Saint Jérôme

SAINT JERÔME

 

LETTRES

 

A SAINT PAULIN.

EPISTOLA LXXXV. AD PAULINUM.

à Augustin       à  une veuve des Gaules et à sa fille

 

 

 

 

SÉRIE VI. LETTRES.

A SAINT PAULIN.

Saint Jérôme avoue qu'il ne relisait pas ses lettres parce qu'il en avait trop à écrire. — Réponse à deux questions de saint Paulin. — Jérôme le remercie du bonnet qu'il lui a envoyé.

En 406.

EPISTOLA LXXXV. AD PAULINUM.

 

1. Voce me provocas ad scribendum, terres eloquentia; et in epistolari stylo prope Tullium repraesentas. Quod quereris, me  parvas et incomptas litterulas mittere, non venit de incuria, sed timore tui, ne verbosius ad te loquens, plura reprehendenda transmittam: et ut sanctae menti tuae simpliciter fatear, uno ad Occidentem navigandi tempore, tantae a me simul epistolae flagitantur, ut si cuncta ad singulos velim rescribere, occurrere nequeam.

Unde  accidit, ut omisca compositione verborum et scribentium sollicitudine, dictem quidquid in buccam venerit; et amicum te tantum meorum dictorum, non judicem considerem.

2. Duas quaestiunculas tuae litterae praeferebant. Unam, Quare sit a Deo induratum cor Pharaonis (Exod. 4. 7.
10. 14); et Apostolus dixerit: Non volentis, neque currentis; sed miserentis est Dei (Rom. 9. 16), et caetera, quae liberum videntur tollere arbitrium. Alteram, Quomodo sancti sint, qui de fidelibus, id est, baptizatis nascuntur: cum sine dono gratiae postea acceptae et custoditae, salvi esse non possint.

3. Primae in libris περὶ Ἀρχω̃ν, quos nuper, Pammachio nostro jubente, interpretatus sum, Origenes fortissime respondet: quo detentus opere, implere non potui quod promiseram tibi, et Danielem nostrum rursum comperendinavi. Et quidem quamvis mei amantissimi et egregii viri Pammachii, tamen unius voluntatem in tempus aliud distulissem, nisi omnis pene fraternitas de Urbe eadem postulasset, asserens multos periclitari, et perversis dogmatibus acquiescere. Unde necessitate compulsus sum transferre libros, in quibus mali plus, quam boni est: et hanc servare mensuram, ut nec adderem quid, nec demerem, Graecamque fidem Latina integritate servarem. Quorum exemplaria a supradicto fratre poteris mutuari: licet tibi Graeca sufficiant; et non debeas turbidos nostri ingenioli rivulos quaerere, qui de ipsis fontibus bibis.

4. Praeterea quia docto viro loquor, et tam divinis Scripturis, quam saeculi litteris erudito, illud dignationem tuam admonitam volo, ne me putes in modum rustici Balatronis cuncta Origenis reprobare quae scripsit: quod in me criminantur  ἀκαιροσπουδασταὶ ejus: et quasi Dionysium Philosophum arguant, subito mutasse sententiam: sed tantum prava dogmata repudiare. Scio enim aequali maledicto eos subjacere, qui bona mala dicunt; et illos qui mala bona judicant: qui faciunt amarum dulce, et dulce amarum (Isai. 5). Aut quae est tanta pertinacia, sic laudare alicujus doctrinam, ut sequare blasphemiam?

5. De secundo problemate tuo, Tertullianus in libris de Monogamia disseruit, asserens, sanctos dici fidelium filios, quod quasi candidati sint fidei, et nullis idololatriae sordibus polluantur. Simulque considera, quod et vasa sacra in tabernaculo legimus, et caetera quae ad ritum caeremoniarum pertinent: cum utique sancta esse non possint, nisi ea quae sentiunt et venerantur Deum. Idioma igitur Scripturarum est, ut interdum sanctos pro mundis et purificatis atque expiatis nominent: sicut et Bethsabee sanctificata scribitur ab immunditia sua: et ipsum Templum, Sanctuarium nominatur.

6. Obsecro te, ne tacito mentis judicio, me aut vanitatis arguas, aut falsitatis. Testis est enim mihi conscientiae meae Deus, quod ab ipso procinctu et interpretationis exordio supradicta necessitas me retraxit; et scis ipse non bene fieri, quod occupato animo fiat.

Pileolum textura breve, caritate latissimum, senili capiti confovendo, libenter accepi, et munere et muneris auctore laetatus.

