Apollodore

APOLLODORE

 

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Ἀππολόδωρος Βιβλιοθήκη

 

LIVRE I - chapitre V + NOTES

chapitre IV - chapitre VI

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

APOLLODORE

 

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V.

§ 1. Πλούτων δὲ Περσεφόνης ἐρασθεὶς Διὸς συνεργοῦντος ἥρπασεν αὐτὴν κρύφα. Δημήτηρ δὲ μετὰ λαμπάδων νυκτός τε καὶ ἡμέρας κατὰ πᾶσαν τὴν γῆν ζητοῦσα περιῄει· μαθοῦσα δὲ παρ᾽ Ἑρμιονέων ὅτι Πλούτων αὐτὴν ἥρπασεν, ὀργιζομένη θεοῖς κατέλιπεν οὐρανόν, εἰκασθεῖσα δὲ γυναικὶ ἧκεν εἰς Ἐλευσῖνα. Καὶ πρῶτον μὲν ἐπὶ τὴν ἀπ᾽ ἐκείνης κληθεῖσαν Ἀγέλαστον ἐκάθισε πέτραν παρὰ τὸ Καλλίχορον φρέαρ καλούμενον, ἔπειτα πρὸς Κελεὸν ἐλθοῦσα τὸν βασιλεύοντα τότε Ἐλευσινίων, ἔνδον οὐσῶν γυναικῶν, καὶ λεγουσῶν τούτων παρ᾽ αὑτὰς καθέζεσθαι, γραῖά τις Ἰάμβη σκώψασα τὴν θεὸν ἐποίησε μειδιᾶσαι. Διὰ τοῦτο ἐν τοῖς θεσμοφορίοις τὰς γυναῖκας σκώπτειν λέγουσιν. Ὄντος δὲ τῇ τοῦ Κελεοῦ γυναικὶ Μετανείρᾳ παιδίου, τοῦτο ἔτρεφεν ἡ Δημήτηρ παραλαβοῦσα· βουλομένη δὲ αὐτὸ ἀθάνατον ποιῆσαι, τὰς νύκτας εἰς πῦρ κατετίθει τὸ βρέφος καὶ περιῄρει τὰς θνητὰς σάρκας αὐτοῦ. Καθ᾽ ἡμέραν δὲ παραδόξως αὐξανομένου τοῦ Δημοφῶντος (τοῦτο γὰρ ἦν ὄνομα τῷ παιδί) ἐπετήρησεν ἡ Πραξιθέα, καὶ καταλαβοῦσα εἰς πῦρ ἐγκεκρυμμένον ἀνεβόησε· διόπερ τὸ μὲν βρέφος ὑπὸ τοῦ πυρὸς ἀνηλώθη, ἡ θεὰ δὲ αὑτὴν ἐξέφηνε.

§ 2. Τριπτολέμῳ δὲ τῷ πρεσβυτέρῳ τῶν Μετανείρας παίδων δίφρον κατασκευάσασα πτηνῶν δρακόντων τὸν πυρὸν ἔδωκεν, ᾧ τὴν ὅλην οἰκουμένην δι᾽ οὐρανοῦ αἰρόμενος κατέσπειρε. Πανύασις δὲ Τριπτόλεμον Ἐλευσῖνος λέγει· φησὶ γὰρ Δήμητρα πρὸς αὐτὸν ἐλθεῖν. Φερεκύδης δέ φησιν αὐτὸν Ὠκεανοῦ καὶ Γῆς.

