Saint Jérôme

SAINT JERÔME

 

LETTRES

 

A MARCELLA. RÉPONSE A SES DÉTRACTEURS.

EPISTOLA XXVII. AD EAMDEM MARCELLAM.

à Marcella       à Paula Et Eustochia sur la traduction du livre de Job

 

 

 

 

SÉRIE VI. LETTRES.

 A MARCELLA. RÉPONSE A SES DÉTRACTEURS.

Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 388.

EPISTOLA XXVII. AD EAMDEM MARCELLAM.

 

1. Post priorem Epistolam, in qua de Hebraeis verbis pauca perstrinxeram, ad me repente perlatum est, quosdam homunculos mihi studiose detrahere, cur adversum auctoritatem veterum, et totius mundi opinionem, aliqua in Evangeliis emendare tentaverim. Quos ego cum possem meo jure contemnere (Asino quippe lyra superflue canit) tamen ne nos superbiae, ut facere solent, arguant ita responsum habeant: Non adeo me hebetis fuisse cordis, et tam erasse rusticitatis (quam illi solam pro sanctitate habent, piscatorum se discipulos asserentes, quasi idcirco sancti sint, si nihil scierint) ut aliquid de Dominicis verbis, aut corrigendum putaverim, aut non divinitus inspiratum; sed Latinorum codicum vitiositatem, quae ex diversitate librorum omnium comprobatur, ad Graecam originem, unde et ipsi translata non denegant, voluisse revocare. Quibus si displicet fontis unda purissimi, coenosos rivulsos bibant; et diligentiam qua avium silvas, et concharum gurgites norunt, in Scripturis legendis abjiciant: sintque in hac re tantum simplices, ut Christi verba existiment rusticana, in quibus per tanta jam saecula, tantorum ingenia sudaverunt, ut rationem verbi uniuscujusque [al. unusquisque] magis opinati sint, quam expresserint. Apostolum arguant imperitiae, qui ob multas litteras insanire dicatur.

2. Scio te cum ista legeris, rugare frontem, et libertatem meam rursum seminarium timere rixarum; ac meum, si fieri potest, os digito velle comprimere, ne audeam dicere, quae alii facere non erubescunt. Rogo quid a nobis libere dictum est? Nunquid in lancibus idola caelata descripsi? nunquid inter epulas Christianas, virginalibus oculis Baccharum Satyrorumque complexus innexui: aut unquam aliquem amarior sermo pulsavit? Nunquid ex mendicis divites fieri doluimus? nunquid reprehendi haereditarias sepulturas? Unum miser locutus, quod virgines saepius deberent cum mulieribus esse, quam cum masculis, totius oculos urbis offendi, cunctorum digitis notor. «Multiplicati sunt super capillos capitis mei, qui oderunt me gratis, et factus sum eis in parabolam» (Psal. 119): et tu putas me aliquid deinceps locuturum?

3. Verum ne Flaccus de nobis rideat: «Amphora coepit Institui, currente rota, cur urceus exit?» (Horat. de Art. Poetic.) revertimur ad nostros bipedes asellos; et illorum in aure buccinna magis quam cithara concrepamus. Illi legant, «spe gaudentes, tempori servientes:» nos legamus, «spe gaudentes, Domino servientes» (Rom. 12. 12 et 11). Illi adversus Presbyterum accusationem omnino putent recipiendam: nos legamus, «adversus Presbyterum accusationem ne receperis, nisi sub duobus,  aut tribus testibus: peccantes autem coram omnibus argue» (1. Tim. 5. 19). Illis placeat, «Humanus sermo et omni acceptione dignus:» nos cum Graecis, id est, cum Apostolo, qui Graece locutus est, erremus: «Fidelis sermo, et omni acceptione dignus.» Ad extremum illi gaudeant Gallicis Cantheriis; nos solutus vinculis, et in Salvatoris ministerium praeparatus Zachariae asellus ille delectet, qui postquam Domino terga praebuit, coepit Isaiae consonare vaticinio: «Beatus qui seminat secus omnem aquam, ubi bos et asinus calcant» (isai. 32. sec. LXX).

