Traduite de l'Arabe par E. BLOCHET
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
(1ere partie) (3e partie)
DE
TRADUCTION FRANÇAISE ACCOMPAGNÉE
DE NOTES HISTORIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
DE
Ce prince naquit au Caire le huitième jour du mois de Djoumada premier de l'année 567. Quand son père Salah-ad-Din mourut à Damas,[1] il régnait sur l'Egypte,[2] et le siège de son gouvernement était le Caire. Il avait auprès de lui la meilleure partie de l'armée et les plus distingués des émirs Asadis, des Sâlihis et des Kurdes.[3] Quant il apprit la mort de son père, il alla assister au service funèbre et, prenant immédiatement ses précautions, il régla les affaires de son empire. Quand la pompe funèbre eut été achevée, il distribua des vêtements d'honneur aux émirs et aux grands personnages du gouvernement.
Son frère al-Malik al-Afdal-Nour ad-Din 'Ah resta à Damas et écrivit au khalife an-Nasir pour lui faire part de la mort de son père; cette lettre fut rédigée par le kadi Imad-ad-Din. Nour ad-Din fit porter cette missive par le kadi Dhyâ ad-Din Abou’l Fadâil-al-Kasim ibn Yahya ibn 'Abd-Allah-al-Shahrzourî ; il envoyait en même temps au khalife l'armure de son père, ses vêtements, son cheval et de splendides présents.
Al-Malik al-'Adil partit de Karak pour se rendre en Mésopotamie; il s'arrêta à la forteresse de Dja'bar[4] et envoya des gouverneurs dans les deux villes de Rohâ[5] et de Harrân. Al-Malik al-Afdal choisit comme vizir, Dhyâ ad-Din Nasr-Allah ibn Mohammad ibn al-Athir,[6] et il lui confia tous les soins du gouvernement. Ce personnage lui conseilla d'éloigner les émirs de son père et ses principaux officiers et de s'entourer d'autres émirs ; plusieurs de ces émirs le quittèrent; parmi eux se trouvaient l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas, Faris ad-Din-Maïmoun-al-Kasri, Chams ad-Din Sonkor-al-Kabir, qui étaient les personnages les plus considérables de l'empire. Ils se rendirent au Caire auprès d'al-Malik al-'Aziz 'Imad ad-Din qui les reçut avec les plus grands honneurs, et qui nomma Fakhr ad-Din Tchaharkas son ostadar, en lui donnant le traitement qui était affecté à cette charge. Il plaça Faris ad-Din et Chams ad-Din comme gouverneurs à Saida et dans les pays qui dépendaient de cette ville. Il ajouta à la possession de cette province la ville de Nabolos et le pays qui en dépendait.
Le kadi al-Fadil quitta également Damas et se rendit au Caire. Al-Malik al-'Aziz sortit pour se rendre à sa rencontre, il lui fit une réception des plus distinguées et lui prodigua les marques d'honneur. La population vit dans l'arrivée du kadi al-Fadil la promesse d'un règne fortuné pour al-Malik al-'Aziz. — Le vizir Ibn al-Athir était d'avis qu'on avait alors besoin d'argent et de troupes pour lutter contre les Francs. Cela réjouit extrêmement al-Malik al-'Aziz qui envoya en Secret dix mille dinars à Izz ad-Din Djourdik-al-Noun,[7] qui était gouverneur de Jérusalem, pour les distribuer en gratifications aux troupes qui y tenaient garnison; on fit le prône (khotba) dans cette ville au nom d'al-'Aziz. Comme on craignait de voir dénoncer la trêve conclue entre ce prince et les Francs, on envoya une armée à Jérusalem pour la mettre à l'abri d'un coup de main des Chrétiens. — Al-Malik al-Afdal se décida alors à faire rentrer sous son obéissance les officiers qui s'en étaient écartés pour embrasser le parti d'al-'Aziz. Cela changea complètement les sentiments d'al-Malik al-’Aziz envers son frère al-Malik-al-Afdal ; les émirs firent tout ce qui leur était possible pour exciter sa rancune et ils lui représentèrent qu'il ne devait pas tolérer que quelqu'un partageât la souveraineté avec lui, et qu'il lui fallait régner sur l'empire de son père dans son intégrité. Al-Malik al-Afdal ne tarda pas à apprendre les dispositions d'esprit de son frère al-Malik al-'Aziz.
Cette année, les deux frères se brouillèrent et leurs dissensions ne firent que s'accroître. Les émirs Sâlihis décidèrent à l'unanimité que l'empire dans sa totalité appartiendrait à al-Malik al-'Aziz. C'était la ruine d'al-Malik al-Afdal.
Al-Malik al-'Aziz partit du Caire avec l'armée égyptienne composée des Sâlihis, des Asadis et des Kurdes, ainsi que d'autres troupes, pour envahir la Syrie et l'enlever à son frère al-Malik al-Afdal. Il avait pour cela plusieurs raisons; voici l'une d'elles : La ville de Djobaïl qui était l'une des cités conquises par Salah ad-Din se trouvait en la possession d'un officier kurde; les Francs lui offrirent une certaine somme d'argent contre laquelle il leur livra la place. Al-Malik al-Afdal sortit de Damas pour la reprendre aux Francs, mais cela lui fut absolument impossible, et cette expédition ne servit qu'à montrer à tout le monde son impuissance à la recouvrer. Cet échec exaspéra les émirs, qui firent voir à al-’Aziz qu'il fallait s'attendre à voir la Syrie retomber sous le joug des Francs [par suite de l'incapacité d'al-Afdal]. Al-Malik al-'Aziz partit avec ses émirs; il chargea son frère al-Malik al-Mouvayyad-Nadjm ad-Din Massoud de le remplacer au Caire, et il laissa dans cette ville l'émir Bahâ ad-Din Karâkoush-al-Asadi, Sarim-ad-Din, Saïf ad-Din Yazkoudj et Khatlidj[8] avec neuf cents cavaliers. — Sur ces entrefaites, l'émir Sarim ad-Din Kaïmaz-al-Nadjmi, l'un des plus grands émirs Sâlihis, se brouilla avec al-Malik al-Afdal parce que ce prince lui avait refusé quelque chose qu'il lui avait demandé. Cet émir partit alors de Damas, disant qu'il s'en retournait dans ses terres; mais en réalité, il se rendit auprès d'al-Malik al-'Aziz qui le reçut avec beaucoup de distinction et qui lui donna un grade supérieur à celui qu'il occupait auparavant dans l'armée de Damas. Al-Malik al-Afdal avait le dessein d'écrire à son frère al-Malik al-'Aziz pour chercher à se concilier ses bonnes grâces ; mais son vizir Ibn al-Athir et plusieurs de ses officiers l'en détournèrent et le poussèrent au contraire à lui déclarer la guerre·; il finit par céder à leurs instances et il envoya des ambassadeurs demander du secours contre al-Malik al-’Aziz à son oncle al-Malik al-'Adil, qui se trouvait en Mésopotamie, à son frère al-Malik ath-Tahir, à Alep, à al-Malik al-Mansour, à Hamâh, à al-Malik al-Amdjad, prince de Baalbek, et à al-Malik al-Moudjahid Shirkouh à Homs.[9]
Les envoyés de ces princes arrivèrent dans les premiers jours du mois de Djoumada premier et ils promirent à al-Malik al-Afdal de marcher avec lui contre al-Malik al-’Aziz. Al-Malik al-Afdal partit alors de Damas et vint camper à Ra'as al-Mâ. Quand al-’Aziz fut arrivé à al-Kasr,[10] localité du Ghaûr, al-Malik al-Afdal se voyant dans une position dangereuse, rétrograda d'al-Favâr à Ra'as al-Mâ. L'avant-garde d'al-Malik al-’Aziz atteignit l'arrière-garde d'al-Afdal et faillit la surprendre; mais al-Afdal rétrograda en déroute jusqu'à Damas où il entra le sixième jour de ce mois. Al-Malik al-’Aziz vint immédiatement camper devant Damas à la tête de forces imposantes et commença le siège de la ville. Al-Malik al-Afdal s'était préparé depuis longtemps à défendre Damas contre son frère, et de plus son oncle al-Malik al-'Adil, son frère al-Malik ath-Tahir, al-Malik al-Mansour, al-Malik al-Moudjahid et al-Malik al-Amdjad arrivèrent devant Damas pour lui porter secours. Al-Malik al-'Adil écrivit à son neveu al-’Aziz pour implorer en faveur d'al-Afdal et pour lui demander une entrevue.
Al-Malik al-’Aziz la lui ayant volontiers accordée, al-'Adil vint le trouver et se rencontra avec lui; les deux princes étaient montés à cheval. Al-’Adil proposa à al-’Aziz de conclure la paix et il lui demanda de faire cesser le blocus rigoureux qui enserrait la ville. Le siège de Damas avait été très rude, les canaux qui amenaient l'eau du dehors avaient été coupés, les arbres fruitiers abattus, et l'on se trouvait au moment des plus fortes chaleurs de l'été. Al-Malik al-’Aziz se rendit aux raisons de son oncle, s'éloigna de Damas jusqu'à Dâryâ[11] et campa à al-A'raj.[12] Il envoya l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas, l'ostadar, qui était à cette époque le plus considéré des émirs Sâlihis, comme ambassadeur à al-Malik al-'Adil, avec lequel cet émir conclut la paix sous certaines conditions; après quoi, Fakhr ad-Din Tchahârkas revint auprès d'al-Malik al-’Aziz. — Le sultan d'Egypte leva alors le siège de Damas et vint établir son campement à Mardj-as-Soffâr[13] où il fut atteint d'une maladie très grave. On alla jusqu'à répandre le bruit de sa mort; mais il recouvra la santé. Quand il fut guéri, il ordonna de dresser la formule du serment; on y trouvait plusieurs clauses qui répondaient aux réclamations de tous les princes [ayyoubides] et qui écartaient toute cause de contestation. Il fut convenu qu'al-Malik al-Amdjad-Bahram shah, fils d’Izz ad-Din Farouk shah, et al-Malik al-Moudjahid-Shirkouh rempliraient tous les deux les fonctions de vizir auprès d'al-Malik al-Afdal et qu'ils resteraient à sa cour; qu'al-Malik al-Mansour, prince de Hamâh, demeurerait dans la principauté d'al -Malik ath-Tahir, souverain d'Alep, et qu'il serait son premier ministre. Chacun des princes envoya un des émirs pour assister à la cérémonie du serment, et ces émirs se réunirent le samedi douzième jour du mois de Redjeb. — Al-Malik al-’Aziz épousa la fille de son oncle al-Malik al-'Adil. Ce fut le kadi al-Murtadi-Mohammad, fils du kadi de l'armée, 'Abd al-’Aziz as-Sa'di qui signa le contrat au nom du sultan, et al-Malik al-'Adil chargea le kadi Mohyî ad-Din Mohammad ibn Sharaf ad-Din ibn Asroun de signer en son nom. Ce fut le grand kadi Mohyî ad-Din qui dressa le contrat entre les deux époux, et 'Imad ad-Din l'écrivit sur une pièce de satin ; il le lut devant al-Malik ath-Tahir, et ce fut chez ce prince que le contrat fut signé.
Le vendredi suivant, premier jour du mois de Chaban, le sultan al-Malik ath-Tahir sortit d'Alep pour faire ses adieux à son frère al-Malik al-'Aziz. Al-Malik al-’Aziz se rendit à cheval au devant de lui, et le fit descendre dans sa tente dans laquelle ils prirent leur repas. Les deux frères se séparèrent après s'être fait mutuellement de beaux présents. Al-Malik al-'Adil vint ensuite avec ses courtisans prendre congé d'al-'Aziz et al-Malik al-Afdal arriva après lui. Ce fut lui qui fit ses adieux on dernier à al-Malik al-’Aziz.
Le troisième jour du mois de Chaban, al-'Aziz partit de Mardj-as-Soffâr et prit le chemin de l'Egypte. — Le treizième jour du même mois, al-Malik al-Afdal offrit à son oncle et aux autres princes un splendide festin et leur fit ses adieux. Le lendemain, les princes partirent chacun pour se rendre dans son pays, à l'exception toutefois d'al-Malik al-'Adil qui resta jusqu'au neuvième jour du mois de Ramadhan, après quoi il s'en retourna dans ses états de Mésopotamie.
Al-Malik al-’Aziz arriva au Caire. On a vu que lorsqu'al Malik al-Afdal avait eu le dessein d'écrire à al-’Aziz pour régler avec lui les conditions d'une paix solide, ses courtisans l'en avaient détourné et l'avaient au contraire excité contre son frère ; ils allèrent même jusqu'à accuser plusieurs de ses émirs d'avoir entretenu une correspondance secrète avec al-Malik al-’Aziz. Cola exaspéra les émirs contre lui, et comme ils se doutaient de ce qui les attendait s'ils restaient auprès de lui, ils quittèrent son service. C'est ainsi que l'émir Izz ad-Din Ousâma, seigneur d’Adjloûn, se sépara d'al-Malik al-Afdal et alla trouver al-Malik al-’Aziz qui le reçut avec beaucoup d'honneurs.
L'émir Izz ad-Din excita le sultan d'Egypte contre al-Afdal, le poussant à marcher sur Damas et à la lui enlever. Il dit à al-’Aziz qu'al-Afdal était complètement tombé sous la dépendance du vizir Dhyâ ad-Din al-Djazari, qui avait pris sur lui un ascendant considérable. Il lui représenta que ce vizir avait perdu les affaires du royaume d'al-Afdal par suite de son caractère brouillon. « Il pousse ton frère, lui dit-il, à se brouiller avec toi et il lui conseille de violer la paix. Cette paix a été conclue à la condition que les princes seraient unis par les liens d'une amitié sincère et qu'ils respecteraient leur serment; or cela n'a jamais existé, et il est bien connu qu'ils ont violé leur parole, à peine l'eurent-ils engagée, de telle sorte que tu es complètement dégagé vis-à-vis d'eux. Attaque-donc leurs pays et rends t'en maître avant qu'il n'y éclate des révolutions qu'il sera impossible d'enrayer. » Sur ces entrefaites, l'émir Chams ad-Din ibn as-Salar quitta le service d'al-Afdal; il se rendit également auprès d'al-Malik al-’Aziz, et il appuya les attaques de l'émir Ousâma contre al-Afdal. Quelque temps après, le kadi Mohyî ad-Din Abou Hamid-Mohammad, fils du cheikh Sharaf ad-Din 'Abd-Allah ibn Hibat-Allah ibn Abou 'Asroun, arriva aussi auprès d'al-'Aziz qui le reçut avec beaucoup de distinction, lui donna la charge de kadi de l'Egypte, et le nomma en plus inspecteur des fondations pieuses. Pendant ce temps, à Damas, al-Malik al-Afdal ne s'occupait nuit et jour que de divertissements et se livrait tout entier à ses plaisirs sans même songer à s'en cacher, s'en remettant pour toutes les affaires à son vizir. Mais, au bout d'un certain temps, al-Afdal renonça sans aucune cause apparente à ses divertissements et fit pénitence. Il s'abstint de toute action blâmable et ordonna que l'on renversât le vin ; qu'on vidât même dans la rue les tonneaux de vin qu'on trouverait chez les débitants.[14] Il se consacra à la vie mystique, se revêtit d'habits grossiers et s'appliqua à copier le Coran de sa propre main. Il se fit construire une mosquée dans laquelle il se renfermait tout seul pour faire ses prières à Allah; il observait le jeûne avec la plus grande rigueur et il faisait sa société des pauvres. Il poussa cette mortification jusqu'au point de jeûner toute la journée et de passer la nuit en prières.
Il arriva qu'al-Malik al-’Aziz priva de sa pension le juriste Kamâl ad-Din al-Kurdi ibn Misr. Celui-ci excita quelques personnes à se révolter contre le sultan, et alla trouver les Arabes. Il réunit une bande et ravagea Alexandrie;[15] mais une armée marcha contre eux, et les troupes de Kamal ad-Din ne purent tenir devant elle. Le sultan retira de même leur pension à al-Djannâh, 'Ilkan, Madjd ad-Din al-Fakîh et Izz ad-Din Sahr-al-Fakîh. Ces gens partirent alors du Caire et se rendirent à Damas, où al-Malik al-Afdal leur donna des fiefs.
Au mois de Ramadhan, on coupa la digue du canal d'Abou 'al-Manadja, neuf jours après la fête de l'Invention de la Croix. Les gens se livrèrent sans retenue à cette occasion à des actes blâmables sans que personne protestât contre cette conduite. — A cette même époque, une épizootie sévit sur les bœufs, les chameaux et les ânes et il périt un grand nombre de ces animaux. — On porta une grande quantité de céréales du canton de Bohaïra dans le Maghreb [la province occidentale] à cause de la grande famine qui régnait dans ce pays; on avait en effet proclamé qu'on reprendrait aux émirs les fiefs qui leur appartenaient dans ce pays, de telle sorte qu'ils ne s'étaient pas donné la peine de les faire cultiver. — Le prix des denrées augmenta à Alexandrie, et l'eau du Nil baissa après avoir atteint une élévation de dix-sept coudées moins vingt-deux doigts. Cela causa un renchérissement des vivres, et la contrée souffrit de la sécheresse; le prix du blé s'éleva à un dinar l’ardeb. Le Nil commença à croître, mais on eut du mal à se procurer du pain, aussi les gens crièrent, firent du bruit et se livrèrent à toutes sortes d'actes répréhensibles; le prix du raisin s'éleva considérablement par suite du grand nombre de gens qui en faisaient du vin. — Il y eut une épidémie produite par la préparation de la farine de hachisch à al-Mahmoudiyya ; les cabarets où l'on débitait de la bière furent affermés et on mit des taxes supplémentaires sur cette boisson; à cette époque les droits qu'elle payait s'élevaient à 16 dinars ; on défendit ensuite de faire de la bière.[16] Bref tout le monde se livra à d'abominables excès et seuls, les gens de science s'abstinrent de ces pratiques scandaleuses.
Cette année arriva l'ambassadeur de l'empereur de Constantinople pour demander la croix de la Crucifixion; on la fit venir de Jérusalem; elle était incrustée de pierres précieuses. On la remit à l'ambassadeur à condition que la ville de Djobaïl serait rendue par les Francs. — Une séance fut tenue par devant le sultan, à laquelle assistèrent les chefs des différents divans.[17] — L'émir Hosâm ad-Din arriva apportant de bonnes nouvelles d'al-Malik al-'Adil et des autres enfants de Salah-ad-Dîn. Le sultan al-Malik al-’Aziz se rendit au-devant de lui avec les émirs; et on transporta la table[18] du sultan à l’endroit où l'émir se trouvait. Hosâm ad-Din demanda au sultan de s'arranger avec tous les membres de sa famille. — Le sultan se rendit à cheval à Djizah dans le Sa'id; il passa par la porte de Zavilah, et désapprouva qu'on ait placé des bancs autour des cabarets dans les rues; il ordonna qu'on les détruisit. Ils furent abattus par les soins du mohtésib du Caire; étant passé devant des maisons que l'on bâtissait, al-Malik al-’Aziz ordonna que l'on bouchât les fenêtres des maisons donnant sur le Nil, ce qui fut exécuté.
Cette même année on changea les gouverneurs des provinces. Al-Malik al-’Aziz prêta serment à son oncle al-Malik al-'Adil, et, le vingt-troisième jour du mois de Moharram, il revint du Sa'id. — Le prix des denrées augmenta, et cent ardebs de blé atteignirent le prix de quatre-vingts dinars. — Faïz ad-Din Maïmoun, qui possédait en fief la ville de Saida, Saïf ad-Din Sonkor-al-Mashtoub et Chams ad-Din Sonkor-al-Kabir qui possédait Shakif, arrivèrent après avoir quitté le service d'al-Afdal qui les avait dépouillés de leurs biens; al-Malik al-’Aziz donna à Maïmoun cinq cents dinars, à Sonkor quatre cents et à al-Mashtoub trois cents. — Le quatre du mois de Rabi premier, il y eut de graves désordres à cause de la cohue des gens qui se pressaient pour avoir du pain, car il y en avait très peu sur les marchés, et des incendies éclatèrent dans plusieurs endroits du Caire. — Le dixième jour de ce même mois, on sortit la tente du sultan pour un voyage. — Le treizième jour de Rabi, le prix des vivres diminua un peu et l'on trouva du pain sur les marchés. — Le quinze, on reçut une lettre de [l'émir 'Alam ad-Din] Kaisar annonçant que le neuf de ce même mois, Djourdik lui avait remis la ville de Jérusalem et qu'il avait pris la Croix de la Crucifixion [en échange de laquelle] les Francs consentaient à rendre la ville de Djobaïl. Le seizième jour de Rabi premier arriva Badr ad-Din Loulou, avec une lettre d'al-Malik al-Afdal, annonçant que les Musulmans avaient pris possession de Djobaïl; il expliquait dans cette missive pourquoi Maïmoun-al-Kasri s'était rendu auprès d'al-Malik al-'Aziz, malgré les bontés qu'il avait eues pour lui. — Les vivres étaient toujours très chers : cent ardebs de blé atteignaient le prix de soixante-quinze dinars, et cela fit redoubler les lamentations des gens qui mouraient de faim. — Le vingt-septième jour du même mois, la Croix de la Crucifixion arriva de Jérusalem. C'était un morceau de bois qui portait des pierres précieuses incrustées dans de l'or. — Le vingt-huit, Zaïn ad-Din 'Ali ibn Yousouf-ad-Dimashki, fut investi de la charge de grand kadi, en Egypte en remplacement de Sadr ad-Din ibn Darbas, par suite de la protection que lui accordèrent plusieurs mamlouks; il fut de plus gratifié d'un vêtement d'honneur. Dans les derniers jours du mois de Rabi premier, arriva l'ambassadeur d'al-Malik al-'Adil. — Le neuvième jour du mois de Rabi second, le mohtésib (du Caire) fit démolir les cabarets et les baraques qu'avait élevés Sadr ad-Din Darbas devant le portique de la mosquée al-Azhar près de sa maison, et qui s'étendaient jusqu'à sa demeure. — Le sultan ayant décidé de partir en voyage, envoya un nommé Bahram pour emprunter de l'argent en son nom aux commerçants d'Alexandrie, et il pria le kadi des kadis, Zain-ad-Din, de lui prêter l'argent réservé à l'entretien des orphelins;[19] cela s'élevait à quatorze mille dinars.
Cette somme fut transportée dans le trésor [du sultan]; al-’Aziz en donna de sa propre main un reçu qui fut rédigé en présence de témoins, et il signa un mandat pour une pareille somme sur le trésor public. Quand ce prêt eut été effectué, le sultan ordonna de porter ce mandat chez le kadi Zaïn ad-Din. On n'avait pas encore fini de payer la somme que le sultan Salah ad-Din avait empruntée à l'époque où il entreprit la campagne contre 'Akkâ ; cet emprunt se montait à 30.000 dinars et on n'en avait acquitté qu'une petite partie.
Le seizième jour de ce même mois, Djafar ibn Chams-al-Khilafah se rendit auprès des Francs pour traiter de la reddition de Djobaïl. — Le jeudi, dix-neuf, le sultan sortit du Caire pour aller établir son camp à la Birkat-al-Djubb. Il laissa dans la ville, pour gouverner à sa place durant son absence, Bahâ ad-Din Karâkoush avec treize émirs et environ sept cents cavaliers. Vingt-sept émirs partirent avec le sultan, à la tête de deux mille cavaliers et mille hommes de la garde.[20] — Le troisième jour du mois de Djoumada premier, le sultan se remit en marche et il arriva à Damas le neuf du mois de Djoumada second. Il partit de cette ville le vingt-huitième jour du même mois, à la prière de son oncle al-Malik al-'Adil. Le neuf du mois de Redjeb, al-Malik al-Afdal entra à Damas après que la paix eut été définitivement conclue, le sixième jour de ce même mois, entre lui et son frère al-’Aziz. — Le quatorzième jour du même mois, on battit les tambours au Caire en réjouissance de la paix qui venait d'être conclue entre les fils du sultan al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din ; les marchés furent pavoises et le prix des denrées baissa. — Le dernier jour de Chaban, le sultan rentra au Caire. — Le septième jour du mois de Ramadhan, arriva de Damas al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh accompagné de ses frères et de leur famille. Le divan se trouva dans un embarras extrême, et l'on fut dans l'impossibilité de pourvoir à leurs besoins, de leur fournir tout ce qu'il leur fallait pour leurs cuisines et la toilette de leur personnel féminin. Ils descendirent dans le palais connu sous le nom de al-Dar al-Aziziyya; les vivres augmentèrent un peu à cause de la consommation qu'ils en firent. — Cette année, 'Izz ad-Din Ousâma se rendit auprès d'al-Afdal.
Al-'Aziz avait toujours le dessein de faire une expédition en Syrie. Al-Malik al-Afdal demanda à ses généraux ce qu'il convenait de faire; quelques-uns lui conseillèrent d'écrire à al-Malik al 'Aziz et de chercher à s'arranger avec lui de façon à lui donner satisfaction. Son vizir lui conseilla au contraire de demander aide à son oncle al-Malik al-'Adil et d'implorer son secours contre al-'Aziz. Ce fut ce dernier avis qu'il écouta. On n'eut bientôt plus de doute sur les prétentions d'al-Malik al-'Aziz, qui exigeait qu'on fît la khotba à Damas, et qu'on frappât la monnaie à son nom. Cela jeta al-Afdal dans le plus grand trouble. Il partit de Damas, le quatorzième jour du mois de Djoumada premier, et se rendit, accompagné seulement d'une petite escorte, auprès de son oncle al-Malik al-'Adil. Ce prince vint à sa rencontre à Siffin.[22] Quand tous deux furent descendus de cheval, al-Afdal pria son oncle, dans les termes les plus pressants, de venir avec lui à Damas pour le défendre contre son frère al-'Aziz. Al-'Adil y consentit, et lui donna comme résidence la citadelle de Dja'bar; puis il en partit avec lui pour se rendre à Damas, le premier jour du mois de Djoumada second, et il y arriva le neuvième jour du même mois. Ensuite al-Afdal se rendit à Alep par le désert[23] pour demander secours à son frère al-Malik ath-Tahir. Ce prince se rendit à sa rencontre et lui jura de lui prêter aide. D'Alep, al-Afdal se rendit à Hamâh, où il fut reçu par son cousin al-Malik al-Mansour-Mohammad, fils d'al-Mothaffar, qui lui fit le même serment ; de Hamâh, al-Afdal revint à Damas, où il fit son entrée le treizième jour de ce même mois. Il y trouva al-Malik al-'Adil à qui il dévoila ses secrets; ce souverain s'aperçut alors de la position précaire de son neveu; il comprit combien il avait mal gouverné ses états et quelle conduite indigne il avait tenue. Il lui montra qu'il était temps pour lui de changer de vie et combien il réprouvait ses actes ; mais al-Afdal ne prêta pas beaucoup d'attention aux conseils de son oncle ; il se contenta de lui prodiguer les plus grands honneurs, à ce point qu'il lui laissa l'étendard, que, tous les jours, al-'Adil sortait à cheval avec le drapeau de l'empire[24] et qu'al-Afdal prenait rang dans son escorte comme un de ses officiers.
Les choses en étaient là quand, subitement, al-Malik ath-Tahir, souverain d'Alep, se brouilla avec son frère, al-Malik al-Afdal et avec son oncle al-Malik al-'Adil, et cela parce qu'al-Malik al-Mansour venait d'embrasser le parti d'al-'Adil. Le sultan d'Alep écrivit à son frère al-Malik al-'Aziz pour l'inciter à venir faire la conquête de la Syrie, lui promettant de se joindre à lui contre al-Afdal. Rien ne pouvait mieux entier dans les vues du sultan d'Egypte qui sortit alors du Caire à la tête de ses troupes.
Quand al-Malik al-'Aziz fut arrivé près de Damas, al-Malik al-'Adil écrivit en secret aux émirs de ce sultan pour les attirer dans son parti; les émirs Asadis en voulaient aux émirs Sâlihis parce qu'al-'Aziz favorisait les seconds à leurs dépens; al-'Adil sut profiter habilement de cet état d'esprit et il parvint à jeter la discorde entre ces deux groupes d'officiers au point que les émirs Asadis ne voulurent plus rester au service d'al-Malik al-'Aziz. En même temps il écrivait à al-Malik al-'Aziz pour le mettre en garde contre les projets des Asadis et lui conseiller de les chasser de son armée, et aux Asadis pour leur montrer qu'ils avaient tout à craindre des projets d'al-Malik al-’Aziz et qu'ils foraient bien mieux de se ranger de son côté. Ce stratagème lui réussit pleinement ; les émirs Asadis prirent le parti d'abandonner al-Malik al-'Aziz et engagèrent les Kurdes et les Moharranis à agir comme eux; les uns et les autres y consentirent. L'officier qui commandait les Kurdes se nommait l'émir Hosâm ad-Din Abou’l Hidja al-Samin ; les Kurdes se réunirent aux Asadis et ils quittèrent tous le service d'al-Malik al-'Aziz pour aller se joindre à al-Malik al-Afdal et à al-Malik al-'Adil, de façon à amener la ruine du sultan d'Egypte. En même temps, ils écrivirent à ceux de leurs camarades qui étaient restés au Caire pour leur dire de marcher contre al-'Aziz de façon à prendre position entre lui et le Caire, à le mettre entre deux ennemis et à n'avoir plus qu'à étendre la main pour s'emparer de lui.
Le soir du quatrième jour du mois de chewâl, l'émir Abou’l Hidja al-Samin partit avec les Kurdes, les Moharranis et les Asadis qui emportèrent leur équipement; ils vinrent trouver al-Malik al-'Adil, qui en éprouva une vive joie, car cela renforçait considérablement son armée. A l'aube du cinquième jour du mois de chewâl, al-Malik al-'Aziz se mit en marche dans l'intention de retourner en Egypte en éprouvant les plus vives craintes au sujet des émirs Asadis qu'il avait laissés au Caire.
L'officier qu'il avait chargé de gouverner l'Egypte pendant son absence était l'émir Bahâ ad-Din Karâkoush-al-Asadi, qui n'avait pas changé de sentiments vis-à-vis de lui, de telle sorte qu'il rentra sans encombre au Caire et s'y installa.
Al-'Adil sortit alors de Damas avec al-Malik al-Afdal et toutes leurs troupes dans l'intention d'aller attaquer le Caire, car il était bien décidé à s'emparer des états du sultan d'Egypte. Il fut convenu entre les deux princes qu'al-Malik al-'Adil aurait le tiers de l'Egypte et que les deux autres tiers seraient la propriété d'al-Malik al-Afdal. Al-Afdal consentit à cet arrangement et les deux sultans partirent de Damas; le prince de Hamâh se mit également en campagne, ainsi qu’Izz ad-Din ibn al-Mokaddam et Sabik ad-Din ibn ad-Dayah, seigneur de Schaïzar ; il laissa à Damas, al-Malik ath-Tahir-Khidr. L'émir Izz ad-Din Djourdik-al-Nouri, gouverneur de Jérusalem, vint également se joindre à eux. Quand ils furent arrivés à Tell al-'Adjoul, al-Afdal distribua des vêtements d'honneur à tous les émirs Asadis ainsi qu'aux Kurdes afdalis, et il leur donna des timbales. Al-Malik al-Afdal marcha sur Jérusalem que lui livra l'émir Izz ad-Din Djourdik ; il donna à ce dernier Baïsan, Kaukab,[25] al-Djoulan[26] et al-Masha;[27] de Jérusalem l'armée vint camper devant Bilbeis,[28] où se trouvaient un certain nombre d'émirs Sâlihis, avec l'émir Hakdari ibn Ya'li al-Hamidi à la tête d'un détachement de Kurdes. ΛΙ-Malik al-Afdal et al-Malik al-'Adil les assiégèrent. On se trouvait alors en pleine crue du Nil et il était très difficile de se procurer des vivres et du fourrage pour les bêtes, de telle sorte que l'armée en éprouva de grandes souffrances. Les généraux désapprouvèrent cette opération. Pendant ce temps, al-Malik al-'Aziz envoyait aux habitants de Bilbeis des navires portant des hommes et du matériel de guerre. Les Asadis ayant appris cela équipèrent des bateaux et attaquèrent les navires égyptiens ; plusieurs de ces navires tombèrent entre leurs mains; ils en coulèrent d'autres et firent leurs équipages prisonniers ; huit de ces navires parvinrent à s'échapper et rallièrent le Caire. Le siège de Bilbeïs continua avec le même acharnement des deux côtés, et la ville fut sur le point de tomber aux mains des assiégeants. Al-Malik al-'Aziz qui se trouvait alors au Caire était dans le plus grand embarras, et il n'avait presque plus d'argent. Ses sujets l'aimaient beaucoup, car il les traitait très doucement et se montrait très généreux à leur égard. Quand al-Malik al-'Adil et al-Malik al-Afdal furent venus mettre le siège devant Bilbeïs, il se trouva dans la nécessité d'enrôler des soldats; mais il ne pouvait le faire faute d'argent. Les gens riches lui offrirent de fortes sommes, mais il ne voulut point les accepter.
Le kadi al-Fadil quitta la direction des affaires et se retira dans ses terres quand il vit que tout allait de travers ; Abd-al-Karim ibn 'Ali-al-Baïsani avait été pendant de longues années chargé de la juridiction et des finances dans la province de Bohaïra[29] et il y avait fait une grosse fortune ; il se brouilla ensuite avec son frère, le kadi al-Fadil, et cette dispute causa beaucoup de scandale, car ils jouissaient tous les deux de l'estime publique. 'Abd-al-Karim quitta ensuite ses fonctions ; il avait épousé une femme de la famille de Misar, qui avait beaucoup de fortune; il alla s'établir avec elle à Alexandrie ; ils firent très mauvais ménage à cause de son caractère déplorable. Le pore de cette femme vint à Alexandrie et alla exposer au kadi de cette ville la malheureuse situation de sa fille. Le kadi se rendit lui-même à la maison qu'habitait 'Abd-al-Karim, mais il ne put ouvrir la porte de la chambre où se trouvait sa femme. Il ordonna alors d'y pratiquer une ouverture, il en fit sortir la jeune femme et la rendit à son père, après quoi il ordonna de reboucher le trou. Cela mit 'Abd-al-Karim dans une violente colère ; il se rendit au Caire et il offrit à l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas cinq mille dinars mûris, et il s'engagea à verser au trésor d'al-Malik al-'Aziz une somme de quarante mille dinars si on voulait lui confier la charge de kadi d'Alexandrie. Il porta tout cet argent à l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas qui le fit transporter chez le sultan. Al-Malik al-'Aziz se trouvait à ce moment dans la plus grande gêne et n'avait pour ainsi dire plus un sou; l'émir lui dit : « Voilà de l'argent qui t'est venu sans que tu le demandes et à l'improviste ». Et il lui expliqua toute l'aventure ; le sultan regarda longuement le sol, puis relevant la tête : « Rends, dit-il, cet argent à celui à qui il appartient, et dis-lui ceci : Voilà ton or et gardes-toi bien de recommencer! Tous les souverains ne s'appellent pas al-Malik al-'Adil. Fais savoir à celui qui t'envoie que si j'accepte ce don de lui, ce sera l'autoriser à commettre toutes les exactions possibles à Alexandrie; c'est une chose que je ne ferai jamais ! » Quand Tchaharkas eut entendu ces paroles, il en fut stupéfait et son étonnement se peignit sur son visage. Le sultan lui dit : « Je vois que tu es tout troublé, et je pense que tu as reçu quelque commission pour t'occuper de cette affaire. » « C'est vrai, répondit l'émir, cinq mille dinars. » Al-'Aziz réfléchit quelques instants, puis: « Il t'a fait un présent qui ne te sera guère utile, tandis que moi, je te donnerai bien des fois des choses qui te serviront autrement. » En même temps, il lui signa un diplôme d'investiture lui conférant la propriété du district de Tanbadha qui rapportait chaque année une somme de sept mille dinars. Ses courtisans blâmèrent sa conduite et lui conseillèrent d'emprunter de l'argent au kadi al-Fadil. Il pria ce magistrat de venir s'entretenir avec lui dans un des belvédères du Palais du Vizirat qui dominait le chemin que le kadi devait prendre. Quand le sultan aperçut le kadi al-Fadil, il fut vivement troublé et se retira dans ses appartements particuliers (haram), par suite de la honte qu'il ressentait d'être obligé de lui parler de lui emprunter de l'argent; mais les émirs le contraignirent à sortir de ses appartements. Quand il fut entré dans la pièce où se trouvait le kadi, il commença par lui souhaiter la bienvenue et lui dit : « Tu sais dans quelle pénible situation et au milieu de quelles difficultés financières je me trouve à l'heure actuelle ; regarde mon état d'un œil favorable et sauve-moi, soit en me donnant de l'argent, soit en me conseillant, soit par toi-même! » Le kadi al-Fadil lui répondit: « Tout ce que je possède, je le dois à la générosité de tes parents ; commençons d'abord par arranger ta situation, et si ensuite tu as besoin d'argent, le mien t'appartient. »
Il arriva alors qu'al-Malik al-'Adil voyant combien son armée souffrait de la rareté des vivres et des privations envoya prier le kadi al-Fadil de venir auprès de lui par un messager qu'il avait déjà envoyé à al-Malik al-'Aziz. On prétend que lorsque la flotte qu'al-'Aziz avait envoyée au secours de Bilbeïs eut été défaite, comme on l'a vu plus haut, le sultan craignit de se voir arracher son empire et qu'il envoya en secret quelqu'un à son oncle pour lui dire qu'il reconnaissait avoir mal agi et qu'il s'était décidé à se retirer dans le Maghreb ; il lui demandait seulement de respecter ses femmes et de prendre soin de ses enfants. Al-Malik al-'Adil eut pitié de lui et pria le kadi al-Fadil de venir le trouver. Quand ce magistrat arriva auprès de sa tente, il monta à cheval, se rendit au devant de lui et le reçut avec les marques de la plus grande estime; ils ne se séparèrent pas avant d'avoir arrêté les termes d'un accord d'après lequel les Asadis et les Kurdes rentreraient au service d'al-Malik al-’Aziz sans qu'on leur prît n'importe quoi de leurs fiefs militaires. Al-'Aziz et ces émirs s'y engagèrent mutuellement par serment; il fut également convenu qu'al-Malik al-'Adil demeurerait au Caire auprès d'al-Malik al-'Aziz et qu'il prendrait soin du gouvernement de ses états; qu'al-’Aziz et al-Afdal feraient la paix et que chacun d'eux resterait en la possession de ce qui lui appartenait au moment de la conclusion de ce traité. Le kadi al-Fadil s'en revint alors. Quand les choses furent ainsi arrangées, chacun jura d'observer fidèlement les clauses du traité, après quoi, al-Malik al-'Aziz partit du Caire pour se rendre à Bilbis; son oncle al-Malik al-'Adil et son frère al-Malik al-Afdal allèrent le recevoir. La paix ayant été rétablie ainsi extérieurement, al-Malik al-Afdal se mit en chemin pour retourner en Syrie, accompagné de l'émir Abou’l Hidja al-Samin;[30] tout le Sahel devint de la sorte sa propriété. Al-Malik al-'Aziz rentra au Caire avec son oncle al-Malik al-'Adil auquel il donna comme résidence la forteresse de cette ville. Ce prince s'occupa de mettre ordre aux affaires de l'Egypte et il ne négligea rien des affaires des provinces et des campagnes; il montra la plus vive affection pour al-Malik al-'Aziz et il devint le maître absolu, gouvernant à sa guise l'empire de son neveu sans distinguer entre le riche et le pauvre.
Le kadi Mohyî ad-Din Mohammad ibn Abou Asroun fut révoqué de sa charge de kadi de Misr ; on nomma à sa place Zaïn ad-Din Abou’l Hasan 'Ali ibn Yousouf ibn 'Abd-Allah ibn Bandar-al-Dimashki. — Cette même année, al-Malik al-'Aziz renouvela la trêve qui existait entre lui et les Francs. — On reçut une lettre de l'empereur grec [Alexis III l'Ange] qui disait que les Grecs l'avaient reconnu comme leur souverain et qu'il traitait bien les Musulmans; il annonçait qu'il avait ordonné de construire dans sa capitale une grande mosquée, qu'on y faisait la prière du Vendredi, ainsi que la khotba, et qu'il avait fait restaurer à ses frais un côté de cette mosquée qui était tombé en ruines, de telle sorte que les Musulmans qui se trouvaient à Constantinople pouvaient se réunir dans cette mosquée pour y faire la prière. Il demandait en retour que l'on prît note de ses recommandations pour le patriarche et les chrétiens, de façon qu'ils pussent accompagner leurs morts avec des cierges allumés et accomplir en public les cérémonies de leur culte dans leurs églises. Il priait également le sultan de rendre la liberté aux Grecs qui étaient retenus prisonniers dans ses états.
Cette année Zaïn ad-Din 'Ali ibn Yousouf fut destitué de ses fonctions de kadi, le premier jour du mois de Djoumada premier, et on donna sa place à Mohyî ad-Din Abou Hamid-Mohammad ibn 'Abd-Allah ibn Hibat-Allah ibn 'Asroun.
Dans les premiers jours de cette année, al-Malik al-Afdal arriva à Damas, et ses soldats se disloquèrent pour retourner dans leurs foyers ; al-Afdal continua à vivre dans les pratiques religieuses les plus austères, laissant tout le poids des affaires à son vizir Diya ad-Din ibn al-Athir qui gouverna de la façon la plus malencontreuse, de telle sorte que les plaintes s'élevèrent de toutes parts. Pendant ce temps, al-Malik al-'Adil gouvernait l'empire égyptien ainsi que les contrées qui lui appartenaient à titre de fiefs. C'était lui qui réglait l'avancement, qui s'occupait du gouvernement des provinces et de faire rentrer l'argent dans le trésor. Il plaça auprès d'al-Malik al-'Aziz l'émir Izz ad-Din Shama,[31] qui devint le dépositaire des secrets du sultan et son chambellan et qui servait également d'intermédiaire entre al-Malik al-'Aziz et son oncle. L'émir Sarim ad-Din Kaimaz-al-Nadjmi était l'ami le plus intime d'al-Malik al-'Adil qui en faisait le plus grand cas.
Le samedi, douzième jour de Moharram, on retira l'autorité à Ibn Abi 'Asroun et à ses substituts et on lui ordonna de s'enfermer dans sa maison, puis de sortir du Caire. Il ferma sa porte, prépara toutes ses affaires pour partir, mais il demanda la permission de demeurer au Caire. Le vingt-sept, on donna un vêtement d'honneur à Zaïn ad-Din Ali ibn Yousouf, et on le nomma à la place de kadi qui était occupée auparavant par Ibn Abi-'Asroun.
Au commencement du mois de Safer, al-Malik al-'Aziz attacha en vakf à la vieille mosquée djâmi de Misr le canton de Djizeh, depuis al-Manoufiyya[32] jusqu'au couvent de l'imam Shafé'i, et il en donna l'administration à Ibn al-Djizi. — Aux mois de Safer et de Rabi, on jeta une quantité considérable de morts sur les chemins; chaque jour leur nombre dépassait à Misr et au Caire deux cents individus, et il ne resta personne qui prît soin de leur donner la sépulture. La plupart de ces gens étaient morts de faim : le blé arriva à se vendre 180 dinars les cent ardebs; le pain se vendait un dirhem les trois ritl. Les pauvres gens furent réduits à acheter des cruches de terre et à aller sans discontinuer les remplir dans le Nil ; ils voulaient vendre cette eau un dirhem la jarre, mais comme ils ne trouvèrent personne qui voulût en acheter à ce prix ils crièrent : « Qui nous donnera une aumône contre cette cruche d'eau? » Le prix des vivres monta encore, de telle sorte que la misère devint plus affreuse et que beaucoup de pauvres périrent, la plupart de faim. Les chariots qui servaient au transport des denrées alimentaires furent employés pour le transport des cadavres; on ne trouvait pas assez de cercueils pour les inhumer, de sorte qu'on les faisait servir plusieurs fois[33] ; les gens se mettaient voleurs pour un morceau de pain, on les frappait, on les blessait à la tête de façon à répandre leur sang, sans les décourager et sans qu'ils lâchassent ce qu'ils tenaient à la main. Le blé fit complètement défaut, et il n'y eut plus que le shérif Ibn Thaghlib qui en envoyât; en effet ses vaisseaux allaient en chercher et rapportaient sans discontinuer.
Le septième jour du mois de Safer, on reçut la nouvelle que le cercueil d'al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din avait été transporté, le jour d'Ashoura, de la forteresse de Damas dans le monument qu'il s'était fait construire; on déploya dans cette cérémonie une pompe magnifique.
Le vingt-septième jour de ce même mois, al-Malik al-Zahir-Daoud, prince de Birah, arriva, ainsi que Sabik ad-Din Othman, prince de Schaïzar, et Bahâ ad-Din ibn Shaddâd, kadi d'Alep ; al-Malik al-'Adil sortit à leur rencontre jusqu'à la Birkat-al-Djubb ; le khâtib 'Imad ad-Din arriva également.
On reçut la nouvelle que-les Arabes de la province occidentale étaient descendus dans la Bohaïrah et qu'ils avaient acheté du blé au prix d'un dinar la charge d'un chameau. La raison en était que les provinces occidentales (al-gharb) avaient manqué de blé l'année précédente et que, durant l'année présente, il n'avait pas plu. Les sauterelles s'étaient multipliées en Syrie d'une façon tout à fait inquiétante pendant que les fièvres et les maladies similaires[34] augmentaient au Caire et à Misr. Le prix des médicaments,[35] du sucre, des essences et des épices s'éleva beaucoup et il fut difficile de s'en procurer : on vendit une potion[36] jusqu'à vingt-quatre dirhems et les poulets devinrent si rares qu'on n'en trouva plus à acheter ; le froment atteignit le prix de deux cents dinars les cent ardebs; les vivres arrivèrent à des prix exorbitants : on ne trouva plus rien à manger et on ne vit plus que des gens demandant l'aumône; une grande quantité de personnes moururent de faim et on se mit à voler du pain sans même se cacher. On vit des hommes qui dévoraient de la terre, d'autres qui mangeaient des ordures, et les gens s'écrasaient pour ramasser les débris que l'on jetait à la porte des raffineries de sucre. La mortalité augmenta de même à Alexandrie, et on y jeta aussi un grand nombre de cadavres sur les chemins. Les médicaments étant venus à faire défaut, les riches comme les pauvres périrent en nombre considérable; personne ne put cacher sa misère et l'on vit des gens qui fouillaient dans les tas d'immondices accumulées depuis longtemps pour y ramasser des débris de cuisine, des dessertes de table, et dans les balayures des maisons, pour y trouver des débris mangeables. Un homme qui était employé dans les bureaux de l'assistance publique (divan al-zakat) écrivit dans cette seule année pour plus de 52.000 dinars de mandats sur la caisse de cet établissement, et encore n'était-il pas le seul occupé à ce travail. Il y avait dans les caisses de cette fondation des sommes destinées à être employées dans les calamités de ce genre. On envoya à Ibn Thaghlib al-Dja'fari en cette seule année une somme qui dépassait 60.000 dinars ; on lui envoya également le tambour et l'étendard et on lui donna l'ordre de fournir la maison d'al-Malik al-'Aziz de viande et de pain, de telle sorte qu'il en apporta à plusieurs reprises pour la nourriture de ceux qui la composaient; beaucoup d'entre eux néanmoins se contentaient de pain. Les plaintes des gens redoublèrent, mais on ne put y faire droit.
Au mois de Rabi second, Sarim ad-Din Khatlidj-al-Ghozzi fut privé de sa charge d'inspecteur des finances à l'administration centrale (davavin), et on la donna à Bahâ ad-Din Karâkoush', en plus de sa charge d'inspecteur de l'assistance publique. — Ce même mois, la mortalité fut également excessive, à ce point qu'il ne resta pas une maison où il n'y eût un cadavre, un agonisant ou un malade. La situation fut encore aggravée par ce fait que les médicaments vinrent à manquer et que le nombre des médecins fut insuffisant: si l'on parvenait à en trouver un, il ne pouvait s'échapper tant les gens se précipitaient sur lui. La mortalité devint telle que les vivants ne pensèrent plus qu'à la mort, et le jour entier se passait à voir sortir des convois dans les rues. On finit par manquer de gens pour ensevelir les morts, et, s'il se trouvait un fossoyeur, il ne creusait pas la fosse complètement,[37] de telle sorte que les cadavres n'étaient pas ensevelis assez profondément et qu'ils répandaient des émanations telles qu'il était impossible aux assistants d'aller prier sur les tombes et de les aller visiter. — Le prix des vivres commença à baisser.
Au mois de Djoumada premier, on reçut à plusieurs reprises des nouvelles qui apprenaient que les choses allaient fort mal à Damas, ce qui détermina le sultan à entreprendre une expédition en Syrie. On se préoccupa de la question de la solde; on paya aux troupes un seul mois bien qu'il leur fût dû quatorze mois d'arriéré, car on n'avait pas eu d'argent pour les payer. On leur versa cette somme et on les envoya dans différentes directions. Les djandars se refusèrent à prendre le mois qu'on voulait leur payer. Quand al-Malik al-'Aziz fut informé de leur conduite, il écrivit à l'émir Khatlaba de les envoyer au camp; le tavashi Karâkoush fit mettre aux fers ceux qui refusèrent de sortir, et il les força à travailler aux murs. Les djandjars sortirent, mais bien malgré eux, en maugréant et en sacrant.
L'argent qui avait été distribué aux troupes avait été emprunté aux émirs, et on leur avait donné des garanties pour l'année suivante. Al-Malik al-'Aziz sortit pour se rendre au camp, et les émirs se mirent en marche avec la plus grande rapidité; il envoya des hadjibs[38] dans les différentes villes sous escorte de soldats, et les troupes sortirent du Caire. Le départ de la Birkat-al-Djubb eut lieu le huitième jour de ce mois. Le sultan al-Malik al-'Adil et al-Malik al-'Aziz partirent avec une troupe d'Asadis et de Mamlouks.
Les maladies fébriles se multiplièrent et tout le temps se passa à ensevelir les morts ; les médicaments vinrent à manquer, les drogues se vendirent jusqu'à trente dirhems et le prix d'une potion atteignit cent dirhems. — On apprit qu'à Kous et dans la province qui en dépendait, il y avait eu également beaucoup de maladies et que le nombre des morts avait été hors de proportion avec ce qu'il était auparavant; on apprit également qu'il y avait eu une épidémie suivie de beaucoup de décès à Alexandrie. A la fin de ce même mois, les vivres diminuèrent de prix, et les cent ardebs de blé, se vendirent quatre-vingts dinars; le pain arriva à un dirhem les sept ritls, de telle sorte qu'il y eut moins de mendiants ; la mortalité augmenta après qu'on eut apporté de Kous des poulets, qui se vendirent dix pour sept dinars : on n'avait jamais vu pareille chose en Egypte. Ce même mois, on proclama au Caire et à Misr que le shérif Ibn Thaghlib était le chef du pèlerinage, et les propriétaires fonciers (arbab-al-bunyat) firent leurs préparatifs pour partir. — Au mois de Djoumada second, la situation fut telle que la maison du sultan manqua d'argent pour les besoins de tous les jours et pour la nourriture de ses femmes et de ses enfants ; on en fut réduit à un tel état qu'on achetait dans les marchés des objets qui n'avaient pas le poids [et qu'on les payait le même prix que si ils l'avaient eu] sans se révolter contre ceux qui les vendaient. On en arriva à manquer totalement de vivres, et les marchands de denrées alimentaires voulaient vendre au peuple au même prix que celui qui avait été consenti par les gens du sultan ; on fut obligé de tolérer ces gains illicites. La bière et le vin furent affermés au prix de douze mille dinars; on permit de les sortir en public et de les vendre dans des échoppes et dans des cabarets, et personne ne songea à rien dire contre cela. L'argent qui fut produit par ces impôts servit à la nourriture du sultan et des gens dont il avait besoin pour son service; les revenus des frontières et des confins militaires furent dépensés par des gens qui ne s'inquiétaient point de savoir d'où venait l'argent.
Ce même mois, al-Malik al-'Aziz et al-Malik al-'Adil arrivèrent à Daroum, et ordonnèrent de démanteler la citadelle de cette ville. Les murailles furent réparties entre les émirs et les djandars. Cette mesure déplut au peuple parce que c'était un endroit commode pour les gens qui voyageaient. Les deux souverains arrivèrent à Damas; al-Malik al-Afdal s'était préparé à la guerre depuis le commencement du mois de Redjeb; ils assiégèrent Damas jusqu'au moment où ils s'en emparèrent, le vingtième jour de ce même mois, après plusieurs combats dans lesquels al-Malik al-Afdal fut trahi par ses généraux. Quand la ville eut été prise, al-Malik al-Afdal descendit de la forteresse pour se rendre au-devant des vainqueurs. Al-'Adil eut honte quand il le vit, car c'était lui qui avait engagé al-Malik al-'Aziz à venir l'attaquer, dans l'intention d'en tirer parti pour son propre compte comme cela sera raconté. Les deux sultans ordonnèrent à al-Malik al-Afdal de s'en retourner à la forteresse. Il n'y était pas depuis quatre jours qu'al-Malik al-'Aziz lui envoyait Aïbak-Foutis, l'émir djandar, et Sarim ad-Din Khatlidj l’ostadar qui le firent sortir de la citadelle ainsi que sa famille et celle de son père et le logèrent dans un endroit quelconque. Al-Malik al-Afdal paya toutes ses dettes et ce qu'il devait aux gens de son service; cela dépassait vingt mille dinars. Pour ramasser cette somme, il vendit ses meubles, ses chameaux, ses mules, ses livres et tout ce qu'il possédait; encore cela ne fut-il pas suffisant. Son frère et son oncle se conduisirent très durement à son égard ; ensuite, son oncle al-Malik al-'Adil lui envoya l'ordre de se rendre à Sarkhad ; il n'eut avec lui personne qui accompagnât sa famille, jusqu'à ce que Djémal ad-Din [Abou’l] Mahâsin eut envoyé une dizaine de soldats qui l'escortèrent jusqu'à Sarkhad.
On prit Bosra à al-Malik ath-Thafir-Mothaffar ad-Din Khidr, et cette ville fut donnée à al-Malik al-'Adil ; on ordonna à al-Malik ath-Thafir de se rendre à Alep, où il alla demeurer auprès du prince de cette ville, al-Malik ath-Tahir. On dit qu'al-'Adil avait convenu avec al-Malik al-'Aziz, alors qu'il se trouvait au Caire, que, si al-Malik al-'Aziz triomphait de son frère al-Malik al-Afdal, et s'emparait de Damas, il y resterait, pendant que lui, al-'Adil reviendrait au Caire en qualité de vice-roi au nom d'al-Malik al-'Aziz. Quand al-Malik al-'Aziz se fut emparé de Damas et qu'il en eut chassé son frère al-Malik al-Afdal, ses conseillers lui montrèrent que son oncle avait l'intention [de s'emparer de l'Egypte]. Il se repentit alors des conventions qu'il avait fixées avec lui. Il envoya quelqu'un en secret à son frère al-Malik al-Afdal pour lui exprimer ses regrets de ce qui s'était passé et pour lui faire dire de ne pas abandonner l'espoir de récupérer le trône de Damas. Mais al-Malik al-Afdal crut que c'était une ruse de son frère et il avertit son oncle al-Malik al-'Adil de cette démarche; al-Malik al-'Aziz fut vivement dépité de cet acte et se mit dans une violente colère contre son frère qu'il envoya à Sarkhad en le traitant d'une façon très dure. Le vizir [d'al-Afdal], Dya ad-Din al-Djézéri, alla se cacher dans la crainte d'être massacré; puis il se sauva à Maûsil. C'est ainsi qu'al-Malik al-'Aziz devint souverain de Damas le quatorzième jour du mois de Chaban; il régna avec justice et abolit un certain nombre de taxes, il défendit de tourmenter et de vexer ses sujets. Il quitta Damas la neuvième nuit de ce même mois, dans l'intention de se rendre au Caire, laissant son oncle al-Malik al-'Adil à Damas. Il se rendit à Jérusalem dont il prit possession. Cette ville lui fut rendue par l'émir Abou’l Hidja, et il la donna à l'émir Chams ad-Din Sonkor-al-Kabir. Abou’l Hidja se rendit à Bagdad.
Al-Malik al-'Aziz arriva au Caire, le jeudi quatrième jour du mois de Ramadan, et Damas, ainsi que la province qui dépendait de cette ville, devint le fief d'al-Malik al-'Adil. Les seuls signes de la souveraineté d'al-Malik al-'Aziz sur ces contrées furent qu'on y faisait la khotbah et la frappe des monnaies au nom de ce sultan.
Le dix-huitième jour de ce mois, le sultan al-Malik al-'Aziz sortit à cheval et se rendit au Mikyas avec toute sa suite; on proclama que le Nil était à l'étiage de trois doigts au-dessus de dix-sept coudées. — Le vingt du même mois, on rompit la digue du canal ; al-Malik al-'Aziz monta à cheval pour assister à cette cérémonie, mais il s'y produisit des scandales et du tumulte : les gens s'y distribuèrent des volées de coups de bâton et se lancèrent des pierres; il y eut des yeux crevés, des turbans arrachés.
