du sens d’apotympanizein.
[199] Je lis en Deeloo. Il ne s'agit pas de ce qu'on devait envoyer à Délos, mais de ce qui y était. La lecture de Taylor ne nuira pas ici : Marmor. sandwic.
[200] Je lis ici diairesis avec les manuscrits, au lieu de dee airesis ; c'est la vraie leçon. Ce mot désigne tant la même doctrine que la même disposition à ruiner l'état : cependant c'est un terme plus particulier aux Stoïciens, dans le sens de doctrine.
[201] Je ne sais à quoi pensait Casaubon en voulant lire ici epilatlhomenos, contre tous les textes. Athénion ne s'en souvenait que trop bien, puisqu'il réduisait les Athéniens à une vie si chétive.
[202] Texte, boomon. Ce mot signifie plutôt ici les pierres élevées, Formant un gradin qui était en avant du trophée ; peut-être même ce trophée ne fut-il que de pierres. Voyez Spanheim, au sujet des trophées, Cœs. Julian. Il en présente différentes formes.
[203] A la lettre, celui qui porte des couronnes.
[204] Texte, himatiou; ce mot m'est suspect : je laisse à juger si l'auteur n'aurait pas écrit hierateiou, mot qui désigne le sacerdoce.
[205] C'est celle que les Perses appelaient saragees, comme le portent les manuscrits de Pollux présentant aussi sarapis, mais Hutchinson observe que Reland veut qu'on lise saragees dans sa dissertation sur l'ancienne langue perse. Cyropœd., liv. 8, p. 461 : les commentateurs de Pollux, l. 7, n° 61, veulent sarapis, Reland est plus croyable ; mais le vrai sens de mesoleucos est ce qui a peu intéressé ces interprètes : c'était un tissu moitié blanc, moitié pourpre, et, par là, distingué du candys, qui était totalement pourpre holoporphyros. Athénée rappelle le sarapia, liv. 12, ch. 5; mais je suis Reland, dont l'autorité l'emporte sur les Grecs. Il faut y lire saragees. Il n'était permis qu'aux rois de porter une robe de ce tissu mixte, selon Xénophon, l. c.
[206] On voit ici avec peine la sortie que fait Athénée contre Socrate et Platon. Casaubon l'a bien réfuté à tous égards; ainsi je ne m'y arrêterai pas. Outre le manque de jugement, il y a de la mauvaise foi dans Athénée, lorsqu'il nie des faits assurés positivement par d'autres que par Platon. Il mérite donc aussi peu d'être cru à ce sujet, qu'en ce qu'il a dit contre les Pythagoriciens, comme je l'ai observé.
[207] La difficulté que fait l'auteur, est fondée sur ce que ces citoyens avaient du s'armer de toutes pièces à leurs frais : or, dit-il, Socrate n'avait que, etc. comment pouvait-il donc être opliiees, ou miles gravis armaturœ? On répond que les magasins ou arsenaux fournissaient des armes aux citoyens qui ne pouvaient pas s'en procurer.
[208] De deux chevaux que Tisias prétendait lui avoir été pris par Alcibiade: Voyez Isocrate, t. 2, édit. Battic. Lond. 1749, infiniment préférable à la dernière de Paris; au moins le texte n'y est pas souvent falsifié, ou châtié mal propos.
[209] Thucydide, qui rapporte cette défaite, nomme les Athéniens en général. Socrate y étant, a donc fui comme les autres ; édit. f>. Porti, 1594, liv. 4, p. 317.
[210] Athénée, qui pille souvent Plutarque, ne pouvait ignorer ce que dit celui-ci dans la vie d'Alcibiade, édit. Rualdi, p. 194 et suiv.
[211] Plaisanterie contre Platon, qui, selon Athénée, manque ici de mémoire; mais c'est Athénée lui-même qui en manque singulièrement.
[212] Athénée devait ajouter, et tu n’as jamais été ailleurs, sinon pour porter les armes, strateusomenos : c'est au moins le texte actuel de Platon dans son Criton. Athénée supprime donc ceci mal à propos ; car on ne peut présumer que cela ne fut pas de son temps dans les textes de Platon. Voyez Platon, édit. Basil., 1534, p. 21.
