LIVRE I.
Marcus Vitruvius Pollio:
Praefatio |
INTRODUCTION. 1. TANDIS que la force de votre divin génie vous rendait maître de l'empire du monde, ô César ; que tous vos ennemis terrassés reconnaissaient la supériorité de votre valeur, que les citoyens romains se glorifiaient de vos victoires et de vos triomphes ; tandis que les nations subjuguées attendaient leur destinée de votre volonté, et que le sénat et le peuple romain, libres de toute inquiétude, se reposaient de leur salut sur la grandeur de vos pensées et sur la sagesse de, votre gouvernement, je n'aurais point osé vous présenter, au milieu Je vos nobles occupations, le fruit de mes longues études sur l'architecture, dans la crainte de vous interrompre mal à propos et d'encourir votre disgrâce. 2. Toutefois, quand je considère que vos soins ne se bornent pas à veiller au bien-être de chaque citoyen, et à donner à l'État une bonne constitution, mais que vous les consacrez encore il la construction des édifices publics et particuliers, et que non content d'enrichir Rome de nombreuses provinces, vous voulez encore rehausser la majesté de l'empire par la magnificence des monuments publics, je n'ai pas cru devoir différer plus longtemps de vous offrir ce travail sur une science qui déjà m'avait valu la considération de votre divin père, dont les talents avaient captivé mon zèle. Depuis que les dieux l'ont admis au séjour des Immortels, et qu'ils out fait passer en vos mains son pouvoir impérial, ce zèle que son souvenir entretien en moi, je suis heureux de le consacrer à votre service. Chargé jadis avec M. Aurelius, P. Numidius et Cn. Cornelius, de la construction des balistes, et de l'entretien des scorpions et des autres machines de guerre, je partageai avec eux les avantages attachés à cet emploi; ces avantages que vous m'aviez d'abord accordés, c'est à la recommandation de votre sœur que vous me les avez continués. 3. Lié par ce bienfait qui m'assure pour le reste de mes jours une paisible existence, je me suis mis à écrire ce traité, que je vous dédie avec d'autant plus de reconnaissance que j'ai remarqué que déjà vous aviez fait élever plusieurs édifices, que vous en faisiez bâtir de nouveaux, et que vous ne cessiez de vous occuper de constructions, tant publiques que particulières, pour laisser à la postérité d'illustres monuments de votre grandeur. Avec le secours de cet ouvrage qui renferme tout ce qui regarde l'architecture, vous pourrez juger par vous-même de la nature des travaux que vous avez faits, et de ceux que vous ferez encore, puisque ces livres contiennent tous les principes de l'art. |
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Caput 1
: Quid sir achitectura, et de architectis instituendis. |
1. De l'architecture ; qualités de l'architecte. 1. L'architecture est une science qui embrasse une grande variété d'études et de connaissances ; elle connaît et juge de toutes les productions des autres arts. Elle est le fruit de la pratique et de la théorie. La pratique est la conception même continuée et travaillée par l'exercice, qui se réalise par l'acte donnant à la matière destinée à un ouvrage quelconque, la forme que présente un dessin. La théorie, au contraire, consiste à démontrer, à expliquer la justesse, la convenance des proportions des objets travaillés. 2. Aussi les architectes qui, au mépris de la théorie, ne se sont livrés qu'à la pratique, n'ont pu arriver à une réputation proportionnée à leurs efforts. Quant à ceux qui ont cru avoir assez du raisonnement et de la science littéraire, c'est l'ombre et non la réalité qu'ils ont poursuivie. Celui-là seul, qui, semblable au guerrier armé de toutes pièces, sait joindre la théorie à la pratique, atteint son but avec autant de succès que de promptitude. 3. En toute science, et principalement en architecture, on distingue deux choses, celle qui est représentée, et celle qui représente. La chose représentée est celle dont on traite ; la chose qui représente, c'est la démonstration qu'on en donne, appuyée sur le raisonnement de la science. La connaissance de l'une et de l'autre paraît donc nécessaire à celui qui fait profession d'être architecte. Chez lui, l'intelligence doit se trouver réunie au travail : car l'esprit sans l'application, ou l'application sans l'esprit, ne peut rendre un artiste parfait. Il faut qu'il ait de la facilité pour la rédaction, de l'habileté dans le dessin, des connaissances en géométrie ; il doit avoir quelque teinture de l'optique, posséder à fond l'arithmétique, être versé dans l'histoire, s'être livré avec attention à l'étude de la philosophie, connaître la musique, n'être point étranger à la médecine, à la jurisprudence, être au courant de la science astronomique, qui nous initie aux mouvements du ciel. 4. En voici les raisons. L'architecte doit connaître les lettres, afin de pouvoir rédiger avec clarté ses mémoires. La connaissance du dessin le met à même de tracer avec plus de facilité et de netteté le plan de l'ouvrage qu'il veut faire. La géométrie offre plusieurs ressources à l'architecte : elle le familiarise avec la règle et le compas, qui lui servent surtout à déterminer l'emplacement des édifices, et les alignements à l’équerre au niveau et au cordeau. Au moyen de l'optique, les édifices reçoivent des jours à propos, selon les dispositions du ciel. A l’aide de l'arithmétique, on fait le total des dépenses, on simplifie le calcul des mesures, on règle les proportions qu'il est difficile de trouver par les procédés que fournit la géométrie. 5. Il faut qu'il soit versé dans l'histoire : souvent les architectes emploient dans leurs ouvrages une foule d'ornements dont ils doivent savoir rendre compte à ceux qui les interrogent sur leur origine. Ainsi, qu'au lieu de colonnes, on pose des statues de marbre, représentant des femmes vêtues de robes traînantes, qu'on'appelle cariatides, et qu'au-dessus on place des modillons et des corniches, voici l'explication qu'il pourra donner de cet arrangement. Carie, ville du Péloponnèse, se ligua autrefois avec les Perses pour faire la guerre à la Grèce. Les Grecs, ayant glorieusement mis fin à cette guerre par la victoire, voulurent marcher immédiatement contre les Cariates. La ville fut prise, les hommes passés au fil de l'épée, la cité détruite, les femmes traînées en servitude. Il ne leur fut point permis de quitter leurs longues robes ni les ornements de leur condition afin qu’elles n'en fussent point quittes pour avoir servi au moment du triomphe, mais que, portant à jamais le sceau infamant de la servitude, elles parussent souffrir la peine qu'avait méritée leur ville. Aussi les architectes du temps imaginèrent-ils de les représenter dans les édifices publics placées sous le poids d'un fardeau, pour apprendre à la postérité de quelle punition avait été frappée la faute des Cariates. 6. Les Lacédémoniens agirent de la même manière, lorsque, sous la conduite de Pausanias, fils de Cléombrote, ils défirent avec une poignée d'hommes, à la bataille de Platée, l'armée innombrable des Perses. Après avoir triomphé avec gloire, ils firent servir les dépouilles de l'ennemi à l'érection d'un portique qu'ils appelèrent Persique, trophée qui devait rappeler aux générations futures leur courage et leur victoire. Les statues des captifs vêtus de leurs ornements barbares y av'aient été représentées soutenant la voûte, afin de punir leur orgueil par un opprobre mérité, de rendre la valeur des Lacédémoniens redoutable à l'ennemi, et d'inspirer à leurs concitoyens, à la vue de ce témoignage de bravoure, une noble ardeur pour la défense de la liberté. Telle est l'origine de ces statues persiques, que plusieurs architectes ont fait servir au soutien des architraves et de leurs ornements ; c'est par de semblables inventions qu'ils ont enrichi et embelli leurs ouvrages. Il y a d'autres traits de ce genre dont il faut que l'architecte ait connaissance. 7. La philosophie, en élevant l'âme de l'architecte, lui ôtera toute arrogance. Elle le rendra traitable, et, ce qui est plus important encore, juste, fidèle et désintéressé : car il n'est point d'ouvrage qui puisse véritablement se faire sans fidélité, sans intégrité, sans désintéressement. L'architecte doit moins songer à s'enrichir par des présents qu'à acquérir une réputation digne d'une profession si honorable. Tels sont les préceptes de la philosophie. C'est encore elle qui traite de la nature des choses, que les Grecs appellent φυσιολογία ; il lui importe de la bien connaître, pour être en état de résoudre quantité de questions, comme lorsqu'il s'agit de la conduite des eaux. Dans les tuyaux dirigés, par différents détours, de haut en bas, sur un plan horizontal, de bas en haut, l'air pénètre de bien des manières avec l'eau ; et comment remédier aux désordres qu'il occasionne, si dans la philosophie l'on n'a pas puisé la connaissance des lois de la nature ? Qui voudrait lire les ouvrages de Ctesibius, d'Archimède et des autres auteurs qui ont traité de cette matière, ne pourrait les comprendre, sans y avoir été préparé par la philosophie. 8. Pour la musique elle est indispensable afin que l'on saisisse bien la proportion canonique et mathématique, et que l'on tende convenablement les balistes, les catapultes, les scorpions. Ces machines, en effet, ont des chapiteaux qui présentent à droite et à gauche les deux trous des hemitonium (demi-tension) à travers lesquels on tend, à l'aide de vindas ou vireveaux et de leviers, des câbles faits de cordes à boyau, qui ne sont fixés, arrêtés que lorsque celui qui gouverne la machine a reconnu que les sons qu'ils rendaient étaient parfaitement identiques. Les bras, en effet, que l'on courbe à l'aide de ces tensions, après avoir été bandés, doivent frapper l'un et l'autre de la même manière et avec la même force ; s'ils n'ont point été également tendus, il deviendra impossible de lancer directement le projectile. 9. La musique est encore nécessaire pour les théâtres où des vases d'airain, que les Grecs appellent ἠχεῖα (ton), sont placés dans des cellules pratiquées sous les degrés. Les différents sons qu'ils rendent, réglés d'après les proportions mathématiques, selon les lois de la symphonie ou accord musical, répondent, dans leur division exacte, à la quarte, à la quinte et à l'octave, afin que la voix de l'acteur, concordant avec la disposition de ces vases, et graduellement augmentée en venant les frapper, arrive plus claire et plus douce à l'oreille du spectateur. Quant aux machines hydrauliques et autres semblables, il serait impossible de les construire sans la connaissance de la musique. 10. L'étude de la médecine importe également à l'architecte, pour connaître les climats, que les Grecs appellent κλίματα, la qualité de l'air des localités qui sont saines ou pestilentielles, et la propriété des eaux. Sans ces considérations, il ne serait possible de rendre salubre aucune habitation. Il doit aussi savoir quelles lois règlent, dans les bâtiments, la construction des murs communs, pour la disposition des larmiers, des égouts et des jours, pour l'écoulement des eaux et autres choses de ce genre, afin de prévenir, avant de commencer un édifice, les procès qui pourraient survenir aux propriétaires après l'achèvement de l'ouvrage, et d'être en état, par son expérience, de mettre à couvert, dans la passation d'un bail, et les intérêts du locataire, et ceux du propriétaire : car si les conditions y sont posées conformément à la loi, ils n'auront à craindre aucune chicane de la part l'un de l'autre. L'astronomie lui fera connaître l'orient, l'occident, le midi, le nord, l'état du ciel, les équinoxes, les solstices, le cours des astres : à défaut de ces connaissances, il sera incapable de confectionner un cadran. 11. Puisque l'architecture doit être ornée et enrichie de connaissances si nombreuses et si variées, je ne pense pas qu'un homme puisse raisonnablement se donner tout d'abord pour architecte. Cette qualité n'est acquise qu'à celui qui, étant monté dès son enfance par tous les degrés des sciences, et s'étant nourri abondamment de l'étude des belles-lettres et des arts, arrive enfin à la suprême perfection de l'architecture. 12. Peut-être les ignorants regarderont-ils comme une merveille que l'esprit humain puisse parfaitement apprendre et retenir un si grand nombre de sciences ; mais lorsqu'ils auront remarqué la liaison, l'enchaînement qu'elles ont les unes avec les autres, ils auront moins de peine à croire à la possibilité de la chose : car l'encyclopédie se compose de toutes ces parties, comme un corps de ses membres. Aussi ceux qui, dès leur jeune âge, se livrent à l'étude de plusieurs sciences à la fois, y reconnaissent certains points qui les rattachent entre elles, ce qui leur en facilite l'étude. Voilà pourquoi, parmi les anciens architectes, Pythius, auquel la construction du temple de Minerve, à Priène, a valu une si grande réputation, dit dans ses mémoires que l'architecte, initié aux arts et aux sciences, doit être plus en état de réussir que ceux qui, par leur habileté et leur travail, ont excellé dans une chose seulement ; ce qui n'est pourtant pas d'une rigoureuse exactitude. 13. En effet, il n'est pas nécessaire, il n'est pas possible que l'architecte soit aussi bon grammairien qu'Aristarque, aussi grand musicien qu'Aristoxène, aussi habile peintre qu'Apelle, aussi célèbre sculpteur que Myron ou Polyclète, aussi savant médecin qu'Hippocrate ; il suffit qu'il ne soit pas étranger à la grammaire, à la musique, à la peinture, à la sculpture, à la médecine : il est impossible qu'il excelle dans chacune de ces sciences ; c'est assez qu'il n'y soit pas neuf, un si grand nombre de sciences ne peut en effet donner à espérer qu'on arrive jamais à la perfection dans chacune d'elles, quand l'esprit peut à peine en saisir, en comprendre l'ensemble. 14. Et ce ne sont pas seulement les architectes qui, dans toutes les sciences, ne peuvent atteindre à la perfection ; ceux-là même qui se livrent spécialement à l'étude d'un art, ne peuvent pas tous venir à bout d'y exceller. Comment donc si, dans une science qu'elles cultivent particulièrement, quelques personnes seulement, dans tout un siècle, parviennent si difficilement à se distinguer, comment un architecte, qui doit faire preuve d'habileté dans plusieurs arts, pourrait-il, je ne dirai pas n'en ignorer aucun, ce qui serait déjà bien étonnant, mais même surpasser tous ceux qui, uniquement livrés à une science, y ont déployé autant d'ardeur que de talent ? 15. En cela Pythius me parait s'être trompé ; il n'a pas pris garde que dans tous les arts il y avait deux choses à considérer, la pratique et la théorie ; que de ces deux choses la première, je veux dire la pratique, appartient spécialement à ceux qui exercent, et que la seconde, c'est-à-dire la théorie, est commune à tous les savants. Des médecins, des musiciens pourront bien disserter sur le battement des artères, sur la cadence ; mais s'il est question de guérir une blessure, d'arracher un malade au danger, ce ne sera point au musicien qu'on aura recours, mais bien au médecin, qui se trouvera alors dans son propre élément : de même qu'on n'ira pas mettre un instrument de musique entre les mains du médecin, si l'on veut avoir l'oreille charmée par des sons harmonieux. 16. Un astronome et un musicien peuvent également raisonner sur la sympathie des étoiles qui en astronomie se fait par aspects quadrats et trines, et sur celle des consonances qui a lieu par quartes et par quintes en musique ; ils peuvent encore discourir avec le géomètre sur l'optique, qui s'appelle en grec λόγος ὀπτικὸς ; dans toutes les autres sciences, beaucoup de points, pour ne pas dire tons, ne sont communs que pour le raisonnement ; mais il n'appartient véritablement qu'à ceux qui se sont particulièrement exercés dans un art, de raisonner de choses pour lesquelles la main d'œuvre, la pratique leur a donné une grande habileté. Aussi me paraît-il en savoir assez, l'architecte qui, dans chaque science, connaît passablement les parties qui ont rapport à sa profession, afin que, si besoin est d'émettre un jugement basé sur de bonnes raisons, il ne reste point court. 17. Quant il ceux qui ont reçu de la nature assez d'esprit, de capacité et de mémoire pour pouvoir connaître à fond la géométrie, l'astronomie, la musique et les autres sciences, ils vont au delà de ce qu'exige la profession d'architecte, et deviennent des mathématiciens. Aussi peuvent-ils apporter plus de lumière dans la discussion, parce qu'ils ont pénétré plus avant dans l'étude de ces sciences. Mais ces génies sont rares ; il s'en trouve peu comme ces Aristarque de Samos, ces Philolaüs et ces Archytas de Tarente, ces Apollonius de Perga, ces Ératosthène de Cyrène, ces Archimède et ces Scopinas de Syracuse, qui, avec le secours du calcul, et la connaissance qu'ils avaient des secrets de la nature, ont fait de grandes découvertes dans la mécanique et la gnomonique, et en ont laissé de savants traités à la postérité. 18. Mais puisque la nature, loin de prodiguer de tels moyens à tous les hommes, ne les a accordés qu'à quelques esprits privilégiés, et que pourtant il est du devoir de l'architecte d'avoir des notions de toutes ces sciences, puisque la raison, vu l'étendue des matières, ne lui permet d'avoir des sciences que ce qu'il lui est indispensable d'en connaître, sans exiger qu'il les approfondisse, je vous supplie, César, aussi bien que ceux qui doivent-lire mon ouvrage, d'excuser les fautes que vous pourrez rencontrer contre les règles de la grammaire. Rappelez-vous que ce n'est ni un grand philosophe, ni un rhéteur éloquent, ni un grammairien consommé dans son art, mais simplement un architecte avec quelque teinture de ces sciences, qui s'est imposé la tâche d'écrire ce traité. Mais quant à ce qui constitue la science architecturale, je me fais fort, si toutefois je ne m'abuse pas, d'établir ex professo dans cet écrit, tous les principes qui en découlent, non seulement pour ceux qui se livrent à la Pratique, mais encore pour tous ceux qui ne désirent en avoir que la théorie. |
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Caput 2
: Ex quibus rebus architectura constet.
Ichnographia est circini regulaeque modice contines usus, e qua capiuntur formarum in solis arearum descriptiones.
Orthographia autem est erecta frontis imago, modiceque picta rationibus operis futuri figura.
Item scaenographia est frontis et laterum abscedentium adumbratio, ad circinique centrum omnium linearum responsus.
Hae nascuntur e cogitatione et inventione. Cogitatio est cura, studii plena et industriae vigilantiaeque, effectus propositi cum voluptate.