§ 3. Διὸς δὲ Πλούτωνι τὴν Κόρην ἀναπέμψαι κελεύσαντος, ὁ Πλούτων, ἵνα μὴ πολὺν χρόνον παρὰ τῇ μητρὶ καταμείνῃ, ῥοιᾶς ἔδωκεν αὐτῇ φαγεῖν κόκκον. Ἡ δὲ οὐ προϊδομένη τὸ συμβησόμενον κατηνάλωσεν αὐτόν. Καταμαρτυρήσαντος δὲ αὐτῆς Ἀσκαλάφου τοῦ Ἀχέροντος καὶ Γοργύρας, τούτῳ μὲν Δημήτηρ ἐν Ἅιδου βαρεῖαν ἐπέθηκε πέτραν, Περσεφόνη δὲ καθ᾽ ἕκαστον ἐνιαυτὸν τὸ μὲν τρίτον μετὰ Πλούτωνος ἠναγκάσθη μένειν, τὸ δὲ λοιπὸν παρὰ τοῖς θεοῖς.

CHAPITRE V.

§ 1. Pluton étant devenu amoureux de Proserpine (01), l'enleva en secret à l'aide de Jupiter (02). Cérès la chercha longtemps par toute la terre nuit et jour avec des torches allumées; ayant enfin appris des Hermionéens (03) que Pluton l'avait enlevée, elle abandonna le Ciel, irritée contre les Dieux, et s’étant transformée en simple mortelle, elle vint à Eleusis, et s'y assit d'abord auprès du puits Callichore (04), sur une pierre qui a pris de là le nom d'Agélaste. S'étant rendue ensuite chez Céleüs (05), Roi d'Eleusine, les femmes qui s'y trouvaient l'invitèrent à se reposer, et une vieille, nommée Iambé (06), la fit rire par ses plaisanteries; et c'est en mémoire de cela, dit-on, que les femmes se plaisantent aux fêtes des Thesmophories. Métanire, femme de Céleüs, ayant un petit enfant (07), Cérès se chargea de l'enlever; et voulant le rendre immortel, elle le mettait toutes les nuits dans le feu, pour consumer ce qu'il y avait de mortel dans son corps.

§ 2. Déïphon, (c’était le nom de cet enfant) prenait chaque jour un accroissement prodigieux; Métanire épia ce que faisait la Déesse (08), et lui voyant mettre son enfant dans le feu, elle jeta un cri ; l'enfant fut consumé, et la Déesse se fit connaître. Elle donna à Triptolème (09), l'aîné des fils de Métanire, un char attelé de serpents ailés, dans lequel il parcourut les airs, semant partout le blé que Cérès lui avait donné. Panyasis dit que Triptolème était fils du héros Eleusis, et que ce fut celui-ci qui reçut Cérès : suivant Phérécyde il était fils de l'Océan et de la Terre.

§ 3. Jupiter ayant ordonné à Pluton de renvoyer Proserpine, celui-ci, de crainte qu'elle ne demeurât trop longtemps auprès de sa mère, lui donna à manger un grain de grenade ; ce qu'elle fit, ne prévoyant pas ce qui devait en arriver. Ascalaphe, fils de l'Achéron (10) et de Gorgyre, en ayant rendu témoignage, Cérès l'enferma dans les Enfers sous une grosse pierre; et Proserpine fut obligée de passer un tiers de l'année avec Pluton et le reste avec les autres Dieux (11). Voilà ce qu'on raconte de Cérès.

NOTES DU CHAPITRE V.

