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Térence

EUNUCHUS - L'EUNUQUE

texte bilingue

introduction - texte latin seul - traduction française seule

 

 

EUNUCHUS

DIDASCALIA

INCIPIT EUNUCHUS TERENTI ACTA LUDIS MEGALENSIBVS L. POSTUMIO ALBINO L. CORNELIO MERULA AEDILIBUS CURVLIBUS EGERE L. AMBIVIUS TVRPIO L. ATILIUS PRAENESTINUS MODOS FECIT FLACCUS CLAUDI TIBIIS DUABUS DEXTRIS GRAECA MENANDRU FACTA II M. VALERIO C. FANNIO COS.


PERIOCHA C. SVLPICI APOLLINARIS

Sororem falso dictitatam Thaidis,
id ipsum ignorans, miles advexit Thraso
ipsique donat. Erat haec civis Attica.
Eidem eunuchum, quem emerat, tradi iubet
Thaidis amator Phaedria ac rus ipse abit,
Thrasoni oratus biduum concederet.
Ephebus frater Phaedriae, puellulam
cum deperiret dono missam Thaidi,
ornatu eunuchi induitur (suadet Parmeno),
introiit, vitiat virginem. Sed Atticus
civis repertus frater eius conlocat
vitiatam ephebo; Phaedriam exorat Thraso. 

PERSONAE

(PROLOGUS)
PHAEDRIA ADULESCENS
PARMENO SERVOS
THAIS MERETRIX
GNATHO PARASITUS
CHAEREA ADULESCENS
THRASO MILES
PYTHIAS ANCILLA
CHREMES ADULESCENS
ANTIPHO ADULESCENS
DORIAS ANCILLA
DORUS EUNUCHUS
SANGA SERVOS
SOPHRONA NUTRIX
SENEX (DEMEA seu LACHES)
(CANTOR)

DIDASCALIE DE L'EUNUQUE

Voici l'Eunuque de Térence, représenté aux jeux Mégalésiens, sous les édiles curules L. Postumius Albinus et L. Cornelius Merula. La pièce fut jouée par Ambivius Turpion et L. Atilius de Préneste. Flaccus, esclave de Claudius, en fit la musique, avec les deux flûtes droites. Pièce grecque de Ménandre; c'est la deuxième de l'auteur, composée sous les consuls M. Valerius et C. Fannius.

SOMMAIRE DE SULPICE APOLLINAIRE

Le soldat Thrason a amené avec lui une jeune fille qui passe faussement pour la soeur de Thaïs, circonstance qu'il ignore, et il en fait cadeau à Thaïs même. Cette jeune fille était citoyenne d'Athènes. L'amant de Thaïs, Phédria, lui fait amener aussi un eunuque qu'il avait acheté, et il part lui-même pour la campagne, parce qu'elle l'a prié de céder la place à Thrason pour deux jours. Un éphèbe, frère de Phédria, éperdument amoureux de la fillette donnée en présent à Thaïs, s'habille en eunuque sur le conseil de Parménon; puis, introduit dans la maison, il viole la jeune vierge. Mais un citoyen d'Athènes, reconnu pour être son frère, la marie au jeune homme qui l'a violée. Thrason, à force de prières, obtient de Phédria de partager avec lui.

PERSONNAGES

PROLOGUE.
PHÉDRIA, jeune homme, amant de Thaïs.
PARMÉNON, esclave de Phédria.
THAÏS, courtisane.
GNATHON, parasite de Thrason.
CHÉRÉA, jeune homme, frère de Phédria, amant de Pamphila.
THRASON, soldat, rival de Phédria.
PYTHIAS, servante de Thaïs.
CHRÉMÈS, jeune homme, frère de Pamphila.
ANTIPHON, jeune homme.
DORIAS, servante.
DORUS, eunuque.
SANGA, esclave.
SOPHRONA, nourrice de Pamphila.
LACHÈS (ou DÉMÉA), vieillard, père de Phédria et de Chéréa.
(Le MUSICIEN.)
STRATON
SIMALION
DONAX
SYRISCUS (Personnages muets)

PROLOGUS

Si quisquamst qui placere se studeat bonis
quam plurimis et minime multos laedere,
in is poeta hic nomen profitetur suom.
Tum si quis est qui dictum in se inclementius
existumavit esse, sic existumet 5
responsum, non dictum esse, quia laesit prior.
Qui bene vortendo et easdem scribendo male
ex Graecis bonis Latinas fecit non bonas,
idem Menandri Phasma nunc nuper dedit,
atque in Thesauro scripsit causam dicere 10
prius unde petitur, aurum qua re sit suom,
quam illic qui petit, unde is sit thensaurus sibi
aut unde in patrium monumentum pervenerit.
dehinc ne frustretur ipse se aut sic cogitet :
« Defunctus iam sum, nil est quod dicat mihi, » 15
is ne erret moneo, et desinat lacessere.
Habeo alia multa quae nunc condonabitur,
quae proferentur post, si perget laedere
ita ut facere instituit. Quam nunc acturi sumus
Menandri Eunuchum, postquam aediles emerunt, 20
perfecit sibi ut inspiciundi esset copia.
Magistratus quom ibi adesset, occeptast agi.
exclamat furem, non poetam fabulam
dedisse et nil dedisse verborum tamen:
Colacem esse Naevi et Plauti veterem fabulam; 25
parasiti personam inde ablatam et militis.
Si id est peccatum, peccatum inprudentiast
poetae, non quo furtum facere studuerit.
Id ita esse vos iam iudicare poteritis.
Colax Menandrist: in east parasitus Colax 30
et miles gloriosus; eas se non negat
personas transtulisse in Eunuchum suam
ex Graeca; sed eas fabulas factas prius
Latinas scisse sese, id vero pernegat.
Quod si personis isdem huic uti non licet, 35
qui mage licet currentem servom scribere,
bonas matronas facere, meretrices malas,
parasitum edacem, gloriosum militem,
puerum supponi, falli per servom senem,
amare, odisse, suspicari? Denique 40
nullumst iam dictum quod non dictum sit prius.
Qua re aequom est vos cognoscere atque ignoscere
quae veteres factitarunt si faciunt novi.
Date operam, cum silentio animum attendite,
ut pernoscatis quid sibi Eunuchus velit. 45

PROLOGUE

S'il est des écrivains qui s'efforcent de plaire au plus grand nombre possible d'honnêtes gens, et d'en choquer le moins possible, l'auteur déclare qu'il est de ce nombre. Maintenant s'il y a un homme qui pense qu'on a parlé de lui en termes un peu rudes, qu'iI se dise bien que ce n'est pas une attaque, mais une riposte, puisqu'il est le premier offenseur (20). C'est lui qui, par une traduction exacte, mais mal écrite, a fait de bonnes pièces grecques de mauvaises pièces latines. Il vient aussi de publier le Fantôme (21) de Ménandre, et dans le Trésor (22) il a donné d'abord la parole au défendeur qui expose les raisons qu'il a de prétendre à ce trésor, au lieu de faire parler d'abord le demandeur pour expliquer comment le trésor est à lui et comment il s'est trouvé dans le tombeau de son père. Et maintenant qu'il ne s'abuse pas et n'aille pas se dire : « Désormais me voilà quitte; il n'a plus rien à me reprocher. » Qu'il ne s'y trompe pas, je l'en avertis, et qu'il cesse ses provocations. J'ai bien d'autres choses à dire, dont je lui ferai grâce à présent, mais que je sortirai plus tard, s'il continue ses attaques comme il a commencé.
La pièce que nous allons jouer, l'Eunuque de Ménandre, ayant été achetée par les édiles, il a si bien fait qu'il a obtenu la faveur de la voir à la répétition. Les magistrats venus, on commence à jouer. Mais lui de crier : « C'est un voleur, non un poète, qui a donné la pièce, mais il n'a pas donné le change. Il existe un Flatteur de Naevius et de Plaute, une vieille pièce; c'est là qu'il a pris les personnages du parasite et du soldat. » Si notre poète a péché en cela, il a péché par ignorance, et n'a pas eu l'intention de commettre un plagiat : vous pourrez tout à l'heure en juger vous-mêmes. Le Flatteur est de Ménandre : il y a dans cette pièce, un parasite, le Flatteur, et un soldat fanfaron. Le poète ne disconvient pas qu'il ait transporté ces personnages de la pièce grecque dans son Eunuque; mais qu'il ait su que ces pièces (23) avaient déjà été traduites en latin, cela, il le nie formellement. Que si l'on refuse à notre auteur le droit de se servir de personnages déjà présentés, aura-t-on davantage celui de mettre en scène un esclave qui court, de représenter d'honnêtes matrones, de méchantes courtisanes, un parasite glouton, un soldat fanfaron, un enfant substitué, un vieillard dupé par un esclave, l'amour, la haine, les soupçons. Bref, on ne peut plus rien dire qui n'ait été dit avant nous. L'équité veut donc que vous jugiez en connaissance de cause et que vous excusiez les nouveaux poètes, s'ils font ce que les anciens ont fait souvent. Prêtez-nous votre attention, et écoutez en silence, afin de bien saisir de quoi il s'agit dans l'Eunuque.

 

ACTUS I

PHAEDRIA, PARMENO

PHAEDRIA
 
Quid igitur faciam? Non eam, ne nunc quidem
quom accersor ultro? An potius ita me comparem,
non perpeti meretricum contumelias?
Exclusit; revocat. Redeam? Non, si me obsecret.
PARMENO 
Siquidem hercle possis, nil prius neque fortius. 50
Verum si incipies neque pertendes gnaviter
atque, ubi pati non poteris, quom nemo expetet,
infecta pace, ultro ad eam venies, indicans
te amare et ferre non posse, actumst, ilicet,
peristi: eludet ubi te victum senserit. 55
Proin tu, dum est tempus, etiam atque etiam cogita,
ere; quae res in se neque consilium neque modum
habet ullum, eam consilio regere non potes.
In amore haec omnia insunt vitia: iniuriae,
suspiciones, inimicitiae, indutiae, 60
bellum, pax rursum. Incerta haec si tu postules
ratione certa facere, nihilo plus agas
quam si des operam ut cum ratione insanias.
Et quod nunc tute tecum iratus cogitas :
« Egon illam, quae illum, quae me, quae non... ! Sine modo, 65
mori me malim: sentiet qui vir siem
, »
haec verba una mehercle falsa lacrimula,
quam oculos terendo misere vix vi expresserit,
restinguet, et te ultro accusabit, et dabis
ultro supplicium. 
PHAEDRIA 
O indignum facinus ! Nunc ego 70
et illam scelestam esse et me miserum sentio;
et taedet et amore ardeo; et prudens sciens,
vivos vidensque pereo, nec quid agam scio.
PARMENO 
Quid agas, nisi ut te redimas captum quam queas
minimo; si nequeas paullulo, at quanti queas; 75
et ne te adflictes. 
PHAEDRIA 
Itane suades? 
PARMENO 
Si sapis,
neque praeter quam quas ipse amor molestias
habet addas, et illas quas habet recte feras.
sed ecca<m> ipsa egreditur, nostri fundi calamitas;
nam quod nos capere oportet haec intercipit. 80 

ACTE PREMIER SCÈNE I

PHÉDRIA, PARMÉNON

PHÉDRIA
Que faire donc? ne pas y aller, même à présent qu'elle m'appelle elle-même? Ne vaudrait-il pas mieux me résoudre à ne plus supporter les affronts de ces créatures? Elle m'a fermé sa porte, elle me rappelle... et j'y retournerais? Non, dût-elle m'en supplier (24).
PARMÉNON
Ma foi, si tu le peux, rien de mieux ni de plus courageux. Mais si tu commences et ne vas pas bravement jusqu'au bout, si un jour tu ne peux plus durer, et que, sans qu'on te demande, sans avoir fait la paix, tu reviennes à elle de toi-même, lui laissant voir par là que tu l'aimes et ne peux plus y tenir, c'est une affaire faite et réglée, tu es un homme perdu : elle se jouera de toi, quand elle te verra vaincu. Réfléchis donc encore et encore, tandis qu'il en est temps, maître. Tu ne peux pas gouverner par raison une chose qui n'a en soi ni raison ni mesure. Vois les misères de l'amour : outrages, soupçons, brouilleries, trêve, guerre et raccommodement ensuite. Si tu prétends fixer par la raison des choses aussi mobiles, tu n'y réussiras pas plus que si tu essayais de déraisonner raisonnablement. Tout ce que le dépit te fait dire en ce moment : « Moi, retourner chez elle, qui le... qui me... qui ne.. ! Laisse-moi faire. J'aimerais mieux mourir... Elle verra qui je suis, » tout ce feu, j'en jure par Hercule, une seule petite larme menteuse, qu'elle s'arrachera à grand'peine à force de se frotter les yeux, suffira pour l'éteindre. Et elle sera la première à t'accuser, et toi le premier à te laisser punir.
PHÉDRIA
Sa conduite me révolte. Je vois à présent toute sa perfidie et toute ma misère. Elle me dégoûte et je brûle d'amour. J'ai beau m'en rendre compte et le comprendre, tout vivant et clairvoyant que je suis, je cours à ma perte et je ne sais quel parti prendre.
PARMÉNON
Quel parti? Il n'y en a qu'un pour un prisonnier comme toi, c'est de te racheter au meilleur marché possible; et, si tu ne le peux pas à bon compte, au prix que tu pourras; et de ne pas te laisser abattre.
PHÉDRIA
Est-ce là ce que tu me conseilles?
PARMÉNON
Oui, si tu es sage. N'ajoute pas aux ennuis que l'amour traîne à sa suite; quant à ceux qu'il porte avec lui, sup­porte-les comme il convient. Mais la voici elle-même qui sort, cette grêle de notre héritage : ce que nous devrions récolter, c'est elle qui l'intercepte.

I, ii

THAÏS, PHAEDRIA, PARMENO


THAÏS 
Miseram me, vereor ne illud gravius Phaedria
tulerit neve aliorsum atque ego feci acceperit,
quod heri intro missus non est. 
PHAEDRIA 
Totus, Parmeno,
tremo horreoque, postquam aspexi hanc. 
PARMENO 
Bono animo es:
accede ad ignem hunc, iam calesces plus satis. 85
THAÏS 
Quis hic loquitur? Ehem tun hic eras, mi Phaedria?
Quid hic stabas? Quor non recta intro ibas? 
PARMENO 
Ceterum
de exclusione verbum nullum? 
THAÏS 
Quid taces?
PHAEDRIA 
Sane quia vero haec mihi patent semper fores
aut quia sum apud te primus. 
THAÏS 
Missa istaec face. 90
PHAEDRIA 
Quid
« missa»? O Thais, Thais, utinam esset mihi
pars aequa amoris tecum ac pariter fieret,
ut aut hoc tibi doleret itidem ut mihi dolet,
aut ego istuc abs te factum nihili penderem!
THAÏS 
Ne crucia te obsecro, anime mi, <mi> Phaedria. 95
Non pol, quo quemquam plus amem aut plus diligam,
eo feci; sed ita erat res, faciundum fuit.
PARMENO 
Credo, ut fit, misera prae amore exclusti hunc foras.
THAÏS 
Sicin agis, Parmeno? Age; sed huc qua gratia
te accersi iussi ausculta. 
PHAEDRIA 
Fiat. 
THAÏS 
Dic mihi 100
hoc primum, potin est hic tacere? 
PARMENO 
Eon? Optume.
Verum heus tu, hac lege tibi meam adstringo fidem:
quae vera audivi taceo et contineo optume;
sin falsum aut vanum aut finctumst, continuo palamst:
plenus rimarum sum, hac atque illac perfluo. 105
Proin tu, taceri si vis, vera dicito.
THAÏS 
Samia mihi mater fuit: ea habitabat Rhodi.
PARMENO 
Potest taceri hoc. 
THAÏS 
Ibi tum matri parvolam
puellam dono quidam mercator dedit
ex Attica hinc abreptam. 
PHAEDRIA 
Civemne? 
THAÏS 
Arbitror; 110
certum non scimus. Matris nomen et patris
dicebat ipsa: patriam et signa cetera
neque scibat neque per aetatem etiam potis erat.
Mercator hoc addebat: e praedonibus,
unde emerat, se audisse abreptam e Sunio. 115
Mater ubi accepit, coepit studiose omnia
docere, educere, ita ut<i> si esset filia.
Sororem plerique esse credebant meam.
Ego cum illo, quocum tum uno rem habebam hospite,
abii huc: qui mihi reliquit haec quae habeo omnia. 120
PARMENO 
urumque hoc falsumst: effluet. 
THAÏS 
Qui istuc? 
PARMENO 
Quia
neque tu uno eras contenta neque solus dedit;
nam hic quoque bonam magnamque partem ad te attulit.
THAÏS 
Itast; sed sine me pervenire quo volo.
Interea miles qui me amare occeperat 125
in Cariamst profectus; te interea loci
cognovi. Tute scis postilla quam intumum
habeam te et mea consilia ut tibi credam omnia.
PHAEDRIA 
Ne hoc quidem tacebit Parmeno. 
PARMENO 
Oh, dubiumne id est?
THAÏS 
Hoc agite, amabo. Mater mea illic mortuast 130
nuper. Eius frater aliquantum ad remst avidior.
Is ubi esse hanc forma videt honesta virginem,
et fidibus scire, pretium sperans ilico
producit, vendit. Forte fortuna adfuit
hic meus amicus; emit eam dono mihi, 135
inprudens harum rerum ignarusque omnium.
is venit: postquam sensit me tecum quoque
rem habere, fingit causas ne det sedulo.
Ait, si fidem habeat se iri praepositum tibi
apud me, ac non id metuat, ne, ubi acceperim, 140
sese relinquam, velle se illam mihi dare;
verum id vereri. Sed ego quantum suspicor,
ad virginem animum adiecit. 
PHAEDRIA 
Etiamne amplius?
THAÏS 
Nil; nam quaesivi. Nunc ego eam, mi Phaedria,
multae sunt causae quam ob rem cupio abducere: 145
primum quod soror est dicta; praeterea ut suis
restituam ac reddam. Sola sum; habeo hic neminem,
neque amicum neque cognatum. Quam ob rem, Phaedria,
cupio aliquos parere amicos beneficio meo.
Id, amabo, adiuta me, quo id fiat facilius. 150
Sine illum priores partis hosce aliquot dies
apud me habere. Nil respondes? 
PHAEDRIA 
Pessuma,
egon quicquam cum istis factis tibi respondeam?
PARMENO 
Eu noster, laudo: tandem perdoluit: vir es.
PHAEDRIA 
Aut ego nescibam quorsum tu ires? « Parvola 155
hinc est abrepta; eduxit mater pro sua;
soror dictast; cupio abducere, ut reddam suis »:
nempe omnia haec nunc verba huc redeunt denique:
ego excludor, ille recipitur. Qua gratia?
nisi si illum plus amas quam me et istam nunc times 160
quae advectast ne illum talem praeripiat tibi.
THAÏS 
Ego id timeo? 
PHAEDRIA 
Quid te ergo aliud sollicitat? cedo.
num solus ille dona dat? Numcubi meam
benignitatem sensisti in te claudier?
Nonne, ubi mi dixti cupere te ex Aethiopia 165
ancillulam, relictis rebus omnibus
quaesivi? Porro eunuchum dixti velle te,
quia solae utuntur is reginae; repperi,
heri minas viginti pro ambobus dedi.
Tamen contemptus abs te haec habui in memoria: 170
ob haec facta abs te spernor? 
THAÏS 
Quid istic, Phaedria?
Quamquam illam cupio abducere atque hac re arbitror
id fieri posse maxume, verum tamen,
potius quam te inimicum habeam, faciam ut iusseris.
PHAEDRIA 
Utinam istuc verbum ex animo ac vere diceres 175
« Ppotius quam te inimicum habeam »! Si istuc crederem
sincere dici, quidvis possem perpeti.
PARMENO 
Labascit victus uno verbo quam cito!
THAÏS 
Ego non ex animo misera dico? quam ioco
rem voluisti a me tandem, quin perfeceris? 180
Ego impetrare nequeo hoc abs te, biduom
saltem ut concedas solum. 
PHAEDRIA 
Siquidem biduom;
verum ne fiant isti viginti dies.
THAÏS 
Profecto non plus biduom aut ...
PHAEDRIA 
« Aut » nil moror.
THAÏS 
Non fiet: hoc modo sine te exorem. 
PHAEDRIA 
Scilicet 185
faciundumst quod vis. 
THAÏS 
Merito te amo, bene facis.
PHAEDRIA 
Rus ibo: ibi hoc me macerabo biduom.
Ita facere certumst: mos gerundust Thaidi.
Tu, Parmeno, huc fac illi adducantur. 
PARMENO 
Maxume.
PHAEDRIA 
In hoc biduom, Thais, vale. 
THAÏS 
Mi Phaedria, 190
et tu. Numquid vis aliud? 
PHAEDRIA 
Egone quid velim?
cum milite istoc praesens absens ut sies,
dies noctesque me ames, me desideres,
me somnies, me exspectes, de me cogites,
me speres, me te oblectes, mecum tota sis: 195
meus fac sis postremo animus, quando ego sum tuos. -
THAÏS 
Me miseram, fors[it]an hic mihi parvam habeat fidem
atque ex aliarum ingeniis nunc me iudicet.
Ego pol, quae mihi sum conscia, hoc certo scio
neque me finxisse falsi quicquam neque meo 200
cordi esse quemquam cariorem hoc Phaedria.
Et quidquid huius feci, causa virginis
feci; nam me eius fratrem spero propemodum
iam repperisse, adulescentem adeo nobilem;
et is hodie venturum ad me constituit domum. 205
Concedam hinc intro atque exspectabo dum venit. 

