INTRODUCTION
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Ce n’est pas le désir d’augmenter sans profit la liste des traductions qui m’a poussé à entreprendre celle-ci. L’Histoire des Dynasties musulmanes, d’Ibn al-Tiqtaqâ occupe une place à part parmi les ouvrages similaires grâce aux renseignements que l’auteur a donnés sur les vizirs et qu’il a puisés dans des ouvrages dont une partie ne nous est guère parvenue. C’est ce qui en fait la principale originalité. Pour le reste, je voudrais échapper aux reproches auxquels s’expose souvent le traducteur, toujours enclin à exagérer l’importance de l’œuvre qu’il a traduit. A ce point de vue, j’ai cherché au contraire, en étudiant les sources du Fakhrî, à faire le départ entre ce qui est vraiment l’œuvre personnelle d’Ibn al-Tiqtaqâ et ce qu’il a copié textuellement d’Ibn al-Athir ou d’autres ouvrages. Et il y a lieu de croire que ces investigations, poussées plus loin, feraient découvrir les sources, peu nombreuses, je crois, — où l’auteur a puisé les passages que je n’ai pu identifier. Ce ne sera pas un cas isolé, la plupart des historiens postérieurs à Tabari n’ayant fait que se copier les uns les autres ; mais Ibn al-Tiqtaqâ y perdra peut-être la réputation d’écrivain éloquent, d’écrivain original dont il jouit depuis si longtemps en Europe. Son récit dont on a si souvent vanté le style, apparaît dès maintenant comme une mosaïque, dont les différents fragments ont été empruntés à différents auteurs auxquels Ibn al-Tiqtaqâ fait allusion dans sa préface, mais qu’il n’a pas toujours cités.
Ce résumé de l’Histoire des dynasties musulmanes a eut, comme on le sait, une fortune prodigieuse, depuis qu’en 1806, Silvestre de Sacy lui a donné, pour la première fois, droit de cité dans l’enseignement de l’arabe. Non seulement, tout auteur de Chrestomathie arabe se croyait obligé d’y insérer, en bonne place, un extrait du Fakhrî, mais les tentatives de traduction partielle ou intégrale n’ont pas manqué. S. de Sacy, Amable Jourdain, Hartwig Derenbourg, Cherbonneau, Jules Gantin, pour ne citer que les morts ont fait au Fakhrî les honneurs d’une traduction partielle ou d’un projet de traduction complète.
La belle ordonnance du plan, plus encore que la valeur réelle de l’ouvrage, les détails sur le vizirat, enfin la commodité d’un résumé qui n’omet rien d’essentiel sont peut-être les principales raisons de ce succès, qu’un siècle d’existence ne semble pas avoir épuisé.
Dans cette traduction intégrale du Fakhrî, j’ai tenu compte et cherché à tirer profit des travaux de mes devanciers. Les trois fragments qui ont été traduits en français. — les seuls qui existent à ma connaissance, — sont dus à S. de Sacy, à Jourdain et à Cherbonneau. J’ai pensé qu’il eût été téméraire de ma part de porter une main sacrilège sur la belle traduction du premier fragment, due à notre grand Sacy. Je ne me suis permis d’y toucher que pour la mettre en harmonie avec le reste de l’ouvrage, et dans les cas, peu nombreux, où j’ai osé me séparer de l'opinion de ce patriarche de l’orientalisme. On en trouvera les raisons dans les notes qui accompagnent cette partie de l’ouvrage.
Le court fragment traduit par Amable Jourdain ne m'a rien fourni d'utile.
Quant aux trois chapitres dus à la plume de Cherbonneau, ils laissent beaucoup à désirer. En maint passage, on pourrait qualifier la traduction de fantaisiste. Il me répugne de relever systématiquement à chaque pas les nombreuses inadvertances du traducteur; quelques-unes seulement ont été indiquées dans les notes.
L'édition qui a servi de base à la présente traduction est celle de M. Hartwig Derenbourg, qui a réalisé, comme on le sait, un incontestable progrès sur celle de l’éminent orientaliste M. Ahlwardt. Mais, au crible de la traduction, le texte le mieux imprimé révèle la moindre inadvertance et met en lumière toutes les difficultés de la constitution d'un texte d'après un seul manuscrit, fût-il aussi parfait que celui du Fakhrî.
J’ai dû dans ces cas, assez nombreux, recourir à mon tour au manuscrit unique pour retrouver la bonne leçon, ou rectifier la lecture, ou rétablir le passage omis.
Dans quelques autres cas, moins nombreux, mais plus difficiles, il a fallu prendre parti contre le manuscrit lui-même. Les raisons et les autorités ont été alors indiquées dans les notes. Enfin les errata placés en tête de la traduction donnent la liste complète de ces petites modifications. Une main plus experte en aurait peut-être découvert un plus grand nombre, mais le traducteur serait suffisamment récompensé de ses efforts, si son travail pouvait contribuer à fixer avec plus de précision un texte, qui a déjà eu l'honneur de trois éditions dans trois pages différents.[1]
* * *
Pour faciliter l’utilisation de cette traduction, on y a joint, en dehors de la Table des Matières, les instruments de travail suivant : 1° un index général alphabétique et analytique des noms propres et des choses; 2° une table des mots arabes qui ont donné lieu à une explication spéciale dans les notes; 3° une table des ouvrages cités dans les notes; 4° un erratum du texte arabe.