(01) L'enlèvement de Proserpine est une des fables les plus célèbres de l'antiquité ; elle rappelait aux Grecs l'époque la plus intéressante pour eux, celle où l'introduction de la culture les avait tirés de la situation précaire où ils étaient, et de la rie sauvage qu'ils avaient menée jusqu'alors. Il n'est donc pas étonnant que leurs poètes se soient plu à l'embellir. Hérodote dit que Cérès était la même divinité que l'Isis des Égyptiens, mais je crois qu'il s'est trompé. Isis était en effet la Lune, comme le prouve Jablonsky (Panthéon Aegypt., l. III, c. 1), et le nom que Cérès porte en grec, Δημήτηρ, Déméter, pour Γῆ μήτηρ, la terre mère, prouve qu'il n'y avait aucune ressemblance entre ces deux divinités. Mais lorsque Danaüs vint dans la Grèce, où il apporta une partie des cérémonies égyptiennes, il ne crut ni facile, ni même nécessaire de faire adopter de nouveaux noms ; il se contenta d'approprier le mieux qu'il put, le culte qu'on rendait en Egypte à quelques divinités, à celles qui lui parurent avoir plus d'analogie avec elles par leurs attributs. Cérès étant censée présider à la végétation chez les Grecs, comme Isis chez les Egyptiens, il lui attribua le même culte. Ce culte fut d'abord établi à Argos, par ses filles, suivant Hérodote (l. II, c. 171), et il passa de la successivement dans les autres villes de la Grèce, qui prétendaient presque toutes avoir été visitées par la déesse, dans le cours des voyages qu'elle fit pour chercher sa fille. On voit en effet dans Pausanias, qu'elle avait été à Phigale dans l’Attique (l. I, c. 37), a Argos (l. I, c. 14) dans le pays de Sicyone (l. II, C. 2), à Celées dans l’Argolide (l. II, c. 14), à Phénée, dans l’Arcadie (l. VIII, c. 15), dans le pays de Phigalie (l. viii, c. 42), dans le pays des Cabires dans la Boeotie (l. IX, c. 25), et dans beaucoup d'autres endroits. Mais le plus célèbre par sa présence, était Eleusis, ville de l’Attique. Il est probable que c'était d’Argos que son culte y avait été apporté ; car Pausanias raconte d'après la tradition des habitants d'Argos, que Trochilus, prêtre de Cérès, ayant eu quelques différends avec Agénor, quitta cette ville, et vint dans l’Αttique, où il épousa Eleusine ; il en eut deux fils, Eubule et Triptolème. Les guerres occasionnées parles différentes invasions des Héraclides dans le Péloponnèse, et les émigrations qui en furent la suite, firent oublier ce culte presque partout, excepté dans l’Attique, qui jouit toujours de plus de tranquillité que le reste de la Grèce, et dont les habitants ne changèrent pas de pays, comme ceux de presque toutes les autres villes, de manière que l'antiquité non interrompue des mystères de Cérès, fit qu'ils purent se vanter de les avoir reçus de la déesse elle-même.

(02) Les anciens ne sont pas d'accord sur le lieu où se fit l'enlèvement de Proserpine ; l'opinion la plus ancienne, à ce que dit Cicéron, est que ce fut dans les champs d'Enna en Sicile, île qui, suivant son opinion, était entièrement consacrée à Cérès et à sa fille (In Verrem, Act. 4, c. 48). Bacchylide disait qu'elle avait été enlevée dans l'île de Crète (Hesiodi schol. Theog. v. 913, p. 303). Suivant Phanodéme, cet enlèvement s'était fait dans l'Attique (ibid.), et on voyait même deux endroits, par où l'on disait que Pluton était descendu aux enfers ; l'un auprès d'Éleusis, suivant Orphée, ou plutôt Onomacrite (Hymne 17, v. 15) ; (c'est probablement celui dont parle Pausanias, l. I, c. 38) ; l'autre auprès de Colone ; le schol. de Sophocle dit en effet que, suivant quelques auteurs, Pluton était descendu aux enfers, dans l'endroit où Œdipe mourut par la suite (Œdipe à Col., v. 1590). Les habitants de l'Argolide disaient que cet enlèvement s'était fait dans leur pays (Pausanias, l. II, c. 36), et Apollodore paraît avoir adopté cette tradition, en disant que les Hermionéens donnèrent à Cérès la première nouvelle de l'enlèvement de sa fille. Suivant Conon, elle fut enlevée dans le pays de Phénée, en Arcadie (Narr. 15); enfin, l'auteur de l'hymne à Cérès, publié par Ruhnkenius, dit qu'elle fut enlevée dans les environs de Nysa, ce qui doit s'entendre de Nysa ville de Carie, où il y avait un temple consacré à Pluton et à Proserpine, et dont les médailles représentent souvent cet enlèvement (Spanheim, sur Callimaque, Hymne à Cérès, v. 9). Ceux même qui disaient que Proserpine avait été enlevée dans la Sicile, ne s'accordaient pas sur le lieu : car Cicéron, Arnobe et plusieurs autres, disent que ce fut dans les plaines d'Enna; les autres, comme Aristote (de Mirab. Auscult., c. 83) et Hygin (Fab. 146), que ce fut sur le sommet de l'Etna. Voyez les notes de Muncker et de Van-Staveren sur ce dernier auteur.