SCÈNE II

THAÏS, PHÉDRIA, PARMÉNON

THAÏS
Que je suis malheureuse ! J'ai peur que Phédria ne soit fâché d'avoir été laissé à la porte hier, et qu'il n'ait mal interprété ma conduite.
PHÉDRIA
Des pieds à la tête, Parménon, je tremble, je frissonne en l'apercevant.
PARMÉNON
Remets-toi. Approche-toi du feu, tu auras bientôt trop chaud.
THAÏS
Qui parle ici? Comment? c'est toi qui étais là, mon Phédria? Pourquoi restais-tu là? Pourquoi n'entrais-tu pas tout droit?
PARMÉNON (à part).
Oui, mais de la porte fermée, pas un mot.
THAÏS
Pourquoi ne réponds-tu pas?
PHÉDRIA
C'est sans doute parce que ta porte m'est en effet toujours ouverte, ou que je suis le premier dans tes bonnes grâces.
THAÏS
Laisse donc cela.
PHÉDRIA
Comment? laisser cela? O Thaïs, Thaïs, si seulement tu m'aimais comme je t'aime, et que l'amour fût égal entre nous, pour que tu souffres de ce que tu m'as fait autant que j'en souffre, ou que moi je n'attache aucune importance à ton procédé !
THAÏS
Ne te tourmente pas, je t'en prie, mon coeur, mon Phédria. Non, par Pollux, si j'ai agi comme je l'ai fait, ce n'est point que j'aime ou chérisse quelqu'un plus que toi : ce sont les circonstances qui m'y ont obligée.
PARMÉNON
Je le crois; il n'y a rien là que d'ordinaire : c'est par amour, pauvre femme, que tu l'as consigné à la porte.
THAÏS
C'est ainsi que tu le prends, Parménon? Va. (A Phédria.) Mais écoute pourquoi je t'ai fait venir ici.
PHÉDRIA
Soit.
THAÏS
Dis-moi d'abord, ce garçon-là est-il capable de garder un secret?
PARMÉNON
Moi! parfaitement; mais attention, toi. Si j'engage ma parole, c'est à une condition : si ce que j'entends est vrai, je sais le taire et le garde à merveille; mais si c'est faux, vain ou controuvé, c'est aussitôt divulgué. Je suis plein de fentes et je fuis de partout. Par conséquent si tu veux le secret, ne dis rien que de vrai.
THAÏS
Ma mère était de Samos; elle habitait Rhodes.
PARMÉNON
Cela peut se taire.
THAÏS
Là, un marchand fit présent à ma mère d'une petite fille enlevée d'ici, de l'Attique.
PHÉDRIA
Une citoyenne?
THAÏS
Je le crois, sans en être sûre. Elle-même disait bien le nom de son père et de sa mère; quant à sa patrie et aux autres renseignements, elle ne savait rien et ne pouvait rien savoir à cause de son jeune âge. Le marchand ajoutait un détail : il avait entendu dire aux pirates auxquels il l'avait achetée qu'elle avait été enlevée à Sunium. Quand ma mère l'eut reçue, elle eut grand soin de lui donner une éducation complète et l'éleva comme si elle était sa fille. On croyait généralement qu'elle était ma soeur. Pour moi, je vins ici avec un étranger qui était alors ma seule liaison, celui qui m'a laissé tout le bien que je possède.
PARMÉNON
Voilà deux mensonges, ils vont couler dehors.
THAÏS
Pourquoi dis-tu cela?
PARMÉNON
Parce que tu ne te contentais pas d'un seul amant, et parce qu'il n'a pas été le seul à te donner. En voici un autre qui t'a apporté une bonne et large part.
THAÏS
C'est vrai; mais laisse-moi en venir où je veux. Sur ces entrefaites, le soldat qui s'était épris de moi partit pour la Carie; c'est à ce moment là que je te connus. Tu sais avec quelle intimité je te traite depuis ce moment, et comme je te confie toutes mes pensées.
PHÉDRIA
Cela non plus, Parménon, ne le taira pas.
PARMÉNON
Oh ! pour sûr.
THAÏS
Soyez à ce que je dis, je vous en prie. Ma mère est morte là-bas dernièrement. Un sien frère, un peu trop attaché à l'argent, voyant que cette fillette était d'un extérieur charmant, et savait jouer de la lyre, la met aux enchères dans l'espoir d'en tirer un bon prix et la vend. Par un heureux hasard mon ami se trouvait là : il l'achète  pour me la donner, sans se douter de rien et sans savoir un mot de tout ceci. Il est revenu; mais s'apercevant que j'avais des relations avec toi aussi, il s'évertue à trouver des prétextes pour ne pas la donner. S'il était sûr, dit-il, que je le préfère à toi et s'il ne craignait pas, quand je l'aurai reçue, d'être planté là, il ne demanderait pas mieux que de me la donner; mais c'est cela qu'il craint. Pour moi, autant que je puis deviner, il a des intentions sur la jeune fille.
PHÉDRIA
N'y a-t-il rien de plus?
THAÏS
Rien, je m'en suis assurée. Et maintenant, mon Phé­dria, j'ai beaucoup de raisons pour souhaiter de la lui retirer; d'abord parce qu'elle a passé pour ma soeur; ensuite je veux la ramener et la rendre à sa famille. Je suis seule; je n'ai personne ici, ni ami, ni parent. C'est pourquoi, Phédria, je voudrais me faire quelques amis par une bonne action. Aide-moi, je t'en prie, dans mon entreprise, pour eu faciliter la réussite. Permets que pendant ces quelques jours il ait le pas sur toi dans la maison. Tu ne réponds rien?
PHÉDRIA
Perfide ! que puis-je te répondre, après ce que tu fais-là?
PARMÉNON
Bien, notre maître; je t'approuve. Tu as enfin senti l'outrage; tu es un homme.
PHÉDRIA
Je ne savais pas où tu voulais en venir. « Une petite fille a été enlevée d'ici; ma mère l'a élevée comme si elle était à elle. Elle a passé pour ma soeur, je veux la reprendre à cet homme pour la rendre à sa famille. » Ainsi tous ces discours reviennent en somme à ceci : on me ferme la porte, on reçoit l'autre. Pourquoi? sinon parce que tu tiens plus à lui qu'à moi, et parce que tu as peur que cette jeune fille qu'il a amenée ne te souffle ce beau galant.
THAÏS
Moi ! j'ai peur de cela?
PHÉDRIA
Alors quel autre souci te presse? Dis-le. Est-ce qu'il est le seul à te faire des cadeaux? As-tu jamais senti que ma libéralité soit tarie pour toi? Quand tu m'as dit que tu avais envie d'une petite servante négresse, n'ai-je pas tout laissé pour t'en chercher une? Tu m'as dit ensuite que tu voulais un eunuque, parce que les grandes dames seules en ont; j'en ai trouvé un. Pas plus tard qu'hier j'ai payé vingt mines (25) pour les deux. En dépit de tes mépris, je n'ai pas oublié tes désirs, et pour récompense, tu me rebutes.
THAÏS
Eh bien ! sois satisfait, Phédria. Il est vrai que je désire emmener chez moi la jeune fille et que c'est, à mon avis, le meilleur moyen d'y parvenir; mais plutôt que de te mécontenter, je ferai comme tu l'ordonneras.
PHÉDRIA
Ah ! si cette parole était sortie de ton coeur, si tu disais vrai « plutôt que de te mécontenter » ! Si je pouvais croire que tu sois sincère, je serais capable de tout souffrir.
PARMÉNON
Il mollit, vaincu par un mot, et combien vite !
THAÏS
Moi ! je ne parle pas sincèrement? Suis-je assez malheureuse ! M'as-tu donc jamais exprimé un désir, même en plaisantant, que je ne l'aie satisfait? Et moi je ne puis obtenir de toi que tu m'accordes du moins deux jours, deux jours seulement.
PHÉDRIA
Si ce n'était que deux jours; mais ces deux jours pourraient bien en devenir vingt.
THAÏS
Non vraiment, pas plus de deux jours, ou bien...
PHÉDRIA
Voilà un « ou bien » qui ne me plaît pas.
THAÏS
Qu'à cela ne tienne; accorde-moi seulement ces deux jours.
PHÉDRIA
Je vois bien qu'il faut en passer par ce que tu veux.
THAÏS
J'ai bien raison de t'aimer, bon comme tu es.
PHÉDRIA
Je vais aller à la campagne : là je me dessécherai pendant ces deux jours. Oui, c'est décidé. Il faut complaire à Thaïs. Toi, Parménon, fais amener ici les deux esclaves.
PARMÉNON
Oui.
PHÉDRIA
Adieu, Thaïs, pour ces deux jours.
THAÏS
Adieu à toi aussi, mon Phédria. As-tu encore quelque chose à me dire?
PHÉDRIA
Que puis-je avoir à te dire, sinon que près de ce soldat tu en sois loin, que jour et nuit tu m'aimes, que tu me désires, que tu rêves de moi, que tu m'attendes, que tu penses à moi, que tu m'espères, que tu places ton bonheur en moi, que tu sois toute. avec moi, enfin que ton âme soit à moi, puisque la mienne est à toi (26).
THAÏS (seule)
Que je suis malheureuse ! Peut-être n'a-t-il pas grande confiance en moi et me juge-t-il sur le caractère des autres. Mais moi, par Pollux, qui sais bien ce qui en est, je suis sûre que je n'ai rien dit de controuvé ni de faux et que personne n'est plus cher à mon coeur que mon Phédria. Tout ce que j'en ai fait, je l'ai fait pour la jeune fille; car je suis presque sûre d'avoir déjà retrouvé son frère, un jeune homme de grande famille, et il a promis de venir me voir chez moi aujourd'hui. Je vais rentrer au logis et attendre sa venue.

ACTVS II, i

PHAEDRIA, PARMENO

PHAEDRIA 
Fac, ita ut iussi, deducantur isti. 
PARMENO 
Faciam. 
PHAEDRIA 
At diligenter.
PARMENO 
Fiet. 
PHAEDRIA 
At mature. 
PARMENO 
Fiet. 
PHAEDRIA 
Satine hoc mandatumst tibi? 
PARMENO 
Ah,
rogitare, quasi difficile sit!
Utinam tam aliquid invenire facile possis, Phaedria, 210
quam hoc peribit ! 
PHAEDRIA 
Ego quoque una pereo, quod mist carius;
ne istuc tam iniquo patiare animo. 
PARMENO 
Minime; qui effectum dabo.
sed numquid aliud imperas?
PHAEDRIA 
Munus nostrum ornato verbis, quod poteris, et istum aemulum,
quod poteris, ab ea pellito. 215
PARMENO 
Memini, tam etsi nullus moneas. 
PHAEDRIA 
Ego rus ibo atque ibi manebo.
PARMENO 
Censeo. 
PHAEDRIA 
Sed heus tu. 
PARMENO 
Quid vis? 
PHAEDRIA 
Censen posse me obfirmare et
perpeti ne redeam interea? 
PARMENO 
Tene? Non hercle arbitror;
nam aut iam revortere, aut mox noctu te adiget horsum insomnia.
PHAEDRIA 
Opus faciam, ut defetiger usque, ingratiis ut dormiam. 220
PARMENO 
Vigilabis lassus: hoc plus facies. 
PHAEDRIA 
Abi, nil dicis, Parmeno.
Eiciunda hercle haec est mollities animi; nimis me indulgeo.
tandem non ego illam caream, si sit opus, vel totum triduom? 
PARMENO 
Hui
univorsum triduom? Vide quid agas. 
PHAEDRIA 
Stat sententia. -
PARMENO 
Di boni, quid hoc morbist? Adeon homines inmutarier 225
ex amore ut non cognoscas eundem esse! Hoc nemo fuit
minus ineptus, mage severus quisquam nec mage continens.
Sed quis hic est qui huc pergit? Attat hic quidem est parasitus Gnatho
militis: ducit secum una virginem dono huic. Papae
facie honesta! Mirum ni ego me turpiter hodie hic dabo 230
cum meo decrepito hoc eunucho. Haec superat ipsam Thaidem. 

ACTE II SCÈNE I

PHÉDRIA, PARMÉNON

PHÉDRIA
Aie soin, comme je te l'ai commandé, de conduire ces esclaves.
PARMÉNON 
J'en aurai soin.
PHÉDRIA 
Mais promptement.
PARMÉNON 
Ainsi ferai-je.
PHÉDRIA 
Mais sans retard.
PARMÉNON 
Ainsi ferai-je.
PHÉDRIA
Te l'ai-je suffisamment recommandé?
PARMÉNON
Ah ! quelle insistance ! comme si c'était chose difficile. Puisses-tu, Phédria, tomber sur une bonne aubaine aussi sûrement que ton cadeau sera en pure perte !
PHÉDRIA
Moi aussi, je suis perdu du même coup, et cela me touche de bien plus près. Ne te fais pas tant de souci pour cela.
PARMÉNON
Je n'ai garde, et je vais au contraire exécuter tes ordres. Mais as-tu autre chose à me commander?
PHÉDRIA
Fais valoir de ton mieux notre présent par tes discours, et fais de ton mieux aussi pour évincer de chez elle ce rival.
PARMÉNON
J'y aurais songé, même si tu ne m'en avais pas touché un seul mot.
PHÉDRIA
Pour moi, je vais aller à la campagne et j'y resterai.
PARMÉNON
C'est mon avis.
PHÉDRIA
Mais dis-moi.
PARMÉNON 
Que veux-tu?
PHÉDRIA
Crois-tu que je pourrai avoir assez de fermeté et de patience pour ne pas revenir avant le terme?
PARMÉNON
Toi? Non, par Hercule, je ne le crois pas; car ou tu vas revenir tout à l'heure, ou bientôt, avant le jour, l'insomnie te chassera par ici.
PHÉDRIA
Je travaillerai et me fatiguerai tant, que je dormirai bon gré, mal gré.
PARMÉNON
Tu veilleras fatigué : c'est tout ce que tu y gagneras.
PHÉDRIA
Va ! tu ne sais pas ce que tu dis, Parménon. Il faut, par Hercule, que je secoue cette mollesse d'âme : je m'écoute trop. En fin de compte, ne pourrais-je pas me passer d'elle, s'il le fallait, même trois jours entiers?
PARMÉNON
Oh ! trois jours entiers ! Songe à ce que tu dis.
PHÉDRIA
Ma résolution est prise. —
PARMÉNON (seul).
Dieux bons ! quelle maladie est-ce là? Se peut-il que l'amour change les gens au point de les rendre méconnaissables? Personne n'avait plus de bon sens, de sérieux, de retenue que lui. Mais quel est cet homme qui vient par ici? Eh mais ! c'est Gnathon, le parasite du soldat. Il amène avec lui la jeune fille destinée à Thaïs. Peste! le joli minois ! je serai bien étonné si je ne fais pas aujourd'hui une piteuse figure dans cette maison avec mon eunuque décrépit. Elle efface Thaïs elle-même.

II, ii

GNATHO, PARMENO

GNATHO 
Di inmortales, homini homo quid praestat? stulto intellegens
quid inter est ! Hoc adeo ex hac re venit in mentem mihi:
conveni hodie adveniens quendam mei loci hinc atque ordinis,
hominem haud inpurum, itidem patria qui abligurrierat bona: 235
Video sentum, squalidum, aegrum, pannis annisque obsitum. 
« Quid istuc » inquam « ornatist? - Quoniam miser quod habui perdidi, em
quo redactus sum. Omnes noti me atque amici deserunt. »
Hic ego illum contempsi prae me. « Quid homo » inquam « ignavissime?
itan parasti te ut spes nulla relicua in te siet tibi? 240
Simul consilium cum re amisti? viden me ex eodem ortum loco?
Qui color, nitor, vestitus, quae habitudost corporis!
Omnia habeo neque quicquam habeo; nil quom est, nil defit tamen. »
- At ego infelix neque ridiculus esse neque plagas pati
possum. - Quid? tu his rebus credis fieri? Tota erras via. 245
Olim isti fuit generi quondam quaestus apud saeclum prius:
hoc novomst aucupium; ego adeo hanc primus inveni viam.
Est genus hominum qui esse primos se omnium rerum volunt,
nec sunt: hos consector; hisce ego non paro me ut rideant,
sed eis ultro adrideo et eorum ingenia admiror simul. 250
Quidquid dicunt, laudo; id rursum si negant, laudo id quoque;
negat quis: nego; ait, aio; postremo imperavi egomet mihi
omnia adsentari. Is quaestus nunc est multo uberrimus. »
PARMENO 
Scitum hercle hominem! hic homines prorsum ex stultis insanos facit.
GNATHO 
Dum haec loquimur, interea loci ad macellum ubi advenimus, 255
concurrunt laeti mi obviam cuppedenarii omnes,
cetarii, lanii, coqui, fartores, piscatores,
quibus et re salva et perdita profueram et prosum saepe:
salutant, ad cenam vocant, adventum gratulantur.
Ille ubi miser famelicus videt mi esse tantum honorem et 260
tam facile victum quaerere, ibi homo coepit me obsecrare,
ut sibi liceret discere id de me. Sectari iussi,
si potis est, tamquam philosophorum habent disciplinae ex ipsis
vocabula, parasiti ita ut Gnathonici vocentur.
PARMENO 
Viden otium et cibus quid facit alienus? 
GNATHO 
Sed ego cesso 265
ad Thaidem hanc deducere et rogare ad cenam ut veniat?
Sed Parmenonem ante ostium Thainis tristem video,
rivalis servom: salva rest. Nimirum hic homines frigent.
Nebulonem hunc certumst ludere. 
PARMENO 
Hisce hoc munere arbitrantur
suam Thaidem esse. 
GNATHO 
Plurima salute Parmenonem 270
summum suom inpertit Gnatho. Quid agitur? 
PARMENO 
Statur. 
GNATHO 
Video.
Num quid nam hic quod nolis vides? 
PARMENO 
Te. 
GNATHO 
Credo; at numquid aliud?
PARMENO 
Qui dum? 
GNATHO 
Quia tristi's. 
PARMENO 
Nil quidem. 
GNATHO 
Ne sis; sed quid videtur
hoc tibi mancupium? 
PARMENO 
Non malum hercle. 
GNATHO 
Uro hominem. 
PARMENO 
Ut falsus animist!
GNATHO 
Quam hoc munus gratum Thaidi arbitrare esse? 
PARMENO 
Hoc nunc dicis 275
eiectos hinc nos: omnium rerum, heus, vicissitudost.
GNATHO 
Sex ego te totos, Parmeno, hos mensis quietum reddam
ne sursum deorsum cursites neve usque ad lucem vigiles.
Ecquid beo te? 
PARMENO 
Men? Papae !
GNATHO 
Sic soleo amicos. 
PARMENO 
Laudo.
GNATHO 
Detineo te. Fortasse tu profectus alio fueras. 280
PARMENO 
Nusquam. 
GNATHO 
Tum tu igitur paullulum da mi operae: fac ut admittar
ad illam. 
PARMENO 
Age modo, i: nunc tibi patent fores hae quia istam ducis.
GNATHO 
Numquem evocari hinc vis foras? 
PARMENO 
Sine biduom hoc praetereat.
Qui mihi nunc uno digitulo fores aperis fortunatus,
ne tu istas faxo calcibus saepe insultabisfrustra. 285
GNATHO 
Etiam nunc tu hic stas, Parmeno? Eho numnam hic relictu's custos,
ne quis forte internuntius clam a milite ad istam curset?
PARMENO 
Facete dictum: mira vero, militi qui placeat? -
Sed video erilem filium minorem huc advenire.
Miror quid ex Piraeo abierit; nam ibi custos publice est nunc. 290
Non temere est; et properans venit: nescio quid circumspectat. 

SCÈNE II

GNATHON, PARMÉNON

GNATHON
Dieux immortels ! quelle supériorité d'un homme sur un autre homme ! Quelle distance entre un homme d'esprit et un sot ! Ce qui m'a précisément suggéré cette réflexion, le voici. J'ai rencontré aujourd'hui à mon arrivée un quidam qui est d'ici comme moi et de ma condition, un homme distingué qui a fricassé lui aussi son patrimoine. Je le vois hirsute, sale, défait, dépenaillé, vieilli. « Dans quel équipage te voilà l » lui dis-je. — C'est que j'ai eu le malheur de perdre ce que je possédais. Tu vois où j'en suis réduit. Toutes mes connaissances, tous mes amis me tournent le dos. » Ici, en le comparant à moi, je n'ai pu que le mépriser. « Comment ! » ai-je dit, « homme sans ressort, en es-tu venu au point de ne plus trouver en toi-même aucune ressource? As-tu perdu ton esprit avec ton bien? Jette les yeux sur moi qui suis de la même condition que toi. Quel teint ! quel éclat ! quelle toilette ! quelle mine ! J'ai tout et je ne possède rien, et j'ai beau ne rien posséder, rien ne me manque. — Malheureusement, moi, je ne puis ni faire le bouffon, ni supporter les coups. — Quoi ! tu t'imagines que c'est ainsi qu'on procède? Erreur totale ! C'est autrefois, dans le passé, dans l'autre siècle, que la race des parasites gagnait ainsi sa vie. Mais il y a une nouvelle manière de piper les oiseaux, et c'est justement moi qui suis l'inventeur de cette méthode. Il est une espèce d'hommes qui prétendent être les premiers en tout et qui ne le sont pas; c'est à eux que je m'attache; je ne me mets pas à leur service pour qu'ils rient de moi : c'est moi qui leur ris le premier, en m'extasiant en même temps sur leur génie. Quoi qu'ils disent, j'applaudis; s'ils disent ensuite le contraire, j'applaudis encore. On dit non, je dis non; on dit oui, je dis oui; enfin je me suis fait moi-même une loi d'être toujours de leur avis. Cette façon de gagner sa vie est aujourd'hui de beaucoup la plus fructueuse (27).
PARMÉNON
Voilà, par Hercule, un habile homme ! Qu'on lui donne un sot, il en fait un fou fieffé.
GNATHON
Tout en causant de la sorte, nous arrivons au marché. Là tous les fournisseurs accourent joyeusement à ma rencontre, poissonniers, bouchers, cuisiniers, poulaillers, pêcheurs, gens à qui j'avais fait gagner de l'argent au temps de mon opulence et après ma ruine, à qui j'en fais gagner souvent encore. Ils me saluent, m'invitent à dîner, me félicitent de mon retour. Quand ce pauvre meurt-de-faim voit qu'on me rend tant d'honneurs et que je gagne si aisément ma vie, il se met à me conjurer de lui permettre de s'instruire à mon école. Je lui ai dit de me suivre. Je veux qu'à l'exemple des écoles philosophiques qui prennent le nom de leurs fondateurs, les parasites, prennent, s'il est possible, celui de Gnathoniciens. 
PARMÉNON
Voyez un peu où conduisent l'oisiveté et le métier de pique-assiette.
GNATHON
Mais je tarde trop à mener cette fille chez Thaïs et à prier celle-ci de venir souper. Tiens ! c'est Parménon, l'esclave de notre rival, que j'aperçois devant chez elle. Il a l'air triste : tout va bien; il est clair qu'on leur bat froid ici. Je veux m'amuser aux dépens du faquin.
PARMÉNON
Ces gens-là se figurent qu'avec leur présent Thaïs est à eux.
GNATHON
Gnathon présente ses salutations empressées à son grand ami Parménon. Comment se porte-t-on?
PARMÉNON
Sur ses jambes.
GNATHON
Je vois. Mais n'aperçois-tu rien ici qui t'offusque?
PARMÉNON
Toi.
GNATHON
Je le crois. Mais n'y a-t-il rien autre?
PARMÉNON
Pourquoi cette question?
GNATHON
Parce que tu es triste.
PARMÉNON
Pas le moins du monde.
GNATHON
Ne te chagrine pas. Mais comment trouves-tu cette esclave?
PARMÉNON
Pas mal, vraiment.
GNATHON (à part)
Mon homme est sur des charbons ardents.
PARMÉNON (à part)
Comme il s'abuse !
GNATHON
Quel plaisir penses-tu que ce présent va faire à Thaïs?
PARMÉNON
Tu veux dire par là qu'on nous a donné congé. Tu sais, tout en ce monde a ses vicissitudes.
GNATHON
Je vais te donner, Parménon, six grands mois de repos. Tu n'auras plus à monter et à descendre la ville en courant, ni à veiller jusqu'au jour. Tu vas être bienheureux. 
PARMÉNON
Moi? Ah ! Ah !
GNATHON
Voilà comme j'ai coutume d'en user avec mes amis.
PARMÉNON
C'est fort bien.
GNATHON
Je te retiens. Tu avais peut-être affaire ailleurs?
PARMÉNON
Nulle part.
GNATHON
Eh bien ! en ce cas rends-moi un petit service : fais-moi recevoir chez elle.
PARMÉNON
Va seulement, va : aujourd'hui tu trouveras la porte ouverte, avec la fille que tu amènes.
GNATHON
As-tu quelqu'un de la maison à faire appeler dehors?
PARMÉNON (seul).
Laisse passer ces deux jours. Aujourd'hui tu as la chance d'ouvrir cette porte à mon nez du bout de ton petit doigt; mais, je te le promets, je ferai en sorte que tu y donneras bien des coups de pied inutilement.
GNATHON (sortant de chez Thaïs).
Encore ici sur tes jambes, Parménon? Hé ! t'aurait-on laissé ici en sentinelle, pour empêcher quelque messager du soldat de courir en cachette chez Thaïs?
PARMÉNON
Comme c'est spirituel ! Ah ! les belles choses que celles qui plaisent au soldat ! Mais j'aperçois le fils cadet de notre maître qui vient par ici. Je me demande pourquoi il a quitté le Pirée; car il y est à présent comme garde public (28). Ce n'est pas pour rien, et il marche bien vite. Qu'a-t-il à regarder autour de lui?