[213] Antisthène était chef de la secte des Cyniques ; c'est pourquoi il le nomme chien.
[214] Athénée est d'autant plus blâmable ici, qu'il pouvait corriger le récit d'Antisthène par celui de Plutarque, qui place le combat de Délion contre les Béotiens dans le véritable ordre chronologique ; tauta hysteron eprachtihee, dit-il. On peut même présumer qu'un copiste aura écrit dans Antisthène, pros tous Boiootous, pour p. t. Potidaiatas, sans présumer qu'Antisthène commit lui-même cette erreur. Il était trop près des événements pour en ignorer les époques : au reste, Plutarque nous apprend que Socrate se trouva dans deux actions. A la première, il sauva Alcibiade ; à la seconde, Alcibiade lui rendit la pareille.
[215] Passons cette assertion à notre auteur : on voit qu'il est mal fondé, ou plutôt dans l'erreur.
[216] Je lis paronta, auton non heauton. On voit alors comment au a disparu après a précédent dans paronta ton. J'ai déjà dit que les bons manuscrits des anciens Attiques portent auton, lorsqu'il s'agit de la personne même, non hauton, encore moins heauton. C'est ainsi que le texte de Xénophon porte exactement dialechtheenai autoo, secum colloqueretur, selon la version exacte de Hutchinson, p. 468, lig. 13, et p. 462, lig. ultim. pros auton erein, dans le sens de sibi ipsi : se. Socrate dit ainsi: epelanthanomeen auton, je m'oubliai moi-même, au commencement du Protagoras de Platon. Il faut lire de même, lig. 3, p. 463 de Xénophon, pros auton, non hauton. On a encore rendu la faute plus grave en lisant hoi hautoo au datif, comme je le vois dam un vers d'Hésiode, cité par Apostolius: Proverb. cent. 20, n°13, p. 253 : il fàllait hoi autoo. Xénophon et Platon présentent des preuves sans nombre de ce que je dis. — L'usage a autorisé hautou dans le sens relatif, comme dans cet exemple, anepsion hautou, Gorgias, p. 156, édit. Routh. 1784, son propre cousin. Les âges postérieurs ont dit ici heautou.
[217] Je laisse de côté toute discussion chronologique. Athénée a bien mauvaise grâce de prendre pour une réalité une fiction de Xénophon, qui s'amuse d'un roman. Je laisse à Casaubon ses doctes loisirs, mais fort mal employés ici à prouver ce à quoi Xénophon ne pensait même pas. Il ne faut que du vraisemblable, avec un peu de merveilleux, dans un roman : au reste, cette diatribe d'Athénée est des plus mauvaises, quoi qu'utile à l'histoire.
[218] Je lis ici syneegmenon, avec le manuscrit A. Le texte imprimé porte comme le manuscrit B, aneegmeenon. Ce terme-ci est, selon moi, plus vrai dans ce passage : il est de l'idiome alexandrin. Les Septantes ont dit anagein synagoogeen, en pariant des Juifs que Moïse avait rassemblés dans le désert. Les premières éditions de notre texte portent aneegmenon.
[219] On ne doit regarder le Banquet de Platon que comme un vrai roman, où toute fiction était permise. A cet égard, Athénée a raison ; ainsi toutes les objections tombent d'elles-mêmes.
[220] Il faut rectifier et compléter notre texte par celui de Platon même; car il diffère beaucoup. Athénée, ou cite de mémoire, ou n'avait un exemplaire que des premières éditions de Platon : au reste, ce philosophe s'amuse sans avoir égard à la chronologie. Je lis ici egoo ge dee.
[221] Casaubon fait ici une longue note pour changer le texte, et prouver qu'il ne l'entend pas. Agraphoos est ici dans le sens d'agraphon, et de même eskemmenoos pour eskemmenon. Athénée voulant réfuter Platon, le rappelle à des faits consignés dans l'histoire, et déjà bien examinés par les écrivains. Rien de plus clair, et en même temps de plus avantageux pour combattre Platon, selon l’auteur. Akairoos est donc ici une grande absurdité de la part de Casaubon. Il est même plus que probable qu'il s'agit de faits consignés dans les écrits de Platon, et avec réflexion ; car il le rappelle à ce qu'il a dit dans son Gorgias, p. 155. Voyez, sur cet Archélaüs, la note érudite de M. Routh, p. 404 de son Gorgias.
