Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Au nom d'Allah le Clément, le Miséricordieux !
[13]Louange à Allah qui produit les causes, qui ouvre largement les portes, qui décrète les événements, qui règle la série des temps, qui existe nécessairement, qui crée les nobles caractères et est l'auteur des actes généreux, qui répand abondamment l’intelligence et qui donne toute chose !
Je reconnais qu'il est Celui qui possède le monde existant, le tenant asservi à sa grandeur. Je témoigne qu'il est le Créateur et que l'invisible[14] n'est pas voilé pour sa sagesse. Je me réfugie dans la majesté de sa Toute-Puissance pour qu'il m'épargne la honte du voile,[15] dans son abondante générosité, pour qu'il ne me demande pas un compte[16] trop rigoureux, et dans le mystère de sa science, pour qu'il me prescrive des châtiments annoncés dans le Livre.[17]
Et je prie pour les âmes célestes, rendues exemptes d'impuretés, et pour les corps terrestres que ne ternit aucune souillure. Ce qu'il y a de plus excellent parmi les prières les plus pures, ce qu'il y a de plus parfait dans les bénédictions les plus abondantes, je le réserve particulièrement à celui qui a fait entendre sa voix alors que les langues étaient acérées[18] à celui qui a le mieux indiqué le droit chemin, alors que les âmes étaient tombées dans la grossièreté et les cœurs dans l'endurcissement, à Muhammad, le Prophète illettré,[19] qui a reçu les marques de l'assistance divine[20] et les confirmations de la Toute-Puissance.
Je distingue aussi dans mes prières les saints membres de sa famille et ses pieux compagnons, qui avaient cru en lui lors de sa mission, qui l'ont aidé alors que tous l'abandonnaient, et je prierai pour eux, tant qu'un homme généreux répandra ses bienfaits, tant qu'un briquet fera jaillir du feu.
Et ensuite, ce qu'il y a de meilleur dans les occupations des plus distingués d'entre les rois, de plus excellent dans leur conduite, après les soins apportés par eux aux affaires du peuple et leur exactitude à assumer les charges du pouvoir dont ils ont reçu sans conteste le dépôt, c'est l'étude des sciences et l'ardeur à rechercher[21] les livres émanés des plus nobles esprits. Quant à la supériorité de la science, elle est évidente comme le soleil, elle ne laisse aucune prise au doute ni à l'incertitude.
Parmi les passages de la Révélation relatifs à ce sujet, il y a ces paroles du Très-Haut :
« Seront-ils donc égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas[22] ? » Et dans les hadiths paroles authentiques de Mahomet (que les bénédictions d'Allah et son salut soient sur leur auteur !) il est dit : « Certes, les anges abaissent leurs ailes pour porter celui qui recherche la science. »
Et au sujet du mérite des livres on a dit : « Le livre est le compagnon qui ne trahit pas, qui ne se lasse pas, qui ne te fait pas de reproches quand tu le traites durement et qui ne divulgue pas ton secret. » Mouhallab[23] a dit à ses fils : « mes fils, lorsque vous vous arrêterez dans les marchés, ne vous arrêtez que devant les marchands d'armes ou les marchands de livres. »
Lorsque Fath,[24] fils de Khâqân, siégeant en présence du khalife Moutawakkil, désirait se lever pour aller au bassin des ablutions, il tirait de la tige de sa botte un petit volume et ne cessait de le parcourir à l'aller et au retour. Une fois de retour auprès de sa Majesté le khalife, Fath remettait le livre dans la tige de sa botte.
Un khalife envoya chercher un savant pour passer la soirée à causer avec lui. Lorsque le serviteur du khalife arriva auprès du savant, il le trouva assis entouré de livres qu'il consultait. Le serviteur lui dit : « L'Emir des Croyants te demande. » Le savant répondit : « Dis-lui qu'il y a chez moi une société de sages avec qui je m'entretiens. Dès que j'en aurai fini avec eux, je me présenterai devant lui. » De retour auprès du khalife, le serviteur lui fit part de cette réponse : « Malheur à toi ! s'écria le khalife, quels sont donc ces sages qui étaient chez lui ? — Par Allah, ô Émir des Croyants, répondit le serviteur, il n° y avait personne chez lui. » Le khalife reprit : « Fais-le donc comparaître sur l'heure dans quelque état qu'il se trouve. » Lorsque le savant fut en présence du khalife, celui-ci lui dit : « Quels sont donc ces sages qui se trouvaient chez toi ? » Il répondit :
O Émir des Croyants,
Nous avons des compagnons dont la conversation ne nous lasse jamais, qui ont notre confiance et qui la méritent loin de nous comme près de nous.
Ils nous font acquérir, grâce à leur science, la science du passé et nous donnent bons conseils, bonne éducation, gloire et dignité.
Si tu dis qu'ils sont morts, tu ne te seras pas trompé à leur égard, et si tu dis qu'ils sont vivants, tu ne seras pas non plus traité de menteur.
Le khalife reconnut alors que le savant faisait par là allusion aux livres, et il ne lui reprocha pas son retard.
Djahiz[25] a dit : « J'entrai auprès de Muhammad fils d'Ishaq, émir de Bagdad à l’époque où il était investi du pouvoir. Il siégeait dans la salle du conseil, et les assistants se tenaient devant lui comme s'ils eussent eu chacun un oiseau sur la tête.[26] « Puis, quelque temps après, j'entrai chez lui; il venait d'être destitué. Il était assis dans sa bibliothèque, ayant autour de lui ses livres, ses cahiers, ses encriers, ses transparents.[27] Jamais je ne l'ai trouvé plus imposant qu'en cette circonstance. »
Moutanabbi[28] a dit :
La place qu'il est le plus honorable d'occuper en ce monde, c'est la selle d'un coursier rapide. Le meilleur compagnon sera à jamais un livre.
La science pare les rois plus encore qu'elle ne pare le vulgaire. Lorsque le roi est savant, le savant devient roi.
Les plus utiles parmi les livres que lisent les rois sont ceux qui embrassent toutes les règles de la conduite des rois, qui contiennent les récits historiques[29] et qui renferment dans leurs plis les curieuses anecdotes et les merveilleux vestiges du passé.
Toutefois, les vizirs détestaient jadis que les rois eussent la moindre notion des biographies et des annales, de peur que les rois ne parvinssent à comprendre certaines choses que les vizirs n'aimaient pas que les rois comprissent.
Mouktafî[30] demanda un jour à son vizir des livres qui le divertissent et dont la lecture lui fît passer le temps. Le vizir ordonna à ses lieutenants de lui procurer ces livres et de les lui soumettre avant de les porter au khalife. Ils réunirent donc quelques livres d'histoire où se trouvaient rapportés quelques-uns des événements du temps passé, guerres faites par les rois, récit de la vie des vizirs, connaissance des artifices employés pour extorquer l’argent des contribuables.
Le vizir, lorsqu'il vit ces livres, dit à ses lieutenants : « Par Allah, vous êtes, parmi tous les hommes, mes pires ennemis. Je vous ai dit : Procurez-lui des livres qui l'amusent et qui l'absorbent, de manière qu'il ne s'occupe ni de moi, ni d'aucun autre. Et voilà que vous lui avez procuré des livres qui lui feraient connaître les endroits où les vizirs trouvent leur perte, qui lui feraient découvrir les moyens par lesquels on pressure le peuple, et qui le mettraient à même de distinguer la prospérité du pays, de sa ruine. Rendez-les donc, ces livres, et apportez-lui en d'autres, contenant des historiettes qui l'amusent et des poésies qui le mettent en joie. »
De même, il déplaisait fort aux vizirs que les khalifes et les rois eussent quelque compréhension et quelque connaissance des affaires.
A la mort de Mouktafî, son vizir se proposa de faire proclamer khalife 'Abd Allah fils de Mou'tazz, qui avait des talents, de l'intelligence, le goût de s'instruire. Mais un des secrétaires les plus avisés du vizir prit celui-ci à part et lui dit : « vizir, ce dessein que tu as de faire proclamer khalife Ibn al-Mou'tazz ne vaut rien. — Comment cela ? dit le vizir.» Le secrétaire reprit: «. Quel besoin as-tu de faire asseoir sur le trône du khalifat un homme qui sait ce que c'est qu'une coudée, une balance et qui connaît les prix des denrées, qui s'entend aux affaires et sait distinguer le mal du bien, qui connaît ta maison, ton jardin, ton domaine ?Le meilleur avis est que tu fasses asseoir sur le trône un tout jeune garçon, en sorte qu'il portera le titre de khalife, tandis que tu le seras en réalité. Tu feras son éducation jusqu'à sa majorité, et à ce moment-là il reconnaîtra qu'il te doit son éducation, et toi, pendant le temps qu'aura duré sa minorité, tu auras eu tout loisir d'arranger tes affaires. »
Le vizir remercia son secrétaire de ses bons avis et abandonna 'Abd Allah fils de Mou'tazz au profit de Mouqtadir,[31] alors âgé de treize ans.
Dans les réunions intimes de Badr ad-Dîn Loulou'[32] (qu'Allah l'ait en miséricorde!), maître de Mossoul, ce qui faisait surtout l'objet de la conversation, c'était la récitation de vers badins et d'historiettes divertissantes. Mais, dès le commencement du mois de Ramadan, on apportait à Badr ad-Dîn des ouvrages historiques et biographiques, et Zain ad-Dîn le secrétaire et Izz ad-Dîn le traditionniste prenaient place auprès de lui pour lui lire les événements de l’Univers.
Ce que je viens d'avancer là m'amène à exposer le fait suivant : Lorsque le décret du destin m'eut imposé de faire halte à Mossoul la Bossue,[33] je m'y arrêtai sans que je me fusse exposé ni à ses averses ni à ses pluies fines.[34] J'y étais entré suivant cette parole du Tout-Puissant[35] (gloire à Celui qui l'a dite !) : « Et il entra dans la ville dans un moment d’inattention de ses habitants. »
J'avais formé l'intention de séjourner à Mossoul le temps nécessaire pour que le froid diminuât, pour que mon manteau me pesât, et ensuite de me diriger de là vers Tabriz. Une fois installé à Mossoul, il me revint de nombreux et divers côtés et de différentes personnes qui ne s'étaient pas concertées pour cela combien était éminent le mérite de son illustre possesseur, le maître obéi, le roi auguste, le plus excellent et le plus grand parmi les rois, le plus noble et le plus longanime des juges, Fakhr al-milla wad Dîn.[36] Allah l'a gratifié de qualités telles que si le temps les possédait, aucun homme bien né n'aurait sujet de se plaindre de ses vicissitudes, et personne n'en éprouverait plus de dommage[37] ; et si elles appartenaient à la mer, son eau ne serait plus ni salée ni saumâtre[38] et le navigateur n'en craindrait plus les flots ; et si les lunes les avaient conquises, le dernier jour du mois ne les atteindrait jamais.
[C'est Fakhr-ad-Dîn] 'Isa qui a fait revivre les vertus mortes,[39] et déployé le rouleau des actions généreuses, qui a rendu achalandé le marché des nobles actions à une époque où ce marché était dans le marasme. Il a érigé les piédestaux des bonnes œuvres, alors que leurs bases devenaient trop faibles pour en supporter le poids; il s'est constitué le défenseur des hommes bien nés dans un temps où ils sont moins que peu. Par sa générosité, il a empli leurs mains de bienfaits éclatants comme les taches blanches que le cheval porte au front et aux pieds,[40] et il a projeté sur eux une ombre de bonté qui ne se déplace jamais, et les a couverts d'une aile de miséricorde. Jamais il ne se lasse de les combler de ses largesses et de ses dons. Plus il augmente en puissance et en autorité, plus il se montre modeste et doux, et il n'atteint les sommets du pouvoir que pour y planter l'étendard de la générosité. Ce prince c'est Fakhr-ad-Dîn Isa, fils d'Ibrahim: Puisse Allah raffermir sa victoire, ne laisser transgresser ni son interdiction ni son ordre! cet homme qui a fait oublier la réputation des hommes les plus généreux, l'inébranlable fermeté des montagnes et la bravoure des lions :
Il réunit les qualités naturelles du soleil, des vents, des nuages, des mers et des lions !
C'est lui qui est au front de notre siècle une aigrette au collier de notre temps une perle dont aucune perle n'approche ici-bas, qui a confirmé ce qu'on raconte des hommes du passé et démontré la véracité de ce qui a été écrit sur les mœurs des premiers ancêtres. Et cependant Ibn ar-Roûmî[41] a dit :
Je crois que les choses se sont toujours passées telles que nous les voyons, et que ce qu'on raconte de l'ancienne libéralité est sans fondement.
Admettons même qu'il y aurait ou des hommes généreux, ainsi qu'on l’a prétendu, n'y aurait-il donc parmi eux aucun qui ait fait souche ?
Mais si Ibn ar-Roûmî avait connu le seigneur de Mossoul, il aurait certes ajouté foi à ce qu'il avait entendu conter sur les hommes généreux, et la maladie du doute n'aurait pas agité ses flancs.
Cet Arbitre (Fakhr-ad-Dîn), lorsqu'il fait régner sa noble intelligence et sa pensée fine sur les affaires du gouvernement et sur les choses de la royauté, pour lui les difficultés s'aplanissent, les rochers les plus durs s'amollissent, les secrets se dévoilent, et il devient difficile de répéter avec [le dicton populaire] : dans les recoins se cachent les secrets. Chez lui, la vigueur de la justice est entière, ses bases inébranlables. Aussi, que son imposante majesté ne soit pas pour toi un sujet d'inquiétude, car derrière elle, se cachent de la bonté pour le faible, de la compassion pour le pauvre et de la consolation pour l'homme brisé par l'infortune.
Il a des habitudes de belle indulgence[42] par lesquelles il captive l'homme libre, et délivre de ses liens l'affligé.
J'assistai un jour à son auguste audience. C'était un jour où la pluie tombait avec violence. Il avait fait consigner sa porte. Mais la pluie redoublant, il dit aux huissiers : <( Si quelqu'un se présente à la porte demandant quelque chose, faites-nous connaître sa requête. » Puis il ajouta : « Certes, on ne se présente pas par un temps pareil à moins que ce ne soit pour une chose indispensable, et il ne serait pas permis de renvoyer le solliciteur déçu. »
Par Allah ! peut-on mettre dans un livre comme celui-ci, qui voudrait être le recueil des plus beaux traits du passé, autre chose que des histoires comme celle que je viens de raconter ?
Quant à l'énergie déployée par le seigneur de Mossoul dans sa politique, elle est énorme, sans jamais se prêter à aucune injustice. Mais ne te laisse pas tromper par sa douceur et par son affabilité souriante, car sous cette bonté se cachent un courage capable de dompter les lions et une énergie redoutable au gouvernant et au gouverné.
Il est la mer ; plonge-toi dans ses flots quand elle est calme mais tiens-toi sur les gardes et évite-la lorsqu'elle écume.
Pour la force de pénétration de son esprit et pour sa vigilance, il a ces qualités au même degré qu'a dit Moutanabbi :
A son œil tu reconnais ce qu'il est vraiment ; on croirait que son œil est enduit du collyre de la pénétration.
Lorsque sa pensée y allume ses feux, j'en tremble pour lui, car j'ai peur qu'il ne s'enflamme tout entier.
Et pour la puissance de son intelligence instinctive et de son discernement parfait, je crois que les plus intelligents parmi les rois anciens, s'ils avaient assez vécu pour le voir à l'œuvre, auraient appris à son école comment on gouverne les foules et comment on administre les affaires publiques.
Et pour sa féconde générosité, qui dépasse toutes limites et qui déborde de toutes parts, c'est une mer ; parles-en sans crainte (d'être taxé d'exagération).[43]
Car s'ils vivaient encore, ces hommes dont la générosité est passée en proverbe, et qui sont restés sans rivaux, sans égaux, ils apprendraient de lui les profonds secrets de la générosité et acquerraient, à son exemple, les belles qualités du caractère. Et si j'étais juste, je devrais renoncer à décrire chez lui cette qualité éminente entre toutes, vu mon impuissance à embrasser l'ensemble de cette description, et à remplir le cadre comme il convient. Mais ce que je dirai du moins, dans la mesure de mon talent et de mes moyens, c'est qu'il a pour ce bas monde le même mépris qu'en ont les saints et qu'il en est détaché autant que les ascètes, au point que si, dans sa générosité, il donnait le monde entier et y ajoutait encore le double, son mépris est tel pour les richesses de ce monde qu'il croirait s'être montré avare. Il donne à la manière de celui qui ne laisse pour lui que la bonne renommée et qui la ressuscite; il épuise ses richesses et il s'acharne à les détruire. C'est d'un tel homme qu'on a dit :
O critique importun, ce n'est pas la libéralité qui me fera périr, et ce n'est pas l'avarice sordide qui rendra éternelle l'âme qu'elle possède.
Les belles qualités de l'homme de cœur seront encore vantées, alors que ses os seront enfouis dans la terre, alors que leurs débris seront tombés en poussière.
Les nobles préoccupations du prince de Mossoul s'élèvent jusqu'à toucher les cieux et dépasser les Gémeaux; de là sa connaissance intime de la science des astres. Car un tel homme est arrivé à les connaître en s'élevant jusqu'à eux et en les abordant de près, non pas en appelant à son aide les calculs et l'astrolabe. Parvenu à ces hauteurs célestes, les astres des cieux lui ont confié leurs secrets. S'étant élevé à ces sublimes régions il a heurté les sphères célestes, et de l'Orient à l'Occident les sphères célestes lui ont conté leur histoire.
Ses grandes pensées ne connaissent pas de limites ; la moindre d'entre ses pensées est plus vaste que le temps.
Les précieuses richesses qu'il possède ne restent pas entassées dans ses coffres, elles n'ont pas d'autres maisons pour y être gardées que les maisons de ses solliciteurs.
Pour nous, si quelque jour nos dirhems se réunissent, c'est pour se disputer à qui s'envolera le plus tôt vers les chemins des nobles actions.
Le dirhem orné d'empreintes ne se familiarise pas avec noire bourse, il ne fait que passera côté et s'en va.[44]
L'ivresse n'influe pas autrement sur sa générosité que ne le fait le réveil de l’ivresse, lorsqu'il fait pleuvoir les ondées bienfaisantes de sa générosité.
Dégrisé, il renouvelle les présents qu'il a faits étant ivre, afin qu'on sache bien que chez lui cette générosité est consciente.
Ainsi, quand il répand ses bienfaits, ce n'est pas de lui qu'un envieux pourrait dire : c'est seulement sous l'empire de la boisson, fille de la vigne, qu'il se montre généreux.
Un des secrets de sa générosité, c'est qu'elle ne dégénère jamais en gaspillage, tout en étant la plus large du monde, car elle se répand sur le terrain le plus excellent et se déploie sur le sol le plus propice. Chaque fois qu'un homme se présente à lui plein d'espérance ou implorant sa charité, il s'empresse de venir à son secours avec la rapidité du torrent courant vers les basses vallées.
S'étant épris des actions généreuses, il en a passionnément aimé la gloire. Qu'ils sont rares les amoureux des actions généreuses !
Il a achalandé le marché de la gloire, alors que le marché de la gloire n'était pas jusque-là compté au nombre des marchés.
Célèbre donc ses bienfaits : ce sont moins des bienfaits que des colliers dignes d'orner les cous des belles.
Et baise le bout de ses doigts, car ce sont moins des doigts que des clefs du bien-être.
Et j'imagine, ô lecteur de ce livre, que tu as taxé d'exagération ce que tu viens d'entendre. Si tu as conçu quelque doute, considère les principaux personnages de ce siècle, tu trouveras qu'ils se disputent pour un atome, tandis que lui ne tient pas compte même d'une perle ; tu trouveras qu'ils sont ardents pour thésauriser, tandis que lui ne recherche avidement que la gloire voyageuse et la renommée ailée ; tu les trouveras comme possédés par l'amour de leurs enfants, alors que lui, c'est l'amour des mendiants et des solliciteurs qui l'absorbe tout entier ; tu trouveras qu'ils se soustraient au paiement des dettes, tandis que lui le regarde comme le plus excellent des profits.
Et regarde encore une fois, lu trouveras que, chez eux, les poèmes composés à leur louange sont dans le marasme, tandis qu'ils sont chez lui d'une bonne vente ; et considère, tu verras que, chez eux, les nobles actions sont figées comme la glace, tandis que chez lui elles coulent à pleins bords. Et regarde sa porte enfin, tu la trouveras peuplée de ceux qui lui apportent le tribut de leurs louanges, encombrée par les lettrés, les poètes, les hommes de grands talents et les hommes d'éloquence :
L'oiseau s'abat partout où il trouve à ramasser des grains ; c'est ainsi que les demeures des hommes généreux sont fréquentées.
Et par Allah ! il n'y a de vrai monde que le sien, et la véritable vie est celle qu'il mène et dont Allah l'a gratifié.
La vie, pour l'homme bien né, ne consiste pas à se coucher le soir rassasié à satiété, le corps alourdi par l'embonpoint,
Ni à s'adonner passionnément à l'usage du vin et à l'amour des gazelles du harem.[45]
La vraie vie, pour l'homme bien né, consiste à abaisser ses ennemis et à prêter main-forte à son client,
De manière à devenir à la fois un objet de crainte et d'espérance, à faire remarquer sa fortune et son luxe.