Cette introduction eut été beaucoup plus longue, si deux éminents arabisants, ceux-là mêmes qui ont publié le texte arabe, MM. Ahlwardt et Hartwig Derenbourg, n'avaient pas déjà épuisé le sujet, chacun à son tour, dans deux magistrales introductions, placées par eux au seuil de leurs éditions du Fakhrî. J'avais même conçu le projet de reproduire ici purement et simplement l’introduction de M. Derenbourg. Mais les renseignements sur l'auteur que M. Ahlwardt a, depuis, publiés dans son « Catalogue des Manuscrits arabes de Berlin,[2] » les réflexions que m'a suggérées l'étude du Fakhrî et qui modifient un peu le point de vue auquel on s'est toujours placé pour juger cette œuvre, les idées de son auteur et son style, enfin la découverte d'un manuscrit persan, qui paraît être la traduction libre du Fakhrî : telles sont les raisons qui m'ont décidé à reprendre pour mon compte ce travail, pour en avoir seul la responsabilité. A la vérité, il y avait peu de chose à glaner après ces deux savants, et je ne pouvais espérer faire de grandes découvertes après eux. Mais j'ai taché de bannir de cette introduction tout ce qui est hypothèse sur la vie de l'auteur ou sur le caractère de son ouvrage, ne retenant que ce qui paraît définitivement acquis ou s'appuie sur des données fournies par l'ouvrage lui-même.
Nous ne dirons rien de l’histoire du manuscrit unique,[3] déjà faite, à trois reprises, par Sacy,[4] Ahlwardt et Derenbourg. Nous étudierons seulement la vie de l'auteur, les caractères de son œuvre, et nous terminerons par la bibliographie. Pour cette dernière partie, je reproduirai, dans un autre ordre et en la complétant, la liste donnée par M. Hartwig Derenbourg.
C'est M. Ahlwardt qui a identifié notre auteur et publié une notice sur son père le surintendant des Alides, le naqîb an-nouqabâ Tadj ad-Dîn 'Ali ibn at-Tiqtaqâ. C'est encore lui qui a trouvé et publié d'autres extraits d'un manuscrit arabe de Berlin, qui nous fournissent quelques renseignements nouveaux sur l'auteur.
Les sources d'informations sur la vie d'Ibn at-Tiqtaqâ sont peu nombreuses. On n'a eu jusqu'ici que son propre livre et une notice sur ses ascendants contenue dans un ouvrage sur la généalogie des 'Alides.[5] Depuis 1897, nous avons les renseignements que M. Ahlwardt a trouvés dans le manuscrit arabe 9i03 de la Bibliothèque de Berlin, et qu'il a publiés dans son catalogue de cette Bibliothèque. C'est d'après ces documents que l'on peut établir le nom exact de notre auteur.
D’après les frontispices des deux manuscrits du Fakhrî,[6] le laqab ou surnom honorifique de notre auteur serait Safî ad-Din. Mais dans le manuscrit 9403[7] de Berlin, dont M. Ahlwardt a extrait le passage relatif à notre auteur, celui-ci est appelé Djalal ad-Din et non Safî ad-Din. Cette divergence sur le laqab n'a rien d'étonnant; sans être très fréquente, la coexistence de deux laqab différents pour une même personne paraît établie par des exemples assez nombreux. En plus du laqab, le manuscrit de Berlin nous fait connaître pour la première fois la kounya ou surnom patronymique de notre auteur : c'est Abou Djafar. Enfin ce même manuscrit, en donnant la généalogie de notre auteur, y introduit deux générations de plus et quelques modifications dans les noms de ses ancêtres. Voici son arbre généalogique jusqu'au khalife 'Ali : Djalal ad-Din Abou Djafar Muhammad, fils de Tadj ad-Dîn Abou-l-Hasan 'Ali, fils de Chams ad-Dîn 'Ali, fils de Hasan, fils de Ramadân, fils d'Ali, fils d’Abd-Allah, fils de Hamza, fils de Moufridj, fils de Moussa, fils d’Ali, fils de Qasim ar-Ra'is, fils de Muhammad, fils de Qasim ar-Rassi, fils d'Ibrahim Tabâtabâ, fils d'Ismâ’îl ad-Dîbâdj, fils d'Ibrahim al-Ghamr, fils de Hasan, fils de Hasan, fils d'Ali le khalife.
Comme on le voit par le tableau généalogique ci-dessus, notre auteur descend du khalife 'Ali par la branche de Hasan, et il est a la vingtième génération de ce khalife. D'après Ibn Inaba, il n'y aurait au total que dix-huit générations depuis notre Ibn at-Tiqtaqâ jusqu'au khalife 'Ali. Mais il y a lieu de croire que la généalogie que nous avons donnée d'après le manuscrit 9403 de Berlin est plus exacte, car, à partir de Qasim ar-Ra'îs, c'est-à-dire à partir de la neuvième génération, Ibn Inaba ne suit plus les ramifications de cette famille, et se borne à mentionner, parmi les illustres descendants de Qasim ar-Ra'îs, la famille de Ramadân dont l'auteur du Fakhrî est issu.
Les deux généalogies diffèrent donc sur deux points :
1° Ibn 'Inaba compte, au total, dix-huit générations depuis le khalife 'Ali jusqu'à notre auteur, au lieu des vingt que nous avons adoptées d'après le manuscrit de Berlin. Il omet les numéros 13 et 17 du tableau généalogique ci-dessus;
2° D'après ce même Ibn Inaba, le grand-père de notre auteur se nommerait Muhammad, tandis que, d'après le manuscrit de Berlin, il s'appellerait 'Ali, comme son propre fils, le père de notre auteur.
Quoi qu'il en soit, les ancêtres d’Ibn at-Tiqtaqâ furent tous des hommes connus, sur lesquels nous avons des renseignements soit dans les ouvrages consacrés aux généalogies des 'Alides, soit dans les ouvrages historiques. Notre auteur est issu de la famille de Ramadan, le seizième ancêtre depuis 'Ali. Cette famille, qui habitait d'abord Wâsit, se transporta, à une époque qu'on ne peut préciser, à Hilla, c'est-à-dire tout près de Bagdad. Le surnom d'Ibn at-Tiqtaqâ, sur lequel on a formé toutes sortes d'hypothèses, et qui devint partie intégrante du nom de la famille, ne semble pas remonter au-delà de la troisième génération, c'est-à-dire du grand-père de notre auteur. Nous savons déjà que le nom de ce grand-père[8] est l'objet d'une divergence entre les deux manuscrits que nous avons utilisés pour cette notice : Muhammad d'après le manuscrit de Paris,[9] 'Ali d'après le manuscrit[10] de Berlin. Quoi qu'il en soit, ce grand-père dont le surnom honorifique, laqab, était Chams ad-Dîn et qui jouissait d'une grande réputation de piété et de modestie, fut surnommé Ibn at-Tiqtaqâ, à cause de sa mère qui était de la famille de Tiqtaqâ ; c'est elle qui transmit ce nom à ses descendants. Cette explication de l'origine de ce surnom donné à la famille d'Ibn Tabâtabâ paraît vraisemblable.