[222] C'est ici Acanthe du mont Athos. Adam.
[223] L'histoire démontre ici l’altération du texte de notre auteur. Il faut lire : « Époque de la mort d'Alexandre, auquel succéda Perdiccas. Celui-ci régna vingt-trois ans, et mourut pendant l'archontat de Callias : il eut pour successeur Archélaüs. » Voyez la note de M. Routh, sur le règne d'Archélaüs.
[224] Socrate était ce jour-là Épistate ou président de sa tribu, qui gérait alors, à son tour, les fonctions de Prytanée, ou prytaneuousa. Il faut lire ici l'observation de M. Routh, p. 415 de son Gorgias, sur l'ordre de ces fonctions publiques, et le refus que Socrate fit de prononcer. Conférez l'apologie de Socrate, édit. Forster, Oxon. 1752., n° 20; et la note, p. 348. Je ne puis qu'indiquer, et non commenter.
[225] Je suis le manuscrit A, qui porte touto ho Soocratees, ou mallon ee kata, etc. Casaubon, d'après Daléchamp, lit ou di agnoian, epoiei, mallon de, etc., ce qui est vraiment de sa forge. Pour moi, je garde le texte, ajoutant seulement ee, qui rend le vrai sens. Cet idiotisme ou mallon ee, est très ordinaire. La phrase elliptique s'entend facilement, sans y ajouter epoiei, inconnu dans tous les textes, et avec raison. Quant au mot edynameen de notre texte, c'est le sens dans lequel on doit prendre epistameen dans Platon. Il ne s'agit donc pas d'ignorance dont Athénée veuille défendre Socrate. M. Routh devait faire cette observation d'après l'erreur de Casaubon.
[226] J'ajoute ceci selon l'idée d'Athénée, comme il a dit ci-devant para tous chronous hamartanei; mais il ne faut que le supposer pour lier le discours. Du reste, le texte est exact sans l'addition de Casaubon. Athénée propose la question qu'il va discuter.
[227] Si Athénée avait réfléchi que ce dialogue est, comme plusieurs autres, une critique très sérieuse, il aurait vu que Platon n’intervertissait pas sans avoir des raisons, l'ordre chronologique.
[228] Apologie de Socrate, n° 5.
[229] Casaubon développe ici toute sa morgue par une exclamation à laquelle je n'ai pu m'empêcher de rire. O critica! critica! quam aspe-rnanda sæpe proferunt qui te contemnunt! C'est cependant ici que Casaubon donne du nez en terre plus lourdement qu'ailleurs. Le texte est exact; il s'agit de savoir le lire. Au lieu de Xenophoonti, lisez Xenophoon ti, et vous sentirez qu'Athénée ne dit pas que Platon ne s'accorde point avec Xénophon, mais que c'est Xénophon qui dit quelque chose en quoi il ne s'accorde pas avec Platon; car il s'agit ici uniquement de la lettre du texte. On traduirait mot à mot, en latin, atque his minime congruens Xenophon aliquid dicit, savoir, que Chœréphon., etc. Xénoph. Apolog. Socrat., n° 14, édit. Simpson. Oxon. 1749 : voyez aussi la note. — Il est donc prouvé que la critique a été ici abandonnée de Casaubon, et qu'il ne faut pas ajouter hos, inconnu dans les anciens textes. Quelle pitié que cette jactance!
Ensuite lisez, comme dans Xénophon, polloon parontoon. Le mot précédent, Apolloon, a fait disparaître polloon sous la plume des copistes. Au reste, ce célèbre oracle d'Apollon, concernant Socrate, a été rappelé par nombre d'écrivains. Voyez Forster, sur l’apologie de Socrate, par Platon, page 339.
J'observe qu'Athénée cite ici Xénophon de mémoire, car son texte est différent. On lit dans Xénophon, eleuthexiooteron, dikaioteron, soophronesteron.
[230] Casaubon veut encore ici deux fois ei interrogatif. C'est une addition inutile, et inconnue dans les manuscrits, quoique ce mot se trouve avant Socrate.
