Saint Jérôme

SAINT JERÔME

 

LETTRES

A MARCELLA. SUR UN OUVRAGE DE RHÉTICIUS, ÉVÊQUE D'AUTUN.

EPISTOLA XXXVII. AD MARCELLAM. De Commentariis Rheticii in Canticum Canticorum.

à Evagre       à Marcella

 

 

 

 

SÉRIE VI. LETTRES.

 A MARCELLA. SUR UN OUVRAGE DE RHÉTICIUS, ÉVÊQUE D'AUTUN.

Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 388

EPISTOLA XXXVII. AD MARCELLAM. De Commentariis Rheticii in Canticum Canticorum.

 

1. Nuper cum Rheticii Augustodunensis episcopi, qui quondam a Constantino Imperatore sub Silvestro Episcopo, ob causam Montensium missus est Romam, Commentarios in Canticum Canticorum perlegissem, quod Hebraei vocant SIR ASSIRIM, vehementer miratus sum, virum eloquentem praeter ineptias sensuum caeterorum Tharsis urbem, putasse Tarsum, in qua Paulus apostolus natus sit, et aurum Ophaz Petrum significare, quia Cephas in Evangelio idem Petrus sit appellatus. Habuerat utique et in Ezechiele idipsum verbum, ubi de quatuor animalibus scribitur: «Et species rotarum sicut species Tharsis» (Ezech. 10. 9), et in Daniele de Domino: «Et corpus ejusdem ut Tharsis» (Dan. 10. 6). Quod Aquila chrysolitum, Symmachus hiacyntum interpretantur. Et in psalmo: «In spiritu violento conteres naves Tharsis» (Psal. 47. 8). Et inter lapides qui in ornatu sacerdotis, tribuum nominibus sculpti sunt, ejusdem lapidis nomen inseritur, et omnis fere Scriptura hoc vocabalo referta est.

De Ophaz vero quid dicam, cum supra dictus Daniel propheta in tertio anno Cyri regis Persarum, post tres hebdomadas jejunii atque tristitiae dicat: «Extuli oculos meos, et vidi, et ecce vir unus vestitus baddim, et renes ejus cincti auro Ophaz» (Dan. 10, 5). Plura quippe apud Hebraeos auri sunt genera. Unde ob distinctionem, nunc OPHAZ positum est, ne quis ZAAB putaret, quod in Genesi cum lapide carbunculo praedicatur (Gen. 2. 12).

2. Quaeris si Tharsis lapis chrysolithus sit, aut hiacynthus, ut diversi interpretes volunt, ad cujus coloris similitudinem Dei species scribatur, quare Jonas propheta Tharsis ire velle dicatur (Jonae 1), et Salomon et Josaphat in regnorum libris naves habuerint, quae de Tharsis solitae sint exercere commercia (2 Reg. 10). Ad quod facilis est responsio ὸμώνυμον esse vocabulum, quod et Indiae regio ita appelletur, et ipsum mare, quia caeruleum sit, et saepe solis radiis percussum, colorem supra dictorum lapidum trahat, et a colore nomen acceperit. Licet Josephus TAU littera commutata, Graecos putet Tarsum appellasse pro Tharsis.

3. Innumerabilia sunt, quae in illius mihi commentariis sordere visa sunt. Est quidem sermo compositus, et Gallicano cothurno fluens: sed quid ad interpretem, cujus professio est, non quo ipse disertus appareat, sed quo eum, qui lecturus est, sic faciat intelligere, quomodo ipse intellexit qui scripsit. Rogo, non habuerat decem Origenis volumina? non Interpretes caeteros? non certe aliquos necessarios Hebraeorum, ut aut interrogaret, aut legeret, quid sibi vellent quae ignorabat? Sed tam male videtur existimasse de posteris, ut nemo posset de ejus erroribus judicare.

4. Frustra ergo a me ejusdem viri commentarios postulas, cum mihi in illis displiceant multo plura, quam
placeant. Quod si opposueris, cur caeteris dederim, audies, non omnes iisdem vesci debere cibis. Jesus in deserto plures hordeaceis panibus pascit, frumentaceis pauciores. Corinthii in quibus audiebatur fornicatio qualis nec inter gentes, lacte pascuntur, quia necdum poterant solidum cibum capere. Ephesii autem in quibus nullum crimen arguitur, ab ipso Domino coelesti vescuntur pane, et sacramentum, quod a seculis absconditum fuerat, agnoscunt. Neque vero eorum qui a me exemplaria acceperunt, vel auctoritate vel aetate ducaris, quum et Daniel puer senes judicet, et Amos pastor caprarum, in sacerdotum principes invehatur.