Le père de notre auteur, le nommé Tadj ad-Dîn 'Ali, fut un personnage marquant, occupa les hautes fonctions d'intendant des Alides, à Hilla, puis à Koûfa, et enfin celles de surintendant des Alides à Bagdad; il mourut assassiné en 1281, sous l’instigation d'Atâ Malik al-Djouwainî, ministre des Finances d'Abâqâ, fils d'Houlagou. Nous ne reviendrons pas ici sur l'anecdote que MM. Ahlwardt et Derenbourg ont publiée et traduite d'après le manuscrit 2021 de Paris, et qui montre le surintendant Tadj ad-Din profitant d'une année de sécheresse pour vendre très cher les denrées qu'il avait dans ses magasins et arriver ainsi à une très grande fortune.
Tadj ad-Dîn 'Ali était marié à une femme de Qâm ; c'est de cette union que naquit l'auteur du Fakhrî, Djalal ad-Dîn Abou Djafar Muhammad. Nous avons peu de renseignements sur ce dernier, en dehors de ce qu'il nous a laissé lui-même dans son livre. L'auteur du manuscrit arabe n° 9403 de Berlin nous dit seulement qu'il était marié à une Persane du Khorasan, et qu'il eut d'elle un fils appelé 'Ali as-saghîr.
Nous ne savons rien sur la jeunesse d’Ibn at-Tiqtaqâ, né vers 1262, c'est-à-dire vingt ans environ avant l'assassinat de son père. On a conclu de l'inscription conservée au frontispice du manuscrit arabe 2442 de la Bibliothèque nationale, qu'Ibn at-Tiqtaqâ avait fini par reconquérir tous les biens qui avaient été confisqués à son père et par être nommé surintendant des 'Alides (naqîb an-nouqabâ) à Bagdad. Cela est possible, même vraisemblable, mais ne résulte pas nécessairement du texte invoqué. Ce texte emploie, il est vrai, le titre de naqîb an-nouqabâ (surintendant, généralement réservé au grand naqîb de Bagdad, mais c'est probablement une épithète due seulement au copiste, car le manuscrit 9403 de Berlin nous dit qu'Ibn at-Tiqtaqâ succéda à son père, Tadj ad-Dîn, comme intendant des 'Alides à Hilla et aux Machâhid.
Nous passons également sur les prétendues relations d’Ibn at-Tiqtaqâ avec le sahib 'Atâ Malik, qui ne paraissent pas suffisamment établies malgré les quelques indices qui ont été relevés par M. Ahlwardt. Tant qu'on n'aura pas trouvé dans quelque manuscrit une biographie de notre auteur, il est difficile de tracer avec précision les grandes lignes d'une vie qui nous échappe presque complètement. La connaissance certaine qu'Ibn at-Tiqtaqâ avait de la langue persane, son mariage avec une Persane du Khorasan, les observations personnelles qu'il donne sur les Persans, tout cela pourrait faire supposer qu'il avait passé une partie de sa vie en Perse, peut-être toute son adolescence. Mais ce n'est là qu'une hypothèse.
On a conclu aussi de certains passages de son livre, que notre auteur s'était rendu, antérieurement à 1301, date de la composition de son livre, à Irbil, à Basra, à Koûfa, et probablement à Ispahan. C'est possible, mais les passages invoqués ne le prouvent pas. Tout ce qu'on peut affirmer avec certitude. c'est qu'Ibn at-Tiqtaqâ a été, en 1297, à Marâgha, où il visita le tombeau de Moustarchid, dont il admira la belle coupole, et qu'il entreprit, en 1301, un voyage vers Tabriz, au cours duquel il dut s'arrêter, par suite du mauvais temps, à Mossoul, où il composa son livre, comme nous le dirons plus loin.
Le cercle des relations d’Ibn at-Tiqtaqâ paraît assez étendu, malgré le petit nombre des personnes qu'il a citées, surtout dans la partie anecdotique de son ouvrage. Ce sont, pour la plupart, des hommes importants et bien placés pour le renseigner.
Malheureusement, nous ne pouvons tirer de là aucun indice sur la date approximative de la mort d'Ibn at-Tiqtaqâ ; son ouvrage étant daté de 1301, il se trouve que cette date est postérieure à tout ce que nous pouvons induire des rapprochements des dates de naissance ou de décès de tous les personnages qu'il a cités. C'est pour cette raison que nous ne reproduisons pas ici les passages du Fakhrî qui les concerne, et qu'on trouvera plus loin dans la traduction.
Tels sont les renseignements, peu nombreux, que nous avons actuellement sur l'auteur. Peut-être trouverons-nous un jour, dans quelque manuscrit inédit, une notice qui nous en fera connaître davantage.
L'auteur nous a renseignés lui-même sur son œuvre, sur les raisons qui la lui ont fait entreprendre et sur le plan qu'il s'était proposé de remplir. Nous n'avons aucun autre renseignement que ceux qu'il nous a laissés lui-même.
En l'année 1302, Ibn at-Tiqtaqâ entreprit un voyage vers Tabriz, la capitale de l'Azerbaïdjan, mais les rigueurs d'un hiver exceptionnel le contraignirent à faire halte à Mossoul, où il ne comptait pas s'arrêter. Il ne nous a pas dit, dans son récit, quel avait été son point de départ. On a conjecturé qu'il habitait Bagdad. La vérité est que nous n'avons pas de données précises sur ce point. Et si l'on peut hasarder une conjecture, c'est que notre auteur habitait vraisemblablement Hilla, où il fut, après son père Tadj ad-Din Ali, intendant (naqîb) des Alides.
