III. LA DYNASTIE ABBASIDE (partie I - partie II - partie III)
la dynastie abbaside partie II -partie IV
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Muhammad al-Amin, fils d’Haroun er-Rachid et de Zoubaïda, succéda à son père. La mère de ce khalife était Oumm Djafar Zoubaïda, fille de Djafar, fils aîné du khalife Mansour. Parmi les princes de la famille d'Abbas, il fut le seul dont le père et la mère descendissent directement de Hâchim.
Passionné pour le jeu et les plaisirs, entièrement absorbé dans ces divertissements, Amin négligeait le soin de son empire, en vue de satisfaire ses goûts. L'historiographe Ibn al-Athir al-Djazarî[2] a dit : « Nous n'avons trouvé dans la vie de ce khalife aucun acte digne d'être mentionné.[3] » Suivant un autre historien, ce fut un homme éloquent, grand orateur et d’un caractère excessivement généreux.
Un poète composa un poème à sa louange et fit contre son frère Mamoun une allusion satirique :
Amin ne doit point le jour à une mère qui ait connu les vendeurs sur le marché [aux esclaves].
Non certes. Jamais, non plus, il ne fut châtié; jamais il n'a commis de profanation; jamais il n'est tombé dans une vilenie.
Le poète faisait ainsi allusion[4] à Mamoun, car Haroun er-Rachid ayant surpris son fils Mamoun en causerie galante avec une jeune fille, ou en train de boire du vin, mais je n'en suis pas sûr, lui avait infligé la flagellation.
Haroun er-Rachid, en proclamant Amin son successeur immédiat, avait assuré le trône à Mamoun après lui. Des lettres patentes sanctionnant l'investiture furent dressées et souscrites par des témoins. Une copie de ces lettres avait été envoyée dans toutes les provinces et principalement à La Mecque, où elle fut affichée dans le temple de la Ka’abah. Enfin, le souverain s'était appliqué à publier cet acte solennel par tous les moyens possibles.
Quand Haroun mourut à Tous, Mamoun résidait dans le Khorasan, ayant avec lui un certain nombre de grands généraux, et son vizir était Fadl, fils de Sahl ; lors de cet événement, Amin demeurait à Bagdad. Quant à Fadl fils de Rabi', il était à Tous auprès de Haroun er-Rachid, qu'il servait en qualité de vizir. Lorsque mourut ce khalife, Fadl, fils de Rabi', rassembla tout le matériel de l’armée, que Haroun er-Rachid avait légué à Mamoun, et retourna à Bagdad. Arrivé dans cette ville, il fut nommé vizir par Amin, qui, dès lors, donnant libre cours à ses passions, se livra aux jeux, aux divertissements et à la société des libertins. Au contraire, Fadl, fils de Sahl, vizir de Mamoun, conseilla à son maître de montrer de la piété, de la religion et de tenir une conduite honorable. Mamoun affecta donc une conduite irréprochable et se concilia l'esprit des officiers de l'armée et des populations du Khorasan. Chaque fois qu'Amin commettait une faute de tactique, Mamoun exécutait, au contraire, un mouvement offensif.[5] Dès lors, l'inimitié éclata entre les deux frères. Fadl, fils de Rabi', et d'autres [courtisans] persuadèrent à Amin qu'il avait intérêt à dépouiller son frère de son droit d'héritier présomptif du trône et à faire prêter le serment de fidélité à son propre fils Moussa.[6] Le khalife déposa alors Mamoun et fit proclamer son fils Moussa, auquel il donna le surnom honorifique an-Nâtiq bilhaqq.[7] C'est à la suite de cet événement qu'éclata, à Bagdad, entre les deux frères, une guerre, qui se termina par le meurtre d'Amin.
Après la mort de Rachid à Tous, Fadl, fils de Rahî', redouta la colère de Mamoun qu'il avait trahi, en amenant à Amin tout le matériel de l’armée, au mépris du testament verbal, par lequel Haroun er-Rachid, en présence de témoins, le léguait à Mamoun. C'est pourquoi, craignant que Mamoun, en montant sur le trône du khalifat, ne lui rendit le mal pour le mal, il persuada à Amin qu'il avait intérêt à dépouiller son frère de son droit éventuel au trône et à proclamer son propre fils Moussa héritier présomptif. Un grand nombre [de courtisans] furent, à ce sujet, du même avis que Fadl, et Amin fut enclin à les suivre. Il consulta ensuite les hommes les plus éclairés de son entourage, qui cherchèrent à le détourner de son projet, en lui faisant craindre le châtiment immanent qui atteint ceux qui se rendent coupables d'injustice et violent les pactes et les engagements. Ils allèrent jusqu’à lui dire : « Ne donne pas aux officiers de l'armée [par ton exemple] l’audace de violer la foi jurée et de déposer un prince, car ils te déposeront bientôt toi-même. » Mais le khalife n'accorda aucune attention à leurs représentations et suivit l'avis de Fadl, fils de Rabi'. En conséquence, pour tromper Mamoun, il commença par l’inviter à se rendre à Bagdad; mais celui-ci ne se laissa pas tomber dans le piège, et lui répondit par une lettre d'excuses. Les lettres et les messages se succédèrent entre eux, jusqu'à ce que Mamoun, se laissant fléchir, résolut d'abdiquer ses droits au trône et de reconnaître [comme héritier présomptif] son [neveu] Moussa, fils d'Amin. Mais son vizir, Fadl, fils de Sahl, le prit à part, l'encouragea à la résistance et lui garantit le khalifat, en lui disant : « J'en fais mon affaire. » Alors, Mamoun résista aux sollicitations de son frère. De son côté, Fadl, fils de Sahl, se mita travailler pour Mamoun, lui gagna les populations, fortifia les frontières et donna aux affaires une organisation solide. Dès lors, l'inimitié s'accrut entre les deux frères, Amin et Mamoun, les communications furent interrompues entre Bagdad et le Khorasan. les lettres furent ouvertes, et la situation devint grave.
Amin retrancha le nom de son frère de la khotba (sermon du vendredi) et fit emprisonner ses délégués. Mamoun usa de représailles chez lui au Khorasan. Alors leur inimitié s'envenima davantage. Autant Mamoun avait de fermeté et de constance, autant Amin montrait d'indolence, d'impéritie et de négligence.
Voici un des traits les plus frappants de la stupidité et de l'ignorance d'Amin :
Il avait envoyé, pour combattre son frère, un des vieux généraux de son père, nommé 'Ali, fils d'Isa, fils de Mâhân,[8] à la tête de 50.000 hommes. On dit même qu'avant cette époque Bagdad n'avait jamais vu sortir de ses murs une armée plus nombreuse. Après avoir muni ses troupes d'une quantité d'armes et de richesses considérables, il les avait accompagnées jusqu'en dehors des portes de la ville pour leur faire ses adieux. Cette expédition était la première qu'il dirigeait contre son frère. Ali, fils d’'Isa, fils de Mâhân, se mit donc en marche avec ces forces redoutables. C'était un vieillard vénérable, un des piliers du gouvernement et d'un extérieur majestueux.
Il rencontra, sous les murs de Rey, Tahir, fils de Housain, dont l'armée montait à environ 4.000 hommes de cavalerie. Le combat fut acharné et la victoire se décida enfin pour Tahir, Ali, fils d'Isa, périt [dans la mêlée] et sa tête fut portée au vainqueur, qui écrivit à son maître Mamoun une lettre conçue en ces termes (après les compliments d'usage) : « Voici ce que j'écris à l'Emir des Croyants (qu'Allah prolonge son existence !) : La tête d’Ali, fils d’Isa est tombée en mon pouvoir; son anneau est à mon doigt[9] et ses troupes sont sous mes ordres. Salut. » Il fit porter la missive à Mamoun par un courrier, qui parcourut en trois jours un espace de 250 parasanges. Mais lorsque la mort d'Ali, fils d'Isa, parvint à Amin, il s'amusait à pêcher : « Laisse-moi tranquille, dit-il au messager, car mon affranchi Kauthar a déjà pris deux poissons, tandis que moi, jusqu'à cet instant, je n'en ai pas pris un seul. » Ce Kauthar était eunuque et l'un de ses favoris.
La mère d'Amin, Zoubaïda, avait bien plus de sens et de raison que lui.
En effet, 'Ali, fils d'Isa, nommé commandant en chef des forces dirigées contre le Khorasan, s'étant présenté au palais de Zoubaïda pour lui faire ses adieux, elle lui adressa ce discours : « O 'Ali, bien que l'Emir des Croyants soit mon fils et l'unique objet de ma tendresse,[10] les revers et les humiliations qui pourraient atteindre 'Abd Allah (elle désignait ainsi Mamoun; touchent mon cœur et je suis très alarmée par les dangers auxquels il est exposé. Mon fils est roi et il n'y a entre lui et son frère qu'une dispute pour une question de pouvoir. Aussi, respecte en 'Abd Allah les droits que lui donnent sa naissance et sa qualité de frère. Ménage-le dans tes paroles, parce que tu n’es point son égal. Garde-toi de le traiter durement comme un esclave ou de l'humilier en le chargeant de fers et d'entraves. N'éloigne de son service ni femmes, ni esclaves. Quand vous serez en route, il ne faut ni le brusquer, ni marcher à ses côtés, ni te mettre en selle avant lui. Ton devoir est de lui présenter l'étrier lorsqu'il montera à cheval; et, s'il lui arrive de t'adresser des injures, supporte-les avec patience. »
Ayant ainsi parlé, Zoubeïda remit au général une chaîne d'argent, puis elle ajouta : « Dès que ce prince deviendra ton prisonnier, c'est avec cette chaîne que tu l'attacheras. »
'Ali, fils d'Isa, répondit: « Tes ordres seront accomplis. »
Cependant, les habitants de la ville croyaient fermement au triomphe de ce général, tant ils avaient une haute opinion de ses talents et de son armée, tant ils méprisaient les troupes que lui opposait Mamoun. Mais les décrets d'Allah décidèrent le contraire de ce qu'ils croyaient, et l’issue de la bataille fut ce que l’on sait.
Ce règne fut une époque de troubles et de guerres civiles. Housain, fils d’Ali, fils d’Isa, fils de Mahân, un des généraux d'Amin, se révolta contre lui. Après l'avoir détrôné, il le jeta dans les fers et fit proclamer khalife Mamoun. Une partie des troupes suivit son exemple. Mais bientôt un autre groupe se forma dans l'armée, et on y tint le discours suivant : « Si Housain, fils d'Ali, entend gagner la faveur de Mamoun par le service qu'il lui a rendu, eh bien ! nous aussi tâchons de gagner la faveur de notre khalife, Amin, en brisant ses chaînes, en le délivrant et en le replaçant sur le trône. » Alors il y eut entre eux une bataille, dans laquelle les partisans d'Amin, maîtres de la victoire, pénétrèrent dans la prison, d'où ils l'arrachèrent pour le replacer sur le trône du khalifat. Ils eurent ensuite un combat où Housain, vaincu et fait prisonnier, fut amené en présence d'Amin. Le khalife lui adressa d'amers reproches, mais il prêta une oreille favorable à ses paroles de repentir et lui pardonna. Et même il lui fit revêtir une robe d'honneur et lui confia le commandement en chef de l'armée. Mais à peine ce général, chargé de combattre Mamoun, fut-il sorti de la ville, qu'il prit la fuite. Amin détacha à sa poursuite la troupe qui l'atteignit et le massacra. Sa tête fut apportée au khalife.[11]
Cependant, les hostilités ne cessaient de croître et le désaccord d'augmenter chaque jour, lorsque Mamoun envoya Harthama[12] et Tahir, fils de Housain, deux de ses meilleurs généraux, à la tête d'une armée nombreuse pour assiéger Bagdad et présenter la bataille à Amin.
Pendant plusieurs jours, la capitale de l'empire fut bloquée, et les généraux, à la tête de leurs troupes, combattirent avec acharnement. Enfin, les deux armées adverses se livrèrent de nombreux combats, dont le dernier laissa la victoire aux soldats de Mamoun. Amin fut tué et sa tête fut portée à son frère Mamoun dans la province du Khorasan. Cet événement eut lieu en l'an 198 (813 de J.-C.).[13] Quant à l’histoire du vizirat sous le règne de ce prince, [elle est bien courte]. Le seul ministre qu'il ait eu fut Fadl, fils de Rabi', autrefois vizir de son père [Haroun er-Rachid] et dont la biographie[14] a été donnée en partie précédemment, en parlant de son vizirat sous le règne de Haroun.