(03) L'auteur de l'hymne à Cérès (v. 55), dit qu'Hécate annonça la première à Cérès l'enlèvement de sa fille, et (v. 75) que le Soleil lui apprit qu'elle avait été enlevée par Platon. Ovide, dans ses Métamorphoses (l. V, v. 487 et suiv.), dit qu'elle le sut de la nymphe Aréthuse.

(04) Apollodore a suivi Nicandre (Theriaca, p. 35) et Callimaque (Hymn. in Ceres, v. 16), qui avaient probablement suivi eux-mêmes des auteurs plus anciens; mais l'auteur de l'hymne à Cérès (v. 99) dit que ce fut auprès du puits Parthénius que Cérès s'assit d'abord. Pamphus, poète Athénien, contemporain de Linus, et l'un des premiers qui aient chanté l'enlèvement de Proserpine, et les voyages de Cérès qui en furent la suite, nomme ce puits Anthius, suivant Pausanias (l. I, c. 39). Ruhnkenius croit qu'il faut y lire Parthénius, d'après l'hymne à Cérès, mais il me semble que ce changement n'est pas nécessaire ; il peut en effet y avoir eu plusieurs traditions à cet égard. Le puits Callichore était, suivant l'auteur de l'hymne à Cérès (v. 371), et Pausanias (l. I, c. 38), celui autour duquel les femmes d'Eleusis avaient célébré le premier chœur de danse et de chant, en l'honneur de Cérès.

(05) C'est ainsi que le nomment l'auteur de l'hymne à Cérès (v. 97), Pausanias (l. I, C. 39) et Hygin (Fab. 146). Plusieurs autres le nomment Eleusis, et disent que ce fut de lui que le pays prit son nom. Nicandre (Alexiph., v. 131) dit que le mari de Méganire était Hippothoon ; son scholiaste ajoute qu'il était fils de Neptune et d'Alopé, fille de Cercyon.

(06) Iambé était née en Thrace, suivant Nicandre (Alexiph., v. 132), et elle était fille d'Echo et de Pan, suivant son scholiaste et celui d'Euripide (Οreste, v. 763). Ils ajoutent que les vers qu'elle chanta à la déesse en cette occasion, furent l'origine des vers ïambes. Il est aussi question d'elle dans l'hymne d'Homère (v. 195). Si l'on en crait Clément d'Alexandrie (Cohort., p. 17), Eusèbe (Prép. év., l. II, c. 3) et les autres défenseurs du christianisme, qui ont pour la plupart copié Clément, ce fut Baubo, et non Iambé, qui fit rire Cérès ; et elle la fit rire par ses gestes. Voici les vers que Clément cite comme étant d'Orphée :

Ὡς εἰποῦσα, πέπλους ἀνεσύρατο δεῖξέ τε πάντα
Σώματος οὐδὲ πρέποντα τύπον, παῖς δ' ἦεν Ἴακχος,
Χεῖρος θ' ἑὴν ῥίπτασκε γελῶν Βαυβοῦς ὑπὸ κόλπους,
Ἡ δ' ἐπεὶ οὖν εἴδησε θεὰ, μηείδησ' ἐνὶ θυμῷ,
Δέξατο δ' αἰόλον ἄγγος, ἐν ᾧ κυκεὼν ἐνέκειτο

« En disant cela, elle leva sa robe, et fit voir les parties de son corps qu'il convient le moins de montrer ; le jeune Iacchus arrive, et promène en riant sa main sur ce que Baubo montrait ; à cette vue le cœur de la déesse s'épanouit de joie, et elle reçut le vase où était le Cycéon ».