Inventio autem est quaestionum obscurarum explicatio, ratioque novae rei vigore mobili reperta. |
II. En quoi consiste l'architecture. 1. L'architecture a pour objet l'ordonnance, que les Grecs appellent τάξις, la disposition qu'ils nomment διάθεσιν, l'eurythmie, la symétrie, la convenance et la distribution, à laquelle on donne en grec le nom d'οἰκονομία . L'ordonnance est la disposition convenable de chaque partie intérieure d'un bâtiment, et la conformité des proportions générales avec la symétrie. Elle se règle par la quantité, en grec ποσότης, qui est une mesure déterminée, d'après laquelle on établit les dimensions de l'ensemble d'un ouvrage et de chacune de ses parties. La disposition est la situation avantageuse des différentes parties, leur grandeur appropriée aux usages auxquels elles sont destinées. Les représentations de la disposition, en grec ἰδέαι sont : l'ichnographie, l'orthographie, la scénographie. L'ichnographie est le plan de l'édifice tracé en petit à l'aide de la règle et du compas, tel qu'il doit être sur l'emplacement qu'il occupera. L'orthographie représente l'élévation de la façade ; c'en est la figure légèrement ombrée, avec les proportions que doit avoir l'édifice. La scénographie est l'esquisse de la façade avec les côtés en perspective, toutes les lignes allant aboutir à un centre commun. Ces opérations sont le fruit de la méditation et de l'invention. La méditation est le travail d'un esprit actif, laborieux, vigilant, qui poursuit ses recherches avec plaisir. L'invention est la solution d'une difficulté, l'explication d'une chose nouvelle trouvée à force de réflexion. 3. Telles sont les parties nécessaires de la disposition. L'eurythmie est l'aspect agréable, l'heureuse harmonie des différentes parties de l'édifice. Elle a lieu lorsque les parties ont de la justesse, que la hauteur répond à la largeur, la largeur à la longueur, l'ensemble aux lois de la symétrie. 4. La symétrie est la proportion qui règne entre toutes les parties de l'édifice, et le rapport de ces parties séparées avec l'ensemble, à cause de l'uniformité des mesures. Dans le corps humain, le coude, le pied, la main, le doigt et les autres membres, offrent des rapports de grandeur ; ces mêmes rapports doivent se rencontrer dans toutes les parties d'un ouvrage. Pour les édifices sacrés, par exemple, c'est le diamètre des colonnes ou un triglyphe qui sert de module ; dans une baliste, c'est le trou que les Grecs appellent περίτρητον; dans un navire, c'est l'espace qui se trouve entre deux rames, nommé en grec διπηχαική C'est également d'après un des membres des autres ouvrages qu'on peut juger de la grandeur de toute l'œuvre. 5. La bienséance est la convenance des formes extérieures d'un édifice dont la construction bien entendue donne l'idée de sa destination, Elle s'obtient par l'état des choses, en grec θεματισμός, par l'habitude et par la nature : par l'état des choses, en élevant à Jupiter, à la Foudre, au Ciel, au Soleil, à la Lune,... des temples sans toit, à découvert. Car la présence de ces divinités se manifeste à nos yeux par leur éclat dans tout l'univers. Minerve, Mars et Hercule auront des temples suivant l'ordre dorique, parce que s'ils étaient bâtis avec la délicatesse particulière aux autres ordres, ils ne conviendraient point à la vertu sévère de ces divinités ; tandis que ceux de Vénus, de Flore, de Proserpine, des nymphes des fontaines, seront d'ordre Corinthien, les propriétés de cet ordre convenant parfaitement à ces déesses, dont la grâce semble exiger un travail délicat, fleuri, orné de feuillages et de volutes, qui contribuera d'une manière convenable à la bienséance. Si en l'honneur de Junon, de Diane, de Bacchus et d'autres divinités semblables, on élève des temples d'ordre ionien on aura raison, parce que cet ordre, qui tient le milieu entre la sévérité du dorique et la délicatesse du corinthien, est plus analogue au caractère de ces divinités. 6. L'habitude veut, pour que la bienséance soit observée, que, si l’'intérieur d'un édifice est enrichi d'ornements, le vestibule soit orné avec la même magnificence. Si en effet l'intérieur se fait remarquer par sa beauté, son élégance, et que l'entrée soit dépourvue de tout agrément, les règles de la bienséance seront violées. Supposez que sur des épistyles doriques on sculpte des corniches dentelées, ou que sur' des architraves ioniques, soutenues par des colonnes à chapiteaux en forme d'oreiller, on taille des triglyphes, et qu'ainsi on transporte à un ordre les choses qui sont particulières à un autre, les yeux en seront choqués, accoutumés qu'ils sont à une disposition d'un autre genre. 7. La bienséance sera conforme à la nature des lieux, si l'on choisit les endroits où l'air est le plus sain, les fontaines les plus salutaires, pour y placer les temples, principalement ceux qu'on élève à Esculape, à la Santé et aux autres divinités auxquelles on attribue la vertu d'opérer le plus de guérisons. Les malades qui passeront d'un endroit malsain dans un lieu dont l'air est pur, et qui feront usage d'excellentes eaux, se rétabliront plus promptement. D'où il résultera que la nature du lieu fera naître en faveur de la divinité une dévotion plus grande, grâce à l'importance qu'elle lui aura fait acquérir. Il y aura encore conformité de bienséance avec la nature du lieu, si les chambres à coucher et les bibliothèques reçoivent la lumière du levant, si les bains et les appartements d'hiver la reçoivent du couchant d'hiver ; si les galeries de tableaux et les pièces qui demandent un jour bien égal, sont tournées vers le septentrion : parce que cette partie du ciel n'est point exposée aux variations de lumière que produit le soleil dans sa course, et reste pendant tout le jour également éclairée. 8. La distribution est le choix avantageux des matériaux et de l'emplacement où l'on doit les mettre en œuvre ; c'est l'emploi bien entendu des capitaux consacrés aux travaux qu'on médite. Elle sera observée, si toutefois l'architecte ne cherche point de ces choses qu'il n'est possible de trouver, ni de se procurer qu'à grands frais. On ne rencontre point partout du sable fossile, du moellon, de l'abies, des sapins, du marbre. Ces objets se tirent les uns d'un endroit, les autres d'un autre, et le transport en est difficile et dispendieux. Alors il faut employer, quand on n'a point de sable fossile, le sable de rivière, ou le sable marin lavé dans l'eau douce. On remplace aussi l'abies et le sapin par le cyprès, le peuplier, l'orme, le pin. J'indiquerai également les moyens d'échapper aux autres inconvénients de cette sorte. 9. L'autre partie de la distribution consiste à avoir égard à l'usage auquel le propriétaire destine le bâtiment, ou à la somme qu'il veut y mettre, ou à la beauté qu'il veut lui donner, considérations qui amènent des différences dans la distribution. Une maison à la ville semble exiger un plan différent de celui d'une maison de campagne destinée à recevoir les récoltes ; la maison de l'agent d'affaires ne doit point ressembler à celle de l'homme opulent et voluptueux, et celle de l'homme puissant dont le génie gouverne la république, demande une distribution particulière : il faut, en un mot, distribuer les édifices d'une manière appropriée au caractère des personnes qui doivent les habiter. |
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Caput 3
: De partibus et terminationibus architecturae |
III. Des parties dont se compose l'architecture. 1. L'architecture se compose de trois parties : la construction des bâtiments, la gnomonique et la mécanique. La construction des bâtiments se divise elle-même en deux parties : l'une regarde l'emplacement des remparts et des ouvrages publics ; l'autre traite des édifices particuliers. Les ouvrages publics sont de trois sortes : la première a rapport à la défense, la seconde à la religion, la troisième à la commodité. Ceux qui concernent la défense sont les remparts, les tours et les portes de villes, qui ont été inventés pour servir perpétuellement de barrière contre les attaques de l'ennemi. Ceux qui regardent la religion sont les temples et les édifices sacrés, élevés aux dieux immortels. Ceux qui concernent la commodité sont les lieux consacrés à l'usage du peuple, comme les ports, les places publiques, les portiques, les bains, les théâtres, les promenoirs, tous les lieux, en un mot, qui ont cette destination. 2. Dans tous ces différents travaux, on doit avoir égard à la solidité, à l'utilité, à l'agrément : à la solidité, en creusant les fondements jusqu'aux parties les plus fermes du terrain, et en choisissant avec soin et sans rien épargner, les meilleurs matériaux ; à l'utilité, en disposant les lieux de manière qu'on puisse s'en servir aisément, sans embarras, et en distribuant chaque chose d'une manière convenable et commode ; à l'agrément, en donnant à l'ouvrage une forme agréable et élégante qui flatte l'œil par la justesse et la beauté des proportions. |
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Caput 4
: De electione locorum salubrium. |
IV. Sur le choix d'un lieu qui soit sain. 1. S'agit-il de construire une ville ? La première chose à faire est de choisir un endroit sain. Il doit être élevé, à l'abri des brouillards et du givre, situé sous la douce température d'un ciel pur, sans avoir à souffrir ni d'une trop grande chaleur ni d'un trop grand froid. Ensuite il faudra éviter le voisinage des marais. Les vents du matin venant, au lever du soleil, à souffler sur la ville apporteraient avec eux les vapeurs qui en naissent, et ces vapeurs chargées des exhalaisons pestilentielles qu'engendrent les animaux qui vivent dans les eaux stagnantes, envelopperaient les habitants, et rendraient leurs habitations très malsaines. Une ville bâtie sur le bord de la mer, qu'elle soit exposée au midi ou au couchant, ne sera point saine, parce que, durant l'été, dans les lieux qui ont la première de ces expositions, le soleil, dès son lever, échauffe l'air qui devient brûlant à midi ; et que, dans ceux qui regardent le couchant, l'air commençant à s'échauffer après le lever du soleil, est chaud au milieu du jour, et brûlant le soir. 2. Ces variations d'une température qui passe soudainement du chaud au froid, altèrent la santé de ceux qui y sont soumis. Son influence se fait même remarquer sur les choses inanimées. Dans les celliers couverts, ce n'est ni vers le sud, ni vers l'ouest, mais vers le nord qu'on pratique les jours, parce que cette partie du ciel n'est jamais exposée à ces variations : elle reste toujours la même, elle ne subit aucun changement. Voilà pourquoi les greniers qui reçoivent les rayons du soleil dans tout son cours font perdre si promptement leur qualité aux provisions qu'on y renferme ; voilà pourquoi les viandes et les fruits, si on ne les place pas dans des lieux où ne puissent pénétrer les rayons du soleil, ne se conservent pas longtemps. 3. La chaleur, par son action continuelle, enlève aux choses leur force, et, par les vapeurs brûlantes qui les épuisent, elle les altère et leur fait perdre leurs qualités naturelles. C'est aussi ce que nous remarquons pour le fer qui, tout dur qu'il est, s'amollit tellement dans les fourneaux par l'action du feu, qu'en le forgeant, il est aisé de lui donner la forme qu'on veut, et si, lorsqu'il est rouge encore et malléable, on le trempe dans de l'eau froide, il redevient dur, et reprend sa propriété nature. 4. On peut encore reconnaître celte vérité par l'affaiblissement qu'éprouvent les corps pendant les chaleurs de l' été, non seulement dans les jeux malsains, mais encore dans ceux qui ne le sont pas ; tandis qu'en hiver les contrées les plus malsaines cessent de l'être, parce que le froid y purifie l'air. On remarque aussi que ceux qui des régions froides passent dans les pays chauds, ne peuvent y rester sans être malades, au lieu que ceux qui quittent les climats chauds pour aller habiter les froides contrées du septentrion, loin de souffrir de ce changement, ne font qu'acquérir une santé plus robuste. 5. Aussi faut-il, à mon avis, lorsqu'il s'agit de jeter les fondements d'une ville, s'éloigner des contrées dans lesquelles l'homme peut être exposé à l'influence des vents chauds. Tous les corps sont composés de principes que les Grecs appellent stoixeÝa, qui sont le feu, l'eau, la terre et l'air ; c'est du mélange de ces principes que la nature ya fait entrer dans de certaines proportions, que sur la terre est généralement formé le tempérament de chaque animal. 6. Or, qu'un de ces principes, le feu, par exemple, vienne à surabonder dans un corps, il affaiblit les autres et les détruit. Tel est l'effet que produit sous certaines parties du ciel, le soleil, lorsqu'il fait pénétrer dans un corps, par les ouvertures que présentent les pores, plus de chaleur qu'il ne doit en recevoir, eu égard à la proportion des principes dont la nature l'a composé. De même si l'humidité envahit les pores des corps, et vient à rompre l'équilibre, les autres principes, altérés par l'eau, perdent leur action, et l’'on voit disparaître les qualités produites par leur juste proportion. Des vents froids, un air humide font naître aussi beaucoup de maladies. C'est encore ce qui arrive, lorsque les parties d'air et de terre que la nature a fait entrer dans la composition des corps, venant à augmenter ou à diminuer, affaiblissent les autres principes : la terre, par une nourriture trop solide; l'air, quand il est trop épais. 7. Mais, pour mieux saisir ces vérités, il n'y a qu'à observer avec attention la nature des oiseaux, des poissons et des animaux terrestres; il sera aisé de voir la différence des tempéraments. La proportion des principes vitaux est tout autre dans les poissons que dans les oiseaux; dans les animaux terrestres, elle est encore bien différente. Les oiseaux ont peu de terre, peu d'eau et beaucoup d'air joint à une chaleur tempérée. Composés des principes les plus légers, ils s'élèvent plus facilement dans les airs. Les poissons vivent aisément dans l'eau, parce qu'il entre dans leur nature une chaleur tempérée, beaucoup d'eau et de terre, et très peu d'humidité ; moins ils contiennent de principes aqueux, plus il leur est facile de vivre dans l'eau : aussi lorsqu'on vient à les tirer à terre, meurent-ils par la privation de cet élément. Les animaux terrestres, au contraire, chez lesquels l'air et le feu se trouvent dans une proportion modérée, et qui ont peu de terre et beaucoup d'humidité, ne peuvent vivre longtemps dans l'eau, à cause de l'abondance des parties humides. 8. Or, s'il en est ainsi ; si, comme je viens de l'exposer, le corps des animaux est composé de ces divers éléments ; s'il est vrai qu'en surabondant ou en faisant défaut, ils jettent dans l'organisation animale le trouble et la mort, point de doute qu'il ne faille choisir avec le plus grand soin les lieux les plus tempérés pour y construire des villes qui l'enferment toutes les conditions de salubrité. 9. Aussi je suis fortement d'avis qu'il faut en revenir aux moyens qu'employaient nos ancêtres. Anciennement on mettait à mort les animaux qui paissaient dans les lieux où l'on voulait fonder une ville ou établir un camp ; on en examinait les foies ; si les premiers étaient livides et corrompus, on en examinait d'autres, dans la crainte d'attribuer plutôt à la qualité de la pâture, qu'à une maladie, l'état de cet organe. Après plusieurs expériences, après avoir reconnu que cet organe était sain et entier, grâce à la bonté des eaux et des pâturages du lieu, on y élevait des retranchements, Si, au contraire, on les trouvait généralement corrompus, on allait s'établir ailleurs. On concluait de cette expérience, que l'eau et la nourriture devaient, dans ces mêmes lieux, occasionner chez l'homme les mêmes inconvénients. On changeait de demeure, et on allait dans une autre contrée chercher tout ce qui peut contribuer à la santé. 10. Veut-on s'assurer que les herbes et les fruits peuvent faire connaître la qualité du terrain qui les produit ? On le peut facilement, par les remarques faites sur les terres qui, en Crète, avoisinent le Pothérée, rivière qui coule entre deux villes de cette île, Gnossus et Gortyne. A droite et à gauche paissent des troupeaux ; ceux qui paissent près de Gnossus ont une rate ; mais on ne rencontre point de viscère chez ceux qui se trouvent de l'autre côté, près de Gortyne. Les médecins ont cherché la cause de cette singularité, et ont trouvé dans cet endroit une herbe qui a la vertu de diminuer la rate des animaux qui la broutent. Ils ont cueilli cette herbe et en ont fait un médicament pour guérir les personnes affectées de splénite. Les Crétois l'appellent ἄσπληνον. Cet exemple fait voir que la nourriture et la boisson peuvent faire apprécier la qualité bonne ou mauvaise des terrains 11. Si une ville a été bâtie dans des marais, et que ces marais s'étendent sur le bord de la mer ; si, par rapport à la ville, ils se trouvent au septentrion, ou entre le septentrion et l'orient, et qu'ils soient élevés au-dessus du niveau de la mer, elle me paraîtra raisonnablement située : car les canaux qu'on peut y pratiquer, tout en permettant l'écoulement des eaux vers le rivage, ne laissent pas, lorsque la mer est grossie par la tempête, de livrer passage aux vagues que l'agitation des flots y précipite ; et ces eaux salées venant à se mêler à celles des marais, empêchent de naître les animaux qui s'y produisent, et ceux qui des parties supérieures descendent en nageant tout auprès du rivage, y trouvent la mort au milieu des matières salines contraires à leur nature. Nous en avons un exemple dans les marais qui entourent Altinum, Ravenne et Aquilée, et dans d'autres municipes de la Gaule, où le voisinage des marais n'empêche pas que l'air ne soit merveilleusement sain. 12. Mais quand les eaux des marais sont stagnantes, sans avoir pour s'écouler ni rivière ni canal, comme dans les marais Pontins, elles croupissent par leur immobilité, et exhalent des vapeurs morbifiques et contagieuses. L'ancienne ville de Salapia, fondée, dans l'Apulie par Diomède, à son retour de la guerre de Troie, ou, selon quelques écrivains, par Elphias de Rhodes, avait été bâtie dans un endroit de cette nature. Les habitants, voyant qu'ils étaient chaque année frappés de maladies, se rendirent un jour auprès de M. Hostilius, et le prièrent tous de leur chercher, de leur choisir un lieu propre à recevoir leurs pénates. Il y consentit, et se mit sur-le-champ à examiner avec intelligence et sagesse, un lieu près de la mer, qu'il acheta, après en avoir reconnu la salubrité. Avec l'autorisation du sénat et du peuple romain, il y jeta les fondements de la nouvelle ville, y éleva des murailles, traça l'emplacement des maisons et il donna la propriété aux habitants, en faisant payer à chacun d'eux un sesterce seulement. Il fit ensuite communiquer avec la mer un lac voisin dont il fil un port pour la ville, de sorte que les Salapiens habitent aujourd'hui un endroit fort sain, à quatre milles de leur ancienne ville. |
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Caput 5
: De fundamentis murorum et turrium. |