II, iii

CHAEREA, PARMENO

CHAEREA
 
Occidi!
Neque virgost usquam neque ego, qui illam e conspectu amisi meo.
Ubi quaeram, ubi investigem, quem perconter, quam insistam viam
incertus sum. Una haec spes est: ubi ubi est, diu celari non potest. 295
O faciem pulchram! Deleo omnis dehinc ex animo mulieres:
taedet cotidianarum harum formarum. 
PARMENO 
Ecce autem alterum!
Nescio quid de amore loquitur. O infortunatum senem!
Hic vero est, qui si occeperit,
ludum iocumque dices fuisse illum alterum, 300
praeut huius rabies quae dabit.
CHAEREA 
Ut illum di deaeque senium perdant qui me hodie remoratus est,
meque adeo qui restiterim, tum autem qui illum flocci fecerim.
Sed eccum Parmenonem. Salve. 
PARMENO 
Quid tu's tristi'? quidve's alacris?
unde is? 
CHAEREA 
Egone? Nescio hercle 305
neque unde eam neque quorsum eam: ita prorsus sum oblitus mei.
PARMENO 
Qui quaeso? 
CHAEREA 
Amo. 
PARMENO 
Hem ! 
CHAEREA 
Nunc, Parmeno, ostendes te qui vir sies.
Scis te mihi saepe pollicitum esse :  « Chaerea, aliquid inveni
modo quod ames; in ea re utilitatem ego faciam ut cognoscas meam »,
Quom in cellulam ad te patris penum omnem congerebam clanculum. 310
PARMENO 
Age, inepte. 
CHAEREA 
Hoc hercle factumst. Fac, sis, nunc promissa adpareant,
si adeo digna res[es]t ubi tu nervos intendas tuos.
Haud similis virgost virginum nostrarum, quas matres student
demissis umeris esse, vincto pectore, ut gracilae sient.
Si quaest habitior paullo pugilem esse aiunt, deducunt cibum: 315
tam etsi bonast natura, reddunt curatura iunceas:
itaque ergo amantur. 
PARMENO 
Quid tua istaec? 
CHAEREA 
Nova figura oris. 
PARMENO 
Papae !
CHAEREA 
Color verus, corpus solidum et suci plenum. 
PARMENO 
Anni? 
CHAEREA 
Anni? sedecim.
PARMENO 
Flos ipse. 
CHAEREA 
<Nunc> hanc tu mihi vel vi, vel clam, vel precario
fac tradas: mea nil refert dum potiar modo. 320
PARMENO 
Quid? virgo quoiast? 
CHAEREA 
Nescio hercle. 
PARMENO 
Undest? 
CHAEREA 
Tantundem.
PARMENO 
Ubi habitat?
CHAEREA 
Ne id quidem. 
PARMENO 
Ubi vidisti? 
CHAEREA 
In via. 
PARMENO 
Qua ratione eam amisti?
CHAEREA 
Id equidem adveniens mecum stomachabar modo;
nec quemquam ego esse hominem arbitror quoi mage bonae
felicitates omnes advorsae sient. 325
Quid hoc est sceleris ? Perii. 
PARMENO 
Quid factumst? 
CHAEREA 
Rogas?
Patris cognatum atque aequalem Archidemidem
novistin? 
PARMENO 
Quidni? 
CHAEREA 
Is, dum hanc sequor, fit mi obviam.
PARMENO 
Incommode hercle. 
CHAEREA 
Immo enimvero infeliciter;
nam incommoda alia sunt dicenda, Parmeno. 330
Illum liquet mihi deierare his mensibus
sex, septem prorsum non vidisse proxumis,
nisi nunc, quom minime vellem minimeque opus fuit.
Eho, nonne hoc monstri similest? Quid ais? 
PARMENO 
Maxume.
CHAEREA 
Continuo occurrit ad me, quam longe quidem, 335
incurvos tremulus labiis demissis gemens:
« Heus heus tibi dico, Chaerea » inquit. Restiti.
« Scin quid ego te volebam? - Dic. - Cras est mihi
iudicium. - Quid tum? - Ut diligenter nunties
patri, advocatus mane mi esse ut meminerit. » 340
Dum haec dicit abiit hora. rogo numquid velit.
« Recte »  inquit. Abeo. Quom huc respicio ad virginem,
illa sese interea commodum huc advorterat
in hanc nostram plateam. 
PARMENO 
Mirum ni hanc dicit, modo
huic quae datast dono. 
CHAEREA 
Huc quom advenio nulla erat. 345
PARMENO 
Comites secuti scilicet sunt virginem?
CHAEREA 
Verum: parasitus cum ancilla. 
PARMENO 
Ipsast: ilicet;
desine; iam conclamatumst. 
CHAEREA 
Alias res agis.
PARMENO 
Istuc ago equidem. 
CHAEREA 
Nostin quae sit, dic mihi, aut
vidistin? 
PARMENO 
Vidi, novi; scio quo abducta sit. 350
CHAEREA 
Eho, Parmeno mi, nostin? et scis ubi siet?
PARMENO 
Huc deductast ad meretricem Thaidem: ei dono datast.
CHAEREA 
Quis is est tam potens cum tanto munere hoc? 
PARMENO 
Miles Thraso,
Phaedriae rivalis. 
CHAEREA 
Duras fratris partis praedicas.
PARMENO 
Immo enim si scias quod donum huic dono contra comparet, 355
[tum] magis id dicas. 
CHAEREA 
Quodnam, quaeso, hercle? 
PARMENO 
Eunuchum. 
CHAEREA
Illumne obsecro,
inhonestum hominem, quem mercatus est heri, senem mulierem?
PARMENO 
Istunc ipsum. 
CHAEREA 
Homo quatietur certe cum dono foras.
Sed istam Thaidem non scivi nobis vicinam. 
PARMENO 
Haud diust.
CHAEREA 
Perii, numquamne etiam me illam vidisse! Eho dum dic mihi: 360
estne, ut fertur, forma? 
PARMENO 
Sane. 
CHAEREA 
At nil ad nostram hanc? 
PARMENO 
Alia rest.
CHAEREA 
Obsecro hercle, Parmeno, fac ut potiar. 
PARMENO 
Faciam sedulo ac
dabo operam, adiuvabo. Numquid me aliud? 
CHAEREA 
Quo nunc is? 
PARMENO 
Domum,
ut mancupia haec, ita ut<i> iussit frater, ducam ad Thaidem.
CHAEREA 
O fortunatum istum eunuchum quiquidem in hanc detur domum! 365
PARMENO 
Quid ita? 
CHAEREA 
Rogitas? summa forma semper conservam domi
videbit, conloquetur, aderit una in unis aedibus,
cibum non numquam capiet cum ea, interdum propter dormiet.
PARMENO 
Quid si nunc tute fortunatus fias? 
CHAEREA 
Qua re, Parmeno?
Responde. 
PARMENO 
Capias tu illius vestem. 
CHAEREA 
Vestem? Quid tum postea? 370
PARMENO 
Pro illo te ducam. 
CHAEREA 
Audio. 
PARMENO 
Te esse illum dicam. 
CHAEREA 
Intellego.
PARMENO 
Tu illis fruare commodis quibus tu illum dicebas modo:
cibum una capias, adsis, tangas, ludas, propter dormias,
quandoquidem illarum neque te quisquam novit neque scit qui sies.
Praeterea forma et aetas ipsast facile ut pro eunucho probes. 375
CHAEREA 
Dixti pulchre. Numquam vidi melius consilium dari.
Age, eamus intro nunciam: orna me, abduc, duc, quantum potest.
PARMENO 
Quid agis? Iocabar equidem. 
CHAEREA 
Garris. 
PARMENO 
Perii, quid ego egi miser!
quo trudis ? perculeris iam tu me. Tibi equidem dico, mane.
CHAEREA 
Eamus. 
PARMENO 
Pergin? 
CHAEREA 
Certumst. 
PARMENO 
Vide ne nimium calidum hoc sit modo. 380
CHAEREA 
Non est profecto: sine. 
PARMENO 
At enim istaec in me cudetur faba. 
CHAEREA 
Ah !
PARMENO
Flagitium facimus. 
CHAEREA 
An id flagitiumst, si in domum meretriciam
deducar et illis crucibuS, quae nos nostramque adulescentiam
habent despicatam et quae nos semper omnibus cruciant modis,
nunc referam gratiam atque eas itidem fallam, ut ab is fallimur? 385
an potius haec patri aequomst fieri ut a me ludatur dolis?
Quod qui rescierint, culpent; illud merito factum omnes putent.
PARMENO 
Quid istic? Si certumst facere, facias; verum ne post conferas
culpam in me. 
CHAEREA 
Non faciam. 
PARMENO 
Iubesne? 
CHAEREA 
Iubeam? cogo atque impero:
numquam defugiam auctoritatem. Sequere. 
PARMENO 
Di vortant bene! 390

SCÈNE III

CHÉRÉA, PARMÉNON

CHÉRÉA
Je suis mort ! Il n'y a plus de jeune fille, il n'y a plus de Chéréa, puisque je l'ai perdue de vue. Où la chercher? où retrouver sa trace? qui interroger? quel chemin prendre? Je ne sais que faire. Un seul espoir me reste : en quelque lieu qu'elle soit, elle ne peut rester longtemps cachée, Quelle ravissante figure ! A partir de ce moment j'efface toutes les autres femmes de mon souvenir. Je suis dégoûté de ces beautés banales (29).
PARMÉNONA 
L'autre maintenant ! Le voilà qui tient je ne sais quels propos d'amour. Pauvre vieux père ! Si celui-là s'en mêle, tu pourras dire que les sottises du premier n'auront été que jeu et bagatelle à côté de ce que fera cet enragé.
CHÉRÉA
Que tous les dieux et déesses confondent le vieux qui m'a retenu aujourd'hui, et moi aussi qui me suis arrêté et qui ne l'ai pas envoyé paître ! Mais voici Parménon. Bonjour.
PARMÉNON
Pourquoi es-tu si triste? pourquoi si agité? D'où viens-tu?
CHÉRÉA
Moi? Par Hercule, je ne sais ni d'où je viens, ni où je vais, tant je suis hors de moi !
PARMÉNON
La raison, s'il te plaît?
CHÉRÉA
Je suis amoureux.
PARMÉNON
Ah!
CHÉRÉA
C'est maintenant, Parménon, que tu vas montrer quel homme tu es. Tu te rappelles ce que tu m'as promis souvent : « Chéréa, trouve seulement un objet que tu aimes, je te ferai voir alors à quoi je suis bon. » Voilà ce que tu disais, quand j'allais en cachette piller le buffet paternel et entasser dans ta cellule des provisions de toute sorte.
PARMÉNON
Allons ! grand enfant.
CHÉRÉA
Par Hercule, c'est arrivé. Fais voir maintenant, s'il te plaît, l'effet de tes promesses. L'affaire vaut la peine que tu y déploies tous tes moyens. Ce n'est pas une jeune fille comme celles d'ici, dont les mères s'appliquent à rabaisser les épaules et à sangler la poitrine pour leur faire la taille mince. L'une d'elles est-elle un peu étoffée, on dit que c'est un athlète, et on lui coupe les vivres. Elles ont beau avoir une excellente constitution : le régime les rend minces comme des joncs. Aussi les aime-t-on en conséquence.
PARMÉNON
Et la tienne, comment est-elle?
CHÉRÉA
Une beauté sans pareille.
PARMÉNON
Peste !
CHÉRÉA
Un teint naturel, un corps solide et plein de suc.
PARMÉNON
Son âge?
CHÉRÉA
Son âge? Seize ans.
PARMÉNON
La fleur même de la jeunesse.
CHÉRÉA
Il faut que tu me la fasses avoir, par force, par ruse, par prière, peu m'importe, pourvu que je la possède.
PARMÉNON
Mais à qui est-elle, cette fille?
CHÉRÉA
Par Hercule, je l'ignore.
PARMÉNON
D'où est-elle?
CHÉRÉA
Je l'ignore tout autant.
PARMÉNON
Où habite-t-elle?
CHÉRÉA
Je ne le sais pas non plus.
PARMÉNON
Où l'as-tu vue?
CHÉRÉA
Dans la rue.
PARMÉNON
Comment as-tu fait pour la perdre?
CHÉRÉA
C'est justement de quoi je pestais en arrivant tout à l'heure. Je ne crois pas qu'il y ait un homme au monde à qui toutes les bonnes fortunes tournent plus mal qu'à moi. Quelle malchance ! C'est désolant !
PARMÉNON
Qu'est-il arrivé?
CHÉRÉA
Tu veux le savoir? Tu connais le cousin et contemporain de mon père, Archidémide?
PARMÉNON
Bien sûr.
CHÉRÉA
Tandis que je suivais la jeune fille, il se trouve sur mon chemin.
PARMÉNON
Rencontre fâcheuse assurément.
CHÉRÉA
Dis plutôt désastreuse. Fâcheux s'applique à d'autres choses. Je puis bien jurer que, depuis six ou sept mois, je ne l'avais jamais rencontré, et je tombe sur lui au moment où j'en avais le moins envie et le moins besoin. Ah! n'y a-t-il pas là quelque chose qui tient du prodige? Qu'en dis-tu?
PARMÉNON
En effet.
CHÉRÉA
Du plus loin qu'il me voit, il court aussitôt vers moi, courbé, tremblant, les lèvres pendantes et geignant: « Holà ! hé ! Chéréa, c'est à toi que j'en ai », s'écrie-t-il. Je m'arrête. « Sais-tu ce que je te voulais ? — Dis. — C'est demain qu'on juge mon procès. — Et alors? — Aie soin de dire à ton père qu'il n'oublie pas de venir m'assister demain matin. » Pendant qu'il me dit cela, une heure s'est écoulée. Je lui demande s'il a autre chose à me dire. « Rien », dit-il. Je le quitte. Je regarde par ici pour voir la jeune fille. Elle venait justement de tourner de ce côté, vers notre rue.
PARMÉNON (à part).
Je serais bien étonné si la fille dont il parle n'était pas celle qu'on vient de donner à Thaïs.
CHÉRÉA
J'arrive ici : plus de jeune fille.
PARMÉNON
Il y avait sans doute des gens qui l'accompagnaient?
CHÉRÉA
Oui, un parasite avec une servante.
PARMÉNON
C'est bien elle. La question est réglée; n'y pense plus : c'est une affaire enterrée.
CHÉRÉA
Tu n'es pas à ce que je dis.
PARMÉNON
J'y suis parfaitement.
CHÉRÉA
Sais-tu qui elle est? réponds. Ou bien l'as-tu vue?
PARMÉNON
Je l'ai vue, je la connais, je sais où on l'a emmenée.
CHÉRÉA
Ah ! cher Parménon, tu la connais, et tu sais où elle est?
PARMÉNON
Elle est ici chez la courtisane Thaïs où on vient de la mener : c'est un cadeau qu'on lui fait.
CHÉRÉA
Quel est l'homme assez puissant pour faire un tel cadeau?
PARMÉNON
Le soldat Thrason, le rival de Phédria.
CHÉRÉA
A ce compte, mon frère a un rôle difficile.
PARMÉNON
Et si tu savais quel présent il oppose à celui-là, que dirais-tu alors?
CHÉRÉA
Quel présent? je t'en prie par Hercule.
PARMÉNON
Un eunuque.
CHÉRÉA
Est-ce, dis-moi, cet être hideux qu'il a acheté hier, ce vieil homme-femme?
PARMÉNON
C'est lui-même.
CHÉRÉA
Le pauvre garçon sera pour sûr jeté à la porte avec son cadeau. Mais je ne savais pas que cette Thaïs fût notre voisine.
PARMÉNON
Il n'y a pas longtemps.
CHÉRÉA
Je joue de malheur. Faut-il que je ne l'aie jamais vue ! Or çà, dis-moi, est-elle aussi belle qu'on le dit?
PARMÉNON
Certainement.
CHÉRÉA
Mais ce n'est rien auprès de la nôtre?
PARMÉNON
C'est autre chose.
CHÉRÉA
Je t'en supplie par Hercule, Parménon, arrange-toi pour que je la possède.
PARMÉNON
J'y ferai de mon mieux, je m'y emploierai, je te seconderai. Y a-t-il autre chose pour ton service?
CHÉRÉA
Où vas-tu de ce pas?
PARMÉNON
A la maison, pour exécuter les ordres de ton frère et mener ces esclaves à Thaïs.
CHÉRÉA
Il a de la chance, ton eunuque, d'être placé dans cette maison. PARMÉNON
Pourquoi?
CHÉRÉA
Tu le demandes? Il sera là le compagnon d'esclavage de cette beauté suprême, il la verra sans cesse, lui parlera, vivra avec elle sous le même toit; il mangera parfois avec elle, à l'occasion il couchera près d'elle.
PARMÉNON
Et si c'était toi qui devenais aujourd'hui cet heureux mortel?
CHÉRÉA
Par quel moyen, Parménon? Réponds.
PARMÉNON
Tu pourrais prendre ses habits.
CHÉRÉA
Ses habits? Et après?
PARMÉNON
Je te mènerais à sa place.
CHÉRÉA
J'entends.
PARMÉNON
Je te ferais passer pour lui.
CHÉRÉA
Je comprends.
PARMÉNON
C'est toi qui jouirais de ces privautés que tu lui prêtais tout à l'heure : tu mangerais à sa table, tu serais près d'elle, tu la coudoierais, tu folâtrerais avec elle, tu dormirais près d'elle, d'autant mieux qu'aucune de ces femmes ne te connaît et ne sait qui tu es. D'ailleurs tu es de figure et d'âge à te faire passer facilement pour un eunuque.
CHÉRÉA
C'est parler d'or. De ma vie je n'ai vu donner un meilleur conseil. Allons, entrons chez nous tout de suite; équipe-moi, emmène-moi, conduis-moi le plus tôt possible.
PARMÉNON
Y penses-tu? Je plaisantais, moi.
CHÉRÉA
A d'autres !
PARMÉNON
Je suis perdu. Qu'est-ce que j'ai fait, misérable? Où me pousses-tu? Tu vas me faire tomber. Je te le dis sérieusement : laisse-moi.
CHÉRÉA
Marchons.
PARMÉNON
Tu t'entêtes?
CHÉRÉA
C'est résolu.
PARMÉNON
Prends garde qu'il n'y fasse trop chaud.
CHÉRÉA
Il n'y a rien à craindre; laisse-moi faire.
PARMÉNON
Mais c'est sur mon dos qu'on battra les fèves (30).
CHÉRÉA
Bah !
PARMÉNON
Nous allons faire une infamie.
CHÉRÉA
Une infamie ! de m'introduire dans une maison de courtisane, de rendre la pareille à des coquines qui se moquent de nous et de notre jeunesse et qui ne cessent de nous faire enrager de toutes les façons, et de les tromper de la même manière qu'elles nous trompent? Vaudrait-il mieux que je m'attaque à mon père, pour le jouer par mes ruses? On le saurait qu'on me blâmerait. Mais pour ce tour-ci, tout le monde pensera que c'est bien fait.
PARMÉNON
Je ne dis plus rien. Si tu es décidé à le faire, fais-le; mais ne va pas rejeter la faute sur moi.
CHÉRÉA
Ne crains rien.
PARMÉNON
Tu le veux?
CHÉRÉA
Si je le veux ? Je l'exige, je l'ordonne, et jamais je ne me déroberai à ma responsabilité. Suis-moi.
PARMÉNON
Fassent les dieux que cela tourne à bien !

ACTUS III, i

THRASO, GNATHO, PARMENO

THRASO 
Magnas vero agere gratias Thais mihi?
GNATHO 
Ingentis. 
THRASO 
Ain tu, laetast? 
GNATHO 
Non tam ipso quidem
dono quam abs te datum esse: id vero serio
triumphat. 
PARMENO 
Hoc proviso, ut, ubi tempus siet,
deducam. Sed eccum militem. 
THRASO 
Est istuc datum 395
profecto, ut grata mihi sint quae facio omnia.
GNATHO 
Advorti hercle animum. 
THRASO 
Vel rex semper maxumas
mihi agebat quidquid feceram; aliis non item.
GNATHO 
Labore alieno magno partam gloriam
verbis saepe in se transmovet qui habet salem, 400
quod in test. 
THRASO 
Habes. 
GNATHO 
Rex te ergo in oculis...
THRASO 
Scilicet.
GNATHO 
Gestare. 
THRASO 
Vero: credere omnem exercitum,
consilia. 
GNATHO 
Mirum. 
THRASO 
Tum sicubi eum satietas
hominum aut negoti siquando odium ceperat,
requiescere ubi volebat, quasi... nostin? 
GNATHO 
Scio: 405
quasi ubi illam exspueret miseriam ex animo. 
THRASO 
Tenes.
Tum me convivam solum abducebat sibi. 
GNATHO 
Hui,
regem elegantem narras. 
THRASO 
Immo sic homost:
perpaucorum hominum. 
GNATHO 
Immo nullorum, arbitror,
si tecum vivit. 
THRASO 
Invidere omnes mihi, 410
mordere clanculum; ego non flocci pendere;
illi invidere misere; verum unus tamen
inpense, elephantis quem Indicis praefecerat,
is ubi molestus magis est,
« Quaeso » inquam  « Strato,
eon es ferox quia habes imperium in beluas?
» 415
GNATHO 
Pulchre mehercle dictum et sapienter. Papae,
iugularas hominem. Quid ille? 
THRASO 
Mutus ilico.
GNATHO 
Quidni esset? 
PARMENO 
Di vostram fidem, hominem perditum
miserumque et illum sacrilegum! 
THRASO 
Quid ? illud, Gnatho,
quo pacto Rhodium tetigerim in convivio, 420
numquam tibi dixi? 
GNATHO 
Numquam; sed narra obsecro.
Plus miliens audivi. 
THRASO 
Una in convivio
erat hic, quem dico, Rhodius adulescentulus.
Forte habui scortum; coepit ad id adludere
et me inridere. « Quid ais » inquam homini  « inpudens? 425
lepus tute's, pulpamentum quaeris? » 
GNATHO 
Ha ha hae !
THRASO 
Quid est? 
GNATHO 
Facete, lepide, laute, nil supra.
Tuomne, obsecro te, hoc dictum erat? Vetus credidi.
THRASO 
Audieras? 
GNATHO 
Saepe, et fertur in primis. 
THRASO 
Meumst.
GNATHO 
Dolet dictum inprudenti adulescenti et libero. 430
PARMENO 
At te di perdant! 
GNATHO 
Quid ille quaeso? 
THRASO 
Perditus.
Risu omnes qui aderant emoriri. Denique
metuebant omnes iam me. 
GNATHO 
Haud iniuria.
THRASO 
Sed heus tu, purgon ego me de istac Thaidi,
quod eam me amare suspicatast? 
GNATHO 
Nil minus. 435
Immo auge mage suspicionem. 
THRASO 
Quor? 
GNATHO 
Rogas?
Scin, si quando illa mentionem Phaedriae
facit aut si laudat, te ut male urat...? 
THRASO 
Sentio.
GNATHO 
Id ut ne fiat haec res solast remedio:
ubi nominabit Phaedriam, tu Pamphilam 440
continuo; siquando illa dicet « Phaedriam
intro mittamus comissatum, » « Pamphilam
cantatum provocemus. » Si laudabit haec
illiusformam, tu huius contra. Denique
par pro pari referto quod eam mordeat. 445
THRASO 
Siquidem me amaret, tum istuc prodesset, Gnatho.
GNATHO 
Quando illud quod tu das exspectat atque amat,
Jamdudum te amat, iamdudum illi facile fit
quod doleat; metuit semper, quem ipsa nunc capit
fructum, ne quando iratus tu alio conferas. 450
THRASO 
Bene dixti, ac mihi istuc non in mentem venerat.
GNATHO 
Ridiculum; non enim cogitaras. Ceterum
idem hoc tute meliu' quanto invenisses, Thraso! 

ACTE III SCÈNE I 

GNATHON, THRASON, PARMÉNON

THRASON
Vraiment, Thaïs me fait de grands remerciements?
GNATHON
Des remerciements sans bornes.
THRASON
Réellement? elle est contente?
GNATHON
Moins du présent lui-même que de ce qu'il vient de toi : c'est cela qui est pour elle un vrai triomphe.
PARMÉNON (à part)
Je viens voir par ici quand il sera temps d'amener mes gens. Mais voici le soldat.
THRASON
C'est bien certainement un privilège que je tiens du ciel : tout ce que je fais me gagne les coeurs.
GNATHON
C'est ce que j'ai remarqué, par Hercule.
THRASON
Le roi lui-même m'adressait toujours les plus grands remerciements, quoi que j'eusse fait; pour les autres, il n'en usait pas de même.
GNATHON
Si grand que soit l'honneur qu'un autre s'est acquis à force de peine, l'homme d'esprit se l'approprie souvent par de simples discours. C'est ton cas.
THRASON
Tu l'as dit.
GNATHON
Ainsi le roi n'avait d'yeux...
THRASON
Certainement.
GNATHON
Que pour toi?
THRASON
C'est la vérité : il me confiait toute son armée, ses projets.
GNATHON
C'est merveilleux.
THRASON
Et puis, si parfois il en avait assez de la société des hommes, ou si les affaires l'ennuyaient, quand il voulait respirer, comme si... Tu saisis?
GNATHON
Oui, comme s'il voulait recracher ces ennuis de son esprit.
THRASON
C'est cela. Alors il m'emmenait seul à sa table.
GNATHON
Oh ! oh! ce roi-là était un homme de goût.
THRASON
Oui, c'est ainsi qu'il est : il s'accommode de fort peu de gens.
GNATHON
On peut même dire de personne, s'il fait de toi sa société. 
THRASON
Ils me jalousaient tous et me déchiraient en dessous; moi je n'en avais cure. Eux étaient misérablement jaloux, l'un d'eux même jusqu'à l'excès ; c'était le chef des éléphants indiens. Un jour qu'il m'agaçait particulièrement : « Dis-moi, Straton, lui demandai-je, est-ce parce que tu commandes à des bêtes que tu es si faraud? »
GNATHON
Bien et sagement répondu, ma foi. Du coup, grands dieux ! tu l'avais assommé. Et lui?
THRASON
Muet sur le coup.
GNATHON
Il n'en pouvait être autrement.
PARMÉNON (à part)
Grands dieux ! quel misérable idiot, et quel coquin !
THRASON
Et le coup dont je touchai le Rhodien en pleine table, te l'ai-je jamais conté?
GNATHON
Jamais, mais conte-le, je t'en prie. (A part.) Je l'ai entendu plus de mille fois.
THRASON
Je me trouvais à table avec ce Rhodien que je te dis, un tout jeune homme. J'avais par hasard avec moi une courtisane. Il se met à la lutiner et à se moquer de moi. « Dis donc, effronté, m'écriai-je, tu es toi-même un lièvre, et il te faut un râble? (31) »
GNATHON
Ah! ah! ah!
THRASON
Qu'en dis-tu?
GNATHON
Spirituel, plaisant, magnifique, rien au-dessus. Mais dis-moi, est-ce que le mot était bien de toi? Je le croyais ancien.
THRASON
Tu l'avais entendu?
GNATHON
Souvent, et il est souvent cité parmi les meilleurs.
THRASON
Il est de moi.
GNATHON
C'est malheureux qu'il soit tombé sur un jeune étourdi et un fils de famille.
PARMÉNON (à part)
Que les dieux te confondent !
GNATHON
Et lui? je te prie.
THRASON
Assommé. Tous les assistants mouraient de rire. Enfin depuis ce temps-là, tout le monde me redoutait.
GNATHON
Ce n'était pas sans motif.
THRASON
Mais, à propos, dis-moi, me justifierai-je auprès de Thaïs qui me soupçonne d'aimer cette esclave?
GNATHON
Garde-t'en bien. Augmente au contraire ses soupçons.
THRASON 
Pourquoi?
GNATHON
Tu le demandes? Tu sais, si un jour elle parle de Phédria, si elle fait son éloge, pour te piquer au vif...
THRASON
J'entends.
GNATHON
Pour éviter cela, tu n'as que ce moyen. Dès qu'elle dira : Phédria, riposte aussitôt : Pamphita. S'il lui arrive de dire : « Envoyons chercher Phédria pour souper », dis, toi ; « Appelons Pamphila pour nous jouer quelque chose. » Si elle vante la beauté de Phédria, toi de ton côté vante celle de la jeune fille. Rends-lui la pareille par une riposte qui la pique.
THRASON
Cela pourrait être utile; mais il faudrait qu'elle m'aimât, Gnathon.
GNATHON
Puisqu'elle souhaite et qu'elle aime tes cadeaux, c'est qu'elle t'aime depuis longtemps; ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il t'est facile de lui causer des tourments. Elle craint toujours que le tribut qu'elle reçoit à présent, tu n'ailles dans un moment de dépit le porter à une autre.
THRASON
Tu as raison; cela ne m'était pas venu à l'esprit.
GNATHON
Tu veux rire. C'est que tu n'y avais pas pensé; mais tu l'aurais trouvé toi-même, Thrason, beaucoup mieux que moi.