[231] Texte, epirrhapizei, soufflette.
[232] Aspasie est une femme trop célèbre dans l'histoire de la Grèce, pour ne pas en parler ici. Je laisserai à Bayle les traits libres qu'il a réunis, au sujet de cette femme, dans son article de Périclès, et je noterai seulement l'influence qu'elle eut de son temps sur les mœurs : faisons parler M. Gillies même. Après quelques observations générales sur les courtisanes d'Athènes, voici ce qu'il dit d'Aspasie.
« Mais la réputation de toutes ces beautés mercenaires, quoique célébrée hautement par les poètes et les historiens du temps, fut éclipsée par la splendeur d'Aspasie de Milet, qui s'établit à Athènes sous l'administration de Périclès, et qui s'était embarquée, dit-on, sur la flotte avec laquelle cet heureux commandant subjugua l'île opulente de Samos. Le caractère personnel d'Aspasie donna, pour un temps, de l'éclat à une profession qui devait naturellement tomber dans le mépris, quoique exaltée par les caprices de la superstition, puisque les écrivains Grecs reconnaissent que ce fut plutôt à son esprit qu'à sa beauté, et au talent de la faire valoir, qu'elle dut la considération extraordinaire dont elle jouit parmi toutes les classes de la république. L'esprit des Athéniens, susceptible de tout ce qui le frappait, était enchanté de voir les grâces naissantes du sexe embellies par l'éducation, tandis que l'absurdité de leurs institutions s'opposait à cette nouveauté. On dit qu'Aspasie avait pris un puissant ascendant sur Périclès lui-même : elle en obtint certainement la protection et l'amitié ; ce qui est moins singulier que de voir Socrate rechercher la société de cette courtisane. — L'exemple d'Aspasie et ses leçons formèrent à Athènes une école dans laquelle sa dangereuse profession était réduite en système. Ses compagnes servaient de modèles à la peinture et à la sculpture, et de sujets à la poésie et au panégyrique. — La parure, la tournure lascive et voluptueuse, et les artifices de cette classe de femmes devinrent de plus en plus séduisants et dangereux; et Athènes, dès lors, fut la première école du plaisir et du vice, comme de la littérature et de la philosophie. Hist. de l’anc. Grèce, t. 2, p. 513 et suiv. »
[233] Texte, katochoio. Casaubon prend ce mot comme adjectif de mousees; mais il est ici substantif, et marque l'état de celui qui est rempli d'enthousiasme, inspiré par une divinité quelconque, obsédé d'un démon, etc. etc. : telle est la Sibylle dans Virgile : de sorte que l'âme n'a plus le libre exercice de ses facultés. C'est de cet état que les médecins ont nommé katochos cette terrible maladie qui laisse tous les membres de l'homme dans La position où ils étaient lorsque toutes les facultés intellectuelles et corporelles ont été subitement interceptées. L'homme a les yeux ouverts, mais sans voir ; il ne connaît plus, n'entend plus, tant que cet état dure, et souvent ce ne sont que quelques gouttes de sang qui produisent ces terribles effets, si même elles ne tuent pas le malade subitement.
Le lecteur me permettra un point de repos en approchant de la fin de ce livre. Voici un fait qui mérite d'être connu de tous les hommes : j’ai moi-même cru rêver à la première lecture que j'en ai faite. Cet exemple d'un catochus, aussi singulier qu'effrayant, consigné en suédois dans les mémoires de Stockholm, est perdu par conséquent pour nous : je vais l'extraire, citant même l'original aux endroits les plus remarquables; car à peine le croirait-on, s'il n'avait le sceau d'une aussi savante académie. Trimestre d'octobre 1784, p. 315. C'est M. Arvid Faxe qui parle.