Fin du règne d'Amin.
Après Amin, régna son frère 'Abd Allah Mamoun, qui reçut l'investiture publique à Bagdad en l’année 198 (813 de J.-C). C'est un des princes 'abbâsides les plus distingués sous le rapport de la science, de la sagesse et de la douceur. Il était intelligent, ferme et généreux.
On raconte qu'étant à Damas, il éprouva une grande gêne dans l'état de ses finances, et que son trésor se trouva presque épuisé. Il se plaignit de sa position financière à son frère Mou'tasim, qui gouvernait en son nom plusieurs provinces. Ce prince lui dit : « Emir des Croyants, tu peux te regarder comme déjà en possession de trésors considérables, car dans une semaine ils te seront livrés. »
En effet, dans cet intervalle, 30 billions de drachmes furent apportés des provinces que gouvernait Mou'tasim. Alors Mamoun dit à Yahya,[15] fils d'Aktham[16] : « Viens avec moi voir les trésors [qui me sont envoyés]. »
Le khalife et Yahya, suivis d'une foule d'habitants, sortirent de la ville. Le convoi était disposé avec faste et magnificence. Mamoun fut agréablement surpris de voir tant de richesses. Les spectateurs, non moins émerveillés, s'en réjouirent. Alors le khalife prononça ces paroles : « Ce serait une honte pour nous de retourner au palais avec toutes ces richesses, tandis que le peuple s'en irait chez lui les mains vides. » Puis, il ordonna à son secrétaire d'assigner à l'un un million de drachmes, à un autre une somme égale, à un autre une somme plus considérable, jusqu'à ce qu'il eût distribué 24 billions sans descendre de cheval.[17] Le reste, il l'abandonna à l'intendant général de l'armée pour l'entretien des troupes.
Sache que Mamoun fut un des plus grands khalifes et un des hommes les plus intelligents. Il fit de nombreuses innovations dans son empire. Par exemple, il est le premier khalife qui se soit intéressé aux sciences philosophiques et qui, en ayant fait venir les ouvrages, les fit traduire en arabe. Il les fit connaître dans son empire. Il expliqua Euclide et approfondit les sciences des anciens; il discuta les questions médicales et il appela à sa cour les philosophes.
C'est Mamoun qui fixa à deux cinquièmes du produit brut la quote-part que les populations du Sawâd devaient payer au trésor, tandis qu'ils payaient habituellement la moitié.
Il obligea les Musulmans à professer que le Coran avait été créé; et cette doctrine se répandit sous son règne.[18]
Ahmad, fils de Hanbal[19] et d'autres soutinrent des controverses à ce sujet. En mourant, Mamoun recommanda à son frère Mou'tasim de soutenir cette doctrine. Quand ce dernier monta sur le trône, il confirma la doctrine émise par son prédécesseur et fit frapper de verges Ahmad, fils de Hanbal. C'est ce que nous raconterons en son lieu et place. C'est aussi Mamoun qui fit passer la couronne de la famille des Abbâsides dans celle d'Ali (sur lui soit le salut !) et qui fit adopter la couleur verte à la place de la couleur noire. On dit que c'est la couleur des vêtements que portent les élus dans le paradis.
Voici l'explication de ce fait politique. Mamoun, ayant réfléchi à la destinée du khalifat après sa mort, avait voulu le transmettre à un homme qui en fût digne, afin de dégager sa responsabilité. Du moins il le prétendit. Il aurait examiné, affirme-t-il, le mérite des personnages les plus éminents des deux familles : la famille des Abbâsides et celle des 'Alides. Dans les deux familles, il n'aurait pas trouvé une personne plus honorable, plus distinguée, plus intègre et plus pieuse qu’Ali, fils de Moussa ar-Rida.[20] En conséquence, il le nomma son héritier présomptif et confirma ce choix par un acte écrit de sa main. Ensuite, il voulut obtenir l'assentiment de Rida. Celui-ci, après quelques difficultés, finit par accepter. Il écrivit sur la charte de Mamoun : « Je m'engage à me conformer à cet ordre, bien que le Djafr et la Djâmi’a[21] indiquent le contraire. »
Acte en fut pris à leur égard par des témoins.
C'était Fadl, fils de Sahl, le vizir de Mamoun, qui avait conseillé cet acte et qui avait persuadé le khalife de son opportunité. Le peuple prêta alors le serment de fidélité à Ali, fils de Moussa, comme successeur de Mamoun, et il fut surnommé Rida, l'Elu d'entre la famille de Mahomet (sur lui soient les bénédictions d'Allah!).
Mamoun ordonna aux gens de quitter les vêtements noirs et d'adopter le vert.
Ces événements se passaient dans le Khorasan. Aussi, lorsque les 'Abbâsides eurent appris à Bagdad que Mamoun avait transféré le khalifat de la dynastie 'abbâside à la dynastie alîde, et qu'il avait remplacé la couleur de ses pères et de ses aïeux par la couleur verte, ils le désapprouvèrent, puis, l'ayant déposé, ils prêtèrent le serment de fidélité à son oncle Ibrahim, fils de Mahdî, qui était un homme supérieur, poète, éloquent, cultivé, chanteur habile et doué d'un esprit pénétrant. C'est à lui que fait allusion Abou Firâs, fils de Hamdân, dans son poème rimant en mîm, au vers suivant :
Est-ce de votre famille ou de la leur qu'est issue 'Oulayya[22] ?
Est-ce à eux ou à vous qu'appartient Ibrahim, le cheikh des chanteurs ?
Cette époque fut féconde en troubles, en révoltes et en guerres. En apprenant l'émeute de Bagdad, Mamoun entra dans une violente colère.[23] Fadl, fils de Sahl, fut assassiné, puis, après lui, mourut 'Ali, fils de Moussa, d’une [indigestion] de raisin.
On prétend que Mamoun, voyant que la population de Bagdad le désapprouvait d’avoir fait passer le khalifat dans les descendants d'Ali, qu'elle regardait Fadl, fils de Sahl, comme l'instigateur de cet acte, et ayant vu, d'autre part, éclater la guerre civile, soudoya des gens qui tuèrent Fadl, fils de Sahl, au bain. Ensuite, Mamoun les fit arrêter et amener pour leur trancher le cou. Mais ils lui dirent : « Comment, c'est toi qui nous as ordonné ce meurtre et maintenant tu veux nous mettre à mort ! — .Je vous condamne à mort, leur répondit-il, sur votre aveu ; tandis que votre allégation contre moi, d'après laquelle je vous aurais ordonné ce meurtre, c'est une prétention qui ne s'appuie sur aucune preuve. » Puis il les fit décapiter et porter leurs têtes à Hasan, fils de Sahl, à qui il écrivit ses condoléances et qu'il investit (du vizirat) à la place de son frère.
A cet événement se rattachent d'autres faits, dont nous parlerons à l'occasion du récit sur le vizirat de Fadl.
Puis, Mamoun fit servir traîtreusement à 'Ali, fils de Moussa, du poison dans du raisin. Comme 'Ali aimait beaucoup le raisin, il en mangea une grande quantité et mourut sur-le-champ.[24]
Le khalife écrivit ensuite aux 'Abbâsides de Bagdad, en leur disant: « Ce que vous désapprouviez dans l'affaire d’Ali, fils de Moussa, n'existe plus, car l'homme est mort. » Mais ils lui adressèrent une réponse des plus sévères.
Fadl, fils de Sahl, s'était emparé de l'esprit de Mamoun et avait employé de nombreux moyens pour gagner sa confiance, en servant sa cause et en déployant tous ses efforts pour le faire parvenir au khalifat. Il empêchait les nouvelles d'arriver jusqu'à lui, et lorsqu'il apprenait qu'un personnage quelconque était entré auprès de Mamoun ou lui avait communiqué une nouvelle, il s'appliquait à lui nuire et le châtiait. Aussi, les gens s'interdirent-ils de communiquer avec Mamoun, de sorte que les nouvelles demeurèrent entièrement ignorées de lui.
Aussi, lorsque la révolte éclata à Bagdad et que Mamoun fut déposé, lorsqu'Ibrahim, fils de Mahdi, fut proclamé khalife et que les 'Abbâsides eurent désapprouvé la conduite de Mamoun, Fadl lui cacha pendant quelque temps ces événements. Mais 'Ali, fils de Moussa Rida, vint trouver Mamoun et lui dit : « Emir des Croyants, le peuple à Bagdad te désapprouve de m'avoir fait proclamer héritier présomptif du trône et d'avoir aboli le costume noir. Il t'a déposé et a prêté le serment de fidélité à ton oncle Ibrahim, fils de Mahdi.» De plus, Ali[25] fit venir devant Mamoun une partie des caïds pour lui confirmer cette nouvelle. Mais quand Mamoun les questionna, ils gardèrent le silence, puis dirent : « Nous craignons Fadl, mais si tu nous garantis contre le mal qu'il pourrait nous faire, nous te mettrons au courant. » Mamoun leur assura sa protection et leur donna une sauvegarde écrite de sa main. Les caïds l'informèrent alors de l'état des choses et lui firent connaître la perfidie de Fadl,[26] qui lui cachait les nouvelles et le maintenait dans une complète ignorance des affaires. Ils ajoutèrent : « Notre avis est que tu te transportes en personne à Bagdad et que tu préviennes l'anéantissement de ton autorité. Sinon le khalifat t'échappera des mains. » Ce fut peu de temps après cet entretien que Fadl fut tué et que Rida mourut, ainsi qu'il a été expliqué plus haut.
En conséquence, Mamoun partit à marches forcées pour Bagdad. Quand il y arriva, Ibrahim, fils de Mahdî, et Fadl, fils de Rabi', avaient déjà pris la fuite. En entrant dans la ville, Mamoun fut reçu par les 'Abbâsides. qui l'entretinrent de leur désir de quitter la couleur verte pour reprendre la couleur noire. Zainab,[27] fille de Soulaimân, fils d’Ali, fils d’Abd Allah, fils d'Abbâs, eut une entrevue avec lui ; elle était alors considérée autant que Mansour.
Les enfants d'Abbâs avaient pour elle une haute considération,[28] et c'est d'elle que les zainabites tirent leur nom. Elle dit à Mamoun : « Émir des Croyants, quel motif t'a déterminé à faire passer le khalifat de ta maison dans celle d’Ali. — Ma tante, répondit-il, j'ai vu Ali, pendant son khalifat, faire du bien aux enfants d’Abbâs, nommer Abd Allah au gouvernement de Basra, Oubeïd Allah à celui du Yémen, et Qoutham à celui de Samarcande ; mais je n'ai vu aucun des princes de ma maison, quand le pouvoir leur est échu, agir avec autant de générosité à l’égard des descendants d’Ali. C'est pourquoi j'ai voulu lui rendre le bien pour le bien. » Zainab lui répondit : « Emir des Croyants, tu es plus à même de faire du bien aux descendants d'Ali, alors que tu es au pouvoir, que s'ils y étaient eux-mêmes. »
Ensuite, Zainab lui demanda d'abolir le port de la couleur verte. Mamoun le lui accorda et ordonna à ses gens d'abandonner la couleur verte et de reprendre le noir.
Mamoun pardonna, dans la suite, à son oncle Ibrahim, fils de Mahdî,[29] et, loin de lui adresser des reproches, il l'entoura de faveurs, et Ibrahim fut admis au nombre de ses familiers.
C'est de la même façon qu'il traita Fadl, fils de Rabi Mamoun, en effet, était doué d'une grande douceur de caractère et disait : « Si les gens savaient combien j'aime à pardonner, ils se rapprocheraient de moi en commettant des crimes. »
C'est sous le règne de ce prince que se révolta, à La Mecque, Muhammad,[30] fils de Djafar as-Sâdiq (sur lui soit le salut !). Il fut proclamé khalife et reçut le titre d'Emir des Croyants. Certains membres de sa famille lavaient engagé[31] à faire ce coup d'État, quand ils ont vu les nombreuses dissensions et les troubles dont Bagdad était le théâtre, et aussi les révoltes des Khâridjites.
Muhammad, fils de Djafar, était un des docteurs de la famille d'Abou Thâlib, et l'on étudiait la science sous sa direction. Il avait transmis de nombreuses traditions qu’il tenait de son père (sur lui soit le salut !).
II résida un certain temps à La Mecque, et ce furent son fils et un de ses cousins[32] qui prirent en mains la direction de ses affaires. Mais leur conduite ne fut pas digne d'éloges.[33]
Mamoun envoya contre eux une armée, qui remporta la victoire. Muhammad tomba au pouvoir de Mamoun, qui lui pardonna.