Quoi qu'il en soit, notre auteur fut obligé de séjourner à Mossoul le temps nécessaire pour que le froid diminuât, sauf à continuer ensuite sa route vers Tabriz.
C'est là, à Mossoul, qu'il entendit parler des qualités éminentes du seigneur de cette ville, « le maître obéi, le roi auguste, le plus excellent et le plus grand parmi les rois, le plus noble et le plus longanime des juges », le principicule Fakhr ad-Dîn Isa, fils d'Ibrahim, qui gouvernait Mossoul, avec le titre de roi, malik, au nom du souverain mogol Arghoun. Fakhr ad-Din, de son côté, apprit la présence à Mossoul de cet hôte de marque et le fit mander auprès de lui. Ibn at-Tiqtaqâ fut charmé de l'accueil que lui fit le prince, et, pour lui témoigner sa gratitude et son attachement, il résolut d'employer son séjour forcé à Mossoul à la composition d'un livre d'histoire, pour l'offrir en hommage à son protecteur.
Telle est la genèse de la conception de ce livre. Je ne m'étendrai pas sur le plan adopté par l'auteur, qui l’a expliqué lui-même en tête de son livre et qu'il a réellement suivi, comme on peut le voir dans cette traduction. « « J'ai divisé mon ouvrage, dit-il, en deux sections. Dans la première, j'ai traité de la conduite des sultans et des procédés de la politique royale, des qualités par lesquelles le souverain se distingue des sujets, de celles qu’il doit posséder et des vices dont il doit être dépourvu ; j’ai parlé également de ses devoirs envers ses sujets et des devoirs de ses sujets envers lui. J'ai orné mon discours sur ce sujet en l'incrustant de versets du Coran et de paroles authentiques (hadiths) du Prophète, d'anecdotes piquantes et de vers agréables.
« La seconde section suit, dynastie par dynastie, l'histoire des empires les plus fameux, dont l'autorité a été universellement reconnue et dont les beautés ont atteint la perfection. J'ai commencé par la dynastie des quatre premiers khalifes : Abou Bakr, Omar, 'Othman et 'Ali (qu'Allah soit satisfait d'eux !) en observant l'ordre où ils se sont succédé. Puis j'ai passé à la dynastie qui reçut l'empire de leurs mains, et qui est la dynastie des Omeyyades, puis à la dynastie qui succéda à ceux-ci, celle des 'Abbâsides. J'ai exposé ensuite l'histoire des dynasties qui régnèrent concurremment avec les dynasties principales, comme celles des Bouyides, des Seldjouqides, des Fâtimides d'Egypte, le tout succinctement, car ce sont des dynasties qui ont existé concurremment avec les 'Abbâsides, mais dont l'autorité ne fut pas généralement reconnue. Dynastie par dynastie, je parlerai d'une manière générale de la vue d'ensemble qui est résultée dans mon esprit de la lecture des biographies et des annales. Je dirai quel fut leur commencement et quelle fut leur fin, et j'ajouterai un certain nombre de renseignements suffisants sur les belles qualités des rois de ces dynasties et sur les histoires de leurs sultans. Et si quelque renseignement les concernant échappe à mon esprit et que j’aie besoin de l'insérer, ou un vers remarquable, ou un verset du Coran, ou une tradition (hadith) du Prophète, je le puiserai dans ses sources les plus sûres. Puis, en mentionnant les dynasties l'une après l'autre, je parlerai d'abord des généralités qui les concernent; ensuite, je passerai en revue, l'un après l'autre, leurs rois, en parlant des batailles célèbres et des événements mémorables qui ont eu lieu sous son règne. Puis, à la fin du règne de ce prince, je mentionnerai ses vizirs, l'un après l'autre, ainsi que les anecdotes curieuses qui les concernent. Après avoir épuisé l'histoire du prince et de ses vizirs, j'aborde le prince suivant et je raconte les événements qui eurent lieu sous son règne, de même que les biographies de ses vizirs et ainsi de suite jusqu'à la fin de la dynastie abbâside. »
Ce cadre, Ibn at-Tiqtaqâ l’a effectivement rempli, mais d'une manière inégale, suivant les sources dont il pouvait disposer. Dans la première partie, réservée à l'étude « de la conduite des sultans et des procédés de la politique royale », l'auteur n'aborde nullement les problèmes de la politique et n'expose aucune théorie personnelle sur la transmission du pouvoir, ou sur la forme du gouvernement. Il nous dit lui-même qu'il ne s'était pas proposé d'étudier ces questions dans son livre : « Parler de l'origine de la royauté et de sa véritable nature, de sa division en maîtrises religieuses et temporelles, comme le khalifat, le sultanat, l'émirat et la wilâyat, dire ce qui dans tout cela a été réglé conformément à la loi divine et ce qui ne l'a pas été, exposer les systèmes divers soutenus par les penseurs au sujet de l’imâmat (la souveraineté), tel n'est pas le but de ce livre qui n'a pas été écrit pour ces investigations ; il n'a été composé qu'en vue des principes de la politique et des règles de conduite dont on tire profit dans les événements qui se produisent et dans les conflits qui surviennent, dans la manière de gouverner, dans l’organisation défensive du royaume, dans l'amélioration des mœurs et de la conduite. »
Son sujet étant ainsi délimité, Ibn at-Tiqtaqâ se place, pour résoudre ces questions, à un seul point de vue : le souverain. Tout dépend des qualités, bonnes ou mauvaises, du prince. Il établit, par des citations de paroles authentiques (hadiths) du Prophète et par des exemples, que les sujets suivent généralement, en tous points, la manière d'être de leur souverain. « C'est ainsi que lorsque le roi aime une chose, les gens aiment cette même chose ; ce qu'il hait, ils se prennent à le haïr ; lorsqu'il s'adonne à quelque chose, ils s'adonnent de même, soit naturellement, soit qu'ils y plient leur naturel pour gagner les bonnes grâces du souverain. » Et là-dessus, Ibn at-Tiqtaqâ cite comme exemple le changement profond qui se produisit dans les mœurs et dans la civilisation des pays autrefois soumis au khalifat, du jour où ils tombèrent au pouvoir des Mogols. C'est la justification du dicton populaire : « Les hommes suivent la religion de leurs princes. »
Et du moment que tout dépend du prince, c'est à lui qu'Ibn at-Tiqtaqâ consacre la première partie de son ouvrage, en énumérant les qualités qu'il doit avoir, les défauts dont il doit être exempt, les droits et les devoirs qu'il a envers ses sujets, enfin les particularités qui le distinguent du commun des hommes.
