III. LA DYNASTIE ABBASIDE (partie I - partie II)
la dynastie des Omeyyades - dynastie abbaside (partie II)
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Sache, lecteur, que cette dynastie a été fourbe, astucieuse et perfide, plus féconde en ruses et en tromperies que forte et énergique, surtout dans ses dernières années. Car les derniers princes Abbassides paralysaient la vertu d'un gouvernement ferme et puissant, pour avoir recours à des supercheries, et à des tromperies. A ce sujet le poète Kechadjem[145] dit, en faisant allusion à la vie paisible des gens d'épée, et à l'inimitié des gens de plume, qui vivaient en guerre les uns avec les autres.
« Qu'elle profite aux gens d'épée cette indolence et ce repos dans lesquels ils coulent leurs jours, jouissant des douceurs et des délices, de la vie. »
« Combien d'entre eux ont quitté le monde, sans avoir jamais pris part à un combat, sans s'être précipité dans une mêlée opiniâtre. »
« Matin et soir ils se promènent, portant dans son fourreau une épée dont le tranchant non encore employé n'a reçu aucune brèche.
« Mais les gens d'épée, jamais leurs épées ne restent sans être humectées de sang. »
Un autre poète adressa ces vers à Motewekkel, lors qu'il eut fait mourir son ministre Mohammed ben Abd-elmélik Alzeyyat.
« Peu s'en est fallu que le cœur ne nous manquât par l'excès de la douleur, lorsqu'on a appris le meurtre du vizir. »
« O émir des croyants, tu as donné la mort à l'homme qui faisait mouvoir ton empire ! »
« Patience, patience, ô enfants d'Abbas, votre perfidie a ulcéré nos âmes. »
Cependant cette même dynastie a fait un grand nombre de belles actions et de traits de générosité. Pendant sa durée les sciences et les lettres ont fleuri ; les préceptes de la religion ont été respectés ; les bonnes œuvres pratiquées avec éclat, les provinces dans un état prospère, les défenses de la loi observées ; les frontières bien défendues. L'empire est resté, dans cette situation jusqu'aux derniers temps de la monarchie des Abbassides. Alors leurs affaires se sont embrouillées, et la puissance a passé en d'autres mains. Nous raconterons ceci dans son lieu, s'il plait à Dieu. Mais il est temps de passer à l'histoire particulière de chaque calife.
Le premier des Abbassides qui aient possédé le califat, est Al-Saffâh, qui se nommait Aboul-Abbas Abd-Allah Mohammed ben Ali ben Abdallah ben al-'Abbas ben Abd-almothalib. Il fut salué calife en 132. C'était un bon prince, doux, modeste, sage, doué de toutes les qualités, plein de retenue, et d'un beau moral. Après son inauguration, lorsqu'il fut pleinement investi du pouvoir, il s'attacha à la poursuite des restes des Omeyades, et des principaux personnages de cette famille, et les immola. Un jour qu'il donnait audience, et que Soleïman ben Becham-ben Abd-almélik[146] Omeyade, auquel ils témoignent une grande considération, se trouvait près de lui, le poète Sodaïf[147] entra et récita ces vers :
« Ne te laisse point abuser par la conduite et les démonstrations de certains personnages distingués : ces apparences cachent un mai dangereux. »
« Frappe de l'épée, tiens le fouet élevé, jusqu'à ce que tu ne voies plus d'Omeyade sur la terre.[148]
Soleïman se retourna vers Sodaif et lui dit : « Tu nous a tués ! ô cheikh ! » En effet Al-Saffâh entra, et Soleïman fut pris et immolé.[149]
Un autre poète entra chez le calife au moment où le repas était servi ; soixante et dix Omeyades y assistaient : il récita ces vers :
« La puissance souveraine s'est établie sur des bases solides, grâces aux princes illustres et courageux de la maison d'Abbas. »
« Ils ont cherché à venger Hachem et ont satisfait cette vengeance, après que la fortune leur a été contraire, et que l'espoir les avait abandonnés. »
« Ne faite, grâce d'aucune faute à Abd-chems ; [150] coupez les rameaux et les rejetons. »
« Par un effet de leur bassesse et de leur avilissement, ils vous témoignent une fausse amitié : Hé bien donc, soyez comme le tranchant du rasoir, auquel rien n'échappe.[151] »
« J'ai été irrité, et d'autres que moi l'ont été aussi, de les voir en possession des coussins et des trônes. »
« Faites-les descendre où Dieu a désigné leur place, dans la demeure de l'avilissement et de l'oubli. »
« Souvenez-vous du meurtre de Hossein et de Zéïd ; souvenez-vous du martyre de Mehras[152] ; de l'Abbasside tué à Harrân, [153] où il repose enseveli, loin de son sol natal, et dans l'oubli.[154] »
Un des Omeyades qui étaient présents, se retourna vers son voisin et dit : Le poète nous porte le coup mortel. Par l'ordre d'Al-Saffâh on les tua tous à coups d'épées ; on étendit des tapis sur leurs cadavres, et Al-saffah s'étant placé sur ces victimes, prit son repas et entendit les cris que poussaient les mourants, jusqu'à à ce qu'ils eussent tous expiré.
Les Abbassides s'efforcèrent d'effacer jusqu'aux plus faibles vestiges de la famille d'Ommaiah ; ce fut au point qu'ils exhumèrent les tombeaux de ces princes à Damas. Ils ouvrirent le tombeau de Moawiah Ibn Abi Soufyân et n'y trouvèrent que de légers filaments, semblables à cette poussière que font voler les rayons du soleil ; ils ouvrirent aussi le tombeau de Yézid, et y rencontrèrent quelques portions d'or réduites en poussière.
Le règne d'Al-Saffâh ne fut pas de longue durée : il mourut à Anbar en 136.[155]
Il est indispensable, avant d'entrer dans le sujet, de dire quelques mots de préambule sur cette institution. Je dis donc que le vizir est un intermédiaire entre le prince et ses sujets ; il faut, par conséquent, qu'il y ait dans sa nature une moitié capable de s'accorder avec le tempérament d'un monarque, et l'autre, avec le tempérament de la foule, pour traiter chacun de ces deux partis avec des procédés qui lui attirent le bon accueil, l'affection et la confiance ; et son capital, c'est la droiture. On dit en proverbe : « Quand le mandataire trompe, le plan périclite. » Et aussi : « Celui à qui l'on fait un rapport mensonger, ne saurait prendre de sage décision. » La capacité et la fermeté doivent être au nombre de ses principales qualités ; l'intelligence, la vigilance, la finesse, la résolution sont au nombre de ses qualités indispensables, et il ne sera pas dispensé d'être somptueusement généreux et hospitalier, pour que les sujets du prince aient pour lui de l'inclination, et pour qu'il lui sait rendu grâces par toutes les bouches ; et la bienveillance, la longanimité, l'attention réfléchie dans les affaires, la douceur, la dignité, la fermeté et l'exécution des ordres qu'il donne sont les qualités dont il a absolument besoin.
Lorsque Nasir prit comme vizir Mouayyad ad-Din Muhammad, fils de Barz, de Qoum, il le revêtit des insignes du vizirat. Puis, le Qoumite siégea solennellement en qualité de vizir, devant tout le peuple rassemblé. Et il émana de Sa Majesté le khalife une charte minuscule, grande comme le petit doigt, écrite de la main de Nasir. Elle fut alors lue à la foule, et voici ce qu'elle contenait : « Au nom d'Allah le Clément, le Miséricordieux ! Muhammad, fils de Barz, de Qoum, est notre lieutenant en ce qui concerne le pays et nos sujets. Celui qui lui obéit, nous obéit, et qui nous obéit, obéit à Allah, et qui obéit à Allah, Allah le fera entrer dans le paradis ; et celui qui lui désobéit nous désobéit, et qui nous désobéit, désobéit à Allah, et qui désobéit à Allah, Allah le fera entrer dans le feu. » Ce rescrit accrut le prestige du Qoummite aux yeux de la foule ; par lui son autorité grandit, et le respect du vizir monta dans les cœurs.
Les bases du vizirat ne furent établies, et ses règles ne furent fixées que sous la dynastie des 'Abbasides. Avant ce temps, ses bases n'étaient pas fixées, ni ses règles établies : mais seulement chaque prince avait des hommes formant son entourage et une suite ; quand une affaire se présentait, il consultait les hommes d'intelligence et de bon jugement, et chacun d'eux remplissait ainsi l'office de vizir. Mais quand les 'Abbâsides commencèrent à régner, les statuts du vizirat furent arrêtés, et le vizir prit le titre de vizir ; il s'appelait auparavant secrétaire kâtib ou conseiller (mouchîr). Les linguistes disent : ouazar signifie refuge, abri ; ouizr signifie charge ; alors vizir est tiré soit de ouizr, et dans ce cas il signifie celui qui supporte la charge, soit de ouazar, et, dans ce cas, il signifie celui à qui l'on revient et à l'opinion et à l'expérience de qui on a recours. Et de quelque façon que l'on retourne la ratine ouazara, on trouve qu'elle indique soit l'idée de refuge, soit celle de charge.[156]
Le premier vizir qui occupa les véritables fonctions de vizir auprès du premier khalife abbâside est Hafs, fils de Soulaimân Abou Salama al-Khallâl (le vinaigrier). Il était un affranchi des Benou Hârith, fils de Ka'b. On donne trois explications de son surnom d'al-Khallâl (le Vinaigrier). La première est que sa résidence à Koûfa avoisinait le quartier des marchands de vinaigre, qu'il fréquentait ; ainsi son surnom fut tiré de leur profession, comme al-Gazzâlî[157] (le Fileur) reçut son nom des fileurs (al-gazzâlîn), qu'il fréquentait beaucoup. J'ai vu, pourtant, à cette dénomination d'al-Gazzâlî, une explication différente. On dit, en effet, qu'il aimait faire l’aumône aux femmes pauvres qui se présentaient au marché au fil pour vendre leur fil, et voyant leur dénuement, leur pauvreté et la modicité de leurs gains, il prenait compassion d'elles, leur faisait de grandes aumônes, et engageait les autres à leur donner : de là son surnom. La seconde explication de ce nom d'al-Khallâl est celle-ci : il aurait eu des boutiques où l'on fabriquait le vinaigre, d'où viendrait son surnom. D'après la troisième explication ce serait un relatif tiré des khilal des épées — c'est-à-dire les fourreaux.
Abou Salama était un des plus riches personnages de Koûfa, et il faisait de grandes dépenses en faveur des hommes de la propagande 'abbâside ; et la cause de son alliance avec les 'Abbâsides, la voici : il était gendre de Boukair, fils de Mahân, [158] lequel était secrétaire particulier de l'imâm Ibrahim. Lorsque Boukair fut sur le point de mourir, il dit à l'imâm Ibrahim : « J'ai un gendre à Koûfa, nommé Abou Salama al-Khallâl ; je l'ai établi à ma place pour diriger l'action de votre parti. » Puis il mourut. Alors, Ibrahim l'imâm écrivit à Abou Salama pour lui annoncer ces nouvelles, et en lui donnant des instructions pour les affaires du parti. Et Abou Salama devint le chef de la propagande 'abbâside, qu'il dirigea avec autorité. Mais, ayant sondé le fond des Abbâsides, il résolut de se séparer d'eux et de passer au camp des 'Alides. Il écrivit donc aux trois plus grands représentants de cette famille : Djafar, fils de Muhammad as-Sâdiq, 'Abd-Allah, surnommé le Pur, fils de Hasan, fils de Hasan, fils d’'Ali, fils d'Abou Thâlib, et 'Omar al-Achraf, fils de Zain al-Abidin, et il confia les lettres à l'un des affranchis de cette famille, en lui disant :
« Va trouver d'abord Djafar, fils de Muhammad as-Sâdiq ; s'il accepte, détruis les deux autres lettres ; sinon, va trouver ' Abd-Allah le Par] s'il répond favorablement, détruis la lettre destinée à 'Omar ; sinon, va trouver 'Omar. »
L'envoyé alla donc trouver d'abord Djafar, fils de Muhammad, et lui remit la lettre d'Abou Salama. Il répondit : « Qu'ai-je à faire avec Abou Salama, qui est partisan d'une autre famille que la mienne ? » L'envoyé lui dit : « Lis la lettre. » Mais as-Sâdiq dit à un esclave : « Approche la lampe. » Quand elle fut approchée, il prit la lettre et la consuma à la flamme. L'envoyé lui dit : « Tu ne réponds pas ? — Tu as vu ma réponse «, dit as-Sâdiq.
Alors l'envoyé s'en vint trouver 'Abd-Allah le Pur et lui présenta sa lettre. Il la lut, lui fit bon accueil, et partit aussitôt trouver as-Sâdiq et lui dit : « Voici une lettre d'Abou Salama. Il m'écrit pour m'offrir le khalifat ; et cette lettre m'est apportée par la main d'un de nos partisans du Khorasan. » Mais as-Sâdiq lui dit : « Depuis quand les gens du Khorasan sont-ils tes partisans ? Leur as-tu envoyé Abou Mouslim ? En connais-tu un seul de nom ou de vue ? Et comment seraient-ils tes partisans, quand tu ne les connais pas et qu'ils ne te connaissent pas ? — On dirait, riposta 'Abd-Allah, qu'il y a derrière tes paroles une chose que tu ne dis pas. »
As-Sâdiq répondit :
« Dieu sait que je me suis imposé de toujours donner le bon conseil à tout Musulman ; comment t'en priverais-je ? Aussi, ne te laisse pas attirer par des chimères ; car cette souveraineté écherra certainement à ces gens-là ; [159] et j'avais reçu avant toi une lettre pareille à la tienne. »
'Abd-Allah sortit de chez lui, mécontent.
Quant à 'Omar, fils de Zain al-'Abidîn, il repoussa la lettre en disant : « Je ne connais pas son auteur pour avoir à lui répondre. »
Abou Salama échoua dans son projet ; le parti 'abbâside fit son œuvre, et Saffâh fut nommé khalife. Cette histoire lui fut rapportée par une bouche malveillante ; le khalife «n conçut une vive rancune contre Abou Salama, et il le fit mettre à mort.
Abou Salama était un homme bienveillant, généreux, très hospitalier, très libéral, très amateur d'élégance en armes et en chevaux, beau parleur, connaissant bien les anecdotes, les poésies, la biographie, la controverse et l'explication du Coran ; toujours prêt à la réplique, grand seigneur, et d'un noble caractère qui frappait ceux qui l'approchaient. Lorsque Saffâh fut reconnu khalife, il le prit comme vizir, lui confia les affaires et lui remit la direction des administrations ; il fut surnommé le Vizir de la famille de Muhammad ; mais Saffâh méditait déjà sa perte.
Saffâh eut peur, en tuant lui-même son vizir Abou Salama, d'éveiller les soupçons d'Abou Mouslim et de le voir se hérisser de colère comme une panthère ; aussi il usa de finesse et écrivit à Abou Mouslim une lettre[160] pour lui apprendre le projet qu'avait formé contre lui son vizir, de transporter le pouvoir en dehors de leur famille ; 210 il ajoutait : « Je lui pardonne son crime par considération pour toi. » Mais ce qui se dégageait de cette lettre, c'est que la nécessité s'imposait de trouver juste l'exécution du vizir. Il envoya la lettre par son frère Mansour ; et dès qu'Abou Mouslim eut achevé de la lire, il comprit le désir de Saffâh ; il envoya alors une troupe d'hommes du Khorasan, qui tuèrent Abou Salama.
Alors le poète dit :
Le vizir, le ministre de la famille de Muhammad a péri. Que quiconque te déteste soit vizir[161] ?
Le salut commence à luire, et souvent on devrait se réjouir de ce qui inspire de la répugnance.[162]
Fin du vizirat d’Abou Salama.
On n’est pas d'accord sur son successeur auprès de Saffâh. On dit que ce fut Abou-l-Djahm, [163] d'autres Abd er-Rahman. Pour Abou-l-Djahm, il fut vizir de Saffâh un ce tain temps ; et lorsque le khalifat échut à Mansour, le nouveau khalife, qui avait beaucoup de choses contre lui, lui servit de la pâte d'amandes empoisonnée. Quand il s'aperçut qu'il avait pris du poison, il se leva pour s'en aller. « Où vas-tu ? lui dit Mansour. — Où tu m'as envoyé. Émir des Croyants, » dit al-Djahm.
Souli[164] prétend que Saffâh eut comme vizir, après Abou Salama, Khalid, fils de Barmak.
Ce Khalid est l’aïeul des Barmékides ; et en ce temps-là il faut trouver l'origine de la lignée barmékide, qui prit l'expansion que l'on sait jusqu'à sa fin, sous le règne de Rachid. Khalid était un des hommes les plus marquants de la dynastie abbâside. C'était un homme éminent, considérable, généreux, ferme, vigilant. Saffâh le prit comme vizir, et il ne lui pesa pas. Il portait le titre de vizir.