Sous le règne de ce prince. Abou-s- Sarâyâ[34] se révolta, et, sa puissance s'étant affermie, il invita les populations à se rattacher à la cause d'un des membres de la famille [d'Ali]; mais Hasan, fils de Sahl, lui livra une bataille: la victoire resta à l'armée de Mamoun et Abou-s-Sarâyâ fut tué.
Après ces événements, le règne de Mamoun devint plus calme et les guerres intestines s'apaisèrent.
Mamoun se chargea lui-même du fardeau du khalifat et de l'administration de l'empire avec les qualités qui caractérisent les plus fermes et les meilleurs d'entre les rois. Vers la fin de son règne, il se rendit à la citadelle de Tarasoûs, où il mourut en 218 (= 833 de J.-C).
C'est à ce sujet qu'un poète a dit :
Nous n'avons pas vu que les astres aient protégé Mamoun, quand il était à l'ombre de son royaume si bien gardé !
Ils l’ont laissé à Tarasoûs, comme ils ont jadis laissé son père à Tous.[35]
Les premiers vizirs de ce prince furent les Benou Sahl, dont le vizirat resplendit au front du temps comme une tache blanche [au front du cheval], comme une perle brillante dans la raie des cheveux de l'époque. Ce fut comme un abrégé de la dynastie des Barmékides, dont ils étaient d'ailleurs les créatures. Le premier d'entre eux qui devint vizir de Mamoun fut Fadl, fils de Sahl.
Fadl fut surnommé Dzoû-r-Riâsatain (l'homme aux deux maîtrises), parce qu'il fut à la fois homme d'épée et de plume. Il descendait, dit-on, des rois mages de la Perse et avait été intendant (qahramân)[36] au service de Yahya, fils de Khalid [le Barmékide]. Son père, Sahl, d'abord élevé dans la religion des mages, se convertit à l'islamisme sous le règne d’Haroun er-Rachid. On ajoute que, voyant les brillantes qualités de Mamoun dès son enfance, Fadl, fils de Sahl, qui était versé en astrologie, tira son horoscope; et, les astres lui ayant indiqué que ce prince serait un jour khalife, il fut assidu autour de lui, se mit à son service, s'occupa de ses affaires jusqu'à ce que, le khalifat étant échu à Mamoun, celui-ci le prit comme vizir.
Fadl était bienfaisant, noble, l'émule des Barmékides en générosité; aussi rigide dans le châtiment que prompt à compatir, il était plein de mansuétude, éloquent, au courant des procédés en usage avec les rois, fertile en ressources, d'une très vive intelligence et grand amasseur de richesses ; on l'appelait généralement le vizir-Emir.[37]
Le poète Mouslim, fils de Walid,[38] était un des familiers de Fadl, fils de Sahl, avant son vizirat. Il lui avait récité naguère les vers suivants :
D’aucuns disent : « Il n'a pas d'énergie, » — Non, c'est de l'argent que je n'ai pas.
Je n'ai pas la richesse pour soutenir mon inspiration; et les hommes sont les uns solliciteurs, les autres avares.
Attendons que le temps amène au pouvoir des hommes, sous les auspices desquels notre sort puisse être amélioré, grâce au leur.
Lorsque Fadl parvint à la haute situation où il atteignit, et qu'il fut investi du vizirat, Mouslim, fils de Walid, vint le trouver. En le voyant, Fadl lui témoigna de la joie et lui dit : « Eh bien ! la voilà l'époque des hommes, sous les auspices desquels ton sort sera amélioré, grâce au leur. » En même temps, il ordonna de lui remettre 30.000 drachmes et le nomma surintendant de la poste de Djourdjân, où il acquit une fortune considérable.
Avant de parvenir aux grandeurs, l'ambition de Dzoûr-Riâsatain était, dit-on, considérable. Un jour, sous le règne d’Haroun er-Rachid, le précepteur de Mamoun dit à Fadl : « Le prince royal est bien disposé en ta faveur, et je suis presque convaincu que tu gagneras avec lui un million de drachmes. » Fadl se mit alors en colère et lui dit : « As-tu donc de la haine contre moi ? T'ai-je fait du mal ? — Non, par Allah ! dit le précepteur. Mes paroles ne sont inspirées que par l'affection que je te porte. — Eh bien, alors, reprit Fadl, tu viens me dire : tu gagneras avec lui un million de drachmes, alors que — j'en jure par Allah ! — je ne me suis point attaché à sa personne pour acquérir plus ou moins de fortune, mais bien pour que l'autorité de ce sceau (que tu vois à mon doigt) s'étende à la fois sur l'Orient et sur l'Occident. » En effet — par Allah ! — il ne se passa guère longtemps qu'il n'atteignit l'objet de ses vœux. Fadl, fils de Sahl, fut assassiné dans les conditions relatées plus haut, et cela en l'année 202 (818 de J.-C). C'est de lui que le poète[39] a dit :
Fadl, fils de Sahl, a une main que l'on ne saurait comparer à rien d'aussi beau.
L'intérieur de cette main est le siège de la générosité, et le dessus est le rendez-vous des baisers [respectueux].
Quand il retend, c'est pour enrichir; quand il la lève, c'est pour exterminer.[40]
Mamoun le prit comme vizir après son frère Fadl. Il lui témoigna de la sympathie et chercha à le calmer, en le consolant de la douleur que lui avait causée l'assassinat de son frère, et il épousa sa fille Boûrân.[42] Le khalife se rendit avec sa famille, sa cour, ses soldats et ses émirs à Fam as-soulh, près de Wâsit. Hasan entreprit de leur donner une hospitalité magnifique et distribua de l'or et jeta des perles sur les assistants en quantité dépassant toute mesure. Il en était arrivé à faire confectionner des petits melons d'ambre, dans chacun desquels il avait enfermé un billet donnant droit à une de ses terres. Il jeta les melons [aux convives], et tous ceux entre les mains de qui tombait un petit melon, l'ouvraient et se faisaient mettre en possession de la terre inscrite au dedans.[43]
Ce fut une cérémonie magnifique, dépassant les limites du faste et de l’abondance, à tel point que Mamoun traita son vizir de prodigue. On dit que les sommes dépensées par Hasan, fils de Sahl, durant la fête de Fam as-soulh se montaient à 50 millions de drachmes.[44]
Hasan, fils de Sahl, avait fait étendre par terre, à l'intention de Mamoun, une natte tressée de fils d'or, et sur laquelle il[45] jeta 1.000 perles de la première grosseur.
En voyant cela, Mamoun s'écria : « Qu'Allah combatte Abou Nouwâs ! On dirait qu'il avait assisté à notre réunion quand il composait ce vers :
On dirait que les plus petites ou les plus grandes[46] de ses bulles[47] sont des graviers de perles sur une terre d'or.
On rapporte qu'un individu se présenta à la porte de Hasan, fils de Sahl, cherchant à bénéficier de sa libéralité et sa bienfaisance. Le vizir resta quelques instants sans faire attention à lui. Alors celui-ci lui écrivit [les vers suivants] :
La fortune et la raison sont du nombre des avantages qui permettent de stationner devant la porte des princes.
Or, tu verras que je n'ai ni l'une ni l'autre, lorsque tu m'auras regardé, ô descendant des nobles seigneurs persans.
Est-ce que mes habits ne l'indiquent pas ma misère? Est-ce que mon visage ne te dit pas que je suis le roi des fous ?
Et Allah sait assurément que, dans l'empire, tu es le seul homme qui puisse assurer le bonheur ici-bas et maintenir la religion.[48]
Hasan ordonna de lui remettre 10.000 drachmes et écrivit sur son placet [les deux vers suivants] :
Tu nous as pressé; aussi la précipitation de notre bienfaisance ne t'a offert qu'un présent modique ; mais si tu nous avais attendu, le présent n'eût pas été modique.
Prends donc le peu [que nous t'offrirons], et figure-toi que tu n'as rien demandé. De notre côté, nous nous considérerons comme n'ayant point été sollicité.[49]
Hasan, fils de Sahl, était l'homme qui occupait la situation la plus considérable auprès de Mamoun, qui aimait beaucoup s'entretenir avec lui ; lorsqu'il avait audience auprès de lui, le prince prolongeait à plaisir leur entretien, et chaque fois qu'il manifestait le désir de s'en aller, il l'en empêchait. Si bien que Hasan y perdait tout son temps. Cette assiduité lui devint pénible ; aussi négligeait-t-il de se rendre aux audiences tenues par Mamoun et déléguait-il un de ses secrétaires, comme Ahmad, fils d'Abou Khalid[50] ou Ahmad, fils de Yousouf,[51] ou d'autres Bientôt, il fut atteint d'hypocondrie, dont la cause fut le chagrin qu'il conçut à la mort de son frère. Il se retira alors dans sa maison pour se soigner, et vécut dans une complète retraite, ne recevant personne. Cependant, il n'en demeura pas moins le plus haut dignitaire de l'Etat.
Alors, Mamoun confia le vizirat à Ahmad, fils d'Abou Khalid, qui ne manquait à aucun moment d'aller se mettre au service de Hasan, fils de Sahl. Et lorsque ce dernier se rendait au palais du khalife, il était traité comme le plus haut dignitaire [de la cour]. A l'époque où il se retira dans son palais, un poète composa contre lui cette épigramme :
Hasan, fils de Sahl, a quitté le pouvoir sans que j'aie humecté mon gosier de sa rosée.[52]
Ne regrette pas son époque ; et qu'Allah fasse pleurer éternellement] les yeux de qui le pleure.
Hasan, fils de Sahl, mourut en 236 (850 de J.-C), sous le règne de Moutawakkil.
C'était un esclave affranchi, d'une haute valeur et comptait parmi les hommes les plus intelligents. Ecrivain habile, il était ferme, éloquent, judicieux, bien au courant des affaires [politiques].
Mamoun lui dit : « Hasan, fils de Sahl, s'est retiré complètement chez lui et je veux te conférer la charge du vizirat. » Ahmad chercha à éviter cet honneur en disant: « Emir des Croyants, fais-moi la grâce seulement de ne pas prendre le titre de vizir et exige de moi tous les services qu'on peut exiger d'un vizir; fais qu'il y ait aussi entre moi et le peuple une haute situation que mes amis me souhaitent et où mes ennemis craignent de me voir arriver ; car quand on a gravi les sommets du pouvoir, on ne peut plus que déchoir. » Mamoun goûta fort sa réponse et lui dit : « Il faut que mon vœu s'accomplisse. » Et il lui confia le vizirat.
Au moment de confier à Tahir, fils de Housain, le gouvernement du Khorasan, Mamoun avait consulté Ahmad,[53] fils d'Abou Khalid, qui approuva le projet de nomination de Tahir. « Je crains, cependant, lui dit Mamoun, qu'il ne me trahisse, qu'il ne se rende indépendant et ne secoue le joug de l'obéissance. — Je prends sur moi la responsabilité[54] de ce choix. » Alors, Mamoun nomma Tahir gouverneur du Khorasan. Mais au bout de quelque temps, mécontent de sa conduite en certaines questions, il lui écrivit une lettre remplie de menaces. Tahir répondit au khalife par une lettre insolente et supprima la mention de son nom du prône (khotba) trois vendredis de suite. Mamoun, informé de cet acte de désobéissance, dit à Ahmad, fils d'Abou Khalid : « C'est toi qui m'as conseillé de nommer Tahir, en te portant garant des fautes qu'il pourrait commettre. Maintenant, tu vois ce qu'il a fait, en supprimant mon nom de la khotba et en sortant de l'obéissance. J'en jure par Allah, si tu ne t'ingénies pas à trouver une solution favorable à cette affaire, que tu as gâtée, je te ferai trancher le cou. » Ahmad lui répondit : « Emir des Croyants, tranquillise-toi, avant peu de jours le courrier de la poste t'annoncera la mort de Tahir. » En effet, le vizir envoya à Tahir des présents, parmi lesquels se trouvaient des assaisonnements kawâmikhs empoisonnés. Tahir aimait les kawâmikhs ; il en mangea et mourut sur-le-champ.
Selon d'autres, lorsque Tahir fut nommé gouverneur du Khorasan, Ahmad, fils d'Abou Khalid, ne manqua pas de prévoir ce qui devait arriver par la suite, et, en conséquence, il donna en présent à Tahir un esclave, auquel il remit du poison en lui disant: « Lorsque Tahir supprimera le nom de Mamoun de la khotba (prône), mets-lui ce poison dans un des mets qu'il aime le plus. » Et, en effet, le jour où Tahir retrancha le nom de Mamoun de la khotba, l’esclave lui mit le poison dans du kâmikh. Tahir en mangea et mourut quelques jours après.
