Tiqtaqa

IBN AL-TIQTAQÂ

 

 

 Histoire des dynasties MUSULMANES

SECTION DEUXIEME CONTENANT L'HISTOIRE DES DYNASTIES, L'UNE APRÈS L'AUTRE

III. LA DYNASTIE ABBASIDE (partie I - partie II)

la dynastie abbaside partie I  - partie III

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

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IBN AL-TIQTAQÂ

HISTOIRE DES DYNASTIES MUSULMANES


 

 

III. — LA DYNASTIE ABBASIDE

 

 

III. — RÈGNE DE MAHDÎ (158/774 — 169/785)

Après Mansour régna son fils Muhammad Mahdî, dont le nom complet est Abou 'Abd Allah Muhammad Mahdî, fils d'Abou Djafar Mansour.

Sa généalogie a été donnée plus haut. Il fut proclamé khalife à La Mecque, en l'année 158 (774 de J.-C.).

Mahdî était un prince énergique, éveillé, généreux, terrible pour les moulhidites et les zindiqs.[286] Il déploya à détruire ces sectes un zèle à l'abri de tout reproche. Par le désordre, les calamités et les insurrections, son règne ressemblait à celui de son père. Mahdî tenait souvent audience pour rendre lui-même la justice. On raconte que lorsqu'il tenait ces audiences, il disait : « Faites entrer en ma présence les qâdîs, car si je ne m'appliquais à redresser les griefs que par déférence pour ces magistrats, ce serait encore une garantie suffisante.[287] »

On rapporte[288] aussi que ce khalife, faisant une promenade avec un de ses familiers nommé 'Amr, [289] s'écarta de son escorte, tout en chassant. Comme il avait faim, il dit à 'Amr : « Y a-t-il quelque chose à manger ? — Je vois, dit 'Amr, une cabane. » Ils s’y dirigèrent et y trouvèrent un Nabatéen, propriétaire d'un petit potager. Ils le saluèrent, puis lui demandèrent s'il disposait de quelque nourriture : « J'ai, répondit-il, du poisson salé[290] (c'est une sorte de hors-d'œuvre fait de petits poissons) ; j’ai aussi du pain d'orge. — Si tu as avec cela un peu d'huile, lui dit Mahdi, tu nous auras fait une hospitalité[291] parfaite. — Oui, dit le paysan ; et j'ai aussi du poireau », et il leur apporta ces provisions qu'ils mangèrent jusqu'à se rassasier. Mahdi dit alors à 'Amr : « Improvise quelques vers de circonstance. » 'Amr improvisa ceux-ci :

Celui qui sert à ses hôtes du poisson salé avec de l'huile, et du pain d'orge avec du poireau,

Mérite, pour son mauvais procédé, une claque ou deux et même trois.

« Quelles vilaines paroles ! s'écria Mahdi : tu aurais dû plutôt dire :

Mérite, pour son bon procédé, une bourse[292] ou deux et même trois. »

Pendant ce temps, arrivaient l'escorte, la caisse et les esclaves du khalife, qui ordonna de remettre au Nabatéen trois bourses d'argent, puis s'en alla.

C'est sous le règne de ce prince qu'apparut Mouqanna'[293] (l'Homme au Masque) dans la province du Khorasan. Voici le récit de cet événement.

Mouqanna' était un homme borgne, de petite taille ; il habitait Merv. Il s'était fait un masque d'or, qu'il mit sur son visage pour le cacher et il prétendit être Dieu lui-même. Il disait : « Dieu a créé Adam et s'est incarné dans sa personne, puis dans celle de Noé, et ainsi de suite jusqu'à Abou Mouslim Khorasani. » Il se donna le nom de Hâchim, et il croyait à la métempsycose. Beaucoup de gens à l'esprit égaré lui prêtèrent le serment de fidélité et, dans quelque pays qu'ils se trouvassent, ils se prosternaient dans la direction de l'endroit où résidait Mouqanna'. De même dans les combats, ils criaient : « O Hâchim ! accorde-nous ton aide ! » Un très grand nombre de partisans vinrent se grouper autour de lui.

Mahdî ayant envoyé contre lui une armée, Mouqanna' se réfugia dans une citadelle[294] (qal’a) située dans cette région. Les troupes du khalife lui infligèrent un si long siège, qu'il se lassa ainsi que ses partisans, dont la plupart[295] demandèrent l’aman (la paix avec la vie sauve). Il ne resta plus avec lui que quelques personnes, et il continuait à être bloqué dans sa forteresse. Alors, ayant allumé un énorme bûcher, il y jeta tout ce qu'il y avait dans la forteresse : bêtes, vêtements, et objets mobiliers. Puis, réunissant ses femmes et ses enfants, il dit à ses compagnons : « Que quiconque d'entre vous désire monter au ciel avec moi, se jette dans ce feu. » Il s'y jeta[296] ensuite lui-même avec ses enfants et ses femmes, par crainte que son cadavre ou ses femmes ne tombassent entre les mains des ennemis. Quand le feu les eut tous consumés, les portes de la forteresse furent enfoncées, et les troupes de Mahdî y entrèrent, mais la trouvèrent dévastée, complètement vide.

En montant sur le trône, Mahdî rouvrit la question de la destitution de Isa, fils de Moussa, et de la proclamation de ses propres fils Moussa al-Hadi et Haroun er-Rachid comme héritiers présomptifs du trône. Nous avons raconté précédemment de quelle manière Isa avait déjà été dépossédé une première fois, sous le règne de Mansour, qui fit passer avant lui Mahdî. Celui-ci, en montant sur le trône, voulut faire pour ses enfants ce que Mansour avait fait pour lui-même. En conséquence, il demanda à 'Isa, fils de Moussa, d’abdiquer lui-même ses droits. Mais ce dernier refusa. Mahdî employa alors les menaces et les promesses jusqu'à ce que, 'Isa ayant accepté, il fit constater son abdication par des témoins et proclamer ses propres fils, Hadi et Rachid.

Mahdî, comme autrefois son père (Mansour), avait l'habitude d'examiner minutieusement le détail des questions. C'est ainsi qu'en montant sur le trône, il donna ordre de rétablir la généalogie de la famille de Ziyâd ibn Abîhi en la rattachant à 'Oubeïd ath-Thaqafî et de les rayer du registre généalogique[297] de Qoraich. Il ordonna aussi de rétablir la généalogie de la famille Abou Bakra[298] en les rattachant à la clientèle du Prophète (sur lui soient les bénédictions d'Allah et son salut !). Il en fit dresser des lettres patentes, et sa décision fut effectivement exécutée. Mais, dans la suite, les gouverneurs se laissèrent corrompre par les descendants de Ziyâd et les rétablirent sur le registre de Qoraich.

Mahdî fit, à diverses reprises, des expéditions contre l'empire byzantin et demeura toujours maître de la victoire. Il mourut à Mâsabadzân, [299] mais l'on est en désaccord sur la cause de sa mort. Selon les uns, dans une de ses parties de chasse, il poursuivait une gazelle, lorsque celle-ci pénétra par la porte d'une masure. Le cheval de Mahdî s'y engagea alors derrière elle, et le linteau de la porte de cette masure, ayant broyé le dos du khalife, détermina sa mort sur le champ.

D'après une autre version, [300] une de ses jeunes esclaves ayant mis du poison dans un plat qu’elle destinait à une autre esclave, Mahdî, qui n'était pas au courant, en mangea et y trouva la mort. Cet événement eut lieu en l'année 169 (785 de J.-C.).

Le poète[301] Abou-l-'Atâhiyya a dit, en décrivant les jeunes esclaves du khalife, qui étaient sorties, après sa mort, vêtues de cilices :

Hier encore, elles étaient dans la soie, et les voilà aujourd'hui couvertes de cilices.

Tout bélier (ou taureau) vigoureux est appelé à être un jour terrassé.[302]

Tu n'es pas immortel, dût ta vie se prolonger autant que celle de Noé.[303]

Et puisqu'il faut que tu gémisses, c'est sur ta propre destinée que tu dois gémir.[304]

HISTOIRE DU VIZIRAT SOUS LE REGNE DE MAHDI

C'est sous le règne de ce prince que la fonction de vizir apparut dans toute sa splendeur, grâce à la haute capacité de son vizir Abou Oubeïd Allah Mouâwiya, fils de Yasâr.[305] C'est lui qui sut réunir [dans le trésor du khalife] tous les revenus de l'empire, qui organisa le diwan et établit les bases de l’administration. C'était un homme d'Etat de premier ordre, et nul ne pouvait lui être comparé sous le rapport de l'habileté, de la science et de la connaissance profonde des affaires. Voici, d'ailleurs, un aperçu de sa biographie.

VIZIRAT D’ABOU OUBEÏD ALLAH MOUAWIYAH, FILS DE YASAR, SOUS LE RÈGNE DE MAHDÎ

Ibn Yasâr descendait d'un affranchi d'al-Ach'arî.[306] Il avait rempli les fonctions de secrétaire et de gérant de Mahdî, [307] avant son avènement au khalifat. C'est Mansour qui l'attacha au service de son fils. Il avait même pensé le prendre lui-même comme vizir, mais il préféra sacrifier son propre intérêt en le donnant à son fils Mahdî. Il dominait complètement celui-ci, qui ne lui désobéissait en rien. D'ailleurs, Mansour ne cessait jamais de le recommander à son fils et lui ordonnait constamment de se conformer à ses conseils. Après la mort de Mansour, Mahdî étant monté sur le trône du khalifat, donna pleins pouvoirs à Ibn Yasâr pour gouverner l'empire et lui confia les divans. C'était un maître dans son art ; on lui doit un certain nombre d'innovations, entre autres le remplacement de l'impôt foncier (kharâdj) par la mouqâsama ou impôt en nature, consistant dans une quote-part de la récolte. Auparavant, le souverain percevait sur les récoltes un impôt foncier déterminé, sans participer au partage de la récolte. Mais lorsqu'Abou 'Oubeïd Allah fut investi du vizirat. il réglementa la question du partage en nature avec le fisc, et frappa de l’impôt [kharâdj] les palmiers et les arbres à tige ligneuse. Depuis, ce système a été suivi jusqu'à ce jour. Il composa, sur l’impôt foncier [kharâdj], un livre, où il indiqua les règles légales auxquelles cet impôt est assujetti, tous les détails de son application, ainsi que les principes de son organisation. Il est le premier auteur qui ait écrit un ouvrage sur cette question. Depuis, il a été pris comme modèle par d'autres personnes, qui composèrent des ouvrages sur l'impôt [kharâdj].

Ibn Yasâr était très orgueilleux et très fier.

On raconte que lorsque Rabi' arriva de La Mecque, après la mort de Mansour et la proclamation de Mahdî, il se présenta, aussitôt arrivé, à la porte d'Abou Oubeïd Allah. Fadl, fils de Rabi' [qui accompagnait son père], lui dit : « Comment, père, nous commençons par le vizir avant de nous présenter devant le Commandeur des Croyants et avant d'aller chez nous ? — Parfaitement, mon cher enfant ; c'est le favori de cet homme[308] [du khalife] et il le domine entièrement. »

Arrivé à la porte du vizir Abou Oubeïd Allah, Rabi' attendit un moment la sortie de l'huissier, qui rentra demander pour lui l'autorisation de se présenter devant le vizir. Celui-ci ayant accordé cette autorisation, Rabi' entra, mais le vizir ne se leva même pas au-devant de lui. Il lui demanda ensuite des renseignements sur son voyage et sur sa santé. Rabi', lui ayant répondu sur ce point, commença ensuite à l'entretenir de ce qui s'était passé à La Mecque, de la mort de Mansour et des efforts qu'il avait dû lui-même déployer pour faire proclamer Hâdi. Mais le vizir lui coupa brusquement la parole en lui disant : « Je suis au courant ; il n'est pas nécessaire d’y revenir. » Rabi', très fâché, se leva et sortit : « Puissè-je être tenu envers Dieu de ceci et cela, dit-il à son fils Fadl, si je n'emploie pas toute ma fortune et toute mon influence à lui nuire et à briser son bonheur ! » Rabi' alla trouver ensuite le khalife Mahdî, qui le prit comme chambellan et en fit un de ses intimes, comme il l'avait été avec son père (Mansour). Dès ce moment, Rabi' commença à intriguer contre Abou Oubeïd Allah par tous les moyens possibles, mais il n'obtint aucun résultat. C'est alors que, prenant à part un des ennemis du vizir, il lui dit : « Tu as vu de quelle manière Abou Oubeïd Allah s'est conduit à ton égard (ce vizir l'avait en effet persécuté) et aussi envers moi ; n'aurais-tu pas quelque combinaison pour nous venger ? — Par Allah ! non, répondit l’homme, je ne trouve aucun stratagème qui puisse réussir contre lui, car c'est l'homme le plus chaste que je connaisse, celui dont la main et la langue blessent le moins ses semblables. Sa ligne de conduite est droite, son habileté dans son art est au-dessus de tout et sa capacité est telle que tu sais. Son fils, au contraire, a une mauvaise conduite et une vie déplorable, de sorte que les mauvais rapports sur lui ont de grandes chances de l'atteindre. Si donc il y avait un moyen d'atteindre indirectement le vizir par la voie de son fils, peut-être y réussirions-nous. » Rabi' embrassa son interlocuteur entre les deux yeux, et entrevit dès lors l'intrigue à ourdir contre le vizir. En conséquence, il accusa son fils, auprès du khalife Mahdî, de toutes sortes de calomnies. Tantôt il l’accusait d'entretenir une intrigue amoureuse avec une femme du harem royal, tantôt il prétendait qu'il était zindiq.

Or, Mahdî était terrible contre les moulhidites et les zindiqs, qu'il épiait constamment pour les faire périr. Aussi, dès que son esprit fut convaincu de la culpabilité du fils du vizir, il le fit mander et lui demanda [de réciter] quelque partie du Coran sublime. Le jeune homme ne sut rien. Alors, le khalife, s'adressant au vizir, qui était présent, lui dit : « Ne m'as-tu pas dit que ton fils savait par cœur le Coran. — Parfaitement, Emir des Croyants, répondit le vizir ; mais il m'a quitté depuis longtemps, et il l'a oublié. — Eh bien, reprit le khalife, lève-toi et offre son sang à Allah. » Abou Oubeïd Allah se leva, trébucha, puis tomba à terre, secoué par un tremblement de tout son corps. « Emir des Croyants », dit 'Abbâs, [309] fils de Muhammad, oncle du khalife, qui assistait à cette scène, « si tu crois pouvoir dispenser ce malheureux vieillard de tuer lui-même son fils et confier cette besogne à un autre [je t'en prie], fais-le. » Alors, Mahdî ayant ordonné à l'un des assistants de mettre à mort le fils du vizir, cet homme lui trancha le cou.[310] Quant à son père, il continua à remplir son service comme auparavant, mais la tristesse était peinte sur son visage. Les bons sentiments de son cœur s'altérèrent, de même que les sentiments de Mahdî à son égard. Un jour, en entrant chez le khalife pour lui soumettre des lettres arrivées des pays étrangers, celui-ci donna ordre d'évacuer le prétoire. Toutes les personnes qui s'y trouvaient sortirent, sauf Rabi'. Mais Abou Oubeïd Allah ne donna lecture d'aucune de ces lettres et demanda que Rabi sortît également. Le khalife lui ordonna de sortir, mais Rabi' recula un peu seulement. « Ne t'ai-je pas ordonné de sortir ? lui cria le khalife. — Émir des Croyants, répondit-il, comment puis-je sortir et te laisser tout seul et sans arme, avec un Syrien, du nom de Mouâwiya, de qui hier encore tu as tué le fils et dont le cœur bouillonne de colère ? Comment sortirai-je en te laissant seul avec lui dans ces conditions ? » L'idée fit impression sur l'esprit de Mahdî. Toutefois, il répondit : « O Rabi', j'ai confiance dans Abou Oubeïd Allah dans toutes les circonstances. » Puis, s'adressant au vizir, il lui dit : « Soumets-moi tout ce que tu veux, je n'ai pas de secrets pour Rabi'. » Quelque temps après, Mahdî dit à Rabi' : « Je suis gêné devant Abou 'Oubeïd Allah, par suite de ce que j'ai fait mourir son fils ; fais que je ne le voie plus. » Le vizir ne put plus entrer chez le khalife ; il se retira complètement dans son hôtel, et sa haute situation s'anéantit.[311] C'est ainsi que se réalisa le désir qu'avait Rabi' de briser le bonheur du vizir. Abou 'Oubeïd Allah Mouâwiya, fils de Yasâr, mourut en l'année 170[312] (786 de J.-C).