V. Des fondements des murs et des tours. 1. Lorsque, par les moyens dont je viens de parler, on se sera assuré de la salubrité du lieu où l'on doit bâtir une ville ; lorsqu'on aura choisi une contrée dont la fertilité soit en l'apport avec les besoins des habitants, lorsque le bon état des chemins, le voisinage avantageux d'une rivière ou d'un port de mer, ne donneront rien à craindre pour la facilité des transports nécessaires à l'approvisionnement de la ville, il faudra s'occuper des fondements des murs et des tours. On devra creuser jusqu'à la partie solide, autant que semblera l'exiger l'importance de l'ouvrage ; prendre soin de donner aux fondements plus de largeur que les murailles qui doivent s'élever au-dessus, de terre, et n'employer pour la construction de ces fondations que la pierre la plus dure. 2. Les tours doivent être en saillie à l'extérieur, afin que si l'ennemi cherchait à escalader les murailles, il présentât ses flancs découverts aux traits qu'on lui lancerait des tours placées à droite et à gauche. Il faut surtout veiller à ce qu'on ne puisse approcher qu'avec difficulté des murs pour les battre en brèche : il faudra donc les entourer de précipices, et faire en sorte que les chemins qui conduisent aux portes ne soient point directs, mais qu'ils obliquent à gauche ; par ce moyen les assiégeants présenteront à la muraille le flanc droit, qui n'est point couvert du bouclier. Le plan d'une ville de guerre ne doit ni représenter un carré, ni avoir des angles avancés ; il doit former simplement une enceinte qui permette de voir l'ennemi de plusieurs endroits à la fois : car les angles avancés ne conviennent point à la défense, et offrent plus d'avantages aux assiégeants qu'aux assiégés. 3. Quant à l'épaisseur des murailles, je pense qu'elle doit être telle que deux hommes armés venant à la rencontre l'un de l'autre, puissent passer sans difficulté. Que dans cette épaisseur, des chevilles de bois d'olivier, formées d'une seule pièce et un peu brûlées, soient placées à des distances fort rapprochées, afin que les deux parements de la muraille joints ensemble par ces chevilles, comme par des clefs, aient une solidité qui défie les siècles. Le bois ainsi préparé n'a à redouter ni les coups du bélier ni pourriture ni vermoulure, et, qu'il soit enfoncé dans la terre ou recouvert d'eau, il y reste, sans se corrompre, toujours propre à la main d'œuvre. Cette pratique est excellente, non seulement pour les murs, mais encore pour les fondements. Toute autre muraille à laquelle on voudra donner l'épaisseur des remparts, gardera longtemps sa solidité par le moyen de cette liaison. 4. Les tours doivent être espacées de telle sorte que l’'une ne soit pas éloignée de l'autre de plus d'une portée de trait, afin que si l'ennemi vient à attaquer l'une d'elles, il puisse être repoussé par les traits lancés des tours, placées à droite et à gauche, par les scorpions et les autres machines. Il faut encore que le mur venant s'appuyer contre la partie inférieure des tours, soit coupé en dedans de manière que l'intervalle qu'on aura ménagé égale le diamètre des tours. Pour rétablir les communications, on jettera sur cet intervalle un léger pont en bois que le fer ne fixera point, afin que les assiégés puissent l'enlever facilement, si l'ennemi venait à se rendre maître de quelque partie du mur ; et s'ils y mettent de la promptitude, l'ennemi ne pourra qu'en se précipitant passer aux autres parties des tours et de la muraille. 5. Les tours doivent être rondes ou poligones : celles qui sont carrées croulent bientôt sous les efforts des machines, et les coups du bélier en brisent facilement les angles. Dans les tours rondes, au contraire, les pierres étant taillées en forme de coin, ne peuvent souffrir des coups qui les poussent vers le centre. Lorsque les tours et les courtines sont terrassées, elles acquièrent une très grande force, parce que ni les mines, ni les béliers, ni les autres machines ne peuvent leur nuire. 6. Toutefois ces terrasses ne sont nécessaires que lorsque les assiégeants ont trouvé hors des murs une éminence qui leur donne la facilité d'y arriver de plain-pied : dans ce cas, il faut creuser des fossés aussi larges et aussi profonds que possible. Au-dessous du lit de ces fossés doivent descendre les fondements du mur, auquel on donnera une épaisseur capable de soutenir les terres. 7. Il faut alors construire un contre-mur dans l'intérieur de la place, en laissant entre ce contre-mur et le mur extérieur un espace assez grand pour faire une terrasse qui puisse contenir les troupes destinées à la défendre, comme si elles étaient rangées en bataille. Entre ces deux murs placés à la distance exigée, on en doit bâtir d'autres transversalement, qui rattachent le mur intérieur au mur extérieur, et qui soient disposés comme les dents d'un peigne ou d'une scie. Par ce moyen, la masse des terres étant divisée en petites parties, et ne portant pas de tout son poids, ne pourra point pousser les murailles en dehors. 8. Quant aux matériaux qui doivent entrer dans la construction des murailles, il n'est pas facile de les spécifier, parce que chaque localité ne peut offrir toutes les ressources désirables; il faut donc employer ceux qui se rencontrent, soit pierres de taille, soit gros cailloux, soit moellons, soit briques cuites ou non cuites. A Babylone, on a pu bâtir des murs de brique, en employant, au lieu de chaux et de sable, le bitume dont cette ville abonde ; mais toutes les contrées ne peuvent, comme certaines localités, fournir assez de matériaux du même genre pour qu'il soit possible d'en construire des murs qui durent à jamais. |
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Caput 6
: De divisione et dispositione operum, quae ibtra muros sunt. |
VI. De la distribution des bâtiments, et de la place qu'ils doivent occuper dans l'enceinte des murailles. 1. Une fois l'enceinte terminée, on doit à l'intérieur s'occuper de l'emplacement des maisons, et de l'alignement des grandes rues et des petites, suivant l'aspect du ciel. Les dispositions seront bien faites, si l'on a eu soin d'empêcher que les vents n'enfilent les rues : s'ils sont froids, ils blessent ; s'ils sont chauds, ils corrompent ; s'ils sont humides, ils nuisent. Aussi faut-il se mettre à l'abri de ces inconvénients, et éviter avec soin ce qui arrive ordinairement dans plusieurs villes. Mitylène est une ville de l'île de Lesbos ; les bâtiments en sont élégants et magnifiques, mais ils n'ont point été disposés avec réflexion. Le souffle de l'auster y cause des fièvres, et celui du corus, des rhumes. Celui du nord guérit, il est vrai, de ces maladies ; mais il est si froid qu'il n'est pas possible, quand il se fait sentir, de rester dans les grandes rues ni dans les petites. 2. Or, le vent est un courant d'air dont l'agitation irrégulière cause un flux et un reflux. Il est produit par la chaleur qui agit sur l'humidité, et dont l'action impétueuse en fait sortir le souffle du vent : ce qui peut se vérifier à l’'aide des éolipyles d'airain dont l'ingénieuse découverte fait pénétrer la lumière dans les secrets que la nature semblait avoir réservés aux dieux. Les éolipyles, qui sont des boules creuses faites d'airain, n'ont qu'une petite ouverture par laquelle on introduit de l'eau. On les place devant le feu. Avant d'être échauffés, ils ne laissent échapper aucun air ; mais ils n'ont pas plutôt éprouvé l'action de la chaleur, qu'ils lancent vers le feu un vent impétueux. Cette expérience, si simple et si courte, nous met à même de connaître et d'apprécier les causes si grandes et si extraordinaires des vents et de l'air. 3. Qu'un lieu soit mis à l'abri des vents, non seulement les personnes qui se portent bien y conserveront une santé parfaite, mais encore celles qui, même dans d'autres endroits sains, ne trouvent pas dans les secours de la médecine de remède à des maladies qu'elles doivent à des causés étrangères aux vents, s'y guériront promptement, grâce à l'abri qu'elles y rencontreront. Les maladies dont la guérison est difficile dans les lieux dont il est parlé plus haut, sont les rhumes, la goutte, la toux, la pleurésie, la phtisie, l'hémoptysie, et les autres indispositions qui, pour guérir, ont moins besoin de débilitants que de toniques, La difficulté de traiter ces maladies vient d'abord de ce qu'elles sont causées par le froid, et ensuite de ce que sur des forces déjà épuisées par la maladie viennent agir les effets d'un air qui, raréfié par l'agitation des vents, exprime, pour ainsi dire, les sucs des corps malades, et les exténue de plus en plus ; au lieu qu'un air doux et d'une densité convenable, sans agitation, sans flux ni reflux, redonnant des forces aux membres par son calme et son immobilité, nourrit et rétablit ceux qui sont atteints de ces maladies. 4. Quelques auteurs n'admettent que quatre vents : le solanus, qui souffle du levant équinoxial ; l'auster, du midi ; le favonius, du couchant équinoxial ; le septentrion, du nord. Mais ceux qui se sont livrés à des recherches plus exactes, en ont compté huit. C'est surtout Andronique de Cyrrha, qui, pour en indiquer la direction, fit bâtir à Athènes une tour de marbre, de figure octogone. Sur les huit faces de cette tour était représentée l'image des huit vents, tournés chacun vers la partie du ciel d'où ils soufflent. Sur cette tour il éleva une pyramide en marbre, qu'il surmonta d'un triton d'airain, tenant une baguette à la main droite. Il était disposé de manière à se prêter à tous les caprices des vents, à présenter toujours la face à celui qui souillait, et à en indiquer l'image avec sa baguette qu'il tenait au-dessus. 5. Les quatre autres vents sont l'eurus, qui est placé entre le solanus et l'auster, au levant d'hiver ; l'africus, entre l'auster et le favonius, au couchant d'hiver ; le caurus, que plusieurs appellent corus, entre le favonius et le septentrion, et l'aquilon, entre le septentrion et le solanus. Tel est le moyen qui a été imaginé pour représenter le nombre et les noms des vents, et pour désigner exactement la partie du ciel d'où ils soufflent. Cela une fois connu, voici, pour trouver les points d'où partent les vents, le procédé qu'il faut employer. 6. On posera au milieu de la ville une table de marbre parfaitement nivelée, ou bien on aplanira le terrain à l'aide de la règle et du niveau, de manière à pouvoir se passer de la table. On placera au centre, pour indiquer l'ombre, un style d'airain que les Grecs appellent σκιαθήρας (qui trouve l'ombre). Avant midi, vers la cinquième heure du jour, on examinera l'ombre projetée par le style, et on en marquera l'extrémité par un point, puis, à l'aide d'un compas dont l'une des pointes sera appuyée au centre, on tracera une ligne circulaire, en la faisant passer par ce point qui indiquera la longueur de l'ombre projetée par le style. Il faudra observer de même, après midi, l'ombre croissante de l'aiguille, et, lorsqu'elle aura atteint la ligne circulaire et parcouru une longueur pareille à celle d'avant midi, en marquer l'extrémité par un second point. 7. De ces deux points on tracera avec le compas deux lignes qui se croisent, et on tirera une droite qui passera par le point d'intersection et le centre où le style est placé, pour avoir le midi et le septentrion. On prendra ensuite la seizième partie de la circonférence de la ligne circulaire dont l'aiguille est le centre ; on placera une des branches du compas au point où la ligne méridienne touche la ligne circulaire, et, sur cette ligne circulaire, à droite et à gauche de la ligne méridienne, on marquera cette seizième partie. Cette opération sera répétée au point septentrional. Alors de ces quatre points on tirera des lignes d'une des extrémités de la circonférence à l'autre, en les faisant passer par le centre, où elles se croiseront. De cette manière le midi et le septentrion comprendront chacun une huitième partie. Ce qui restera de la circonférence à droite et à gauche, devra être divisé en trois parties égales, afin que les huit divisions des vents se trouvent bien exactement indiquées sur cette figure. Ce sera alors au milieu des angles produits par ces différentes lignes, entre deux régions de vents, que devra être tracé l'alignement des grandes rues et des petites. 8. Le résultat de cette division sera d'empêcher que les habitations et les rues de la ville ne soient incommodées par la violence des vents. Autrement, si les rues sont disposées de manière à recevoir directement les vents, leur souffle déjà si impétueux dans les espaces libres de l'air, venant à s'engouffrer en tourbillonnant dans les rues étroites, les parcourra avec plus de fureur. Voilà pourquoi on doit donner aux rues une direction autre que celle des vents : frappant contre les angles des espèces d'îles qu'elles forment, ils se rompent, s'abattent et se dissipent. 9. Peut-être s'étonnera-t-on que nous n'adoptions que huit vents, quand on sait qu'il en est un bien plus grand nombre, qui ont chacun leur nom. Mais, si l'on considère qu'après avoir observé le cours du soleil, la projection des ombres de l'aiguille du cadran équinoxial et l'inclinaison du pôle, Ératosthène le Cyrénéen a trouvé, avec le secours des mathématiques et de la géométrie, que la circonférence de la terre est de deux cent cinquante-deux mille stades, qui font trente et un millions cinq cent mille pas, et que la huitième partie de cette circonférence, occupée par chacun des vents, est de trois millions neuf cent trente-sept mille cinq cents pas, on ne devra plus être surpris, si, dans un si grand espace, un vent, eu soufflant de côté et d'autre, en se rapprochant et en s'éloignant, semble en faire un plus grand nombre par ces divers changements. 10. C'est pourquoi à droite et à gauche de l'auster soufflent ordinairement le leuconotus et l'altanus ; aux côtés de l'africus, le libonotus et le subvesperus ; aux cotés du favonius, l'argeste, et les étésiens, à certaines époques ; aux cotés du caurus, le circius et le corus ; aux côtés du septentrion, le trascias et le gallicus ; à droite et à gauche de l'aquilon, le supernas et le boréas ; aux côtés du solanus, le carbas et en certains temps les ornithies ; et enfin aux cotés de l'eurus, qui est le dernier de la série, et qui occupe un des milieux, sc trouvent l'eurocircias et le vulturnus. Il existe encore plusieurs autres vents qui doivent leurs noms à certains lieux, à certains fleuves, à certaines montagnes d'où ils viennent. 11. Ajoutons ceux qui soufflent le matin. Le soleil, en quittant l'autre hémisphère, frappe, dans son mouvement de rotation, l'humidité de l'air, et produit, dans son ascension rapide, des brises qui déjà s'agitent avant son lever, et qui se font encore sentir lorsqu'il paraît sur l'horizon. Ces vents partent de la région de l'euros, que les Grecs ne semblent avoir appelé εὖρος que parce qu'il est produit par les vapeurs du matin. C'est, dit-on, pour la même raison qu'ils appellent αὔριον le jour du lendemain. Mais il y a quelques auteurs qui nient qu'Ératosthène ait pu trouver exactement la mesure de la circonférence de la terre. Peu importe que ses calculs soient exacts ou faux ; nous n'en aurons pas moins dans notre travail déterminé d'une manière certaine les régions d'où partent les vents. 12. Or, il sera toujours bon de savoir, lors même que cette supputation présenterait de l'incertitude, que les vents ont plus ou moins d'impétuosité. Ce n'est là qu'un faible exposé de la matière; pour en faciliter l'intelligence, j'ai cru devoir mettre à la fin de ce livre deux figures que les Grecs appellent σχήματα (plan raccourci) : l'une, par la disposition, fera connaître d'une manière précise les régions d'où soufflent les vents; l'autre fera voir comment, en donnant aux rues et aux différents quartiers une direction détournée de celle des vents, ils se trouveront à l'abri de leur influence nuisible. Soit sur une surface plane un centre indiqué par la lettre A ; l'ombre projetée avant midi par le gnomon sera aussi marquée au point B,et du centre A, en ouvrant un compas jusqu'à B qui indique l'extrémité de l'ombre, on tracera une ligne circulaire: cela fait, on replacera le gnomon où il était auparavant, et on attendra que l'ombre décroisse, qu'elle se trouve, en recommençant à croître, à la même distance de la méridienne qu'avant midi, et qu'elle touche la ligne circulaire au point C. Alors du point B et du point C, on décrira avec le compas deux lignes qui se couperont au point D ; de ce point D, on tirera ensuite une ligne qui, passant par le centre, ira aboutir à la circonférence où elle sera marquée des lettres E et F. Cette ligne indiquera la région méridionale et la région septentrionale. 13 On prendra alors la seizième partie de toute la circonférence avec le compas, dont on arrêtera une branche au point E, où la ligne méridienne vient toucher le cercle, et avec l'autre branche, on marquera à droite et à gauche les points G et H. On répétera cette opération dans la partie septentrionale, en fixant une des branches du compas au point F, où la ligne septentrionale vient toucher la circonférence, en marquant avec l'autre branche, à droite et à gauche, les points I et K, et en tirant de G à K et de H à I, des lignes qui passeront par le centre : de sorte que l'espace compris entre G et H sera affecté à l'auster et à la région méridionale, et que celui qui s'étend de I à K sera pour la région septentrionale. Les autres parties, qui sont trois à droite et trois à gauche, seront divisées également, savoir : celles qui sont à l'orient marquées par les lettres L et M et celles qui sont à l'occident marquées par les lettres N et O ; des points M et O, L et N on tirera des lignes qui se couperont ; et ainsi seront également répartis sur toute la circonférence les huit espaces qu'occupent les vents. 14. Cette figure une fois tracée, on trouvera, en commençant par le sud, une lettre dans chaque angle de l'octogone : entre l'eurus et l'auster un G, entre l'auster et l'africus un H, entre l'africus et le favonius un N, entre le favonius et le caurus un O, entre le caurus et le septentrion un K, entre le septentrion et l'aquilon un I, entre l'aquilon et le solanus un L ; entre le solanus et l'eurus un M. Quand on aura ainsi terminé la figure, on placera l'équerre entre les angles de l'octogone pour l'alignement et la division des huit rues. |
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Caput 7
: De electione locorum ad usum communem civitatis
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VII. Du choix des lieux destinés aux usages de tous les citoyens. 1. Après avoir déterminé l'alignement des grandes rues et des petites, il faudra songer à choisir l'emplacement des temples, du forum et autres endroits publics, de manière que tous les citoyens y trouvent commodité et avantage. Si la ville est au bord de la mer, l'endroit destiné à devenir place publique doit être choisi près du port ; si elle en est éloignée, la place publique devra occuper le centre de la ville. Quant aux temples, ceux surtout qui sont consacrés aux dieux tutélaires de la ville, comme Jupiter, Junon, Minerve, ils doivent être construits dans un lieu assez élevé pour que de là on puisse découvrir la plus grande partie des murs de la ville. Celui de Mercure sera sur le forum ; ceux d'Isis et de Sérapis dans le marché ; ceux d'Apollon et de Bacchus auprès du théâtre ; celui d'Hercule auprès du cirque, quand la ville ne possédera ni gymnase ni amphithéâtre ; celui de Mars s'élèvera hors de la ville, et dans le champ qui porte son nom ; celui de Vénus sera également hors de l'enceinte, auprès d'une des portes de la ville. Voici à ce sujet ce que portent les règlements des aruspices étrusques : les temples de Vénus, de Vulcain et de Mars seront placés hors de la ville : celui de Vénus, afin que les jeunes filles et les mères de famille ne prennent point dans la ville l'habitude des débauches auxquelles préside la déesse ; celui de Vulcain, afin que dans les cérémonies et les sacrifices, les murailles se trouvant éloignées des funestes effets du feu consacré à cette divinité, les maisons soient à l'abri de toute crainte d'être incendiées ; enfin celui de Mars, pour que toutes les pratiques du culte s'exerçant hors des murailles, il ne survienne point au milieu des citoyens de querelles sanglantes, pour que sa puissance les protège contre l'ennemi et les préserve des dangers de la guerre. 2. Celui de Cérès sera encore bâti hors de la ville, dans un lieu où il ne soit nécessaire de se rendre que pour offrir un sacrifice : ce n'est qu'avec respect, avec sainteté, avec pureté qu'on doit approcher de ce lieu. Les autres dieux doivent aussi avoir des temples dont l'emplacement soit approprié à la nature des sacrifices. Dans le troisième et le quatrième livre, je m'occuperai de la manière de bâtir les temples, et de leurs proportions, parce que je juge à propos de traiter dans le second des matériaux qui doivent entrer dans leur construction, de leurs qualités et de leur usage, me proposant de faire connaître dans les livres suivants la différence des ordres, ainsi que les divers genres et proportions des édifices. |