Parmi les qualités « qu'il est désirable de rencontrer chez un roi », Ibn at-Tiqtaqâ cite, en les commentant, les suivantes : l'intelligence, la justice, l'instruction, au sujet de laquelle il fait un curieux parallèle entre les souverains musulmans, perses et mogols, montrant les points de vue différents auxquels les souverains de ces dynasties se sont placés pour cultiver certaines sciences à l'exclusion d'autres. Il exige encore du prince la crainte de Dieu l’indulgence, la générosité, la dignité, la sagesse politique, la fidélité aux engagements.
A ces dix qualités, l'auteur oppose les défauts dont un grand roi doit être exempt, et montre, par des exemples et des anecdotes piquantes, les inconvénients qui peuvent en résulter aussi bien pour le roi que pour les sujets. Au nombre de ces défauts, il range : la colère, la précipitation, l'inquiétude et l'ennui.
Le roi, qui mérite le titre de « grand roi » parce qu'il réunit les qualités énumérées ci-dessus et est exempt des défauts que leur oppose notre auteur, a des droits sur ses sujets et peut les contraindre à les respecter. Le roi peut exiger, en premier lieu, l’obéissance qui est le principe sur lequel repose le bon ordre dans les affaires de l'État, celui grâce auquel le roi peut protéger le faible contre le fort et rendre une égale justice distributive ». L'auteur profite de cette occasion pour faire un grand éloge de la dynastie des Mogols, qui rencontra, de la part de ses armées et de ses sujets, une obéissance telle qu'aucune dynastie au monde n'en a joui. » Et Ibn at-Tiqtaqâ de passer en revue toutes les dynasties musulmanes qu'il compare l’une après l'autre à celle des Mogols, toujours à l'avantage de cette dernière. Ces appréciations, sur ce point, ne manquent généralement ni de justesse ni d'impartialité.
Enfin le roi a encore droit aux hommages, aux bons conseils et à la discrétion de ses sujets.
Les devoirs du roi envers ses sujets sont naturellement la contrepartie de ses droits sur eux. Il doit notamment protéger et défendre le royaume aussi bien contre l'étranger que contre ceux qui en troubleraient l'ordre à l'intérieur ; faire preuve de patience et de douceur envers les sujets en faute; « tenir la balance égale dans ses jugements entre le plus humble et le plus élevé » ; être reconnaissant envers Dieu et le louer de ses faveurs; distribuer honneurs et largesses aux hommes éminents ; éviter la fréquentation des « gens vils du bas peuple », la société des femmes.
Ayant ainsi défini les droits et les devoirs du prince, Ibn at-Tiqtaqâ passe ensuite à la conduite qu'il doit tenir envers ses sujets, autrement dit à la politique gouvernementale. Ici également, il ne faudrait pas s'attendre à rencontrer des vues profondes sur la politique, ni une discussion théorique sur les principes du gouvernement. C'est encore du prince que dépend la marche, plus ou moins bonne, des affaires publiques; et c'est pourquoi, le comparant à un médecin, Ibn at-Tiqtaqâ exige que le prince connaisse le tempérament de son peuple, voire même de chaque classe du peuple, afin de la traiter suivant son tempérament. L'auteur reconnaît, il est vrai, que c'est là une tâche difficile et que « ce savoir exige de la finesse d'esprit, de la justesse dans le discernement, la pureté du cœur, une perspicacité achevée et une attention d'esprit parfaite. Car combien les naturels sont difficiles à distinguer; et les tempéraments et les caractères, quelle peine pour les démêler! »
L'auteur est aussi partisan de la peine de mort, mais dans la limite du strict nécessaire et à la condition d'éviter les raffinements et les mutilations inutiles.
Enfin, Ibn at-Tiqtaqâ termine cette première partie de son ouvrage en recommandant au prince la résolution, la générosité et beaucoup d'autres qualités louables, et en illustrant le tout par des exemples et des anecdotes choisies ad hoc.
Si les idées générales manquent dans cette partie de l'ouvrage, qui eut pu être plus philosophique, plus théorique, du moins sa lecture est-elle agréable, son style simple, mais non sans élégance, son plan bien ordonné. Et, d'ailleurs, on ne peut tenir rigueur à notre auteur de ce que les vues philosophiques soient absentes de son ouvrage, car, à l'exception de l'illustre Ibn Khaldoun, chez quel historien arabe trouve-t-on ce qu'on appelle la philosophie de l'histoire ?
Cette première partie du Fakhrî est-elle personnelle à Ibn at-Tiqtaqâ ? On n'oserait pas l'affirmer, si l'on songeait aux nombreux passages que l'auteur a empruntés en silence à d'autres dans la seconde partie de son livre. Dans tous les cas, s'il y a plagiat, nous ne connaissons pas l'original et, jusqu'à plus ample informé, on peut attribuer à Ibn at-Tiqtaqâ la paternité de cette première section.