L'habitude courante était de se cacher de faire du vin pendant le mois de Ramadan et de ne pas acheter ostensiblement du raisin et des cruches durant ce temps ; on évitait même d'en parler pour ne pas dévoiler le secret. Durant ce même mois le prix du raisin augmenta considérablement par suite de la grande fabrication de vin à laquelle on s'était livré; les fabricants de cette boisson se liguèrent pour obtenir du sultan le monopole de cette industrie, qui resta dans leurs mains; l'affermage atteignit soixante-dix mille dinars. Une partie de cet argent arriva jusqu'à al-Malik al-'Aziz qui l'employa à faire exécuter des services pour boire. Ce même mois il y eut une grande foule de gens, femmes et hommes, qui se rendirent au canal et sur le Sahel de l'Egypte, lorsqu'on rompit la digue. Le Nil resta à un mauvais niveau. — Le mardi et le jeudi [de chaque semaine], al-Malik al-'Aziz tenait une séance publique, au cours de laquelle il examinait les plaintes qu'on formulait devant lui. — Le second jour du mois de chewâl coïncida avec le Naurouz,[39] et on fit les irrigations habituelles ; la crue du Nil continua. — Les gens se mirent à tenir une conduite indécente sans que personne songeât à les en empêcher.[40] — Le courtage de l'argent devint stationnaire. — Le quatorzième jour de ce mois, le shérif Ibn Thaghlib partit avec le pèlerinage et alla camper à l'abreuvoir de Raidan.[41] — Des gens ivres commirent beaucoup de meurtres au Caire, et les troubles continuèrent. Il n'y avait pas une seule nuit où des gens ne fussent blessés, et les maraudeurs se battaient entre eux. Cela alla au point qu'on pillait les comestibles et les denrées dans les marchés en plein jour, mais encore bien plus pendant la nuit. — On donna au tavashi Karâkoush la charge déjuger les affaires de simple police; son tribunal était situé en face du palais du sultan (al-dar-al-sultaniyya); la charge de surveillant du divan et d'inspecteur des finances fut conférée à l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas, avec le soin de percevoir les impôts y afférents; celle d'ostadar à Sarim ad-Din Khatlidj. — Le dix-neuvième jour du même mois on coupa la digue du bras d'Abou-Manadja;[42] ce fut le sultan lui-même qui pratiqua la rupture ; le Nil monta encore d'un doigt, qui fut le dix-huitième au-dessous de l'étiage de dix-huit coudées; cette hauteur est connue en Egypte sous le nom du « plus haut niveau. » — Le vingt-deux le pèlerinage revint. — On s'occupa activement des livres historiques (vakai') des Égyptiens (Kobt) dont le souvenir avait disparu ou qu'on ne comprenait plus, et qu'on avait retrouvés depuis l'époque du khalife al-Hâfith-li-Din-Allah, en l'année 540. C'était grâce à ces livres que les anciens Égyptiens parvenaient à commettre leurs maléfices, à détruire les édifices, à construire des hypogées et à se rendre maîtres de la volonté des souverains de leur époque. Ce fut Ibn Wahib et le katib Nasirani et d'autres qui réunirent tout cela par écrit. As'ad ad-Din ibn Mammati, inspecteur du recensement et des pétitions, remit cet ouvrage à l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas. — Au mois de Dhoû’lka’dah il y eut beaucoup d'agressions nocturnes, et des gens, qui erraient pendant la nuit, frappaient à coups de couteau tous ceux qu'ils rencontraient ·, il ne se passait pas de nuit où il n'y eût une ou deux personnes assassinées; et l'on ne pouvait tirer de renseignements des victimes de ces attentats. Le gouverneur du Caire était sur les dents et ne pouvait rien faire contre les agresseurs. On trouva dans le canal (khalidj) les corps de six personnes appartenant à des ordres religieux ; mais on ne put mettre la main sur les meurtriers et par conséquent les punir. — Au mois de Dhou’lhiddjeh, al-Malik al-'Aziz ordonna de démolir les pyramides et d'en faire transporter les pierres à Damiette pour construire les murs de cette ville. On lui représenta qu'on aurait à surmonter des difficultés énormes pour les démolir ainsi que pour en transporter les pierres. Al-Malik al-'Aziz renonça alors à faire raser les deux grandes pyramides et il se borna à la plus petite qui était bâtie en granit quartzeux, et on en entreprit immédiatement la démolition. — Ce même mois, al-Malik al-'Aziz se rendit à Alexandrie; il laissa au Caire pour le représenter Bahâ ad-Din Karâkoush et Fakhr ad-Din Tchaharkas. — Cette même année, mourut le kadi al-Ashraf Abou’l Makarim-al-Hasan ibn 'Abd-Allah ibn 'Abd-ar-Rahman ibn 'Abd-Allah ibn al-Habbab, kadi d'Alexandrie; sa place fut donnée au fakîh Abou’l Kasim Sharaf ad-Din 'Abd-ar-Rahman ibn Salamah, le vingt-septième jour du mois de chewâl. Ibn al-Habbab était né en l'année 537; il remplit ses fonctions juridiques à Alexandrie pendant vingt-huit ans. C'était un homme d'une âme noble et qui était capable d'une amitié sincère. Il exerça la charge de kadi à Alexandrie depuis l'année 564 jusqu'à sa mort, qui arriva le troisième jour de Djoumada second. — Le cinquième jour du mois de Dhou’lhiddjeh mourut le kadi Rashid ad-Din ibn Sina-al-Mulk ; le kadi al-Fadil a dit en parlant de ce personnage : « Oui, ce vizir fut un homme tel que les jours à venir n'en produiront pas un pareil; on ne connaissait personne que l'on pût lui comparer pour la facilité avec laquelle il pardonnait les injures, pour sa connaissance parfaite de la religion et pour l'excellence de ses mœurs. Il connaissait par cœur le Livre d'Allah [c'est-à-dire le Coran], il étudiait les humanités et les belles-lettres, et il faisait de nombreuses aumônes. « Qu'Allah lui rende le prix de ses bonnes actions. »
Cette année le shérif Thaghlib alla au pèlerinage avec une foule de monde. — L'escadre de guerre étant partie de Misr captura un navire franc, sur lequel se trouvait beaucoup d'argent qui fut confisqué. — L'émir Fakr ad-Din Tchaharkas construisit la halle du Caire. — Il y eut un tremblement de terre en Egypte. — 'Alam ad-Din 'Abd-Allah ibn 'Ali ibn Othman ibn Yousouf-al-Makhzoumi mourut le Vendredi, onzième jour du mois de Djoumada premier; il était né au mois de Ramadan de l'année 549.
Cette année, on fit la khotba à Alep au nom d'al-Malik al-'Aziz, et on y frappa la monnaie à son nom; ce fut la conséquence de la paix qui fut conclue entre ce souverain et son frère al-Malik ath-Tahir, grâce à l'entremise du kadi Bahâ ad-Din ibn Shaddâd et de Ghars ad-Din Kilidj qui vinrent d'Alep au Caire auprès d'al-Malik al-'Aziz avec des présents. Quand la paix fut rétablie entre les deux frères, les ambassadeurs revinrent auprès de leur souverain al-Malik ath-Tahir. On fit la khotba à Alep au mois de Rabi premier, et on frappa les monnaies au nom du sultan d'Egypte, au cours de ce même mois. — Cette année, les Francs entreprirent une expédition pour attaquer les pays de l'Islamisme. Al-Malik al-'Adil partit de Damas et envoya un corps d'armée à Beyrouth pour en détruire l'enceinte fortifiée. — Cette même année, au mois de chewâl, mourut al-Malik al-'Aziz Tahir ad-Din Saïf-al-Islam-Thoughatikin ibn Nadjm ad-Din Ayyoub, souverain du Yémen ; il eut pour successeur son fils al-Malik al-Mo'izz Fath ad-Din Aboulféda Ismâ’îl. — Al-Malik al-'Adil, seigneur de Damas, prit d'assaut Jaffa ; il pilla la ville, et y fit de nombreux prisonniers, sept mille personnes à ce que l'on dit, tant hommes que femmes. Il partit de Jaffa, se rendant à Saida, puis à Beyrouth, qu'il saccagea toutes les deux ; la population de Beyrouth s'enfuit. Il envoya demander des renforts à al-Malik al-’Aziz qui fit partir du Caire une armée, le premier jour du mois de chewâl; ses troupes se rendirent à Bilbeis, puis elles se révoltèrent contre al-Malik al-'Aziz et se dispersèrent.
Les Francs qui étaient arrivés par mer[43] se répandirent dans toute la province maritime de Syrie (Sahel); ils s'emparèrent de la forteresse de Beyrouth et massacrèrent une troupe de Musulmans sur les confins du district de Jérusalem; ils y firent un grand nombre de prisonniers et remportèrent un butin considérable. Al-Malik al-'Adil envoya alors des ambassadeurs au Caire pour demander secours à al-Malik al-'Aziz. Ce souverain lui envoya des troupes du Caire, de Jérusalem et d'autres villes. Al-Malik al-’Aziz partit ensuite en personne avec le reste de l'armée égyptienne pour aller combattre les Francs. Il vint camper à Ramla, le vingt-sixième jour du mois de Safer; les Sâlihis et les Asadis arrivèrent, sous le commandement de l'émir Chams ad-Din Sonkor le dévadar, de Sara-Sonkor, de 'Alâ ad-Din Shakir et d'autres officiers kurdes; ils vinrent retrouver al-Malik al-'Adil alors que ce prince se trouvait à Tibnîn. Al-Malik al-'Aziz se mit en marche derrière eux. Il y eut entre ces troupes et les Francs des engagements répétés qui aboutirent à la retraite des Francs vers Tyr. Al-Malik al-'Adil et al-Malik al-'Aziz se mirent à leur poursuite et leur tuèrent beaucoup de monde. Après cela, al-Malik al-'Aziz laissa son armée à al-Malik al-'Adil et s'en retourna au Caire, le huitième jour du mois de Djoumada second avant qu'on eût obtenu un succès définitif contre les Francs. Ce fut la faute de Maïmoun-al-Kasri, d'Ousâma, de Sara-Sonkor, d'al-Hadjdjaf, d'Ibn al-Mashtoub qui avaient comploté d'assassiner le sultan. Quand al-Malik al-'Aziz en eut été informé, il s'en retourna au Caire dont la population sortit pour le recevoir; ce fut un jour mémorable. — Une trêve fut conclue entre al-Malik al-'Adil et les Francs pour une durée de trois (sic) années; après cela, al-Malik al-'Adil rentra à Damas. — Cette année al-Malik al-'Adil et al-Malik al-'Aziz résolurent de nouveau de démanteler Ascalon, de raser ses fortifications et de jeter ses maisons par terre. On envoya de Jérusalem un détachement pour démolir et raser les tours du mur d'enceinte. C'est ainsi que fut ruinée cette ville qui n'avait pas sa pareille et à laquelle on ne pouvait rien comparer dans les frontières [du monde musulman].
Au mois de Chaban, al-Malik al-'Aziz défendit d'élever des constructions dans les localités où les émirs s'étaient mis à bâtir le long du Nil en empiétant sur le rivage. Les djandars furent envoyés pour contraindre toutes les personnes qui avaient fait faire des fondations dans cet endroit à les démolir; cet ordre fut rigoureusement exécuté.
Au mois de Ramadan, al-Malik al-'Aziz ordonna de couper les arbres qui se trouvaient dans le « Jardin de Bagdad » (bostan-al-baghdadiyya), en face d'al-Lou'lou'a, et d'y établir des fortifications. — Ce même mois, les gens firent ouvertement du vin et se livrèrent à toutes sortes d'actes répréhensibles. Comme on ne fit rien pour empêcher cela, les gens cherchèrent à gagner leur vie en pratiquant des métiers interdits par la religion, et on en vint à regarder comme licites des actes qui étaient sévèrement défendus, ainsi de se faire justice soi-même ou d'extorquer aux gens ce qu'ils possédaient; on fit signer à un individu nommé Ibn Khalid un papier par lequel il se reconnaissait débiteur d'une somme de plus de mille dinars, on employa la même violence envers plusieurs autres personnes; c'est avec ces procédés qu'on put subvenir aux dépenses de la table du sultan. Le jour de la rupture du jeune, on célébra une grande fête en dehors de la ville ; al-Malik al-'Aziz se rendit à la prière et assista à la khotba ainsi que les émirs et les officiers, à qui il distribua des vêtements d'honneur; on dressa ensuite les tables qui furent abondamment servies. Le treizième jour de ce mois, le Nil atteignit l'étiage de seize coudées. Al-Malik al-'Aziz monta à cheval le seize et se rendit au Nilomètre; les digues furent rompues le dix-huit, et ce jour-là, la populace se livra à toutes sortes d'actes odieux sans que l'on fît rien pour l'en empêcher. Le vingt-trois fut le Naurouz que l'on célébra comme à l'habitude.
Le samedi, dix-septième jour du mois de Dhoû’lka’dah, Ibn Marzouk fut assassiné au Caire par Ibn al-Manoufi, kadi de Bilbeïs; ce dernier le surprit dans la maison qu'il habitait dans al-Fahadin ; il creusa dans cet endroit une fosse dans laquelle il l'ensevelit ainsi qu'un jeune domestique ; il fit daller le sol au-dessus de la fosse et il y fit placer une grille de fer. Ibn al-Manoufi fut étranglé après qu'on l'eut promené, monté sur un chameau, à travers les deux villes de Misr et du Caire.
Cette même année, al-Malik al-’Adil partit de Damas pour Mardin qu'il assiégea et dont il prit les faubourgs. — Al-Malik al-Kâmil-Mohammed ibn al-'Adil sortit de Harrân[44] et livra bataille à l'armée de Maûsil. — Les Francs firent plusieurs expéditions, pillèrent le pays et firent de nombreux prisonniers; ils arrivèrent ainsi jusqu'à 'Akkâ. Le sultan al-Malik al-'Adil revint de Harrân à Damas au mois de Ramadan ; un mois après il quitta cette ville pour se rendre dans les provinces orientales, dans le pays de Mardin. — Cette même année, al-Malik al-Mo’izz ibn al-Malik al-'Aziz, souverain du Yémen, prétendit qu'il était Dieu pendant la moitié de la journée et il écrivit une lettre dans laquelle il prenait le titre de Dieu. Il renonça ensuite à cette prétention et voulut se faire passer pour khalife, disant qu'il était de la famille omeyyade; il se fit proclamer khalife dans toute l'étendue de son empire et interdit de faire la khotba au nom des Abbassides ; il revêtit des habits verts et un turban de la même couleur avec des garnitures en or; il tyrannisa ceux de ses sujets qui blâmaient sa conduite contre l'Islam et fit réciter la khotba en son nom. Il conçut le dessein de marcher contre la Mecque, et il y envoya des gens pour lui construire un palais, mais le shérif Abou 'Aziz-Kattâda les fit arrêter et mettre en prison.
Au commencement de cette année, al-Malik al-'Adil poussait avec la plus grande vigueur le siège de Mardin, et al-Malik al-Mo'izz, souverain du Yémen, s'apprêtait à faire une expédition contre la Mecque. Al-Malik al-’Aziz, sultan d'Egypte était parti pour Alexandrie vers la fin du mois de Dhou’lhiddjeh. Il y chassa jusqu'au septième jour du mois de Moharram. En poursuivant un loup, il tomba de son cheval; il se remit en selle, tout grelottant de fièvre; il rentra ainsi au Caire, le jour d’Achoura, et il traîna jusqu'au milieu de la nuit du vingt-septième jour de ce mois, où il mourut.[45] Il fut enterré non loin du tombeau de l'imam Shafeï, dans le quartier de Karâfah; il était âgé de vingt-sept ans et quelques mois et il avait régné six ans moins un mois et six jours. Ce fut un souverain généreux, juste, miséricordieux, de bonnes mœurs et très vaillant, mais il voulait qu'on lui obéît passivement. Il avait étudié les traditions musulmanes (hadith) avec al-Salfi, Ibn 'Auf, Ibn Barrî. Ses sujets l'aimaient beaucoup. Il donnait [comme un rien] des sommes de dix mille dinars, et il faisait servir de grands festins auxquels il conviait le peuple; mais, quand les gens s'étaient assis pour manger, cela le dégoûtait à un tel point qu'il en perdait l'appétit et qu'il trouvait cette scène insupportable. C'était là un des traits les plus singuliers de son caractère.[46] Cette année, de grands troubles éclatèrent dans l'armée du sultan ghouride Ghiyâth ad-Din Mohammad ; la cause en était que le sultan avait comblé de toutes les faveurs possibles l’imâm Fakhr ad-Din Mohammad ibn Omar ibn ar-Razi et qu'il lui avait fait construire un collège dans le voisinage de la mosquée d'Hérat. La plus grande partie de la population de cette ville étaient des Kirâmîs; ils se trouvaient en conférence avec le sultan Ghiyâth ad-Din ; le chef de ces gens était le kadi 'Abd-al-Madjid ibn Omar ibn al-Koudouvvah. L'imam s'entretint avec Ibn al-Koudouvvah, le prit de très haut avec lui et lui dit des injures; le kadi ne s'emporta pas; al-Malik Dyâ ad-Din entra dans une violente colère et accusa l'imâm de professer la doctrine des Zendiks et d'appartenir à la secte des Philosophes. Le lendemain Ibn al-Koudouvvah se rendit à la grande mosquée et il dit dans le sermon (khotba) qu'il y prononça : « Notre Dieu « nous a accordé son pardon en nous envoyant le Coran et le « Prophète; il nous a donné deux témoins matériels de son pacte, « et ce sont eux ; quant à moi, je ne vous parlerai que de ce qui « est reconnu comme vrai parmi nous par l'enseignement de l'Envoyé d'Allah : qu'Allah prie sur lui et lui donne le salut! Quant à la science d'Aristote et aux impiétés d'Ibn Sina, à la philosophie d'al-Fârâbî, je ne veux point les connaître ; et en réalité ce ne sont point des insultes que le Sheikh-al-Islâm a proférées hier, car il s'écarte de la Loi d'Allah et de la religion de notre Prophète. » Il se mit à pleurer et les assistants éclatèrent en sanglots; ils sortirent tumultueusement de la mosquée et l'émeute gronda dans la ville. Le sultan Ghiyâth ad-Din apaisa les esprits et il ordonna à l'imâm Fakhr ad-Din de s'en retourner à Hérat; ce qu'il fit. Ghiyâth ad-Din abandonna la secte des Kirâmis et embrassa la croyance des Shaféites.
Ce prince naquit au Caire au mois de Djoumada premier de l'année 585, et son père mourut alors qu'il avait neuf ans et quelques mois. Il l'avait désigné pour lui succéder et il avait nommé l'émir Bahâ ad-Din Karâkoush l'Asadi pour diriger les affaires de l'État. On le fit asseoir sur le trône de la souveraineté, le lendemain du jour où mourut son père, le lundi vingt et un du mois de Moharram, et Karâkoush al-Asadi devint atabek. Tous les émirs prêtèrent serment de fidélité au nouveau sultan, à l'exception de ses deux oncles al-Malik al-Mouvayyad-Nadjm ad-Din Massoud et al-Malik al-Mo'izz, car tous deux voulaient que la dignité d'atabek leur fût conférée, et leur conduite fut la cause de querelles; néanmoins ils finirent par lui prêter serment. Il y eut aussi des dissensions entre les émirs.[48] Un certain nombre d'entre eux prétendirent que Karâkoush n'avait point l'esprit sain et qu'il ne pouvait pas exercer les fonctions d'atabek. Un autre parti le défendait, pensant qu'il était plus capable que n'importe qui de les remplir. La dispute des émirs s'étant envenimée, ils se rendirent chez le kadi al-Fadil pour lui demander son avis; mais celui-ci ne voulut point leur donner de conseils. Ils le quittèrent alors et restèrent durant trois jours sans savoir quel parti prendre, jusqu'au moment où les émirs convinrent d'écrire à al-Malik al-Afdal pour lui demander de venir exercer les fonctions d’atabek à la place de Karâkoush, aux conditions suivantes : il ne pourrait faire flotter l'étendard[49] (sandjak) au-dessus de sa tête; il ne ferait pas mentionner son nom dans la khotba et ne le ferait pas imprimer sur les monnaies; de plus, il ne gouvernerait le royaume d'al-Malik al-Mansour que pendant sept années ; au bout de ce temps, il devrait remettre les rênes de l'État à al-Malik al-Mansour. Ils lui envoyèrent un ambassadeur pour lui faire ces propositions. On chargea al-Malik ath-Thâfir Mothaffar ad-Din Khidr, fils du sultan Salah-ad-Dîn, de prendre l'intérim de la vice-royauté jusqu'au moment où arriverait al-Afdal. Al-Malik al-Afdal partit alors de Sarkhad, avec dix-neuf personnes, deux nuits restant encore à s'écouler dans le mois de Safer. Il s'était déguisé, par peur d'al-Malik al-'Adil. Quand les émirs égyptiens se furent décidés à s'adresser à al-Afdal, et qu'ils lui eurent écrit pour le prier de venir, l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas en conçut du dépit, et il écrivit à l'émir Faris ad-Din Maïmoun-al-Kasrî, seigneur de Nabolos, pour lui conseiller de ne pas faire cause commune avec les émirs et de ne pas tolérer qu'al-Malik al-Afdal devint atabek. Al-Afdal tomba sur le courrier qui portait cette lettre et la lui confisqua ; il prit connaissance de son contenu et lui dit : « Retourne-t-en, tu n'as plus besoin de t'inquiéter de ta mission ! » Al-Afdal continua sa route, ayant avec lui le courrier de Tchaharkas et il arriva ainsi à Bilbeis. Les émirs sortirent pour se rendre à sa rencontre, le cinquième jour du mois de Rabi second. Al-Afdal descendit dans la tente de son frère al-Malik al-Mouvayyad. L'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas aurait voulu qu'al-Afdal descendît dans la sienne et il fut très fâché de voir qu'il ne l'avait pas fait; néanmoins, le prince ne put faire autrement que de lui rendre visite. Tchaharkas le reçut avec les plus grands honneurs, et al-Malik al-Afdal fut obligé de lui rendre ses politesses. Quand il eut fini de manger avec son frère, il se rendit à la tente de Fakhr ad-Din et il se mit à table avec lui. L'émir aperçut alors le courrier[50] qu'il avait envoyé jusqu'à Nabolos; cela le surprit au plus haut point et il craignit qu'al-Malik al-Afdal ne cherchât à tirer vengeance de son hostilité; aussi il lui demanda la permission de partir chez les Arabes révoltés, pour rétablir la paix parmi eux. Al-Afdal le lui ayant permis, il se leva immédiatement; il alla trouver Zaïn ad-Din Karadja et Asad ad-Din Sara-Sonkor, avec lesquels il partit en toute hâte vers Jérusalem. Shodja ad-Din Thoghril, le silahdâr, se rendait alors en Egypte; ils le rencontrèrent, le dissuadèrent d'entrer au service d'al-Malik al-Afdal et ils l'emmenèrent avec eux à Jérusalem. L'émir Sarim ad-Din Sâlih, gouverneur de Jérusalem, embrassa leur cause, ainsi que les émirs Izz ad-Din Ousâma et Maïmoun-al-Kasri, qui se rendirent également à Jérusalem. Maïmoun avait avec lui sept cents cavaliers d'élite. Ces officiers écrivirent à al-Malik al-'Adil pour lui demander de prendre la charge d'atabek d'al-Malik al-Mansour.
Quant à al-Malik al-Afdal, il se rendit de Bilbeis au Caire, et al-Malik al-Mansour sortit pour se rendre à la rencontre de ce prince, le sept du mois de Rabi second. Il y avait alors deux mois qu'il était monté sur le trône. Al-Afdal prit la direction du gouvernement, et quand il fut installé au Caire, il écrivit à son oncle al-Malik al-'Adil pour lui notifier qu'il était arrivé en Egypte dans le but de prendre soin du royaume de son neveu et qu'il ne s'écarterait pas des ordres qu'on lui avait donnés. Al-'Adil lui répondit que si al-’Aziz l'avait désigné pour cette charge dans son testament, il fallait obéir à ses dernières volontés, mais que, si al-'Aziz était mort intestat, il serait bon de faire voter les notables de l'empire sur son nom, pour voir quel était l'avis de la majorité. — Al-Malik al-Afdal exerça le pouvoir en Egypte dans toute sa plénitude, et il ne resta à al-Mansour que le titre de sultan. Al-Afdal conçut alors le projet de faire emprisonner ce qui restait des émirs Sâlihis. Un certain nombre d'entre eux s'enfuirent et allèrent rejoindre Fakhr ad-Din Tchaharkas à Jérusalem. Al-Afdal en fit emprisonner d'autres, parmi lesquels se trouvaient les émirs 'Alâ ad-Din Shakir, 'Izz ad-Din Albakî-al-Faris, Izz ad-Din Aïbec-Fatîsh et Khotloubâ, et il confisqua leurs biens. Après cela, il se rendit à la Birkat-al-Djubb, où il y resta quatre mois. Les émirs et les troupes lui prêtèrent serment.
Al-Afdal apprit alors que son frère, al-Malik al-Mouvayyad, avait le dessein de l'attaquer, de se saisir de lui et de le jeter en prison. En même temps, al-Malik ath-Tahir envoya des officiers à son frère al-Afdal pour le presser de quitter l'Egypte, de venir à Damas et de saisir l'occasion qui lui était offerte de s'en emparer. Les émirs Sâlihis interceptèrent le courrier, mais ils ne jugèrent pas utile de le garder et ils lui rendirent sa liberté. Il se rendit auprès d'al-Afdal et lui remit la dépêche de son frère ath-Tahir. Al-Afdal quitta la Birkat-al-Djubb le troisième jour du mois de Redjeb, accompagné d'al-Malik al-Mansour; il vint à 'Abbasa,[51] où il séjourna pendant cinq jours et il laissa au Caire l'émir Yazkoudj. Il se dirigea ensuite vers Damas, où il arriva le treizième jour du mois de Chaban.
Al-Malik al-'Adil avait appris son départ d'Egypte alors qu'il se trouvait occupé au siège de Mardin;[52] il laissa le soin de continuer le siège de cette place à son fils al-Kâmil-Mohammad et il marcha avec deux cents cavaliers sur Damas ; il y arriva n'ayant plus avec lui que huit personnes à cause de l'extrême rapidité avec laquelle il avait marché pour arriver avant qu'al-Afdal n'y fût parvenu. Ses compagnons le rejoignirent et al-Afdal continua sa route et il vint camper à Sharfin[53] et occupa l'Hippodrome Vert. Quelques-uns de ses soldats se précipitèrent dans la ville et en parcoururent les rues en criant : « Vive al-Afdal! vive al-Mansour ! » La foule cria comme eux parce qu'elle avait de l'inclination pour al-Afdal. Al-'Adil les fit charger et expulser de la ville, et il se prépara à une vigoureuse résistance. Un certain nombre des émirs d'al-Afdal prit la fuite, ce qui détermina ce prince à reculer de Damas jusque dans les environs d'al-Kisvah. Al-'Adil envoya dire à un certain nombre des émirs qui étaient restés avec al-Afdal : « Je veux m'en retourner en Orient et laisser la Syrie et l'Egypte aux enfants de mon frère ! » Ces émirs empêchèrent al-Afdal de combattre al-'Adil, et ce dernier leur donna de l'argent; tout ceci fut le résultat du stratagème qu'il avait employé vis à vis d'eux. Ces émirs causèrent la ruine des projets d'al-Afdal en lui conseillant de différer les hostilités jusqu'à ce qu'al-Malik ath-Tahir fût venu d'Alep ; aussi ce prince s'abstint de continuer la guerre durant un certain temps et al-'Adil en profita pour écrire aux émirs et les gagner les uns après les autres. Ils répondirent à ses avances et il leur donna de l'argent; il continua ce manège jusqu'à ce qu'ath-Tahir fût arrivé d'Alep à la fin du mois de Chaban.[54] La venue de ce dernier mit al-Afdal en état de combattre, et il se rendit à la Mosquée du Pied (Masdjid-al-kadam).
Les deux princes commencèrent les hostilités contre al-'Adil et ils l'assiégèrent, de sorte que les vivres commencèrent à manquer dans Damas par suite de la rigueur du blocus. Les émirs Sâlihis vinrent alors de Jérusalem pour renforcer al-'Adil, et leur arrivée fut du plus grand secours pour ce prince; il envoya des troupes à Jérusalem pour empêcher les convois de vivres qui partaient d'Egypte de parvenir à al-Afdal. Ces troupes rencontrèrent l'émir Yazkoudj[55] qui était parti du Caire à la tête de sept cents soldats de l'armée égyptienne pour venir renforcer al-Afdal. Les troupes d'al-'Adil les attaquèrent, les mirent en fuite et leur enlevèrent ce qu'elles avaient avec elles. Pendant ce temps, la population de Damas continuait à souffrir de la disette. Al-Afdal fut contraint de recourir à des emprunts et de demander de l'argent aux commerçants. La détresse arriva à un tel point dans la ville qu'elle faillit être prise. Al-Malik al-'Adil allait se rendre quand une discorde éclata entre ath-Tahir et son frère al-Afdal.
Les deux frères[56] étaient occupés à assiéger leur oncle al-'Adil dans Damas; les vergers et les habitations étaient ravagés, les conduites d'eau coupées et les moissons incendiées. Les vivres manquaient dans la place, et al-'Adil songeait à capituler par suite du grand nombre de ses soldats qui l'abandonnaient et qui passaient à l'armée d'al-Afdal. Il écrivit à son fils al-Malik al-Kâmil pour lui ordonner de venir à son secours;[57] il écrivit également au gouverneur de la citadelle de Dja’bar pour que cet officier donnât à al-Kâmil tout l'argent qu'il lui demanderait, car les trésors d'al-'Adil se trouvaient dans cette citadelle.[58] Al-Kâmil se rendit avec son armée à la citadelle de Dja’bar, et il y prit quatre cent mille dinars, puis il se remit en marche pour aller rejoindre son père. L'arrivée d'al-Kâmil procura à al-'Adil un renfort considérable, tandis que l'armée d'al-Afdal et d'ath-Tahir s'affaiblissait par suite du grand nombre de ceux qui les trahissaient. Cela décida al-'Adil à user d'un stratagème pour tromper ses neveux ; voici en quoi il consistait : Ath-Tahir avait un mamlouk nommé Aïbec pour lequel il avait la plus vive affection ; il le perdit et se figura qu'il était entré à Damas et qu'on l'y avait pendu. Al-'Adil apprit cela et il envoya quelqu'un dire à ath-Tahir : « C'est Mahmoud ibn as-Sakri qui a détourné ton mamlouk de ses devoirs et qui l'a conduit chez al-Afdal ». Ath-Tahir fit immédiatement arrêter Ibn as-Sakri et l'on découvrit le mamlouk chez lui; comme le prince d'Alep ne doutait pas de la vérité de ce que son oncle lui avait dit, il en conçut une vive colère contre son frère, et il ne voulut plus se rencontrer avec lui.[59]
Le froid étant devenu extrêmement vif, les deux princes rétrogradèrent sur al-Kisva; puis ils gagnèrent Mardj-as-Sofar, d'où ils se rendirent à Ra'as-al-mâ. Les vivres étant venus à manquer, tandis que le froid redoublait, ath-Tahir se rendit à al-Kariataïn, et al-Afdal partit pour retourner en Egypte. Ils abandonnèrent les bagages qu'il leur fut impossible de transporter et les brûlèrent ; un grand nombre de leurs mamlouks périrent, et ils perdirent aussi beaucoup de leurs bêtes de somme. Al-Afdal arriva à Bilbeis[60] le vingt-cinquième jour du mois de Rabi premier, et on lui conseilla de s'arrêter dans cette ville. Sur ces entrefaites, on reçut la nouvelle qu'al-Malik al-'Adil était sorti de Damas, qu'il était venu camper à Tell al-'Adjoul et qu'il avait écrit aux Arabes pour qu'ils lui envoyassent des vivres. Al-Afdal rassembla les émirs, monta »·· à cheval et fit le tour des murailles de Bilbeïs,[61] puis ordonna à Karâkoush, de mettre en état de défense la Citadelle de la Montagne et de faire creuser les fondations pour le reste du mur d'enceinte de Misr et du Caire ; il lui enjoignit de creuser jusqu'à ce qu'on eût atteint le roc, de faire porter les déblais dans l'intérieur de la ville, sur les bords du fossé, pour faire des sortes de bastions, et d'employer les bœufs[62] à ce travail.[63] Il lui ordonna enfin d'exécuter ces travaux dans la partie qui est entre le fleuve et la citadelle de Maks de telle façon qu'on ne pût plus entrer dans la ville autrement que par ses portes.
Le deuxième jour du mois de Rabi premier, al-'Adil vint camper à Katiâ[64] et al-Afdal pensa à incendier Bilbeis [de peur qu'elle ne tombât entre les mains d'al-'Adil[65]]; mais on commençait à se lasser de lui. Il avait supprimé les gratifications que le sultan donnait habituellement aux gens qui se rendaient à la Mecque et à Médine, ainsi qu'aux fakîhs et aux docteurs, pour payer la solde des troupes. Mais cette mesure n'empêcha pas les soldats de se plaindre, et elle souleva une émeute dans la population civile.[66] Al-'Adil étant alors arrivé, al-Afdal lui livra bataille, mais il fut battu et prit la fuite; al-'Adil poursuivit les fuyards jusqu'à la Birkat-al-Djubb, et dressa son camp dans cet endroit, où il demeura durant huit jours. Al-Afdal arriva au Caire où il entra, le mardi septième jour du mois de Rabi second ; plusieurs de ses officiers le trahirent et passèrent à l'armée d'al-'Adil; al-Afdal se vit alors réduit à envoyer des parlementaires à al-'Adil, et à lui demander de lui céder Damas en échange de l'Egypte. Mais ce prince refusa et dit : « Je voudrais ne pas me voir dans l'obligation de violer le Caire et n'avoir pas à l'enlever d'assaut. Pars pour Sarkhad et ne crains rien pour ta vie![67] »
Al-Afdal fut bien obligé de lui livrer la ville, car ses troupes l'abandonnaient. Al-'Adil prit possession du Caire et il y fit son entrée, le samedi dix-huitième jour du mois de Rabi second; al-Afdal partit en toute hâte du Caire ce même jour. Le vizir Dyâ ad-Din ibn al-Athir[68] était venu en Egypte et avait pris la plus grande autorité sur al-Afdal. Quand al-'Adil se fut emparé du Caire, le vizir prit la fuite et se rendit à Sarkhad. La durée de la domination d'al Afdal en Egypte avait été d'une année et trente-huit jours. Après ces événements il se rendit dans les provinces orientales et se fixa à Soumaïsat.[69] Durant le temps de sa souveraineté en Egypte, ni jour ni nuit il ne put se trouver seul, les émirs l'empêchaient même de rester en tête à tête avec une seule personne et il était bien forcé d'en passer par où ils voulaient.
Al-'Adil se fixa au Caire[70] comme atabek d'al-Malik al-Mansour ; les émirs lui prêtèrent serment et s'engagèrent à faire tous leurs efforts pour l'aider dans sa lâche jusqu'au moment où le sultan atteindrait l'âge où il pourrait gouverner seul son empire. Mais cela ne dura pas, et les choses changèrent de face le vingt et unième jour du mois de chewâl. Al-'Adil fit venir plusieurs émirs et leur dit[71] : « N'est-ce pas une chose honteuse pour moi qui suis un vieillard d'être l’atabek d'un enfant? les honneurs de la royauté ne doivent pas s'acquérir par héritage ; elles appartiennent à celui qui a la force. J'aurais dû succéder à mon frère, al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din à l'exclusion de toute autre personne; j'ai abandonné ce rêve par respect pour la mémoire de mon frère[72] et pour éviter des malheurs à ses sujets. Mais des dissensions que vous connaissez m'ont fait craindre que la royauté ne m'échappât ainsi qu'aux enfants de mon frère, et qu'elle ne passât aux mains d'étrangers. J'ai cru que les choses ne pouvaient s'arranger si je n'en prenais la direction et si je ne me décidais point à en assumer le fardeau. Mais, quand j'eus pris le gouvernement de ce pays et que je me vis atabek de ce jeune homme jusqu'à sa majorité, je me suis aperçu que la révolution n'était point entièrement terminée et que les troubles n'avaient point pris fin. Je ne suis pas bien certain que quelqu'un ne recommencera pas la tentative d'al-Afdal et qu'un parti ne se formera pas pour demander qu'on mette un autre à ma place. Comment tout cela finirait-il? Mon avis est qu'il faut que cet enfant aille s'instruire et qu'on lui donne quelqu'un pour faire son éducation; quand son esprit se sera formé et qu'il aura atteint l'âge d'homme, je verrai ce que j'aurai à faire à son égard.[73] »
Tous les émirs Asadis furent de l'avis d'al-'Adil, et leurs adversaires ne purent rien faire pour détruire leur accord ; ils lui prêtèrent serment de fidélité et déposèrent al-Mansour, le jeudi. Le lendemain, vendredi onzième jour du mois de chewâl, on fit la khotba au nom d'al-'Adil. Al-Mansour avait régné un an, huit mois et vingt jours.
Quand les émirs eurent prêté serment de fidélité à al-Malik al-'Adil, ce prince s'assit sur le trône de la souveraineté, le vingt et un du mois de chewâl, et l'on fit la khotba en son nom dans toute l'Egypte, en Syrie, à Harrân, à ar-Rohâ, à Mayyafarikîn. Les populations de ces pays lui prêtèrent serment, et on frappa la monnaie à son nom. Il manda son fils, al-Malik al-Kâmil-Nasir ad-Din Mohammad et lui ordonna de venir au Caire huit jours restant du mois de Ramadhan (le 22). Il le nomma son lieutenant en Egypte et lui donna à titre de fief les Provinces d'Orient, qui avaient été son propre apanage sous le règne de son frère, le sultan Salah ad-Din ; il le nomma héritier présomptif du trône et les émirs lui prêtèrent serment. Cette même année, on fit la khotba au nom d'al-Malik al-'Adil à Hamâh et à Alep et on y frappa la monnaie à son nom. — La crue du Nil s'arrêta et les eaux du fleuve ne dépassèrent pas treize coudées moins trois doigts; la plus grande partie de l'Egypte resta au-dessus des eaux et les vivres augmentèrent beaucoup de prix. Cette année, al-'Adil nomma son lieutenant à Damas, son fils al-Malik al-Mo'aththam Sharaf ad-Din ‘Isa, et dans les Provinces d'Orient, son fils al-Malik al-Fâiz; il laissa à Alep al-Malik ath-Tahir, et à Hamâh al-Malik al-Mansour.
Cette année, al-Malik al-'Adil fit sortir d'Egypte son neveu al-Malik al-Mansour-Mohammad ibn al-’Aziz Othman ibn Salah ad-Din et avec lui ses frères et ses sœurs. Ils allèrent en Syrie ; après cela, il les envoya à ar-Rohâ; ils quittèrent cette ville et allèrent à Alep; al-Malik al-Mansour resta à ar-Rohâ jusqu'à sa mort, qui survint en l'an 620; il était émir dans l'armée du prince d'Alep. Cette année moururent : Ibrahim ibn Mansour ibn al-Mosallam-Abou Ishak, connu sous le nom d'al-'Irakî, khâtib de la vieille mosquée à Misr, le vingt et unième jour du mois de Djoumada premier de l'année 596; le kadi al-Fadil 'Abd-er-Rahim 'Ali ibn al-Hasan ibn Ahmad ibn al-Faradj ibn Ahmad al-Lakhmi al-'Askalâni Abou 'Ali-Mohyî ad-Din ; il était né à Baïsân, le sept du mois de Rabi second. — L'émir, maître des deux juridictions, Abou ath-Tahir-Mohammad, fils du maître des deux juridictions, Abou’l Fadl-Mohammad ibn Biyân-al-'Anbâri dans la troisième nuit du mois de Rabi second ; il était né au Caire en l'an 507. — Cette année naquit au Caire un enfant qui avait un seul corps et une tête avec deux visages, chacun de ces visages avait deux yeux et deux oreilles, un nez et des sourcils. Il naquit également dans cette ville un être qui portait au front une tache blanche comme en ont les chevaux; ses mains et ses pieds portaient également des taches blanches comme celles que l'on voit aux pieds des chevaux. Il naquit aussi un enfant qui avait les cheveux tout blancs,[75] et une brebis qui avait quatre pattes de devant et quatre pattes de derrière; on la trouva dans le ventre d'une brebis qu'on venait d'égorger, elle avait les mamelles pleines de lait et son visage était celui d'un être humain. Dieu seul sait ce que signifiaient ces monstruosités.
Cette année, al-Malik al-'Adil fit emprisonner les enfants de son frère, al-Mouvayyad, Massoud et al-Mo'izz, dans la maison de Bahâ ad-Din Karâkoush, au Caire; l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas prit Banîûs à l'émir Hosâm ad-Din Bishara après un siège et plusieurs combats.
Cette même année, une querelle éclata entre al-Malik al-'Adil et les émirs Sâlihis à cause de la déposition du sultan al-Mansour, fils d'al-’Aziz. L'émir Faris ad-Din Maïmoun-al-Kasn écrivit de Nabolos à al-'Adil pour le blâmer d'avoir déposé al-Mansour ; al-’Adil lui écrivit une belle réponse et ils correspondirent plusieurs fois entre eux ; Maïmoun écrivit aux émirs Sâlihis pour les pousser à se révolter contre al-'Adil, mais il ne les trouva pas disposés à écouter ses exhortations.
Sur ces entrefaites, une dispute éclata entre ath-Tahir, prince d'Alep, et son oncle al-'Adil; ath-Tahir lui envoya son vizir 'Alam ad-Din Kaïsar et Nitham-ad-Din, mais al-'Adil ne voulut pas les laisser venir au Caire et il leur ordonna de restera Bilbis : les deux ambassadeurs chargèrent le kadi de cette ville des dépêches qu'ils apportaient, et s'en retournèrent vivement irrités de ce procédé ; ils allèrent trouver Maïmoun-al-Kasri à Nabolos; ils restèrent auprès de lui [et le pressèrent de leurs instances] jusqu'au moment où cet émir[77] se déclara pour ath-Tahir et al-Afdal. Quand ils arrivèrent à Alep, ath-Tahir fut très mécontent de la façon dont son oncle avait agi envers lui, et il écrivit aux émirs Sâlihis pour les exciter contre al-'Adil ; il écrivit également à Maïmoun-al-Kasri, et al-Afdal qui était alors à Sarkhad leur écrivit aussi. L'émir Izz ad-Din Ousâma, prince de 'Adjloun et de Kaukab, alla trouver al-Afdal et lui prêta serment de fidélité. Al-'Adil ayant appris ces événements, prit immédiatement ses dispositions : il écrivit à son fils al-Mo'aththam, prince de Damas, pour lui ordonner d'aller assiéger al-Afdal dans Sarkhad. Ce prince rassembla son armée et sortit de Damas. Al-Afdal laissa alors dans Sarkhad son frère al-Malik ath-Thafir-Khidr et se rendit auprès de son frère ath-Tahir à Alep, le dixième jour du mois de Djoumada premier; al-Mo'aththam vint camper à Bosra et écrivit à Fakhr ad-Din Tchaharkas ainsi qu'a Maïmoun-al-Kasn pour leur ordonner de venir le rejoindre, dans le but d'aller assiéger Sarkhad ; ils refusèrent et rassemblèrent leurs partisans. Ils se rendirent ensuite auprès d'ath-Thaûr à Sarkhad et écrivirent à ath-Tahir à Alep pour l'inciter à se mettre en route et à s'emparer de Damas. Les lettres des émirs lui arrivèrent alors qu'al-Afdal se trouvait chez lui; il rassembla ses troupes et se mit en marche. Al-Mansour, souverain de Hamâh, n'ayant point voulu embrasser son parti, il assiégea ce prince durant un certain temps, puis il leva le siège sans avoir obtenu aucun résultat; il vint ensuite devant Damas ayant avec lui al-Afdal. Al-'Adil sortit d'Egypte avec son armée en laissant au Caire son fils, al-Malik al-Kâmil-Mohammad, et il s'avança jusqu'à Nabolos où il campa; il envoya en avant une partie de ses troupes, qui s'avancèrent jusqu'à Damas et qui s'emparèrent de cette ville avant qu'al-Afdal et ath-Tahir y fussent parvenus. Les deux princes arrivèrent après cet événement et mirent le siège devant Damas, le quatorzième jour du mois de Dhoû’lka’dah; ils poussèrent activement la lutte, au point qu'ils faillirent s'emparer de la ville; mais la discorde éclata entre eux par suite d'un stratagème qu'avait machiné al-'Adil[78] et la lutte diminua de violence. Voilà quelle était cette ruse : al-'Adil écrivit en secret à al-Afdal et à ath-Tahir en disant à chacun de ces deux princes : « Ton frère ne veut Damas que pour la garder pour lui tout seul. » Au fond, leur armée était sur ce point de l'avis du sultan d'Egypte. Cette affirmation les leurra tous deux et chacun des deux princes demanda à l'autre que Damas lui appartînt à lui seul ; chacun d'eux opposa sur ce point un refus à l'autre. Al-'Adil envoya alors quelqu'un en secret à al-Afdal pour lui promettre les villes des Provinces Orientales qui lui avaient été données en apanage, à savoir : Ra'as 'Aïn[79] al-Khabour,[80] Mayyafarikîn et d'autres encore ; il lui offrit de plus de lui faire en Egypte une pension annuelle de cinquante mille dinars; al-Afdal fut complètement dupé par ces offres et il dit aux émirs Sâlihis ainsi qu'aux soldats qui étaient venus le rejoindre : « Si vous êtes venus pour moi, je vous autorise à retourner auprès d'al-Malik al-'Adil ; mais si c'est au service de mon frère que vous êtes venus, c'est à vous de savoir ce que vous avez à faire! ». Les émirs aimaient al-Afdal parce que ce prince avait un caractère doux. Tous lui dirent : « Nous ne voulons personne d'autre que toi et al-'Adil; nous vous aimons tous les deux plus que ton frère ». Al-Afdal leur permit de s'en retourner vers al-'Adil ; l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas, l'émir Zaïn ad-Din Karadja, 'Alâ ad-Din Sakiz (Sonkor), al-Hadjdjaf, Sa'ad ad-Din ibn 'Alam ad-Din Kaïsâr se rendirent alors vers ce prince. La lutte diminua d'intensité après que l'armée assiégeante eut été sur le point de s'emparer de Damas. L'année se termina, al-Afdal et ath-Tahir étant toujours occupés au siège de Damas.
Cette année, il y eut une disette en Egypte, et le prix des denrées augmenta considérablement; la pénurie arriva à un point tel que la population mangea des cadavres, et que les hommes en vinrent à se dévorer les uns les autres : une mortalité considérable en résulta. Cette famine débuta au commencement de l'année, et chaque ardeb de froment atteignit le prix de cinq dinars. La disette dura trois années consécutives, presque sans aucune interruption, par suite de la faible crue du Nil, et les vivres finirent par faire complètement défaut. Beaucoup de gens sortirent d'Egypte avec leurs familles et leurs enfants pour se rendre en Syrie, mais ils moururent de faim sur les chemins. La mort frappait indistinctement les riches et les pauvres, et le nombre des morts qu'al-Malik al-'Adil fit inhumer atteignit environ deux cent vingt mille personnes; tous les chiens furent mangés et l'on mangea aussi une quantité considérable d'enfants. Les pères faisaient rôtir leurs enfants quand ils étaient morts et ils les mangeaient, et ce fait était tellement répandu qu'on finit par ne plus s'en indigner. Les gens en vinrent à user de ruse les uns envers les autres et à s'emparer de ceux qu'ils pouvaient prendre, après quoi ils les mangeaient. Quand le plus fort avait eu raison du faible, il regorgeait et le dévorait. On manquait de médecins par suite du grand nombre des gens qui les demandaient; quand un médecin venait dans une maison, on le tuait et on le dévorait. Il arriva qu'une personne vint chercher un médecin qui eut grand peur et qui ne l'accompagna qu'avec la plus grande crainte. Tout le long du chemin cette personne ne fit qu'implorer le nom du Dieu Très-Haut et il ne passait point de pauvre qu'elle ne lui remit une aumône. Ils arrivèrent tous les deux à une maison en ruines, le médecin fut stupéfait de ce qu'il voyait : au moment où il voulut y entrer, il sortit un homme de cette masure, qui dit à la personne qui était allée le chercher : « C'est toute la chasse que tu nous rapportes aujourd'hui? » Le médecin fut épouvanté et s'enfuit ; sans l'aide de Dieu et la rapidité de sa fuite, il eût été pris par ces gens. Les villes du Caire et de Misr perdirent la plus grande partie de leur population. Il y eut tant de morts qu'on ne trouva pas assez de monde pour jeter de la terre sur leurs cadavres et cette situation se prolongea pendant des mois; on les dévorait ou bien ils pourrissaient à l'air. Sur ces entrefaites, la crue du Nil s'arrêta, les habitants furent terrifiés et un grand nombre de campagnards et de paysans vinrent au Caire et à Misr. Quand le soleil arriva dans le signe du Bélier, un vent se mit à souffler qui amena la peste. La famine augmenta encore et les vivres manquèrent à tel point que l'on mangea de jeunes enfants; le père mangeait son fils rôti ou cuit, et la mère en faisait autant. Les magistrats s'emparèrent de quelques-uns de ces misérables et les firent torturer pour faire cesser ces abominables pratiques. La situation ne fit que s'aggraver : on découvrit des femmes qui cachaient dans leur sein des épaules et des cuisses d'enfants ; les hommes agissaient de même : plusieurs d'entre eux entraient dans une maison voisine où ils trouvaient la marmite sur le feu, et ils attendaient que ce qui y était contenu fût cuit pour en manger; c'était de la chair d'enfant qui s'y trouvait; c'était surtout dans les grandes maisons que l'on agissait ainsi. On trouvait les femmes et les hommes dans les marchés et dans les rues portant de la viande d'enfant. On brûla en moins d'un mois trente femmes sur lesquelles on avait trouvé de cette chair. On en arriva à s'accoutumer à déjeuner et à dîner avec de la chair d'enfants ; il était bien rare qu'on l'empêchât, car on ne trouvait ni blé, ni graines, ni légumes. Quelques jours avant la crue du Nil, en l'an 596, au mois de Barmoudah, le fleuve était tellement desséché qu'il n'y avait point d'eau entre le Nilomètre (le Mikyas) et l’île [de Raudah], et le peu d'eau qui s'y trouvait avait un goût et une saveur exécrables. Il était à l'étiage de deux coudées, quand il se prit à monter un petit peu jusqu'au seizième jour du mois de Masori; il monta d'une coudée, puis s'arrêta; après quoi la crue recommença d'une façon plus marquée : le plus était d'une coudée à la fois. Le fleuve atteignit quinze coudées et dix doigts, mais il baissa le jour même de telle sorte que cette crue ne servit à rien. La mortalité avait été telle en Egypte que sur la population d'un village qui comptait 500 personnes, il n'en restait plus que deux ou trois. Il n'y avait plus personne pour se tenir sur les digues et pour les surveiller, et, dans les villages, personne ne s'occupait plus des travaux de la terre. On manquait de bœufs ; un bœuf quand il était gras se vendait soixante-dix dinars, et un maigre soixante. Les rues de Misr et du Caire étaient vides, ainsi que les villages voisins. Les vers mangèrent ce qu'on avait semé et l'on ne récolta que ce qu'ils avaient épargné.
Au commencement de cette année, les hommes se nourrissaient de chair d'enfants. On s'était habitué à se nourrir de cette façon et les juges étaient las de châtier ceux qui agissaient ainsi. Le blé que l'on trouvait atteignait le prix de huit dinars, l'orge et les fèves atteignaient sept dinars (l’ardeb). Les poules manquèrent en Egypte; un homme en apporta de Syrie et il vendit chaque poulet au prix de cent dirhams, et deux œufs pour un dirham. On chauffa les fours avec le bois des habitations jusqu'au commencement de l'année 598. Beaucoup d'hommes honorables sortaient de nuit, prenaient le bois des maisons abandonnées et ils le vendaient le jour ; on ne trouvait dans les rues de Misr et du Caire que peu d'habitants de ces villes, et il n'y avait à Misr de peuplé que les rives du fleuve. Les habitants des villages sortirent pour se livrer au labourage, mais les hommes périssaient sans avoir mis la main à la charrue. — Cette année mourut Karâkoush l'Asadi, le vingt du mois de Redjeb, au Caire, il fut enseveli au pied du mont Mokattam.[81]
Au commencement du mois de Moharram, al-Afdal et ath-Tahir levèrent le siège de Damas ; ath-Tahir s'en retourna à Alep, accompagné de plusieurs émirs Sâlihis, parmi lesquels se trouvaient Faris ad-Din Maïmoun-al-Kasri, Sara-Sonkor et Faris ad-Din al-Baki. Ce prince leur donna des fiefs et les combla de marques d'honneur. Al-Afdal se rendit à Homs, où sa mère et sa famille se trouvaient auprès d'al-Malik al-Moudjahid ; al-'Adil entra à Damas et alla loger dans la citadelle. Il quitta ensuite cette ville se dirigeant sur Hamâh où il vint camper avec ses troupes ; al-Malik al-Mansour pourvut à toutes les dépenses de l'armée. Il montra son intention de se rendre à Alep, ce qui effraya ath-Tahir; toutefois, ce dernier se disposa à se rendre au devant du sultan d'Egypte. Il écrivit à al-'Adil, lui envoya des présents agréables et le flatta. La paix fut conclue entre les deux princes aux conditions suivantes : al-'Adil posséderait l'Egypte, Damas, les côtes de la Syrie, Jérusalem, toute la partie des Provinces d'Orient qui était en sa puissance ou qui appartenait à ses enfants; ath-Tahir aurait Alep et les dépendances de cette ville; Hamâh et sa province appartiendraient à al-Malik al-Mansour; Homs, Rahbah[82] Tadmor[83] seraient la propriété d'al-Malik al-Moudjahid ; Baalbek et la province dépendante de cette ville à al-Amdjad; al-Afdal posséderait Soumaïsat ainsi que le pays qui en dépendait, et rien d'autre; de plus, al-'Adil serait le sultan de tout le pays.[84] Les princes lui jurèrent d'observer ces conditions, et on fît la khotba au nom d'al-'Adil, à Alep, le onzième jour du mois de Djoumada second de cette année. Ce prince donna à al-Afdal, à titre de fief, la forteresse de Nadjm[85] ainsi que Saroûdj[86] et Soumaïsat; puis il envoya son fils al-Malik al-Ashraf-Mothaffar ad-Din Moussa pour prendre possession de Harrân, d'ar-Rohâ et des dépendances de ces deux villes. Ce prince demeura dans Djézireh.[87] Al-Malik al-Avhad-Ayyoub, son frère, s'établit à Mayyafarikîn. Le sultan nomma gouverneur de la citadelle de Dja'bar, son fils, al-Hâfith-Nour ad-Din Arslan ; il installa à Damas son autre fils, al-Malik al-Mo’aththam Sharaf ad-Din 'Isa. Al-'Adil s'en retourna ensuite de Hamâh à Damas, et tous les ayyoubides se trouvèrent vivre en bonne intelligence.[88] — Cette année, mourut al-Mo'izz Ismâ’îl ibn Saïf-al-Islam-Tahir ad-Din Toghatikin ibn Nadjm ad-Din Ayyoub; voici quels furent les événements qui amenèrent la mort de ce prince : quand il fut devenu souverain du Yémen après son père, le shérif 'Abd-Allah-al-Hosami se révolta contre lui; 800 de ses mamlouks environ se soulevèrent également contre lui et se retranchèrent à Sanaa[89] dans l'intention de lui résister. Il les battit et les chassa de cette ville. Il prétendit alors se faire adorer comme Dieu et il ordonna qu'on écrivît sa correspondance en lui donnant ce titre ; il écrivit une lettre qu'il disait envoyée par « Sa Divinité ». Il craignit cependant que le peuple ne se soulevât contre ces prétentions et il se borna à se faire passer pour khalife ; il affirma qu'il descendait des Omeyyades ; il prit des armoiries vertes et s'habilla avec les vêtements du Khalifat; il fixa la longueur des manches à vingt-cinq empans et leur largeur à six. Il supprima dans la khotba la mention du nom des Abbassides et la fit faire à son propre nom, le vendredi, sur tous les menbers du Yémen. Quand son oncle al-Malik al-'Adil apprit ce qu'il faisait, il lui envoya quelqu'un pour le blâmer d'agir ainsi; mais al-Mo'izz ne voulut point écouter les remontrances de son oncle; il joignit à cela une conduite répréhensible et professa des croyances détestables. Les Mamlouks de son père, indignés par ses mœurs, par ses prétentions et par sa cruauté se précipitèrent sur lui et le massacrèrent. Ils plantèrent sa tête au bout d'une lance et la promenèrent dans les différentes villes du Yémen. Ils livrèrent Zabid au pillage durant neuf jours. Ce prince fut massacré le quatorzième jour du mois de Redjeb de l'année 598. Son frère lui succéda; il se nommait al-Malik an-Nasir-Ayyoub (ou suivant d'autres Mohammad). Saïf ad-Din Sonkor fut élevé à la dignité d'Atabek de l'armée de ce prince ; il arriva ensuite au trône.
Cette année, la disette régnait toujours en Egypte, mais quand le Nil monta, le pays fut irrigué et les vivres diminuèrent de prix.
Cette année, les Francs arrivèrent à 'Akkâ, et les Siciliens se mirent en mouvement pour venir attaquer l'Egypte; cinq cents cavaliers et cent hommes de pied (sic) arrivèrent d'Alep pour porter secours à al-'Adil, qui se trouvait en ce moment à Damas. Sur ces entrefaites, arriva une lettre de Nasir ad-Din Mankouviresh, fils de Khoumartikin, prince de Sahioûn ; il annonçait que le prince d'Arménie était venu camper au Pont de Fer dans l'intention d'aller attaquer Antioche; il disait encore que le plus grand nombre des Francs était partis d’Akkâ par mer, qu'il ne restait plus dans la place que ceux qui étaient dans l'impossibilité de supporter la traversée et que les vivres y étaient à un prix fort élevé.
Cette même année, al-Ashraf-Moussa, fils d'al-’Adil, mit le siège devant Mardîn; il était accompagné d'al-Afdal.[91] Après quelque temps, la paix fut conclue, à cette condition que l'on paierait à al-'Adil cent cinquante mille dinars souris, que l'on ferait la khotba en son nom dans cette ville et que la monnaie serait frappée à son chiffre. Al-Ashraf s'en revint ensuite à Harrân.
Cette même année, al-'Adil envoya al-Malik al-Mansour, fils d'al-’Aziz, du Caire à ar-Rohâ avec sa mère et ses frères,[92] à cause de la crainte que lui inspiraient les partisans de ce prince.[93] — Al-'Adil fit construire une ligne de fortifications avancées [un avant-mur] entourant les murailles de Damas, en pierres reliées avec du ciment ; il ordonna de creuser le fossé de cette ville et de le remplir d'eau. — Un détachement de troupes quitta al-'Adil se rendant au Caire pour protéger Damiette contre les attaques des Francs.
Cette même année, les Francs de Tarâbolos, de la Citadelle des Kurdes[94] et d'autres villes se mirent en campagne pour tenter un coup de main contre Hamâh. Al-Malik al-Mansour marcha contre eux, le troisième jour du mois de Ramadhan et leur livra combat.[95] Il les mit en déroute et leur fit des prisonniers et du butin; puis il s'en revint victorieux. — On reçut la nouvelle que les Francs étaient arrivés à 'Akkâ, par mer,[96] au nombre d'environ soixante-dix mille et qu'ils voulaient faire alliance avec les Arméniens pour lutter contre les Musulmans. Un parti de Chevaliers de l'Hôpital sortit de la citadelle des Kurdes[97] et de Markab[98] dans ce même mois de Ramadhan. Al-Mansour marcha contre eux, leur tua beaucoup de monde, il leur fit de nombreux prisonniers et le reste prit la fuite.[99]
Cette même année, al-'Adil apprit qu'al-Malik al-Afdal 'Ali, son neveu,[100] avait écrit aux émirs ; il ordonna alors à son fils al-Ashraf d'enlever à ce prince Ra'as 'Aïn et Saroûdj. Il écrivit ensuite à ath-Tahir de lui prendre la citadelle de Nadjm. Les deux princes exécutèrent ces ordres, de telle sorte qu'il ne resta plus à al-Afdal autre chose que la ville de Soumaïsât. Ce prince envoya sa mère à al-'Adil pour intercéder en sa faveur;[101] elle vint trouver le sultan d'Egypte à Damas, mais il ne voulut point écouter ses prières et il la renvoya déçue dans ses espérances. C'est un événement dans lequel la main d'Allah est bien visible. Lorsque Salah ad-Din vint assiéger Maûsil, deux princesses de la dynastie des atabeks se rendirent auprès de lui, l'une d'elles était la fille de Nour ad-Din Mahmoud ibn Zengui ; elles le supplièrent de laisser Maûsil à Izz ad-Din Massoud. Mais Salah ad-Din refusa de leur accorder ce qu'elles imploraient de lui et il les renvoya sans prendre pitié de leur douleur. Son fils al-Afdal subit le même traitement, et sa mère dut quitter al-'Adil sans en avoir rien pu obtenir. Quand al-Afdal apprit que son oncle avait refusé d'accorder ce que lui demandait sa mère, il défendit de faire désormais la khotba au nom d'al-'Adil et il substitua à son nom celui du sultan Rokn ad-Din Soleïman ibn Kilidj-Arslan, le Seldjoukide, prince du pays de Roum.
Cette même année, le Nil subit une très forte crue de telle sorte que les denrées baissèrent beaucoup de prix.
Cette année la dynastie des Hachémites s'éteignit à la Mecque. Khantala ibn Kattâda ibn Idris ibn Moutâ se rendit dans cette ville venant de Yanbo.[102] Mokaththar ibn ‘Isa ibn Fala en sortit et se rendit à Nakhlah,[103] où il se fixa et où il mourut en l'an 600. Après ces événements, Mohammad ibn Mokaththar se rendit à la Mecque, qui fut saccagée et livrée au pillage. Kattâda Abou 'Aziz ibn Idris marcha ensuite sur la Mecque où il demeura, et son fils après lui, pendant de longues années.