On dit aussi pourtant que tous ceux qui furent chargés du vizirat après Abou Salama évitèrent le titre de vizir, car c'était un mot de mauvais augure depuis l'histoire d'Abou Salama, et à cause de ce vers du poète :
Ton vizir, le vizir de la famille de Muhammad a péri. Que quiconque le déteste soit vizir !
Ainsi Khalid, [165] fils de Barmak, remplissait l'office de vizir, sans en porter le titre.
Khalid jouissait d'une grande considération auprès des khalifes. On rapporte que Saffâh lui dit un jour : « Khalid, tu n'as été satisfait que lorsque tu as fait de moi ton serviteur ? » Khalid trembla, et dit : « Prince des Croyants, comment cela, moi qui suis ton serviteur et ton esclave ! » Le khalife sourit, et dit : « Ma fille Raita[166] s'endort avec la tienne ; je surviens au milieu de la nuit, et je les trouve toutes deux, et leur couverture a glissé à côté d'elles. Alors moi je l'ai remise sur elles. » Khalid baisa sa main et dit : « C'est l'histoire d'un maître à qui son serviteur et sa servante doivent une récompense ! »
Il y avait foule d'arrivants à la porte de Khalid, fils de Barmak ; les poètes venaient chanter son éloge, chacun avec la pensée de recevoir sa récompense ; et ceux qui accouraient ainsi auprès des puissants s'appelaient auparavant sou'ât, c'est-à-dire quémandeurs ; mais Khalid dit : «Je trouve ce mot trop bas pour de pareilles gens parmi lesquels on rencontre des nobles et des grands, et il les appela visiteurs. Et Khalid fut le premier à les appeler ainsi. Et l'un d'eux s’écria une fois : « Par Allah, nous ne savons pas lequel de tes bienfaits envers nous est le plus excellent, si c'est la récompense ou le nom que tu nous donnes. »
Mais on prétend aussi que c'est Mousâouir, [167] fils de Nou'mân, sous les Omeyyades, qui innova cette façon d'agir.
Lorsque Mansour bâtit la ville de Bagdad, et que la dépense commençait à lui paraître lourde, il reçut d'Abou Ayyoub al-Moûriyâni[168] ce conseil, de démolir le palais de Chosroès et d'employer à Bagdad ses matériaux. Le khalife demanda là-dessus l'avis de Khalid, fils de Barmak, qui lui répondit : « Ne fais pas cela, Emir des Croyants ; ce palais est l'emblème de l’Islâm ; quand les gens l'aperçoivent, ils voient qu'une pareille construction ne peut être détruite que par une cause surnaturelle, et c'est en même temps l'oratoire d''Ali, fils d'Abou Thâlib. Et la dépense de la démolition dépassera le profit qu'on en tirera. » Mais Mansour répondit : « Tu veux, Khalid, rester toujours Persan.[169] » Puis Mansour donna l'ordre de démolir ; on n'en fit tomber qu'un morceau de pan, et la dépense dépassa ce que Ton en tira. Mansour arrêta alors la démolition, et dit : « Khalid, nous nous sommes rendus à ton avis, et nous abandonnons la démolition du Palais. — Emir des Croyants, répondit le vizir, je te donne à présent le conseil, moi, de le détruire, pour que les gens n'aillent pas dire que tu as été incapable de détruire ce que d'autres avaient édifié.[170] » Mais le khalife épargna le Palais, et arrêta là la démolition.
Certain poète écrivit ces vers pour Khalid, fils de Barmak,
le jour de Nôrouz, [171] alors que l'on faisait à Khalid des cadeaux, parmi lesquels figuraient des coupes d'argent et d’or :
Je voudrais savoir si vous ne nous réservez pas quelque aubaine, ô présents du vizir, le jour de Nôrouz !
Cela ne compte guère aux yeux de Khalid, fils de Barmak, au chapitre des générosités, qu'un cadeau dont il fait cadeau !
Que n'ai-je une coupe d'argent de tous ces présents, en dehors de ce que le vizir voudra bien me donner lui-même !
Je la convoite pour le miel à y mélanger avec de l'eau (hydromel) et pas pour le pissat d'une vieille femme !
Alors le vizir lui accorda tout ce qui était exposé devant lui, de vases d'argent et d'or, et tout cela atteignit une somme considérable.
Lorsque Mansour prit possession du khalifat, il le maintint au vizirat ; il le comblait d'honneurs et recourait à ses avis.
Fin de l'administration des vizirs de Saffâh, et en même temps fin de son règne.
Son frère Abou Djafar Mansour lui succéda. On lui prêta le serment de fidélité l'an 136 (= 754 de J.-C). Disons quelque chose de sa vie, et des événements et des batailles qui arrivèrent sous son règne.
Mansour fut, parmi les monarques, un des plus grands, des plus fermes, des plus intelligents, des plus éclairés, des plus avisés et des mieux inspirés. Il était grave, plein de dignité, d'un bon caractère dans l'intimité, un homme qui sait supporter très loin la plaisanterie et le badinage.[172] Mais dès qu'il avait revêtu ses vêtements royaux, pour se rendre à l'assemblée publique, il changeait de visage, prenait un air redoutable[173] et c'était un homme tout différent. Il dit, un jour, à ses fils : « Mes chers fils, quand vous me verrez revêtir les vêtements royaux pour me rendre à la cour, que personne ne m’approche, on s'exposerait à recevoir de ma part quelque confusion. On raconte que Mansour portait des vêtements grossiers, et il arrivait, dit-on, que sa tunique était quelquefois rapiécée. Ce fut rapporté à Djafar, fils de Muhammad as-Sâdiq (que le salut soit sur lui !), et il s'écria : « Louange à Allah, qui l'a fait pauvre au milieu de son empire ! » On raconte aussi qu'on ne voyait pas dans le palais de Mansour de divertissement, ni de jeux, ni quoi que ce fût qui y ressemblât.
Un de ses affranchis a raconté cette anecdote : « J'étais une fois debout à côté de lui, quand il entendit faire beaucoup de bruit. Il me dit : « Va voir quel est ce bruit. » J'allai voir, et c'était un de ses esclaves qui jouait de la guitare au milieu d'une troupe de servantes qui riaient en le voyant. J'allai, continue l'affranchi, raconter au khalife ce que j'avais vu. Il entra alors en fureur et me dit : « Et qu'est-ce que c'est qu'une guitare ? » Je lui décrivis alors la chose : « Et toi, me dit-il, qui t'a appris ce que c'est qu'une guitare ? » Je lui répondis : Emir des Croyants, j'ai vu cela en Khorasan. » Alors Mansour se leva, se dirigea vers l’esclave ; à la vue du khalife, les servantes se dispersèrent. Il ordonna de frapper la tête de l'esclave avec la guitare jusqu'à ce que la guitare fût brisée ; puis il le fit sortir du palais et le vendit.[174] »
Mansour avait le plus vif amour pour son fils Mahdî. Chaque fois qu'il imposait à quelqu'un une amende, ou qu'il confisquait les biens de quelqu'un, il plaçait la somme dans le trésor royal, à part, en inscrivant dessus le nom de son ancien possesseur. Et quand il vit venir la mort, il dit à son fils Mahdî : « Mon fils, j'ai mis de côté séparément chaque somme que j'ai prise de mes sujets en amende, ou en confiscation, et j'ai inscrit sur chacune le nom de son maître. Et quand ce sera ton tour d'être au pouvoir, rends-la à son possesseur, pour que tes sujets te bénissent et t'aiment. »
Yazid, [175] fils d’Omar, fils d'Houbaira dit : « Je n'ai pas vu d'homme, dans la guerre comme dans la paix, plus habile, plus rusé, ni plus en éveil que Mansour. Ainsi, il me donna le siège neuf mois durant, alors que j'avais avec moi les meilleurs cavaliers des Arabes ; et nous fîmes tous les efforts possibles pour remporter quelque avantage sur ses soldats ; mais nous n'y parvînmes pas, à cause de l'étroite cohésion qu'il avait donnée à son armée, et de sa surveillance toujours éveillée. Il me donna le siège, alors que je n'avais pas sur la tête un cheveu blanc, et quand l'affaire se termina, je n'avais plus sur la tête un cheveu noir.[176] »
Sache que Mansour est celui qui affermit les bases de la dynastie, qui organisa l'empire, mit en ordre les principes, releva le prestige royal et inaugura bien des choses.
Parmi le nombre des choses qu'on lui doit, est le cheval de réserve ; les princes avant lui ne le connaissaient pas. La raison de cette nouveauté sera racontée plus loin. On lui doit encore l'invention du ventilateur en canevas pour l'été ; on ne connaissait pas cela avant lui ; les Chosroès faisaient élever, chaque jour de l’été, une demeure en argile qu'ils habitaient une journée, et en faisaient édifier une autre pour le lendemain.
Mansour était avaricieux, et son avarice était proverbiale. D'autres disent qu'il était généreux, et que, quand il fit le pèlerinage, il prodigua ses libéralités au peuple du Hedjaz, tellement qu'on y appela cette année l’année d'abondance ». La vérité est qu'il était un homme ferme, qui donnait quand il y avait lieu de donner, et refusait quand il fallait refuser ; mais que le fait de refuser lui était plus coutumier.
Sous le règne de ce prince, il se produisit quelque chose de tout à fait curieux. Il s'agit d'une secte parmi les habitants du Khorasan, qu'on appelait les Râwandites[177] qui croyait à la métempsycose. Ces gens prétendaient que l'âme d'Adam était passée dans un tel, [178] un de leurs chefs, que leur dieu, celui qui leur octroyait le manger et le boire, c'était [le khalife] Mansour. Ils soutenaient aussi que [l'archange] Gabriel c'était un tel, [179] c'est-à-dire un autre de leurs chefs. Quand cette secte apparut, ces adeptes vinrent jusqu'au palais de Mansour, autour duquel ils firent des tournées processionnelles, en disant :
« Voici le palais de notre dieu. » Mansour fit arrêter leurs chefs et en mit deux cents en prison. Mais ceux qui étaient restés libres entrèrent en colère et, s'étant groupés, ils ouvrirent [les portes] des prisons et élargirent leurs compagnons. Ils se dirigèrent ensuite vers Mansour et lui livrèrent un combat. Le khalife sortit contre eux à pied, car, en ce moment-là, il n'avait pas de monture [attachée] à sa porte.
Depuis ce jour, on prit l'habitude d'attacher une monture à la porte du palais, où elle restait constamment prête.[180] Cela devint une règle traditionnelle pour les khalifes et les rois qui vinrent après lui. Donc. Mansour étant sorti, on lui amena une monture qu'il enfourcha, poursuivant toujours les rebelles jusqu'à ce qu'ils l'entourèrent en très grand nombre et faillirent le tuer. C'est alors que Ma'n, [181] fils de Zâ'ida, qui vivait caché[182] de peur de Mansour, vint avec un voile sur le visage et, se plaçant devant le khalife qui ne le reconnaissait pas, combattit devant lui avec acharnement et fit preuve d'un grand courage.[183]
Mansour était monté sur une mule, dont le licou était tenu par son chambellan Rabi', mais ^la'n accourut et, s'adressant à ce dernier, lui dit : « Ote-toi de là, car, en ce moment, je mérite plus que toi de tenir ce licou. — Il a dit vrai, répondit Mansour, remets-lui le licou. » Ma'n ne cessa pas de combattre jusqu'à ce que la situation se fut éclaircie et que les Râwandites fussent vaincus. « Qui es-tu ? lui demanda alors Mansour. — Emir des Croyants, répondit-il, je suis celui que tu recherches, [184] Ma'n, fils de Zâ'ida. — Allah, reprit le khalife, t'a maintenant accordé la sécurité pour ta personne, ta famille et tes biens. Un homme tel que toi vaut qu'on se l'attache par des bienfaits. » Il le combla de faveurs et l'investit du gouvernement du Yémen.[185]
C'est ce khalife qui bâtit la ville de Bagdad.
Au commencement de la dynastie des 'Abbâsides, Mansour avait bâti, dans la région de Koûfa, une ville qu'il avait nommée Hâchimiyya.[187] C'est là qu'eut lieu l'insurrection des Râwandites. Aussi, Mansour ne voulut-il plus y habiter, pour cette raison et aussi à cause du voisinage des habitants de Koûfa, qui lui inspiraient peu de confiance à son endroit, ayant déjà corrompu son armée. Il sortit donc lui-même pour se choisir un endroit où il habiterait et où il bâtirait une Aille pour lui-même, sa famille, ses parents et son armée. Il descendit jusqu'à Djardjarâya, [188] puis remonta vers Mausil (Mossoul). Il envoya ensuite une commission composée de savants intelligents et avertis, et leur ordonna de lui trouver un emplacement [pour y bâtir une ville]. Ces savants lui choisirent l'emplacement où il fonda sa ville, qui s'appelle Madînat al-Mansour (la Ville de Mansour), et qui est située sur la rive occidentale [du Tigre], près de la chapelle sépulcrale de Moussa et d’al-Djawâd[189] (sur eux soit le salut !). Alors, Mansour se transporta sur les lieux, qu'il examina de nuit et de jour. Cet emplacement l'ayant satisfait, il y bâtit la ville.
Parmi les choses curieuses qui advinrent dans cette occurrence est la suivante. Un des moines du monastère, connu actuellement sous le nom de Dair ar-Roum (monastère des Roum, demanda à un des hommes de Mansour quelle était la personne qui voulait bâtir une ville dans cet endroit. « C'est, lui répondit-il, l'Emir des Croyants Mansour, le khalife de la nation. — Quel est son nom ? demanda le moine. — 'Abd-Allah, répondit l'autre. — N'a-t-il pas d'autre nom ? demanda le moine. — Mon Dieu, non, dit l'homme, si ce n'est que son surnom patronymique[190] (kounya) est Abou Djafar et son surnom honorifique[191] (laqab) Mansour (le Victorieux).[192] — Eh bien, reprit le moine, va le trouver et dis-lui de ne pas se donner la peine de bâtir cette ville, car nous trouvons dans nos livres qu'un homme du nom de Miqlâs bâtira ici une ville qui jouera un grand rôle, mais que tout autre que lui n'y parviendra pas. »
L'homme alla trouver Mansour et le mit au courant de ce que venait de dire le moine. Le khalife descendit alors de sa monture et se prosterna longuement. Puis il dit : « Vrai Dieu, je m'appelais bien autrefois Miqlâs.[193] Je fus connu, en effet, sous ce sobriquet qui tomba ensuite en désuétude. Il me fut donné dans les circonstances suivantes : il y avait, quand j'étais enfant, un voleur nommé Miqlâs, d'une renommée proverbiale. D'autre part, nous avions une vieille qui était ma gouvernante. Or, il arriva que mes camarades de l'école vinrent un jour me trouver et me dire : « Aujourd'hui, nous sommes tes hôtes. » Or je n'avais rien que je pusse dépenser pour eux, et comme la vieille avait du coton filé, je le pris, le vendis moyennant l'argent que je dépensai pour mes camarades. Lorsque la vieille sut que je lui avais volé son coton filé, elle m'appela Miqlâs. Ce sobriquet devint le nom sous lequel je fus surtout connu, puis disparut. Maintenant, je sais que c'est moi qui construirai cette ville. »
Un sage parmi les chrétiens attira l'attention du khalife sur l'excellence de l'emplacement de Bagdad en lui disant : « Emir des Croyants, tu te trouveras au nord du Sarât[194] entre le Tigre et l'Euphrate. Si un ennemi vient te faire la guerre, ces deux fleuves serviront de fossés à la ville. En outre, les provisions te viendront par le Tigre, soit du Diyâr-Bakr, soit de la mer, de l'Inde, de la Chine et de Basra (Bassora) et par l'Euphrate, de Raqqa[195] et de la Syrie. Elles t'arriveront aussi du Khorasan et des contrées de la Perse, par la rivière de Tâmarrâ.[196] Toi-même, Emir des Croyants, tu résideras entre deux fleuves, de sorte que tes ennemis ne pourront arriver jusqu'à toi qu'en passant un pont de bois ou de pierre ; en coupant le pont de bois ou en démolissant le pont de pierre, ton ennemi ne pourra plus t'approcher. Tu te trouveras placé au milieu, entre Basra, Koûfa, Wâsit, Mausil[197] (Mossoul) et le Sawâd[198] également proche du continent, de la mer et des montagnes. »
Alors Mansour redoubla d'efforts et de désir de construire cette ville. Il écrivit aux provinces limitrophes pour qu'on envoyât les artisans et les manœuvres. Il donna ensuite l'ordre de choisir une commission, prise parmi les hommes connus par leur honorabilité, leur intelligence, leur science, leur honnêteté et leur compétence en architecture, pour s'occuper du tracé[199] de la ville et de la main-d'œuvre. Il fit commencer les travaux en l'année 145 (762 de J.-C.).[200] Abou Hanîfa, [201] le fondateur du rite [qui porte son nom], était chargé du soin de compter[202] les briques séchées au soleil et les briques cuites au four. C'est lui qui, le premier, imagina, pour accélérer l'opération, de compter les briques au moyen de la toise[203] [al-qasab].