La nouvelle de sa mort parvint à Mamoun par le courrier de la poste. Cet événement fut une des causes qui augmentèrent la puissance d'Ahmad, fils de Khalid, qui mourut de mort naturelle l’an 210 (825).
Ahmad était un esclave affranchi. Habile dans le style épistolaire, il avait d'éminentes qualités, et était, en outre, cultivé, poète, perspicace, parfaitement au courant des règles du gouvernement ainsi que des procédés en usage avec les rois.
On dit qu'à la mort d'Ahmad, fils d'Abou Khalid, Mamoun consulta Hasan, fils de Sahl, pour savoir à qui il confierait la chartre du vizirat. Hasan lui désigna Ahmad, fils de Yousouf, et Abou Abbâd, fils de Yahya, en ajoutant : « Ce sont les deux hommes qui, mieux que personne, connaissent le caractère de l'Emir des Croyants. — Eh bien! dit le khalife, choisis pour moi l'un d'eux. » Hasan ayant choisi Ahmad, fils de Yousouf, Mamoun lui confia le vizirat.
Ce khalife demanda un jour à Ahmad, fils de Yousouf, son avis sur un homme. Ahmad, fils de Yousouf, lui en fit le portrait et lui vanta ses belles qualités. « O Ahmad! lui dit alors le khalife, tu fais son éloge, malgré la mauvaise opinion que tu as de lui et son inimitié pour toi. » Ahmad reprit : « C'est parce que ma position à ton égard ressemble à ce qu'a dit le poète :
Je le paie suffisamment des bienfaits dont tu m’as comblé, en le disant la vérité sur mes amis comme sur mes ennemis,[55]
Et en te préférant à moi-même, chaque fois que tu fais appel à moi pour une affaire.
Ce vizir est l'auteur de beaux vers, dont ceux-ci :
Mon cœur t'aime, ô toi, désir de mon cœur, et déteste ceux qui t'aiment,
Parce que je voudrais être seul à t'aimer. Plût au ciel que je connusse les dispositions de ton cœur !
Un jour de Naurouze (premier jour de l'an), Ahmad envoya à Mamoun un présent de la valeur d'un million de dinars, accompagné de ces deux vers :
L'esclave a des devoirs à remplir. Il doit s'en acquitter, quelle que soit la grandeur, quels que soient les mérites de son maître.
Ne vois-tu pas que nous offrons à Dieu des choses qui lui appartiennent et qu'il daigne les accepter, lui qui n'en a guère besoin ?
Mamoun dit à cette occasion: « C'est un homme d'esprit qui a fait un cadeau avec grâce. »
Voici la cause de la mort d'Ahmad :
Un jour qu'il était venu voir Mamoun au moment où celui-ci se parfumait avec une cassolette allumée, le khalife sortit la cassolette de dessous ses vêtements et ordonna de la placer sous les vêtements du vizir, pour lui faire honneur. Mais les ennemis d'Ahmad rapportèrent au khalife qu'il avait dit : « Que signifie cette économie de parfums ? Ne pouvait-il donc pas m'offrir un peu de nouveau parfum ? » Ce propos mécontenta Mamoun, qui s'écria : « Eh ! quoi, il m'accuse d'avarice, lui qui pourtant sait que ma dépense de chaque jour se monte à 6.000 dinars ! Je n'ai pas eu d'autre intention que de lui faire honneur en lui offrant une cassolette qui était sous mes propres vêtements. » Une autrefois comme Ahmad entrait chez le khalife, au moment ou il se parfumait, celui-ci dit à ses esclaves : « Jetez des morceaux d'ambre dans une grande cassolette que vous placerez au-dessous de lui, en ayant soin de l'envelopper d'une couverture qui empêche la fumée de l'encens de s'échapper. « L'ordre fut exécuté. Ahmad supporta tout d'abord, mais bientôt, n'en pouvant plus, il s'écria : « Je me meurs ! je me meurs ! » Les esclaves le découvrirent, mais le vizir avait perdu connaissance. [Quand il eut repris l’usage de ses sens], il retourna chez lui, où il demeura plusieurs mois, souffrant d'un asthme, qui détermina sa mort.
Suivant un autre récit, il aurait été banni de la cour, pour une maladresse dont il se rendit coupable, et serait mort du chagrin que lui causa cette disgrâce.
Abou 'Abbâd était habile dans le style épistolaire, versé dans le calcul, d'un caractère vif, emporté et brutal. On raconte que, lorsque Mamoun le voyait arriver, il récitait ce vers de Di'bil[56] à son sujet :
On dirait un furieux échappé de Dair Hizqil (le couvent d'Ezéchiel), traînant après lui les chaînes qui le liaient.
Quelqu'un dit à Mamoun que le poète Dibil avait composé contre lui une satire.[57] Il répondit : « Comment serais-je à l'abri des épigrammes d'un homme qui a osé satiriser Abou 'Abbâd ? En d'autres termes : Comment celui qui a osé critiquer Abou 'Abbâd, malgré son emportement, sa fureur et sa promptitude à punir, craindrait-il de lancer contre moi les traits de la satire, connaissant la douceur de mon caractère et mon amour de la clémence ? »
Abou 'Abbâd était très emporté et irascible. Il lui arrivait souvent, quand il se mettait en colère contre une personne qui était devant lui, de lui lancer son encrier à la tête et de l'accabler d'injures et d'outrages.
Un jour, le poète Al-Ghâlibî vint le trouver et lui récita ces vers :
Lorsque nous fîmes arrêter nos montures auprès du vizir pour nous mettre à l'abri de sa générosité, il nous fit des présents.
La meule de l'empire de l'Imâm[58] s'est raffermie en s'appuyant sur Thâbit[59] qui a fait déborder sur nous la justice et la bienfaisance.
Il accueille ceux qui viennent se soumettre, avec un visage souriant et une grande libéralité; mais les rebelles, il les reçoit avec les lames indiennes et les lances.
C'est un homme qui ne s'est pas lassé d'être pour ses semblables tel un gras pâturage. C'est un homme qui n'a jamais cessé d'ouvrir son cœur à la générosité et d'être secourable.
Quand le poète arriva aux mots à la générosité, il s'arrêta, sa langue s'embarrassa et il se mit à répéter plusieurs fois : à la générosité, à la générosité; si bien qu'Abou 'Abbâd, impatienté, s'emporta et dit : « Eh bien! cheikh, dis cocu ou claqué,[60] et laisse-nous la paix! »
Tous les assistants partirent d'un éclat de rire tel, que le vizir, oubliant lui-même son dépit, se mit à rire avec les autres. Alors Al-Ghâlibî[61] acheva de rimer son vers par le mot secourable et reçut du vizir un présent.
Muhammad, fils de Yazdâd, fut le dernier des vizirs de Mamoun. Ses parents, originaires du Khorasan, étaient de la religion des mages, mais ils embrassèrent ensuite l'islamisme, et entrèrent au service des khalifes.
Souaid fut le premier d'entre eux qui se convertit à l'islamisme. Ayant perdu son père dès son enfance, sa mère le confia à un fonctionnaire de l'administration de la Perse. Il fit bientôt de grands progrès et acquit une foule de connaissances dans les sciences des Perses. Il s'appliqua ensuite à travailler assidûment au diwan de Merw.
Un jour qu'il pleuvait, le directeur du diwan arriva, mais les secrétaires et les chefs de bureaux n'y étaient pas venus. Seul Souaid, le grand-père de Muhammad, était présent. Le directeur du diwan ayant eu besoin de faire un calcul,[62] il n'y avait là, à sa disposition, aucun secrétaire. Alors il se mit lui-même à faire le calcul et commença l'opération, dont il écrivit une partie. Bientôt, se sentant pris d'une envie de dormir, il se retourna et aperçut Souaid. Il lui remit alors le compte et lui dit : « Garde-le jusqu'au moment où je me réveillerai. » Puis le directeur du diwan s'endormit. Souaid examina alors le compte, l'acheva et le mit au net, dans une belle copie, de sa plus belle écriture et avec un très grand soin. Le directeur du diwan s’étant réveillé demanda le compte à Souaid, qui le lui remit. En le voyant terminé, selon toutes les règles de la comptabilité et dans la forme la plus parfaite, il dit : « Jeune homme, qui est-ce qui a fait ce compte ? — C'est moi, répondit Souaid. — Tu sais donc bien écrire ? — Oui », dit Souaid. Alors le directeur du diwan lui ordonna de se charger de la corbeille dans laquelle il mettait ses comptes, les souches de son administration, et, en général, tout ce qu'il devait garder avec soin, et il lui assigna une pension alimentaire. Souaid occupa successivement diverses fonctions jusqu'à ce qu'il parvînt à une fortune considérable et à un rang éminent.
Après lui, son fils Muhammad reçut une bonne éducation et acquit une grande habileté en tout. Mamoun le prit pour vizir et lui confia toutes les affaires du royaume. Muhammad était poète et parlait très correctement. Voici des vers de sa composition :
Fatoûn[63] a troublé les cœurs par sa prunelle; et elle a trahi en amour un homme qui ne trahit point.
Elle prétend que j'en aime une autre qu'elle. Comment cela se pourrait-il, mes yeux ne l'ayant point quittée.
O toi dont l'amour est caché et embusqué dans mon cœur, à la place de mon âme !
O toi qui prétends que je suis infidèle (et cela est impossible à celui qui t'aime) !
Prends mon engagement de mes yeux et de mon regard, et cela te suffit comme garant, car je suis digne de confiance.
A la mort de Mamoun, Muhammad, fils de Yazdâd, occupait encore le vizirat.
Fin du règne de Mamoun et de l’histoire de ses vizirs.[64]
Muhammad fut reconnu khalife le jour où mourut Mamoun. L'année où eut lieu cet événement a déjà été indiquée plus haut. Ce prince était doué d'un bon jugement et était d'une force remarquable. Il levait de terre un poids de 1.000 livres pesant et le portait à plusieurs pas. Il était réputé pour sa bravoure. On lui a donné le surnom de Huitainier, à cause de onze particularités. Ainsi il était le huitième des enfants d'Abbas; il fut le huitième khalife de sa race et monta sur le trône à l'âge de trente-huit[65] ans. Il régna huit ans et huit mois. Né en chaban, qui est le huitième mois de l’année, il mourut à l’âge de quarante-huit ans, laissant huit enfants mâles et huit filles. Il commanda en personne huit expéditions et laissa dans le trésor 8 millions de drachmes.
Le règne de Mou'tasim fut illustré par des guerres et des conquêtes. Ce fut lui qui s'empara d’Ammoûrya[66] (Amorium), et voici pour quel motif. L'empereur des Grecs (Théophile), ayant fait une incursion dans le pays des Musulmans, s'était emparé d'une de leurs places fortes appelée Zibatra[67] avait fait prisonniers les femmes et les enfants et passé au fil de l'épée tous les hommes en état de porter les armes. On dit que, parmi les captives, se trouvait une femme de la famille de Hâchim, et qu'on l'entendit s'écrier : « Au secours, ô Mou'tasim ! » La nouvelle des cruautés exercées par l'empereur des Grecs sur les Musulmans fit frémir d'horreur le khalife, et, lorsqu'on lui rapporta les plaintes de la dame hachémite, il s'écria au milieu du Conseil : « Je vais à. ton secours ! je vais à ton secours ! » En même temps, il se leva et cria dans son palais : « Partons ! partons! » Puis il monta à cheval, après avoir fait attacher derrière la selle une entrave, un pieu de fer et un sac qui renfermait ses provisions. Puis il sortit pour se mettre en route et ordonna aux troupes de s'y préparer. Jamais, sous les khalifes précédents, on n avait vu des préparatifs de guerre aussi formidables. Lorsque Mout'asim fut disposé à partir et que les préparatifs furent terminés, il convoqua les qâdîs[68] et les notaires et requit témoignage qu'il constituait ses biens et ses trésors en legs pieux de trois tiers : un tiers pour Allah le Très-Haut, un tiers pour les enfants du khalife[69] et pour ses proches, et le dernier tiers pour ses affranchis. Ensuite il se mit en campagne. Un Grec était tombé en son pouvoir ; il lui demanda quelle était la ville la mieux fortifiée, la plus considérable et la plus importante aux yeux des chrétiens. Le Grec répondit qu'Ammoûrya était la place la plus importante de leur empire. Mou'tasim se dirigea avec son armée entière sur ce point, assiégea la ville et l'emporta d'assaut. Il porta le fer dans 'Ammoûrya et la contrée environnante, après avoir réduit à la captivité une multitude d'habitants. La fureur dont il était animé le porta même à détruire 'Ammoûrya de fond en comble et à effacer jusqu'à la trace de cette cité florissante. Il enleva une de ses portes qui était toute en fer et d'un volume prodigieux ; puis il la fit transporter à Bagdad, où on la voit encore de nos jours à lune des entrées du palais du khalifat. C'est la porte du peuple, (Bâb al-'Amma[70]).