Cette année, la paix fut signée entre al-'Adil et les Francs ; une trêve fut conclue entre les deux partis et les armées se disloquèrent. Le fils de Laon [Léon Ier, roi de la Petite Arménie], vint mettre le siège devant Antioche; il livra plusieurs assauts à la place et bloqua le prince dans sa citadelle ; al-Malik ath-Tahir sortit d'Alep pour marcher à son secours, et le fils de Léon leva le siège. Cette même année, al-Ashraf tomba sur l'armée de Maûsil, la mit en déroute et vint assiéger la ville.[105] Le sultan Nour ad-Din Arslan-Shâh ibn Massoud ibn Maudoud ibn ‘Imad ad-Din Zangui, l’atabek, fils d'Aksonkor, entra en campagne et mit le pays à feu et sang…..…[106] ; il envoya annoncer cette bonne nouvelle à son père al-‘Adil. Cette victoire enorgueillit le sultan et lui inspira une grande joie·
Cette année, les Francs prirent la ville de Constantinople aux Grecs. —Les Francs se réunirent de tous les côtés à 'Akkâ dans l'intention de s'emparer de Jérusalem ; al-'Adil partit de Damas et écrivit aux autres rois pour leur demander des secours. Il vint camper près de Tour, localité située à une faible distance d’Akkâ. L'armée des Francs était à Mardj 'Akkâ ; ils allèrent faire une expédition contre Kafr-Kîâ, firent prisonniers tous ceux qui s'y trouvaient et saccagèrent cette localité. L'année se termina sur ces entrefaites, les choses se trouvant dans cet état.
Cette année, mourut Rokn ad-Din Soleïman ibn Kilidj-Arslan ibn Massoud ibn Kilidj-Arslan ibn Soleïman-ibn Kotloûmish ibn Arslan ibn Seldjouk, souverain du pays de Roum, le sixième jour du mois de Dhoû’lka’dah.[107] Après lui, régna son fils 'Izz ad-Din Kilidj-Arslan, qui était en bas âge et qui ne fit que passer sur le trône.
Cette même année, al-Ashraf, fils d'al-'Adil retourna à Harrân sur l'ordre de son père ; al-'Adil avait l'intention de s'en retourner en Egypte; son fils, al-Ashraf vint alors le trouver, puis il s'en revint à Harrân.[108]
Cette année, la flotte des Francs fit une campagne contre l'Egypte, et elle entra dans le Nil du côté de Rashid;[109] elle arriva à al-Fouvva[110] où elle séjourna durant cinq jours occupée à tout piller; l'armée (musulmane) se trouvait en face de la flotte franque, mais elle ne pouvait arriver jusqu'à elle pour la détruire. — L'émir Bahâ ad-Din Karâkoush-al-Mothaffari attaqua le pays du Maghreb, il fut fait prisonnier et on le conduisit à Ibn 'Abd al-Mou'min. — Il y eut un violent tremblement de terre qui s'étendit à la plus grande partie de l'Egypte, de la Syrie, du Djézireh, du pays de Roum, de la Sicile, de Chypre, de Maûsil, de l’Irak, et qui atteignit Ceuta dans le Maghreb.
Cette année, la paix fut conclue entre al-Malik al-'Adil et les Francs, et la trêve fut fixée pour un certain temps. Les Francs stipulèrent que Jaffa leur appartiendrait et que Lydda et Ramla seraient partagés par moitié entre les Musulmans et eux. Al-Malik al-'Adil y consentit et les armées se disloquèrent. Al-'Adil partit pour le Caire et il descendit dans le Palais du Vizirat; son fils al-Kâmil resta au Château de la Montagne et continua à s'occuper du gouvernement de l'Egypte. — Cette année, mourut l'émir Izz ad-Din Ibrahim ibn al-Djouvaïni, vâli du Caire, à la fin du mois de Djoumada premier. — On reçut la nouvelle que les Francs s'étaient emparés de Constantinople.[111] — Les Chevaliers francs de l'Hôpital, dont la trêve venait d'expirer, firent une incursion contre Hamâh, en très grand nombre ; ils mirent le pays à feu et à sang, puis ils s'en retournèrent chez eux. — Al-Malik al-Mansour, prince de Hamâh, vint trouver son oncle al-Malik al-'Adil au Caire; ce prince fut très content de la venue de son neveu et le combla d'honneurs. Après quelques jours, al-Mansour s'en retourna. — Les Francs firent une expédition contre Homs, ils y tuèrent et firent prisonniers beaucoup de personnes; al-Malik al-'Adil sortit du Caire et vint à la Birkat-al-Djubb ; puis il s'en retourna au Caire. — Les Francs de Tarâbolos allèrent faire une expédition contre Djibala et Laodicée; ils y tuèrent un grand nombre de Musulmans et s'emparèrent de nombreuses dépouilles ainsi que d'un butin considérable.
Cette année, le sahib Safi ad-Din 'Abd-Allah ibn Shakir commença à exciter al-Malik al-'Adil contre Abou Mohammad Mokhtar ibn Abi-Mohammad ibn Mokhtar, connu sous le nom de kadi de Dara, vizir d'al-Malik al-Kâmil, dans l'espérance d'attraper sa place ; al-Kâmil prit peur de son vizir et lui donna l'ordre de quitter l'Egypte avec ses deux fils Fakhr ad-Din et Schihâb ad-Din. Ils se rendirent à Alep, où al-Malik ath-Tahir les reçut en leur témoignant beaucoup d'honneurs. Le vizir reçut ensuite une lettre d'al-Malik al-Kâmil le rappelant au Caire. Il partit alors d'Alep et il s'arrêta à la « Source Bénie », en dehors d'Alep ; on était alors dans la vingt-quatrième nuit du mois de Dhoû’lka’dah. Il fut tout à coup, en pleine nuit, entouré par près de cinquante cavaliers qui l'attaquèrent et qui le tuèrent. Ces brigands crièrent à ses domestiques : « Gardez votre argent, car ce n'est qu'à votre maître que nous en voulons ! » Al-Malik ath-Tahir apprit cet événement et en fut abasourdi. Il monta à cheval pour aller voir de ses propres yeux le lieu où le drame s'était passé; il envoya des soldats sur tous les chemins, mais on ne put découvrir les meurtriers. Cette aventure est l'une des plus extraordinaires qui soient connues.
Cette année, on emprisonna l’oustâd Abou 'l-Makârim ibn Mohaddi ibn Mammâti, sahib-divan, au mois de Djoumada second et on le pendit par les pieds. — Cette même année on emprisonna l'émir 'Abd-al-Karim, frère du kadi al-Fadil, et on lui fit signer une obligation de vingt mille dinars, qu'il fut obligé de payer ; on prit à Ibn Koreïsch cinq; mille dinars. — Cette année, Tadj-ad-Dra ibn Ka'aki remplit les fonctions de chef du divan de l'armée. — Cette même année, le sahib Safi ad-Din 'Abd-Allah ibn 'Ali ibn Shakir fut destitué des fonctions qu'il remplissait dans le divan.
Cette année, les incursions des Francs dans les pays musulmans se multiplièrent. Al-Malik al-'Adil se rendit à 'Abbasa et s'en revint ensuite à Damas. Après cela, il se rendit à Homs, et les troupes vinrent le rejoindre de tous côtés, de telle sorte que des dizaines de milliers d'hommes se trouvèrent réunis autour de lui. On comprit alors qu'il voulait marcher sur Tarâbolos. Quand le mois de Ramadan fut terminé, il se dirigea du côté de la Citadelle des Kurdes et vint mettre le siège devant cette place ; il y fit cinq cents prisonniers et beaucoup de butin; il s'empara également d'une autre citadelle. Il vint ensuite mettre le siège devant Tarâbolos, et les troupes allèrent piller les villages qui dépendent de cette ville; il y resta jusqu'au mois de Dhou’lhiddjeh et s'en retourna ensuite à Homs. Les troupes ayant trouvé le temps long, il envoya à Tarâbolos des députés pour traiter de la paix avec les Francs ; il envoya de l'argent, trois cents prisonniers et un grand nombre de présents. La paix fut conclue le dernier jour du mois de Dhou’lhiddjeh.
Cette année, al-'Adil et son neveu al-Malik ath-Tahir, prince d'Alep, se brouillèrent; les deux princes échangèrent des ambassades jusqu'à ce que leur querelle fût apaisée; chacun d'eux prêta serment à l'autre. — Durant ce temps, al-Malik al-'Adil fit plusieurs expéditions contre les citadelles des Francs.
Cette année, le sultan destitua le sahib Ibn Shakir-al-Badri ibn al-Abiad, kadi de l'armée et il donna cette place à Nadjm ad-Din Khalil ibn al-Masmoudi al-Hamavi 'Abd-ar-Rahim an-ibn Salama, kadi d'Alexandrie, le mercredi huitième jour de Safer.
Cette année on expulsa d'Egypte al-Ashraf ibn 'Othman, et son frère 'Alam-al-Moulk fut mis en prison. La mère d'al-Malik al-Mo'aththam, fils d'al-'Adil, mourut à Damas, le vendredi vingtième jour du mois de Rabi premier, et elle fut enterrée au pied du mont Kasyoûn.[113]
Cette année, al-Malik al-'Adil s'en retourna à Damas, après avoir conclu la paix avec le souverain des Francs à Tarâbolos. Il envoya son grand ostaddar ainsi que le kadi de l'armée Nadjm ad-Din Khalil-al-Masmoudi-al-Hanafi-al-Hamavî au khalife pour lui demander les vêtements d'honneur et le diplôme d'investiture pour les provinces d'Egypte, de Syrie, de Mésopotamie et de Khilât. Quand les deux envoyés du sultan arrivèrent à Bagdad, le khalife an-Nasir-li-Din-Allah les reçut avec grands honneurs et les combla de bienfaits. Il leur accorda l'objet de leur demande et il envoya le cheikh Schihâb ad-Din Abou Djafar Omar ibn Mohammad ibn 'Abd-Allah ibn Mohammad ibn 'Amouyyah-al-Shahrzouri avec les vêtements d'honneur du Khalifat et le diplôme d'investiture. Il donna également des vêtements d'honneur pour le sahib Safi ad-Din ibn Shakir, ainsi que pour les fils d'al-'Adil, à savoir, al-Malik al-Mo'aththam, al-Malik al-Ashraf et al-Malik al-Kâmil. Quand l'envoyé du khalife fut arrivé près d'Alep, al-Malik ath-Tahir sortit avec son armée pour se rendre au devant de lui et lui rendre les honneurs.
Le troisième jour après son arrivée, l'envoyé du khalife ordonna qu'on lui dressât un trône; on en dressa un, et il s'y assit pour faire un discours. Al-Malik ath-Tahir et les grands personnages de son royaume vinrent assister à cette cérémonie. Le cheikh prononça un discours qui remua profondément les cœurs et qui fit couler les larmes des assistants. Il leur apprit que le khalife avait distribué dans Bagdad et dans d'autres villes des vivres et de l'argent pour une somme qui atteignait 3,000.000 de dinars.
L'ambassadeur partit d'Alep accompagné du kadi Bahâ ad-Din ibn Shaddâd; al-Malik ath-Tahir lui avait remis une somme de 3.000 dinars pour employer dans la guerre contre les Tatars, [et son oncle al-'Adil se revêtit des habits du Khalifat]. Al-Malik al-Mansour envoya de même de Hamâh une somme d'argent pour contribuer à la lutte contre les Tatars et l'armée sortit de Damas pour se rendre à la rencontre de l'ambassadeur. Al-'Adil sortit avec ses deux fils, al-Ashraf-Moussa et al-Mo'aththam ’Isa, et tout le peuple sortit de même pour voir cette cérémonie. Ce fut un jour splendide. Quand il fut rentré dans la ville, al-'Adil s'en vint tenir séance dans le Palais de Rodvân, où on lui remit les vêtements d'honneur envoyés par le khalife. C'étaient une robe de satin noir, dont les manches étaient larges et couvertes de broderies d'or, un turban noir également et brodé d'or, un collier d'or orné de nombreuses pierres précieuses; le cheikh lui ceignit un sabre tout incrusté d'or. Il monta un étalon gris, qui avait des étriers d'or. On fit flotter sur sa tête un étendard noir sur lequel étaient écrits en lettres blanches tous les titres du khalife, et dont la hampe était d'or. Le kadi Ibn Shaddâd marchait devant lui en jetant des pièces d'or ; on portait devant lui cinquante vêtements d'honneur; les ambassadeurs des autres rois jetèrent de l'or après le kadi.
Al-Ashraf et al-Mo'aththam revêtirent ensuite leurs habits d'honneur qui consistaient en un turban noir, une tunique également noire et à larges manches; puis le kadi remit au sahib Safi ad-Din ibn Shakir le vêtement d'honneur qui lui était destiné. Al-'Adil monta à cheval avec ses deux fils et son vizir, tous portant les vêlements d'honneur que leur avait envoyés le khalife; toute la ville fut pavoisée. Les princes retournèrent ensuite à la citadelle, et la ville resta pavoisée durant huit jours. Le sahib Rafi ad-Din lut le diplôme d'investiture, assis sur le trône, et al-'Adil fut invité à y venir prendre place et salué des titres de « Grand Roi, Roi des Rois,[114] ami du Prince des Croyants ». Pendant tout le temps que dura la lecture du diplôme d'investiture, le vizir se tint debout sur le trône; al-'Adil et tous les assistants se tenaient également debout par respect pour la majesté du khalife. Schihâb ad-Din al-Shahrzouri se rendit ensuite en Egypte, où il remit à al-Malik al-Kâmil les vêtements d'honneur envoyés par le khalife avec la même pompe que celle qui avait été observée à Damas, après quoi il s'en revint à Bagdad.
Cette année, al-'Adil ordonna de reconstruire la citadelle de Damas, il répartit les différentes tours entre les rois, qui les construisirent à leurs frais.[115] L'empire d'al-'Adil s'était considérablement augmenté; aussi, quand il vit que toutes ses affaires étaient réglées, il divisa son empire entre ses enfants : il donna à son fils al-Malik al-Kâmil-Nasir ad-Din Mohammad, le royaume d'Egypte, et il mit auprès de lui le kadi al-A'azz Fakhr ad-Din Mikdam ibn Shakir; à son fils al-Mo'aththam Sharaf ad-Din ‘Isa, tout le pays compris entre al-'Arish et Homs, en faisant entrer dans le royaume de ce prince les villes du Sahel qui appartenaient alors aux Musulmans, le pays du Ghaûr, la Palestine, Jérusalem, Karak, Shaûbak, Sarkhad ; à son fils, al-Ashraf-Mothaffar ad-Din Moussa, les villes d'Orient, autrement dit ar-Rohâ, et ce qui dépendait de cette ville, Harrân et les autres villes; à son fils, al-Avhad-Nadjm ad-Din Ayyoub les villes de Khilât, de Mayyafarikîn et la province voisine. La population de Khilât avait déjà écrit à al-Avhad pour lui offrir la royauté de cette ville; ce prince se rendit alors à Mayyafarikîn, et en prit possession. — Cette même année, al-Malik al-Kâmil termina la construction du Château de la Montagne; il quitta le Palais du Vizirat au Caire et s'installa dans ce château. Ce fut le premier souverain de l'Egypte qui y demeura; il y transféra les enfants du khalife al-'Adid et ses parents, dans une maison qui avait l'apparence d'une prison. Ces personnes y demeurèrent jusqu'au moment où on leur rendit la liberté, en l'année 671.[116]
Cette année, les Kurdes [Géorgiens] vinrent piller la province de Khilât ; ils y firent nombre de prisonniers et en enlevèrent du butin.[117] Al-Malik al-Avhad n'eut pas le courage de sortir de Khilât et de les aller combattre. Quand al-Malik al-'Adil apprit ces événements, il fit ses préparatifs pour aller lutter contre les Kurdes. Al-Ashraf quitta Damas se dirigeant vers les Provinces d'Orient. — Cette même aimée, le roi Mo'izz ad-Din Sindjar-Shâh ibn Ghazi ibn Maudoud ibn Zengui ibn Aksonkor, l’atabek, prince du Djézireh, fut tué par son fils Mahmoud, qui lui succéda.[118]
Cette même année, l'émir Saïf ad-Din Sonkor, l’atabek du Yémen, envoya 10.000 dinars misas à al-Malik al-'Adil ; ces dinars étaient frappés au nom du sultan d'Egypte.
Cette année, moururent le kadi Makin ad-Din Mouthahhar ibn Hamdân, dans la citadelle de Bosra, au mois de Redjeb ; — Halal ed-dauleh… ibn Razîn, vâli du Caire. — L'émir Saïf ad-Din 'Ali ibn Kahdan [sic] fut destitué du gouvernement de Misr, et As'ad ibn Hamdân de la charge de vâli de la province orientale de l'Egypte; on la donna à Hasan ibn al-Varrak. — Cette même année, mourut le kadi-al-kodat, Sadr ad-Din Abou'l Kasim 'Abd-al-Malik ibn 'Isa ibn Darbas-al-Marani, le mercredi, cinquième jour de Redjeb. Il était venu en Egypte le quatre du mois de Redjeb de l'an 565 et y avait habité pendant quarante années.
Cette année, al-'Adil sortit de Damas pour aller lutter contre les Kurdes; il était accompagné des rois.[119] Il arriva à Harrân où il fut rejoint par des renforts. Il s'empara de Nisibin et vint assiéger Sindjar. Kotb ad-Din Mohammad ibn Zangui se trouvait dans cette place; ils se livrèrent plusieurs combats. Sur ces entrefaites, le prince de Sindjar envoya implorer le secours du khalife al-Nasir et des autres rois contre al-'Adil. Plusieurs se déclarèrent contre al-'Adil et se décidèrent à venir à son aide. Un certain nombre de ceux qui étaient occupés avec le sultan d'Egypte au siège de Sindjar, l'abandonnèrent. Ils corrompirent en secret une partie de ses troupes, de telle sorte que la situation d'al-'Adil devint très précaire. L'ambassadeur du khalife arriva sur ces entrefaites pour lui enjoindre de lever le siège de Sindjar et lui dit de la part de l'imam an-Nasir : « Par ma vie! ô mon ami![120] lève le siège de Sindjar ! »
Al-'Adil s'en retourna alors à Harrân, et ses troupes se disloquèrent. Une dispute éclata entre ce prince et le sahib Ibn Shakir ; la violence avec laquelle le sultan agit à l'égard du sahib détermina celui-ci à s'enfuir par le désert. Le prince de Hamâh, al-Malik al-Mansour, et Fakhr ad-Din Tchaharkas, seigneur de Bâniâs, montèrent à cheval, rejoignirent le sahib à Ra'as 'Aïn et le ramenèrent à al-Malik al-'Adil. Ce prince lui pardonna, mais sa position devint difficile à partir de ce moment.
Cette même année, mourut al-Malik al-Mouvayyad-Nadjm ad-Din Massoud ibn Salah ad-Din Yousouf ibn Ayyoub, à Ra'as 'Aïn. On a prétendu que ce prince avait été empoisonné. On transporta son corps à Alep pour lui donner la sépulture dans cette ville. — Al-'Adil retourna à Damas. — Cette même année, l'émir al-Mokarram ibn al-Lamti fut investi de la charge de gouverneur de Kous, au mois de Dhoû’lka’dah.
Cette année, al-Malik al-Avhad, fils d'al-'Adil, battit le roi des Kurdes ; ce prince se racheta moyennant une rançon de 100.000 dinars et la mise en liberté de 5.000 prisonniers musulmans, à la condition qu'il garderait la neutralité pendant 30 années, et qu'il épouserait la fille d'al-Malik al-Avhad, sans que cette princesse changeât de religion. Al-Avhad le mit en liberté sous ces conditions et le roi des Kurdes rendit encore quelques citadelles aux Musulmans. — Cette même année, al-Avhad mourut et son frère al-Ashraf régna après lui à Khilât. — Les Francs se mirent en marche vers le Sahel et se rassemblèrent à 'Akkâ. Al-Malik al-'Adil partit de Damas, et la paix fut conclue entre ce prince et les Francs. — Al-'Adil commença la construction de la citadelle d'ath-Thoûr près d’Akkâ; il se rendit ensuite à Karak où il demeura durant quelques jours, après quoi il s'en retourna en Egypte; il fit son entrée au Caire et alla descendre au Palais du Vizirat.
Cette même année, mourut l'émir Fakhr ad-Din Tchaharkas. — Les Francs s'étant mis en mouvement, al-'Adil partit pour la Syrie. — Le sahib Safi ad-Din ibn Shakir fut destitué de ses fonctions. — Cette année, mourut le sultan Nour ad-Din Arslan-Shâh, fils du sultan Massoud, l'atabek, prince de Maûsil, au mois de Redjeb; la durée de son règne avait été de 17 années et 11 mois. Après lui, régna son fils, al-Malik al-Kâhir 'Izz ad-Din Massoud, et l'émir
Badr ad-Din Loulou, l’atabek, mamlouk de son père, se chargea de la régence.
Cette année, les princes des différentes parties de l'empire reçurent les insignes de l'Ordre de la Noblesse qui leur fut conféré par le khalife an-Nasir; ils burent dans la coupe de la Noblesse et revêtirent les caleçons de la Noblesse. Le khalife leur envoya des ambassadeurs pour les affilier à cet ordre; il leur ordonna en même temps de faire boire leurs sujets à la coupe et de leur donner à porter les vêtements de la Noblesse pour leur inculquer une haute idée de la royauté et leur inspirer un grand attachement pour elle. Ils firent ce qui leur était commandé. Chacun des rois fit venir les kadis de son royaume, les juristes, les émirs, les grands officiers, les revêtit des insignes de cet ordre et les fit boire à la coupe de la Noblesse. Ce fut le khalife an-Nasir qui institua cet Ordre, et il ordonna aux rois de s'exercer au tir de l'arbalète, comme il le faisait lui-même.[122]
Cette même année, arriva au Caire un marchand génois nommé Kiliam (Guillaume) le Franc; il vint trouver al-Malik al-'Adil et lui offrit des présents magnifiques. Ce prince en fut stupéfait et il voulut attacher à sa personne ce Franc, qui au fond n'était qu'un espion envoyé par ses coreligionnaires pour qu'il les renseignât sur l'état du royaume. On le dit à al-'Adil, qui refusa de croire ce qu'on lui rapportait au sujet de ce personnage.
Cette année, mourut au Caire, Youssouf ibn al-As'adi ibn Mam-mati au mois de Rabi premier, et l'émir Schah-rokh le 25 de Redjeb; — Ghiyâth ad-Din Kaï-Khosrav ibn Kilidj-Arslan, prince de Koniah, fut tué cette même année; il était revenu dans ses états après s'être enfui à Alep et il s'était rendu maître de Koniah une seconde fois, après de nombreuses vicissitudes. La population de cette ville avait mis en prison Kilidj-Arslan ibn Rokn-ad-Din. Ghyas ad-Din fut tué ensuite, après avoir désigné pour lui succéder son fils Kaï-Kâous. Cette même année, il y eut à Mina[123] un engagement entre le pèlerinage de l’Irak et la population de la Mecque; le serviteur du shérif Kattâda, nommé Bilal, y fut tué.
Cette année, al-Malik al-'Adil fit arrêter l'émir 'Izz ad-Din Ousâma, le Sâlihi, naïb de Kaukab et d’Adjloun ; il le fit emprisonner et lui confisqua toute sa fortune.[125] Il l'envoya à Karak où il fut détenu ainsi que son fils. Al-Malik al-Mo'aththam s'empara de la citadelle de Kaukab et la rasa. — Cette année, al-Malik al-'Adil se rendit à Alexandrie pour se rendre compte par lui-même de ce qui se passait dans cette ville. — Le kadi Bahâ ad-Din ibn Shaddâd vint d'Alep au Caire pour négocier le mariage de Safiyya, fille d'al-'Adil et sœur d'al-Malik al-Kâmil, avec son cousin al-Malik ath-Tahir ; la demande fut accordée et le kadi s'en retourna comblé de marques d'honneur. — Cette même année, mourut la mère d'al-Malik al-Kâmil, le Dimanche, vingt-cinquième jour du mois de Safer; elle fut inhumée près du tombeau de l'imam Shâfe'î. Son fils établit auprès du mausolée des lecteurs du Coran et distribua des aumônes; ce prince amena l'eau depuis la Birket-el-Habs jusqu'au monument de l'imam Shâfe'î, ce qui n'existait pas avant lui. — Cette même année, les gens transférèrent les maisons du [quartier du Caire connu sous le nom de] Grand Karâfa au Karâfa d'aujourd'hui, et ils y élevèrent des constructions. — Cette même année, al-'Adil partit du Caire et se rendit à Damas ; il se dirigea ensuite vers le Djézireh, mit de l'ordre dans cette province, puis il s'en retourna à Damas ayant avec lui Kiliam le Franc. — L'influence des émirs Sâlihis fut détruite par suite de la disgrâce de l'émir Karâdja, de l'émir Ousâma et de l'émir Tchahârkas; les citadelles qu'ils possédaient revinrent à al-'Adil et à son fils al-Mo'aththam. —Cette même année, on transféra les enfants d'al-Adid et ses parents au Château de la Montagne, le Jeudi, vingt-deuxième jour du mois de Ramadhan; l'émir Fakhr ad-Din Altounbogha Abou Sha'ra ibn al-Davinân [?],[126] gouverneur (vâli) du Caire fut chargé de leur mettre les fers aux pieds. Ces personnes étaient au nombre de 63. — Cette même année, il y eut en Egypte un violent tremblement de terre, qui ruina un grand nombre de maisons au Caire et à Misr. Karak et Shaûbak furent également atteints par ce cataclysme. Un nombre considérable de personnes périt sous les décombres, et les tours de plusieurs citadelles s'écroulèrent. On vit au Caire une fumée qui descendait du ciel sur la terre, entre le déclin du jour et deux ou trois heures après le coucher du soleil, près du canton du Kasr-al-'âtika. — Cette année, moururent Mouvaffik ad-Din ibn Abou’l Karim al-Tinnisi, le dimanche 27 du mois de Rabi premier ; — et Thâfir ibn al-Arsouki à Misr, le trente du mois de Redjeb. — Trois mille marchands et commerçants francs se réunirent dans Alexandrie, il y avait avec eux deux princes Francs; al-'Adil se mit en marche, fit prisonniers les marchands, s'empara de leurs biens et mit les deux princes en prison.
Cette année, al-'Adil vint camper avec son armée autour de la citadelle de Thour ; il fit venir des ouvriers de toutes les villes et il employa tous les émirs de l'armée à la construction de cette forteresse; il fit transporter des pierres dans cet endroit. Il y avait cinq cents ouvriers architectes employés à cette construction sans compter ni les manœuvres ni les valets de maçon ; al-'Adil ne s'éloigna pas avant que cette forteresse fût terminée. —Cette même année, Ibn Shaddâd vint d'Alep à Damas avec une somme d'argent considérable et des vêlements d'honneur pour la célébration du mariage de Safiyya, fille d'al-'Adil, avec son cousin le prince d'Alep. Un grand nombre d'émirs et de notables se rendirent au devant de lui. Le contrat fut signé au mois de Moharram et la dot fut fixée à 50.000 dinars. On jeta des pièces d'or aux personnes qui se trouvaient dans la citadelle de Damas; on fit ensuite partir la jeune princesse à Alep avec un bagage considérable de ballots d'étoffes, de meubles, et toutes sortes d'objets qui formaient la charge de 50 mulets, 200 chameaux à deux bosses, 300 dromadaires; elle emmenait des jeunes esclaves montées sur cent chameaux; parmi elles se trouvaient cent musiciennes qui jouaient de toutes sortes d'instruments, et cent autres qui savaient exécuter toutes sortes de travaux merveilleux. Le jour où la princesse entra à Alep fut un jour de liesse. Al-Malik ath-Tahir lui fit des présents, parmi lesquels cinq colliers de pierres précieuses valant 150.000 dinars, un diadème de pierreries d'une beauté telle qu'on n'en avait jamais vu un pareil, dix rivières d'ambre ornées d'or, cinq autres en ambre sans ornements d'or, cent-soixante-dix objets divers d'or et d'argent, vingt coffres d'habits, vingt esclaves et dix eunuques. — Cette même année, Homâm ad-Din ibn Halal ed-dauleh fut destitué de la charge de vâli (gouverneur) du Caire, et on donna cette place à Fakhr ad-Din Altounbogha Abou Sha'ra, le mamlouk al-Mihrani. — Cette année, al-Malik al-'Adil prit ombrage du vizir Safi ad-Din ibn Shakir ; il lui enleva sa charge de vizir, en lui laissant cependant ses biens; il l'envoya ensuite Amid.[127] Le vizir resta dans cette ville jusqu'au jour où mourut al-'Adil. — Cette même année, al-'Adil confia le gouvernement de l'Egypte, l'inspection des finances et des affaires de ce pays à son fils al-Malik al-Kâmil, et il nomma le kadi al-A'azz Fakhr ad-Din Mikdam ibn Shakir inspecteur des bureaux.[128] — Cette année, al-'Adil partit de Damas dans l'intention de se rendre à Khilât ; il arriva dans cette ville où se trouvait son fils al-Ashraf qui avait fait main basse sur tout l'argent qui s'y trouvait.[129]
Cette année, ath-Tahir, prince d'Alep, craignit quelque entreprise de la part de son oncle al-'Adil et, en conséquence, il se prépara à la lutte. Les deux princes s'écrivirent plusieurs lettres et l'accord se rétablit entre eux.
Cette même année, Safiyya, fille d'al-'Adil, donna un fils à ath-Tahir; l'enfant fut appelé Mohammad et reçut les titres d'al-Malik al-'Aziz Ghyas ad-Din. Il naquit le cinquième jour du mois de Dhou’lhiddjeh de cette année. La ville d'Alep fut toute pavoisée, ath-Tahir convia une foule innombrable à ces fêtes et il ordonna qu'on fît à son fils un grand nombre de poupées en or et en argent, leur poids fut de 100 kintârs; il fit faire dix berceaux en or et en argent, sans compter ceux d'ébène, de santal et de bois d'aloès. Il lui fit faire trois tuniques brodées de perles ; sur chacune de ces tuniques, il y avait quarante rubis ou émeraudes. Il lui fit faire aussi deux cuirasses, deux casques, et une armure de cheval, le tout garni de perles, trois tuniques brodées de pierres précieuses ; sur chacune des selles il y avait plusieurs gemmes, diamants, rubis ou émeraudes ; trois sabres dont la garde et le pommeau étaient en or incrusté de toutes sortes de pierreries; il fit faire aussi, à son intention, plusieurs lances d'or ornées de pierres précieuses.
Cette même année, ath-Tahir-Khidr, fils de Salah ad-Din Youssouf ibn Ayyoub, partit d'Alep pour aller faire le pèlerinage. Quand il fut arrivé près de la Mecque, des exprès envoyés par al-Malik al-Kâmil-Mohammad, fils d'al-'Adil, l'obligèrent à rebrousser chemin et à abandonner son projet. Ils dirent à ce prince : « Tu n'es venu que dans l'intention de t'emparer du Yémen. » Il leur répondit : « Attachez-moi, mais permettez-moi d'accomplir les cérémonies du pèlerinage. » — « Nous n'avons pas d'autre ordre que celui de te faire retourner », dirent les courriers. Ath-Tahir s'en revint donc en Syrie sans avoir pu faire le pèlerinage, ce qui fâcha le peuple.
Cette année mourut l'émir Fakhr ad-Din Ismâ’îl, gouverneur de Misr ; il mourut dans cette ville. — Cette même année, la famille Mérinide,[130] qui était l'une des tribus des Zenâta, entra dans le Maghreb par le désert[131] ils attaquèrent le royaume des Almohades et les mirent en complète déroute ; le commandant en chef des Mérinides était à cette époque 'Abd-al-Hakk ibn Abou Bakr ibn Hamâh ibn Mohammad ibn Vârsis ibn Nakous-Kâdmat ibn Mérin. Cette année, moururent Schihâb ad-Din ibn Tahir ad-Din ibn al Kattân, au Caire, au mois de Redjeb, et al-Malik al-Avhad, à Khilât. — Cette même année, on creusa le fossé de la ville d'Alep; on y trouva des dalles de pierre noire sur lesquelles se trouvaient gravées des inscriptions en caractères syriens; on les fit traduire en langue arabe; voici ce qui y était contenu : « Comme le monde est un éternel renouveau, il est clair que c'est la Divinité qui le renouvelle constamment! » Ces inscriptions étaient datées de cinq mille ans à très peu de chose près ; quand on voulut enlever ces dalles, on trouva au-dessous d'elles, dix-neuf pièces d'or et d'argent et deux figurines représentant un lion. On pesa ces divers objets : les pièces d'or pesaient chacune soixante-trois ritl suivant la métrologie d'Alep et celles d'argent vingt-quatre ritl. On trouva également un anneau en or du poids de deux ritl et demi. Les statuettes pesaient dix ritl et demi; le tout pesait un kintâr dans la métrologie d'Alep.[132]
Cette année, al-Malik al-Mansour-Mohammad, fils d'al-’Aziz, s'enfuit de la prison dans laquelle le tenait renfermé l'oncle de son père, al-Malik al-'Adil, et il alla se réfugier avec ses frères auprès du prince d'Alep, ath-Tahir, qui les reçut bien. — Cette même année, les Francs de Chypre, d’Akkâ, de Tarâbolos et d'Antioche s'assemblèrent, ainsi que l'armée du fils de Laon, roi d'Arménie, pour aller attaquer le pays des Musulmans. Les Musulmans furent terrifiés de leur projet ; leur première expédition fut dirigée contre le pays des Ismaïliens; ils vinrent assiéger al-Khavvabi,[133] puis ils s'en retournèrent à Antioche. — Cette année, le sultan du· pays de Roum, Izz ad-Din Kaï-Kaoûs ibn Kaï-Khosrav ibn Kilidj-Arslan, le Seldjoukide, remporta une victoire complète sur Lascaris, empereur des Grecs.[134] — Cette même année, al-Malik al-'Adil quitta Damas pour se rendre en Egypte ; il arriva au Caire et descendit au Palais du Vizirat; son fils, al-Kâmil, resta au Château de la Montagne, et al-'Adil se fixa avec Kiliam le Franc au Palais du Vizirat. — Cette année, on reçut la nouvelle de la mort de Sonkor, l’atabek du Yémen; après lui, al-Malik an-Nasir devint maître du pays et Ghazi fut son atabek. — Al-Malik al-'Adil s'occupa de faire carreler la grande mosquée des Omeyyades à Damas, dont le sol était en terre battue ; il chargea de cette opération le vizir Safi ad-Din ibn Shakir. —· On se servit comme monnaie courante à Damas et dans d'autres villes [de Syrie] des sous noirs [el-karafis-el-sauda] 'adilis,[135] puis ces pièces furent retirées de la circulation. — Cette même année, Salim ad-Din Isa fut nommé vâli du Caire au mois de chewâl et Djémal ad-Din ibn Abou Mansour fut nommé délégué au trésor public.
Sa'ad ad-Din ibn Sa'ad ad-Din ibn Koukiâ mourut le vingtième jour du mois de Rabi deuxième. — Cette même année, al-Malik al-Mo'aththam ’Isa ibn al-'Adil partit de Damas pour aller faire le pèlerinage. Le shérif Salim ibn Kasim ibn Mohanna al-Hosaini, émir de Médine, fit le pèlerinage avec lui. Le shérif Kattâda, émir de la Mecque, conçut alors le projet de s'emparer de sa personne. Son entreprise échoua et l'émir de Médine s'en retourna sain et sauf à Damas avec al-Malik al-Mo'aththam. Ce prince l'envoya à la tête d'une armée pour s'emparer de la Mecque, mais il mourut en route avant d'arriver dans cette ville, et son neveu, Hamad ibn Kasim, se mit à la tête de l'armée. Kattâda réunit alors ses troupes et marcha sur Yanbo; mais il fut mis en pleine déroute.
Cette année, les Francs vinrent mettre le siège devant Khavvabi, et combattirent les Bathéniens, puis les deux partis firent la paix.[136] Le khalife al-Nasir envoya en Syrie, en Egypte et dans d'autres pays, un ouvrage qu'il avait composé et qu'il avait nommé « l'esprit de ceux qui sont arrivés à la connaissance ésotérique[137] », pour qu'on l'étudiât dans les cours de traditions. — Cette même année, les Francs s'emparèrent d'Antioche et massacrèrent les Musulmans qui se trouvaient dans cette place; elle appartenait alors à al-Malik al-Ghâlib 'Izz ad-Din Kaï-Kâous;[138] ils prirent ensuite aux Arméniens la forteresse de Louloûh.[139] — Al-Malik al-Mo'aththam Abou’l Hasan 'Ali, fils du khalife an-Nasir, mourut cette année; quand les souverains des provinces (de l'empire ayyoubide) reçurent la nouvelle de son décès, ils firent célébrer des services funèbres, et ils y assistèrent, revêtus d'habits de deuil, pour rendre hommage à la majesté du khalife.
Al-Malik al-Kâmil envoya son fils al-Malik al-Massoud-Salah ad-Din Yousouf dans le Yémen. Ce prince partit d'Egypte à la tête d'une nombreuse armée et se dirigea vers ce pays dont il s'empara. Il y vainquit al-Malik ath-Mothaffar-Takî ad-Din Omar ibn Shâhânshâh ibn Nadjm ad-Din Ayyoub, le fit prisonnier, et l'envoya sous bonne garde en Egypte. Al-Malik al-Mothaffar resta au Caire jusqu'en l'an 647, époque à laquelle il alla combattre à al-Mansoura et il y fut tué devant l'ennemi. Al-Malik al-Massoud resta souverain du Yémen. — Al-Malik al-'Adil revint de Syrie au Caire. Quand on lui dit comment al-Malik al-Massoud était allé faire une expédition dans le Yémen, ce prince blâma son fils al-Kâmil de l'y avoir envoyé, parce qu'il avait agi sans avoir reçu aucun ordre de lui. — Il ordonna de bâtonner et d'enchaîner le kadi al-A'azz ; ce personnage fut emprisonné dans la citadelle de l'Ile (de Raudah), puis on le transféra dans la citadelle de Bosra, où il fut détenu. — Cette même année, al-Malik al-'Adil envoya ses biens, ses trésors et ses enfants à Karak. — On abolit la ferme des vins et du kiyan (?) — Le shérif Kattâda, émir de la Mecque, vint assiéger la ville de Médine et coupa un grand nombre de palmiers; l'émir de Médine était à cette époque en Syrie auprès d'al-Malik al-'Adil. Le sultan d'Egypte envoya une armée sous son commandement, et l'émir de Médine se mit en marche, mais il mourut en route, et son neveu Hamad ibn Kasim prit le commandement de l'armée, marcha sur la Mecque et livra bataille aux habitants de cette ville. Kattâda s'enfuit à Yanbo, tandis que Hamad s'emparait d'un butin considérable; il poursuivit ensuite Kattâda et l'assiégea dans Yanbo.
Cette même année, moururent Takî ad-Din al-Kabîr, cheikh du monastère Sa'id as-So'ada, au mois de Moharram, et Anba-Sourous ibn Abi Ghâlib, patriarche des Jacobites, le Jeudi, jour de la fête de l'Epiphanie de l'année 732 des Martyrs, date correspondante au 14e jour de Ramadhan ; il avait exercé le patriarcat durant 26 ans, 11 mois et 13 jours. Ce personnage commença par faire du commerce dans le Yémen et un jour il fit naufrage; on apprit qu'il n'avait pu sauver que sa personne. Il avait alors en sa possession une somme d'argent qui appartenait aux enfants d'al-Habbâb, et ces personnes considérèrent leur bien comme perdu (quand ils apprirent cette nouvelle). Quand Anba-Sourous [revint en Egypte] et qu'il se retrouva avec eux, il leur apprit que leur argent avait été sauvé, parce qu'il l'avait placé dans des pièces de bois creuses qu'il avait clouées dans le navire, et il le leur rendit. Les fils d'al-Habbab en conçurent un vif attachement pour lui. Au bout d'un certain temps, le patriarche Markos, fils de Zara, étant venu à mourir, Anba-Sourous parla d'élever au trône patriarcal Abou Yasir (?), qui demeurait à 'Adaviyya;[140] mais les fils d'al-Habbab l'engagèrent vivement à se mettre sur les rangs ; Anba-Sourous en parla à ses amis qui l'encouragèrent dans cette intention ; c'est ainsi qu'il arriva à cette dignité. Quand il fut nommé patriarche, il avait une fortune de dix-sept mille dinars égyptiens, qu'il dépensa tout entière pendant son patriarcat en aumônes aux pauvres, et à refréner les abus des moines et des prêtres; pendant ce temps aucun de ces gens ne mangea le pain des Chrétiens, qu'il fût petit ou grand, et n'en tira de présents. Le prêtre David (Daoud), fils de Jean (Yohanna), surnommé Ibn Laklak, qui était originaire du Fayoum, était lié avec Nasv-al-Khilafah Abou’l Foutouh ibn al-Mikat, chef des bureaux des services de l'armée [Katib-al-djouyoush] d'al-Malik al-'Adil; il accompagnait le patriarche dans ses voyages et vivait dans son intimité. Quand mourut Anba-Sourous, Abou’l Fotouh demanda à al-Malik al-'Adil de nommer patriarche le prêtre David; le sultan consentit à cela et lui écrivit un diplôme d'investiture sans qu'al-Malik al-Kâmil le sût. — Au mois de Djoumada premier, al-Malik al-'Adil destitua Zaki ad-Din ath-Tahiri ibn Mohyî ad-Din Mohammad ibn 'Ali-al-Karshi de la charge de kadi de Damas, et il chargea Djémal ad-Din 'Abd-as-Samad ibn Mohammad ibn Abou’l Fadl-al-Khorastani de la suppléance de la charge de kadi de cette ville ; ce personnage avait alors 92 ans. — Cette année, un individu vint d'Orient au Caire avec un âne qui avait une bosse comme un chameau. Cet animal dansait en rond et obéissait à tous les commandements de son maître.
Cette année, Bahâ ad-Din ibn al-Homaîzi fut investi de la charge de khâtib (prédicateur) du Caire, le treizième jour du mois de Moharram, et Abou’l Tahir al-Mahalli de la charge de khâtib de Misr. — Le deuxième jour du mois de Safer, al-Malik al-'Adil se rendit du Caire à Alexandrie, il régla les affaires de cette ville, puis il s'en revint au Caire. — Cette même année, Bahâ ad-Din ibn Shaddâd arriva au Caire, venant d'Alep, en qualité d'ambassadeur d'ath-Tahir accrédité auprès d'al-'Adil. Le sultan d'Egypte se trouvait alors au Caire; ath-Tahir tomba malade le vingt-cinquième jour de Djoumada premier et mourut au cours de la vingt-troisième nuit de Djoumada second ; il était âgé de 44 ans et quelques mois et il avait régné à Alep durant trente et un ans. Ce prince avait étudié les traditions et il les avait enseignées à Alep. Il aimait à répandre le sang et était violent. Il gouvernait fort bien son royaume et il a laissé de très bons vers.
Son fils, al-Malik al-’Aziz Ghiyâth ad-Din Mohammad régna après lui; il avait à cette époque deux ans et quelques mois. Al-Malik al-'Adil, dès qu'il apprit la grave maladie dont était atteint al-Malik ath-Tahir, envoya un courrier du Caire à Alep pour avoir de ses nouvelles; c'est ainsi qu'il reçut la nouvelle de sa mort avant tout le monde. Il fit alors venir Ibn-Shaddâd et lui dit : « kadi, ton maître est mort tel jour, à telle heure »; Ibn-Shaddâd s'en retourna alors à Alep.
Cette année les Tatars commencèrent à sortir de leurs pays qui avoisinaient l'Iran. — Le shérif Kasim sortit de Médine et alla faire une expédition contre Djedda. Le shérif Kattâda, émir de la Mecque, marcha contre lui et le battit, le dixième jour du mois de Dhou’lhiddjeh.
Cette année, le cheikh Sadr ad-Din ibn Hamaviyya vint de Bagdad[143] pour répondre à une ambassade qu'al-Malik al-'Adil avait adressée au khalife an-Nasir. — Cette même année, des renforts envoyés par les Francs de Rome et[144] d'autres pays arrivèrent successivement à 'Akkâ; parmi ces renforts se trouvaient plusieurs rois des Francs. Ils violèrent la trêve et résolurent de s'emparer de Jérusalem, ainsi que de toutes les villes du Sahel. Al-Malik al-'Adil marcha sur Nabolos et vint camper à Baîsân.[145] Son fils al-Malik al-Mo'aththam lui demanda dans quel but il s'était mis en marche. Son père l'injuria et lui dit : « Tu as distribué en fief la Syrie à tes Mamlouks et tu as délaissé tous ceux qui m'ont servi. » Les Francs marchèrent contre lui, mais il n'osa pas se porter à leur rencontre à cause du peu de gens qui se trouvaient avec lui. Il recula devant eux jusqu'au défilé de Fik,[146] puis il écrivit aux troupes qui étaient en garnison à Damas de transporter des vivres[147] de Dana à la citadelle, et d'envoyer de l'eau dans les cantons de Dana, de Kasr Hadjdjadj[148] et de Shâghour.[149] Les habitants furent épouvantés, ils implorèrent l'assistance d'Allah, et remplirent les mosquées de leurs supplications. Les Francs marchèrent sur Baïsân dont les habitants-étaient bien tranquilles parce qu'ils pensaient qu'al-'Adil viendrait camper près d'eux. Les Francs saccagèrent cette ville ainsi que toute la province qui en dépendait, et la mirent à feu et à sang. Ils y firent de nombreux prisonniers et s'emparèrent d'un butin si considérable qu'il est impossible de le décrire. Ils envoyèrent des patrouilles de cavalerie dans toutes les directions et certaines d'entre elles arrivèrent à Noua.[150] Les Francs vinrent camper à Bânîâs où ils demeurèrent pendant trois jours, après quoi ils rétrogradèrent.
Les Francs s'en revinrent à Mardj 'Akkâ. Les Musulmans subirent un dommage considérable; les Francs leur firent un grand nombre de prisonniers et s'emparèrent d'un butin considérable; il est impossible de décrire les ravages qu'ils firent par le fer et par le feu. Ils ne restèrent que peu de temps à Mardj 'Akkâ, et ils allèrent ensuite faire une seconde expédition, au cours de laquelle ils saccagèrent Saïda et Shakif; puis, ils s'en revinrent dans leurs états. Tous ces événements se passèrent depuis le milieu du mois de Ramadhan jusqu'au jour de la fête de la rupture du jeûne.
Al-Malik al-’Adil s'en vint camper à Mardj-as-Sofar;[151] il aperçut en chemin un homme qui portait quelque chose et qui tantôt marchait, tantôt s'asseyait. Il lui dit : « Vieillard, ne te hâte point tant et prends garde de te fatiguer! » L'homme lui répondit : « O sultan des Musulmans ! ne te hâte point tant toi-même; car, quand nous te voyons te presser de te rendre chez toi en nous abandonnant aux mains de nos ennemis, comment ne nous hâterions-nous pas, nous aussi ? »
Pendant le temps qu'al-Malik al-'Adil passa à Mardj-as-Sofar, il écrivit aux princes ayyoubides de l'Orient, pour les prier de venir le trouver; le premier de ceux qui répondirent à son appel fut Asad ad-Din Shirkouh, prince de Homs. Ensuite al-'Adil envoya son fils al-Malik al-Mo’aththam 'Isa, avec un détachement de l'armée à Nabolos, pour empêcher les Francs de s'emparer de Jérusalem. Les Francs vinrent alors assiéger la citadelle de Tour, qu'al-Malik al-'Adil avait fait construire ; ils combattirent avec la dernière vigueur la garnison de cette place, et s'emparèrent des ouvrages fortifiés qui l'entouraient. Elle allait tomber en leur pouvoir, quand Allah voulut qu'un de leurs rois fût tué. Les Francs levèrent alors le siège de Tour et se retirèrent à 'Akkâ après être restés devant cette place durant dix-sept jours.
L'année se termina, les Francs se trouvant campés à Mardj 'Akkâ, et al-Malik al-'Adil à Mardj-as-Sofar.
Cette même année, mourut le kadi al-kodât de Damas, 'Abou’l Kasim 'Abd-as-Samad ibn Mohammad ibn Abou’l Fadl ibn 'Ali ibn 'Abd al-Vâhid al-Ansâri al-Khazradji al-'Abbadial Sa'adi al-Dimishki al-Shafe'i Djémal ad-Din ibn al-Khorastâni,[152] le quatrième jour du mois de Dhou’lhiddjeh. Il était né à Damas au commencement de l'un des deux mois de Rabi de l'année 520. — Cette année mourut également le grand émir Badr ad-Din Mohammad ibn Abou’l Kasim ibn Mohammad al-Hakkari; les Francs le tuèrent au siège de Tour. On transporta sa dépouille mortelle à Jérusalem et il fut inhumé dans le tombeau qu'il s'y était fait construire. Et cette année mourut aussi Shodja ad-Din Mahmoud ibn ad-Dabbagh, qui était le bouffon d'al-Malik al-'Adil.
Cette année, les Francs se décidèrent d'un avis unanime à quitter 'Akkâ, à marcher contre l'Egypte et à faire tous leurs efforts pour s'en emparer. Ils mirent à la voile et vinrent mouiller devant Damiette, le mardi, quatrième jour du mois de Rabi premier, date correspondante au deuxième jour du mois de Hazirân, devant la rive de Djîzah, le Nil coulant entre eux et la ville. Il y avait à cet endroit sur le Nil une tour très puissamment fortifiée et dont il n'y avait point moyen de s'emparer. On y avait placé d'énormes chaînes de fer d'une solidité à toute épreuve qui étaient tendues sur le Nil, pour empêcher les navires arrivant de la haute mer de pénétrer en Egypte. Ces chaînes étaient fixées à la seconde tour qui se trouvait en face de la précédente, et ces deux tours étaient remplies de combattants; aujourd'hui l'emplacement sur lequel elles se dressaient à Damiette se nomme Bein-al-Burdjein, « entre les deux tours ».
Les Francs vinrent camper à l'ouest du Nil ; ils entourèrent leur camp d'un fossé et bâtirent un mur tout autour de ce fossé, après quoi ils commencèrent l'attaque de la ville de Damiette. Ils construisirent des machines, de gros navires pour les porter (maremmât) et des tours. Ils s'avancèrent sur leurs vaisseaux jusqu'à la Tour de la Chaîne dans l'espoir de s'en emparer et de se rendre ainsi maîtres de la ville. Al-Malik al-Kâmil fit une sortie avec les troupes qui étaient restées auprès de lui, trois jours après avoir reçu des dépêches par pigeons, cinq jours manquant du mois de Rabi premier. Le sultan donna ordre au gouverneur de la Province occidentale (gharbiyya) de réunir tous les Arabes nomades, et il se mit en marche à la tête d'une nombreuse armée. La flotte appareilla et vint mouiller au-dessous de Damiette; le sultan vint camper dans les environs d'al-'Adiliyya, localité proche de Damiette et envoya un corps d'armée pour empêcher les Francs de traverser le Nil ; chaque jour, ce prince montait à cheval et se rendait plusieurs fois d’Adiliyya à Damiette pour diriger la défense et pour jouer toutes sortes de tours aux Francs. Ceux-ci continuèrent l'attaque de la Tour de la Chaîne, mais ils ne purent réussir à s'en emparer ; leurs maremmes furent brisées, ainsi que les machines de guerre qu'elles portaient. Les choses restèrent dans cet état durant ces quatre mois. Al-Malik al-'Adil fit venir régiment par régiment l'armée de Syrie à Damiette, pour que al-Kâmil eût sous la main le plus grand nombre de troupes possible. Sur ces entrefaites, on reçut la nouvelle que Kaï-Kâous, le sultan seldjoukide du pays de Roum, s'était mis en marche et qu'il se dirigeait vers la Syrie, comme il en était convenu avec al-Malik as-Sâlih, prince d'Amid, et avec d'autres princes de Syrie ; on apprit qu'il était arrivé à Manbadj, qu'il s'était emparé de Tell Bachir[153] qu'il avait convenu avec al-Malik al-Afdal Ali, fils de Salah ad-Din de lui donner toutes les villes qu'il conquerrait. Mais le Seldjoukide ne tint pas la parole donnée, et il mit dans les places dont il s'était emparé des officiers pour y gouverner en son nom. Cette manière d'agir détacha de son parti un grand nombre de personnes. Les Arabes, avec un détachement de l'armée, l'attaquèrent; ils lui firent un grand nombre de prisonniers et s'emparèrent de beaucoup de butin. Le sultan du pays de Roum s'en retourna alors dans ses états sans avoir réussi dans son entreprise.
Pendant ce temps, al-'Adil était campé à Mardj-as-Sofar et il s'occupait activement de se défendre contre les Francs ; c'est là qu'il reçut la nouvelle que les Francs s'étaient emparés de la Tour de la Chaîne à Damiette. Le sultan soupira profondément et se frappa la poitrine d'un air désespéré; il tomba malade sur le champ et rétrograda de Mardj-as-Sofar à 'Alikain.[154] Sa maladie s'aggrava et il rendit le dernier soupir le jeudi, septième jour du mois de Djoumada second. Ses officiers cachèrent sa mort et dirent : « Le médecin a donné au sultan le conseil de se rendre à Damas pour s'y soigner ». On le transporta alors dans une litière fermée ; son eunuque et son médecin montés à cheval, marchaient à côté de la litière, et le grand échanson préparait des breuvages qu'il portail à l'eunuque pour que le sultan les bût. La foule se laissa prendre à ce manège et tout le monde crut que le sultan était vivant, jusqu'au moment où on le fit entrer dans la citadelle de Damas. C'était dans cette forteresse que se trouvaient les trésors du prince, ses femmes et toute sa famille. La mort du sultan fut annoncée au peuple après que son fils al-Malik al-Mo'aththam eut pris possession des richesses qui se trouvaient dans la citadelle, ainsi que des objets mobiliers. Al-Malik al-'Adil fut inhumé dans la citadelle.
Les habitants de Damas se livrèrent à tous les désordres, et cela dura jusqu'au moment où al-Malik al-Mo'aththam monta à cheval; le tumulte s'apaisa et on cria dans la ville : « Implorez la miséricorde d'Allah pour notre seigneurie sultan al-Malik al-'Adil et priez pour votre sultan al-Malik al-Mo'aththam; qu'Allah lui accorde un long règne ! » Les gens pleurèrent abondamment et ils ressentirent une vive douleur de la mort d'al-'Adil.
Al-Malik al-'Adil était né au mois de Moharram de l'année 540 ou, suivant d'autres personnes, de l'an 538, à Damas. Il avait étudié les traditions musulmanes avec al-Salafî et Ibn 'Aouf. Il avait combattu avec le plus grand courage à Damiette, en l'an 565, sous le règne du khalife al-'Adid, ainsi que dans la ville d’Akkâ. Il régna sur Damas en l'an 592 et en fut souverain durant 23 ans; il devint ensuite sultan en Egypte en l'an 596. La durée de son règne dans ce pays fut de 19 années, un mois et 19 jours. Le nombre de ses enfants fut de 19 garçons, sans compter les filles. C'étaient :
Al-Malik al-Avhad-Nadjm ad-Din Ayyoub, prince de Khilât, homme extrêmement petit, mais très attentif aux affaires de l'état et très courageux. Il aimait à répandre le sang et mourut pendant le règne de son père.
Al-Malik al-Fâiz-Ibrahim et al-Malik al-Moughith 'Omar, qui moururent également tous les deux avant leur père. Omar laissa un fils nommé al-Malik al-Moughith-Schihâb ad-Din Mahmoud, qui fut élevé par son oncle al-Malik al-Mo'aththam 'Isa.
Al-Malik al-Djarrâd-Chams ad-Din Maudoud, qui mourut également sous le règne de son père, laissant un fils nommé Mothaffar ad-Din Younis, qui resta auprès de son oncle al-Malik al-'Adil, en Egypte. Il devint ensuite prince de Damas et d'autres villes. C'était un homme généreux et brave.
Al-Malik al-Kâmil Nasir ad-Din Mohammad, qui fut sultan d'Egypte.
Al-Malik al-Mo'aththam Sharaf ad-Din Abou’l Ghanaim ‘Isa, prince de Damas; ces deux derniers princes étaient frères utérins.
Al-Malik al-’Aziz 'Imad ad-Din 'Othman, prince de Banias. C'était un prince courageux et actif.
Al-Malik al-Amdjad-Madjd ad-Din Hasan ; il mourut à Jérusalem sous le règne de son père, et il fut inhumé dans son medréceh qu'il avait fait construire dans cette ville ; dans la suite son corps fut transporté à Karak.
Al-Malik al-Ashraf-Mothaffar ad-Din Moussa, prince des provinces orientales et de Khilât, après son frère al-Malik al-Avhad.
Al-Malik al-Mothaffar-Schihâb ad-Din Ghazi, prince de Mayyafarikîn, et ses deux frères utérins, al-Malik al-Mo'izz Modjîr ad-Din Yakoub et al-Malik al-Kahir-Bahâ ad-Din Tadj-al-Molouk-Ishak.
Al-Malik as-Sâlih 'Imad-ad-Din Ismâ’îl, prince de Bosra; il devint par la suite souverain de Damas.
Al-Malik al-Mothaffar-al-Fadl-Kotb ad-Din Ahmad, qui mourut en Egypte, sous le règne de son frère al-Malik al-Kâmil, dans le Fayoum ; on transporta son corps dans un cercueil au Caire au milieu du mois de Redjeb de l'an 618.
Al-Malik al-Amdjad-Takî ad-Din Abbas, leur cadet, qui naquit en l'an 603 et qui mourut après eux à Damas, en l'an 669, sous le règne d'al-Malik ath-Tahir-Baybars.
Al-Malik al-Hâfith-Nour ad-Din Arslan, prince de la citadelle de Dja'bar.
Al-Malik al-Kahir-Bahâ ad-Din Khidr.
Al-Malik al-Moughith Schihâb ad-Din Mahmoud.
Al-Malik an-Nasir-Sakh ad-Din Khahl.
Il eut pour vizir durant son règne, un court espace de temps, Abou Sa'id ibn Abi-'l Yaman ibn al-Khâl; ce personnage était un chrétien qui abjura le Christianisme entre les mains d'al-'Adil, après que ce prince fut revenu en Egypte avec al-Afdal 'Ali ibn Salah-ad-Din, en l'an 582. Après la mort d'Abou Sa’id, le sultan prit pour vizir le sahib Safi ad-Din 'Abd-Allah ibn Shakir-al-Demin. Ce dernier sut dominer l'esprit du sultan et il acquit un grand pouvoir sur lui, traitant durement les plus grands personnages et les grands fonctionnaires (koutiab), de l'état, allant jusqu'à s'emparer de leurs fortunes. Le kadi al-Ashraf, fils du kadi al-Fadil, s'enfuit du Caire pour se soustraire à sa colère et se rendit à Bagdad, où il demanda au khalife al-Nasir d'intercéder en sa faveur. Le khalife écrivit à al-'Adil une lettre dans ce sens. 'Alam ad-Din ibn Abi-'l Hadjadj, titulaire du ministère (Sahib-divan) de la guerre, et al-As'ad ibn Mammati, titulaire du ministère des finances, s'enfuirent pour la même raison à Alep. Al-Malik ath-Tahir, qui régnait alors dans cette ville, les traita avec les plus grands honneurs, et ils restèrent tous les deux auprès de ce prince jusqu'à leur mort. Le vizir Safi ad-Din tyrannisa aussi les Bènou-Hamdan, les Bènou Habbâb, les Bènou al-Halis, les principaux employés de la chancellerie, les mostaufis; al-Malik al-'Adil ne s'y opposait pas, et ne l'empêchait en rien d'agir ainsi. Un jour, en l'an 607, le vizir alla jusqu'à s'emporter avec violence contre le sultan et jura qu'il ne resterait pas plus longtemps à son service. Al-Malik al-'Adil le chassa alors d'Egypte en lui laissant emporter tous ses biens et emmener ses femmes ; le tout formait la charge de trente chameaux. Ses ennemis conseillèrent à al-'Adil de confisquer ses biens; mais celui-ci ne voulut point y consentir. Le vizir se rendit à Amid, et demeura auprès d'al-Malik as-Sâlih ibn Ortok.
Al-Malik al-'Adil prit alors comme vizir le kadi al-A'azz Fakhr ad-Din ibn Mikdâm ibn Shakr ; mais, en l'an 612, il le punit sévèrement, le fit frapper de coups et enchaîner; puis il le bannit d'Egypte. Il ne donna ensuite sa place à personne.