J'ai traduit ces vers le plus décemment que cela m'a été possible, quoique cela ne fut pas facile. Arnobe (L. V, p. 174) les a aussi traduits, ou plutôt paraphrasés et commentés d'une manière un peu trop libre pour que je puisse les rendre en français ; cependant comme son ouvrage n'est pas commun, je vais en extraire ce qui a rapport à mon sujet.

Igitur Baubo illa, quam incolam diximus Eleusini fuisse pagi, malis multiformibus fatigatam accipit hospitio Cererem, adulatur obsequiis mitibus, reficiendi corporis rogat curam uthabeat, sitienti adoris aggerii potionem cinnum, Cyceonem quam nuncupat Gracia : aversatur, et respuit humanitatis officia mœrens dea, nec eam fortuna perpetitur valetudinis meminisse communis. Rogat illa atque hortatur contra, sicut mos est in hujus modi casibus, ne fastidium sua humanitatis. assumat ; obstinatissime durat Ceres, et rigoris indomiti pertinaciam retinet. Quod cum saepius fieret, neque ullis quiret obsequiis ineluctabile propositum fatigari, vertit Baubo artes, et quam serio non quibat allicere, ludibriorum statuit exhilarare miraculis : partem illam corporis, per quam secus femineum et subolem prodere, et nomen solet acquirere generi, tum longiore ab incuria liberat : facit sumere habitum puriorem} et in speciem levigari nondum duri atque striculi (l. hystriculi) pusionis ; redit ad deam tristem, et inter illa communia, quibus moris est frangere ac temperare mœrores, retegit se ipsam, atque omnia illa pudoris loca revelatis monstrat inguinibus, atque pnbi affigit oculos diva, et inanditi specie solaminis pascitur. Tum diffusior facta per risum, aspernatam sumit atque ebibit potionem : et quod diu nequivit verecundia Baubonis exprimere, propudiosi facinoris extorsit obscoenitas. Calum-niari nos improbe, si quis forte homimim suspicatur, libros sumat Threicii vatis, quos antiquitatis memoratis esse divina, et inveniet nos nihil neque callide fingere t neque quo sint risui deum quaerere atque efficere sanctitates. Ipsos namque in medio ponemus versus, quos Calliopes filius ore edidit Graeco, et cantando (il faut lire cantandos) per secula generi publicavit humano.

Sic effata t sinu vestem contraxit ab imo
Objecitque oculi formatas inguinïbus res
.
Quas cava succutiens Baubo
(l. Bacchï) manu, (nam puerilis
Ollis vultus erat
,) plaudit, contrectat amice
Tum dea defigens augusti luminis orbes
,
Tristitias animi paulum mollita reponit
:
Inde manu poclum sumit
, risuque sequenti
Perducit totam Cyceonem laeta liquorem

Il y a quelque différence entre cette traduction et les vers que Clément nous a conservés, et il paraît qu'Arnobe a ajouté de son chef les mots, Nam puerilis ollis vultus erat, que j'ai mis entre deux parenthèses, et qui sont suffisamment expliqués par ce qu'il a dit plus haut. On n'en trouve pas la moindre trace dans les vers grecs, ce qui a fait supposer à Saumaise (Exercit. Plin., p. 527}, qu'Arnobe ne les avait pas entendus. Mais il paraît que les premiers défenseurs du christianisme se croyaient ces fraudes pieuses permises, et Saint Grégoire de Nazianze, en citant le premier vers, dans sa première invective contre Julien (p. 141), ne s'est pas fait scrupule de le défigurer, pour attribuer à la déesse ce que le poète attribue à Baubo :