Lors de cette expédition, Mou'tasim avait parmi sa suite Abou Tammâm at-Tâ'î,[71] qui a composé à sa louange un poème rimant en bâ et qui commence ainsi[72] :
Le glaive est plus fidèle dans ses récits que les livres; son tranchant sépare la réalité du badinage.
On lit encore dans ce poème les vers suivants, adressés à Mou'tasim :
Vicaire d'Allah, qu'Allah récompense le zèle que tu déploies pour faire respecter l'arbre de la religion, de l'Islam et de la gloire du pays !
Tu as compris le bonheur suprême, et tu as vu que l'on ne peut y atteindre qu'en traversant un pont de fatigue.
Parmi les vers qui ont trait à l'acharnement avec lequel Mou'tasim combattit et extermina les défenseurs d'Amorium, je citerai le suivant :
Ce jour-là, le soleil, en se levant, n'éclaira pas un seul père de famille, et, quand il disparut à l'occident, il ne restait plus un seul jeune homme.
Dans le passage où le poète décrit l'animosité qu'il avait contre les Grecs, on lit encore ceux-ci :
La demeure de Mayya,[73] autour de laquelle circule Ghailân,[74] toute vivante qu'elle est, n'est pas si pittoresque que ta demeure dévastée.
Et les joues de Mayya animées par l'incarnation de la pudeur ne sont pas plus attrayantes à mes yeux que ta joue ternie par la poussière (de tes ruines).
La bataille d'Amorium eut lieu en l'année 223 (= 837).
Baghdâd avait été le siège de la royauté et la résidence du khalife depuis Mansour. Haroun er-Rachid, préférant Raqqa en Syrie, y fixa son séjour. Cependant, cette ville n'était pour lui qu'un lieu de plaisance, tandis qu'il avait ses palais, ses trésors, ses femmes et ses enfants à Bagdad, dans le Qasr-al-khould (palais de l'éternelle demeure). Les successeurs de ce khalife se fixèrent à Bagdad. En montant sur le trône, Mou'tasim se méfia de la milice qui en formait la garnison. N'ayant aucune confiance en cette milice, il ordonna qu'on lui choisît un emplacement, pour y bâtir une ville et établir son camp. « Si les troupes de Bagdad, dit-il, venaient à me donner quelque inquiétude, je serai moi-même à l'abri et j'aurai le pouvoir de l'attaquer par terre et par eau. » Son choix s'arrêta sur l'emplacement où il fit bâtir Samarra et s'y transporta. On dit que ce prince avait un si grand nombre de mamelouks, que Bagdad ne pouvait plus les contenir. Bientôt les habitants eurent à souffrir de leur insolence. Ils les génèrent même dans leurs maisons et attentèrent à l'honneur de leurs femmes. Chaque jour était signalé par une multitude de massacres.
Un jour que Mou'tasim se promenait à cheval, un vieil- lard vint au-devant de lui en criant : « O Abou Ishaq[75] ! » Les gardes voulurent le frapper, mais le khalife les arrêta, en disant : « Vieillard, que veux-tu ? — Qu'Allah ne te récompense pas, répondit l'homme, pour ton voisinage. Tu as été notre voisin depuis quelque temps et nous n'avons jamais eu de plus mauvais voisinage. En installant au milieu de nous cette tourbe effrénée d'esclaves turcs, tu as rendu, par leurs mains, nos femmes veuves et nos enfants orphelins. Au nom de Dieu ! nous te combattrons avec les flèches du point du jour.[76] » Par ces mots, le vieillard voulait dire l’imprécation. Après avoir entendu ce discours, Mou'tasim rentra dans son palais, et l’on ne le vit plus sortir à cheval, qu'une année après, à pareil jour. Il fit la prière en public et célébra la fête (le second Beïram); puis il se rendit à l'emplacement de Samarra, ou il fit bâtir cette ville, et cela en l'an 221 de l’Hégire.[77]
Lorsque Mou'tasim fui attaqué par la maladie qui l'emporta au tombeau, il monta sur une barque, avec Zounam,[78] le joueur de flûte, qui était le plus habile musicien de son temps. En passant devant ses palais et ses jardins, situés sur la rive du Tigre, il disait à Zounâin : Joue-moi cet air :
O demeure dont les sites ne tombent pas de vétusté, à Dieu ne plaise que tes sites tombent de vétusté.
Ce ne sont pas tes sites que je pleure ! mais je pleure la vie que j'y passais au moment où elle me quitte.
Car la vie est le bien le plus doux que l'homme puisse regretter ! Il faut que l'affligé cherche à oublier son mal.
En rendant le dernier soupir, Mou'tasim se prit à dire : Il n'y a plus de ressources, il n'y a plus aucune ressource ! » Puis il rendit le dernier souffle. Sa mort arriva l’an 227 de l'Hégire (= 841 de J.-C).
Le premier qui fut vizir de ce prince lui avait servi de secrétaire avant son avènement au trône ; c'était Fadl,[79] fils de Marvân, natif de Baradân.[80] Il était illettré et joignait, au manque d'instruction et à une profonde ignorance, des mœurs dépravées, et ne connaissait rien au maniement des affaires. Un poète du temps a dit à son sujet :
Tu fais le Pharaon, ô Fadl, fils de Marvân ! Mais prends exemple sur le passé. Car avant toi l'on a vu passer au vizirat Fadl, Fadl et Fadl.
Ces trois grands personnages ont disparu; les chaînes, la prison et le meurtre ont mis fin à leur puissance.[81]
Les trois vizirs auxquels le poète fait allusion sont Fadl, fils de Yahya, fils de Khalid, Fadl, fils de Sadhl, et Fadl, fils de Rabi. Quand à Fadl, fils de Marvân, comme il jouissait d'un grand crédit à la cour de Mou'tasim, il ne put échapper aux traits de l'envie. Le khalife le destitua, confisqua ses biens et l'éloigna de sa personne. Réduit pendant longtemps à exercer successivement différentes fonctions publiques, il mourut sous le règne de Mousta'în.[82]
L'homme auquel Mou’tasim conféra la charge de vizir après Fadl, fils de Marvân, s'appelait Ahmad, fils d’Ammar, fils de Ghâdzi. C’était un homme riche de la petite ville de Madzar.[83] Il avait quitté sa patrie pour s'établir à Basra, où l'acquisition de plusieurs propriétés l'avait conduit à amasser une fortune considérable. A cette époque il exerçait la profession de meunier. Plus tard, il vint à Bagdad et y vécut dans l'opulence. On dit qu'il dépensait, chaque jour, en aumônes, 100 dinars. Fadl, fils de Marvân avait si chaudement vanté sa bonne foi au khalife, que celui-ci, après avoir destitué Fadl, ne trouva personne plus digne du vizirat qu'Ahmad, fils d’Ammar. Il le prit donc comme vizir, mais c'était un homme tout à fait dépourvu des qualités que doit posséder un ministre. Un poète de son temps a dit à son sujet :
Louange à Dieu, le Créateur, l'Auteur de l'univers ! Tu es devenu vizir, ô fils d’'Ammar,
Toi qui étais meunier, sans boutique ni maison, obligé de pousser devant toi une mule.
Je nierais le destin, si tu n'avais pas dépassé en cela toutes les limites.
Ahmad, fils d'Ammar, resta quelque temps au vizirat, jusqu'au jour où le khalife ayant reçu d'un gouverneur une lettre dans laquelle celui-ci parlait de la fertilité de la province et de l'abondance du kalâ, demanda au vizir ce que ce mot signifiait. Le vizir ne sut que répondre. Alors Mou'tasim fit venir Muhammad, fils d'Abd al-Malikaz-Zayyât, un de ses familiers. Interrogé à son tour sur la signification du mot kalâ, Muhammad répondit : « La première pousse de la plante s'appelle baql; on la nomme kalâ quand elle commence à grandir, et hachîch lorsqu'elle perd sa sève et devient sèche. » Le khalife dit alors à Ahmad, fils d’Ammar : « Toi, tu surveilleras les bureaux, et lui me donnera lecture des lettres. » Puis il conféra à Ibn az-Zayyât la charge de vizir et éloigna Ibn 'Ammar avec quelques ménagements.[84]
Son père était un riche négociant sous le règne de Mamoun. Devenu adolescent, Muhammad s'occupa d'étudier, de lire et de comprendre ; et la vivacité de son esprit le rendit si habile en toutes choses qu’il devint la merveille de son temps pour l'intelligence, la conception et la pénétration. Il excellait dans le style épistolaire, comme dans la poésie et la littérature. Il était parfaitement au courant des principes du gouvernement et de la politique des rois. Enfin, lorsque Mou'tasim monta sur le trône, il le prit comme vizir, ainsi qu'il a été expliqué plus haut. Ibn az-Zayyât porta le fardeau du vizirat avec une habileté qu'aucun vizir n'avait eue avant lui. C'était un homme hautain, orgueilleux, dur, cruel, d'un accès difficile, détesté de tout le monde.
A la mort de Mou'tasim, il remplissait encore les fonctions de vizir. Le khalife avait accordé à son fils Wâthiq une somme d'argent, dont il ordonna le paiement par Ibn az-Zayyât ; celui-ci s'y opposa et conseilla au khalife de ne rien donner à Wâthiq. Mou'tasim accepta sa façon de voir et revint sur le don qu'il avait ordonné en faveur de Wâthiq. Alors celui-ci écrivit de sa propre main un acte où il jurait, par le pèlerinage, l'affranchissement et l'aumône,[85] que, s'il devenait khalife, il ferait mou- mourir Ibn az-Zayyât de la mort la plus cruelle. Mou’tasim étant mort, Wâthiq monta sur le trône du khalifat. Il se rappela alors l'affaire d'Ibn az-Zayyât et voulut se hâter de le mettre à mort; mais il fut arrêté par la crainte de ne pas trouver un homme de son mérite.
En conséquence, il dit au chambellan : « Introduis auprès de moi dix secrétaires [du diwan]. Ceux-ci ayant paru auprès du khalife, il examina leurs capacités ; il ne s'en trouva aucun qui le satisfit. Wâthiq dit alors au chambellan : « Fais entrer celui dont le royaume ne peut se passer, Muhammad, fils d'az-Zayyât. » Le chambellan l'ayant introduit, Ibn az-Zayyât demeura debout et tremblant devant le khalife. Celui-ci dit alors à un esclave : « Apporte-moi tel écrit. » L'esclave lui apporta l'acte qu'il avait écrit de sa propre main et où il avait juré de faire mourir Ibn az-Zayyât. Wâthiq le remit à Ibn az-Zayyât en lui disant: « Lis cet acte. » Après l'avoir lu, Ibn az-Zayyât répondit : « Emir des Croyants, je suis ton esclave ; si tu me punis, tu en es maître ; mais si tu daignes expier ton serment pour m'épargner, ce sera plus digne de toi. — Par Allah ! reprit Wâthiq, je ne t'épargne que parce que je crains de priver l'empire d'un homme tel que toi. Oui, j’expierai mon serment, car je trouverai le moyen de réparer la perte de mes trésors, tandis que je ne trouverai jamais le moyen de remplacer un homme tel que toi. » Puis Wâthiq expia son serment, prit Ibn az-Zayyât comme vizir, lui conféra les plus hautes dignités et lui confia les intérêts du royaume.
Ibn az-Zayyât était un poète habile. Dans une poésie où il regrette Mou'tasim et fait l'éloge de Wâthiq, on lit ces vers :
J'ai dit, lorsqu'ils l'ont enfoui dans la terre, et que désolés, ils frappaient leurs mains trempées dans l'eau et dans la boue:
Adieu ! oh ! le bon protecteur que le monde trouvait en toi ! oh ! le bon protecteur pour la religion !
Allah ne guérit un peuple de la perte d'un homme tel que toi qu'en lui donnant un homme comme Haroun.[86]
Muhammad, fils d’Abd al-Malik az-Zayyât, demeura vizir de Wâthiq pendant toute la durée de son khalifat, et ce prince n’eut pas d'autre vizir que lui. Mais, à la mort de Wâthiq, son frère, Moutawakkil, étant monté sur le trône, fit arrêter et mettre à mort Ibn az-Zayyât.