Il est à remarquer qu'al-Malik al-Afdal 'Ali, fils de Salah ad-Din Youssouf, ne posséda aucun royaume, que son oncle al-'Adil ne le lui ait enlevé. La première fois, les choses se passèrent ainsi : son père [Salah ad-Din] lui avait donné à titre de fief les villes de Harrân, d'ar-Rohâ et de Mayyafarikin, en l'an 586 ; le prince s'était mis en marche pour s'y rendre, et il était arrivé à Alep, quand son père lui donna l'ordre de revenir et envoya al-Malik al-'Adil prendre possession de ces villes. Après la mort de son père, al-Afdal régna sur Damas; mais al-'Adil la lui enleva également. Après ces événements, il régna sur l'Egypte, et al-'Adil vint encore une fois lui en enlever la souveraineté. Il alla ensuite régner à Sarkhad, et de nouveau al-'Adil lui prit cette ville; il lui donna en échange la citadelle de Nadjm et la ville de Saroûdj; puis il lui fit rendre ces deux places.
Quand ses états se furent ainsi étendus, al-'Adil les divisa entre ses enfants, de telle sorte que lui et ses fils rognaient depuis Khilât jusqu'au Yémen….[155] Il laissa une fortune immense dont une partie était dans le trésor dont s'empara son fils, al-Malik al-Mo'aththam·. Ce trésor contenait 700.000 dinars égyptiens ; il y avait en plus à Karak des sommes d'argent sur lesquelles al-Mo'aththam mit également la main.
Al-Malik al-Mo'izz s'établit dans le camp en face de Damiette et cacha avec soin la mort de son père, de peur des Francs.
Ce fut le sixième des souverains d'Egypte. Il prit les rênes du pouvoir après la mort d'al-'Adil, comme ce prince l'avait décrété durant sa vie, au mois de Djoumada second de l'année 615. Quand il apprit la mort de son père, al-Kâmil se trouvait alors au camp d'Adiliyya occupé à combattre les Francs, qui s'étaient emparés de la rive occidentale de l'Egypte. Il avait déjà dépensé, pour la tour et la digue, plus de 70.000 dinars. Al-Malik al-Kâmil avait fait établir, pour remplacer les chaînes qui barraient le Nil, une grande digue, de façon à empêcher les Francs de le traverser, mais les Francs l'attaquèrent avec la dernière violence et parvinrent à couper la digue. Al-Malik al-Kâmil ordonna alors de couler à fond plusieurs navires dans le Nil pour empêcher les Francs de naviguer sur le fleuve. Les Francs changèrent de route et ils se dirigèrent vers le canal qui est connu sous le nom d'al-Azrak, et dans lequel le Nil avait coulé autrefois. Ils le creusèrent très profondément et y firent couler l'eau jusqu'à la Méditerranée; leurs vaisseaux remontèrent ce canal jusqu'aux environs de Boura,[157] localité qui se trouve dans le canton de Bohaïra et de Damiette, en face du camp d'al-Malik al-Kâmil, afin de l'attaquer en cet endroit. Quand les Francs furent installés à Boura, ils attaquèrent al-Kâmil par le fleuve et ils renouvelèrent à plusieurs reprises leur tentative, mais sans pouvoir remporter aucun avantage sur ce prince. Cette attaque des Francs ne causa aucun dommage à la population de Damiette, parce qu'elle ne l'empêchait point de recevoir des renforts et des approvisionnements ; en effet le Nil coulait entre cette ville et les Francs. Les portes de la ville restaient ouvertes et il n'y avait aucune gêne ni aucune incommodité pour les habitants de cette ville.
Quand la nouvelle de la mort du sultan al-Malik al-'Adil arriva à l'armée, une sédition éclata contre al-Malik al-Kâmil. Les Arabes se mirent en insurrection sur les frontières de l'Egypte et causèrent beaucoup de désordres. Sur ces entrefaites, l'émir ‘Imad ad-Din Ahmad, fils de l'émir Saïf ad-Din Abou’l Khaïr 'Ah ibn Ahmad-al-Hakkarî, connu sous le nom d'Ibn al-Mashtoûb, s'insurgea également. C'était un des plus célèbres émirs; il commandait un important corps de kurdes Hakkariens, qui reconnaissaient son autorité et lui obéissaient passivement. Avec tout cela, il jouissait d'une grande considération auprès des princes ayyoubides, qui le traitaient comme leur égal. C'était un homme connu par ses vastes projets, par son extrême bonté, sa générosité et son courage à toute épreuve ; les princes le craignaient beaucoup, et plusieurs de ses révoltes étaient restées célèbres. Le père d'Ibn al-Mashtoûb possédait au moment de sa mort la ville de Nabolos en fief; le sultan Salah ad-Din Youssouf ibn Ayyoub assigna un tiers des revenus de cette ville pour l'administration des affaires de Jérusalem, et il donna le reste en fief à son fils Imad ad-Din. Durant tout le règne de Salah-ad-Dîn, cet émir ne cessa pas de jouir d'une haute considération.
Il s'entendit alors avec plusieurs émirs Kurdes et les troupes pour renverser al-Malik al-Kâmil et pour mettre à sa place sur le trône al-Faïz-Ibrahim, de façon à être les véritables maîtres de l'empire. L'émir Izz ad-Din al-Hamidi, l'émir Asad ad-Din al-Hakkan, l'émir Moudjahid ad-Din et plusieurs autres émirs embrassèrent son parti. Quand al-Malik al-Kâmil apprit leur dessein, il pénétra chez eux; ils se trouvaient alors tous réunis, ayant devant eux un Coran sur lequel ils avaient prêté serment à son frère al-Faïz. Dès qu'ils aperçurent al-Kâmil, ils prirent la fuite et se dispersèrent ; mais celui-ci craignit quelque attentat de leur part et sortit.
Sur ces entrefaites, arriva Safi ad-Din ibn Shakir qui venait d'Amid. Al-Kâmil l'avait prié de revenir après la mort de son père, al-'Adil; il se rendit au-devant de lui, lui témoigna beaucoup de considération, et il convint avec lui de ce qu'il était urgent de faire contre les émirs qui l'avaient trahi.
Le sahib l'encouragea et l'assura qu'il saurait trouver de l'argent et mettre ordre aux affaires. Comme la nuit était venue, al-Kâmil se rendit avec une faible escorte du camp d’Adiliyya à Ashmoûm-Tannâh,[158] où il campa. Au matin, l'armée s'aperçut que le sultan était parti. Chacun s'en alla alors suivant son bon plaisir, sans s'occuper de ses compagnons : les soldats abandonnèrent leurs bagages, leurs tentes, leurs biens, leurs armes et n'emportèrent que ce qu'ils pouvaient facilement transporter. Les Francs s'empressèrent alors de traverser le Nil et de pénétrer sur le territoire de Damiette, étant sûrs de ne rencontrer ni obstacle ni résistance; ils s'emparèrent de tout ce qui se trouvait dans le camp des Musulmans : il y avait là un nombre incalculable de choses. Cet événement arriva le vingt et un du mois de Dhoû’lka’dah. Les Francs étaient venus camper devant Damiette le mardi deuxième jour du mois de Rabi premier, de l'an 615, et ils s'établirent sur la rive orientale, où se trouvait la ville de Damiette, le mardi, sixième jour du mois de Dhoû’lka’dah de 'l'année 616.
C'est ainsi que les Francs arrivèrent à Damiette pendant qu'al-Malik al-Kâmil pensait un instant à abandonner l'Egypte. Mais ce prince ne larda pas à reprendre courage; l'armée revint auprès de lui et, deux jours après, arriva son frère al-Malik al-Mo'aththam ’Isa, prince de Damas. Al-Kâmil se trouvait encore dans son campement d'Asmoum, le douzième jour du mois de Dhoû’lka’dah. Al-Mo'aththam fit reprendre courage à son frère, qui lui apprit la conduite d'Ibn al-Mashtoub. Al-Mo'aththam lui promit qu'il saurait bien le débarrasser de ce personnage ; il se rendit immédiatement à cheval à la tente d'Ibn al-Mashtoub, et il lui intima l'ordre de venir se promener avec lui. L'émir lui demanda d'attendre qu'il se fût habillé; mais le prince n'y voulut point consentir et ne lui donna pas de répit. Ibn al-Mashtoub monta à cheval avec al-Mo'aththam 'Isa, sans se douter du but de cette excursion, et il marcha à côté de lui jusqu'à ce qu'ils fussent sortis du camp et s'en trouvassent assez éloignés. Al-Mo'aththam se tourna alors vers l'émir, et lui dit : « Eh bien ! 'Imad-ad-Din, ces pays que voici sont à toi, il faut que tu nous les donnes ! » Il lui remit une somme d'argent et il le confia à la garde de quelques-uns de ses soldats dans lesquels il avait toute confiance et qu'il avait préparés à cette aventure. Il leur ordonna de surveiller attentivement l'émir jusqu'à ce qu'il fût sorti du Raml, et de ne pas le perdre de vue un seul instant jusqu'à son arrivée en Syrie. Ibn al-Masthoub ne put résister, ni revenir en arrière, car il était absolument seul au milieu des gens d'al-Mo'aththam, qui l'accompagnèrent jusqu'en Syrie dans cet état. Ibn al-Mashtoub arriva à Hainâh auprès d'al-Malik al-Mansour, ayant avec lui quatre serviteurs.[159]
Quand al-Mashtoub fut parti, al-Mo'aththam retourna auprès de son frère al-Kâmil, et il ordonna à son frère al-Faïz de se rendre auprès des princes ayyoubides de Syrie et des provinces orientales, en qualité d'ambassadeur d'al-Malik al-Kâmil et de leur ordonner d'envoyer les troupes de l'Islam pour délivrer Damiette et l'Egypte du joug des Francs, ΑΙ-Kâmil écrivit une lettre à al-Ashraf, le Shâh-i-Armin pour le prier de venir le plus vite qu'il pourrait auprès de lui. Al-Malik al-Fâïz se mit en route; le dessin d'al-Malik al-Kâmil et d'al-Mo'aththam était de l'éloigner de l'Egypte. Il se rendit à Damas, puis revint de là à Hamâh, et, de cette ville, il se rendit en Orient. Quand l'autorité d'al-Kâmil fut bien reconnue et qu'il put gouverner son royaume à sa guise, al-Malik al-Mo'aththam le quitta.
Les Francs entouraient Damiette du côté de la terre et du côté de la mer, et en faisaient le blocus. Ils réduisirent la population de la ville à la dernière extrémité, en empêchant les vivres d'arriver jusqu'à elle. Ils creusèrent tout autour de leur camp qui enserrait Damiette, un fossé sur le bord duquel ils élevèrent un mur. Les habitants persistèrent avec le plus grand courage, et Allah leur fit prendre leurs maux en patience; ils demeurèrent fermes, quoiqu'ils eurent à souffrir d'une grande pénurie et que le prix des denrées fût extrêmement élevé.
Al-Malik al-Ka.mil se décida à attaquer les Francs qui étaient entre lui et Damiette. Aucune des personnes qui se trouvaient auprès du sultan n'avait pu pénétrer dans la ville, à l'exception toutefois d'un de ses djandars. Cet homme était venu au Caire, d'un des villages qui dépendent de Hamâh nommé Shamâil; il finit par faire partie de l'escorte du sultan en qualité de djandar. Cet homme traversa le Nil à la nage, en exposant mille fois sa vie, au milieu des navires francs qui couvraient le fleuve, et sans qu'ils s'en aperçussent. Il pénétra ainsi dans Damiette et rapporta au sultan des nouvelles de la population de cette ville; son arrivée rendit le courage aux défenseurs de la place, et il leur promit que des renforts ne tarderaient pas à arriver; cet acte de courage lui valut les bienfaits d'al-Malik al-Kâmil qui lui donna un avance ment rapide et qui le nomma émir djandar et exécuteur des hautes œuvres.[160] Il le nomma également gouverneur du Caire et lui attribua les revenus de Shamâil. Il y avait alors dans Damiette un émir nommé Djémal ad-Din ibn al-Kanânî qui composa une pièce de vers qu'il envoya au sultan al-Malik al-Kâmil attachée à une flèche de bois…
Quand le sultan eut terminé la lecture de ces vers, il ordonna que les habitants du Caire et de Misr se réunissent pour marcher à la guerre contre les Francs. L'année se termina, les choses étant dans cette situation.
Cette même année, al-Malik al-Ghâlib Kaï-Kâous, fils de Kaï-Khosrav, fils de Kilidj Arslan, souverain [seldjoukide] du pays de Roum, pria al-Malik al-Afdal-Nour ad-Din Ali, fils du sultan Salah ad-Din Yousouf, de venir le trouver. Le prince ayyoubide se trouvait à Soumaïsath, où il faisait réciter la khotba au nom d'al-Malik al-Ghâlib. Quand il fut arrivé, le sultan du pays de Roum lui prodigua toutes les marques d'honneur, et lui donna une somme considérable en argent, en chevaux, en armes et en autres objets. Les deux princes s'engagèrent par serment à attaquer le royaume d'Alep, et à le conquérir, à cette condition qu'al-Malik al-Ghâlib donnerait Alep à al-Malik al-Afdal, ainsi que toutes les places dont il s'emparerait, mais qu'en revanche on y ferait la khotba et qu'on y frapperait la monnaie au nom du souverain seldjoukide du pays de Roum, et qu'al-Afdal se reconnaîtrait comme son vassal.[161] Quand ce pacte eut été conclu, ils se mirent en marche vers les provinces orientales, s'emparèrent de Harrân, d'ar-Rohâ ainsi que d'autres villes. Les deux souverains marchèrent ensuite sur Ra'bân,[162] s'en emparèrent et al-Malik al-Afdal en prit possession. Les habitants de cette ville se rendirent à al-Malik al-Ghâlib par suite de l'affection qu'ils ressentaient pour al-Afdal. Ils continuèrent leur marche et arrivèrent devant la citadelle de Tell-Bachir qu'ils assiégèrent et dont ils s'emparèrent. Mais le sultan du pays de Roum ne la remit point, comme il avait été convenu, à al-Afdal, et il y plaça au contraire un naïb pour y gouverner en son nom. Cela détermina al-Afdal à abandonner le parti du sultan, et son amitié pour le Seldjoukide se refroidit beaucoup; il comprit que c'était là le commencement de la défection de son allié ; la population du pays se détourna également du parti du sultan de Roum. Les habitants d'Alep se préparèrent à la résistance, et ils appelèrent à leur secours al-Malik al-Ashraf qui campait près du lac de Kods, en face des Francs; ce prince arriva à Alep à la tête de ses troupes; les Arabes de la tribu de Tai et d'autres vinrent devant Alep. Al-Afdal conseilla à al-Malik al-Ghâlib de marcher sur Manbadj ; le sultan se dirigea vers cette ville, mais les Arabes tombèrent sur son avant-garde et la dispersèrent. Les Arabes, aidés des troupes d'al-Ashraf, lui firent de nombreux prisonniers. Cette défaite détermina le sultan du pays de Roum à rentrer dans ses états; al-Ashraf alla ensuite s'emparer de Ra'bân et de Tell-Bachir. Cette même année,[163] mourut al-Malik al-Kâhir 'Izz ad-Din Massoud ibn Arslan-Shâh ibn Massoud ibn Maudoud ibn 'Imad ad-Din Zangui ibn Ak-Sonkor, prince de Maûsil, le vingt-septième jour du mois de Rabi premier. Il avait régné sur Maûsil durant sept ans et neuf mois. Après lui, régna son fils Nour ad-Din Arslan-Shâh qui avait 20 ans. Ce fut l’émir Badr ad-Din Loulou l’atabek qui exerça la régence; le khalife an-Nasir reconnut Nour ad-Din comme souverain et Loulou comme atabek.
Cette année, al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din Mahmoud ibn al-Mansour-Mohammad ibn Omar ibn Shâhânshâh ibn Ayyoub, prince de Hamâh, arriva au secours d'al-Malik al-Kâmil avec une armée considérable; il était accompagné de l'eunuque Mourshid-al-Mansourî. Le sultan alla au devant de ce prince, lui témoigna les plus grands égards et le fit asseoir à sa droite ; c'était la place qui était réservée à son père et à son aïeul chez le sultan Salah ad-Din Yousouf.
Al-Malik al-Fâïz-Ibrahim, fils d'Al-Malik al-'Adil arriva auprès de son frère al-Ashraf-Moussa,[164] venant en qualité d'ambassadeur de la part de leur frère al-Kâmil, pour lui demander du secours contre les Francs. Al-Ashraf le reçut très affectueusement et le retint auprès de lui. C'était le seul but qu'on avait cherché en le faisant sortir d'Egypte.
Cette même année, les Francs continuèrent avec acharnement leur lutte contre Damiette. Cette place avait une garnison d'environ 20.000 combattants qui étaient décimés par les maladies ; de plus, les vivres atteignirent un prix si élevé qu'un œuf de poule se vendait plusieurs dinars. Les rues étaient jonchées de cadavres ; les vivres vinrent à manquer complètement, le sucre se fit aussi rare que le rubis, et l'on ne trouva plus de viande. Cette situation se prolongea jusqu'au moment où il ne resta plus à la population que très peu de froment et d'orge. Les Francs donnèrent alors l'assaut à la ville et montèrent sur les murailles ; ils s'emparèrent ainsi de la ville, cinq jours restant du mois de Chaban ; le siège avait duré seize mois et vingt-deux jours.
Quand les Francs se furent emparés de Damiette, ils massacrèrent la population ; le nombre des victimes fut tellement considérable qu'on ne put savoir au juste combien d'habitants avaient péri dans ce massacre. Deux jours après cet événement, le sultan se mit en marche, et vint camper en face de Talakhâ,[165] qui se trouvait à l'intersection du bras de Damiette et du bras d'Ashmoum. Il fit établir son camp dans une localité que l'on nomme al-Mansourah.[166] Les Francs fortifièrent les murs de Damiette et transformèrent les mosquées de cette ville en églises; ils envoyèrent des détachements de cavalerie dans les villages environnants pour massacrer les habitants ouïes faire prisonniers; ils causèrent ainsi un mal inouï. Le sultan fit alors venir des officiers qu'il envoya dans toutes les directions; ils allèrent dans tous les pays implorer le secours des peuples pour délivrer la terre d'Egypte des mains des Francs.
Le sultan al-Malik al-Kâmil s'occupa de faire construire des maisons, des magasins, des bains et des marchés dans le campement d'al-Mansourah. Les Francs envoyèrent par mer leurs prisonniers musulmans à Akkâ et sortirent de Damiette dans l'intention de s'emparer de Misr et du Caire. Ils vinrent camper en face du sultan qui était établi à al-Mansourah, les deux bras d'Ashmoum et de Damiette les séparant de l'armée musulmane. Les Francs étaient au nombre de 200.000 hommes de pied et 10.000 cavaliers ; le sultan envoya une escadre de cent voiles devant al-Mansourah, pendant que les habitants du Caire, de Misr et des autres provinces situées entre le Caire et Assouan, s'assemblaient. L'émir Hosâm ad-Din Yoûnis et le fakîh Takî ad-Din Tahir arrivèrent et firent sortir la population du Caire et de Misr; on sonna de la trompette pour rassembler les gens. On racontait que le roi des Francs avait divisé la terre d'Egypte en fiefs qu'il avait distribués à ses compagnons d'armes.
De plus, les habitants du Rif, dont la puissance était considérable, avaient conçu le projet de s'emparer de l'empire du sultan ; ils tramaient sous main des intrigues contre lui en profitant de ce qu'il était occupé à lutter contre les Francs. L'émir 'Alâ ad-Din Djildak et l'émir Djémal ad-Din ibn Sâiram réunirent tous les hommes qui se trouvaient depuis le Caire jusqu'au Djouf de l'Est. Un nombre très considérable de Musulmans se trouvèrent ainsi réunis, et le Sultan envoya dans les environs de Shârmasâh[167] deux mille cavaliers avec mille Arabes pour qu'ils pénétrassent entre l'armée des Francs et Damiette. La flotte, dans laquelle on comptait de nombreux brûlots, s'avança jusqu'à la tête du canal de Mahalla ; elle était commandée par l'émir Badr ad-Din ibn Hassoûn ; cela empêcha les Francs de recevoir des vivres et de se ravitailler soit par terre, soit par mer. Les Musulmans reçurent des secours de Syrie et une quantité de Francs vinrent des pays d'outremer pour renforcer ceux qui étaient occupés à Damiette. Cette ville fut bientôt remplie d'une quantité innombrable de leurs troupes. Quand ils se furent tous rassemblés à Damiette, ils sortirent de cette ville dans l'intention d'aller faire la conquête de toute la terre d'Egypte. Le premier corps de secours qui arriva de Syrie aux Musulmans fut amené par al-Malik al-Ashraf-Moussa ibn al-'Adil; al-Malik al-Mo'aththam ’Isa vint ensuite, en plus de ces deux princes arrivèrent les autres rois, à savoir : al-Mansour, prince de Hamâh[168] ; an-Nasir-Salah ad-Din Kilidj-Arslan, al-Moudjahid, prince de Homs; al-Amdjad Bahram-Shâh, prince de Baalbek, et encore d'autres. Quand les Francs apprirent l'arrivée de ces princes, ils furent terrifiés. Ces différents corps de secours commencèrent à arriver le treizième jour du mois de Djoumada second de l'année 66[169] ; et ils se succédèrent jusqu'à ce que le nombre des cavaliers musulmans approchât de quarante mille hommes. Les troupes du sultan attaquèrent les Francs par terre et par mer; elles leur prirent six galères, un croiseur, un vaisseau, et leur firent prisonniers 2,200 hommes; elles leur infligèrent un second échec, et leur enlevèrent trois unités de combat. Les Francs furent profondément affligés de leur défaite et ils se trouvèrent serrés de près dans leur campement ; aussi ils envoyèrent faire des offres de paix au sultan, comme cela sera raconté plus loin, s'il plaît à Allah!
Cette même année, mourut Kotb ad-Din Mohammad ibn ’Imad ad-Din Zangui ibn Maudoud, prince de Sindjar; il eut pour successeur son fils, ‘Imad ad-Din Shâhânshâh. Ce prince fut assassiné par son frère al-Malik al-Amdjad 'Omar. Nour ad-Din Arslan-Shâh, prince de Maûsil, mourut également cette année; après lui, régna l'émir Badr ad-Din Loulou, d'abord comme atabek de son frère Nasir ad-Din Mahmoud ibn al-Kâhir 'Izz ad-Din; il avait trente ans.[170]
Cette même aimée, al-Malik al-Mo'aththam ’Isa ordonna de démanteler Jérusalem dans la crainte que les Francs ne vinssent à s'en emparer. Les murs de la ville furent abattus ainsi que toutes les tours. La tour de David qui se trouvait à l'occident de la ville fut seule respectée ; al-Malik al-Mo'aththam fit sortir de Jérusalem toute la population qui y demeurait, et il n'y resta qu'un très petit nombre de personnes; ce prince fit enlever de Jérusalem les armes et les engins de guerre qui s'y trouvaient. Le démantèlement de Jérusalem fut une chose aussi pénible pour les Musulmans que la prise de Damiette. Al-Malik al-Mo'aththam fit raser de la même façon la forteresse de Thour que son père al-'Adil avait élevée; il la rasa jusqu'à terre et n'en laissa pas subsister un seul pan de mur.
Cette année, le khalife an-Nasir envoya des lettres à tous les princes musulmans pour leur ordonner d'aller porter aide à al-Malik al-Kâmil à Damiette.
Cette année, mourut Izz ad-Din Kaï-Kâous ibn Ghiyâth ad-Din Kaï-Khosrav ibn Kilidj-Arslan ibn Massoud ibn Kilidj-Arslan, souverain de Koniah, après s'être emparé d'Arzan-ar-Roum[171] qu'il enleva à son oncle Thoghril-Shâh ibn Kilidj-Arslan; il avait pris Ankoriâ[172] à son frère Kaï-Kobâd ; il devint sultan du pays de Roum, et son frère 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd lui succéda sur le trône.
Ce fut cette année que les Tatars firent leur première apparition. La contrée qu'ils habitaient était les montagnes de Tamghâdj[173] qui dépendent de la Chine (Sin),[174] montagnes situées entre ce pays et le Turkestan. Cette contrée s'étend sur plus de six mois de chemin. Les Tatars s'emparèrent de la plus grande partie des pays de l'Islam; ils n'avaient point de religion quoiqu'ils connussent un Dieu suprême; mais ils n'obéissaient pas à un code de loi.[175] Ces Tatars s'emparèrent de la Chine; leur roi se nommait Gengis Khan.[176] Ils marchèrent ensuite contre le Turkestan et le pays de Kashgar[177] dont ils s'emparèrent. Après ces événements ils firent une expédition contre le royaume du sultan 'Alâ ad-Din Mohammad, fils du Kharezmchah Tukush, fils d'Alp Arslan-Mohammad ibn Djaghri-Beg-Daoud ibn Mikâil ibn Seldjouk; ils s'emparèrent de Boukhara[178] et d'autres villes de l'Iran.[179]
L'année commença et se termina, les hostilités continuant entre les Musulmans et les Francs devant Damiette, au camp de al-Mansourah. — Cette même année, les Tatars s'emparèrent de Samarkand,[181] et ils mirent en déroute le sultan 'Alâ ad-Din. Ils s'emparèrent également de Rey, d'Hamadhan, de Kazwin,[182] et firent la guerre aux Géorgiens.[183] Ils conquirent le Ferghana,[184] Termid,[185] le Khwarezm,[186] le Khorasan, Merv, Nichapour, Tous, Hérat et Ghazna.[187] — Cette année, al-Malik al-Ashraf-Moussa ibn al-'Adil s'empara de Mardîn et de Sandjâr.
Cette même année, mourut al-Malik al-Mansour-Nasir ad-Din. Mohammad ibn 'Omar ibn Shâhânshâh ibn Ayyoub ibn Shâdî, souverain de Hamâh. Ce prince était très versé dans le droit ainsi que dans d'autres sciences, et il reste de bons vers de sa composition. Il mourut au mois de Dhoû’lka’dah, à l'âge de cinquante ans, après en avoir régné trente. Son fils aîné, al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din Mahmoud se trouvait à cette époque dans le camp de son oncle al-Malik al-Kâmil à al-Mansourah, et combattait contre les Francs. Al-Malik an-Nasir-Kilidj-Arslan ibn al-Mansour monta sur le trône de Hamâh; il était alors âgé de dix-sept ans.[188] Cela fâcha vivement al-Mothaffar qui était l'aîné ; aussi ce prince demanda à al-Malik al-Kâmil la permission de s'en retourner à Hamâh, pensant qu'il pourrait se faire reconnaître comme souverain de la ville, puisqu'il était l'héritier légitime d'al-Mansour. Al-Malik al-Kâmil lui ayant accordé la permission qu'il sollicitait, il partit et rencontra dans le Ghaûr al-Malik al-Mo'aththam qui l'intimida en lui défendant d'aller attaquer[189] son frère; aussi al-Mothaffar resta à Damas, puis il s'en retourna auprès d'al-Malik al-Kâmil qui lui donna un fief; cela le détermina à rester auprès de son oncle le Sahib. Cette même année, Safi ad-Din ibn Shakir continua ses persécutions contre les riches marchands et les fonctionnaires de Misr et du Caire; il établit des aumônes forcées sur les biens fonds; la perception de cet argent n'alla pas sans quelques accrocs, mais cela fit des sommes immenses.
Cette même année, les Francs s'acharnèrent encore plus qu'auparavant à se rendre maîtres de l'Egypte; ils résolurent de marcher contre les Musulmans pour les chasser de leur camp et se rendre ainsi maîtres du pays. L'année se termina, les deux armées se trouvant en présence, à la tête du bras d'Ashmoum et du bras de Damiette. — Il y eut une disette en Egypte ; le froment atteignit le prix de trois dinars l’ardeb; ce fut une des années les plus dures que l'on ait vues, et la population de l'Egypte en souffrit beaucoup. — Cette même année mourut à la Mecque le shérif Abou 'Aziz-Kattâda ibn Abou Malik Idris ibn 'Abd-al-Karim ibn 'Isa ibn Hosain ibn Soleïman ibn Abou 'Ali ibn 'Abd-Allah ibn Mohammad ibn Moussa ibn 'Abd-Allah ibn Moussa ibn 'Abd-Allah ibn al-Hasan ibn al-Hosain ibn 'Ali ibn Abou Talib, (qu'Allah soit satisfait de lui !), sultan de la Mecque, dans les derniers jours du mois de Djoumada second, à l'âge de 90 ans. Il avait composé de bons vers. Il était venu plusieurs fois au Caire accompagné de son frère Abou Moussa ’Isa ; il était né et avait été élevé à Yanbo. Après sa mort, son fils Hasan ibn Kattâda régna à la Mecque. Râdjih ibn Kattâda s'insurgea contre lui et intercepta le chemin, à l'époque du pèlerinage entre la Mecque et 'Arafa.[190] Akbâsh, émir du pèlerinage de l’Irak s'empara de lui. Le shérif Hasan envoya à Akbâsh une somme d'argent pour qu'il lui livrât Râdjih ; mais ce dernier promit à l'émir une somme bien plus considérable [s'il le laissait en liberté]. Râdjih [aidé d'Akbâsh] marcha sur la Mecque;[191] mais Akbâsh fut tué, de telle sorte que Râdjih s'enfuit auprès d'al-Malik al-Massoud dans le Yémen. Allah seul connaît la vérité ![192]
Cette année, les forces des Francs s'accrurent de renforts qui leur arrivèrent par mer. Al-Malik al-Kâmil envoya plusieurs ambassadeurs pour solliciter des secours, et les princes arrivèrent auprès de lui avec leurs armées comme cela a été dit plus haut.[193]
La lutte recommença avec une nouvelle ardeur des deux côtés, aussi bien sur terre que sur mer; il y avait tant de Francs et de Musulmans réunis dans cet endroit qu'Allah seul pouvait en savoir le nombre. Le peuple attaqua les Francs avec plus de vigueur que les troupes régulières ; un détachement de l'armée s'avança sur un des canaux dérivés du Nil, dans la partie occidentale (du Delta), qui est connu sous le nom de Bahr-al-Mahalla; ils y livrèrent bataille aux Francs et l'escadre musulmane descendit le Nil pour aller attaquer la flotte franque. Les Musulmans prirent aux Francs trois galères avec leurs équipages et leur armement.
Les Francs envoyèrent alors plusieurs ambassades pour proposer de faire la paix aux conditions suivantes : ils recevraient Jérusalem, Ascalon, Tibériade, Djibala, Laodicée ainsi que toutes les places que le sultan Salah ad-Din avait conquises dans le Sahel. Les princes musulmans consentirent à ces conditions, en exceptant toutefois les deux citadelles de Karak et de Shaûbak. Les Francs ne voulurent point admettre cette restriction et dirent : « Nous ne vous rendrons Damiette que lorsque vous nous aurez donné toutes ces villes ». Al-Malik al-Kâmil consentit encore à cette clause, mais les Francs refusèrent de nouveau et dirent : « Il faut encore que vous nous donniez cinq cent mille dinars pour que nous puissions restaurer les murs de Jérusalem que vous avez rasés, et cela en plus des villes précitées, ainsi que de Karak et Shaûbak ».
Les Musulmans se virent alors dans l'obligation de recommencer la lutte contre les Francs ; un détachement des troupes égyptiennes traversa le bras de Mahalla pour se rendre sur la rive opposée, où se trouvait le camp de l'armée franque, et les soldats pratiquèrent une énorme brèche dans la berge du fleuve. C'était justement l'époque à laquelle la crue atteignait son maximum, car on se trouvait dans la première nuit du mois de Tôt. Les Francs ne connaissaient pas les conditions climatériques de l'Egypte, et ils ignoraient ce qu'était la crue du Nil. Ils ne s'aperçurent de rien jusqu'au moment où l'eau eut submergé la plus grande partie du terrain sur lequel ils étaient campés, et quand les flots leur eurent coupé le chemin de Damiette; il ne leur resta plus d'autre chemin à suivre qu'un sentier très étroit. Le sultan ordonna sur le champ de jeter des ponts de bateaux sur le bras d’Ashmoum-Tannâh. Dès que ces ponts eurent été terminés, les troupes musulmanes traversèrent ce bras du Nil et s'établirent sur le chemin que suivaient les Francs pour se rendre à Damiette. Ils se trouvèrent alors cernés de toutes parts et Allah (qu'il soit exalté!) voulut qu'un grand navire de commerce[194] franc arriva en vue des côtes, il était convoyé par plusieurs petits navires de guerre destinés à le défendre. Tous ces navires étaient remplis de provisions, d'armes et de tous les autres objets dont les Francs avaient besoin. L'escadre musulmane appareilla pour aller joindre cette escadrille et engagea la lutte. Allah fit descendre la victoire sur les Musulmans, qui s'emparèrent du transport de commerce franc, ainsi que des navires de guerre qui le convoyaient.
Cet échec découragea les Francs et les épouvanta. Ils en conçurent une violente humiliation après avoir été si près de triompher des Musulmans; ils virent qu'ils se trouvaient dans une situation presque désespérée, qu'ils ne pourraient échapper à la captivité et que les Musulmans étaient en état de les couvrir de flèches et d'envahir l'endroit sur lequel ils se trouvaient. Ils furent tous d'avis de fondre sur les Musulmans, dans l'espoir de pouvoir parvenir ainsi jusqu'à Damiette. En conséquence, ils brûlèrent leurs tentes et leurs machines de guerre dans l'intention de se ruer tous comme un seul homme sur l'ennemi. Mais ils ne trouvèrent pas de chemin par suite de l'irruption des eaux qui avaient envahi les terres tout autour d'eux; il leur était également impossible de rester dans cette place parce qu'ils n'avaient presque plus de vivres. Ils ne virent alors pas d'autre issue que de demander la paix à al-Malik al-Kâmil ainsi qu'à ses frères, al-Ashraf et al-Mo'aththam, aux conditions suivantes : qu'ils auraient la vie sauve et qu'ils rendraient Damiette sans aucune compensation. Al-Malik al-Kâmil pensait que l'on pouvait traiter à ces conditions, mais l'avis de ses frères était tout différent : ils voulaient qu'on marchât immédiatement contre les Francs et qu'on les anéantît jusqu'au dernier. Al-Malik al-Kâmil craignait qu'en agissant ainsi, les Francs qui restaient dans Damiette se refusassent à la livrer aux Musulmans, et que l'on fût obligé d'assiéger la ville pendant un certain temps. Damiette était entourée d'une enceinte fortifiée presque inexpugnable, et les Francs y avaient fait des ouvrages de défense à l'époque où ils s'en étaient emparés; on ne pouvait savoir si le siège ne serait pas très long et si, pendant ce temps, les princes Francs n'enverraient pas des renforts aux défenseurs de la place pour essayer de venger les grands personnages de leurs nations qui avaient été tués sous ses murs. D'ailleurs, l'armée musulmane aspirait au repos, et la longueur de la guerre l'avait épuisée, car il y avait déjà trois ans et plusieurs mois qu'elle luttait contre les Francs. Al-Malik al-Kâmil ne cessa de faire prévaloir dans le conseil l'idée qu'il fallait accorder une capitulation aux Francs; il fut donc convenu avec tous les rois latins que les Francs enverraient des otages choisis parmi leurs rois et non parmi leurs généraux, et qu'ils seraient retenus jusqu'à la reddition de Damiette. En revanche, les Francs demandèrent que le fils d'al-Malik al-Kâmil demeurât auprès d'eux, comme otage, jusqu'à ce que les leurs fussent revenus après la reddition de la place ; le sultan y consentit et tous les princes, musulmans et francs, se jurèrent d'observer mutuellement ces conditions, le septième jour du mois de Redjeb.
Les Francs envoyèrent ainsi vingt de leurs princes comme otages auprès du sultan; parmi eux se trouvaient Jean, seigneur d’Akkâ, et le légat du Pape; al-Malik al-Kâmil leur envoya son fils al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, qui était âgé à cette époque de quinze ans; le jeune prince était accompagné de plusieurs de ses familiers. Au moment où arrivèrent les princes francs, al-Kâmil tint une grande séance pour leur faire honneur ; les rois ses frères et les membres de sa famille se tenaient devant lui en face de Barmoun, le mercredi, dix-neuvième jour du mois de Redjeb. Les Francs furent étonnés du spectacle magnifique qu'ils eurent sous les yeux et de la splendeur de cette cérémonie. Les prêtres Francs ainsi que leurs moines se rendirent à Damiette pour remettre cette place aux mains des Musulmans qui en prirent possession le mercredi, dix-neuf du mois de Redjeb. Ce même jour un renfort important arriva aux Francs; on dit qu'il se composait de mille (sic) navires. Le retard qui ne les fit arriver qu'après que les Francs eurent rendu Damiette fut un grand bienfait d'Allah! Les Musulmans s'aperçurent en entrant dans la ville que les Francs y avaient fait de tels travaux de fortifications qu'il eût été impossible de s'en emparer par un assaut. Le sultan mil en liberté les otages francs qu'il avait auprès de lui et al-Malik as-Sâlih ainsi que les personnes qui l'accompagnaient revinrent de leur côté. Une trêve fut conclue entre les Francs et les Musulmans pour une durée de huit années, à la condition que des deux côtés on remettrait en liberté les prisonniers qu'on avait faits. Le sultan, ses frères et les rois des Francs jurèrent d'observer cette trêve et les troupes se disloquèrent.
La durée de l'occupation de Damiette par les Francs avait été de un an, dix mois et vingt-quatre jours. Le sultan y fit son entrée avec ses troupes et sa famille; cela provoqua une grande joie et une grande allégresse. Les Francs s'en retournèrent dans leurs états et le sultan revint au Château de la Montagne, le vendredi, douzième jour du mois de Ramadan. Le sahib Safi ad-Din ibn Shakir rentra par le Nil jusqu'au Caire et mit en liberté tous les prisonniers chrétiens qui se trouvaient renfermés dans cette ville. Il y en avait parmi eux qui avaient été faits prisonniers sous le règne du sultan Salah-ad-Din; quant aux Francs, ils rendirent également la liberté aux prisonniers musulmans qui se trouvaient dans leur pays.
Quand les Francs eurent quitté l'Egypte, il arriva que les deux frères d'al-Malik al-Kâmil, al-Malik al-Mo'aththam 'Isa et al-Ashraf-Moussa, vinrent passer une nuit chez lui; al-Ashraf-Moussa ordonna à une de ses jeunes esclaves nommée Sitt-al-Fakhr de chanter, cette personne récita ces deux vers :
Quand le Pharaon d'Akkâ s'en vint en Egypte, accompagné de l'ange de la mort pour y semer la ruine et la désolation, al-Ashraf-Moussa s'avança contre lui, la verge à la main et les engloutit dans la mer, lui et tous les siens.[195]
Al-Ashraf fut enchanté des paroles de la chanteuse et il la pria de répéter ces deux vers; mais al-Malik al-Kâmil en fut blessé et lui ordonna de garder le silence. Il dit à une de ses esclaves de chanter à son tour, ce qu'elle fit en ces termes :
Infidèles, considérez ce qui vient de se passer à notre époque, et vous surtout qui appartenez à la religion d'Isa (Jésus-Christ) : 'Isa et son peuple, Moussa et les siens sont venus porter secours à Mohammad.[196]
Al-Kâmil admira beaucoup ces vers et fit compter cinq; cents dinars à sa chanteuse ainsi qu'à celle de son frère al-Ashraf.
On a dit que cette soirée avait été donnée à al-Mansourah, quand al-Malik al-Kâmil arriva au trône.
Les princes ayyoubides se rendirent alors chacun dans ses états. La joie de la prise de Damiette par les Musulmans fut universelle, et cette heureuse nouvelle se répandit dans toutes les contrées de la terre. — Pendant ce temps, les Tatars avaient organisé leur empire dans l'Est (de l'Asie). — La Syrie et l'Egypte pensèrent être enfin délivrées des misères que les Francs faisaient fondre sur leur population depuis qu'Allah les avait favorisées et avait accordé la victoire à ses esclaves, les vrais croyants, en venant à leur secours après que leur situation eut été désespérée et qu'ils eurent subi une commotion aussi violente. Le sultan al-Malik al-Kâmil reçut de nombreuses adresses qui lui furent envoyées par des poètes; la première fut celle d’Ashraf ad-Din ibn 'Onaîn. Il reçut également un poème du kadi Bahâ ad-Din Zohair ibn Mohammad ibn 'Ali-al-kousi, et ceux d'autres poètes.
Cette même année les Tatars s'emparèrent de Marâgha,[197] d'Hamadan, de l’Azerbaïdjan et de Tauriz. — Cette année, mourut al-Malik as-Sâlih-Nasir ad-Din Mahmoud ibn Mohammad ibn Kara-Arslan ibn Sokmân ibn Ortok, l'Ortokide, prince de Hisn-Keïfa;[198] son fils, al-Malik al-Massoud-Daoud, régna après lui. — Au mois de Dhoû’lka’dah, al-Malik al-Kâmil se rendit du Château de la Montagne chez le sahib Safi ad-Din ibn Shakir qui habitait sur le Canal à Misr; il causa avec lui du projet qu'il avait formé d'éloigner les émirs du parti d'al-Fâiz, qui se trouvaient alors dans le canton de Damiette, occupés à la reconstruction de cette ville. Le sultan leur écrivit qu'ils eussent à sortir d'Egypte et à se retirer là où ils voudraient. Ils se rendirent tous en Syrie, et le sultan ne confisqua rien de ce qu'ils possédaient. Les troupes qu'ils commandaient furent versées dans les Mamlouks du sultan.
Cette même année, moururent Amin ad-Din Mourtaki ibn Sa'ad, gouverneur de Misr, le vendredi troisième jour du mois de Moharram ; — et le souverain de Tunis et de la province d'Afrique », l'émir Abou Mohammad 'Abd-al-Wâhid ibn Abou Hafs Omar ibn al-Hantâm, le jeudi premier jour du mois de Moharram. Il avait été nommé gouverneur de ces pays par an-Nasir-Abou 'Abd-Allah Mohammad ibn Yakoub al-Mansour ibn Yousouf al-Omari ibn 'Abd-al-Moumin, souverain almohade, en l'an 602. Il régna à Tunis jusqu'au temps où son frère Abou Mohammad 'Abd-Allah ibn 'Abd-al-Wâhid fut investi du gouvernement de la province d'Afrique[199] par al-'Adil 'Abd-Allah ibn al-Mansour ibn Yakoub, le cinq du mois de Ramadan de cette même année; cela dura jusqu'à l'époque où son frère Abou Zakariyâ Yahya ibn 'Abd-al-Wâhid arriva au trône. L'émir Abou Mohammad 'Abd-al-Wâhid ibn Abou Hafs fut le premier Hafside qui régna à Tunis.
Cette année, al-Malik al-Ashraf-Moussa se rendit au Caire et il demeura dans cette ville chez le sultan pendant un certain temps ; puis il s'en retourna au mois de Ramadhan. — Cette année, les Tatars combattirent les Kurdes. — Al-Motaffar Moussa se rendit auprès de son oncle al-Kâmil au Caire. — Al-Malik al-Massoud Youssouf, fils d'al-Malik al-Kâmil se rendit du Yémen à la Mecque au mois de Rabi premier. Le shérif Hasan ibn Kattâda avait quitté cette ville et Râdjih ibn Kattâda accompagna al-Massoud dans cette expédition. Al-Malik al-Massoud rendit aux habitants du Hedjaz leurs biens, leurs propriétés et les maisons, qui leur avaient été pris à la Mecque et à al-Vâdi; puis, ce prince fit le pèlerinage et s'en retourna dans le Yémen. Il refusa de faire flotter les drapeaux du khalife au-dessus de tous les autres et il fit élever plus haut qu'eux les drapeaux de son père al-Malik al-Kâmil. Ce fut lui le premier qui osa tirer sur les colombes du Haram à coups d'arquebuse au-dessus du puits de Zemzem et des endroits environnants. Les gens de l’Irak complotèrent de le tuer, mais ils n'y purent réussir. Al-Malik al-Massoud laissa à la Mecque, comme son lieutenant, l'émir Nour ad-Din Omar ibn 'Ali ibn Rasoul avec une garnison de trois cents cavaliers; le shérif Hasan ibn Kattâda venait d'arriver à Yanbo. Râdjih ibn Kattâda y vint peu après, le flatta et partagea avec lui le gouvernement de la citadelle; ensuite le shérif Hasan rassembla une armée, marcha contre la Mecque, battit Ibn-ar-Rasoul et s'empara de cette ville. — Cette année, mourut l'émir ‘Imad ad-Din Abou’l Abbâs-Ahmad, fils de l'émir Saïf ad-Din Abou’l Hasan 'Ali ibn Ahmad-al-Hakkârî, connu sous le nom d'Ibn al-Mashtoub. C'était un des émirs Sâlihis; il mourut en prison au mois de Rabi second.
Cette année, al-Malik al-Mo'aththam Isa s'empara de Ma'arrat et de Salamiyya,[201] et vint assiéger Hamâh.[202] Son frère, al-Malik al-Ashraf en conçut un très vif dépit ; il se trouvait à cette époque au Caire et il s'en ouvrit à al-Ashraf qui blâma comme lui cette façon d'agir. Aussi il envoya un ambassadeur à al-Malik al-Mo'aththam pour le prier de lever le siège de Hamâh.[203] Al-Mo'aththam obéit, très fâché de l'intervention du sultan.
Cette année, al-Malik al-‘Adil, al-Malik al-Djavâd et al-Malik al-Fâiz se rendirent du Caire au pèlerinage, et ils élevèrent les drapeaux du khalife plus haut que les drapeaux du sultan al-Malik al-Kâmil, à l'ascension du mont 'Arafa.[204] — Al-Malik al-Ashraf quitta l'Egypte pour s'en retourner dans ses états;[205] al-Malik al-Kâmil l'accompagna durant un certain temps. Al-Ashraf emportait avec lui le diplôme d'investiture qui avait été envoyé par le khalife pour Alep et qui conférait la souveraineté à al-Malik al-’Aziz Nasir ad-Din Mohammad, fils d'al-Malik ath-Tahir-Ghazi. Al-Ashraf arriva à Alep au mois de chewâl et al-’Aziz se rendit au-devant de lui, il avait alors 10 ans. Al-Ashraf le revêtit des robes d'honneur données par al-Malik al-Kâmil, et il porta le ghashiah devant lui; il resta auprès du jeune souverain d'Alep durant quelques jours, puis il se rendit à Harrân. — Cette année, les sauterelles dévastèrent tout l'Irak, le Djézireh, le Dyâr-Bakr et la Syrie. — Les Tatars attaquèrent les Russes. — Cette même année, Salim ad-Din ‘Isa, gouverneur du Caire, se pendit, et on le trouva attaché à une corde dans le Palais du Vizirat, durant la nuit du jeudi, sixième jour du mois de chewâl.[206]
Cette année, les Tatars s'emparèrent de Koum,[207] de Kâshân, et d'Hamadhan. — Cette même année, la discorde éclata entre al-Mothaffar-Ghazi, prince d'Arbèles (Irbil)[208] et son frère al-Malik al-Ashraf. Al-Mo'aththam partit de Damas pour aller faire la guerre à al-Ashraf; mais al-Malik al-Kâmil lui envoya dire : « Si tu sors de tes états, j'irai te les enlever » ; al-Mo'aththam prit peur et s'en retourna à Damas. — cette année mourut au Caire le vizir al-A'azz Abou’l 'Abbâs-Ahmad, connu sous le nom de Fakr ad-Din Mokaddam ibn Shakir, le dernier jour du mois de Chaban. — Cette année, l'armée égyptienne prit Yanbo aux troupes des Bènou-Hasan ; les Égyptiens l'avaient achetée au prix de quatre mille mithkals. Cette ville resta en leur possession jusqu'en l'an 630.[209]
Cette année, al-Malik al-Djavâd Mothaffar ad-Din Younis ibn Maudoud s'enfuit d'Egypte par mer, parce qu'il avait grand peur de son oncle al-Malik al-Kâmil et il se rendit chez son autre oncle al-Malik al-Mo'aththam.
Cette même année, al-Malik al-Kâmil craignit que ses émirs n'éprouvassent de l'inclination pour son frère al-Mo'aththam. Il en fit arrêter un certain nombre, et envoya des troupes pour garder les chemins; puis il dépêcha des ambassadeurs auprès des princes vassaux de son frère al-Malik al-Ashraf, pour que ce dernier leur ordonnât de prendre parti pour lui et de se ranger à sa cause. — Cette même année, le sultan Djalal-ad-Din, fils du Kharezmchah, s'en retourna dans ses états et reprit l'avantage sur les Tatars. Il s'empara de l'Irak 'Adjami, et marcha sur Mardîn dont il s'empara ; il se dirigea ensuite sur le Khouzistan, à la grande terreur du khalife an-Nasir. Il continua sa route jusqu'à Yakoub, qui est une localité distante de Bagdad de sept farsakhs, et le khalife s'apprêta à soutenir un siège. Le Kharezmchah dévasta le pays; il y prit tout ce qui lui tomba sous la main et il y fit encore plus de mal que les Tatars. Al-Malik al-Mo'aththam écrivit à ce prince, et fit alliance avec lui pour faire pièce à ses deux frères, al-Malik al-Kâmil et al-Malik al-Ashraf, souverain des provinces orientales. Le sultan Djélal ad-Din envoya le fils du kadi Madjd-ad-Din, kadi de son royaume, en qualité d'ambassadeur auprès d'al-Malik al-Ashraf, puis vers al-Malik Mo'aththam et enfin vers al-Malik al-Kâmil. Djalal ad-Din marcha ensuite sur l’Irak al-‘Adjam, s'empara d'Hamadan, de Tauriz, et tomba sur les Kurdes. — Cette même année, al-Malik al-Afdal 'Ali, fils du sultan Salah ad-Din Yousouf, prince de Soumaïsât, mourut dans sa capitale au mois de Safer; il était né au Caire le jour de la fête de la rupture du jeûne de l'an 565, ou, suivant d'autres, de l'an 566; il était l'aîné des fils de Salah-ad-Dîn, et, en cette qualité, il avait été nommé héritier présomptif par le sultan. Ce prince étudia les traditions sous la direction d'Ibn 'Aoûf et d'Ibn Ban; après la mort de son père, il devint prince de Damas, mais il ne réussit à rien parce qu'il n'avait point de chance, et son frère al-'Aziz Othman, sultan d'Egypte, lui enleva cette ville. Il devint ensuite atabek d'al-Malik al-Mansour, fils d'al-’Aziz, en Egypte. Il assiégea Damas, où se trouvait son oncle, et il fut à deux doigts de s'en emparer, mais la malchance le poursuivait toujours et il dut s'en retourner en Egypte, poursuivi par son oncle al-Malik al-'Adil, qui lui enleva la possession de ce pays; il ne lui resta plus que la ville de Sarkhad. Il retourna attaquer une seconde fois Damas, accompagné de son frère al-Malik ath-Tahir-Ghazi, prince d'Alep, mais une discussion qui éclata entre les deux princes fit échouer leurs projets; il finit par ne plus posséder que la ville de Soumaïsât. Quand mourut son frère al-Malik ath-Tahir-Ghazi, prince d'Alep, il voulut s'emparer de cette ville et il marcha contre elle avec le sultan 'Izz ad-Din Kaï-Kâous, le Seldjoukide, souverain du pays de Roum ; mais leur projet échoua, et il dut s'en retourner à Soumaïsat, où il vécut dans la médiocrité et où il finit par mourir d'ennui. C'était un prince instruit et savant; sa conduite ne donna jamais lieu au moindre reproche, et il écrivait d'une façon élégante. Il avait toutes les qualités, mais il manquait complètement de chance. Ses poésies sont excellentes; quand son frère, al-Malik al-'Aziz Othman et son oncle al-Malik al-'Adil Abou-Bakr lui enlevèrent Damas, en l'an 592, il écrivit au khalife abbasside an-Nasir une lettre en vers dans laquelle il se plaignait que ces deux princes lui eussent arraché l'héritage de son père. Le khalife lui écrivit également une lettre en vers pour lui répondre. Al-Malik al-Afdal 'Ali eut pour successeur à Soumaïsat son frère, al-Malik al-Mofaddal-Kotb ad-Din Moussa; les fils d'al-Afdal lui firent une vive opposition. Cette année, mourut également le khalife an-Nasir-li-Din-Allah ibn Ahmad ibn al-Mostadi-bi-amr-Allah-al-Hasan ibn al-Mostandjid-billah-Yousouf, le deuxième jour du mois de chewâl; il était né le dixième jour du mois de Redjeb de l'an 553 et il était resté sur le trône du Khalifat durant 47 années moins 36 jours. Sa mère était une esclave affranchie nommée Zamarroud ou, suivant d'autres, Nardjis[210]…. — Cette même année, al-Malik al-Massoud partit du Yémen pour se rendre à la Mecque, puis il se dirigea vers le Caire en passant par 'Aidab. Il vint trouver son père al-Malik al-Kâmil, dans la Forteresse de la Montagne et il lui apporta des présents magnifiques. — Cette année, mourut au Caire, le vizir, le sahib Safi ad-Din 'Abd-Allah ibn Abou’l Hasan Ali ibn al-Hosain ibn 'Abd-al-Khâlik ibn al-Hosain ibn Mansour ibn Ibrahim ibn 'Ammâr ibn 'Ali-al-Sibi (?), connu sous le nom d'ibn Mansour fakîh (professeur de droit) ibn Shakir-al-Damiri, le Malikite, le vendredi, huitième jour du mois de Chaban ou de chewâl, suivant d'autres personnes. Il fut enterré dans son ermitage. Il était né à Damirah[211] qui est un village de l'Egypte maritime le neuf Safer de l'année 548. Il avait suivi les leçons de traditions d'Ibn 'Auf et d'autres savants; c'était un homme orgueilleux, qui encourageait la canaille de tous ses moyens et qui faisait tout ce qu'il pouvait pour empêcher les honnêtes gens d'arriver à quoi que ce fût. — Cette même année, le shérif Kasim-al-Hosaini, émir de Médine, marcha contre la Mecque et assiégea durant environ un mois cette ville qui était défendue par les officiers (naïbs) d'al-Malik al-Kâmil. Le shérif ne put réussir à s'en emparer et il fut tué devant la place.[212]
Cette année, les dissentiments qui séparaient al-Mo'aththam[213] et ses deux frères, al-Kâmil et al-Ashraf s'aggravèrent. — Cette même année, le khalife ath-Tahir-bi-amr-Allah envoya les présents d'usage aux souverains ayyoubides par Mohyî ad-Din Abou'l Mothaffar, fils du hâfith Djémal ad-Din Abou'l Faradj ibn al-Djaûzi. L'ambassadeur commença par al-Malik al-Ashraf-Moussa, prince des provinces orientales, auquel il remit les vêtements d'honneur envoyés par le khalife ; il se rendit ensuite à la cour d'al-’Aziz Ghiyâth ad-Din Mohammad, fils d'al-Malik ath-Tahir-Ghazi, prince d'Alep, et lui remit une large tunique à manches noires, ainsi qu'un turban noir orné de broderies d'or et un habit également brodé d'or. L'ambassadeur du khalife se rendit ensuite à Damas où il revêtit al-Malik al-Mo’aththam 'Isa, prince de cette ville, des habits qui lui étaient destinés. De là, il alla au Caire, portant le diplôme d'investiture et les vêtements destinés à al-Malik al-Kâmil ; il les lui remit en dehors de cette ville. Le sultan revêtit ces habits ainsi que ses deux fils. Le sahib Safi ad-Din venait de mourir, aussi Mohyî ad-Din revêtit de la robe d'honneur qui lui était destinée le kadi Fakhr ad-Din Soleïman ibn Mahmoud ibn Abou-Ghâlib-[ibn]-Abou’l Rabi al-Dimashki, secrétaire de la chancellerie. Al-Kâmil sortit à cheval par la Porte de la Victoire et traversa le Caire, après quoi il monta à la Citadelle de la Montagne. Ce fut une fête splendide.
Cette même année, al-Malik al-Kâmil fit emprisonner les enfants du sahib Safi ad-Din ibn Shakir, et confisqua toute sa fortune. Il fit enfermer ses deux fils, Tadj ad-Din Yousouf et Izz ad-Din Mohammad, dans le souterrain de Salim ad-Din dans la cité d'Asvân au Caire, et il ne donna la place de vizir à personne après Ibn Shakir. Cette année, al-Malik al-Mo’aththam se rendit du Caire dans le Yémen, et al-Malik al-Kâmil se défia de plus en plus de son armée. En effet, al-Malik al-Mo'aththam[214] lui avait envoyé une lettre dans laquelle il lui disait, entre autres choses : « Je l'attaquerai, et ce n'est pas avec une autre armée que la tienne que je te prendrai! » Ces paroles firent craindre au sultan une trahison de la part de tous ceux qui étaient à son service, et il n'osa point sortir d'Egypte pour aller combattre al-Mo'aththam.
Al-Mo'aththam entra en campagne, vint assiéger Homs[215] et saccagea les villages dépendants de cette ville ainsi que les endroits où l'on avait fait les semailles; mais la citadelle et la ville se défendirent si bien qu'il ne put s'en rendre maître. Quand il vit que les opérations traînaient en longueur, il leva le siège après que son année eut été décimée par les maladies. Son frère al-Malik al-Ashraf vint alors le rejoindre avec une petite escorte ; al-Mo’aththam s'en réjouit beaucoup et lui fit toutes sortes d'amabilités. — Cette même année, mourut le khalife ath-Tahir-billah-Mohammad ibn an-Nasir, le quatorzième jour du mois de Redjeb, après un règne de neuf mois et neuf jours. Ce prince eut une conduite louable et il était très savant. Son fils, al-Mostansir billah Abou Djafar al-Mansour devint khalife après lui, à l'âge de 20 ans. Il reçut des ambassadeurs des souverains des différentes parties de l'Asie ; al-Malik al-Kâmil lui envoya en ambassade Mo'în ad-Din Hasan, fils du grand cheikh Ibn Hamaviyya.[216]
Cette même année, arriva un ambassadeur d'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, souverain du pays de Roum, apportant de beaux présents à al-Malik al-Kâmil.
Cette année, al-Malik al-Ashraf partit de Damas pour se rendre chez lui[217] après avoir juré à al-Mo'aththam qu'il le soutiendrait contre son frère al-Kâmil, contre al-Malik al-Moudjahid, prince de [Homs][218] et al-Malik an-Nasir, prince de Hamâh. — L'ambassadeur d’Alâ-ad-Din, souverain du pays de Roum,[219] s'en retourna auprès de son souverain. — Cette même année, al-Malik al-Kâmil et ses deux frères, al-Mo'aththam et al-Ashraf, se brouillèrent complètement. Al-Kâmil avait peur que la puissance de son frère al-Mo'aththam ne s'accrût; quant à ce dernier, il envoya un ambassadeur au sultan Djélal-ad-Din, fils du Kharezmchah. De son côté, al-Malik al-Kâmil envoya l'émir Fakhr ad-Din Youssouf, fils du grand cheikh, auprès du roi des Francs, pour l'engager à venir à 'Akkâ; il lui promit de lui donner plusieurs des villes du Sahel qui appartenaient aux Musulmans,[220] s'il occupait son frère al-Malik al-Mo'aththam. L'empereur, souverain des Francs, envoya une armée dans le Sahel; quand al-Malik al-Mo'aththam l'apprit, il écrivit une lettre au sultan Djalal ad-Din pour lui demander secours contre son frère al-Kâmil, lui promettant de faire réciter la khotba dans son empire et d'y faire frapper la monnaie à son nom. Djalal ad-Din lui envoya alors une robe d'honneur, dont il se revêtit et avec laquelle il traversa Damas; il supprima en même temps le nom d'al-Kâmil dans la khotba. Quand al-Malik al-Kâmil fut informé de la conduite de son frère, il sortit du Caire avec son armée et s'en vint camper à Bilbis au mois de Ramadhan. Al-Mo'aththam lui envoya une lettre ainsi conçue : « Je jure par Allah, le Très-Haut! qu'à chaque étape que tu feras pour me venir attaquer, je donnerai mille dinars en aumône aux pauvres, car toute ton armée m'est dévouée comme le prouvent les lettres que j'ai entre les mains; je te ferai prisonnier toi et ton armée! ». Al-Mo'aththam lui fit parvenir cette lettre en secret, et il lui en envoya en même temps une autre qu'il rendit publique et dans laquelle il lui disait : « Je suis ton mamlouk, je n'ai cessé de te chérir et de te considérer comme mon suzerain. Il ne convient point que tu te mettes en campagne contre moi et que tu viennes me combattre. Je suis le premier de tes vassaux et ton premier serviteur parmi les princes de Syrie et des provinces orientales[221] ».