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(01) - Mens tua et numen. Le mot numen indiquait chez les Romains le souverain pouvoir. C'était une qualification dont ils honoraient leurs empereurs. On rencontre souvent dans les inscriptions devotus numini majestatique. L'adulation commençait à s'adresser, non aux hommes, mais à leurs titres magnifiques. (02) - Cunctis hostibus stratis. Il faut entendre par ces ennemis les adversaires de César : L. Antoine, Brutus, Cassius, Pompée, Lépide, M. Antoine. Ce fut donc après la bataille d'Actium que Vitruve écrivit son ouvrage. (03) - Parenti tuo divo. Galiani et Schneider lisent de eo au lieu de divo. Mais de eo ne signifie rien, tandis que divus, en grec σεβαστός, est le surnom que les Romains donnaient aux empereurs qui avaient bien mérité de la patrie. Ils les plaçaient après leur mort au nombre des dieux. (04) - Per sororis commendationem. Auguste avait deux soeurs. Si l'histoire garde le silence sur la jeune Octavie, elle présente l'aînée comme un modèle de toutes les vertus. (05) - Architecti est scientia. La définition de Vitruve est vague, et n'explique pas d'une manière assez précise ce que c'est que la science de l'architecte, l'architecture. Le mot architectus vient de ἀρχιτέκτων, mot grec qui, composé de ἀρχός et τέκτων, signifie principal ouvrier, ouvrier par excellence. L'architecture, en effet, était celle de toutes les sciences à laquelle les Grecs avaient donné un nom qui marquait une supériorité sur toutes les autres ; et Cicéron parle de l'architecture comme d'une science qui, avec la médecine et la morale, exige les plus vastes connaissances. Platon partageait ce sentiment. Poleni définit l'architecture, l'art de réunir dans une construction la solidité, l'utilité et la beauté. (06) - Ex fabrica. Les mots quae omnibus perficitur, qui suivent, font clairement entendre qu'il n'est ici question que de la pratique, qui est l'opération manuelle dans l'exercice de l'art de bâtir. (07) - Et ratiocinatione. C'est la théorie, c'est-à-dire la spéculation d'un objet sans aucune application à la pratique. Avec la simple théorie on peut être savant dans un art; mais pour y être maître, il faut y joindre la pratique. (08) - Peritus graphidis. Le dessin peut être regardé comme le talent le plus essentiel à l'architecte. Ce n'est que par lui qu'il peut se rendre compte des formes qu'il convient de donner à chaque partie d'un bâtiment, selon les principes de la convenance. Sans dessin, il lui sera impossible de faire concevoir ses idées. Il faut qu'il sache mettre au net les plans, profils et élévations des bâtiments sur des mesures prises ou données. S'il n'a pas l'habitude du dessin, dans quelles erreurs ne tombera-t-il pas relativement à la perspective, qui représente les objets autrement qu'ils ne sont. (09) - Eruditus geometria. L'architecte doit, en effet, connaître à fond la géométrie : c'est sur elle que repose entièrement la stéréotomie. Et à cette science il ne faut pas attacher l'idée que présente d'abord à l'esprit le nom de coupe des pierres; il ne s'agit point ici de l'ouvrage de l'artisan qui travaille la pierre, mais de la science du mathématicien qui le guide dans la confection des voûtes ou de quelque autre grand corps de maçonnerie par l'assemblage de plusieurs petites parties qui concourent, chacune en particulier, à former un tout régulier et solide. (10) - Optices non ignarus. L'optique est proprement la science de la vision des objets par des rayons qui viennent directement et immédiatement de ces objets à nos yeux, sans être ni rompus ni réfléchis par quelque corps; mais Vitruve semble ici borner la science de l'architecture à la connaissance des lois selon lesquelles la lumière se répand dans les appartements, sous les portiques, dans les cours, et à l'entendement des effets qu'elle doit produire, eu égard à l'étendue et à la configuration du lieu, à la situation des portes et des fenêtres, à la région du ciel vers laquelle elles sont tournées, à la grandeur de leur ouverture.Les anciens, du reste, comme on peut le voir par ce qu'en dit Aulu-Gelle (liv. V, ch. 16), avaient porté assez loin la science de l'optique. (11) - Instructus arithmetica. Diverses parties des mathématiques sont sans doute nécessaires à l'architecte. Sans la facilité de calculer, il ne saurait déterminer exactement les divisions, les proportions, la quantité des matériaux et la solidité des pièces. (12) - Historias complures novent. Il est d'autres raisons que celles que donne Vitruve, qui font exiger dans l'architecte une connaissance solide et étendue des moeurs et des usages des principaux peuples, et surtout de celui auquel il appartient. Cette connaissance lui servira à ordonner les bâtiments selon chaque classe d'hommes qui a ses besoins, ses occupations, ses commodités particulières. Cette connaissance lui servira à imaginer de nouvelles dispositions utiles, et à jeter dans le plan de ses bâtiments des idées avantageuses. (13) - Musicam sciverit. Galiani, dit de Bioul, attribue la perte de la belle architecture au peu de soin que les architectes ont pris de la cultiver, et d'appliquer à leur art ses belles proportions, à l'exemple des anciens. La savante description du mausolée d'Auguste que M. Bianchini a donnée au public, fait voir que ce que nous trouvons d'admirable dans ce beau monument, vient de ce qu'on a suivi cette méthode. M. Ouvrard publia en France, au milieu du XVIIe siècle, un traité d'architecture harmonique, où il applique les proportions musicales à l'architecture. Galiani rapporte qu'il a connu pendant son séjour à Rome, deux hommes très instruits dans cette partie : l'un était Romain, et se nommait Nicolas Ricciolini; l'autre Français, le chevalier Antoine de Rizet. Tous deux avaient étudié cette matière à fond, et, après des recherches infinies, ils avaient fait beaucoup de découvertes sur l'application qu'on peut faire des proportions musicales en architecture. (14) - Litteras architectura scire. Il est difficile de croire avec Perrault que Vitruve se contente d'exiger de l'architecte qu'il sache donner sa signature, dans le sens qui faisait dire à Néron, lorsqu'on lui fit signer une première sentence de mort : Quam vellem nescire litteras ! Ce n'est point un littérateur ni un puriste qu'il demande dans un architecte; mais Vitruve veut qu'il sache rédiger avec facilité, et qu'il ne soit pas dépourvu de toute littérature. (15) - Muliebres stolatas. La stola était une longue robe flottante que les honnêtes femmes, les dames, les femmes de qualité avaient seules le droit de porter à Rome. Il était défendu aux courtisanes et aux femmes condamnées pour adultère de porter la stola; d'où le nom de togatae qui leur était donné. (16) - Caryatides. Pline rapporte (Hist. Nat., liv. XXXVI, ch. 4) qu'entre autres chefs-d'oeuvre de Praxitèle, Rome possédait l'Heureuse Fortune au Capitole, et près de celle-ci les Ménades, les Thyades, les Cariatides. Il dit, un peu plus loin, que le Panthéon d'Agrippa était décoré des chefs-d'oeuvre de Diogène d'Athènes. Ses cariatides, en guise de colonnes, sont renommées comme ouvrages d'une grande beauté. Quelle était la posture de ces statues de femmes ? C'est ce que ne dit point Vitruve. Athénée semble indiquer quelque part que la main droite était levée jusqu'à la hauteur du fardeau, et que le bras gauche était tombant. Leur hauteur était proportionnée au couronnement ou entablement qui est appelé par Vitruve ornamenta, et qui se compose de l'architrave, de la frise et de la corniche. (17) - Carya civitas. M. Daniel Rainée, auteur d'une Histoire de l'architecture, publiée chez Paulin, en 1843, mécontent de l'origine que Vitruve donne à l'ordre dorique, origine qu'il attribue au hasard, s'écrie (t. 1er, p. 374) d'une manière qui, ce me semble, sent un peu trop la déclamation : « Et voilà, cependant, ce que Vitruve nous rapporte sérieusement au premier chapitre de son quatrième livre ! et voilà les paroles d'un auteur dont on a fait l'évangile des architectes, qu'on a proclamé comme le souverain arbitre en fait de goût et de proportions pour le grand art de l'architecture ! En vérité, il faut être bien ignorant en histoire, et avoir bien peu de critique, pour croire toutes les absurdités que nous débite Vitruve presque à chaque page de son livre. » Est-ce bien contre Vitruve qu'est lancée une critique aussi amère, aussi injuste? Je ne puis le croire : car qu'il soit plutôt ingénieur qu'architecte, qu'artiste, qu'il se perde si souvent dans des petitesses de détails (t. 1er, p. 409), je ne vois pas là de quoi être aussi complètement absurde qu'il est accusé de l'être. Vitruve s'est encore trompé sur l'origine des cariatides! Elle est fausse! Pourquoi ? Est-ce parce que s'il y avait dans le Péloponnèse deux villes du nom de Karya, l'une en Arcadie, l'autre en Laconie, toutes deux étaient trop petites et trop impuissantes pour penser qu'elles se fussent exposées aux chances d'une alliance avec les Perses? Cette raison est loin d'être suffisante. Est-ce parce que Pausanias dit (liv. III, ch. 10) : « Karya est un lieu consacré à Diane et aux nymphes. On y voit une statue de Diane Karyatis en plein air. Auprès de cette statue les jeunes filles de Lacédémone se divisent annuellement en groupes pour danser, comme on a l'habitude de le faire dans la campagne. » Il est vrai que tout près de Lacédémone, dans un endroit appelé Carie, on voyait un temple consacré à Diane Caryatis, en l'honneur de laquelle les jeunes filles de Laconie s'assemblaient, au temps de la récolte des noix (le mot καρύα signifie noix), et célébraient par des danses patriotiques une fête appelée Carya, c'est-à-dire la fête de Diane des noix, d'où leur fut donné le nom de Cariatides. Mais ce n'était qu'un lieu consacré à Diane, un temple, et non une ville, un État, civitas. Ce n'est donc point de cet endroit qu'il est question. Qu'importe maintenant ce que disent Pausanias (liv. I, ch. 27) et Suidas, des deux jeunes vierges demeurant auprès du temple de Minerve Polias, et nommées par les Athéniens Canéphores, Κανηφόροι, portant des paniers? puisqu'il ne s'agit dans ce passage, ni de Carie, ni de Cariatides. Il est vrai que M. Ramée ajoute : « Le temple de Minerve Polias est le seul exemple d'un monument de l'antiquité où nous voyions l'usage de cariatides au lieu de colonnes. » Cependant on lit (t. 1er, p. 244, de l'Histoire de l'architecture) qu'une rangée de huit piliers cariatides se trouvait au péristyle du grand et magnifique palais de Rhamsès IV Méiamoun, roi d'Égypte, le premier de la dix-neuvième dynastie thébaine (1474-1419 avant J.-C.). Et plus loin (p. 249) nous voyons an village de Karnac, la ville des monuments, où apparaît toute la magnificence pharaonique, un hypèthre double, ou péristyle oblong, environné de piliers cariatides.De ce qui précède, je ne prétends pas conclure que Vitruve ne s'est pas trompé sur l'origine des cariatides; mais encore faudrait-il prouver que ce qu'il dit est faux. Que ses renseignements sur la ville de Carie, sur cette guerre contre les Grecs, ne soient pas exacts, je suis assez porté à le croire. « Miletus, au rapport de Pausanias (liv. VII, ch. 2), étant venu avec une armée de Crétois, la ville et le pays prirent son nom. Miletus et les siens avaient quitté la Crète pour fuir la domination de Minos, fils d'Europe. Les Cariens qui habitaient auparavant ce pays, y étaient restés avec les Crétois ; mais lorsque les Ioniens eurent vaincu les anciens Milésiens, ils tuèrent tous les hommes, de quelque âge qu'ils fussent, excepté ceux qui s'échappèrent, lorsque la ville fut prise, et ils épousèrent leurs femmes et leurs filles. » Serait-ce de cette guerre qu'il s'agirait? Mais les vainqueurs épousent les femmes des vaincus! Julius Pollux (liv. IV, ch. 104) parle des Cariatides comme de femmes qui dansaient en l'honneur de Diane; Plutarque en fait aussi mention (Vie d'Aratus) dans le même sens. Où Vitruve a-t-il puisé l'histoire qu'il raconte sur la ville de Carie ? C'est une chose très incertaine. (18) - Pausania Cleombroti filio. Le Pausanias dont il est ici question, celui qui eut une si grande part à la victoire de Platée, était fils de Cléombrote (THUCYDIDE, PLUTARQUE). On trouve dans quelques éditions Agaesipolidos filio; c'est une erreur. (19) - Statuas Persicas. C'étaient des statues eu marbre ou en pierre, représentant des hommes couverts d'un vêtement barbare, et qui, comme les cariatides, faisaient l'office de colonnes dans les bâtiments. (20) - Canonicam rationem. La proportion canonique, c'est-à-dire régulière, est la même que la proportion mathématique. On l'appelle canonique, parce qu'elle est plus certaine, parce qu'elle fait voir la proportion de l'étendue des tons plus clairement que ne fait l'oreille, qui s'y peut quelquefois tromper. La proportion musicale ou harmonique, dont parle l'auteur (liv. V, ch. 3) au sujet de la construction des théâtres, repose seulement sur l'ouïe qui juge, par exemple, que la double octave en contient deux simples, tandis que la proportion canonique ou mathématique est fondée sur la mesure géométrique, qui fait voir que chaque moitié d'une corde partagée en deux, sonne l'octave de la corde entière. Le canon, dans la musique ancienne, était une règle divisée et subdivisée en plusieurs parties qui déterminaient les intervalles des notes. Sur cette règle, faite avec du bois ou de la corne, ou avec une lame de cuivre, on mettait une corde en boyau ou en métal, médiocrement tendue à l'aide de deux chevalets placés aux deux extrémités. Entre ces deux chevalets, il y en avait un autre mobile, qui, appliqué aux différentes divisions de la règle, indiquait dans quels rapports se trouvaient les sons avec les longueurs de la corde qui les rendaient. Cet instrument s'appelait monocorde. Selon Boèce, il avait été inventé par Pythagore pour mesurer géométriquement les proportions des sons. (21) - Foramina hemitoniorum. Telle est la version de presque toutes les éditions de Vitruve. Quelques-unes portent homotonorum, et Perrault adopte ce mot contré l'avis, dit-il, de Turnèbe, de Baldi et de Héron. Voilà pourtant des hommes dont l'opinion est assez grave, ce me semble, pour qu'on regarde à deux fois avant de la rejeter. « Tumèbe, ajoute Perrault, se fondant sur Héron, dit que quelques-uns des anciens appellent la corde que l'on passait dans ces trous tonos, entonos, hemitonion, et il est évident que Héron donne les trois noms pour synonymes; or, il n'est pas possible qu'un ton signifié par tonos, et un demi-ton exprimé par hemitonion soient synonymes. » Comment peut-on supposer que Héron, mécanicien aussi célèbre que bon mathématicien, ait cru que 1 était égal à.2; c'est absolument là ce que lui prête Perrault. Que les mots sonos, hemitonion aient été employés pour désigner les cordes qui bandaient les bras des catapultes, c'est une chose qu'on ne peut révoquer en doute; mais ont-ils été employés comme synonymes? Non. Les catapultes, les machines de guerre de ce genre n'étaient pas sans doute toutes montées au même degré de force. Si dans les plus fortes le bras était composé de deux pièces de bois exigeant chacune une corde, il pouvait y en avoir de plus faibles, dont une pièce de bois seulement formait le bras qui n'était alors bandé que par une seule corde. De là l'explication, dans Héron, de tonos et de hemitonion. Que signifie tonos? Il signifie tension. Et hemitonion ? Demi-tension, moitié de tension. Or, dans les machines faibles, le bras qui n'était composé que d'une seule pièce de bois se trouvait complètement tendu à l'aide d'une seule corde, appelée alors par Héron tonos. Mais dans la forte machine dont parle Vitruve, le bras se composait de deux pièces. L'une de ces deux pièces se bandait d'abord; le bras se trouvait donc à moitié tendu, et la corde qui avait fonctionné se nommait hemitonion, demi-tension. On passait ensuite à la seconde pièce du bras, et on la bandait au moyen de l'autre hemitonion que l'on tendait jusqu'à ce qu'elle eût atteint cette homotonie, cette égalité de tension exigée pour que le bras de la machine frappât avec une égale force. (22) - Ergatis. - Ergata, du mot grec ἔργον, Ouvrage, signifie vindas, cabestan, guindas, vireveau. Tous ces noms désignent une machine composée de deux tables de bois, et d'un treuil autour duquel s'enroule le câble. On fait tourner verticalement, à l'aide de deux leviers, ce treuil qu'on appelle encore fusée, tour. Cette machine sert sur les vaisseaux à lever l'ancre, et sur terre à remonter les bateaux et à tirer de lourds fardeaux. (23) - Suculis. Le treuil est le rouleau ou cylindre autour duquel file le câble. Les Latins l'appelaient sucula, petite truie, parce qu'ils prétendaient que les deux leviers qu'on passait dedans, pour le faire tourner, représentaient les oreilles d'une truie ; c'est pour la même raison qu'ils le nommaient asellus, petit âne, et bucula, jeune vache. Les Grecs lui avaient aussi donné le nom de ὀνίσκος, ânon. Les Français eux-mêmes disent truie. Le treuil armé de ses deux leviers forme le moulinet. (24) - Quae Graeci ἠχεῖα vocant. La racine du mot ἠχεῖον, ἦχος, son, bruit, a aussi formé le mot ἠχώ, écho, son répercuté. Les ἠχεῖα étaient donc des vases sonores qui servaient à la répercussion de la voix. Chez les Grecs, les théâtres s'étant beaucoup agrandis, la voix des acteurs se perdait dans la vaste étendue de leur enceinte. Il fallut chercher un moyen de la rendre plus forte et plus distincte. On imagina des vases d'airain dont les sons répondaient à ceux de la voix humaine et des instruments, afin que tous les sons qui partaient de la scène pussent faire vibrer quelqu'un de ces vases, suivant le rapport qui était entre eux. (25) - Hydraulicas quoque machinas. Il n'est ici question que de l'espèce de machines que nous appelons aujourd'hui orgues, et dont l'auteur traite plus amplement au livre X, ch. 13. (26) - Inclinationes coeli, quae Graeci κλίματα dicunt. Les climats, de κλίνω, c'est-à-dire inclino, sont des parties ou zones de la superficie de la terre, comprises entre deux cercles parallèles à l'équateur. Ils se prennent depuis l'équateur jusqu'aux pôles vers lesquels ils inclinent dans une certaine proportion. Ainsi le premier climat, à son commencement, a douze heures de jour à son plus grand jour, et à sa fin douze heures et demie à son plus grand jour. Le second climat, qui commence où finit le premier, a douze heures et demie à son plus grand jour, et à sa fin treize heures à son plus grand jour; et ainsi des autres Climats qui vont jusqu'au cercle polaire, où se terminent les climats de demi-heures, au nombre de quarante-huit, et où commencent les climats de mois, au nombre de douze, qui sont également des espaces compris entre deux cercles parallèles au cercle polaire, situés par delà ce cercle, et dans lesquels le plus grand jour est plus long d'un mois, ou de trente jours, à la fin qu'au commencement. Les anciens n'avaient que sept climats, parce qu'ils pensaient qu'une partie de la zone torride, vers l'équateur, et une partie de la zone tempérée, par delà le 50e degré de latitude, étaient inhabitables. Le premier climat commençait à 12° 41' de latitude, où le plus long jour d'été est de douze heures trois quarts; et le septième finissait vers le 50 degré de latitude, où le plus long jour est de seize heures vingt minutes. Pour mieux distinguer leurs climats, ils en faisaient passer le milieu par les lieux les plus considérables du vieux continent; le premier, par Méroé, en Éthiopie; le deuxième, par Syène, en Égypte ; le troisième, par Alexandrie, aussi en Égypte; le quatrième, par l'île de