1 Je lisais dernièrement les commentaires de Rhéticius, évêque d'Autun (c'est lui que l'empereur Constantin envoya à Rome, sous le pape Silvestre, dans l'affaire des Donatistes (1) ), je lisais, dis-je, ses commentaires sur le Cantique des Cantiques, que les Hébreux appellent. Sirhasirim; et j'y ai trouvé plusieurs passages insipides; mais, ce qui m'a étonné, c'a été de voir un homme de son caractère, et d'ailleurs éloquent, prendre le mot tharsis pour la ville de Tarse, patrie de l'apôtre saint Paul; et l'or d'ophax pour saint Pierre, parce que cet apôtre est appelé Cephas dans l'Évangile. Rhéticius n'avait qu'à consulter l'Écriture 494 sainte, et il aurait trouvé le mot de tharsis dans Ezéchiel, qui, parlant des quatre animaux mystiques, dit: « Les roues étaient de la couleur de tharsis (2); » et dans le prophète Daniel qui dit du Seigneur: « Son corps ressemblait à tharsis ; » ce que Symmaque a traduit par le mot hyacinthe, et Aquila par celui de crisolite. Nous lisons encore dans les Psaumes : « Vous briserez les vaisseaux de tharsis par le souffle d'un vent impétueux. » Cette pierre que l'on nomme tharsis ou crisolite, est aussi du nombre de celles où étaient gravés les noms des tribus d'Israël, et que le grand-prêtre portait sur son rational. Enfin dans l'Écriture sainte le mot de tharsis est répété fréquemment.

Que dirai-je de celui d'ophaz? Le même prophète Daniel, après avoir passé trois semaines dans le jeûne et dans la tristesse, la troisième année de l'empire de Cyrus, roi des Perses, ne dit-il pas : « Et ayant levé les yeux je vis tout à coup un homme qui était vêtu de lin, et dont les reins étaient ceints d'une ceinture d'ophaz? » Car il y a parmi les Hébreux plusieurs sortes d'or. C'est pourquoi l'on s'est servi ici du mot d'ophaz, pour ne pas le confondre avec le zaab, qui, selon la Génèse, nait avec l'escarboucle.

2 Mais si le mot tharsis signifie, suivant plusieurs interprètes, la pierre crisolite ou l'hyacinthe dont Dieu, selon l'Écriture, a quelquefois emprunté les couleurs, pourquoi donc lisons-nous que le prophète Jonas voulait aller à Tharsis? et que Salomon et Josaphat, comme il est rapporté dans le livre des Rois, avaient coutume d'envoyer une flotte à Tharsis pour trafiquer? Il est facile de répondre à cette difficulté. Vous devez savoir que le mot tharsis a diverses significations, et qu'on le prend tantôt pour les Indes, et tantôt pour la mer dont les eaux sont bleues, et qui, frappée des rayons du soleil, reçoit la couleur et le nom de ces pierres précieuses. Cependant Josèphe croit que les Grecs, en changeant la lettre tan, ont pris tarse pour tharsis.

3 Il y a dans ces commentaires plusieurs autres explications ridicules. Il est vrai que le style en est châtié et élevé, caractère de l'éloquence gauloise; mais convient-il à un interprète qui doit écrire non pour faire parade de son érudition et de son éloquence, mais seulement pour faire comprendre à ses lecteurs les choses comme il les entend lui-même? N'avait-il pas les dix volumes d'Origène et les écrits des autres interprètes? ne pouvait-il pas consulter quelqu'un qui sût l'hébreu, et lui demander l'explication de ce qu'il n'entendait pas? Non, il a eu assez mauvaise opinion des autres pour croire qu'il n'y aurait personne capable de découvrir ses erreurs.

4 Ne me demandez donc pas ces commentaires, où je trouve beaucoup plus de choses à chanter qu'à approuver. Vous me direz sans doute que je les ai communiqués à d'autres; c'est vrai, mais la même nourriture ne convient pas à toutes sortes de personnes. Ceux que Jésus-Christ nourrit autrefois de pains d'orge dans le désert étaient plus nombreux que ceux qu’il nourrit de pain de froment. Les Corinthiens, parmi lesquels il s'était commis une impureté que les païens ne commettent pas; les Corinthiens, dis-je, dans cet état, ne reçoivent de l'apure saint Paul que du lait, incapables de supporter une nourriture plus solide. Mais pour les Ephésiens, dont la conduite est irréprochable, le Seigneur lui-même les nourrit d'un pain céleste, et leur découvre le mystère qui a été caché dans tous les siècles. N'ayez souci ni de la dignité ni de l'âge de ceux à qui j'ai fait voir ces commentaires, puisque Daniel tout jeune a jugé des vieillards; et que le prophète Amos, simple berger, n'a pas craint de s'élever contre les princes des prêtres.

(1) Il y a dans le texte: Ob causam montensium, c'est-à-dire, pour l'affaire des montagnards. C'est ainsi que l'on appelait les Donatistes, parce que ceux de leur parti qui étaient à nome tenaient leurs assemblées hors de la ville sur une montagne, comme le rapportent saint Jérôme dans sa chronique; J. Optat, évêque de Milève, liv. II du schisme des Donatistes; et saint Augustin, ép. 42 et lib. de Hœoes. ch. 69, quelques-uns appellent même les partisans de Donat montagnards, parce qu'ils ont commencé à avoir une église à Rome sur une montagne.

(2) On a cru devoir laisser dans la traduction de ces deux passages le mot de tharsis, afin de se conformer à saint Jérôme, qui fait voir ici que ce mot se trouve dans l'Écriture, quoique lui-même, après Aquila, l'ail expliqué par le mot crisolite, comme nous le lisons dans notre Vulgate qui porte: Ezecli., lib. 9, « Les roues paraissaient de la couleur d'une pierre de crisolite ; » et Daniel, lib. 6, «Son corps était comme la pierre de crisolite. »