Al-Malik al-Kâmil montra cette seconde lettre à ses émirs, et il s'en retourna d’Abbasa au château de la Montagne. Dès qu'il fut arrivé au Caire, il fit emprisonner un certain nombre des émirs et des mamlouks de son père à cause de la correspondance qu'ils avaient entretenue avec al-Malik al-Mo'aththam ; parmi ces émirs et ces mamlouks se trouvaient Fakhr ad-Din Altounbogha al-Djaïshi, et Fakhr ad-Din Altoun....[222] al-Fayyoûmî, qui était émir djandar d'al-Malik al-Kâmil. Il fit encore emprisonner dix émirs bahris 'adilis[223] ; quant aux autres, il leur confisqua toute leur fortune qu'il distribua à son armée pour lui faire prendre goût à une expédition contre Damas. — Cette année arriva l'ambassadeur du roi des Francs; il apportait au sultan al-Malik al-Kâmil des cadeaux très précieux et de riches présents ; il lui offrit entre autres plusieurs chevaux, parmi lesquels se trouvait le propre cheval du roi avec une selle d'or incrustée de pierreries. Al-Kâmil se rendit au devant de l'ambassadeur avec des provisions de bouche (ikameh) pour la route qui mène d'Alexandrie au Caire. Al-Malik al-Kâmil se rendit en personne au-devant de l'ambassadeur auprès du Caire, il le combla de grandes marques d'honneur et il lui donna comme demeure la maison du vizir Safi ad-Din ibn Shakir.[224] Il s'occupa ensuite d'envoyer des présents au roi des Francs, parmi lesquels se trouvaient des cadeaux venant de l'Inde, du Yémen, de T'Irak, de Syrie, de l'Egypte, de l’Adjem, dont la valeur dépassait de beaucoup celle des présents qui lui avaient été envoyés. — Cette année, le sultan envoya à son fils al-Malik al-'Adil Abou Bakr, le dix-neuvième jour du mois de chewâl, une selle d'or, sur laquelle se trouvaient des pierres précieuses pour une somme de dix mille dinars égyptiens ; il confia à Djémal ad-Din ibn Mounkidh-al-Shaïzâri le soin de porter ce présent au prince. — Cette même année, arriva par mer auprès d'al-Malik al-Kâmil, un ambassadeur de l'empereur grec. — Al-Mo'aththam partit de Damas pour aller détruire Jérusalem ; il ruina les citadelles et les citernes de cette ville, lorsqu'il sut que les Francs s'étaient mis en campagne. — Cette même année, al-Malik al-Kâmil envoya Kamal ad-Din et Mo'in ad-Din, fils du grand cheikh Ibn Hamaviyya, et avec eux le shérif Chams ad-Din al-Armâvi, kadi de l'armée, auprès d'al-Malik al-Mo'aththam. Il donna à Kamal ad-Din Tordre de porter à al-Malik al-Moudjahid, à Homs, la réponse que ferait ce prince et de lui faire connaître quelle était la situation ; il ordonna à Mo'in ad-Din de se rendre ensuite à Baghdâd en qualité d'ambassadeur auprès du khalife ; les deux envoyés partirent au mois de Chaban. — Cette année, la fête de la rupture du jeune coïncida avec la fête des Juifs et avec celle des Chrétiens. — Cette année, mourut al-Malik al-Mo'aththam Abou 'l-Fath-’Isa, fils d'al-Malik al-'Adil, prince de Damas, le vendredi, dernier jour du mois de Dhoû’lka’dah. Il mourut à Damas et fut inhumé dans la citadelle de cette ville ; son corps fut par la suite transporté à al-Sâlahiyya. Il était né à Damas en l'an 578. Son frère, al-Kâmil, qui le craignait beaucoup, se réjouit de sa mort.[225]
C'était un prince généreux, brave et lettré, d'un caractère agréable. Il connaissait le droit et était très fanatique pour la secte d'Abou-Hanifa (qu'Allah l'ait en pitié !). Il possédait des connaissances étendues en grammaire et en d'autres sciences. Son frère lui dit un jour : « Comment se fait-il que tu te sois attaché à la doctrine d'Abou Hanifa quand tous les membres de ta famille sont Chaféites ? ». Il lui répondit : « Ο mon maître ! il fallait bien qu'il y eut dans votre famille un homme qui fut bon musulman ».
Ce prince composa un ouvrage auquel il donna le titre : « La flèche qui atteint son but,[226] ou réfutation du khâtib Abou Bakr-Ahmad ibn Thâbit, sur ce que cet auteur avait dit au sujet d'Abou-Hanifa dans son histoire de Bagdad. » Ce fut lui qui attira le sultan du Khwarezm dans le pays. Il régna après la mort de son père durant huit ans et sept mois, moins huit jours. Il eut pour successeur, al-Malik an-Nasir-Daoud[227] qui avait 21 ans. Le jeune prince envoya une lettre à son oncle al-Malik al-Kâmil, et célébra les obsèques de son père. Al-Malik al-Kâmil lui envoya l'émir ‘Alâ ad-Din ibn Shodja ad-Din Djildak al-Mothaffari-al-Takavi avec un vêtement d'honneur et l'étendard du sultanat, et il lui accorda l'investiture de ses états. An-Nasir-Daoud revêtit le vêtement d'honneur que lui avait envoyé al-Malik al-Kâmil et il monta à cheval avec l'étendard. Le sultan al-Malik al-Kâmil envoya alors prier le prince de Damas de lui abandonner la citadelle de Shaûbak pour y déposer ses trésors, mais il n'y voulut point consentir. Ce refus fut cause qu'al-Kâmil et an-Nasir se brouillèrent. — Cette même année, le sultan al-Malik al-Kâmil ordonna de raser la ville de Tinnis et les beaux édifices qui s'y trouvaient furent ruinés. Il n'y avait pas dans toute l'Egypte de plus belle ville que Tinnis; depuis ce temps, elle est restée en ruines. — Cette année, au mois de Redjeb, l'émir Abou Zakaryâ-Yahya ibn 'Abd-al-Vâhid ibn Abou Hafs se déclara indépendant à Tinnis et on lui donna le titre de « sultan heureux » (el-sultan el-saîd). Personne ne songea à l'en empêcher dans toute la province d'Afrique tant était complète la décadence de la dynastie des 'Abd al-Mou'min.[228]
Cette année, al-Malik al-Kâmil envoya le cheikh des cheikhs Ibn Hamaviyya, avec des vêtements d'honneur auprès de son neveu an-Nasir-Daoud, fils d'al-Mo'aththam, à Damas. L'ambassadeur du sultan d'Egypte porta le ghâshiah devant lui; les deux oncles du jeune prince, al-Malik al-'Aziz et al-Malik as-Sâlih le portèrent ensuite; al-Malik al-Kâmil envoya de même des robes d'honneur à al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs. — Cette même année, al-Malik al-Kâmil se brouilla avec son neveu an-Nasir-Daoud, et il conçut le projet de marcher contre lui et de lui enlever Damas. Il nomma son fils al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, son héritier présomptif, et le fit monter à cheval revêtu des insignes de la souveraineté. Le jeune prince traversa le Caire et on porta le ghâshiah devant lui; les émirs se disputèrent à tour de rôle l'honneur de le porter devant lui. Al-Kâmil lui assigna comme demeure le Palais du Vizirat; il avait à cette époque environ vingt-deux ans. — Cette même année, al-Malik al-Amdjad-Bahram-Shâh, fils d’Izz ad-Din Farouk Shah, prince de Baalbek, tyrannisa ses sujets ; il s'empara de leurs biens et de ceux de leurs familles. Une partie de ses soldats offrit à al-’Aziz Fakhr ad-Din 'Othman, fils d'al-Malik al-'Adil, de lui livrer Baalbek. Al-’Aziz vint assiéger la ville ; mais al-Amdjad fit arrêter ceux qui s'étaient entendus avec al-’Aziz; il en fit massacrer une partie et fit enchaîner le reste. Al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Damas, envoya ensuite prier al-’Aziz de lever le siège de Baalbek; ce dernier obéit, très fâché de cette intervention, et il se rendit auprès d'al-Malik al-Kâmil; le sultan en fut très aise et lui promit d'enlever Baalbek à al-Amdjad et de la lui donner. — Cette même année, al-Malik an-Nasir-Daoud traita avec dureté les habitants de Damas, et confisqua leurs biens; de plus il négligea le gouvernement de ses états pour s'occuper de futilités. Al-Malik al-Kâmil fut vivement contrarié de cette conduite, qui le forçait de lui enlever Damas[229] ; il se mit en marche au mois de Radjah pour aller lui faire la guerre, laissant en Egypte son fils al-Malik al-Sâlih, en qualité de vice-roi (naïb). Il désigna, pour rester avec ce dernier, l'émir Fakhr ad-Din Yousouf, fils du cheikh des cheikhs, avec la charge de recouvrer les revenus et de gouverner l'empire. Le sultan partit du Caire, le dimanche, quatorzième jour du mois de Chaban, à la tête d'une armée très nombreuse ; il était accompagné d'al-Malik al-Mothaffar Takî ad-Din Mahmoud, fils d'al-Malik al-Mansour, à qui il avait promis la ville de Hamâh ; d'al-Malik al-Djavâd-Mothaffar ad-Din Younis, fils de Maudoud, fils d'al-Malik al-'Adil. Al-Djavâd avait été élevé par son oncle al-Malik al-Kâmil, après la mort de son père, et le sultan d'Egypte lui avait donné en fief la ville de Djizêh[230] en Egypte. Quand al-Malik an-Nasir apprit que son oncle s'était mis en campagne pour venir l'attaquer, il ne songea point à apaiser sa colère par des flatteries, mais il se rendit auprès de son autre oncle, al-Ashraf. Al-Malik al-Kâmil marcha avec son armée et les Arabes jusqu'à Tell al-'Adjoul, et de ce point, il envoya des troupes à Nabolos, à Jérusalem et dans les cantons qui dépendaient de ces villes. Il fit partir l'émir Hosâm ad-Din Abou 'Ali ibn Mohammad ibn Abou 'Ah-al-Hadhbàm, qui était l'un des officiers de al-Mothaffar Takî ad-Din, et il le renvoya au Caire ; al-Malik as-Sâlih le prit à son service et le nomma son ostadar.
Les troupes d'al-Malik al-Kâmil s'emparèrent de Nabolos et de Jérusalem; quand al-Malik an-Nasir l'apprit, il se fît prêter serment par ses troupes et se prépara à entrer en campagne. Son oncle al-Malik as-Sâlih, prince de Bosrâ, vint le rejoindre, ainsi que l'émir Izz ad-Din Aïbec de Sarkhad, et leur arrivée l'encouragea à la résistance. Il envoya les deux émirs ‘Imad ad-Din ibn Moushak et Fakhr-al-Koudat-Nasr-Allah ibn Barâkat demander à son oncle al-Malik al-Ashraf de venir de ses provinces orientales pour lui porter secours. Al-Malik al-Ashraf les fit reconduire par al-Ashraf, fils du kadi al-Fadil : il consentit à venir en personne au secours de son neveu. Il laissa dans son royaume pour le gouverner durant son absence, al-Malik al-Hâfith ibn al-'Adil, et il se mit en marche. Le prince de Hamâh vint au-devant de lui, de Salamiyya, en lui apportant de l'argent et des chevaux; le prince de Homs se rendit également au-devant de lui avec ses fils. Al-Malik al-Ashraf continua sa route vers Damas et al-Malik an-Nasir sortit pour se rendre au devant de lui, dans les derniers jours du mois de Ramadhan ; la ville de Damas fut pavoisée à l'occasion de son arrivée. Il se rendit à la citadelle, pendant que l’on faisait flotter au-dessus de sa tête un grand drapeau dont la hampe portait en son milieu une cravate ; an-Nasir se réjouit beaucoup de son arrivée et lui donna toute autorité dans son royaume et sur ses finances. Al-Ashraf admira la beauté de Damas et travailla en dessous pour se rendre maître de cette ville et l'enlever à an-Nasir.
Ensuite arriva al-Moudjahid-Asad ad-Din Shirkouh ibn Mohammad, prince de Homs. Al-Malik al-’Aziz, fils d'al-'Adil se rendit auprès d'al-Malik al-Kâmil et il le rejoignit en chemin. L'arrivée de ce prince réjouit beaucoup le sultan d'Egypte qui lui fit de grands présents; al-Malik al-Ashraf envoya auprès d'al-Kâmil l'émir Saïf ad-Din 'Ah ibn Kilidj pour intercéder en faveur d'al-Malik an-Nasir et pour le prier de laisser ce prince en possession de Damas, il lui fit dire: « Nous reconnaissons tous ton autorité, et aucun de nous ne cessera d'être ton allié ». Al-Malik al-Kâmil reçut l'envoyé d'al-Ashraf avec beaucoup d'honneurs, et al-Ashraf, accompagné d'an-Nasir, sortit de Damas pour se rendre au devant d'al-Malik al-Kâmil et conclure un arrangement avec lui. Quand al-Kâmil apprit le départ d'al-Ashraf et d'an-Nasir, il en fut très fâché, et il partit de Nabolos pour s'en retourner au Caire; al-Ashraf arriva au moment où al-Kâmil était à Tell-al-Adjoul. Le sultan d'Egypte se rendit au-devant d'al-Ashraf et vint avec lui dans son camp, où les deux princes campèrent. Ils s'entendirent pour enlever Damas à leur neveu al-Malik an-Nasir-Daoud et ils convinrent qu'al-Malik al-Ashraf en prendrait possession, ainsi que de ce qui en dépendait jusqu'au défilé de Fik; qu'al-Malik al-Kâmil aurait pour sa part tout le pays et les forteresses qui se trouvaient entre le défilé de Fik et de Ghaza, le tout formant les conquêtes de Salah ad-Din. Les deux princes convinrent encore que l'on donnerait à al-Malik an-Nasir, à la place de Damas, les villes de Harrân, Rakka, Saroûdj et Ra'as 'Aïn, ce qui était du domaine d'al-Ashraf, qui devait enlever Baalbek à al-Malik al-Amdjad-Bahram-Shâh et la donner à leur frère al-Malik al-’Aziz Othman ; la ville de Hamâh devait de même être enlevée à al-Malik an-Nasir-Kilidj-Arslan ibn al-Mansour et devenir la propriété d'al-Mothaffar-Takî ad-Din Mahmoud ibn al-Mansour, à la place de Salamiyya que l'on donnerait à al-Moudjahid, prince de Homs.
Cette même année, mourut l'empereur des Mongols et des Tatars, Gengis Khân, près de Saroûbalik; on transporta ses restes dans la capitale de l'empire du Khitâ.[231] Son plus jeune fils lui succéda; l'aîné monta sur le trône de Chine, et ses trois autres frères se partagèrent l'empire de leur père. — Cette même année, les Tatars envahirent les pays de l'Islam, et ils luttèrent à plusieurs reprises contre le sultan Djélal ad-Din. Ce souverain fut battu plusieurs fois; à la fin cependant, il les vainquit et les mit en fuite. Quand il fut débarrassé d'eux, il marcha sur la ville d'Ikhlât qui faisait partie des provinces orientales ; il livra cette ville au plus affreux pillage, réduisant les femmes en captivité, faisant passer leurs enfants au fil de l'épée et massacrant les hommes; il mit à feu et à sang les villages qui dépendent de cette ville et il y commit des atrocités que des infidèles eux-mêmes n'auraient pas faites. Après cela, il rentra dans ses états, après avoir fait trembler les villes d'Harrân et d'Édesse. La population de Saroûdj s'enfuit à Maubadj. Ce prince avait le dessein de venir attaquer la Syrie, mais Allah fit échouer son projet. — Cette même année, l'empereur, souverain des Francs, arriva à 'Akkâ[232] sur la demande que lui en avait faite al-Malik al-Kâmil, comme nous l'avons dit plus haut. Il devait de cette façon occuper al-Malik al-Mo'aththam, frère de al-Malik al-Kâmil, et le détourner ainsi de ses projets contre l'Egypte. Al-Mo'aththam était mort sur ces entrefaites; quand l'empereur arriva à 'Akkâ, il envoya à al-Malik al-Kâmil un ambassadeur, auquel il ordonna de tenir au prince ce langage : « Le roi te dit : L'intérêt bien compris des Musulmans eût été de me donner toutes les choses [qui avaient été convenues], car dans ce cas, je ne serais pas venu. Vous nous avez offert à l'époque du siège de Damiette de nous donner tout le Sahel et de nous concéder les droits sur Alexandrie. Nous n'avons pas accepté ces propositions. Allah vous a ensuite accordé la victoire et vous a rendu Damiette, mais maintenant vous ne pouvez m'offrir moins que vous n'offriez alors aux Francs ». Al-Malik al-Kâmil tomba dans un grand embarras, car il ne pouvait refuser à l'empereur, ni lui déclarer la guerre après la convention qui avait été conclue avec lui ; aussi il lui envoya un ambassadeur pour flatter son orgueil. L'émir Fakhr ad-Din Yousouf, fils du cheikh des cheikhs, se rendit plusieurs fois en mission diplomatique auprès de l'empereur. — Pendant ce temps, les Francs poussaient avec la plus grande activité la mise en état de défense de Saïdâ (Sidon) qui était divisée par moitié entre les Francs et les Musulmans; les Francs relevèrent les fortifications qui étaient en ruines, puis ils en chassèrent les Musulmans. L'année se termina alors, al-Malik al-Kâmil se trouvant à Tell al-'Adjoul et le roi des Francs à 'Akkâ, tous les deux s'envoyant mutuellement des ambassadeurs.[233]
Cette année, les vivres atteignirent un prix très élevé dans le Sahel et à Damas; des secours envoyés d'Alep arrivèrent dans le Ghaûr; Aïtimour al-Mo'aththami vint chercher asile auprès d'al-Malik al-Kâmil qui le reçut bien. Al-Malik an-Nasir-Daoud s'enfuit de Nabolos, quand il apprit qu'al-Malik al-Ashraf et al-Malik al-Kâmil avaient fait alliance contre lui, et il s'en retourna à Damas. Al-Ashraf apprit son départ, se trouvant à Tell al-'Adjoul; il partit immédiatement pour le rejoindre et le rattrapa à Kosair ibn Mo'in ad-Din,[234] localité qui dépend du Ghaûr et qui est située au-dessous du défilé de Fik; il lui raconta l'arrivée d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, d'al-Malik al-Moughîth, et de l'émir 'Izz ad-Din Aïbec al-Mo'aththami[235] qui s'étaient entendus avec al-Malik al-Kâmil dans le seul but de rétablir la paix entre eux deux; que lui-même, en particulier, avait fait tous ses efforts pour arriver à ce but et qu'il avait exhorté al-Malik al-Kâmil à abandonner ses projets contre lui, mais que le sultan d'Egypte n'avait rien voulu entendre et qu'il s'apprêtait à marcher sur Damas pour s'en emparer. « Tu sais, ajouta al-Ashraf, qu'al-Kâmil est le chef de notre famille et notre suzerain ; il règne sur l'Egypte et personne ne peut aller contre ce qu'il a ordonné. Nous avons donc convenu que tu livrerais la ville de Damas et qu'il te donnerait en échange dans les provinces de l'Orient telles villes que tu voudras ». Il lui exposa ainsi la convention qui avait été conclue avec al-Malik al-Kâmil à son sujet; quand il eut fini de parler l'émir Aïbec se leva et dit : « Il n'y a ni ruse, ni flatterie qui tiennent, nous ne livrerons pas une seule pierre de Damas ; nous sommes en état de repousser toutes les attaques que l'on viendra nous faire, car nous avons de nombreuses troupes ». Al-Malik an-Nasir fit sonner le boute-selle, et le sultan et l'émir montèrent tous deux sur leurs chevaux; les tentes furent repliées et les troupes se dirigèrent sur Damas. L'oncle d'al-Malik an-Nasir, al-Malik as-Sâlih, et son neveu al-Malik al-Moughith ne voulurent pas le suivre. Quand al-Malik an-Nasir fut arrivé à Damas, il se prépara à soutenir un siège, et les habitants de la ville se déclarèrent pour lui à cause de l'affection qu'ils avaient éprouvée pour son père. Al-Malik al-Ashraf se mit en marche avec ses troupes et vint mettre le siège devant Damas ; il coupa le fleuve de Bânâs ainsi que les canaux qui amenaient l'eau dans la ville. L'armée et la population de Damas firent des sorties contre lui et lui livrèrent plusieurs combats.
Sur ces entrefaites, al-Malik al-Kâmil envoya à plusieurs reprises l'émir Fakhr-ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, et le shérif Chams ad-Din al-Armavi, kadi de l'armée, à l'empereur Frédéric, souverain des Francs, et ils convinrent que les Musulmans céderaient Jérusalem au souverain des Francs, ainsi que ce qui dépendait de cette ville, telle qu'elle était depuis qu'elle avait été ruinée, mais que l'empereur n'en rebâtirait point l'enceinte fortifiée. Tous les villages dépendants de Jérusalem devaient rester la propriété des Musulmans, et les Francs n'y auraient aucun droit. De plus, le Haram et ses dépendances, la Sakhra, la Masdjid-al-Aksa, resteraient aussi aux Musulmans et les Francs y pénétreraient seulement pour y aller faire leurs dévotions. Les Musulmans en resteraient les maîtres, et on continuerait à y observer comme auparavant les pratiques de l'Islam, telles que l'appel à la prière et les autres coutumes. Il fut encore convenu que les villages qui se trouvaient entre 'Akkâ, Jaffa, Lydda et Jérusalem appartiendraient aux Francs, à l'exception toutefois de ceux qui dépendaient de Jérusalem. Ce traité fut le résultat de la démarche inconsidérée d'al-Kâmil auprès du roi des Francs et de la crainte que l'embarras dans lequel il se trouvait plongé lui-même ne l'empêchât de résister aux attaques du souverain de Damas. C'est pourquoi il accéda à ces conditions; il disait : « Je n'ai rien cédé aux Francs que des églises et des maisons en ruines, tandis que la Mosquée reste dans son état et qu'on y observe toujours les pratiques de l'Islamisme; de plus, les Musulmans restent les maîtres de la province et des villages qui en dépendent ».
Quand l'empereur, souverain des Francs, et le sultan furent tombés d'accord sur ces clauses, ils signèrent une trêve pour une durée de dix ans, cinq mois et quarante jours; elle devait commencer le vingt-huitième jour du mois de Rabi premier de cette même année. Le roi des Francs s'excusa auprès de l'émir Fakhr ad-Din en lui disant que, s'il n'avait pas craint de porter atteinte à son propre honneur, il n'eût pas imposé un tel sacrifice au sultan; il lui déclara qu'il n'avait jamais eu l'intention de prendre Jérusalem ou une autre ville, et qu'il ne l'avait fait que pour ne pas se déconsidérer aux yeux des Francs.
Al-Malik al-Kâmil et le souverain des Francs se prêtèrent serment d'observer ces clauses, et le sultan envoya des gens à Jérusalem pour ordonner aux Musulmans de sortir de la ville et de la remettre aux Francs. Les habitants fondirent en larmes et poussèrent de grandes clameurs; les imams et les muezzins se rendirent à la tente d'al-Malik al-Kâmil, et ils firent l'appel à la prière à sa porte à contretemps ; ce procédé blessa vivement le sultan, qui ordonna de leur enlever les rideaux d'étoffe, les candélabres et les autres instruments du culte qu'ils avaient avec eux, puis il les chassa en leur disant : « Allez vous en au diable ! »
Ce fut un grand malheur pour les Musulmans. Al-Malik al-Kâmil fut unanimement blâmé d'avoir agi ainsi, et sa conduite fut sévèrement jugée dans tous les pays. Après cela, l'empereur, roi des Francs, envoya demander la ville de Tibnîn avec le territoire qui en dépendait, et al-Malik al-Kâmil les lui donna. Il envoya ensuite prier le sultan de lui accorder la permission d'entrer à Jérusalem, et cette seconde demande fut également agréée d'al-Kâmil. Le sultan envoya même le kadi Chams ad-Din, kadi de Nabolos, auprès de l'empereur, qui se rendit avec lui à la mosquée de Jérusalem et visita sous sa direction tout ce qu'il y avait à voir.[236] L'empereur admira la Masdjid-al-Aksâ, le dôme de la Roche, et gravit les degrés du minier·. Il aperçut alors un prêtre chrétien tenant en main les Évangiles, qui se disposait à pénétrer dans la Masdjid-al-Aksa; il l'apostropha violemment et lui reprocha d'être venu en cet endroit. Il jura que si un des Francs cherchait à entrer dans ces lieux sans en avoir la permission, il le ferait mettre à mort et il ajouta : « Nous sommes ici les mamlouks[237] du sultan al-Malik al-Kâmil et ses serviteurs; c'est par pure bienveillance qu'il nous a gratifiés, ainsi que vous, de ces églises; que pas un de vous ne dépasse les limites qui ont été fixées! » Le prêtre s'en alla, tout tremblant de peur. L'empereur se rendit ensuite dans le palais qui avait été préparé pour le recevoir, et le kadi de Nabolos défendit aux muezzins de faire l'appel à la prière durant cette nuit (de peur de le gêner); ainsi firent-ils. Le lendemain, l'empereur dit au kadi : « Pourquoi les muezzins n'ont-ils pas appelé les fidèles à la prière du haut des minbers ? » Le kadi lui répondit : « Ton esclave leur a défendu de le faire, par respect pour l'empereur et pour l'honorer. » — « Tu as eu tort d'agir ainsi, lui répondit Frédéric, car mon principal but en venant à Jérusalem était d'entendre appeler les Musulmans à la prière et invoquer Allah durant la nuit ».
L'empereur partit ensuite pour 'Akkâ. C'était un prince très savant en géométrie, en arithmétique et dans les sciences exactes.[238]
Il envoya au sultan al-Malik al-Kâmil plusieurs questions très ardues sur la géométrie, la théorie des nombres et les mathématiques. Le sultan les montra au cheikh 'Alam ad-Din, le Hanéfi, connu sous le nom de Ta'sif, ainsi qu'à d'autres savants ; il en écrivit les réponses et les retourna à l'empereur. L'empereur partit d'Akkâ par mer pour regagner son pays à la fin du second Djoumada; al-Malik al-Kâmil envoya Djémal ad-Din al-Kâtib al-Ashrafi dans les provinces de l'Orient et auprès du khalife pour rassurer les esprits et en bannir les craintes qu'avait fait naître la prise de Jérusalem par les Francs.
Cette même année, le cinquième jour du mois de Djoumada premier qui était un dimanche, on cerna l'hôtel du kadi al-Ashraf-Ahmad, fils du kadi al-Fadil, et on transporta sa bibliothèque à la Citadelle de la Montagne, le vingt-sixième jour de ce même mois; le nombre des volumes que l'on y transporta fut de soixante-huit milles; le troisième jour du mois de Djoumada second, on transporta les planches de la bibliothèque : il y en eut en tout quarante-neuf charges; il fallut cinquante-neuf chameaux pour transporter tous les livres, et ces animaux furent littéralement chargés de Corans. Le Samedi, vingt-deuxième jour du mois de Redjeb de cette même année, on transporta ces livres de la Citadelle de la Montagne à l'hôtel du kadi al-Fadil ainsi que tout ce qui composait sa bibliothèque. On a dit qu'il y avait en tout onze mille huit cent huit volumes. Parmi tous les livres qui avaient été pris se trouvait le Kitab-al-aïk-wa-l-ghosoûn, écrit par Aboul 'Alâ al-Mo'izzi, en 60 volumes.[239]
Cette année, al-Malik an-Nasir qui se trouvait alors à Damas, sentit s'augmenter son ad version contre son oncle al-Malik al-Kâmil[240] pour avoir livré Jérusalem aux Francs ; cette action aliéna tous les esprits au sultan d'Egypte. Le hâfith Chams ad-Din Yousouf-Sibt-al-Sheikh-Djémal ad-Din ibn al-Djaûzi vint tenir une séance[241] dans la mosquée de Damas et il exposa les mérites de Jérusalem; il se lamenta sur la prise de possession de Jérusalem par les Francs, et il dénonça l'action d'al-Kâmil comme une infamie. Un nombre infini d'habitants de Damas assistaient à cette conférence; ils poussèrent des cris de détresse, et ils pleurèrent abondamment. Le hâfith composa un poème de trois cents vers dans lequel il disait:[242]
Sous[243] le Dôme de l'Ascension et sur la Roche qui surpasse en excellence tous les rochers du monde, se trouvent des collèges où l’on ne lit plus les versets du Coran, et les portiques de la ville de la Révélation restent déserts.
On ne vit jamais tant pleurer à Damas que pendant ce jour.
Al-Malik al-Ashraf continuait toujours le siège de Damas; il envoya prier al-Malik al-Kâmil de venir à son secours. Le sultan partit de Tell al-'Adjoul après avoir fait un long séjour dans cet endroit; al-'Aziz Othman, prince de Bânias (sic), se rendit au-devant de lui, accompagné de son fils ath-Tahir-Ghazi, et ils le rencontrèrent près du village de Nabi.[244] Le sultan d'Egypte donna à al-Malik al-'Aziz cinquante mille dinars et à son fils Ghazi dix mille, sans compter des étoffes précieuses et de splendides vêtements d'honneur. Al-Malik al-Kâmil ordonna qu'on loi dressât un grand pavillon entouré d'autres tentes plus petites (bouyoûtat), avec tous les objets dont il pouvait avoir besoin; il fit de même dresser des tentes pour ses officiers et ses mamlouks. L'émir 'Izz ad-Din Aîdimour al-Mo'aththamî arriva ensuite auprès d'al-Malik al-Kâmil ; le sultan lui donna dix mille dinars, ou suivant d'autres personnes, vingt mille ; il fit dresser un acte par lequel il lui concédait vingt mille ardebs de céréales dans la province de Koûs et il lui donna toutes les propriétés foncières du sahib Safi ad-Din ibn Shakir, ses terres et ses bains. Ensuite, il se mit en marche pour se rendre à Damas, et il vint camper devant cette ville au mois de Djoumada premier. Al-Malik al-Kâmil, secondé par al-Malik al-Ashraf, poussa vivement le siège de la ville. Les habitants souffraient cruellement de la soif depuis que les conduites d'eau qui alimentaient Damas avaient été coupées; de plus, les combats se renouvelaient tous les jours sans interruption. Cette situation se prolongea jusqu'à la fin de Redjeb. Les vivres devinrent alors très chers, et le trésor d'al-Malik an-Nasir s'épuisa; un certain nombre de ses officiers l'abandonnèrent alors et se rendirent auprès d'al-Malik al-Kâmil et d'al-Ashraf. Al-Malik an-Nasir se mit à faire frapper des dinars et des dirhems avec sa vaisselle d'argent et d'or et il distribua les sommes qu'il se procura ainsi, jusqu'à ce qu'il eût épuisé presque toutes ses ressources; les habitants de Damas le secondèrent de toutes leurs forces, avec un loyalisme parfait, et ils causèrent un dommage considérable à l'armée d'al-Malik al-Kâmil et d'al-Ashraf.
Le kadi Bahâ ad-Din ibn Shaddâd, accompagné des notables d'Alep et de ses assesseurs, arriva, envoyé par al-Malik al-'Aziz, souverain d'Alep, avec la mission de demander la main de la fille d'al-Malik al-Kâmil pour son maître. Al-Malik al-Kâmil sortit de son camp et se rendit au devant de l'ambassadeur jusqu'auprès de la Mosquée Mesdjid-al-kadam; il donna à l'ambassadeur un appartement voisin du sien, puis il lui accorda une audience. Le kadi Bahâ ad-Din lui présenta les cadeaux (takdîma) qu'il avait apportés pour les lui offrir de la part d'al-Malik al-’Aziz ; ce fut l'émir ‘Imad ad-Din 'Omar, fils du cheikh des cheikhs qui dressa le contrat du mariage de Fatima-Khatoun, fille d'al-Malik al-Kâmil, avec al-Malik al-'Aziz; la dot fut fixée à cinquante mille dinars. L'ambassadeur d'Alep approuva la rédaction (kabala) du contrat, le seizième jour du mois de Redjeb.
Al-Malik an-Nasir-Daoud perdit courage quand il vil ses ressources complètement épuisées; il sortit pendant la nuit de la citadelle de Damas, à la fin du mois de Redjeb, accompagné seulement d'un petit nombre de personnes, et il se rendit lui-même à la porte du camp[245] d'al-Malik al-Kâmil.[246] Ce prince sortit à sa rencontre, lui témoigna de grands honneurs, le reçut à bras ouverts et le rassura, après lui avoir vivement reproché sa conduite. Sur l'ordre d'al-Malik al-Kâmil, an-Nasir-Daoud retourna à la citadelle de Damas, et au bout de deux jours, le sultan envoya auprès de lui l'émir Fakhr-ad-Dîn, fils du cheikh des cheikhs.
C'était un vendredi ; cet officier fit la prière dans la citadelle, il en sortit ensuite accompagné d'an-Nasir et ils se rendirent auprès d'al-Malik al-Kâmil. Les deux princes se prêtèrent serment l'un à l'autre, et al-Kâmil donna à an-Nasir, en échange de Damas, les villes de Karak et de Shaûbak ainsi que la province qui en dépendait avec Salt et Balka, al-Aghvar en entier, Nabolos, la province de Jérusalem et Baït-Djibril. Al-Nasir renonça ensuite à la propriété de Shaûbak en faveur d'al-Kâmil qui l'accepta, de sorte que le sultan d'Egypte eut la souveraineté de Shaûbak, de la ville du prophète Khalil (Hébron) (sur lui soit le salut!), de Tibériade, de Ghaza, d’Ascalon, de Ramla, de Lydda et de toutes les possessions musulmanes dans le Sahel. Les portes de Damas furent ouvertes, le premier jour du mois de Chaban.[247] Les habitants furent extrêmement peines de cet événement, et ils éprouvèrent un vif chagrin de voir al-Malik an-Nasir s'éloigner; son départ leur fit verser des larmes abondantes.
Ensuite, al-Malik al-Ashraf prit possession de Damas, et al-Kâmil fit partir des officiers chargés de la mission de faire reconnaître son autorité dans les Provinces de l'Orient : c'étaient l'émir Fakhr ad-Din, fils du grand cheikh, le khâdim Chams ad-Din Savâb et d'autres personnes. Ces officiers prirent possession de Harrân, d'Edesse, de Saroûdj, de Ra'as 'Aïn, de Rakka,[248] et encore d'autres places. Quant à an-Nasir-Daoud, il se rendit avec sa famille à Karak, et al-Malik al-Kâmil se dirigea vers Hamâh. Al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din ibn al-Mansour-Mohammad ibn Omar ibn Shâhânshâh ibn Ayyoub était arrivé devant cette place,[249] et l'avait assiégée jusqu'au moment où le prince qui y régnait, al-Malik-an-Nasir-Kilidj-Arslan, la lui eût rendue. Ce dernier se rendit auprès du sultan qui ne fit aucune attention à lui, le traita très durement et finit par le faire charger de chaînes. C'est ainsi que al-Malik al-Mothaffar s'empara de Hamâh. Al-Malik al-Nasir avait régné dans cette ville pendant neuf ans moins deux mois ; al-Kâmil l'envoya au Caire où il fut emprisonné.
Le sultan se dirigea ensuite vers les Provinces Orientales; il traversa l'Euphrate et entra dans la citadelle de Dja'abar ; de là il alla à Rakka. Cette marche causa une grande terreur aux princes qui régnaient en Orient. Le sultan célébra la fête de la rupture du jeûne à Rakka, d'où il alla à Harrân, puis à Rakka ; il mit en garnison dans cette ville un corps de troupes d'environ deux mille cavaliers.[250] Il y reçut des ambassadeurs venant de Mardin, d'Amid, de Maûsil, d'Irbil, ainsi que plusieurs princes de ces contrées ; il envoya Fakhr ad-Din, le fils du grand cheikh en mission auprès du khalife, et il remit en liberté son neveu, al-Malik an-Nasir-Kilidj-Arslan;[251] il le gratifia d'une robe d'honneur et lui donna en fief la ville de Ba'rîn.[252] Il lui écrivit un diplôme d'investiture pour lui en garantir la souveraineté, et il ordonna en même temps qu'on lui portât tout ce qui se trouvait dans la citadelle de Hamâh; cela faisait une somme de quatre cent mille dirhems ; al-Kâmil écrivit à al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din de lui livrer cette somme d'argent. An-Nasir se rendit ensuite dans la ville que lui avait donnée son oncle, et il en prit possession.
Cette même année, al-Malik al-Kâmil apprit que les Kharezmiens assiégeaient Khilât[253] et qu'ils avaient dressé contre cette ville une batterie de vingt mangonneaux, au milieu du mois de chewâl. On lui demandait du secours, mais il refusa d'en envoyer. — On reçut également la nouvelle que l'on faisait la khotba à Mardîn et qu'on y frappait la monnaie au nom d'al-Malik al-Kâmil. — Le sultan envoya aux armées d'Alep, de Hamâh et de Homs, l'ordre de venir le rejoindre, et l'armée d'Alep se mit en marche pour venir le trouver.[254] — On reçut la nouvelle que les Francs avaient fait une expédition du côté de Ba'rîn.
Cette même année, mourut à la Mecque al-Malik al-Massoud-Yousouf, fils d'al-Malik al-Kâmil[255] ; il était âgé de vingt-six ans et il en avait régné quatorze dans le Yémen. Il laissa un fils nommé Salah ad-Din Youssouf, qui reçut le titre de al-Malik al-Massoud, comme son pore. Le fils de ce prince, nommé Moussa, devint sultan d'Egypte et porta le titre d'al-Malik al-Ashraf. Al-Malik al-Mo’izz Aïbec régna conjointement avec lui, comme nous le raconterons plus loin, s'il plaît à Dieu ![256] Al-Kâmil ressentit un vif chagrin de la perte de son fils, il fit venir à sa courses mamlouks, ses trésors et ses enfants, et l'excès de sa douleur le porta à se vouer au blanc.[257] Al-Malik al-Massoud avait laissé comme son lieutenant dans le Yémen, Nour ad-Din 'Ali ibn Rasoul, le Turcoman. Ce personnage s'empara de l'autorité (taghallaba) dans le Yémen ; il envoya des présents à al-Kâmil et lui fit dire qu'il était son lieutenant dans ce pays.[258] Il devint par la suite souverain du Yémen.
Au commencement de cette année, al-Malik al-Kâmil se trouvait à Harrân, les Kharezmiens étaient devant Khilât, et al-Ashraf assiégeait Baalbek. — Cette année, l'émir Fakhr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs revint de son ambassade à Bagdad. Un ambassadeur de l'empereur, roi des Francs, arriva à Harrân avec une lettre destinée à al-Malik al-Kâmil ; il était également porteur d'un message destiné à l'émir Fakhr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs. — Al-Kâmil se rendit de Harrân à Rakka. — cette année, al-Malik al-Ashraf, fils d'al-'Adil, s'empara de Baalbek après un siège de dix mois; il donna à al-Malik al-Amdjad-Madjd ad-Din Bahram-Shah ibn Farouk-Shah ibn Shâhânshâh-Nadjm ad-Din Ayyoub ibn Shâdî,[259] en échange de la ville de Baalbek et des territoires qui en dépendaient, Kasr Dimashk[260] et Zabadâni.[261] Ce prince avait régné à Baalbek durant quarante-neuf années. — Al-Kâmil envoya l'émir Fakhr ad-Din 'Othman, l'ostadar, auprès d'al-Malik al-Ashraf pour des affaires importantes qui le regardaient personnellement, et il nomma Kamal-ad-Dîn, fils du grand cheikh gouverneur (naïb) dans le Djézireh. — Cette année, on reçut un ambassadeur du sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, le Seldjoukide, sultan du pays de Roum, adressé à al-Malik al-Kâmil pour lui faire savoir que ce prince avait envoyé vingt-cinq mille hommes du côté de l'Azerbaïdjan et dix mille vers Malatiyya,[262] et qu'il était prêt à en envoyer d'autres là où le sultan le désirerait. Al-Kâmil fat touché du procédé du sultan du pays de Roum, car il était fort inquiet du côté des Kharezmiens. — Al· Ashraf, prince de Damas, quitta cette ville pour se rendre dans les Provinces Orientales ; il rejoignit al-Malik al-Kâmil à Rakka ; Mâni ibn Hadîtha, émir des Arabes, arriva également. — Cette année, les Kharezmiens s'emparèrent de la ville de Khilât,[263] après un long siège, et après avoir livré de violents combats sous les murs de cette ville. Khilât succomba le vingt-huitième jour du mois de Djoumada premier; les Kharezmiens passèrent la population au fil de l’épée et mirent la ville à feu et à sang. — Al-Malik al-Kâmil se disposa à retourner au Caire pour régler plusieurs affaires qui l'y rappelaient, il avait reçu, entre autres choses, la nouvelle de la mort de son fils, al-Malik al-Massoud, et il l'avait tenue cachée à tout le monde ; il reçut également une lettre que lui envoyait son épouse, la mère d'al-Malik al-'Adil, dans laquelle elle se plaignait vivement, ainsi qu'al-'Adil, de la conduite d'al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub ; elle accusait ce prince d'avoir conçu le projet d'usurper le trône, disant qu'il avait acheté un très grand nombre de mamlouks turcs, qu'il avait extorqué (akhaza) de fortes sommes d'argent aux marchands et qu'il avait gaspillé une partie des fonds qui se trouvaient dans le trésor. « Si vous ne revenez pas bien vite, lui écrivait la princesse, il s'emparera du trône et me chassera de ce pays avec votre fils al-'Adil[264] ». Al-Malik al-Kâmil fut abasourdi de cette nouvelle, et il se mit dans une violente colère. Il apprit ensuite que son fils as-Sâlih avait acheté mille mamlouks. Il nomma l'eunuque (tavâshï) Chams ad-Din Savâb al-'Adili gouverneur des Provinces Orientales, et il lui donna un fief de cent cavaliers, en plus de ce qu'il possédait déjà en Egypte, c'est-à-dire le canton d'Akhmim en entier, Kâû[265] et al-Kâyât (?), ce qui lui constituait un fief de deux cent cinquante cavaliers. L'augmentation que lui donna al-Kâmil le porta au grade d'émir de trois cent cinquante cavaliers. Le sultan nomma vizir Kamal ad-Din, fils du grand cheikh, et partit pour le Caire, où il arriva au mois de Redjeb. Il changea complètement de sentiments à l'égard de son fils al-Malik as-Sâlih; il fit arrêter un certain nombre de ses officiers, les fit emprisonner et les força à rendre les sommes d'argent qu'al-Malik as-Sâlih leur avait distribuées; il retira ensuite à al-Malik as-Sâlih le litre d'héritier du trône. — Cette même année, le sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd livra bataille au sultan Djélal ad-Din; il le battit et tua la plus grande partie de son armée.[266] Le Kharezmchah se sauva avec quelques-uns de ses compagnons à Tavriz. Cette bataille eut lieu le vingt-septième jour du mois de Ramadhan. — Al-Malik al-Ashraf, prince de Damas, prit possession de la ville de Khilât. — Les plus basses eaux du Nil, mesurées au Nilomètre du Caire[267] furent à l'étiage de deux coudées, et le maximum de la crue fut de treize coudées et treize doigts, et rien de plus; aussi les vivres augmentèrent-ils. — Cette même année, les Francs allèrent faire une expédition contre Hamâh; al-Mothaffar-Takî ad-Dîn leur livra combat, leur tua du monde et leur fit prisonniers un grand nombre d'hommes; cet événement se passa au mois de Ramadhan. — Cette même année, mourut al-Malik al-Amdjad Majd ad-Din Bahram-Shâh ibn Farouk-Shah ibn Shâhânshâh ibn Nadjm ad-Din Ayyoub, prince de Baalbek, la nuit du mercredi, dix-huitième jour du mois de chewâl; il avait régné quarante-neuf ans; c'était un prince instruit dans les belles-lettres, et qui faisait bien les vers. — Cette année, mourut également al-Malik ath-Thafir-Khidr, fils de Salah ad-Din Youssouf ibn Ayyoub, connu sous le nom d'al-Malik al-Moushammar.
Cette année, al-Malik al-Ashraf s'en revint à Damas. — Al-Malik al-’Aziz, prince d'Alep, prit en mains propres les rênes du gouvernement; il venait d'atteindre sa dix-huitième année. Il se fit remettre les trésors par l’atabek Schihâb ad-Din Thoghril.[268] Il régna avec fermeté et d'une façon louable. Il envoya le kadi Bahâ ad-Din ibn Shaddâd auprès d'al-Malik al-Kâmil pour lui amener Safiyya Khatoun, fille d'al-Kâmil, et son épouse ; le kadi arriva au Caire où il s'arrêta.[269] — Cette même année, al-Malik al-Ashraf partit de Damas pour se rendre auprès d'al-Malik al-Kâmil ; il était accompagné d'al-Malik al-Mo'aththam, souverain du Djézireh ; les deux princes arrivèrent le dixième jour du mois de Djoumada premier, et le sultan al-Kâmil en ressentit un vif plaisir. — Al-Malik al-Kâmil se rendit à Alexandrie, laissant al-Ashraf au Caire, mais il se fit accompagner par le prince du Djézireh, al-Malik al-Mo'aththam, après lui avoir fait de nombreux présents.
Cette même année, les Tatars se mirent en campagne. — Modjîr ad-Din (sic) ibn al-'Adil, arriva au Caire. Ce prince avait été le prisonnier des Kharezmiens; son arrivée réjouit beaucoup al-Kâmil qui le combla de marques d'honneur, ainsi que son frère Takî ad-Din 'Abbas. — Cette année, mourut le sultan Djalal-ad-Din, fils du Kharezmchah, après avoir été battu et mis en fuite par les Tatars, dans un village dépendant de Mayyafarikin. Ce fut un Kurde qui le tua. Les Tatars arrivèrent à Irbil et ils massacrèrent un nombre incommensurable de Musulmans; à tel point que leur créateur seul put le connaître. — Cette année, al-Malik al-Kâmil s'occupa activement de faire creuser le bras du Nil qui coulait entre le Nilomètre et le quai de Misr; il vint lui-même prendre part aux travaux et il y fit travailler les princes de sa famille, les émirs et les troupes. Quand les travaux furent terminés, le Nil, même dans les jours de plus grande sécheresse, s'étendit depuis le Mikyâs et l'île de Raûdha, jusqu'à la rive de Djizah, et il y eut toujours, sans aucune interruption, de l'eau dans l'espace qui s'étend entre Misr et l'île de Raûdha, même au moment de la plus grande chaleur (et des plus basses eaux). Pour se procurer les fonds nécessaires à ces travaux, le sultan en avait réparti (kassata) les frais sur les hôtels situés au Caire, à Misr et dans l'île de Raûdha jusqu'au Nilomètre. Ce travail fut commencé dans les premiers jours du mois de Chaban et il fut terminé à la fin de chewâl; il avait ainsi duré trois mois. — Cette année, arriva un ambassadeur du khalife apportant des vêtements d'honneur et le diplôme d'investiture à al-Malik al-Kâmil; le sultan y était distingué par des augmentations considérables de ses titres[270] ; et aucun khalife n'avait agi d'une telle façon à l'égard des Seldjoukides ou d'autres souverains. Al-Malik al-Ashraf reçut de même des vêtements d'honneur. — Cette année, Omar ibn 'Ali ibn Rasoûl s'empara du Yémen et se proclama souverain indépendant.
Cette année, les Tatars terminèrent la conquête de toute l'Arménie, du pays de Khilât et de tout ce qui appartenait aux Kharezmiens. Le khalife fut terrifié de leurs progrès, et il envoya plusieurs ambassadeurs pour demander à al-Malik al-Ashraf de quitter l'Egypte et de venir à son secours; il implora également l'aide des Arabes et d'autres encore. Il dépensa de grandes sommes d'argent et il mit des garnisons dans toutes les villes pour repousser l'invasion des Tatars. —Al-Malik al-Kâmil partit du Caire, au mois de Djoumada second, laissant en Egypte son fils al-Malik al-'Adil Abou-Bakr, auquel il assigna comme demeure le Château de la Montagne, ainsi qu'à sa mère; il emmena as-Sâlih-Ayyoub avec lui.[272] Al-Malik al-Ashraf et al-Malik al-Mo'aththam, prince du Djézireh, partirent en avant avec les troupes; quant à al-Kâmil, il se rendit avec une faible escorte à Shaûbak et à Karak; de là, il alla à Damas accompagné d'al-Nasir-Daoud, prince de Karak, qui se fit suivre de son armée. Al-Kâmil avait donné en mariage à al-Nasir sa fille 'Ashourâ-Khatoun,[273] et le contrat avait été signé au campement de al-Ladjoun.[274] Il resta à Damas, fit partir l'armée en avant, et en donna le commandement à son fils al-Malik as-Sâlih-Ayyoub.[275] On apprit alors que les Tatars avaient envahi la province de Khilât; le sultan se hâta de se mettre en campagne, quitta Damas et vint à camper à Salamiyya. Les troupes s'étaient concentrées dans cette ville et son district n'était pas assez vaste pour les contenir toutes. Aussi, vers la fin du mois de Ramadhan, il quitta cette ville pour se diriger vers le désert de Syrie (el berriyyèh); les troupes se dispersèrent sur les divers chemins à cause de leur nombre excessif. L'armée perdit alors un très grand nombre d'hommes et de bêtes de sommes par suite de la disette d'eau. — Le sultan reçut des ambassadeurs qui lui étaient envoyés par les princes des différents états, c'étaient 'Izz ad-Din Baîkarâ (?), Fakhr ad-Din Othman ibn al-Dâmaghânï et les députés du khalife al-Mostansir-billah, qui le revêtirent des robes d'honneur sultaniennes envoyées par le khalife. A la même époque, il manda auprès de sa personne les ambassadeurs des Kharezmiens, l'ambassadeur des Kurdes, ceux de Hamâh, de Homs, l'ambassadeur du roi des Indes, les ambassadeurs de l'atabek Sa'ad, prince de Chiraz, et les ambassadeurs du prince d'Espagne. Jamais un tel nombre d'ambassadeurs ne s'était trouvé réuni en un même jour auprès d'un souverain. — Bahâ ad-Din al-Yazdi, supérieur du couvent al-Khilatiyya et plusieurs de ses disciples[276] vinrent de Bagdad pour le pousser à entrer en campagne.
Les Tatars levèrent le siège de Khilât au bout de quelques jours. Quand al-Kâmil apprit la nouvelle de leur retraite, il se trouvait à Harrân. Il envoya 'Imad-ad-Dîn, fils du grand cheikh, en ambassade auprès du khalife et il partit pour ar-Rohâ. L'armée marcha sur Amid. Al-Kâmil partit après elle, vint camper devant cette ville, et il dressa contre elle plusieurs mangonneaux. Le prince qui y régnait envoya implorer sa clémence, il offrit de lui donner cent mille dinars et d'en remettre vingt mille à al-Malik al-Ashraf; mais al-Malik -al-Kâmil ne voulut point consentir à cet arrangement, et il continua le siège jusqu'au vingt-sixième jour du mois de Dhou’lhiddjeh, où il s'empara de la ville. Le prince d'Amid se présenta devant lui grâce à un sauf-conduit[277] et le sultan mit des gardes auprès de lui pour s'assurer de sa personne jusqu'à ce qu'il lui eût cédé toutes les places fortes qui étaient en sa possession. — Le sultan donna Hisn-Keïfa à son fils al-Malik as-Sâlih-Nadim ad-Din Ayyoub. — Cette année arriva (envoyé par le prince) un présent de Mardîn. — Cette année, Ibn Shaddâd, arriva du Caire amenant Son Altesse (al-sitr-al-ali) la princesse Ghazi al-Khatoun, fille d'al-Malik al-Kâmil, épouse d'al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh, et Son Altesse la princesse Fátima-Khatoun, fille d'al-Kâmil et épouse d'al-Malik al-'Aziz, souverain d'Alep. L'émir Fakhr ed-Din al-Banyâsî accompagnait également les deux princesses ainsi que le shérif Chams ad-Din, kadi de l'armée. — Cette année, mourut à Harrân, l'émir Fakhr ad-Din Othman ibn Kizil, ostadar d'al-Malik al-Kâmil, directeur (sahib) du collège (medréceh) al-Fakhriyya au Caire, le dix-huitième jour du mois de Dzou’lhiddjeh. — Cette année, al-Malik al-Mansour-Omar ibn Rasoul, souverain du Yémen, envoya à la Mecque une armée commandée par le shérif Râdjih ibn Kattâda; le shérif enleva la Mecque à l'émir Shodja ad-Din Toughatikin, naïb d'al-Malik al-Kâmil, au mois de Rabi second. Shodja ad-Din s'enfuit à Nakhlah, puis à Yanbo. Il écrivit à al-Malik al-Kâmil pour lui apprendre cette défaite. Le sultan lui envoya une armée avec laquelle il marcha sur la Mecque ; les troupes égyptiennes y arrivèrent au mois de Ramadhan et elles reprirent la ville après avoir tué un nombre considérable d'ennemis. Le commandant de cette armée était l'émir Fakhr ad-Din Youssouf, fils du grand cheikh.[278]
Cette année, al-Malik al-Ka.mil donna à son fils al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub la citadelle d'Hisn-Keïfa[279] ; il l'envoya dans cette place et revint en Egypte, accompagné d'al-Malik al-Massoud, prince d'Amid. Quand il arriva au Château de la Montagne, il mit ce prince en liberté, le traita avec égards, et lui conféra une charge d'émir en Egypte. — Il fit emprisonner un certain nombre d'émirs égyptiens. — Cette même année, al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh, s'empara de la forteresse de Ba'rïn qu'il enleva à son frère al-Malik an-Nasir-Kilidj-Arslan.[280] An-Nasir se rendit ensuite auprès de son oncle al-Malik al-Kâmil qui le fit arrêter et emprisonner dans le Château de la Montagne, où il demeura jusqu'au moment de sa mort.[281] — Cette année, au mois de chewâl, al-Kâmil envoya à Yanbo, dans le Hedjaz, une armée de Ghozzes et d'Arabes, à la tête de laquelle il mit 'Alâ ad-Din Aksonkor az-Zahïdi ; elle comptait sept cents [cavaliers] (aie). Voici quel était le motif de cette expédition : on avait reçu la nouvelle que le shérif Râdjih était parti du Yémen avec une armée se dirigeant sur la Mecque, qu'il y était arrivé au mois de Safer et qu'il en avait chassé sans coup férir les Égyptiens qui s'y trouvaient. Az-Zahïdi arriva à l'époque du pèlerinage ; il s'empara de la Mecque et fit le pèlerinage avec les pèlerins. Il laissa à la Mecque Ibn Mahalla avec cinquante (sic) cavaliers et s'en retourna en Egypte. — Cette même année, mourut Fakhr ad-Din Soleïman ibn Mahmoud ibn Abou Ghâlib-al-Dimishki, secrétaire de la chancellerie (Katib al-inshâ). Al-Malik al-Kâmil fit venir un scribe nommé Amin ad-Din al-Halabi qui était au service de l'émir Izz ad-Din Aïbec, ostadar d'al-Malik al-Mo'aththam dans l'intention de lui confier la charge de secrétaire de la chancellerie. Mais, quand Amin se fut présenté à al-Malik al-Kâmil et qu'il se fut mis à rédiger une pièce devant lui, le sultan, lui donna un vêtement d'honneur et le renvoya chez son maître. Amin se rendit à Damas où il embrassa la vie religieuse et où il renonça complètement au siècle. Al-Malik al-Kâmil envoya ensuite quelqu'un à Mayyafarikîn, et il en fit ramener Djélal ad-Din ibn Nabata (?) pour lui confier la charge de secrétaire de la chancellerie. Quand cet individu se fut présenté, le sultan lui donna également un vêtement d'honneur et le renvoya, de telle sorte que ce ne fut pas non plus lui qui devint secrétaire de la chancellerie ; mais al-Malik al-Ashraf, prince de Damas, le prit à son service pour remplir ces fonctions.[282] — Le Mardi, dix-huitième jour du mois de Ramadhan, al-Malik al-Kâmil fit reconnaître, comme son successeur, son fils al-Malik al-'Adil Saïf ad-Din Abou Bakr. Il le fit monter à cheval revêtu des insignes de la souveraineté, et le prince traversa (shakka) ainsi le Caire. Il avait alors onze ans. Al-Malik al-Kâmil l'aimait beaucoup, ainsi que sa mère.[283] — Au mois de Dhoû’lka’dah, Mohyî ad-Din Youssouf ibn al-Djaûzi arriva de Bagdad apportant le diplôme d'investiture (pour al-Malik al-Kâmil) de la part d'al-Mostansir-billah. — Cette année, le sultan interdit de faire les paiements en monnaie de billon (foloûs) au Caire et à Misr ; cela fit perdre beaucoup d'argent à la population. — L'émir Hosâm ad-Din Mani 'ibn Haditha, émir des Arabes, de la tribu (âl) de Fadl, mourut cette année ; al-Malik al-Ashraf donna le titre d'émir à son fils. — An-Nasir-Daoud, prince de Karak, arriva au Caire. Ce prince descendit dans le Palais du Vizirat, au Caire; il figura à cheval dans la suite de son oncle al-Malik al-Kâmil. — Cette année, al-'Aziz Fakhr ad-Din 'Othman ibn al-'Adil mourut à Damas, le Lundi, dixième jour du mois de Ramadhan; et al-Malik al-Mo'aththam Mothaffar ad-Din Kokboûrî, fils de Zaïn ad-Dîn 'Ali-Koutchek, prince d'Irbil, mourut le vingt-neuvième jour du mois de Chaban ; il était âgé de quatre-vingt-quatre ans. Tous les ans, ce prince se rendait avec la plus grande ferveur aux lieux témoins de la naissance du Prophète.[284] Des officiers du khalife prirent possession d'Irbil après sa mort et cette ville devint ainsi une dépendance du Khalifat de Bagdad.[285]
Cette année, le sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd ibn Kaï-Khosrav, le Seldjoukide, souverain du pays de Roum, alla attaquer la ville de Khilât; al-Malik al-Kâmil partit du Caire avec son armée dans la nuit du samedi cinquième jour du mois de Chaban,[286] laissant en Egypte, comme vice-roi, son fils, al-Malik al-'Adil. Quand il fut arrivé à Damas, il écrivit aux princes ayyoubides pour leur ordonner de faire leurs préparatifs dans le dessein d'envahir avec leurs armées le pays de Roum. Le sultan quitta Damas et vint camper à Salamiyya au mois de Ramadhan. Il y organisa son armée et se rendit à Manbidj. L'armée d'Alep étant venue le rejoindre ainsi que d'autres troupes, il se mit en marche. Il y avait dans son camp seize tentes royales (dehtiz) pour les seize souverains qui l'accompagnaient; on dit aussi qu'ils étaient dix-huit (au lieu de seize); il passa en revue ses troupes, bataillon par bataillon, en tenue de campagne, à al-Birah. L'excès de l'admiration qu'il ressentit en voyant ces troupes le fit s'écrier : « Jamais une pareille armée n'a été réunie autour d'un souverain de l'Islam! ». Il donna le signal du départ, et les divers corps de son armée se rendirent les uns après les autres du côté du Derbend.[287] Le sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd s'était hâté de placer des troupes sur les chemins qui conduisaient dans cette région pour en défendre l'accès. Al-Malik al-Kâmil vint camper sur le Fleuve Bleu (al-nahr-al-azrak)[288] qui se trouve à l'entrée du pays de Roum. Les troupes de Kaï-Kobâd campèrent dans l'espace qui se trouve entre le fleuve et le Derbend ; elles s'emparèrent sur ce fleuve, de l'entrée (ra'as) de la gorge[289] du Derbend, et elles y construisirent un mur pour empêcher les soldats d'al-Kâmil de monter. Elles combattirent les Égyptiens du haut de leurs retranchements. Les vivres vinrent à manquer dans l'armée d'al-Malik al-Kâmil, et en plus de cette disette et de l'impossibilité de s'emparer du Derbend, les souverains ayyoubides se fâchèrent contre al-Malik al-Kâmil.