VIZIRAT D’ABOU ABD-ALLAH YAKOUB, FILS DE DAOUD, SOUS LE RÈGNE DE MAHDÎ

Ce vizir était un affranchi. Son père et ses frères, au rapport de Souli', étaient secrétaires au service de Nasr, fils de Sayyâr, [313] gouverneur du Khorasan. Yakoub, fils de Daoud, était chiite et, au début de sa carrière, il avait été partisan[314] des fils d'Abd-Allah, fils de Hasan, fils de Hasan, et eut toutes sortes d'aventures[315] à ce sujet. Dans la suite, Mansour craignant, de la part des fils de Hasan, quelque entreprise à laquelle il serait impossible de remédier, se mit en quête d'un homme de l'intimité des fils de Hasan pour le leur opposer.[316] C'est alors que Rabi' lui désigna Yakoub, fils de Daoud, à raison de l'amitié qui les unissait et pour renverser du pouvoir le vizir Abou 'Oubeïd Allah Mouâwiya. Mahdî, l'ayant fait venir, s'entretint avec lui, et vit que c'était un homme d'une rare intelligence et d'une conduite irréprochable.[317] Il le prit en grande affection et en fit un de ses intimes. Il le prit ensuite, comme vizir et lui confia le soin de diriger les affaires de l'empire.[318]

Selon une autre version, le motif de l'arrivée de Yakoub, fils de Daoud, au vizirat est tout différent. Il aurait promis à Rabi 100.000 dinars, s'il parvenait à lui faire obtenir le vizirat. Alors, Rabi' se mit à faire son éloge à Mahdî chaque fois qu'ils avaient un entretien en particulier. Mahdî demanda à le voir ; lorsqu'il se présenta devant le khalife, celui-ci lui trouva des qualités morales et un talent des plus distingués. Dans la suite, il dit lui-même au khalife : « Emir des Croyants, il y a dans l'empire des affaires qui ne parviennent pas à ta connaissance ; si tu me chargeais de te les soumettre, je déploierais tout mon zèle pour te donner les conseils les plus sincères. » Le khalife l'admit dans son intimité et en fit son confident ; et Yakoub lui soumettait, chaque jour, des réformes utiles, des questions importantes et des avis dictés par une grande sincérité, que le khalife n'avait jamais reçus auparavant. C'est alors qu'il fit de lui son ami intime et fit dresser des lettres patentes où il le déclarait son frère[319] en Allah (qu'il soit exalté !). Il le prit comme vizir et lui confia toutes les affaires de l'empire. Il lui donna aussi la haute main sur tous les bureaux de l'administration ; bref, il lui donna la première place dans l'empire, au point que le poète Bachchâr, fils de Bourd, [320] lança contre lui cette épigramme[321] :

Réveillez-vous, Omeyyades ; votre sommeil s'est trop prolongé ! Certes le khalife est à présent Yakoub, fils de Daoud.

Pauvres gens ! votre khalifat est perdu. Cherchez le vicariat d'Allah entre la flûte et le luth.[322]

Ce qui a motivé cette épigramme, c'est que Mahdî s'était entièrement adonné aux plaisirs, à l'amusement et à la musique, en confiant le soin de l'empire à Yakoub, fils de Daoud. Les compagnons de plaisir de Mahdî buvaient chez lui du nabîdz, [323] mais on prétend qu'il n'en prenait pas lui-même avec eux. Yakoub, fils de Daoud, lui fit des représentations à ce sujet et le prêcha en disant : « Comment, après avoir fait de [ferventes] prières à la mosquée, tu commets un semblable péché ! » Mais Mahdî ne s'en soucia guère. C'est à ce sujet que le poète, s'adressant à Mahdî, lui dit :

Laisse de côté Yakoub fils de Daoud et adonne-toi à la [liqueur] blonde au doux parfum.[324]

Cependant, les calomniateurs ne cessaient d'intriguer contre Yakoub, fils de Daoud, auprès de Mahdî, jusqu'à ce qu'il le disgraciât et le jetât au Moutbiq, [325] qui est la prison de ceux qui sont condamnés à l'internement perpétuel. Il y demeura ainsi pendant toute la durée du règne de Mahdî et du règne de Hadi, jusqu'au jour où [Haroun] er-Rachid lui rendit la liberté.

CAUSE DE L’ARRESTATION DU VIZIR YAKOUB, FILS DE DAOUD, ET RÉCIT DES EVENEMENTS QUI SE PRODUISIRENT ALORS

Voici ce qu'a raconté Yakoub fils de Daoud lui-même[326] : « Un jour, Mahdî m'ayant fait mander, je me rendis auprès de lui ; il était dans un pavillon placé au milieu d'un jardin ; les branches des arbres, chargées de fleurs de toutes sortes, se courbaient jusqu'au niveau de la terre de ce pavillon, qui était tendu de tapis roses. Il avait, vis-à-vis de lui, une jeune esclave d'une beauté telle que je n’ai jamais vu plus beau visage. « Yakoub, me dit-il, comment trouves-tu ce pavillon ? — Tout ce qu'il y a de plus beau, répondis-je ; qu'Allah en fasse jouir, dans la quiétude, l’Emir des Croyants ! — Eh bien ! je te le donne, me dit-il, avec tout ce qu'il contient, et je te donne, en plus 100.000 drachmes et cette jeune femme, pour que ton bonheur soit complet. » Comme je formais des vœux pour lui, il me dit : « Mais j'ai un service à te demander et je désire que tu m'en promettes l'accomplissement. — Émir des Croyants, lui dis-je, je suis ton esclave, obéissant à tout ce qu'il te plaît d'ordonner. » Alors, il me remit entre les mains un 'Alide, en ajoutant : « Je désire que tu m'en débarrasses, car j'ai peur qu'il ne se révolte contre moi. — Tu seras obéi, répondis-je. « — Il faut me le jurer », reprit-il. Alors je lui jurai par Allah que j'accomplirais ses désirs. Ensuite, on transporta chez moi tout ce qu'il y avait dans le pavillon, ainsi que la jeune esclave. Ma joie de l'avoir était telle que je la plaçai dans une pièce contiguë à celle où je me tenais moi-même, n'étant séparé d'elle que par un léger rideau. Puis je fis entrer l'Alide auprès de moi, et je m'aperçus, en l'entretenant, que c'était un homme d'une rare intelligence. « O Yakoub, me dit-il, tu veux donc paraître devant Allah en ayant mon sang sur la conscience, alors que je suis le descendant d'Ali, fils d'Abou Thâlib et de Fatima, et que je ne me suis rendu coupable d'aucun crime à ton égard ? — Non, par Allah ! lui répondis-je ; prends cet argent et sauve-toi. » Pendant ce temps, la jeune esclave écoutait tout. Elle envoya à Mahdî un émissaire secret, qui le mit au courant de l'affaire. Alors, Mahdî fît occuper les rues par des soldats et parvint à arrêter l'Alide. Il le plaça dans une pièce voisine de son prétoire, puis me fit mander.

« Lorsque je me fus présenté, il me dit : « O Yakoub, « qu'as-tu fait de l'Alide ? » Je répondis : « Allah en a débarrassé l'Émir des Croyants. — Il est donc mort ? « reprit-il. — Parfaitement, répondis-je. — Tu le jures par Allah ? insista-t-il. — Je le jure par Allah, fis-je. — Eh bien, dit-il, mets ta main sur ma tête et jure par elle. » Alors, raconte Yakoub, je plaçai ma main sur sa tête, et je jurai. Mais le khalife, s'adressant à un de ses esclaves, lui dit : « Amène-nous la personne qui est dans cette pièce. » L'esclave amena l'Alide. Dès que je le vis, je perdis l'usage de la parole, et je restai perplexe ! « O Yakoub, me dit alors Mahdî, j'ai maintenant le droit de verser ton sang. Puis s'adressant aux gardes, amenez-le à la prison du Moutbiq. » — Je fus, continue Yakoub, descendu par une corde dans un puits obscur, où je ne voyais plus la lumière du jour. Chaque jour, on m'apportait de quoi me nourrir, et j'y demeurai pendant un temps que je ne pouvais pas apprécier. Je perdis la vue. Mais, un jour, on me descendit une corde et l'on me dit : « Monte, la délivrance est arrivée. » Alors je montai. Mes cheveux et mes ongles étaient devenus très longs. On me fit entrer au bain, et après m'avoir fait ma toilette et m'avoir habillé, on me conduisit dans une salle, où l'on me dit : « Salue l'Emir des Croyants. Je dis : Salut sur toi. Emir des Croyants. — Quel prince des Musulmans salues-tu ? me demanda-t-on. — Mahdî répondis-je. Aussitôt j'entendis quelqu'un, dont la voix venait du bout de la salle, dire : « Qu'Allah ait Mahdî en sa miséricorde ! » Puis on me dit de nouveau : « Salue l'Emir des Croyants. » Et je répondis : « Salut sur toi, Emir des Croyants. — Lequel des émirs des Croyants salues-tu ? — Hadi, répondis-je. De nouveau, j'entendis quelqu'un, dont la voix venait du bout de la salle, dire : « Qu'Allah ait Hadi en sa miséricorde ! » Enfin, on me dit, une troisième fois, de saluer, et je saluai. Et quand on me demanda qui je saluais, je répondis : L'Emir des Croyants, Haroun er-Rachid. Aussitôt, celui-ci me répondit : « Et que le salut soit sur toi, ô Yakoub, ainsi que la miséricorde d'Allah et ses bénédictions ! Je suis très affecté de ce qui t'est arrivé.» Alors, après avoir absous la mémoire de Mahdî, j'adressai [à Allah] des vœux pour le bonheur de Rachid, et je le remerciai de ma délivrance. Ensuite, le khalife me dit : « Que désires-tu, Yakoub ? — Émir des Croyants, répondis-je, il ne reste plus en moi la force de jouir de la vie ni aucune capacité, et je désire aller vivre à La Mecque. » Alors Haroun er-Rachid ordonna de me pourvoir de tout ce dont j'avais besoin. » Ensuite, Yakoub se rendit à La Mecque, où il demeura dans le voisinage [de la maison d'Allah]. Il ne vécut que peu de temps après et mourut dans cette ville en l'année 186[327] (802).

VIZIRAT DE FAID, FILS D’ABOU SALIH, SOUS LE RÈGNE DE MAHDÎ

Ce vizir était de Nisâbour. Sa famille, originairement chrétienne, [328] entra au service des Abbasides et se convertit à l'islamisme. Faid fit son éducation sous la dynastie 'abbâside. Il acquit une bonne culture et des talents tout à fait supérieurs. Il était généreux, très libéral, donnant son argent sans compter. Il joignait à sa grande générosité la noblesse du caractère, l'ambition et une grande fierté et même de l'orgueil, au point qu'un poète a dit de lui :

O Abou Djafar, [329] nous étions venus vers toi pour solliciter ta générosité ; mais nous n’avons trouvé chez toi ni don, ni visage souriant.

Jamais on ne voit luire, dans le nuage [de ta générosité], un éclair prometteur dont on puisse espérer quelques gouttes de ta libéralité.

D'ailleurs, tu nous donnerais de quoi combler nos désirs et au-delà, que cela serait gâté par ton arrogance et ton orgueil.

On raconte que Yahya, fils de Khalid le Barmékide, avait coutume de dire, lorsque quelqu'un s'étonnait de sa générosité et de sa libéralité : « Si vous aviez connu Faid, ce que je fais vous paraîtrait bien peu de chose. »

Le poète Abou-l-Ousoûd[330] al-Himmâni a fait l'éloge de Faid dans les vers suivants :

Une femme t'a reproché, ô Faid, ta grande générosité. Je lui ai répondu : « Les reproches ne peuvent rien[331] contre la mer. »

Elle a voulu détourner Faid du chemin de la générosité. Mais qui donc peut empêcher les nuages de déverser leurs eaux ?

Dans chaque pays les lieux où tombe la bienfaisance de Faid sont [favorisés] comme les lieux déserts où se déverse l'eau des nuages.

On dirait que la foule des solliciteurs de Faid, en se transportant chez lui, est arrivée dans la Nuit du Destin.[332]

Faid, fils d'Abou Sâlih, vaquait un jour, dit-on, à ses occupations, lorsqu'il fut rencontré par un de ses amis. Ayant demandé à son ami où il allait, celui-ci lui répondit : « Le gérant de la princesse Oumm Djafar Zoubaida (Zobéïde) a mis en prison Un tel pour un solde de créance se montant à 100.000 dinars. Or Un tel (il voulait dire le détenu) est mon ami et aussi le tien. Je vais donc chez ledit gérant pour intercéder en sa faveur. Veux-tu m'accompagner et m'aider à faire cette bonne action ? — Mon Dieu, oui », dit Faid ; et il partit avec lui. Ils se présentèrent alors chez le gérant d'Oumm Djafar Zoubaida et intercédèrent en faveur du détenu. « La décision dans cette question, leur répondit le gérant, appartient à Zoubaida. Je ne puis, par conséquent, mettre votre ami en liberté que sur son ordre à elle. Néanmoins je vais lui en parler et tâcher de la persuader qu'il est bon de mettre cet homme en liberté. » Il lui écrivit donc quelques mots à ce sujet, mais Zoubaida lui fit répondre qu'il fallait absolument poursuivre le recouvrement intégral de cette créance sur le débiteur, et qu'il était impossible d'accepter aucune intercession sur ce point. Le gérant les pria de l'excuser, en leur montrant le billet de Zobéïde. Alors l'ami de Faid lui dit : « Lève-toi, allons-nous-en ; nous avons fait notre devoir. — Non, par Allah, répondit Faid, nous n'avons nullement fait notre devoir. On dirait que nous ne sommes venus ici que pour faire confirmer la détention de notre ami. — Que veux-tu que nous fassions alors ? répondit l'autre. — Eh bien ! dit Faid, du moment qu'il nous est impossible de le délivrer par ce moyen, nous allons payer pour lui cette somme de nos propres deniers, en y contribuant chacun de nous pour la moitié. »

L'autre ayant accepté, ils demandèrent au gérant quel était le montant de sa créance sur leur ami : « C'est 100.000 dinars, répondit-il. — Nous les prenons à notre charge, dirent-ils, et voici une reconnaissance signée de nous deux. Amène-nous maintenant notre ami. — Voilà encore une chose, dit le gérant, que je ne peux pas faire sans en référer d'avance et immédiatement à Zoubaida. — Eh bien ! mets-la au courant », lui dirent Faid et son ami. Le gérant lui écrivit alors un billet, où il l’informait de ce que venait de dire Faid et de la manière dont les choses s'étaient passées. Aussitôt, l'esclave de la princesse vint apporter ces paroles : « Je ne permettrai pas que Faid soit plus généreux que moi. Je fais remise entière au débiteur des 100.000 dinars. Remets-le à ses amis. » Alors Faid et son compagnon prirent leur ami avec eux et s'en allèrent.

Les qualités de Faid avaient été vantées à Mahdî au moment où il avait décidé de prendre Yakoub fils de Daoud pour vizir. Aussi, lorsqu'il arrêta celui-ci, il fît mander Faid, le chargea du vizirat et lui confia entièrement les affaires de l'empire. Quand Mahdî mourut, Faid occupait encore le vizirat. Mais, en montant sur le trône, Hadi ne le confirma pas dans sa charge. Faid vécut ainsi [loin du pouvoir] jusqu'au règne de Rachid. Il mourut en l’année 173 (789 de J.-C.).[333]

Fin du règne de Mahdî et de l'histoire de ses vizirs.

IV. — REGNE DE HADI (169/785-170/786).

Après Mahdî, régna son fils Moussa Hadi, qui fut reconnu khalife en l'année 169 (785 de J.-C). Hadi était éveillé, d'un caractère chatouilleux, mais il était généreux, énergique, robuste, très violent, dur, [334] très maître de lui, brave, résolu, et d'une grande fermeté.

Voici ce qu'a raconté 'Abd-Allah, fils de Malik, qui était préfet de police sous Mahdî.[335] « Ce khalife, dit-il, m'ordonnait de flageller les compagnons d'orgies et le chanteur [de son fils] Hadi, et même de les emprisonner, pour le préserver de leur société. J'exécutais les ordres qu'il me donnait. De son côté, Hadi m'envoyait demander de les traiter avec douceur, ce que je ne faisais jamais. Aussi, à la mort de Mahdî, Hadi étant monté sur le trône, étais-je sûr que j’allais périr. Le khalife me fit venir un jour devant lui. En entrant, je le trouvai assis sur un trône, ayant devant lui le sabre et le tapis de cuir circulaire.[336] Je le saluai, mais il répondit : « Qu'Allah ne t'accorde pas de salut ! Te rappelles-tu le jour où je t’ai envoyé quelqu'un au sujet d'Al-Harrânî[337] et de la flagellation à laquelle il était condamné ? Tu n'as pas voulu accepter mon intercession. Tu as agi de même dans le cas d'un tel et d'un tel (et il passa en revue tous ses compagnons de plaisirs) ; jamais tu n'as pris en considération mon intervention. — C'est vrai, répondis-je ; mais me permets-tu de présenter ma défense ? — Oui. — Eh bien ! je t'adjure, par Allah, de me dire, en supposant que tu m'aies chargé de la même tâche, que tu m’aies donné les mêmes ordres que j’ai reçus de Mahdî, et qu'un de tes enfants m'ait envoyé dire de faire le contraire, si tu aurais été content de me voir suivre ses ordres et désobéir aux tiens. — Sûrement non. me répondit-il. — Et c'est de cette façon, repris-je, que je te sers, et que j'ai servi ton père. » Alors, il me fit approcher de lui, et je lui baisai la main ; après quoi, il me fit donner des robes d'honneur et médit : « Je l’investis de la charge que tu occupais auparavant ; continue à te conduire avec droiture. Je m'en allai en réfléchissant' à la situation du khalife et à moi-même, et je me dis : « C'est un jeune homme[338] qui boit : d'autre part, les personnes, au sujet desquelles je lui ai désobéi, sont ses commensaux, ses vizirs et ses secrétaires. Je les vois déjà, au moment ou il est gagné par le vin, le dominer et le persuader qu'il a intérêt à me faire périr. » J'étais donc assis chez moi, ayant à mes côtés ma petite fille et devant moi un fourneau, des galettes et de l'assaisonnement au vinaigre, dans lequel je les trempais : je les chauffais ensuite sur le feu : j'en mangeais moi-même et j'en donnais aussi à la petite. Tout à coup, j'entendis un grand bruit de sabots de chevaux, au point que je crus qu’il y avait un tremblement de terre.