On raconte qu'Ibn az-Zayyât avait fait construire un cylindre en fer, garni de clous à l'intérieur pour y torturer ceux qu'il voulait faire souffrir, et qu'il y fut lui-même le premier[87] enfermé, pendant qu'on lui disait :
« Goûte ce que tu voulais faire goûter aux autres.[88] »
Ici finit l'histoire de l'époque de Mou'tasim et de ses vizirs.
Après Mou'tasim régna son fils Haroun Wâthiq. Il reçut le serment d'investiture en l’année 227 (841). Ce fut un des meilleurs khalifes 'abbâsides. C’était un homme distingué, intelligent, éveillé,[89] éloquent et poète. Il ressemblait à Mamoun, dans ses mouvements et dans ses pauses. Lorsqu'il arriva au trône, il se montra bienveillant pour ses cousins, les descendants d’Abou Thâlib, et les combla de bienfaits.[90] Il ne se produisit guère sous son règne de grandes conquêtes ni d'événements mémorables dignes d'être consignés [dans les annales de l’histoire].
Wâthiq mourut dans l'année 233 (847).
Wâthiq n'eut pas d'autre vizir que Muhammad, fils d’'Abd al-Malik az-Zayyât, qui avait été vizir de son père.
Nous avons donné plus haut un fragment de la biographie de ce personnage. Lorsque Wâthiq mourut, Ibn az-Zayyât occupait encore le vizirat.
Fin du règne de Wâthiq.
Après Wâthiq régna son frère, Djafar Moutawakkil. Ce prince était très hostile à la famille d’Ali (sur lui soit le salut !) et il fit passer, comme on sait, la charrue sur le mausolée[91] de Housain (sur lui soit le salut !). C’est qu'Allah voulait qu'il ne manquât rien à l'auréole de Housain.
Ceux des historiens qui cherchent à justifier Moutawakkil, affirment qu'il partageait l'affection de son frère et de Mamoun pour les descendants d’Ali (sur lui soit le salut!), mais qu'il était entouré d'un groupe de courtisans, ennemis de la famille des Alides (sur eux soit le salut!), et qui ne cessaient de le pousser à la persécuter. Mais la première version est la plus vraie ; et il n'est point douteux que Moutawakkil se montra hostile à cette famille, et ce fut précisément pour cela que son fils Mountasir, poussé par les sentiments de la vengeance et de l'honneur, lui arracha la vie.[92]
Il existait entre ce khalife et son fils Mountasir un sentiment de répulsion, et chacun d'eux détestait l'autre et le persécutait. Mountasir se concerta avec une partie des émirs pour tuer le khalife, ainsi que Fath, fils de Khâkân,[93] qui était le principal et le plus distingué des émirs de Moutawakkil. En conséquence, ils le surprirent une nuit qu'il faisait une orgie, et le massacrèrent ainsi que Fath, fils de Khâkân. Ils firent ensuite répandre le bruit qu'ils avaient tué Fath parce qu'il avait assassiné le khalife. C'est à la suite de cet événement que Mountasir s'assit sur le trône, en l'an 247 (861).
Moutawakkil, ayant été proclamé khalife, prit pour vizir Muhammad, fils d'Abd al-Malik az-Zayyât ; mais, quelque temps après, il le disgracia, le fit arrêter et mettre à mort, ainsi qu’il a été expliqué précédemment.
Puis il prit pour secrétaire d'Etat, sans cependant lui donner le titre de vizir, un personnage d'entre ses scribes, nommé Abou-l-Wazîr.[94] Celui-ci demeura en fonction pendant peu de temps et fut disgracié à son tour. Le khalife lui confisqua 200.000 dinars, et appela ensuite au vizirat Al-Djardjarâ'i.[95]
C'était un vieillard spirituel, très cultivé et célèbre par ses talents dans la musique. Moutawakkil l’ayant pris en amitié, lui confia le vizirat pendant quelque temps. Les mauvais rapports sur son compte s’étant multipliés, Moutawakkil le destitua, en s'écriant : « Je suis las des vieillards ; il me faut un jeune homme pour vizir. » On lui désigna alors 'Oubeïd Allah, fils de Yahya, fils de Khâkân.
'Oubeïd Allah[97] joignait à une belle écriture la science de la comptabilité et des finances ; mais il était fantasque. Il avait beaucoup de chance, de sorte que sa bonne étoile éclipsait ses imperfections. Il était généreux et doué d'un bon caractère, et sa générosité faisait passer inaperçus la plupart de ses défauts. Au demeurant, c'était un homme honnête.
On raconte que le vice-roi de l'Egypte lui envoya, à titre de présents, 200.000 dinars et trente ballots remplis d'étoffes d'Egypte.
Lorsque ces objets furent apportés devant lui, il dit au mandataire du gouverneur de l'Egypte : « Non, par Allah ! je n'accepterai pas ces cadeaux ; je ne voudrais pas lui être si onéreux. » Puis il fit ouvrir les ballots et y choisit un joli mouchoir, qu'il mit sous sa cuisse. Quant aux sommes d'argent, il ordonna de les faire porter au Trésor, où elles furent enregistrées. Ensuite, il les employa à l'achat de maisons pour le compte du gouverneur de l'Egypte.
La manière de gouverner d’'Oubeïd Allah était douce; aussi était-il aimé de l'armée. Au moment de la révolution qui accompagna l'assassinat de Moutawakkil, il conçut quelques alarmes; mais les soldats se portèrent en foule devant la porte de sa demeure et lui dirent: « Tu nous as témoigné de la bienveillance pendant le cours de ton vizirat ; notre devoir le plus élémentaire nous commande de te protéger et de te garder pendant une révolution comme celle-ci. En conséquence, ils firent constamment bonne garde devant sa porte et le protégèrent. A la mort de Moutawakkil, 'Oubeïd Allah était encore vizir.
Ici finissent le règne de Moutawakkil[98] et l’histoire de ses vizirs.
[1] Sur ce khalife et le suivant les notes du traducteur concernant la traduction faite environ 60 ans auparavant par Cherbonneau dans le Journal Asiatique ne seront pas reproduites, puisqu’au dire du traducteur, il n’a pas correctement interprété les textes.
[2] Sur ce fameux historien, voy. ci-dessus.
[3] La citation est exacte ; elle se trouve dans Ibn al-Athir, Chronicon, éd. Tornberg, VI, p. 207.
[4] Ce fameux vizir, surnommé Dzoû-r-Riâsalain, l'homme aux deux maîtrises (celle de la plume et celle de l'épée), a laissé un grand nom dans l’Histoire de l'Islam. Sa biographie est donnée par Ibn Khallikan, Wafayât al-a’yân, éd. Wüstenfeld, notice 540. Quelques anecdotes sur ce vizir sont rapportées par le Kitab al-aghâni, Index, p. 345. Cf. Massoudi, Prairies d’or, Index, p. 147 ; de Hammer Purgstall, Littereraturgeschichte der Araber, III, 55 ; Ibn al-Athir, Chronicon, V, 453 et suiv.
[5] Les termes employés au figuré, dans cette phrase, sont empruntés au jeu des échecs.
[6] Cf. Massoudi, Prairies d’or, VI, 430-439.
[7] C’est-à-dire: celui qui n'ouvre la bouche que pour dire la vérité.
[8] Cf. le récit de Massoudi, Prairies d’or, VI, 399, 420-424, 438-439.
[9] Littéralement : à ma main. Cf. Massoudi, p. 424. D'après cet auteur, Tahir n'écrivit pas directement à Mamoun, mais à son vizir Fadl, fils de Sahl.
[10] Cf. Massoudi, Prairies d’or, VI, 482 ; Kitab al-aghâni, IX, 53 ; X, 124, 126 ; XVIII, 117 ; Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 165-170, d'où le récit de notre auteur a été copié textuellement.
[11] Récit d'Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 180-181.
[12] Sur ce fameux général, voy. Massoudi, Prairies d’or, 443 et suiv. ; Kitab al-aghâni, II, 190 ; XVII, 46; Ibn al-Athir, op. cit., 81 et suiv. : 180 et suiv.
[13] Voy. les détails du siège et le récit des combats qui se sont succédé alors, dans Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 188 et suiv. ; Massoudi, Prairies d’or, VI, p. 443 et suiv.
[14] Voy. aussi l’excellente notice que lui consacre Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, n° 539; de Hammer-Purgstall, III. 54 ; Kitab al-aghâni. Index, pp. 544, 545 ; Massoudi, Prairies d’or, VI, 220 et suiv., 438 et suiv. : Ibn al-Athir, op. cit., VI. 174-176 et passim.
[15] Yahya, fils d'Aktham, a laissé une grande réputation de jurisconsulte, de littérateur, de moraliste, d'homme de bien. Ses biographes ne tarissent pas déloges sur ses mérites et le considèrent comme une des figures les plus intéressantes du siècle de Mamoun, sur qui il eut la plus grande influence. Ce khalife le nomma grand qâdî de l'empire cl lui donna les plus larges pouvoirs. Il mourut à Rabadza, en quittant Bagdad pour se rendre à La Mecque, et cela en l'année 242 ou 243 (= 856 ou 857 de J.-C.) ; il était alors âgé de 83 ans. Voy. la longue notice consacrée à ce personnage par Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, n° 803 ; Kitab al-aghâni, V, 60; XII, 5, 68, 161; XIV, 45; XVIII, 90, 91, 93; Massoudi, Prairies d’or, Index, 287 ; Hammer-Purgstall, Litteraturgeschichte der Araber, IV, 136.
[16] Kitab al-aghâni V, Go ; XII, 5 et passim ; Ibn Khallikan et les auteurs cités à la note précédente. Cependant l'auteur du Tadj al'-aroûs, IX, p. 40, l. 1 et suiv., dit que la prononciation Aktam est également soutenue et qu'elle a trouvé un défenseur résolu dans la personne d'Al-Khafâdji. Il ajoute que la prononciation Aktham est bien plus répandue.
[17] Littéralement: ayant toujours le pied dans l’étrier.
[18] On sait combien cette question passionna les esprits au temps d’Al-Mamoun. C’est sous cette forme bizarre que fut posée, à cette époque, la question philosophique. Voy. les nombreux détails que donne Ibn al-Athir, op. cit., 297, 301.
[19] L'Imâm du rite qui porte son nom et qui se distingue, connue on le sait, par son excessive rigueur. Sur ce grand théologien, né en 161 (= 780), mort en 244 (=855), voy. les références dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 182; Cl. Huart, Litt. arabe, pp. 238-240 : de Hammer, Litt. Gesch., III, 110-161 : IV, 114.
[20] Sur cet Imâm, voy. Massoudi, Prairies d’or, VIII, Index, p. 2i7 : Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 434 : Kitab al-aghâni ; Index, p. 499 : Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 229 et sq.: 245 et sq.
[21] Le djafr et la djâmi'a sont deux livres sacrés des 'Alides. Je vais transcrire ici le passage où M. Casanova, dans une remarquable note sur un manuscrit de la secte des Assassins (J. A. P., n° janvier-février 1898, p. 151 et suiv.), a montré, de la manière la plus ingénieuse, la parenté de ces ouvrages avec ceux des Frères de la Pureté. « Le caractère Ismaïlien de la djâmi'at étant bien établi, il n'est pas sans intérêt de rappeler que les 'Alides possédaient deux livres sacrés: le djafr et la djâmi'at. Ainsi l'imâm 'Ali ibn Moussa ar Rida, désigné par le khalife abbâsside al-Mamoun, comme héritier présomptif, accepta en disant: Cependant le djafr et la djâmi'at m'indiquent le contraire. » Hadji Khalfa donne en effet un long et curieux article sur les deux, article qui paraît avoir échappé aux savants qui ont parlé du djafr, comme Silvestre de Sacy, de Slane, Guyard, de Goeje, Goldziher. M. Goldziher nous a donné, en revanche, un curieux passage de l'auteur arabe Nour Allah : c'était un livre de 70 coudées de long, que le Prophète avait dicté à 'Ali. « Par Dieu ! On y trouve tout ce dont les hommes ont besoin jusqu'au lever de l'heure, c'est-à-dire jusqu’à l'apparition du Mahdi. Le djafr est fort connu et toutes les bibliothèques en possèdent des exemplaires plus ou moins authentiques : il roule sur des combinaisons cabalistiques de lettres et de chiffres qui permettent de prédire tous les événements.