Voici quelle était la cause de cette querelle. Les ayyoubides étaient très irrités contre al-Kâmil depuis le jour où il passa la revue de ses troupes à al-Birah, et où il fut émerveillé du spectacle du grand nombre d'hommes qu'il voyait réunis ; il dit alors à ses courtisans : « Si l'empire de Roum tombe entre nos mains, je le partagerai entre les souverains de Syrie et des Provinces Orientales. Je prendrai leurs états en échange et j'ajouterai la Syrie et les Provinces Orientales au royaume d'Egypte.[290] » Al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs, se tint pour averti et il dénonça les projets d'al-Kâmil à al-Ashraf-Moussa, souverain de Damas. Celui-ci en ressentit la même indignation, mais il dissimula sa colère ; il fit venir ses neveux et les autres princes de sa famille et il leur apprit ce qui se passait. Ils s'allièrent contre al-Malik al-Kâmil et ils écrivirent à 'Alâ ad-Din pour lui annoncer qu'ils embrassaient son parti et qu'ils abandonnaient le sultan d'Egypte. Ils lui envoyèrent cette lettre qui, par hasard, tomba entre les mains d'al-Malik al-Kâmil ; il n'en dit rien, mais il donna l'ordre de rétrograder.[291] Le souverain du pays de Roum s'empara alors de la citadelle de Khartapirt[292] et de six autres forteresses qui appartenaient aux princes Ortokides, au mois de Dhoû’lka’dah. La défaite infligée par le sultan ‘Alâ ad-Din à ses émirs et à ses troupes dans la citadelle de Khartapirt,[293] mit al-Kâmil dans une violente colère ; il accusa les princes de sa famille d'en être la cause et il se promit de le leur faire payer. — Cette même année, mourut al-Malik al-Mofaddal-Kotb ad-Din Moussa, fils du sultan Salah ad-Din Youssouf ibn Ayyoub, au mois de Dhou’lhiddjeh. — Al-Malik al-Mansour, souverain du Yémen, envoya une armée et de l'argent au shérif Râdjih; ce dernier chassa de la Mecque les Égyptiens qui s'y trouvaient. — Cette année, le premier jour du mois de Redjeb le cheikh Abou 'Abd-Allah Mohammad ibn 'Omar-al-Kortobi assista à un concert mystique[294] dans la Zakâk ath-Thabbâkh à Misr; y assistaient également, le cheikh Abou 'Abd-Allah-al-Karshi et Abou’l 'Abbas al-Kastallâni, ainsi qu'un certain nombre d'autres personnes; quand les chanteurs[295] eurent fini de déclamer des vers, Abou Youssouf al-Dahmânî frappa dans ses mains : on vit alors sortir de terre une forme cubique qui s'éleva jusqu'à la hauteur des lambris[296] de la salle : elle tourna trois fois sur elle-même, puis elle retomba à terre ; le cheikh al-Kortobi se leva et mesura la hauteur du lambris; il était situé plus haut que sa tête d'une main.[297]
Cette année, al-Malik al-Kâmil revint des Provinces Orientales au Château de la Montagne au mois de Djoumada premier ; il était furieux de ce qui s'était passé entre lui et son frère al-Malik al-Achraf, prince de Damas, et les autres princes de sa famille. Il fit arrêter Massoud, souverain de Amid, et le fit emprisonner dans une tour, lui et sa famille, le lundi, seizième jour du mois de Djoumada premier, parce que ce prince faisait cause commune avec eux. — Le sultan du pays de Roum prit Rohâ et Harrân d'assaut, puis il s'en retourna dans ses états après avoir fait main basse sur tout l'argent qui se trouvait dans ces villes. Quand al-Malik al-Kâmil apprit la perte de ces deux places, il ordonna aux troupes de faire en toute hâte leurs préparatifs de départ et de marcher vers les Provinces Orientales.[299] Il donna en fief au fils de l'émir Salah ad-Din al-Irbili, Sanafir (?) qui dépend du canton de Kolyoûb (?) ; il y installa avec lui les parents de son père et ses mamlouks, ce qui faisait dix-sept personnes. — Cette année, Ibn Rasoûl envoya une somme d'argent au shérif Râdjih pour rassembler une armée; le shérif ne put le faire; il apprit en effet que le sultan al-Malik al-Kâmil venait d'envoyer l'émir Asad ad-Din Djaghrîl (?)[300] un des mamlouks kamélis, pour s'emparer de la Mecque, avec sept cents cavaliers. Le shérif Râdjih ibn Kattâda s'enfuit devant ce général vers le Yémen. Asad ad-Din se rendit maître de la Mecque au mois de Ramadhan et l'armée resta dans cette ville. — Cette même année, mourut al-Malik az-Zâhir Abou Soleïman-Mohyî ad-Din Dâvoûd ibn Salah ad-Din Youssouf ibn Ayyoub, prince de Bira, le septième jour du mois de Safer; al-’Aziz, prince d'Alep, s'empara de cette ville. — L'émir Chams ad-Din Savàb, l'eunuque (tavashi), mamlouk d'al-Malik al-Kâmil, mourut à Harrân, dans les derniers jours du mois de Ramadhan.[301]
Celle année, une violente épidémie dévasta l'Egypte durant trois mois; un nombre considérable de gens moururent au Caire et à Misr; on y compta plus de douze mille morts, sans tenir compte des personnes qui moururent dans le Rif. — cette année, les Tatars marchèrent du côté de Maûsil, et mirent le pays à feu et à sang. — Al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Karak, se rendit à la cour du khalife[302] ; c'était par crainte de son oncle qu'il avait pris cette résolution ; al-Malik al-Kâmil, l'avait, en effet, obligé à lui renvoyer sa fille[303] et il craignait de plus que son oncle ne lui enlevât la ville de Karak. Il arriva à Bagdad où le khalife le fit recevoir avec de grands honneurs, tout en refusant de lui accorder une audience, par égards pour al-Malik al-Kâmil. Il le reçut ensuite en secret, lui donna un vêtement d'honneur et envoya avec lui à al-Kâmil un ambassadeur choisi parmi ses familiers pour intercéder en sa faveur. Quand al-Nasir arriva auprès d'al-Kâmil, le sultan d'Egypte se rendit au devant de lui et agréa l'intervention du khalife. — Cette même année, al-Kâmil partit du Caire avec ses troupes pour se rendre dans les Provinces Orientales[304] ; il assiégea Édesse[305] et s'en empara, le mercredi treizième jour du mois de Djoumada premier, il y fit prisonniers plus de huit cents émirs (et soldats) et il ruina la citadelle. De là, il alla assiéger Harrân dont il s'empara après l'avoir assiégée et après de violents combats, le quatorzième jour du mois de Rabi second ; il y fit prisonnières toutes les troupes du sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd qui s'y trouvaient, avec leurs émirs et les officiers, tant supérieurs que subalternes; cela faisait sept cent vingt-cinq hommes; le plus grand nombre de ces gens moururent sur les chemins.[306] Il se rendit ensuite à Donaïsir[307] et la détruisit ; il apprit alors que les Tatars étaient arrivés à Sindjar au nombre de cent escadrons, dont chacun se composait de cinq cents cavaliers. Il s'empara d'assaut de la citadelle de Souvaïda, le dix-septième jour du mois de Djoumada (sic), il la rasa et fit prisonnière toute la garnison. Il conquit ensuite Katîna dont il réduisit la garnison en captivité, le dix-neuf du mois de Redjeb ; il envoya tous ses prisonniers en Egypte, et leur nombre s'élevait à plus de trois mille hommes; il s'en retourna ensuite à Damas après avoir donné le gouvernement des Provinces Orientales à son fils al-Malik-as-Sâlih.[308] — Cette même année, Donaïsir ainsi que beaucoup de grandes villes appartenant au prince de Mardîn furent détruites.[309] — L'armée du sultan du pays de Roum entra en campagne après qu'al-Kâmil fut rentré à Damas; elle assiégea Amid et ruina la ville de Dara, le cinquième jour du mois de Dhoû’lka’dah. — Les Francs s'emparèrent de la ville de Kartaba (Cordoue) en Espagne. — Cette année, Anba-Kirilos-Daoud, fils de Laklak, devint patriarche des Jacobites à Alexandrie, le dimanche vingt-troisième jour du mois de Bouna de l'année 951 des Martyrs, date correspondante au vingt-neuf du mois de Ramadan. Il occupa le trône patriarcal durant sept années, neuf mois et dix jours; c'était un homme savant, mais hypocrite et avide d'argent qui faisait payer les prêtres pour les ordonner. Comme, depuis quelque temps, il n'y avait pas assez d'évêques en Egypte, il en créa plusieurs en se faisant donner des sommes considérables. Cela fit un mal immense. Le moine ‘Imad-al-Marshar avait fait une campagne très active pour faire élire Daoud patriarche, à la condition que Daoud ne nommerait pas un évêque sans lui demander son avis; Daoud n'en fit rien ; le moine ne voulut plus avoir de relations avec lui et le cita devant la juridiction ecclésiastique.[310] Alors Ibn Laklak le fit étroitement surveiller ainsi que plusieurs de ses parents et lui ordonna de ne pas sortir de chez lui. Un autre moine, nommé le cheikh Sani ed-dauleh ibn al-Ta'bân, se déclara également contre Ibn Laklak et refusa de reconnaître son autorité; il dénonça publiquement sa conduite scandaleuse, affirma qu'il n'était arrivé à sa situation qu'à force de corrompre les fonctionnaires, qu'il vendait les ordinations pour de l'argent, et que c'était au mépris des lois canoniques qu'il occupait le trône pontifical. Un certain nombre de personnes qui étaient de la même opinion que le moine Sani ed-dauleh, tinrent, pour faire prévaloir ses idées, une réunion par devant le sahib Mo'ïn ad-Din, fils du grand cheikh, sous le règne du sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub; ils portèrent contre Ibn Laklak des accusations infamantes, et décidèrent de le déclarer déchu du Patriarcat. Mais toute la bureaucratie et tous les employés des finances de l'empire égyptien se levèrent comme un seul homme[311] pour défendre Ibn Laklak et ils s'entendirent avec le sahib Mo'in ad-Din (pour ne pas le laisser révoquer). Ce personnage fixa une somme d'argent qu'Ibn Laklak donna au sultan, de sorte qu'il resta patriarche jusqu'au moment de sa mort qui arriva le mardi, quatorzième jour du mois de Barmahât de l'année 959 des Martyrs, ce qui correspond au sept du mois de Ramadan de l'année 640. Après lui, le trône patriarcal resta vacant pendant sept années, six mois et vingt-six jours. — Cette même année, al-Malik al-Mansour-Omar ibn 'Ali ibn Rasoûl, souverain du Yémen, envoya une armée à la Mecque sous le commandement de Schihâb ad-Din ibn 'Aïdâb et lui confia un trésor de guerre. Les Égyptiens le battirent, le firent prisonnier et l'envoyèrent au Caire chargé de chaînes.
Cette année, al-Malik al-Kâmil partit de Damas pour se rendre au Caire ; quand il fut arrivé dans cette ville, il monta au Château de la Montagne. Il se rendit ensuite à Damiette. Mohyî ad-Din Youssouf ibn al-Djaûzi vint l'y trouver en qualité d'ambassadeur du khalife; ce personnage se rendit ensuite auprès du sultan du pays de Roum, accompagné du hâfith Zaki ad-Din 'Abd al-Athim al-Mondirî, ambassadeur d'al-Malik al-Kâmil auprès de ce prince. — Cette année, mourut al-Malik al-’Aziz Ghiyâth ad-Din Mohammad, fils d'al-Malik ath-Tahir-Ghazi, fils de Salah ad-Din Yousouf ibn Ayyoub, souverain d'Alep, le mercredi, vingt-quatrième jour du mois de Rabi premier. Il était âgé de vingt-trois ans et quelques mois. Après lui, régna son fils an-Nasir-Salah ad-Din Abou’l Mothaffar-Youssouf, qui avait environ sept ans; les deux émirs Loulou-al-Amini et Izz ad-Din Omar ibn Mahâlli se chargèrent des soins du gouvernement ; le vizir Djémal ad-Din al-Akram siégea entre eux deux[313] et son Altesse, la princesse Safiyya-Khatoun,[314] fille d'al-Malik al-'Adil, se remit de l'exécution de toutes les affaires à l'émir Djémal ad-Din Iqbal.[315] L'émir Badr ad-Din Badr ibn Aboul-'l Hidja et Zaïn-ad-Din, kadi d'Alep, portèrent à al-Malik al-Kâmil les habits de leur maître al-'Aziz ainsi que sa cuirasse, son casque et sa selle.[316] Le Sultan montra qu'il était touché de la mort d'al-'Aziz, mais il reçut les ambassadeurs sans leur témoigner de grands honneurs. Il reconnut al-Malik an-Nasir comme souverain d'Alep, et, après avoir réglé quelques affaires avec les deux ambassadeurs, il leur accorda leur audience de congé. Il envoya un vêtement d'honneur à al-Malik an-Nasir sans cheval (markoûb)[317] et il remit à ses ambassadeurs plusieurs robes d'honneur pour les émirs d'Alep, ainsi qu'un vêtement destiné à al-Malik-al-Sâlih-Salah ad-Din Ahmad ibn ath-Tahir-Ghazi, prince d’Aïntab. La mère d'al-Malik ath-Tahir se défia de son frère al-Kâmil et elle ne permit pas à un seul de ses émirs de revêtir les habits que le sultan d'Egypte leur avait envoyés. Quant à al-Nasir, il revêtit un de ces vêtements, et l'ambassadeur, continuant son chemin, alla remettre à al-Malik al-Sâlih-Ahmad la robe d'honneur qui lui était destinée. — Cette année, al-Malik al-Ashraf, prince de Damas, se déclara contre al-Kâmil, et envoya un ambassadeur à Alep. Les Halébins consentirent à conclure une alliance avec lui pour empêcher toute tentative d'al-Malik al-Kâmil contre la Syrie, et ils écrivirent au sultan 'Alâ-ad-Dîn, souverain du pays de Roum, pour le prier de s'allier avec eux. Tous les autres souverains de Syrie[318] s'accordèrent à prendre parti contre al-Malik al-Kâmil qui fut très ému et très vexé. Il se trouvait alors à Alexandrie lorsqu'il reçut cette nouvelle ; il partit pendant la nuit, se rendit au Château de la Montagne et s'empressa de prendre ses dispositions pour leur répondre. Sur ces entrefaites, le sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd ibn Ghiyâth ad-Din Kaï-Khosrav ibn Kilidj-Arslan, souverain du pays de Roum, vint à mourir, et son fils monta sur le trône. Ce sultan mourut le septième jour du mois de chewâl, avant d'avoir pu donner audience au hâfith Zakî ad-Din 'Abd al-'Athim al-Mondirî, ambassadeur du sultan al-Kâmil.[319] Les souverains de Syrie envoyèrent alors leurs ambassadeurs au sultan Ghiyâth ad-Din Kaï-Khosrav ibn 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, le seldjoukide, souverain du pays de Roum, pour lui présenter leurs compliments de condoléances au sujet de la mort de son père et pour lui prêter serment d'observer l'alliance qui avait été conclue avec 'Alâ ad-Din contre al-Kâmil. Al-Malik al-Kâmil envoya de même Afdal ad-Din Mohammad al-Khavandî au sultan de Roum pour lui exprimer ses condoléances au sujet de la mort de son pore; cet ambassadeur apportait des pièces d'or pour distribuer en aumônes de la part de son souverain et des pièces d'étoffe de satin pour recouvrir le tombeau du sultan seldjoukide. — Cette année, l'épidémie fut encore plus violente que l'année précédente. — Al-Malik al-Kâmil fit frapper de la monnaie de cuivre (foloûs). — Il envoya le kadi al-Ashraf ibn al-Fadil à al-Malik al-Nasir-Daoud, prince de Karak, pour le prier de s'allier avec lui. Ce prince partit pour le Caire, accompagné du kadi al-Ashraf, et son arrivée réjouit beaucoup al-Malik al-Kâmil. Le sultan se rendit à cheval à sa rencontre et lui assigna comme demeure le Palais du Vizirat ; il lui fit de nombreux cadeaux, lui remit un vêtement d'honneur et lui donna l'investiture pour la ville de Damas.[320] Il ordonna aux émirs et aux princes ayyoubides qui se trouvaient alors en Egypte de porter tour à tour le ghâshîah devant al-Nasir-Daoud. Le premier qui le porta fut al-Malik al-'Adil Abou Bakr ibn al-Malik al-Kâmil, et tous les autres princes le portèrent successivement jusqu'à ce que Daoud fût monté au Château de la Montagne. Al-Malik al-Kâmil renouvela le contrat de mariage de Daoud avec 'Achoura Khatoun, sa fille, d'avec laquelle il l'avait contraint de divorcer,[321] le dix-neuvième jour du mois de Dhou’lhiddjeh. Quand al-Malik al-Ashraf apprit ce qui s'était passé, il envoya des gens cerner Nabolos; ceux-ci s'emparèrent de tout ce qui s'y trouvait et qui appartenait à al-Malik al-Nasir-Daoud. — Al-Malik al-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, fils d'al-Malik al-Kâmil et prince d'Hisn-Keïfa, envoya demandera son père la permission de prendre à sa solde les Kharezmiens qui s'étaient mis en révolte contre le sultan du pays de Roum. Le sultan le lui permit, et al-Sâlih prit ces gens à son service dans le Djézireh, ce qui accrut considérablement ses forces. — Cette même année, les Tatars s'emparèrent d'Irbil; ils tuèrent ou réduisirent en captivité tous les gens qu'ils y trouvèrent, ils s'y livrèrent à un tel saccage que la ville fut remplie de cadavres, ils s'en retournèrent ensuite.
Cette même année, al-Malik al-Kâmil reçut un ambassadeur que lui avaient envoyé les ayyoubides de Syrie; ce personnage apprit au sultan que les princes l'avaient chargé de lui dire : « Nous avons tous fait alliance ensemble contre loi. Ne sors pas d'Egypte pour venir en Syrie et jure nous de ne point le faire. »
Sur ces entrefaites, il arriva qu'al-Malik al-Ashraf tomba malade à al-Darb ; ce qu'il mangeait ne pouvait lui rester dans l'estomac.[322] Cette maladie dura jusqu'à la fin de l'année, depuis le mois de Redjeb. — Une armée arriva du Yémen devant la Mecque ; l'émir Asad ad-Din lui livra bataille et la mit en déroute. Al-Malik al-Mansour 'Omar ibn Rasoûl arriva et s'empara de la Mecque sans coup férir; il y distribua de l'argent en aumônes et y laissa une garnison. Le shérif Shihna (?) ibn Kasim, émir de Médine, survint alors; il s'empara de la Mecque et chassa la garnison qu'y avait laissée al-Malik al-Mansour, sans coup férir.[323]
Cette année, al-Malik al-Ashraf-Moussa ibn al-Malik al-'Adil Abou Bakr ibn Ayyoub mourut à Damas où il régnait, le jeudi, quatrième jour du mois de Moharram[324] ; il avait environ soixante ans, et la durée de son règne à Damas avait été de huit années et quelques mois. Il ne laissait qu'une fille;[325] c'est pourquoi il désigna comme son successeur son frère al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ’îl, prince de Bosra; il lui assura le trône après lui par serment, et il le fit monter à cheval de son vivant avec l'étendard. Ce prince devint ainsi l'héritier présomptif de son frère pour les villes de Damas et de Baalbek ; il envoya son fils, al-Malik al-Mansour-Mahmoud, dans les Provinces de l'Orient pour se faire remettre Sindjar, Nisibin et al-Khabour par les officiers d'al-Malik al-Ashraf. Il envoya des ambassadeurs à al-Moudjahid, prince de Homs, à al-Mothaffar, prince de Hamâh, et aux habitants d'Alep pour qu'ils le reconnussent par serment et pour qu'ils fissent alliance avec lui aux conditions qui avaient été fixées entre eux et al-Malik al-Ashraf contre al-Malik al-Kâmil. Tous y consentirent, sauf le prince de Hamâh, qui avait de l'inclination pour al-Malik al-Kâmil. Le prince de Hamâh envoya avertir al-Malik al-Kâmil de l'inclination qu'il ressentait pour lui; al-Malik al-Kâmil s'en réjouit beaucoup.[326] Quant à as-Sâlih, il traita avec la dernière brutalité plusieurs habitants de Damas que l'on disait être du parti d'al-Malik al-Kâmil ; parmi eux, se trouvaient 'Alam ad-Din Ta'asïf et les fils de Mozahhar ; il les fit emprisonner à Bosra.
Le sultan d'Egypte se décida à en appeler au sort des armes. Il partit du Château de la Montagne avec son armée à l'aube du jeudi, vingt-troisième jour du mois de Safer, laissant au Caire, en qualité de vice-roi (naïb), son fils al-Malik al-'Adil. Il emmena avec lui al-Nasir-Daoud ; ce prince ne doutait pas un instant qu'il allait devenir maître de Damas, d'après ce qui avait été convenu entre al-Kâmil et lui.[327] Le sultan[328] écrivit au gouverneur de la forteresse d’Adjloûn[329] qui lui livra la place. Il vint camper devant Damas à la mosquée Mesdjid-al-Kadam, le vingt-troisième jour du mois de Rabi premier ; la ville avait été fortifiée et avait reçu des renforts. Al-Malik al-Kâmil l'investit, coupa les canaux qui y amenaient l'eau et exerça un blocus si rigoureux que les vivres manquèrent dans la place. Il incendia al-'Akiba,[330] ainsi que les moulins et il ne laissa aucune trêve à la garnison. On se trouvait alors en plein hiver. Al-Malik al-Sâlih comprit qu'il ne pouvait résister plus longtemps, et il livra Damas à son frère al-Kâmil, qui lui donna en échange la ville de Baalbek, la Bika', Bosra et le Savâd.[331] Ce fut le sahib Mohyî ad-Din Abou’l Mothaffar-Yousouf, fils du cheikh Djémal ad-Din Abou 'l-Faradj ibn al-Djaûzi, ambassadeur du khalife, qui s'entremit entre les deux souverains, car il était venu pour rétablir la concorde entre les princes ayyoubides. Al-Malik al-Kâmil prit possession de Damas, le dixième jour du mois de Djoumada premier, et son frère al-Malik as-Sâlih se rendit à Baalbek, le dix-neuvième jour de ce même mois. Al-Kâmil vint demeurer dans la citadelle et il ordonna de dresser le dehlîz[332] en dehors de Damas; il envoya al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh, à Homs et il mit en liberté Falak ad-Din al-Masiri, qui était emprisonné dans un cachot de la citadelle de Damas où al-Ashraf l'avait fait enfermer; il fit transporter le corps d'al-Ashraf dans son mausolée. — Le lundi, sixième jour du mois de Djoumada second, al-Kâmil donna l'ordre qu'aucun imâm de la Mosquée de l'Occident ne fît la prière, à l'exception du grand imâm et de lui seul, parce que leurs prières causaient un grand trouble parmi les fidèles occupés à prier. — On reçut la nouvelle qu'al-Malik al-Sâlih ibn al-Malik al-Kâmil avait pris possession de Sindjar, de Nisibin et d'al-Khabour. — Un ambassadeur du khalife arriva auprès d'al-Malik al-Kâmil ; il venait demander au sultan d'Egypte de lever une armée pour le compte de son maître[333] qui avait appris que les Tatars marchaient vers Bagdad. Al-Malik al-Kâmil se leva quand l'ambassadeur lui remit la lettre du khalife, et il la plaça sur sa tête; l'ambassadeur avait apporté en tout cent mille dinars misris. Le sultan ordonna de prendre dans le trésor public deux cent mille dinars et de lever une armée avec cette somme ; il prescrivit également d'envoyer un détachement tiré de l'armée d'Egypte et de Syrie et composé de dix mille hommes, au secours du khalife. Le commandant de cette armée devait être al-Malik al-Nasir-Daoud. Le sultan défendit que l'on dépensât si peu que ce fût de l'argent qu'avait envoyé le khalife, et il le renvoya intégralement au trésor de ce prince. Il préposa au recrutement de l'armée les deux émirs Rokn ad-Din al-Hidjâvî et 'Imad ad-Din ibn Moûshak, auxquels il ordonna, ainsi qu'à al-Nasir-Daoud, de se mettre au service du khalife. Quand cette armée fut rassemblée, elle se mit en marche vers Bagdad ; elle comptait environ trois mille cavaliers.
Après ces événements, al-Malik al-Kâmil fit ses préparatifs pour aller entreprendre la conquête d'Alep.[334] Al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs, craignant d'être attaqué à son tour, envoya son fils auprès d'al-Kâmil; il fut convenu entre les deux princes qu'al-Moudjahid paierait tous les ans à al-Kâmil la somme d'un million de dirhems, et qu'en retour ce dernier le laisserait tranquille.
Depuis le moment où al-Kâmil était entré à la citadelle de Damas, il avait été atteint d'un rhume; au commencement de cette indisposition, il se rendit au bain et on lui versa de l'eau chaude sur la tête ; cela lui fit descendre l'humeur dans l'estomac qui se dilata et la fièvre se déclara.[335] Les médecins contremandèrent l'usage des vomitifs dont ils redoutaient les effets, mais, vers la fin du mercredi, vingt et unième jour du mois de Redjeb, le sultan se rendit dans la Salle d'argent de la forteresse de Damas et s'administra lui-même un vomitif. Il en mourut et il fut inhumé le lendemain à l'aube.[336]
Ce prince était âgé d'environ soixante ans; sa mort arriva environ six mois après celle de son frère al-Malik al-Ashraf.[337] La durée de son règne à Damas avait été, cette fois, de soixante et onze jours; il avait été sultan en Egypte après la mort de son père durant vingt ans et quarante-trois jours, ou, suivant d'autres personnes, quarante-cinq jours ; il avait gouverné l'Egypte sous le règne de son père durant un laps de temps à peu près égal, ce qui lui faisait un règne total de près de quarante années.[338] Il était né le vingt-cinquième jour du mois de Rabi premier de l'an 576; il aimait les savants, les fréquentait volontiers et c'était avec une vraie passion qu'il entendait raconter les traditions relatives au Prophète; il rapportait les traditions d'après le certificat de licence qui lui avait été conféré par Abou Mohammad ibn Berri, par Abou’l Kasim-al-Boûsirî[339] et par plusieurs savants, égyptiens ou autres ; il favorisa beaucoup Abou 'l-Khattab ibn Rahiyya ; il construisit pour lui le collège des Traditions al-Kamiliyya au Caire, et il lui assigna des vakfs pour subvenir à son entretien. Il aimait discuter avec les gens de science, et il avait chez lui un recueil de questions curieuses[340] sur le droit et sur la grammaire : Il s'y référait quand on l'interrogeait sur un point de ces sciences. Les érudits jouissaient d'une grande faveur auprès de lui ; il faisait coucher dans la Citadelle de la Montagne plusieurs savants, tels que le grammairien Djémal ad-Din al-Yamîni, le juriste 'Abd-ath-Tahir, Ibn Rahiyya et l'émir Salah ad-Din al-Irbili, qui était un homme d'un mérite exceptionnel; on leur dressait des lits sur lesquels ils s'étendaient à côté de l'estrade (sérir) du sultan de façon à discuter pendant toute la nuit.[341] Les sciences et les belles-lettres étaient en grand honneur auprès de ce prince, de telle sorte que les gens qui y avaient acquis de la distinction se rendaient à sa cour ; il donnait à tous ceux qui venaient ainsi le trouver des pensions considérables qu'il prélevait sur sa cassette. Parmi les savants qui vécurent dans son intimité, furent Tadj ad-Din ibn al-Armavi, Afdal ad-Din al-Khavandjî, le kadi et shérif, Chams ad-Din al-Armavi, kadi de l'armée, qui étaient les imams de leur époque,[342] tant dans le domaine des sciences historiques (mankoûl) que dans celui de la philosophie (ma'akoul).
Al-Malik al-Kâmil était redouté pour sa sévérité; il était résolu et il voyait clairement quelle était la meilleure manière de régler les affaires de l'état; il n'aimait pas à verser le sang. On a raconté, au sujet de la crainte qu'il inspirait, qu'un homme seul, chargé d'or ou de vêtements, pouvait traverser le désert de sable qui s'étend entre al-'Arish et Misr[343] sans aucune crainte (d'être dépouillé par les voleurs). Il arriva une fois qu'un tapis fut dérobé dans ce désert de sable ; le sultan fit venir les Arabes qui étaient chargés d'y faire la police des chemins et il leur ordonna de retrouver ce tapis et de lui amener le voleur. Les Arabes offrirent en place du lapis une somme d'argent[344] considérable ; mais le sultan s'entêta à ce qu'ils retrouvassent le tapis et celui qui l'avait dérobé.
Il s'occupait par lui-même des affaires de l'état, sans vouloir se fier à aucun vizir ou à n'importe quel autre fonctionnaire. Il eut tout d'abord comme vizir le sahib Safi ad-Din ibn al-Shakir, pendant six ans; ce vizir perdit la vue, mais il n'en conserva pas moins ses fonctions jusqu'à sa mort; l'émir Fakhr ad-Din 'Othman, l’ostadar, l'aidait dans l'accomplissement de sa tâche.[345] Quand le sahib fut mort, al-Malik al-Kâmil ne prit pas d'autre vizir, mais il lui arrivait de choisir quelqu'un et de le charger d'expédier les affaires de l'état; c'est en cette qualité qu'il employa pendant un certain temps Mo'in ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, à qui il donna le titre de « chargé des fonctions (naïb) du Vizirat » ; pois également pendant quelque temps, Tadj ad-Din Yousouf, fils du sahib Safi ad-Din, et Djémal ad-Din ibn Ilboûri ; il préférait s'occuper tout seul des affaires du gouvernement. Il s'occupait également lui-même des divers ministères (divan), vérifiait leur fonctionnement et l'état de leurs finances. Quand la crue du Nil commençait, il allait en personne inspecter les digues et, pour chacune d'elles, il nommait un émir qui eût soin de la maintenir en état et de réunir des hommes pour y exécuter les travaux nécessaires. Il allait après cela examiner l'état des digues et, quand elles étaient mal entretenues, il frappait des peines les plus sévères ceux qu'il avait chargé de les surveiller. La terre d'Egypte jouit durant son règne d'une prospérité exceptionnelle. Il retira des fonds de l'assistance publique (zakavat) les sommes qui serraient à la subsistance des pauvres gens, soit religieux, soit laïcs; il chargea des personnes d'en gérer la dépense, et il institua des revenus fixes pour l'entretien des juristes, dévots et gens de religion. Chaque nuit du vendredi, il invitait chez lui des gens de science et il venait s'entretenir avec eux (du sujet de leurs études). C'était un prince qui s'occupait activement des affaires administratives;[346] il plaçait sur chaque chemin des gens qui étaient chargés de veiller à la sécurité des voyageurs, mais il était très porté vers l'argent et il ne pensait qu'à s'en procurer. Il inaugura en Egypte un système d'impôts (havâdis) qu'il nomma « les Droits » (al-houkouk) et tel qu'il n'en avait jamais existé de pareils avant lui.[347] Il a laissé des poésies.
Les fils du cheikh Sadr ad-Din ibn Hoummoûi jouirent durant le règne de ce prince de la plus haute situation, et ils occupèrent les fonctions les plus considérables : c'étaient l'émir Fakhr ad-Din Yousouf, 'Imad ad-Din Omar, Kamal ad-Din Ahmad et Mo'ïn ad-Din Hasan. Fakhr ad-Din avait abandonné la robe du magistrat pour coiffer le sharboush et revêtir la cuirasse ; il devint le commensal du sultan. C'était un homme éminent, qui avait des lettres et qui était versé dans les sciences. Ses frères étaient également des gens distingués ; ils avaient la direction du monastère (khânikâh) al-Sâlihiyya Sa'id as-So'ada, l'enseignement au collège al-Nasiriyya dans le voisinage du mausolée de l’imâm Shafi'i, dans le quartier de Karafa, au Mesched al-Hosaini au Caire et encore dans d'autres établissements, sans compter les commandements d'armées dont ils furent chargés et les expéditions qu'ils eurent à diriger. Leur mère, qui était la fille du kadi Schihâb ad-Din 'Asroun, avait été la nourrice d'al-Malik al-Kâmil, de telle sorte qu'ils étaient les frères de lait du sultan.
Quand al-Malik al-Kâmil fut mort, les fils du grand cheikh, l'émir Saïf ad-Din 'Ali ibn Kilidj, son frère, l'émir Imad-ad-Din, al-Malik al-Nasir-Daoud, et les grands personnages de l'empire forent tous d'accord pour faire prêter serment par les troupes à al-Malik al-'Adil Abou Bakr, fils d'al-Malik al-Kâmil, que son père avait laissé dans la Citadelle de la Montagne pour gouverner l'Egypte. On nomma al-Malik al-Djavad-Mothaffar ad-Din Younis ibn Maudoud, fils d'al-Malik al-'Adil Abou Bakr ibn Ayyoub, vice-roi de Damas et cette mesure fut cachée à al-Malik al-Nasir-Daoud ; les troupes prêtèrent serment le jeudi, vingt-deuxième jour du mois de Redjeb. Les généraux envoyèrent l'émir Nour ad-Din 'Ali, fils de l'émir Fakhr ad-Din 'Othman, l'ostadar, auprès d'al-Malik al-Nasir-Daoud. Nour ad-Din fit sortir le prince de Damas et le conduisit à Karak ; al-Malik al-Djavad s'installa à Damas comme vice-roi au nom de son cousin al-Malik al-'Adil, et l'armée s'en revint de Damas en Egypte; on laissa à Damas quelques émirs avec un détachement de troupes égyptiennes et les mamlouks d'al-Malik al-Ashraf pour défendre cette place en cas de besoin ; le commandement de ces forces fut donné à l'émir 'Imad ad-Din Omar, fils du cheikh. Al-Malik al-Djavad dépensa beaucoup d'argent dans l'intention de se déclarer souverain indépendant à Damas, et il força le prédicateur (khâtib) à mentionner son nom dans la khotba après celui du sultan al-Malik al-'Adil.[348]
(1ere partie) (3e partie)
[1] L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie, ms. ar. 302, page 285, dit : « Salah ad-Din avait conclu une trêve avec les Francs et, quand il fut mort, ceux-ci la respectèrent rigoureusement, et ne firent rien pour s'en dégager. Quand les souverains des Francs, le roi d'Angleterre, l'empereur d'Allemagne, le roi de France et les autres furent retournés dans leurs états, ils investirent du commandement dans le Sahel al-Kondaher (le comte Henri); c'était un vaillant homme qui était venu avec tant d'autres croisés (moudjahidin) de l'Occident, des contrées qui sont loin derrière la mer, de telle sorte que ce fut lui qui dut faire respecter la trêve qui avait été conclue par Salah ad-Din et les chevaliers du Sahel. Quand al-Malik al-’Aziz devint sultan, cette paix existait toujours entre les Musulmans et les Francs et, pendant deux ans, il n'y eut ni combat, ni expédition. »
[2] Comme vice-roi (naïb).
[3] Les Asadis sont, comme on l'a vu plus haut, les anciens officiers d'Asad ad-Din Shirkouh, les Sâlihis sont les officiers de Salah-ad-Din.
[4] Nom d'une citadelle située sur l'Euphrate entre Bâlis et Rakka près de Siffin, qui s'appelait primitivement Dousar (les deux têtes), mais qui ayant été conquise par un homme nommé Dja'bar ibn Malik de la tribu des Bènou-Koshaïr, fut ensuite nommée Dja'bar (Yakout, Mo’djam-al-bouldân, tome II, page 84). Aboulféda (Géographie, tome II, partie ii, page 52), raconte cette même histoire qu'il dit avoir empruntée à Djémal ad-Din ibn Wasil; suivant lui ce Dousar aurait été le client du célèbre roi de Hira, No'man, fils de Moundr. Sabik ad-Din al-Koshaïri eut deux fils qui se firent brigands de grands chemins, et le sultan seldjoukide Malik Shâh s'empara de cette puissante forteresse et l'enleva aux Bènou-Koshair; il marcha ensuite sur Alep qui appartenait au prince Salim ibn Malik ibn Badran ibn Mokallad l'Okaïlide; ce dernier y avait été placé par Sharaf ed-dauleh Mosallam ibn Koraïsh ibn Badrân ibn Mokallad, son cousin. Mosallam ayant été tué, Salim livra Alep à Malik Shâh au mois de Ramadan de l'année 499 et le sultan lui donna comme dédommagement la forteresse de Dja'bar; Salim y demeura pendant de longues années et il y mourut. Son fils, Schihâb ad-Din Malik ibn 'Ali ibn Malik ibn Salim lui succéda; l’atabek Nour ad-Din Mahmoud ibn Zangui lui enleva ladite forteresse; il profita de ce que ce prince était sorti de Dja'bar dans l'intention de se rendre à la chasse, pour le faire enlever par les Bènou-Kalb qui le lui livrèrent contre une bonne récompense ; les deux princes finirent par s'arranger à la condition que Nour ad-Din resterait maître de la citadelle de Dja'bar et que Schihâb ad-Din recevrait en échange la ville de Saroûdj avec les campagnes qui en dépendaient, la saline d'Alep, le Bab-Bouza'a et vingt mille dinars, et encore Schihâb ad-Din trouva-t-il qu'il avait été forcé de conclure, le couteau sur la gorge, un vrai marché de dupe. A l'époque de Yakout (Mo’djam, ibid.), la forteresse de Dja'bar appartenait à l'Ayyoubide al-Malik al-Hâfith, fils du sultan al-Malik al-'Adil. — Je ne sais s'il convient de se fier absolument à l'étymologie du nom telle que la donnent Aboulféda et Yakout. On verra dans la suite de cette chronique, que c'était dans les environs de la forteresse de Dja'bar que les troupes ayyoubides passaient le plus généralement quand elles avaient à traverser l'Euphrate ; c'est évidemment pour cela qu'on avait, dès une époque fort ancienne, construit une puissante forteresse sur les bords du fleuve pour garder ce point stratégique d'une très grande importance. Dans ces conditions, je pense qu'il faut voir dans dja'bar, une troisième personne du présent de 'abara « traverser » avec la formative dj au lieu de y qu'on retrouve dans dja'far « torrent » de la racine 'afara. Dja'bar signifierait dans ce cas « le gué ».
[5] Hadji-Khalifa consacre à cette ville dans son Djihan-Numa une notice dont voici le résumé : Elle dépendait, sous le régime osmanli, du gouverne ment de Rakka. Suivant quelques historiens, c'est à Rohâ qu'Abraham eut ses aventures avec Nemrod, d'autres prétendent que ce fut dans une ville voisine de Babel. Au bas de la citadelle d'Edesse, on voit deux sources dont les eaux forment un lac qui a sept milles de tour ; les bords du lac étaient un endroit délicieux; on y cultivait d'excellentes grenades. Les géographes musulmans racontent sur l'origine de cotte ville des fables sans grande importance; ils prétendent que son nom lui vient de Rohâ ibn Balandi ibn Malik ibn Do'r, ou de Rohâ ibn Sinbad ibn Malik ibn Do'r ibn Hadjar ibn Djazilah ibn Lakhm, ou de Rohâ ibn ar-Roum ibn Lanti, fils de Sem, fils du prophète Noé.
[6] Le frère du célèbre historien Ibn al-Athir.
[7] Ancien officier au service de l’atabek Nour ad-Din Mahmoud.
[8] On a vu plus haut, que c'était cet officier général qui avait été chargé de démanteler une partie de l'enceinte d’Ascalon sous le règne du sultan Salah-ad-Din. Il ne faut pas confondre l'émir Bahâ ad-Din Karâkoush al-Asadi, l'ingénieur qui construisit les murs du Caire, avec le conquérant du Maghreb, Bahâ ad-Din Karâkoush-al-Takavi qui ne fut jamais qu'un condottiere.
[9] Homs ou Hims, comme prononcent quelques-uns des géographes arabes, est la ville bien connue d'Emèse. Hadji-Khalifa raconte dans son Djihan-Numa qu'on en attribue la fondation à Homs ou Hims, fils de Mihir, l'Amalécite. A son époque, la tyrannie des gouverneurs qu'y avait envoyés la Porte Ottomane, jointe au brigandage continuel des tribus arabes qui habitaient cette partie de la Syrie, l'avait à peu près complètement ruinée. Il y avait dans la forteresse de cette ville un Coran qui avait appartenu à Othman, fils de Khalid, fils de Valid ; on ne l'en sortait jamais, parce que lorsqu'on le faisait, il survenait au même instant un terrible orage accompagné de pluies diluviennes qui saccageaient tout. Les environs de Homs étaient plantés en vignes, en oliviers et en cultures maraîchères. La ville s'élève dans une plaine qui offre cette particularité qu'on n'y trouve ni scorpions, ni serpents. Les historiens musulmans attribuent ce fait à la présence d'un talisman qui est gravé sur l'une des portes de la mosquée; il consiste en une figure composite, dont la partie inférieure est celle d'un scorpion et la partie supérieure le buste d'un homme. Les habitants de Homs étaient tous d'une grande beauté, mais on s'accordait à dire que leur stupidité était aussi remarquable.
[10] Il y a dans le monde musulman un grand nombre de citadelles qui portent le nom de kasr « château » ; Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome IV, p. 110) connaît un Kasr-Haïfa, situé entre Césarée et Haïfa, mais je ne crois pas que cela soit le Kasr de Makrizi, puisque cet historien nous apprend qu'il faut le chercher dans le Ghaûr, autrement dit dans la contrée du Jourdain. Il en est de même du Kasra d'Hadji-Khalifa, situé à gauche du Pont de Fer quand on va d'Antioche à Damas.
[11] D'après Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome II, page 536), c'est le nom d'un gros bourg de la Ghouta de Damas, ou se trouve le tombeau d’Abd-ar-Rahman ibn Ahmad ibn 'Atiyya, plus connu sous le nom d'Abou Soleïman-al-Darani.
[12] Je n'ai point trouvé de renseignements sur cette localité dans Yakout ; peut-être ce nom propre est-il corrompu dans le manuscrit du Soloûk.
[13] Yakout se borne à mentionner cette localité sans donner plus de renseignements sur elle. — On a vu et on verra plusieurs fois dans cette histoire le nom de la Ghoûta de Damas; ce nom qui est aussi célèbre que ceux du Ghaûr du Jourdain ou du Soghd de Samarcande, désigne une contrée bien définie par les géographes musulmans. Yakout ne lui consacrant qu'un article insignifiant, j'emprunterai les quelques renseignements qui suivent au Djihan-Numa de Hadji-Khalifa. La contrée qui portait le nom de Ghoûta de Damas avait trente milles de long sur quinze de large; elle était tellement riche en arbres de toutes sortes qu'il y avait des endroits ou leurs branches étaient entrelacées au point que le soleil ne parvenait jamais à les traverser. Ces arbres étaient principalement des arbres fruitiers, abricotiers, pruniers, etc. Il paraît que dans la Ghoûta, il n'y avait pas moins de cent trente mille vergers. Le point culminant de cette riche contrée est une colline nommée Thaniyyat-al-'Ukab.
Les deux principales localités de la Ghouta sont Kafr-Soussiya, très renommée pour son huile, et Dâriya qui est située sur le chemin de Damas à Jérusalem. Le sultan Nour ad-Din Mahmoud légua Dariyâ aux pauvres et cette donation était encore respectée à l'époque d'Hadji-Khalifa, c'est-à-dire après que trois dominations se furent succédées sur la terre syrienne. Au mois de Moharram de chaque année, le kadi de Damas faisait distribuer aux veuves et aux indigents le revenu que l'on tirait de la vente du blé produit par les champs dépendant de ce village; c'est au moins ainsi que les choses auraient dû se passer, mais Hadji-Khalifa nous apprend que les fonctionnaires osmanlis n'avaient pas honte d'en détourner la plus grande partie, de telle sorte que les pauvres ne touchaient pas la dixième partie de ce qui aurait dû leur revenir. Ce village est extrêmement fertile et on y récolte beaucoup de coton, d'olives, de raisin et des pastèques excellentes. Au sud d’Akraba, on voit le tombeau de Zaïnab, fille d'Ali, et non loin de ce village, se trouve une forêt dans laquelle il était absolument interdit de couper du bois, sauf pour l'usage des mosquées et des édifices publics; il s'y trouve beaucoup de sangliers. Tout près de ce bois est située une localité nommée Sitt-al-Shâm, ou l'on voit une belle source et une vallée dans laquelle passe la rivière nommée Bérada. Kazwini dans son Athar-al-bilâd (éd. Wüstenfeld, page 154), consacre une notice à cette contrée et ajoute qu'elle est entourée de montagnes de toutes parts. Abou Bekr-al-Khwarezmi ne connaissait que trois endroits comparables à la Ghouta, le Soghd de Samarkand, l'île d'Obolla et le district de Bavvan en Perse; toutefois la Ghouta leur était encore très supérieure.
[14] Il est vraisemblable, quoique les historiens musulmans n'en disent rien, que le prince de Damas s'était ruiné la santé à mener cette vie et qu'il fut obligé d'y renoncer subitement.
[15] Je pense qu'il faut entendre les environs d'Alexandrie, car cette ville était défendue par une puissante garnison.
[16] Il y a ici un adjectif sans aucun point diacritique, dont je ne puis restituer la vraie forme avec un seul manuscrit.
[17] C'est-à-dire les titulaires des différents ministères, ou plutôt des sous-secrétariats d'état aux affaires étrangères (divan-al-insha), à la guerre (divan-al-djouyoush), à la marine divan-al-ostoul), etc. J'avais l'intention de donner plusieurs extraits du célèbre traité d'administration connu sous le nom de divan-al-insha qui fut composé sous le règne du sultan mamlouk Barasbay, aux environs de l'année 841 de l'hégire, mais deux raisons m'empêchent de donner suite à ce projet : tout d'abord l'administration des Mamlouks au milieu du ixe siècle de l'hégire est plus compliquée que celle des ayyoubides à la fin du vie siècle et il serait peu scientifique d'annoter l'histoire des descendants de Saladin à l'aide de documents qui leurs sont postérieurs de deux siècles et demi; d'autre part, ces notes augmenteraient d'une façon inconsidérée celles que j'ai été obligé de donner en me restreignant à l'histoire pt à la géographie. Je crois préférable de les remettre au moment ou j'aborderai, avec le sultan Baybars II, l'histoire des Mamlouks.
[18] Cette phrase signifie que le sultan donna un grand repas en l'honneur de l'émir Hosâm ad-Din dans l'endroit où il le rencontra.
[19] Cet argent n'aurait pas dû être prêté au sultan, quoique les garanties qu'il offrait fussent aussi sérieuses que possible.
[20] Je lis min al-halka; le manuscrit porte man lahakahou qui signifierait qui étaient venus au-devant de lui.
[21] Voici le nom des souverains qui régnèrent en Asie depuis le commencement de l'année du lièvre, soit le mois de Rabi premier de l'année 591 jusqu'à la fin de l'année du cochon, date correspondante au mois de Djoumada second de l'année 599 (Rashid-ad-Din, Djami al tavarikh, f. 108 sqq.) : Dans le Khi-tai, Souzoun, Hazoun, Djizoun. Dans le pays de Ma-Tchin, Konik-zoun et Ning-zoun. — Dans le Khwarezm, une partie de l'Irak et du Khorasan régnait le sultan Tukush; ayant voulu faire une expédition contre Ghabir-Khan, souverain des Ouighours, il leur livra bataille, mais il fut vaincu. Au mois de Rabi premier de l'année 543 (sic) son fils Malik Shah, l'héritier présomptif mourut: après l'avoir longtemps pleuré, Tukush fit venir son fils aine Hindou-Khan à Khwarezm, et il nomma Kotb ad-Din Mohammad, prince héritier. Une violente hostilité éclata entre eux, quand il fut devenu sultan, Hindou-Khan prit la fuite et se réfugia chez ses ennemis. A la fin, Kotb ad-Din devint le maître de tout le Khorasan, et en l'année 594 Tukush l'envoya faire la guerre à l'émir des Ouighours ; ce dernier fut vaincu; au mois de Djoumada second de l'année 596, le Kharezmchah Tukush ordonna à Kotb ad-Din d'aller attaquer le Kouhistan ; ce prince se mit en marche et assiégea la forteresse de Tarshiz durant quatre mois. Pendant ce temps, le Kharezmchah se mettait en campagne contre les Ismaïliens; mais il mourut en route près de Shehristaneh. Kotb ad-Din l'apprit le dix-neuvième jour du mois de Ramadan de l'année 596 et se mit immédiatement en route pour Shehristaneh; il prit le surnom d'Alâ ad-Din et le nom de Sindjar.
Dans le Ghour et à Ghazna régnèrent les sultans Ghiyâth ad-Din et Schihâb-ad-Din; quand le sultan Ghiyâth ad-Din apprit la mort du Kharezmchah, il fit prendre le deuil à sa cour durant trois jours. Hindou Khan, fils de Malik Shah, fils du Kharezmchah, avait peur de son oncle, le sultan Alâ ad-Din Mohammad; il alla se réfugier chez le sultan Ghiyâth-ad Dm et lui demanda du secours, coque le sultan ghouride lui accorda. Le sultan Alâ ad-Din Mohammad avait envoyé à Merv, comme commandant de place, Djaghri-beg. Le sultan Ghiyâth li ad-Din envoya Mohammad ibn Khar-beg (?) gouverneur de Talékan à Djaghri-beg en lui donnant l'ordre de porter à cet officier une lettre dans laquelle il l'invitait à faire réciter la prière du vendredi (khotba) et à faire frapper la monnaie à son nom. Le gouverneur de Merv lui répondit qu'il était tout prêt à jurer fidélité et obéissance au sultan ghouride. Ghiyâth ad-Din comprit par là que la puissance du Kharezmchah n'était pas bien grande, et il conçut le projet de s'emparer du Khorasan; il rappela son frère Schihâb ad-Din de l'Inde pour aller faire cette campagne avec lui. En attendant le moment de son arrivée, le sultan Ghiyâth ad-Din s'empara de Pandj-Dié et de Merv-i-Roud. Au mois de Djoumada premier de l'année 597, les deux frères partirent à la tête de leur armée pour aller faire la conquête du Khorasan. Djaghri-beg tint sa promesse et leur livra la ville de Merv qu'ils donnèrent à Hindou-Khan, fils de Malik Shah; de là, ils marchèrent sur Serakhs, dont ils s'emparèrent par capitulation et ils la donnèrent à l'émir Zengui qui était leur cousin; ils lui donnèrent également Nésa et Baverd en fief. Ils prirent aussi Tous. Ils envoyèrent alors dire à Ali-Shah, fils du Kharezmchah, qui se trouvait à Nichapour, d'évacuer la ville ; mais il n'en fit rien et fit construire un mur très solide. Le sultan Ghiyâth ad-Din prit lui-même le commandement de ses troupes avec son fils Mahmoud et engagea la lutte; le sultan indiqua à ses soldats le mur comme devant être le but de tous leurs efforts; les soldats ghourides s'élancèrent à l'assaut avec une telle impétuosité que les Kharezmiens furent terrifiés et coururent se réfugier dans la grande mosquée; mais les habitants de Nichapour les en chassèrent et les ghourides en firent un terrible carnage. Ali-Shah fut conduit enchaîné devant le sultan Ghiyâth-ad-Din, à qui il dit : « Est-ce ainsi que l'on traite les princes du sang? » Non, lui répondit Ghiyâth-ad-Din, et l'ayant pris par la main, il le fit asseoir à ses côtés. Le sultan confia Nichapour à son cousin et gendre, Diya ad-Din Mohammad Abou Ali ; de là, Schihâb-ad Dm se dirigea vers le Kohistan, mettant à feu et à sang les pays qu'il traversait. Au cours de l'année 598, le sultan Alâ ad-Din Mohammad Kharezmchah vint reconquérir le Khorasan, que les sultans du Ghour avaient arraché aux princes de sa famille.
Dans le pays de Roum, régna le sultan Soleïman ibn Kilidj-Arslan ; au mois de Ramadhan de l'année 597, il enleva la ville de Malatiyya à son frère Mo'izz ad-Din Kaisar-Shah, après quelques jours de lutte. De là, il alla à Arzan-ar-Roum ; le fils de Mohammad ibn Salik sortit à sa rencontre pour se soumettre à lui, mais le sultan seldjoukide le fit arrêter, charger de chaînes, puis il fit passer au fil de l'épée toute la population d'Arzan-ar-Roum.
Dans le Mazandéran et l'Irak, régnait Kutluk-Inandji, fils de Djihan-Pehlevân. Quand il mourut, les émirs, les troupes et les officiers de Djihan-Pehlevân, se rassemblèrent et choisirent comme chef un nommé Koukdjeh ; ils s'emparèrent de Rey et des environs de cette ville, puis ils allèrent attaquer Ispahan. Quand ils apprirent l'arrivée de l'armée du khalife, ils députèrent quelqu'un à Saïf ad-Din Thoghril, qui était le commandant de cette armée, et ils offrirent de se soumettre au khalife. Quand Saïf-ad-Din, arriva à Ispahan, Koukdjeh sortit à sa rencontre et le général du khalife entra, escorté des émirs du prince du Mazandéran, dans Ispahan dont il prit possession. Il envoya demander au Khalife la possession de Rey, d'Ispahan, de Koum, de Kashan, d'Avah, de Savah, à la condition de les considérer comme la propriété de la cour de Bagdad. Le khalife lui accorda sa demande et lui fit envoyer un diplôme par lequel il lui reconnaissait la souveraineté de ces pays.
[22] Yakout dit, dans le Mo’djam-al-bouldân, que la forme primitive de ce nom de ville était Sarifin; elle est située près de Rakka sur la rive occidentale de l'Euphrate entre Rakka et Balis. Il y a en Orient plusieurs localités qui portent le nom de Sarifin, on en trouvera la liste et la description dans l'ouvrage géographique ci-dessus (tome III, page 384). Kazwini ne donne pas sur cette localité de renseignements géographiques plus complets que Yakout.
[23] La Berriya, ou, avec l’imalèh, berryèh, est le grand désert qui s'étend entre l'Euphrate et la Syrie qu'il borde à une très faible distance de la chaîne de montagnes qui court parallèlement au rivage de la Méditerranée. C'est au milieu de ce désert, qui est connu par les cartographes allemands sous le nom de Syrische Wnste, que se trouve la ville de Palmyre.
C'est ce nom que l'on trouve sous la forme berrie dans les textes du moyen âge français (G. Paris, Extraits des chroniqueurs français, 1893, p. 149 note, et Romania, tome 27, page 287). Les auteurs musulmans entendent par raml « sable « la partie du désert qui s'étend entre la Syrie et l'Egypte.
[24] L'étendard était le principal signe de la souveraineté, comme il l'est aujourd'hui dans les pays monarchiques. Al-Afdal avait un drapeau à ses armes, que l'on portait devant lui quand il sortait; al-'Adil n'étant pas chez lui à Damas ne pouvait faire porter son étendard devant lui; tout au plus, pouvait-il le faire arborer sur le palais on il recevait l'hospitalité pour indiquer sa présence. En agissant envers lui comme il le faisait, al-Afdal reconnaissait Implicitement al-'Adil comme son suzerain.
[25] Nom d'une citadelle bâtie sur une montagne qui domine Tibériade.
[26] Nom d'un village qui dépendait de Damas et qui passa ensuite dans la circonscription du Hauran.
[27] Yakout ne donne point de renseignements sur cette localité; elle devait évidemment se trouver dans la même région que les deux précédentes.
[28] D'après Yakout (Mo'djam, tome I, p. 712), cette localité était distante de dix farsakhs de Fostat sur le chemin de la Syrie, Idrisi (tome I, page 329) dit qu'elle était distante de dix farsakhs de Misr. Aboulféda (tome II, partie i, page 166) donne quelques renseignements plus précis : c'était la capitale du Hauf, et c'était là que résidaient les gouverneurs de cette province. Il y passe un des canaux alimentés par le Nil au moment de sa crue; ce canal porte le nom de Canal du fils de Mounedja (bahr ibn al-Mounadja). On pourra voir sur ce canal la Chrestomathie arabe de M. de Sacy, tome II, p. 31.
[29] Le texte de Makrizi dit textuellement qu'il était mushrif. Ce titre désigne plusieurs fonctionnaires dont les attributions étaient différentes quoiqu'elles eussent toutes rapport aux finances. Le mushrif était à la fois le surintendant des finances et l'inspecteur des douanes. C'est de ce mot que les Espagnols ont fait almoxarife.
[30] Abou’l Mahâsin raconte sur ce personnage, dans son Egypte, une aventure assez amusante pour trouver sa place ici (ms. ar. 1779, folio 38 verso). Cet auteur rapporte qu'en l'année 573, la cinquième du règne du sultan al-Malik al-’Aziz, l'émir Hosâm ad-Din Abou’l Hidja-al-Samin (le gros) se rendit à Bagdad; il avait, parait-il, une très petite tête et un ventre énorme qui s'avançait jusque sur le cou de son cheval; c'est pour cela qu'on lui avait donné le sobriquet d'al-Samin. Un potier s'amusa à faire des vases de terre qui représentaient cet émir et il les exposa dans le marché. Abou’l Hidja les ayant vu ne songea pas à se fâcher et ne fit qu'en rire. Les Bagdadiens firent ensuite des vases de cette forme qu'Us nommèrent des Abou’l Hidja.
[31] Quoique Makrizi nomme cet officier général Shama, son vrai nom est Ousâma, le lion.
[32] Yakout nous apprend dans le Mo’djam-al-bouldân (tome IV, page 672) que le village de Manouf était l'un des plus anciens qui se trouvassent en Egypte; il possédait un district nommé Ramsis ou Manouf; ce village était situé dans la Basse-Egypte, dans le Rif ; on lui donna plus tard le nom de Manoufiyya. Idrisi (tome I, pp. 322 et 325) connaît deux villages de Manouf, l'un nommé Manouf-al-alya est un petit bourg dont le territoire est fertile, et où passe un bras du Nil qui prend naissance à Miniyyet-Ghazal. Le second Manouf-al-asfli est situé sur le canal oriental du Nil, non loin de Thana.
[33] Ou qu'on ne pouvait les inhumer que successivement.
[34] Littéralement : les maladies qui donnent la fièvre et les fièvres brûlantes.
[35] Ashrabat, étymologiquement : « les choses qui se boivent»; mais il est évidemment question ici de drogues médicinales destinées à soigner les fièvres dont il vient d'être parlé. M. Dozy (Supplément aux dictionnaires arabes, tome I, p. 741) donne à ce mot, d'après un Glossaire hispano-arabe, le sens d'électuaire, de looch; c'est ce sens qui convient ici. Le mot shirab joint à un nom de plante indique la teinture de cette plante. Selon le Mohit-el-Mohit, que Botros-el-Bistami a publié à Beyrouth en 1870, le mot shirab employé seul dans le langage médical désignerait un vin préparé avec une substance végétale, et pour désigner un sirop il faudrait ajouter un autre mot. Cette affirmation ne paraît point reposer sur une base bien sérieuse. Sharaibi désigne un apothicaire.
[36] Mitbakhah. Ce mot signifie généralement cuisine, chose cuite; mais matboukh, formé de la même racine, désigne un bouillon de plantes, ou une potion qu'il faut faire bouillir pour la préparer (Dozy, ibid., tome II, p. 21) et plus spécialement un rob ou sirop composé de figues ou de raisin.