« Voilà, me dis-je, ce que j'appréhendais. » Mais voici que la porte s'ouvre et que les eunuques entrent, avec le khalife au milieu d'eux sur sa monture. Dès que je le vis, je me levai et je lui baisai la main et le pied, et je baisai aussi le sabot de son cheval : 'Abd-Allah, me dit-il, j'ai réfléchi à ta situation et je me suis dit : « Peut-être va-t-il penser qu'une fois que j'aurai bu, ayant ses ennemis autour de moi, ceux-ci me feraient perdre la bonne opinion que j'ai de lui, et il se tourmenterait. Alors je suis venu chez toi pour dissiper tes appréhensions et te faire savoir que la rancune que j'avais contre toi est totalement disparue. Donne-moi à manger de ce que tu avais devant toi, pour que tu saches que je m'interdis de te faire du mal, ayant mangé de ta nourriture. De cette façon, ta crainte disparaîtra. » Alors, lui ayant servi une partie de ces galettes et de l'assaisonnement, il en mangea. Puis le khalife s'adressant à ses esclaves, leur dit : Donnez ici ce que nous avons apporté pour Abd-Allah. » Aussitôt, je vis entrer quatre cents mulets lourdement chargés d'argent et d'autres richesses. « Tout cela t'appartient, me dit le khalife, et avec ces richesses tu auras de quoi t'aider à vivre. Garde ces mulets chez toi : peut-être en aurai-je un jour besoin pour quelque voyage. » Puis le khalife s'en alla.

Parmi les belles paroles prononcées par ce prince, on cite celles qu'il a adressées à Ibrahim, fils de Mouslim, fils de Qotaiba, [339] qui venait de perdre un fils. Hadi, qui l'estimait beaucoup, vint lui-même lui présenter ses condoléances, en lui disant : « O Ibrahim ! ton fils te remplissait de joie, quand il était pour toi un ennemi et une séduction, et maintenant il te laisse dans la tristesse, mais après être devenu bénédiction et miséricorde. — Emir des Croyants, dit Ibrahim, il ne reste plus en mon âme une partie, autrefois remplie de deuil, qui ne soit maintenant remplie de consolation.[340] »

C'est sous le règne de ce khalife qu'eut lieu la révolte de l'homme de Fakhkh, [341] qui se nommait Housain, fils d’Ali, fils de Hasan, fils de Hasan, fils d’Ali, fils d'Abou Thâlib.

RECIT DU COMBAT QUI EUT LIEU A FAKHKH

Housain, fils d'Ali, était un des hommes les plus importants des Benou Hachim. Il était compté parmi les hommes les plus marquants de cette famille et parmi leurs meilleurs chefs. Ayant résolu de lever l'étendard de la révolte, ses vues furent partagées par un grand nombre de notables de sa famille. Pendant ce temps, le gouverneur[342] de Médine ayant commis une injustice envers un 'Alide, les Thâlibites saisirent cette occasion pour se révolter, et virent se grouper autour doux beaucoup d'hommes. Ils se dirigèrent alors vers le palais du gouverneur, qui s'y était réfugié. Ils brisèrent les [portes des] prisons et donnèrent la liberté à ceux qui s'y trouvaient. Housain, fils d’Ali (sur lui soit le salut !), fut proclamé khalife. Leur influence ayant grandi, le khalife Hadi envoya contre eux Muhammad, fils de Soulaimân[343] ou, selon d'autres, Soulaimân, fils de Mansour, [344] à la tête d'une armée.[345] La rencontre eut lieu dans un endroit appelé Fakhkh, situé entre La Mecque et Médine. Les deux partis se combattirent avec acharnement. Housain, fils d’Ali, fut tué et sa tête portée au khalife. Quand elle fut placée devant lui, Hadi dit à ceux qui l'avaient apportée : « On dirait que vous apportez la tête d'un mécréant quelconque.[346] Le moindre châtiment que je puisse vous infliger est de vous priver de toute récompense. » Et il ne leur donna rien.

Housain, fils d’'Ali, l'homme de Fakhkh, était brave et généreux. Etant venu voir une fois Mahdî, ce khalife lui donna 40.000 dinars ; Housain les distribua au peuple à Bagdad et à Koûfa. Quand il quitta cette ville, il n'avait plus pour tout vêtement qu'une fourrure, sans chemise en dessous.[347] Qu'Allah l’ait en sa clémence et lui accorde le salut !

Hadi ne vécut pas longtemps. Selon une version, sa mère, Khaizourân, [348] avait ordonné à ses jeunes servantes de le tuer. Celles-ci s'assirent alors sur le visage du khalife, jusqu'à ce qu'il rendît l'âme. On n'est pas d'accord sur la raison de cet assassinat. Selon les uns, Khaizourân jouissait d'un pouvoir absolu[349] sous le règne de [son fils Mahdî ; elle édictait des ordres, des prohibitions, obtenait la grâce des coupables, prenait des décisions irrévocables et en infirmait d'autres. Matin et soir, les équipages se pressaient autour de sa porte. Mais lorsque Hadi, qui était très jaloux de ses prérogatives, monta sur le trône, il fut peu satisfait de ces interventions de sa mère et lui dit : « Que signifient ces équipages qui, du matin au soir, assiègent, me dit-on, ta porte ? N'as-tu pas un fuseau pour t'occuper, un Coran pour te faire méditer, une chambre pour te dérober à ces obsessions ? Par Allah ! puissé-je être exclu de la parenté du Prophète, si je renie le serment que voici : Si j'apprends encore qu'un de mes généraux ou un homme de mon entourage s'est présenté à ta porte, je lui couperai le cou et confisquerai ses biens. » Puis, le khalife, s'adressant aux personnes de son entourage, leur dit : « Qui a droit à plus de respect : ma mère et moi, ou vous et vos mères ? — Toi et ta mère, lui répondit-on. — Quel est celui d'entre vous, continua le khalife, qui trouve plaisir à ce que des hommes mêlent constamment le nom de sa mère dans leur conversation, en disant : « La mère d'un tel a fait ceci, ou a fait cela » ? — Aucun de nous n'aime cela, répondirent-ils. — Pourquoi alors, demanda le khalife, allez-vous trouver ma mère et la mêlez-vous constamment à vos conversations ? » Dès qu'on entendit ces paroles, on cessa d'aller importuner Khaizourân. Le khalife envoya ensuite à sa mère un mets empoisonné, mais elle n'en mangea pas. C'est alors qu'elle le fit assassiner.

D'après une autre version, la raison pour laquelle Hadi fut assassiné est qu'il voulait déposséder son frère [Haroun] er-Rachid de ses droits au trône et proclamer son propre fils Djafar. Khaizourân, qui aimait Haroun, conçut (les alarmes pour lui. C’est alors qu'elle fit à Hadi ce que l’on sait.[350]

Hadi mourut en l'année 170 (786 de J.-C). Dans la même nuit où il mourut, se placent la mort d’un khalife, l'avènement au trône d’un second khalife et la naissance d'un troisième. On disait depuis longtemps qu'une telle nuit devait arriver. Le khalife qui est mort cette nuit est Hadi, celui qui y est monté sur le trône du khalifat est Haroun al-Rachid, enfin celui qui y est né est Mamoun.

En montant sur le trône du khalifat, Hadi prit comme vizir Rabi, fils de Yoûnous. Nous avons donné précédemment ' un aperçu de sa biographie et de sa généalogie.

Après lui, il confia le vizirat à Ibrahim, fils de Dakwân al-Harrâni.[351]

VIZIRAT D'IBRAHIM, FILS DE DAKWÂN AL-HARRÂNI, SOUS LE RÈGNE DE HADI

Ibrahim avait fait la connaissance de Hadi pendant sa jeunesse. Il entrait chez lui avec un précepteur qui faisait l'éducation de ce prince, qui le prit en adlection. Il s'habitua à lui au point de ne plus pouvoir se passer de lui. Dans la suite, de mauvais rapports ayant été faits à Mahdî contre Ibrahim, le khalife ne voulut pas que son fils le fréquentât et lui défendit, mais sans succès, [de continuer] à le voir. Il alla même jusqu'à le menacer de la mort, sans que Hadi consentît à l'éloigner. Les mauvais rapports contre Ibrahim se succédant de plus en plus auprès du khalife, il fit parvenir à son fils Hadi l'ordre de lui envoyer Ibrahim al-Harrâni, sous peine de le dépouiller de ses droits au trône. Hadi envoya alors son ami, avec toutes sortes de ménagements, en compagnie d'un de ses esclaves. Ibrahim arriva chez le khalife, au moment où celui-ci se disposait à monter à cheval pour aller à la chasse. Dès que le khalife le vit, il s'écria : « Ibrahim ! je jure par Allah[352] que je te tuerai, que je te tuerai, que je te tuerai ! » Puis le khalife, [s'adressant à ses hommes], leur dit : « Surveillez-le, jusqu'à ce que je revienne de la chasse. » Ibrahim se mit alors à invoquer Allah et à le prier. Le hasard voulut que Mahdî mangeât le mets empoisonné dont il mourut sur-le-champ, comme il a été raconté précédemment. Al-Harrâni en sortit ainsi sain et sauf. Puis Hadi monta sur le trône du khalifat, et, peu de temps après son avènement, il prit Al-Harrânî comme vizir, mais il ne se passa guère de temps avant que Hadi mourût lui-même.

Fin du règne de Hadi et de l'histoire de ses vizirs.

V. — KHALIFAT DE HAROUN ER-RACHID[353]

Haroun Rachid fut reconnu khalife en l'année 170, et il est compté au nombre des khalifes qui se sont le plus distingués par leur mérite, leur éloquence, leur science et leur générosité. Pendant toute la durée de son règne, il se passa peu d'années dans lesquelles il ne s'acquittât du pèlerinage de la Mecque, ou ne fît la guerre aux infidèles : il faisait alternativement ces deux actes religieux. On dit que ses prières journalières s'élevaient jusqu'à cent rékas,[354] et qu'il fit le pèlerinage à pied, ce que n'a pratiqué aucun autre khalife. Quand il s'acquittait du pèlerinage, il se faisait accompagner de cent jurisconsultes et de leurs fils ; et lorsqu'il ne s'en acquittait point lui-même, il le faisait faire par trois cents personnes qu'il habillait richement, et qu'il défrayait généreusement. Sa conduite, en général, ressemblait beaucoup à celle du khalife Mansour, mais il n'imitait pas sa parcimonie[355] : au contraire, on ne vît jamais un khalife plus généreux. Aucune bonne action ne demeurait, avec lui, sans récompense ; et la récompense ne se faisait jamais attendre longtemps. Il aimait la poésie et les poètes, et avait beaucoup d'inclination pour les hommes qui cultivaient la littérature et la jurisprudence. Il détestait les disputes en matière de religion. Il aimait à être loué, surtout par des poètes d'un talent supérieur, et il les comblait de bienfaits.

Asmaï[356] raconte le fait suivant. Rachid donnait un jour un grand festin, et avait fait orner magnifiquement les salles destinées à cette fête : pendant le festin, il fit venir le poète Abou'latahia, et lui ordonna de dépeindre en vers cette scène voluptueuse. Le poète commença ainsi :

« Vis longtemps au gré de tes désirs et dans une santé parfaite, à l'ombre des palais les plus élevés. »

Fort bien ! s'écria Rachid : voyons la suite. Le poète continua :

« Que, le matin et le soir, tout ce qui t'entoure s'empresse à satisfaire tes désirs. «

A merveille ! dit le khalife ; continue. Le poète reprit :

« Au jour cependant où les hoquets et le râle de la mort retentiront avec effort entre les parois de la poitrine oppressée, hélas ! tu ne connaîtras que trop que toutes ces jouissances n'étaient qu'une illusion. »

Rachid fondit en larmes ; ce que voyant Fadhl, fils de Yahya, il dit au poète : Le prince t'a mandé pour que tu le divertisses, et tu l'as jeté dans le chagrin. Laissez-le, reprit Rachid ; il nous a vus dans l'aveuglement, il n'a pas voulu nous y plonger encore davantage.[357]

Ce prince se conduisait avec une sorte de respect envers les savants. Abou-Moawia,[358] surnommé l'Aveugle, l'un des hommes les plus doctes de son temps, racontait que mangeant un jour chez le khalife, ce prince lui versa de l'eau sur les mains, et lui dit : Abou-Moawia, savez-vous quel est celui qui vous a donné à laver ? Il lui répondit qu'il l'ignorait. Rachid lui ayant appris que c'était lui-même, Abou-Moawia lui dit : Prince, c'est sans doute pour faire honneur à la science que vous agissez de la sorte. Vous avez dit vrai, lui répondit Rachid.

Ce fut sous son règne qu'arriva la révolte de Yahya,[359] fils d'Abdallah, fils de Hasan, fils de Hasan, fils d'Ali, fils d'Abou-Taleb, que nous allons raconter. Yahya, fils d'Abd-Allah, avait conçu de vives alarmes de la fin tragique de ses deux frères, An-Naf az- Zakiyya [c'est-à-dire, l’Ame pure] et Ibrahim, dont le dernier avait été tué à Bakhamrâ ; et il s'était retiré dans le Daïlem. Les habitants de ce pays, ayant cru trouver en lui toutes les qualités qui caractérisent un imam, le reconnurent pour leur souverain. Une grande foule de gens se rassemblèrent de différentes provinces auprès de lui, et il se trouva à la tête d'un parti considérable. Rachid, alarmé de ces mouvements, fit marcher contre lui une armée de 50.000 hommes, et mit à leur tête Fadhl, fils de Yahya, auquel il donna le gouvernement du Djordjan, du Tabaristan, de Reï et autres contrées. Fadhl partit avec son armée ; mais il mit en œuvre, pour amener Yahya, fils d'Abd-Allah, à des dispositions pacifiques, les caresses et les menaces, la crainte et l'espérance. Il y réussit effectivement ; et Yahya consentit à se soumettre, exigeant seulement pour sa sûreté, des lettres de sauvegarde écrites de la main du khalife, et souscrites par les personnages les plus considérables entre les kadis, les jurisconsultes et les descendants de Haschem. Rachid consentit avec joie à tout ce qu'il demanda : il écrivit, de sa propre main, un sauf-conduit dans les termes tes plus forts, le fit souscrire par les kadis, les jurisconsultes et les principaux des Hachémites, et le lui envoya en l’accompagnant de riches présents. Yahya se rendit à la cour avec Fadhl ; et Rachid le traita d'abord avec toute sorte d'égards et de marques de bienveillance ; mais ensuite il le tint prisonnier près de lui, et consulta les jurisconsultes pour savoir s'il pouvait enfreindre la sauvegarde qu'il lui avait donnée. Les uns[360] soutinrent que l'acte était valide et devait être exécuté ; mais le khalife disputa contre leur avis : les autres[361] le jugèrent nul, et en conséquence Rachid l'annula, et fit mourir Yahya, malgré un grand prodige qui eut lieu en sa faveur. Voici quel fut ce prodige.

Un homme de la famille de Zobeïr, fils d'Awwam,[362] étant venu trouver Rachid, lui fit de mauvais rapports contre Yahya ; il l'accusa d'avoir cabale de nouveau et cherché à se former un parti, depuis l'amnistie que lui avait accordée le khalife. Ce prince ayant fait tirer Yahya du lieu où il était détenu, le fit comparaître devant lui avec son accusateur, et le questionna sur la vérité des crimes qu'on lui imputait. Yahya assura que cela était faux ; et comme le dénonciateur persistait à soutenir sa dénonciation, Yahya lui dit : Eh bien, si ce que tu dis est vrai, affirme-le avec serment. L'accusateur commença à dire : Par le Dieu qui recherche les coupables et qui les punit infailliblement ; et il allait achever la formule de serment, lorsque Yahya l'interrompit, et lui dit : Laisse-là cette formule de serment ; car Dieu ne se hâte point de punir l'homme qui le glorifie. Il lui proposa de jurer par la formule qu'on appelle serment de renonciation[363] ; elle consiste dans ces mots, que dit celui qui jure : Je renonce à avoir aucune part au secours de la puissance et de la force du Très Haut, et je veux être laissé à ma propre puissance et à mes propres Jones, si telle chose est comme ceci ou comme cela. Le dénonciateur frémit en entendant cette formule : Quel serment extraordinaire est-ce là ! dit-il ; et il refusa de le prononcer. Que signifie ce refus, lui dit Rachid, et que pouvez-vous craindre de cette formule de serment, si ce que vous dites est vrai ! Cet homme se détermina en conséquence à prêter le serment requis ; mais à peine était-il sorti de l'audience du khalife, qu'ayant heurté du pied contre quelque chose, il se tua. Quelques auteurs disent seulement qu'il mourut avant la fin de ce jour-là. On l'emporta pour l'enterrer, et on descendit le corps dans la fosse ; mais quand on voulut la combler en y rejetant la terre, on n'en put venir à bout, la terre se retirant d'elle-même a mesure qu'on la jetait.