« De la djâmi'at, il n'existe à ma connaissance aucune copie. Il y a là un rapprochement très instructif, je crois, étant donné le caractère mystérieux et profond de la djâmi'at d’après les deux manuscrits que j'ai cités. Affirmer que la djâmi'at des Imâms 'alides, qui lui demandaient conseil aux heures critiques, est la même que celle des Frères de la Pureté serait peut-être, en l'état actuel de nos connaissances, un peu téméraire. Mais il y a là plus qu'une simple coïncidence, et c'est, à mes yeux, une preuve de plus de l'identité absolue des doctrines philosophiques chez les Ismaïliens et chez les Frères de la Pureté. » Cf. aussi Sacy, Exposé de la religion des Druzes, Introd. ; Ibn Khaldoun. Prolégomènes, II, 205 à 225, et Ibn Khallikan, Biographical Dictionary, II, 183-184 ; III, 207; St. Guyard, Fragments relatifs à la doctrine des Ismaélis, tir. à part, p. 116; De Goeje, Mémoire sur les Carmathes, 2e édit., p. 116. Goldziher, Materialen zur Kenntniss der Almohadenbewegung, dans Z. D. M. G., XLI, p. 123 et suiv.; Litteratur Geschichte der Si'a, p. 55. Sacy a connu le passage des Prolégomènes d'Ibn Khaldoun et en a donné la traduction dans sa Chrestomathie arabe (2e édition, II, p. 298 et suiv.).
[22] Sœur d’Haroun er-Rachid. Sur cette princesse, voyez la longue notice du Kitab al-aghâni, IV, 83-95 ; Ibn Khallikan, Wafayât, notice 181, p. 42. Elle mourut en l’année 210 de l’Hégire, âgée de 50 ans. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 283.
[23] Littéralement: il se leva et s'assit.
[24] Ibn al-Athir (Chronicon, VI, 248) considère comme invraisemblable l’accusation portée contre Mamoun et croit qu'Ali, fils de Moussa, mourut simplement d'une indigestion.
[25] Je crois que c'est lui et non Mamoun, qui fit venir les caïds. Dans la phrase suivante, au contraire, l'auteur a nommé Mamoun, pour éviter toute équivoque.
[26] Selon Al-Makin (Histoire des Sarrasins, p. 132), ce fut Harthama ibn A'yan qui dénonça à Mamoun la trahison de Fadl, fils de Sahl.
[27] Sur cette princesse de la maison d’Abbas, voy. Massoudi, Prairies d’or, VI, 234, 236, 238, 239. Cf. aussi Kitab al-aghâni. Index, p. 365.
[28] Cf. Massoudi, Prairies d’or, VIII, 333, 335. Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 310. .le ne me souviens plus dans quel ouvrage j'ai lu que les 'Abbâsides considéraient Mansour comme le plus grand homme de leur dynastie, et juraient sur sa tête. Ils l'appelaient le cheikh tout court.
[29] Sur la demande de Boûrân, fille du vizir Hasan, fils de Sahl, et épouse de Mamoun. Elle demanda la grâce d'Ibrahim le jour même de son mariage. Voy. Ibn al-Athir, Chronicon. VI. 279.
[30] Sur ce personnage et les circonstances dans lesquelles eut lieu son élévation au khalifat, voy. Ibn al-Athir, Chronicon, VI. 219-220. Il mourut en l’année 203 de l'Hégire. Ibidem, p. 252. Massoudi Prairies d’or, VII, 56-57) mentionne aussi cet 'Alide et lui donne pour grand père Muhammad, tandis qu’Ibn al-Athir nomme son grand-père 'Ali, ce qui est une erreur: Djafar as-Sâdiq était, en effet, le fils de Muhammad.
[31] Ce verbe signifie : engager quelqu’un à faire une chose en lui en montrant les avantages.
[32] Son fils se nommait 'Ali et son cousin Housain, fils d’Ali, dit al-Aftas. Ce dernier fut nommé gouverneur de La Mecque par Mamoun en l'année 199 de l'Hégire. Sur ces deux personnages et leur dépravation, voy. Ibn al-Athir, Chronicon, VI. 214-216 ; 218-219.
[33] Ibn al-Athir (loc. cit.) et les autres historiens témoignent que le malheureux Muhammad ne dirigeait guère son fils et son cousin, mais qu'il était leur jouet.
[34] Ce khâridjite se nommait as-Sari, fils de Mansour. Sa révolte est racontée tout au long par Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 212 et suiv. Il agissait pour le compte de l’'Alide Muhammad, dit Ibn Tabataba, un ancêtre de l'auteur de ce livre.
[35] Allusion à la mort d’Haroun er-Rachid à Tous.
[36] Le mot est persan. Cf. Dozy, Suppl. v° cit.
[37] Ce titre montre bien que le mol Émir s'applique surtout au chef militaire; il correspond ici à la « maîtrise de l'épée ».
[38] Mouslim, fils de Walid al-Ansari, né entre 130 et 140 de l'Hégire (= 747 et 757 de J.-C), mort en 208 (= 803). Son Diwan a été publié par M. J. de Goeje, Leide, 1875. Cf. Brockelmann, Geschichte der arabischen Litteratur, I, 77. Sur ce poète, qu'on appelait « la victime des belles » (Sari al-ghawâni), voy. Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, éd. de Goeje, p. .528, et le mémoire de M. Barbier de Meynard, dans les Actes du Congrès des Orientalistes, tenu à Paris en 1897, 3e section, pp. 1-21 (il en existe un tirage à part). Cf. aussi Hammer Purgstall, Litteraturgeschichte der Araber, III, 643.
[39] Ce poète est Ibrahim, fils d’Abbas as-Souli, d'après le témoignage d'Ibn Khallikan (Wafayât, éd. Wüstenfeld. notice 540. p. 26), qui donne ces trois vers. Ses poésies, dit un de ses biographes, sont de toutes petites pièces de quelques vers, rarement plus de dix. Il mourut en 243 de l'Hégire, à Samârrâ. Cf. Ibn Khallikan, op. cit., notice 10 ; Kitab al-aghâni, IX, 21-35 (les 3 vers sont donnés, p. 29): Hammer-Purgstall, Litteraturgeschichte der Araber, IV, 531.
[40] Littéralement : c'est pour le terme, la mort.
[41] Pour les détails sur la biographie de ce vizir, voy. Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 176; Kitab al-aghâni, Index, p. 297; de Hammer-Purgstall, Litteratur Geschichte der Araber, III, 56, 267 ; Massoudi, Prairies d’or, VII, 59, 66-77; Ibn al-Athir, 212, 215 et passim.
[42] La biographie de cette princesse est donnée par Ibn Khallikan, Wafayât al-a’yân, éd. Wüstenfeld, notice 119. Son vrai nom serait Khadidja. Cf. Massoudi, Prairies d’or, VII, 65-66; VIII, 395, 438. L'index de l'édition arabe, p. 462, donne: Boûrân, fille d'Al-Mamoun.
[43] Récit conforme à Ibn al-Athir, VI, 279, et Ibn Khallikan, op. cit., notice 119.
[44] Chiffre emprunté à Ibn al-Athir, loc. cit.
[45] D'après Ibn al-Athir (op. cit., VI, 279), c’est la grand-mère paternelle de Boûrân, c'est-à-dire la mère du vizir, qui jeta les 1.000 grosses perles sur Mamoun au moment de son entrée dans la salle. Mamoun aurait fait ramasser ces perles et les offrit en cadeau à Boûrân. C’est à cette occasion que Boûrân demanda et obtint la grâce d’Ibrahim, fils de Mahdî, dont il a été question ci-dessus.
[46] Ce vers a été critiqué par les grammairiens arabes, à cause de l'emploi du superlatif indéterminé. Voy. notamment cette discussion dans la Perle du Plongeur de Hariri, apud S. de Sacy, Anthologie gram., p. 82). Cf. aussi Ibn Khallikan, trad. de Slane, I, 137 ; éd. Wüstenfeld, notice 119).
[47] Les bulles qui se forment sur la coupe remplie de vin.
[48] Ces vers ont pour auteur le poète Abou Charâ'a, dont le véritable nom est Ahmad, fils de Muhammad. Le Kitab al-aghâni (XX, pp. 35-42), qui cite ces vers dans la longue notice qu'il consacre à ce poète, dit que la personne qu'Abou Charâ'a sollicitait était, non le vizir Hasan, fils de Sahl, mais Hasan, fils de Radja, qui paraît avoir été gouverneur de province dans le Fârs (cf. Massoudi, Prairies d’or. VII, 152, et Kitab al-aghâni, Index, p. 296). Sur ce poète, voy. encore Hammer-Purgstall, Litteraturgeschichte der Araber. III, 482.
[49] La désinvolture avec laquelle les auteurs arabes attribuent les poésies à des poètes qui ne les ont jamais dites, est déconcertante. Les deux vers ci-dessus, je les ai trouvés dans le Kitab al-aghâni, XVIII, 59, où, d'après un isnâd qui a toutes les apparences de l'authenticité, l'auteur les met dans la bouche du gouverneur du Khorasan, 'Abd Allah, fils de Tahir, répondant à une sollicitation du fameux poète Di'bil al-Khozà'î, sur lequel voy. plus haut.
[50] Cf. Prairies d’or, VII, 8, 64. Dans les deux passages, le nom n’est pas donné de la même façon. C'est fils d’Abou Khalid qui paraît plus exact, comme dans le Fakhrî et dans le Kitab al-aghâni, IX, 61 ; XIV, 37.
[51] Voy. plus loin, la traduction correspondante.
[52] C'est-à-dire sa générosité.
[53] Sur ce vizir, voy. ci-dessus, et de Hammer-Purgstall, Litteraturgeschichte der Araber, III, 58.
[54] Terme essentiellement juridique; c'est le recours en cas de trouble ou d'éviction. Le rôle joué par Ahmad, fils d'Abou Khalid, dans la nomination de Tahir au gouvernement du Khorasan est raconté par Ibn al-Athir, Chronicon, VI, pp. 255-256. D'après cet auteur, un jour que Mamoun était en train de boire, Tahir vint le trouver. En le voyant, le khalife éclata en sanglots. Tahir lui demanda la raison de ce chagrin, mais le khalife ne consentit point à satisfaire sa curiosité. Par contre, il se montra moins réservé vis-à-vis de son jeune esclave, Housain, qui lui versait à boire et lui dit: « Quand j'ai vu Tahir, je me suis rappelé mon frère Muhammad Amin et les humiliations qu'il a subies : les sanglots mont serré la gorge, et je me suis soulagé en versant des larmes. Tahir ne manquera pas de recevoir de moi le châtiment qu'il redoute. » Tahir, mis au courant par le jeune esclave, vint trouver le vizir Ahmad, fils d'Abou Khalid, qui s'entremit pour le faire nommer gouverneur du Khorasan et l'éloigner ainsi des yeux de Mamoun. Il reçut, dit-on, 10 millions de Tahir pour prix de ce service.
[55] Ce premier vers est donné par Ibn al-Athir (Chronicon, VI, 288) avec une variante insignifiante… C'est le seul passage où il soit question de vizir.
[56] Sur le fameux poète, Di'bil ibn 'Ali, né en 148 (= 765), mort en 246 (= 860), voy. Brockelmann, Litteratur Geschichte, I, 79; Ibn Qotaiba, Liber poesis, etc., éd. de Goeje, pp. 539-541.
[57] Cette anecdote a été donnée avec le quatrain satirique contre Mamoun. p. 30. Elle est également rapportée par le Kitab al-aghâni, XVIII, 30 et 39, où l’on trouve la suite de l’épigramme lancée par Di'bil contre Abou 'Abbâd. Dans les deux passages, on trouve Hiraql, mais c'est une faute, que démontre le mètre de ce vers. Le Tadj al-’aroûs, VIII, 168, dit Hizqil, nom de lieu sur le paradigme de zibridj ; Massoudi (Prairies d’or, VII, 198) dit qu'il existait, en effet, un hospice de fous à Dair Hizqil (l'éditeur et traducteur de cet ouvrage a imprimé et traduit : couvent de Saint-Heraclius. Il n'y a aucun doute sur la transcription de ce nom de lieu, qui est situé entre Basra et 'Askar .Moukrani. Yakout, II, 706, donne beaucoup de détails sur ce lieu et cite le vers en question.
[58] Le khalife.
[59] C'est le nom du vizir Abou 'Abbâd. Il est impossible de rendre en français le jeu de mots que contient le vers.