Mansour donna au mur d'enceinte cinquante coudées à sa base et vingt coudées au couronnement.[204] Il posa lui-même de ses mains la première brique, en disant : « Au nom d'Allah ! Louange à Allah ! La terre est à Allah, il la lègue à qui il veut parmi ses serviteurs : la vie future est à ceux qui [le] craignent.[205] »
Puis il dit : « [Maintenant], construisez. » Il en commença les travaux en l'année 145 (762) et les acheva en l'année 146 (763).[206] Il bâtit son palais au milieu de la ville, pour être à égale distance de tout le monde. La dépense pour la construction de la ville s'éleva à quatre millions et huit cent trente-trois (4.000.833) [207] dirhems.
Lorsque les travaux furent achevés, Mansour régla les comptes avec les directeurs des travaux, pour les sommes qui leur avaient été déléguées en vue de la construction de la ville. Il les obligea au remboursement des soldes, au point qu'il fit payer à l'un[208] d'eux le solde accusé par les comptes et qui se montait à quinze dirhems.
On l'appelle Baghdâd, du nom d'un lieu situé dans cette région, et qui lui fut donné ; Bagdadz[209] (avec un dzâl diacritisé) ; Baghdân[210] (avec le noûn) ; Zawrâ’, parce que l'emplacement sur lequel s'éleva la nouvelle ville portait jadis le nom de Zawrâ’, ou parce que la qibla de Bagdad n'est pas orientée exactement, de façon que celui qui fait la prière dans la grande mosquée de cette ville a besoin de se tourner un peu du côté gauche[211] ; Madînat al-Mansour (la Ville de Mansour) et enfin. Dur as-Salam (la Maison du Salut[212]). C'est, dit-on, une ville bénie, favorisée par le sort ; il n'y est mort aucun khalife.[213] La ville qui porte le nom de Madînat al-Mansour est l'ancienne Bagdad ; quant à la ville de Bagdad actuelle, qui est sur la rive orientale, elle a été bâtie plus tard.
C'est Mansour qui persécuta, comme on le sait, les descendants de Hasan.[214] Il fit arrêter leurs chefs, 'Abd-Allah[215] [surnommé] al-Mahd (le Pur), fils de Hasan, fils de Hasan, fils d’Ali, fils d'Abou Thâlib (sur eux soit le salut !), qui était le chef des Thâlibites à son époque, en même temps que ses enfants, ses frères et ses neveux, les sayyids (seigneurs) des descendants de Hasan (sur eux soit le salut !), et les emprisonna chez lui. Ils moururent dans sa prison.
On raconte[216] que le chambellan du khalife sortit à la porte [du prétoire] et dit : « Que ceux des descendants de Housain qui sont ici présents veuillent entrer. » Les chefs des descendants de Housain (sur eux soit le salut !) entrèrent. De nouveau, le chambellan sortit et dit : « Que ceux des descendants de Hasan qui sont ici présents veuillent entrer. » Et les chefs des descendants de Hasan (sur eux soit le salut !) entrèrent. On les conduisit dans une salle latérale, tandis qu'on faisait entrer des forgerons par une porte. Le khalife les fit charger de fers et transporter dans la province de l'Iraq, où il les fit incarcérer, jusqu'à ce qu'ils mourussent dans sa prison à Koûfa, Qu'Allah ne le rétribue pas en bien pour sa conduite [à leur égard] !
Parmi les traits curieux qu'on raconte à ce sujet est l'anecdote suivante : un homme des descendants de Hasan (sur lui soit le salut !) vint se présenter devant Mansour : « Qu'est-ce qui t'amène ? lui demanda le khalife. — Je viens afin que tu me mettes en prison avec ma famille, car je n'ai que faire de ce bas-monde après eux.) ) Mansour le fit jeter en prison avec eux. Cet homme n'était autre qu’'Ali, [217] fils de Hasan, fils de Hasan, fils de Hasan, fils d’Ali, fils d'Abou Thâlib (sur eux soit le salut !). Parmi les 'Alides [qui furent jetés en prison], il y avait Muhammad, fils d'Ibrahim, fils de Hasan, fils de Hasan, fils d’Ali, fils d'Abou Thâlib (sur eux soit le salut !). C'était un des plus beaux hommes par son physique ; on l'appelait ad-Dibâdj Al-Asfar[218] (le Brocart Jaune) à cause de sa beauté et de sa grâce.
Mansour le fit comparaître et lui dit : « C'est toi ad-Dîbâdj Al-Asfar ? — On le dit, répondit l'alide. — Eh bien ! reprit le khalife, je te ferai mourir d'un genre de mort que je n'infligerai à personne. » Ensuite, Mansour donna des ordres, et l'on emmura Muhammad dans un pilier qu'on construisit autour de lui encore vivant ; c'est là qu'il mourut.[219]
Les enfants de Hachim — aussi bien ceux qui descendaient par la branche d'Abou TàHb, que ceux qui descendaient d'Abbâs — se réunirent dans les derniers temps de la dynastie des Omeyyades et s'entretinrent de leur situation, de la persécution dont ils étaient l'objet et de la position chancelante où en était arrivée l'autorité des Omeyyades. Ils discutèrent aussi sur l'inclination que le peuple avait pour eux et l'affection qu'il leur portait, et envisagèrent la manière de faire la propagande pour eux-mêmes. Ils convinrent de faire une propagande secrète dans le peuple. « Mais il nous faut, dirent-ils ensuite, un chef auquel nous prêterons un serment de fidélité. » Ils tombèrent d'accord pour reconnaître comme chef an-Nafs az-Zakiyya[220] (l'Ame Pure), dont le nom est Muhammad, fils d'Abd-Allah, [221] fils de Hasan, fils de Hasan, fils d'Ali, fils d'Abou Thâlib (sur eux soit le salut !). Or, Muhammad était compté parmi les chefs des descendants de Hâchim, parmi les hommes les plus considérables[222] de cette famille, par le mérite, la noblesse et la science. A ce conseil avaient assisté les notables des descendants de Hâchim, tant Alides qu’Abbasides. Parmi les descendants d'Abou Thâlib, y prirent part : As-Sâdiq, [223] dont le nom est Djafar, fils de Muhammad (sur eux soit le salut !) ; 'Abd-Allah, fils de Hasan, fils de Hasan, fils d’Ali, fils d'Abou Thâlib ; les deux fils de ce personnage : Muhammad, dit an-Nafs az-Zakiyya (l'Ame Pure) et Ibrahim, [224] le martyr de Bâkhamrâ[225] ; enfin, beaucoup d'autres personnages parmi les Thâlibites. Du côté des notables abbâsides, il y avait Saffâh, Mansour et d'autres membres de la famille d'Abbas. Tout le monde fut d'accord pour reconnaître comme chef an-Nafs az-Zakiyya, sauf cependant l’imâm Djafar, fils de Muhammad, dit as-Sâdiq. Il dit, en effet, au père du candidat, à Abd-Allah, dit al-Mahd : « Ton fils ne l'atteindra jamais (il voulait dire le khalifat) ; seul, l'homme à la robe jaune y parviendra. » Il désignait ainsi Mansour, qui portait en ce moment-là une robe jaune. « Dès ce moment, raconte Mansour, je désignai en moi-même mes [futurs] gouverneurs de provinces. »
Puis, les membres de rassemblée furent d'accord pour prêter le serment de fidélité à an-Nafs az-Zakiyya, ce qu'ils firent. Ensuite les vicissitudes du sort firent passer le pouvoir suprême aux 'Abbâsides, ainsi qui ! a été expliqué plus haut. La royauté passa ensuite de Saffâh à Mansour, qui dès lors n'eut pas d'autre préoccupation que de rechercher an-Nafs az-Zakiyya pour le mettre à mort, ou le déposer. Ce qui l'y poussait, c'est que le peuple avait une forte inclination pour an-Nafs az-Zakiyya, en qui il voyait du mérite, de la noblesse et les qualités propres à un chef. Mansour réclama donc an-Nafs az-Zakiyya à son père 'Abd-Allah, dit al-Mahd, qui était un des notables et un des chefs des descendants de Hâchim. Il voulut l'obliger à lui amener ses deux fils, Muhammad, dit an-Nafs az-Zakiyya, et Ibrahim. « Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus », répondit 'Abd-Allah. Les deux enfants s'étaient, en effet, dissimulés, par crainte de Mansour. Comme celui-ci insistait toujours auprès de leur père 'Abd-Allah, celui-ci s'écria : « Jusques à quand insisteras-tu ? Par Allah ! si j'avais mes deux fils sous les talons, je ne lèverais pas ceux-ci pour les livrer Vrai Dieu ! Je t'amènerais donc moi-même mes deux fils pour que tu les tues ! » C'est alors que Mansour fit arrêter 'Abd-Allah et les membres de sa famille, parmi les descendants de Hasan, et qu'ils furent traités comme il a été expliqué ci-dessus. Qu’Allah soit satisfait d'eux et leur accorde le salut !
Le nom d’an-Nafs az-Zakiyya était Muhammad, fils d’Abd-Allah fils al-Mahd, fils de Hasan, fils de Hasan, fils d'Ali, fils d'Abou Thâlib (sur eux soit le salut !). Il comptait parmi les chefs et les notables des Hachémites, par le mérite, la noblesse, la piété, la science, la bravoure, l'éloquence et les qualités qui font le véritable chef, ainsi que par la générosité et la capacité. Au début de ces événements, le bruit s'était répandu dans le peuple qu'an-Nafs az-Zakiyya était le Mahdî, [226] dont la venue était annoncée par le Prophète. Son père avait travaillé à raffermir cette idée dans l'esprit de certaines fractions du peuple. On racontait, en effet, ce hadîth, d'après lequel le Prophète aurait dit : « S'il ne restait au monde qu'un seul jour à vivre, Allah le prolongerait jusqu'à ce qu'il envoie ce jour même notre Mahdî ou notre Qa'im, dont le nom sera comme le mien, et le nom de son père comme celui de mon père. »
Toutefois la secte des Imâmites rapporte ce hadîth sans les mots : et le nom de son père comme celui de mon père.
'Abd-Allah, surnommé al-Mahd, disait aux gens, en parlant de son fils Muhammad : « C'est lui le Mahdî, dont la venue a été annoncée. C’est bien le Muhammad, fils d'Abd-Allah. « Puis Allah jeta l'affection pour Muhammad sur le peuple, qui inclina tout entier vers lui. A cela vint s'ajouter le fait que les nobles des Hachémites lui avaient prêté le serment d'investiture et lavaient choisi comme candidat pour la conquête du pouvoir ; ils lavaient ainsi mis à leur tête.[227] Son amour d'arriver au pouvoir grandit de la sorte, de même que l'amour du peuple pour lui grandit aussi. Depuis que le pouvoir échut aux Abbâsides, an-Nafs az-Zakiyya vécut constamment dans l'exil, par crainte des 'Abbâsides. Mais, en apprenant ce qui était arrivé à son père et aux siens, il leva l'étendard de la révolte à Médine et se manifesta au grand jour. Les notables de Médine se rangèrent sous sa bannière, et il ne resta qu'un petit nombre de gens qui ne se soient pas joints à lui. S'étant emparé de Médine, il en destitua l’émir qui y gouvernait au nom de Mansour, et y nomma un gouverneur et un qâdî. Il brisa les portes des prisons et fit sortir ceux qui s'y trouvaient. Il se rendit ainsi maître de Médine.
Mais, dès que Muhammad, fils d'Abd-Allah, se révolta à Médine, un homme de cette ville, nommé Aws l'Amirite, [228] se mit en route vers Mansour, chez qui il arriva de nuit, après neuf jours [de marche]. Il s'arrêta aux portes de la ville et se mit à crier jusqu'à ce que l'on s'aperçût de sa présence et qu'on le fit entrer. Rabi' le chambellan [du khalife], lui dit : « Que veux-tu à cette heure-ci, alors que l'Emir des Croyants dort ? — Il faut absolument que je le voie, répondit Aws. » Rabi' entra et en informa Mansour. Ayant été introduit par le chambellan, Aws dit : « Émir des Croyants, Muhammad, fils d’Abd-Allah, s'est révolté à Médine, et il a fait ceci et cela. — L'as-tu vu toi-même ? — Parfaitement. Et je l'ai vu de mes propres yeux sur la chaire [minbar) de l'Apôtre d'Allah et je lui ai parlé. » Mansour enferma l'homme dans une chambre. Puis les nouvelles de l'événement lui étant parvenues coup sur coup, il fit sortir Aws et lui dit : « Je veux te récompenser[229] et t'enrichir. En combien de nuits [de marche] es-tu arrivé de Médine ? — En neuf nuits, répondit-il. » Alors le khalife lui fit donner 9.000 dirhems.
Puis, Mansour fut très agité, ne sachant que faire. Mais le temps s'écoula, jusqu'au moment où les deux adversaires s'adressèrent des écrits[230] et des messagers. Chacun d'eux écrivit à l'autre une lettre dans une forme rare, qui est comptée parmi les plus belles du genre et dans laquelle il argumentait et employait tous les modes d'argumentation. En fin de compte, le khalife désigna son neveu (le fils de son frère) Isa, fils de Moussa, [231] pour combattre an-Nafs az-Zakiyya. Isa se mit en marche contre ce dernier, à la tête d'une nombreuse armée. Les deux partis en vinrent aux mains dans un lieu situé à proximité de Médine. La victoire resta aux troupes de Mansour ; Muhammad, fils d’Abd-Allah, fut tué et sa tête portée au khalife. Ceci se passait en l'année 145 (762 de J.-C).
Puis, le frère du précédent, Ibrahim, fils d’Abd-Allah, dit le martyr de Bâkhamrâ se révolta à Basra.
Pendant le temps qu'il vécut caché, Ibrahim fréquentait en cachette les soldats de Mansour, et il lui arrivait même parfois de s'asseoir avec eux à table.[233] Pendant ce temps, Mansour le recherchait activement. Ibrahim quitta donc Madinat al-Mansour et se rendit à Basra, où il se révolta ouvertement et appela le peuple à lui. Un parti le suivit, et bientôt ses partisans devinrent nombreux. Alors, le khalife Mansour envoya contre lui Isa, fils de Moussa, après son retour de l'expédition où il tua an-Nafs az-Zakiyya. Isa se dirigea donc contre Ibrahim, à la tête de 15.000 combattants. Les deux partis en vinrent aux mains dans un village nommé Bâkhamrâ, situé à proximité de Koûfa.[234] La victoire resta à l’armée de Mansour ; Ibrahim fut tué pendant la mêlée. Ceci se passait en l'année 145 (762). Qu'Allah le Très-Haut l'ait en pitié[235] !
Le règne de Mansour fut une époque de troubles et de révoltes. Parmi ceux qui se révoltèrent contre lui, il y eut son oncle paternel Abd-Allah, fils d’'Ali, que [le précédent khalife] Saffâh avait envoyé combattre Marvân II, surnommé l’Ane, ainsi que cela a été expliqué précédemment. Puis, Saffâh étant mort, Mansour fut investi du khalifat et 'Abd-Allah, fils d’'Ali, était encore en Syrie.[236] Ce dernier convoita le khalifat et harangua le peuple, en disant : « Saffâh a invité les descendants d'Abbas à combattre Marvân et personne ne s'est offert que moi. Il m'a dit : « Si tu triomphes de lui et que tu remportes la victoire, tu seras l'héritier présomptif du trône après moi. » Un certain nombre de personnes[237] attesta la véracité de ce propos en faveur d'Abd-Allah. Alors, le peuple lui prêta le serment de fidélité. Quand la nouvelle en parvint à Mansour, il en fut très agité. Alors Abou Mouslim al-Khorasanî lui dit : « Si tu veux, je vais ramasser mes vêtements dans ma ceinture et te servir. Ou bien, si tu veux, j’irai au Khorasan et je t'enverrai des troupes de renfort. Enfin, si tu le préfères, j’irai combattre Abd-Allah, fils d’'Ali. » Le khalife lui ordonna d'aller combattre 'Abd-Allah. Abou Mouslim se mit en marche à la tête d'une nombreuse armée.[238] Le temps s'écoula pendant plusieurs mois, à la fin desquels la victoire resta à l'armée d'Abou Mouslim. 'Abd-Allah, fils d’'Ali, s'enfuit vers Basra et descendit chez son frère Soulaimân, fils d’'Ali, fils d’Abd-Allah, fils d'Abbâs. Soulaimân intercéda en sa faveur auprès de Mansour et demanda pour lui l’aman la vie sauve. Le khalife le lui accorda et lui écrivit une lettre éloquente, où il prenait envers lui toute sorte d'engagements. Mais, lorsqu'Abd-Allah vint le trouver, il le jeta en prison, où il mourut. On raconte qu'il fit bâtir pour lui une chambre, dans les fondations de laquelle il fit placer du sel. Ensuite, ayant fait couler l'eau dans cette chambre, [239] celle-ci s'effondra sur 'Abd-Allah qui fut tué.