On reconnut que c'était un prodige surnaturel, et l'on s'en alla après avoir fait au-dessus de la fosse une espèce de tait. Le poète[364] Abou-Faras ben-Hamdan a fait allusion à cet événement dans son poème nommé Mimiyya, en disant :

« O toi qui t'efforces de jeter un voile sur tous les crimes des descendants d'Abbas, comment déguiseras-tu la perfidie dont Rachid a usé envers Yahya !

» Le coupable descendant de Zobeïr[365] a reçu le juste prix de ses calomnies ; et les soupçons que ses discours avaient jetés sur le fils de Fatima, ont été entièrement dissipés. »

Malgré un prodige si frappant, Yahya fut mis à mort d'une manière cruelle dans le lieu où il était détenu.

Le règne de Rachid est assurément un des plus beaux et des plus féconds en événements : jamais l'Etat ne jouit de plus de splendeur et de prospérité, et les bornes de l'empire des khalifes ne furent jamais plus reculées. La plus grande partie de l'univers était soumise aux lois de ce prince, et payait les impôts à son trésor ; l'Egypte même formait une province de son empire, et celui qui la gouvernait n'était qu'un de ses lieutenants. Jamais la cour d'aucun khalife ne réunit un aussi grand nombre de savants, de poètes, de jurisconsultes, de grammairiens, de kadis, d'écrivains, de gens de plaisir et de musiciens ; Rachid les récompensent généreusement, et les comblait tous de bienfaits et de distinctions. Ce prince lui-même était un homme de beaucoup de talent, bon poète, versé dans la connaissance de l'histoire, des antiquités, et des monuments de la poésie qu'il pouvait citer dans l'occasion : il avait un goût exquis, un discernement sûr, et se conciliait le respect de tous, grands et petits.

Ce fut Rachid qui fit prendre Moussa,[366] fils de Djafar, et qui le fit conduire à Bagdad dans une litière couverte, et renfermer dans l'hôtel de Sindi, fils de Schahik ; ensuite Moussa y fut mis à mort, et le khalife fit courir le bruit qu'il avait fini ses jours d'une mort naturelle. Cet événement mérite d'être raconté plus en détail.

RECIT DU MEURTRE DE MOUSSA, FILS DE DJAFAR

Moussa, fils de Djafar, avait été desservi auprès de Rachid par un de ses proches qui avait conçu de l'envie contre lui : cet homme dit au khalife que certaines gens payaient à Moussa le quint de leurs propriétés, et le regardaient comme le légitime imam, et que Moussa lui-même avait formé le projet de lever l'étendard de la révolte. Ces discours souvent répétés firent sur Rachid une impression fâcheuse, et lui donnèrent quelques alarmes. Il récompensa le dénonciateur en lui accordant une somme dont le paiement fut assigné sur la recette des provinces. Mais ce malheureux ne jouit jamais du fruit de son crime ; car avant que les fonds sur lesquels il devait être payé fussent arrivés, il fut atteint d'une maladie violente dont il mourut. Cette même année, Rachid fit le pèlerinage des lieux saints ; et quand il fut venu à Médine, il fit prendre Moussa, fils de Djafar, et se fit conduire dans une litière couverte a Bagdad : là Moussa fut détenu prisonnier dans la demeure de Sindi,[367] fils de Schahik. Rachid, qui était à Rakka, donna ordre de le faire mourir ; ce qui fut exécuté secrètement : ensuite on appela un certain nombre de notaires[368] à Carkh,[369] pour leur faire voir son corps, feignant qu'il était mort de mort naturelle.

Rachid mourut à Toûs. Il était en marche pour soumettre Rafi,[370] fils de Leïth, fils de Nasr, fils de Sayyar, qui avait secoué le joug de l'obéissance, s'était emparé de Samarcande, avait tué le gouverneur de cette ville, et avait acquis, par cette conquête, une augmentation de forces qui le rendait formidable. En conséquence, Rachid s'était déterminé à marcher en personne contre lui ; mais la mort le surprit à Toûs en l'année 193 (= 808 de J. C.).

Vizirs d’Haroun Rachid.

Rachid étant devenu khalife, conféra la charge de vizir à Yahya, fils de Khaled, fils de Barmek : Yahya lui servait de secrétaire avant son avènement au trône ; ce fut là le principe de la grande fortune de la maison des Barmékides, dont nous allons raconter les commencements et la fin tragique.

La famille des Barmékides faisait originairement profession du magisme : quelques-uns d'entre eux ayant embrassé l'islamisme, ils furent depuis ce temps-là bons musulmans. Nous avons parlé du ministère de leur aïeul Khaled, fils de Barmek, en traçant l'histoire du règne de Mansour, et nous allons nous occuper ici des autres personnes de cette même famille qui exercèrent la charge de vizir. Mais avant d'entrer dans ce détail, nous dirons quelques mots propres à faire connaître en général l'excellence de cette maison.

La famille des Barmékides fut à son siècle ce qu'est une aigrette sur le front, une couronne sur la tête. Leurs actions généreuses passèrent en proverbe : on se rendait de toutes parts à leur cour ; toutes les espérances reposaient sur eux. La fortune leur prodigua ses faveurs les plus rares[371] et les combla de ses dons. Yahya et ses fils étaient comme des astres brillants, de vastes océans, des torrents auxquels rien ne résiste, des pluies bienfaisantes. Tous les genres de connaissances et de talents se trouvaient réunis en foule auprès d'eux, et les hommes de mérite y recevaient un accueil distingué. Le monde fut vivifié sous leur administration, et l'empire porté au plus haut point de splendeur. Ils étaient le refuge des affligés, la ressource des malheureux ; et c'est d'eux que le poète Abou-Nowasa dit :

« Lorsque le monde vous aura perdus, ô fils de Barmek, on cessera de voir les routes couvertes de voyageurs, au lever de l'aurore, et au coucher de l'astre du jour. »

Yahya, fils de Khalid, vizir de Rachid.

Rachid étant devenu khalife, prit pour vizir Yahya,[372] fils de Khaled, fils de Barmek, qui l'avait servi, avant son avènement au trône, en qualité de secrétaire, de lieutenant et de vizir. Yahya, chargé de tout le fardeau du gouvernement, apporta dans l’exercice de son ministère, les talents et les soins les plus distingués : il mit les frontières en état de défense, et répara tout ce qui manquait à leur sûreté ; il remplit le trésor public, fit fleurir toutes les provinces, augmenta et porta au plus haut point l'éclat du trône ; enfin, seul, il fit face à toutes les affaires de l'empire. C'était un ministre éloquent, sage, instruit, ferme, d'un bon conseil ; habile administrateur, qui savait tenir avec fermeté tout ce qui dépendait de lui, et se rendre supérieur aux affaires dont il était chargé. Par sa générosité et sa libéralité, il rivalisait avec les vents bienfaisants qui amènent les nuages dont les eaux fécondent la terre : son éloge était dans toutes les bouches. Il joignait à la douceur et à une conduite pleine de vertu, une majesté imposante qui commandait le respect.

Un poète a dit à son sujet :

« Jamais on ne me verra mettre la main dans celle de Yahya : si je le faisais, je perdrais tout ce que je possède.

» Qu'un avare touche seulement dans la paume de sa main de Yahya, son avarice aussitôt se changera en une générosité sans bornes. »

Rien ne fait mieux connaître la sage prudence de Yahya, que l'avis qu'il donna au khalife Hadi. Ce prince avait intention de priver son frère Haroun de la succession au khalifat qui lui avait été assurée, et de faire reconnaître son propre fils Djafar pour son successeur immédiat. Yahya, qui était alors secrétaire de Haroun, avait espérance de devenir vizir si son maître parvenait un jour au khalifat. Hadi l'ayant pris à part, lui donna 20.000 pièces d'or, et lui fit part de son projet. Yahya lui représenta que s'il agissait ainsi, il donnerait à ses sujets la funeste leçon d'enfreindre leurs engagements et de mépriser leurs serments, et qu'ils pourraient s'enhardir au point d'imiter son exemple : si au contraire, ajouta-t-il, vous conservez à votre frère Haroun son droit reconnu au khalifat, et que vous vous contentiez de déclarer Djafar pour successeur au trône après Haroun, la disposition que vous aurez faite en faveur de votre fils sera plus solide, et son exécution plus certaine. Hadi abandonna pour quelque temps son projet ; mais ensuite, l'affection paternelle l'emportant, il fit appeler de nouveau Yahya, et lui demanda encore une fois ce qu'il en pensait. Prince, lui dit Yahya, si, après avoir dépouillé votre frère de son droit au trône, et lui avoir substitué votre fils Djafar, vous venez à mourir, laissant ce prince encore enfant et hors d'état par son âge de gouverner, croyez-vous que la possession de la couronne lui soit bien assurée, et que la famille de Haschem consente à l'avoir pour souverain et le reconnaisse pour khalife ! Non pas, dit Hadi. Eh bien ! reprit Yahya, laissez donc laces projets, pour mieux assurer l'exécution de vos vœux. Quand même Mahdî n'aurait pas appelé au trône votre frère Haroun, vous devriez le faire reconnaître vous-même pour votre successeur, afin que l'empire ne sorte point de la maison de votre père.[373] Hadi approuva son conseil ; et Rachid regarda toujours cette action de Yahya comme un des services les plus signalés qu'il en eût reçus.

Passons aux traits de la générosité de Yahya. Lorsque Rachid renversa la famille des Barmékides, et entreprit d'anéantir jusqu'à leur nom, il fit défense, dit-on, à tous les poètes de composer des élégies sur leur disgrâce, et ordonna que l'on punît ceux qui contreviendraient à cette défense. Un jour, un des soldats de la garde, passant auprès de quelques édifices ruinés et abandonnés, aperçut un homme debout qui tenait à la main un papier : c'était une complainte sur la ruine de la maison des Barmékides, que cet homme récitait en versant des larmes. Le soldat l'arrêta, et le conduisit au palais de Rachid : il raconta toute l'aventure au khalife, qui se fit amener le coupable ; et après s'être convaincu, par son propre aveu, de la vérité de la dénonciation : Ne savais-tu pas, lui dit-il, que j'avais défendu de réciter aucune complainte sur la famille des Barmékides ; certes, je te traiterai comme tu le mérites. Prince, répartit cet homme, si tu le permets, je te conterai mon histoire ; quand tu l'auras entendue, agis comme bon te semblera. Rachid lui ayant permis de parler, il dit : J'étais un des moindres commis de Yahya, fils de Khaled ; un jour il me dit :

Il faut que tu me donnes à manger chez toi. Seigneur, lui répondis-je, je suis bien au-dessous d'un si grand honneur, et ma maison n'est pas propre à vous recevoir. Il faut absolument, dit Yahya, que cela soit ainsi. En ce cas, repris-je, vous voudrez bien m'accorder quelque délai pour que je prenne les arrangements convenables et que je dispose ma maison ; après quoi vous ferez ce qu'il vous plaira. Là-dessus il voulut savoir quel délai je désirais : je lui demandai d'abord un an ; et ce délai lui ayant paru excessif, je le priai de m'accorder quelques mois. Il y consentit ; et aussitôt je m'occupai à disposer ma maison et à préparer tout ce qui était nécessaire pour le recevoir. Quand tous les préparatifs furent achevés, j'en fis part au vizir, qui me promit de venir le lendemain même. Retourné chez moi, je m'empressai de préparer à boire et à manger, et de tenir prêt tout ce dont on pouvait avoir besoin.

Le lendemain, le vizir se rendit effectivement chez moi avec ses deux fils Djafar et Fadhl, et un petit nombre de ses plus intimes amis. A peine fut-il descendu de cheval, ainsi que ses fils, qu'il m'adressa la parole, et, m'appelant par mon nom, il me dit : Un tel, dépêche-toi de me faire servir quelque chose, car j'ai grand appétit. Fadhl me dit que son père aimait beaucoup les poulets rôtis, et m'engagea à lui faire présenter ceux que j'avais préparés ; je le fis : et quand le vizir eut mangé, il se leva, se mit à parcourir la maison, et me demanda de la lui faire voir toute entière. Seigneur, lui dis-je, vous venez de la voir ; je n'en ai point d'autre que cela. Vraiment si, me répondit-il, tu en as une autre. J'eus beau l'assurer au nom de Dieu que je n'en possédais point d'autre, il fit venir un maçon, et lui ordonna de percer une porte dans le mur. Le maçon se mettant en devoir d'exécuter cet ordre, je dis au vizir : Seigneur, peut-on se permettre de faire une ouverture pour pénétrer dans la maison de ses voisins, après que Dieu a commandé de respecter les droits du voisinage. N'importe, dit-il ; et quand le maçon eut fait l'ouverture, il y passa avec ses fils. Je les suivis, et nous entrâmes dans un jardin délicieux, bien planté, et arrosé par des jets d'eau : dans ce jardin étaient des pavillons, et des salles ravissantes ornées de toute sorte de meubles et de tapis, et servies par des esclaves de l'un et de l'autre sexe, le tout d'une beauté parfaite. Cette maison, me dit alors le vizir, et tout ce que tu vois, est à toi. Je m'empressai de lui baiser les mains, et de faire des vœux pour lui ; et je compris alors que du jour même où il m'avait proposé pour la première fois de le recevoir chez moi, il avait fait acheter le terrain voisin de mon logis, y avait fait construire une belle maison, et l'avait fait meubler et orner de toute sorte de choses, sans que j'en susse rien. Je voyais bien que l'on y bâtissait, mais je croyais que c'était quelqu'un de mes voisins qui faisait faire ces travaux. Yahya adressant ensuite la parole à son fils Djafar, lui dit : Voilà bien une maison et des domestiques ; mais avec quoi fournira-t-il à leur entretien ! Je lui donne, répondit Djafar, une telle métairie avec toutes ses dépendances, et je lui en passerai contrat. Fort bien ! dit le vizir en se retournant vers Fadhl son autre fils ; mais jusqu'à ce qu'il ait reçu quelque revenu de ces terres, où trouvera-t-il de quoi fournir à sa dépense ? Je lui dois 10.000 pièces d'or, répondit Fadhl, et je les ferai porter chez lui. Dépêchez-vous l'un et l'autre, reprit Yahya, de satisfaire aux engagements que vous avez contractés envers lui. Djafar me fit effectivement une donation de la métairie, et Fadhl fit porter chez moi la somme qu'il m'avait promise ; en sorte que je me trouvai tout d'un coup riche, et dans une grande aisance. Je gagnai dans la suite, avec ces premiers fonds, de grandes richesses dont je jouis encore aujourd'hui. Aussi, prince des croyants, je n'ai manqué, Dieu le sait, aucune occasion de chanter leurs louanges et de faire des vœux pour eux, afin de satisfaire à ce que je dois à leur générosité ; mais jamais je ne pourrai m'en acquitter entièrement. Si tu veux me faire mourir pour cela, fais ce qu'il te plaira. Rachid, attendri, le laissa aller, et rendit à chacun la liberté de pleurer sur la fin tragique des fils de Barmek. !

Rachid, dit-on, fit une fois le pèlerinage, accompagné de Yahya, fils de Khaled, et des deux fils de Yahya, Fadhl et Djafar. Quand ils furent arrivés à Médine, le khalife y tint une audience publique avec Yahya, et ils distribuèrent de l'argent au peuple. Les deux fils de Rachid, Amin, assisté de Fadhl, fils de Yahya, et Mamoun, assisté pareillement de Djafar, en firent autant chacun de leur côté ; en sorte qu'il, se fit cette année trois distributions publiques ; et elles furent si abondantes, qu'elles passèrent en proverbe, et que cette année fut nommée l’année des trois distributions, Ces largesses jetèrent une grande aisance dans les familles, et un poète dit à ce sujet :

« Nous avons reçu dans nos murs les fils de Barmek, sur lesquels reposent toutes les espérances. O renommée ravissante ! ô aspect enchanteur !

» Chaque année ils s'éloignent de leurs foyers : tour à tour ils portent la guerre aux ennemis de la religion, ou ils visitent l'antique et vénérable[374] monument de la maison sainte.

» Quand Yahya, Fadhl et Djafar honorent de leur présence les vallées de la Mecque, un nouveau soleil se lève sur l'horizon de cette cité.

» Bagdad alors est enveloppée des ténèbres de leur absence ; et la nuit qui couvrait la ville sainte, se dissipe aux rayons de ces astres, capables d'éclipser l'éclat de trois lunes dans leur plein.