Et à appliquer son activité soit aux belles-lettres, soit au commandement.[46]
Mais reprenons le fil de notre récit et achevons notre discours. Les destins combinèrent donc qu'on prononçât mon nom en sa présence et qu'on lui donnât quelques détails à mon sujet. Ce qu'on lui dit de ma personne fit entrevoir à la clairvoyance de son esprit et à la justesse de sa conception la réalité de ma situation avant que nous nous fussions rencontrés. Il donna l'ordre que je fusse introduit auprès de lui pour lui offrir mes hommages. Lorsque je me présentai, la perfection de son attitude me remplit d'admiration, en même temps que sa beauté physique et sa noble conduite[47] dont j'étais témoin me charmèrent.
Ce que je lui récitai d'abord, ce furent ces vers de Moutanabbî :
Jusqu'au moment où mon désir me conduisit à lui, sa réputation n'avait pas cessé de m'accompagner dans toutes mes étapes.
Avant de le rencontrer, je croyais exagérés les récits qui couraient. Mais, après notre première entrevue, la renommée me parut inférieure à la réalité.
Puis il me prodigua sans cesse des bienfaits par lesquels il implanta dans mon cœur un grand amour pour lui et dont il recueillit louanges et gloire. Aussi ai-je pris la résolution de servir son auguste personne en composant ce livre pour lui tenir lieu de mémento[48] et pour qu'il constitue un souvenir de moi chez lui, de manière à ce qu'il pense à moi lorsque je me serai éloigné de sa haute seigneurie et que j'aurai quitté son vaste pays.
Dans ce livre j'ai parlé des vicissitudes des dynasties et des choses concernant la royauté; j'y ai mentionné ce qui m'a semblé curieux et intéressant dans la vie des grands princes, et ce qui m'a paru extraordinaire dans les biographies des khalifes et des vizirs.
J'ai disposé mon livre en deux sections. Dans la première j'ai traité de la conduite des sultans et des procédés de la politique royale, des qualités par lesquelles le souverain se distingue des sujets, de celles qu'il doit posséder, et des vices dont il doit être dépourvu ; j'ai parlé également de ses devoirs envers ses sujets, et des devoirs de ses sujets envers lui. J'ai orné mon discours sur ce sujet en l'incrustant de versets du Coran et de paroles authentiques hadiths du Prophète, d'anecdotes piquantes et de vers agréables.
La seconde section suit, dynastie par dynastie, l'histoire des empires les plus fameux, dont l'autorité a été universellement reconnue et dont les beautés ont atteint la perfection. J'ai commencé par la dynastie des quatre premiers khalifes: Abou Bakr, 'Omar, Othman et 'Ali (qu'Allah soit satisfait d'eux[49]), en observant l'ordre où ils se sont succédé. Puis j'ai passé à la dynastie qui reçut l'empire de leurs mains et qui est la dynastie des Omeyyades, puis à la dynastie qui succéda à ceux-ci, celle des 'Abbâsides. J'ai exposé ensuite l'histoire des dynasties qui régnèrent concurremment avec les dynasties principales comme celle des Bouyides, des Seldjouqides, des Fâtimides d'Egypte, le tout succinctement, car ce sont des dynasties qui ont existé concurremment avec les 'Abbâsides, mais dont l'autorité ne fut pas généralement reconnue. Dynastie par dynastie, je parlerai d'une manière générale de la vue d'ensemble qui est résultée dans mon esprit de la lecture des biographies et des annales. Je dirai quel fut leur commencement et quelle fut leur fin, et j'ajouterai un certain nombre de renseignements suffisants sur les belles qualités des rois de ces dynasties et les histoires de leurs sultans. Et si quelque renseignement les concernant échappe à mon esprit et que j'aie besoin de l'insérer, ou un vers remarquable, ou un verset du Coran, ou un hadîth (tradition) du Prophète, je le puiserai dans ses sources les plus sûres. Puis, en mentionnant les dynasties l'une après l'autre, je parlerai d'abord des généralités qui les concernent. Ensuite je passerai en revue, l'un après l'autre, leurs rois, en parlant des batailles célèbres et des événements mémorables qui ont eu lieu sous son règne. Puis, à la fin du règne de ce prince, je mentionnerai ses vizirs l'un après l'autre, ainsi que les anecdotes curieuses qui les concernent. Après avoir épuisé l'histoire du prince et de ses vizirs, j'aborderai le prince suivant et je raconterai les événements qui eurent lieu sous son règne de même que les biographies de ses vizirs, et ainsi de suite jusqu'à la fin de la dynastie 'abbâside.
Dans cet ouvrage, je me suis imposé deux obligations : l’une de ne pencher que du côté de la vérité, de ne rien prononcer qui ne soit l'expression de l'équité, de repousser la tyrannie de la passion, de m'affranchir de l’influence du milieu où j'ai grandi ou fait mon éducation, et de me considérer comme n'ayant aucune parenté avec ceux qui m'entourent, comme un étranger parmi eux.
L'autre, d'énoncer mes pensées au moyen d'expressions claires à la portée des intelligences, afin que chacun puisse en tirer profit, évitant les termes très difficiles par lesquels on cherche à montrer qu'on est disert et à prouver son éloquence. Souvent j'ai vu les auteurs de livres atteints de la manie de faire montre de beau style et d'éloquence. Et par suite, ce qu'ils voulaient dire restait cache, et ce qu'ils voulaient faire entendre demeurait impénétrable, en sorte que l’utilité de leurs livres se trouvait diminuée.
Parmi ces ouvrages est le Canon de la médecine qui a pour auteur Abou 'Ali Housain ibn Sinâ[50] de Boukhara. En effet, il a bourré son livre d'expressions obscures et de locutions difficiles à comprendre. Aussi a-t-il manqué le but qu'il se proposait : composer un livre utile ; et c'est pourquoi on voit la masse des médecins délaisser le livre; d’Ibn Sînà pour l'ouvrage intitulé Al-Malaki [51]dont le style «st facile et l'exposition intelligible.
Quant à mon livre, il est indispensable à quiconque gouverne les foules et manie les affaires publiques. Si les hommes l'accueillaient avec équité, ils ordonneraient à leurs enfants de l'apprendre par cœur et d'en méditer les idées après qu'ils les eussent eux-mêmes méditées. Car l'homme mûr ne peut pas plus s'en passer que le jeune homme ; le roi dont l'autorité s'étend au loin en a autant besoin que le roi d'une seule ville. Les détenteurs de la souveraineté en ont autant besoin que les hommes de lettres. En effet, l'homme qui se destine à s'entretenir avec les rois, à devenir leur compagnon et leur familier, a besoin de plus de choses que n'en contient ce livre, aussi ne peut-il négliger de savoir, au moins, ce qu'il contient.
D'ailleurs, ce livre, si on le considère avec équité, paraîtra plus utile que la Hamâsa[52] pour laquelle le public s'est passionné et qu'on fait apprendre par cœur aux enfants. En effet, pour la Hamâsa, tout le profit qu'on en tire, c'est d'inspirer l'amour de la bravoure, de l'hospitalité et d'un petit nombre de qualités morales dont il est parlé au chapitre intitulé bâb-al-adab « chapitre de la culture de l'esprit, enfin la pratique des différents genres de poésies. Mais du livre que voici, on peut tirer, outre les avantages que je viens de mentionner, les principes de la politique et les moyens du gouvernement. Il contient donc tout ce qui est dans la Hamâsa, tandis qu'on ne trouve pas dans la Hamâsa bien des choses qu'il contient. Il procure a l'intelligence, de la force, à l'esprit, de l'acuité, à la vue intérieure des choses, de la lumière. Il est pour l'esprit pénétrant ce qu'est une excellente pierre à aiguiser pour l'acier. Il est encore plus utile que les Séances[53] dont on est si entiché et qu'on désire tant apprendre par cœur. Tout le profit, en effet, qu'on tire des Séances, c'est de s'exercer à la rédaction et de prendre connaissance des différents genres de poésie et de prose. Je reconnais, il est vrai, qu'elles contiennent aussi des sentences morales, des ruses et des leçons d'expérience, mais elles sont de celles qui rapetissent le caractère, puisque tout cela est bâti sur la mendicité, la gueuserie et les ruses coupables pour obtenir quelque chose d'infime, de misérable. Si donc les Séances, à un certain point de vue, sont utiles, d'un autre côté elles sont nuisibles, et un certain nombre de personnes se sont aperçues de ce côté faible des Séances de Hariri et de Badi az-Zamân al-Hamadani.[54] Aussi les uns se sont-ils retournés vers le Nahdj al-balâgha[55] (La voie de l'éloquence) qui renferme des paroles de l'Émir des Croyants 'Ali, fils d'Abou Thâlib (sur lui soit le salut). C'est en effet le livre où l'on peut apprendre les sages maximes, les saintes exhortations, les sermons, la foi en un Dieu unique, la bravoure, la continence, l'élévation des sentiments; ses moindres mérites sont la clarté du style et l'éloquence.
D'autres ont adopté aussi le livre intitulé Al-Yamîni' par Al-'Outbî.[56] C'est un livre que son auteur a composé pour Yamin ad-Daula Mahmoud[57] fils de Soubouktéguîn et qui comprend les biographies d'un certain nombre de rois qui ont régné dans les régions orientales. Il s'y est exprimé dans un style d'une grande clarté, et cet auteur, s'il n'est pas un sorcier, est du moins un habile écrivain. Les Persans aiment passionnément ce livre et le recherchent avec ardeur. Et, par ma vie, c'est un livre qui contient en effet de jolies maximes et des biographies pleines d'originalité, outre ce qu'il renferme de différents genres d'éloquence et de diverses sortes de beau langage.
Mais peut-être se trouvera-t-il quelqu'un pour dire de moi : Il a exagéré la description trop élogieuse de son livre et il a fourré dans sa besace ce qu'il a voulu.[58] Or, l'homme est toujours aveugle sur les défauts de son enfant et de sa poésie.[59] Si mon critique se laisse aller à quelque doute, qu'il considère les livres composés sur cette même matière, peut-être n'en trouvera-t-il pas un qui réponde mieux que le mien aux intentions de son auteur.
Quant au Seigneur de Mossoul (puisse Allah rendre sa victoire éclatante et réjouir son cœur par le bonheur durable ! Allah, en lui donnant une intelligence puissante et une supériorité éclatante, l'a dispensé d'avoir recours aussi bien à mon livre qu'aux autres ouvrages analogues; mais parfois ses nobles préoccupations peuvent le fatiguer et lui faire oublier ce qu’il savait. Alors, s'il repose son noble esprit en jetant les yeux sur ce livre, il repoussera ainsi la lassitude, et se remettra en mémoire ce que lui avaient fait oublier les affaires.
Et je demande à la bonté d'Allah de ne pas refuser à ce livre deux avantages : l'un, qui me concerne, c'est qu'il recueille l'approbation du Prince afin que j'échappe au risque[60] de la honte ; l'autre, qui concerne le Prince, est qu'Allah ne le prive pas de tirer profit de mon livre dans ses paroles et dans ses actes. Certes Allah est le maître de toute faveur et le dispensateur de tout bienfait.
Parler de l’origine de la royauté et de sa véritable nature, de sa division en maîtrises religieuses et temporelles comme le khalifat, le sultanat, l'émirat et la wilâyat, dire ce qui dans tout cela a été réglé conformément à la loi divine et ce qui ne l'a pas été, exposer les systèmes divers soutenus par les penseurs[61] au sujet de l’imâmat la souveraineté), tel n'est pas le but de ce livre qui n'a pas été écrit pour ces investigations; il n'a été composé qu'en vue des principes de la politique et des règles de conduite dont on tire profit dans les événements qui se produisent et dans les conflits qui surviennent, dans la manière de gouverner les sujets, dans l’organisation défensive du royaume, dans l'amélioration des mœurs et de la conduite.
La première chose à dire, c'est que le roi éminent est celui qui, réunissant certaines qualités, est exempt de certaines autres.
Les qualités qu'il est désirable de trouver en lui sont :
1° L’intelligence, qui est le principe même de ces qualités et la plus excellente d'entre elles; c'est par l'intelligence qu'on mène les empires, voire même les religions. Et la description que nous en faisons là suffit;
2° La justice, grâce à laquelle on rend les finances prospères, les contrées florissantes, les hommes meilleurs.
Lorsque le sultan Houlagou conquit Bagdad en l'an 656 (1258), il ordonna que les 'Oulémas fussent consultés sur ce point : Lequel des deux a plus de mérite, du sultan infidèle juste ou du sultan musulman oppresseur ? Il réunit ensuite pour cela les 'Oulémas à l'université Moustansiriyya[62] ; mais lorsqu'ils prirent connaissance de la fétwa (consultation juridique), ils hésitèrent à répondre. Or, Radî ad-Din 'Ali fils de Tâwoûs était présent à cette séance et il était respecté et vénéré. Lorsqu'il vit l'hésitation des 'Oulémas, il saisit la fétwa et y apposa sa signature en donnant la préférence à l'infidèle juste sur le musulman oppresseur. Les autres apposèrent alors leurs signatures à la suite de Radî ad-Dîn.
3° La science, qui est le fruit de l'intelligence. C'est par elle que le roi voit clair dans ce qu'il doit rechercher ou éviter, qu'il se garantit contre les faux pas dans ses décisions et ses arrêts. C'est la science qui aux yeux du peuple comme aux yeux des grands fait la parure du roi, c'est par elle qu'il arrive à être compté au nombre des rois éminents.
Un sage a dit : « Le roi dépourvu de science est comme l’éléphant en rut, qui ne passe devant aucune chose sans la fouler aux pieds et l'abîmer. Il n'a, pour le maîtriser, ni la voix intérieure de l'intelligence, ni le frein de la science. Et sache que ce qu'on entend par la science, chez les rois, ce n'est pas la conception des questions compliquées, ni la connaissance approfondie des sciences, ni l'absorption dans leur poursuite. Mouâwiya[63] a dit: « Que c'est vilain pour un roi de chercher à se rendre trop savant dans une seule science! » Ce qu'on demande au roi, en fait de sciences, c'est qu'il ne soit familier avec elles que dans une mesure qui lui permette d'engager avec les savants des conversations qui amènent la solution des difficultés présentes. Il n'est pas nécessaire pour cela d'entrer dans de minutieux détails. »
Mouayyad ad-Dîn Muhammad fils d'al-'Alqamî,[64] vizir de Mousta'sim — ce fut le dernier vizir de la dynastie 'abbâside — engageait avec tout savant qui entrait chez lui une conversation en tout digne d'un homme intelligent, sensé et instruit. Il ne possédait pourtant pas les sciences à un degré éminent et n'en avait pas une très grande pratique.
Badr ad-Dîn Loulou prince de Mossoul, grâce à sa fréquentation assidue des gens du mérite le plus éminent et à la manière dont il se plongeait dans les vers et dans les histoires, trouvait de belles idées et pénétrait les questions les plus délicates, bien qu'il fût complètement illettré, ne sachant ni lire ni écrire.
'Izz ad-Dîn 'Abd al-'Aziz, fils de Djafar an-Nîsâboûrî[65] (de Nisâboûr) (Dieu l'ait en sa miséricorde !) grâce à l'habitude qu'il avait de faire sa société de gens de mérite, et grâce aux fréquents rapports que ceux-ci entretenaient avec lui, avait acquis une subtilité d'esprit qui lui permettait de découvrir de belles idées et de résoudre les énigmes compliquées plus vite que ces personnes elles-mêmes. Il n'avait pourtant pas la moindre instruction et malgré cela les gens le prenaient pour un homme supérieur. Son manque d'instruction demeura dissimulé même au Maître du diwan 'Alâ' ad-Dîn.[66] En effet, Ibn al-Kaboùch, le poète de Basra composa deux vers au sujet du sahib[67] Alâ' ad-Din, deux vers qu'il attribua à 'Abd al-’Aziz ; les voici :
O 'Ata Malik, tes dons égalent le royaume d'Egypte et un des serviteurs de ta cour est Al-’Aziz.[68]
Tu rétribues tout pécheur par le pardon, et c'est à tes pareils qu'il sied de récompenser ou de pardonner.
Abd al-’Aziz récita ces deux vers en présence du sahib 'Alâ' ad-Dîn et s'en prétendit l'auteur. La vérité demeura cachée au sahib. Je ne sais duquel des deux je dois le plus m'étonner, du sahib pour la manière dont il resta ignorant de ce qu'était au vrai 'Abd al-'Aziz, bien qu'il en eût pendant de longues années fait son compagnon en voyage comme en résidence, dans les entretiens sérieux comme dans les badinages, ou de 'Abd al-’Aziz lui-même, comment il a pu se plaire à une pareille vilenie, et comment il a eu l'audace de se rendre coupable de pareille chose à l'égard du sahib, sans appréhender que celui-ci, s'en apercevant, eût cette manière d'agir en profond mépris.
Les sciences que cultivent les rois diffèrent suivant leurs diverses manières de voir. Ainsi, pour les rois des Perses, ce qui constituait leurs sciences c'étaient les sages maximes, les préceptes moraux, les belles lettres, l'histoire, la géométrie et les sciences analogues. Pour les souverains musulmans, leurs sciences de prédilection furent les sciences philologiques, telles que la syntaxe grammaticale, la lexicographie, la poésie, l'histoire, à tel point que le barbarisme était à leurs yeux un des défauts les plus laids chez un roi[69] et que chez eux on devait souvent l'élévation de son rang au récit qu'on avait fait d'une seule anecdote, ou à un seul vers qu'on avait récité, voire même à l'heureux emploi d'une seule expression.
Sous la dynastie des Mogols, au contraire, toutes ces sciences furent délaissées et d'autres y furent en vogue, telles que la science des finances[70] et de la comptabilité pour l'établissement du budget, et la supputation des recettes et des dépenses de l'Empire, la médecine pour préserver les corps et les tempéraments, l’astronomie qui apprend à choisir les conjonctures favorables. Les autres sciences et les autres branches de la littérature y étaient délaissées, et je ne les ai vues en vogue qu'à Mossoul, sous le règne de ce Prince dont j'ai parlé plus haut. Puisse Allah étendre au loin son ombre protectrice et publier ses mérites !
4° La crainte d'Allah le Très-Haut. Cette vertu est le principe de tout bien et la clef de toute bénédiction. En effet, quand le roi craint Allah, les serviteurs d'Allah n'ont pas à craindre le roi.
On a rapporté que l'Émir des Croyants 'Ali (que le salut soit sur lui !) ayant appelé de sa propre voix un de ses esclaves, celui-ci ne lui répondit pas. Plusieurs fois il l'appela sans qu'il lui répondît. Un homme entra alors auprès d’Ali et lui dit : « Emir des Croyants, ce serviteur que tu appelles est debout à la porte, il entend ta voix et ne te répond pas. » Lorsque l'esclave se présenta devant Ali, celui-ci lui dit : « N'as-tu pas entendu ma voix? — Sans doute. — Qu'est-ce donc qui t'a empêché de me répondre ? — Je sentais n'avoir pas à craindre une punition de ta part, répondit le serviteur. — Gloire à Allah ! s'écria alors 'Ali, qui m'a fait du nombre des hommes dont ses créatures ne redoutent pas la colère. »
Et qu'elle est belle encore cette parole d'Abou Nouwâs[71] à Haroun al-Rachid :
D'abord je te craignais, puis j'ai repris confiance en songeant à la crainte que tu as d'Allah.
Haroun al-Rachid ne craignait pas Allah[72] ; la manière dont, sans qu'ils fussent coupables d'aucun crime, il traita les plus illustres fils de la famille d'Ali (sur lui soit le salut !), eux qui étaient les propres enfants de la fille de son Prophète, montre qu'il ne craignait pas Allah le Très-Haut; mais Abou Nouwâs, en disant ce qu'il dit là, agit suivant l'habitude des poètes.
5° Le pardon des fautes et le noble oubli des faux pas. Cette qualité est la plus grande des vertus, et c'est par elle qu'on gagne les cœurs et qu'on se concilie les esprits.
Parmi ce qui dans la Révélation exhorte à cette vertu est cette parole du Très-Haut : « Qu'ils pardonnent et qu'ils usent de clémence ! N'êtes-vous pas désireux qu'Allah vous pardonne[73] ? »
Mamoun était longanime et savait noblement pardonner. Il était connu comme tel. Di'bil,[74] le poète, l’attaqua dans un grand nombre de vers satiriques, parmi lesquels sont ceux-ci :
Je suis de ceux dont les épées ont tué ton frère[75] et font donné la gloire de t'asseoir sur un trône.