Il n'en est pas de même de la deuxième section qui forme la principale partie de l'ouvrage : celle-ci est, croyons-nous, formée de passages empruntés à différents auteurs, tantôt textuellement, tantôt en abrégé quand l'étendue de l'original n'en permettait pas la reproduction intégrale. Dans cette partie, il n'y a, à vrai dire, de personnel à notre auteur que les transitions et, comme dans la première partie, la disposition matérielle du plan. Nous connaissons déjà ce plan, qui consiste à parler de chaque khalife, de sa conduite, des événements les plus importants de son règne, de sa mort, et enfin de ses vizirs dans l'ordre où ils se sont succédé. Ici, notre auteur me semble avoir pris surtout pour guide Ibn al-Athir, en retournant, pour ainsi dire, le plan de cet historien. On sait qu'Ibn al-Athir a rangé son vaste Kâmil d'après l'ordre chronologique, c'est-à-dire qu'il en a fait de véritables annales. En ce qui concerne les khalifes, il donne la biographie de chacun d'eux sous la dernière année de son règne, c'est-à-dire celle de son abdication ou déposition ou celle de sa mort. Ibn at-Tiqtaqâ, avons-nous dit, a retourné ce plan : il a commencé par où finissait Ibn al-Athir; il est allé puiser chez cet historien, à la fin du règne de chaque khalife, la biographie de celui-ci, pour le mettre comme introduction à son règne dans son propre ouvrage ; puis, revenant sur ses pas, il choisissait dans Ibn al-Athir les faits les plus importants qui ont illustré ce règne et en reproduisait le récit, généralement abrégé, qu'il faisait suivre de l'indication de la date du décès de ce khalife. Telle est, invariablement, la méthode qu'il a suivie. Mais il ne s'est pas borné à prendre comme guide Ibn al-Athir; il l'a généralement copié textuellement pour la biographie des princes, et abrégé, tout en conservant la majeure partie de ses expressions, pour les événements politiques. On aurait pu être tenté, en comparant les deux textes, de croire qu'Ibn at-Tiqtaqâ a suivi le récit de Tabari pour la période qui va jusqu'à la fin du troisième siècle de l’hégire. Mais nous ne pensons pas qu'il ait utilisé l'ouvrage de Tabari; quant à la ressemblance qu'on relève entre les deux récits, elle tient à ce fait qu'Ibn al-Athir, que nous croyons avoir servi de modèle au Fakhrî, a lui-même copié Tabari, pour les trois premiers siècles de l’Hégire. A partir de cette époque, l'identité des récits d'Ibn at-Tiqtaqâ et d'Ibn al-Athir est indéniable. Nous avons généralement indiqué, dans notre traduction, les passages qui nous ont paru copiés textuellement du Kâmil al-tavarikh.
Il y a aussi de grandes présomptions de croire que l’Histoire moyenne ou les Annales de Massoudi figuraient au nombre des ouvrages qui ont été mis à contribution par Ibn at-Tiqtaqâ. Ces ouvrages ne sont pas mentionnés une seule fois dans le Fakhrî ; néanmoins l'auteur a dû leur faire des emprunts, comme cela ressort d'un passage que j'ai relevé dans cette traduction. Le récit de la déposition du khalife Qâhir est absolument identique à celui qu'on trouve chez Dzahabî, dans son Tarikh al-islâm. Or cet auteur dit qu'il a emprunté textuellement son récit à Massoudi, sans nommer l'ouvrage. Ce ne peut être aux Prairies d'or, qui ne contiennent rien de pareil. L'extrait a donc été emprunté aux Annales, ou à l’Histoire moyenne.
En dehors de ces deux ouvrages d'Ibn al-Athir et de Massoudi, l'auteur a pu en utiliser d'autres ; cela est même sûr, puisqu'il nous dit lui-même 'avoir étudié les biographies et les chroniques et y avoir recouru, toutes les fois que sa mémoire le trahissait. Néanmoins, pour ce qui concerne l'histoire proprement dite des khalifes, je crois qu'il a fait surtout des emprunts à Ibn al-Athir.
A côté de cet auteur, qui fut son principal guide, Ibn at-Tiqtaqâ a utilisé certainement des ouvrages spéciaux sur les vizirs. On sait que c'est principalement grâce aux détails qu'il a donnés sur ces hauts fonctionnaires, qu'Ibn at-Tiqtaqâ occupe une place honorable parmi les historiens. Ceux-ci ne donnent généralement que bien peu de renseignements sur les vizirs, qui se trouvent, pour ainsi dire, écrasés par le voisinage de la personnalité plus marquante du khalife. Ibn at-Tiqtaqâ a renversé les rôles : chez lui, ce sont plutôt les khalifes qui sont éclipsés par leurs vizirs, pour cette partie de son livre, notre auteur a utilisé deux ouvrages spéciaux, dont l'un ne nous est pas parvenu, et dont l'autre existe incomplet, en deux exemplaires, manuscrits, à Paris et à Gotha. Le premier est l'histoire de Soulî sur les vizirs, qu'Ibn at-Tiqtaqâ a dû principalement goûter et apprécier, cet auteur étant chi’ite comme lui. Le deuxième ouvrage est celui de Hilal as-Sâbi, beaucoup moins étendu que l'autre mais que notre auteur a connu certainement. Il a été publié par M. H.-F. Amedroz. On peut encore conjecturer qu’Ibn at-Tiqtaqâ a utilisé tel ou tel ouvrage, mais nous n'en avons pas d'indices certains, et dans le doute il vaut peut-être mieux s'en tenir à ce qui paraît établi.
Pour terminer cet aperçu sur les sources du Fakhrî, on doit encore citer les renseignements personnels qu'Ibn at-Tiqtaqâ a recueillis auprès de certains de ses amis, dont il nous a donné les noms. C'est surtout la partie anecdotique de son livre qui a gagné en originalité à cette source d'informations.
Si l'on veut maintenant déterminer les caractères de l'ouvrage, il est aisé de reconnaître que nous nous trouvons en présence d'un résumé d'histoire, fait d'après de bons auteurs, notamment Ibn al-Athir, pour la partie concernant les khalifes, Souli et Sâbi pour la partie relative aux vizirs.