C'est Mansour qui tua Abou Mouslim al-Khorasani.
De longue date, Mansour nourrissait dans son cœur des sentiments de haine contre Abou Mouslim. Tous les deux se détestaient. Mansour avait même conseillé à son père Saffâh de le tuer. Celui-ci s'y refusa en disant : Comment cela se pourrait-il quand on considère le dévouement dont il a fait preuve pour notre dynastie. » Lorsque Mansour fut investi du khalifat, il envoya Abou Mouslim en Syrie, pour combattre l'oncle du khalife, 'Abd-Allah, fils d’'Ali, fils d'Abbâs, comme il a été expliqué précédemment. Abou Mouslim ayant triomphé, et pris comme butin tout ce qui accompagnait l'armée d’Abd-Allah, fils d’'Ali, qui fut mis en déroute, [le khalife] Mansour envoya un de ses serviteurs pour mettre la main sur le reste des biens de l'armée. Abou Mouslim en fut fâché et dit : « On aurait donc confiance en moi pour me confier la vie des autres et on me considérerait comme suspect pour l'argent ! » Et il insulta Mansour. Un agent d'information du khalife lui écrivit pour le mettre au courant des propos d'Abou Mouslim. Celui-ci résolut de lever l'étendard de la révolte et de se rendre dans le Khorasan, sans se présenter devant Mansour. Le khalife eut alors peur de voir Abou Mouslim se rendre, dans ces conditions, au Khorasan, ce qui aliénerait cette contrée au khalife.
Abou Mouslim était un homme qui inspirait la crainte. Il était, en outre, très rusé, brave, audacieux dans les entreprises, éveillé et cultivé. Il avait appris par transmission orale les traditions [hadith] et avait des notions de tout. Mansour lui écrivit[240] donc pour le rassurer et le tranquilliser. En même temps, il lui faisait de belles promesses et l'invitait à se présenter devant lui. Abou Mouslim répondit : « Je suis toujours dans l'obéissance et je me rends dans le Khorasan. Si tu te corriges, je me montrerai déférent et obéissant. Mais si tu veux seulement satisfaire tes désirs, je tâcherai de trouver, dans ce cas, la situation où sera mon salut. » Les craintes du khalife augmentèrent et il fut irrité par ces paroles d'Abou Mouslim. Il lui écrivit alors une lettre à peu près dans ces termes[241] : « Tu n'es pas, à nos yeux, l'homme que tu as dépeint. D'ailleurs, le courage que tu as déployé au service de notre dynastie te dispense de tenir un pareil langage. » En même temps, le khalife l'invitait à comparaître devant lui. Il dit, en outre, aux notables des Hachémites d'écrire aussi, de leur côté, à Abou Mouslim. Ils lui écrivirent donc, lui exposant le tort qu'il aurait à désobéir au khalife et à se brouiller avec lui, et lui montrant les avantages qu'il aurait à venir le trouver et à lui présenter ses excuses. Mansour envoya ces lettres par l'intermédiaire d'un homme intelligent de ses amis, [242] et lui dit : « Va le trouver et tiens-lui le langage le plus doux dont tu sois capable d'entretenir quelqu'un. S'il revient à résipiscence, ramène-le avec toi jusqu'à ce que tu le présentes devant moi. Mais si, voyant qu'il persiste à vouloir se séparer de moi et qu'il demeure inébranlable dans sa résolution de se rendre dans le Khorasan, tu désespères de lui faire entendre raison, et que tu ne trouves pas d'autre moyen, dis-lui :
« Un tel[243] te dit : « Puissé-je n’être plus compté parmi les descendants d’Abbas et n'avoir plus aucun lien avec Mahomet, si, persévérant dans la voie où tu t’es engagé, un autre que moi se charge de te combattre ! Et que je sois tenu de ceci et cela, si je ne m'en charge pas moi-même ! »
Le messager alla trouver Abou Mouslim[244] et lui remit les lettres. Celui-ci, les ayant lues, se retourna vers un ami à lui, appelé Malik[245] fils d'al-Haitham, et lui dit : « Qu'en penses-tu ? — Mon avis, lui répondit celui-ci, est que tu ne reviennes pas auprès du khalife, car si tu retournais chez lui, il te tuerait ; au contraire, si tu poursuis ton chemin, jusqu'à ce que tu arrives à Rey où se trouve ton armée, tu y demeureras en attendant que tu réfléchisses à ton affaire, et tu auras le Khorasan derrière toi, dans le cas où il t'arriverait quelque accident. » Abou Mouslim adopta cette dernière résolution et dit au messager : « Va dire à ton maître que je ne juge pas à propos de me présenter devant lui et que je me rends dans le Khorasan. — Abou Mouslim, lui dit le messager, tu n'as pas cessé d'être l'homme de confiance de la famille de Muhammad ; je t'adjure par Allah de ne pas te marquer toi-même du stigmate de la désobéissance et de la révolte. Mon avis est que tu te présentes chez l'Émir des Croyants et que tu t'excuses auprès de lui ; tu ne trouveras chez lui que ce qui te fera plaisir. — Depuis quand donc, interpella Abou Mouslim, me tins-tu un pareil langage ? —Vrai Dieu ! répondit l'homme, c'est toi-même qui nous as invités à reconnaître l'autorité de cette famille (les 'Abbâsides) et à faire triompher leur cause, et tu nous as dit : « Quiconque leur désobéit, tuez-le.[246] Et maintenant que nous sommes entrés avec toi dans la voie vers laquelle tu nous a appelés, c'est toi qui t'en retires et qui nous en fais un reproche. » Abou Mouslim répondit : « C'est comme je te l'ai dit, je ne retournerai pas chez le khalife.[247] Tu n'as pas autre chose à me dire ? — Si, répondit le messager. » Et le prenant à part, il le mit au courant de ce qu'avait dit Mansour. Abou Mouslim garda le silence et, baissant la tête, réfléchit un moment ; puis il dit : « Je retournerai chez le khalife et lui présenterai mes excuses. » II confia ensuite son armée à un de ses compagnons[248] et lui dit : « Si ma lettre te parvient scellée de la moitié de mon sceau, c'est qu'elle provient réellement de moi ; mais si elle est scellée du sceau entier, sache dès maintenant que ce n'est pas moi qui l’aurai scellée. « Et il lui fît toutes les recommandations qu'il voulut. Il se dirigea ensuite vers Mansour, qu'il rencontra à Madâ'in (Ctésiphon). Dès que le khalife apprit qu'Abou Mouslim arrivait, il ordonna à toute la population de sortir à sa rencontre. En entrant chez le khalife, Abou Mouslim lui baisa la main. Mansour le fit asseoir auprès de lui et lui prodigua les marques d'honneur. Il lui ordonna ensuite de retourner à sa tente, pour se reposer et prendre un bain, et de venir le retrouver le lendemain. Abou Mouslim se retira. Et le lendemain matin, le messager de Mansour vint le convoquer. Pendant ce temps, le khalife avait aposté une troupe[249] de ses hommes les armes à la main derrière les rideaux de la tente.
Il leur recommanda de sortir de leur cachette et de tuer Abou Mouslim, dès qu'ils entendraient le khalife frapper d'une main sur l'autre. Abou Mouslim ayant été introduit auprès du khalife, celui-ci dit : « Parle-moi des deux épées que tu as trouvées dans l'armée d’Abd-Allah, fils d’'Ali. — En voici une, répondit Abou Mouslim », qui avait une épée en main. Mansour la prit et la mit sous le tapis, son tapis de prière.[250] Puis, il se mit à admonester Abou Mouslim et à le réprimander sur chacune de ses fautes. Abou Mouslim se disculpait de chacune d'elles par une excuse. Le khalife lui ayant ainsi énuméré un grand nombre de ses fautes, Abou Mouslim s'écria : « Emir des Croyants, un homme tel que moi ne mérite pas qu'on lui tienne un pareil langage et qu'on lui énumère de pareils griefs, après tout ce que j'ai fait [pour les 'Abbasides]. — Fils de femme puante ! lui répondit le khalife irrité, est-ce bien toi qui as fait tout cela ? Par Allah ! s'il y avait eu à ta place une esclave noire, elle aurait fait la même chose que toi. Et d'ailleurs, si tu es arrivé au point où tu en es, n'est-ce pas grâce à nous et à la fortune de notre dynastie ? — Qu'importe, [251] répondit Abou Mouslim, le fait est que je me trouve actuellement ne plus craindre personne, en dehors d'Allah.[252] »
Alors, le khalife ayant frappé d'une de ses mains sur l'autre, les hommes qui étaient apostés sortirent [de leur cachette] et se ruèrent, à coups de sabre, sur Abou Mouslim, qui criait : « Émir des Croyants, épargne-moi. pour [que je combatte] tes ennemis. — Et quel ennemi ai-je plus dangereux que toi ? » lui répondit le khalife. Ensuite, celui-ci donna l'ordre de rouler [le cadavre d']Abou Mouslim dans un tapis. 'Isa, fils de Moussa, qui venait d'entrer, demanda : « Emir des Croyants, où est Abou Mouslim ? — Le voilà, dans ce tapis, répondit le khalife. — Tu l’as donc tué ? — Parfaitement. — Nous appartenons à Allah et c'est à lui que nous revenons[253] ! s'écria Isâ ; [avoir une pareille fin] après le courage qu'il a déployé, tout ce qu'il a fait et la promesse de vie sauve qui lui a été faite ! » En effet, Mansour avait promis la vie sauve à Abou Mouslim, et 'Isa, fils de Moussa, s'en était porté garant. « Qu'Allah t'arrache le cœur ! dit le khalife à 'Isa ; par Allah ! tu n'as pas sur la face de la terre d'ennemi plus dangereux que lui. Aviez-vous[254] jamais eu la souveraineté du vivant d'Abou Mouslim ? «
Ensuite Mansour donna ordre de distribuer de l'argent aux troupes d'Abou Mouslim, qui se disloquèrent.[255] Mansour exerça alors son autorité dans le Khorasan, et cela en l'année 137 (754).
Peu après le meurtre d'Abou Mouslim, un homme, appelé Sounbâdz, [256] leva l'étendard de la révolte dans le Khorasan, pour venger Abou Mouslim le Khorasanien.
Ce Sounbâdz était un sectateur de la religion des mages et originaire d'un des bourgs qui dépendent de Nisâboùr. Il comptait parmi les compagnons[257] d'Abou Mouslim et était une des créatures[258] de ce dernier. Cet homme apparut donc irrité par suite du meurtre d'Abou Mouslim. Ses partisans devinrent nombreux, et la majeure partie de la population du Djibâl[259] entra sous son obéissance. Il s'empara d'un grand nombre de villes du Khorasan. Quand la nouvelle de la révolte de Sounbâdz parvint à Mansour, il envoya contre lui 10.000 cavaliers. La rencontre eut lieu entre Hamadhan et Rey. Ce Sounbâdz avait causé de graves dégâts dans le pays dont il s'était emparé ; il avait emmené en captivité les enfants et manifestait l'intention de se diriger vers le Hedjaz et de démolir la Ka’abah. Sounbâdz s'était fait accompagner, au moment de la rencontre avec les troupes de Mansour, d'un grand nombre de femmes musulmanes, qu'il avait faites captives, et qu'il amena à dos de chameaux. Il ordonna donc de faire sortir ces femmes captives devant son armée. Elles sortirent sur les chameaux, le visage découvert, et crièrent toutes ensemble : O Muhammad ! » Les chameaux, effarouchés, s'enfuirent en retournant contre les troupes de Sounbâdz qu'ils dispersèrent. Les soldats de Mansour suivirent les chameaux et entrèrent derrière eux [dans l'armée ennemie] qu'ils taillèrent en pièces et exterminèrent par le meurtre. Le nombre des tués atteignit environ 60.000 (soixante mille[260]).
L'observation des faits montre que la plupart du temps celui qui crée un empire de toutes pièces n'en jouit pas. Le Prophète (que les bénédictions d'Allah soient sur lui f) a dit, en effet : « Ne désirez pas le pouvoir, car vous en serez privé. » Celui qui crée de toutes pièces une souveraineté jusque-là inexistante, a généralement, semble-t-il, une arrogance et un sans-gêne tels que les âmes des princes ne peuvent le supporter. Plus son pouvoir s'étend, plus ils le détestent, jusqu'à ce qu'enfin ils le perdent.
C'est Mansour qui déposséda son neveu Isa, le fils de [son frère] Moussa, de son titre d'héritier présomptif du trône, dont il investit son propre fils Muhammad al-Mahdî.
Cet 'Isa, qui exerçait les fonctions de gouverneur à Koûfa, était le fils de Moussa, fils de Muhammad, fils d’Ali, fils d’Abd-Allah, fils d’Abbas. Il était donc le neveu (le fils du frère) de Mansour.
'Isa, fils de Moussa, avait été désigné comme héritier présomptif du trône après Mansour par l’imâm Ibrahim, qui présida en son nom la cérémonie d'investiture et reçut pour lui le serment de fidélité de la population. Mais lorsque Mahdî, le fils du khalife Mansour, grandit, son père eut pour lui une très grande affection et voulut le faire proclamer héritier présomptif du khalifat. Il déposa donc Isa, fils de Moussa, dont il fit attester la déposition par témoins, et fit proclamer héritier présomptif Mahdî, en lui désignant comme successeur 'Isa, fils de Moussa.
Les historiens sont en désaccord sur la manière dont 'Isa, fils de Moussa, fut dépossédé de ses droits. Selon les uns, Mansour aurait sollicité de lui son abdication. Auparavant, il lui prodiguait les marques d'honneur et le faisait asseoir à sa droite, tandis qu'il plaçait Mahdî à sa gauche. Mais lorsque Mansour entretint Isa de son abdication, il lui répondit : « Emir des Croyants, que ferai-je des serments qui pèsent sur moi et sur le peuple, [261] et qui nous engagent [en cas de violation] à affranchir nos esclaves, à répudier nos femmes, à accomplir le pèlerinage de La Mecque et à faire l'aumône.[262] Il n'y a pas moyen d'abdiquer. » Depuis, Mansour changea de dispositions à son égard, et l'éloigna quelque peu. Il ordonnait de faire entrer avant lui Mahdî, et le faisait asseoir après celui-ci. Il cherchait constamment à l'offenser. Parfois, Isa, fils de Moussa, étant assis, on se mettait à percer le mur qui se trouvait derrière lui et à laisser la poussière se répandre sur la tête d'Isa. Celui-ci disait à ses enfants de s'écarter et se levait ensuite pour prier, pendant que la poussière continuait à lui tomber sur la tête. Enfin, l'autorisation d'entrer lui étant accordée, il pénétrait chez le khalife tout couvert de poussière sans la secouer.[263] Alors le khalife lui disait : « O 'Isa ! personne ne se présente devant moi avec autant de poussière et de terre que toi ; est-ce que tout cela proviendrait de la route ? — Je le pense, Emir des Croyants », répondait 'Isa, sans se plaindre.
Selon une autre version, Mansour aurait fait prendre à 'Isa un breuvage qui devait déterminer sa mort ; il en serait tombé malade pendant un certain temps, puis en guérit. Il ne cessa pas d'être en butte à ces mauvais traitements, jusqu'à ce qu'il finît par abdiquer et par reconnaître [Mahdî] comme héritier présomptif.
Au rapport d'autres historiens, Mansour soudoya[264] les soldats, qui se mirent à insulter 'Isa, fils de Moussa, chaque fois qu'ils le voyaient, et à porter atteinte à sa considération. 'Isa s'en étant plaint au khalife, celui-ci lui dit : « Mon cher neveu, je te jure par Allah que je crains ces soldats pour toi-même et pour moi. Leurs cœurs sont, en effet, entièrement gagnés à ce jeune homme (il désignait ainsi Mahdî). Si tu lui donnais la préséance[265] ? » Alors, Isa abdiqua et reconnut Mahdî comme héritier présomptif du trône. Un habitant de Koûfa ayant vu Isa, après que celui-ci eut abandonné son tour à Mahdî dans la succession au khalifat, pour prendre rang lui-même après Mahdî, s'écria : « Voilà celui qui était demain et qui est devenu maintenant après-demain. »
Selon d'autres, Mansour lui acheta son abdication moyennant une somme de 11 millions de dirhems. Enfin, d'après une autre version, les choses ne se seraient pas passées ainsi. Mais Mansour aurait envoyé vers 'Isa, Khalid, fils de Barmak ; celui-ci prit avec lui un groupe[266] de gens du parti de Mansour, environ trente hommes, et alla trouver 'Isa ; il négocia avec lui en vue de son abdication, mais 'Isa refusa. Devant ce refus, Khalid dit à ceux qui raccompagnaient : « Nous témoignerons à son encontre qu'il a abdiqué ; nous épargnerons ainsi son sang et nous calmerons cette lutte intestine. » Ils déposèrent donc dans ce sens contre 'Isa, et la preuve testimoniale en fut ainsi établie. Isa opposa des dénégations formelles, mais on ne se soucia guère de lui, son abdication fut un fait acquis, et Mahdî fut proclamé héritier présomptif. Mais Allah sait mieux de quelle façon les choses se sont passées.