[60] Chacun de ces deux mois, en arabe, rime avec le vers précédent.
[61] Je n’ai pu trouver aucun renseignement sur ce poète.
[62] Ou un compte.
[63] Je pense que Fatoûn est ici un nom propre de femme.
[64] Ibn Khallikan (Wafayât. éd. Wüstenfeld, notice 518 donne la biographie d'un autre vizir de Mamoun qu’il appelle 'Amr, fils de Mas'ada. Mais je pense qu'il s'agit ici, non pas du vrai vizir, mais d'un sous-secrétaire d'Etat, car il est à remarquer que les khalifes ont eu concurremment chacun plusieurs ministres, chargés des différents services : mais c'est le premier, le chef du gouvernement, qui seul portait le titre de vizir. Les autres sont restés dans l'ombre, et c'est à peine si les historiens les nomment quelquefois.
[65] Les éditions, de même que le manuscrit A dont elles procèdent, donnent dix-huit ans. Cela est impossible, puisque, d'après la suite du récit, ce khalife mourut à l'Age de 48 ans environ, après un règne de 8 ans et 8 mois; il avait donc environ 38 ans en montant sur le trône. Cela est conforme à Ibn al-Athir, Chronicon, VI, p. 373). où notre auteur me semble avoir puisé ces renseignements. Cf. Massoudi, Prairies d’or, VII, 102.
[66] Voy. Géographie d'Aboulféda, éd. Reinaud et de Slane, p. 235.
[67] Voy. Ibn al-Athir, op. cit., VI, 339 ; Massoudi, VII, 133.
[68] C'était le qâdî de Bagdad. 'Abd er-Rahman, fils d'Ishaq, et un autre jurisconsulte, nommé Chou'ba, fils de Sahl. Ils étaient assistés de 328 témoins. Ibn al-Athir, VI, 310.
[69] Aboulféda, Annales Moslemici, II, 171 ; Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 3311 et suiv.
[70] Cette porte se nommait aussi Porte d'Amorium (Bâb Ammoûriya). Elle était munie d'un crochet de fer pour les exécutions. Cf. Aboulféda, Géogr., trad. Stanislas Guyard, I, 67. C'est là qu'on brûla publiquement, sous le règne de Nasir, les traités théologiques et astronomiques de Roukn 'Abd as-Salam. Cf. Dugat, Histoire des philosophes et théologiens musulmans, p. 194. Voy. aussi Salmon, Introduction topographique à l'histoire de Bagdad, pp. 58 et 136. C'est là aussi que fut exécuté, sous Mou'tasim, le général turc Afchîn, qui était autrefois à son service. Cf. Massoudi, Prairies d’or, VI, 139.
[71] Ce célèbre poète était, comme on le sait, d'origine chrétienne. Né près de Tibériade en 807, il mourut à Mossoul vers 846. C'est grâce surtout à sa magnifique Anthologie des poètes arabes que son nom est passé à la postérité. Voy. de nombreuses références dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 84-85 ; Cl. Huard, Hist. de la Litt. arabe, p. 89 ; de Hammer, Litt. gesch. der Arab., III, 967.
[72] Le vers en question a été traduit par S. de Sacy, dans sa Chrestomathie arabe, I, 88.
[73] Mayya est le nom de la bien-aimée du poète Ghailân, dit Dzoû-r- Roumma. qui l'a chantée dans de beaux vers.
[74] Ghailân, fils d’Ouqba, fils de Massoud, est le nom du poète Dzoû-r-Roumma, qui mourut dans les environs de 107 de l'Hégire (= 719). Le poète Farazdaq ne partageait pas l'admiration de ses contemporains pour la poésie de Dzoû-r-Houmma. Il trouvait qu'il abusait de la description des campements abandonnés, de l'oiseau qatâ et des chameaux. Sur Dzoû-r-Roumma et ses amours, voy. le Kitab al-aghâni, XVI, 110-135 et Index, pp. 348-349. Pour la bibliographie, cf. Bhockelmann, Gesch. der arab. Litt.. I, 58-59; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, 51; de Hammer-Purgstall, Litteraturgesch., II, 401.
[75] C'était le nom patronymique, kounya, du khalife.
[76] Ou « les flèches des paroles que prononce le muezzin au lever de l'aurore. » Cf. Dozy, Supplément, I, 636, s. v.
[77] Ce récit est emprunté à Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 319. Cf. Massoudi, Prairies d’or, VI, 148 et suiv.
[78] Sur ce joueur de flûte, voy. Ibn Khallikan, trad.de Slane, I, p. 220; Ibn al-Athir, Chronicon, VI, p. 373. Ce dernier auteur, qui parait avoir été ici aussi la source où a puisé Ibn al-Tiqtaqâ, donne les trois vers dont il est question ci-dessus, sans variante appréciable.
[79] Massoudi (Prairies d’or. VII, 3 et 148) dit qu'il a été également vizir sous le règne de Mamoun, mais d'une manière pour ainsi dire officieuse. Voy. d'autres anecdotes sur ce vizir dans le Kitab al-aghâni, XVII, 38, 178, 182 et XXI, 45). La biographie de ce vizir est donnée par Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 541. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 320-321.
[80] Cette localité est située en amont de Bagdad, à 4 parasanges de cette ville, sur le Tigre. C'est là qu'aboutit le canal dit Nahr al-Khalis. qui part de Badjisrâ sur le Tamarrâ. Cf. G. Salmon, Introduct. topographique à l'histoire de Bagdad:, p. 37. Lorsque Mou'tasim résolut de quitter Bagdad à cause de sa milice (voy. ci-dessus) il campa d'abord à Baradân, mais il dut bientôt la quitter, ne la trouvant pas assez salubre, ni assez vaste. Cf. Massoudi, Prairies d’or, VII, 119: voy. aussi Ibn al- Athir, Chronicon, VI, 320 ; Aboulféda. Géographie, éd. Reinaud-Slane. p. 95.
[81] Ces vers sont donnés par Ibn Khallikan (loc. cit.), qui ajoute: « Al-Marzoubânî, dans son Dictionnaire des poètes (Moud’jam ach-chou'arâ et Zamakhchari, dans son Rabi' al-abrâr, attribuent ces vers à Al-Haitham b. Firâs as-Sâmi, sur lequel on peut voir Kitab al-aghâni, XX, 151.
[82] Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, VII, 27, 81. Ce vizir mourut en 250 de l'Hégire.
[83] Sur cette localité, par où passait autrefois le Tigre, avant que son cours fût détourné, sous le règne de Chosroès Parviz, voy. Aboulféda, Géographie, éd. Reinaud-Slane, p. 321 ; Salmon, Introduct. à l'hist. de Bagdad, p. 35.
[84] Cette anecdote a été rapportée par Reisk dans ses Adnotationes hist. sur Aboulféda, Annales Moslemici, II, 684 et par Sacy dans son Anthologie grammaticale arabe, p. 138. Ce dernier auteur a emprunté son récit à Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 706, biographie de Muhammad, fils d’Abd al-Malik az-Zayyât.
[85] Cela signifie qu'en cas de violation de son serment, c'est-à-dire dans le cas où il ne ferait pas mourir Ibn az-Zayyât, il jurait d'accomplir le pèlerinage à La Mecque, d'affranchir un esclave et de faire une aumône qui consiste généralement à donner à dix pauvres un moudd (modius) de nourriture à chacun. C'est ce qu'on appelle la kaffâra, « expiation ». Voy., pour plus de détails, notre ouvrage, la Pierre de touche des Fétwas, d'Ahmad al-Wanscharisi, t. I, pp. 175-176 (Archives marocaines, vol. XII).
[86] C'est le nom de Wâthiq. Ces trois vers sont donnés aussi par Ibn al-Athir, Chronicon, VI, pp. 373-374, sans variantes importantes.
[87] Tel n'est pas le récit d'Ibn al-Athir, Chronicon, VII, 25. D'après cet auteur, le vizir s'était déjà servi de son instrument de supplice. Il y aurait enfermé un certain Ibn Asbat al-Misri, dont il aurait confisqué les biens. Cet auteur donne (loc. cit.) une longue description de ce cylindre (proprement: fourneau), et ajoute, contrairement à Massoudi et à Ibn at-Tiqtaqâ, que le cylindre était en bois, mais garni de clous en fer et à l’intérieur.
[88] Nous ne pouvons, dans des notes, raconter toute la vie de ce malheureux vizir. Les documents sont nombreux et nous renvoyons notamment aux longues notices que lui ont consacrées Ibn Khallikan, Wafayât, n° 706 ; Kitab al-aghâni, XX, 46-56 et Index, p. 605; Ibn al-Athir, Chronicon. VII, 22-26 et passim : Massoudi, Prairies d’or, VII, 146-148, 194-197.
[89] Littéralement, un de leurs meilleurs khalifes. Le chi'itisme de l'auteur apparaît, pour ainsi dire, à chaque ligne.
[90] C'est ce que dit Ibn al-Athir, Chronicon, VII, 21-22.
[91] Ce mausolée était clans la plaine de Keibala.
[92] Les historiens ne dirent nullement que c'est pour venger les 'Alides que Mountasir tua son père. Au contraire, Ibn al-Athir, Chronicon, VII, 61-62) raconte, avec beaucoup de détails, que Mountasir subissait toutes sortes de vexations de la part de son père, qui, une fois ivre, le faisait battre, l’insultait devant les assistants, se moquait de lui, en lui donnant des sobriquets déshonorants. Cf. aussi .Massoudi, Prairies d’or, VII, 273 et Ibn Khallikan, Wafayât, notice 133.
[93] Comme nous l’avons dit plus haut (voy. supra, p. 3, note 4), il existe deux personnages de ce nom. Celui dont il est ici question était un grand favori du khalife Moutawakkil, dont il devint plus tard le vizir. Il fui tué en même temps que ce prince en 247 (= 861) à la suite d'un complot de la milice turque et du propre fils du khalife. Cf. Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notices 133 et 479 ; Massoudi, Prairies d’or. Index, p. 147; Kitab al-aghâni. Index, p. 536 ; Hammer-Purgstall, Litteraturgeschichte der Araber, IV, 70, et aussi VI, 443 et 582 : Ibn al-Athir, Chronicon, VII, 60-64 et 66-68.
[94] Ce personnage est appelé Ahmad, fils de Khalid, par Ibn al-Athir, (Chronicon, VII, pp. 22-23, si toutefois le passage n'est pas interpolé, car Massoudi (Prairies d’or, VII, 148-149, 197) le nomme seulement Abou-l-Wazîr. Peut-être l’a-t-on nommé ainsi pour ne pas le confondre avec Ahmad, fils d'Abou Khalid, le vizir de Mamoun; voy. ci-dessus, p. 388. Ibn al-Athir (op. cit., p. 7) raconte qu'en l'année 229, Moutawakkil condamna la plupart de ses hauts fonctionnaires à des amendes plus ou moins fortes. Abou-l-Wazîr dut payer 140.000 dinars.
[95] Voyez Soyoûti, Loubb al-Loubâb, éd. Weth., p. 62 et Yakout, Mou'djam.
[96] L'ethnique de ce vizir a donné lieu à une confusion. Des manuscrits des Prairies d’or et le Kitab al-aghâni, IX, 69 et XVII, 127, le donnent comme étant de Djourdjân, donc Djourdjâni. Mais le témoignage d'Ibn al-Athir (Chronicon, VII, 81 et 89), de même que le passage de Yakout, mentionné ci-dessus, démontrent qu'il était de Djandjarâyâ. C'est aussi la leçon à laquelle s'est rallié M. Barbier de Meynard, dans les Prairies d’or, VII, 197. D'après les passages d'Ibn al-Athir indiqués ci-dessus, Muhammad, fils de Fadl al-Djardjarâ'î, fut également vizir de Mousta'în et mourut en l'année 250 de l'Hégire (= 864).
[97] Il ne faudrait pas confondre ce vizir avec son petit-fils, également 'Oubeïd Allah qui, 60 ans plus tard, devint vizir du khalife Mouqtadir ; voy. plus loin la traduction correspondante. Cette confusion n'a pas été évitée par les éditeurs de Massoudi et d’Ibn al-Athir. Ce qui permet de distinguer les deux personnages, c'est la kounya: celle du grand-père était Abou-l-Hasan, celle du petit-fils Abou-l-Qasim.
[98] Ibn Khallikan (Wafayât, éd. Wüstenfeld, n° 133) consacre une substantielle notice à ce khalife. Cf. aussï de Hammer Purgstall, Litteratur Geschichte der Araber, VI, 72.