Ceux qui ont publié ton nom après qu'il a été longtemps obscur, et t'ont tiré de l’abîme le plus profond.[76]
Lorsque ces paroles parvinrent à Mamoun, il se contenta de dire : « Qu'Allah le combatte ! Qu'il est meilleur ! Quand donc aurais-je été obscur, moi qui ai grandi dans le sein du khalifat, moi qui ai été nourri de son lait ! » Et lorsqu'il apprit que Di'bil l'avait satirisé, il dit : « Celui qui a eu l'audace d'attaquer dans ses satires mon vizir Abou 'Abbâd,[77] comment n'oserait-il pas m'attaquer[78] ? »
Ces paroles, prises à la lettre, ne paraissent pas justes, elles ont besoin d'une interprétation, car elles sont le contraire de ce qui est habituel. En effet, c'était au vizir qu'il convenait de dire : « Celui qui a osé lancer des satires contre le khalife, comment n'oserait-il pas s'attaquer à moi. » Mais Mamoun a voulu dire ceci : « Comment celui qui a osé attaquer Abou 'Abbâd, malgré son caractère emporté, sa violence et sa promptitude à punir (et Abou Abbad était tel, en effet), comment n'oserait-il pas s'attaquer à moi, sachant ma douceur et mon indulgence. »
Et, si je ne craignais d'être trop long, je mentionnerais ici une quantité de rois qui se sont montrés longanimes ; mais cette section n'est pas destinée aux anecdotes[79] ; il s'en trouvera sur ce sujet, s'il plaît à Allah, dans la seconde section, de quoi satisfaire le lecteur.
Néanmoins il en est qui pensent que savoir garder la rancune est une qualité louable chez un roi.
Bouzourdjmihr[80] a dit : « Il faut que le roi soit plus rancunier qu'un chameau. » Et moi je lui chercherai querelle au sujet de cette parole et je dirai : « Comment peut-on dire cela ? étant donné que, lorsque le roi est rancunier, ses bonnes intentions envers ses sujets s'altèrent: il en vient à les haïr, à ne leur plus porter assez d'intérêt ni de pitié. Et lorsque ceux-ci s'en aperçoivent, leurs sentiments à l'égard de leur roi changent et leurs cœurs deviennent mauvais. Or, le souverain peut-il exécuter celles des affaires importantes de son empire qu'il se propose, peut-il parvenir à accomplir ses desseins tels qu'il les conçoit, si les cœurs de ses sujets ne sont plus purs? Et quelle sagesse est-ce là? Et y a-t-il là autre chose que le trouble apporté à la vie du roi, la haine inspirée à ses sujets pour lui, et un motif de lui aliéner leurs cœurs. Le poète des Arabes a dit :
Je ne leur porte plus mon ancienne haine. Ce n'est pas à un chef de tribu qu'il sied de garder la rancune.
Et cela d'autant plus que les hommes sont conformés naturellement pour le péché, pétris de l'abandon aux appétits naturels. Combien sont nombreux les motifs qu'ils fournissent de les haïr ! Il faudra donc que le roi passe toute sa vie, dans son irritation et sa haine contre eux, à s'imposer des soucis qui gâtent ses plaisirs et qui le préoccupent au détriment de beaucoup des affaires les plus importantes de son royaume. Et que de fois nous avons vu le peuple ou l'armée se précipiter sur leurs rois, leur arracher le manteau du royaume, voire même le manteau de la vie !
Commence, en effet, par 'Omar fils d'al-Khattâb, sur qui Abou Lou'loua,[81] esclave de Moughira,[82] fils de Chou'ba, s'était élancé pour ensuite le tuer. Prends, en second lieu, 'Othman fils d'Affân (Allah l’ait en sa grâce !) et considère comme de tous côtés ses sujets se réunirent contre lui, le tinrent quelques jours assiégé dans sa propre maison, puis, pénétrant jusqu’à lui, le tuèrent, pendant qu'il avait le Coran sur les genoux,[83] au point que des gouttes de son sang tombèrent sur le Saint Livre. En troisième lieu, considère 'Ali fils d'Abou Thâlib (que le salut soit sur lui !), qu'Abd er-Rahman fils de Mouldjam (qu'Allah le maudisse !) frappa à Koûfa de son épée sur le sommet de la tête et qu'il tua. Ibn Mouldjam était un khâridjite.[84]
Il en était ainsi aux tout premiers temps de l'Islamisme, alors que les hommes étaient vraiment des hommes, alors que la religion était bien une religion. Mais passe en revue, maintenant, les dynasties l'une après l'autre et les diverses époques jusque sous le milieu de la dynastie des 'Abbâsides, puis considère, depuis le règne de Moutawakkil, jusqu'à celui de Mouqtafi, ce qui advint successivement à chacun des khalifes en fait de meurtre, destitution, pillage, tout cela causé par l'indisposition des esprits de son armée et de ses sujets ; celui-ci a eu les yeux crevés, celui-là fut assassiné, tel autre fut chassé du trône.
Promène ensuite tes regards sur les deux dynasties Bouyide et Seldjouqide, tu verras sur ce chapitre des choses étonnantes, puis ramène tes yeux sur Oung khân,[85] roi des Turcs, et considère comment, lorsque ses sentiments changèrent à l'égard de Djenguiz khân, et qu'il se prit à le haïr pour des choses que les envieux de Djenguiz lui avaient exposées, il voulut le faire périr. Djenguiz, informé par les pages, déguerpit' cette nuit-là même. Puis il leva des troupes et, les ayant rassemblées, attaqua Oung khân, le fit périr et s'empara de ses royaumes. Tu reconnaîtras par tout cela que la haine est une des choses les plus funestes pour un roi. et que ce qui lui convient le mieux, c'est l'indulgence, la clémence, le pardon et l'oubli volontaire des injures. Et quelles sont belles les paroles de celui qui a dit :
Prends des hommes ce qui est facile ; laisses-en ce qui est difficile.
Car les hommes sont de verre qui se brise si tu ne les manies pas avec précaution.
Un poète a pourtant fait l'éloge de la haine, et jamais on n’a entendu dire qu'aucun autre ait chanté les louanges de la haine. Il a dit :
La haine n'est pas chez l’homme bien né autre chose que la sœur jumelle de la reconnaissance; les qualités morales sont, en effet, parentes les unes des autres.
Là où tu vois de la haine contre le coupable d'un méfait, tu y verras de la reconnaissance pour les bienfaits passés.
Lorsque la terre produit la récolte de la semence que tu y as déposée, tu ne peux lui demander davantage.
Ce sont des paroles auxquelles il ne faut pas s'arrêter, et si quelqu'un s’y arrête, que ce ne soit pas le roi. Car le roi est celui des humains qui a le plus besoin de se concilier les esprits et de se bien disposer les cœurs.
6° La générosité est encore une des vertus qu'on aime à trouver chez le roi. C'est principalement cette vertu qui gagne les cœurs, provoque le monde à donner de sages conseils et fait acquérir les services des hommes illustres. Le poète a dit :
Lorsque le roi n'aime pas à donner, laisse-le, car son empire est sur son déclin.[86]
Et parmi ce qui nous a été transmis des paroles authentiques du Prophète que les bénédictions d'Allah soient sur leur auteur !), on trouve cette sentence : « Pardonnez sa faute à l'homme généreux, car Allah lui prend la main chaque fois qu'il trébuche, et lui ouvre les portes du bonheur toutes les fois qu'il tombe dans la pauvreté. » Et 'Ali (sur lui soit le salut !) a dit : « La générosité est la gardienne des bonnes réputations. »
Et sache que la biographie de personne ne renferme des traits de générosité comparables à ceux qui ont été rapportés au sujet de Qân al-'Adil, qui est le même que Oktâï,[87] fils de Djenguiz khan. Car il a éclipsé la réputation[88] de tous les rois les plus généreux.
Ce sont des vertus[89] qui rompent les coutures des récits que vous avez rapiécés touchant la munificence de Ka'b[90] et la générosité de Hâtim.[91]
Une coïncidence des plus heureuses, c'est que Qân a vécu au siècle de Moustansir billah, qui était plus généreux que le vent ; mais qu'était cette générosité comparée à celle de Qân ! Et d'ailleurs, où Moustansir eût-il trouvé des richesses suffisantes pour faire des largesses aussi grandes que celles de Qân !
1° Parmi ces qualités qui conviennent au roi, on doit compter encore l'art de se faire à la fois craindre et respecter. C'est par là que l’ordre est maintenu dans le royaume et qu'il est défendu contre les convoitises ambitieuses des sujets. Les rois, jadis, pour maintenir la crainte et le respect dus à leurs personnes, allaient jusqu'à faire attacher auprès deux des lions, des éléphants et des panthères. Ils faisaient aussi sonner des trompettes de la plus forte taille, telles que la trompette de la charge, battre des tambours et des cymbales, enfin dresser des étendards et flotter des drapeaux sur leurs têtes, tout cela pour imprimer la crainte dans les cœurs des sujets et maintenir le respect de l’autorité dans le royaume.
Lorsque 'Adoud ad-Daula[92] s'asseyait sur son trône, on amenait des lions, des éléphants et des panthères enchaînés et on les plaçait tout autour de son prétoire. Il voulait par là inspirer la crainte aux gens et leur faire peur.
8° Une autre des qualités royales, c'est encore la politique. C'est le capital du roi. C'est sur elle qu'il faut compter pour empêcher que le sang coule, pour faire respecter les biens d'autrui,[93] pour préserver les bonnes mœurs, pour éviter les conflits, pour dompter les mauvais sujets et les gens de désordre, enfin pour empêcher les exactions réciproques qui aboutissent toujours à la guerre civile et au désordre.
9° Nous citerons encore la fidélité à remplir ses engagements. Allah (que sa Majesté soit exaltée !) a dit[94] : « Remplissez fidèlement les engagements ; certes un engagement est chose exigible. » Cette fidélité est essentielle pour tranquilliser les cœurs et porter le calme de la sécurité dans les âmes. Elle assure au prince la confiance des sujets, soit que quelqu'un en proie à la crainte lui vienne demander grâce, soit qu'on se propose de conclure avec lui une alliance.
Le roi doit encore chercher à se rendre compte des situations les plus obscures du royaume et des plus menues affaires des sujets. Il doit rétribuer et l’homme bienfaisant suivant le bien qu'il fait et le méchant suivant le mal qu'il fait. Le roi Ardeschir[95] était arrivé à pouvoir dire à qui il voulait, parmi les plus illustres comme les plus humbles de ses sujets : « Il t'est arrivé hier telle et telle chose. » A tel point qu'on se disait : « Ardeschir est visité par un ange du ciel, qui le met au courant des choses. » Mais il ne devait cela qu'à sa vigilance et à son habitude de tout considérer attentivement.
Cela fait dix qualités parmi les bonnes qualités. L'homme en qui elles se rencontrent est digne du pouvoir suprême. Et si les penseurs et les sectaires voyaient les choses comme il faut les voir, et laissaient de côté la passion, ces conditions seraient seules prises en considération pour mériter l'imamat (la souveraineté).[96] Toute autre qualité serait sans utilité.
Bouzourdjmihr a dit : « Il faut que le roi soit comme la terre dans l'art de cacher son secret et de patienter ; comme le feu à l'égard des fauteurs de trouble ; comme l'eau, pour la douceur, avec ceux qui sont doux envers lui. Il doit avoir l'oreille plus fine que le cheval, le regard plus perçant que l'aigle de mer; il doit savoir s'orienter mieux que l'oiseau qata[97] ; il lui faut être plus prudent que le corbeau, plus brave que le lion, plus robuste et plus prompt à s'élancer que le guépard. Il convient au roi de ne pas se fier à sa seule manière de voir, mais de consulter, dans les cas difficiles, les gens de mérite, ceux que leur intelligence distingue et tout homme dans lequel il découvrira de la sagacité, de l’intelligence, un bon jugement, un discernement sûr et la science des affaires. Il ne faut pas que le prestige de la royauté l’empêche de traiter familièrement la personne à laquelle il demande conseil, de la mettre à son aise et de gagner son cœur, en sorte qu'elle le conseille en toute sincérité. En effet, ce n'est pas sous l'empire de la contrainte que quelqu'un conseille sincèrement ; ce n'est qu'en faisant appel à sa bonne volonté qu'il donne un conseil sincère. » Qu'elle est belle cette parole que le poète a dite à ce propos :
On me traite avec mépris, on me tient à l'écart et puis on vient me demander de donner sincèrement mon avis : mais qui donc donnerait ses conseils, alors qu'on prétend les lui arracher de force ?
Allah (qu'il soit exalté !) a dit : « Et consulte-les dans l’occurrence.[98] » Et l'Apôtre d'Allah consultait toujours ses compagnons. Lors de la bataille de Badr,[99] le Prophète sortit de Médine à la tête d'une troupe de Musulmans. Lorsqu'ils arrivèrent à Badr, ils firent halte dans un lieu privé d'eau. Un des compagnons du Prophète s'avança alors vers lui, et lui dit : « Apôtre d'Allah, est-ce sur l'ordre d'Allah que tu campes ici ou est-ce de ton propre mouvement ? — C'est de moi-même, dit le Prophète. — Apôtre d'Allah, reprit le compagnon, le mieux c'est de te remettre en marche et d'aller camper tout près de l'eau, en sorte qu'elle soit à notre portée. Alors nous ne craindrons pas la soif, et quand viendront les païens ils ne trouveront pas d'eau, ce qui nous constituera un avantage sur eux. — Tu as raison », dit l'Apôtre d'Allah, et, donnant ensuite l'ordre de se mettre en marche, il alla camper près de l'eau.
Les théologiens dogmatiques sont en désaccord sur le commandement qu'Allah le Très-Haut aurait donné à son apôtre de demander conseil, malgré l'aide et l'assistance[100] qu'il lui donnait. Il y a sur ce point quatre interprétations. La première, c'est que le Prophète aurait reçu l'ordre de consulter les compagnons (as-sahâba), afin de gagner leurs cœurs et de les disposer favorablement. La deuxième, c'est que le Prophète aurait reçu l'ordre de les consulter en cas de guerre, pour que la vraie manière de voir lui apparût clairement, et qu'il agît en conséquence. D'après la troisième, ce commandement lui aurait été fait à cause de l’avantage et du bien qui résultent de la consultation des compagnons (ashâb). Enfin, d'après la quatrième, le Prophète n'aurait reçu l'ordre de consulter les compagnons (ashâb) que pour servir d'exemple aux hommes. Cette dernière interprétation est, à mon avis, la meilleure et la plus juste.
On a dit : « Mieux vaut se tromper en prenant les conseils d’autrui, que tomber juste en agissant seul et isolément. »
L'auteur de Kalila et Dimna[101] a dit : Il est indispensable que le roi ait un conseiller sûr, à qui il confie son secret et qui l'aide dans sa manière de voir. En effet, celui qui demande conseil, fût-il plus homme de talent que celui à qui il s'adresse, eût-il l'intelligence plus parfaite et le jugement plus solide, il n'en profitera pas moins de lavis de son conseiller, de même que le feu auquel on ajoute de l'huile gagne en éclat et en lumière. »
Un poète a dit :
Lorsque le parti à prendre réclame un conseil, demande l'avis d'un homme sincère, ou consulte un homme résolu.
Sache aussi qu'il est des choses particulières au roi, par lesquelles il se distingue du vulgaire. C'est ainsi que, lorsque le roi aime quelque chose, les gens aiment cette même chose; ce qu'il hait, ils se prennent à le haïr ; lorsqu'il s’adonne à quelque chose, ils s'y adonnent de même, soit naturellement, soit qu'ils y plient leur naturel pour gagner ses bonnes grâces. De là le dicton : « Les hommes suivent la conduite[102] de leurs princes. »
Considère quelles étaient les mœurs des hommes au temps des khalifes. Puis, lorsque la dynastie actuelle (qu'Allah répande ses bienfaits et élève sa puissance!) arriva au pouvoir, les gens changèrent leur manière d'être en toute chose. Ils entrèrent dans les goûts de leurs souverains par le langage, le vêtement, les emblèmes, l'étiquette, les formules de politesse. Tout cela, sans que les rois les y contraignissent ou le leur ordonnassent, pas plus qu'ils ne le leur défendaient; mais les gens reconnurent que leurs anciennes mœurs étaient déplaisantes aux yeux de leurs nouveaux princes, opposées à leurs préférences; aussi s'attachèrent-ils à leur plaire en adoptant leurs goûts. C'est de tout temps qu'on a vu les rois adopter une mode ou un genre et puis le peuple s'y porter et s'y attacher. C'est là un des caractères particuliers à l'exercice du pouvoir souverain et un des secrets de la royauté.
Une des qualités propres au roi, c'est que sa compagnie fait acquérir la fierté et l'orgueil, exalte le cœur et grandit l'âme. La société de tout autre que le roi ne produit pas cet effet.
Une autre chose encore particulière au roi, c'est que, lorsqu'il se détourne de quelqu'un, cette personne en ressent en soi-même un grand abattement, quand bien même le roi ne lui aurait fait aucun mal ; et si le roi se tourne vers quelqu'un, cet homme s'en trouve intérieurement tout réconforté, quand bien même aucun avantage ne lui en reviendrait. Le seul fait donc de se tourner vers quelqu'un ou de s'en détourner suffit pour produire de pareils effets.
Aucune autre personne que le roi ne se trouve dans cette situation.
Quant aux qualités qu'il est désirable de ne pas rencontrer chez un roi, Ibn al-Mouqaffa[103] les a énumérées dans un discours dont il est l'auteur :
« Il ne convient pas, dit-il, que le roi se livre à la colère, car il a le pouvoir de faire ce qu’il désire. Il n'a pas à mentir, car personne ne peut le contraindre à faire ce qu'il ne veut pas. Il ne doit pas se montrer avare, car il est de tous les hommes celui chez lequel la crainte de la pauvreté est le moins excusable. Il ne doit pas être rancunier, car il est trop au-dessus de tous pour rendre à quelqu’un le mal qu'il aurait fait. Il ne doit pas jurer quand il raconte quelque chose, car ce qui porte l’homme à jurer en parlant, c'est qu'il a des défauts, soit une espèce de mépris qu'il se découvre en lui-même et un besoin d'être cru par les autres, soit difficulté d'élocution, embarras ou impuissance à s'exprimer, auquel cas il recourt au serment, comme à une cheville pour terminer son discours ou pour le remplir, soit enfin parce qu'il sait d'avance qu'il a chez les gens la réputation de menteur. Il se met alors lui-même au rang de ceux dont la parole est sans créance et n'est admise que sous serment. Dans ce cas, plus il jure, plus les gens croient qu'il ment. Or, le roi est à l'abri de toutes ces vilenies : sa dignité est trop au-dessus de cela. »
Parmi les qualités qu'il est désirable de ne pas rencontrer chez un roi, est encore la précipitation, car il arrive parfois qu'elle lui fait commettre un acte dont il se repentira, alors que le repentir ne servira plus de rien. Or, le plus souvent, tu vois les gens emportés prompts à revenir sur leur emportement. C'est pour cela que le Prophète (sur qui soit la paix !) a dit : « Les meilleurs hommes de mon peuple, ce sont les gens emportés. »
Le roi ne doit pas non plus se laisser aller à l'inquiétude, ni à la lassitude, ni à l'ennui, car ce sont là des choses des plus nuisibles et des plus pernicieuses pour sa condition.
Et sache que le roi a des droits sur ses sujets et que ses sujets en ont aussi sur lui. Parmi les droits que le roi possède sur son peuple, il y a le droit à l'obéissance qui est le principe au moyen duquel s'organise le bon ordre dans les affaires de l'État, celui grâce auquel le roi peut protéger le faible contre le fort et rendre une exacte justice distributive. Et parmi les passages du Livre Révélé qui exhortent à l'obéissance, il y a cette parole du Très-Haut, qui est le verset fameux sur cette matière : « O vous qui croyez, obéissez à Allah, obéissez à son Apôtre et à ceux d'entre vous qui sont investis du pouvoir.[104] » Et parmi les proverbes arabes il est dit : « Il n'y a aucune autorité chez celui qui n'est pas obéi. »
Il n'a été rapporté dans aucune histoire, et aucune chronique ne dit qu'une dynastie parmi toutes les dynasties ait obtenu de la part de ses sujets et de ses armées autant d'obéissance qu'en a obtenu la victorieuse dynastie actuelle des Mogols. En effet, l'obéissance de son armée et de ses sujets est telle qu'aucune dynastie au monde n'en a joui.
Prenons, en effet, la dynastie des Chosroès ; malgré sa grandeur et sa magnificence, elle ne parvint jamais à ce haut degré d'autorité. Ainsi Nou'mân,[105] fils de Moundzir, roi de Hîra, était lieutenant de Chosroès pour gouverner les Arabes. Or entre Hîra et Madâïn (Ctésiphon), alors capitale des Chosroès, il n'y avait que quelques parasanges; et cependant Nou'mân était tout le temps en rébellion contre Chosroès et quand il se présentait à sa cour, il s'y mettait à son aise et poussait l'audace jusqu'à lui donner la réplique. Voulait-il se soustraire à l'obéissance, il s'enfonçait dans le désert et était à l’abri de la vengeance de Chosroès.
Quant aux dynasties musulmanes, elles ne sauraient être, en aucune façon, comparées à la dynastie mogole, pour qu'on les mentionne à côté de celle-ci. En effet, le gouvernement des quatre premiers khalifes, qui sont Abou Bakr as-Siddîq, 'Omar fils d'al-Khattâb, Othman fils d’Affàn (qu'Allah soit satisfait d'eux!) et 'Ali, fils d'Abou Thâlib (sur lui soit le salut !) ressemblait, en toutes choses, plus à une dignité religieuse (spirituelle) qu'à une dignité temporelle. Tel[106] d'entre eux s'habillait de vêtements d'une toile de coton grossière et se chaussait de deux sandales en fibre de palmier.[107] Le baudrier de son sabre était de même en fibre de palmier. Il marchait à pied dans les rues comme un homme du peuple quelconque, et s'il adressait la parole au plus humble de ses sujets, celui-ci lui faisait entendre des paroles grossières, même moins mesurées que les siennes. Ils considéraient que ces mœurs rudes faisaient partie intégrante de la religion, dont le Prophète (sur lui soient les prières et les bénédictions d'Allah !) a été l'Apôtre.