III, ii

THAIS, THRASO, GNATHO, PARMENO, PYTHIAS

THAIS
 
Audire vocem visa sum modo militis.
Atque eccum. Salve, mi Thraso. 
THRASO 
O Thais mea, 455
meum savium, quid agitur? Ecquid nos amas
de fidicina istac? 
PARMENO 
Quam venuste! Quod dedit
principium adveniens! 
THAIS 
Plurimum merito tuo.
GNATHO 
Eamus ergo ad cenam. Quid stas? 
PARMENO 
Em alterum !
ex homine hunc natum dicas? 
THAIS 
Ubi vis, non moror. 460
PARMENO 
Adibo atque adsimulabo quasi nunc exeam.
Ituran, Thais, quopiam es? 
THAIS 
Ehem, Parmeno !
Bene fecisti; hodie itura...
PARMENO 
Quo? 
THAIS 
Quid, hunc non vides?
PARMENO 
Video et me taedet. Ubi vis, dona adsunt tibi
a Phaedria. 
THRASO 
Quid stamus? quor non imus hinc? 465
PARMENO 
Quaeso hercle ut liceat, pace quod fiat tua,
dare huic quae volumus, convenire et conloqui.
THRASO 
Perpulchra, credo, dona aut nostri similia.
PARMENO 
Res indicabit. Heus, iubete istos foras
exire, quos iussi, ocius. procede tu huc. 470
Ex Aethiopiast usque haec. 
THRASO 
Hic sunt tres minae.
GNATHO 
Vix. 
PARMENO 
Ubi tu es, Dore? accede huc. Em eunuchum tibi,
quam liberali facie, quam aetate integra!
THAIS 
Ita me di ament, honestust. 
PARMENO 
Quid tu ais, Gnatho?
Num quid habes quod contemnas? Quid tu autem, Thraso? 475
Tacent: satis laudant. Fac periclum in litteris,
fac in palaestra, in musicis: quae liberum
scire aequomst adulescentem, sollertem dabo.
THRASO 
Ego illum eunuchum, si opus siet, vel sobrius...
PARMENO 
Atque haec qui misit non sibi soli postulat 480
te vivere et sua causa excludi ceteros,
neque pugnas narrat, neque cicatrices suas
ostentat, neque tibi obstat, quod quidam facit;
verum ubi molestum non erit, ubi tu voles,
ubi tempus tibi erit, sat habet si tum recipitur. 485
THRASO 
Adparet servom hunc esse domini pauperis
miserique. 
GNATHO 
Nam hercle nemo posset, sat scio,
qui haberet qui pararet alium, hunc perpeti.
PARMENO 
Tace tu, quem te ego esse infra infimos omnis puto
homines; nam qui huic animum adsentari induxeris, 490
e flamma petere te cibum posse arbitror.
THRASO 
Iamne imus? 
THAIS 
Hos prius intro ducam, et quae volo
simul imperabo; post huc continuo exeo.
THRASO 
Ego hinc abeo: tu istanc opperire. 
PARMENO 
Haud convenit
una ire cum amica imperatorem in via. 495
THRASO 
Quid tibi ego multa dicam? domini similis es.
GNATHO 
Ha ha hae !
THRASO 
Quid rides? 
GNATHO 
Istuc quod dixti modo;
et illud de Rhodio dictum quom in mentem venit.
Sed Thais exit. 
THRASO 
Abi prae, curre, ut sint domi
parata. 
GNATHO 
Fiat.
THAIS 
Diligenter, Pythias, 500
fac cures, si Chremes hoc forte advenerit,
ut ores primum ut maneat; si id non commodumst,
ut redeat; si id non poterit, ad me adducito.
PYTHIAS
Ita faciam. 
THAIS 
Quid? Quid aliud volui dicere?
Ehem, curate istam diligenter virginem: 505
domi adsitis facite. 
THRASO 
Eamus. 
THAIS 
Vos me sequimini. 

SCÈNE II

THAÏS, THRASON, GNATHON PARMENON, PYTHIAS

THAÏS
Il m'a semblé entendre tout à l'heure la voix du militaire. Effectivement le voici. Bonjour, mon cher Thrason.
THRASON
O ma Thaïs, mon amour. Où en sommes-nous? Nous aime-t-on un peu pour cette joueuse de cithare?
PARMÉNON (à part).
Qu'il est galant ! Quel début pour son arrivée !
THAÏS
C'est surtout pour toi-même que je t'aime.
GNATHON
Alors, allons souper. Viens-tu?
PARMÉNON (à part)
Allons! voici l'autre. Dirait-on que cet être-là est né d'une créature humaine?
THAÏS
Quand tu voudras. Je suis prête.
PARMÉNON (à part)
Je vais les aborder et faire semblant de sortir à l'instant même. (Haut) Tu sors, Thaïs?
THAÏS
Tiens, Parménon ! Tu arrives à point; je devais aller aujourd'hui...
PARMÉNON
Où?
THAÏS (bas).
Eh bien ! tu ne vois pas cet homme-là?
PARMÉNON
Je le vois, et je le vois sans plaisir. Quand il te plaira de les recevoir, les présents de Phédria sont là à ta disposition.
THRASON
Pourquoi restons-nous là? Pourquoi ne part-on pas?
PARMÉNON
Je t'en prie, par Hercule, permets-nous, sans te fâcher, de présenter à Thaïs les cadeaux que nous voulons lui faire, de l'aborder et d'avoir avec elle un moment d'entretien.
THRASON
Des présents magnifiques, sans doute, bien différents des nôtres !
PARMÉNON
On verra bien. Hé là-bas, faites sortir un peu vite les esclaves que je vous ai dit. Avance ici, toi. Elle vient du fond de l'Ethiopie, celle-ci.
THRASON  
Il y en a là pour trois mines.
GNATHON
Tout au plus.
PARMÉNON
Et toi, Dorus, où es-tu? Approche ici. Tiens ! voici ton eunuque. Vois comme il est beau, et en pleine jeu­nesse.
THAIS
Que les dieux m'aiment ! Il est fort bien.
PARMÉNON
Qu'en dis-tu, Gnathon? Y trouves-tu quelque chose à redire? Et toi, Thrason? Ils ne disent mot : l'éloge est suffisant. Examine-le sur les belles-lettres, sur la gymnastique, sur la musique. Tout ce qu'un jeune homme de condition libre doit savoir, je garantis qu'il le sait à merveille.
THRASON
Cet eunuque-là, au besoin, même sans avoir bu, je le...
PARMÉNON
Et celui qui envoie ces présents n'exige pas que tu vives exclusivement pour lui, et que pour lui tu fermes ta porte aux autres. Il ne raconte pas ses batailles, il n'étale pas ses balafres, il ne t'obsède pas comme certain personnage. Mais quand cela ne te dérangera pas. quand il te plaira, quand tu en auras le temps, il sera satisfait, si tu veux bien alors le recevoir.
THRASON
On voit bien que c'est l'esclave d'un maître gueux et misérable.
GNATHON
Oui, par Hercule; car quiconque aurait les moyens de s'en procurer un autre, ne pourrait, à coup sûr, supporter longtemps celui-la.
PARMÉNON
Tu oses parler, toi que je mets au-dessous de la plus vile racaille? Quand on a pu se résoudre à être le flatteur d'un tel homme, on est sûrement homme à aller prendre sa pitance sur un bûcher (32).
THRASON
Partons-nous enfin?
THAÏS
Je vais auparavant faire entrer ces esclaves et en même temps donner quelques ordres; après quoi je sors aussitôt.
THRASON (à Gnathon).
Moi, je m'en vais; toi, attends-la ici.
PARMÉNON
Les convenances ne permettent pas à un général d'armée de se montrer dans la rue avec sa maîtresse.
THRASON
Je n'ai qu'une chose à te dire : tu ressembles à ton maître.
GNATHON
Ah! ah! ah!
THRASON
De quoi ris-tu?
GNATHON
De ce que tu viens de dire, et puis ton mot sur le Rhodien qui me revient à l'esprit. Mais voici Thaïs qui sort.
THRASON
Prends les devants; aie soin que tout soit prêt au logis.
GNATHON
Soit.
THAÏS
Fais exactement ce que je te dis, Pythias : si par hasard Chrèmès vient ici, prie le d'abord de m'attendre ; si cela le gêne, dis-lui de repasser; et s'il ne le peut, amène-le-moi.
PYTHIAS
Je n'y manquerai pas.
THAÏS
A propos, qu'est-ce que je voulais dire encore? Ah ! prenez grand soin de cette jeune fille. Ne quittez pas la maison.
THRASON
Partons.
THAÏS
Suivez-moi, vous autres.

III, iii

CHREMES, PYTHIAS

CHREMES
 
Profecto quanto mage magisque cogito,
nimirum dabit haec Thais mihi magnum malum:
ita me ab ea astute video labefactarier,
iam tum quom primum iussit me ad se accersier. 510
Roget quis
« Quid rei tibi cum illa? » Ne noram quidem.
Ubi veni, causam ut ibi manerem repperit:
ait rem divinam fecisse, et rem seriam
velle agere mecum. Iam tum erat suspicio
dolo malo haec fieri omnia. Ipsa accumbere 515
mecum, mihi sese dare, sermonem quaerere.
Ubi friget, huc evasit, quam pridem pater
mihi et mater mortui essent. Dico, iamdiu.
Rus Sunii ecquod habeam et quam longe a mari.
Credo ei placere hoc: sperat se a me avellere. 520
Postremo, ecqua inde parva periisset soror;
ecquis cum ea una; quid habuisset quom perit;
ecquis eam posset noscere. Haec quor quaeritet?
Nsi si illa forte quae olim periit parvola
soror, hanc se intendit esse, ut est audacia. 525
Verum ea si vivit annos natast sedecim,
non maior: Thais quam ego sum maiusculast.
Misit porro orare ut venirem serio.
Aut dicat quid volt aut molesta ne siet:
non hercle veniam tertio. Heus heus, ecquis hic? 530
Ego sum Chremes. 
PYTHIAS 
O capitulum lepidissimum!
CHREMES 
Dico ego mi insidias fieri? 
PYTHIAS 
Thais maxumo
te orabat opere, ut cras redires. 
CHREMES 
Rus eo.
PYTHIAS 
Fac, amabo. 
CHREMES 
Non possum, inquam. 
PYTHIAS at tu apud nos hic mane
dum redeat ipsa. 
CHREMES 
Nil minus. 
PYTHIAS 
Quor, mi Chremes? 535
CHREMES 
Malam rem hinc ibis? 
PYTHIAS 
Si istuc ita certumst tibi,
amabo ut illuc transeas ubi illast. 
CHREMES 
Eo.
PYTHIAS 
Abi, Dorias, cito hunc deduce ad militem. 

SCÈNE III

CHRÉMÈS, PYTHIAS

CHRÉMÈS
Oui, plus j'y pense, plus je suis convaincu que cette Thaïs me jouera quelque méchant tour, tant je la vois mettre d'adresse à ébranler ma vertu, dès le premier jour où elle me fit dire de passer chez elle ! « Qu'avais-tu à faire avec elle? » me dira-t-on. Je ne la connaissais même pas. À peine étais-je entré qu'elle trouva un prétexte pour me faire rester. Elle venait, disait-elle, d'offrir un sacrifice, et elle avait à me parler d'une affaire sérieuse. Je soupçonnais déjà que tous ces préliminaires cachaient une méchante ruse. Elle se met à table avec moi, se prodigue en amabilités et cherche à lier la conversation. Lorsqu'elle la voit languir, elle en arrive à me demander depuis quand mon père et ma mère sont morts. — Depuis longtemps, dis-je. — Si je n'ai pas une campagne à Sunium, et à quelle distance de la mer. Je suppose que cette propriété lui plaît et qu'elle se flatte de me l'arracher. Enfin si l'on ne m'y a pas enlevé une soeur en bas âge, s'il y avait quelqu'un avec elle et ce qu'elle avait sur elle le jour où elle disparut, si personne ne pourrait la reconnaître. Pourquoi toutes ces questions? Prétendrait-elle qu'elle est l'enfant enlevée autrefois dans son bas âge? Elle est assez hardie pour cela. Mais si cette enfant vit encore, elle a seize ans, pas davantage, et Thaïs est un peu plus âgée que moi. Elle vient encore une fois de me prier instamment de venir. Ou bien qu'elle explique ce qu'elle veut, ou qu'elle cesse de m'importuner. Par Hercule, je ne reviendrai pas une troisième fois. Holà ! Holà ! Y a-t-il quelqu'un? C'est moi, Chrémès.
PYTHIAS
Oh ! la mignonne tête !
CHRÉMÈS (à part).
Je vous dis, moi, qu'on veut m'enjôler.
PYTHIAS
Thaïs te prie instamment de revenir demain.
CHRÉMÈS
Je pars pour la campagne.
PYTHIAS
Reviens, je t'en prie.
CHRÉMÈS
Impossible, te dis-je.
PYTHIAS
Alors reste ici chez nous, jusqu'à ce que ma maîtresse revienne.
CHRÉMÈS
Pour cela, non.
PYTHIAS
Pourquoi, cher Chrémès?
CHRÉMÈS
Va te promener.
PYTHIAS
Si c'est là ton dernier mot, de grâce, passe à l'endroit où elle est.
CHRÉMÈS
J'y vais.
PYTHIAS
Va, Dorias; conduis-le vite chez le soldat.

III, iv

ANTIPHO

ANTIPHO

Heri aliquot adulescentuli coiimus in Piraeo
in hunc diem, ut de symbolis essemus. Chaeream ei rei 540
praefecimus; dati anuli; locus, tempus constitutumst.
Praeteriit tempus: quo in loco dictumst parati nil est :
homo ipse nusquamst, neque scio quid dicam aut quid coniectem.
Nunc mi hoc negoti ceteri dedere, ut illum quaeram
Idque adeo visam, si domist. Quisnam hinc ab Thaide exit? 545
Is est an non est? Ipsus est. Quid hoc hominist? Qui hic ornatust?
Quid illud malist? Nequeo satis mirari neque conicere;
nisi, quidquid est, procul hinc lubet prius quid sit sciscitari. 

SCÈNE IV

ANTIPHON

ANTIPHON
Hier au Pirée, nous nous sommes entendus, à quelques jeunes gens, pour faire un pique-nique aujourd'hui. C'est Chéréa que nous avons chargé de l'organiser, nous lui avons remis nos anneaux; le lieu, l'heure étaient convenus. Or l'heure est passée et il n'y a rien de prêt au lieu du rendez-vous. Lui-même est introuvable. Je ne sais que dire ni que penser. À présent les autres m'ont chargé de le chercher, et je vais justement voir s'il est chez lui. Mais qui sort là de chez Thaïs? Est-ce lui? N'est-ce pas lui? C'est lui-même. Mais quelle sorte d'homme est-ce là? Quel est cet accoutrement? Que diable lui est-il arrivé? Je ne reviens pas de ma surprise et je ne sais que conjecturer. En tout cas je veux m'éloigner un peu pour apprendre de quoi il retourne.

III.v

CHAEREA, ANTIPHO

CHAEREA

Numquis hic est? Nemost. Numquis hinc me sequitur? Nemo homost.
Iamne erumpere hoc licet mi gaudium? Pro Iuppiter, 550
nunc est profecto interfici quom perpeti me possum,
ne hoc gaudium contaminet vita aegritudine aliqua.
Ssed neminemne curiosum intervenire nunc mihi,
qui me sequatur quoquo eam, rogitando obtundat, enicet,
quid gestiam, aut quid laetus sim, quo pergam, unde emergam, ubi siem 555
vestitum hunc nanctus, quid mi quaeram, sanus sim anne insaniam!
ANTIPHO 
Adibo atque ab eo gratiam hanc, quam video velle, inibo.
Chaerea, quid est quod sic gestis? Quid sibi hic vestitus quaerit?
quid est quod laetus es? quid tibi vis? Satine sanu's? Quid me adspectas?
Quid taces? 
CHAEREA
O festus dies hominis! amice, salve: 560
nemost hominum quem ego nunc magis cuperem videre quam te.
ANTIPHO 
Narra istuc quaeso quid sit. 
CHAEREA
Immo ego te obsecro hercle ut audias.
Nostin hanc quam amat frater? 
ANTIPHO 
novi: nempe, opinor, Thaidem.
CHAEREA
Istam ipsam. 
ANTIPHO 
Sic commemineram. 
CHAEREA
Quaedam hodie est <ei> dono data
virgo. Quid ego eiustibi nunc faciem praedicem aut laudem, Antipho, 565
quom ipsum me noris quam elegans formarum spectator siem?
In hac commotus sum. 
ANTIPHO 
Ain tu? 
CHAEREA
Primam dices, scio, si videris.
Quid multa verba? Amare coepi. Forte fortuna domi
erat quidam eunuchus, quem mercatus fuerat frater Thaidi,
neque is deductus etiamdum ad eam. Submonuit me Parmeno 570
ibi servos quod ego arripui. 
ANTIPHO 
Quid id est? 
CHAEREA
Tacitus citius audies:
ut vestem cum illo mutem et pro illo iubeam me illoc ducier.
ANTIPHO 
Pro eunuchon? 
CHAEREA
Sic est. 
ANTIPHO 
Quid ex ea re tandem ut caperes commodi?
CHAEREA
Rogas? Viderem, audirem, essem una quacum cupiebam, Antipho.
Num parva causa aut prava ratiost? Traditus sum mulieri. 575
Illa ilico ubi me accepit, laeta vero ad se abducit domum;
commendat virginem. 
ANTIPHO 
Quoi? Tibine? 
CHAEREA
Mihi. 
ANTIPHO 
Satis tuto tamen?
CHAEREA
Edicit ne vir quisquam ad eam adeat et mihi ne abscedam imperat;
in interiore parti ut maneam solus cum sola. Adnuo
terram intuens modeste. 
ANTIPHO 
Miser. 
CHAEREA
« Ego » inquit  « ad cenam hinc eo. » 580
Abducit secum ancillas; paucae quae circum illam essent, manent
noviciae puellae. Continuo haec adornant ut lavet.
Adhortor properent. Dum adparatur, virgo in conclavi sedet,
suspectans tabulam quandam pictam: ibi inerat pictura haec, Iovem
quo pacto Danaae misisse aiunt quondam in gremium imbrem aureum. 585
Egomet quoque id spectare coepi; et quia consimilem luserat
iam olim ille ludum, inpendio magis animus gaudebat mihi,
deum sese in hominem convortisse atque in alienas tegulas
venisse clanculum per inpluvium fucum factum mulieri.
At quem deum! Qui templa caeli summa sonitu concutit. 590
Ego homuncio hoc non facerem? Ego illud vero ita feci ac lubens.
Dum haec mecum reputo, accersitur lavatum interea virgo:
iit, lavit, rediit; deinde eam in lecto illae conlocarunt.
Sto exspectans si quid mi imperent. Venit una, « Heus tu »  inquit « Dore,
cape hoc flabellum, ventulum huic sic facito, dum lavamur; 595
ubi nos laverimus, si voles, lavato. »  Accipio tristis.
ANTIPHO 
Tum equidem istuc os tuom inpudens videre nimium vellem,
qui esset status, flabell<ul>um tenere te asinum tantum.
CHAEREA
Vix elocutast hoc, foras simul omnes proruont se,
abeunt lavatum, perstrepunt, ita ut fit domini ubi absunt. 600
Interea somnus virginem opprimit. Ego limis specto
sic per flabellum clanculum; simul alia circumspecto,
satin explorata sint. Video esse. Pessulum ostio obdo.
ANTIPHO 
Quid tum? 
CHAEREA
Quid « quid tum, » fatue? 
ANTIPHO 
Fateor. 
CHAEREA
An ego occasionem
mi ostentam, tantam, tam brevem, tam optatam, tam insperatam 605
amitterem? Tum pol ego is essem vero qui simulabar.
ANTIPHO 
Sane hercle ut dicis. Sed interim de symbolis quid actumst?
CHAEREA
Paratumst. 
ANTIPHO 
Frugi es. Ubi? Domin? 
CHAEREA
Immo apud libertum Discum.
ANTIPHO 
Perlongest, sed tanto ocius properemus. Muta vestem.
CHAEREA
Ubi mutem? Perii; nam domo exsulo nunc: metuo fratrem 610
ne intus sit; porro autem pater ne rure redierit iam.
ANTIPHO 
Eamus ad me, ibi proxumumst ubi mutes. 
CHAEREA
Recte dicis.
Eamus; et de istac simul, quo pacto porro possim
potiri, consilium volo capere una tecum. 
ANTIPHO 
Fiat. 