» Leurs mains n'ont été créées que pour répandre des bienfaits, et leurs pieds que pour être élevés sur les chaires de nos temples.

» Quand Yahya entreprend quelque chose, toutes les difficultés s'aplanissent : il n'est plus besoin qu'aucun autre s'en mêle ou y mette la main.[375] »

On rapporte de Yahya le mot suivant : Jamais aucun homme ne m'a adressé la parole que je n'aie éprouvé pour fui un sentiment de respect ; son discours fini, mon respect s'est accru, ou s'est entièrement évanoui. Il disait aussi : Les promesses sont les filets des hommes généreux ; elles leur servent à s'assurer les louanges des gens d'honneur. Lorsqu'il devait monter à cheval, il préparait des bourses qui contenaient chacune deux cents pièces d'argent ; et il les distribuait à ceux qui se présentaient à sa rencontre.

Fadhl,[376] fils de Yahya.

Fadhl fut distingué entre tous ses contemporains par sa libéralité, et doit être compté parmi les hommes les plus généreux que la terre ait portés.

Il avait été allaité par la mère de Rachid,[377] et Rachid avait sucé le lait de la mère de Fadhl, ce qui a donné lieu au poète Merwan,[378] fils d'Abou-Hafsa, de lui adresser ces vers :

« Il ne te faut point d'autre gloire que d'avoir tété le noble sein qui a nourri le khalife.

» Tu es en tous lieux l'honneur de Yahya, comme Yahya rend illustre en tous lieux le nom de Khaled.[379] »

Rachid lui ayant donné le gouvernement du Khorasan, le poète Abou'lhaul[380] qui avait fait auparavant des poésies satiriques contre lui, vint le trouver, et lui réciter des vers dans lesquels il chantait ses louanges et s'excusait de sa faute.

« La colère de Fadhl s'est avancée, semblable à un nuage épais qui, au milieu des ténèbres de la nuit, roule un abîme d'eaux prêtes à fondre sur nos têtes, et renferme dans ses flancs les foudres et les éclairs.

« Quel sommeil peut goûter le malheureux qui a placé sa couche auprès du lieu qu'habite un lion aux crins fauves !

» Je n'ai pas commis contre Fadhl, fils de Yahya, des fautes dignes d'attirer sur moi la haine de ce fils de Khaled.

» Fais-moi don de tes bonnes grâces ; je ne te demande point d'autre bienfait. Quant aux faveurs auxquelles tu m'avais accoutumé, tu peux me les accorder ou me les refuser, comme il le plaira. »

Je n'entends point, lui répondit Fadhl, que tu sépares mes bonnes grâces de mes bienfaits ; ces deux choses sont inséparables : si tu veux les recevoir conjointement, je te les accorde ; sinon, renonce aux unes comme aux autres. Ensuite il lui fit des présents et lui rendit sa faveur.

Voici un trait singulier, rapporté par Ishak Mausili,[381] fils d'Ibrahim. J'avais élevé, dit-il, une jeune fille d'une grande beauté ; je lui avais donné toute sorte de talents et l’avais fait instruire avec beaucoup de soins, en sorte qu'elle était parvenue a un rare mérite. Je l'offris alors à Fadhl, fils de Yahya, qui me dit : Ishak, Il est venu un ambassadeur du vice-roi d'Egypte pour me demander quelque chose ; j'exigerai de lui qu'il me fasse présent de cette fille : garde-la donc chez toi ; je la lui demanderai, et je lui dirai que je veux absolument l'avoir. Sans doute il ira te trouver et la marchandera : garde-toi de la lui donner à moins de 50.000 pièces d'or. Je retournai donc chez moi avec cette fille ; et l'ambassadeur du vice-roi d'Egypte vint en effet me la demander. Je la lui fis voir ; et quand il l'eut vue, il m'en offrit d'abord 10.000 pièces d'or et doubla ensuite la somme ; sur mon refus, il m'en offrit 30.000. Je ne pus me contenir quand j’entendis cette offre, et j'acceptai le marché. Je lui livrai la fille, et il me compta la somme dont nous étions convenus. Le lendemain j'allai trouver Fadhl ; et dès qu'il me vit, il me demanda combien j'a vois vendu mon esclave. Trente mille pièces d'or, fui répondis-je. Ne t'avais-je pas défendu précisément, me dit-il, de la donner pour moins de 50.000 ! Je fui répondis : Certes, vous m'êtes plus cher que mon père et ma mère ! mais, en vérité, quand j'ai entendu prononcer le mot 30.000, je n'ai pas pu tenir bon plus longtemps. Eh bien ! me dit-il en riant, l'empereur grec m'a aussi fait demander quelque chose par son ambassadeur ; je lui imposerai de même la condition de me donner cette esclave, et je lui indiquerai ta demeure : prends-la donc et reconduis-la chez toi ; mais quand il viendra faire prix avec toi, garde-toi bien de la livrer à moins de 50.000 pièces d'or. Je m'en retournai donc avec la fille ; et l'ambassadeur de l'empereur grec étant venu pour en traiter avec moi, je lui en demandai le prix convenu avec Fadhl. Il se récria, disant que c'était beaucoup trop cher, et m'en offrit 30.000 pièces d'or : je succombai encore a la tentation d'accepter une si belle offre ; le marché fut conclu, je livrai l'esclave et en touchai le prix. Le lendemain, Fadhl me voyant entrer chez lui, me fit la même question que la première fois ; et sur la réponse que je lui fis que j'avais donné mon esclave pour 30.000 pièces d'or, il m'adressa les mêmes reproches. Seigneur, lui dis-je, que Dieu daigne détourner sur moi tous les malheurs qui pourraient menacer vos jours ! mais, en vérité, au mot 30.000, toute ma force m'a abandonné.[382] Il se mita rire, et me dit : Reprends encore ton esclave et emmène-la : demain tu verras venir l'ambassadeur du souverain du Khorasan ; tâche de faire bonne contenance, et ne la lui donne pas pour moins de 50.000 pièces d'or. Tout se passa comme Fadhl me l'avait annoncé ; et l'ambassadeur étant venu marchander mon esclave, je lui demandai les 50.000 pièces d'or. C'est trop cher, me dit-il, je vous en donnerai 30.000. Pour cette fois je me fis violence et refusai ses offres. Alors il m'en proposa 40.000. Je pensai devenir fou de joie, et je ne pus m'empêcher de les accepter. Il me compta l'argent, et reçut de moi la jeune fille. Le lendemain je me présentai devant Fadhl, qui me demanda des nouvelles de mon marché. Seigneur, lui dis-je, j'ai vendu mon esclave 40.000 pièces d'or. Au nom de Dieu, en m'en entendant offrir 40.000 pièces, peu s'en est fallu que je ne devinsse fou. Grâces à vos bontés, que je ne saurais reconnaître, cette fille m'a valu 100.000 pièces d'or : je n'ai plus rien à souhaiter ; que Dieu vous récompense comme vous le méritez ! Alors Fadhl se fit amener cette fille, et me la présentant, il me dit : Prends ton esclave et emmène-la. Je dis alors : Cette fille est une source incomparable de bonheur. En conséquence, je lui donnai la liberté, et je l'épousai : et c'est d'elle que j'ai eu mes enfants.[383]

On rapporte encore de Fadhl un autre trait du même genre. Mohammed,[384] fils d'Ibrahim surnommé l'Imam, fils de Mohammed, fils d'Ali, fils d'Abd-Allah, fils d'Abbas, vint un jour trouver Fadhl, fils de Yahya, apportant un écrin qui renfermait des bijoux. Mon revenu, lui dit-il, ne peut suffire à mes besoins ; je suis accablé de dettes, et je dois déjà plus d'un million de pièces d'argent. Je rougirais de faire part de ma situation à qui que ce soit, et je n'ose m'adresser à aucun négociant pour qu'il me prête cette somme, quoique j'aie à donner en gage un objet qui peut en répondre. Vous avez des négociants qui font des affaires avec vous ; empruntez, je vous prie, de l'un d'eux, la somme dont j'ai besoin, et donnez-lui en gage l'effet que voici. Volontiers, lui dit Fadhl : mais pour le succès de cette négociation, il faut que vous passiez la journée chez moi. Mohammed y consentit. Fadhl prit alors l'écrin, qui était scellé du cachet de Mohammed ; il le fit reporter chez Mohammed avec un million de pièces d'argent, et fit prendre de son intendant une reconnaissance de la remise qui lui en avait été faite. Mohammed cependant était demeuré chez Fadhl, et y resta tout ce jour-là. Quand il fut retourné chez lui, il trouva l'écrin, et, en outre, un million de pièces d'argent ; ce qui lui causa une joie extrême. Le lendemain il courut, de grand matin, chez son bienfaiteur, pour le remercier. Il apprit que Fadhl s'était rendu lui-même de bonne heure au palais de Rachid : il alla l'y trouver ; mais Fadhl, instruit de son arrivée, sortit promptement par une autre porte, et se rendit chez son père. Mohammed l'y suivit bientôt ; Fadhl lui échappa encore eh sortant par une autre porte, et retourna à son hôtel.

Mohammed y alla aussi ; et ayant enfin trouvé Fadhl, il lui témoigna sa reconnaissance, et lui dit qu'il s'était empressé de sortir dès le matin pour le remercier de son bienfait. J'ai pensé, reprit Fadhl, à votre situation, et j'ai réfléchi que la somme que j'ai fait porter chez vous hier pourra bien payer vos dettes, mais que vos besoins se renouvelant, il vous faudra en contracter de nouvelles, et que vous en serez bientôt accablé comme auparavant : cela m'a fait prendre le parti d'aller trouver ce matin le khalife ; je lui ai exposé votre état, et j'ai encore obtenu pour vous un autre million de pièces d'argent.[385] Lorsque vous vous êtes présenté à la porte du palais du khalife, je suis sorti par une autre porte ; et j'en ai encore fait autant quand vous êtes venu chez mon père, parce que je voulais que l'argent fût remis chez vous avant de vous recevoir ; en ce moment, cette somme est portée à votre demeure. Comment, lui dit alors Mohammed, pourrai-je reconnaître tant de bienfaits ! Je n'ai aucun moyen de vous témoigner ma gratitude : tout ce que je puis faire, c'est de m'engager sous les serments les plus sacrés, et sous peine de perdre toutes mes femmes et tous mes esclaves, et d'être obligé à faire le pèlerinage de la Mecque par forme de réparation à ne jamais faire ma cour, et à ne demander quelque grâce que ce soit, à personne autre que vous. Mohammed prit en effet cet engagement sous les serments les plus inviolables ; il en fit un acte, qu'il écrivit de sa propre main, et fit souscrire par plusieurs témoins, et par lequel il promettait de ne faire jamais la cour à personne autre que Fadhl, fils de Yahya. La famille des Barmékides ayant été disgraciée, et Fadhl, fils de Rébi, leur ayant succédé dans la charge de vizir, Mohammed se trouva dans le besoin : on lui conseilla de s'adresser à Fadhl, fils de Rébi, et d'aller le trouver ; mais, fidèle à son serment, il n'en voulut rien faire, et, jusqu'à sa mort, il n'alla ni rendre ses hommages, ni faire sa cour à qui que ce fût.

Djafar,[386] fils de Yahya, le Barmékide.

Djafar, fils de Yahya, était un homme distingué par son éloquence, son jugement, sa finesse, son discernement, sa générosité et la douceur de son caractère. Rachid aimait mieux sa compagnie que celle de son frère Fadhl, parce que Djafar avait une humeur et des manières douces et faciles, au lieu que Fadhl était d'un caractère fâcheux et difficile. Rachid dit un jour à Yahya : D'où vient que dans le public on appelle Fadhl le petit vizir, et qu'on ne donne pas aussi ce nom à Djafar ! C'est, lui dit Yahya, que Fadhl me sert de lieutenant. Eh bien, reprit Rachid, donne à Djafar un département dans l'administration, de même que tu as délégué certaines affaires à Fadhl. Yahya lui répondit : Son assiduité à vous faire la cour et à se tenir auprès de vous ne lui permet pas de se charger des soins de l’administration. Cependant Yahya lui confia la surintendance du palais du khalife, et depuis ce temps on l'appela, comme son frère, le petit vizir.

Rachid dit un jour à Yahya : Je voudrais ôter le ministère du sceau à Fadhl pour le donner a Djafar ; mais je n'ose lui écrire à ce sujet ; écris-lui donc toi-même. Yahya écrivit en conséquence à son fils Fadhl, en ces termes : Le prince des croyants, dont Dieu daigne augmenter la puissance, t'ordonne d'ôter ton anneau de la main droite pour le mettre à la main gauche. Fadhl lui fit cette réponse : J'ai obéi à l'ordre que le prince m'a donné au sujet de mon frère. Je ne crois pas être privé d'une faveur lorsqu'elle passe à mon frère, et je ne pense pas avoir perdu une place quand il en est investi. Djafar, à la vue de cette réponse, s'écria : Dieu soit loué du mérite qu'il a accordé à mon frère ! Il joint à une grande finesse d'esprit, des talents éminents ; il est doué d'une raison exquise, et il s'exprime avec une élégance sans pareille.

On raconte de Djafar, fils de Yahya, l'aventure suivante[387] : Voulant un jour se divertir et passer le temps à boire, il avait résolu de se tenir enfermé chez lui, et avait assemblé ses camarades de plaisir avec lesquels il vivait familièrement. Ils étaient donc réunis dans une salle bien décorée, et tous vêtus d'habits de différentes couleurs; car ils avoient coutume, quand ils étaient en débauche, de prendre des habits rouges, jaunes et verts. Or, Djafar avait donné ordre au concierge de son hôtel de ne laisser entrer qui que ce fût, excepté un de ses compagnons de plaisir qui n'était point arrivé en même temps que les autres, et qui se nommait Abd-almélic, fils de Sâlih.[388] Ils se mirent alors à boire ; les coupes pleines de vin passaient de main en main, et la salle retentissait du son des instruments de musique, lorsqu'un homme, des proches parents du khalife, se présenta à la porte de Djafar pour conférer avec lui de quelques affaires. Il se nommait Abd-almélic,[389] fils de Sâlih, fils d'Ali, fils d'Abd-Allah, fils d'Abbas. C’était un homme de mœurs austères, et rigide observateur des bienséances et de la religion. Rachid avait voulu plusieurs fois l'engager à prendre part à ses parties de débauche et à boire avec lui ; il lui avait même offert beaucoup d'argent pour vaincre sa répugnance, sans jamais avoir pu obtenir de lui cette complaisance. Lorsqu'il se présenta, dans la circonstance dont nous parlons, à la porte de Djafar, le concierge, trompé par sa ressemblance des noms, s'imagina que c'était là Abd-almélic, fils de Sâlih, que Djafar lui avait ordonné d'introduire, en lui défendant d'admettre aucun autre que lui ; il lui ouvrit donc, et Abd-almélic entra dans la salle où était Djafar. Le vizir, en le voyant, fut entièrement déconcerté ; il se douta bien que l'erreur du concierge venait de la ressemblance des noms. Abd-almélic devina aussi la méprise du concierge ; et s'apercevant que Djafar rougissait, il prit un air ouvert, en disant : Ne vous gênez point à cause de moi ; que l'on me donne aussi un de ces habits de fête. On lui présenta un habit de couleur, et, s'en étant revêtu, il s'assit et se mit à causer familièrement et à badiner avec Djafar ; puis il dit : Donnez-moi donc aussi à boire. On lui présenta un grand verre, et l'ayant bu, il dit : Faites-moi grâce d'un second, car je n'ai pas l'habitude de cette boisson ; puis il continua à prendre part librement à la conversation et à la joie des convives, jusqu'à ce que Djafar se fût déridé, et fût revenu de l'embarras où l'avait jeté cette surprise. La conduite d'Abd-almélic fit grand plaisir à Djafar, qui lui demanda quelle était l'affaire qui l'avait amené. Trois choses, lui répondit Abd-almélic, dont je souhaite que vous parliez au khalife.

D'abord, je voudrais qu'il acquittât les dettes que j'ai contractées, et qui montent à un million de pièces d'argent[390] ; en second lieu, je désirerais, pour mon fils, un gouvernement qui lui attirât de la considération ; et enfin, je veux vous prier de faire épouser à mon fils[391] la fille du khalife : elle est sa cousine, et il n'est pas indigne de sa main. Dieu a rempli tous vos vœux, lui répondit Djafar : la somme que vous désirez va être, à l'instant même, portée chez vous ; j'ai donné à votre fils le gouvernement d'Egypte, et je lui ai déjà assuré pour épouse une telle princesse,[392] fille du khalife, avec telle et telle dot. Vous pouvez donc vous retirer avec l'aide de Dieu. Abd-almélic, retourné chez lui, y trouva l'argent qui l'avait devancé ; et, le lendemain, Djafar se rendit chez Rachid, et lui apprit toute l'aventure, et comment il avait promis à Abd-almélic, pour son fils, le gouvernement d'Egypte, et lui avait accordé la main de la princesse. Rachid, fort surpris, ratifia ces promesses ; et Djafar ne sortit point du palais que le khalife n'eût fait dresser les patentes de nomination de ce jeune homme à ce gouvernement, et n'eût fait rédiger le contrat de mariage en présence des kadis et des notaires.