On a raconté qu’Omar fils d'al-Khattâb reçut des pièces d'étoffes rayées du Yémen. Il les distribua entre les Musulmans qui eurent chacun pour sa part une pièce d'étoffe. La part d’Omar fut la même que celle de tout autre Musulman. On raconte alors qu’Omar s'étant fait tailler[108] un habit de sa pièce d'étoffe, s'en revêtit et monta en chaire ; il haranguait les assistants pour faire la guerre sainte, quand un des Musulmans, s'avançant vers lui, lui dit : « On ne t'écoutera pas et on ne t'obéira pas. — Pourquoi cela ? dit 'Omar. — Parce que, dit-il, tu t'es préféré à nous. — En quoi donc ? reprit le khalife. — Quand tu as distribué les étoffes yéménites, reprit l'homme, il en est échu à chacun des Musulmans une pièce; tu en as eu de même une pièce. Or, une seule pièce n'est pas suffisante pour te faire un habit, et nous voyons pourtant que tu en as pu faire un vêtement de dessous complet, toi qui es un homme de haute taille. Si donc tu n'avais pas pris plus d'une pièce, tu n'aurais pas pu en avoir un vêtement. » "Omar se tournant alors vers son fils d’Abd Allah,[109] lui dit : « 'Abd-Allah, réponds à cet homme sur ce qu'il vient de dire.» Alors, 'Abd-Allah fils d'Omar se leva et dit: « Lorsque l'Émir des Croyants, Omar, voulut faire tailler sa pièce d'étoffe, celle-ci se trouva insuffisante pour lui ; je lui ai alors donné de la mienne de quoi compléter l'habit. — Maintenant, reprit l’homme, nous t'écoutons et nous t'obéirons. »
Une pareille conduite n'est pas conforme aux mœurs des rois de ce bas monde, elle ressemble plutôt à la manière d'agir des prophètes et aux choses de l'autre monde.
Pour ce qui est de la dynastie des Omeyyades, leur autorité s'était bien agrandie et était devenue considérable; leur empire avait bien une grande étendue, mais l'obéissance qu'ils rencontrèrent n'est pas à comparer avec celle dont jouissent les princes mogols. Tandis que les Omeyyades régnaient à Damas, les Hachémites vivaient à Médine, sans se soucier d'eux; et si quelque Hachémite venait trouver le khalife Omeyyade, il lui parlait avec la plus grande rudesse et lui disait toute sorte d'impertinences.
Quant à la dynastie 'abbâside, l'obéissance de ses sujets pour elle n'atteignit jamais l'obéissance dont jouit la dynastie actuelle (mogole), bien que son règne ait duré jusqu'à dépasser cinq cents ans, et que son empire se soit étendu à tel point que certains khalifes 'abbâsides tiraient des contributions de la plus grande partie du monde. C'est ce que nous indiquerons quand il sera question de la dynastie 'abbâside. D'ailleurs, le fait que, du temps de Haroun al-Rachid, les revenus du monde entier étaient consignés en un seul compte,[110] ainsi qu'en font foi les livres d'histoire, démontre ce que nous venons d'avancer.
Les premiers d'entre ces khalifes, comme Mansour, Mahdi, Rachid, Mamoun, Mou'tasim et Moutawakkil, tirèrent des contributions d'une bonne partie du monde, et leur puissance fut très grande. Malgré cela, leur empire ne fut pas exempt de faiblesse et de débilité, à une foule de points de vue, parmi lesquels on peut citer 39 l'insoumission des Grecs de Byzance, et l'état de guerre violent et perpétuel entre eux et les empereurs chrétiens [de Constantinople] ; encore éprouvaient-ils bien des difficultés, malgré cela, pour la levée du tribut sur cette nation, et les empereurs byzantins ne cessaient de leur refuser obéissance.
Mou'tasim eut au sujet d'Amorium[111] les difficultés que tu sais, et peut-être t'en dirons-nous un mot dans ce livre, quand nous viendrons à parler de la dynastie 'abbâside.
Et parmi les causes de faiblesse dont souffrit leur dynastie furent les révoltes continuelles des Khâridjites. Aussi Mansour ne put goûter, de ce fait, un seul instant de douceur.[112]
Muhammad fils d’Abd Allah, fils de Hasan fils de Hasan, fils d’Ali fils d'Abou Thâlib (sur eux soit le salut!), surnommé An-Nafs az-Zakiyya (l'âme pure), se révolta contre lui dans le Hedjaz. Il se produisit entre eux des hostilités qui aboutirent à l'envoi d'Isa fils de Moussa fils de Muhammad, fils d’Ali, fils d’Abd Allah, fils d'Abbas dans le Hedjaz pour y combattre An-Nafs az-Zakiyya, qu'il tua en un lieu voisin de Médine appelé Ahdjâr az-Zait[113] ; ceci se passait en telle année,[114] et ce fut la cause pour laquelle on désigna An-Nafs az-Zakiyya par le nom du martyr d'Ahdjâr az-Zait.
Le frère d'An-Nafs az-Zakiyya, dont le nom est Ibrahim, fils d’Abd Allah, se souleva aussi contre Mansour à Basra. Mansour en conçut de grandes alarmes et en éprouva une grande agitation jusqu'au moment où Isa fils de Moussa marcha contre Ibrahim fils d'Abd Allah et le tua dans un village voisin de Koûfa et qu'on appelle Bàkhamrâ.[115]
Aussi Ibrahim est-il connu sous le nom du martyr de Bâkhamîd (qu'Allah l'ait en pitié !). C'est à partir de ce moment que Mansour eut la haine des 'Alides, et leur fit éprouver les mauvais traitements que l'on sait. Peut-être t'en toucherons-nous un mot dans ce livre, quand nous en viendrons à parler de la dynastie abbâside.
Telle demeura la conduite des Khâridjites envers les khalifes l'un après l'autre, au point que les sujets ne pouvaient plus dormir dans leurs maisons en sécurité, et qu'ils s'attendaient à tout instant aux horreurs des insurrections et de la guerre. Ils étaient dans la situation où se trouvait la population de Qazwîn dans le voisinage des places fortes des Moulhidites.[116]
Le prince Imâm ad-Dîn Yahya fils d'Al-Iftikhâri[117] (que Dieu lui fasse miséricorde !) m'a fait un récit en ces termes : « Je me rappelle que lors de notre séjour à Qazvin, quand la nuit venait, nous placions tout ce que nous possédions de meubles, de bardes et de bagages dans des caves profondes et secrètes que nous avions dans nos maisons, et nous ne laissions pas la moindre chose sur la face de la terre, de crainte des surprises des Moulhidites. Le matin, nous retirions des caves nos effets, et, la nuit venue, nous faisions comme la veille. » Aussi la plupart des gens de Qazvin portaient-ils des couteaux et des armes. Les Moulhidites ne cessèrent d'agir ainsi jusqu'au jour où Chams ad-Dîn, qâdî de Qazvin, s'en fut trouver le Qân et amena des troupes qui détruisirent toutes les citadelles des Moulhidites.
Mais ce n'est pas ici le lieu de traiter ce sujet dans tous ses détails, car il ne s'est présenté qu'accidentellement, et ce n'est pas le but que nous nous sommes proposé.
C'est ce qui arriva aussi à Mouwaffaq fils de Moutawakkil qui, alors que les Zinges[118] infestaient les frontières, ne cessa pendant quatorze ans de les repousser par les armes, de Basra et de Wâsit, jusqu'à ce qu'il les eut anéantis. Dans un laps de temps si long, les Zinges s'étaient bâti des villes sur le théâtre de la guerre[119] et Mouwaffaq aussi en avait bâti. Dans la suite ces villes tombèrent en ruines et les vestiges en subsistent encore aujourd'hui.
Quant aux derniers d'entre eux, je veux dire les derniers des khalifes 'abbâsides, leur faiblesse fut extrême, à tel point que la ville de Takrît[120] leur refusa l'obéissance ; et c'est à ce propos qu'un poète de leurs contemporains a dit :
Dans l’armée victorieuse nous sommes une petite troupe au service d'une dynastie ; et quelle troupe méprisable nous sommes.
Juge de notre intelligence par les projets que nous formons au milieu de cet avilissement, de celle sottise et de celle témérité où tu nous vois.
Takrît est au-dessus de nos forces, et nous marchons déjà dans notre esprit, pour enlever Tirmidh[121] à Sanjar.[122]
Leur empire (je veux parler des derniers khalifes abbâsides) était à la fin réduit à l’'Iraq tout juste[123] au point qu'Irbil même n'était plus sous leur dépendance et demeura en dehors de leur autorité jusqu'à la mort de Mouzaffar ad-Dîn,[124] fils de Zain ad-Dîn 'Ali Koudjouk,[125] prince d'Irbil, ce qui arriva sous le règne de Moustansir.
Celui-ci chargea alors Iqbal ach-Charâbî[126] (le grand échanson), qui était le général en chef des troupes, de marcher sur Irbil pour en faire la conquête et lui donna des soldats. Ach-Charâbî (le grand échanson) se dirigea vers cette place, la tint quelques jours assiégée, puis s'en empara. Les tambours chargés d'annoncer une victoire retentirent à Bagdad le jour où arriva le pigeon porteur de cette nouvelle.[127] Considère un peu ce que peut être une puissance où l'on fait battre les tambours de la bonne nouvelle aux portes du chef de l'Etat, et où l'on fait pavoiser la ville pour la prise de la citadelle d'Irbil, qui, aujourd'hui, sous la dynastie mogole, compte parmi les districts les moins importants, les plus petits et les plus insignifiants.
Sans doute, les souverains des États limitrophes, tels que les rois de la Syrie et de l'Egypte et le prince de Mossoul, faisaient, chaque année, porter quelque chose aux khalifes à titre de présents et pour se concilier leur bienveillance. Ils leur demandaient aussi l'investiture du gouvernement de leurs Etats, afin de jouir d'une autorité absolue sur leurs sujets et de leur imposer, de ce fait, le devoir de leur obéir. Mais les khalifes donnaient peut-être aux princes des Etats limitrophes, en retour de leurs présents, leur équivalent, et même plus, tout cela pour conserver le prestige apparent et pour que leur nom fût maintenu, dans leurs Etats et dans les provinces limitrophes, sur la monnaie et dans la khotba ou prône du vendredi. Si bien qu'on disait, en proverbe, de celui qui a l’apparence d'une chose sans en rien posséder au fond : « Un tel s'est contenté, dans telle affaire, de la monnaie et du prône », c'est-à-dire du droit de monnayage et d'avoir son nom cité au prône. Cela veut dire : il s'est contenté du mot sans la chose.
Voilà quelques vues d'ensemble sur l'état des choses, sous la dynastie 'abbâside.
Quant aux deux dynasties Bouyide et Seldjouqide, malgré la grande puissance de quelques-uns de leurs princes, comme 'Adoud ad-Daula parmi les Bouyides, et Toghroul-Beg parmi les Seldjouqides, leur empire ne s'étendit pas beaucoup, leur domination ne fut pas généralement reconnue et leur autorité n'embrassa pas tout l'empire musulman.
Pour la dynastie des chahs du Khârezm, bien que les effectifs réels du sultan Djalal ad-Dîn[128] comprissent 400.000 combattants, son empire non plus ne s'étendit pas, et il ne dépassa point les régions qui l'avoisinaient.
Djalal ad-Dîn, il est vrai, porta ses armes jusqu'aux confins de l'Inde.
Parmi les droits qui appartiennent au roi sur ses sujets, il y a le respect et l'hommage, dans le fond et dans la forme, envers sa majesté. Il faut que les sujets s'y habituent et s'y exercent, de manière que cela devienne comme une qualité acquise bien établie. Il faut qu'on élève les enfants dans ces principes et qu'on les leur inculque, de sorte que cette notion croisse avec eux.
L'anecdote suivante sera ici à sa place :
Lorsque le sultan[129] de notre époque (puisse Allah affermir les bases de sa puissance et étendre dans l'Orient et dans l'Occident l'ombre de sa justice !) arriva à Bagdad en l’année 698 (1298), il entra dans l'Université Moustansiriyya[130] pour la voir et la visiter. Avant son arrivée, elle avait été pavoisée et les professeurs s'étaient assis sur leurs sièges, ayant devant eux les faqihs (juristes), et tenant dans leurs mains des exemplaires du Coran dont ils faisaient lecture. Or, il advint que le cortège du sultan passa d'abord devant les membres de la secte chafiite, dont le professeur était le cheikh Djamal ad-Dîn 'Abd Allah fils d'al-'Aqoûlî,[131] qui était le chef des Chârrites à Bagdad. En voyant le sultan, tous se levèrent. « Comment vous est-il permis, dit le sultan au professeur ci-dessus, de délaisser la parole d'Allah pour vous lever en mon honneur ? » Le professeur fit une réponse qui ne rencontra pas l'approbation de Sa Majesté le Sultan[132] (puisse Allah exalter sa parole en ce monde et son rang dans l'autre).[133] Peu de temps après, le professeur susdit me conta la teneur de la question et de la réponse. La question est bien celle que j'ai rapportée; quant à la réponse, je ne l'ai pas retenue exactement, mais je sais que je lui dis : « Voici ce qu'on aurait pu dire en réponse à la question du sultan : Notre loi religieuse ne nous a pas défendu de quitter le Saint Livre lorsque nous l'avons en main, pour une autre occupation. On ne nous en a pas fait un péché. Et puis, dans ce Saint Livre que nous avons quitté pour nous lever devant le Sultan, il nous est prescrit d'honorer nos sultans. »
Parmi les devoirs dont les sujets sont tenus envers le souverain, il y a celui de lui donner des avis sincères. Entre autres passages du hadîth (que les bénédictions et le salut d'Allah soient sur celui auquel le hadîth remonte !) relatifs à ce sujet, se trouve cette parole du Prophète : « La religion consiste à donner des conseils sincères. — Dans l'intérêt de qui, ô Apôtre d'Allah ? demanda-t-on au Prophète. — Dans l'intérêt d'Allah, de son Apôtre et de la communauté des Musulmans. »
Lin autre devoir des sujets envers le roi est de ne pas médire de lui en son absence. Le Prophète a dit : " N'injuriez pas ceux qui sont investis de l'autorité, car s'ils font le bien, ils auront droit à la récompense et vous leur devez votre reconnaissance. Si, au contraire, ils font le mal, à eux le poids du péché, à vous la résignation ; ils sont un instrument de vengeance dont Allah se sert contre qui il veut. N'accueillez donc pas la vengeance d'Allah avec emportement et colère, mais attendez-la avec calme et humilité. »
Quant aux devoirs qui s'imposent au roi envers ses sujets, c'est d'abord de protéger le cœur du royaume, de mettre le royaume en état de défense et de fortifier les places frontières, c'est d'assurer la sécurité des chemins et de frapper ceux qui les infestent. Ce sont là des devoirs qui obligent le sultan à l'égal des devoirs religieux ; c'est à ce prix que l'obéissance au roi devient obligatoire pour ses sujets.
C'est un argument pareil que les dissidents invoquèrent contre 'Ali (sur qui soit la paix d'Allah !), peu après la fin de la guerre de Siffin. Ils lui dirent : « Tu as manqué de zèle dans la défense de cette frontière fils voulaient dire la frontière de Syrie), en instituant les deux arbitres.[134] Donc tu as fait une faute, tu as manqué à ton devoir et tu as perdu le droit à notre obéissance. Si pourtant tu reconnais cette faute et si tu en demandes pardon, nous rentrerons sous ton obéissance et nous nous joindrons à toi pour combattre l'ennemi.» — Alors Ali (sur lui soit la paix d'Allah !) leur fit connaître que dans l'institution des arbitres sa manière de voir n'avait pas prévalu, et que son avis à lui, était contraire à l'arbitrage. Mais ils persévérèrent dans ce qu'ils avaient dit, n'acceptant pas ses explications et, se déclarant ouvertement contre lui, lui firent la guerre jusqu'à la fameuse bataille de Nahrawân.[135]
Parmi[136] les devoirs des rois envers les peuples, on compte la douceur et la patience à l'égard des fautes qu’ils viennent à commettre. Le Prophète (sur qui soient les bénédictions et la paix d'Allah !) a dit : « En toute chose la douceur bienveillante est un ornement, tout se trouve enlaidi par la dureté. » Et, de fait, on rapporte du Prophète des traits de bonté qui ne conviennent qu'à la dignité prophétique.
Salah ad-Dîn Yousouf, fils d’Ayyoub, souverain de l'Egypte et de la Syrie, était d'une grande douceur et était célèbre pour cela. Il entra un jour au bain, peu après une longue maladie qui l'avait affaibli et avait épuisé ses forces. On l’introduisit donc au bain alors qu'il était dans un état d'extrême faiblesse. Il demanda de l'eau chaude à un esclave qui se tenait près de lui. Celui-ci lui apporta une écuelle d'eau très chaude, mais comme il s'approchait du prince, sa main trembla et l'écuelle tomba sur Salah ad-Dîn, dont le corps fut brûlé par l'eau. Il ne reprit l'esclave pas même en paroles. Quelque temps après, il lui demanda de l'eau froide. L'esclave lui apporta dans la même écuelle de l'eau extrêmement froide et, au moment où il s'approchait du prince, il lui advint, comme la première fois, un tremblement de la main et la tasse tomba avec l’eau très froide qu'elle contenait sur Salah ad-Dîn, qui s'évanouit et sembla près d'expirer. Ayant repris ses sens, il dit à l'esclave : « Si tu te proposes de me tuer, dis-le-moi ! » Il ne dit pas une parole de plus. Dieu l’ait en sa miséricorde !
Un homme à l'haleine fétide s'approcha un jour d'un haut fonctionnaire, pour lui demander avis. « Eloigne-toi de moi, dit l'homme en place, car tu m'incommodes. — Puisses-tu ne jouir ni des honneurs ni de la puissance, répondit l'autre; nous ne t'avons misa notre tête et nous ne nous tenons respectueusement devant toi que pour que tu supportes de notre part pis que cela, et pour que tu souffres de nous avec patience des choses encore plus désagréables ! »
Une chose encore que les sujets ont le droit d'exiger du roi, c'est qu'il protège le faible contre le fort, c'est qu'il rende justice à l'humble contre le puissant, qu'il leur applique strictement les dispositions des lois, qu'il maintienne énergiquement leurs droits respectifs dans leurs limites, qu'il secoure celui d'entre eux qui a été victime d'une injustice et réponde à celui qui crie au secours, qu'il tienne la balance égale dans ses jugements entre celui d'entre eux qui est le plus éloigné de lui et celui qui en est le plus rapproché, entre le plus humble et le plus puissant.
Omar fils d'al-Khattâb dit à un homme : « Je ne t'aime pas. — Est-ce à dire, repartit 1 homme, que tu me feras tort en quelque chose ? — Non, dit 'Omar. — Eh bien, dit l'homme, cela suffit; pour le reste, des femmes seules peuvent se plaire à l'amour. »
Le roi doit encore reconnaître la faveur que Dieu lui a faite en le choisissant pour ce poste élevé, à l'exclusion des autres créatures et en faisant de lui un personnage tel que chacun le craint, tandis que lui-même ne craint personne. Le roi ne cessera donc pas de publier cette faveur divine et d'en exprimer sa reconnaissance. La publier, c'est se conformer à cette parole chi Très-Haut[137] : Quant au bienfait de ton Seigneur, publie-le sans cesse !. S'en montrer reconnaissant, c'est afin d'en obtenir encore, conformément à cette parole du Très-Haut[138] : Si vous vous montrez reconnaissants, je vous ajouterai de nouvelles faveurs.
Il faut aussi qu'il y ait entre le roi et son Seigneur un pacte secret, ignoré de tous, excepté d'Allah, car un tel pacte préserve le roi des coups cruels du sort. Cette théorie est admise par les théologiens de toutes les écoles, de même qu'elle est admise par les philosophes. Il est possible de l'interpréter dans ce sens, d'après la croyance des uns et des autres. Il faut encore que le roi ait des formules précatoires par lesquelles il s'adresse à son Seigneur. Ce sont des formules spéciales appropriées aux souverains et qui ne conviennent pas au commun des mortels. Je ne vois pas qu'il y ait inconvénient à ce que je consigne ici un fragment de prière royale. Elle est de mon invention, et je ne sache pas qu'aucun autre y ait jamais fait attention.
Court fragment de prière royale.