Ὡς εἰποῦσα θεὰ δοεοὺς ἀνεσύρατο μηροὺς

En disant cela, la déesse découvrit ses deux cuisses, et il ajoute par forme de réflexion : να τελέσῃ τοὺς ἐρατὰς, pour initier ses amants. Leur peu de bonne foi lorsqu'ils cherchaient des armes pour combattre les païens, me ferait presque croire que ce passage d'Orphée est forgé. Il est question de Baubo dans d'autres passages, et l'on n'y trouve rien qui ait rapport à ce qu'en dit Clément. Harpocration (v. Δυσαύλης) cite deux auteurs, dont l'un, qui était Asclépiades, disait dans le quatrième livre des fables tirées des tragiques, que Baubo était la femme de Dysaulès, dont elle avait eu deux filles, Protonoé et Nisa. Palœphate qui est l'autre, disait dans le Ier livre des Troïques, que Dysaulès et elle avaient donné l'hospitalité à Cérès. Enfin, Hésychius (v. Βαυβώ) dit qu'elle avait été la nourrice de Cérès.

(07) Cet enfant se nommait Démophoon, suivant l’hymne à Cérès (v. 234); Ovide, dans ses Fastes (l. IV, v. 55o), et Hygin (Fab. 147) le nomment Triptolème, et prétendent que c'est celui à qui Cérès enseigna par la suite l'agriculture. Le scholiaste de Nicandre (Theriaca, p. 24) lui donne le nom de Céléus. Cérès le nourrissait en le frottant d'ambroisie, et le mettait dans le feu pour le rendre immortel, en consommant en lui les parties mortelles, suivant l'auteur de l'hymne à Cérès (v. 237 et suiv). Apollonius paraît avoir eu ce passage en vue dans l'endroit ou il parle delà manière dont Thétis élevait Achilles.

(08) On lit dans toutes les éditions Τί πράξει θεὰ, ce qui est une faute évidente. J'ai corrigé d'après l'avis de M. Coray, τί πράσσει ἡ θεά. Il faut en effet un présent, et l'article est absolument nécessaire.