SCÈNE V 

CHÉRÉA, ANTIPHON

CHÉRÉA
Y-t-il quelqu'un ici? Personne. Me suit-on de la maison? Non, personne. Puis-je enfin laisser éclater ma joie? O Jupiter ! Oui, je me sens capable en ce moment d'accueillir la mort, de peur que la vie ne gâte mon bonheur par quelque chagrin. Mais ne rencontrerai-je pas à présent quelque curieux qui me suive partout où j'irai, qui m'accable, qui m'assassine de questions pour savoir la cause de mon excitation et de ma joie, où je vais, d'où je viens, où j'ai déniché cet accoutrement, quel est mon dessein, Si je suis dans mon bon sens ou en butte à la folie?
ANTIPHON
Je vais l'aborder et lui donner la satisfaction que je vis qu'il désire. Qu'as-tu, Chéréa, pour être si excité? Que signifie cet accoutrement? Quelle est la cause de ta joie? Que veux-tu faire? Es-tu dans ton bon sens? Qu'as-tu à me regarder? Pourquoi ne réponds-tu pas?
CHÉRÉA
Salut à toi, ami, dont la présence est pour moi comme un jour de fête. Tu es l'homme que je désirais le plus rencontrer en ce moment.
ANTIPHON
Raconte, je te prie, ce qui t'arrive.
CHÉRÉA
C'est moi, par Hercule, qui te prie de m'écouter. Connais-tu la femme qui demeure ici, la maîtresse de mon frère?
ANTIPHON
Oui, c'est Thaïs, je crois.
CHÉRÉA
C'est elle-même.
ANTIPHON
C'est bien ce qu'il me semblait.
CHÉRÉA
On lui a fait aujourd'hui présent d'une jeune fille. Je ne veux pas en ce moment célébrer ni vanter sa figure, Antiphon. Tu sais toi-même si je sais apprécier la beauté. J'en suis resté ébloui.
ANTIPHON
Vraiment?
CHÉRÉA
Tu lui décerneras la palme quand tu l'auras vue. Bref, je suis tombé amoureux d'elle. Par un heureux hasard il y avait chez nous un eunuque que mon frère avait acheté pour Thaïs et qu'on n'avait pas encore mené chez elle. C'est alors que Parménon m'a suggéré une idée que j'ai saisie au vol.
ANTIPHON
Quelle idée?
CHÉRÉA
N'interromps pas; tu le sauras plus vite : de changer d'habit avec l'eunuque et de me faire conduire ici à sa place.
ANTIPHON
A la place de l'eunuque?
CHÉRÉA
Oui.
ANTIPHON
Quels avantages pensais-tu donc en retirer?
CHÉRÉA
Tu le demandes? La voir, l'entendre, satisfaire mon désir d'être avec elle, Antiphon. La chose n'en valait-elle pas la peine et l'expédient était-il maladroit? On me livre à Thaïs. Dès qu'elle m'a reçu, toute joyeuse, elle m'emmène chez elle et me recommande la jeune fille.
ANTIPHON 
A qui? à toi?
CHÉRÉA
A moi.
ANTIPHON
Après tout, elle pouvait se fier à toi.
CHÉRÉA
Elle m'enjoint de ne laisser approcher d'elle aucun homme, et me donne l'ordre exprès de ne pas la quitter et de rester seul avec elle dans l'appartement le plus reculé. Je fais signe que oui, les yeux modestement baissés vers la terre.
ANTIPHON
Pauvre garçon!
CHÉRÉA 
« Moi, dit-elle, je sors pour dîner en ville. » Elle emmène avec elle ses femmes, ne laissant, pour servir la jeune fille, que quelques jeunes esclaves nouvellement achetées. Elles se mettent aussitôt à lui préparer un bain. Je leur dis de se dépêcher. Durant ces préparatifs, assise dans sa chambre, la jeune fille regarde un tableau représentant Jupiter au moment où, selon la légende, il fait tomber une pluie d'or dans le sein de Danaé. Je me mis, moi aussi, à le regarder; et parce que Jupiter avait joué bien avant moi un jeu exactement pareil, je prenais un plaisir bien plus vif à voir qu'un dieu se fût métamorphosé en homme et se fût introduit furtivement par l'impluvium sous un toit étranger pour aller séduire une femme. Et quel dieu ! celui qui du grondement de son tonnerre secoue la voûte du ciel. Et moi, chétif mortel, je ne suivrais pas son exemple ! Eh bien ! si, je l'ai suivi et sans scrupule. Pendant que je fais ces réflexions, on appelle au bain la jeune fille. Elle va, se baigne et revient; puis les femmes la mettent au lit. Je reste là debout, attendant les ordres qu'elles peuvent avoir à donner. L'une d'elles s'approche : « Tiens, Dorus, dit-elle, prends cet éventail, et fais-lui comme cela un peu de vent, pendant que nous sommes au bain; après nous, tu te baigneras si tu veux.» Je prends l'éventail d'un air chagrin.
ANTIPHON
Ma foi, j'aurais bien voulu voir ta mine impudente et le maintien que tu avais alors : un grand âne comme toi tenant un petit éventail !
CHÉRÉA
A peine a-t-elle dit cela que toutes ensemble elles se précipitent hors de la chambre; elles s'en vont au bain et mènent grand bruit, comme il arrive, quand les maîtres sont absents. Cependant le sommeil s'empare de la jeune fine; je la regarde du coin de l'oeil, comme cela, à la dérobée à travers l'éventail. En même temps je regarde autour de moi s'il n'y a rien à craindre d'ailleurs. Je vois qu'il n'y a rien. Je mets le verrou à la porte.
ANTIPHON
Et après?
CHÉRÉA
Et après? Tu es un grand nigaud.
ANTIPHON
J'en conviens.
CHÉRÉA
Une occasion qui s'offrait à moi, si belle, si rapide, si désirée, si inattendue ! La laisser échapper ! Par Pollux, j'aurais été réellement celui dont je jouais le personnage.
ANTIPHON
Oui, par Hercule, c'est vrai. Mais pendant ce temps-là qu'est devenu notre pique-nique?
CHÉRÉA
Il est prêt.
ANTIPHON
Tu es un brave garçon. Où? Chez toi?
CHÉRÉA
Non, chez l'affranchi Discus.
ANTIPHON
C'est bien loin. Il faut nous hâter d'autant plus. Change de costume.
CHÉRÉA
Où changer? Je suis perdu; car je suis à présent à la porte de chez nous. J'ai peur d'y trouver mon frère, peur aussi que mon père ne soit déjà revenu de la campagne.
ANTIPHON
Allons chez moi : c'est l'endroit le plus proche où tu puisses te changer.
CHÉRÉA
C'est bien dit, allons ! Et quant à cette fille, je veux aussi me consulter avec toi sur les moyens de m'en assurer la possession.
ANTIPHON
Soit.

ACTVS IV, i

DORIAS

DORIAS
Ita me di ament, quantum ego illum vidi, non nil timeo misera, 615
nequam ille hodie insanu'sturbam faciat aut vim Thaidi.
nam postquam iste advenit Chremes adulescens, frater virginis,
militem rogat ut illum admitti iubeat. Ille continuo irasci,
neque negare audere. Thais porro instare ut hominem invitet.
Id faciebat retinendi illius causa, quia illa quae cupiebat 620
de sorore eius indicare, ad eam rem tempus non erat.
Invitat tristis: mansit. Ibi illa cum illo sermonem ilico.
Miles vero sibi putare adductum ante oculos aemulum;
voluit facere contra huic aegre:
« Heus » inquit « puer<e>, Pamphilam
accerse ut delectet hic nos. » Illa [exclamat] :
« Minime gentium: 625
in convivium illam? » Miles tendere: inde ad iurgium.
interea aurum sibi clam mulier demit, dat mi ut auferam.
Hoc est signi: ubi primum poterit, se illinc subducet scio. 

ACTE IV SCÈNE I

DORIAS

DORIAS
En vérité, d'après ce que j'ai vu, j'ai bien peur, malheureuse, que ce soldat ne fasse un sot esclandre aujourd'hui ou qu'il ne batte Thaïs. Lorsque le jeune Chrémès, le frère de la jeune fille, est arrivé, Thaïs a demandé au soldat de le laisser entrer. Lui aussitôt de se mettre en colère, sans oser pourtant dire non. Elle insiste ensuite pour qu'il l'invite au dîner. Ce qu'elle en faisait était pour retenir le jeune homme, parce que ce n'était pas le moment de lui dire ce qu'elle voulait lui révéler au sujet de sa soeur. Il fait l'invitation de mauvaise grâce. Le jeune homme reste et elle engage aussitôt la conversation avec lui. Mais le soldat s'imagine que c'est un rival qu'on lui amenait à sa barbe, et pour vexer Thaïs à son tour : « Holà ! petit garçon, s'écrie-t-il, va chercher Pamphila, pour qu'elle nous divertisse. » Thaïs s'écrie: « Jamais de la vie ! Elle, dans un festin? » Le soldat s'obstine, et voilà une querelle. Cependant ma maîtresse retire ses bijoux à la dérobée et me les donne à emporter. C'est signe que, dès qu'elle le pourra, elle s'esquivera delà-bas: j'en suis sûre.

IV, ii

PHAEDRIA, DORIAS

PHAEDRIA
Dum rus eo, coepi egomet mecum inter vias,
ita ut fit ubi quid in animost molestiae, 630
aliam rem ex alia cogitare, et ea omnia in
peiorem partem. Quid opust verbis? Dum haec puto,
praeterii inprudens villam. Longe iam abieram
quom sensi; redeo rursum, male me vero habens.
Ubi ad ipsum veni devorticulum, constiti: 635
occepi mecum cogitare :
« Hem biduom hic
manendumst soli sine illa? Quid tum postea?
Nil est. Quid? nil? Si non tangendi copiast,
eho, ne videndi quidem erit? Si illud non licet,
saltem hoc licebit. Certe extrema linea 640
amare haud nil est. » Villam praetereo sciens.
Sed quid hoc quod timida subito egreditur Pythias? 

PHÉDRIA, DORIAS

PHÉDRIA (à part).

En me rendant à la campagne, je m'étais mis, chemin faisant, comme c'est l'ordinaire, quand on a quelque chagrin en tête, à penser à une chose, puis à une autre, et toujours dans un sens fâcheux. Bref, en rêvant ainsi, j'ai passé notre maison sans y prendre garde. J'en étais déjà loin, quand je m'en suis aperçu. Je reviens sur mes pas, en maugréant franchement contre moi-même. Arrivé juste au chemin de desserte, je m'arrête et me mets à réfléchir : « Quoi ! pendant deux jours il me faudra demeurer seul ici, sans elle? — Eh bien, après? Ce n'est rien. — Comment, rien? S'il ne m'est pas permis de l'approcher, m'est-il donc aussi défendu de la voir? Si l'un m'est interdit, l'autre du moins me sera permis. En tout cas, aimer de loin, c'est encore quelque chose. » Je tourne le dos à notre campagne, à bon escient cette fois. Mais qu'arrive-t-il, que Pythias sort brusquement tout effarée?

IV, III

PYTHIAS, DORIAS, PHAEDRIA

PYTHIAS 
Ubi ego illum scelerosum misera atque inpium inveniam? aut ubi quaeram?
hoccin tam audax facinus facere esse ausum! 
PHAEDRIA 
Perii: hoc quid sit vereor.
PYTHIAS 
Quin etiam insuper scelus, postquam ludificatust virginem, 645
Vestem omnem miserae discidit, tum ipsam capillo conscidit.
PHAEDRIA 
Hem. 
PYTHIAS 
Qui nunc si detur mihi,
ut ego unguibus facile illi in oculos involem venefico!
PHAEDRIA 
Nescio quid profecto absente nobis turbatumst domi.
Adibo. Qid istuc? quid festinas? aut quem quaeris, Pythias? 650
PYTHIAS 
Ehem, Phaedria, egon? quem quaeram? in' hinc quo dignu's cum donis tuis
tam lepidis? 
PHAEDRIA 
Quid istuc est rei?
PYTHIAS 
Rogas me? eunuchum quem dedisti nobis quas turbas dedit!
virginem quam erae dono dederat miles, vitiavit. 
PHAEDRIA 
Quid ais?
PYTHIAS 
Perii. 
PHAEDRIA 
Temulenta's. 
PYTHIAS 
Utinam sic sint qui mihi male volunt! 655
DORIAS 
An, obsecro, mea Pythias, quod istuc nam monstrum fuit?
PHAEDRIA 
Insanis: qui istuc facere eunuchu'spotuit? 
PYTHIAS 
Ego illum nescio
qui fuerit; hoc quod fecit, res ipsa indicat.
Virgo ipsa lacrumat neque, quom rogites, quid sit audet dicere.
Ille autem bonus vir nusquam apparet. Etiam hoc misera suspicor, 660
aliquid domo abeuntem abstulisse. 
PHAEDRIA 
Nequeo mirari satis
quo ille abire ignavos possit longius, nisi si domum
forte ad nos rediit. 
PYTHIAS 
Vise, amabo, num sit. 
PHAEDRIA 
Iam faxo scies.-
DORIAS 
Perii, obsecro! tam infandum facinus, mea tu, ne audivi quidem.
PYTHIAS 
At pol ego amatores audieram mulierum esse eos maxumos, 665
sed nil potesse; verum miserae non in mentem venerat;
nam illum aliquo conclusissem neque illi commisissem virginem. 

SCÈNE III 

PYTHIAS, DORIAS, PHÉDRIA

PYTHIAS
Malheureuse ! où le trouverai-je, ce scélérat, ce coquin? Où le chercherai-je? avoir osé commettre un crime si hardi !
PHÉDRIA (à part).
Aïe! qu'arrive-t-il? je suis inquiet.
PYTHIAS
Et il ne lui a pas suffi, le scélérat, d'avoir outragé la pauvre enfant, il lui a encore déchiré tous ses habits, et lui a arraché les cheveux.
PHÉDRIA (à part).
Hein !
PYTHIAS
S'il me tombait en ce moment sous la main, comme je lui sauterais aux yeux avec mes ongles, à cet empoisonneur!
PHÉDRIA (à part).
A coup sûr, il est arrivé ici quelque malheur en mon absence. Abordons-la. Que t'arrive-t-il? Pourquoi cette agitation? Qui cherches-tu, Pythias?
PYTHIAS
Ah! Phédria, c'est à moi que tu demandes qui je cherche? Va-t'en où tu le mérites avec tes jolis cadeaux.
PHÉDRIA
Qu'est-ce à dire?
PYTHIAS
Tu le demandes? Il en a fait de belles, l'eunuque que tu nous as donné ! La jeune fille que le soldat avait donnée à ma maîtresse, il l'a violée.
PHÉDRIA
Que dis-tu?
PYTHIAS
Je suis perdue.
PHÉDRIA
Tu es ivre.
PYTHIAS
Puissent l'être comme moi ceux qui me veulent du mal !
DORIAS
Mais, dis-moi, ma bonne Pythias, qu'était-ce donc que ce monstre?
PHÉDRIA
Tu es folle. Comment un eunuque aurait-il pu faire ce que tu dis?
PYTHIAS
Quel homme c'est, je n'en sais rien; mais ce qu'il a fait, le résultat suffit à le révéler. La jeune fille est en larmes, et, quand on lui demande ce qu'elle a, elle n'ose pas répondre. Quant à cet honnête homme, il est introuvable, et même je soupçonne, malheureuse, qu'il a emporté quelque chose en quittant la maison.
PHÉDRIA
Je serais fort étonné que cet être mollasse puisse se sauver bien loin; mais peut-être est-il retourné chez nous à la maison.
PYTHIAS
Va voir, je te prie, s'il y est.
PHÉDRIA
Je vais te le faire savoir à l'instant. (Il sort.)
DORIAS
Quel malheur! En vérité, ma chère, je n'ai jamais entendu parler d'un si infâme attentat.
PYTHIAS
Moi, par Pollux, je m'étais bien laissé dire qu'ils étaient de grands amateurs de femmes, mais qu'ils ne pouvaient rien. Mais je n'ai pas pensé à cela, sans quoi je. l'aurais enfermé quelque part et je ne lui aurais pas confié cette fille.

IV, iv

PHAEDRIA, DORUS, PYTHIAS, DORIAS

PHAEDRIA 
Exi foras, sceleste. at etiam restitas,
fugitive? Prodi, male conciliate. 
DORUS
Obsecro. 
PHAEDRIA 
Oh !
illud vide, os ut sibi distorsit carnufex! 670
Quid huc tibi reditiost? quid vestis mutatio?
quid narras? Paullum si cessassem, Pythias,
domi non offendissem, ita iam ornarat fugam.
PYTHIAS 
Haben hominem, amabo? 
PHAEDRIA 
Quidni habeam? 
PYTHIAS 
O factum bene.
DORIAS
Istuc pol vero bene. 
PYTHIAS 
Ubist? 
PHAEDRIA 
Rogitas? Non vides? 675
PYTHIAS 
Videam? Obsecro, quem?
PHAEDRIA 
Hunc scilicet. 
PYTHIAS 
Quis hic est homo?
PHAEDRIA 
Qui ad vos deductus hodiest. 
PYTHIAS 
Hunc oculis suis
nostrarum numquam quisquam vidit, Phaedria.
PHAEDRIA 
Non vidit? 
PYTHIAS 
An tu hunc credidisti esse, obsecro,
ad nos deductum? 
PHAEDRIA 
Namque alium habui neminem. 
PYTHIAS 
Au, 680
ne comparandus hicquidem ad illumst: ille erat
honesta facie et liberali. 
PHAEDRIA 
Ita visus est
dudum, quia varia veste exornatus fuit.
nunc tibi videtur foedus, quia illam non habet.
PYTHIAS 
Tace, obsecro: quasi vero paullum intersiet ! 685
Ad nos deductus hodiest adulescentulus,
quem tu videre vero velles, Phaedria.
hic est vietus, vetus, veternosus, senex,
colore mustelino. 
PHAEDRIA 
Hem quae haec est fabula?
Eo rediges me ut quid egerim egomet nesciam? 690
Eho tu, emin ego te? 
DORUS 
Emisti. 
PYTHIAS 
Iube mi denuo
respondeat. 
PHAEDRIA 
Roga. 
PYTHIAS 
Venisti hodie ad nos? Negat.
at ille alter venit annos natus sedecim,
Quem secum adduxit Parmeno. 
PHAEDRIA 
Agedum, hoc mi expedi
primum: istam quam habes unde habes vestem? Taces? 695
Monstrum hominis, non dicturu's? 
DORUS 
Venit Chaerea.
PHAEDRIA 
Fraterne? 
DORUS 
Ita. 
PHAEDRIA 
Quando? 
DORUS 
Hodie. 
PHAEDRIA 
Quam dudum? 
DORUS 
Modo.
PHAEDRIA 
Quicum? 
DORUS 
Cum Parmenone. 
PHAEDRIA 
Norasne eum prius?
DORUS 
Non, nec quis esset umquam audieram dicier.
PHAEDRIA 
Unde igitur fratrem meum esse scibas? 
DORUS 
Parmeno 700
dicebat eum esse. Is dedit mi hanc. 
PHAEDRIA 
Occidi.
DORUS 
Meam ipse induit: post una ambo abierunt foras.
PYTHIAS 
Iam satis credis sobriam esse me et nil mentitam tibi?
Iam satis certumst virginem vitiatam esse? 
PHAEDRIA 
Age nunc, belua,
credis huic quod dicat? 
PYTHIAS 
Quid isti credam? Res ipsa indicat. 705
PHAEDRIA 
Concede istuc paullulum: audin? Etiam [nunc] paullulum: sat est.
Dic dum hoc rursum: Chaerea tuam vestem detraxit tibi?
DORUS 
Factum. 
PHAEDRIA 
Et east indutus? 
DORUS 
Factum. 
PHAEDRIA 
Et pro te huc deductust?
DORUS 
Ita.
PHAEDRIA 
Iuppiter magne, o scelestum atque audacem hominem! 
PYTHIAS 
Vae mihi !
etiam [nunc] non credes indignis nos esse inrisas modis? 710
PHAEDRIA 
Mirum ni tu credas quod iste dicat. Quid agam nescio.
Heus, negato rursum. Possumne ego hodie ex te exsculpere
verum? Vidistine fratrem Chaeream? 
DORUS 
Non. 
PHAEDRIA 
Non potest
sine malo fateri, video: sequere hac. Modo ait, modo negat.
Ora me. 
DORUS 
Obsecro te vero, Phaedria. 
PHAEDRIA 
I intro nunc iam. 715
DORUS 
Oiei. 
PHAEDRIA 
Alio pacto honeste quomodo hinc abeam nescio.
Actumst, siquidem tu me hic etiam, nebulo, ludificabere.--
PYTHIAS 
Parmenonis tam scio esse hanc techinam quam me vivere.
DORIAS
Sic est. 
PYTHIAS 
Inveniam pol hodie parem ubi referam gratiam.
Sed nunc quid faciundum censes, Dorias? 
DORIAS
De istac rogas 720
virgine? 
PYTHIAS 
Ita, utrum taceam an praedicemne? 
DORIAS
Tu, pol, si sapis,
quod scis nescis neque de eunucho neque de vitio virginis.
Hac re et te omni turba evolves et illi gratum feceris.
Id modo dic, abisse Dorum. 
PYTHIAS 
Ita faciam. 
DORIAS
Sed videon Chremen?
Thai'siam aderit. 
PYTHIAS 
Quid ita? 
DORIAS
Quia, quom inde abeo, iam tum occeperat 725
turba inter eos. 
PYTHIAS 
Tu aufer aurum hoc. Ego scibo ex hoc quid siet. 

SCÈNE IV

PHÉDRIA, DORUS, PYTHIAS, DORIAS

PHÉDRIA (à Dorus).
Sors, coquin. Quoi ! tu t'arrêtes encore, toi qui es si leste à fuir ! Avance, emplette maudite !
DORUS
De grâce !
PHÉDRIA
Oh ! regarde-le, quelle grimace il fait, le pendard ! Pourquoi es-tu revenu ici? Pourquoi as-tu changé d'habit? Qu'as-tu à dire? Si j'avais tardé un moment, Pythias, je ne le trouvais plus au logis, tant il avait déjà bien préparé sa fuite !
PYTHIAS
Est-ce que tu tiens le coquin, s'il te plaît?
PHÉDRIA
Certes, je le tiens.
PYTHIAS
Ah! tant mieux !
DORIAS
C'est heureux vraiment, par Pollux.
PYTHIAS
Où est-il?
PHÉDRIA
Cette demande ! Tu ne vois pas?
PYTHIAS
Je ne vois pas, qui? je te prie.
PHÉDRIA
Le drôle que voici apparemment.
PYTHIAS 
Quel est cet homme?
PHÉDRIA
Celui qu'on a mené chez vous aujourd'hui.
PYTHIAS
Lui ! Aucune de nous ne l'a jamais vu de ses yeux.
PHÉDRIA
Jamais vu !
PYTHIAS
De bonne foi, tu croyais que c'est celui-ci qu'on nous a amené?
PHÉDRIA
Oui, car je n'en ai jamais eu d'autre.
PYTHIAS
Allons donc ! Celui-ci n'est même pas à comparer; l'autre avait une belle figure et l'air d'un homme libre.
PHÉDRIA
Il t'a paru tel tout à l'heure, parce qu'il était revêtu d'un habit bariolé. Tu le trouves laid à cette heure parce qu'il ne l'a plus.
PYTHIAS
Finis, je t'en prie; comme s'il n'y avait entre eux qu'une légère différence ! On nous a amené aujourd'hui un tout jeune homme que tu aurais vraiment du plaisir à voir, Phédria. Celui-ci est un vieillard flétri, caduc, somnolent, avec un teint de fouine.
PHÉDRIA
Hein ! que débites-tu là? Tu me ferais croire que je ne sais plus moi-même ce que j'ai acheté. Parle, toi : t'ai-je acheté?
DORUS
Oui.
PYTHIAS
Dis-lui de me répondre à mon tour.
PHÉDRIA
Interroge-le.
PYTHIAS
Es-tu venu aujourd'hui chez nous? II dit que non. Mais c'est un autre qui est venu, un jeune homme de seize ans, que Parménon a amené avec lui.
PHÉDRIA
Ah çà ! explique-moi d'abord ceci : cet habit que tu ses portes, d'où le tiens-tu? Tu ne réponds pas, monstre d'homme? Tu ne veux pas parler?
DORUS
Chéréa est venu.
PHÉDRIA
Mon frère?
DORUS
Oui.
PHÉDRIA
Quand?
DORUS
Aujourd'hui.
PHÉDRIA
Y a-t-il longtemps?
DORUS
Tout à l'heure.
PHÉDRIA
Avec qui?
DORUS
Avec Parménon.
PHÉDRIA
Le connaissais-tu déjà?
DORUS
Non, et je n'en avais jamais entendu parler.
PHÉDRIA
Par où savais-tu que c'était mon frère?
DORUS
Je l'ai entendu dire à Parménon. C'est Chéréa qui m'adonné cet habit.
PHÉDRIA (à part).
C'est fait de moi.
DORUS
Il s'est revêtu du mien; après quoi ils sont sortis ensemble tous les deux.
PYTHIAS
Es-tu maintenant assez convaincu que je ne suis pas ivre et que je ne t'ai rien dit que de vrai? N'est-il pas maintenant trop certain que la jeune fille a été violée?
PHÉDRIA
Allons ! grosse bête, tu crois à ce qu'il dit?
PYTHIAS
Je n'ai que faire d'y croire : le fait est assez parlant.
PHÉDRIA
Recule un peu là-bas. M'entends-tu? encore un peu. Suffit. Répète-moi cela : Chéréa t'a-t-il ôté ton habit?
DORUS
Oui.
PHÉDRIA
Et il s'en est revêtu?
DORUS
Oui.
PHÉDRIA
Et on l'a mené ici à ta place?
DORUS
Oui.
PHÉDRIA
Grand Jupiter ! Voilà un effronté coquin.
PYTHIAS
Malheur de ma vie ! Tu ne crois pas encore à présent qu'on nous ait indignement jouées?
PHÉDRIA
Apparemment tu crois ce qu'il dit. (A part.) Je ne sais que faire. (Bas, à Dorus.) Nie tout maintenant. (Haut.) Ne pourrai-je t'arracher aujourd'hui la vérité? As-tu vu mon frère Chéréa?
DORUS
Non.
PHÉDRIA
Il n'avouera que sous le bâton, je le vois bien. Suis-moi par ici. Tantôt il dit oui, tantôt il dit non. Demande-moi grâce.
DORUS
Je te demande grâce tout de bon, Phédria.
PHÉDRIA
Rentre à présent. (Il le bat.)
DORUS
Aïe ! aïe !
PHÉDRIA (à part).
Je ne vois pas d'autre moyen de me tirer de là honnêtement. (Haut, à Dorus qui est rentré.) C'est fait de toi, maraud, si tu te joues encore de moi au logis. — 
PYTHIAS
Je suis aussi sûre que c'est un tour de Parménon que je suis sûre de mon existence.
DORIAS
Il n'y a point de doute.
PYTHIAS
Par Pollux, je trouverai bien aujourd'hui le moyen de lui rendre la pareille. Mais pour le moment, que crois-tu qu'il faut faire, Dorias?
DORIAS
C'est au sujet de cette jeune fille que tu me poses cette question?
PYTHIAS
Oui. Faut-il parler ou me taire?
DORIAS
Ma foi, si tu es sage, tu ne sauras rien de ce que tu sais et de l'eunuque et du viol de la jeune fille. Par ce moyen tu te tireras de tout embarras et tu lui feras plaisir. Dis seulement que Doms s'est enfui.
PYTHIAS
C'est ce que je ferai.
DORIAS
Mais n'est-ce pas Chrémès que je vois? Thaïs sera bien tôt ici.
PYTHIAS
Comment cela?
DORIAS
Parce que, quand je suis partie de là-bas, la brouille avait déjà commencé entre eux.
PYTHIAS
Emporte ces bijoux, toi; je vais savoir de Chrémès ce qu'il en est.