« Mon Dieu, j'abdique entre tes mains tout ce que j'ai de force et de puissance, c'est dans ta force et dans ta puissance que je mets mon recours. Je te glorifie de m'avoir donné l'existence en me tirant du néant, de m'avoir élevé au-dessus d'un grand nombre de nations, d'avoir mis entre mes mains les rênes pour diriger tes créatures et de m'avoir choisi pour ton lieutenant sur cette terre qui t'appartient. Prends-moi donc par la main, ô mon Dieu, dans les moments difficiles et révèle-moi la face de la vérité; accorde-moi ton assistance pour que j'agisse selon ta volonté et préserve-moi de l'erreur. N'arrache pas de dessus moi le voile de tes bienfaits et défends-moi des coups de la mauvaise fortune ; protège-moi contre les ruses des envieux et la joie malveillante de mes ennemis. Traite-moi avec bienveillance dans toutes les vicissitudes de ma vie et couvre-moi de ton aile pour me protéger de tous côtés, ô toi le plus clément des cléments ! »
Il convient qu'un roi éminent honore les hommes éminents parmi son peuple et cherche à se les attacher par ses bienfaits. Un sage a dit : L'homme éminent doit, ou bien vivre honoré auprès des rois, ou bien en ermite avec les ascètes. C'est ainsi qu’il n'est que deux endroits où il soit convenable de voir l’éléphant: dans le désert où il vit libre et sauvage, ou chez les rois à qui il sert de monture. Comme le poète l’a dit :
Semblable à l’éléphant, qui vit ou bien chez un roi, ou bien erre, inaccessible, dans les pâturages.
Une chose qui, chez le roi, serait haïssable, c'est la fréquentation des gens vils, du bas peuple et des ignorants. En effet, entendre leurs propos terre à terre, leurs raisonnements misérables et leurs expressions ordurières ne peut qu'abaisser le caractère, avilir la dignité, couvrir le cœur comme d'une rouille et discréditer le roi. Au contraire, le commerce des gens d'honneur et la fréquentation des hommes éminents contribuent à élever les pensées, à affiner les sentiments,[139] à ouvrir l'esprit et à développer la facilité d'élocution. C'est le principe contraire qui a cependant toujours été suivi par les rois, qui n'ont jamais cessé de faire parvenir jusqu'à eux les gens du commun. Vivant dans leur commerce et les prenant à leur service. Pas un des khalifes ne se dispensa d'agir ainsi. Et ce faisant ils semblaient[140] dire : « Nous laissons les grands être grands et si nous venons à distinguer quelqu’un du commun, nous élevons sa renommée et le faisons avancer au point qu'il prend rang parmi les notables. De même, lorsque nous nous détournons d'un homme de mérite, nous le rendons vil par cela même, au point qu'il tombe au rang des plus vils de nos sujets. » — Et c'est bien ainsi que les choses se passent, car c'est là une qualité particulière au roi, et je l'ai dit plus haut. Tout ceci est emprunté aux attributs particuliers de Dieu. En effet, lorsqu'une parcelle de la sollicitude divine descend sur les âmes, l'homme qui en est l'objet devient prophète, ou imâm, ou roi. Lorsque c'est le temps qui en est l'objet, le jour où elle descend devient le jour de la grande fête (le grand Bairam), ou bien c’est la Nuit du Destin[141] ou ce sont les jours marqués pour le pèlerinage, ou ce sont les jours des fêtes solennelles et des visites qu'on fait aux lieux saints et cela chez tous les peuples. Lorsque cette parcelle de la grâce tombe pour favoriser un endroit, cet endroit devient le temple de La Mecque ou Jérusalem, ou une chapelle commémorative de la mort d'un saint personnage, ou une mosquée et un lieu de pèlerinage, ou un oratoire ou une cellule de religieux.
C'est ici le lieu de conter une histoire. Il y avait à Bagdad un portefaix qu'on appelait 'Abd al-Ghanî fils de Darnoûs, lise fit bien voir au temps de Moustansir, de sorte qu'il fut chargé d'un des colombiers du palais des khalifes. Cet homme employa tous ses moyens à capter les bonnes grâces du fils de Moustansir, Mousta'sim, le dernier khalife 'abbâside, qui vivait en prison sous le règne de son père ; il ne cessa de se le concilier par de bons offices, tant que dura le règne de Moustansir. Celui-ci mourut, et son fils Abou Ahmad 'Abd Allah Mousta'sim monta sur le trône. Il reconnut les bons offices de ce gardien de pigeonnier, le préposa à ses collègues et finit par le garder dans l'intérieur du palais en qualité de chambellan. Il en fit son familier et l’éleva si haut que les choses en vinrent à ce point : lorsque notre homme entrait chez le vizir, celui-ci se levait pour lui et faisait évacuer complètement la salle d'audience. Le vizir faisait ainsi sortir tout le monde lorsque se présentait Ibn ad-Darnoûs, parce que peut-être celui-ci venait-il l'entretenir secrètement de la part du khalife. Cet homme reçut le surnom de Nadjm ad-Dîn al-Khâss, le Confident, et devint un des hommes les plus intimes du khalife. Sa fortune s'éleva si haut qu'il s'entremettait avec zèle pour le vizir auprès du khalife, et que le vizir transmettait ses pièces officielles et ses projets au khalife par l'intermédiaire de Nadjm ad-Dîn le Confident à qui il remettait, chaque année, une forte somme pour qu'il le soutînt en son absence et soignât sa réputation auprès du khalife.
Il m'arriva de causer un jour avec Djamal ad-Dîn 'Ali fils de Muhammad, de Destedjerd[142] (qu'Allah l'ait en pitié !), au sujet de Ibn ad-Darnoûs. J'approuvais les bienfaits dont Mousta'sim l'avait comblé. « Ibn ad-Darnoùs, disais-je, avait rendu des services au khalife ; et je l'ai établi. Le khalife l'a payé de retour ; il n'y a à cela aucun mal. — Djamal ad-Dîn (qu'Allah l'ait en pitié !) me répondit à peu près en ces termes : « Le fait par le khalife d'avoir investi un pareil imbécile d'une autorité souveraine sur l'honneur et les biens de ses sujets, de lui avoir donné part à l'empire au point que peu s'en fallait que ce ne fût lui qui fît et défît les vizirs, tout cela est fort vilain de la part de Mousta'sim et montre bien sa sottise ; s'il voulait lui faire du bien, pour reconnaître les services précédemment rendus par lui, il devait le faire en lui donnant de l'argent ou en élevant son rang, mais de façon à ce que cela ne fût pas une cause de perturbation dans l’empire, ni un prétexte pour qu'on dénigre l'intelligence du khalife. » — La manière de voir de Djamal ad-Dîn sur ce chapitre était plus fine que la mienne et la vérité était de son côté. Qu'Allah l’ait en pitié !
Cet échange d'idées entre lui et moi se produisit dans une lettre que je lui écrivis et où je fus amené à parler incidemment de cette question. Il répondit à cette lettre et, suivant ce que je lui avais demandé, en m'envoyant cette réponse, il y joignit ma lettre. Les deux lettres l'une de ma propre main, l'autre de la sienne, sont en ma possession à la date d'aujourd'hui.[143] Qu'Allah l'ait en pitié!
Une chose qui convient bien à un grand roi et qui parfait sa grandeur, c'est d'avoir des sentiments élevés, le cœur large, d'aimer le pouvoir, d'en bien préparer les voies, d'élever ses regards sur le pouvoir, de faire travailler son intelligence à l'agrandissement de son empire et à élever sa dignité, sans s'éterniser dans les plaisirs, sans se laisser aller à la mollesse ni se plonger dans les voluptés.
Un sage de la Perse a dit : « Les soucis des hommes ordinaires sont petits, les soucis des rois sont grands; les pensées des rois sont absorbées par toutes sortes de choses importantes, tandis que les pensées des gens du bas peuple ne sont occupées que de vétilles ; que le roi sache que la dignité souveraine est une fiancée qu'on ne peut posséder qu'en lui donnant sa vie pour dot. »
Mouâwiya, à Siffîn porta ses regards sur l'armée de l'Émir des Croyants Ali (sur qui soit le salut!) et, se tournant vers 'Amr fils d'al-'Asi,[144] lui dit : « Qui désire beaucoup, risque beaucoup. J'ai envisagé le but que je poursuis et il me semble que mourir en s'efforçant de conquérir la grandeur vaut mieux en fin de compte que vivre dans l’humiliation. » Un poète a dit :
C'est une âme ! Si elle meurt, que de gens nobles sont morts avant elle ! Si elle survit, c'est pour le malheur.
L'âme qui ne poursuit pas de nobles ambitions compte parmi les morts dès son vivant.
Ce qu'on a dit de mieux dans cet ordre d'idées, est cette parole d'Imr oul-Qais[145] :
Si ce que je recherche n'était qu'une vie obscure, peu de chose me suffirait et je ne réclamerais rien de plus.
Mais je recherche une gloire enracinée et mes pareils arrivent parfois à la gloire la plus solide.
Une chose encore qui parfait l'excellence du roi, c'est la faculté de choisir avec discernement ses serviteurs ; cette faculté doit être chez lui entière, sans qu'aucune cause accidentelle ne vienne la troubler; dans ce cas, le prince ne fera que d'excellents choix parmi les hommes.
Nasir était la merveille du monde dans le choix des hommes. Voici un des moyens qu'il employait pour arriver à la connaissance des hommes, quand il éprouvait quelque embarras à connaître exactement leur situation: il faisait courir parmi le peuple le bruit qu'il voulait nommer telle personne à tel emploi. Puis il atermoyait quelques jours avant de rendre définitive cette nomination. Cependant, le pays se remplissait de rumeurs discordantes à propos de ce candidat. Les avis se partageaient à son sujet : les uns trouvaient que le projet du khalife constituait une sage mesure, et ils énuméraient les bonnes qualités du personnage ; les autres, au contraire, découvraient que le khalife s'était trompé, et citaient tous les défauts de ce même personnage. Or, le khalife avait des espions et des agents d'information, dont on ne se défiait pas et qui entraient en relation avec tous les groupes. Ces agents d'information écrivaient alors au khalife et le mettaient au courant de l'état de l'opinion publique. Alors, le khalife, avec sa sûreté de jugement et son discernement, reconnaissait laquelle des deux opinions était préférable et plus conforme à la vérité. Si donc, à ses yeux, l'opinion favorable au candidat avait plus de poids, il lui confiait la dignité et lui en faisait revêtir les insignes. Mais si, au contraire, l'opinion des détracteurs lui paraissait devoir l'emporter et qu'il reconnaissait l'insuffisance du personnage, il l'abandonnait et se détournait de lui.
En un mot, savoir faire un bon choix, c'est un principe d'une importance capitale. Le poète a dit :
Celui qui choisit un loup pour berger de ses brebis laitières est lui-même l'auteur de son dommage.
Il compte sur la capacité de son berger, alors que celui-ci est d'habitude un traître. Or, quiconque s'adresse à un fourbe, apprendra à connaître le repentir.
L'ne chose qui est détestable pour les rois, c'est un trop grand penchant pour les femmes ; c'est de se laisser absorber par l'amour qu'ils leur portent, de consacrer leur temps
à la société des femmes. Quant à les consulter au sujet des affaires publiques, c'est amener l'incapacité, c'est faire appel au désordre, et cela dénote une grande faiblesse de jugement, à moins, mon Dieu ! qu’on ne les consulte avec l'intention de ne pas suivre leur avis, conformément à cette parole du Prophète (sur qui soit le salut!) : « Consultez-les et faites le contraire de ce qu'elles vous conseillent. » Cette parole authentique, que nous a transmise la tradition, donne lieu à une question et à une réponse. Si quelqu'un dit : « Puisqu'on se propose de ne pas suivre leurs avis, à quoi bon les leur demander ? Il suffisait de dire : Ne faites pas ce qu'elles vous conseillent. » — On peut répondre à cette objection de deux manières : On peut dire d'abord que, dans ce hadith, le premier impératif est un impératif qui indique la tolérance, tandis que le second est un impératif d'obligation.[146] C'est-à-dire, si par aventure il vous arrive de les consulter, ne suivez pas leur avis.
On peut répondre encore d'une seconde manière en disant : Ce qui est vrai et juste est toujours le contraire de ce que pensent les femmes ; lors donc que vous êtes embarrassés, ne sachant quel est le parti à prendre, demandez conseil aux femmes. Si elles penchent d'un côté, sachez que la vérité est à l'opposé. C'est en cela qu'apparaît l'utilité de la recommandation (que fait le Prophète de les consulter), en ce sens que leur consultation aide à trouver la vérité.
On a raconté qu' 'Adouci ad-Daula Fannâkhousrau, fils de Bouwaih, s'éprit éperdument d'une des femmes de son harem, qui se rendit absolument maîtresse de son esprit, en sorte qu'il se laissa absorber par elle, au point d'oublier le gouvernement de l'empire où la perturbation finit par apparaître. Son vizir le prit à part et lui dit : « O roi! tu es tout possédé de cette fille au détriment des affaires de ton empire, à tel point que, de bien des côtés, il est envahi par la décadence. La cause de cela n'est que la manière dont tu te laisses occuper par cette servante aux dépens du gouvernement de ton empire. Le parti que tu as à prendre, c'est de la quitter et de te mettre à réparer ce qui, dans ton empire, est déjà désorganisé. »
Le narrateur a dit : « Quelques jours après, 'Adoud ad-Daula était assis sur un belvédère qu'il possédait sur le Tigre. Il appela à lui cette fille [dont il était si fortement épris]. Elle vint. Le roi l'occupa pendant un certain temps de sorte qu'elle ne se garda plus. Alors il la poussa dans le Tigre. Elle s'y noya, et l'esprit du roi fut délivré de l'amour qu'il lui portait, et il s’occupa de réparer le désordre de son empire. Le public admira beaucoup cette action d’Adoud ad-Daula et en conclut à sa grande force d'âme : en effet, son cœur a été assez ferme pour se résoudre à faire périr l'objet de son amour. » Pour moi, je vois dans cet acte une preuve de la faiblesse d'âme d'Adoud ad-Daula, non une preuve de sa force, car, s'il ne se fût pas senti entièrement sous la sujétion de son amour, il n'aurait pas cherché à la faire périr. La laisser vivre et avoir le courage d'y renoncer, voilà qui eût été une preuve de sa force d'âme.
Il faut pour chaque classe de sujets une politique particulière. Les meilleurs doivent être gouvernés par les nobles qualités morales et par une direction douce; ceux qui occupent une position intermédiaire seront régis par la perspective de leur intérêt jointe à la crainte. Le bas peuple sera régi par la crainte : on le contraindra à marcher dans la bonne voie, on le forcera à respecter la saine justice.
Sache que le roi est à ses sujets ce que le médecin est au malade. Si le tempérament du malade est délicat, le médecin lui adoucira le traitement; pour lui, il lui fera avaler les remèdes désagréables dans des choses de goût agréable et s'ingéniera de son mieux pour arriver à son but, qui est de le guérir. Au contraire, le malade est-il d'un tempérament rude, le médecin lui appliquera le traitement violent, naturel et énergique. C'est pourquoi il ne convient pas que le roi use de menaces envers quelqu'un à qui il suffit de tourner le dos ou de froncer le sourcil pour le mettre a la raison ; de même il ne sera pas bon que le roi emprisonne celui qu'il suffit de menacer pour qu'il s'amende; de même, il ne doit pas battre celui que la prison punit suffisamment, ni faire décapiter celui que la bastonnade suffit à corriger.
Savoir discerner l'un de l'autre ces différents états, je veux dire savoir reconnaître le tempérament pour lequel suffisent les menaces sans qu'il soit besoin de la prison, ou pour lequel suffit la prison sans qu'il soit besoin des coups, ce savoir exige de la finesse d'esprit, de la justesse de discernement, la pureté du cœur, une perspicacité achevée et une attention d'esprit parfaite. Car combien les naturels sont difficiles à distinguer; et les tempéraments et les caractères, quelle peine pour les démêler !
Le roi doit être bien circonspect quand il s'agit de tuer et d'anéantir un être vivant. Car il sait que la mort est un événement après lequel il ne reste plus de vie à l'être vivant sur cette terre. Quand tous les gens du monde s'évertueraient à lui rendre la vie, ils n'y parviendraient pas. En considération de cet état de choses, il faut que le roi réfléchisse mûrement avant d'enlever la vie et de détruire une forme humaine ; il doit prendre son temps et réfléchir jusqu'à ce que les preuves se dressent, établissant la nécessité de tuer. Si c'est reconnu nécessaire, qu'il applique la peine de mort de la manière traditionnelle, sans s'y complaire, sans y chercher des variétés raffinées, sans mutiler[147] le supplicié.
On a rapporté cette parole du Seigneur des humains le Prophète sur qui soient les bénédictions et le salut d'Allah !) : « Gardez-vous de punir par une mutilation même le chien qui mord. »
Lorsqu'Ibn Mouldjam (que Dieu le maudisse !) frappa de son épée 'Ali fils d'Abou Thâlib, on le saisit et on le jeta en prison jusqu'à ce qu'on vît ce qu'il adviendrait d’Ali (sur qui soit le salut!). Celui-ci rassembla ses enfants et ses intimes, et leur dit : « Enfants d’Abd al-Mottalib, ne vous rassemblez pas de toutes parts en criant : L'Emir des Croyants a été assassiné ! l'Emir des Croyants a été assassiné ! Ne mutilez pas l'assassin, car j'ai entendu le Prophète (les bénédictions et le salut d'Allah soient sur lui !) défendre qu'on mutilât même le chien qui mord. Attendez et si je viens à mourir de ma blessure, rendez au meurtrier coup pour coup. »
Parmi les avantages qu'on trouve à temporiser et à différer de mettre quelqu'un à mort, c'est qu'on est à l'abri du repentir qui vient alors qu'il ne sert plus de rien. Les plus éminents parmi les rois et les khalifes étaient grands observateurs de ce principe : ils ne se hâtaient pas de tuer un homme célèbre ou illustre, de crainte d'en avoir besoin plus tard, alors qu'ils ne pourraient plus le trouver. Ils le tenaient enfermé au fond de leur palais, lui faisaient servir tout ce qu'il lui fallait en fait d'aliments appétissants, de fruits, de glace, de boissons, lui donnaient un lit moelleux et lui apportaient des livres pour qu'il pût se distraire. Puis, ils ne donnaient plus aucune nouvelle de lui aux gens, de sorte que sa famille et ses parents se persuadaient qu'il était mort. On confisquait ses biens et ceux de ses amis ; on tirait de chez lui ses trésors de même que les dépôts qu'il avait pu confier à d'autres, bref il était compté au nombre des morts. Les choses duraient ainsi jusqu'à ce qu'on eût besoin de lui; on le faisait alors sortir en le comblant d'honneurs. Pendant ce temps, il s'était corrigé et amendé.
Celui que son père et sa mère n'ont pas corrigé, la succession des nuits et des jours le corrigera.
Il y a ici, à vrai dire, un terrain glissant sur lequel sont parfois tombés les meilleurs des rois, c'est qu'il arrive assez souvent qu'un roi infatué de sa personne, aime qu'on dise partout de lui qu'il est un homme énergique, ferme, et qu'il a une manière forte de gouverner. Dans ce cas, il regarde comme peu de chose la peine de mort, la prononce facilement et est toujours prompt à y condamner. Son but, en ce faisant, est de maintenir le respect mêlé de terreur qu'on lui porte, et de conserver son autorité sans avoir égard aux inconvénients de cette manière d'agir qui aboutit à anéantir une vie déclarée inviolable,[148] sauf quand il y a un motif légitime. Et c'est là une des choses qui offrent le plus de risques pour le roi. Il convient, au contraire, que le roi ait toujours de la répugnance à tuer, qu'il l'évite le plus qu'il lui sera possible, tant qu'une nécessité inéluctable ne l'y contraindra pas. Dans ce cas, alors, il doit prendre courageusement cette décision avec une âme forte et un cœur ferme, car il vaut mieux faire périr un seul homme que le laisser vivre pour qu'il devienne nécessaire d'en tuer cinq; et en tuer cinq vaut mieux que les laisser vivre jusqu'à ce que, les désordres qu'ils causent se propageant, il devienne nécessaire d'en sacrifier cent. C'est pour ces motifs qu'Allah le Très-Haut a dit[149] : « Dans la loi du talion est votre vie. » Et on a dit : « Le meurtre est ce qui préserve le plus du meurtre.[150] » Le poète a dit :
En versant le sang, ô ma voisine, on épargne l'effusion du sang et par le meurtre toute vie échappe au meurtre.
[Dans cet ordre d'idées] Moutanabbi a dit :
La haute noblesse n'est pas à l'abri du dommage, tant que le sang n'aura pas coulé autour d'elle.
Un sage exhortait un roi en ces termes : « roi, que ton glaive et ton argent soient tout. Avec celui-ci sème des gens qui chanteront tes louanges, avec celui-là, fauche quiconque se montrera ingrat. »
Un homme vint trouver le Prophète (les bénédictions et le salut d'Allah soient sur lui) et lui dit : « Apôtre d'Allah, j'ai commis l'adultère, punis-moi donc selon que la loi l'exige. » Le Prophète se détourna de lui et prit à droite. Mais tournant autour de lui, l'homme se trouva en face de lui et lui répéta ses paroles. Le Prophète se détourna de lui une seconde fois. L'homme répéta encore ses paroles et réclama une punition. Le Prophète, qui répugnait à le faire périr, lui dit comme pour lui indiquer ce qu'il devait répondre : « Sans doute tu t'es borné à donner des baisers, embrasser ou commettre quelques attouchements, mais tu n'as pas commis l'acte même ? — Si Apôtre d'Allah, je l'ai commis, répondit l’homme. » Le Prophète se tournant alors vers les parents et les amis de cet homme leur dit aussi, comme quelqu'un qui veut leur indiquer l'excuse qu'il faut donner : « Il semble qu'il ait l'esprit dérangé? » Ils répondirent : « Non, Apôtre d'Allah, nous ne le connaissons que comme un homme jouissant de toute sa raison. » Alors il ne resta plus rien à faire au Prophète : il ne put qu'ordonner qu'on lui fit expier son crime.