1 Depuis ma dernière lettre dans laquelle je vous expliquais quelques mots hébreux, j'ai appris que certaines gens se plaignaient hautement de ma témérité à corriger quelques endroits de l'Évangile, contrairement à l'autorité 495 des anciens et à la tradition universellement reçue dans toutes les Eglises. Je pourrais fort bien mépriser de semblables plaintes; car, comme dit le proverbe: « C'est perdre son temps que de jouer de la harpe devant les ânes. » Mais pour que, selon leur coutume, ils n'attribuent pas mon silence à une humeur fière et hautaine, je veux bien qu'ils sachent que je ne suis ni assez ignorant ni assez sot (ce en quoi consiste toute leur sainteté, se faisant gloire d'être disciples de pêcheurs, et se flattant d'être saints parce qu'ils sont ignorants,) pour croire qu'il y a quelque chose à corriger dans les paroles du Sauveur, ou que tout n'est point inspiration divine dans l'Evangile. Mon dessein ( qui ne se justifie que trop par les variantes de tous les exemplaires) est de les rétablir dans leur ancienne pureté, en les confrontant avec les originaux grecs, sur lesquels mes censeurs même avouent que les traductions ont été faites. Que s'ils ne veulent pas puiser à une source très pure, qu'ils boivent l'eau bourbeuse des ruisseaux. Curieux de savoir dans quelles forêts l'on trouve le gibier le plus délicat, et sur quelles côtes l'on pêche les meilleurs huîtres , que l'étude de l'Ecriture sainte soit la seule chose qu'ils jugent indigne de leur application. Qu'ils disent ( et c'est en cela seulement que parait leur simplicité), qu'ils disent que Jésus-Christ s'exprime d'une manière commune, et que tant de beaux génies, qui depuis plusieurs siècles ont cherché le véritable sens de ses paroles, l'ont plutôt deviné qu'expliqué. Qu'ils accusent enfin l'apôtre saint Paul d'ignorance, lui à qui l'on reprochait autrefois que son grand savoir l'avait mis hors de son bon sens.

2 Je m'attends bien à vous voir alarmée de la liberté avec laquelle je vous écris. Vous craindrez qu'elle ne soit un nouveau sujet de disputes; et si vous le pouviez, vous me fermeriez la bouche pour m'empêcher de dire ce que les autres n'ont pas honte de faire. Mais encore, que m'est-il échappé de trop libre? Ai-je fait graver dans des bassins les images des faux dieux? Etant à table avec des femmes chrétiennes, ai-je exposé aux yeux des vierges les infâmes embrassements des Bacchantes et des Satyres? Ai-je jamais parlé de quelqu'un avec trop d'aigreur? Me suis-je élevé contre les pauvres, devenus immensément riches? Ai-je déclamé contre ceux qui courent après les successions? Mon crime n'est-il pas d'avoir dit que les vierges devaient plutôt fréquenter les femmes que les hommes? Voilà ce qui a révolté Rome contre moi ; c'est pour cela qu'on me montre au doigt. « Ceux qui me haïssent sans sujet sont en plus grand nombre que les cheveux de ma tête, et je suis devenu pour eux un sujet de risée » Et vous pensez que je dirai quelque chose encore?

3 Mais de peur d'être ridicule et de m'entendre dire avec Flaccus : « Vous aviez commencé une grande coupe, d'où vient qu'après avoir bien tourné la roue vous n'avez fait qu'un petit vase? » revenons à nos ânes bipèdes , et au lieu de jouer de la harpe devant eux, sonnons de la trompette à leurs oreilles. Qu'ils soutiennent donc qu'on doit lire dans l'apôtre saint Paul : « Réjouissez-vous dans votre espérance, accommodez-vous au temps. » Pour nous, suivons cette autre leçon : « Réjouissez-vous dans votre espérance, servez le Seigneur. » Qu'ils disent que, selon saint Paul, on doit admettre les accusations contre un prêtre; attachons-nous, nous autres, au véritable texte de l'Apôtre qui porte : « N'admettez d'accusation contre un prêtre que sur la déposition de deux ou trois témoins ; mais reprenez devant tout le monde ceux qui pèchent. » Qu'ils approuvent cette leçon: «C'est un discours humain et digne d'être reçu avec une soumission parfaite. » Pour nous, dussions-nous errer, attachons-nous aux exemplaires grecs et à l'Apôtre, qui a dit en grec . « C'est une vérité certaine et digne d'être reçue avec toute la soumission possible. » Enfin qu'ils se plaisent à soutenir que le Christ monta sur un de ces chevaux qui viennent des Gaules; quant à nous, nous aimons à dire qu'il prit cet ânon dégagé de tout lien, préparé, suivant Zacharie, pour le Sauveur, et qui en servant de monture au Christ, justifia cette prophétie d'Isaïe : « Heureux celui qui sème sur les bords de toutes les eaux, où travaillent le boeuf et l'âne. »