IV, v

CHREMES, PYTHIAS 

CHREMES 
Attat; data hercle verba mihi sunt: vicit vinum quod bibi.
At dum accubabam quam videbar mi esse pulchre sobrius!
Postquam surrexi, neque pes neque mens sati' suom officium facit.
PYTHIAS 
Chreme. 
CHREMES 
Quis est? Ehem, Pythias. Vah, quanto nunc formonsior 730
videre mihi quam dudum! 
PYTHIAS 
Certe tuquidem pol multo hilarior.
CHREMES 
Verbum hercle hoc verum erit :
« Sine Cerere et Libero friget Venus ».
Sed ThaiS multo ante venit? 
PYTHIAS 
Anne abiit iam a milite?
CHREMES 
Iamdudum, aetatem. Lites factae sunt inter eos maxumae.
PYTHIAS 
Nil dixit, tu ut sequerere sese? 
CHREMES 
Nil, nisi abiens mi innuit. 735
PYTHIAS 
Eho nonne id sat erat? 
CHREMES 
At nescibam id dicere illam, nisi quia
correxit miles, quod intellexi minus; nam me extrusit foras.
Sed eccam ipsam: miror ubi ego huic antevorterim. 

SCÈNE V 

CHRÉMÉS, PYTHIAS

CHRÉMÈS
Eh mais ! j'en tiens, ma foi ! Le vin que j'ai bu a le dessus. A table, il me semblait que j'étais d'une belle sobriété; une fois debout, ni mes pieds ni ma tête ne font plus bien leur service.
PYTHIAS
Chrémès !
CHRÉMÈS
Qui va là? Tiens, Pythias ! Oh ! comme tu me parais à cette heure plus jolie que tantôt !
PYTHIAS
Ce qui est certain, c'est que toi, tu es beaucoup plus gai.
CHRÉMÈS
Par Hercule ! le proverbe dit vrai : « Sans Cérès et Bacchus, Vénus est transie. » Mais Thaïs est arrivée longtemps avant moi?
PYTHIAS
Est-ce qu'elle est déjà partie de chez le soldat?
CHRÉMÈS
Il y a beau temps, un siècle. Il y a eu entre eux de grandes contestations.
PYTHIAS
Elle ne t'a pas dit alors de la suivre?
CHRÉMÈS
Non. Elle m'a seulement fait un signe en s'en allant.
PYTHIAS
Eh bien ! n'était-ce pas suffisant?
CHRÉMÈS
Je ne savais pas que c'était cela qu'elle voulait dire; mais le soldat a corrigé mon défaut d'intelligence en me jetant à la porte. Mais la voici elle-même. Je me demande où je l'ai dépassée.

IV, vi

THAIS, CHREMES, PYTHIAS

THAIS
Credo equidem illum iam adfuturum esse, ut illam a me eripiat: sine veniat.
Atqui si illam digito attigerit uno, oculi ilico ecfodientur. 740
Usque adeo ego illius ferre possum ineptiam et magnifica verba,
verba dum sint; verum enim si ad rem conferentur, vapulabit.
CHREMES 
Thais, ego iamdudum hic adsum. 
THAIS
O mi Chreme, te ipsum exspectabam.
Scin tu turbam hanc propter te esse factam? et adeo ad te attinere hanc
omnem rem? 
CHREMES 
Ad me? qui? quasi istuc...
THAIS
Quia, dum tibi sororem studeo 745
reddere ac restituere, haec atque huiusmodi sum multa passa.
CHREMES 
Ubi east? 
THAIS
Domi apud me. 
CHREMES 
Hem!
THAIS
Quid est?
Educta ita uti teque illaque dignumst. 
CHREMES 
Quid ais? 
THAIS
Id quod res est.
Hanc tibi dono do neque repeto pro illa quicquam abs te preti.
CHREMES 
Et habetur et referetur, Thais, ita uti merita's gratia. 750
THAIS
At enim cave ne, prius quam hanc a me accipias, amittas, Chreme;
nam haec east quam miles a me vi nunc ereptum venit.
Abi tu, cistellam, Pythias, domo ecfer cum monumentis.
CHREMES 
Viden tu illum, Thais...
PYTHIAS 
Ubi sitast? 
THAIS
In risco. Odiosa cessas.
CHREMES 
Militem secum ad te quantas copias adducere? 755
Attat...
THAIS
Num formidulosus obsecro es, mi homo? 
CHREMES 
Apage, sis:
egon formidulosus? Nemost hominum qui vivat minus.
THAIS
Atqui ita opust. 
CHREMES 
Ah, metuo qualem tu me esse hominem existumes.
THAIS
Immo hoc cogitato: quicum res tibist peregrinus est,
minus potens quam tu, minus notus, minus amicorum hic habens. 760
CHREMES 
Scio istuc. Sed tu quod cavere possis stultum admittere est.
Malo ego nos prospicere quam hunc ulcisci accepta iniuria.
Tu abi atque obsera ostium intus, dum ego hinc transcurro ad forum:
volo ego adesse hic advocatos nobis in turba hac. 
THAIS
Mane.
CHREMES 
Meliust. 
THAIS
Mane. 
CHREMES 
Omitte: iam adero. 
THAIS
Nil opus est istis, Chreme. 765
Hoc modo dic, sororem illam tuam esse et te parvam virginem
amisisse, nunc cognosse. Signa ostende. 
PYTHIAS 
Adsunt. 
THAIS
Cape.
Si vim faciet, in ius ducito hominem: intellextin? 
CHREMES 
Probe.
THAIS
Fac animo haec praesenti dicas. 
CHREMES 
Faciam. 
THRASO 
Attolle pallium.
Perii, huic ipsist opus patrono, quem defensorem paro. 770 

SCÈNE VI

THAÏS, CHRÉMÈS, PYTHIAS

THAÏS
Il va venir, j'en suis sûre, pour me l'enlever. Qu'il vienne ! Mais s'il la touche seulement du doigt, je lui arrache les yeux. Je peux bien supporter ses sottises et ses fanfaronnades, tant qu'il s'en tient aux paroles; mais s'il en vient aux effets, gare aux coups !
CHRÉMÈS
Thaïs, il y a un moment que je suis ici, moi.
THAÏS
O mon cher Chrémès, c'est toi-même que j'attendais. Sais-tu que tu es la cause de ce tapage et que c'est justement toi que toute cette affaire regarde.
CHRÉMÈS
Moi! Comment? comme si cela...
THAÏS
Parce que c'est en voulant te rendre et te ramener ta soeur, que j'ai souffert ces avanies et beaucoup d'autres pareilles.
CHRÉMÈS
Où est-elle?
THAÏS
Au logis, chez moi.
CHRÉMÈS
Ah!
THAÏS
Eh bien ! qu'est-ce (33)? Elle a été élevée d'une façon digne de toi et d'elle-même.
CHRÉMÈS
Que dis-tu?
THAÏS
La pure vérité. Je t'en fais présent, sans réclamer aucune récompense en échange.
CHRÉMÈS
Je t'en ai et t'en rends toute la reconnaissance qui t'est due.
THAÏS
Mais prends garde, Chrémès, de la perdre avant que je l'aie remise entre tes mains; car c'est elle que le soldat vient en ce moment m'arracher de force. Va, Pythias, et apporte de la maison la cassette où sont les preuves.
CHRÉMÈS
Vois-tu, Thaïs...?
PYTHIAS
Où se trouve-t-elle?
THAÏS
Dans le coffre. Va donc, tu es insupportable.
CHRÉMÈS
Quelles troupes considérables le soldat amène avec lui !  Oh ! oh!
THAÏS
Serais-tu poltron? dis-moi, mon cher.
CHRÉMÈS
Fi donc ! Moi poltron l Il n'y a pas d'homme au monde qui le soit moins.
THAÏS
A la bonne heure !
CHRÉMÈS
Ah ! c'est que j'ai peur que tu ne me prennes pour un autre.
THAÏS
C'est bien. Songe d'ailleurs que celui à qui tu as affaire est étranger, moins puissant que toi, moins connu et qu'il a ici moins d'amis. 
CHRÉMÈS
Je sais cela. Mais c'est folie de laisser faire un mal qu'on peut empêcher. Mieux vaut, selon moi, nous prémunir contre cet homme que de nous en venger, quand il nous aura maltraités. Rentre, toi, barricade ta porte en dedans, tandis que moi, je cours d'ici au forum. Je veux avoir ici des gens qui nous prêteront main-forte dans cette bagarre.
THAÏS
Reste.
CHRÉMÈS
Non; cela vaut mieux.
THAÏS
Reste.
CHRÉMÈS
Laisse-moi. Je serai ici dans un moment.
THAÏS
Tu n'as nul besoin de ces gens-là, Chrémès. Tu n'as qu'à dire ceci : « C'est ma soeur, je l'ai perdue toute petite. Je viens de la reconnaître. » Là-dessus montre les pièces à conviction.
PYTHIAS
Les voici.
THAÏS
Prends-les. S'il veut employer la force, conduis-le devant les juges. As-tu compris?
CHRÉMÈS
Oui.
THAÏS
Tâche de lui dire cela sans te déconcerter.
CHRÉMÈS
Je le ferai.
THAÏS
Relève ton manteau. (A part.) Me voilà bien. Celui que je prends pour défenseur aurait lui-même besoin d'un patron.

IV, vii

THRASO, GNATHO, SANGA, CHREMES, THAIS  

THRASO 
Hancin ego ut contumeliam tam insignem in me accipiam, Gnatho?
Mori me satiust. Simalio, Donax, Syrisce, sequimini.
Primum aedis expugnabo. 
GNATHO 
Recte. 
THRASO 
Virginem eripiam. 
GNATHO 
Probe.
THRASO 
Male mulcabo ipsam. 
GNATHO 
Pulchre. 
THRASO 
In medium huc agmen cum vecti, Donax;
tu, Simalio, in sinistrum cornum; tu, Syrisce, in dexterum. 775
Cedo alios: ubi centuriost Sanga et manipulus furum? 
SANGA
Ecum adest.
THRASO 
Quid ignave? peniculon pugnare, qui istum huc portes, cogitas?
SANGA
Egon? Imperatoris virtutem noveram et vim militum;
sine sanguine hoc non posse fieri: qui abstergerem volnera?
THRASO 
Ubi alii? 
SANGA
Qui, malum,
« alii »? Solus Sannio servat domi. 780
THRASO 
Tu hosce instrue; ego hic ero post principia: inde omnibus signum dabo.
GNATHO 
Illuc est sapere: ut hosce instruxit, ipsus sibi cavit loco.
THRASO 
Idem hoc iam Pyrrus factitavit. 
CHREMES 
Viden tu, Thais, quam hic rem agit?
Nimirum consilium illud rectumst de occludendis aedibus.
THAIS 
Sane, quod tibi nunc vir videatur esse hic, nebulo magnus est: 785
ne metuas. 
THRASO 
Quid videtur? 
GNATHO 
Fundam tibi nunc nimis vellem dari,
ut tu illos procul hinc ex occulto caederes: facerent fugam.
THRASO 
Sed eccam Thaidem ipsam video. 
GNATHO 
Quam mox inruimus? 
THRASO 
Mane,
omnia prius experiri quam armis sapientem decet.
Qui scis an quae iubeam sine vi faciat? 
GNATHO 
Di vostram fidem, 790
quantist sapere! Numquam accedo quin abs te abeam doctior.
THRASO 
Thais, primum hoc mihi responde: quom tibi do istam virginem,
dixtin hos dies mihi soli dare te? 
THAIS 
Quid tum postea?
THRASO 
Rogitas? quae mi ante oculos coram amatorem adduxti tuom...
THAIS 
Quid cum illoc agas? 
THRASO 
Et cum eo clam te subduxti mihi? 795
THAIS 
Lubuit. 
THRASO 
Pamphilam ergo huc redde, nisi vi mavis eripi.
CHREMES 
Tibi illam reddat aut tu eam tangas, omnium ... ?
GNATHO 
A quid agis? Tace.
THRASO 
Quid tu tibi vis? Ego non tangam meam? 
CHREMES 
Tuam autem, furcifer?
GNATHO 
Cave sis: nescis quoi maledicas nunc viro. 
CHREMES 
Non tu hinc abis?
Scin tu ut tibi res se habeat? Si quicquam hodie hic turbae coeperis, 800
faciam ut huius loci dieique meique semper memineris.
GNATHO 
Miseret tui me, qui hunc tantum hominem facias inimicum tibi.
CHREMES 
Diminuam ego caput tuum hodie, nisi abis. 
GNATHO 
Ain vero, canis?
sicin agis? 
THRASO 
Quis tu homo es? Quid tibi vis? Quid cum illa rei tibist?
CHREMES 
Scibis: principio eam esse dico liberam. 
THRASO 
Hem ! 
CHREMES 805
Civem Atticam. 
THRASO 
Hui !
CHREMES 
Meam sororem. 
THRASO 
Os durum. 
CHREMES 
miles, nunc adeo edico tibi
ne vim facias ullam in illam. Thais, ego eo ad Sophronam
nutricem, ut eam adducam et signa ostendam haec. 
THRASO 
Tun me prohibeas
meam ne tangam? 
CHREMES 
Prohibebo, inquam. 
GNATHO 
Audin tu? hic furti se adligat:
sat[is] hoc tibist. 
THRASO 
Idem hoc tu [ais], Thais? 
THAIS 
Quaere qui respondeat.- 810
THRASO 
Quid nunc agimus? 
GNATHO 
Quin redeamus: iam haec tibi aderit supplicans
ultro. 
THRASO 
Credin? 
GNATHO immo certe: novi ingenium mulierum:
nolunt ubi velis, ubi nolis cupiunt ultro. 
THRASO 
Bene putas.
GNATHO 
Iam dimitto exercitum? 
THRASO 
Ubi vis. 
GNATHO 
Sanga, ita ut fortis decet
milites, domi focique fac vicissim ut memineris. 815
SANGA
Iamdudum animus est in patinis. 
GNATHO 
Frugi es. 
THRASO 
Vos me hac sequimini. 

SCÈNE VII

THRASON, GNATHON, SANGA, CHRÈMÈS, THAÏS

THRASON
Moi ! je souffrirais un affront si insigne, Gnathon l Plutôt mourir. Simalion, Donax, Syriscus, suivez-moi. Je vais d'abord prendre la maison d'assaut.
GNATHON
Bien.
THRASON
J'enlèverai la fille.
GNATHON
Parfait.
THRASON
Et elle, je la rosserai.
GNATHON
A merveille !
THRASON
Ici, au centre, avec ton levier, Donax. Toi, Simalion, à l'aile gauche; toi, Syriscus, à l'aile droite. A moi, les autres ! Où est le centurion Sanga et le manipule des voleurs (34)?
SANGA
Voilà : présent !
THRASON
Comment, lâche? est-ce avec le torchon que tu as apporté ici que tu prétends te battre?
SANGA
Moi ! Je connaissais la valeur du général et l'impétuosité des soldats. Comme il y aura forcément du sang répandu, avec quoi aurais-je essuyé les blessures?
THRASON
Où sont les autres?
SANGA
Comment, diantre, les autres? Il ne reste que Sannion qui garde le logis.
THRASON
Range-moi ces hommes-ci en bataille. Je me tiendrai, moi, derrière les premières lignes : de là je donnerai le signal à tous.
GNATHON (à part).
Voilà qui est sage. Après avoir rangé les autres, il s'est mis lui-même en lieu sûr.
THRASON
Telle était la tactique habituelle de Pyrrhus (35).
CHRÉMÈS
Vois-tu, Thaïs, ce qu'il va faire? J'avais bien raison, quand je te conseillais de barricader ta porte.
THAÏS
Tu peux être sûr que cet homme que tu prends en ce moment pour un brave n'est qu'un grand poltron : n'aie pas peur.
THRASON
Que t'en semble, Gnathon?
GNATHON
Je donnerais tout au monde pour te voir une fronde à la main. Tu les frapperais de loin, sans bouger d'ici, à couvert. Ils prendraient la fuite.
THRASON
Mais voici Thaïs : c'est elle-même que j'aperçois.
GNATHON
Que tardons-nous à charger?
THRASON
Attends. Le sage doit tout tenter avant de recourir aux armes. Que sais-tu si elle ne se rendra pas à mes ordres, sans que j'emploie la force?
GNATHON
Dieux de dieux ! la précieuse qualité que la sagesse ! Je ne m'approche jamais de toi que je ne m'en retourne plus instruit.
THRASON
Thaïs, réponds-moi d'abord. Quand je t'ai donné cette jeune fille, n'as-tu pas promis d'être à moi seul ces deux jours-ci?
THAÏS
Eh bien ! après?
THRASON
Tu le demandes, toi qui viens d'amener chez moi, à ma barbe, ton amoureux..? 
THAÏS
Le moyen de raisonner avec un pareil homme?
THRASON
Et qui t'es dérobée de chez moi avec lui?
THAÏS
Il m'a plu ainsi.
THRASON
Alors rends-moi Pamphila, à moins que tu n'aimes mieux que je l'enlève de force.
CHRÉMÈS
Qu'elle te la rende ! Touche-la seulement, toi le dernier de...
GNATHON
Ah ! que fais-tu? Tais-toi.
THRASON
De quoi te mêles-tu? Je ne toucherai pas une femme qui est mon bien?
CHRÉMÈS
Ton bien, coquin !
GNATHON
Prends garde, je t'en prie : tu ne sais pas quel homme tu insultes.
CHRÉMÈS (à Gnathon)
Tu ne vas pas me laisser tranquille? (A Thrason.) Et toi, sais-tu quel jeu tu joues? Si tu causes ici le moindre 800 esclandre aujourd'hui, je te ferai souvenir toute ta vie
de cette place, de ce jour et de moi.
GNATHON
Je te plains de te faire un ennemi d'un si puissant personnage.
CHRÉMÈS (à Gnathon)
Je te casserai la tête aujourd'hui, tu si ne t'en vas pas.
GNATHON
Vraiment, canaille? Est-ce ainsi que tu le prends?
THRASON
Qui es-tu? Que veux-tu? Quel intérêt prends-tu à cette jeune fille?
CHRÉMÈS
Tu vas le savoir. Pour commencer, je déclare quelle est de condition libre.
THRASON
Hein !
CHRÉMÈS
Citoyenne d'Athènes.
THRASON
Ouais !
CHRÉMÈS
Ma propre sœur.
THRASON
Il a du front.
CHRÉMÈS
Maintenant, soudard, je te défends expressément de lui faire la moindre violence. Thaïs, je vais chercher Sophrona, la nourrice, je la ramène et je lui montrerai les preuves qui sont dans cette cassette.
THRASON
Tu veux m'empêcher de toucher à une fille qui m'appartient?
CHRÉMÈS
Oui, je t'en empêcherai.
GNATHON
Tu l'entends; il se met en flagrant délit de vol. Que te faut-il de plus?
THRASON
Dis-tu comme lui, Thaïs?
THAÏS
Cherche qui te réponde. (Elle sort.)
THRASON
Alors, que faisons-nous?
GNATHON
Rentrons. Tu la verras bientôt venir d'elle-même te supplier.
THRASON
Tu crois?
GNATHON
J'en suis sûr. Je connais l'humeur des femmes. Veux-tu, elles ne veulent pas. Tu ne veux plus, c'est elles qui veulent.
THRASON
C'est bien juger.
GNATHON
Dois-je maintenant licencier les troupes?
THRASON
Si tu veux.
GNATHON
Sanga, il faut, comme il convient à de braves soldats, songer à présent à la maison et à la cuisine.
SANGA
Il y a longtemps que mon esprit est à mes casseroles.
GNATHON
Tu es un brave garçon.
THRASON
Vous suivez-moi par ici.

ACTUS V

THAIS, PYTHIAS 

THAIS
Pergin, scelesta, mecum perplexe loqui?
« Scio, nescio, abiit, audivi, ego non adfui. »
Non tu istuc mihi dictura aperte es quidquid est?
Virgo conscissa veste lacrumans opticet; 820
eunuchus abiit: quam ob rem? aut quid factumst? Taces?
PYTHIAS 
Quid tibi ego dicam misera? Illum eunuchum negant
fuisse. 
THAIS
Quis fuit igitur? 
PYTHIAS 
Iste Chaerea.
THAIS
Qui Chaerea? 
PYTHIAS 
Iste ephebus, frater Phaedriae.
THAIS
Quid ais, venefica? 
PYTHIAS 
Atqui certe comperi. 825
THAIS
Quid is, obsecro, ad nos? Quam ob rem adductust? 
PYTHIAS 
Nescio;
nisi amasse credo Pamphilam. 
THAIS
Hem, misera occidi,
infelix, si quidem tu istaec vera praedicas.
Num id lacrumat virgo? 
PYTHIAS 
Id opinor. 
THAIS
Quid ais, sacrilega?
Istucine interminata sum hinc abiens tibi? 830
PYTHIAS 
Quid facerem? Ita ut tu iusti, soli creditast.
THAIS
Scelesta, ovem lupo commisisti. Dispudet
Sic mihi data esse verba. Quid illuc hominis est?
PYTHIAS 
Era mea, tace tace obsecro, salvae sumus:
habemus hominem ipsum. 
THAIS
Ubi is est? 
PYTHIAS 
Em ad sinist<e>ram. 835
Viden? 
THAIS
Video. 
PYTHIAS 
Conprendi iube, quantum potest.
THAIS
Quid illo faciemus stulta? 
PYTHIAS 
Quid facias, rogas?
Vide, amabo, si non, quom aspicias, os inpudens
videtur! Non est? Tum quae eius confidentiast! 

ACTE V SCÈNE I

THAÏS, PYTHIAS

THAÏS
En finiras-tu, coquine, avec tes explications entortillées? « Je sais... je ne sais pas... il est parti... on m'a dit... je n'étais pas là. » Te décideras-tu à me dire clairement ce qui en est? La jeune fille a ses habits déchirés, elle pleure et garde un silence obstiné. L'eunuque a disparu. Pourquoi? Que s'est-il passé? Parle donc.
PYTHIAS
Hélas! que veux-tu que je te dise? Il paraît que ce n'était pas un eunuque.
THAÏS
Qui était-ce donc?
PYTHIAS
Ce maudit Chéréa.
THAÏS
Qui, Chéréa?
PYTHIAS
Ce maudit jeune homme, frère de Phédria.
THAÏS
Que dis-tu, empoisonneuse?
PYTHIAS
Et j'en ai acquis la preuve certaine.
THAÏS
Pourquoi, je te le demande, est-il venu chez nous? Pourquoi l'y a-t-on amené?
PYTHIAS
Je ne sais pas; je crois seulement qu'il était amoureux de Pamphila.
THAÏS
Hélas! c'est pour moi un coup mortel, et je suis bien malheureuse si ce que tu dis est vrai. N'est-ce pas pour cela que la fillette pleure?
PYTHIAS
Je le suppose.
THAÏS
Que dis-tu, misérable? Est-ce là l'ordre sévère que je t'avais donné en sortant?
PYTHIAS
Que pouvais-je faire? Je l'ai suivi, ton ordre : je ne l'ai confiée qu'à lui seul.
THAÏS
Coquine ! tu as confié la brebis au loup. Je meurs de honte d'avoir été jouée de la sorte. Quelle espèce d'homme est-ce là?
PYTHIAS
Chut ! maîtresse, ne dis mot, je te prie. Nous sommes sauvées. Nous tenons notre homme.
THAÏS
Où est-il?
PYTHIAS
Mais là, à ta gauche. Ne le vois-tu pas?
THAÏS
Si, je le vois.
PYTHIAS
Fais-le saisir au plus vite.
THAÏS
Et qu'en ferons-nous, sotte que tu es?
PYTHIAS
Ce que tu en feras? Belle demande ! Vois, de grâce, s'il n'a pas, quand on le regarde, l'air d'un effronté. N'est-ce pas vrai? Et puis quelle assurance !