— Oluf Olufson, paysan du village de Skarup, paroisse de Rænneby, province de Blekinge, actuellement âgé de 41 ans, avait été matelot dans sa jeunesse : il était d'une forte constitution, et avait été près de périr dans un naufrage. Il fut pris d'une fièvre en juin 1771 : elle se déclara par des douleurs dans le corps, beaucoup de chaleurs très fortes, et un violent mal de tête. Dans cet état, il perdit d'abord la parole, et presque aussitôt tous les sens internes et externes (voilà le catochus). Environ un mois après, la fièvre et les chaleurs paraissaient avoir cessé ; mais il avait si fort maigri pendant cette maladie, qu'à peine lui apercevait-on une fibre charnue. Son corps ressemblait absolument à un squelette recouvert d'une peau. Il demeura couché constamment sur le dos, et immobile, ayant les mains sur la poitrine, les jambes tendues, et presque toujours les yeux fermés. Il passa onze ans dans cet état, ou jusqu'à l'été de 1782. Excepté un peu de lait qu'on lui insinuait, et quelquefois une cuillerée de vin, ou de bonne eau-de-vie, et en même temps une prise de tabac, il ne prit absolument aucune nourriture. On ne se rappelle pas qu'il ait jamais eu envie de manger. — Il passait même quatre et huit jours sans prendre de lait. Comme il n'avait ni chair, ni graisse, cette position constante ne pouvait lui causer d'ulcères au dos.
Son frère Anders Olufson, eut de lui tous les soins d'un brave frère, et lui marqua, pendant ces longues années, la plus tendre amitié cherchant tous les moyens de le rétablir, consultant les vieillards, hommes ou femmes, qui avaient le plus d'expérience. On lui conseilla enfin de faire bouillir quelques plantes. Il lui en fit aussitôt des fomentations à la tête, et les réitéra souvent. Oluf sembla recouvrer quelque sentiment, reprendre un peu de force, et se refaire peu-à-peu ; mais il ne donnait aucun signe de connaissance, ni de raison. Il paraissait comme fort inquiet, et avait de grandes frayeurs à la présence d'une personne quelconque.
Cet état dura longtemps avant qu'il voulût se laisser apercevoir descendant de son lit; c'est pourquoi il ne le faisait que la nuit, ou lorsque l'on était aux champs : alors il ce traînait pour aller prendre un peu de lait ; mais souvent l'arrivée imprévue de quelqu'un le saisissait d'effroi, et il restait étendu par terre, de sorte qu'on était obligé de le relever. Son frère prit enfin le parti de lui faire quitter son séjour ordinaire, l'emmena avec lui allant dehors, lui donna un peu d'autre nourriture (quoique le lait lui plût davantage), y ajoutant quelques substances fortifiantes, lui baigna la tête avec de l'eau froide, d'une source à quelque distancé du clos. Quoique le malade eût recouvré l'ouïe et le sentiment, il était encore extrêmement faible et décharné, ne pouvait parler, ne montrait presque aucun indice de raison; cependant l'habitude le mettait en état d'aller chercher lui-même de l'eau à la fontaine, pour se baigner la tête.
« Il s'était déjà passé douze ans depuis le commencement de sa maladie, et l'on fut bien étonné de lui voir recouvrer tout-à-coup l'usage de toutes ses facultés physiques. »
C'est ce qui arriva le 8 août 1783, lorsqu'il revenait de puiser de l'eau à la source, selon sa coutume, et entra dans la chambre où il l'apporta en présence de son frère, de ses deux sœurs et des domestiques, comme on s'habillait pour aller à l'église. Il fut alors pris tout à coup de frissonnements, de tremblements aux bras et aux jambes, et dit, d'une voix précipitée : « Seigneur Dieu! cela est bien étonnant! où ai-je donc été si longtemps? »
« Sur le champ il s'ouvrit de soi-même une veine au sommet de la tête, et il en sortit à peu près six gouttes de sang ; une autre veine s'ouvrit dans le coin externe de la narine droite, une autre au menton, et il en coula aussitôt, comme de chaque oreille, autant de sang à peu près. »
Il arriva aussi qu'à la même heure il recouvra la parole, dit tout ce qu'il voulut, eut toute sa raison, appela par leur nom tous ceux qui étaient dedans ou dehors, et qu'il avait connus avant sa maladie, et s'étonna de les trouver si vieillis ; mais il ne reconnut aucun de ceux qu'il n'a voit pas connus avant son catochus, quoiqu'il les eût eu devant les yeux tous les jours de cette maladie.