Il y avait, dit-on, entre le vizir Djafar et le vice-roi d'Egypte, une inimitié réciproque, et chacun d'eux évitait d'avoir aucun rapport avec l'autre. Dans cet état de choses, un particulier s'avisa de contrefaire, sous le nom de Djafar, une lettre adressée au gouverneur d'Egypte, par laquelle Djafar lui marquait que le porteur de cette lettre était un de ses meilleurs amis qui avait voulu se procurer le plaisir de voir l'Egypte, et qu'en conséquence il le priait de lui faire l'accueil le plus favorable. Cette recommandation était conçue en termes très pressants. Muni de cette lettre, il se rendit en Egypte, et la présenta au gouverneur de cette province, qui, l'ayant lue, en fut fort surpris, et en eut une extrême joie. Cependant, il ne laissa pas de concevoir quelques doutes, et d'avoir des soupçons sur son authenticité. Il fit donc au porteur de la lettre l'accueil le plus gracieux ; il lui assigna un magnifique hôtel pour son logement, et eut le plus grand soin de fournir à tous ses besoins : mais en même temps il envoya la lettre à son chargé d'affaires à Bagdad, en lui marquant qu'elle lui avait été présentée par un des amis du vizir ; que néanmoins, doutant qu'elle fût véritablement écrite par le vizir, il voulait qu'il prît là-dessus des informations, et qu'il s'assurât si l'écriture de la lettre était effectivement celle de Djafar. La prétendue lettre de Djafar était jointe à celle du vice-roi. Quand l'homme d'affaires du gouverneur les eut reçues, il alla trouver l'intendant du vizir, lui conta l'aventure, et lui fit voir la lettre. Celui-ci l'ayant prise de ses mains, la porta à Djafar, à qui il fit part en même temps de ce qu'il venait d'apprendre. Djafar la lut, et, reconnaissant l'imposture, il montra la lettre à un certain nombre de personnes de sa cour et de ses subalternes qui se trouvaient chez lui, et leur dit : Est-ce là mon écriture. Après l'avoir considérée, ils déclarèrent tous qu'ils ne la reconnaissaient point, et que c'était une lettre contrefaite. Alors il leur conta toute l'affaire ; leur dit que l'auteur de cette lettre était en ce moment auprès du vice-roi d'Egypte, et que celui-ci n'attendait qu'une réponse pour savoir à quoi s'en tenir sur son compte : puis il leur demanda quel était leur avis, et comment ils pensaient que l'on dût traiter ce faussaire. Les uns furent d'avis qu'il fallait le faire mourir, pour couper court à une pareille perfidie, et empêcher que qui que ce fût n'osât suivre son exemple ; d'autres voulaient qu'on lui coupât la main qui avait commis ce faux ; quelques-uns opinèrent qu'il suffisait de lui faire donner la bastonnade, et de le laisser aller ; enfin, ceux dont l'avis était le plus modéré voulaient qu'on se contentât, pour toute punition, de le frustrer du fruit de son crime ; qu'on instruisît le vice-roi d'Egypte de son imposture, pour qu'il n'eût aucun égard à la prétendue recommandation : il serait, disaient-ils, assez puni d'avoir fait le voyage de Bagdad en Egypte, et d'être contraint, après un si grand trajet, à revenir sans en avoir tiré aucun profit. Quand ils eurent fini de parler, Djafar leur dit : Grand Dieu, n'y a-t-il donc parmi vous personne qui soit capable de discernement ! Vous savez l'inimitié et l'opposition mutuelle que le vice-roi d'Egypte et moi nous avions l'un pour l'autre, et vous n'ignorez pas qu'un sentiment de hauteur et d'amour-propre nous empêchait respectivement de faire le premier pas pour une réconciliation ; Dieu a lui-même suscité un homme qui nous a ouvert les voies d'un accommodement, nous a procuré l'occasion de lier une correspondance, et a mis fin à cette inimitié. Faudra-t-il que, pour récompense du service important qu'il nous a rendu, nous lui fassions subir les peines que vous proposez '. En même temps il prit une plume et écrivit au vice-roi d'Egypte, sur le dos de la lettre : Comment, par Dieu, avez-vous pu douter que ce fût là mon écriture ! Cette lettre est écrite de ma main, et cet homme est de mes amis : je désire que vous le combliez de bienfaits, et que vous me le renvoyiez promptement ; car je soupire après son retour, et sa présence ici m'est nécessaire. Le vice-roi d'Egypte ayant reçu la lettre avec la réponse du vizir, qui était écrite au dos, ne se sentit pas de joie : il n'oublia rien de ce qui pouvait être agréable a cet homme, lui donna une grande somme d'argent, et le combla de riches présents. Cet homme étant donc retourné à Bagdad dans la situation la plus brillante, se présenta a l'audience de Djafar, et baisa la terre en pleurant. Qui es-tu, mon ami, lui demanda Djafar ! Seigneur, lui répondit-il, je suis votre serviteur, votre ouvrage ; je suis ce malheureux faussaire, ce menteur impudent. Djafar connaissant qui il était, le reçut d'un air gracieux, le fit asseoir devant lui, et lui demanda des nouvelles de sa situation et combien il avait reçu du vice-roi d'Egypte ; et sur la réponse qu'il lui fit, qu'if en avait reçu cent mille pièces d'or, il lui témoigna du regret de ce qu'il n'avait pas reçu davantage, et lui dit : Demeure avec moi, afin que je double cette somme. En effet cet homme s'attacha au service de Djafar pendant quelque temps, et y amassa une somme égale à celle qu'il avait gagnée dans son voyage d'Egypte.

La gloire de la famille des Barmékides alla toujours en augmentant, et elle ne cessa de prendre de nouveaux accroissements, jusqu'à l'instant où la fortune les abandonna entièrement. Voici une anecdote qui fut comme le premier pronostic de leur chute ; elle a été rapportée par le médecin Bakhtischou,[393] qui s'exprimait en ces termes. J'entrai un jour, dit-il, dans l'appartement de Rachid ; il était alors assis dans le palais nommé Kasr-alkhould,[394] à Bagdad ; les Barmékides logeaient de l'autre côté du Tigre,[395] en face du palais, et il n'y avait entre eux et le palais du khalife que la largeur du fleuve. Rachid, remarquant la multitude de chevaux qui étaient arrêtés devant leur hôtel, et la foule qui se pressait à la porte de Yahya, fils de Khaled, se mit à dire : Que Dieu récompense Yahya ; il s'est chargé seul de tout l'embarras des affaires, et, en me soulageant de ce soin, if m'a laissé se temps de me livrer aux plaisirs. Quelque temps après, je me trouvai de nouveau chez lui ; il commençait déjà à ne plus voir les Barmékides du même œil : regardant donc par les fenêtres de son palais, et observant la même affluence de chevaux que la première fois, il dit : Yahya s'est emparé seul de toutes les affaires ; il me les a toutes enlevées : c'est vraiment lui qui exerce se khalifat, et je n'en ai que le nom. Je connus dès lors, ajoutait Bakhtischou,[396] qu'ils tomberaient dans la disgrâce, ce qui arriva effectivement peu après cela.

Voyons quelles furent les causes de cette catastrophe, et de quelle manière elle arriva. Les historiens se partagent à ce sujet en diverses opinions. Suivant un premier récit, Rachid ne pouvait se passer un instant de la compagnie de sa sœur Abbasa,[397] ni de celle de Djafar. Comme cependant la bienséance ne permettait pas que le vizir vît la princesse, Rachid résolut de la lui faire épouser, pour qu'elle pût honnêtement se trouver avec lui sans être voilée, mais à condition qu'il ne prétendrait jamais user envers elle des droits d'un époux. Ce mariage ainsi fait, Djafar et Abbasa se trouvaient fréquemment ensemble : ils étaient jeunes l'un et l'autre ; et comme il arrivait souvent que Rachid les quittait et les laissait seuls, Djafar ne se renferma pas dans les bornes que Rachid lui avait prescrites[398] : la princesse devint enceinte, et mit au monde deux jumeaux.[399] Elle eut beau tenir la chose secrète, Rachid découvrit le mystère ; et ce fut là la cause de la ruine des Barmékides.

D'autres attribuent cet événement tragique à une cause bien différente. Le khalife, dit-on, avait chargé Djafar de faire mourir un homme qui descendait d’Abou Taleb.[400] Djafar ne pouvant se résoudre à s'acquitter de cette commission, laissa aller ce malheureux. Rachid, que des malveillants instruisirent de la conduite de Djafar, lui demanda ce qu'il avait fait de cet homme. Djafar répondit qu'il était en prison. En ferais-tu serment sur ma vie, lui demanda Rachid ! Djafar devina qu'il était trahi, et répondit au prince : Non, certes ; le vrai est que je l'ai laissé aller, parce que j'ai reconnu qu'on n'avait aucun reproche fondé à lui faire. Rachid dit alors à Djafar : J'approuve ce que tu as fait ; mais quand celui-ci fut sorti, il dit : Que Dieu m'extermine si je ne te fais mourir ! Ce fut par suite de cela qu'arriva la disgrâce de cette maison. Enfin il y a d'autres historiens qui disent que les ennemis des Barmékides, et entre autres Fadhl, fils de Rébi, ne cessaient de les desservir auprès de Rachid : ils revenaient sans cesse à la charge, et lui disaient que toute l'autorité était concentrée dans leurs mains, et qu'ils attiraient à eux toutes les richesses de l'Etat : ils firent tant qu'il en prit de l'ombrage, et les extermina. On attribue encore leur ruine aux manières fières et orgueilleuses de Djafar et de Fadhl, fils de Yahya, manières que les rois ne sauraient supporter. On dit aussi que Yahya faisant un jour le tour de la Ka’abah, on l'entendit faire cette prière : « Mon Dieu, si c'est ton bon plaisir de me dépouiller de toutes les faveurs dont tu m'as comblé, de mes gens, de mes biens, de mes enfants, fais comme il te plaira ; je n'excepte que Fadhl, mon fils. » Après avoir ainsi prié, il se retira ; mais quand il eut fait quelques pas, il revint, et dit : « Mon Dieu, c'est une chose indigne, qu'un homme comme moi fasse quelque réserve avec toi ; et Fadhl aussi, mon Dieu, j'y consens. » Peu après arriva leur disgrâce.[401]

Enfin, il y a d'autres historiens qui disent que les ennemis des Barmékides, et entre autres Fadl, fils de Rabi',[402] ne cessaient de les desservir auprès de Rachid: ils revenaient sans cesse à la charge, et lui disaient que toute l'autorité était concentrée entre leurs mains, et qu'ils attiraient à eux toutes les richesses de l'Etat; ils firent tant qu'il en prit de l'ombrage et les extermina. On attribue encore leur ruine aux manières fières et orgueilleuses de Djafar et de Fadl, fils de Yahya, manières que les rois ne sauraient supporter. On dit aussi que Yahya, fils de Khalid, faisant un jour le tour de la Ka'ba, on l'entendit faire cette prière : « Mon Dieu ! si c'est ton bon plaisir de me dépouiller de toutes les faveurs dont tu m'as comblé, de mes gens, de mes biens, de mes enfants, fais comme il te plaira; je n'excepte que Fadl, mon fils. » Après avoir ainsi prié, il se retira; mais quand il eut fait quelques pas, il revint et dit : « Mon Dieu ! c'est une chose indigne, qu'un homme comme moi fasse quelque réserve avec toi; et Fadl aussi, mon Dieu! j'y consens.[403] » Peu après, arriva leur disgrâce de la part de Rachid. Djafar fut tué, et tous ses parents furent arrêtés de la manière que nous allons raconter.

Rachid avait fait, cette année-là, le pèlerinage de la Mecque ; à son retour, il se rendit, par eau, de Hira à Anbar, et se mit à faire débauche. Djafar, de son côté, monta à cheval pour prendre le plaisir de la chasse[404] : tantôt il s'amusait à boire, tantôt il prenait d'autres divertissements ; et cependant il recevait, pendant toute la route, des présents que Rachid lui envoyait. Il avait près de lui le médecin Bakhtischou, et le poète Abou-Zaccar l'aveugle,[405] qui le divertissait en chantant. Le soir étant venu, Rachid appela l'eunuque Mesrour,[406] qui était ennemi de Djafar, et lui dit : Va trouver Djafar, et apporte-moi sa tête : ne t'avise pas de me faire aucune objection. Mesrour vint donc trouver Djafar, et entra brusquement auprès de lui sans s'être fait annoncer. En ce moment même Abou-Zaccar chantait ce vers :

« Ne t'éloigne pas : il n'est point d'homme que la mort ne vienne visiter le soir ou le matin. »

Mesrour étant entré, Djafar lui dit : Ta visite me fait plaisir, mais je vois avec peine que tu sois entré sans ma permission. Le sujet qui m'amène, lui dit Mesrour, est d'une haute importance : soumets-toi à ce que le prince des croyants exige de toi. Djafar tomba aux pieds de Mesrour et les embrassa en disant : Retourne, je te prie, vers le prince des croyants ; c'est le vin qui lui a fait donner cet ordre : laisse-moi, ajouta-t-il, rentrer chez moi, et faire mon testament. Rentrer chez toi, reprit Mesrour, est une chose impossible ; pour ton testament, tu peux le faire comme tu le jugeras à propos. Djafar ayant donc fait son testament, Mesrour le conduisit au lieu où était alors Rachid ; puis il entra avec lui dans une tente, et lui ayant coupé la tête, il la porta sur un bouclier à Rachid ; il lui porta aussi le corps enveloppé dans un morceau de cuir. Alors Rachid envoya quelques-uns de ses gens pour arrêter le père et les frères de Djafar, tous les gens de sa maison et ses amis ; il les fit enfermer à Rakka, et extermina toute leur famille. L'historiographe Amrani rapporte à ce sujet un trait bien frappant. J'ai ouï, dit-il, raconter par un certain homme, qu'étant entré dans les bureaux du diwan, il avait jeté les yeux sur les registres d'un des employés, et y avait lu ces mots : Pour une khila donnée a Djafar, fis de Yahya, 400.000 pièces d'or ; et qu'étant retourné, peu de jours après, dans le même bureau, il avait lu dans le même registre, au-dessous de cet article : Nafte et roseaux peur brûler le corps de Djafar, fis de Yahya, 10 kirrat : ce qui lui avait causé une grande surprise.

Fadhl, fis de Rébi, qui était chambellan de Rachid,

succède aux Barmékides dans la place de vizir.

Nous avons parlé ailleurs de Rébi, père de Fadhl. Pour Fadhl, il avait exercé la charge de chambellan sous les khalifes Mansour, Mahdî, Hadi, et auprès de Rachid lui-même. Quand ce prince eut renversé la maison des Barmékides, il mit Fadhl à leur place. C'était un homme adroit, et qui connaissait parfaitement tout ce qui concerne les rois, et ce qui convient à leur rang. Quand il fut devenu vizir, il se livra avec passion à la culture des lettres : il rassembla près de lui un grand nombre de savants, et acquit en peu de temps les connaissances qu'il désirait avoir en ce genre. Au nombre des poètes qui lui étaient entièrement dévoués, se trouvait Abou-Nowas. Voici un vers de ce poète sur la famille de Rébi :

« Abbas, lorsque le foyer de la guerre est allumé, est un lion au regard menaçant ; Fadhl est la vertu même ; Rébi est le printemps dans toute sa fraîcheur. »

Fadhl conserva la charge de vizir jusqu'à la mort de Rachid. Ce prince étant mort à Tous, Fadhl rassembla l'armée et les bagages, et retourna à Bagdad.

Fin de l'histoire du khalifat d’Haroun Rachid.

 

[286] Voy., sur ces hétérodoxes, un mémoire de M. Clément Huart, intitulé : les Zindîqs en droit musulman, dans Actes du XIe Congrès international des Orientalistes, Paris, 1897, 3e section, pp. 70-80).

[287] Ce passage est emprunté à Ibn al-Athir, Chronicon. VI, 55.

[288] D'après les Prairies d’or, éd. et trad. Barbier de Meynard, VI. 227, cette anecdote a été racontée par Fadl, fils de Rabi'.

[289] D'après les Prairies d’or, VI, 227, c'est 'Amr, fils de Rabi', affranchi de Mahdî. De même Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 55.

[290] « Dans l’Iraq, espèce d'absonium fait de petits poissons avec des herbes et du vinaigre. » Dozy, Supplément au dictionn. arabe, I, 499. Cf. les Prairies d’or, éd. et trad. Barbier de Meynard. VI, 228 et note.

[291] Dans la relation des Prairies d’or, loc. cit., ce verbe est employé seul d'une manière absolue. De même Ibn al-Athir, Chronicon. VI, 56.

[292] D'après les lexicographes arabes, c’est la bourse qui contient mille ou sept mille ou dix mille drachmes, suivant les opinions. Cf. Mouhît al-mouhît, I, 72 ; Tadj al-'aroûs, III, 34, l. dernière.