V, ii

CHAEREA, THAIS, PYTHIAS 

CHAEREA
Apud Antiphonem uterque, mater et pater, 840
quasi dedita opera domi erant, ut nullo modo
intro ire possem quin viderent me. Interim
dum ante ostium sto, notus mihi quidam obviam
venit. Ubi vidi, ego me in pedes quantum queo,
in angiportum quoddam desertum, inde item 845
in aliud, inde in aliud: ita miserrimus
fui fugitando, ne quis me cognosceret.
Sed estne haec Thais, quam video? Ipsast. Haereo
quid faciam. Quid mea autem? Quid faciet mihi?
THAIS
Adeamus. Bone vir Dore, salve: dic mihi, 850
aufugistin? 
CHAEREA
Era, factum. 
THAIS
Satine id tibi placet?
CHAEREA
Non. 
THAIS
Credin te inpune habiturum? 
CHAEREA
Unam hanc noxiam
amitte: si aliam admisero umquam, occidito.
THAIS
Num meam saevitiam veritus es? 
CHAEREA
Non. 
THAIS
Quid igitur?
CHAEREA
Hanc metui, ne me criminaretur tibi. 855
THAIS
Quid feceras? 
CHAEREA
Paullum quiddam. 
PYTHIAS 
Eho
« paullum », inpudens?
An paullum hoc esse tibi videtur, virginem
vitiare civem? 
CHAEREA
Conservam esse credidi.
PYTHIAS 
Conservam! vix me contineo quin involem in
capillum, monstrum: etiam ultro derisum advenit. 860
THAIS
Abin hinc, insana? 
PYTHIAS 
Quid ita? Vero debeam,
credo, isti quicquam furcifero si id fecerim;
praesertim quom se servom fateatur tuom.
THAIS
Missa haec faciamus. Non te dignum, Chaerea,
fecisti; nam si ego digna hac contumelia 865
sum maxume, at tu indignus qui faceres tamen.
Neque edepol quid nunc consili capiam scio
de virgine istac: ita conturbasti mihi
rationes omnis ut eam non possim suis,
ita ut aequom fuerat atque ut studui tradere, 870
ut solidum parerem hoc mi beneficium, Chaerea.
CHAEREA
At nunc dehinc spero aeternam inter nos gratiam
fore, Thais. Saepe ex huiusmodi re quapiam et
malo principio magna familiaritas
conflatast. Quid si hoc quispiam voluit deus? 875
THAIS
Equidem pol in eam partem accipioque et volo.
CHAEREA
Immo ita, quaeso. Unum hoc scito, contumeliae
Me non fecisse causa, sed amoris. 
THAIS
Scio,
et pol propterea mage nunc ignosco tibi.
Non adeo inhumano ingenio sum, Chaerea, 880
neque ita inperita ut quid amor valeat nesciam.
CHAEREA
Te quoque iam, Thais, ita me di bene ament, amo.
PYTHIAS 
Tum pol tibi ab istoc, era, cavendum intellego.
CHAEREA
non ausim. 
PYTHIAS 
Nil tibi quicquam credo. 
THAIS
Desinas.
CHAEREA
Nunc ego te in hac re mi oro ut adiutrix sies, 885
ego me tuae commendo et committo fide[i],
te mihi patronam capio, Thais, te obsecro:
emoriar si non hanc uxorem duxero.
THAIS
Tmen si pater... ? 
CHAEREA
Ah ! volet, certo scio,
civis modo haec sit. 
THAIS
Paullulum opperirier 890
si vis, iam frater ipse hic aderit virginis;
nutricem accersitum iit quae illam aluit parvolam
in cognoscendo tute ipse aderis, Chaerea.
CHAEREA
Ego vero maneo. 
THAIS
Vin interea, dum venit,
domi opperiamur potius quam hic ante ostium? 895
CHAEREA
Immo percupio. 
PYTHIAS 
Quam tu rem actura obsecro es?
THAIS
Nam quid ita? 
PYTHIAS 
Rogitas? Hunc tu in aedis cogitas
recipere posthac? 
THAIS
Quor non? 
PYTHIAS 
Crede hoc m<eae> fide[i],
dabit hic pugnam aliquam denuo. 
THAIS
Au tace obsecro.
PYTHIAS 
Parum perspexisse eius videre audaciam. 900
CHAEREA
Non faciam, Pythias. 
PYTHIAS 
Non credo, Chaerea,
nisi si commissum non erit. 
CHAEREA
Quin, Pythias,
tu me servato. 
PYTHIAS 
Neque pol servandum tibi
quicquam dare ausim neque te servare. Apage te.
THAIS
Adest optume ipse frater. 
CHAEREA
Perii hercle ! Obsecro 905
abeamus intro, Thais: nolo me in via
cum hac veste videat. 
THAIS
Quam ob rem tandem? An quia pudet?
CHAEREA
Id ipsum. 
PYTHIAS 
Id ipsum? Virgo vero! 
THAIS
I prae, sequor.
Tu istic mane ut Chremem intro ducas, Pythias. 

SCÈNE II 

CHÉRÉA, THAÏS, PYTHIAS

CHÉRÉA (à part).
Quand nous sommes arrivés chez Antiphon, son père et sa mère étaient tous les deux au logis, comme s'ils s'étaient donné le mot. Dès lors, pas moyen d'entrer sans être vu d'eux. Comme j'étais là devant leur porte, je vois venir vers moi quelqu'un de ma connaissance. Aussitôt je détale à toutes jambes et je me jette dans une ruelle déserte, puis dans une autre, et dans une autre encore. J'étais le plus malheureux des hommes, fuyant toujours pour n'être pas reconnu. Mais n'est-ce pas Thaïs que je vois ici? C'est elle-même. Je me demande ce que je vais faire. Après tout, que m'importe? Que peut-elle me faire?
THAÏS
Abordons-le. (Feignant de le prendre pour le véritable eunuque.) Bonjour, Dorus, l'homme de bien. Dis-moi. tu as donc pris la fuite?
CHÉRÉA
Oui, maîtresse, je l'avoue.
THAÏS
Es-tu content de ce que tu as fait?
CHÉRÉA
Non.
THAÏS
Penses-tu en être quitte sans punition?
CHÉRÉA
Pardonne-moi cette première faute. Si j'en commets jamais une autre, tue-moi.
THAÏS
Craignais-tu par hasard ma sévérité?
CHÉRÉA
Non.
THAÏS
Que craignais-tu donc?
CHÉRÉA
Que cette femme ne m'accusât auprès de toi.
THAÏS
Qu'avais-tu fait?
CHÉRÉA
Une bagatelle.
PYTHIAS
Oh ! une bagatelle ! l'impudent ! C'est pour toi une bagatelle de violer une citoyenne?
CHÉRÉA
Je la croyais esclave comme moi.
PYTHIAS
Esclave comme toi ! je ne sais qui me retient de te sauter aux cheveux, monstre. Et il vient encore braver les gens et se moquer d'eux !
THAÏS
Tu es folle : laisse-nous tranquilles.
PYTHIAS
Pourquoi donc? Je serais encore en reste, je pense, avec ce pendard, si je faisais comme je dis, surtout quand il se reconnaît ton esclave.
THAÏS
Laissons cela. Tu as agi, Chéréa, d'une manière indigne de toi. Admettons que je mérite amplement cet affront, en tout cas ce n'était pas à toi de me le faire. En vérité, je ne sais quel parti prendre à l'égard de cette jeune fille. Tu as si bien déconcerté tous mes plans que je ne peux plus la rendre à sa famille, comme je le devais et comme je le désirais, afin de me l'attacher par un bienfait complet.
CHÉRÉA
Eh bien ! j'espère que désormais il y aura entre nous (36), Thaïs, une éternelle amitié. Souvent une aventure de ce genre, en dépit d'un mauvais début, a formé les liens d'une étroite intimité. Et qui sait si quelque dieu ne s'en est pas mêlé?
THAÏS
Par Pollux ! c'est bien ainsi que je le prends et que je le désire.
CHÉRÉA
Oui, prends-le ainsi, je t'en prie. Sois sûre d'une chose, c'est que je ne l'ai pas fait pour t'outrager, mais par amour.
THAÏS
Je le sais, et c'est pour cela, par Pollux, que je te pardonne plus facilement. Je n'ai pas le coeur dur, Chéréa, et je ne suis pas novice au point d'ignorer le pouvoir de l'amour.
CHÉRÉA
Toi aussi, Thaïs, je t'aime à présent, les dieux m'en sont témoins.
PYTHIAS
Alors, par Pollux, prends garde à lui, maîtresse, crois-moi.
CHÉRÉA
Je n'oserais pas.
PYTHIAS
Je n'ai pas en toi la moindre confiance.
THAÏS
En voilà assez.
CHÉRÉA
Maintenant sois mon auxiliaire en cette affaire, je t'en prie. Je me recommande à toi et m'en remets à ta discrétion. Prends ma cause en main, Thaïs, je t'en conjure. J'en mourrai, si je ne l'épouse.
THAÏS
Pourtant si ton père...
CHÉRÉA
Ah! il consentira, j'en suis sûr, pourvu qu'elle soit citoyenne.
THAÏS
Si tu veux attendre quelques instants, le frère de la jeune fille va venir ici. Il est allé chercher la nourrice qui a allaité l'enfant, quant elle était au berceau. Tu assisteras toi-même à la reconnaissance, Chéréa.
CHÉRÉA
Oui, je reste.
THAÏS
Veux-tu que nous allions l'attendre au logis plutôt  qu'ici devant la porte?
CHÉRÉA
Si je le veux! Oui, certes.
PYTHIAS
Que vas-tu faire là, je te prie?
THAÏS
Que veux-tu donc dire?
PYTHIAS
Tu le demandes? Tu songes à le recevoir dans ta maison après ce qu'il a fait?
THAÏS
Pourquoi non?
PYTHIAS
Crois-m'en sur ma parole : il y fera quelque nouvelle algarade.
THAÏS
Ah! tais-toi, je t'en prie.
PYTHIAS
On voit que tu connais mal son audace.
CHÉRÉA
Je ne ferai rien, Pythias.
PYTHIAS
Par Pollux, je ne te crois pas, Chéréa, à moins qu'on ne te confie rien.
CHÉRÉA
Eh bien ! Pythias, charge-toi de me garder.
PYTHIAS
Non, par Pollux; je n'oserais ni te donner quoi que ce soit à garder, ni te garder toi-même. Va te promener.
THAÏS
Voici très à propos le frère en personne.  
CHÉRÉA
Je suis perdu, par Hercule. De grâce, Thaïs, entrons chez toi. Je ne veux pas qu'il me voie dans la rue avec cet accoutrement.
THAÏS
Pourquoi donc? Est-ce que tu es honteux?
CHÉRÉA
Justement.
PYTHIAS
Justement? Oh ! la jeune pucelle !
THAÏS
Entre le premier, je te suis. Toi, Pythias, reste là pour introduire Chrémès.

V, iii

PYTHIAS, CHREMES, SOPHRONA 

PYTHIAS 
Quid, quid venire in mentem nunc possit mihi, 910
quidnam qui referam sacrilego illi gratiam,
qui hunc suppos<i>vit nobis? 
CHREMES 
Move vero ocius
te, nutrix. 
SOPHRONA
Moveo. 
CHREMES 
Video, sed nil promoves.
PYTHIAS 
Iamne ostendisti signa nutrici? 
CHREMES 
Omnia.
PYTHIAS 
Amabo, quid ait? cognoscitne? 
CHREMES 
Ac memoriter. 915
PYTHIAS 
Probe edepol narras; nam illi faveo virgini.
ite intro: iamdudum era vos exspectat domi.-
Virum bonum eccum Parmenonem incedere
video: vide ut otiosus it, si dis placet,
spero me habere qui hunc meo excruciem modo. 920
Ibo intro de cognitione ut certum sciam:
post exibo, atque hunc perterrebo sacrilegum. 

SCÈNE III 

PYTHIAS, CHRÉMÈS, SOPHRONA

PYTHIAS
Qu'est-ce que je pourrais bien imaginer, voyons, quoi, quel moyen de payer de retour le scélérat qui nous a amené ce faux eunuque?
CHRÉMÈS
Remue-toi donc un peu plus vite, nourrice.
SOPHRONA
Je me remue.
CHRÉMÈS
Je le vois; mais tu n'avances pas du tout.
PYTHIAS
As-tu déjà montré les preuves à la nourrice?
CHRÉMÈS
Toutes.
PYTHIAS
S'il te plaît, que dit-elle? Les reconnaît-elle?
CHRÉMÈS
Oui, sans hésitation.
PYTHIAS
Ce que tu dis-là, par Pollux! me fait plaisir; car je m'intéresse à la fillette. Entrez : voilà un moment que ma maîtresse vous attend au logis. — Mais j'aperçois notre homme de bien, Parménon, qui s'en vient par ici. Ah ! dieux ! voyez avec quel flegme il s'avance. J'espère lui donner de la tablature par un tour de ma façon. Mais rentrons pour avoir des nouvelles sûres de la reconnaissance; après quoi, je ressortirai pour faire une bonne peur au scélérat.

V, iv

PARMENO, PYTHIAS

PARMENO 
Reviso quidnam Chaerea hic rerum gerat.
Quod si astu rem tractavit, di vostram fidem,
quantam et quam veram laudem capiet Parmeno! 925
Nam ut mittam quod ei amorem difficillimum et
carissimum, a meretrice avara virginem
quam amabat, eam confeci sine molestia,
sine sumptu et sine dispendio: tum hoc alterum,
id verost quod ego mi puto palmarium, 930
me repperisse quo modo adulescentulus
meretricum ingenia et mores posset noscere,
mature, ut quom cognorit perpetuo oderit.
Quae dum foris sunt nil videtur mundius,
nec mage compositum quicquam nec magis elegans; 935
quae, cum amatore quom cenant, ligurriunt.
Harum videre inluviem, sordes, inopiam,
quam inhonestae solae sint domi atque avidae cibi,
quo pacto ex iure hesterno panem atrum vorent,
nosse omnia haec salus est adulescentulis. 940
PYTHIAS 
Ego pol te pro istis dictis et factis, scelus,
ulciscar, ut ne inpune in nos inluseris.
Pro deum fidem, facinus foedum! O infelicem adulescentulum!
O scelestum Parmenonem, qui istum huc adduxit! 
PARMENO 
Quid est?
PYTHIAS 
Miseret me: itaque ut ne viderem, misera huc ecfugi foras. 945
Quae futura exempla dicunt in illum indigna! 
PARMENO 
O Iuppiter
quae illaec turbast? Num nam ego perii? Adibo. Quid istuc, Pythias?
Quid ais? In quem exempla fient? 
PYTHIAS 
Rogitas, audacissime?
Perdidisti istum quem adduxti pro eunucho adulescentulum,
dum studes dare verba nobis. 
PARMENO 
Quid ita? Aut quid factumst? Cedo. 950
PYTHIAS 
Dicam: virginem istam, Thaidi hodie quae dono datast,
scis eam hinc civem esse? et fratrem eius esse adprime nobilem?
PARMENO 
Nescio. 
PYTHIAS 
Atqui sic inventast: eam istic vitiavit miser.
Ille ubi id rescivit factum frater violentissimus
PARMENO 
Quidnam fecit? 
PYTHIAS 
Conligavit primum eum miseris modis. 955
PARMENO 
Conligavit ?
PYTHIAS 
Atque quidem orante ut ne id faceret Thaide.
PARMENO 
Quid ais? 
PYTHIAS 
Nunc minatur porro sese id quod moechis solet:
quod ego numquam vidi fieri neque velim. 
PARMENO 
Qua audacia
tantum facinus audet? 
PYTHIAS 
Quid ita
« tantum »
PARMENO 
An non tibi hoc maxumumst?
Quis homo pro moecho umquam vidit in domo meretricia 960
prendi quemquam? 
PYTHIAS 
Nescio. 
PARMENO 
At ne hoc nesciatis, Pythias:
dico edico vobis nostrum esse illum erilem filium. 
PYTHIAS 
Hem,
obsecro, an is est? 
PARMENO 
Nequam in illum Thais vim fieri sinat!
Atque adeo autem quor non egomet intro eo? 
PYTHIAS 
Vide, Parmeno,
quid agas, ne neque illi prosis, et tu pereas; nam hoc putant 965
quidquid factumst ex te esse ortum. 
PARMENO 
Quid igitur faciam miser?
Quidve incipiam? Ecce autem video rure redeuntem senem.
Dicam huic an non <dicam> ? Dicam hercle, etsi mihi magnum malum
scio paratum; sed necessest huic ut subveniat. 
PYTHIAS 
Sapis.
Ego abeo intro: tu isti narra omne[m] ordine[m] ut factum siet. 970 

SCÈNE IV

PARMÉNON, PYTHIAS

PARMÉNON
Je reviens voir où en sont ici les affaires de Chéréa. S'il a conduit sa barque avec adresse, juste ciel, quel honneur, quelle gloire véritable pour Parménon ! Ne parlons pas de cet amour si difficile et si coûteux, de cette fille qu'il aimait chez une courtisane avare, et que je lui ai procurée sans ennuis, sans frais ni dépenses. Mais j'ai un autre titre de gloire, et celui-là, à mon avis, mérite la palme, c'est que j'ai trouvé le moyen de faire connaître au jeune homme le caractère et les habitudes des courtisanes, afin que, les connaissant de bonne heure, il les prenne en dégoût pour toujours. Quand elles sent dehors, rien de plus propre, de mieux tenu, de plus élégant; lorsqu'elles dînent avec un amoureux, elles font la petite bouche. Mais il faut voir comme elles sont malpropres, crasseuses, misérables, comme elles sont débraillées et affamées, lorsqu'elles sont seules à la maison, comme elles dévorent un pain noir trempé dans du bouillon de la veille. Connaître tout cela, c'est la sauvegarde des jeunes gens.
PYTHIAS
Par Pollux ! tu nie payeras, coquin, ce que tu viens de dire et ce que tu as fait : tu ne nous auras pas jouées impunément (37). (Haut et feignant de ne pas voir Parménon.) Juste ciel ! Quelle chose affreuse ! O le malheureux garçon ! Scélérat de Parménon qui l'a conduit ici !
PARMÉNON (à part).
Qu'y a-t-il?
PYTHIAS
Il me fait pitié, et pour ne pas voir, malheureuse, je me suis sauvée dehors. Quel exemple horrible ils vont, disent-ils, faire sur ce garçon !
PARMÉNON
O Jupiter ! Quel désordre est-ce là? En est-ce fait de moi? Il faut que je l'aborde. Qu'y a-t-il, Pythias? Que dis-tu? Sur qui va-t-on faire un exemple?
PYTHIAS
Tu le demandes, effronté coquin? Ce jeune homme que tu as amené pour un eunuque, tu l'as perdu en voulant nous tromper,
PARMÉNON
Que veux-tu dire? Qu'est-il arrivé? Parle.
PYTHIAS
Voici : cette jeune fille dont on a fait aujourd'hui présent à Thaïs, sais-tu qu'elle est citoyenne d'ici et que son frère appartient à la plus haute noblesse?
PARMÉNON
Non, je n'en sais rien.
PYTHIAS
Eh bien, elle vient d'être reconnue pour telle. C'est elle que ce misérable a violée. Quand son frère l'a su, comme il est très violent...
PARMÉNON
Qu'a-t-il fait?
PYTHIAS
D'abord il l'a garrotté atrocement.
PARMÉNON.
Il l'a garrotté?
PYTHIAS
Oui, malgré Thaïs, qui le priait de n'en rien faire.
PARMÉNON
Que dis-tu là?
PYTHIAS
A présent il menace de lui faire ce qu'on fait d'ordinaire aux adultères (38), chose que je n'ai jamais vue et n'ai pas envie de voir.
PARMÉNON
Quelle audace de se porter à un si horrible attentat !
PYTHIAS
Qu'y a-t-il là de si horrible?
PARMÉNON
N'est-ce pas monstrueux? A-t-on jamais vu saisir quelqu'un comme adultère dans la maison d'une courtisane?
PYTHIAS
C'est ce que j'ignore.
PARMÉNON
Eh bien ! pour que vous n'en ignoriez, Pythias, je vous dis et je vous déclare que ce jeune homme est le fils de mon maître.
PYTHIAS
Hein ! vraiment?
PARMÉNON
Que Thaïs ne permette pas qu'on lui fasse aucune violence ! Et au fait, pourquoi n'entré-je pas moi-même?
PYTHIAS
Prends garde, Parménon, à ce que tu vas faire. Tu pourrais bien ne lui servir de rien et te perdre toi-même; car on est convaincu que tout ce qui est arrivé est ton ouvrage.
PARMÉNON
Que dois-je donc faire, malheureux? Quel parti prendre? Mais j'aperçois notre vieux maître qui revient de la campagne. Lui dirai-je? ne lui dirai-je pas? Oui, je lui dirai tout, bien que j'aie en perspective une verte correction. Mais il faut absolument qu'il vienne au secours de son fils.
PYTHIAS
C'est penser sagement. Moi, je rentre. Toi, conte-lui toute l'affaire, exactement comme elle s'est passée.

V, v

SENEX (DEMEA su LACHES), PARMENO

LACHES 
Ex meo propinquo rure hoc capio commodi:
neque agri neque urbis odium me umquam percipit.
Ubi satias coepit fieri, commuto locum.
Sed estne ille noster Parmeno? et certe ipsus est.
Quem praestolare, Parmeno, hic ante ostium? 975
PARMENO 
Quis homost? Ehem, salvom te advenire, ere, gaudeo.
LACHES 
Quem praestolare? 
PARMENO 
Prii: lingua haeret metu. 
LACHES 
Hem,
quid est? quid trepidas? Satine salve? Dic mihi.
PARMENO 
Ere, primum te arbitrari id, quod res est, velim
quidquid huius factumst, culpa non factumst mea. 980
LACHES 
Quid? 
PARMENO 
Recte sane interrogasti: oportuit
rem praenarrasse me. Emit quendam Phaedria
eunuchum, quem dono huic daret. 
LACHES 
Quoi? 
PARMENO 
Thaidi.
LACHES 
Emit? Perii hercle. Quanti? 
PARMENO 
Viginti minis.
LACHES 
Actumst. 
PARMENO
Tum quandam fidicinam amat hic Chaerea. 985
LACHES 
Hem, quid? Amat? An scit ill' iam quid meretrix siet?
An in astu venit? Aliud ex alio malum!
PARMENO 
Ere, ne me spectes: me inpulsore haec non facit.
LACHES 
Omitte de te dicere. Ego te, furcifer,
si vivo... ! Sed istuc, quidquid est, primum expedi. 990
PARMENO 
Is pro illo eunucho ad Thaidem hanc deductus est.
LACHES 
Pro eunuchon? 
PARMENO 
Sic est. Hunc pro moecho postea
conprendere intus et constrinxere. 
LACHES 
Occidi.
PARMENO 
Audaciam meretricum specta. 
LACHES 
Num quid est
aliud mali damnive quod non dixeris 995
relicuom? 
PARMENO 
Tantumst. 
LACHES 
Cesso huc intro rumpere?-
PARMENO 
non dubiumst quin mi magnum ex hac re sit malum;
nisi, quia necessus fuit hoc facere, id gaudeo
propter me hisce aliquid esse eventurum mali.
Nam iamdiu aliquam causam quaerebat senex 1000
quam ob rem insigne aliquid faceret is: nunc repperit. 

SCÈNE V

LACHÈS, PARMÉNON

LACHÈS
Ce qu'il y a d'avantageux dans la proximité de ma campagne, c'est que je ne m'ennuie jamais ni aux champs ni à la ville. Dès que la satiété me prend, je change de place. Mais n'est-ce pas là notre Parménon? Oui, c'est lui. Qui attends-tu ici devant cette porte, Parménon?
PARMÉNON
Qui est là? Ah ! Te voilà revenu en bonne santé : j'ensuis ravi.
LACHÈS
Qui attends-tu?
PARMÉNON
Je suis mort. La peur m'enchaîne la langue.
LACHÈS
Eh bien ! qu'y a-t-il? Qu'as-tu à trembler? Tout va-t-il bien? Réponds-moi.
PARMÉNON
D'abord, maître, je te prie d'être bien convaincu d'une chose qui est la vérité même, c'est que dans tout ce qui est arrivé il n'y a pas de ma faute. 
LACHÉS
Qu'y a-t-il?
PARMÉNON
Tu as bien raison de me le demander. J'aurais dû commencer par te le dire. Phédria a acheté un eunuque pour en faire cadeau à cette femme.
LACHÈS
A quelle femme?
PARMÉNON
A Thaïs.
LACHÈS
Il a acheté un eunuque? Je suis perdu. A quel prix?
PARMÉNON
Vingt mines.
LACHÈS
C'est fait de moi.
PARMÉNON
De son côté Chéréa est amoureux d'une joueuse de cithare de cette maison.
LACHÈS
Hein ! quoi? lui amoureux ! Sait-il déjà, celui-là, ce que c'est qu'une courtisane? Est-ce qu'il est venu en ville? Malheur sur malheur !
PARMÉNON
Maître, ne me regarde pas : ce n'est pas moi qui l'aiconseillé.
LACHÈS
Ne me parle pas de toi. Je me charge, pendard, si les dieux me prêtent vie, de te... Mais achève d'abord tout ce que tu as à me dire.
PARMÉNON
Il s'est fait conduire chez Thaïs à la place de l'eunuque.
LACHÈS
A la place de l'eunuque?
PARMÉNON
Oui, et quand il a été là-dedans, on l'a saisi comme adultère, et garrotté.
LACHÈS
Je suis assassiné !
PARMÉNON
Vois où va l'audace de ces drôlesses.
LACHÈS
As-tu encore quelque autre malheur ou dommage à m'apprendre?
PARMÉNON
C'est tout.
LACHÈS
Qu'est-ce que j'attends pour me précipiter là dedans?
PARMÉNON
Il n'est pas douteux que cette aventure ne me vaille une verte correction. Mais puisqu'il a fallu en venir là, je suis content d'une chose, c'est que grâce à moi il arrivera malheur à ces coquines. Il y a déjà longtemps que le bonhomme cherchait un prétexte pour leur donner une bonne leçon : le voilà trouvé.