Rhodes; le cinquième, par Rome; le sixième, par le Pont-Euxin, et le septième par l'embouchure du Borysthène. Ils en firent passer un huitième par les monts Riphées, dans la Sarmatie asiatique, et un neuvième par le Tanaïs. (27) - Ex astrologia. Ce mot est composé de ἀστήρ, étoile, et de λόγος, discours. L'astrologie, dans le sens littéral du mot, signifierait donc la connaissance du ciel et des astres. C'est là ce qu'il signifiait dans son origine; c'est aussi dans ce sens que l'emploie Vitruve. La signification de ce mot a changé. Il signifie maintenant l'art de prédire l'avenir par les aspects et les influences des corps célestes, et nous appelons astronomie ce que les anciens nommaient astrologie. (28) - Ad summum templum. - Templum est la même chose que culmen, et signifie faite, faîtage. C'est la pièce de bois qui, dans un comble, porte sur les chevrons. De même que templum signifie le latte, la partie la plus élevée d'un édifice, de même il exprime le plus haut point qu'on puisse atteindre dans les sciences et dans les arts:. (29) - Omnes disciplinas. Cicéron a dit dans son plaidoyer pour le poète Archias : « Tous les arts qui servent à perfectionner l'humanité sont unis par un lien commun; ils sont, pour ainsi dire, les enfants d'une même famille. » (30) - Aristarchus. C'était un censeur sévère, mais d'un goût pur, et son nom est resté comme le type du critique: Ses travaux sur Homère l'ont surtout rendu célèbre. (31) - Aristoxenus. Aristoxène fut chef de la secte des aristoxéniens, opposée aux pythagoriciens. Les premiers n'admettaient pour juge en musique que l'oreille ; les seconds ne s'en rapportaient qu'à la précision du calcul. (32) - Apelles. Célèbre peintre grec. Ses meilleurs tableaux étaient Alexandre Tonnant, Vénus endormie, et Vénus Anadyomène. (33) - Myron seu Polycletus. Myron était un sculpteur grec que les poètes grecs et latins se sont plu à célébrer. Il imitait parfaitement la nature. On estimait surtout une génisse qui était si parfaite qu'elle paraissait être vivante. Il fut le condisciple et l'émule de Polyclète, sculpteur fameux, surtout par sa belle Junon colossale, faite pour le temple d'Argos, et par, une statue modèle, dite le canon, c'est-à-dire la règle, dans laquelle il avait réuni toutes les perfections du corps humain. (34) - Hippocrates. Père de la médecine, surnommé le divin vieillard. Ses Aphorismes sont regardés comme son chef-d'oeuvre, et jouissent encore d'une autorité suprême. (35) - Uti medicis et musicis de venarum rhythmo et de pedum motu. Les anciens confondaient les artères avec les veines, et les dénommaient par le mot général de venae.. Le pouls était peu connu d'eux, et Hippocrate qui le premier l'a distingué des autres mouvements, et nommé σφυγμός, dérivé de σφύζω, battre, s'élever, a beaucoup négligé cette partie importante de la médecine, Hérophile, qui vivait près de deux siècles après Hippocrate, fut le premier qui étudia sérieusement le pouls. Ses écrits ne sont point parvenus jusqu'à nous. Pline prétend qu'il exigeait que ceux qui s'appliquaient à l'étude du pouls fussent musiciens et géomètres, pour pouvoir connaître parfaitement le rythme ou cadence du pouls, qui, dit Galien, n'est autre chose que la proportion qu'il y a entre le temps du mouvement et celui du repos, laquelle proportion varie suivant les âges, les tempéraments, les temps de l'année, les climats et d'autres circonstances. Les médecins ont emprunté ce terme à la musique, qui s'en sert pour expliquer les proportions et les mesures du chant. Il est aussi commun à la proportion des mouvements réglés et des pas mesurés dans la danse. (36) - Astrologis et musicis. Les anciens trouvaient la plus grande analogie entre les distances des planètes et les intervalles des sons. Les planètes, disait Pythagore., se meuvent de mouvements qui sont entre eux comme les intervalles harmoniques. L'harmonie du monde et celle de la musique ne diffèrent point. Le mouvement des orbites célestes qui emporte les sept planètes, forme un concert parfait. « Quels sons doux et puissants frappent mes oreilles? lui demandait Eustathe. - Vous entendez l'harmonie qui, formée d'intervalles inégaux, mais calculés suivant de justes proportions, résulte de l'impulsion et du mouvement des sphères et dont les tons aigus, mêlés aux tons graves, produisent régulièrement des accords variés : car de si grands mouvements ne peuvent s'accomplir en silence; et la nature veut que, si les sons aigus retentissent à l'une des extrémités; les sons graves sortent de l'autre. Ainsi ce premier monde stellifère, dont la révolution est plus rapide, se meut avec un son aigu et précipité, tandis que le cours inférieur de la lune ne rend qu'un son grave et lent : car pour la terre, neuvième globe, dans son immuable station, elle reste toujours fixe au point le plus abaissé, occupant le centre de l'univers. Ainsi les mouvements de ces astres, parmi lesquels deux ont la même portée, produisent sept tons distincts, et le nombre septénaire est le noeud de presque tout ce qui existe. Les hommes qui ont su imiter cette harmonie avec la lyre et la voix, se sont frayé le retour vers ces lieux. » Les sept étoiles mobiles, dit Macrobe (Comment. du Songe de Scipion l'Africain, liv. II, ch. I), en fournissant leur course circulaire, éprouvent un mouvement de vibration qui se communique au fluide qui les environne; c'est de ce mouvement communiqué que résulte le son. Or, tout est ordonné dans le ciel selon des lois divines et des règles précises. Il est donc incontestable que le mouvement circulaire des sphères produit des sons harmonieux, puisque le son est le résultat du mouvement, et que l'harmonie des sons est le résultat de l'ordre qui règne aux cieux. Pythagore est lé premier des Grecs qui ait attribué aux sphères cette propriété harmonique et obligée, d'après l'invariable régularité du mouvement des corps célestes. Après avoir, pour déterminer la nature des accords des sous entre eux, fait un premier essai des consonnes musicales sur des marteaux, il en fit un second sur une corde sonore tendue avec des poids. Pressée dans sa moitié précise, elle donna le diapason eu l'octave; dans son tiers, le diapentes ou la quinte; dans son quart, le diatessaron ou la quarte; dans son huitième, le ton, et dans son dix-huitième, le demi-ton. Le ton qui est dans le rapport de neuf huit, et le demi-ton, dans celui de deux cent cinquante-six à deux cent quarante-trois, servaient à remplir les intervalles du diapason, du diapentes et du diatessaron. A ces trois consonnances qui composèrent d'abord l'harmonie des anciens, on ajouta plus tard le diapason et le diapentes, puis le double diapason. Le diapason consistait en six tons; le diapentes, en trois tons et un demi-ton; le diatessaron, en deux tons et un demi-ton; le diapason et le diapentes, en neuf tons et un demi-ton; le double diapason, en douze tons. Cette découverte produisit un grand effet. On voulut l'appliquer à tout et particulièrement au système de l'univers. « Platon, dans l'endroit de sa République où il traite de la vélocité du mouvement circulaire des sphères, dit que sur chacune d'elles il y a une sirène qui par son chant réjouit les dieux. Les théologiens ont aussi entendu par les neuf muses, les huit symphonies exécutées par les huit globes célestes, et une neuvième qui résulte de l'harmonie générale. Voilà pourquoi Hésiode, dans sa Théogonie, donne à la huitième muse le nom d'Uranie :car la sphère stellaire, au-dessous de laquelle sont placées les sept sphères mobiles, est le ciel proprement dit; et pour nous faire entendre qu'il en est une neuvième, la plus intéressante de toutes, parce qu'elle est la réunion de toutes les autres harmonies, il ajoute : Calliope est l'ensemble de ce qu'il y a de plus parfait. » (MACROBE), Comment., etc., liv. II. 3.) Chaque sirène était chargée de surveiller l'exécution d'une suite de sons qui, représentés par les syllabes dont nous nous servons pour solfier, donnerait : pour
La LUNE, si, do, ré, etc.
De
la TERRE à la LUNE... 1 ton (37) - In quadratis et trigonis, diatessaron et diapente. Les anciens astronomes se servaient de trois figures, le trigone, le tétragone et l'hexagone. Ces trois mots indiquent les différents aspects ou situations des astres, les uns par rapport aux autres. L'aspect trigone ou trine est la troisième partie d'un cercle. Il marque une distance de 120 degrés. On le représente parle caractère Δ. L'aspect tétragone ou quadrat est la quatrième partie d'un cercle. Il marque une distance de 90 degrés. On le représente par le caractère G. L'aspect hexagone ou sextile est la sixième partie d'un cercle. Il marque une distance de 60 degrés.le représente par le caractère *. Dans la musique, les trois plus grands intervalles forment les consonnances les plus parfaites, parce que ces consonances n'admettent ni majorité ni minorité, sans cesser d'être consonances. Ce sont le diapason ou octave, le diapentes ou quinte, et le diatessaron ou quarte. - Diatessaron est le nom que les Grecs donnaient à l'intervalle que nous appelons quarte, et qui est la troisième des consonnances. Il est composé de διά, par, et de τέσσαρος, quatre, parce qu'en parcourant cet intervalle diatoniquement, on passe par quatre sons différents, comme do, ré, mi, fa. - Diapentes est le nom que les Grecs donnaient à l'intervalle de musique que nous appelons quinte, et qui est la deuxième des consonances. Ce mot est formé de διά, par, et de πέντε, cinq, parce qu'en parcourant diatoniquement cet intervalle, on passe par cinq tons différents. - Diapason (de διά, par, et πασῶν, sous-entendu χῳδῶν, toutes les notes, l'échelle des sep cordes) est un terme de la musique grecque par lequel les anciens exprimaient l'intervalle de l'octave. Cet intervalle s'appelle octave, parce que pour marcher diatoniquement d'un de ses termes à l'autre, il faut passer par sept degrés, et faire entendre huit sons. Pour solfier, les anciens se servaient, selon Aristide Quintilien, de quatre syllabes grecques, τε, τα, τη, τω qui répondaient aux quatre sons du premier tétracorde : τε, à l'hypate, ou au premier son; τα, à la parhypate, ou au deuxième son; τη à la lichanos, ou au troisième son ; τω, à la nete, ou au quatrième son, et ainsi des autres tétracordes. Ces quatre sons équivalaient à si, do, ré, mi. (38) - Aristarchus Samius. Ce philosophe, contemporain d'Archimède, est un des premiers qui ont soutenu que la terre tourne sur son centre, et qu'elle décrit tous les ans un cercle autour du soleil. (39) - Philolaus. Ce philosophe pythagoricien passe pour être l'auteur du système astronomique qui fait tourner la terre et les autres planètes autour du soleil. (40) - Archytas Tarentinus. Archytas était un des plus fameux pythagoriciens de son temps. Élu six fois chef de la république par les Tarentins, il battit en plusieurs rencontres les ennemis de la patrie. Ce fut lui qui tira Platon des mains de Denys le Tyran, qui voulait le faire mourir, Il avait écrit sur les mathématiques, la musique, l'astronomie, la cosmogonie, la morale, la politique. Il ne reste de ses ouvrages que de très courts fragments. On lui attribue plusieurs inventions, entre autres le cube dans la géométrie, la vis et la poulie. Il naquit vers 440 avant J.-C., et mourut dans un naufrage sur les côtes de l'Apulie, vers 360. Horace a célébré sa mort, liv. I, ode 28. (41) - Apollonius Pergaeus. Ses contemporains l'appelèrent le Grand géomètre. Le plus considérable de ses traités est celui des Cônes, en huit livres. (42) - Eratosthenes Cyrenaeus. Eratosthène, selon Suétone, a le premier porté le nom de philologue, ou celui de critique, suivant Clément d'Alexandrie. Le premier il trouva le moyen de mesurer un degré du méridien, et d'évaluer la grandeur de la terre il détermina l'obliquité de l'écliptique, inventa la sphère armillaire, et construisit le premier observatoire. Il laissa une carte générale qui fut longtemps l'unique base de la géographie. Il donna à l'arc du méridien compris entre les deux tropiques 47° 42', et, vingt siècles après lui, l'Académie des sciences de Paris retrouvait, à fort peu de chose près, la même mesure, 47° 40'. (43) - Archimedes et Scopinas ab Syracusis. On sait que ce fut à l'aide des machines d'Archimède que Syracuse assiégée pro-longea pendant trois ans sa résistance contre les efforts de Marcellus, qui y pénètre enfin par surprise. On lui attribue l'invention des moufles, de la vis sans fin et de la vis creuse, nommée encore aujourd'hui vis d'Archimède. Le Scopinas dont il est ici question est sans doute celui dont parle Vitruve au liv. IX, ch. 8. Il avait inventé une espèce particulière de gnomon. (44) - Non juxta necessitatem summas. La raison n'exige pas que l'architecte soit versé dans la connaissance de toutes les sciences; il suffit qu'il sache ne rien faire perdre à l'art de sa noblesse. (45). - Mediocres scientias habere disciplinarum. Vitruve exige dans l'architecte de nombreuses connaissances auxquelles son ouvrage prouve qu'il n'était pas étranger. Aussi a-t-on dit de lui qu'il possédait l'encyclopédie, c'est-à-dire la connaissance des sept arts libéraux. Le dessin, la géométrie, l'arithmétique, l'optique, la philosophie, la musique, la médecine, la jurisprudence, l'astronomie, entrent dans l'énumération des études qu'il prescrit. La raison qu'il donne de l'application à son art de chacune de ces connaissances, n'est pas dictée par une vaine préoccupation. Il se borne à ce que chacune d'elles a d'applicable à son art. A l'optique, il emprunte seulement les effets de lumière; à la musique, les effets d'acoustique ; à la médecine, la connaissance des lieux sains ou insalubres ; à la jurisprudence, celle des lois concernant les murs communs, etc. L'astronomie n'entre guère dans son plan que pour la confection des cadrans solaires. Quant à l'histoire, elle doit fournir l'idée des ornements que l'architecte emploie. Enfin, il veut que la philosophie lui donne une âme grande sans arrogance, et qu'elle lui apprenne à être juste, fidèle et surtout exempt d'avarice. (46) - Si quid parum ad artis grammaticae regulam fuerit explicatum. C'est ce que n'auraient point dû oublier ceux qui critiquent le style de Vitruve avec tant d'amertume. (47). - Cum maxima auctoritate, me sine dubio praestaturum. Vitruve semble pressentir que son ouvrage survivra à tous ceux qui traitent de la même science, et ces paroles, comme celles d'Horace : Exegi monumentum aere perennius; comme celles d'Ovide Jamque opus exegi quod nec Iovis ira nec ignes; découlent de ce même principe : Sume superbiam quaesitam meritis. (48) - Architectura, autem constat. Dans ce chapitre Vitruve fait de l'architecture une analyse qui a paru fort obscure à tous les commentateurs. Faire connaître leurs différentes manières d'expliquer la division qu'ils en ont donnée, n'éclaircirait en rien une question qui, du reste, ne paraîtra pas telle qu'elle est, tellement embrouillée qu'on ne puisse bien' s'y reconnaître. Je me contenterai de tracer ici le tableau qu'en fait Barbaro. L'architecture peut être considérée
-
ou en elle-même L'essence de l'architecture, dit M. Sulzer dans sa Théorie générale des beaux-arts, en considérant cet art comme une production du génie dirigé par le bon goût, consiste à donner aux édifices toute la perfection sensible ou esthétique, que leur destination comporte. Perfection, ordre, convenance dans la distribution intérieure; beauté dans la figure, caractère assortissant, régularité, proportion, bon goût dans les ornements au dedans et au dehors : voilà ce que l'architecte doit mettre dans tous les bâtiments qu'il veut construire. Dès qu'on lui aura indiqué la destination précise, c'est à lui à trouver le nombre des pièces principales, et à donner à chacune la grandeur la plus convenable pour l'usage auquel elle est destinée; il doit ensuite distribuer ces pièces principales et les réunir en un tout, de manière que chaque pièce ait la place qui lui convient le mieux, et qu'en même temps le tout présente au dedans et au dehors un édifice bien en-tendu, commode, qui réponde à son genre et à sa destination, dont la forme plaise aux yeux ; et qu'il n'y ait aucune partie qui, jusque dans le petit détail, ne soit telle précisément que son usage le demande; qu'on voie régner dans l'ouvrage entier l'intelligence, la réflexion et le bon goût; qu'on n'y aperçoive rien d'inutile, d'indécis, de confus ou de contradictoire ; que l'oeil attiré par la forme gracieuse de l'ensemble, soit dirigé d'abord vers les principales parties; qu'il les distingue sans peine, et qu'après les avoir considérées avec plaisir, il s'arrête sur les parties de détail dont l'usage, la nécessité et le juste rapport au tout se fassent aisément sentir ; qu'il y ait dans l'ensemble une telle harmonie, un tel équilibre entre les parties, qu'aucune ne domine au préjudice des autres, et que rien de défectueux ou d'imparfait n'interrompe désagréablement l'attention. En un mot, il faut qu'on découvre dans un bâtiment parfait, autant que la nature de l'objet peut le permettre, la même sagesse, le même goût que l'on admire dans la structure intérieure et extérieure du corps humain, lorsqu'il est sans défauts. (49) - Ordinatio. L'ordonnance d'un bâtiment, c'est en quelque sorte la conception générale de l'ouvrage. Pour qu'il forme un tout bien proportionné, il faut arrêter la grandeur que chaque partie doit avoir. Suivant la définition dé Vitruve, l'ordonnance peut convenir à la, disposition des colonnes qui fait le pycnostyle, l'eustyle, l'aréostyle, etc. ; car cette disposition n'est rien mitre chose que la manière de déterminer la grandeur du diamètre des colonnes à l'égard de celle de leurs entrecolonnements. L'ordonnance se règle donc par la proportion qui harmonise toutes les parties d'un tout, eu égard à la convenance et à la distribution. Or, la proportion, la convenance et la distribution ont été ajoutées à l'ordonnance et à la disposition, non comme des parties de l'architecture, mais comme ce qui les perfectionne. (50) - Modica membrorum operis commoditas. C'est-à-dire aptitudo, proportion, convenance. Suétone (Vie d'Auguste, ch. LXXXIX) a dit : Staturam brevem.... sed quæ commoditate et aequitate membrorum occultaretur. « Sa taille était petite, mais ses membres étaient si bien faits, si bien proportionnés; qu'on ne s'apecevait. ». (51) - Dispositio. La disposition exprime, cette partie de l'art qui enseigne comment il faut placer chaque chose selon sa qualité : la colonne sur la base, par exemple, le chapiteau sur le fût, l'entablement sur les chapiteaux. Dans un sens. plus étendu, et, dans toute la force du terme, c'est l'arrangement que fait l'architecte, d'après les règles contenues dans ce chapitre, des différentes parties qui doivent composer l'édifice qu'il a conçu, pour ne former qu'un seul tout. (52) - Ichnographia. Le mot ichnographie formé de ἴκνος, trace, et de γράφω, je décris, signifie proprement le plan ou la trace que forme sur le terrain la base d'un corps qui y est appuyé; c'est ce que nous appelons plan terrestre, ou planimétrique. En architecture, c'est une section transverse d'un bâtiment, qui représente la circonférence de tout l'édifice avec l'épaisseur des murailles, la distribution des différentes pièces qui le composent, les dimensions des portes et des fenêtres, les saillies des colonnes et des pieds-droits, en un mot avec tout ce qui peut être vu dans une pareille section.
(53) - Orthographia. Le mot orthographie, formé de ὀρθός, droit, et de γράφω, je décris, indique un dessin dans lequel chaque chose se marque par des lignes tirées perpendiculairement, ou plutôt dans lequel toutes les lignes horizontales sont droites et parallèles, et non obliques, comme dans la perspective. L'orthographie que nous nommons élévation géométrale, est donc l'art de représenter la partie antérieure d'un objet, comme la façade d'un bâtiment, en marquant les hauteurs de chaque partie par des lignes perpendiculaires.