[293] M. Derenbourg, dans son édition, p. 244, a lu al-Moqna'. Mais voyez d'abord le Tadj al-'aroûs, V, 488, qui dit : « ce mot est sur le paradigme de « mou'azzam » ; puis Ibn Khallikan, Wafayât al-a’yân, éd. Wüstenfeld, notice 186, p. 128 et spécialement notice 431. Le nom de cet hérétique serait 'Atâ ou Hakim ; cf. Ibn Khallikan, loc. cit.

[294] D'après Ibn Khallikan, loc. laud., qui cite Yakout, le nom de cette citadelle était Sanâm. Elle était située dans la Transoxiane (Mâwarânnahr) prés du bourg de Kechch, sur lequel voy. Barbier de Meynard, Dictionnaire géographique de la Perse, p. 488.

[295] Trente mille d'après Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 34.

[296] D'après le récit d'Ibn Khallikan, Wafayât al-a’yân, loc. laud. ; Mouqanna' et sa famille se seraient donné la mort en absorbant un violent poison. De même Ibn al-Athir, loc. cit.

[297] D'après lequel ils touchaient leur pension ou solde.

[298] Cf. Massoudi, les Prairies d’or, éd. et trad. Barbier de Meynard, V, 27, notamment les deux vers qu'il cite : « Certes Ziyâd, Nâti' et Abou Bakra sont pour moi ce qu'il y a de plus étonnant au monde. » « Voilà trois hommes formés dans le sein de la même mère et dont la généalogie est différente. L'un se dit Qoraichite, l'autre affranchi et le troisième se donne pour Arabe ! »

Voyez aussi Ibn al-Athir, Chronicon. VI, 31-32.

[299] Ville de la province du Djibâl. Cf. Barbier de Meynard, Dictionnaire géograph. de la Perse, p. 510. D'après Yakout, c'est à Raddz, bourg situé à quelques parasanges de Mâsabadzân, que se trouve le tombeau de Mahdî. Cf. op. laud., p. 259, et les Prairies d’or, de Massoudi, VI, 225 ; Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 54.

[300] Cette version est donnée par les Prairies d’or, éd. Barbier de Meynard, VI, 225 et Ibn al-Athir, Chronicon. VI, 54-55.

[301] Ce poète, dont le nom est Ismâ’îl, fils de Qasim, était surnommé Djarrâr (le marchand de jarres), parce qu'il avait exercé ce métier dans sa jeunesse. Né dans le Hedjaz en 748, il mourut en 828. Sa poésie, comme on le sait, est plutôt de la morale mise en vers, voy. la bibliographie dans Brockelmann, Geschichte der arab. Litter., I, 77-78. Cl. Huart, Hist. de la Litt. ar., pp. 74 et suiv. : Kitab al-aghâni, III, 126-128.

[302] Voy. ce même vers, avec une variante peu importante, dans les Prairies d’or, VI, 226.

[303] 915 ans, d'après Genèse, IX, 29.

[304] Le poète joue sur le mot gémir et le nom de Noé.

[305] Les historiens arabes ne sont pas d'accord sur le nom de ce vizir : Massoudi (Prairies d’or, V, 231-232) l'appelle Abou 'Oubeïd Allah Mouâwiya, fils d'Abd Allah al-Ach'ari. — Al-Khâtib al-Bagdadî (Tarikh Bagdad, Introduction topographique publiée et traduite par G. Salmon, Paris, 1904, p. 122) le nomme Abou 'Oubeïd Allah Mouâwiya, fils de 'Oubeïd Allah, fils d’Addât al-Asch'ari. Mais Yakout (Mou’djam, III, p. 201) donne fils d’'Amr à la place de fils d’Addât. Il y avait à Bagdad une place qui portait son nom. Cf. Salmon, loc. cit., et Ibn Khallikan, Wafayât, notice 840. Voy. aussi sur ce vizir, Tabari, Annales, éd. de Goeje, III, 486 et suiv. ; Kitab al-aghâni. Index, p. 464. De même Ibn al-Athir Chronicon, VI, 24, 2.5, 27, 51, 64-65) l'appelle tantôt fils d'Abd-Allah, tantôt fils d’'Oubeïd Allah, et, au lieu de Yasâr, il donne Bachchâr, mais c'est probablement une faute du copiste que l'éditeur n'a pas fait disparaître.

[306] Dont le nom est 'Abd-Allah. Cf. Ibn Khallikan, Wafayât al-a'yân éd. Wüstenfeld, notice 840, p. 88.

[307] Ce point est confirmé par les Prairies d’or, VI, 232, qui consacrent en tout quatre lignes à ce vizir.

[308] Parmi ceux qui ont composé des ouvrages sur cette matière, il y en a trois dont l'œuvre nous est parvenue. Ce sont: 1° le célèbre Imâm Abou Hanifa († 182 = 793). Cf. Goldziher, Muhammedanisch. Studien, II, 77; Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 171; 2° Yahya ibn Adam († 203 = 818), dont l'ouvrage a été édité par Juynboll Leide, 1896). Cf. Brockelmann. op. cit., I, 181; 3° Qoudâma († 310 = 922). Brockelmann. op. cit., I, 228. Voy. aussi Max van Berchem, La Propriété territoriale et l'impôt foncier sous les premiers khalifes, Genève, 1886.

[309] Sur ce personnage, voy. le Kitab al-aghâni, Index, p. 430; Ibn al-Athir, VI, 36.

[310] Cf. les Prairies d’or, VI, 253.

[311] Cet événement eut lieu en 167 (783) d'après Ibn Khallikan, Wafayât al-a'yân, éd. Wüstenfeld, notice 846, p. S8. Cet auteur ajoute qu’avant d’être entièrement disgracié, Abou 'Oubeïd Allah fut relégué à la Chancellerie, et cela en l'année 163 (779 de J.-C.). Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, VI, pp. 35-36.

[312] C'est aussi la date que donnent les Prairies d’or, VI, 232. Mais Ibn al-Athir (op. cit., p. 65), tout en adoptant cette date, ajoute que, selon d'autres, Abou Oubeïd Allah mourut en 169.

[313] C'est ce que confirme Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 840, p. 87. Voy. aussi Massoudi. Prairies d’or, VI, 232; Kitab al-aghâni, Index, p. 718. Sur Nasr, voy. plus haut.

[314] Il a même été secrétaire d’Ibrahim, fils d’Abd-Allah. Cf. Ibn Khallikan, loc. cit.

[315] Il avait été notamment jeté en prison en 144 ou en 146, par ordre de Mansour. Cf. Ibn Khallikan, loc. cit.

[316] Littéralement : pour trouver en lui une aide contre leur entreprise.

[317] Littéralement : et vit le plus parfait des hommes sous le rapport de l’intelligence et le meilleur d'entre eux, au point de vue de la conduite.

[318] Voy. dans Ibn al-Athir Chronicon, VI, 25, le récit des débuts de Yakoub, fils de Daoud.

[319] Ce détail est confirmé par les Prairies d’or, VI, 232; Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 810, p. 88, l. 4, qui cite deux vers à ce sujet, et Ibn al-Amin, Chronicon, VI, 25.

[320] Sur ce fameux poète, d'origine persane, qui passait pour un libre penseur et qui mourut en 783 de J.-C., voy. Brockelmann, Litt. Gesch., I, 73; Cl. Huart, op. cit., p. 67 ; Aghâni, III, 19-73; de Hammer, III, 5, 12; Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, pp. 476-479.

[321] Cette épigramme est donnée par le Kitab al-aghâni et Ibn Khallikan. Voy. les deux notes suivantes.

[322] Allusion aux orgies où s’enfonça Mahdî depuis qu'il confia le vizirat à Yakoub, fils de Daoud. Voy. le Kitab al-aghâni, loc. cit., et Ibn Khallikan, loc. cit.

[323] Liqueur spiritueuse préparée avec tics raisins secs ou des dattes ou des grains.

[324] Ce vers et le récit qui le précède semblent empruntés à Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 49.

[325] C'est sur les murs de cette fameuse prison de Bagdad, que l'on exposait les têtes des condamnés qu'on exécutait à la préfecture de police. Elle était située dans la rue du même nom. C'est elle qui a été transcrite à tort Al-Matbak, par G. Salmon, Topographie de Bagdad, p. 125 et encore plus mal (Al-Matraf !) par M. le baron Carra de Vaux (le Livre de l'avertissement, p. 492). Notre lecture s'appuie sur l'autorité du Tadj al-'aroûs, VI, 417, l. 22.

[326] Cette anecdote est racontée par Ibn Khallikan, Wafayât, notice 840, pp. 89-90, et par Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 47.

[327] Ibn Khallikan (op. cit.) donne 187 et, selon une autre opinion, 182. Voy. aussi Ibn al-Athir. Chronicon, VI, 47 et suiv.

[328] Ceci est confirmé par Ibn Khallikan, Wafayât, notice 810, p. 94, in fine.

[329] C'est le surnom patronymique (kouniya) du vizir Faid.

[330] L'édition du texte arabe porte un nom très répandu et qui semble ici correct. Cependant nous avons rejeté cette lecture, parce que le Kitab al-aghâni, qui donne dans le t. XII, 174, la biographie de ce poète, lui attribue, comme surnom patronymique (kouniya), Abou-l-Asad (le père du lion). Il paraît donc plus logique de lire ici Abou-l-Ousoûd (le père des lions), au lieu d'Al-Aswad. L'emploi du pluriel au lieu du singulier n’a rien de surprenant. On trouve souvent, chez les auteurs arabes, un même personnage désigné tantôt par Abou-l-Fath (le père de la victoire) tantôt par Abou-l-Foutoûh (le père des victoires). C'est ainsi que le fameux vizir d'Egypte Dirghâm (voy. Hartwig Derenbourg, Vie d’Oumara du Yémen, p. 101 et passim) avait pour kouniyâ : Abou-l-Achbâl (le père des lionceaux), et je me souviens avoir rencontré ce même personnage, désigné dans les mss. arabes de Paris, sous le nom d'Abou-ch-chibl le père du lionceau). Ibn Qotaiba (Liber poesis et poetarum, éd. de Goeje, p. 12; cite notre poète à l'occasion des quatre vers que donne Al-Fakhrî et le nomme Abou-l-Asad…

[331] Le poète joue sur le sens d’un mot « le reproche ne peut battre son briquet dans la mer ».

[332] On sait de quel respect les Musulmans entourent cette nuit, dont ils ne connaissent cependant pas la date exacte : on sait seulement que c'est une des cinq dernières nuits impaires du mois de Ramadan, c'est-à-dire la 21e, la 23e, la 25e, la 27e ou la 29e de ce mois. C'est dans cette nuit que le Coran a été révélé en entier à Mahomet : que les affaires de l'Univers sont fixées et résolues pour toute l'année, que les anges descendent du Ciel pour bénir les fidèles, que toutes les prières sont exaucées. Dans cette nuit, les mers perdent leur salure, la prière du croyant équivaut à toutes les prières qu'il forait dans mille nuits consécutives et il s’y produit une foule d'autres miracles. A défaut de date plus certaine, on la célèbre le 27 de la lune de Ramadan. C'est une des sept nuits bénies de l'année. Les six autres sont: 1° la nuit de la naissance de Mahomet (12 Rabi' premier] ; 2° la nuit de la conception du Prophète (1er vendredi de Radjab) ; 3° la nuit du voyage nocturne de Mahomet au ciel (27 Radjab) ; 4° la nuit où 'Azrâ'il (l'ange de la mort) reçoit les registres où sont inscrits les hommes qui doivent mourir dans l’année (15 Chaban) ; 5° la nuit de la fête de la rupture du jeune (la veille du 1er chavvâl) ; 6° la nuit de la fête des immolations (10 Dzoû-l-hiddja). Sur la nuit du Destin, voy. la sourate 97 du Coran et les commentaires du Coran ; W. Lane, Manners and Customs of the Modern Egyptians, 3e éd., 1842, II, 265 ; O. Houdas, L'Islamisme, 2e éd. 1908, p. 141, et notre traduction d'Al-Wancharîsî, dans les Archives marocaines, t. XII, p. 136, note 1. Voy. aussi Bokhari, Sahih, traduction Houdas et Marçais, I, 640-643.

[333] Il est remarquable que ni Ibn al-Athir, ni Massoudi ne lassent mention de ce vizir. Seul Ibn Khallikan, Wafayât, le nomme incidemment dans la biographie de son prédécesseur (notice 840.)

[334] J'avais pensé que cela signifiait, hardi, courageux, mais je trouve dans Massoudi, Prairies d’or, VI, 262, un passage relatif au caractère de ce khalife...

[335] Et aussi sous Hadi et Haroun er-Rachid. Voy. les Prairies d’or, VI, 310-311 ; Kitab al-aghâni, Index, p. 445. L'Index de l'édition arabe qui a servi de base à cette traduction renvoie, pour ce nom, à la page 358. C'est une erreur typographique.

[336] Sur lequel ont lieu les exécutions capitales. Voy. sa description dans de Slane, trad. d'Ibn Khallikan, IV, 203, note 4.

[337] Il s'agit d'Ibrahim, fils de Dakwân Al-Harrâni, qui devint plus lard vizir du khalife Hadi. Voy. plus loin la traduction correspondante aux pages 262-263 du texte arabe. Voy. une anecdote où il a joué un rôle dans Kitab al-aghâni, XVII, 17.

[338] Il avait, en ce moment, un peu plus de 24 ans. Cf. les Prairies d’or, VI, 261.

[339] Mouslim fils de Qotaiba était un affranchi des Benou Hachim. Au moment du meurtre de Housain, fils d'Ali, il composa une triste élégie, que citent les historiens arabes: voy. notamment les Prairies d’or, V, 146-147 ; Kitab al-aghâni, III. 44, 45 ; XVIII, 125.

[340] Ceci est emprunté à Ibn al-Athir, op. cit., VI. p. 71.

[341] Fakhkh est un lieu situé à 6 milles de La Mecque. Cf. les Prairies d’or, VI, 266. Il y avait là un puits où les caravanes venant de La Mecque s'arrêtaient. Cf. Kitab al-aghâni, VI, 71.

[342] C'était un descendant du khalife 'Omar. Il s'appelait 'Omar, fils d'Abd al-'Aziz, fils d'Abdallah, fils d'Omar le khalife. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon y VI, 60 et suiv.

[343] C'était un parent du révolté, étant lui-même Hachémite. Massoudi (Prairies d’or, VI. 266) le nomme parmi ceux qui ont pris part à cette expédition.

[344] Même observation qu'à la note précédente. D'après les Prairies d’or, ces deux personnages y ont été ensemble. Notre auteur a suivi le récit d'Ibn al-Athir, op. cit., VI, p. 62.

[345] De quatre mille cavaliers, suivant les Prairies d’or, loc. laud.

[346] Les Prairies d’or, plus explicites, disent : « La tête d'un Turc ou d'un Deïlémite ».

[347] C'est le récit d'Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 64.

[348] La biographie de cette princesse est donnée par Khalil ibn Aibak As Safadî, Al-Wâfi bil-Wafayât, manuscrit de Paris, n° 2064, f° 38 r°. Quelques anecdotes où elle a joué un rôle se trouvent dans le Kitab al-aghâni, IX, 127 et suiv. et XIII, 13.

[349] Cf. Massoudi, Prairies d’or, VI, 268 et suiv. ; Ibn al-Athir, loc. cit., p. 68.

[350] Ce récit est conforme et peut-être même emprunté à Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 68-69.

[351] C'est le fameux compagnon de plaisir de Mahdî, lorsque celui-ci n'était encore qu'héritier présomptif du trône. Voy. aussi Kitab al-aghâni. XVII, 17 ; Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 70 et 73.

[352] Le mot Allah est répété trois fois dans le texte arabe.

[353] La traduction du Khalifat d’Haroun Rachid est tirée de S. de Sacy, Chrestomathie arabe, I, 1826. Elle a d’ailleurs été reprise par le traducteur de l’ouvrage de façon quasiment identique aux notes près.

[354] La rak'a, comme on le sait, est une série de mouvements, comme la station debout (al-qiyâm), la prosternation (as-soudjoûd), l'inclinaison du corps (ar-roukoû') accompagnés de la récitation de passages coraniques. Deux ou plusieurs de ces rak'as, selon les cas, composent une prière. Voy. notre trad. de Wancharisi dans Archives marocaines, t. XII. p. 33, Cf. Sacy, Chrestomathie arabe, I, p. 34, note 3.

[355] Mansour était, comme on sait, d'une avarice sordide.

[356] Voy. sur ce littérateur, plus haut, et aussi les indications données par S. de Sacy, Chrestomathie arabe, I, p. 34, note 5.

[357] Cette anecdote est donnée textuellement par Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 151.

[358] La vie de ce moraliste, mort en 195 de l'Hégire (= 898), est donnée par Khalil ibn Aibak as-Safadî, Al-Wâfi bil-Wafayât, manuscrit arabe de Paris, n° 5860, f° 222 v° ; Cf. Kitab al-aghâni, V, 52, 54 ; Ibn Qotaiba, Kitab al-Ma’ârif: d'après ce dernier auteur, le véritable nom d'Abou Mouâwiya était Muhammad, fils de Khâzim ; voy. Sacy. Chrestom. arabe, I, 35.