Il regarda cet accident comme un vrai songe, sans savoir s'il avait duré peu ou longtemps. « Mais ce qu'il y a de plus remarquable, est qu'il ne perdit pas sensiblement la mémoire pendant ces douze ans, et ne se rappela rien de ce qui s'était passé pendant sa maladie. »
Les gens de la maison se mettant à table pour souper, il demanda à lire les prières ordinaires de la bénédiction du repas, et il s'en acquitta sans trop hésiter. » Quelques jours après il demanda de faire ses dévotions (C’était un luthérien), et au rapport du docteur Henschéus, il parut très bien connaître les articles de foi de sa religion. L'ouverture des veines mentionnées, fut suivie de petites cicatrices au sommet de la tête, de même qu'au nez, mais d'une tache rouge au menton: la plaie du milieu demeura plus longtemps ouverte, et la cicatrice ramena le nez un peu obliquement.
Lorsque le malade eut recouvré la parole, il parla d'abord pendant quelque temps avec assez de précipitation ; mais actuellement il le fait toujours en homme sensé. Ses yeux paraissent un peu défigurés ; mais cela vient de ce qu'il louche, surtout de l'œil droit : « du reste, il est bien portant, replet, et s'acquitte de tous les travaux journaliers.
« A peine Oluf Olufson eut-il recouvré la santé, que je fus informé de sa maladie; mais je la trouvai d'un caractère si singulier, que je ne voulus en instruire l'académie royale, qu'après avoir pris toutes les informations requises ; c'est ce que j'ai fait depuis peu. Nombre de personnes dignes de foi se sont toutes accordées sur les détails de ces circonstances aussi vraies que remarquables. »
Voilà, je crois, un fait dont on ne verra peut-être jamais le pareil. Cependant le moyen naturel de la guérison subite n'est pas si inconcevable. Hippocrate en avait déjà vu la possibilité dans des maux de tête analogues, quoique non suivis de cet état de stupeur et d'inertie absolue. J'ai seulement noté ces détails des mémoires de Stockholm, dans ma traduction française des Aphorismes d'Hippocrate. Du reste, je ne produis ici quelques passages de l'original, que pour montrer que je n'y ajoute rien en traduisant, et pour donner le fait avec sa preuve originale.
[234] Lisez ton egoo, pour to egoo, faute d'impression.
[235] Anaxagore.
[236] Je lis ici hypo lees loutoon deelootheisees moch. Quant à phaula tichnéias ; il n’y a rien à ajouter. Il s'agît de ce que Catulle exprime par inrumare, autrement lesbiazein.
[237] Mot formé de sathee, priape. Voyez lit. Gyraldi, de Diis, p. 282.
[238] Les philosophes.
[239] Le texte porte ou strateegos, ou mimos. Ægius lisait nomimos pour ou mimos, et Casaubon le suivait avec raison; pour lors chaque substantif a son adjectif.
[240] De Socrate, liv. 3, chap. ii, n°. 4, seq. ; mais lisez dans le texte d'Athénée, meta tees Aspasias auleetridos, epi te toon erg.
[241] Il n'est pas indifférent de lire happa pour koppa, comme le dit Casaubon; ensuite il trouve anaulos dans l'épitomé, pour anaudos, et crait cette découverte merveilleuse; mais je suis les anciens textes, qui sont préférables à tous égards. Je lui laisse donc ses joueurs de musette. Anaulos n'est venu que de la queue du della, rabattue entière sur la ligne, comme je le vois dans le manuscrit A, où cependant il y a anaudos, de même que dans le manuscrit B.
[242] Ce bombyx des Grecs, et en particulier de Coo, ne doit pas être confondu avec le vrai ver à soie des Sères, ou de la Chine, quoique ce soit un analogue.
[243] Ces pronoms grecs sont souvent équivoques, et n'ont de sens déterminé que par la suite du discours.
[244] Je lis dyspemphelon avec mes manuscrits ; les imprimés ont le pluriel masculin. On traduirait alors gens ineptes et moroses, que cela vous soit réservé.
[245] Texte, dielysan. Il faut observer que le repas ne finit pas ici; ce ne sont que des convives qui se retirent : voyez:la fin du liv.15.