La détention perpétuelle dans des cachots remplace la mort, avec cet avantage qu'on est à l'abri du repentir qu'on peut craindre par la condamnation à mort.
Pour ce qui est des divers genres de châtiments, il convient que le roi parfait y regarde attentivement. Car que de fois un châtiment a abouti à la mort de celui qui en était l'objet, sans que pourtant on en ait voulu à sa vie !
Le plus terrible châtiment, c'est le supplice du feu. C'est un supplice qui ne porte pas bonheur à celui qui l'ordonne. En effet, c'est le supplice qu'Allah (qu'il soit glorifié et exalté !) se réserve d'appliquer, et il n'est pas permis que le serviteur y participe.
C'est au roi éminent à choisir lui-même parmi les diverses sortes de châtiments; c'est lui qui suppute ce que réclame la situation présente. Mais le principe fondamental, c'est que le roi, au fond de son cœur, haïsse punir, qu'il n'v trouve aucun plaisir, qu'il ne s'y montre pas empressé et qu'il ne s'y hasarde que quand une nécessité urgente l'y invite, que cène soit pas chez lui la satisfaction d'un intérêt personnel, ni un moyen d'éteindre la colère qui gonfle son cœur. C'est là un degré difficile à atteindre, auquel ne parvient que celui qui est assisté par la Providence.
On a raconté qu'Ali (sur qui soit le salut!), dans un des combats qu'il livra, ayant renversé un homme, s'assit sur sa poitrine pour lui trancher la tête. L'homme lui cracha au visage. 'Ali se leva et le laissa, et comme on lui demandait pourquoi, après s'être rendu maître de cet homme, il s'était levé de dessus sa poitrine et avait renoncé à le tuer, il répondit : « Lorsqu'il m'a craché au visage, la colère s'est emparée de moi et j'ai craint, si je le tuais, que ce ne fût en partie pour satisfaire, en versant son sang, ma colère et ma fureur. Or, il ne me plaisait pas de le tuer pour un motif qui ne fût pas purement en vue d'Allah. »
Abrawîz[151] a dit : « Les rois injurient en agissant, non en parlant; s'ils font quelque lourde faute, ce sont leurs mains qui la commettent, non leurs langues. » Et le poète arabe a mis cette pensée en vers :
Nos mains sont rudes et nos idées sont douces[152] ; nos injures, ce sont des actes, non des paroles.
Parmi les choses encore qui déplaisent dans un roi, c'est qu’il se laisse absorber par les voluptés, par l'audition des chants, et qu'il passe son temps à cela. Le poète Abou-l-Fath al-Boustî[153] a dit :
Lorsque le roi consacre son temps au divertissement, prédis à son royaume le malheur et la mort.
Ne vois-tu pas le soleil dans le signe de la Balance, comme il s'abaisse quand vient le soir ? C'est que c'est là la constellation du plaisir et de la joie.[154]
Jamais un roi n'éprouva, du fait du plaisir et du jeu, défaillance pareille à celle de Djalal ad-Dîn fils de Kharezmchah. En effet, lorsqu'il prit la fuite devant les Mogols, ceux-ci se mirent à sa poursuite. A peine était-il parti d'une ville qu'ils y arrivaient pour faire halte. Etait-il le matin dans un endroit, le soir on les y voyait arriver, toujours acharnés à sa poursuite. Djalal ad-Dîn, cependant, buvait du vin sans cesse; attentif aux sons de la flûte et du tambourin, il ne s'endormait pas qu'il ne fût ivre, il ne se réveillait que la tête troublée encore des fumées de l'ivresse et alourdie par le vin. Ses troupes diminuaient chaque jour, et chaque jour sa situation s'ébranlait davantage. D'un instant à l'autre son esprit s'engourdissait de plus en plus et sa finesse s'émoussait. Il n'eut conscience de sa situation et n'y fit attention que quand son poète favori lui eut adressé ces deux vers en persan :
Le roi que l'ivresse alourdit, que veut-il? Se lever
Il est toujours ivre, que désire-t-il ? Se lever.
Le roi est ivre, le monde tombe en ruine, l'ennemi est derrière nous et devant.
Il est clair que du milieu de tout cela le roi veut se lever.
Parmi les rois auxquels le jeu et le plaisir ont porté préjudice, on doit compter Muhammad Amin, fils de Zobeida. Il aimait fort le jeu et les divertissements et était adonné à tous les plaisirs. On rapporte qu'il joua un jour au trictrac avec son vizir Fadl fils de Rabî'. Ils jouaient leurs anneaux. Amin l'emporta. Il prit la bague et envoya chercher tout de suite un orfèvre. Sur cette bague étaient écrits ces mots : « Fadl fils de Rabî'. » Amin dit à l'orfèvre : « Ecris au-dessous : foulu. » Tout de suite, l'orfèvre grava ce mot. Ensuite, le khalife fit reporter la bague à Fadl fils de Rabî' sans que celui-ci se doutât de ce qu'on y avait gravé. Quelque temps se passa et quelques jours s'étaient écoulés, quand Fadl fils de Rabr, entrant chez le khalife, celui-ci lui dit : « Qu'y a-t-il d'écrit sur ta bague ? — Mon nom et le nom de mon père. » Amin prit la bague des mains du vizir et lui dit : « Que signifie cette inscription au-dessous de ton nom ? » Fadl, l'ayant lu, comprit la chose et s'écria : « Il n'y a de force et de puissance qu'en Allah le Très-Haut le Sublime ! Par Allah, c'est là un véritable scandale ! Je suis ton vizir et aujourd'hui voilà déjà un bon bout de temps que de ce cachet ainsi modifié je scelle les lettres que j'envoie à toutes les extrémités de l'empire ! Par Allah, c'est bien le signe de la fin de l'empire et de son anéantissement. Vrai Dieu, tu ne prospéreras pas ni nous avec toi. » En effet, la révolution eut lieu peu de temps après. Mousta'sim, le dernier des khalifes, était fort adonné à la gaieté, au jeu et à la musique. Il était bien rare qu'il demeurât une heure à s'en priver. Ses compagnons de table et les gens de sa suite étaient tous, à son exemple, adonnés au plaisir et à la débauche, et ne cherchaient nullement à le corriger. Un proverbe dit: « L'imbécile[155] n'entend pas les cris. » Des gens du peuple lui écrivirent, en effet, des billets qui, remplis d'injures de toutes sortes, furent jetés aux portes du palais du khalife avec des vers dont voici quelques-uns :
Dis au khalife : Tout doux, il l'est arrivé ce qui n'est pas fait pour te plaire.
Voilà que fondent sur toi toutes sortes d'étranges malheurs.
Lève-toi donc et prends des résolutions énergiques, ou bien le malheur et la guerre fondront sur toi,
Avec le dommage, le déshonneur, la captivité, les coups, le pillage et le vol.
Un poète de l’époque de Mousta'sim a dit aussi, à ce propos, une qasida dont voici le commencement :
O toi qui m'interroges et désires entendre la pure vérité, écoute-moi, car j'ai l'objet de tes recherches et je dis des vers.
Hélas ! c'est la perte du peuple et de la vraie religion ! Malheureux Bagdad, que de coups il reçoit des vicissitudes du sort !
Déshonneur, massacre, événements qui font blanchir la tête de l'enfant, supplices, prison[156] !
Tout cela ne l'empêchait pas de passer tout son temps à écouter les chants, à entendre les luths à trois cordes et à deux cordes, pendant que son empire croulait de toutes parts !
Parmi les traits célèbres qu'on a de lui, est celui-ci : Il écrivit à Badr ad-Din Loulou' 3, prince de Mossoul, pour lui demander une troupe de musiciens. Sur ces entrefaites, arriva à la cour de Badr ad-Din un envoyé du sultan Houlagou qui réclamait de lui des catapultes et des machines de siège. Alors, Badr ad-Din s'écria : « Considérez ces deux choses qui me sont demandées et pleurez sur l’Islâm et les Musulmans ! »
Il m'est revenu que le vizir Mouayyad ad-Dîn Muhammad fils d’al-'Akjamî,[157] dans les derniers temps du règne de Mousta'sim, répétait continuellement ces vers :
Comment espérer le bien d'un peuple qui a perdu entièrement la volonté d'y atteindre?
Celui à qui on obéit n'a point de rectitude dans le jugement et celui qui parle en homme de bon sens, on ne l'écoute pas!
On a dit: « Deux conditions conviennent seules à l'homme parfaitement sage : Qu'il pousse l'ambition du pouvoir à ses dernières limites, ou qu'il y montre l'abandon le plus absolu. »
Si tu n'es pas un roi obéi, sois un esclave obéissant à son Créateur.
Si tu ne peux, ainsi que tu le désirerais, posséder le monde entier, abandonne-le tout entier.
C'est ici le lieu de conter une histoire qui renferme tout l'appareil du gouvernement. On a raconté qu'Abou Talib al-Djarràhî[158] l'écrivain,[159] le meilleur écrivain de son temps et le plus plein de talent, alla à Rey,[160] auprès d'Ibn al-'Amid.[161] Mais il ne trouva pas chez lui un bon accueil ni ce qu'il aimait. Il le quitta donc et, gagnant l'Azerbaïdjan, s'établit auprès du roi de ce pays, roi plein de talents et d'intelligence. Lorsque ce prince l'eut interrogé et eut reconnu son mérite, il lui demanda de rester auprès de lui et le traita avec une grande générosité. Abou-Thâlib étant donc demeuré chez lui dans la plus heureuse des situations écrivit à Ibn al-'Amid, lui reprochant son ignorance qui l'avait méconnu et lui avait fait perdre un homme tel que lui. Voici un passage de sa lettre :
« Dis-moi, qu'alléguerais-tu si on te disait: Pourquoi as-tu été nommé chef du gouvernement, et si on te disait: Qu'est-ce que le gouvernement ? Saurais-tu répondre ce que c'est? Gouverner, cela veut dire que la porte du détenteur de l'autorité sera consignée quand il le faut et ouverte quand il le faut, que la salle de son conseil sera remplie des hommes les plus éminents, que ses bienfaits atteindront chacun. Cela veut dire que sa bonté sera débordante et son visage épanoui. Que son serviteur sera poli, que son huissier aura des manières nobles et ne sera pas renfrogné, que son portier sera aimable, que son argent s'écoulera en présents, qu'il distribuera les mets de sa table, que son influence sera mise au service des autres, que son carnet de notes sera tout noirci de la liste des dons, des récompenses et des aumônes.
« Mais toi, ta porte est toujours close et ton prétoire est toujours vide ; tes bienfaits, on n'a aucun espoir d'y atteindre, et pour ta bienfaisance, on ne peut l'espérer. Ton serviteur est désagréable, ton huissier est maussade, ton portier est grognon. Ton argent est caché dans l'étoile la Chèvre[162] ; ton carnet de notes est farci d'ordres d'appréhender celui-ci, de faire périr celui-là, de bannir cet autre. Par Allah, n'es-tu pas tout entier dans cette description ? Si je n'avais foulé le tapis de ta demeure et mangé de ton pain, je répandrais cette lettre dans le public, mais je veux te tenir compte de ce que je viens de dire, et nul n'a connaissance de cet écrit si ce n'est Allah et toi. Pour moi, j'en jure par Allah (et ce serment, je le répète et le répète encore), je ne garde de cette lettre nulle copie par devers moi ; nul autre créature que moi ne l’a vue, ni n'en a pris connaissance. Détruis-la donc quand tu en auras pris connaissance et supprime-la. Que le salut soit sur quiconque suit la voie droite[163] ! »
Il faut que le roi rende le bien pour le bien, et le mal pour le mal, afin que ses sujets soient toujours dans l'espérance de ses bienfaits, dans la crainte de ses rigueurs. Quelle est belle la parole de Nâbigha[164] s'adressant dans ce sens à Nou'mân fils de Moundzir :
Celui qui t’obéit, aide-le en raison et dans la mesure de son obéissance et guide-le dans la bonne voie.
Quant au rebelle, poursuis-le d'un châtiment qui réprime la révolte ; mais ensuite ne t'abandonne pas à un sentiment de haine.[165]
Les Persans ont dit : « L'abaissement de la royauté, l'insolence des sujets, la ruine des pays proviennent de ce qu'on néglige de promettre et de menacer. »
Il ne convient pas, non plus, qu'un grand roi se glorifie des ornements d'emprunt de la royauté, tels que les précieux trésors amassés de longue date et les jolies acquisitions récentes que sa main a saisis ou que son garde-meuble renferme. Car ce sont là des babioles sans réalité aucune et qui ne doivent avoir aucun attrait pour un esprit cultivé.
Et de même, il ne convient pas au roi de mettre sa gloire dans ses ancêtres. Il doit la placer dans les talents qu'il a acquis, dans les qualités naturelles qu'il a portées à la perfection, dans les disciplines dont il a su profiter, dans les connaissances qu'il a su développer.
Un riche se vanta devant un sage de ses ancêtres d'une part, d'autre pari des ornements d'emprunt qu'il tirait des richesses qu'il avait acquises. Le sage lui dit : « Si ces choses sont glorieuses, c'est à elles que doit appartenir la gloire, non à toi; si tes ancêtres sont aussi illustres que tu le dis, la gloire en est à eux, non à toi. »
Al-'Asdjàdî a dit : « Il y avait un sage qui, lorsqu'on lui faisait l'éloge d'un homme, demandait : « Est-il le fils de « ses œuvres, comme 'Isâm (isâmi) ou ne vaut-il que par « ses ancêtres (izâmî). » Si l'on répondait : « C'est un véritable 'Isâm », notre sage le prenait en estime. Si l’on répliquait : « Il doit tout à sa naissance » ('izâmî), notre sage ne lui prêtait aucune attention.
La formule de la question : « Est-il le fils de ses œuvres comme 'Isâm ?[166] » fait allusion aux vers du poète :
La vertu d’Isâm a anobli 'Isâm; Elle lui a enseigné à revenir à la charge et à attaquer avec audace,
Elle en a fait un roi magnanime.
C'est-à-dire : C'est par son intelligence et par sa vertu qu'il a conquis l'autorité,
La seconde partie de la formule: « Ne vaut-il que par sa naissance ('izâmî) ? » signifie qu'il mettait sa gloire dans ses ancêtres, c'est-à-dire dans des os ('izâm) cariés.
[12] L’accentuation a été allégée par rapport au texte original. Certaines notes de renvoi vers la traduction d’un texte correspondant ne sont pas reproduites.
[13] Cette doxologie est toute empreinte de mysticisme et rappelle d'assez près certains passages du Zohar, telle que la Petiha d'Eliahou… Les analogies sont faciles à établir au cours de tout ce passage. Cf. Adolphe Franck, La Cabbale, p. 170 et passim.
[14] Ce terme est emprunté à la langue coranique. Cf. Coran, X, 21 et passim. Djourdjâni, dans ses Ta'rifât, et d'autres lexicographes arabes donnent diverses définitions de ce terme, en se plaçant à différents points de vue. Il résulte de la plupart de ces définitions que ce mot s'applique à tout ce qui ne tombe pas sous le sens de la vue, c’est-à-dire à tout ce qui est invisible.
[15] C’est le voile ou la cloison qui, au Paradis, sépare les bienheureux des réprouvés. Coran, VII, 41 et passim. Dans la théologie musulmane, le voile, hidjab, s'entend du fait de mourir dans l'infidélité, c'est-à-dire avant d'avoir embrassé l'Islamisme. On rapporte, à ce sujet, un hadith du Prophète, transmis par Abou Dzarr, d'après lequel Mahomet aurait dit : « Certes Allah pardonne à son serviteur, tant que le voile n'est pas tombé. — Et qu'est-ce que le voile, ô Apôtre d'Allah ? demanda-t-on. — C'est, dit-il, quand l'âme meurt alors qu'elle est infidèle. » Cf. Mouhît al-mouhît s. v., et d'autres hadiths relatifs à ce mol dans le Tadj al-’aroûs, s. v.
[16] Cf. Coran. XIII, 40 et passim.
[17] Le Coran.
[18] Ces expressions sont empruntées au Coran, XXXIII, 19.
[19] On sait que c’est l’épithète que Mahomet se donne lui-même dans le Coran ; voy. la sourate VII, versets 156 et 158 et passim.
[20] Allusion au Coran. VIII, 64: « S'ils te trahissent (les infidèles), Allah te suffira : C'est lui qui l'a aidé par son assistance. »
[21] C'est pour éviter la répétition du mot étudier, que nous avons traduit par rechercher.
[22] Coran, XXXIX, 12.
[23] Abou Sa'id Mouhallab, fils d'Abou Soufra, gouverneur du Khorasan en 79 de l'Hégire (= 698 de J.-C), mort en Dzoû-l-hidjdja de l'année 83 (26 décembre 702-24 janvier 703) selon la meilleure opinion, fameux par son intelligence et surtout par les recommandations qu'il fit à ses enfants sur son lit de mort. Cf. Massoudi, Prairies d’or. Index, p. 199; Ibn Khallikan, Wafâyât al-a’yân, 764 ; J.-B. Périer, Vie d'Al-Hadjdjâdj ibn Yousouf. p. 24 et passim ; Moubarrad, Al-Kâmil, p. 617 ; Ibn Qoutaiba, Ma'ârif, p. 202. Kitab al-Aghâni, Index, p. 657.
[24] Il existe deux personnages portant ce nom. L'un est un célèbre écrivain arabe d’Espagne, auteur du Matmah et de Qalâ'id al-iqyân, deux anthologies littéraires très renommées. Cet auteur est mort assassiné à Marrakouch (Marrakech), au Maroc, en 529 (= 1134). Voy. Brockelmann, Gesch.der arab. Litt., I. 339; Ibn Khallikan. Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 536; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, p. 203 ; de Hammer Purgstall. Litt. Gesch. der Araber. VI. 443. 682.
[25] 'Amr ibn Bahr al-Djahiz, célèbre polygraphe, mort en 255 de l'Hégire (869 de J.-C). Voy. la bibliographie dans Brockelmann, Geschichte der arabischen Litteratur. I, 153 ; cf. aussi Cl. Huart. Hist. de la Litt. arabe, p. 212-214 ; De Hammer-Purgstall. IV, 585 ; Kitab al-aghânî. Index, p. 259 ; Ibn Khallikan Wafayat. éd. Wüstenfeld, notice 517 ; Massoudi, Prairies d’or, III, 22-25, et VIII, 33-36.
[26] Ces expressions, devenues proverbiales, sont empruntées à une tradition (hadîth) où le Prophète, parlant de la gravité et du calme de ses compagnons (ashâb), disait : Comme si chacun d'eux avait eu un oiseau sur la tête. Les commentateurs de ce hadîth ajoutent que les compagnons du Prophète se tenaient ainsi par crainte et déférence envers Mahomet. Quant à l'origine de cette locution, les uns l'expliquent en disant que l'oiseau ne se pose que sur une chose immobile Cf. Mouhît al-mouhît, II, 1309), d'autres disent que cette locution vient de ce que le corbeau se pose sur la tête des chameaux et de son bec leur enlève la teigne : pendant ce temps, la bête ne bouge pas. (Djauhari, apud Tadj al-’aroûs, s. v.). Meïdani, Proverbes, éd. du Caire, II, p. 78.
[27] Ces transparents sont d'un genre spécial. Ils consistent dans un carton ayant généralement les dimensions du papier employé ; sur ce carton on colle des ficelles fines qui figurent les lignes. Il ne reste plus qu'à appliquer la feuille de papier sur ce carton et à la presser avec la main pour obtenir l'empreinte des fils sur le papier.
[28] Ce fameux poète, qui vécut longtemps à la cour du Prince de Hamadhan, Sayf ad-Daula, est trop connu pour qu'il soit besoin de donner ici sa biographie détaillée. Je me borne à donner la date de sa naissance à Koûfa, 905 (de J.-C.) et celle de sa mort, près de Bagdad, 965, et je renvoie pour le surplus et pour la bibliographie à Brockelmann. Gesch. der arab. Litt., I, 86-89; de Hammer Purgstall. Litteraturgesch. der Araber, V, 712; VI, 461-779.
[29] Opposés aux romans, comme ceux d'Antar et autres.
[30] Khalife 'abbâside. Voy. plus loin la traduction correspondante.
[31] Voy. sur ce prince 'abbâside, plus loin, la traduction correspondante.
[32] Prince de Mossoul de 63l (= 1233) à 657 (= 1259). Cf. Stanley Lane-Poole, The Mohammedan Dynasties, 163-164. Abou-l-Mahâsin (Al-Manhal as-sâfi, manuscrit arabe de Paris, n° 2072, 57 r° et v°) donne une intéressante notice sur ce prince.
[33] Sur cette épithète, voy. les références données par M. Hartwig Derenbourg dans son Introduction à l’édit. arabe, p. 2.
[34] C'est-à-dire sans un dessein préconçu de sa part, mais involontairement et fortuitement. C'est une locution proverbiale. M. Derenbourg, loc. cit., traduit : « sans y être atteint ni par les averses, ni par les pluies fines.»