1 Vous m'engagez à vous écrire, mais vous m'effrayez par votre éloquence. Par votre style épistolaire, vous rappelez presque celui de Cicéron. Vous vous plaignez que mes lettres sont trop courtes et d'un style trop négligé; si elles ne sont pas plus longues et mieux écrites, ce n'est pas que je me néglige, c'est que je vous crains et que j'appréhende de les faire plus mal encore en les faisant plus longues. A vous parler franchement, lorsque quelque vaisseau est prêt à faire voile pour l'Italie, on me demande tant de lettres à la fois que, si je voulais écrire à chacun en particulier tout ce que j'ai à dire, je laisserais malgré moi échapper l'occasion d'écrire.

C'est ce qui fait que, sans m'embarrasser ni de la pureté du style ni de l'exactitude de mes copistes, je leur dicte sur-le-champ tout ce qui me vient à l'esprit. J'agis ainsi à votre égard, vous regardant plutôt comme un ami indulgent que comme un censeur rigoureux de mes lettres.

2 Vous me proposez deux questions dans celle que vous m'avez adressée; la première : Pourquoi Dieu a endurci le coeur de Pharaon; et dans quel sens l'Apôtre a dit : « Cela ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde; » et d'autres passages semblables qui paraissent détruire le libre arbitre? la seconde : Comment on peut appeler « saints » les enfants des fidèles ; c'est-à-dire de ceux qui ont été baptisés , puisque ces enfants ne peuvent être sauvés qu'en recevant et en conservant la grâce du baptême?

3 Origène répond d'une manière très solide à la première question dans son livre « des Principes », que j'ai traduit depuis peu, à la sollicitation de notre cher Pammaque. Cet ouvrage m'a tellement occupé, que j'ai été obligé de remettre à un autre temps l'explication de Daniel que je vous ai promise. Malgré mon estime et mon amitié pour Pammaque, j'aurais néanmoins différé la traduction qu'il souhaitait de moi; mais tous nos frères de Rome se sont joints à lui pour m'engager à l'entreprendre, et m'ont assuré que plusieurs personnes séduites par les erreurs d'Origène étaient en danger de se perdre. Je n'ai donc pu me dispenser de traduire ces livres, où il y a plus de mal que de bien. J'ai pris soin de n'y rien ajouter et de n'en rien retrancher, et de rendre ma traduction exacte, fidèle et entièrement conforme à l'original. Si vous la voulez lire, vous pouvez l'emprunter de Pammaque, quoiqu'il vous soit facile de lire le texte dans la langue grecque qui vous est familière, et de vous passer ainsi de ma traduction.

4 Comme je parle ici à un homme savant et également versé dans la science des saintes Ecritures et des lettres humaines, je vous prie de ne me pas croire assez injuste et assez passionné pour condamner tous les ouvrages d'Origène : ce dont Calpurnius Lanarius et ses disciples m'accusent, me reprochant d'avoir changé tout d'un coup d'opinion à l'exemple de Denis le philosophe. J'approuve dans 601 Origène ce qu'il y a de bon, et je ne condamne que sa mauvaise doctrine; car je suis persuadé que ceux qui appellent mauvais ce qui est bon, et amer ce qui est doux, encourent la même malédiction que ceux qui appellent bon ce qui est mauvais et doux ce qui est amer. Est-il, en effet, un entêtement plus étrange que celui des personnes qui, en voulant louer la doctrine et l'érudition d'un auteur, approuvent et imitent jusqu'à ses blasphèmes?

5 Quant à la seconde question que vous m'avez proposée, Tertullien la traite dans son livre de la Monogamie, et dit qu'on donne le nom de saints aux enfants des fidèles, parce qu'étant candidats de la foi, ils ne sont jamais souillés par l'idolâtrie. Il faut remarquer à ce sujet que, quoique le nom de « saint » ne puisse convenir qu'aux créatures raisonnables qui servent et adorent Dieu, on ne laisse pas néanmoins de donner ce nom aux vases du tabernacle et à tout ce qui sert à l'autel. C'est une façon de parler ordinaire aux écrivains sacrés d'appeler « saints », ceux qui sont purs ou qui se sont lavés et purifiés de leurs souillures par différentes expiations. C'est dans ce sens que l'Écriture sainte donne au temple le nom de sanctuaire, et qu'en parlant de Bethsabée elle dit qu'elle se sanctifia, c'est-à-dire qu'elle se purifia de son impureté.

6 Au reste, je vous prie de ne pas m'accuser de vanité ou de mensonge. Dieu est témoin qu'il n'y a que la crainte d'avoir un homme de votre caractère pour juge de mes ouvrages, qui m'ait fait hésiter à vous écrire. Or, vous savez que, quand une fois l'esprit est préoccupé, il est bien difficile qu'il puisse réussir dans ce qu'il entreprend.

J'ai volontiers reçu le bonnet que vous m'avez envoyé. Quelque petit qu'il soit, la charité le rend très grand. C'est une chose fort utile pour un vieillard, qui a besoin de se tenir la tête chaude. Ce présent m'est doublement agréable, et par lui-même et par la personne qui le fait.