(54) - Scenographia. Le mot scénographie est formé de σκηνή, scène, et de γράφω, je décris. C'est là représentation d'un corps en perspective sur un plan, c'est-à-dire la représentation de ce corps dans toutes ses dimensions, tel qu'il paraît à l'oeil. De Bioul dit qu'il a vu à Parme, dans un des cabinets de l'Académie, un tableau peint sur plâtre qui avait été scié d'un mur de Velleya, ville à sept lieues de Plaisance, engloutie, à ce qu'on croit, quelque temps après le règne de Constantin. Ce tableau représente un jardin décoré de berceaux. Les règles de la perspective y sont aussi exactement observées qu'on le ferait de nos jours. Outre ces trois manières de représenter un édifice, les anciens se servaient aussi de modèles en relief. Ces modèles, donnant en petit la figure de l'édifice avec toutes ses proportions, étaient exécutés en cire, en. plâtre ou en bois. Praxitèle ne faisait aucun ouvrage sans en avoir fait auparavant un petit modèle en relief. Barbare a substitué le mot sciographia au mot scenographia; mais c'est avec raison que Politien, Célius Rhodiginus, Hermolao Barbare, et Saumaise, dans ses commentaires sur Solin, ont lu scenographia. La définition de Vitruve convient parfaitement au mot scénographie, qui signifie la représentation d'un édifice vu de plusieurs côtés à la fois, Mais la sciographie qui, selon Barbaro, n'est autre chose que, l'élévation, en tant qu'elle est ombrée avec le lavis, ne peut faire une troisième espèce de dessin, parce que ce lavis n'ajoute rien d'essentiel à l'orthographie. Il y a néanmoins une sorte de sciographie qu'on pourrait avec raison ajouter aux trois espèces dont Vitruve a donné la description. C'est une coupe perpendiculaire prise dans l'intérieur d'un édifice, soit sur la façade, soit sur les côtés. (55) - Eurythmia. L'eurythmie est cette harmonie des parties d'un tout, par rapport à leur grandeur, qui fait qu'aucune ne se distingue au préjudice des autres ou de l'ensemble. L'eurythmie est le principe de la beauté; mais l'observation des belles proportions exige une grande sagacité et un goût très-fin. Pour acquérir cette partie si essentielle de l'art, ou ne saurait donc trop s'exercer à avoir un coup d'oeil juste, qui saisisse bien un ensemble L'architecte doit étudier longtemps le plan général et se le rendre bien familier, pour juger aisément de la belle proportion des parties avec le tout. Le mot eurythmie est composé de deux mots grecs εὖ, et ῥυθμός. Εὖ était le cri d'admiration des Grecs ; c'était le cri d'acclamation des bacchantes, comme Evoe chez les Romains. ῾Ρυθμός, qui appartient particulièrement à l'harmonie, signifie accord, harmonie, nombre, justesse, rime, cadence. (56) - Symmetria - Bien que Cicéron se soit servi de commetiri, et Vitruve de commensus, Pline dit que, de son temps, la langue latine n'avait point de terme propre pour exprimer le mot grec συμμέτρια dont toute la signification est contenue dans commensus, qui marque le rapport, la proportion et la régularité des parties nécessaires pour composer un beau tout. (57) - In balisia autem, quod Græci περίτρητον vocitant. Si, d'après le trou des balistes, on peut juger de la grandeur de ces machines, il n'est pas aussi facile, d'après l'espace compris entre deux chevilles (ce que signifie le mot interscalmium), c'est-à-dire entre deux rames, de déterminer celles des navires dans Iesquels cet espace était proportionné à la grandeur; d'ailleurs, pour apprécier la grandeur d'un tout par celle d'une de ses parties, il ne suffit pas de connaître que cette partie a une grandeur déterminée, comme dans I'intervalle des rames; il faut savoir quel est le nombre de ces intervalles; mais le mot διπηχαῖκη, qui signifie proprement espace de deux coudées, fait voir que Vitruve n'a eu en vue que les trirèmes ordinaires, dans lesquelles les chevilles étaient éloignées l'une de l'autre de deux coudées. (58) - Decor. La convenance est regardée comme le premier principe de l'art de bâtir. C'est elle qui assigne à chaque genre d'édifice le caractère qui lui convient, sous le rapport de la grandeur, de la disposition, de l'ordonnance, de la forme, de la richesse, de la simplicité; c'est par elle qu'un palais, un bâtiment public, un monument sacré, une maison de plaisance ou tout autre ouvrage d'architecture annonce par son aspect le motif qui l'a fait élever. (59) - Minervae, et Marti, et Herculi aedes doricæ. Spanheim, de Usu ac praestantia numismatum, dans une dissertation où il traite des temples gravés sur les monnaies des empereurs, dit que la remarque de Vitruve au sujet de l'usage où l'on était d'élever à Mars et à Hercule des temples d'ordre dorique, est pleinement confirmée par ces mêmes monnaies. (60) - Ædes Doricæ. Les temples ne sont ici considérés que sous le rapport de la différence qui existe entre l'es trois ordres dorique, ionique et corinthien. Vitruve ne parlera du toscan qu'au liv. IV, ch. 7. Le dorique est plus simple, moins riche en ornements, et conséquemment, plus sévère; son caractère distinctif est la solidité : les anciens le consacraient à l'héroïsme. Le corinthien est le plus riche et le plus délicat. L'ionien tient le milieu entre la délicatesse et la solidité des deux autres. (61) -. Perfectus habuerint elegantes. Quelques éditions portent prospectus. Il y a ici tant de rapport entre les deux mots, qu'il serait difficile de dire lequel est le plus correct. Les ouvrages d'un travail achevé ne peuvent assurément que charmer la vue. (62) - Doricis epistyliis. Les architectes grecs n'ornèrent point de denticules la corniche dorique, parce qu'ils placèrent des mutules au-dessous. Mais dans l'ordre ionien, où ils n'ont jamais employé les mutules, ils ont mis les denticules. Si, pour une raison quelconque, ils n'ont point fait paraître les mutules dans l'ordre dorique, ils ont pu sans erreur se servir de denticules. Partant de là, Cl. Ortiz pense qu'on ne doit pas conclure que Vitruve n'a point été l'architecte du théâtre de Marcellus, à cause des denticules qui ornent la corniche dorique; car si la corniche manque de mutules, l'architrave sera trop simple sans denticules. Et puis les architectes romains ont-ils toujours suivi bien religieusement les règles établies par les Grecs, eux qui dans la corniche dorique du temple de la Concorde ont introduit les denticules et les mutules, sans triglyphes? Ces raisons ne sont pas sans poids; il est pourtant difficile de comprendre que Vitruve ait donné ici, comme exemple d'une faute à éviter, ce qu'il aurait fait lui-même dans la construction d'un théâtre. Les denticules sont dans une corniche un ornement taillé en forme de dents. Elles sont affectées à l'ordre ionique. Vitruve (liv. IV, ch. 2) dit que jamais, dans les monuments grecs, personne ne mit de denticules sous les mutules. (63) - Doricis epistyliis in coronis denticuli. L'architecte qui a construit le théâtre qu'Auguste fit élever sous le nom de Marcellus, fils de sa soeur Octavie, a mis dans la corniche dorique les denticules qui sont particuliers à l'ordre ionique, ce qui atteste le peu de réflexion de ceux qui veulent que ce soit Vitruve, dit Philander. (64) - In pulvinatis columnis et Ionicis epistyliis exprimentur triglyphi. Les chapiteaux des colonnes ioniques sont en forme d'oreiller, ce qui a pu faire aussi donner aux colonnes le nom de pulvinatae. La frise ionique affecté encore cette forme. Les triglyphes avec leurs gouttes qui descendent sur l'architrave, appartiennent à la frise dorique. (65) - Distributio. La distribution ne regarde pas seulement le principal corps de bâtiment; par ce mot on entend encore la répartition de tout le terrain entre lés différentes parties qui en dépendent. Il faut qu'elles soient exposées suivant leur usage, et situées convenablement selon leur destination et le rapport que chacune d'elles a avec le bâtiment et les différentes personnes qui l'habitent. (66) - Nec abietis nec sapinorum. Il y a, selon Belon, deux espèces de sapin, l'un mâle, qui est le véritable abies des Latins, l'autre femelle, qui est le sapinus. Cependant Vitruve dit (liv. Il, ch. 9) que la partie supérieure du sapin s'appelle fusterna (qui est très noueux), et la partie inférieure sapinea (bas du trône du sapin); et Pline (Hist. Nat., liv. XVI, ch. 76), que la partie inférieure du sapin n'a point de noeuds; qu'on écorce cette partie marquée d'ondulations produites par les veines, et qu'alors on l'appelle sapinus au lieu d'abies; que la partie supérieure, plus dure et plus noueuse, s'appelle fusterna. Mais la négation nec indique suffisamment qu'il est ici question de deux arbres différents. (67) - Aut marina Iota. Si Vitruve recommande de bien laver le sable .avec de l'eau douce, ce n'est pas tant pour eu ôter toutes les parties salines, que pour le purger de la terre qui s'y trouve mêlée. Cette terre, jointe aux matières salines, altère la qualité du mortier qui durcit moins vite, qui s'imprègne plus facilement de l'humidité de l'air, et qui ne tarde pas à perdre ses propriétés.
(68)
- Utendo cupressu. Il est assez étonnant
que Vitruve mette en seconde ligne le cyprès, qui, pour les bâtiments,
est bien meilleur que l'abies et le sapin. Théophraste en parle tomme
du plus durable et du moins sujet aux vers et à la pourriture. On
l'employait, à cause de sa durée, pour renfermer les objets précieux.
Horace a dit (Art poét., v. 331) : (69) - Ad elegantiae dignitatem. Poleni substitue le mot eloquentiae au mot elegantiae adopté par Philander. Il est vrai que les orateurs jouissaient, à cette époque, d'une grande autorité. Vitruve dit (liv. VI, ch. 8) qu'il faut des demeures plus élégantes et plus vastes aux gens du barreau et aux avocats, qui ont à recevoir beaucoup de monde. (70) - Partes ipsius architecturae sunt tres. Ce chapitre est le sommaire de tout l'ouvrage, qui se divise en trois parties. La première regarde la construction des bâtiments dont il est traité dans les huit premiers livres. La seconde est pour la gnomonique qui traite dans le neuvième livre du cours des astres et de la confection des cadrans solaires et des horloges. La troisième concerne les machines qui servent dans l'architecture et à la guerre; ce qui fait la matière du dernier livre. La partie qui a pour objet les bâtiments est double; ils sont publics, ou particuliers. Il est parlé de ceux-ci au sixième livre. Quant aux bâtiments publics, ils comprennent les fortifications des villes, dont il est parlé au cinquième chapitre de ce livre; les temples, qui font la matière des troisième et quatrième livres; la commodité publique, dont il est traité aux cinquième et huitième livres. Il y a encore trois choses qui appartiennent à tous les bâtiments : la solidité, dont il est parlé au onzième chapitre du sixième livre; l'utilité, au septième chapitre du sixième livre ; la beauté, dans tout le septième livre, au moins pour ce qui regarde la peinture et la sculpture. (71) - Gnomonice. Par le mot gnomonique, il ne faut pas seulement entendre l'art de faire les cadrans solaires, comme semblent le vouloir la plupart des interprètes. Aulu-Gelle (liv. 1, ch. 9) dit que les anciens Grecs comprenaient sous le nom de μαθήματα, la géométrie, la gnomonique, la musique et les autres sciences du même ordre. Ils ne bornaient pas la gnomonique à l'art de connaître les heures par le moyen des ombres; ils y comprenaient la connaissance de la diversité des climats et de l'élévation des pôles. (72) - Spiritusque bestiarum palustrium venenatos. Vitruve n'a pas voulu faire entendre que l'air fût corrompu par l'haleine des insectes des marais, comme semble le comprendre Galiani dans sa traduction italienne; il m'est ici question que des exhalaisons qui s'échappent de leurs cadavres putréfiés. Un lieu devient vraiment pestilentiel par la stagnation des eaux, et la putréfaction des. matières animales. Lorsqu'an. temps des chaleurs, l'action puissante du soleil vient à faire disparaître les eaux, les marais produisent de ces fièvres endémiques qui tuent; et dans certaines contrées, en Égypte surtout, l'immense quantité de sauterelles qui meurent et se putréfient, occasionnent des fièvres contagieuses qui portent au loin la désolation. (73) - Cum nebula mixtos. Par le mot nebula il faut entendre ces vapeurs qui s'élèvent un peu au-dessus de la terre, et que l'on aperçoit surtout au lever et au coucher du soleil. (74) - In cellis enim vinariis tectis lumina nemo capit a meridie. Pline (Hist. Nat., liv. xiv, ch. 27) dit qu'un des côtés du cellier, ou du moins les fenêtres, doit, être tourné au nord ou au levant équinoxial qu'en quelques endroits oh le laisse à l'air, et qu'ailleurs on le met à l'abri sous un toit; que les vins faibles doivent être gardés sous terre, et les vins généreux exposés à l'air; ce qui sans doute a fait dire à l'empereur Constantin, dans un ouvrage sur l'agriculture (liv. VII, ch. 2), ou à l'auteur qui a écrit sous son nom les vingt livres qui le composent : Fortius vinum sub dio, levius vero sub tecto conservari. (75) - Ad solis cursum. Vitruve dit (liv. VI, ch. 9) que les greniers doivent être tournés vers le septentrion. (76) - Obsoniaque et poma. Au sujet de la conservation des fruits, Pline (Hist. Nat., liv. XV, ch. 18) recommande de les mettre sur des planches, dans un lieu froid et sec, d'avoir des fenêtres qui regardent le nord, et de les ouvrir par le beau temps, de fermer le passage au vent du sud avec des pierres spéculaires, puisque même l'aquilon est sujet à flétrir et à rider les fruits. Voyez VARRON, Economie rurale, liv. I, ch. 19. Les pierres spéculaires, ou talc, étaient des pierres transparentes dont les anciens faisaient leurs vitres. (77) - Namque ex principiis. Les anciens admettaient quatre éléments où corps primitifs, l'air, le feu, l'eau, la terre, du mélange desquels tous les autres corps étaient formés. Les Égyptiens les divisaient chacun en mâle et en femelle. L'air mâle est le vent, l'air femelle est celui qui 'est nébuleux et stagnant. L'eau de la mer est mâle, toutes les autres sont femelles. Le feu mâle est celui qui jette des flammes, le feu femelle est la partie lumineuse et inoffensive. Les portions résistantes de la terre, les pierres, les rochers s'appellent mâles; ils qualifient de terre femelle celle qui se prête à la culture (SÉNÈQUE, Quest. Nat., liv. III, ch. 14). (78) - Volucres minus habent terreni. Vitruve croyait avec les pythagoriciens que tous les corps animés ou non animés étaient composés de quatre éléments. Dans ce chapitre, il fait l'application de ce système aux corps animés ; dans le second livre, il l'appliquera à tous les êtres, et principalement aux matériaux qu'on emploie dans la construction des édifices. La philosophie ancienne, qui cherchait à faire connaître les causes des différents effets de la nature, errait souvent dans ses raisonnements; et si les principes étaient faux, les conséquences qu'ils en tiraient ne l'étaient pas moins; ce n'est pas, par exemple, parce que l'air et le feu dominent dans la composition des oiseaux, ni même à cause de la légèreté de leur corps, qu'ils s'élèvent si facilement dans les airs; c'est par la grandeur et par la force de leurs ailes. Cela est si vrai, qu'un coq d'Inde, qui a de la peine à s'élever de terre, n'est pas plus pesant qu'un aigle, qui vole si haut, qui peut même si aisément enlever d'autres animaux avec lui; il est pourtant vrai que la chair et les os des oiseaux sont plus légers que ceux des animaux terrestres. (79) - Aquatiles autem piscium naturae. C'était l'opinion d'Empédocle; Aristote l'a réfutée dans le livre où il traite de la respiration. Si les poissons vivent dans l'eau, s'ils ne peuvent vivre longtemps hors de cet élément, ce n'est pas à cause des principes dont ils sont composés, mais parce qu'ils sont conformés pour cela. N'étant pas destinés à vivre dans l'air, ils n'ont point de poumons ; leurs ouïes et leurs branchies leur en tiennent lieu, et sont les organes de leur respiration: car ils ont besoin d'air pour vivre, et ils sont construits de manière à pouvoir extraire de l'eau l'air nécessaire à leur respiration. Les ouïes des poissons sont des espèces de feuillets composés d'un rang de lames étroites, rangées et serrées l'une contre l'autre, qui forment comme autant de barbes ou de franges qu'on peut appeler proprement le poumon des poissons. Ces ouïes ont un opercule qui s'élève et qui s'abaisse, et qui, en s'ouvrant, donne passage à l'eau que l'animal a respirée. Un nombre prodigieux de muscles fait mouvoir toutes ces parties. Le poisson avale l'eau continuellement par la bouche; voilà son aspiration c'est dans ce passage que le sang s'abreuve d'air. Le sang qui sort du coeur du poisson se répand de telle manière sur toutes les lames dont les ouïes se composent, qu'une très petite quantité de sang. se présente à l'eau sur une très grande superficie, afin que, par ce moyen,, chacune de ces parties puisse plus facilement et en moins de temps, être pénétrée de petites particules d'air qui se dégagent de l'eau, par l'extrême division qu'elles souffrent entre ces lames. On conçoit que des êtres si bien organisés pour vivre dans l'eau, ne le sont pas du tout pour vivre dams l'air. Sa chaleur et sa sécheresse détruisent bientôt le froid et l'humidité qui leur sont naturels et nécessaires, surtout, dans des parties aussi minces que le sont les fibres des branchies. Comme elles sont le principal mobile de la circulation du sang, elles se trouvent arrêtées, et il faut que le poisson meure. (80) - Castra stativa. Les Romains avaient une discipline admirable, surtout dans les marches et dans les campements. Les soldats ne passaient pas une seule nuit, même pendant les plus longues marches, sans établir un camp, et sans le défendre par un retranchement et par un fossé, et les expressions secundis, tertiis, quintis castris, ont le même sens que secundo, tertio, quinto die, le second, le troisième, le cinquième jour. Si. une armée. passait une seule nuit dans un camp, ou même deux ou trois nuits, on appelait cette station castra; si elle y restait quelque temps, il prenait le nom de castra stativa, un camp fixe; aestiva, un camp d'été, hiberna, un camp d'hiver. Voir, dans le Cours d'antiquités monumentales de M. de Caumont, 2e partie, ch. 8 le soin que les Romains apportaient dans le choix des lieux où ils établissaient leurs campements. (81) - Inspiciebant jecinora. Dans, l'inspection des entrailles des victimes, on mettait de côté la poitrine et le ventre, et on appelait exta (entrailles) les parties qui étaient saillantes (exstarent), telles que le foie, le poumon, la rate, le coeur, les reins. Le foie était la partie principale. S'il était d'une couleur de pourpre, agréable et naturelle, sans tache qui le souillât; si la tête du foie était signé ou double, ou si l'on trouvait un double foie; si l'extrémité des fibres se repliait, se roulait en dedans, c'étaient des présages d'un grand bonheur. Si, au contraire, le foie était rempli d'ulcères, couvert de pustules; s'il était livide, dur, rugueux, racorni; s'il y avait abondance d'humeurs vicieuses, et obstruction ; si en desséchant il se souillait de matières purulentes, où s'il arrivait à un tel degré de dessiccation qu'il ne fit plus saillie au milieu des autres viscères, il y avait une telle persuasion que de semblables sacrifices expiatoires étaient de mauvais augure, qu'on affirmait que rien ne pouvait arriver que d'une manière conforme à ces présages (ROSIN, Antiq. rom., liv. III, ch. 2). Vitruve se met au-dessus de ces superstitions et parle de cette inspection en homme sage. Quand il était question de fonder une ville ou d'établir un camp dans lequel on dût rester longtemps, on consultait, il est vrai, les entrailles des victimes pour s'assurer de la salubrité du lieu; mais on renouvelait l'opération pour qu'il fût bien constaté si c'était la maladie ou la mauvaise qualité du fourrage ou de l'eau qui endommageait le foie. (82) - Eam herbam. C'est du cétérach, asplenium, que Vitruve veut parler. C'est une sorte de fougère dont le caractère est déterminé par la figure des feuilles, qui sont découpées en ondes. Il rétablit le ton des viscères relâchés, et est bon dans le gonflement de la rate. Voici ce que dit Pline (Hist. Nat., liv. XXVII, ch. 17) au sujet de cette plante : « L'asplenon, nominé par quelques auteurs hemionion, a des feuilles nombreuses, longues d'un tiers de pied; une racine limoneuse, percée de trous comme celle de la fougère, blanche et chevelue. Il n'a ni tige, ni fleur, ni graine ; il croît parmi les pierres et dans les murailles obscures et humides : le plus estimé se trouve en Crète. On prétend que la décoction de ses feuilles dans le vinaigre, bue pendant quarante jours, consume la rate ; du moins on les applique en liniment sur ce viscère. » (83) - Gallicae paludes. La partie septentrionale de l'Italie comprenait anciennement la Gaule Cisalpine, la Tuscie, l'Ombrie, la Sabine, le Latium. La Gaule Transpadane, la Gaule Cispadane, la Ligurie, la Vénétie, une partie de la Rhétie, formaient les divisions de la Gaule Cisalpine. Voilà comment Altinum, Aquilée, Ravenne étaient dans la Gaule; comment les marais, au milieu desquels ces villes se trouvaient, étaient appelés Gallicae. (84) - Ut Pomptinae. Les marais Pontins sont un vaste espace de 15 kilomètres sur 12, qui s'étend dans la campagne de Rome, autrefois le Latium. Appius Claudius, l'an 310 avant J.-C., en faisant passer au travers de ce marais la voie qui porte son nom, y fit faire des canaux, des ponts et des chaussées. César avait formé le projet de les dessécher; sa mort précipitée en empêcha l'exécution. Auguste reprit ce projet, et Strabon dit qu'on y creusa un grand canal que remplissaient les eaux des marais; mais l'inondation recommença au temps de la décadence de l'empire ; ce fut principalement par les soins de Théodoric, roi des Goths, qu'ils furent de nouveau desséchés. Mais ils triomphèrent bientôt du travail des hommes. De belles entreprises furent faites sans succès par Boniface VIII, au XIIIe siècle; par Martin V, au XVe siècle; par Léon X et Sixte-Quint, au XVIe siècle; par Clément XIII, au XVIIIe: mais c'est à Pie VI qu'on doit les plus importantes améliorations. Napoléon avait formé un vaste plan de dessèchement dont 1814 a arrêté l'exécution. (85) - Nummoque sestertio. Le sesterce était une petite monnaie d'argent valant la quatrième partie d'un denier romain. Les Romains s'étaient longtemps servi d'une monnaie d'airain qu'ils appelaient as, au lieu de aes, ou libra et pondo, parce qu'elle pesait une livre. Vers l'an 485 de Rome, ils battirent le premier denier (denarium) d'argent. Il était marqué d'un X, parce qu'il valait dix as; il se divisait en deux quinaires (quinarius) marqués d'un V, parce qu'ils valaient chacun cinq as. Le quinaire se subdivisait en deux sesterces (sestertius), marqués LLS (libra libra semis), parce qu'ils valaient chacun deux as ou deux livres et demie. Par abréviation les LL se sont convertis en H; le sesterce a donc été marqué des deux lettres HS, qui signifient sestertius, mis pour semistertius, un demi ôté de trois, c'est-à-dire deux et demi.