V, vi

PYTHIAS, PARMENO 

PYTHIAS 
Numquam edepol quicquam iamdiu quod mage vellem evenire
mi evenit quam quod modo senex intro ad nos venit errans.
Mihi solae ridiculo fuit quae quid timeret scibam.
PARMENO 
Quid hoc autemst? 
PYTHIAS 
Nunc id prodeo ut conveniam Parmenonem. 1005
Sed ubi, obsecro, est? 
PARMENO 
Me quaerit haec. 
PYTHIAS 
Atque eccum video: adibo.
PARMENO 
Quid est, inepta? quid tibi vis? quid rides? pergin? 
PYTHIAS 
Perii:
defessa iam sum misera te ridendo. 
PARMENO 
Quid ita? 
PYTHIAS 
Rogitas?
Numquam pol hominem stultiorem vidi nec videbo. Ah,
non possum satis narrare quos ludos praebueris intus. 1010
At etiam primo callidum et disertum credidi hominem.
quid? ilicone credere ea quae dixi oportuit te?
An paenitebat flagiti, te auctore, quod fecisset
adulescens, ni miserum insuper etiam patri indicares?
Nam quid illi credis animi tum fuisse, ubi vestem vidit 1015
illam esse eum indutum pater? Quid est? Iam scis te perisse?
PARMENO 
Ehem, quid dixti, pessuma? an mentita es? Etiam rides?
Itan lepidum tibi visumst, scelus, nos inridere? 
PYTHIAS 
Nimium.
PARMENO 
Siquidem istuc inpune habueris. 
PYTHIAS 
Verum? 
PARMENO 
Reddam hercle. 
PYTHIAS 
Credo,
sed in diem istuc, Parmeno, est fortasse quod minare. 1020
Tu iam pendebi'squi stultum adulescentulum nobilitas
flagitiis et eundem indicas: uterque in te exempla edent.
PARMENO 
Nullus sum. 
PYTHIAS 
Hic pro illo munere tibi honos est habitus: abeo.
PARMENO 
Egomet meo indicio miser quasi sorex hodie perii. 

SCÈNE VI

PYTHIAS, PARMÉNON

PYTHIAS
Par Pollux ! depuis longtemps il ne m'est rien arrivé qui m'ait causé plus de plaisir que la venue du bonhomme entrant chez nous avec sa frayeur imaginaire. J'étais seule à rire, parce que je savais la cause de ses alarmes.
PARMÉNON
Qu'est-ce encore que ceci?
PYTHIAS
A présent je sors pour aller trouver Parménon. Mais où est-il, je vous prie?
PARMÉNON
C'est moi qu'elle cherche.
PYTHIAS
Ah! le voilà. Abordons-le.
PARMÉNON
Qu'y a-t-il, pécore? Que veux-tu? De quoi ris-tu? En finiras-tu?
PYTHIAS
J'en mourrai. Tu vois une pauvre femme qui n'en peut plus de rire à tes dépens.
PARMÉNON
Et pourquoi?
PYTHIAS
Tu le demandes? Non, par Pollux, je n'ai jamais vu et ne verrai de ma vie quelqu'un de plus sot que toi. Ah! je ne saurais dire le divertissement que tu nous as donné là-dedans. Et moi qui avais d'abord poussé la candeur jusqu'à te croire aussi habile homme que beau parleur ! Hé, quoi ! Devais-tu croire d'emblée ce que je disais? N'était-ce pas assez du scandale que tu avais fait faire au jeune homme, sans aller par-dessus le marché le dénoncer à son père? En quelle disposition d'esprit crois-tu qu'il ait été, quand son père l'a surpris revêtu de cet habit? Eh bien ! comprends-tu à cette heure que tu es perdu?
PARMÉNON
Hein ! Qu'as-tu dit, coquine? Tu as donc menti? Tu ris encore? Trouves-tu si plaisant, scélérate, de te moquer de nous?
PYTHIAS
Excessivement plaisant.
PARMÉNON
Oui, pourvu que ton impudence reste impunie.
PYTHIAS
Vraiment?
PARMÉNON
Je te le rendrai, par Hercule!
PYTHIAS
D'accord. Mais c'est pour plus tard sans doute, Parménon, que tu me menaces, tandis que toi, c'est à l'heure même qu'on va te pendre, toi, qui décries ce jeune étourdi par des tours scandaleux et le dénonces ensuite. Le père et le fils vont faire un exemple sur ta personne.
PARMÉNON
Je n'existe plus.
PYTHIAS
Voilà la récompense que tu as gagnée avec ton cadeau. Adieu !
PARMÉNON
Malheureux ! je me suis perdu aujourd'hui en me dénonçant moi-même, comme la souris (39).

V, vii

GNATHO, THRASO

GNATHO 
Quid nunc? Qua spe aut quo consilio huc imus? Quid coeptas, Thraso? 1025
THRASO 
Egone? ut Thaidi me dedam et faciam quod iubeat. 
GNATHO 
Quid est?
THRASO 
Qui minus quam Hercules servivit Omphalae? 
GNATHO 
Exemplum placet.
Utinam tibi conmitigari videam sandalio caput!
Sed fores crepuerunt ab ea. 
THRASO 
Perii: quid hoc autemst mali?
Hunc ego numquam videram etiam: quidnam hic properans prosilit? 1030 

SCÈNE VII 

GNATHON, THRASON

GNATHON
Que faisons-nous à présent? Dans quel espoir, dans quelle intention venons-nous ici? Quel est ton projet, Thrason?
THRASON
Moi? de me rendre à discrétion et de faire ce que Thaïs voudra.
GNATHON
Comment?
THRASON
Pourquoi ne serais-je pas son esclave? Hercule fut bien celui d'Omphale.
GNATHON
L'exemple me plaît. (A part.) Comme j'aimerais te voir amollir la tête à coups de sandales ! (Haut.) Mais la porte a résonné chez Thaïs.
THRASON
Ah ! qu'est-ce encore que ceci? En voilà un que je n'avais pas encore vu. Qu'a-t-il à se précipiter ainsi?

V, viii

CHAEREA, PARMENO, GNATHO, THRASO 

CHAEREA
O populares, ecquis me hodie vivit fortunatior?
Nemo hercle quisquam; nam in me plane di potestatem suam
omnem ostendere, quoi tam subito tot congruerint commoda.
PARMENO 
Quid hic laetus est? 
CHAEREA
OParmeno mi, o mearum voluptatum omnium
inventor, inceptor, perfector, scis me in quibus sim gaudiis? 1035
Scis Pamphilam meam inventam civem? 
PARMENO 
Audivi. 
CHAEREA
Scis sponsam mihi?
PARMENO 
Bene, ita me di ament, factum. 
GNATHO 
Audin tu, hic quid ait? 
CHAEREA
Tum autem Phaedriae
meo fratri gaudeo esse amorem omnem in tranquillo: unast domus.
Thais patri se commendavit, in clientelam et fidem
nobis dedit se. 
PARMENO 
Fratris igitur Thais totast? 
CHAEREA
Scilicet. 1040
PARMENO iam hoc aliud est quod gaudeamus: miles pelletur foras.
CHAEREA
Tu, frater ubi ubi est, fac quam primum haec audiat. 
PARMENO 
Visam domum. -
THRASO 
Num quid, Gnatho, tu dubitas quin ego nunc perpetuo perierim?
GNATHO 
Sine dubio opinor. 
CHAEREA
Quid commemorem primum aut laudem maxume?
Illumne qui mihi dedit consilium ut facerem, an me, qui id ausus sim 1045
incipere, an fortunam conlaudem quae gubernatrix fuit,
quae tot res tantas tam opportune in unum conclusit diem,
an mei patris festivitatem et facilitatem? O Iuppiter,
serva obsecro haec bona nobis!

SCÈNE VIII

CHÉRÉA, PARMÉNON, GNATHON, THRASON

CHÉRÉA
O mes amis, y a-t-il aujourd'hui sur la terre un homme plus heureux que moi? Non, par Hercule, il n'y en a point. Les dieux ont montré sur moi toute l'étendue de leur puissance : en un instant, ils m'ont comblé de biens.
PARMÉNON (à part).
Qu'a-t-il a être si joyeux?
CHÉRÉA
O cher Parménon, toi qui es la cause, l'auteur, l'artisan de toutes mes félicités, sais-tu la joie qui me transporte? Sais-tu que ma Pamphila a été reconnue citoyenne?
PARMÉNON
On me l'a dit.
CHÉRÉA
Sais-tu qu'elle est ma fiancée?
PARMÉNON
Tant mieux, en vérité.
GNATHON (à Thrason).
Entends-tu ce qu'il dit?
CHÉRÉA
De plus, j'ai la joie de voir Phédria, mon frère, tranquille dans ses amours. Nous ne faisons plus qu'une maison. Thaïs s'est confiée à mon père, dont elle devient la cliente et la protégée. Elle s'est donnée à nous.
PARMÉNON
Alors Thaïs est toute à ton frère?
CHÉRÉA
Bien entendu.
PARMÉNON
A ce compte, nous avons un autre sujet de joie : le soldat est mis à la porte.
CHÉRÉA
Maintenant, quelque part que soit mon frère, remue-toi pour le prévenir au plus vite.
PARMÉNON
Je vais voir à la maison. --
THRASON
Eh bien ! Gnathon, doutes-tu que je sois à présent coulé à fond?
GNATHON
Il n'y a pas, je crois, à en douter.
CHÉRÉA
Par où commencer? Qui louer avant tout? ce garçon qui m'a conseillé l'entreprise, ou moi qui ai osé la risquer? ou bien comblerai-je d'éloges la fortune qui a tout conduit et qui en un seul jour a mené à bonne fin tant et de si grandes choses, ou l'amabilité et l'indulgence de mon père? O Jupiter, je t'en conjure, conserve-nous ces biens.

V, ix

PHAEDRIA, CHAEREA, THRASO, GNATHO 

PHAEDRIA 
Di vostram fidem, incredibilia
Parmeno modo quae narravit. Sed ubist frater? 

CHAEREA 
Praesto adest. 1050
PHAEDRIA 
Gaudeo. 

CHAEREA 
Satis credo. Nl est Thaide hac, frater, tua
dignius quod ametur: ita nostrae omnist fautrix familiae. 
PHAEDRIA 
Hui,
mihi illam laudas? 
THRASO 
Perii, quanto minus spei est tanto magis amo.
Obsecro, Gnatho, in te spes est. 
GNATHO 
Quid vis faciam? 
THRASO 
Perfice hoc
precibus, pretio, ut haeream in parte aliqua tandem apud Thaidem. 1055
GNATHO 
Difficilest. 
THRASO 
Si quid conlubitum, novi te. Hoc si feceris,
quodvis donum praemium a me optato: id optatum auferes.
GNATHO 
Itane? 
THRASO 
Sic erit. 
GNATHO 
Si efficio hoc, postulo ut mihi tua domus
te praesente, absente, pateat, invocato ut sit locus
semper. 
THRASO 
Do fidem futurum. 
GNATHO 
Adcingar. 
PHAEDRIA 
Quem ego hic audio? 1060
o Thraso. 
THRASO 
Salvete. 
PHAEDRIA 
Tu fortasse quae facta hic sient
nescis. 
THRASO 
Scio. 
PHAEDRIA 
Quor te ergo in his ego conspicor regionibus?
THRASO 
Vobis fretus... 
PHAEDRIA 
Scin quam fretus? Miles, edico tibi,
si te in platea offendero hac post umquam, quod dicas mihi
« Alium quaerebam, iter hac habui »: periisti. 
GNATHO 
Heia haud sic decet. 1065
PHAEDRIA 
Dictumst. 
THRASO 
Non cognosco vostrum tam superbum.
PHAEDRIA 
Sic ago.
GNATHO 
Prius audite paucis: quod quom dixero, si placuerit,
facitote. 

CHAEREA 
Audiamus. 
GNATHO 
Tu concede paullum istuc, Thraso.
principio ego vos ambos credere hoc mihi vehementer velim,
me huius quidquid facio, id facere maxume causa mea; 1070
verum si idem vobis prodest, vos non facere inscitiast.
PHAEDRIA 
Quid id est? 
GNATHO 
Militem rivalem ego recipiundum censeo. 
PHAEDRIA 
Hem,
recipiundum? 
GNATHO 
Cogita modo: tu hercle cum illa, Phaedria,
ut lubenter vivis (etenim bene lubenter victitas),
quod des paullumst; et necessest multum accipere Thaidem. 1075
Ut tuo amori suppeditare possit sine sumptu tuo ad
omnia haec, magis opportunus nec magis ex usu tuo
nemost. Principio et habet quod det et dat nemo largius.
Fatuos est, insulsus, tardus, stertit noctes et dies:
neque istum metuas ne amet mulier: facile pellas ubi velis. 1080
CHAEREA 
Quid agimus? 
GNATHO 
Praeterea hoc etiam, quod ego vel primum puto,
accipit homo nemo melius prorsus neque prolixius.
CHAEREA 
Mirum ni illoc homine quoquo pacto opust. 
PHAEDRIA 
Idem ego arbitror.
GNATHO 
Recte facitis. Unum etiam hoc vos oro, ut me in vostrum gregem
recipiatis: satis diu hoc iam saxum vorso. 
PHAEDRIA 
Recipimus. 1085
CHAEREA 
Ac lubenter. 
GNATHO 
At ego pro istoc, Phaedria et tu Chaerea,
hunc comedendum vobis propino et deridendum. 

CHAEREA 
Placet.
PHAEDRIA 
Dignus est. 
GNATHO 
Thraso, ubi vis accede. 
THRASO 
Obsecro te, quid agimus?
GNATHO 
Quid? Isti te ignorabant: postquam is mores ostendi tuos
et conlaudavi secundum facta et virtutes tuas, 1090
impetravi. 
THRASO 
Bene fecisti: gratiam habeo maxumam.
Numquam etiam fui usquam quin me omnes amarent plurimum.
GNATHO 
Dixin ego in hoc esse vobis Atticam elegantiam?
PHAEDRIA 
Nil praeter promissum est. Ite hac. 
CANTOR
Vos valete et plaudite!

SCÈNE IX

PHÉDRIA, CHÉRÉA, THRASON, GNATHON

PHÉDRIA
Grands dieux ! j'ai peine à croire ce que vient de me raconter Parménon. Mais où est mon frère?
CHÉRÉA
Devant toi.
PHÉDRIA
Je suis bien content.
CHÉRÉA
Je le crois de reste. Il n'y a pas, mon frère, de créature plus digne d'être aimée que ta chère Thaïs, tellement elle est dévouée à toute notre famille !
PHÉDRIA
Eh ! c'est à moi que tu fais son éloge !
THRASON
Hélas ! moins il me reste d'espérance, plus je l'aime. Je m'adresse à toi, Gnathon; je n'espère plus qu'en toi.
GNATHON
Que veux-tu que je fasse?
THRASON
Obtiens par prière ou par argent que je reste enfin chez Thaïs : je ne demande qu'un petit coin.
GNATHON
C'est difficile.
THRASON
Tu n'as qu'à vouloir, je te connais. Si tu réussis, tu peux me demander n'importe quel présent ou récompense : tu l'obtiendras.
GNATHON
Bien sûr?
THRASON
Oui.
GNATHON
Si je réussis, j'exige que ta maison me soit ouverte en ton absence comme en ta présence et que, sans être invité j'y aie mon couvert en tout temps.
THRASON
Je te donne ma parole qu'il en sera ainsi.
GNATHON
Je vais me mettre à l'oeuvre.
PHÉDRIA
Qui est-ce que j'entends ici? O Thrason...
THRASON
Je vous salue.
PHÉDRIA
Tu ignores peut-être ce qui vient de se passer ici.
THRASON
Je le sais.
PHÉDRIA
Comment se fait-il alors que je t'aperçoive en ce quartier?
THRASON
C'est que je comptais sur vous pour...
PHÉDRIA
Sais-tu comment tu dois y compter? Eh bien! je te déclare, soudard, que si, à partir de ce jour, je te rencontre jamais dans cette rue, tu auras beau dire : « Je cherchais quelqu'un..., j'avais à passer par ici », tu es un homme mort.
GNATHON
Ah ! ce n'est pas ainsi qu'il convient d'en user.
PHÉDRIA
C'est dit.
GNATHON
Je ne vous savais pas d'une humeur si hautaine.
PHÉDRIA
C'est comme cela.
GNATHON
Écoutez d'abord : j'ai quelques mots à dire. Quand vous aurez entendu, vous ferez comme il vous plaira.
CHÉRÉA
Écoutons.
GNATHON
Toi, retire-toi un peu là-bas, Thrason. Pour commencer, il est une chose que je désire vivement vous persuader, c'est que tout ce que j'en fais, je le fais surtout dans mon intérêt. Mais si vous y trouvez aussi votre profit, vous feriez une folie de ne pas en profiter.
PHÉDRIA
De quoi s'agit-il?
GNATHON
Je suis d'avis que vous devez souffrir le soldat pour rival.
PHÉDRIA
Hein ! Que nous le souffrions !
GNATHON
Réfléchis un peu. Toi, par Hercule, Phédria, tu aimes à vivre avec elle, et tu aimes à bien vivre. Or, tu n'as pas grand'chose à lui donner, et Thaïs a besoin de recevoir beaucoup. Pour défrayer tes amours sans qu'il t'en coûte rien et fournir à toutes ces dépenses, il n'est personne qui convienne mieux et fasse mieux ton affaire que Thrason. D'abord, il a de quoi donner, et personne ne donne plus généreusement. Et puis c'est un niais, un sot, un lourdaud qui ronfle nuit et jour, et tu n'as pas à craindre qu'une femme en devienne amoureuse. Enfin, tu le mettras facilement à la porte, quand tu voudras.
CHÉRÉA
Que faisons-nous?
GNATHON
J'ajoute qu'il a encore une qualité que pour ma part je mets au-dessus de toutes les autres : c'est que personne ne reçoit mieux que lui, ni plus grandement.
CHÉRÉA
Il est certain que de toute façon nous avons besoin de cet homme-là.
PHÉDRIA
C'est ce que je crois aussi.
GNATHON
Et vous avez raison. J'ai encore une grâce à vous demander, c'est de me recevoir dans votre compagnie. Voilà assez longtemps que je roule ce rocher.
PHÉDRIA
Nous te recevons.
CHÉRÉA
Et de bon coeur.
GNATHON
Eh bien ! en échange, Phédria et toi, Chéréa, je vous le livre : grugez-le, bernez-le.
CHÉRÉA
Cela nous va.
PHÉDRIA
Il le mérite bien.
GNATHON
Thrason, tu peux approcher, quand tu voudras.
THRASON
Où en sommes-nous, je te prie?
GNATHON
Eh bien ! ces gens-là ne te connaissaient pas. Mais je leur ai dépeint ton caractère, et je t'ai loué selon tes actes et tes mérites, et j'ai tout obtenu.
THRASON
C'est fort bien; je t'en sais un gré infini. Du reste, je n'ai jamais été nulle part sans me faire adorer de tout le monde.
GNATHON
Ne vous ai-je pas dit qu'il a une élégance attique?
PHÉDRIA
Tu n'as rien dit que de vrai. Passez par ici.
LE CHANTEUR
Vous, portez-vous bien et applaudissez.

NOTES SUR L'EUNUQUE

(20Il s'agit de Luscius Lanuvinus, le vieux poète mal intentionné, qui avait déjà reproché à Térence d'avoir gâté l'Andrienne en y mêlant la Périnthienne. Voir le Prologue de l'Andrienne.
(
21) Donat nous a donné l'analyse de cette pièce. Une femme avait eu, avant son mariage, une fille qu'elle faisait élever secrètement dans la maison voisine. Pour la voir sans témoin, elle avait fait percer le mur de sa maison, et fait du passage une chapelle où elle venait souvent sacrifier. Cette femme avait un beau-fils. Un jour il surprit la jeune fille qui venait voir sa mère, et fut si frappé de sa beauté qu'il la prit d'abord pour une divinité; de là le nom de la pièce,
F‹sma ou le Fantôme, ou l'Apparition : il en devint tellement épris qu'il fallut la lui donner en mariage, ce qui combla les voeux de la mère et de la fille.
(
22Voici d'après Donat quel était le sujet du Trésor : un vieil-lard, qui avait un fils prodigue, s'était fait construire un tombeau, en ordonnant que dix ans après sa mort on vint lui apporter un repas funèbre. Son fils, qui avait mangé son patrimoine, avait vendu le champ où se trouvait le monument. La dixième année venue, il envoie son esclave porter le repas funèbre; l'esclave se fait aider, pour ouvrir le tombeau, par le nouveau propriétaire du champ, un vieillard avare. Le tombeau ouvert, on y trouve une lettre et un trésor. Le vieillard s'approprie le trésor, en déclarant qu'il l'y a déposé, pendant la guerre, pour le soustraire au pillage. Conduit devant le juge, le vieillard prend le premier la parole en ces termes : « A quoi bon vous rappeler, Athéniens, la guerre que nous avons eue avec les Rhodiens? » Ici s'arrête l'analyse de Donat; mais le dénouement se devine tout seul. L'original du Thensaurus était sans doute une pièce de Ménandre. Le Trésor de Philémon avait été exploité par Plaute dans le Trinummus. Quant au reproche fait à Luscius d'avoir fait parler le défendeur le premier, c'est à Ménandre que Térence aurait dû l'adresser; mais qu'il s'adresse à l'auteur grec ou à l'auteur latin, il est également injuste; car il n'y aurait pas eu de pièce possible, si le jeune homme avait parlé le premier et fait connaître la lettre où son père déclarait sans doute qu'il avait réservé ce trésor comme une suprême ressource à un fils dont il connaissait la prodigalité.
(23) Si le texte est correct t ces pièces . ne peuvent être que le Colax de Naevius, et le Colax de Plaute, remaniement de celui de Nævius. Il serait plus simple de penser que ce sont « ces deux personnages » du soldat et du parasite qui étaient déjà devenus latins. Il suffirait pour obtenir ce sens de changer avec Ritschl fabulas en ab aliis, correction adoptée par Fabia.
(
24)
Horace s'est souvenu de ce début de l'Eunuque dans la troisième satire du livre II, vers 259-271. Perse reproduit aussi presque littéralement les premiers vers de ce monologue V, 171.
(
25)
La mine valait 100 drachmes, et la drachme 0 fr. 98.
(26)
André Chénier a imité ces vers, Elégie III, fin.
Et puis d'un ton charmant ta lettre me demande
Ce que je veux de toi, ce que je te commande.
Ce que je veux? dis-tu. Je veux que ton retour
Te paraisse bien lent; je veux que nuit et jour
Tu m'aimes (nuit et jour, hélas ! je me tourmente).
Présente au milieu d'eux, sois seule, sois absente;
Dors en pensant à moi; rêve-moi près de toi,
Ne vois que moi sans cesse, et sois toute avec moi.

(27)
Cf. Lucien, Sur ceux qui sont aux gages des grands et le Parasite.
(28
De 18 à 20 ans, les éphèbes servaient à la garde des remparts et des frontières. Il est vrai que Chéréa n'a que seize ans, d'après Pythias. Sans doute Térence l'a rajeuni, pour qu'il pût passer pour un eunuque.
(29)
Fénelon a loué le transport de Chéréa, Lettre à l'Académie, VII.
(30)
Expression proverbiale qui revient à celle-ci : c'est moi qui paierai les pots cassés.
(31)
Pulpamentum désigne un morceau friand. D'après une scolie du Bembinus le mot désigne ici : muliebre corpus.
(32)
Aller voler sur un bûcher ce qu'on brûlait en l'honneur des morts était un des crimes les plus infamants. Plaute applique à un leno l'épithète : bustirape : voleur de bûcher.
(33
Le jeune homme a témoigné son appréhension, en entendant que sa soeur avait été élevée chez une courtisane : c'est cette appréhension que Thaïs calme aussitôt.
(34)
Sanga est chef de cuisine chez Thrason. Or les cuisiniers passaient pour être d'insignes voleurs.
(35)
Pyrrhus ne devint célèbre qu'après la conquête de la Macédoine, deux ans après la mort de Ménandre. Ménandre avait dû citer un autre nom de grand capitaine. Térence y substitua celui de Pyrrhus dont le nom était bien connu à Rome.
(36)
Entre nous, c'est-à-dire entre Thaïs et lui, et non entre la jeune fille et lui, comme on l'a souvent interprété.
(37)
A propos de cette vengeance de Pythias, Mme Dacier a écrit cette note : « La conduite de Térence est merveilleuse, d'avoir fait en sorte que Pythias conserve toujours la même animosité contre Parménon; et que Parménon, par tout ce qu'il dit, l'irrite toujours davantage; car c'est ce qui amène le dénouement. Pythias fait peur à Parménon; cette peur oblige Parménon de tout découvrir au vieillard, et c'est ce qui fait entrer le vieillard chez Thaïs, où la reconnaissance se fait et où il confirme le mariage. Cela est très naturel, et Donat a eu raison d'appeler cette adresse mirum artificium, et de dire : haec ergo artificibus et eruditis, cetera spectatoribus exhibet : Térence propose ces coups aux maîtres de l'art et aux savants; le reste est pour les spectateurs. »
(38)
La loi de Solon permettait l'eviratio, la castration.
(39)
Comme la souris. Donat : Proverbium in eos qui ipsi se produnt, quia sorex non facile caperetur, nisi emitteret vocem noctu : proverbe qui s'applique à ceux qui se trahissent eux-mêmes, parce que la souris ne se prendrait pas facilement si elle ne poussait un cri pendant la nuit.