C'est, en outre, une histoire anecdotique, d’une composition hâtive, bien ordonnée quant au plan, mal proportionnée quant au récit. De tendance nettement chiite, cette œuvre ne manque cependant pas d'impartialité. On a peut-être un peu exagéré le parti pris de l'auteur contre les khalifes abbâsides. La plupart de ses appréciations, bonnes ou mauvaises, sont copiées textuellement d'Ibn al-Athir'. D'autres attestent une certaine pénétration d'esprit et un esprit philosophique, si j'ose dire, qui manque généralement aux auteurs arabes.
Enfin le style est ce qu'est, en général, le style arabe, si l'on peut dire qu'il y en a un. On a beaucoup vanté le style d'Ibn at-Tiqtaqâ; mais il est bien difficile déjuger sur ce point un auteur dont le récit est formé de morceaux empruntés textuellement à des devanciers, à moins qu'on ne veuille le juger sur les quelques anecdotes qu'il a rapportées et où il a tenu lui-même un rôle. Ce serait peut-être insuffisant. En tout cas, Ibn at-Tiqtaqâ n'y gagnera pas beaucoup, et son meilleur titre sera toujours d'être une des principales sources de l'histoire des vizirs.
Je ne terminerai pas cet aperçu sans signaler l'existence d'un manuscrit persan qui paraît contenir une traduction libre et fortement remaniée du Fakhrî. Ce manuscrit provient de la collection Schefer et était coté 1552 dans le catalogue provisoire qu’E. Blochet a dressé de cette collection. Il est rangé aujourd'hui, dans le nouveau classement, sous le n° 1054 du Supplément persan de la Bibliothèque Nationale. Son titre est « L'expérience des anciens », qui rappelle d'assez près « L'expérience des peuples », d'Ibn Miskawaihi, en cours de publication par les soins de M. le Prince de Teano.[11]
Voici la description du manuscrit persan empruntée au catalogue provisoire de M. Blochet : « Histoire très détaillée de Mahomet et du Khalifat jusqu'aux conquêtes d’Houlagou », par Hindoushah b. Sindjar b. 'Abd Allah el-Sahibî el-Kiranî. L'auteur nous apprend dans sa préface qu'il a composé cet ouvrage pour un souverain nommé Nasret ed-Din Ahmed, fils de l’atabek Yousouf Shah, fils de l’atabek Hezarap, aux environs de l'année 730 de l’Hégire (= 1329 de J.-C.), ms. daté de 1304 (= 1886),… nesta'lik persan. » Dans le tome II du Catalogue des manuscrits persans de la Bibliothèque Nationale, actuellement sous presse, M. E. Blochet a discuté ce point d'histoire littéraire, ainsi qu'il a bien voulu m'en faire part. Je laisse à mon éminent confrère le plaisir et le soin de communiquer la primeur de sa trouvaille à ceux qu'elle peut intéresser, et je ne voudrais pas d'ailleurs empiéter sur un terrain où il a, depuis longtemps déjà, concentré ses efforts. Je citerai seulement quelques lignes de la lettre qu'il a bien voulu m'adresser à ce sujet : « Dans la traduction persane du Fakhrî, traduction d'ailleurs fortement remaniée, le Fakhrî est intitulé d'une façon très explicite :
et le nom de l'auteur est donné sous la forme de Safi ed-Din Mohammed ibn Ali el-Alévi. D'un autre côté, le titre du manuscrit de Paris est certain. »
Comme on le voit, il s'agirait d'une traduction fortement remaniée. D'ailleurs le fait que l'auteur a donné aussi l'histoire de Mahomet, montre qu'il n'a pas suivi exactement le plan d’Ibn at-Tiqtaqâ. Mais laissons à M. Blochet le soin de nous renseigner d'une façon précise sur ce point d'histoire littéraire, qu'il a étudié d'une manière spéciale.
1860. — W. Ahlwardt : Elfachri. Geschichte der islamischen Reiche vom Anfang bis zum Ende des Chalifafes von Ibn eththiqtaqa. Arabisch. Herausgegeben von W. Ahlwardt. Gotha, 1860, in-8, LXVI et 390 pages de texte arabe.
1893. — H. Derenbourg : Al-Fakhrî. Histoire du khalifat et du vizirat, depuis leurs origines jusqu'à la chute du khalifat 'abbâsside de Baghdâd (11-056 de l'Hégire = 632-1258 de notre ère), avec des prolégomènes sur les principes du gouvernement Ibn At-Tiktakâ. Nouvelle édition du texte arabe, par Hartwig Derenbourg, Paris, 1895, in-8. Forme le fascicule 105 de la Bibliothèque de l'École pratique des Hautes Études (section des sciences historiques et philologiques).
1900. — Société égyptienne pour l'impression des ouvrages arabes : Al-Fakhrî. (C'est une reproduction de l'édition de M. Derenbourg, moins l'introduction.)
1823. — G. W. Freytag : Lokmani Fabula et plura loca ex codicibus partem historicis selecta, Bonnae, 1823, in-8, pp. 23-33. (Cet extrait correspond aux pages 118 à 136 de notre traduction.)
1828. — D. R. Henzius : Fragmenta arabica, Petropoli, 1828, in-8, pp. 1-104.
(Cet extrait correspond aux pages 118 à 165 de notre traduction.)
1832. — A. Boldyref : Chrestomathie arabe, Moscou, 1832, in-8, p. 22-70. Reproduit d'après la Chrestomathie arabe de S. de Sacy. (Cet extrait correspond aux pages 323-362 et 371-579 de notre traduction.)
1834. — G. W. Freytag : Chrestomathia arabica grammatica historica, Bonnae, 1834, in-8, pp. 84-96. (Cet extrait correspond aux pages 24 à 43 de notre traduction.)
1834. J. Humbert : Arabica Chrestomathia facilior, Parisiis, 1834, in-8, pp. 88-101, 233-260. Reproduit d'après la Chrestomathie arabe de S. de Sacy.
(Cet extrait correspond aux pages 331-341 et 330-363 de notre traduction.)
1870. — W. Wright: An Arabic Reading Book, I, London, 1870, in-8, pp. 64-67. Publié d'après Sacy et Ahlwardt.