C'est Mansour qui bâtit Rousâfa[267] pour son fils Mahdî.
L'armée s'étant insurgée contre Mansour, celui-ci dit à Qoutham, [268] fils d’'Abbas, fils d’Oubeïd Allah, fils d’'Abbas :
« Tu vois l'esprit séditieux qui règne dans les troupes, et je crains qu'elles n'arrivent à s'entendre contre moi. — Emir des Croyants, répondit Qoutham, [269] mon avis est que tu fasses passer ton fils sur la rive orientale [du Tigre], que tu fasses passer avec lui de ce côté une fraction des troupes et que tu lui fondes là-bas une ville. De cette façon, il sera lui-même avec une partie de l'armée, dans une ville sur la rive orientale, et tu seras, toi, avec l'autre partie de l'armée dans une ville sur la rive occidentale. Si quelque événement t'inspire des inquiétudes du côté de l'une des deux rives, tu pourras trouver une aide dans l'autre rive. » Le khalife adopta la manière de voir de Qoutham et fonda la ville de Rousâfa. Celle-ci fut achevée[270] et, depuis, les khalifes prirent l'habitude d'y enterrer leurs morts. Ils y construisirent de magnifiques mausolées, qu'ils garnirent de très belles tapisseries et de meubles somptueux, en quantité incalculable. Ils les dotèrent d'un nombre considérable de fondations pieuses consistant en domaines, plantations[271] et immeubles. Sous la dynastie des 'Abbasides, Rousâfa fut considérée comme un asile inviolable. L'homme qui, ayant des sujets de crainte, s'y réfugiait, trouvait la sécurité.
Mansour mourut en état d’ihrâm[272] à La Mecque, en l’année 158 (774 de J.-C). Rabi'[273] tint secrète la mort du khalife, afin de faire proclamer Mahdî. On prétend qu'il fit asseoir le cadavre de Mansour, en le maintenant [par des coussins] et lui couvrit le visage d'un voile léger, à travers lequel on pouvait voir la figure du khalife, sans rien comprendre à sa situation. Ensuite, Rabi' donna ordre d'introduire les notables des Hachémites. Ceux-ci entrèrent et se tinrent devant le khalife, croyant qu'il était vivant. Alors Rabi' s'approcha du khalife comme s'il lui demandait quelque conseil, puis revint vers les Hachémites et dit : « L'Emir des Croyants vous ordonne de renouveler votre serment de fidélité à [son fils] Mahdî. » Tous les assistants prêtèrent alors le serment.
On raconte que lorsque Mahdî apprit ce fait, il eut du mépris pour Rabi' et lui dit : « La crainte respectueuse que t'inspirait l'Émir des Croyants ne t'a donc pas empêché de le traiter ainsi[274] ?»
Sous le règne de ce prince, le vizirat n'eut guère d'importance, car il faisait tout par lui-même et se passait des autres, comptant sur son propre jugement et sa capacité. Ce qui n'empêche pas qu'il demandait toujours conseil dans les affaires [publiques]. Seulement, la crainte qu'il inspirait amoindrissait la crainte qu'inspirent les vizirs. Ceux-ci étaient constamment sur le qui-vive, à cause de lui, et perpétuellement dans les transes. Aussi n'eurent-ils aucun éclat, aucune splendeur.
Moûriyân est un des bourgs d'al-Ahwaz[275] Mansour avait acheté Abou Ayyoub al-Moûriyâni encore enfant, avant de parvenir lui-même au khalifat, et le dressa. Or, il arriva qu'un jour Mansour envoya Abou Ayyoub accompagné de présents vers son père Saffâh, qui était alors khalife. Lorsque ce dernier vit Abou Ayyoub, il fut agréablement surpris par son attitude, son éloquence et la beauté de son physique. Alors il lui dit : « Jeune homme, à qui appartiens-tu ? — Au frère de l’Emir des Croyants, répondit-il, — Non, dit le khalife, c'est à moi que tu appartiens. » Il le retint donc chez lui et écrivit à Mansour, l'informant qu'il avait pris Abou Ayyoub. Puis, il l'affranchit et en fit un de ses familiers durant son khalifat. Dans la suite, la situation d'Abou Ayyoub s'éleva progressivement, et les bienfaits d'Allah le comblèrent, si bien que Mansour finit par l’investir de la charge de vizir. Abou Ayyoub était d'ailleurs intelligent, bien au courant des affaires publiques, doué d'un bon jugement, éveillé et d'un esprit pénétrant. C'était un homme supérieur, noble, pourvu en abondance des qualités qui caractérisent le vrai galant homme.
Voici ce qu'a raconté Ibn Choubrouma[276] : « Ayant marié mon fils moyennant une dot de 2.000 dirhems (drachmes) [qu'il devait payer], [277] je me pris à réfléchir à qui je pouvais demander secours pour payer cette somme. Finalement, j'allai trouver Abou Ayyoub al-Moûriyânî, le vizir de Mansour, et lui fis part de mon embarras : « Nous vous ordonnançons cette somme, me répondit-il. » Je le remerciai et me levai pour sortir, quand il me dit : « Ne te presse pas, assieds-toi, et, ajouta-t-il, quand j'aurai payé la dot, est-ce que ton fils n'aurait pas besoin d'argent pour d'autres dépenses ? Donnez-lui encore 2.000 drachmes pour la dépense. « J'allai me lever, lorsqu'il reprit : « Ne te presse pas. Ton fils n'a donc pas besoin de quelqu'un pour le servir ? Donnez-lui 2.000 drachmes pour qu'il achète un esclave. » Et le vizir ne cessa de me faire donner chaque fois 2.000, puis 2.000, jusqu'à ce que les sommes qu'il m'ordonnança formèrent un total de 50.000 drachmes. »
Abou Ayyoub aimait amasser les richesses pour regagner la faveur de Mansour, toutes les fois qu'il avait lieu de le craindre. Un jour, le khalife lui dit : « Vois-tu la situation de mon fils Sâlih qui n'a pas de domaine rural ? — Émir des Croyants, répondit Abou Ayyoub, il y a dans l'Ahwaz des terrains de culture inexploités qui demanderaient trois cent mille drachmes (300.000) pour être mis en valeur et qui rapporteraient de beaux revenus. » Le khalife lui ordonnança alors la somme de 300.000 drachmes en lui ordonnant d'exploiter lesdits terrains pour le compte de son fils Sâlih. Abou Ayyoub prit l'argent sans rien faire dans ledit domaine. Chaque année, il faisait porter au fils du khalife une somme de 20.000 drachmes, en disant que c'était le revenu du nouveau domaine. La chose demeura ignorée de Mansour pendant un certain temps. Mais, bientôt, les ennemis d'Abou Ayyoub trouvèrent dans ces agissements le moyen d'intriguer contre lui. Ils en informèrent donc Mansour, qui se rendit lui-même vers l'endroit où se trouvait le domaine. Abou Ayyoub ordonna aussitôt d’élever des constructions sur le rivage, d'y planter de la vigne et de mettre de la verdure tout autour. Dès qu'il eût fait cela, Mansour passa par là et Abou Ayyoub lui dit : « Voilà le domaine. » En voyant les constructions et la verdure, le khalife faillit s'y tromper ; mais les ennemis d'Abou Ayyoub le mirent au courant du subterfuge, et Mansour, remontant en selle, se dirigea lui-même, avec les guides qu'il prit avec lui, et fit le tour du domaine. Il le trouva inexploité, ne contenant ni construction ni plantation. Il comprit alors tout ce qui s'était passé, et son attention fut ainsi attirée sur la malhonnêteté d'Abou Ayyoub. Il le disgracia, mit à mort ses proches et confisqua tous leurs biens. C'est alors que le poète, de Koûfa, Ibn Houbaibât, [279] dit à ce sujet :
Nous voyons que les rois se montrent jaloux de celui à qui ils remettent volontairement les rênes du pouvoir.
Dès qu'ils le voient maître des ordres et des interdictions, ils lui font goûter les désagréments de leur méchanceté.
Soulaimân[280] a bu la coupe d'amertume après Hafs[281] et la main du sort s'est retournée contre lui.
Tandis que Khalid, fils de Barmak, y a échappé, puisque, après avoir été vizir, on ne le nomma plus que l’Émir.
Le plus malheureux de l'univers auprès des khalifes est celui qui porte le titre de secrétaire d'Etat (kâtib) ou de vizir.[282]
Ce vizir se nommait Abou-l-Fadl Rabi, fils de Younous, fils de Muhammad, fils de Kaisân, qui n’est autre qu'Abou Farwa, l'affranchi du khalife] 'Othman, fils d’Affân. On prétend que Rabi' était un enfant trouvé. Ce serait pour ce motif qu'un jour, ayant dit à un homme qui répétait sans cesse, devant le khalife Mansour : « Que Dieu fasse miséricorde à mon père ! » — « Jusqu'à quand vas-tu répéter le nom de ton père et appeler les miséricordes de Dieu sur lui ! » — cet homme lui répondit : « Tu es excusable en cela, car tu n'as pas goûté la douceur de l'affection paternelle. »
La vérité, dit-on, est qu'il était le fils de Younous, fils de Muhammad, fils d'Abou Farwa, mais non issu d'une union légitime. On prétend que Younous, fils de Muhammad, eut des rapports avec une jeune servante, appartenant à sa famille, et qui donna naissance à Rabi'. Younous l'ayant désavoué, on le vendit, et Rabi, esclave, ne cessa pas de changer de maîtres jusqu'à ce qu'il arrivât entre les mains des 'Abbâsides.
Il m'est revenu qu’Alâ' ad-Din Atâ Malik al-Djouwaini, le directeur de la chancellerie, se plaisait à faire remonter sa généalogie à Fadl, fils de Rabi'. Je suis tout à fait surpris de cette idée de la part d’Alâ' ad-Dîn. Comment un homme aussi éminent et aussi plein de mérites que lui, et qui connaissait les biographies et l'histoire, a-t-il pu être satisfait de rattacher sa généalogie à Fadl, fils de Rabi'. Car si 'Alâ' ad-Din s'est attribué à tort cette généalogie, c'est un déshonneur évident. Si, au contraire, c'est la vérité, un jugement sain aurait commandé de cacher une pareille origine, car il ne s'en trouve pas de plus déshonorante, ni de plus basse. Tout d'abord, parce que Fadl, fils de Rabi', n'était pas un homme d'honneur : il passait pour avoir des mauvaises mœurs. On prétend qu'il avait un jeune homme qui avait des rapports avec lui, et qu'on appelait l’étalon de Fadl. Les poètes ont même composé des vers sur lui à ce sujet ; en voici un échantillon :
La sodomie du khalife est certes chose étonnante ; mais plus étonnante encore est la débauche du vizir.
Si encore ils se contentaient l'un de l'autre ; ils y gagneraient au moins la discrétion.
En second lieu, parce que Rabi', tout en étant un homme considérable et fort capable, était d'une origine douteuse. Tantôt on disait qu'il était un enfant trouvé, tantôt enfant naturel. La meilleure origine à laquelle il puisse prétendre, ce serait que sa descendance d'Abou Farwa, l'affranchi d'Othman, fils d’Affân, fût authentique. Or c'est là la plus grande honte, car Abou Farwa était d'une très basse extraction et il était esclave de Hârith, le fossoyeur de La Mecque, lequel Hârith était affranchi d'Othman, fils d'Affân. De sorte qu'Abou
Farwa était l'esclave de l'esclave d'Othman. C'est à ce sujet qu'un poète a dit :
Certes, les droits de patronage de Kaisân[284] appartiennent à Hârith qui fut, pendant longtemps, chargé de creuser les tombes à Yathrib.[285]
Abou Farwa s'était révolté contre 'Othman le jour de la Maison. Cet acte, à défaut d'autres, suffit pour le couvrir d'opprobre. Peux-tu imaginer une origine plus basse et plus vile. Mais ce qui est encore plus étonnant que la manière de voir du vizir 'Alâ' ad-Din sur ce point, c'est qu'il ne se soit trouvé, auprès de Son Excellence, personne qui connût la vérité pour l'en avertir. Rabi' était un homme considérable, très respecté, énergique et qui inspirait la crainte. Il était éloquent, capable, ferme, intelligent, éveillé, et joignait à une connaissance approfondie du calcul et de l'administration des finances, une grande habileté dans le maniement des affaires publiques. Il savait discerner les actes qu'il devait faire ou éviter ; enfin, il aimait faire le bien.
On raconte que Mansour fit venir un jour en sa présence un homme, qui se serait, d’après le rapport fait au khalife, insurgé contre un fonctionnaire qui gouvernait une province au nom de Mansour. « Malheureux, lui dit le khalife, c'est toi qui t'es révolté contre le gouverneur un tel ? Par Allah ! je ferai sauter de ta chair [à coups de bâton] plus de fragments qu'il n'en restera d'adhérents à tes os. » L'homme, un vieillard décrépit, répondit d'une voix faible, en récitant ce vers :
Peux-tu refaire le caractère de ta femme, quand elle est déjà atteinte de décrépitude ? C'est peine inutile de vouloir discipliner un vieillard que l’âge a brisé.
« Que dit-il, ô Rabi' ? » demanda Mansour à son vizir. Celui-ci répondit : « Il dit :
Je suis votre esclave et mon sort est entre vos mains. Daigneras-tu détourner de moi, aujourd'hui, ton châtiment ?
« Nous lui avons pardonné, dit le khalife ; qu'il s'en aille. »
Un jour, Mansour remarqua dans son jardin un petit arbuste de saule d'Egypte de l'espèce dite khilâf (ce mot signifie : désaccord Ne connaissant pas cette plante, il demanda : « Quel est le nom de cet arbuste, Rabi' ? — Unanimité et accord », répondit le vizir, parce qu'il lui répugnait de dire : désaccord (khilâf). Mansour admira son esprit d'à-propos et il fut satisfait de sa réponse.
Rabi' demeura vizir de Mansour. Il travailla ensuite à faire proclamer khalife Mahdî, dans les conditions ci-dessus expliquées ; il fut le dernier vizir de Mansour.
Voici le motif pour lequel Hadi le fit mettre à mort. Ayant donné, en présent, une très belle esclave à Mahdi, fils de Mansour, ce khalife la donna lui-même à son propre fils Moussa Hadi, qui, éperdument épris d'elle, la rendit mère et eut d'elle tous ses enfants.
Lorsque Hadi devint khalife, les ennemis de Rabi' le calomnièrent auprès de lui en lui disant : « Toutes les fois que Rabi' voit vos enfants, il ne manque pas de dire : « Par Allah ! je n'ai jamais placé entre moi et la terre « une femme plus exquise que la mère de ces enfants. »
Le khalife, ses enfants et aussi sa concubine en furent indignés. C'est alors que Hadi offrit une coupe remplie de miel empoisonné à son vizir, qui, l'ayant bue, mourut le jour même. Cet événement eut lieu en l'année 170 / 786.
Fin du règne de Mansour et de l’histoire de ses vizirs.
[145] Ce poète, dont le nom est Mahmoud, fils de Hosain, fils de Châhak est mort en 350 (= 961). Cf. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 85. De Hammer Purgstall. Litteraturgesch. der Araber. V, 610 ; VII. 1231 Massoudi, Prairies dor. VIII, 318-319, 394-396, 399, 404-406; Ibn Khallikan, Wafayât, notice 256; Fihrist. I, p. 168.
[146] Sur ce malheureux prince Omeyyade. voy. Massoudi, Prairies d’or, V, 478; VI, 33-35 et 67 ; IX, 61. Sa biographie est donnée par Khalil ibn Aibak as-Safadî, Al-Wâfi bil-Wafayât, manuscrit arabe de Paris. n° 2064, f° 184 ; Ibn al-Athir, V, 329 et Index, p. 322.