[359] Sur ce personnage, voy. Kitab al-aghâni, XII, 17-18 ; XVII, 43: XX, 72 ; Massoudi, Prairies d’or, VI, 193, 300-301. Cf. Sacy, Chrestomathie arabe, I, 35-36 ; Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 85, 119.

[360] C'est, dit Ibn al-Athir (Chronicon, VI, 85), le jurisconsulte Muhammad, fils de Hasan. Ce jurisconsulte ne peut être que Chaibâni, le fameux disciple d'Abou Hanifa et d'Abou Yousouf Yakoub. Il mourut en 189 = 805 de J.-C). Cf. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 171 et sq.; Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, n° 578; de Hammer-Purgstall, Litt. Gesch. der Araber, III, 113 ; Barbier de Meynard, Notice sur Mohammed ben Hasan Cheibani jurisconsulte Hanéfite, in-8 (tirage à part du J. A. P., 1852)

[361] C'est le qâdî Abou-l-Bakhtari. Cf. Ibn al-Athir, loc. cit. Sur ce fameux jurisconsulte († 200= 801 de J.-C), voy. l'intéressante notice d'Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 796, voy. aussi de Hammer-Purgstall, Litteraturgeschichte der Araber, 111, 409 et Cf. IV, 130 et Kitab al-aghâni, VII, 157.

[362] Sur ce personnage, voy. ci-dessus, et Cf. Sacy, op. cit., pp. 36-37.

[363] D'après une sentence attribuée à l’imâm 'alîde Djafar as-Sâdiq, celui qui se sert du serment de renonciation, même pour affirmer la vérité, Dieu sera en colère contre lui pondant quarante jours. Cf. le passasse du Livre des Druzes, cité par S. de Sacy, Chrestomathie arabe, I, 37, note 15.

[364] Ce poète était le cousin du célèbre prince d'Alep, Sayf ad-Daula, à la cour duquel vivait le fameux poète Moulanabbi. Abou Firas fut nommé gouverneur de Manbidj par son cousin. Né en 320 (= 932, il mourut en 357 (= 968). Voy. la bibliographie dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 89; Cl. Muafît, Hist. de la Litt. arabe, p. 94 ; de Hammer-Purgstall, Litt. Gesch. der Araber, V, 49 et 734 ; Khalil ibn Aibak as-Safadî, Al-Wâfi bil-Wafayât, manuscrit arabe de la Bibliothèque nationale, n° 5860, f° 234 v°; Sacy, Chrestomathie arabe, I, 37-38.

[365] Ce descendant de Zoubair ne serait autre que son arrière-petit-fils, 'Abd Allah, fils de Mous'ab, fils de Zoubair. Cf. le passage d’un manuscrit sur la généalogie des 'Alides, cité par Sacy, Chrestomathie arabe. I, 36-37, et Massoudi, Prairies d’or, VI, 296. D’après ces deux auteurs, l’Alide qui fut tué dans ces circonstances, fut non pas Yahya, mais son frère Moussa, surnommé al-Djaun et fils comme lui d’'Abd Allah al-Mahd (le Pur). Le nom de Moussa a donné lieu à une autre confusion. Le personnage de ce nom a été pris pour un autre Moussa, fils non pas d’'Abd Allah al-Mahd, mais de Djafar As-Sâdiq et surnommé Al-Kâzim. Cet 'Alide a été aussi tué par Rachid, ainsi qu'on le verra plus loin.

[366] C’est l'imâm qu'on appelait Moussa al-h'âzini. La biographie de ce malheureux 'Alide est donnée par Ibn Khallikan, Wafayât, tnl. Wüstenfeld, notice 756. Cf. aussi Kitab al-aghâni, XVIII, 29 et 61 ; Massoudi, Prairies d’or, VI, 309 et suiv. ; VII, 115, 117: Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 112. D'autres historiens prétendent que l'Alide qui fui tué est Moussa, fils d’Abd Allah, Al-Mahd, surnommé Al-Djaun, ou encore Yahya, frère dudit Moussa. La vérité, comme le raconte Al-Fakhrî, est que Haroun er-Rachid fit tuer Yahya et Moussa al-Kâzim. Cf. Sacy, Chrestomathie arabe, I, 36-37, note 14.

[367] Cet officier est celui-là même qui, lors de la disgrâce des Barmékides.

[368] Sur les notaires, voy. la note de Sacy, Chrestomathie, I, 38 et sq., où l'on trouve, avec sa traduction, le passage bien connu des Prolégomènes, d'Ibn Khaldoun, sur ces fonctionnaires.

[369] Karkh était, comme on le sait, un quartier excentrique de Bagdad, qui fut au début un grand marché, et qui devint, par la suite, le quartier habité par les chi’ites. Certains historiens affirment que l’on n'y voyait presque jamais de sunnites. Sous le règne de Mousta'sim (voy. plus loin), les troupes de ce khalife entrèrent dans ce quartier, sous prétexte d’y rétablir la tranquillité, et y commirent tous les excès imaginables. Nous avons beaucoup de renseignements sur ce quartier. Il suffit de renvoyer le lecteur aux sources: notamment à la note magnifique de Sacy, Chr. arabe, I, 66 et suiv. ; Yakout. Mou’djam, IV, 225; Al-Khâtib al-Baghdadi. Introduction topographique, éd. et trad. G. Salmon. p. 98 et suiv.

[370] Rafi' s'était révolté dans le Khorasan, avec son frère. Massoudi, Prairies d’or, VI, 357 et suiv. rapporte les paroles que Rachid mourant adressa au frère de Rafi', auquel il fit subir ensuite, devant lui, le dernier supplice. Cette révolte est également racontée dans les notes sur Aboulféda, Annales Moslemici. II, 654. Cf. Sacy, Chrestomathie ar., I, p. 41, note 22. Après la mort de Haroun er-Rachid, Rafi' rentra dans l'obéissance et reconnut l'autorité de Mamoun sur le Khorasan. Cf. S.kcy, loc. cit. Ce même Rafi' se serait révolté de nouveau, sous le règne de Mou'tadid, en 279 de l'Hégire (= 892 de J.-C). Cf. Massoudi, op. cit., t. VIII. p. 139. Mais cela est impossible: Rafi' n'a pas pu vivre environ cent ans encore après la mort de Rachid. Ibn Khaldoun, III, 336; éd. Caire.

[371] Littéralement: les fragments de ses entrailles. Sur cette expression, voir la note de Sacy, Chrestomathie arabe, I, p. 42, note 24.

[372] La biographie de ce vizir est donnée avec beaucoup de détails intéressants par Ibn Khallikan (Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 816), qui a dû puiser à la même source que notre auteur, c'est-à-dire à l'Histoire des vizirs, de Souli.

[373] Ce récit semble copié textuellement d’Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 65 et suiv. Cf. le récit de Massoudi, Prairies d’or, VI, 280 et suiv.

[374] La Ka’abah. — Sacy (loc. cit.) a rendu le mot « par « vénérable ». Je crois que ce sens ne convient pas ici et que le poète fait visiblement allusion aux voiles.

[375] L'auteur de ces vers, qui sont donnés avec d'autres par le Kitab al-aghâni, XVII, 25 et par Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 816, se nomme lux Mounâdzir. Voy. sur ce poète Kitab al-aghâni, pp. 9-30; Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, pp. 553-555.

[376] Voy. aussi la notice que lui consacre Ibn Khallikan, Wafayât, notice 538, et Kitab al-aghâni, Index, 546-547.

[377] Khaizourân. voy. ci-dessus.

[378] Ce poète était d’origine juive. Poète estimé à Bagdad, il excellait dans la louange. Ses élégies en l'honneur de Fadl, fils de Yahya ai-Barmakî, et de Ma'n, fils de Zâ'ida, étaient très goûtées. Mais il était d'une avarice proverbiale, et ses biographes rapportent à ce sujet d'amusantes anecdotes. Né en 103 (= 721), il fut étranglé en 181 (= 797). Voy. la bibliographie dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 74. Cf. aussi Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, I, pp. 68-69 ; de Hammer-Purgstall, Litteraturgesch. der Arab., III, 551 ; Kitab al-aghâni, IX, 36, 78 ; Aboulféda, Annales Moslemici, II, 77 ; Sacy, Chrestomathie arabe, I, 45-46 ; Massoudi, Prairies d’or, Index, p. 193 ; Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, pp. 481-482.

[379] Le père de Yahya. Voy. ci-dessus. Ces deux vers sont donnés par Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, loc. cit.

[380] Sacy (loc. cit.) dit n'avoir trouvé aucun renseignement sur ce poète. En dehors de la citation d'Ibn Khallikan (Wafayât, notice 538), que Sacy a connue, toutes les recherches que j'ai faites moi-même sont restées vaines. Je me demande s'il ne s'agit pas plutôt ici d'Abou-l-Ghoûl, qui vivait aussi à cette époque et qui est cité par Massoudi, Prairies d’or, VI, 361-362, comme étant un des panégyristes des Barmékides. Sur ce poète, on peut voir Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum. 256-257 ; Kitab al-aghâni, V, 171 ; de Hammer-Purgsïall, Litteratur Geschichte der Araber, II, 586 ; Cf. aussi I, 493.

[381] Sur ce fameux musicien, voyez la longue et intéressante notice du Kitab al-aghâni, V, pp. 52-131 ; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, pp. 77-78 ; de Hammer, Litt. Gesch. der Arab., IV, 731 ; Brockelmann, Geschichte der arabischen Litteratur, I, 78, et voy. aussi les références données par Sacy, Chrestomathie arabe. I, 467.

[382] Littéralement : Tous mes membres sont tombés en défaillance.

[383] Cette anecdote est donnée avec quelques variantes de détails, par le Kitab al-aghâni, V, 21 et sq. Seulement, le héros en serait non Ishaq al-Mausili, mais son père Ibrahim. La confusion serait venue, je crois, de ce que cette anecdote a été racontée par Ishaq lui-même.

[384] Sur ce personnage, voy. Massoudi, Prairies d’or, VI, 161 ; IX, 64-67. de Muhammad est, comme le dit le texte, le fils de l’imâm Ibrahim, qui fut mis à mort en l'année 130 de l'Hégire, par ordre de Marvân II, le dernier khalife omeyade. Cf. Aboulféda, Annal. Moslemici, I, 473-477; Massoudi, Prairies d’or, VI, 66-78 et Index, p. 166; Sacy. Chrestomathie arabe, I, 47, note 44. Cf. ci-dessus, pp. 220 et 231.

[385] La somme de 100 millions, comme le voudrait l’édition, serait exagérée.

[386] Voyez la très intéressante notice que lui consacre Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 131 ; aussi Kitab al-aghâni, Index, pp. 270-271 ; Massoudi, Prairies d’or, VI, 386 et suiv., etc.

[387] Cette anecdote est racontée dans le Kitab al-aghâni, V, 118-119, et par Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 131, p. 37.

[388] Fils de Nahrân, dit Ibn Khallikan, loc. cit.

[389] Sur ce personnage voyez le passage du Kitab al-aghâni, cité ci-dessus, et aussi les autres passages auxquels renvoie l'Index, page 457. Sa biographie est donnée par Khalil ibn Aibak as-Safadî, Al-Wâfi bil Wafayât, manuscrit arabe de Paris, n° 2066, f° 263 v°. Cf. Massoudi, Prairies d’or, Index, p. 99 ; Ibn Khallikan, loc. cit. Sur son arrestation et sa mort, voy. Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 123-125 et 177-179.

[390] Ibn Khallikan (loc. cit.) dit quatre millions.

[391] Ce fils se nommait Ibrahim. Voy. Ibn Khallikan; loc. cit.

[392] Elle se nommait 'Aliya. Ibidem.

[393] Nous avons transcrit ce nom d'après la vocalisation du manuscrit arabe. Sur le personnage, voyez plus loin. La prononciation régulière serait Bokhtyéchoû'.

[394] Le Palais de l'éternité. Ce nom lui a été donné par imitation du nom du Paradis Djannat al-khould (le Jardin de l'Eternité). Cf. Coran. XXV, 16 et XLI, 28. Il fut bâti par le khalife Mansour, sur la rive droite du Tigre et demeura la résidence des khalifes jusque vers les années 265 à 270, sous le règne de Mou'lamid, qui transporta sa résidence au Palais dit Qasr al-Hasani, sur la rive gauche du Tigre. Il fut le séjour de prédilection surtout d’Haroun er-Rachid, d’Amin, qui y fut assiégé et de Mamoun, du moins pendant un certain temps (Voy. Yakout, Mou’djam, I, 810). Il s'élevait sur l'emplacement d'un ancien couvent chrétien, sur un monticule dominant toute la vallée. Les auteurs arabes vantent le site qui s'étendait au pied de ce château et la pureté de l'air dans cet endroit. La construction en fut commencée en l'année 158 de l'Hégire (al-Khâtib al-Baghdadi, Histoire de Baghdâd ; Introduct. topographique, éd. et trad. Salmon, pp. 98-99 En l'année 368 de l'Hégire, le grand vizir des Bouyides, 'Adoud ad-Daula. y construisit l'hôpital qui porte son nom de Bimârisbân al-'Adoudi. Cf. Yakout, Mou’djam, II. 459. Depuis, tout le quartier prit le nom de Khould. Comme on le voit, ce palais n'a pas disparu aussitôt après la mort du khalife Amin, comme l'a cru M. Le Strange. Description of Mesopotamia and Bagdad, p. 291. Sur la description de ce palais, voyez encore Massoudi. Prairies d’or, VI, p. 431 ; Sacy, Chrestomathie arabe. I, 53-54.

[395] Les Barmékides avaient là leur palais, à l'endroit où s'éleva plus tard le palais des khalifes qu'on appela le Tadj. Cf. Yakout, Mou’djam, I, 809. Ce palais était surtout la résidence de Yahya et de son fils Djafar, mais les Barmékides avaient d'autres palais.

[396] Lui, son fils et plusieurs de ses descendants furent des médecins célèbres, attachés à la cour des khalifes. Voy. de Hammer. Litt. Gesch. der Araber, III, 277; IV, 336; Kitab al-aghâni, IX, l. 106, 110; Massoudi, Prairies d’or. VII, 98-99; VIII, 174 ; Brockelmann, Geschichte der arabischen Litt., I, 236, 483; Khalil ibn Aibak as-Safadî, Al-Wâfi bil-Wafayât, manuscrit arabe de Paris, n° 2066. f° 301 recto ; Sacy. Chrestom. arabe, I, p. 53, note 50.

[397] Sur cette princesse, voy. le Kitab al-aghâni, XV, 79, et XX, 82-38 ; Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 181 ; Massoudi, Prairies d’or. VI, 887-891 et 893. Une intéressante biographie de cette princesse est donnée par Khalil ibn Aibak as-Safadî, Al-Wâfi bil-Wafayât, manuscrit arabe de Paris, n° 2066, f° 18 r°.

[398] On sait avec quelle ardeur Ibn Khaldoun, dans ses Prolégomènes, a essayé de détruire cette légende, que rapportent cependant un très grand nombre d'historiens arabes. Voy. le passage en question d’Ibn Khaldoun, apud Sacy, Chrest. Arabe, I. p. 871 et suiv.

[399] Ibn Khallikan (loc. cit.), Massoudi (Prairies d’or. VI, 391), Ibn al-Athir (Chronicon, VI, 118-119) ne font mention que d'un seul enfant. Je ne sais pas où Ibn at-Tiqtaqâ a pu puiser ce renseignement ; le reste de son récit est conforme à Ibn al-Athir, son guide habituel.

[400] Ce descendant d'Abou Thâlib serait Yahya, fils d'Abd-Allah, fils de Hasan, fils d’Ali. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 119.

[401] Ce récit est conforme à celui d'Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 119.

[402] Le vizir qui succéda aux Barmékides.

[403] Ce récit est textuellement copié d'Ibn al- Athir, op. cit., VI, pp. 119

[404] L'édition du texte arabe porte ici une grave lacune qui détruit entièrement le sens de ce passage... Mais on peut à la rigueur conserver ces deux mots dont le sujet serait Rachid. Le sens serait : « De retour à Anbar, Rachid se mit à boire. Djafar de son côté, etc. » Le récit ci-dessus se trouve aussi dans le Kitab al-aghâni, VI, 212 et XI, 54-55, et dans Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 131, p. 42.

[405] Ce malheureux poète et chanteur était très dévoué aux Barmékides, au point qu'en voyant Mansour mettre à mort Djafar le Barmékide, il le supplia de l’unir à lui par la mort. Cf. Kitab al-aghâni. V, 212-213. Voy. aussi l'Index de cet ouvrage et de Hammer-Purgstall, Litteratur. gesch. der Araber, III, 769 ; Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 131, p. 42 ; Massoudi, Prairies d’or. VI, 395; Ibn al-Athir, op. cit., VI, 121.

[406] Sur ce chef des eunuques, voy. le Kitab al-aghâni. IX, 54-55 et Index, p. 624 : Massoudi. Prairies d’or. VI, 323, 333, 335, 408-409.