[35] Coran, XXVIII, 14, où il est question de Moïse, lors de son entrée dans la capitale de Pharaon : voyez l’Introduction, de M. Derenbourg, p. 2, note 6.
[36] Voy. Hartwig Derenbourg, Introduction à l’édition arabe, p. 18.
[37] Coran, XXX, 32; XXXIX, 11 et 50.
[38] Allusion au Coran, LVI, 69 ; aussi XXV, 55 ; XXXV, 13.
[39] Allusion au miracle accompli par Jésus. L'auteur a joué sur le nom du Prince 'Isa, qui est le nom de Jésus en arabe.
[40] Cette image, pour indiquer la noblesse, l'excellence d'une chose, est assez fréquente chez les auteurs arabes.… Cf. S. de Sacy, Anthologie grammaticale, p. 125, l. 12, de la partie arabe et la note 17 sur ce fragment.
[41] D'origine grecque, Ibn ar-Roûmî, qui fut un poète très goûté, naquit à Bagdad en 221 (= 836. Par ses satires, il s’attira l’inimitié de Qasim, fils d’Obeïd Allah, le vizir de Mou'tâdid (voy. infra, la traduction correspondante) et fut empoisonné un jour en présence du vizir lui-même. Voy. la relation de ce fait dans Cl. Huart. Hist. de la Litt. arabe, p. 83. Pour la bibliographie, voy. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 79-80. Cf. aussi de Hammer-Purgstall, Litteraturgesch. der Araber, IV, 598, 869; VII, 942; IX, 29 ; Kitab al-aghâni, XX, 72.
[42] Allusion au Coran, XV, 85: « Et toi, Mahomet ! pardonne d'un beau pardon. »
[43] C'est une locution proverbiale, expliquée par le Mouhît al-mouhît, I, 370. C'est-à-dire, « sans qu'on puisse le taxer d'exagération. » Cette locution est employée dans un hadith (tradition), où Mahomet aurait dit : « Racontez les traditions rapportées sur les enfants d'Israël ; vous ne commettez pas de péché ». Voy. le commentaire de ce hadith dans le Tadj al-’aroûs, II, 22, et surtout dans le Lisân al-'arab., II, s. v. Cf. Meïdani, Proverbes, éd. du Caire, I, p. 183.
[44] Ce vers est cité dans le Mouhît al-mouhît, II, p. 1176, avec les deux légères variantes suivantes. « Le dirhem frappé ne se familiarise point avec notre bourse ; mais il passe à côté en continuant son chemin. »
[45] Littéralement : les gazelles du rideau. Chez les Arabes, comme on le sait, les femmes ne se montrent pas et se tiennent dans la partie arrière de la tente, dissimulées derrière un rideau, qui partage ainsi la tente en deux pièces.
[46] A devenir soit khâtib, soit émir.
[47] M. H. Derenbourg traduit : « par la grâce de sa démarche. » Voy. l’Introduction à l'édit. arabe, p. 3, ligne 8.
[48] Le mot est employé deux fois dans ce passage, et j'ai cru devoir le traduire, dans le premier endroit, par mémento, ce qui est un terme très fréquent pour désigner les manuels dans la littérature arabe. Voy. plus de 30 ouvrages ainsi dénommés dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., Index, pp. 611-612. M. H. Derenbourg traduit ce mot par « souvenir » dans les deux passages : Introduct., p. 13. Je me suis permis de ne pas suivre l’avis d'un tel maître parce qu'Ibn at-Tiqtaqâ dit expressément (p. 19 du texte arabe) qu'il destine ce livre au Seigneur de Mossoul pour qu'il lui serve de mémento.
[49] On les appelle « les orthodoxes ». Voy. plus loin.
[50] C'est le fameux médecin, connu en Occident sous le nom d’Avicenne, l’auteur du Canon. Né en 370 (= 980), il étudia la philosophie et la médecine à Boukhara, devint même ministre du prince Bouyide de Hamadzàn, Chams ad-Daula, et mourut dans cette ville en 428 (= 1037). Voy. de nombreuses références biographiques, ainsi que la bibliographie dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt.. I, 452 ; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, p. 283 et suiv. ; de Hammer-Purgstall, Litteraturgesch. der Araber, V, 368.
[51] Cf. Hartwig Derenbourg, Al-Fakhrî, Introduction au texte arabe, p. 21. Toutefois ce passage appelle quelque précision. M. Derenbourg, qui a traduit le passage ci-dessus dans son Introduction à l’édition arabe, loc. cit., fait dire à l'auteur que les pères devraient faire apprendre par cœur à leurs enfants le traité de médecine Al-Malakî, comme plus utile à leur éducation que les poésies réunies dans la Hamâsa d'Abou Tammâm, que les Séances de Badî' az-Zamân al-Hamadani, que celle d'Ibn al-Hariri. » Quand on lit attentivement le texte arabe, on s’aperçoit que, loin de faire de la réclame pour Al-Malaki, Ibn at-Tiqtaqâ fait l'éloge de son propre ouvrage et c'est bien son livre que les pères devraient faire apprendre par cœur à leurs enfants et qu'il met au-dessus des Séances de Hariri et de toutes les autres productions littéraires qu'il cite. Voy. le texte arabe, p. 17.
[52] Il y a deux ouvrages qui portent ce titre et qui ont pour auteurs, l’un Abou Tammâm al-Tâ'i, l'autre al-Bouhtouri. Celui dont il est question au texte et qui est d'ailleurs le plus célèbre, est le recueil d'Abou Tammâm. La Hamâsa est un recueil de poésies et de notices sur les poètes de l'ancienne époque arabe. Son nom lui vient de ce que cet ouvrage s'ouvre par un chapitre contenant des poésies qui célèbrent la bravoure (en arabe hamâsa). Sur Abou Tammâm, voy. plus loin la traduction correspondante à la page 318 du texte arabe. Sur al-Bouhtouri (né en 820, mort en 897), voy. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt.. I. 80; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, pp. 83-84 ; de Hammer-Purgstall. Littteraturgesch. der Araber, IV, 610; Kitab al-aghâni. XVIII, 167-175.
[53] Il s'agit ici des Séances de Hariri, qui jouissaient à cette époque, comme aujourd'hui d'ailleurs, d'une très grande vogue, qui se justifie à certains points de vue. On sait que ces Séances ont été traduites en allemand et en anglais et, partiellement, en français. Sur l'auteur Qasim, fils d’Ali al-Hariri, né à Hasra, en 446 (=1054), mort en 516 (= 1122), voy. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 276-278 ; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, 135-136 ; de Hammer Purgstall, Litteraturgesch. der Araber, VII, 1316. Voy. aussi infra, la traduction correspondante à la page 404 du texte arabe.
[54] Ce célèbre auteur, dont le nom est Ahmad fils de Housain, a servi, comme on le sait, de modèle à Hariri, qui l’a d'ailleurs surpassé. Hamadani mourut à l'âge de 40 ans environ, en 898 (= 1007). Voy. la bibliographie dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 93-95; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, 133, 134; de Hammer-Purgstall, Litteraturgesch. der Araber, V, 543.
[55] Le recueil de sentences et de maximes morales, qui constitue le Nahdj al-balâgha, est un apocryphe attribué au khalife 'Ali par ses descendants. Il a été édité au Caire, avec un commentaire très étendu de 'Abd el-Hamid, fils d'Abou-l-Hadid al-Madâ'ini, mort en 655 (= 1257). Ibn at-Tiqtaqâ fait mention de ce commentaire dans la dernière partie de son livre (voy. la traduction correspondante à la page 451; du texte arabe. Sur le Nahdj al-balâgha et son commentateur, voy. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I. 249, 282, 405 ; Derenbourg, Introduct. à l’édition arabe, p. 21, note 3. Voy. enfin la note sur le commentateur, plus loin dans le passage de la traduction correspondant à la page 456 du texte arabe.
[56] Abou Nasr Muhammad Al-'Outbî mourut en 427 (= 1036). Cf. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I. 314 ; Cl. Huart. Hist de la Litt. arabe, pp. 188-189; de Hammer-Purgstall. Litteraturgesch. der Araber. III. 717, 920 ; IV, 428, 582; V, 523. Son ouvrage Al-Yamini a été traduit en persan et en anglais, Voy. une notice sur cet ouvrage par M. Th. Noldeke, Uber das Kitab Yaminî. S. B. W. V, 1857, t. XXIII. pp. 15 et suiv.
[57] Sultan Ghaznévide de l’Afghanistan et du Pendjab, le 7« de cette dynastie. Il régna de 388 (= 998) à 421 (= 1030). Cf. Stanley Lane-Poole. The Mohammadan Dynasties, p. 289; Ibn Khallikan. Wafayât al-a’yân. éd. Wüstenfeld, notice 723. Voy. Hartwig Derenbourg. Al-Fakhrî. Introduct. à l’édit. arabe, p. 20, note 2; Ibn Alathir. Chronicon, IX. 92 et suiv.
[58] Locution proverbiale.
[59] Locution proverbiale.
[60] Le terme est emprunté à la langue juridique. Cela s'entend, par exemple, de la responsabilité du vendeur, dans le cas où l'acheteur est évincé de l'objet qu'il a acheté. On dit, dans ce cas, que l'acheteur recourt en éviction contre le vendeur, car celui-ci est responsable, garant.
[61] Nous ne trouvons pas d'autre mot pour rendre en français le sens. On appelait ainsi les docteurs qui abusaient de la déduction par analogie ; on les opposait ainsi à ceux qui, de leur côté, appuient toujours leur raisonnement sur le Coran et les traditions. Le chef de la première école fut Abou Hanifa, et l'on sait que la doctrine juridique de ce savant se distingue par une grande largeur dans les idées et est traversée par un large souffle de tolérance. La seconde école se recommande des noms de Châfi'i, de Malik et d'Ahmad fils de Hanbal. Voy. les Prolégomènes d’Ibn Khaldoun, trad. de Slane, III, 2 et suiv. ; Ibn Khallikan, trad. par le même, I, 272. Cf. la définition du Mouhît al-mouhît, I, 739, s. v. et l'article de Dozy, Supplément aux Diction. arabes, I, 407.
[62] Cette fameuse université a été fondée par le khalife dont elle porte le nom, Moustansir billah (623-640). Voy. plus loin la traduction correspondante. Elle a été construite à Bagdad, à l'extrémité du Marché du Mardi (Soûq at-Thoulatha). Les quatre rites orthodoxes y avaient chacun un pavillon séparé, comprenant une mosquée et une grande classe. Le voyageur Ibn Batouta nous en a laissé une description détaillée dans la relation de ses voyages. De même, Niehbur, Voyages en Arabie, t. II, p. 241, qui a copié l'inscription commémorative de la fondation de cette université. Cf. aussi F. Wüstenfeld, Die Academien der Araber, pp. IV et 29; J. Dieulafoy, la Perse, la Chaldée et la Susiane, p. 605. Aujourd'hui la Moustansiriyya sert d'entrepôt à la douane de Bagdad.
[63] Sur ce khalife, voy. plus loin la traduction.
[64] Sur ce vizir, voy. plus loin la traduction.
[65] Je n'ai trouvé aucun renseignement sur ce personnage.
[66] 'Alâ' ad-Dîn 'Atâ Malik, fils de Bahâ-ad-Dîn Muhammad, fils de Muhammad al-Djouwainî, fut employé dans l’administration sous les premiers princes Ilkhanides, devint chef de cette administration, puis gouverneur des provinces du Khouzistan et de l'Iraq, dont Bagdad était la capitale. Il est l'auteur de l'histoire intitulée : Djihan Kouchây (Annales du conquérant du monde). Voy. sur ce personnage, Ibn Châkir al-Koutoubî, Fawâl al-Wafayât, II, 35; Ch. Schefer, Relations des Musulmans avec les Chinois, dans le recueil intitulé : Centenaire de l'École des Langues, O. V., p. 12; Hartwig Derenbourg, Introduct. à l’édit. arabe.
[67] Voyez sur ce mot, presque synonyme de vizir. Dozy, Supplément aux Dict. arabes, I, 812, s. v.
[68] Allusion à Al-’Aziz, nom sous lequel on désignait le maître de l'Egypte. C'est ainsi du moins que je comprends ce vers.
[69] Je « le roi ».
[70] Dozy, qui a connu ce passage du Fakhrî, le cite dans son Supplément aux Dict. arabes, I, 706, s. v. ; mais il n'était pas bien sûr du sens qu'il faut lui attribuer. Le sens du mot a été précisé par Fleischer dans ses Studien über Dozy's Supplément. Le même terme est employé, avec le même sens, dans Abou Châma, Kitab ar-raudatain. édit. du Caire, I, p. 174, ligne 29.
[71] Ce poète, qui a chanté le vin et l'amour, C’est trop connu pour qu'il soit besoin d’en donner ici une notice. Je me borne à indiquer la date de sa naissance en Susiane : 756, et celle de sa mort, vers 810. Voy. sur ce poète et pour la bibliographie: Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 75 et suiv. ; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, pp. 70-72 ; de Hammer-Purgstall, Litteraturgesch. der Araber. III, 579; Kitab al-aghâni, Index, pp. 678-679.
[72] Ici éclate le chi'itisme outré de l'auteur.
[73] Coran, XXIV, 22.
[74] Di'bil fils d'Ali Al-Khoza'î était un poète de Bagdad, qui se fit une réputation pas ses mordantes épigrammes. Il était partisan des descendants d’Ali. Né à Koûfa ou Qarqisiya en 148 = 765, il mourut après de nombreuses pérégrinations en Babylonie en 246 = 860. Voy. la bibliographie dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 78-79; Cl. Huart. Hist. de la Litt. ar., pp. 78-71); de IIammer-Purgstall, Litteraturgesch. der Araber. IV, 538 ; Kitab al-aghâni, XVIII, 29-61. Enfin une notice sur ce poète est donnée par Khalil ibn Aibak as-Safadi, Al-Wâfî bil-Wafayât, manuscrit arabe de Paris, n° 2064. f° 52 v° et par Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, éd. de Goeje. p. 539 et sq.
[75] Allusion au meurtre du khalife Muhammad al-Amin, frère consanguin de Mamoun. Voy. infra, la traduction.
[76] Ces vers sont donnés également par le Kitab al-aghâni. XVIII. p. 84, et par Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, éd. de Goeje, p. 540 (le premier vers seulement).
[77] Sur ce vizir, voy. infra, la traduction.
[78] Cette même anecdote est racontée une deuxième fois, à l'occasion du khalifat de Mamoun.
[79] Littéralement « à la conversation de nuit ».
[80] C'est un des sages de la Perse. Voy. Massoudi, Prairies d’or, II, 206 et suiv. ; 224 et suiv. On sait que le fameux Abou Mouslim, le chef de la propagande 'abbâside prétendait descendre de Bouzourdjmihr. Cf. plus loin la traduction. Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 382.
[81] Voy. plus loin la traduction.
[82] Ce compagnon du Prophète joua un rôle très actif dans toutes les affaires qui marquèrent le début de l'Islamisme. Il fut secrétaire de Mahomet, mais sa conduite ne parut pas toujours irréprochable. Il était né vers l’année 614 de J.-C. Il fut aussi gouverneur de Koûfa, sous le règne de Mouâwiya. Cf. de Sacy, Chrestomathie arabe, II. 448. note 39 ; Kitab al-aghâni, XVI. 2-3. Il mourut, dit-on, à Koûfa en l'année 50 (= 670), sous le règne de Mouâwiya. Pour les détails de sa biographie, voy. Kitab al-aghâni. XXI, 282-286, et Index, pp. 643-644; Massoudi. Prairies d’or, VI, 191 et suiv. et aussi l'Index, p. 199; Sacy, Chrestom. arabe, III, 59, note 75; Caussin de Perceval, Essai, II, 153 et suiv.; III. 179 et suiv. ; Prince de Teano, Annali del Islam, Index, p. 1387.
[83] Littéralement dans son giron.
[84] Sur le meurtre du khalife 'Ali et son assassin, Ibn Mouldjam, voy. plus loin la traduction correspondante aux pages 138 à 142 du texte arabe. — Les khâridjites étaient, à l'origine, une secte de séparatistes, qui se rendirent redoutables au premier siècle de l'Hégire. Le khalife 'Ali détruisit leur puissance militaire à la bataille de Nahrawân, en l’an 38. Plus tard, on donna ce nom à tous les rebelles en général. Cf. Wellhausen. Die religiös-politischen oppositions-partein, p. 1-99.
[85] Voy. le passage de Makrizi cité par de Sacy, dans sa Chrestomathie arabe. II. 160, et Aboulfaradj, Hist. des dynasties, éd. Pocok, pp. 427 et sq.
[86] Ce vers est d'Abou-l-Fath al-Bousti. Je le trouve dans l'ouvrage du P. Cheikho, (Beyrouth, 1886). Sur le poète, voyez plus loin la traduction.
[87] Ou Ogodaï, grand khân mogol qui régna de 624 = 1227) à 639 (= 1241). Cf. Stanley Lane-Poole, The Mohammadan Dynasties, p. 215.
[88] Litt. « il couvrit de poussière la face des rois... »
[89] Jeux de mots : en même temps que vertus, signifie : instruments de vétérinaire pour percer.
[90] Les Arabes qui portent ce nom sont très nombreux. Je ne sais pas auquel d'entre eux le poète fait ici allusion. Cf. Kitab al-aghâni, Index, pp. 569-571.
[91] Il s'agit de Hâtim at-Tâ'i, célèbre par sa générosité. Les anecdotes sur ce fameux Arabe abondent dans tous les ouvrages historiques et dans les anthologies poétiques. Voy. notamment : Kitab al-aghâni, XVI, 96-110, et Index, p. 278 ; de Hammer-Purgstall, Litt. Gesch. der Araber. I, 173 ; Caussin de Percev. II, Essai. II. 607-627. (D’après ce dernier auteur. Hâtim serait mort en 618 ou en 619 de J.-C. ; Prince de Teano, Annali del Islâm, t. I, Introduction, § 138; Massoudi. Prairies d’or, III, 327-331 ; Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, 123-130 ; C. Brockelmann. Gesch. der arabisch. litt., I, 26-27 ; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, pp. 22-29.
[92] 'Adoud ad-Daula Fannâkhousran, fils de Bouayh, le célèbre sultan Bouyide de la province du Fars. Il était surnommé aussi Tadj al-milla (Le diadème de la religion). C'est le premier sultan Bouyide dont le nom fut proclamé sur les chaires de Bagdad, pendant le prône du vendredi. Il mourut en 372 (= 982), après un règne de quarante ans environ. Cf. Stanley Lane-Poole, The Mohammadan Dynasties, p. 141 ; Ibn Khallikan, Wafayât al-a’yân, éd. Wüstenfeld, notice 548.
[93] Autrement dit: pour obtenir le respect de la propriété.
[94] Coran, XVII, 36.
[95] Il s'agit ici d'Ardeschir, fils de Bâbek, le premier roi sassanide, que les Arabes comptent parmi les sages. Les écrivains lui attribuent une foule de maximes, comme à Alexandre, comme à Abrawiz Chosroès Parwiz et à d'autres personnages plus ou moins légendaires. Voy. un résumé du règne de ce prince dans Massoudi, les Prairies d’or. II. 148 et suiv.; Ibn al-Athir, Chronicon, I, 208 et suiv. ; Nöldeke, Geschichte der Perser und Araber, p. 16 et suiv.
[96] Le manuscrit A (folio 19 v) porte en marge de la main de l'auteur et non du copiste (comp. cette addition avec la note finale qui termine la fin du ms. et qui est un autographe avéré), l'addition suivante: « Il faut y ajouter les deux conditions essentielles requises pour cela et qui sont : la qualité de Musulman et l’origine qoreichite ; mais celui qui serait visé spécialement par un texte, ne rentre pas dans cette définition. » … Sur les qualités requises pour être khalife, voy. Mawardi, Al-Akham as-soulthaniya, trad. par M. le comte Léon Ostrorog, fascicule II, p. 102-106. J'ajoute que par les mots : « Celui qui serait visé spécialement par un texte » l'auteur fait allusion aux quatre khalifes orthodoxes, qui ont fait l'objet de nombreux hadiths.
[97] Cet oiseau a été ainsi nommé parce que son cri ressemble au mot qatâ. La plupart des passages des auteurs arabes sur cet oiseau, ont été réunis par S. de Sacy, dans une magnifique note de sa Chrestomathie arabe. II, p. 369 et suiv. Plusieurs proverbes ont pris naissance chez les Arabes, eu égard à certaines qualités de cet oiseau. On dit : plus véridique qu'un qatâ, parce que le cri de cet oiseau n'est autre que son nom. On dit encore : plus prompt que ne l'est un qatâ à dire qatâ. Voy. de Sacy, op. cit.. III, 508; Meïdani, Proverbes, p. 361.
[98] Coran, III, 153.
[99] C'est, comme on le sait, la fameuse bataille que Mahomet livra au Qoreichites et qui fut le premier triomphe important de l'Islamisme sur le paganisme arabe. Cette bataille eut lieu le 13 janvier 624 de J.-C, c'est-à-dire dans la deuxième année de l'Hégire. Cf. Caussin de Perceval, Essai sur l’Hist. des arabes, III, 65 ; Prince de Teano, Annali del Islam, année II, § 30 et sq.