[147] Soudaif fils; de Maïmoun était un client de la tribu de Khozâ'a. Doué d'un talent supérieur en poésie, il se montra un fanatique partisan des Benou Hachim, contre les Omeyyades. Il apportait une ardeur telle à défendre les premiers dans les discussions qu’il avait à ce sujet, qu'il finit par créer un parti qu'on appelait les Soudaifites, qui ne prit fin que lorsque le pouvoir appartint sans partage aux 'Abbasides. Sa biographie est donnée par le Kitab al-aghâni. XIV, 162-163 : voy. aussi IV, 93-96 et l'Index. Une bonne notice sur ce poète se trouve dans le manuscrit arabe de Paris, n° 2064, f° 116 r°. Khalil ibn Aibak As-Safadî, Al-Wâfi bil-Wafayât : voy. aussi de Hammer Purgstall, Litteraturgesch. der Araber. IV, 712 ; Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, éd. de Goeje. pp. 479-481.
[148] Ces deux vers sont donnés par Ibn Qotaiba, loc. cit., et par le Kitab al-aghâni, IV, 94, avec une légère variante. De même, Ibn al-Athir, Chronicon, V, 329.
[149] Cf. le Kitab al-aghâni, IV, 96; Ibn al-Athir, loc. cit.
[150] 'Abd Chams, fils d'Abd Manâf, fils de Qosayy, ancêtre des Arabes, serait né vers l'année 455 de l'ère chrétienne, d'après le calcul de Caussin de Perceval, Essai, I, tableau VIII (2e partie) et pages 252 et suiv. Cf. Prince de Teano, Annali del Islâm. Index, p. 1245: Ibn al-Athir, Chronicon, I, 330 ; II, 12 et passim.
[151] « Leur humiliante défaite leur a fait prendre le masque de l'attachement, mais il garde contre vous une haine bien vivante comme une blessure au rasoir. »
C’est ainsi que je comprends ce vers, dont la dernière partie est d'une concision exagérée. Amable Jourdain a traduit: « Eh bien donc, soyez comme le tranchant du rasoir, auquel rien n'échappe ». Je ne crois pas que le vers sait susceptible de cette interprétation, puisqu'on ne peut appeler cela une traduction. Ibn al-Athir (Chronicon, V, 329) et le Kitab al-aghâni, IV, 93, donnent cette pièce, avec une légère variante dans ce quatrième vers, qui d'ailleurs n'en change pas beaucoup le sens: le premier donne « le feu du rasoir », le second « entaille du rasoir ».
[152] C'est Hamza.
[153] Le poète veut désigner Ibrahim l'Imam.
[154] Ces vers, qui sont donnés par Ibn al-Athir, Chronicon, V, p. 329, et par le Kitab al-aghâni, IV, 93, sont attribués par le premier de ces auteurs à un poète nommé Chibl et par le second à Soudaïf, dont il a été question ci-dessus.
[155] Ici se termine la traduction extraite des Mines de l’Orient ou Fundgruben des Orients, V, d’Amable Jourdain.
[156] Cette étymologie de vizir est celle-là même que propose Baidawî, dans son Commentaire du Coran, dont le passage essentiel a été rapporté par S. de Sacy, Chrestomathie arabe, II, 57, note 31, où l'on trouve aussi (p. 58 et suiv.) un important extrait de la Description de l'Egypte de Makrizi, sur les fonctions de vizir et leurs vicissitudes sous les Fâtimides et les Mamlouks.
[157] C'est le théologien bien connu (1059-1111), sur lequel voy. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 419 et suiv. On sait que l'ethnique de ce savant doit être prononcé plutôt Ghazali, sans redoublement du z comme nisba de Ghazâla, bourg situé près de Tous. Cf. Soyoûti, Loubb al-Loubâb, éd. Weijers, p. 180, et la note de Veth.
[158] Ce conspirateur entra au service des 'Abbâsides en l'année 125 de l'Hégire (= 742), après la destitution du chef de la propagande Djounaid, fils d’Abd er-Rahman. Cf. Chronicon, V, 93 et passim. Il mourut deux ans après (127 = 741) et désigna al-Khallâl au choix de l’imâm Ibrahim. Ibidem, pp. 258-259.
[159] Les 'Abbâsides.
[160] D'après Massoudi, Prairies d’or, VI, 134, c'est au contraire Abou Mouslim qui écrivit au khalife pour lui conseiller de se débarrasser d'Abou Salama, en lui dévoilant ses crimes et en justifiant sa mise à mort. Mais Ibn al-Athir (Chronicon, VI, 334) confirme le récit d'Ibn at-Tiqtaqâ et explique la contradiction apparente entre notre auteur et Massoudi en nous apprenant qu'il y eut deux lettres échangées, la première adressée par le khalife à Abou Mouslim, la seconde étant une réponse de celui-ci approuvant les projets du khalife.
[161] Ce distique appelle plusieurs observations. Tout d'abord, j'ai traduit la im du premier vers avec un sens optatif, en m'écartant sur ce point de l’éminent traducteur des Prairies d’or (VI, 136) : « Et tu fais ton vizir de celui qui te hait! » D'autre part, le deuxième vers donné par l'édition et traduit ci-dessus, n'appartient pas au manuscrit ; mais il fut ajouté par une main étrangère, qui n'est pas celle du copiste, ni celle de l'auteur. La comparaison des écritures suffirait à le démontrer, si l'on n'avait en plus le témoignage d'Ibn al-Athir, op. cit., VI, 345, que notre auteur a copié dans ce passage et qui ne donne que le premier vers
[162] L'auteur de ces deux vers, d'après une note marginale du manuscrit 1 (folio 144 verso) et d'après Ibn al-Athir, op. cit., VI, 335), se nomme Soulaimân, fils d'al-Mouhâdjir al-Badjali, sur lequel voy. de Hammer-Purgstall, Litteratur Geschichte der Araber, IV, 838.
[163] C'était l'un des principaux conjurés du Khorasan, un des lieutenants d'Abou Salama. Cf. Abou-l-Mahâsin, An-noudjoûm az-zâhira, I, 355 ; Massoudi, Prairies d’or, VI, 97 : Kitab al-aghâni, IX, 25, 124; XIII, 23 Ibn al-Athir, Chronicon, V, 313-314.
[164] Abou Bakr Muhammad, fils de Yahya as-Souli, était à la fois historien, poète, littérateur. Un de ses arrière grands-pères était, dit-on, prince de Djourdjân. Il avait lui-même une grande habileté au jeu des échecs, ce qui taisait rechercher sa société par les khalifes, notamment Mouqtafi et Mouqtadir. Il composa plusieurs ouvrages sur les khalifes 'abbâsides, sur leurs vizirs, sur les poètes, etc. Il ne nous est par venu qu'une petite partie de son œuvre. Il mourut en 335 (= 946). Voy. la bibliographie dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., l. 143. Sa biographie est donnée par Dzahabî, Tarikh al-islâm, manuscrit arabe de Paris, n° 1581, f° 177 v°. Cet auteur dit au cours de l'ouvrage (f° 162 v°) que Souli mourut en 336, mais il place sa biographie dans la section nécrologique de l'année 335. Cf. Ibn Khallikan, Wafayât, notice 659. — L'ouvrage de Souli, cité généralement par Ibn at-Tiqtaqâ, est celui que l'auteur composa sur les vizirs. On verra plus loin (p. 390 du texte arabe qu'à partir du moment où il quitte son guide, Ibn at-Tiqtaqâ, jusqu'alors si prolixe sur l'histoire des vizirs, ne donne plus que bien peu de renseignements sur ces fonctionnaires.
[165] Une intéressante notice sur Khalid le Barmékide est donnée par Khalil ibn Aibak as-Safadî, Al-Wâfi bil-Wafayât, manuscrit de Paris, n° 2064, f° 4, v°.
[166] Voyez d'autres anecdotes sur cette princesse dans le Kitab al-aghâni, IX, 128, 137, 188. Voy. aussi Massoudi, Prairies d’or, IV, 248, 289 ; Ibn al-Athir, op. cit., VI, 390.
[167] Je n’ai trouvé aucun renseignement sur ce personnage, en dehors d'une brève mention dans le manuscrit de Paris, n° 5986, f° 178 verso (Kitab al-aghâni, par Abou Hilal al-'Askarî). D'après cet auteur, Mousâouir, fils de Nou'mân, était alors gouverneur du Fâris.
[168] Voy. plus loin la traduction.
[169] Les Barmékides ont été souvent accusés d'être restés Persans de cœur et de favoriser secrètement la religion des mages.
[170] C’est le récit donné par Ibn al-Athir, Chronicon, V, 438.
[171] C'est, comme on sait, le premier jour de l'année chez les Persans, et qui correspond à l’équinoxe du printemps. Les Musulmans adoptèrent cette date pour le paiement de l'impôt kharâdj. Cf. Massoudi, Prairies d’or, II, 112; III, 404, 413, 417. Sur la fixation de cette date sous Moutawakkif, voy. Abou Hilal al-Askari, Kitab al-a’wâil, manuscrit arabe de Paris, n° 5986, folio 138 et suiv. dont le récit confirme celui de Baladhouri.
[172] Le sens de cette phrase eût été un peu douteux sans le récit d'Ibn al-Athir (Chronicon, VI, 14) où notre auteur a puisé ses renseignements. Ibn al-Athir dit que Mansour supportait avec beaucoup de patience le jeu des enfants, leurs gamineries.
[173] Littéralement: Ses yeux devenaient rouges.
[174] Ce récit me semble emprunté à Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 14 et sq.
[175] Ce Yazid, originaire de la tribu de Fazâra, était gouverneur de l'Iraq pour Marvân II, le dernier khalife des Omeyyades. Il eut à soutenir le choc des 'Abbâsides, qui enlevèrent enfin le pouvoir à la dynastie régnante. Cf. Kitab al-aghâni, Index, p. 713 ; Massoudi, Prairies d’or. VI, 65-66 ; 169. Voy. une intéressante biographie de ce personnage dans Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 828 ; Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 20 et Index, p. 659.
[176] Ce récit est emprunté à Ibn al-Athir, Chronicon, VI, 20.
[177] Sur cette secte, voy. notamment Massoudi. Prairies d’or, VI, 26, 54, 58 ; Ibn al-Athir, Chronicon, 383-385.
[178] 'Othman, fils de Nahâk, d'après Ibn al-Athir, loc. cit. Cet 'Othman était chef de la garde de Mansour et reçut de ce prince l'ordre de tuer Abou Mouslim, au meurtre duquel il participa effectivement. Voy. le récit de cet événement dans Massoudi, Prairies d’or, VI, 181-183; Ibn al-Athir, Chronicon, V, 363-364.
[179] Haithâm, fils de Mouâwiya al-'Atkî, d'après Ibn al-Athir, loc. cit. Haithâm, un des partisans 'Abbâsides du Khorasan, fut en récompense de ses services, nommé par Mansour gouverneur de la Mecque et du Tâif, en l'année 141. Cf. Ibn al-Athir. op. cit., V, p. 387. Il fut d'ailleurs destitué deux ans plus tard, en 143 de l'Hégire. Ibidem, p. 381. Il fui ensuite nommé gouverneur de Basra en 155 et mourut l'année suivante, 156, à Bagdad. Ibidem. VI, 2, 4, 6. Voy. une anecdote sur ce gouverneur dans Kitab al-aghâni, III. 51.
[180] Littéralement : debout.
[181] Ma'n, qui était devenu sous Mansour gouverneur du Khorasan, a laissé la réputation d’un homme d'une générosité inépuisable. Les poètes chantèrent ses louanges et composèrent, à sa mort, de belles élégies. Il fut assassiné par les Khâridjites en l'année 151, 152 ou 153 (= 768, 769 ou 770), dans la province du Sedjestan dont il était le gouverneur. Cf. Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 742 ; Kitab al-aghâni, Index, p. 642 ; Massoudi, Prairies d’or, VI, 168-170 et Index, p. 181. Cf. Sacy, Chrestom. arabe, I, 146.
[182] Il s'était, en effet, attiré la colère de Mansour en prenant fait et cause pour Yazid, fils de 'Omar, fils d'Houbaira, qui était gouverneur des deux 'Iraq pour Marvân II, le dernier des Omeyyades. Cf. Ibn Khallikan, loc. cit., et ci-dessus, p. 255 et note 1
[183] Ces trois derniers mots sont empruntés au Coran, VIII. 17.
[184] Mansour avait, en effet promis une grosse somme d'argent à celui qui lui amènerait Ma'n. Malgré les recherches les plus actives, Ma'n était resté caché jusqu'à ce moment. Cf. Ibn Khallikan, loc. cit. ; Ibn al-Athir, Chronicon, V, 883.
[185] Tout ce récit est visiblement emprunté à Ibn al-Athir, Chronicon, V, 38.3 et sq.
[186] Sur la fondation de cette ville et sur tout ce passage du Fakhrî, voy. Al-Khâtib al-Baghdadi, Tarikh Bagdad, l'introduction topographique, publiée et traduite par G. Salmon.
[187] Cette ville avait été fondée en réalité par le khalife Saffâh. Elle été identifiée, à fort, avec Anbar, par d'Herbelot. Cf. Sacy, Chrestomathie arabe. II, 326, note 17; voy. Massoudi, Prairies d’or, VI, 169, 203.
[188] Le nom de cette ville, située entre Bagdad et Wâsit, dans le canton de Nahrawân, est écrit par certains auteurs Djardjarâ tout court ; mais il ne semble pas que ce soit là la bonne leçon. Cf. la note de Weijers dans Soyoûtî, Loubb al-Loubâb, p. 62; Sacy, Chrestom. arabe, I, 327.
[189] Dans la citation que S. de Sacy (Chrest. arabe, I, (38) a faite de ce passage, cet illustre savant a pris les deux personnes pour une seule, en considérant le deuxième nom (al-Djawûd) comme une épithète appliquée au premier. La vérité est qu'il s'agit de deux personnages distincts, deux imams de la maison d’A]i. Le premier est celui qui est connu sous le nom de Moussa al-Kâ;im fils de Djafar as-Sâdiq, et qui fut tué en prison par Haroun er-Rachid, en l'année 183 (= 799) ou 186 (= 802). Voy. plus loin la traduction correspondante à la p. 268 du texte arabe : d'après Ibn Khallikan, qui donne la biographie de cet imâm (Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 756 ; le motif qui poussa le khalife Haroun à tuer Moussa est dû à la jalousie. Cet auteur raconte que Haroun ayant fait le voyage à Médine pour visiter la tombe du Prophète, le salua à son arrivée devant sa tombe en disant : « Salut sur toi, mon cousin. » Il voulait ainsi tirer vanité de sa proche parenté avec Mahomet. Mais l'imâm Moussa, qui accompagnait Haroun durant cette visite, ne put se contenir, et, s'approchant à son tour de la tombe du Prophète, son aïeul maternel, il dit: « Salut sur toi, grand-père ». Le khalife en conçut un vif ressentiment et, à son retour, il fit jeter Moussa dans la prison où il mourut.
Le 2e imâm, surnommé al-Djawâd (le généreux), s'appelait Muhammad. Il était le petit-fils du précédent. Né en 195 (= 810), il se maria plus tard avec la fille de Mamoun, alors prince héritier, et mourut en 219 ou 220 (= 834 ou 835) à Bagdad, sous le règne de Mou'tasim. Il fut enterré auprès de son grand-père, Moussa, dont il a été question ci-dessus, ainsi que le dit dans sa biographie Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 572. Cf. Massoudi, Prairies d’or, VI, 309 et sq., et Makrizi, Itti'âz al-Hunafa, éd. Hugo Bunz (1910), p. 6.
[190] Le surnom patronymique ou kounija est une appellation respectueuse consistant dans un nom propre, précédé du mot abou (père de...) pour les hommes et de oumm (mère de...) pour les femmes. Ce nom propre est le plus souvent celui du fils ou de la fille de la personne à qui appartient le surnom patronymique. Toutefois — et c'est le plus important — il n'est pas nécEssaire que cette personne ait un fils ou une fille. Un célibataire, un enfant, ou toute autre personne sans enfants peut avoir un surnom patronymique. Dans ce cas, il y a une espèce de corrélation étroite entre le nom de la personne et celui du fils qu'on lui suppose. A tel nom s'applique généralement telle kounya, encore que la personne n’ait jamais eu d'enfant de ce nom. Ainsi un homme qui s'appellerait Ahmad aurait généralement comme surnom patronymique Abou-l-Abbâs (le père d’Abbas); le surnom patronymique d’Ibrahim Abraham) serait Abou Ishâq (le père d'Isaac), etc. Il va sans dire que si Ahmad ou Ibrahim ont des enfants ayant des noms différents d'Abbas ou d'Ishâq, il leur est loisible de prendre comme surnom le nom de leurs enfants précédés du mot Abou. Dans ce cas, on prend généralement pour kounya le nom de l'aîné de ses enfants. Ces règles s'appliquent, mutatis mutandis, au surnom patronymique de la femme. Voy. ce que j'en ai dit dans la trad. de Wancharisî, Archives marocaines, t. XII, p. 234, et qui doit être entendu dans le sens de cette note-ci. M. Codera dans sa contribution aux Mélanges Derenbourg, p. 160, tout en approuvant mon explication de la kounya. a critiqué avec raison le mot nécessairement que j'ai employé dans le cas où la kounya est composée du nom du fils présumé de la personne. C'est évidemment un lapsus et j'aurais dû dire généralement, car, dans toute cette matière, la règle reçoit souvent des exceptions. Mais il y a plus. Il arrive parfois que la kounya ne renferme le nom d'aucun fils ni réel, ni présumé, mais seulement un nom commun indiquant une qualité tirée du nom de la personne dont il s'agit. Ce nom commun précédé d'Abou forme la kounya. Ainsi Mahmoud qui signifie louange a généralement pour kounya Abou-th-Thanâ (qui signifie : le père, c'est-à-dire le possesseur de l'éloge). Au nom Masroûr (gai) correspond généralement la kounya Abou-l-Afrâh (le père des joies). Dans ces cas, dont on peut multiplier les exemples, la kounya ressemble beaucoup au laqab surnom honorifique. C'est cependant une kounya, car on trouve à côté d'elle, pour la même personne, un laqab tel que Chams ad-Din ou Sadid ad-Daula, etc.