(Cet extrait correspond aux pages 349 à 360 de notre traduction.)
1882. — Bollig : Brevis Chrestomathia arabica in usum scholarum, Roma, 1882, pp. 77-82. Reproduit d'après la Chrestomathie arabe de S. de Sacy.
(Cet extrait correspond aux pages 347-331 et 332-333 de notre traduction.)
1883. — Les PP. J.-B. Belot et A. Rodet S. J. : Noukhab al-Moulah, Chrestomathie arabe, Beyrouth, 1883-1884, in-8, I, ii, pp. 50-76. Reproduit d'après Sacy et Ahlwardt.
(Cet extrait correspond aux pages 327-362 et 571-579 de notre traduction.)
1883-1884. — Le P. L. Cheikho S. J. : Madjâni-l-adab, Beyrouth, 1883-1884, 6 vol. petit in-8. (Les extraits donnés ici font été d'après l'édition Ahlwardt. Ce sont généralement des extraits de quelques lignes; on en trouvera l'énumération à la table des matières des Madjâni…
1883. — Hartwig Derenbourg et Jean Spiro : Chrestomathie élémentaire de l’arabe littéral, Paris, 1885, in-12, pp. 12-13 (1ère et 2e édition).
(Traduction, pp. 169-170.)
1806. — Silvestre de Sacy : Chrestomathie arabe, Paris, 1800, 3 vol. in-8, 1, texte, pp. 2-73. Traduction française, pp. 1-GG, 404-410.
Ces extraits correspondent aux paires 327-363, 571-579 et 43-53 de notre traduction). — La deuxième édition de la Chrestomathie (1826) donne les mêmes extraits ; I, texte, pp. 2-49, et traduction française, pp. 1-92.
1816. — Amable Jourdain : Extrait de l’Histoire des Dynasties attribuée à Fakhr eddin Razy, dans les Fundgruben des Orients, Wien, 1809-1818, vol. in fol. V, pp. 28-40.
(Cet extrait correspond aux pages 220-243 de notre traduction.)
1846. — Cherbonneau : Histoire des khalifes 'abbâsides Al-Amin et Al-Mamoun, par Mohammed ben-Ali-ben Thabathéba, connu sous le nom d'Ibn Thafthafa, traduite en français et précédée d'une critique historique, dans le Journal asiatique de Paris, 1840, I, pp. 297-359.
(Cet extrait correspond aux pp. 362-398 de notre traduction.)
1846. — Le même : Histoire du khalife 'abbâside Al-Mo'tassem, dans le Journal asiatique, 1846, II, pp. 310-338. (Cet extrait correspond aux pages 398-410 de notre traduction.)
1847. — Le même : Histoire des khalifes Al-Ouàciq, Al-Moulawakkel et Al-Mountasir, dans le Journal asiatique de 1847, 1, pp. 134-147.
(Cet extrait correspond aux pages 410-417 de notre traduction.)
1895. — Hartwig Derenbourg : Introduction au Fakhrî d'Ibn Al-Tiqtakâ. (Extrait de l'édition complète du texte arabe.)
1906. — Le même : un passage tronqué du Fakhrî sur Abou Abd Allah Al-Baridi, vizir d'Ar-Râdi Billah et d’Al-Mouttaqi Lillâh, dans les Orientalische Studien Theodor Nöldeke, zum siebzigsten geburtslag (2 mars 1900). Zwei Bande 1, pp. 193-196.
[1] Cette notoriété n'a pas empêché un auteur d'écrire tout dernièrement qu'El-Fakhrî est un célèbre historien qui vivait sous les Abbasides, au deuxième siècle de l'Hégire. Voy. J. Cattan, Traduction de l’Histoire de la civilisation musulmane de Georgi Zaidan, in Revue Tunisienne, n° 68 (mars 1908), p. 107, note 10.
[2] M. Ahlwardt, Verzeichniss der arabischen Handschriften der Königlichen Bibliothek zu Berlin, IX (1897, p. 26. C'est avec une sincère émotion que je lis dans un ouvrage posthume de M. Derenbourg (Vie d’Oumâra du Yémen, p. 379) une note où il me signalait l'existence des renseignements nouveaux trouvés par M. Ahlwardt ; « Je saisis l’occasion de les signaler aux admirateurs de cette piquante Histoire du khalifat et du vizirat et au traducteur présumé, M. Emile Amar. »
[3] L'accession du petit manuscrit incomplet découvert par M. Derenbourg n'a pas modifié sensiblement la constitution du texte. Au moment de mettre sous presse, j'ai eu connaissance de l'existence d'un troisième manuscrit du Fakhrî, qui proviendrait de la collection de l’ex-sultan de Turquie, 'Abdu-l-Hamid. Un examen sommaire de ce manuscrit, à la librairie Welter, ma donné la conviction que je me trouvais en présence dune copie sans aucune valeur, exécutée d'après l’édition de M. Ahlwardt.
[4] Chrestomathie arabe, 2e édition, I, p. 30 et suiv.
[5] Djamal ad-Dîn Ahmad ibn 'Inaba, 'Oumdat at-lâtib fi nasab al Abi Tâlib, manuscrit 2021 du fonds arabe de la Bibliothèque nationale.
[6] Manuscrits 2441 et 2442 de la Bibliothèque nationale.
[7] Folio 25b.
[8] N° 18 du tableau généalogique.
[9] N° 2021, f° 108 r°.
[10] N° 9403, f° 25 v°.
[11] The Tajarib al-Umam, or History of Ibn Miskawagh (Abu 'Ali Ahmad ibn Muhammad) ob. A. H. 421, reproduced in fac-similé from the Ms. at Constantinople in the Aya Sutiyya Library, with a Preface and Summary by Leone Caetani, Principe di Teano. Volume I, to A. II. 37 (=Tabari, I, 3300). — Leyden, E. J. Brill; London, Luzac and C°, 1909, pet. in-8, L-631 pages (Publication du Gibb Mémorial, vol. VII, 1).