(86)
- Lacum aperuit. Lucain (Pharsale,
liv. v, v. 377) en parle à l'occasion des barques qu'on y réunissait
de tous côtés : (87) - In moenibus collocandis explicatio. Ce n'était pas sans cérémonies religieuses que se fondait une ville chez les Romains. Voyez VARRON, de Lingua Lat., lib. V, c. 143. (88) - Viarum munitiones. Il ne faut pas s'étonner que Vitruve recommande à l'architecte de s'occuper d'abord du pavage des routes, qui contribue d'ailleurs si puissamment à la facilité des transports. Mais c'est principalement en ce genre de monuments publics que les Romains ont de bien loin surpassé tous les peuples du monde. Les voies romaines sont peut-être les plus grands des travaux qu'ils exécutèrent jamais. Elles étaient construites avec des peines et des dépenses surprenantes, et aboutissaient aux extrémités de l'empire. Elles s'étendaient depuis les colonnes d'Hercule jusqu'à l'Euphrate et jusqu'aux extrémités méridionales de l'Égypte. Il subsiste encore aujourd'hui de nombreux fragments de ces voies. Les principales étaient nommées publicae ou militares, consulares ou preatoriae. Les chemins moins fréquentés s'appelaient privatae, agrariae ou vicinales. Voir le Cours d'antiquités monumentales de M. de Caumont, deuxième partie, ch. 4, pour l'importance et la multiplicité des voies établies en Gaule sous la domination romaine. (89) - Adsolidum. Il est impossible de déterminer la profondeur qu'on doit donner aux fondements. Ils sont d'autant plus enfoncés au-dessous du sol que l'édifice est plus élevé, ou le terrain moins solide. Quand le terrain n'est point vierge, on a recours aux pilotis. (90) - Crassitudine ampliore. Il n'y a point de règle pour la largeur des fondements. Chez les anciens on ne leur donnait jamais de chaque côté plus de la quatrième partie de l'épaisseur du mur. Vitruve (liv. III, ch. 3) recommande de donner aux fondements des colonnes une largeur double de leur diamètre. Delorme leur donne une moitié de largeur de plus que le mur, et avec Palladio les fondements sont moitié plus larges que le mur. Les édifices plus élevés, comme les tours dont la base est étroite relativement à leur hauteur, reposent sur des fondements plus larges : car la pression, bien que verticale, portant sur l'empâtement des fondements dont les pierres ont moins de cohérence, pourrait fort bien les pousser en dehors. Scamozzi leur donne trois fois la largeur du mur, et en fait déborder le haut, de chaque côté, de la moitié de la largeur du mur. Tous ces architectes ont trop d'égard à la largeur des murailles, et trop peu à leur hauteur, et à la charge qu'elles doivent porter; il vaudrait beaucoup mieux faire le contraire. (91) - Lateribus apertis. J. César, dans ses Commentaires sur la Guerre civile (liv. II, ch. 9), dit, en parlant d'une tour qui fut élevée devant Marseille assiégée par un de ses lieutenants :C'est ainsi que, à l'abri de toute blessure et de tout danger, on construisit six étages (sex tabulata). On avait eu soin d'y ménager des ouvertures (fenestras) dans les endroits convenables, pour le service des machines. » Les tours étaient des corps de bâtiment dont la figure était ordinairement ronde; elles flanquaient les murs d'enceinte d'une ville ou d'un château. Elles étaient éloignées les unes des autres de la portée d'une flèche, et beaucoup plus élevées que les courtines ou parties des murailles comprises entre deux tours; elle dominaient donc tout le rempart, en rendaient la défense plus avantageuse; et, grâce aux ouvertures pratiquées dans leurs flancs qui faisaient saillie en dehors des murs, et par lesquelles on lançait des traits, elles en défendaient l'approche à droite et à gauche.
(92)
- Portarum itinera non sint directa, sed scæva.
Les deux mots scæva et Scaea
qui se trouvent également dans les éditions de Vitruve, et qui
dérivent tous deux de σκαία, mot
grec aussi adopté par quelques éditeurs, ont la signification de sinistra,
qui veut dire gauche, du côté gauche. Les chemins qui conduisaient aux
portes devaient donc tourner à gauche, au lieu d'être droits; et la
raison qu'il donne de cette disposition fait disparaître l'incertitude
qui pesait sur la signification de l'épithète Scaea
donnée par Virgile à une des portes de Troie (93) - Crassitudinem autem muri. Les murs de Babylone portaient trente-deux pieds d'épaisseur. Deux chariots attelés de quatre chevaux de front, venant à se rencontrer, y passaient à l'aise (Q. CURCE, liv. V, ch. 1). J. César (Guerre des Gaules, liv. VII) parle en passant d'une muraille de quarante pieds d'épaisseur. Afin que les soldats eussent tout le libre exercice de leurs mouvements, on élargissait le rempart en faisant à l'intérieur un contre-mur parallèle : l'intervalle était rempli de terre, et pour les fortifier l'un et l'autre et affaiblir la poussée de la terre, on bâtissait aussi d'autres murs qui joignaient le contre-mur à la muraille. Il reste encore quelques parties des murailles dont l'empereur Aurélien entoura la ville de Rome. Elles nous font connaître que, pour donner plus de largeur aux remparts, on ménageait à l'intérieur, sans rien ôter à l'épaisseur des murs, de longues ouvertures semi-circulaires et voûtées, au milieu desquelles on pratiquait des embrasures qui donnaient passage aux traits qu'on lançait. Voir le ch. 9 de la deuxième partie du Cours d'antiquités monumentales de M. de Caumont, qui y traite des enceintes murales des villes gallo-romaines.
(94) Taleæ oleagineae. J. César (Guerre des Gaules, liv. VII, ch. 23) dit que la forme des murs gaulois était à peu près la même : « A la distance régulière de deux pieds, on pose sur leur longueur des poutres d'une seule pièce; on les assujettit intérieurement entre elles, et on les revêt de terre foulée. Sur le devant, on garnit de grosses pierres les intervalles dont nous avons parlé. Ce rang ainsi disposé et bien lié, on en met un second, en conservant le même espace, de manière que les poutres ne se touchent pas; elles se tiennent à une distance uniforme dans la construction, qui se trouve ainsi formée de rangs alternatifs de poutres BB, et de pierres AA. Cette disposition est d'une grande ressource pour la défense et l'utilité des villes, la pierre protégeant le mur contre l'incendie, et le bois contre le bélier. (95) - Aries. Ce mot vaut mieux assurément que caries. Une chose à laquelle la vétusté ne porte aucun préjudice, doit être à l'abri de la pourriture. L'olivier d'ailleurs n'est pas susceptible de se pourrir, parce que l'huile qu'il contient tue les vers, tandis que le bélier est une terrible machine pour les murailles. Le bois protège le mur contre le bélier, dit César. (96) - Sagittae missione. Newton fait une observation fort juste. Si la plus longue portée d'un trait est de quatre-vingts ou cent pieds, ceux qui, en commentant ce passage de Vitruve, ont représenté une ville sous la figure d'un octogone ou d'un décagone, lui ont donné une enceinte trop étroite. Cette erreur a été évitée par Galiani, Newton, Ortiz, et non par Perrault, qui a été copié même par Poleni. Au siège d'Alésia, César fait creuser un fossé large de vingt pieds, dont les côtés sont à pic, et la profondeur égale à la largeur. Tout le reste des retranchements était établi à quatre cents pieds en arrière de ce fossé. Dans cet espace furent creusés deux fossés de quinze pieds de largeur sur autant de pro-fondeur. Derrière ces fossés il éleva une terrasse et un rempart de douze pieds de haut; il y ajouta un parapet et des créneaux. Tout l'ouvrage fut flanqué de tours, placées à quatre-vingts pieds l'une de l'autre (Guerre des Gaules, liv. VII, ch. 72). Tout ce travail était nécessité par l'immense circonférence qu'on était obligé d'embrasser. (97) - Etiam contra inferiora turrium dividendes est muras. Personne n'a tracé un plan de murailles qui répondît plus exactement que celui de Perrault à la description qu'en donne Vitruve : on en peut juger par cette figure qui représente l'élévation perspective d'une tour et d'une partie des murs qui viennent s'y lier. A est la tour ronde ; BB, le mur simple ; C, l'intervalle ménagé au droit des tours, du côté de l'intérieur de la ville, pour couper les communications d'une courtine à l'autre; D, le pont-levis qui rétablit les communications.
Cependant Galiani critique beaucoup le plan et la description que Perrault a donnés des murs et des tours des anciens, parce que, dit-il, Perrault suppose des tours de forme circulaire. Il préfère pour la disposition de ces tours les dessins de Barbaro et de Caporali, qui supposent des tours semi-circulaires et à pans, EF (fig. 4); ce qui est, suivant lui, plus conforme à ce que nous voyons dans les monuments antiques, où les tours n'ont point de faces intérieures, et il rejette la figure de Perrault, approuvée et copiée par Poleni. Plan d'une ville entourée de murs E et F, tours semi-circulaires et à pans, comme le supposent Barbaro et Caporali; G, tour carrée, dont Vitruve n'admet point la forme; H, bastion inventé pour remplacer les tours, lors de l'invention des canons; II, murs simples; KK, murs avec terrasses; LN, muraille extérieure, et contre-mur intérieur rattachés par d'autres murs disposés transversalement en forme de peigne ; MN, idem, en forme de dents de scie ; NNN, courtines ou murs compris entre deux tours; O, porte et chemin qui y conduit du côté gauche.
Newton, lui, a adopté les tours rondes; il y a pratiqué à la partie intérieure une plus grande ouverture, et a diminué l'épaisseur du mur au droit des tours avec lesquelles on communique à l'aide d'un petit pont de bois mobile. Ortiz a compris presque de la même manière que Newton, et désapprouve la figure de Galiani, qui est aussi celle de Rusconi et de Caporali. (98) - In rotundationibus. Les tours rondes devaient en effet offrir le plus de résistance au bélier. Comme elles sont formées de pierres taillées en forme de coin, ces pierres se prêtent une mutuelle force, de sorte que les coups des machines ne pouvaient leur faire quitter la place qu'elles occupaient; aussi regardait-on les tours rondes comme les plus solides. Cette forme ronde est en effet celle dont la disposition donne le moins de prise, n'ayant point d'angle en saillie qui puisse être rompu.
(99)
- Turriumque aggeribus. Ces retranchements
dont on fortifiait les murs ne se faisaient pas, dit Vitruve, en toutes
circonstances; il fallait pour qu'on en vint à la construction de
pareilles terrasses, que, d'un lieu élevé, les assiégeants pussent
arriver de plain-pied jusque sur les murailles de la ville assiégée.
Ces mots ex alto loco, pede plano
paraissent fort obscurs à tous les commentateurs, dont les explications
et les conjectures ne jettent aucun jour sur la question. Voici un
passage de César (Guerre des Gaules, liv. VII, ch. 17 et 24)
qui, ce me semble, éclaircit parfaitement la difficulté. « César
assiégeait Avaricum, la plus forte place des Bituriges. Il fait
commencer une terrasse, pousser des mantelets et travailler à deux
tours.... Les soldats avaient élevé en vingt-cinq jours une terrasse
de trois cent trente pieds de largeur sur quatre-vingts de hauteur; elle
touchait presque à la muraille d'Avaricum, lorsque.... » (100) - Silex. Ce mot sert à désigner en français une pierre particulière communément appelée pierre à fusil. Ce n'est point de cette pierre qu'il s'agit ici : il faut prendre ce mot dans l'acception de pierre en général, comme a fait Pline (Hist. Nat., liv. XXXVI, ch. 29). (101) - Aut coctus later sive crudus. Les différentes espèces de briques sont désignées dans les écrits des anciens, chacune par un nom particulier. Vairon (Économie rurale, liv. I, ch. 14) dit que la quatrième et dernière espèce de clôture artificielle est en maçonnerie et de quatre sortes de matériaux : de pierres, comme à Tusculum; de briqués cuites, comme dans la Gaule; de briques crues, comme dans les champs sabins; enfin de blocs composés de terre et de cailloux jetés en moule, comme en Espagne et dans la plaine de Tarente. Bien que l'Italie eût des murs de briques, dit Pline (Hist. Nat., liv. XXXV, ch. 49), Rome n'avait point de construction en ce genre, parce qu'un mur de briques d'un pied et demi d'épaisseur ne porte pas plus d'un étage. Les lois défendaient de donner aux murs, et surtout aux murs mitoyens, une épaisseur plus considérable. (102) - Uti Babylone abondantes. Justin, en parlant de Sémiramis, dit (liv. I, ch. 2) : Elle fonda Babylone et l'entoura d'une enceinte de briques cuites, liées entre elles non pas avec du sable, mais avec du bitume qui sort en bouillonnant du sol de ce pays. Tous les exemplaires de Justin portent arenae vice, chose assez étonnante : car il n'est point de construction dans laquelle le sable soit employé sans chaux. Ce n'est point sans raison que Saumaise pense qu'au lieu de arenæ on doit lire arenati, mot qui signifie un mélange de chaux et de sable, du mortier. Le bitume qu'on trouve à Babylone remplace la chaux; c'est avec lui qu'on a cimenté les murs de cette ville (PLINE, Hist. Nat., liv. XXXV, ch. 51). Les murs de Babylone, dont l'enceinte était de soixante milles, dit Pline (Hist. Nat., liv. VI, ch. 30), avaient deux cents pieds de haut sur cinquante de large, et encore le pied babylonien avait trois doigts de plus que le pied romain. (103) - Liquido bitumine. L'asphalte ou bitume qu'on trouve en si grande abondance aux environs de Babylone, non seulement suffit pour les constructions, mais encore le peuple en recueille une assez grande quantité qu'il brille en guise de bois après l'avoir fait sécher (DlODORE DE SICILE, liv. II, ch. 12). Les bitumes latins portaient en grec le nom de pissasphalte, qui indique un mélange de poix et de bitume. L'usage de l'asphalte est aujourd'hui assez répandu : en y joignant une certaine quantité de poix et d'huile on en forme un ciment qui dure éternellement sous l'eau, où il est impénétrable ; mais exposé à l'air, il s'amollit avec le chaud, ou il durcit avec le froid. Ces deux mouvements alternes le détachent à la fin de la pierre, et la soudure du joint ne retient plus l'eau. (104) - Pro calce et arena, eo et cocto latere. Philander a ajouté eo (i. e. bitumine), qui ne se trouve ni dans les manuscrits ni dans les imprimés. Ce mot me paraît aussi nécessaire pour la construction que pour l'intelligence de la phrase. Cette addition, du reste, est autorisée par Vitruve lui-même, qui dit ( liv . VIII, ch. 3) : Bitumine et latere testaceo structo muro Semiramis circumdedit Babylonem. (105) - Quum septentrio, restituuntur in sanitatem. Le vent du nord, qui est froid et sec, blesse le plus ordinairement les poumons et est la cause immédiate de la toux. Pour qu'il la guérisse à Mitylène, il faut que le lieu soit disposé d'une manière particulière. Il peut arriver qu'ayant à traverser de grands espaces d'eau, il s'imprègne en passant d'une humidité qui lui fasse perdre ce qu'il a de nuisible, comme aussi l'on conçoit qu'un vent d'ouest devienne sec, s'il a à franchir beaucoup de terres sans eau. (106) - Incerta motus redundantia. Les bouffées de vent sont le résultat de ce flux successif d'air qui semble imiter le mouvement des flots. (107) - Ex eolipylis. Le mot éolipyle est formé de αἴολος, éole, vent, et de πύλη, porte, ouverture. La forme de cette machine importe peu, pourvu qu'elle soit creuse. Elle est ordinairement ronde, terminée par un col long, étroit, et presque toujours courbé. On s'en sert en médecine pour faire aspirer aux malades des vapeurs chargées de matières appropriées à leurs maladies. (108) - Ita scire. Ce passage, quelque peu important qu'il paraisse, a peut-être donné l'idée de la vapeur produite par l'ébullition de l'eau; il nous prouve du moins que les anciens n'étaient pas complètement étrangers à la philosophie naturelle qui procède par les expériences. (109) - Curationes medicinae contrariae. Un des premiers aphorismes d'Hippocrate est que si certaines choses sont opposées les unes aux autres, il faut les employer les unes contre les autres. II l'explique ailleurs de cette manière : « la plénitude guérit les maladies causées par l'évacuation, et, réciproquement, l'évacuation celles qui viennent de plénitude; le chaud détruit le froid, et le froid éteint la chaleur. Les maladies causées par l'agitation de l'air, par la violence des vents, diminuent les forces en desséchant le corps et en l’amaigrissant. Que les personnes attaquées de ces maladies soient placées dans un air tiède, dense, calme, cet air les nourrira, leur donnera l'embonpoint, les fortifiera. C'est là le cas d'appliquer ce principe : Contraria contrarias curantur. » (110) - Non detractionibus, sed adjectionibus. Il n'est pas ici question de ces évacuations que nécessite un amas de superfluités dont il est nécessaire que le corps soit déchargé, comme le pense Perrault. Il ne s'agit que du dépérissement causé par l'action trop vive d'un air qui, en pompant les sucs du corps, occasionne les maladies dont parle Vitruve, lesquelles maladies, quand elles ne sont pas devenues trop graves, se guérissent quand la cause a disparu, c'est-à-dire quand le malade est soumis à l'influence d'un air tiède, calme, dense, qui fortifie (adjecit). (111) - Ventos quatuor. Les Grecs ne considérèrent d'abord que les quatre vents cardinaux; ils y joignirent ensuite quatre vents collatéraux. Quant aux Romains, ils ajoutèrent aux quatre vents cardinaux, vingt vents collatéraux auxquels ils donnèrent les noms particuliers qu'on trouve dans Vitruve. Aristote, Sénèque, Pline, Aetius, Strabon, Aulu-Gelle, Isidore, etc., ont aussi parlé de la distribution des vents, de leur nombre, de leurs noms; mais ils l'ont fait d'une manière fort différente, et pas un n'est d'accord avec Vitruve. Il me parait difficile de les concilier ; mais l'important est de mettre en son jour ce qu'en a dit notre auteur. (112) - Solanum. L'auteur du Compendium architecturæ, qui semble avoir emprunté ses dénominations à l'ouvrage de Vitruve, a employé le mot subsolanum. Les auteurs latins qui ont eu à parler du vent dont il s'agit, se sont aussi servis du mot subsolanum au lieu de solanum, Pline et Sénèque entre autres :
Ab oriente aequinoctiali subsolanus.... Mais Vitruve emploie six fois le mot solanus : je l'ai laissé. Peut-être ne se servait-on de subsolanus que dans le style poli. (113) - Cyrrhestes. Dans tous les manuscrits , dans toutes les éditions de Vitruve, on trouve Cyrrhestes, sans aucune variante. Les anciennes éditions de Varron présentent Cuprestes ; celles qui ont été faites plus tard ont remplacé ce mot par celui de Cyrrhestes : -- ln eodem hemisphaerio medio circum cardine mest orbis ventorum octo, ut Athenis in horologio, quod fecit Cyrrhestes. (De Re rustica, Iib. III, c. 5.) « Sur la même coupole on voit autour d'un tourillon la rose des huit vents, comme dans l'horloge que fit l'artiste de Cyrrha pour la ville d'Athènes.» Frontin, dans ses Stratagèmes (liv. I, ch. 1), parle d'un certain Pharneus, natione Cyrrhestes. Cyrrha était une ville de Syrie : Andronicus était donc citoyen de Cyrrha, et il fallait qu'il eût une certaine réputation, puisque Varron se contente de l'appeler Cyrrhestes.