[191] Comme son nom l’indique, le laqab est un surnom honorifique tel que, Djamal ed-Din (la beauté de la religion) ou Yamin ad-Daula (le bras droit de l'Empire), etc. C'est par une espèce d'abus qu'on a nommé laqab des sobriquets injurieux. J'ai remarqué que le laqab non plus n'est pas choisi arbitrairement et qu'il y a une corrélation entre lui et le nom. La question est un peu trop longue pour être exposée dans une note et je la réserve pour une étude spéciale.
[192] Littéralement: celui qui est rendu victorieux.
[193] Cette anecdote, mais plus abrégée, est rapportée par al-Khâtib al-Bagdadi, ms. cité, f° 20 v°. Seulement, d'après cet auteur, ce n'est pas la vieille gouvernante, mais la mère même de Mansour qui lui donna ce sobriquet. Cf. aussi Ibn al-Athir, V, 420-427.
[194] C'est le canal (Nahr) qui limitait ou sud la ville de Mansour sur la rive droite du Tigre, la séparant de l’immense quartier de Karkh, qui servait de vaste marché commercial à toutes les caravanes qui arrivaient de l’Orient musulman. Dans la nouvelle Bagdad, il ne formait plus que la limite d'un quartier, car la ville s’étendait sur l'autre rive. Cf. l’Introduct. topograph. à l'hist. de Bagdad, trad. Salmon, pp. 38, 48 et passim.
[195] Cette petite ville, située sur l'Euphrate, finit par en englober une autre, plus petite, qu'on appelait Râfiqa, fondée par Mansour. Du temps où les deux villes étaient distinctes, on disait ar-Raqqalâni (les deux Raqqa), pour désigner Raqqa et Râfiqa. Voy. les référ. dans Sacy, Chrest. arabe, III, 74. Ce récit est identique à celui d'Ibn al-Athir, Chronicon. V, 426.
[196] Grande rivière au-dessous de Bagdad et à l'est de cette ville. Elle prend sa source dans les montagnes de Chahrzoûr. Un des cantons de Bagdad emprunte son nom à cette rivière. C'est au-dessus de Tâmarra que se trouve la digue qui fait refluer l'eau dans sept canaux sur chacun desquels est situé un des cantons de Bagdad. Cette rivière se jette dans le Tigre, à plus d'un parasange en amont de Bagdad. Cf. l'extrait du Marâsid al-ittila donné par Sacy, Chrestom. arabe, I, 70. Yakout (Mou’djam, I, 812 et II, 638), dit que la rivière Tâmarrâ est celle-là même qu'on appelle Nahr al-Khâlis et Diyâlâ. Mais le Marâsid al-ittila (loc. cit.) précise, en disant que Diâlâ est le nom que porte le cours inférieur du Tâmarrâ qu'on appelle aussi al-Ma al-mâlih (la Rivière salée). Enfin Ibn Sérapion dit que ces trois canaux sont différents. Voy. Le Strange, Description of Mesopotamia, 273 et 271); al-Khâtib al-Bagdadî, Introduction, trad. Salmon, pp. 37, 144.
[197] Ces trois villes sont trop connues pour qu’il soit besoin de leur consacrer des notes. Tous les dictionnaires géographiques les mentionnent.
[198] Le Sawâd comprend toutes les terres cultivées des environs de Bagdad. On en est venu à le considérer presque comme un nom commun, pour dire la campagne. … Le Sawâd fut conquis de vive force sous le règne d'Omar. A cette époque les Arabes demandèrent au khalife de partager entre eux la terre conquise, conformément au principe qui régit les terres prises les armes à la main. Mais 'Omar refusa en disant : Que restera-t-il alors pour les Musulmans qui viendront après vous? Il traita donc le Sawâd comme pays conquis à la suite dune capitulation, y maintint ses habitants en leur imposant la capitation (djizya) et l'impôt foncier (kharâdj). Quant à la terre elle-même, elle était considérée comme waqf. Cf. l'analyse du chapitre II de l’Histoire de Bagdad, par al-Khâtib, apud Salmon, Introduct. topogr. à l'hist. de Bagdad, pp. 15-20; aussi Yakout, Mou’djam, III, 174 et sq. Sur l'étendue du Sawâd, voy., outre le passage de Yakout, Ibn Khordadbeh, le Livre des routes et des provinces, pub. trad. et ann. par Barbier de Meynard, p. 131 et sq.; De Slane, Notice sur Codama et ses écrits (Journ. asiat., Paris, XX, 1862), p. 163); Dr Saint-Martin, Recherches sur la Mésène et la Characène, Paris, 1838. Sur les accroissements du Sawâd par les alluvions de l'Euphratie, voy. Maspero, Hist. ancienne des peuples de l'Orient, I, 549-550.
[199] Littéralement : partage.
[200] D'après une tradition rapportée par al-Khâtib al-Bagdadi, apud Salmon, Introduct., p. 77, au moment où Mansour donna l'ordre de commencer les travaux, il s'était écoulé 144 ans, 4 mois et 5 jours depuis l'Hégire.
[201] Cet Imâm, né à Koûfa en 80, mort à Bagdad en 150, est trop connu pour qu'il soit besoin de donner ici une notice. Voy. la bibliographie dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litter., I, 169-171 ; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, p. 234; de Hammer-Purgstall, Litteraturgesch. der Araber, III, 96 ; V, 281.
[202] Et d'en surveiller la fabrication, ajoute al-Khâtib al-Bagdadi. Cf. Salmon, op. cit., p. 84.
[203] Ce passage a été en partie traduit, en partie analysé par S. de Sacy, Chrest. arabe, I, 69. Le qasab est un roseau de tj aunes et demi de long. Les briques étant d’égale épaisseur ou à peu près, on les mettait sur un même rang et on les mesurait pour avoir le nombre. Cf. al-Khâtib, op. cit., p. 84.
[204] Selon le récit d'un témoin oculaire, d'un architecte, rapporté par al-Khâtib, op. cit., p. 84, la rangée de briques comptait à la base du mur 162.000 briques; à partir du tiers de la hauteur du mur. la rangée n'en contient plus que 150.000 et seulement 140.000 depuis les deux tiers du mur jusqu'à son couronnement. Ces chiffres ne semblent pas concorder avec les dimensions indiquées par Al-Fakhrî, car, à son couronnement, le mur, large de 50 coudées à sa base, n'a plus que 20 coudées, c’est-à-dire qu'il a perdu les 3 cinquièmes de son épaisseur, tandis que la rangée de briques, qui comptait 162.000 à la base, compte, au couronnement, 140.(100, c'est-à-dire quelle n'a perdu qu'un septième environ de sa largeur déterminée par le nombre des briques. On pourrait peut-être concilier ces chiffres en supposant que le nombre des briques indiqué s'appliquait à la base du mur à la surface du sol et que ce nombre était encore beaucoup plus considérable au-dessous du sol, dans les fondations.
[205] Coran, VII, verset 125. Cf. aussi al-Khâtib, op. cit., p. 76.
[206] 145 ans, 6 mois et 4 jours depuis l'Hégire. Cf. al-Khâtib, op. cit., p. 77. Cependant le mur (l'enceinte ne fut terminé que plus tard, en l'année 149, ibidem. De même le fossé.
[207] Les historiens ne sont pas d'accord sur ce chiffre. Yakout (loc. cit.), citant al-Khâtib, donne 4.883.000 dirhems et à un autre endroit : 18 millions de dinars Yakout, I, 682, 683.
[208] Khalid, fils d'as-Salt. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, V, 440.
[209] Al-Khâtib (op. cit., f° 18 recto du manuscrit de Paris) explique le nom de Bagdâdz en le décomposant en deux mots : 1° Bagh, nom d'une idole chez les Persans ; 2° dâdz … qui signifie donner. Ce serait donc « Dieu donnée », comme l'a expliqué Oppert, Expédition scientifique en Mésopotamie, I, 92.
[210] On disait aussi Maghdân, avec permutation du bâ et du mîm, ce qui est fréquent dans les langues sémitiques. Cf. Max Streeck, Die alte Landschaft Babylonien nach den Arab. Geographers, I, p. 49.
[211] Cette explication est donnée par Yakout, Mou’djam, II, 954, d'après Azhari. D'après une autre opinion rapportée par ce même auteur (loc. cit.) le nom de Zawrâ' est dû à ce que les portes intérieures de la ville étaient placées obliquement par rapport aux portes extérieures. C'est aussi l'explication adoptée par Aboulféda, Géographie (trad. Stan. Guyard), II, 2e partie, p. 76. Enfin, selon une autre opinion, ce nom s'applique au Tigre, à cause de l'inclinaison de son cours. Dans cet ordre d'idées, cf. la désignation de Mossoul sous le nom de Hadbâ (la Bossue).
[212] Ou de la Paix. C'est ainsi que le nom de cette ville a été traduit par Pocock : Eutychius, Annales, II, 399. « Tum Bagdadum condidit, quam Madinat ol-Salam (urbem pacis) appellavit. »
[213] C'est ce que dit aussi al-Khâtib, Introduction, trad. Salmon, p. 79.
[214] Cf. Massoudi, Prairies d’or, VI, 189 et 199 et sq.
[215] La biographie de cet 'alide est donnée par le Kitab al-aghâni, WIII, 203, 209 : voy. aussi l'Index de cet ouvrage, p. 435. On trouve aussi une intéressante notice sur ce personnage dans le manuscrit arabe de Paris, n° 2066, f° 33 v°. (Diction. biograph. intitulé Al-Wâfi bil-Wafayât, par Khalil Ibn Aibak as-Safadî). Les auteurs ne sont pas d'accord sur le nom de son grand-père. Les uns le nomment Hasan, comme dans le Fakhrî, les autres Housain. Il en est même comme Massoudi (Prairies d’or, VI, 93 et sq. et 107 et sq.) qui lui donnent l'un ou l'autre nom dans différents passages du même ouvrage. La vérité est qu'il se nommait Hasan, comme cela se trouve dans le manuscrit que j'ai cité ci-dessus et comme la démontré Sacy (Chrest. arabe, I, 35, note 1), d'après un autre manuscrit de la Bibliothèque nationale.
[216] Le récit qui suit est extrait d'Ibn al-Athir, Chronicon, V, 397.
[217] Cet 'Ali était surnommé Al-Khair (le Bon) ou Al-'Abid (l'adorateur). Voy. Massoudi, Prairies d’or, VI, 199; Ibn al-Athir, Chronicon, V, 397.
[218] Les historiens arabes ne sont pas d'accord sur le nom du personnage auquel appartenait ce sobriquet. Khalil ibn Aibak as-Safadî, dans son Wâfi bil-Wafayât manuscrit arabe de Paris, n° 5860, f° 214 r°), dit que le personnage qu'on désignait sous le nom d'ad-Dîbâdj Al-Asfar se nommait Muhammad, fils de Djafar as-Sâdiq, fils de Muhammad al-Bâqir, et qu'il périt à la suite d'une révolte sous le règne de Mamoun, en 203 ou 204 (= 818 ou 819 de J.-C). Cela est confirmé par Massoudi, Prairies d’or, VII, 57.
[219] Ibn al-Athir, Chronicon, V, 401.
[220] Ce personnage était surnommé le Mahdî. Il était le deuxième des sept fils d’Abd-Allah, surnommé al-Mahd. Les autres étaient : Ibrahim, dit le martyr de Bâkhamra, Moussa, dit al-Kâzim, Yahya qui fut tué par Haroun er-Rachid, Edrîs, 'Ali et Soulaimân. Voy. le manuscrit arabe de Paris n° 2022 (Généalogie des Alides) fos 16 verso; 44 v°; 45 recto et verso, 53 verso et sq. Cf. Sacy. Chrestom. arabe, I, 35, note 11. Kitab al-aghâni, XVI, 275-276.
[221] C'est 'Abd Allah, dit al-Mahd, voy. ci-dessus.
[222] Le mot considérable n’est pas dans le texte arabe, mais il est implicitement compris dans le mot « hommes », qu'il faut entendre dans le sens du mol vir des Latins.
[223] Djafar dit as-Sâdiq (le Véridique) était le fils de Muhammad, dit al-Bâqir, fils d'Ali, surnommé Zain al-'âbidîn (la grâce des adorateurs), qui était lui-même fils de Housain, fils du khalife 'Ali. Il a laissé une grande réputation d'alchimiste et eut, pour disciple, le fameux Géber (Djâbir, fils de Hayyân). Né en 80 ou 83 (= 699 ou 702 de J.-C), il mourut à Médine en 148 (= 765) et fut enterré au cimetière d'al-Baqi', dans un caveau où reposaient déjà son père et son grand-père. Cf. Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 130 ; Kitab al-aghâni, Index, p. 270: Massoudi, Prairies d’or, VI, 93-96, 165 ; Sacy, Chrestom. arabe, II, 92, 95 et surtout 298 et sq.
[224] Voy. sur ce malheureux 'Alide, le Kitab al-aghâni, XVIII, 109 et Index, p. 198; Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 287 (Lis. fils de Hasan); Massoudi, Prairies d’or, VI, 190 et suiv. ; Sacy, Chrestom. arabe, I, 35, note 11.
[225] C'est le nom d'un lieu situé à 16 parasanges de Koûfa. Voy. références dans Sacy, Chrestom. arabe, I, 36, note 12. (Lis. Bâkhamrâ); Kitab al-aghâni, XVI, 4; XVII, 109; Massoudi, Prairies d’or, VI, 194, 195; Yakout, Mou’djam, t. I, s. v.
[226] Il ne saurait être question, à l'occasion d'une note, d'indiquer les origines probables du mahditisme, ni d'exposer l'histoire de ce mouvement religieux dans l’Islâm à travers les siècles, encore moins de parler des sectes qui ont pullulé autour de l'Islâm dit orthodoxe. Nous ne pouvons que renvoyer aux travaux de Darmesteter, le Mahdî; E. Blochet, les Croyances messianiques, et subsidiairement aux travaux sur la secte des Ismaéliens, tels que ceux de Defrémery, Histoire de la secte des assassins ; Paul Casanova : Stanislas Guyard. etc. etc., et à un travail intitulé : Mahomet et la fin du monde, que M. Casanova a annoncé comme devant paraître prochainement.
[227] Ou préféré à eux-mêmes.
[228] D'après Ibn al-Athir (Chronicon, V, 405-406), il s'appelait Housain, fils de Sakhr, mais descendrait d'Aws (ou plutôt Ouwais), fils d'Abou Sarh al-'Amirî. Ce qui confirme celle identification, c'est que plus loin (p. 406) Ibn al-Athir dit que « quelques jours après, quand la nouvelle fut vérifiée, le khalife fit sortir al-Ouwaisi, c'est-à-dire le descendant d'Ouwais ».
[229] Le texte dit littéralement : « Certes j'agirai avec toi et je ferai. » Les expressions de ce genre n’ont pas, en réalité, d’équivalents en français ; leur traduction littérale conduirait à des non sens, car, si elle est étymologiquement exacte, elle ne tient aucun compte du sens réel que les Arabes attribuent à ces mots. Il y a encore une foule d'autres locutions de ce genre dont le sens ne peut être déterminé que par le contexte. Mais ce n'est pas ici le lieu d’en parler.
[230] Ces lettres sont rapportées tout au long dans Ibn al-Athir, Chronicon, V, 408 et suiv.
[231] Cf. le récit d’Ibn al-Athir, op. cit.. 414 et suiv.
[232] La révolte d'Ibrahim eut lieu pendant que Mansour était occupé à la fondation de Bagdad. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, V, 428; G. Weil, Geschichte der Chalifen, II, pp. 53-55.