[37] Parce qu'il n'en avait point le temps, étant donné le grand nombre de fosses qu'il avait à creuser.
[38] Ce titre désigne ordinairement les chambellans, au sens moderne du mot, du sultan, et non pas seulement des domestiques ; il n'y a donc rien d'extraordinaire à ce qu'on les ait quelquefois chargés de missions.
[39] Le Naurouz ou Nevrouz, suivant la prononciation turque, est le premier jour de l'aimée persane, aussi bien à l'époque ancienne, sous les Sassanides, qu'après la réforme de Djélal ad-Din. Ce mot se compose des deux éléments nau » nouveau » et rouz « jour ». Le Naurouz est le jour où le soleil entre dans le signe du bélier, autrement dit le 21 mars, à l'équinoxe du printemps. On distinguait en Perse deux naurouz, le petit naurouz et le grand naurouz qui avait heu le 27 mars, six jours après le premier; c'était à ce jour qu'on offrait des présents aux rois.
[40] Il y a ici quelques lignes qui me paraissent corrompues; il est parlé du divan de Misr, autrement dit de l'administration centrale. Les passages ou il est traité de ces questions ne sont déjà pas faciles à traduire quand on en a un texte correct; lorsque les copistes qui n'y comprennent rien l'ont défiguré, il est à peu près impossible de savoir ce qu'ils signifient.
[41] Yakout se borne adiré dans le Mo’djam-al-bouldân (tome III, p. 100) que c'est une localité située entre le Caire et Bilbeis; il ne dit rien qui puisse faire juger de son importance.
[42] Nom d'un des canaux du Nil. Yakout, qui en compte sept, ne le cite pas (Mo'djam, tome IV, page 8G4); ceux dont il parle sont le canal d'Alexandrie, le canal de Damiette, le canal de Menaf, le canal de Manhi, le canal du Fayoum, le canal d’Arshi, et le canal de Sardous. On peut voir dans la Géographie d'Idrisi (tome I, page 315 et sqq.) la description des bras du Nil.
[43] On lit dans l'Histoire des patriarches d'Alexandrie, ms. ar. 302, page 286 : « Au mois de Moharram 594, une flotte franque arriva devant Akkâ et les Francs rompirent la trêve. Al-Malik al-’Adil envoya immédiatement des troupes contre eux pour les arrêter avant qu'ils ne fussent venus en plus grand nombre et qu'ils ne se fussent emparés des places fortes. Il vint camper devant Jaffa et s'en empara après une lutte de trois jours; il y massacra beaucoup de gens et en fit prisonniers encore bien davantage. Une nouvelle flotte franque arriva et débarqua une armée considérable dans le Sahel; le plus grand nombre des Francs se mirent en marche, et ils vinrent assiéger une citadelle des Musulmans qui 9e nommait Tibnîn. Al-Malik al-’Adil écrivit à al-Malik al-’Aziz pour lui faire connaître cet événement et pour le prier de lui envoyer l'armée égyptienne. Au mois de Rabi premier de l'année 591, al-Malik al-’Aziz se mit en marche avec l'armée et il vint assiéger étroitement les Francs. La pluie se mit alors à tomber, les torrents descendirent des montagnes grossis par les pluies, et des grêlons gros comme des pierres tombèrent; les Musulmans furent alors obligés de se retirer de devant Tibnîn après que beaucoup d'entre eux curent péri et après avoir perdu un grand nombre de leurs bêtes de somme et beaucoup d'équipements militaires et de choses diverses qui furent détériorées par l'eau; ils partirent et vinrent camper dans les environs de Sour, d'Akkâ et d'autres villes qui appartenaient aux Francs. Quant à al-Malik al-’Aziz et al-Malik al-’Adil, ils continuèrent le siège avec l'armée (sic) ; dans les dix derniers jours du mois de Djoumada second de l'année 594, al Malik al-’Aziz s'en retourna en Egypte avec une partie de l'armée ; quant à al-Malik al-’Adil, il continua à assiéger les Francs, et il les combattit pendant deux mois; les belligérants signèrent ensuite, pour une durée de doux années une trêve qui ne s'étendait qu'aux opérations faites sur terre et non à celles de mer. Al-Malik al-’Adil retourna alors à Damas, qu'al-Malik al-’Aziz lui avait donné. »
[44] D'après Ptolémée, cette ville dont l'ethnique était indifféremment Harnani et Harrani, avait pour coordonnées : L 72° 30', l. 27° 30'. L'astronome Abou 'Aoun donnait L 77° et l. 37°. C'était l'une, des principales villes fortifiées du Diyâr-Modar. Elle était distante de Rohâ (Édesse) d'un jour; de Rakka, de deux jours. Les mythographes musulmans racontaient que cette ville avait été construite par Harrân, frère d'Abraham ; le nom de Harrân ne serait pas autre chose qu'une arabisation de Baharan; il n'est pas besoin de dire que cette étymologie est une simple fantaisie sans aucun fondement. D'autres affirmaient que c'était la première ville élevée après le déluge. Quoiqu'il en soit, elle devint bientôt le centre des Sabéens, que l'on nommait également Harraniens (Harraniyyoun), Hadji-Khalifa raconte dans le Djihan-Numa que cette ville fut bâtie par les Cananéens en l'an 3323. Elle est distante de deux heures de chemin d'une colline sur laquelle était situé le temple des Sabéens et qui était connue sous le nom de colline d'Abraham. Aboulféda dit également (Géographie, tome II, partie ii, page 53) que les Sabéens ont un grand temple élevé sur une colline et que la montagne dite de Harrân est à deux farsakhs au sud-est de la ville. Suivant le même auteur, il paraît que l'eau potable était amenée dans cette ville par un canal souterrain.
[45] Les historiens musulmans ne s'accordent pas sur les détails de l'accident de chasse qui coûta la vie au sultan d'Egypte. Abou'l Mahâsin dit qu'un jour qu'il était occupé à poursuivre un chevreuil, son cheval broncha et que le pommeau de sa selle lui perfora les entrailles; suivant d'autres, il le blessa au cou.
L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie, page 286-287, raconte qu'al-Malik al-’Aziz étant allé chasser à cheval dans le Fayoum; il poursuivait une gazelle; son cheval marcha sur la queue d'un chien de chasse, qui rendu furieux par la douleur, lui sauta au ventre et le mordit cruellement; le cheval se renversa sur le sultan d'Egypte ; en tombant la selle tourna et son pommeau vint défoncer la poitrine d'al-’Aziz, qui expira durant la nuit suivante.
[46] Ce prince passait pour ne pas avoir le jugement très sain, mais il semble d'après deux anecdotes que raconte Abou’l Mahâsin dans son Egypte (Paris, Bibl. Nat., ms. ar. 1779, folio 35 verso) que c'était surtout un excès de délicatesse, peu courant chez les Musulmans, qui le faisait prendre pour un fou. Le trait suivant en est la preuve : Les Arabes de la Mahallah ayant massacré un émir, le gouverneur qui se nommait Ibn Bahram les força à payer une amende de dix mille dinars qu’il s'empressa d'apporter au Caire. Le sultan était comme toujours en proie à cette « faute d'argent » qui fut la plaie de son règne, à tel point qu'Ibn Bahram rencontra aux portes de la tente impériale un domestique qui était en quête de deux dinars dont le sultan, qui n'avait pas sur lui cette modique somme, voulait faire présent à un vieux garde-chasse. Quand Ibn Bahram fut entré auprès d'al-Malik al-’Aziz et qu'il lui eût offert ses dix mille dinars, le sultan refusa de les prendre en alléguant que cette somme avait été extorquée à des gens qui peut-être n'étaient pour rien dans le meurtre de l'émir. Le gouverneur insista en vain et sortit en disant qu'il n'y avait qu'un fou pour avoir de pareils scrupules dans un besoin d'argent aussi pressant.
[47] Aboul 'l-Mahâsin fait remarquer dans son Egypte (ms. ar.1779, folio 40 recto) que les chroniqueurs ne s'entendaient pas tous sur la question de savoir qui avait succédé à al-Malik al-Aziz-Othman, et que plusieurs admettaient à tort que c'était al-Malik al-Afdal.
[48] Le cheikh Chams ad-Din Yousouf ibn Kizoghloû raconte dans sa chronique (Abou’l Mahâsin, Egypte, ms. ar. 1779, folio 36 recto) que les chefs des émirs Sâlihis étaient Fakhr ad-Din-Tchaharkas, Asad ad-Din Sara-Sonkor et Zaïn ad-Din Karadja qui furent tous d'avis d'élever au trône le fils d'al-’Aziz; le général commandant les Asadis était Saïf ad-Din Azkash qui se trouvait alors à Assouan. Quand il fut revenu au Caire, il approuva le choix de ses collègues, tout en faisant remarquer qu'il était impossible de laisser le sultan gouverner lui-même à cause de sa trop grande jeunesse. Ce fut lui qui proposa de donner la charge d'Atabek à al-Afdal et qui lui écrivit pour la lui offrir. Les émirs Sâlihis ne purent s'y opposer; mais ils écrivirent aux officiers qui étaient en garnison à Damas pour leur apprendre que les émirs Asadis avait choisi al-Afdal comme atabek et pour les prier de le retenir prisonnier s'ils le pouvaient.
[49] Comme on l'a vu plus haut, le droit de faire porter le sandjak ou livâ, en persan direfsh, devant soi, était l'apanage exclusif du sultan. Ce drapeau était évidemment chargé des armes du souverain régnant et était par conséquent sa propriété exclusive.
[50] Abou 'l-Mahâsin raconte dans son Egypte (Paris, Bibl. Nat., ms ar. 1779, folio 40 verso) que l'émir Tchaharkas (qu'il appelle toujours Sarkas), ayant aperçu son courrier au milieu des soldats d'al-Malik al-Afdal, lui demanda comment il se faisait qu'il fût aussi vite revenu; le courrier lui dit ce qui s'était passé et comment il avait été intercepté par al-Afdal.
[51] Yakout dit dans son traité de géographie (Mo’djam-al-bouldân, tome III, p. 600) que c'est une petite ville, la première que l'on rencontre quand on se rend de Syrie en Egypte; elle dépendait officiellement de ce dernier pays. On y trouvait un très grand nombre de palmiers ; le sultan al-Malik al-Kâmil, fils d'al-’Adil en ut un lieu de plaisance pour son usage particulier et il allait y demeurer quand il voulait faire une saison de chasse, parce qu'elle était toute voisine de la Berriya (le désert de Syrie) où l'on trouve beaucoup d'oiseaux. Elle n'était éloignée du Caire que de 15 farsakhs. Cette ville fut dénommée d'après Abbasa, fille d'Ahmad ibn Touloun et tante de Katran Nida. Quand Khoumarouyya donna sa fille Katr-an-Nida en mariage au khalife al-Mo'tadad, il se rendit d'Egypte dans l'Irak avec elle. Abbasa fit construire un palais (Kasr) dans cet endroit, et c'est là qu'elle prit congé de sa nièce; il ne tarda pas à s'y fonder une ville relativement importante, car c'était le premier poste égyptien ou les voyageurs de Syrie pouvaient se reposer. On commença par l'appeler château d'Abbasa, puis Abbasa tout court. Kazwini dans le Athâr-al-bilâd (éd. Wüstenfeld, p. 146) raconte la même chose que le précédent géographe. Il ajoute que c'était une très jolie petite ville, et qu'al-Malik al-Kâmil s'y rendait très souvent. Il en est de même d'Aboulféda (tome II, partie i, page 149).
[52] Abou’l Mahâsin (Egypte, ms. ar. 1779, folio 10 verso) rapporte qu'al-Malik al-'Adil tenait Mardîn assiégée depuis dix mois et que la reddition de cette ville n'était plus que l'affaire de quelques jours quand les habitants apprirent la mort tragique du sultan d'Egypte. Cette nouvelle leur rendit quelque espoir et ils refusèrent de livrer la ville à al-Malik al-'Adil qui dut lever le siège en toute bâte pour retourner à Damas.
[53] Je n'ai rien trouvé dans Yakout, Aboulféda, Kazwini et Idrisi sur cette ville, ni sur les variantes paléographiques qu'on peut tirer de ce nom.
[54] Je ne crois pas inutile de compléter le récit de Makrizi par ce que raconte Abou’l Mahâsin dans son Egypte (ms. ar. 1779, folio 40 verso) : « Après l'arrivée des renforts d'Alep, vinrent les contingents de Hamâh et de Homs, de Banias, et les troupes envoyées par le prince de Safad, Sa'd ad-Din Massoud. Les assaillants mirent en pièces la porte Bâb-al-Salamah et vinrent ensuite à la porte Bâb-al-Faradis : al-Malik al-'Adil se trouvait alors dans la citadelle, avec plusieurs Egyptiens auxquels il avait permis de demeurer à Damas malgré les hostilités. Quand il apprit que Ibn al-Hanbali et son frère Schihâb ad-Din avec leurs troupes avaient défoncé la porte Bâb-al-Faradis, il sortit sur le champ pour aller les combattre. Il fut rejoint par Djiroun et Madjd ad-Din, fils du fakîh 'Isa; il était à ce moment à cheval et buvait un verre de bière; il s'écria : α Allons, les ouvriers, les tacherons, venez par ici ! » Quand les ennemis entendirent sa voix, ils s'enfuirent. Al-Malik al-"Adil fit clore la porte Bâb-as-Salamah et s'en vint à la porte Bâb-al-Faradis, dont la serrure avait été mise en pièces à coups de marteau. Il demanda qui avait fait cela; on lui répondit que c'étaient les Hanbalites; et il garda le silence. Al-Malik al-Mo'aththam 'Isa, fils d'al-Malik al-'Adil, raconta ce qui suit à l'historien Abou’l Mothaffar : « Nous revenions de la porte Bab-al-Faradis à la porte du collège des Hanbalites quand l'on jeta à la tête de mon père une cruche à huile d'olive; le coup avait été mal visé et le projectile atteignit le col du cheval qui tomba raide mort ; mon père sauta sur une autre monture sans dire un seul mot. »
[55] On trouve généralement le nom de cet officier général sous la forme que nous donnons ici, toutefois le manuscrit du Soloûk présente dans ce passage la forme Ayazkoudj, avec un élif prosthétique.
[56] Le sultan d'Alep, al-Malik ath-Tahir, et al-Malik-al-Afdal.
[57] On a vu que l'année précédente, al-'Adil avait laissé à son fils al Kâmil le soin de continuer le siège de Mardîn et qu'il était revenu précipitamment à Damas qui se trouvait menacée par al-Afdal. «L’atabek de Maûsil, Arslan-Shâh, dit Abou’l Mahâsin dans son Egypte (ms. ar. 1779, folio 41 recto), avait obligé al-Kâmil à lever le siège de Mardîn; al-Kâmil se dirigea alors vers Damas, à la tête d'une troupe considérable de Turcomans, de l'armée de Harrân et de Rohâ. Al-Afdal recula alors jusqu'à 'Akbah-Sadjoûr, le dix-septième jour du mois de Safer et al-Kâmil arriva le dix-neuf. Il descendit dans le palais (djoûshk) de son père. » C'est alors qu'al-Afdal et ath-Tahir se séparèrent.
[58] Les sultans ayyoubides et Mamlouks n'avaient pas l'habitude de garder leur trésor dans leur capitale, de peur sans doute de le voir piller, au cours d'une insurrection toujours possible en Orient, ou de se le faire enlever par leurs compétiteurs. Ils le déposaient dans des places assez éloignées, très fortement défendues et en dehors des routes fréquentées; il était relativement en sûreté dans ces petites villes qui ne consistaient guère qu'en une citadelle bâtie dans un point stratégique, et dont la population civile ne dépassait guère quelques centaines d'âmes. Les Mamlouks d'Egypte de la dynastie bahrite avaient déposé leurs trésors dans la puissante citadelle de Karak.
[59] Abou’l Mahâsin donne dans son Egypte (ms. ar. 1779, folio 41 recto) des causes différentes de cette querelle, et elles me semblent plus plausibles que celles qui ont été rapportées par Makrizi. Voici ce qu'il raconte : « Quand le siège eut réduit Damas à la dernière extrémité, que les arbres eurent été coupés, que les canalisations d'eau qui alimentaient la ville eurent été détournées et que les vivres furent épuisés, la garnison songea à se rendre. Mais al-Malik al-'Adil envoya un officier à son neveu, al-Malik ath-Tahir, prince d'Alep, pour lui dire : « Je te livrerai Damas à la condition que tu en deviennes sultan et que cette ville t'appartienne à toi seul, et non à al-Afdal. » Cela mit ath-Tahir en goût, et il envoya dire à al-Afdal : « Toi, tu es le souverain de l'Egypte, laisse-moi Damas »; mais al-Afdal lui répliqua : « Damas m'appartient et je tiens sa propriété de mon père, on me l'a enlevée de force, mais je ne l'ai cédée à personne. » Cela fut l'origine de la dispute qui éclata entre les deux frères. »
[60] Quand al-Malik al-Afdal fut arrivé au Caire, dit Abou’l Mahâsin (Egypte, ms. ar. 1779, folio 41 recto et verso), al-Malik al-'Adil lui envoya son fils Nadjib ad-Din pour lui dire de ne rien craindre de lui, d'être assuré qu'il se conduirait toujours à son égard comme un père et qu'il ferait tout ce qui pourrait lui être agréable; Al-Malik al-Afdal lui dit que si les paroles de son oncle étaient sincères, il n'avait qu'à chasser de son service les émirs Sâlihis qui étaient ses ennemis. Ces émirs ayant appris cet entretien résolurent de se venger d'al-Afdal; ils allèrent trouver Al-'Adil, et lui dirent : « Qu'est-ce que nous faisons ici? Pars avec nous », et ils se mirent à la poursuite d'al-Afdal. Ainsi, d'après Abou’l Mahâsin, al-'Adil aurait eu la main forcée par les émirs Sâlihis et il n'avait pas primitivement l'intention de s'emparer de l'Egypte et d'en chasser son neveu. Il est beaucoup plus vraisemblable qu'une nouvelle ruse se cachait sous la démarche assez bizarre d'al-'Adil, et qu'il se laissa faire une douce violence, sans beaucoup résister aux objurgations des émirs Sâlihis. La conduite qu'il tint dans la suite le montre suffisamment.
[61] Pour les inspecter et pour voir si la ville serait en état de soutenir un siège, au cas où al-Malik al-'Adil la viendrait assiéger.
[62] al-abkâr. Sans doute pour transporter la terre. Je ne pense pas que le texte soit corrompu et qu'à la place de ce mot il faille lire le pluriel d’al-bakkâr ce qui signifierait alors « d'employer à cette œuvre les ouvriers qui travaillent le fer ».
[63] Cela revenait à faire dans l'intérieur de la ville une seconde ligne de fortifications, en arrière du fossé et du premier mur d'enceinte, de telle sorte que l'ennemi fût arrêté quand il aurait réussi à enlever les premiers ouvrages.
[64] Katia est, d'après Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome IV, p. 111), un village qui se trouve sar la route d'Egypte (à Damas) au milieu du désert de sable; elle est voisine de Farmâ. Les maisons de ces deux localités sont faites de rameaux de palmier desséchés ; les habitants boivent de l'eau de puits qui est saumâtre et puante, et le pain qu'ils mangent est aussi déplorable et on y trouve du sable. Ils ont du poisson, à cause de leur proximité de la mer.
[65] En effet al-'Adil, en s'y installant, menaçait le Caire.
[66] Le texte porte masakin qui signifie, si la leçon est exacte, « des pauvres gens ».
[67] Litt. : « Je ne voudrais pas avoir besoin de déflorer l'honneur du Caire. » Par ces paroles, al-Malik al-'Adil voulait dire qu'il considérait comme un crime, qui retomberait sur al-Malik al-Afdal, d'entrer l'épée à la main dans la capitale du sultan Salah-ad-Din, qui était vierge en ce sens qu'aucun ennemi ne s'en était emparé. Abou 'l-Mahâsin raconte dans son Egypte (ms. ar. 1Ή9, folio 41 verso), qu'après la défaite d'al-Malik al-Afdal qui rendait al-Malik al-'Adil maître de l'Egypte, un officier, nommé Saïf ad-Din Azkash s'entremit entre les deux princes pour chercher à tirer al-Afdal de la pitoyable situation dans laquelle il se trouvait. Il fut convenu qu'al-Malik al-'Adil lui donnerait Mayyafarikin, la montagne de Djoûdi et Diyâr-Bakr en échange de l'Egypte. Quand al-'Adil fut entré au Caire, il traita Saïf ad-Din Azkash avec la plus grande considération et il dit à al-Afdal que tous ses officiers lui avaient écrit pour le presser de venir s'emparer de l'Egypte, à l'exception de Saïf ad-Din Azkash. Il donna un avancement important à cet officier pour lui montrer l'estime qu'il ava.it pour son caractère. Il donna la charge de kadi à Sadr ad-Din 'Abd-al-Malik ibn Darbas-al-Kurdi; il nomma le grand cheikh Ibn Hamaviyya, supérieur du collège des Shafe'is et du Meshed d'Hosain, ainsi qu'inspecteur du couvent (khanikâh) des Soufis. Le vizir Safi ad-Din 'Abd-Allah ibn 'Ali ibn Shakir tint ses audiences dans le palais royal, dans les appartements du kadi al-Fadil, et il fut investi de la charge d'inspecteur des bureaux.
[68] On a vu plus haut que ce personnage avait été de tout temps le mauvais génie d'al-Malik al-Afdal.
[69] Soumaïsat, dit Yakout (Mo'djam-al-bouldân, tome III, p. 151), est une ville qui se trouve sur le bord occidental de l'Euphrate du côté du pays de Roum, avec une puissante citadelle. Les coordonnées de cette ville étaient, d'après Ptolémée, L 54° 40', l. 36° 20'; l'astronome Abou 'Aoun donne L 32° 40' (lire 52° 40'); l. 36° 20'. Parmi les personnages célèbres qui ont vu le jour dans cette localité, Yakout cite Abou’l Kasim 'Ali ibn Mohammad al-Soumaïsâtî-al-Salmi, connu généralement sous le nom d'al-Djamish, qui mourut à Damas au mois de Rabi second de l'année 453; il fut inhumé dans sa maison, située près de la porte Bâb-al-natafaniyyin qu'il avait constituée en vakf, ainsi que la plus grande partie de ses biens, au profit des pauvres musulmans et des Soufis. Il était né en 377. Hadji-Khalifa dit dans le Djihan-Numa, que cette petite ville est située à l'ouest de Kala't ar-Roum et au nord de Hisn-Mansour. Aboulféda nous apprend dans son traité de Géographie (tome II, partie 2, page 43) que cette ville et Djisr-Manbidj, autre nom de la Citadelle de l'Etoile, sont deux petites villes fortifiées entourées de champs très bien cultivés. Il donne pour leurs coordonnées : L 62°, l. 37° 30'.
[70] Quand al-Malik al-'Adil se fut emparé de l'Egypte, il écrivit à son fils al-Malik al-Kâmil de venir le retrouver. Ce prince partit de Damas, le vingt-troisième jour du mois de Chaban, et il prit congé de son frère al-Malik al-Mo'aththam à Ra'as-al-Mâ. Il arriva au Caire le dixième jour du mois de Ramadan. Son père alla le recevoir à 'Abbasa et lui donna pour demeure le Palais du Vizirat.
[71] Abou’l Mahâsin raconte dans son Egypte (ms. ar. 1779, folio 41 verso) qu'al-Malik al-'Adil réunit un jour les juristes (fakîh) et leur dit : « Convient-il que le petit possède le pouvoir à l'exclusion du grand? » Ils lui répondirent : « Le petit qui est maître a un maître au-dessus de lui ». — « Convient-il, continua al-'Adil, que le grand soit le lieutenant du petit? » — « Certes non, dirent les juristes, car si l'autorité n'est pas réelle chez le prince, comment le serait-elle dans la main de son lieutenant? » Cela décida, paraît-il, al-'Adil à renverser al-Mansour ; en réalité, il y avait longtemps que telle était son intention, et il est à présumer qu'il n'avait guère besoin de ce fetva pour être bien décidé à s'emparer de la couronne.
[72] Pour comprendre ces paroles d'al-Malik al-'Adil, il faut se rappeler que Salah ad-Din avait laissé le trône d'Egypte et la suzeraineté sur tous les membres de sa famille à son fils al-Malik al-'Aziz. Il est certain que si al-'Adil avait cherché à s'emparer du trône à la mort de son frère, une révolution désastreuse aurait immédiatement éclaté. On sait que beaucoup de tribus vivent en Orient sur une organisation patriarcale suivant laquelle l'autorité ne se transmet pas directement, c'est-à-dire des ascendants aux descendants, mais bien dans une direction collatérale, le chef étant toujours le plus âgé, l'ancien de la famille, le frère généralement du chef défunt. C'était l'organisation des grands duchés de Moscou avant que les Grands Princes eussent acquis le titre impérial, et c'est encore l'organisation de la famille d'Othman.
[73] Al-Malik al 'Adil fit partir al-Malik al-Mansour du Caire le vingt-cinquième jour du mois de Rabi' second de cette année avec sa mère et ses frères sous la garde d'une escorte; il les envoya à Edesse ou ils restèrent durant un certain temps, de là, ils se rendirent à Alep auprès d'al-Malik ath-Tahir. Ce prince, quand il se vit près de mourir, nomma al-Malik al Mansour son héritier présomptif, au cas où son propre fils al-Malik as-Sâlih viendrait à mourir.
[74] Cette année, dit l'auteur de la Tarikh-i-elfi ou Histoire de mille ans (ms. supp, persan 188, folio 276 recto), la guerre éclata entre le sultan seldjoukide Thoghril et Koutlough-Inandji, fils de Pehlevân; ils se livrèrent un combat à Hamadan. Koutlough-Inandji ne put tenir devant Thoghril et il s'enfuit à Rey. Hamadan et la province qui dépend de cette ville tombèrent entre les mains du sultan Thoghril. Koutlough-Inandji envoya alors un officier au Khwarezm-Shah, 'Alâ ad-Din Tukush, pour lui demander de le débarrasser du sultan Thoghril. Le Khwarezm-Shâh accéda à cette demande et il se dirigea avec une armée considérable vers Rey ; quand il arriva dans les environs de cette ville Koutlough-Inandji se repentit amèrement de l'avoir appelé à son secours; il fut terrifié des conséquences de son action et il courut se réfugier dans la forteresse de Tabrak, qui est une citadelle bien connue de ces contrées. Lorsque le Khwarezm Shah apprit ces événements, il se dirigea vers la citadelle de Tabrak qu'il enleva en deux jours. Quant à Koutlough-Inandji, il s'était enfui vers les montagnes. Lorsque le sultan Thoghril apprit la conquête, de Rey, il envoya un officier au Kharezmchah dans cette ville pour l'assurer de son amitié. 'Alâ ad-Din Tukush s'occupa de mettre de l'ordre dans l'administration de Rey et il plaça comme gouverneur un de ses émirs qui était connu comme un homme sage et juste. Après cela, il se dirigea en toute hâte vers Khwarezm; voici quelle était la cause de ce départ : à l'époque où il fit la conquête de Rey, il reçut une lettre dans laquelle on lui disait : « Ton frère Sultan-Shah a assiégé la ville de Khwarezm et il fait tout ce qu'il peut pour arriver à s'en emparer. » C'est cela qui détermina le Kharezmchah à s'en retourner en passant par Ilghâr. Quand il arriva dans le voisinage de cette ville, il apprit que les habitants de Khwarezm n'avaient pas voulu reconnaître l'autorité de Sultan-Shah (frère du Kharezmchah) et qu'ils l'avaient forcé à renoncer à ses projets. Le Kharezmchah passa l'hiver de cette année à Khwarezm. Cette même année, Sultan-Shah mourut et 'Alâ ad-Din Tukush réunit les états de son frère aux siens.
Le sultan Thoghril, ayant réuni une armée très nombreuse, partit d'Hamadan et marcha vers Rey; les troupes du Khwarezm Shâh ne pouvant songer à lui résister, prirent la fuite, et Thoghril s'empara de Rey. Quand Koutlough-Inandji apprit cet événement, il envoya de nouveau un officier auprès du Khwarezm Shah pour le supplier de venir à son aide et de lui pardonner l'injure qu'il lui avait faite la première fois. Sur ces entrefaites, un envoyé du khalife de Bagdad arriva auprès du Kharezmchah, et il se plaignit amèrement de Thoghril. Il apportait un diplôme du khalife au nom du Khwarezm Shâh, par lequel le khalife faisait don à ce dernier des états de Thoghril. Le souverain du Khwarezm se prépara aussitôt à la guerre.
A la fin du mois de Safer de cette même année, le Kharezmchah partit de Nichapour et marcha vers Rey. Dès que Thoghril eut connaissance de ces événements, quoique son armée fût dispersée, et sans prendre le temps de rassembler ses troupes, il se mit en route avec un petit nombre de soldats qui se trouvaient alors autour de lui, et il marcha contre le Kharezmchah, malgré les récriminations de ses émirs qui lui disaient qu'il lui fallait prendre le temps de mobiliser son armée. Le sultan ne voulut rien entendre et il s'avança avec sa petite armée jusqu'aux frontières de la province de Rey. Le vingt-quatrième jour du mois de Rabi premier, les deux armées prirent contact et se livrèrent bataille. Quand le sultan Thoghril eut aperçu le centre de l'armée du Kharezmchah, sans réfléchir, il fondit sur lui, et fit un grand massacre des soldats qui s'y trouvaient; mais des troupes se précipitèrent sur lui de tous les côtés et il fut désarçonné; on lui trancha la tête et on la porta au Kharezmchah qui l'envoya immédiatement à Baghdâd. Elle resta accrochée durant quelques jours à la porte de cette ville qu'on appelle Bab-al-noubî.
Après la mort de Thoghril, le Kharezmchah marcha sur Hamadan ; le khalife Nasir-li-Din-Allah envoya son vizir Mouvayyad ad-Din ibn Kassab pour lui porter un vêtement d'honneur. Quand Mouvayyad ad-Din fut arrivé à un ferseng d'Hamadan, il envoya quelqu'un dire au Khwarezm Shah : « Comme le khalife a envoyé un vêtement d'honneur au roi, celui-ci doit sortir à la rencontre de son ambassadeur, car tous nos sultans agissent ainsi à l'égard du Commandeur des Croyants. » Plusieurs personnes représentèrent au Kharezmchah qu'il y avait sous ce message une ruse de Mouvayyad ad-Din, qu'il voulait s'emparer de lui, et que s'il était venu uniquement pour lui apporter un vêtement d'honneur, il n'aurait pas eu besoin de l'armée qu'il avait amenée avec lui. Cela fit que le souverain s'abstint de sortir à la rencontre du vizir; il y eut entre eux deux, à ce sujet, une série de pourparlers. Mouvayyad ad-Din répondit qu'il avait amené une armée avec lui parce que le khalife l'avait envoyé en ambassade avant que le sultan Thoghril eût été tué et qu'elle était destinée à renforcer celle du Khwarezm Shâh ; il ajouta qu'il n'avait appris la fin tragique de Thoghril qu'en arrivant à Hamadan. Après de nombreuses explications, le Khwarezm Shah se rendit à cheval au campement du vizir Mouvayyad ad-Din ibn Kassâb ; mais plusieurs des familiers du prince qui étaient liés avec le vizir lui firent dire que le Khwarezm Shâh avait l'intention de se saisir de sa personne. A peine Mouvayyad ad-Din eut-il entendu ces propos qu'il décampa et se retira dans les montagnes de cette province pour se garder des mauvais desseins du Khwarezm Shâh. Le sultan donna Hamadan à Koutlough-Inandji et donna des fiefs dans ce pays à plusieurs de ses officiers. Mouvayyad ad-Din revint à Bagdad, et, au mois de Chaban, il exposa au khalife que le Khorasan était resté sans souverain, car le turcoman Shoumlah, qui le gouvernait était mort et ses frères se disputaient pour savoir qui lui succéderait. Le fils de Shoumlah demandait du secours offrant de se considérer comme l'un des esclaves du khalife. Nasir-li-Din-Allah lui accorda ce qu'il demandait et Mouvayyad ad-Din partit à la tête d'une armée nombreuse pour se rendre dans le Khorasan; il livra bataille aux fils de Shoumlah et les battit.
[75] Ces albinos sont considérés dans une partie de l'Orient comme des êtres démoniaques; il est raconté dans le Livre des Rois de Ferdowsi que Sam ayant eu un fils qui avait les cheveux complètement blancs, crut que c'était un enfant de div et le fit exposer sur le mont Alborz ; le Simourg, le prototype de l'oiseau Rokh des Mille et une Nuits le recueillit dans son nid et le nourrit avec ses petits. L'enfant, sauvé miraculeusement comme Œdipe, devint l'un des héros les plus glorieux de la légende iranienne.
[76] On lit ce qui suit dans la chronique persane intitulée Tarikh-i-elfi (ms. supp, persan 188, folio 276 recto) : Cette année, une guerre éclata entre Koutlough-Inandji et Kabatchek, général du Khwarezm Shah ; ils se livrèrent bataille près de Zendjân ; Koutlough-Inandji fut battu et alla se réfugier auprès du khalife Nasir-li-Dm-Allah qui le reçut d'une façon très affectueuse ; il lui conféra l’émirat et lui donna le cheval, la tente et les autres parties de l'équipement qui sont les marques de ce grade. Il ordonna à Mouvayyad ad-Din de partir avec Koutlough-Inandji et d'aller arracher Hamadan à la domination du Khwarezm Shâh ; Mouvayyad ad-Din et Koutlough-Inandji partirent du Khouzistan et marchèrent sur la ville de Kirmanshâhan, puis de là ils se dirigèrent vers Hamadan. A cette époque, il n'y avait dans cette ville que le fils du Kharezmchah et son mamlouk Kabatchek avec un petit corps de troupes ; ils ne pouvaient dans ces conditions résister à Mouvayyad ad-Din. Aussi, quand ils apprirent l'arrivée des troupes du khalife, ils évacuèrent Hamadan et se retirèrent à Rey. Au mois de chewâl, Mouvayyad ad-Din et Koutlough-Inandji s'emparèrent d'Hamadan, puis ils se mirent à la poursuite des Kharezmiens. Les villes de Savâh et d'Avah ayant chassé les gouverneurs et les préfets qui y résidaient au nom du Khwarezm Shâh, ces officiers se dirigèrent vers Rey ; quand les Kharezmiens apprirent que les troupes du khalife se trouvaient dans les environs de Reï, ils évacuèrent également cette ville et se replièrent sur Dameghan ; Mouvayyad ad-Din et Koutlough-Inandji ne s'attardèrent pas à Rey et gagnèrent Bakhar i Rey (ou Nadjar i Rey).
Il arriva alors que Mouvayyad ad-Din et Koutlough-Inandji se livrèrent bataille; Koutlough-Inandji n'ayant pas pu tenir devant le vizir, prit la fuite et se réfugia à Rey.
Mouvayyad ad-Din laissa des gouverneurs à Rei et se rendit à Hamadan; il reçut en route la nouvelle que Koutlough-Inandji avait pris le chemin d'Avah ; le vizir se mit immédiatement à sa poursuite, et quand Koutlough en fut informé et que le gouverneur d'Avah eut refusé de le recevoir, il se rendit dans la plus grande détresse à Kardj. Il arriva à une localité qui est connue sous le nom de « Défilé de Kardj », ou campait Mouvayyad ad-Din ; ils se livrèrent une seconde bataille et le vizir fut de nouveau victorieux; Koutlough-Inandji fut réduit à prendre la fuite. Mouvayyad ad-Din rentra en triomphe à Hamadan ; à ce moment, un ambassadeur envoyé par le Khwarezm Shâh arriva à Hamadan pour protester contre les conquêtes de Mouvayyad-ad-Din. Il dit à celui-ci : « Une pareille attaque de ta part est absolument injustifiable, il convient maintenant que tu témoignes du regret de tes actes en évacuant les pays que tu as conquis et en retournant à Bagdad. Sans cela tu n'auras qu'à t'en prendre à toi de ce qui t'arrivera. » Le vizir fut très contrarié de cette aventure, mais il répondit que le Khwarezm Shâh s'étant montré grossier dans ses réclamations, il n'en tiendrait aucun compte. Quand le Khwarezm Shâh eut reçu cette réponse, il se mit en marche pour aller attaquer Hamadan ; mais, au commencement du mois de Chaban de l'année suivante, Mouvayyad ad-Din mourut, et au milieu de ce même mois le Khwarezm Shâh arriva devant Hamadan. Une terrible bataille s'engagea devant la ville entre l'armée du Khwarezm-Shâh et les troupes du khalife Nasir-li-Din-Allah. Les Bagdadiens montrèrent la plus grande valeur dans ce combat, mais la plupart d'entre eux furent tués et le reste s'enfuit à Baghdâd. Le Khwarezm-Shâh reprit possession d'Hamadan... Quand Ispahan fut livrée au joug des Kharezmiens, elle était gouvernée par Kotb-Khodjendi qui était l'un des docteurs shaféites les plus distingués de cette ville. Les habitants d'Ispahan allèrent le trouver et se plaignirent à lui de la brutalité et de la violence des soldats du Khwarezm; le fils du Kb.vanzm-Sha.li était investi du commandement suprême dans cette ville, mais comme il était tout jeune, il n'avait en réalité aucune autorité et son atabek se livrait à toutes les violences. Quoique Sadr ad-Din Khodjendï désapprouvât cette conduite, comme il n'obtenait aucun résultat, il envoya un rapport à la cour de Bagdad, demandant que si le khalife témoignait quelque bienveillance à la population d'Ispahan, il voulût bien nommer un gouverneur juste et humain. Le khalife répondit favorablement à la demande de Sadr ad-Din, et il choisit l'un de ses officiers, connu pour sa bravoure et sa bienveillance, qui se nommait Saïf ed-dauleh Thoghril ; m'envoya à la tête d'une nombreuse armée, à Ispahan.... Les troupes du khalife entrèrent dans la ville que les Kharezmiens évacuèrent, se dirigeant vers le Khorasan; Saïf ed-dauleh Thoghril fit son entrée dans Ispahan et envoya un détachement de son armée à la poursuite des Kharezmiens ; les troupes s'étant emparées de tout ce que ces derniers possédaient, revinrent en arrière.
[77] Thara ilâ, ce verbe signifie généralement « s'insurger contre », mais ce sens ne convient évidemment pas ici, comme on le voit par la suite de ce récit ; il se peut qu'il y ait une erreur dans le texte du Souloûk, ou que thara ait aussi bien le sens de « se jeter dans les bras de quelqu'un » que celui de « se jeter contre lui ».
[78] Al-Malik al-'Adil ne manquait certainement pas de talents militaires, mais sa principale force consistait plutôt dans ses ruses, dont on a vu plus haut un exemple curieux.
[79] Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome II, page 731) nous apprend que l'on disait Ra'as 'Aïn en langue vulgaire et Ra'as al-Aïn en poésie. En réalité, la première de ces formes est syriaque, tandis que la seconde seule est réellement arabe. C'est une grande ville du Djézireh, située entre Harrân, Nisibe et Donaïsir; elle est éloignée de Nisibe de 15 farsakhs; elle est distante de Harrân d'un nombre à peu près égal de farsakhs; elle est plus rapprochée de Donaïsir et à environ dix farsakhs de cette dernière localité. On y trouve un très grand nombre de sources dont toutes les eaux se réunissent en un même endroit et donnent naissance au cours d'eau connu sous le nom de Khabour. Les quatre principales de ces sources portent les noms de : source principale, source des célibataires (aïn-al-sirâr), source al-Riyahiyyah, source al-Hashimiyya. Il y a également dans cette localité une source qui porte le nom de « Bassin du Salut », dans laquelle se trouve un poisson énorme, à tel point que lorsqu'on regarde dans cette source, on croit voir ce poisson à la distance d'un empan, quand il se trouve à une profondeur égale à dix fois la taille d'un homme. La source des célibataires est celle dans laquelle le khalife abbasside al-Moutavakkel fit jeter dix mille pièces d'argent, les gens de la ville plongèrent dans cette source et l'eau en est tellement claire que pas une seule pièce ne leur échappa. Ahmad ibn Tayyib rapporte qu'il y a dans cette localité une source nommée 'Aïn-al-Zahiriyya, autour de laquelle le khalife al-Moutavakkel fit élever une construction avec des sortes de nacelles (zourâk) qui servaient aux gens à se transporter jusqu'à la source al-Hashimiyya et dans d'autres endroits. Près de la source al-Zahiriyya, il y avait une source sulfureuse qui se dégorgeait par un luisseau, lequel allait se joindre à celui qui sortait de la source al-Zahiryya et de là ils allaient se jeter dans le Khabour. Aboulféda (Géographie, tome II, partie il, page 55), nous apprend qu'il y a dans cet endroit plus de 300 sources dont la réunion forme le Khabour et que cette ville portait également le nom de Aïn-Wardah, « la source de la Rose », Hadji-Khalifa se borne dans le Djihan-Numa au peu que rapporte Aboulféda. Idrisi ne mentionne même pas cette ville. Je ne sais pourquoi Kazwini lui donne le nom étrange de Ra'as al-'Aïs (Athar-al-bilâd, éd. Wüstenfeld, page 219).
[80] Le Khabour, dit Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome II, page 388), est le nom d'un grand fleuve formé par la réunion des sources de Ra'as al-Aïn (voir la note précédente), mais c'est également une localité connue sous le nom de Khabour-al-Housniyya qui dépend administrativement de Maûsil. Hadji-Khalifa donne des renseignements plus précis dans le Djihan-Numa et il nous apprend qu'il y a deux forteresses situées sur une montagne entre Ra'as al-Aïn et l'Euphrate. Sous la domination ottomane, le livâ de Khabour comprenait, en plus de ces deux citadelles, les villes de Mâksîn, Sâroûdj, Harrân, Kahbah, Rakka, Ra'as al-Aïn, Karkisiyya et la citadelle de Dja'bar ; sur le fleuve du Khabour, on peut voir la Géographie d'Aboulféda (tome I, première partie, page 66; 2e partie, pp. 55, 57, 58, 60). Ce géographe nous apprend qu'à son époque la ville de Madjdal était la plus belle ville du district de Khabour.
[81] C'est, dit Yakout (Mo'djam-al-bouldân, tome IV, page 507), la montagne qui domine le quartier de Karafa, ou se trouve le cimetière du Caire et de Fostat. Cette montagne s'étend depuis Asvân et l'Abyssinie et elle vient se terminer sur les bords du Nil. Dans chacun de ses tronçons, elle porte un nom particulier.
[82] Il y a en Orient plusieurs localités du nom de Rahbah : celle dont il est question ici est Rahbah-Malik ibn Taûk, qui est séparée de Damas par une distance de huit jours de marche et éloignée d'Alep de cinq jours. Elle est à une distance de cent farsakhs de Bagdad, de vingt farsakhs et demi de Rakka. Elle se trouve entre cette dernière ville et Baghdâd, sur la rive de l'Euphrate, plus bas que Karkisiyya. On n'y trouvait, au dire de Béladorî, aucun monument qui fût antérieur au règne de Malik ibn Taûk ibn 'Attâb al-Tha'libi qui vivait sous le Khalifat de l'abbasside al-Ma'moun. L'auteur des Tables astronomiques souvent citées par Yakout lui attribue les coordonnées : L 60° 15', l. 33°. D'après Yakout, on trouve dans le premier livre, dans le second djouz, de la Bible (Tôriyya), que Ralibah a été construite par Nemrod, fils de Koûsh. Ce Malik ibn Taûk était l'un des officiers du khalife abbasside Haroun-ar-Rashid. La ville fut rebâtie, à quelque distance de son ancien emplacement, par le prince ayyoubide Shirkouh ibn Mohammad ibn Shirkouh ibn Shâdî, sultan de Homs, à quelque distance de l'Euphrate ; c'était une station pour les caravanes de l'Irak et de la Syrie ; elle était approvisionnée d'eau par un aqueduc dérivé du canal creusé par Sa'id, fils du khalife omeyyade 'Abd-al-Malik (Yakout et Aboulféda, tome II, partie ii, page 58). Hadji-Khalifa n'ajoute rien d'intéressant sur cette ville.
[83] Dans le Mo'djam (tome I, page 828), Yakout consacre une longue notice à cette ville à laquelle il assigne, sur l'autorité de Ptolémée, la longitude de 71° 30'; l'auteur des Zidj donne L 63° 15', l. 34° 40'. Elle serait nommée d'après Tadmor, fille de Hassan, fils d'Adhinah, fils de Somaïda, fils de Mazid, fils d’Amalik, fils de Loth, fils de Sem. La population de cette ville, qui n'est autre que l'ancienne Palmyre, croyait que les innombrables raines qui se trouvent sur tout le sol de cette contrée étaient les restes d'édifices antérieurs à Salomon et qu'ils avaient été édifiés par les génies. Un nommé Ismâ’îl ibn Mohammad ibn Khalid ibn 'Abd-Allah-al-Kasri raconte qu'il se trouvait avec l'omeyyade Marvân, fils de Mohammad, quand on jeta à bas le mur de Palmyre ; on trouva une pierre sur laquelle était représentée une femme assise sur un trône; elle était vêtue de sept robes et ses cheveux étaient divisés en sept nattes qui étaient attachées aux bracelets d'or qui lui enserraient les chevilles. La dimension de cette figure était à peu près d'une coudée. A l'une de ses tresses était attachée une feuille d'or sur laquelle étaient gravés ces mots : « En ton nom, ô Allah! Je suis Tadmor, fille de Hassan. Qu'Allah fasse tomber toutes les calamités sur celui qui pénétrera dans cette maison qui est mienne ! » Le prince omeyyade ordonna d'emporter cette stèle, et Ismâ’îl attribue à cet ordre la mort de Marvân qui survint très peu de jours après la défaite de son armée et la ruine de sa dynastie. Aboulféda rapporte dans sa Géographie (tome II, partie i, page 118) que cette localité est à trois étapes d'Homs et de Salamiyya et qu'elle était défendue par une forteresse. On y cultivait des palmiers et des oliviers. Hadji-Khalifa ne raconte rien de bien intéressant sur cette ville, mais il nous apprend que son terroir était très nitreux.
[84] Cela revient à dire que tousses princes ayyoubides se considéreraient comme les vassaux du sultan d'Egypte ; c'étaient les intentions mêmes de Salah ad-Din.
[85] Aboulféda (tome II, partie ii, page 12), raconte que la forteresse de Nadjm est tellement élevée qu'elle se perd dans les nuages; elle est très voisine du pont de Manbadj et distante de Manbadj de vingt-cinq milles. Elle s'appelait d'abord forteresse de Manbadj et son nom fut changé dans la suite ; elle fut construite par le sultan Mahmoud ibn Zangui. Il y a une autre localité nommée Nadjm sur le chemin de la Mecque à Sanaa (Idrisi, tome I, page 113).
[86] Yakout (Mo'djam, tome III, page 85) dit que c'est une ville du Diyâr-Modar, et qu'elle est voisine de Harrân ; ses coordonnées sont L 62° 45', l. 36°. Aboulféda (tome II, partie ii, page 52) donne pour coordonnées : L 62° 40' ou 62° 15', l. 36° 50' ou 37° 40', et il ajoute qu'elle n'était éloignée d'Harrân et de Bira que d'une journée de marche. Elle était en ruines à son époque. Aboulféda et Hadji-Khalifa s'accordent pour vanter les productions horticoles de Saroûdj : grenades, poires, coings et prunes.
[87] Le Djézireh des géographes musulmans correspond à la Mésopotamie et comprend en plus quelques localités situées sur la rive syrienne de l'Euphrate.
[88] Pas pour bien longtemps, comme on ne tardera pas à le voir.
[89] Il y a plusieurs localités nommées Sanaa en Asie, celle dont il est parlé dans le texte de Makrizi se trouve dans le Yémen, elle est distante d’Aden de 68 milles. Yakout nous apprend dans le Mo'djam (tome III, page 421) que cette ville s'appelait primitivement Azâl, d'après ce que disent al-Kalbî et Abd al-Mo'nim. Quand les Abyssins vinrent dans ce pays, ils trouvèrent que cette ville était bien bâtie et solidement défendue, et ils dirent : « Elle est san'at », ce qui dans leur langue signifiait « c'est une forte place ». Ce serait de là que viendrait le nom de Sanaa. Il ne faut évidemment prendre cette étymologie que pour ce qu'elle vaut, c'est-à-dire pour peu de chose. D'autres étymologistes prétendent qu'elle a reçu son nom de Sanaa ibn Azal ibn Yaktân ibn Abir ibn Shâlikh. C'est la plus grande ville du Yémen et les géographes orientaux lui donnent pour coordonnées : L 63° 30', l. 14° 30'. On disait que ses habitants ont dans la même année deux hivers et deux étés, tout comme ceux de Faran, de Mârib et d'Aden. Quand le soleil entre dans le signe du Bélier, la chaleur devient excessive jusqu'à ce qu'il entre dans le Cancer, il y a alors une température plus fraîche qui passe dans le Yémen pour un hiver. Quand le soleil arrive dans la Balance, il y a un second été, et quand il passe dans le Capricorne un second hiver. La ville de Sanaa avait neuf portes et aucun étranger ne pouvait les franchir sans permission. Les princes qui régnaient à Sanaa avaient pris de grandes précautions pour cela ; il y avait à la porte nommée bab-al-hakl des cloches dont le son pouvait s'entendre des parties les plus éloignées de la ville. Il y avait une chaîne d'or qui allait depuis la porte de la ville jusqu'à l'appartement du chambellan, et quand quelqu'un se présentait à la porte, le gardien tirait la chaîne et le chambellan allait avertir son maître qui voyait ce qu'il avait à faire. Hadji-Khalifa, dans le Djihan-Numa, et Kazwini, dans le Athar-al-bilâd, donnent des renseignements très curieux dont j'extrais ce qui suit : on faisait dans cette ville des robes de lame à raies blanches et jaunes, des turbans et toutes sortes d'étoiles pour les habits ; le cuir qu'on y préparait était très supérieur à celui qu'on tirait d'autres localités. Le palais du roi himyarite Gamrân se voyait dans les environs de Sanaa sur une colline ; il avait été bâti par Yahsab l'Himyarite ; il était carré, l'une de ses faces était rouge, un côté blanc, un vert, et un jaune. Il avait sept étages et on le voyait de trois milles à la ronde. Ce souverain fit bâtir tout en haut de ce palais un belvédère de marbre de toutes les couleurs, dont le plafond était formé d'une dalle d'une seule pièce; aux quatre coins de cette salle, il y avait quatre lions qui rugissaient quand le vent soufflait. Quand Osman, troisième khalife des Musulmans, voulut faire démolir ce palais, on lui dit qu'il y avait une inscription qui promettait la mort à celui qui agirait ainsi; mais ce prince ne voulut rien écouter.
Le célèbre Abrâha avait fait construire à Sanaa une église splendide, qu'il nomma Kalîs [ἐκκλεσία] et qu'il orna de pierres précieuses et d'or. Il écrivit au roi d'Abyssinie et lui fit savoir qu'il avait bâti cette église pour lui, et qu'il avait l'intention de forcer les Arabes à s'y rendre en pèlerinage au lieu d'aller au temple de la Mecque. C'est pour venger la profanation de cette église par un Arabe, qu'Abrâha entreprit sa fameuse expédition contre la Mecque.
[90] Cette année, dit le kadi Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 146 recto), le prince de Hamâh, al-Malik al-Mansour, reçut une lettre d'un de ses courtisans, qui était gouverneur de la campagne de Hamâh et qui était parti pour faire le pèlerinage de la Mecque en l'année 598. Cet officier lui apprenait l'assassinat d'al-Malik al-Mo'izz Ismâ’îl ibn Saïf-al-Islâm-Tahir ad-Din Toughan-Tikîn ibn Ayyoub et les événements qui s'étaient passés dans le Yémen après les tentatives folles de ce prince. Le récit de Djémal ad-Din ne diffère pas de celui que l'on vient de lire dans le Soloûk.
[91] Djémal ad-Din ibn Wasil (ms. ar. 1702, folio 117 r°) dit que l'armée de Maûsil vint retrouver les deux princes ayyoubides devant Mardîn, mais qu'ils ne purent s'emparer de cette place importante malgré ce renfort. Ce fut, d'après le même auteur, le sultan al-Malik ath-Tahir qui négocia la paix entre les deux princes et le seigneur de Mardîn. Al-Malik ath-Tahir se fit payer ses services 10.000 dinars.
[92] On a vu plus haut qu'Abou'l Mahâsin, dans son Egypte intitulée al-nodjoum-al-zahirah-fi-molouk-Misr-wa-l-Kàhirah, place ce fait aune date un peu antérieure. Ces divergences ne sont point rares, malheureusement, entre le récit de Makrizi et celui d'Abou’l Mahâsin, sans que l'on sache au juste auquel des deux historiens il convient d'accorder le plus de confiance.
[93] D'après Djémal ad-Din ibn Wasil (ms. ar. 1702, fol. 147 v°), ce fut le vingt-cinquième jour du mois de Rabi second qu'al-Malik al-Mansour quitta le Caire. Il resta à Edesse avec sa mère et ses frères durant quelque temps, puis il se rendit à Alep auprès d'al-Malik-ath-Tahir qui, au moment de sa mort, lui laissa la couronne.
[94] Djémal ad-Din ibn Wasil (ibid., folio 148 recto) dit que al-Malik al-Mansour alla assiéger la citadelle de Ma'arin et qu'il demanda à al-Malik al-'Adil de lui envoyer des renforts. Ce souverain ordonna à al-Malik al-Amdjad 'Izz ad-Din Bahram-Shah ibn Farouk-Shâh, prince de Baalbek, et au prince de Homs, al-Malik al-Moudjahid, d'aller renforcer l'armée d'al-Malik al-Mansour. Cet historien donne un extrait d'une lettre du sahib Safi ad-Din ibn Shakir qui écrivit à al-Malik al-Mansour pour lui annoncer que le sultan d'Egypte avait donné ordre aux deux princes de Baalbek et de Homs de se rendre auprès de lui avec leurs contingents.
[95] Djémal ad-Din ibn Wasil (ibid., folio 148 verso) dit que les pertes des Francs furent considérables et qu'une partie des prisonniers qu'on leur rit furent amenés à Hamâh; leur entrée produisit une joie immense dans la population de cette ville. Al-Malik al-Mansour écrivit immédiatement à son oncle al-Malik al-'Adil pour lui faire part de cet heureux événement, et le souverain égyptien lui répondit par une missive qui lui arriva le dix-huitième jour du mois de Ramadan.
[96] D'après Djémal ad-Din ibn Wasil (ibid., folio 149 recto) al-Malik al-Mansour, prince de Hamâh, reçut cette nouvelle par un envoyé des chevaliers de l'Ordre du Temple; l'objectif des Francs était Djibala et Laodicée ; les Grands-Maîtres des Templiers et des Hospitaliers avec le roi des Francs, avaient l'intention d'aller trouver le roi d'Arménie, et de rétablir la paix entre lui et le prince d'Antioche, dans le but de faire la guerre aux Musulmans. D'après le même auteur (folio 149 verso) il y eut une grande bataille entre les Francs et le roi de Hongrie; une grande ville fut emportée d'assaut et la population fut passée au fil de l'épée; mais on ne tarda pas à apprendre que ces dissensions s'étaient apaisées et que les Francs étaient définitivement partis pour la Syrie le jour de la fête de la Croix. Les Templiers voulaient, en annonçant ces nouvelles à al-Malik al-Mansour, obtenir plus facilement la paix de ce prince, mais il n'en fut rien. Presqu'en même temps, le souverain de Hamâh recevait une lettre d'al-Malik al-'Adil qui lui annonçait officiellement la marche des Francs.
[97] Nom d'une citadelle très fortement défendue qui domine le rivage de la Méditerranée et qui est au-dessus de Boulounyâs. L'historien Abou Ghâlib-Homan ibn al-Mohaddab al-Ma'arri raconte dans sa Chronique, qu'en l'année 454, les Musulmans construisirent une forteresse nommée Markab ou Morakkab sur le rivage de la mer près de Djibala. Tous ceux qui l'avaient vue attestaient qu'il n'en existait nulle part une que l'on pût lui comparer. Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome IV, page 500). La garnison musulmane offrit aux Grecs (Roum) de la leur vendre moyennant le paiement d'une somme considérable. Les Grecs envoyèrent à Antioche un homme accompagné de ses deux fils pour toucher cette somme, puis la garnison refusa de rendre la place (Yakout, Mo'djam-al-bouldân, tome IV, page 500; Kazwini, Kitab-athar-al-bilâd, page 173). Aboulféda (tome II, partie ii, page 32) ajoute qu'elle est à un farsakh environ de Boulounyâs et que cette dernière localité est séparée de Tartous par douze milles.
[98] La Citadelle des Kurdes (Hisn-al-Akrâd), dit Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome II, page 279), est une forteresse bâtie sur la montagne qui domine Homs du côté de l'Occident ; cette montagne est une branche du Liban. Elle est située entre Baalbek et Iloms. Un émir syrien avait élevé à cette place une tour dans laquelle il avait mis une garnison de Kurdes de façon à en faire un poste avancé pour surveiller les Francs, et on permit à ces Kurdes d'y faire venir leurs familles. Ces gens trouvèrent qu'ils étaient insuffisamment défendus et ajoutèrent des constructions à ee donjon, de telle sorte que la place ne tarda pas à devenir une citadelle imposante. Cependant les Francs étant venus l'assiéger, les Kurdes la leur rendirent contre une forte somme et s'en retournèrent dans leurs montagnes. Yakout ajoute, dans ce même passage, que le kadi Abou’l Hasan 'Ali ibn Youssouf-al-Shaibanî rapporte qu'entre Balis et Manbadj il existait une forteresse nommée Hisn al-'Adis et une autre nommée Hisn-al-Daviyya, « la citadelle des Templiers », entre Rakka et Alep. Hadji-Khalifa donne dans son Djihan-Numa une notice qui diffère très sensiblement de celle de Yakout et dont j'extrais les quelques renseignements que l'on va lire : Cette ville était la capitale de la Syrie avant que cette contrée passât sous la domination musulmane. Il paraît qu'il y avait, dans un vallon qui en était voisin et que l'on nommait Vadi-ar-Rabil, des fourmis grosses comme des moineaux. Les turcomans qui habitent ce pays attachaient sur la tête de leurs enfants des têtes de ces fourmis pour les préserver du mauvais œil. Il coulait dans le fond de ce vallon une rivière, dont le cours était ombragé par des arbres dans lesquels nichaient des rossignols que les habitants capturaient et qu'ils allaient vendre à Damas. Près de ce vallon, du côté de Tarâbolos, il y a une grotte dans laquelle jaillit une source intermittente dont l'eau coule depuis le coucher du soleil jusque vers 8 ou 9 heures du matin; elle diminue ensuite jusque vers le coucher du soleil, où elle s'arrête complètement.
[99] Le vingt et unième jour du mois de Ramadhan, dit Djémal ad-Din ibn Wasil dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 150 recto), les Hospitaliers allèrent faire une incursion du côté de Ba'arin; ils étaient 500 cavaliers et 1400 fantassins, sans compter les turkopouls; ils avaient en plus avec eut des arbalétriers et des tireurs de zambourak. Le chef des turkopouls fut tué dans cette bataille ainsi qu'un comte; les Hospitaliers perdirent un grand nombre de frères. Les captifs furent conduits à Hamâh.
[100] Al-Malik al-Afdal avait été, comme on l'a vu, plus haut, l’atabek du sultan al-Malik-al-Mansour et s'était vu chasser d'Egypte par al-Malik al-'Adil.
[101] Djémal ad-Din ibn 'Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 150 verso) dit que lorsqu'al-Malik al-Afdal envoya sa mère à al-Malik al-Mansour pour demander à ce prince d'intercéder en sa faveur auprès du sultan al-Malik al-'Adil, cette princesse était accompagnée du kadi Zaïn-ad-Dîn.