[100] Ces deux mots sont pris au figuré et signifient presque: « malgré l'infaillibilité qu'il lui a accordée ».
[101] On sait que cet ouvrage, qui est un recueil de fables, a été traduit en arabe du pehlvi par 'Abdallah fils d'al-Mouqaffâ, secrétaire du khalife Mansour. L'original de ces fables doit être recherché dans les contes indiens du Pantchatantra, qui furent rapportés de l'Inde en Perse, sous Chosroès Anouchirwan, par le médecin Barzouyeh. Sur Ibn al-Mouqaffâ et son œuvre, voy. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 151 ; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, pp. 211-212; de Hammer-Purgstall, Litteraturgesch. der Araber, III, 358; Khalil ibn Aibak as-Safadi, Al-Wâfi bil-Wafayât, manuscrit arabe de Paris, n° 2066, f° 107 r° ; Ibn Khallikan, Wafayât, notice 176, p. 125; Massoudi, Prairies d’or, Index, p. 163.
[102] Littéralement : la religion.
[103] Voyez sur cet auteur, la note sur les fables de Kalila et Dimna.
[104] Coran, IV, 62.
[105] Il s’agit ici de Nou'mân V, fils de Moundzir IV, plus connu sous le nom de Nou'mân Abou Qabous. Il fut, comme on sait, mis à mort par Chosroès-Parwîz, à la suite d'une intrigue ourdie contre lui par Zaid, fils de 'Adi, dont Nou'mân avait tué le père. Cf. Caussin de Perceval, Essai, II, 145-160 et Index, p. 587. D'après cet auteur, Nou'mân, né vers 548 de J.-C, aurait commencé à régner vers 583. Voy. aussi le Kitab al-aghâni. Index, pp. 674-675 ; Prince de Teano, Annali del Islam. Index, p. 1406 ; Massoudi, Prairies d’or, III. 201-220 ; V, 63-65 ; 117-118. Sur la dynastie des moundzirs, princes lakhmides d'origine yéménite, rois de Hira, voy. G. Rothstein, Die Dynastie der lakhmiden in al-Hira, Berlin 1899; René Dussaud, Les Arabes en Syrie avant l'Islam (Paris, 1907) pp. 333-336.
[106] Il s'agit ici du khalife 'Omar. L'austérité de ses mœurs est bien connue ; tous les historiens arabes en parlent.
[107] A côté des usages auxquels on emploie la fibre de palmier et qui ont été indiqués par de Sacy (Chrestomathie arabe, I, 86, note 4) et Dozy, Suppl. aux Dictionn. ar. s. v.), le lîf est encore employé en Tunisie comme passoir pour filtrer les boissons sucrées, notamment le lagmî et le charbât. Sur ces deux boissons, voy. Beaussier, Dict. arabe-français, s. v.. On se sert aussi du lîf comme tampon pour boucher le goulot des gargoulettes.
[108] Cf. la note de S. de Sacy (Chrest. arabe, l. 86, n. 6) sur ce mot.
[109] 'Abd-Allah a laissé la réputation d'un grand traditionniste. Il mourut en l'année 73 de l'Hégire (= 692). Cf. Prince de Teano, Annali del Islam, Index, p. 1250. Sa biographie est donnée par Khalil ibn Aibak as Safadî, Al-Wâfi bil-Wafayât, manuscrit arabe de Paris, n° 2066, f° 70 r°. Voy. aussi Massoudi, Prairies d’or, Index, p. 98 ; Caussin de Perceval, Essai, III, 96, 368 ; Kitab al-aghâni, Index, p. 443.
[110] Sacy, dans sa Chrestom. arabe, I, 81, l. 11, traduit par « somme énorme », en s'appuyant sur les mots qui signifient « grande ville ». (Voy. sa note, op. cit., p. 88, n. 9.)
[111] En arabe : 'Ammoûriya. Yakout, dans son Mouchtarik, a identifié cette ville avec Angora, mais S. de Sacy (Chrest. arabe, I, 89, note 10) rejette avec raison cette identification. — Plus loin, Ibn at-Tiqtaqâ raconte la prise d'Amorium par Mou'tasim comme il la annoncé. Voy. infra la traduction. Cf. Massoudi, Prairies d’or, VII, 136, 144; Aboulféda, Annales Moslemici, II, 171; G. Weil, Geschichte der chalifen, II, 313-315.).
[112] Littéralement : boire une douce salive.
[113] Ahdjâr az-Zait est une localité à Médine, près de la maison du khalife 'Othman. C'est à Ahdjâr az-Zait qu'on fait les prières pour demander la pluie, en temps de sécheresse, quand ces prières ont lieu dans l'intérieur de la ville. Cf. de Sacy, Chrestom. arabe, I. 89 ; Ibn al-Athir, V, 423.
[114] Cette révolte eut lieu en 145 de l'Hégire.
[115] Il est à 16 parasanges de Koûfa. Cf. la note de S. de Sacy, Chrestomathie arabe, I, 36, note 12; Massoudi, Prairies d’or, VI, 194-195; voy. aussi, plus loin, la traduction correspondante aux pages 222 et suiv. du texte arabe
[116] Ce mot signifie les impies. L'histoire des princes de cette famille a été donnée par A. Jourdain dans le t. IX des Notices et extraits (d'après Mirkhond). Cf. de Sacy, Chrestom. arabe, I, 89, note 14.
[117] Cf. Hartwig Derenbourg, Al Fakhrî. Introduction à l'édition arabe, p. 11. Le surnom honorifique Imam ad-Dîn semble avoir été porté surtout à Qazvin. Cf. Quatremère, Mamlouks, II, ii, p. 173 (Derenbourg).
[118] On écrit plutôt de nos jours : Zendj. Les Zendj étaient des esclaves noirs.
[119] Selon Aboulféda (Annales Moslemici, II. 229, la guerre des Zinges commença en l’année 255 (= 868) et se termina par leur destruction en l'année 267 (= 880). Cf. de Sacy, Chrestomathie arabe. I. 89, note 17. Ces événements sont racontés plus loin, dans notre ouvrage; voy. la traduction correspondante aux pages 342 et suiv. du texte arabe. Sur l'histoire de cette secte khâridjite, voy. Massoudi, Prairies d’or, VIII, 31-38, 57-61 et l'Index, p. 296. Voy. aussi Ibn Khallikan, Wafayât, notice, n° 320 ; Tabari, Annales, II, 874; Ibn Al-Athir. Chronicon, IV, 313 et suiv. ; Weil, op. cit., II, 454-464.
[120] Cette ville est située entre Mossoul et Bagdad, à 30 parasanges au-dessus de cette dernière ville. Voy. la note de Sacy, Chrestom. arabe, p. 90.
[121] Tirmidz, place forte située sur l'Oxus. Cf. la note de Sacy, Chrestomathie arabe. I, 90.
[122] Mouizz ad-Dîn Abou-l-Hârith Sandjar, grand prince Seldjouqide, fils de Malakchâh. Né en 477, il régna de 511 (=1117) à 552 (= 1157). Cf. Stanley Lane-Poole, The Mohammadan Dynasties, p. 153. Sa biographie est donnée par Ibn Khallikan, Wafayât al-a’yân, éd. Wüstenfeld, notice 279, et par Khalil ibn Aibak as-Safadî, Al-Wafî bil-Wafayât, manuscrit arabe de Paris, n° 2004, f° 190 v°. Cf. de Sacy, Chrest. arabe. I, 90, note 22, et Ibn al-Athir, op. cit., X, 180 et suivantes.
[123] Sacy (Chr. arabe, 83), en traduisant ce passage, n'a pas précisé le sens de ce mot…. En effet, dans la traduction de Sacy, le mot est rendu par cette phrase: « Cela suffit pour juger à quelle situation ils étaient réduits » ; ce qui paraît inexact...
[124] Mouzaffar ad-Dîn Koûkbouri, fils de Zain ad-Din 'Ali Koudjouk, atabek d’Irbil, Arbela, de Harrân, etc. Il régna de 563 = 1167 à 630 = 1232. Cf. Stanley Lane-Poole. The Mohammadan Dynasties, p. 165. Voy. aussi l’intéressante notice qu'Ibn Khallikan, contemporain de ce prince, lui a consacrée dans son Wafayât al-a’yân, éd. Wüstenfeld, notice 558; Deguignes, Histoire des Huns, I, 258. Cf. Sacy, Chrestom. arabe, I, 91; Ibn al-Athir, op. cit., XI, 317 et sq.; X, 219 et sq.
[125] Zain ad-Din 'Ali fils de Begtiguîn, officier turc de l’atabek, Imad ad-Dîn Zangui, devint lui-même atabek d'Irbil et régna de 539 (= 1144) à 553 (= 1167). Cf. Stanley Lane-Poole, The Mohammadan Dynasties, 165; Ibn Khallikan, Wafayât al-a’yân, éd. Wüstenfeld, notice 558.
[126] Ce général mourut en l'année 653 de l'Hégire à Bagdad. Voy. Aboul-Mahâsin ibn Taghrî Bardî, Al-Manhal as-sâfî, manuscrit de Paris, n° 2068, 198 v°. Voy. aussi Sacy, Chrest. arabe, I, 91.
[127] Je crois que S. de Sacy s'est mépris sur le sens des mots qu'il traduit « aux portes du palais impérial », alors que cela signifie « portant la nouvelle de la prise d'Irbil ». Cf. Sacy, op. cit., l. 81 et Fakhrî, texte arabe, p. 44. A moins que le membre de phrase incriminé n'ait été simplement ajouté pour l'élégance de la traduction.
[128] Il s'agit ici du sultan Djalal ad-Din Mangobirti (ou Mangbarti? ou Mankobirni?) qui mourut en l’année 628 (= 1230). Cf. Aboulféda, Annales Moslemici, IV, 299 et 371 et suiv.; Stanley Lane-Poole. The Mohammadan Dynasties, 177. Son histoire a été éditée et traduite par. M. O. Houdas, Hist. de Djalal ed-Din Mankobirti, Paris, 1891-1985, 2 vol. Voy. aussi Ibn al-Athir, op. cit., XII, 205 et suiv.
Cet ouvrage est numérisé sur ce site ; l’auteur en est Mohammed En-Nesawi.
[129] Il s'agit ici du souverain mogol, Ghazan fils d’Arghoun, qui régna de 694 (= 1295) à 703 (= 1304). Cf. Stanley Lane-Poole, The Mohammadan Dynasties, 220 ; Hartwig Derenbourg, Al-Fakhrî, Introduct. à l’édit. arabe, pp. 8-9 et 12-13.
[130] Voy. Wüstenfeld, Die Academien der Araber. p. 29 et ci-dessus p. 25, note 2.
[131] Je trouve dans mes fiches que ce faqih chafiite, né en 638 (= 1240) est mort en 728 (=1327 ; mais je ne trouve aucune indication sur la source où j'avais puisé ce renseignement. Cela concorde avec les renseignements donnés par Wüstenfeld, Die Academien der Araber, p. 21). Cf. H. Derenbourg, Introduct. au Fakhrî, p. 12, note 6. Je pense que cet auteur est le grand-père de Muhammad fils de Muhammad Abd-Allah al-'Aqoûli, également jurisconsulte et traditionniste, qui vivait encore en 775 de l'Hégire (= 1373). Cf. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., II, 162, n° 4.
[132] Cette visite du sultan Ghazan à la Moustansiriyya eut lieu en l'année 698 (= 1298). Cf. Quatremère, Hist. des sultans mamlouks, II, ii. p. 132.
[133] Littéralement: la vie dernière ou la vie future.
[134] Sur la guerre de Siffin et l’institution des arbitres, voy. plus loin la traduction.
[135] Sur cette bataille, voy. plus loin la traduction.
La bataille de Siffin se produisit en juin/juillet 657 (moharrem 37 AH). Le plus fort de la bataille se produisit du 19 ou 20 juillet (1 et 2 safar 37 AH) sur les rives de l'Euphrate près de la ville syrienne actuelle de Ar-Raqqa. Ce fut le dernier combat entre Muawiya et Ali. (Wikipedia)
[136] En marge du manuscrit A, on trouve écrit : 'Omar fils d'al-Khattâb a dit : Si un petit chevreau se perdait sur la rive de l’Euphrate, je craindrais qu'Allah (qu’il soit glorifié et exalté !) ne m'en demande compte, bien que je me trouve dans la province du Hedjaz. »
Je suis convaincu que cette addition marginale est de la main de l'auteur. En tout cas, elle est de la même écriture que les autres additions et corrections qui se trouvent en marge du manuscrit, et que les deux éditeurs du texte arabe, MM. Ahlwardt et Derenbourg, ont incorporées au texte. Je ne sais pas pourquoi l'addition ci-dessus n'a pas bénéficié du même traitement. J'ajoute que l'écriture en est identique à celle de l'inscription finale de l'ouvrage, qui est un autographe avéré d'Ibn at-Tiqtaqâ. Je n'hésite donc pas à lui en attribuer la paternité.
[137] Coran, XCIII, 11.
[138] Coran, XIV, 7.
[139] Littéralement : le cœur.
[140] Littéralement : On dirait que le langage de leur état dit : Sur cette métaphore, voy. la note de S. de Sacy. Chrestomathie arabe, I. 461, note 39.
[141] Voy. plus loin la traduction et la note correspondantes.
[142] Il y a plusieurs localités portant ce nom. Yakout en compte huit et ajoute que plusieurs bourgs autour d’Ispahan portent ce nom. (Cf. Barbier de Meynard, Diction. géograph. de la Perse. 233). C’est ce que dit aussi Soyoûti dans son Loubb al-Loubâb. éd. Weijers, p. 104, s. v. Les plus connues parmi ces localités sont celles qui sont situées prés de Merw, près de Tous et près de Balkh.
[143] Ibn at-Tiqtaqâ écrivait en 701 (= 1301). Cf. la mention qui termine l'ouvrage et H. Derenbourg, Introduct. à l’éd. arabe, p. 30.
[144] Ce fameux général est trop connu pour qu’il soit besoin de donner ici sa biographie. C'est lui qui fit la conquête de l’Égypte et qui brûla, dit-on. la bibliothèque d'Alexandrie sur l'ordre du khalife 'Omar. Les historiens ne tarissent pas d’éloges sur ses qualités d'esprit et le considèrent comme un des hommes les plus remarquables du premier siècle de l’Islâm. Il mourut en 42 ou 43 de l'Hégire ;= 662 ou 663. Cf. Prince de Teano, Annali del Islâm. Index, p. 1261 ; Massoudi, Prairies d’or. Index, p. 114-115 ; Caussin de Perceval, Essai, Index, p. 544; Kitab al-aghâni. Index, p. 516-517.
[145] C'est l'auteur bien connu d'une des Mo'allaqât, le prince des poètes arabes antéislamiques, dont l'œuvre a été traduite, en français, par M. de Slane. De nombreuses éditions, complètes ou fragmentaires, ont été données de ses œuvres. Voy. les références dans Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., l. 24; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, p. 10 et 11 ; de Hammer, Litt. Gesch., I, 282 et IV, 810; Kitab al-aghâni, 62-66 ; Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, p. 36; Caussin de Perceval, Essai, II, 302.
[146] Ce raisonnement est emprunté à la science des ousoûl où l'on range les prescriptions de la loi en diverses catégories. C'est ainsi que l'on distingue l’acte qui, d'après la loi, est licite ; celui qui est illicite ; celui qui est spécialement recommandé, comme le mariage); celui qui es mal vu par la loi, sans être pour cela illicite ; celui qui est toléré, c'est-à-dire qu'il n'est pas défendu par la loi, mais qu'il vaut mieux s'en abstenir. C'est dans cette catégorie que rentre la consultation des femmes. Il y a encore d'autres catégories : mais ce n'est pas ici le lieu d’en parler ; cela rentre dans le droit musulman, dont les grands traités contiennent tous les renseignements voulus sur cette question.
[147] Les mutilations sont, comme on le sait, défendues par la loi musulmane, même à l'égard des ennemis.
[148] Cf. Coran, XVII, 35 et XXV, 68.
[149] Coran, II, 175. Ce verset du Coran est souvent cité par les auteurs arabes comme un exemple de concision : multa in paucis. En rhétorique arabe cela s'appelle idjâz al-qasr, (concision de brièveté).
Cf. Mouhît al-mouhît, I, 284, 2e colonne, in fine ; le P. Cheikho, Ilm al-adab (texte arabe), éd. Beyrouth, p. 75.
[150] Cf. Mouhît al-mouhît, I, 284, in fine.
[151] Chosroès Parwiz, roi de Perse, qui fut assassiné, à Al-Mâkhoûra, par son fils Chiroûyeh. Voy. un résumé du règne de ce prince dans les Prairies d’or, II, 186-232. Sur les rapports de ce prince avec les Arabes, voy. Caussin de Perceval. Essai, I, 157; II, 154 et suiv. Les Arabes comptent ce prince parmi les rois les plus sages, et lui prêtent une foule de maximes et de sentences, comme à Alexandre le Grand ou à d'autres personnages plus ou moins légendaires. Ibn al-Athir, Chronicon, I, 342 et suiv.
[152] Le terme du texte arabe s'emploie en parlant du vin. Voyez la citation donnée par Dozy, Suppl. aux dict. arabes. Cf. aussi le Tadj al-’aroûs, s. v.
[153] Ce poète, dont le nom est Muhammad fils d'Ali, naquit en 360 (= 971) à Boust, dans le Kaboul, et mourut en 401 (= 1010). Son principal poème, la Qasida al-boustiyya, est très répandu et a été souvent commenté. Cf. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt.. I. 251 ; Cl. Huart. Hist. de la Litt. arabe, p. 106 ; de Hammer-Purgstall, Litt. Gesch. der Araber, V, 484; Ibn Khallikan, Wafayât al-a’yân, notice 48I.
[154] Surtout la musique.
[155] Je ne suis pas sur du sens de ce mot.
[156] Littéralement : liens de prisonniers.
[157] Sur ce vizir de Mousta'sim, voy. plus loin la traduction.
[158] Une note marginale du manuscrit A, qui n’émane ni du copiste ni de l'auteur, ajoute que l'ethnique de ce personnage est al-Makki (de La Mecque). Je ne trouve aucun renseignement sur ce personnage.
[159] Kâtib. On entend surtout par cette épithète la connaissance du style et du protocole administratif, l’inchâ, au point que, dans certains passages, on peut parfaitement traduire ce mot par secrétaire ou rédacteur au diwan.
[160] C'est la capitale bien connue de la province du Djibâl. Cf. Barbier de Meynard, Diction. Géogr., p. 273 et suiv.
[161] Muhammad fils de Housain, fils de Muhammad, surnommé Ibn al-'Amid, était vizir du sultan bouyide Roukn ad-Daula Abou 'Ali Hasan. Il a laissé la réputation d'un très grand écrivain et l'on assure qu'il était également versé dans la philosophie et l'astronomie. Sa réputation était telle qu'on disait après sa mort : « L'art décrire a commencé avec 'Abd al-Hamid et a fini avec Ibn al-'Amid. » Il mourut à Bagdad ou à Rey en 360, ou selon As-Sâbi en 359 de l'Hégire. Voy. sa biographie dans Ibn Khallikan, Wafayât, éd. Wüstenfeld, notice 707. Le manuscrit arabe de Paris, n° 5860 (Khalil ibn Aibak as-Safadi, Al Wâfi bil-Wafayât contient au folio 245 r° une intéressante notice sur ce personnage.
[162] C'est, d'après les lexicographes arabes, un petit astre d'une lumière rouge, au-dessous des Pléiades et à droite de la Voie Lactée. Cf. le Mouhît al-mouhît et le Tadj al-’aroûs, s. v. « Il apparaît au ciel avant les Gémeaux et a reçu son nom empêcheur) parce qu'il empêche Aldébaran de se rencontrer avec les Pléiades » [Tadj]
[163] Coran, XX, 49.
[164] Nâbigha Dzobyâni, poète de l'Arabie païenne, était né dans les environs de la Mecque et vécut à Hira et à Damas, louant dans ses vers, tantôt les rois de Hira, comme les Moundzirs et les Nou'mân Abou Qâboûs, tantôt les princes Ghassanides de Damas. Il mourut quelque temps avant la prédication de Mahomet. Voy. Brockelmann, Gesch. der arab. Litt., I, 22; Cl. Huart, Hist. de la Litt. arabe, pp. 11-12; Kitab al-aghâni, Index, pp. 663-664 ; de Hammer, Litteratur Geschichte der Araber, V, 342 ; Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetarum, 70 à 81.
Sur ce même site on trouvera le diwan de Nâbigha.
[165] Nâbigha, éd. et traduction M. Derenbourg, I. 24 et 25 ; Ibn Qotaiba. op. cit., 74 ; S. de Sacy, Chrest. arabe, II. p. 406.
[166] Voyez Hartwig Derenbourg, Nâbigha, p. 34 ; de Sacy, Chrest. ar., II, pp. 532 et 533; Freytag, Arabum proverbia, II, p. 744; Hariri, Séances, 2e éd., p. 297 ; Kitab al-aghâni, IX, 165 et suiv. Ce 'Isâm était chambellan du roi de Hira, Nou'mân. Meïdani, Proverbes, éd. du Caire II, 340.