[233] Proprement, le simât est une pièce de cuir sur laquelle on range les plats. Cf. Dozy, Supplément aux dict. arabes, I, 684, s. v.
[234] A 16 parasanges de cette ville. Cf. Ibn Al-.Athir, Chronicon. V, 434 ; Yakout, Mou’djam, s. v.
[235] Ce récit est l’abrégé d'Ibn al-Athir, loc. cit.
[236] Campé dans un lieu nommé Douloûk. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, V, 351. Sur cette localité, voy. Sacy, Chrestomathie arabe, III, p. 109, note 33.
[237] Leurs noms sont donnés par Ibn al-Athir, loc. cit. Ce sont, entre autres, Abou Ghânim at-Tâ'î et Khoufâr al-Marwarroûdzî.
[238] Ce récit est emprunté à Ibn al-Athir, Chronicon, V, 355.
[239] Plutôt dans les fondations. Cf. G. Weil, Geschichte der Chalifen, II, p. 58.
[240] Le contenu de cette lettre est donné par Ibn al-Athir, Chronicon, V, 359.
[241] Littéralement: une lettre dont voici le sens. C'est la formule dont les Arabes se servent généralement quand ils ne sont pas à même de rapporter textuellement les termes du document cité.
[242] Abou Houmaid al-Marwarroûdzi, sur lequel voy. Ibn al-Athir, Chronicon, V, 360.
[243] Mansour. C'est une manière de s'exprimer tout à fait arabe.
[244] Il était alors à Houlwân. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, V, 360.
[245] Abou Nasr Malik, fils d’al-Haitham al-Khouzâ'i, fut un des premiers conjurés, au service des 'Abbâsides. Cf. Ibn al-Athir, V, 39 et passim.
[246] C'est le récit textuel d'Ibn al-Athir. Chronicon, V, 361.
[247] … Il est évident que c'est Abou Mouslim qui continue de parler.
[248] Abou Nasr, dit Ibn al-Athir, Chronicon, V, 362.
[249] Sous les ordres d’Othman fils de Nahik, dont il a été question ci-dessus. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, V, 364.
[250] Le manuscrit (f° 158 recto, l. 6) porte ici, en marge, à l'encre rouge « C'est-à-dire sous son tapis de prière ». Cette glose me semble être de la même main que le reste du texte, c’est-à-dire qu'elle émane du copiste.
[251] Littéralement : laisse cela.
[252] Le texte d'Ibn al-Athir (Chronicon, V, 364) n'a pas de négation et donne « Je ne crains même pas Allah ». Le texte d'Ibn al-Tiqtaqâ me paraît plus exact.
[253] C'est le verset 151 du chapitre II du Coran. On sait que les Musulmans récitent souvent ce verset en présence d'un événement grave ou complètement inattendu. C'est le pendant du « Béni soit le Juge Intègre ! » usité chez les Israélites de l'Afrique du Nord dans des circonstances semblables.
[254] Les 'Abbâsides.
[255] Tout ce récit du meurtre d'Abou Mouslim est visiblement copié d'Ibn al-Athir, Chronicon, V, 358-366.
[256] Ce personnage est nommé Sanfâd par Massoudi, Prairies d’or, VI, 188, mais voyez Ibn al- Athir. Chronicon, V, 368.
[257] Le meurtre d'Abou Mouslim avait soulevé toutes les populations du Khorasan, où le général avait de très nombreux partisans. On en était venu à le considérer comme une sorte de demi-dieu ; on ne croyait pas à sa mort, mais seulement à son absence, car il devait, d'après ses sectateurs, reparaître un jour pour les délivrer et régner sur le monde. Cette secte porta différents noms et se fractionna en diverses branches. Ce n'est pas ici le lieu d'en parler en détail. Cf. Massoudi, Prairies d’or, VI. 186 et suiv.
[258] Le manuscrit A (f° 159 recto) porte ici, d'une autre main, la glose suivante « c'est-à-dire un de ceux qu'il (Abou Mouslim) a élevés pour l'amour de Dieu, autrement dit qu'il a été élevé par lui. »
[259] D'après Yakout (Cf. Dictionn. Géograph. de la Perse, par Barbier de Meynard, p. 151), le Djibâl « comprend tout le territoire circonscrit entre Ispahan jusqu'à Zandjân, ainsi que Qazvin, Hamadhan, Dinawar, Qirmicin et Rey. » C'est, ajoute cet auteur, le pays que les Persans ont l'habitude de nommer l’Iraq al-'adjamî l’Iraq persan.
[260] Tout ce passage est conforme au récit de Massoudi et semblerait même emprunté à cet auteur. (Cf. Prairies d’or, VI, 189), si l'emploi des mêmes expressions ne révélait pas qu’il a été copié d'Ibn al-Athir, Chronicon, V, 368-369. Voy. aussi G. Weil, Geschichte der Chalifen. II, 34.
[261] Littéralement : « Que ferai-je des serments qui sont dans mon cou et dans les cous des gens ».
[262] Ces peines ne sont pas applicables en vertu de la loi à tous les cas de parjure. Ce sont plutôt des peines volontaires auxquelles on se condamne d'avance pour le cas où l'on violerait son serment. Cette liste n’a rien de limitatif et l'on peut s'imposer toute autre obligation comme peine volontaire du parjure (hanth). Mais, à défaut d'indication, la loi musulmane énumère les moyens d'expiation (kaffâra) auxquels on doit recourir en cas de parjure. Ce sont, au choix : 1° la distribution de dix vêtements à dix indigents; 2° l'affranchissement d'un esclave : 3° la donation à dix pauvres d'une mesure (moudd) de nourriture à chacun; 4° le jeune de trois jours. Ce dernier moyen est subsidiaire et l'on ne doit y recourir que dans le cas où l'on ne peut expier son parjure par l'un des trois moyens précédents. Voy. notre traduction de Wancharisi, dans Archives marocaines, t. XII, p. 176.
[263] Tout ce récit a été emprunté au textuellement le texte d'Ibn al-Athir, Chronicon, V, 442.
[264] Comme on le voit, le verbe ne signifie pas nécessairement « exciter, pousser quelqu'un à assassiner un autre » (comme dans Dozy, Supplém. aux dict. arabes, II, p. 816, l. 17), mais aussi pousser quelqu'un contre un autre, le soudoyer contre lui.
[265] Ibn al-Athir, Chronicon, V, 144, ajoute un mot, qui change le sens de la phrase : « Si tu lui cédais le pas, les soldats cesseraient (de te maltraiter). » Il est possible que ce mot ait été omis par le copiste du Fakhrî, car, pour tout le reste, le récit est identique.
[266] Cf. le récit d’Ibn al-Athir, Chronicon, V. 144.
[267] Il y a dix endroits qui portent ce nom. Yakout, dans son Mouchtarik, s. v., en cite neuf et le dixième, situé à côté de Valence, est cité par Ibn Khallikan, Wafayât, notice 682, in fine. Celui dont il est question au texte n'était, à l'origine, qu'un quartier de Bagdad. Ce quartier était situé sur la rive gauche du Tigre et était entouré d'un mur d'enceinte et d'une mosquée (Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, VI, p. 270). Il renfermait le palais de Mahdî, la mosquée et un cimetière, où furent enterrés dans la suite la plupart des khalifes. C'est là que plus tard s'élevèrent les palais des sultans Bouyides. C'est au palais de Rousâfa que Mamoun, vainqueur de son frère Amin, descendit en l'année 204 (= 719), en entrant à Bagdad (Cf. Hans Keller, Das Kitab Bagdad von Abû-l-Fadl Ahmad ibn Abî Tahir Taifür, p. 3). Le Prédicateur de Bagdad donne dans son histoire de Bagdad (Cf. Salmon, Introduction, pp. 102-103) le récit de la fondation de Rousâfa. Ce palais, devenu ensuite avec ses dépendances une ville, aurait été construit par Mansour à la suite d'un voyage de son fils de Mouhammadiyya à Rey. Il ajoute que Rousâfa était encore appelée 'Askar al-Mahdî (le Camp de Mahdî) en souvenir de la station qu'y fit ce prince avec son armée lors de son voyage à Bayy. Cet auteur rapporte deux dates pour l'achèvement des travaux du palais : 154 et 159, mais il ne dit rien des raisons politiques qui, d'après le P'alihri, auraient déterminé Mansour à construire ce palais et à transporter une partie de l'armée sur l'autre rive du Tigre. Sur Rousâfa, voy. encore Yakout, Mou’djam ; Aboulféda, Géographie, trad. Stan. Guyard, II, 1ère partie, p. 258 ; Ibn Haukal, Géographie, éd. de Goeje, p. 164; G. Weil, Geschichte, II, 79.
[268] Qoutham était un des compagnons de Mahomet. Il prit même part à l'enterrement de celui-ci et autres préparatifs des funérailles avec son frère Fadl, 'Ali, Ousâma, fils de Zaid, 'Abbas et Chouqrân, un affranchi du Prophète. Cf. Ibn Hicham, Sirat, 1018-1019; Tabari, Annales, I, 1830-1831; Prince de Teano, Annali del Islâm, t. II, année XI, 147 ; Kitab al-aghâni, Index, p. 552 ; Caussin de Perceval, Essai, III, p. 329. Toutefois je me demande s'il n'y a pas là une confusion de la part des historiens, car il faudrait croire que ce Qoutham avait au moins 160 ans à cette époque. La vérité est qu'il y a deux Qoutham : celui qui a été le contemporain de Mahomet était le petit-fils d’Abd al-Mouttalib. Au contraire, celui dont il s'agit ici est désigné par les historiens sous le nom de Qoutham, fils d’Abbas, fils d’'Abd-'Allah. Il fut nommé par Mansour gouverneur du Yémâma en l'année 143 de l'Hégire (= 750 de J.-C.) et destitué en 159 (= 775). Quand la lettre de destitution arriva dans le Yémâma, Qoutham venait de mourir. Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, V, 389, 461 et VI, 27; Massoudi, Prairies d’or, VI, 161; G. Weil, Geschichte der Chalifen, I, 246-247.
[269] Ibn al-Athir (Chronicon. V, 461-462) dit que Qoutham commença d'abord par une ruse qui mit la division entre les diverses fractions de l'armée de Mansour. Celui-ci craignait surtout une coalition de ses troupes contre lui. Mais Qoutham, pour les opposer les unes aux autres, imagina le moyen suivant : ayant fait venir un de ses esclaves, il lui ordonna de venir se poster le lendemain sur le chemin que lui-même, Qoutham, devait traverser pour arriver au palais du khalife et là, en présence de toute l’armée, l'adjurer par Mahomet, par 'Abbas et par le khalife de lui dire quels étaient les Arabes les plus nobles, ceux du Yémen ou ceux de Modar. Le lendemain. Les choses se passèrent comme il était convenu. Le vénérable vieillard fit semblant un moment de ne pas vouloir répondre, puis à haute voix, de manière à être entendu de tous, il affirma que la tribu de Modar, qui a donné le jour à Mahomet, est la plus noble de toutes les tribus arabes. Les gens du Yémen, irrités, envoyèrent un des leurs arrêter par derrière la mule de Qoutham. Mais les Modarites prirent la défense de leur cheikh et coupèrent le bras au Yéménite qui l’empêchait d'avancer. A partir de ce moment, il y eut dans l’armée autant de partis que de tribus différentes et Mansour n'eut plus à craindre leur coalition.
[270] En l'année 154 ou 159 de l'Hégire (= 770 ou 775), d'après les traditions rapportées par le Prédicateur de Bagdad, Introduction, trad. Salmon. p. 102.
[271] Cf. la citation d'Ibn Khallikan dans Dozy, Supp. aux dict. arabes, II, p. 325, s. v.
[272] On sait que ce mot désigne l'état de préparation pieuse dans lequel se met le pèlerin dès le moment où il arrive sur le territoire sacré de La Mecque.
[273] Vizir de Mansour.
[274] Des deux versions qu’Ibn al-Athir [Chronicon. VI, 22-23] a données de la mort de Mansour et de la proclamation de Mahdî, notre auteur a préféré copier la seconde, celle qui montre les 'Abbâsides sous un jour moins favorable, comme ayant obtenu par surprise l’assentiment du peuple. L'autre version, plus naturelle, est rapportée tout au long par Ibn al-Athir, loc. cit.
[275] C'est ce que dit aussi Yakout (Cf. Barbier de Meynard. Dictionn. géograph., etc., p. 548) sans rien ajouter d'autre. De même Ibn Khallikan (Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 273), qui donne la biographie de ce vizir. On trouve aussi sur lui une intéressante notice dans le manuscrit arabe, n° 2066 de la Bibliothèque nationale (Al-Wâfi bil-Wafayât, par Khalil ibn Aibak as-Safadî, f° 171 r°. Selon Ibn Khallikan. al-Moûriyâni succéda à Khalid, fils de Barmak, aïeul des Barmékides. Il fut disgracié en 153 (= 770 de J.-C.) et mourut en 155. Voy. aussi Kitab al-aghâni. IX, 126.
[276] Sur ce personnage, voy. Kitab al-aghâni, II, 51 ; XV, 128 ; XVI, 122. 123; Massoudi, Prairies d’or, VI, 214-215; Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 277. Il était qâdî de Koûfa en 120 (= 737 de J.-C). Il mourut en 144 (= 761). Cf. Ibn al-Athir, Chronicon, V, 170 et 402.
[277] En droit musulman, comme on le sait, la dot est payée par le mari ou ses parents.
[278] Ibn al-Athir, V. 466, donne un récit tout différent sur les causes de la disgrâce d’Abou Ayyoub al-Moûriyânî. D’après cet auteur. Mansour avait fait dans sa jeunesse un voyage à Mossoul, à l’époque où régnaient encore les Omeyyades. Là il se maria avec une femme originaire de l’Azd et quitta ensuite le pays, laissant la femme enceinte. Mais il aurait pris la précaution de lui remettre, avant de partir, un billet, en lui disant : « Si tu apprends un jour que les Hachémites sont arrivés au pouvoir, adresse ce billet à celui d'entre eux qui sera le chef suprême en ce moment, il le reconnaîtra. » Devenu khalife, Mansour, se faisait souvent envoyer, par son vizir Abou Ayyoub, de jeunes secrétaires du Diwan pour écrire sous sa dictée. Abou Ayyoub lui envoya donc un jour un jeune secrétaire nommé Djafar, que le khalife instinctivement prit en affection. Le jeune homme lui lit savoir, sur sa demande, qu'il venait de Mossoul et lui montra un billet que sa mère lui avait remis. C'était, comme on le devine, le billet de Mansour et le jeune homme n'était autre que son fils. Depuis, le khalife le faisait souvent venir auprès de lui, sous prétexte de lui dicter des lettres, et un jour il lui remit une somme d'argent pour aller ramener sa mère de Mossoul. Il partit. Mais le vizir, ignorant qui il était et jaloux de l'ascendant qu'il le voyait prendre sur le khalife, le fit assassiner en roule. C'est alors que Mansour, instruit de ce meurtre, frappa son vizir et comprit, dans sa disgrâce, un grand nombre de membres de sa famille.
[279] Je n'ai trouvé aucun renseignement sur ce poète, sauf, toutefois, son nom véritable qui serait Yazid, fils de Khalid al-Koûfi, d'après le manuscrit arabe de Paris, n° 5986, f° 178 r°, 'Abou Hilâb al-'Askarî : Kitab al-awâ’il.
[280] C'est le nom du vizir Abou Ayyoub.
[281] Il s'agit d'Abou Salama al-Khallâl dont le petit nom était Hafs.
[282] Voy. plus haut. Abou Ayyoub s'attendait toujours au malheureux sort qu'il a eu. On raconte même que la peur le faisait recourir à la sorcellerie, et qu’avant d'entrer chez le khalife il prenait toujours soin de s'oindre les sourcils avec un onguent magique, qui devait le préserver de tout mal. Cf. Massoudi, Prairies d’or, VI, 106.
[283] La biographie de ce célèbre vizir est donnée par Ibn Khallikan, Wafayât al-a'yân, éd. Wüstenfeld, notice 234. On trouve aussi, sur lui, une bonne notice dans le manuscrit arabe de Paris, n° 2064, f° 64, Al-Wâfi bil-Wafayât, par Khalil ibn Aibak as-Safadî. Quelques anecdotes, où ce vizir a joué un rôle, sont rapportées par le Kitab al-aghâni, voy. l'Index, p. 341. Cf. aussi de Hammer-Purgstall, Litteraturgeschichte der Araber, III, 46.
[284] C'est le nom d'Abou Farwa.
[285] Yathrib, comme on le sait, est un autre nom de la ville de Médine. Ibn at-Tiqtaqâ disait plus haut que c'est à La Mecque que Hârith était fossoyeur.