(114) - Turrim marmoream. L'édifice que Vitruve appelle ainsi, Varron le nomme horologiurn. Il est probable que Varron n'a employé cette dénomination qu'à cause des cadrans solaires qui étaient figurés sur les faces de cette tour. Voici le tableau des vents dont les noms étaient gravés sur les huit côtés de la tour d'Andronicus
(115) - Metam marmoream. Galiani a traduit par un lanternino. Meta signifie bien plutôt ici la base sur laquelle Andronicus avait placé le triton d'airain. (116) - Uti vento circumageretur. On met des girouettes sur les clochers, les pavillons, les tours et autres édifices, pour faire connaître de quel côté souffle le vent ; aussi quelques auteurs ont appelé la girouette ventilogium, c'est-à-dire index venti. Saumaise, au passage où Varron parie de l'horologium d'Andronicus, pensait qu'il fallait lire aurilogium, c'est-à-dire aurae index. Cette idée qui paraît si peu heureuse à Poleni , me semble, à moi, digne du prince des commentateurs. Un édifice construit dans le seul but de faire connaître la direction des vents, doit avec plus de raison porter le nom de aurilogium, que celui de horologium, qui n'indique qu'une chose étrangère à la destination du monument. C'est peut-être d'après l'idée ingénieuse d'Andronicus que nos coqs et nos girouettes ont été imaginés. (117) - Gnomon. Ce mot est purement grec, et signifie littéralement une chose qui en fait connaître une autre, de γνώμη, connaissance; les anciens l'ont appliqué au style ou aiguille d'un cadran solaire dont l'ombre marque les heures. L'extrémité ou la pointe de cette aiguille est toujours regardée comme le centre de la terre.
Les gnomons ont dû être les premiers instruments astronomiques qu'on ait imaginés, parce que la nature les indiquait, pour ainsi dire, aux hommes; les montagnes, les arbres, les édifices sont autant de gnomons naturels, qui ont fait naître l'idée des gnomons artificiels qu'on a employés presque partout. Les cadrans solaires ne furent connus que fort tard des Romains. Le premier qui parut à Rome fut, suivant Pline, construit par Papirius Cursor, vers l'an 400 de Rome , encore allait-il mal. Ce cadran, selon quelques-uns, fut placé au temple de Quirinus, ou près de ce temple; selon d'autres, dans le Capitole; selon d'autres enfin, près du temple de Diane, sur le mont Aventin.Le petit instrument qui sert à tracer et à aligner les rues pour les mettre à l'abri de la mauvaise influence des vents, s'appelle aussi gnomon. Il en est parlé à la fin de ce chapitre. (118) - Antemeridianam circiter horam quintam. Les Romains divisaient le jour naturel, qui était l'espace de temps compris entre le lever du soleil et son coucher, en douze heures inégales, suivant les diverses saisons. La moitié du jour était appelée meridies (midi), mot composé de medius (milieu) et de dies (jour); Varron a vu medidies sur un ancien cadran solaire à Préneste. Les six heures qui précédaient midi étaient appelées antemeridianae, les six qui suivaient postmeridianae. La cinquième heure antemeridiana est donc, selon nous, la onzième, puisque les anciens comptaient une heure après le lever du soleil et six heures à midi. Ce raisonnement me paraît si simple, si clair, que je ne comprends guère que Stratico ait voulu que cette cinquième heure fût la première après le lever du soleil, et qu'il y eût quinta de sous-entendu après le mot postmeridiana, qui signifie tout simplement une heure après midi, c'est-à-dire le même espace de temps après meridies qu'avant. D'ailleurs, comme le fait observer Perrault, l'ombre que fait le soleil à cinq heures, selon notre manière de compter, serait trop longue, trop indéterminée pour qu'on pût exactement faire connaître où elle finit. (119) - Angiportorum. D'après Varron (de Lingua Lat., lib. V, c. 145) , le mot angiportum est formé de angustus, étroit, et de portus, passage; il signifie une petite rue, une ruelle. (120) - Ad angulos insularum. On appelle insulae des groupes isolés de maisons, c'est-à-dire, selon Sextus Pompée, des maisons qui ne tiennent pas à d'autres par des murs mitoyens, autour desquelles on peut librement circuler. C'est dans ce sens que l'a employé J. Capitolinus (Vie d'Antonin le Pieux, ch. IX). Dans le plan des villes, on appelle insula tout ce qui est entouré de quatre rues grandes ou petites. (121) - Multa ventorum nomina noverunt. Les auteurs ne sont point d'accord sur la division des vents. Les anciens, dit Pline (Hist. Nat., liv. ii, ch. 46), ne comptaient en tout que quatre vents, soufflant des quatre points cardinaux : c'étaient le solanus, l'auster, le favonius et le septentrion. Aussi Homère n'en nomme-t-il pas davantage, Bientôt on en admit douze, le solanus, l'eurus, l'auster, l'africus, le favonius, le corus, le septentrion, l'aquilon, le thrascias , le caecias, le phoenicias et le libonotus. Mais, dit Pline, cette division parut trop subtile, et on retrancha immédiatement les quatre derniers. Cependant Sénèque (Quaest. Nat., liv. V, ch. 16) dit que c'est la théorie du judicieux Varron, et que cet ordre est rationnel; aussi adopte-t-il les douze vents. Ce n'est pas tout, Vitruve en nomme vingt-quatre, qui sont auster, altanus, libonotus, africus, subvesperus, argestes, favonius , etesiae, circius , caurus , corus , thrascias, septentrio, gallicus, supernas, aquilo, boreas, carbas, solanus, ornithiae, eurocircias, eurus, vulturnus, leuconotus. Les modernes, dont la navigation est bien plus avancée que n'était celle des anciens, comptent ordinairement trente-deux vents auxquels les marins donnent le nom de rumbs. On les représente par trente-deux lignes tirées sur la carte, et qui , partant d'an même centre, occupent, à des distances égales, toute l'étendue du compas, c'est-à-dire 360°, ce qui, donne 11° 15' à la distance comprise entre chaque rumb. Voici le tableau des vingt-quatre vents dont parle Vitruve , avec leurs noms anciens auxquels sont joints les noms modernes :
Auster ........ Sud. (122) - Per solis cursum et gnomonis aequinoctialis umbras. La mesure de la terre qui a fait le plus de bruit dans l'antiquité est celle d'Ératosthène. Pline s'exprime sur elle en termes magnifiques : Improbum ausum; verum ita subtili computatione, ut pudeat non eredere. Cléomède, dans ses Théories des météores, nous a conservé la méthode d'Ératosthène pour mesurer la terre. Celui-ci avait observé à Alexandrie, d'après l'ombre d'un style élevé à plomb au fond d'un hémisphère concave, σκάφη ou σκάφιον, que le soleil déclinait du zénith d'Alexandrie de la cinquantième partie d'un cercle du méridien au moment où il dardait verticalement ses rayons à Syène, près de la cataracte du Nil, comme on en pouvait juger par un style semblable, qui ne faisait point d'ombre :
............. Umbras nusquam flectente Syene. Ératosthène en conclut que la différence entre les parallèles de Syène et d'Alexandrie était de 7°1/2, puisque cette quantité de graduation répondait à la cinquantième partie de la division du cercle en 360°. Rangeant ces deux villes sous le même méridien, il estimait leur distance à 5.000 stades, 694 stades et demi par degré , bien que , pour faire sans doute un compte rond , il le composât de 700. C'est de cette conclusion que Censorin, Martianus Capella , Macrobe , Strabon , Pline, Vitruve, Geminus, sont partis pour donner à la terre 252.000 stades de circonférence. (123) - lnventam ducentorum quinquaginta duum millium stadiorum. Cette circonférence ramenée aux supputations romaines, donne 31.500 milles. Les auteurs sont loin d'être d'accord sur la mesure de la terre , qu'ils font les uns plus grande , les autres plus petite. Commençons par Ératosthène et employons les milles romains.
Eratosthène lui donne........ 31.500 milles. Il ne serait pas étonnant que cette différence provînt de la grandeur différente des pas, qui étaient tantôt de deux pieds, tantôt de deux pieds et demi, de trois, de quatre, de cinq, de six pieds. Cette dernière mesure était appelée par les Grecs ὀργυιά c'est-à-dire brasse, distance qui se trouve d'une main à l'autre, quand les bras sont étendus. (124). - Dextra et sinistra austrum. L'édition de Philander porte circa austrum, circa aquilonem. Est-il probable que Vitruve ait répété tant de fois cette préposition circa? Elle manque du reste à ces deux endroits dans quelques éditions et manuscrits. Saumaise était aussi d'avis qu'il fallait retracer. Et puis Vitruve ne dit-il pas (liv. IX, ch. 5) Dextra ac sinistra zonam, et (liv. x, ch. 11) Dextra ac sinistra cochleam? (125) - Argestes.. De l'occident solstitial , dit Sénèque (Quest. Nat., liv. v, ch. 16), vient le corus, nommé par quelques-uns argestes, ce qui ne me semble pas juste : car le corus est un vent violent, qui n'a qu'une seule direction; tandis que l'argestes est ordinairement doux , se faisant sentir à ceux qui vont comme à ceux qui viennent. (126) - Ad latera cauri, circius et corus. Saumaise reproche à Vitruve d'avoir fait une distinction entre caurus et corus, sans baser sa critique sur aucun argument. Ne vaut-il pas mieux s'en rapporter aux paroles de Vitruve : Caurus , quem plures vocant corum. Il avoue que quelques auteurs donnent au caurus le nom de corus; mais il ne partage point leur opinion. (127) - Negant Eratosthenem veram mensuram. Il serait bien difficile d'apprécier l'erreur d'Ératosthène, même en comparant son chiffre avec celui des géographes qui ont fait le même travail que lui, vu qu'on ignore quelle était précisément la grandeur de leurs stades, qui étaient même, différents entre eux. Ératosthène donnait à la circonférence de la terre 252.000 stades, ce qui, ramené aux supputations romaines, dit Pline (Hist. Nat., liv. II, ch. 1 12) , fait 31.500 milles ; Hipparque ajoute près de 25.000 stades, énorme différence qui doit venir en grande partie de la différente grandeur des mesures. Sous le calife Almamon, les Arabes trouvèrent 56 milles deux tiers au degré; mais quelle était au juste la grandeur de leur mille? Parmi les modernes, Jean Fernel, premier médecin de Henri II, trouvait pour chaque degré 68.096 pas géométriques de cinq pieds de roi, qui valent 56.746 toises 4 pieds, de la mesure de Paris, dit Perrault. Le Hollandais Snellius trouva 28.500 perches du Rhin, c'est-à-dire 55.021 toises de Paris; le Père Riccioli 64.363 pas de Bologne, qui font 62.900 toises; l'Académie des sciences 57.060 toises, c'est-à-dire 28 lieues et demie et 60 toises, qui„ multipliées par 360 degrés, font 10.270 lieues, 1.600 toises , en donnant à la lieue 2.000 toises. D'après les nouvelles mesures, l'équateur a été partagé en 400 degrés, chaque degré en 10 myriamètres, c'est-à-dire 100.000 mètres. Si l'on veut réduire les myriamètres en lieues géographiques, il faudra les multiplier par neuf quarts, et réciproquement, si l'on veut réduire les lieues en myriamètres, on devra les multiplier par quatre neuvièmes. Le tableau qui suit donnera l'idée de la grandeur d'un degré, d'une minute, d'une seconde, d'une tierce,d'un grand cercle de la sphère
1 degré vaut 100.000 mètres.
(128) - Inter angulos octogoni gnomon ponatur. Par inter angulos il ne faut pas entendre au milieu de l'espace compris entre deux des angles de l'octogone; car si l'équerre qui règle l'alignement des rues était placé de cette manière, les quatre grandes rues seraient enfilées par les quatre vents auster, favonius, septentrio et solanus, qui soufflent dans cette direction. L'équerre doit diriger les quatre angles qui donnent à la ville une figure carrée, de manière à leur faire occuper quatre des angles de l'octogone ; les quatre autres se trouveront alors en face des quatre grandes rues. (129) - Divisiones IIX. La plupart des interprètes de Vitruve ont mis douze rues, bien que le texte comme la figure n'en indiquent que huit. S'ils ont commis cette erreur, c'est faute d'avoir pris garde au chiffre romain IIX, qui se rencontre, du reste assez rarement, dans quelques inscriptions et quelques vieux manuscrits :
D. M. MELLVTAE
IMP.
CAESARI.VESPASIANO AVG.
IN
FR (130) - Amphitheatra. Il pourrait paraître assez surprenant que Vitruve n'ait parlé des amphithéâtres que dans cet endroit, sans dire un mot sur leur structure. Peut-être Vitruve a-t-il pensé que ce qu'il avait dit des théâtres suffisait, l'amphithéâtre n'étant autre chose qu'un double théâtre. Amphitheatrum dictum quod ex duobus theatris sit factum, a dit Isidore au liv. XVIII, ch. 52
..... Structoque utrimque theatro, Curion, dit Pline (Hist. Nat., liv. XXXVI , ch. 24) , fit construire en bois deux théâtres de la plus grande dimension, chacun sur un pivot tournant. Le matin on jouait des pièces sur les deux théâtres ; alors ils étaient adossés , pour que les acteurs ne pussent pas s'interrompre; vers le soir, tournant tout à coup sur eux-mêmes, ils se trouvaient en face l'un de l'autre : les quatre extrémités se rejoignaient et formaient un amphithéâtre où se donnaient des combats de gladiateurs, moins voués à la mort que le peuple romain ainsi promené dans les airs. (131) - Extra murum Veneris, Vulcani, Martis fana. Les anciens n'ont pas toujours été fidèles à ce précepte des aruspices étrusques. Ainsi Ovide et Suétone placent sur le forum d'Auguste un temple de Mars Vengeur. Vitruve lui-même et Tite-Live nous font connaître que Vénus eu avait un sur le forum de J. César, et un autre auprès du Grand Cirque. Vulcain avait le sien dans le cirque de Flaminius , ou auprès des comices , selon Denys d'Halicarnasse et Sextus Pompée. Et ce n'est pas tout : on voyait dans Rome d'autres temples élevés à des divinités malfaisantes, à la Fièvre, par exemple, sur le mont Palatin (CICÉRON , PLINE, VALÈRE MAXIME) ; à la Mauvaise Fortune, sur le mont Esquilin (CICÉRON, PLINE) ; à la Paresse, au pied du mont Aventin (TITE- LIVE). (132) - Cum religione, caste sanctisque moribus is locus debet tueri. Rien de plus auguste ni de plus sacré dans la Grèce que les mystères de Cérès. Les plus grands personnages, non-seulement de la Grèce, mais de Rome, s'y faisaient initier, témoin le Scythe Anacharsis, lorsqu'il fut fait citoyen d'Athènes; témoins Atticus, Auguste même, etc. L'objet de cette espèce de confrérie était de rendre meilleurs et plus vertueux ceux qu'on y admettait. Il était défendu aux initiés, même sous peine de mort, de divulguer les mystères de la déesse; ceux qui violaient cette loi étaient censés avoir encouru la colère et l'indignation des dieux.
Vetabo , qui Cereris sacrum Je ne veux pas coucher sous le même toit, ni monter sur le même navire, avec celui dont la bouche a divulgué les mystères de Cérès. Pausanias, dans sa description de la Grèce, craint de parler de ces mystères; on sait, dit-il, que ceux qui ne sont pas initiés à ces mystères ne doivent pas en prendre connaissance, ni avoir la liberté de s'en informer. .
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