(09) On voit par Pausanias (l. I, c. 14) que suivant l'opinion reçue chez les Athéniens, Triptolème était fils de Céléus. C'est probablement par inadvertance que M. Heyne dit, dans ses notes sur ce passage, que l'auteur de l'hymne à Cérès le fait aussi fils de Céléus et de Métanire, car dans les trois endroits ou il en parle (v. 153, 479 et 482), il le met avec Céléus au nombre des principaux habitants d'Eleusis. La chronique de Paros (Ep. 12) lui donne aussi Céléus pour père, mais sa mère y est nommée Néaera. Il faut probablement rétablir ce nom ainsi, dans le scholiaste d'Héphaestion (de Metris, p. 81), qui la nomme Νῆρι Neri. Outre les opinions que rapporte Apollodore, sur les parents de Triptolème, il y en avait encore d'autres. Suivant Orphée, cité par Pausanias (l. I, c. 24) Eubulus et lui étaient fils de Dysaulès, qui, suivant les Phliasiens, était frère de Céléus (idem, l. II, c. 14). Choerilus, poète tragique Athénien, disait que Triptolème et Cercyon étaient fils d'une fille d'Amphictyon, mais qu'ils n'avaient pas le même père ; que Rharus était celui de Triptolème, et Neptune celui de Cercyon [id., l. I, c. 14). Aristote (de Mirab. auscult., c. 143) dit que, suivant quelques auteurs, sa mère se nommait Déiopé; le scholiaste de Sophocle, dit que cette Déiopé était fille de Triptolème et mère d'Eumolpe (Oedip. Col., v. 1108). Pausanias en parle aussi, comme ayant quelque rapport avec Triptolème, mais il ne dit point en quoi (l. I, c. 13). Il n'est pas question dans l'hymne à Cérès des voyages de Triptolème pour répandre La culture du blé ; la tradition en était cependant restée chez quelques peuples de la Grèce. C'était lui, suivant les habitants de l'Achaïe, qui avait appris a Eumélus, leur fondateur, à bâtir des villes, et à cultiver la terre ; ils ajoutaient, qu'Anthius fils d'Eumélus, ayant voulu, tandis que Triptolème dormait} monter sur son char, et semer comme lui, se laissa tomber et se tua (Pausanias, l. VII, c. 18). C'était aussi lui qui avait enseigné à Arcas l'art de faire croître le blé (idem, l. VIII, c. 4). Ses voyages ne se bornèrent pas à la Grèce, suivant les mythologues ; Ovide dit qu'il alla jusque dans La Scythie, ou le roi Lyncus voulut le tuer pour s'attribuer l'honneur de la découverte du blé ; mais Cérès le changea en lynx (Métam,, l. V, v. 649). Cette fable est aussi rapportée par Servius (sur l’Enéide, l. I, v. 323), et sous un nom différent par Hygin (Poet. astron., l. II, c. 14), qui dit que ce roi était Cornabus, roi des Gètes. Diodore de Sicile dit que Triptolème était l'un des compagnons d'Osiris qui l'envoya faire connaître l'agriculture dans l'Attique (l. I, c. 18 et 21). Je ne crois pas qu'il faille, confondre ce Triptolème, avec Triptolème d'Argos dont parle Strabon (l. XVI, p. 1089), qui fut envoyé par les Argiens à la recherche d'Io ; et dont le fils Gordys s'établit dans le pays qui prit de lui le nom de Gordyène. La chronique de Paros (Ep. l3) met les aventures de Triptolème sous le règne du premier Erecthée.

(10) L’histoire d'Ascalaphe est racontée bien différemment par Antoninus Liberalis, d'après Nicandre ; il prétend que Cérès le changea en chat-huant, parce qu'il t'était moqué de l'avidité avec laquelle elle avalait la boisson que lui avait offerte Misinè sa mère (Narr. 24). Mais il est probable que ce compilateur a confondu deux fables que Nicandre avait traitées séparément, et qu'Ovide nous a conservées ; l'une d'un enfant qui se moqua de Cérès, et qu'elle changea en lézard, en lui jetant de la bouillie au visage (Met., l. V, v. 452) ; et l’autre d'Ascalaphe, qu'elle changea en hibou (ibid., v. 345), comme le raconte Apollodore. Il était fils d'Orphné, suivant Ovide, ou de Styx, suivant Servius (in Georg. I, 39).

(11) Pluton avant d'enlever Proserpine, avait pour concubine Minthé, nymphe du Cocyte. Irritée de la préférence que Pluton donnait à la fille de Cérès, elle osa l'injurier, et se mettre au-dessus d'elle, tant pour la naissance que pour la beauté. Cérès la foula aux pieds et la changea en une plante nommée menthe, suivant Oppien (de piscat., l. III, v. 484 et suiv.). Ovide dans ses Métamorphoses (l. X, v. 728), et Strabon (L. VIII, p. 529), disent que ce fut Proserpine qui la transforma ainsi. Sevin propose même sur le texte de ce dernier une correction très vraisemblable. Voici le passage :

πρὸς ἕω δ' ἐστὶν ὄρος τοῦ Πύλου πλησίον ἐπώνυμον Μίνθης, ἣν μυθεύουσι παλλακὴν τοῦ Ἅιδου γενομένην ἀπατηθεῖσαν ὑπὸ τῆς κόρης εἰς τὴν κηπαίαν μίνθην μεταβαλεῖν,

 Il croit qu'il faut lire πατηθεῖσαν, foulée aux pieds, au lieu de ἀπατηθεῖσαν, trompée.