[102] Nom d'une ville bien connue du Tihâmah. Hadji-Khalifa dit dans le Djihan-Numa que c'est une forteresse autour de laquelle se trouvent des champs ensemencés ; on y trouve cent soixante-dix sources. Ad temps de ce géographe, Yanbo était gouverné par un lieutenant du shérif de la Mecque. C'est là qu'étaient fixés les descendants d'Ali, fils d'Abou-Talib. On tire de la montagne de Ridoua, qui se trouve à l'est de cette localité, et dans laquelle est caché le Mahdi des Keïsanis, une pierre qui sert à repasser les rasoirs (Aboulféda, Géographie, tome II, partie i, page 119).
[103] Il y a plusieurs localités de ce nom en Asie : Nakhlat-al-Shamiyya, qui consiste en deux vallons à deux journées de chemin de la Mecque; Nakhlat-Mahmoud, dans le Hedjaz, non loin de la Mecque; c'est la première station que l'on rencontre quand on sort de cette ville ; enfin Nakhlat-al-Yamâmah près de la Nakhlat-al-Shamiyya (Yakout, Mo’djam-al-bouldân, tome IV, page 770-771).
[104] Voici, d'après Rashid ad-Din (Djâmi 'al-tavarikh, ras. supp, persan 209, folio 116 recto et sqq.), l'histoire résumée des souverains de l'Asie depuis le commencement de l'année de la souris, c'est-à-dire le mois de Djoumada second de l'année 600, jusqu'à la fin de l'année du cheval (moûrin) date correspondante au mois de Chaban 606.
Dans le Khitaï régnait Djizoun, dans le pays de Mâ-Tchin, Ning-Zoûn; dans le Khwarezm, une partie du Khorasan et de l'Irak, le sultan était ‘Alâ ad-Din Mohammad Kharezmchah ; son neveu Hindou-Khan se révolta contre lui pendant que les souverains du Ghour l'attaquaient également. Il perdit ainsi la plus grande partie du Khorasan, mais à ce moment, la fortune cessa de sourire aux sultans ghourides, et Schihâb ad-Din étant venu à mourir, la puissance du sultan Mohammad s'en trouva augmentée et il se prépara à reconquérir le Khorasan ; il s'empara du Mazandéran et du Kirmân, et il fit une incursion dans le Kiptchak. En l'année 606, il devint maître de la Transoxiane Et il conquit Balkh ainsi que la contrée qui environne cette ville. Quand il arriva à Hérat, Izz ad-Din Kharmil, qui en était gouverneur, sortit à sa rencontre et se rendit sans essayer la moindre résistance. Ghiyâth ad-Din Mahmoud, fils du sultan ghouride Schihâb-ad-Din, ayant voulu attaquer le Kharezmchah, fut défait et son armée fut anéantie.
Quand 'Alâ ad-Din Mohammad arriva à Balkh, les gouverneurs des citadelles se rendirent auprès de lui et lui en remirent les clefs; il reconquit ainsi le Khorasan et il donna sa fille en mariage au sultan Othman de Samarcande.
Le sultan du pays de Roum était Rokn ad-Din Soleïman ibn Kilidj-Arslan. Il assiégea durant un certain temps son neveu, le prince d'Angora, dans la citadelle de cette ville, mais il ne put arriver à s'en emparer ; à la fin, il fut convenu qu'il donnerait à son neveu une autre ville en échange, et il devint ainsi maître d'Angora; mais à peine en eut-il pris possession qu'il envoya une armée à la poursuite de son neveu qui fut tué, ainsi que tous ses frères et ses fils. En punition d'une telle violation de la foi jurée, au bout de cinq jours il fut pris d'une maladie d'intestins, et il mourut le septième jour. Les émirs placèrent sur le trône son fils Kilidj-Arslan, et, au mois de Redjeb de l'année 602, Ghiyâth ad-Din Kaï-Khosrav ibn Kilidj-Arslan déposséda son neveu Kilidj-Arslan ibn Soleïman. Voici quelle en fut la cause : avant cette époque la ville de Roman appartenait à Ghiyâth ad-Din et Rokn ad-Din Soleïman la lui avait enlevée. Le prince dépossédé s'enfuit en Syrie et se réfugia auprès du sultan d'Alep, al-Malik-ath-Tahir, auquel il demanda secours. Le sultan le lui ayant refusé, il se rendit à Constantinople dont le souverain le reçut avec les plus grands honneurs et lui donna un fief dans son empire. Ghiyâth-ad-Din se fixa dans ce pays, et il demanda en mariage la fille d'un des grands dignitaires. Quand les Francs se furent emparés de Constantinople, il prit la fuite et il demeura dans une forteresse qui se trouve en Asie-Mineure. Après la mort de son frère Rokn ad-Din Soleïman ibn Kilidj-Arslan, lorsque les émirs eurent prêté serment au fils de celui-ci, Kilidj-Arslan, un des émirs des Oudj se révolta contre le nouveau souverain et envoya un message à Ghiyâth-ad-Din, dans lequel il lui disait : « Si tu veux venir, je m'emparerai de l'empire pour ton compte ». Ghiyâth ad-Din vint et attaqua Koniah avec une armée considérable. Le fils de Rokn ad-Din se trouvait dans cette ville; il en sortit pour livrer combat à Ghiyâth-ad-Din, qui fut battu. Mais les gens d'Akséraï chassèrent leur prince et reconnurent Ghiyâth ad-Din comme souverain; ils persuadèrent à ceux de Koniah qu'il serait plus avantageux de l'avoir pour sultan que Kilidj-Arslan. Quand il fut monté sur le trône, il s'empara de son neveu et de ses partisans et les fit emprisonner. Son frère Kaïsar-Shâh était prince de Malatiyya, et Rokn ad-Din lui avait enlevé sa principauté ; il s'était enfui à Damas, où il avait épousé la fille d'al-Malik al-'Adil. Quand il apprit les succès de son frère, il vint se joindre à lui; mais ce prince ne lui rendit pas Malatiyya. Ghiyâth ad-Din étendit ses conquêtes jusqu'à Édesse et al-Malik al-Afdal, prince de Soumaïsat, et le prince de Khartapirt faisaient réciter la prière du vendredi (khotba) en son nom.
Dans le Ghour, à Ghazna et dans une partie de l'Hindoustan régnait le sultan Schihâb-ad-Din. Au mois de Moharram de l'année 602, il livra combat aux Béni-Koukar. Voici quelle en était la cause : quand Schihâb ad-Din s'enfuit devant les troupes du Kara-Khitaï qui étaient venues au secours du sultan Mohammad Kharezmchah, on répandit partout le bruit qu'il était mort. Le fils de Danyâl, qui était prince de Kohdjoudî, près de Sérendib (Ceylan), et qui avait été musulman, était ensuite retourné à l'idolâtrie ; les Béni-Koukar qui étaient les vassaux de Danyâl l'imitèrent, se révoltèrent contre le sultan ghouride et se livrèrent au brigandage le plus éhonté. Quand Schihâb ad-Din fut parvenu à soumettre l'un de ses officiers, Aïbec, qui s'était emparé du Moultân, il donna la vice-royauté de Lahore et du Moultân à Mohammad ibn Abou 'Ali en le chargeant de lui envoyer deux années du revenu de ces pays pour qu'il pût attaquer le Khitaï. Ce général l'avertit que les Béni-Koukar infestaient les routes et qu'ils se livraient au brigandage, de telle sorte qu'il était absolument impossible d'envoyer de l'argent de Lahore et du Moultân. Le sultan Schihâb ad-Din envoya alors contre eux l'un de ses officiers Kotb ad-Din Aïbec, commandant de l'armée de l'Hindoustan, mais ils l'empêchèrent ' de passer, de toile sorte que le sultan ne put entreprendre, faute d'argent, son expédition contre le Khitaï. Le cinquième jour du mois de Rabi' premier de l'année 602, il se mit lui-même en route pour aller combattre les Béni-Koukar; le vingt-cinq du mois de Rabi' second, il arriva sur eux et un violent combat s'engagea, qui dura depuis l'aurore jusqu'à la seconde prière. Soudain Kotb ad-Din Aïbec tomba sur eux avec son armée et les culbuta; ils se débandèrent et un grand nombre d'entre eux furent tués. Les Hindous se réfugièrent près d'une haute montagne, ils y allumèrent de grands feux et quand les Musulmans s'approchèrent, ils s'y jetèrent, de telle sorte qu'Us périrent tous brûlés. L'armée musulmane fit un si grand butin que cinq prisonniers hindous se vendaient pour un dinar. Quand le fils de Koukar vit que ses frères et ses sujets s'étaient brûlés vifs, il prit la fuite; mais le fils de Danyâl, prince de Djoudi, se rendit à discrétion à Kotb ad-Din. Le sultan resta à Lahore jusqu'au onzième jour de Redjeb, après quoi, il s'en retourna à Ghazna; il envoya quelqu'un à Bahâ ad-Din Sam, prince de Bamiyan, pour le prier de mobiliser son armée dans le but d'aller attaquer Samarkand. Le sultan Schihâb ad-Din s'étant rendu sur les bords du Sind, dans une localité que l'on appelle Damil, y fit élever un pavillon dont une moitié était bâtie sur le fleuve ; il y fut assassiné par des Hindous qui sortirent tout à coup du fleuve, au moment où il faisait la sieste et qui lui lancèrent près de vingt poignards. La mort du sultan ghouride fut cachée le plus longtemps possible, et, quand il n'y eut plus moyen de la dissimuler, les émirs se disputèrent pour savoir qui mettre sur le trône. Les uns proposèrent Bahâ-ad-Din, prince de Bâmiyân, d'autres Ghiyâth ad-Din Mahmoud, fils du sultan Ghiyâth-ad-Din... Bahâ ad-Din-Sam, prince de Bâmiyân, était fils de Chams ad-Din Mohammad ibn Massoud, cousin des deux sultans Ghiyâth ad-Din et Schihâb ad-Din qui lui avaient donné leur sœur en mariage avec Bâmiyân comme fief; il en eut un fils qu'il nomma Sam et qui reçut le titre de Bahâ-ad-Din; ce prince eut pour successeur un autre fils, 'Abbas, qu'il avait eu d'une femme turque. Cela déplut aux deux sultans qui déposèrent 'Abbas et qui donnèrent à leur neveu, en même temps que le titre de Bahâ ad-Din, la principauté de Bâmiyân. A la mort de Schihâb ad-Din, plusieurs princes ghourides se déclarèrent pour lui et le choisirent comme sultan de Ghazna, tandis que les esclaves turcs donnaient leur préférence à Ghiyâth ad-Din Mahmoud, fils du sultan Ghiyâth ad-Din. Les Ghourides envoyèrent chercher leur candidat, mais quand il fut arrivé à deux jours de marche de Ghazna, il se sentit atteint de telles douleurs dans la tête qu'il comprit qu'il était perdu. Il fit venir ses deux fils 'Alâ ad-Din et Djalal ad-Din, et il leur dit : « Allez à Ghazna, c'est Ali ad-Din qui doit me succéder, arrangez-vous avec Ghiyâth ad-Din Mahmoud, de telle sorte qu'il soit maître du Ghour et du Khorasan, tandis qu’Alâ ad-Din régnera à Ghazna et dans l'Inde. » Après la mort de Bahâ-ad-Din, Karadja s'empara du Sind, de Lahore et du Moultan; Tadj ad-Din Youldouz se rendit maître du Zaboulistan. Hérat et Fîrouzkoûh devinrent sujettes de l'émir Mahmoud, fils du sultan Ghiyâth-ad-Din; quant à l'émir Izz ad-Din Hosain-Kharmil, gouverneur de Hérat, il passa au service du sultan Mohammad Kharezmchah.
Dans l’Irak l-'Adjam, régnait Koukdjèh, à Rel et Hamadhan ; Djihan-Pehlevân avait eu un autre esclave, nommé Itgamish, qui réunit une armée et livra bataille à Koukdjèh ; ce dernier fut tué et Itghamish s'empara de ses états; il mit sur le trône Euzbek, petit-fils de Djihan-Pehlevân, mais il garda tout le pouvoir pour lui.
[105] Voici d'après Djémal ad-Din ibn Wasil [Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 151 verso) le récit de ces événements : Kotb ad-Din Mohammad ibn ’Imad ad-Din ibn Zangui se querella avec Nour ad-Din Arslan-Shah ibn Massoud, prince de Maûsil; mais au bout de quelque temps, il se remit avec lui," Cette même année, al Malik al-'Adil envoya une ambassade à Kotb ad-Din pour le flatter. Kotb ad-Din fit réciter la khotba au nom d'al-Adii et se montra prêta se considérer comme son vassal; cela mit Nour ad-Din Arslan-Shâh ibn Massoud dans une colère impossible à décrire et il marcha immédiatement, dans les derniers jours du mois de chewâl, sur Nisibin ; il s'empara de la ville et assiégea la citadelle durant quelques jours.
Pendant qu'il était occupé au siège de cette place forte, il apprit que Mothaffar ad-Din Koukbouri ibn Zaïn ad-Din 'AH-Kutchuk, prince d'Arbèles (Irbil), venait de faire une expédition contre la ville de Maûsil et qu'il avait brûlé toutes les récoltes des campagnes environnantes. Dès qu'il eut reçu cette nouvelle, il rentra à Maûsil, dans l'intention d'aller attaquer Arbèles ; cette nouvelle n'était pas exacte sous cette forme ; dès qu'il fut arrivé à Maûsil, il repartit pour aller attaquer Tell 'Afar qui faisait partie des états de Kotb ad-Din et il l'assiégea pendant trois jours, au bout desquels il s'en empara. Il régla les affaires de cette ville, et après y avoir demeuré pendant dix-sept jours, il s'en retourna à Maûsil. Kotb ad-Din, prince de Sindjar, envoya demander du secours à al-Malik al-Ashraf. Ce prince partit d'Harrân pour se rendre vers lui; Kotb ad-Din fit alliance avec Mouvaffik ad-Din, prince d'Arbèles, et avec les princes d'Amid et de Djézireh. Al-Malik al-Ashraf arriva devant Nisibin, et il fut rejoint sous les murs de cette place par son frère al-Malik al-Avhad-Nadjm-ad-Din, prince de Mayyafarikîn, et par le prince de Dira. Les princes se mirent en marche dans l'intention d'aller attaquer Maûsil. Le sultan qui régnait dans cette ville, Nour-ad-Din, marcha contre eux avec son armée et les rencontra près d'un village qui se nomme Boushira. Nour ad-Din fut écrasé, son armée anéantie et il se réfugia dans Maûsil n'ayant plus avec lui que quatre personnes. Al-Malik al-Ashraf continua sa route vers Maûsil et vint camper près d'une localité appelée Kafarmân ; son armée mit tout le pays environnant à feu et à sang.
Parmi les princes qui se trouvaient dans l'armée d'al-Malik al-Ashraf, il y avait le souverain d'Alep, al-Malik ath-Tahir et al-Malik al-Zahir-Nadjm ad-Din Daoud ibn al-Malik al-Nasir-Salah-ad-Din, prince de Birah. Al-Malik al-Ashraf et Nour ad-Din Arslan-Shah échangèrent plusieurs ambassades pour conclure la paix, mais al-Malik al-Ashraf n'y voulut point consentir à moins que Tell 'Afar ne revint à Kotb-ad-Din, prince de Sindjar. Nour ad-Din fut obligé d'en passer par cette condition.
[106] Il y a certainement ici une lacune dans le texte du Souloûk, ce qui rend cette phrase incompréhensible et ce qui pourrait faire croire que Nour ad-Din était fils du sultan d'Egypte, il faut évidemment restituer : « fils d'Aksonkor, entra en campagne, al-Malik al-Ashraf l'attaqua, le battit, mit le pays à feu et à sang... ». On sait en effet que Kotb ad-Din Mohammad, fils de Zengui, et prince de Sindjar, ayant fait faire la khotba dans ses états au nom du sultan d'Egypte, fut attaque par son cousin Nour ad-Din Arslan-Shah qui lui enleva Nisibe. C'est alors qu'al-'Adil envoya à Kotb ad-Din une armée sous le commandement de son fils al-Ashraf et que Nour ad-Din fut tellement battu qu'il rentra à Maûsil avec quatre hommes.
[107] Djémal ad-Din ibn Wasil dit dans le Mofarradj-al-kouroûb (Bibl. Nat., ms. ar. 1702, folio 153 recto) que ce prince mourut des suites d'un dérangement d'entrailles qui lui dura pendant sept jours consécutifs.
[108] Al-Malik al-Mansour, dit Djémal ad-Din (ms. ar. 1702, folio 151 r°), avait demandé des secours à al-Malik al-Mo'aththam ’Isa, fils d'al-'Adil, qui se trouvait à Damas et qui gouvernait cette ville au nom de son père ; il lui envoya une armée. A plusieurs reprises, al-Malik al-Mansour et les Francs s'envoyèrent des plénipotentiaires pour traiter de la paix; sur ces entrefaites, al-Mansour se rendit en Egypte ; il avait très grand peur d'al-Malik al-'Adil, mais, quand il arriva au Caire, le sultan le reçut très bien et le retint auprès de lui pendant un mois.
[109] La ville moderne de Rosette, dont Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome II, page 781) dit que c'est une petite localité située sur le bord de la mer et du Nil près d'Alexandrie. Aboulféda, plus complet (tome II, partie i, page 159), dit qu'elle est à dix-huit milles de la mer et à trente-six d'Alexandrie. D'après Idrisi (tome I, page 32(3), c'était une ville très commerçante et dont la campagne produisait beaucoup de légumes.
[110] Nom d'une petite ville éloignée de cinq ou six farsakhs de la mer, sur le Nil.
[111] L'historien persan Rashid ad-Din raconte ce qui suit dans la Djami' at-tavarikh, ms. supp. Persan 205, fol. 118 verso : « A cette époque, les Francs s'emparèrent de Constantinople dont ils firent prisonnier le roi, qui était un descendant des anciens Césars. Voici quelle avait été la cause de ce conflit. L'empereur grec (malik-ar-Roum) avait épousé la sœur du roi de France (Malik i-Ifrânsîsi) qui est l'un des plus grands souverains des Francs (molouk-i-Frânk) et en avait eu un fils. Quelque temps après, le frère de l'empereur grec, qui était par conséquent l'oncle de cet enfant, fit prisonnier l'empereur, le fit aveugler et le jeta dans un cachot. Le fils de l'empereur prit la fuite et alla trouver son (autre) oncle (le roi de France, fils de celui qui avait marié sa fille à l'empereur Grec). A cette époque, la plus grande partie de l'armée franque était assemblée pour aller faire la conquête de Jérusalem, de la Syrie et de l'Egypte. Quand les Francs apprirent ce qui s'était passé, ils résolurent d'aider le jeune prince et le conduisirent à Constantinople. Quand ils arrivèrent devant cette ville, son oncle sortit avec son armée, mais les Grecs furent complètement défaits et l'empereur grec se réfugia dans sa capitale. Les Francs mirent alors le siège devant Constantinople, et des partisans du jeune prince qui s'y trouvaient mirent le feu dans la ville, dételle façon que les gens furent occupés à éteindre l'incendie. Pendant ce temps, ils ouvrirent l'une des portes par laquelle les Francs pénétrèrent. L'empereur grec prit la fuite et son neveu monta sur le trône, après quoi son père fut délivré. Pour prix de leurs services, les Francs demandèrent de telles sommes d'argent qu'on leur donna jusqu'aux ornements des églises et que, malgré cela, ils ne furent pas contents.
Les Grecs tuèrent ensuite le jeune empereur, chassèrent les Francs et fermèrent les portes de Constantinople. Les Francs commencèrent le siège de cette ville, et les Grecs envoyèrent demander du secours au sultan du pays de Roum, Kilidj-Arslan ; mais celui-ci ne put leur en envoyer et leur situation devint désespérée. Comme Constantinople est une très grande ville, il y avait près d'un millier de Francs qui y habitaient. Ils s'entendirent avec les Francs qui en faisaient le siège et mirent le feu à la ville, de telle sorte qu'un quart brûla ; en même temps, ils ouvriront les portes et les Francs entrèrent ; ils livrèrent la ville au pillage pendant trois jours. Un certain nombre de Grecs se réfugièrent dans une grande église; les Francs l'ayant attaquée, les évêques, les prêtres, les moines s'avancèrent avec les Évangiles et la Croix pour implorer leur pitié, mais ils ne voulurent rien entendre et les massacrèrent tous. Il y avait trois rois des Francs, le duc (duks) prince de Laodicée, qui commandait la flotte et qui était aveugle, dételle sorte que quand il montait à cheval quelqu'un tenait les rênes de l'animal pour le diriger; le marquis, lieutenant du roi de France (markis mokaddam-i-Malik i-fransisi) et le comte Efkend. » — Il s'agit ici du doge de Venise, Henri Dandolo, et nullement du prince de Laodicée dont le nom est cependant bien lisible dans le manuscrit ; à la place de Lâdakia, il faut évidemment lire Bandakia; Efkend est certainement une déformation paléographique, d'ailleurs difficilement explicable du nom de Beaudouin.
[112] L'auteur de la Tarikh-i-elfi raconte ce qui suit sous la rubrique de l’année 591 de la rihlah (ms. supp. persan, 188 folio 278 recto) :
Cette année, parut un Alide, nommé 'Abd-Allah ibn Hamza 'Alavi, qui réunit un fort parti autour de lui et qui prétendit à la souveraineté; il s'empara de plusieurs provinces et les cavaliers de son armée étaient au nombre de 12,000, quant à ses fantassins ils étaient en nombre incalculable. Lorsque le souverain du Yémen, al-Mo'izz ibn Ismâ’îl ibn Saïf-al-Islam ibn Toghatikin ibn Ayyoub, apprit cela, il fut saisi d'une vive frayeur et il craignit de perdre la couronne, car la plupart de ses émirs avaient envie d'embrasser le parti de cet Alide. Les choses en arrivèrent à ce point que les armées de Mo'izz ibn Ismâ’îl et celles de l'Aude se trouvaient distantes de trois étapes, quand une nuit, un orage terrible éclata, tel que pas un soldat de l'armée de l'Alide ne put se sauver. A peine Mo'izz ibn Ismâ’îl en eut-il été informé, qu'il monta à cheval et qu'il se rendit au camp de l'Alide, ou il vit six mille cadavres qui avaient été foudroyés. Il s'en retourna ensuite dans ses états et fut délivré de la crainte de se voir déposséder.
Cette même année, dit Djémal ad-Din (ms. ar. 1702, folio 154 v°), le sultan d'Alep, al-Malik ath-Tahir, envoya une armée à Markab sous le commandement de Moubâriz ad-Din Akdjâ ; les troupes du prince d'Alep étaient sur le point d'emporter la ville quand leur général fut lue, elles s'en revinrent alors à Alep. — Le onzième jour du mois de chewâl, un enfant naquit à al-Malik ath-Tahir, prince d'Alep; il reçut le nom, 'al-Malik as-Sâlih-Ahmad. Un peu avant, un autre enfant lui était né; il fut nommé Yousouf; sa mère était la cousine d'ath-Tahir, Ghâzyat Khatoun, fille d'al-Malik al-'Adil. Cet enfant mourut jeune et sa mère, Ghâzyat Khatoun, ne tarda pas à le suivre au tombeau. — Al-Malik al-Moudjahid-Asad-ad-Din, prince de Homs, fit une expédition contre les Francs et poussa jusqu'à la citadelle des Kurdes (Hisn-al-Akrad); ses troupes y firent un butin considérable.
Les événements importants de l'année 602 s'étant presque tous passés à Alep, on en trouvera le récit dans l'Alep de Kamal-ad-Din.
[113] Cette année, dit l'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. arabe 302, page 291), Allah empêcha le Nil de monter sur la terre d'Egypte, de telle sorte que tout fut brûlé depuis la tour d'Assouan jusqu'à la tour de Damiette. La hauteur mesurée au nilomètre (rnikias) fut seulement de treize coudées et huit doigts. Le pays fut desséché, la famine éclata et les gens moururent en foule; les habitants se dispersèrent et une foule de personnes sortirent d'Egypte pour aller en Syrie, emportant avec elles leur argent et emmenant leurs enfants. Les Arabes les assaillirent en chemin, les massacrèrent et les firent prisonniers, dételle sorte qu'ils moururent de froid et de faim, ou qu'ils furent massacrés par les Arabes qui leur enlevèrent leurs biens. Si un de ces malheureux mourait, son fils, son frère ou ses amis, l'abandonnaient sans même prendre la peine de l'ensevelir dans le sable; ils s'enfuyaient sans même regarder derrière eux. Un homme qui avait été témoin oculaire de cette calamité m'a raconté avoir vu depuis la porte de Bilbis jusqu'à la porte de Ghaza des gens morts, avec leurs bêtes de somme et leurs troupeaux également morts et couchés les uns à côté des autres. Cette année, Allah frappa les Egyptiens de trois plaies, la famine, la mortalité et la peste, et tout cela pour punir leur sultan et son vizir.
[114] Le texte de Makrizi donne ici le titre très rare en arabe de forme persane Shâhânshâh et sous la forme arabe malik-al-molouk.
[115] Cette année, dit Djémal ad-Din ibn Wasil dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 157 r°), al-Malik al-Avhad s'empara de la ville d'Ikhlât et de tout le pays qui en dépend; nous avons raconté plus haut, d'après cet auteur, qu'après avoir appartenu au Shah-i-Armin Ibn Sokmân, cette ville était passée en la possession de Saïf ad-Din Bektimour ; après l'assassinat de Bektimour, en l'an 589, son fils en devint souverain; mais Saïf ad-Din Balaban (ce nom est à peine lisible dans le manuscrit), l'un des mamlouks du Shâh-i-Armin Ibn Sokman, s'empara du pouvoir. Le père d'al-Malik al-Avhad, al-Malik al-'Adil, avait conquis Mayyafarikîn et le pays qui en dépendait. Quant à al-Malik al-Avhad, il s'était emparé de la ville de Moush et d'autres cités qui en étaient voisines; cela lui donna envie de se rendre maître de Khilât. Saïf ad-Din Balaban marcha immédiatement contre lui et le battit. Al-Malik al-Avhad rentra à Mayyafarikîn, mais cette défaite ne lui fit abandonner aucun de ses projets; il s'occupa de réunir une armée, et écrivit à son père al-Malik al-'Adil pour lui demander du secours. Le sultan d'Egypte lui envoya une armée avec laquelle il marcha une seconde fois contre Khilât. Saïf ad-Din Balaban sortit de Khilât pour lui livrer bataille, mais cette fois, il fut complètement battu et forcé de s'enfuir. Al-Malik al-Avhad s'empara du pays et continua sa marche sur Khilât, où Saïf ad-Din Balaban se disposa à lui résister; en même temps, ce dernier envoyait une ambassade au prince seldjoukide Moughith ad-Din Thoghril-Shâh ibn Kilidj-Arslan, souverain d'Arzan-ar-Roum, pour lui demander de venir à son secours et de l'aider à se débarrasser d'al-Malik-al-Avhad. Le prince ayyoubide fut obligé de battre en retraite. Les deux princes, Balaban et Thoghril-Shah, vinrent assiéger la forteresse de Moush; ils étaient sur le point de s'en emparer quand Thoghril-Shâh se tourna contre Saïf ad-Din Balaban et le tua, dans le dessein de s'emparer des états sur lesquels il régnait. Il leva immédiatement le siège de la forteresse de Moush et marcha sur Khilât, mais la population de cette ville lui résista énergiquement; il leva alors le siège, et alla investir Malazkerd dont il ne put pas mieux venir à bout. Il s'en retourna alors chez lui. Les gens de Khilât écrivirent à al-Malik al-Avhad pour le prier de venir les gouverner; coprince se rendit à leur désir. Une partie des troupes de Khilât ne voulut pas le reconnaître comme souverain; elles s'emparèrent de Yân qui est l'une des principales forteresses de cette contrée, et se révoltèrent contre l'autorité d'al-Malik al-Avhad ; elles s'emparèrent également de la ville d'Ardjis. Cela détermina al-Avhad à écrire à son père al-Malik al-'Adil pour lui faire connaître les difficultés au milieu desquelles il se débattait. Le sultan d'Egypte lui envoya son frère al-Malik al-Ashraf-Moussa avec une armée considérable. Ce prince assiégea la citadelle de Van et s'en empara par capitulation. Après ces événements, l'armée égyptienne rentra au Caire; néanmoins une émeute ne tarda pas à éclater à Khilât (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 15S recto). Al-Malik al-Avhad ayant quitté Khilât pour aller voir ce qui se passait à Malazkerd, la population se souleva contra ses soldats et les expulsa. Elle assiégea ensuite la citadelle qui était défendue par les officiers d'al-Avhad, en criant : « Vive le Shâh-i-Armin! » Or, ce prince était mort quelque temps auparavant. Quand al-Avhad apprit cela, il revint en toute hâte à Khilât, après avoir emprunté des troupes à son frère al-Malik al-Ashraf. Il mit le siège devant Khilât, s'en empara et fit massacrer la plus grande partie de la population ; le reste fut déporté à Mayyafarikîn.
[116] Cette année (Djémal-ad-Din, ms. ar. 1702, folio 157 r°), mourut l'émir Zaïn ad-Din Karadja, le Sâlihi.
[117] Les Kurdes (Djémal ad-Din ibn Wasil, ms. ar. 1702, folio 159 v°) s'emparèrent d'Ardjis qu'ils mirent à feu et à sang. Djémal ad-Din dit, comme Makrizi, qu'al-Avhad n'osa pas marcher contre eux à cause de leur grand nombre.
[118] Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, fol. 161 r°) raconte que l’atabek Sindjar-Shâh menait une conduite répréhensible et qu'il se plaisait à répandra le sang·; il était d'une férocité sans nom et, sous les prétextes les plus futiles, faisait couper la langue, le nez ou les oreilles, à ses malheureux sujets. Il ne traitait pas ses enfants avec beaucoup plus de douceur. Le kadi de Hamâh dit en effet qu'il avait expulsé ses fils Mahmoud et Maudoud de sa capitale, et qu'il les avait fait enfermer dans une citadelle. Un autre de ses fils, Ghazi, fut emprisonné dans la capitale, et l’atabek avait chargé des gens de le surveiller étroitement pour l'empêcher de s'enfuir. La maison où le jeune prince était ainsi détenu se trouvait près d'un jardin qui appartenait à un homme de la ville ; il parvint à correspondre avec ses amis qui allèrent implorer sa grâce, mais cela ne fit que rendre plus rigoureuse la surveillance que son père avait ordonnée à son égard. A partir de ce moment, Ghazi fit tout ce qu'il put pour se tirer de cette maison, ou il était soumis à une captivité aussi dure. Il parvint, grâce à une ruse dans laquelle l'aida un de ses amis, à s'évader et il se cacha dans le palais de son père; un soir que ce dernier rentrait ignoblement ivre, Ghazi le frappa de quatorze coups de poignard et lui trancha la tête. Il entra ensuite dans les bains et se fît prêter seraient par les émirs et par les grands officiers; mais plusieurs des eunuques allèrent prévenir le grand chambellan de ce qui s'était passé, et, quand tout le monde connut la mort de Sindjar-Shah, on ferma les portes du palais et on prêta serment à son frère Mo'izz ad-Din Mahmoud. Ghazi fut immédiatement assassiné; son corps fut jeté à la porte de la ville ou les chiens le dévorèrent. On voit que le récit de Djémal ad-Din ibn Wasil diffère de celui de Makrizi, en ce sens que Makrizi donne pour meurtrier de Sindjar-Shâh, Mahmoud, tandis que l'assassin, d'après le kadi de Hamâh, est Ghazi.
[119] C'est-à-dire des princes ayyoubides. Ce fut sur les instances de son fils al-Malik al-Avhad, qui lui écrivait lettres sur lettres, qu'al-Malik al-'Adil entra en campagne; il se rendit d'abord à Kafartab et une fois arrivé dans cette localité, il écrivit aux rois pour leur demander de lui envoyer des troupes. Il fut rejoint par al-Malik al-Mansour, prince de Hamâh, al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs, al-Malik al-Amdjad, prince de Baalbek ; le sultan d'Alep, al-Malik ath-Tahir-Ghazi, lui envoya une armée. Quand il arriva à Harrân, ses fils, al-Malik al-Avhad, prince de Khilât et de Mayyafarikîn, et al-Malik al-Ashraf vinrent le retrouver, ainsi qu'al-Malik as-Sâlih-Mahmoud ibn Mohammad-Kara-Arslan l'Ortokide, prince d'Amid et de Hisn-Keïfa, les princes de Souvaïda et de Dara. Quand ses effectifs se trouvèrent ainsi au complet, il écrivit à Kotb ad-Din Mohammad ibn 'Imad-ad-Din, prince de Sindjar, qui ne s'était pas rendu auprès de lui, et il lui ordonna de lui livrer la ville dans laquelle il régnait. D'après Djémal ad-Din ibn-Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, fol. 162 recto), Kotb ad-Din était assez décidé à en passer par où voulait le sultan d'Egypte ; mais l'un de ses officiers, qui était son mamlouk et qui avait également été celui de son père s'y opposa absolument ; il se nommait Ahmed ibn Narifis (?). L'année précédente, al-Malik al-'Adil avait envoyé une ambassade au prince de Maûsil, Nour ad-Din Arslan-Shâh, et lui avait demandé la main de sa fille pour l'un de ses fils. Cette demande avait été agréée par le souverain de Maûsil, et il avait été convenu que les deux princes se partageraient les états de Kotb-ad-Din, ainsi que le Djézireh ibn 'Omar qui appartenait à Mahmoud ibn Sindjar-Shah. Les pays sur lesquels régnait Kotb ad-Din devaient revenir à al-Malik al-'Adil, et le Djézireh avec le reste à Nour-ad-Din. Cela fit que Kotb ad-Din refusa de joindre ses troupes à celles d'al-Malik al-'Adil quand le sultan d'Egypte l'en pria. Quand al-Malik al-'Adil se fut mis en marche vers les provinces orientales, Nour ad-Din ne fut pas tranquille, et il fit venir plusieurs de ses officiers dans le jugement desquels il avait toute confiance. Ceux-ci lui montrèrent combien il avait été imprudent en agissant ainsi et ils lui conseillèrent de se mettre sur la défensive et de rassembler son armée. Nour ad-Din ne savait comment faire et il leur dit : « Mais c'est nous qui avons fait cela, c'est nous qui avons écrit à al-Malik al-'Adil de venir dans ce pays! » « Eh bien! lui répondirent-ils, pour quelle raison as-tu écrit à ton ennemi de venir vers toi? » Sur ces entrefaites, al-Malik al-'Adil ayant appris que les Kurdes s'étaient enfuis dès qu'ils avaient eu connaissance de sa marche, détacha un corps d'armée sous le commandement d'al-Malik al-Mansour, prince de Hamâh, et d'al-Malik al-Ashraf, pour aller faire le siège de Nisibin; cette ville appartenait à Kotb-ad-Din; quant à lui, il continua sa route jusqu'à Sindjar, et il mit le siège devant la ville. Kotb ad-Din sentant que sa situation était très compromise, envoya ses épouses supplier le sultan d’Egypte de leur laisser Sindjar. Al-Malik al-'Adil se conduisit dans cette circonstance comme une brute et il ordonna qu'on chargeât de fers ces malheureuses princesses jusqu'à ce qu'elles eussent consenti à lui livrer la ville. Kotb ad-Din, craignant pour la vie de ses épouses envoya à l'Ayyoubide les clefs de Sindjar et déclara qu'il était tout prêt à se rendre, à la condition qu'on lui assurât la propriété de Rakka, de Saroûdj et de quelques parcelles de terre qui dépendaient de Harrân. Al-Malik al-'Adil rendit la liberté à ses femmes et ordonna que l'on arborât son étendard sur les murailles. A peine furent-elles rentrées dans Sindjar, que Kotb ad-Din faisait arracher le drapeau des Egyptiens des murailles de sa forteresse, le faisait jeter dans le fossé et ordonnait de fermer la porte; il envoya ensuite dire au sultan d'Egypte : « Ruse pour ruse, et c'est celui qui a commencé qui est le plus canaille ! » Al-Malik al-'Adil, furieux d'avoir été ainsi joué, poussa le siège avec la dernière rigueur. C'est à ce moment que Kotb ad-Din écrivit au khalife abbasside pour lui demander du secours. Un peu avant ces événements, le prince de Maûsil, Nour-ad-Din, avait rassemblé une armée pour aller renforcer al-Malik al-'Adil, et il en avait donné le commandement à son fils al-Malik al-Kâhir 'Izz ad-Din Massoud. Un ambassadeur vint alors le trouver de la part de Mothaffar ad-Din Kokboûrî et lui offrit de faire alliance avec lui contre al-Malik al-'Adil; voici quelle était la cause de cette démarche de Kokboûrî : Kotb-ad-Din, prince de Sindjar, lui avait envoyé son fils pour le prier d'intercéder en sa faveur auprès du sultan d'Egypte, al-Malik al-'Adil, et d'obtenir qu'il lui reconnût la possession de Sindjar. Mothaffar ad-Din fît ce que Kotb ad-Din sollicitait de lui; mais le sultan d'Egypte n'en voulut point tenir compte, parce qu'il soupçonnait Mothaffar ad-Din et Kotb ad-Din de s'être entendus pour lui jouer quelque vilain tour. Cela fâcha vivement Mothaffar-ad-Din, qui envoya son vizir à Nour-ad-Din, prince de Maûsil, pour conclure une alliance avec lui. Mothaffar ad-Din se rendit ensuite d'Arbèles à Maûsil, où il eut une entrevue avec Nour-ad-Dîn. Les deux princes envoyèrent une ambassade à al-Malik ath-Tahir, souverain d'Alep, pour lui demander de s'unir à eux contre al-'Adil; ils demandèrent la même chose au sultan seldjoukide, Ghiyâth-ad-Din, souverain du pays de Roum et à son frère Moughith ad-Din Thoghril-Shah, prince d'Arzan-ar-Roum. Al-Malik ath-Tahir consentit sans difficulté à ce que lui demandaient les deux alliés et il rompit sur le champ les engagements qu'il avait envers al-Malik al-'Adil. De plus, al-Malik ath-Tahir possédait dans la province de Mardîn un village nommé Farâdi; al-Malik al-'Adil en disposa pendant qu'il assiégeait Sindjar et le donna en fief à al-Malik as-Sâlih-Mahmoud l'Ortokide. Cela amena la rupture complète entre les deux souverains.
Al-Malik ath-Tahir se prépara immédiatement à la guerre, et alla camper à Bankousâ; il envoya Nitham ad-Din al-Hosain et son frère al-Malik al-Mouvayyad-Nadjm ad-Din Massoud à al-Malik al-'Adil avec des présents très nombreux et une lettre dans laquelle il implorait sa bienveillance en faveur du prince de Sindjar. Le sultan refusa d'écouter les conseils d'al-Malik ath-Tahir et se mit dans une violente colère. Quand les deux officiers d'ath-Tahir virent les dispositions d'esprit du sultan, ils ordonnèrent au contingent de l'armée d'Alep de quitter immédiatement le service d'al-Malik al-'Adil, et ils travaillèrent à ameuter ses officiers contre lui… Quand arriva la lettre du khalife, al-'Adil refusa d'abord de se soumettre aux remontrances du Commandeur des Croyants. Il finit par lever le siège de Sindjar qui resta à Kotb ad-Din et en échange reçut Nisibin et le Khabour.
[120] L'ambassadeur du khalife se sert ici du mot khalil; on a vu plus haut que le pontife de Bagdad avait donné au sultan d'Egypte le nom d'« Ami du Commandeur des Croyants » khalil émir el-mouminin. C'était donc, en quelque sorte, l'appeler par son nom que de lui adresser cette parole.
[121] Depuis le commencement de l'année du mouton, c'est-à-dire du mois de Chaban 607, jusqu'à la fin de l'année de la panthère, date correspondante au mois de Dhoû’lka’dah de l'an 614, les souverains du reste de l'Asie étaient, d'après Rashid ad-Din (Djâmi-at-tavarikh, ms. supp, persan 205, folio 127 et sqq.) :
Dans le Khitaï, Djizoûn ; dans le pays de Mâ-Tchin, Ning-Zoûn ; dans la Transoxiane (Mavara-'n-nahar), le Kour-Khân. Koûshloûk, fils de Tayank-Khan, souverain des Naïmân, avait demandé à ce dernier sa fille en mariage, puis il lui enleva son royaume. Le Khoûr-Khân mourut sur ces entrefaites et Koûshloûk fut tué, de telle sorte que toute cette contrée ne tarda pas à tomber au pouvoir de Gengis Khan.
Le sultan du Khwarezm était alors le célèbre Djélal-ad-Din, dont les luttes avec Gengis Khan sont racontées avec suffisamment de détails, dans l'Histoire des Mongols de M. d'Ohsson, pour qu'il n'y ait pas lieu d'y insister ici.
Dans le Mazandéran, régnait Shâh-Hosâm-ad-Din, qui mourut vers cette époque, laissant trois fils dont l'aine lui succéda; aidé de son plus jeune frère, il chassa son autre frère de ses états ; celui-ci alla se réfugier auprès d’Ali-Shah, frère du Kharezmchah, et il lui demanda de l'aider à s'emparer du trône. Sur l'avis du Kharezmchah, 'Ali-Shah partit avec son armée pour envahir le Mazandéran; quand ces troupes eurent passé le Gourgan, l'ainé des frères qui était sultan mourut, et le plus jeune lui succéda.'Ali-Shah saccagea le Mazandéran, détrôna le nouveau roi, et mit le prétendant sur le trône; ce dernier se reconnut comme le vassal du Kharezmchah et fit faire la khotba, ainsi que la frappe des monnaies, au nom de ce prince.
L’Irak était gouverné par Itghamish et Menkéli, qui avaient été les esclaves de Djihan-Pehlevân. Comme Itghamish reconnut la suzeraineté de Bagdad, le khalife lui donna un diplôme par lequel il lui conférait la souveraineté d'Ispahan et d'Hamadan; Itghamish marcha alors contre le pays gouverné par Tardjam et attendit l'arrivée de l'armée du khalife. Le khalife avait ôté à Soleïman ibn Tardjam la charge d'émir des Turcomans et avait donné cette charge à son frère cadet. Soleïman avertit Menkéli de ces événements et le pria de lui envoyer un corps d'armée en toute hâte. Itghamish fut fait prisonnier, on lui coupa la tête et on l'envoya à Menkéli. Cela accrut considérablement son pouvoir ; il réunit une armée importante et s'empara de tout le pays. Voici ce qui arriva entre ce prince et Euzbek, fils de Djihan-Pehlevân, qui régnait dans l'Azerbaïdjan : le khalife envoya un message à l'atabek Euzbek pour lui ordonner de déclarer la guerre à Menkéli ; il ordonna en même temps à Djélal ad-Din Mohammad, qui était souverain des forteresses des Ismaïliens, d'aider Euzbek, par cette raison que lorsqu'ils auraient détrôné Menkéli, une partie de ses domaines reviendrait à l'Atabek, une partie au khalife et une partie à Djalal ad-Din Mohammad. Le khalife envoya Mothaffar ad-Din Kokboûrî (le loup bleu), prince d'Arbèles et de Shehrzour, avec une armée pour attaquer Menkéli dans Hamadhan. Ce dernier alla se réfugier dans une montagne qui se trouve sur les frontières de la Géorgie; mais les troupes le cernèrent durant la nuit. Menkéli s'enfuit à la faveur de l'obscurité, son armée se débanda et les troupes du khalife s'emparèrent de tout le pays, lequel fut divisé suivant ce qui avait été convenu; l'atabek Euzbek confia la partie qui lui était échue à un officier de son frère, nommé Oughoulmish, à. cause de la bravoure dont il avait fait preuve dans cette campagne. Menkéli s'enfuit jusqu'à Savah, dont le gouverneur était son ami; il lui demanda la permission d'entrer dans la ville; le gouverneur la lui accorda et le logea dans sa propre maison, mais il lui prit ses armes et voulut le faire enchaîner pour l'envoyer à Oughoulmish. Menkéli s'étant aperçu de son dessein, le supplia de le tuer plutôt que d'agir ainsi. Le chef de police lui trancha la tête et l'envoya à Oughoulmish.
[122] Le défaut de place m'empêche d'entrer dans quelques détails sur cet ordre de chevalerie qui a peut-être été le prototype des ordres européens. On trouvera dans le Supplément aux Dictionnaires arabes de Dozy, au mot Foutouvvat, l'indication des principaux ouvrages à consulter sur ce sujet.
[123] Nom d'une petite localité sur la route de la Mecque au mont 'Arafa, à trois milles de la Mecque (Aboulféda, Géographie, tome II, partie i, page 108)
[124] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie raconte ce qui suit (ms. ar. 302, pages 297 et sqq.). Le lundi, quatorzième jour du mois de Pasbonsh de l'année 927 des Saints Martyrs, date qui correspond au vingt-quatrième jour du mois de Dhoû’lka’dah de l'année 607, une escadre composée de dix-huit navires francs se présenta devant Damiette ; les Francs descendirent au couvent d'Armina qui appartenait aux Melkites, et qui était distant de Damiette d'un farsakh du côté du bras occidental, le bras de Djizeh et de Boura. Il y avait dans cette division un grand navire de guerre dont l'équipage était de mille hommes, tant matelots que combattants, deux vaisseaux qui servaient au transport des chevaux, chacun d'eux pouvant en porter cinquante; sept croiseurs et huit navires incendiaires; ils avaient été armés à 'Akkâ et venaient de ce port; cette escadre jeta l'ancre en face du couvent dont nous venons de parler. Le commandant des Francs était nommé le comte Aflank; cent chevaliers et mille hommes da pied débarquèrent et se divisèrent en deux troupes, comprenant chacune cinquante chevaliers et cinq cents fantassins ; la première marcha sur Djizeh ; les cinquante chevaliers et les cinq cents fantassins qui la composaient tuèrent ou firent prisonniers les habitants de cette localité, hommes et femmes, et la mirent à feu et à sang; les autres marchèrent sur Boura à laquelle ils firent subir le même traitement; ils s'emparèrent de beaucoup de choses, en particulier d'un magnifique troupeau qui appartenait au sultan et qui valait cinq mille dinars ; ils pillèrent également les biens d'un kadi nommé 'Ali qui, à ce qu'on disait, demeurait dans cette localité depuis plusieurs années ; il y avait monté des usines et il se livrait à une exploitation industrielle que l'on évaluait à dix mille dinars et même plus. Quant aux habitants de la ville, je ne sais la quantité de ce que les Francs leur prirent en fait de toutes sortes de choses, meubles, sacs pleins de pièces d'or que les femmes portent à leur ceinture. Parmi celles qui furent ainsi dépouillées, on cite l'épouse du kadi 'Ali, kadi de Boura, qui portait à sa ceinture un réticule dans lequel se trouvaient mille dinars. Quand les Francs eurent pillé la ville, massacré les habitants et emmené en captivité tous les gens qu'ils purent, ils mirent le feu à ce qui restait. Tout cela se passa le lundi. Ils débarquèrent de leurs navires des tentes qu'ils dressèrent sur le rivage en face de leur ligne d'embossage ; parmi ces tentes, il y en avait une qui était rouge et qui était destinée au prince qui était avec eux. Ils restèrent dans cet endroit le lundi, le mardi et le mercredi, pillant, massacrant et faisant prisonniers tous ceux qu'ils trouvaient, et durant ce temps aucune armée ne marcha contre eux, parce que l'armée égyptienne se trouvait alors en Syrie avec al-Malik al-'Adil. Le gouverneur de Damiette, Djaldak, n'osa pas marcher contre les Francs et leur livrer bataille parce qu'il n'avait avec lui qu'un petit nombre de soldats; il se borna à fermer les portes de Damiette et à réparer les murs avec l'aide de la population de la ville qui se joignit aux soldats. Il y avait à Damiette une division de six croiseurs, sous le commandement d'al-Mansour; elle n'appareilla pas non plus pour aller les attaquer. Quand les Francs virent que personne n'osait marcher contre eux, ils s'enhardirent et comme ils savaient qu'il n'y avait pas dans Damiette de force qui pût leur résister, ils envoyèrent un détachement avec leurs navires incendiaires vers le rivage sur lequel s'élève cette ville. Ils attaquèrent la place, sans aucun succès d'ailleurs, et s'en retournèrent à leur mouillage. Le vent étant devenu favorable, ils mirent à la voile pour regagner leur pays avec le butin dont ils s'étaient emparés. Sous le règne de ce même patriarche (Anba Yohanna) les Francs étaient déjà venus faire de semblables agressions en Egypte du côté de la bouche de Rosette (Famm-Rashid), ils y avaient commis, ainsi qu'à Fouvvah, les mêmes actes de déprédation que ces deux fois à Djizeh et à Boura; ils s'en étaient également retournés chez eux en emportant beaucoup de butin. Le chef de l'expédition dont il est parlé dans ce passage de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie se nommait Gautier de Montbéliard; la lecture Aflank du man. 302 ne fait point de doute et l'on ne voit pas, même en changeant les points diacritiques, que ce mot soit une déformation de Gautier; d'autre part, il est presque certain que Aflank n'est point davantage une corruption de al-Frank « le Franc ».
[125] Cette année, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, fol. 168 r°), le sultan al-Malik al-Mo'aththam Sharaf ad-Din ‘Isa vint trouver son père en Egypte. Izz ad-Din Ousâma eut peur de lui ; il sortit sous prétexte de se rendre à la chasse, mais il prit la fuite ; al-Malik al-Mo'aththam se mit à sa poursuite. Les mamlouks qui accompagnaient Ousâma l'abandonnèrent dans le désert de sable et l'émir se réfugia tout seul dans ses châteaux. Quand il fut arrivé dans le canton de Dâroum, il voulut monter à cheval pour continuer sa route, mais il ne put le faire par suite d'une attaque de rhumatisme articulaire dont il souffrait depuis déjà quelque temps. Un individu l'ayant vu, alla en informer al-Malik al-Mo'aththam qui était arrivé non loin de l'endroit ou se trouvait l'émir Ousâma; il s'y rendit et le fit prisonnier. Voici quelle était la cause de cet événement : al-Malik al-Mo'aththam avait demandé à l'émir Ousâma de lui céder les deux citadelles de Kaukab et d’Adjloun, mais l'émir n'avait pas voulu y consentir et il avait été soutenu par un certain nombre d'émirs, en particulier par ceux qui avaient été au service d'al-Malik al-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub.
[126] Peut-être faut-il lire comme à la page suivante al-Mihrâni.
[127] Nom de la plus grande ville du Diyâr-Bakr, située dans le cinquième climat aux coordonnées suivantes : L 75° 40', l. 35° 15'; elle est entourée d'une muraille de pierres noires si dures que le fer n'a pas de prise sur elles et que le feu ne peut les entamer; le cours du Tigre l'enserre comme un croissant (Yakout, Mo'djam-al-bouldân, tome I, page 66). Aboulféda donne pour ses coordonnées L 67° 20' ou 65° 50' et l. 37° ou 37° 52' et ajoute qu'elle est située à l'occident du Tigre.
[128] Je lis nâzir-al-davâmn; le man. porte nâzir-al-daûlatain, ce qui, si la leçon est exacte, signifie « inspecteur des deux Egyptes, de la haute et de la basse Egypte ».
[129] L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie, ms. ar. 302, page 299, dit en racontant les événements de l'année 609 de l'hégire : Le sultan s'en revint en Egypte en 608 et y demeura. Au mois de Radjah de l'année 609, le sultan se rendit à lâchasse à Djizeh, accompagné de son fils al-Malik al-Kâmil; il se rendit ensuite par une route pierreuse à Alexandrie dont il inspecta les fortifications et dont il régla les affaires; il y passa une vingtaine de jours, puis il en partit; il se dirigea vers la province occidentale qu'il traversa en examinant les chaussées et les digues; de là, il passa dans la province orientale et se rendit à Damiette; il inspecta avec soin les fortifications, les citadelles et les tours; il donna des récompenses aux architectes et aux ingénieurs; puis il alla à Ashmoûn ou son fils al-Malik al-Mo'aththam vint le trouver pour lui demander d'enlever la citadelle de Kaûkab à Izz ad-Din ibn Ousâma. Voici pourquoi : al-Mo'aththam avait acheté cette forteresse à un mamlouk d'Ousâma qui la commandait, pour la somme de dix mille dinars, et il avait été bien entendu que ce mamlouk la lui livrerait; le mamlouk d'Ousâma apprit ce marché à sa femme tel qu'il avait été conclu et il lui dit : « Je prendrai cette grande somme d'argent et nous vivrons avec elle; j'achèterai, grâce à elle, des biens fonciers et des immeubles; al-Malik al-Mo'aththam m'a juré qu'il ne me ferait point sortir d'ici, mais que je continuerais à la gouverner ainsi que ses autres forteresses ; il m'a aussi promis qu'il me donnerait une trompette (bouk) et un étendard et que je serais son lieutenant (ustad). » Sa femme lui répondit : « Fais comme tu voudras. » Cette femme savait écrire, elle prit immédiatement son parti et écrivit sur le champ à Izz ad-Din ibn Ousâma qui demeurait alors dans la citadelle de Safad pour l'avertir de ce qui s'était passé; elle lui disait dans cette lettre : « Pars en toute hâte et arrive à la forteresse, qu'al-Mo'aththam n'y arrive pas avant toi ! » Au reçu de cette missive, l'émir se mit aussitôt en marche, et il monta à la citadelle; il fit charger son mamlouk de fers et ordonna qu'on le jetât dans la prison de la citadelle. Le surlendemain, à l'aube, al-Malik al-Mo'aththam se présenta devant la place; Ibn Ousâma le salua du haut des murailles et lui dit : « Notre Seigneur veut bien nous faire honneur en passant sur notre domaine. » — « Je veux chasser, lui répondit al-Mo'aththam. » — « Eh bien ! tu reviendras bredouille », lui cria Ibn Ousâma, en riant aux éclats. Al-Malik al-Mo'aththam se rendit immédiatement en Egypte pour avoir une entrevue avec son père et il lui fit savoir ce qui s'était passé. Quand Izz ad-Din ibn Ousâma apprit ce qu'avait fait al-Mo'aththam, il prit le commandement de son armée; quelques personnes disent qu'il partit de Kaukab avec trois autres émirs et qu'il fit une expédition en Syrie avec deux mille cavaliers; d'autres prétendent qu'il alla se renfermer dans ses forteresses, d'autres affirment au contraire qu'il marcha sur Alep pour aller se joindre à al-Malik ath-Tahir; ces événements se passèrent au mois de Chaban de l'année 609. On dit qu'al-Malik al-Kâmil partit (d'Egypte) avec une armée et des mandjanik pour l'assiéger dans ses forteresses. Quand al-Malik al-'Adil fut certain de la route qu'il suivait, il partit d'Ashmoun et vint camper à al-'Abbasa ; il fît proclamer aux troupes de faire leurs préparatifs et de prendre leurs dispositions pour une expédition en Syrie. Ibn Ousâma se mit en marche avec les Arabes, mais ces derniers le trahirent et le livrèrent à al-Malik al-Mo'aththam, celui-ci le livra à son père, al-Malik al-'Adil, qui s'était nus en mai die pour aller le châtier comme nous venons de le dire. Après cette victoire, le prince ayyoubide marcha vers la citadelle de Kaukab et l'assiégea; un des mamlouks d'Ibn Ousâma qui se trouvait dans la place la lui rendit; il enleva tout ce qui s'y trouvait en fait d'argent, de provisions, d'armes et il la fit démolir; il on fit transporter les pierres à la forteresse qui s'élève sur la montagne de Natroun pour la réédifier. Il se rendit à Damas en l'année 609, après s'être ainsi emparé d'Ibn Ousâma et avoir pris possession du reste de ses forteresses, à savoir Safad, la citadelle d’Adjloûn et d'autres dont je ne connais point le nom. »
[130] Les souverains almohades régnèrent au Maghreb de 1128 à 1269 de l'ère chrétienne; les attaques des Bènou-Mérin ou Mérinides commencèrent dans les premières années du rai· siècle. Ces derniers quittèrent le désert où ils habitaient, traversèrent la Molouïa, et vinrent se fixer du côté de Taza, où ils ne tardèrent pas à s'allier avec les débris des Miknasa et des Bènou Iman. C'était, d'ailleurs, bien la faute des Almohades si les Mérinides avaient pris si rapidement une attitude aussi nettement hostile. Les Mérinides leur avaient en effet rendu les plus grands services au cours de leurs guerres d'Espagne; mais, au lieu de les en récompenser, ils les avaient cantonnés dans la vallée de la Molouia; en 1216, les Mérinides s'avancèrent jusque dans les environs de Fez, puis dans le Rif, et ils mirent en déroute une armée que les Almohades avaient envoyée contre eux. A partir de cette époque, les attaques et les invasions des Mérinides se succédèrent presque sans interruption, jusqu'au règne de l'almohade Ishak. Le 8 septembre 1269, l'émir mérinide s'empara de Marrakech; tous les partisans des Almohades s'enfuirent à Tinmelel, dans les montagnes, et proclamèrent khalife, Ishak, frère d'al-Mourtida. Les Mérinides régnèrent de 1269 à 1551 et furent remplacés par les Shérifs Saadiens.
[131] Kafr, plaine sablonneuse et vide, mais qui, fécondée un moment par les pluies de l'hiver, se couvre d'herbes au printemps, et ou les tribus nomades, vont alors faire paître leurs troupeaux (Daumas, Le Sahara algérien, Pans, 1815, page 3). On trouve également ce mol avec la vocalisation kifr.
[132] Le texte de ce passage est sûrement très corrompu dans le manuscrit du, Souloûk que j'ai utilisé; jo n'ai obtenu ce sens qu'en lui faisant subir quelques corrections, dont je ne garantis nullement la certitude : ce qu'il y a d'évident, c'est que le copiste du manuscrit n'a rien compris à ce qu'il écrivait.
[133] Djémal ad-Din ibn Wasil dit, dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 172 verso), que les Francs allèrent assiéger cette place forte pour venger la mort d'un de leurs princes, le souverain d'Antioche. Quand le sultan d'Alep, al-Malik ath-Tahir-Ghazi, apprit cette expédition des Francs, il partit d'Alep avec une armée se dirigeant vers le pays des Ismaïliens, pour les en chasser. Quand les Francs eurent connaissance de la marche des troupes d'al-Malik ath-Tahir, ils battirent en retraite.
[134] Makrizi nomme le sultan seldjoukide sahib-bilâd-ar-Roum et l'empereur grec Malik ar-Roum, Lascaris fut fait prisonnier par Izz ad-Din et n'obtint sa liberté qu'en promettant de payer une forte rançon et de céder plusieurs villes aux sultans seldjoukides. Il ne tint jamais sa parole, mais il fut obligé de payer un tribut. Quelque temps après, Izz ad-Din s'empara de Sinope (E. de Muralt, Essai de chronologie byzantine, t. II, p. 315).
Cette même année, dit Djémal ad-Din dans le Mofarradj (folio 172 verso), moururent l'émir Badr ad-Din Dildérim ibn Yâroûk, prince de Tell-Bachir; il eut pour successeur son fils Fath ad-Din, — et le cheikh Takî ad-Din 'Ali ibn Abou Bakr-al-Haravi (natif de la ville de Hérat), qui était l'un des favoris du sultan d'Alep, al-Malik ath-Tahir, il fut également, durant un certain temps, le familier du prince de Hamâh, al-Malik al-Mansour. D'après Djémal ad-Din ibn Wasil, le tombeau de ce personnage se trouve en dehors d'Alep
[135] Frappés au nom d'al-Malik al-'Adil, sultan d'Egypte.
[136] D'après Djémal ad-Din ibn Wasil [Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 175 v°), les Francs ne firent la paix avec la garnison de la forteresse Ismaïlienne de Khavvabi, que grâce à la médiation du sultan d'Alep, al-Malik ath-Tahir.
[137] Hadji-Khalifa mentionne cet ouvrage, sans donner de détails sur son contenu, dans son Kaslif-al-zanoûn (Lexicon bibliographicum, éd. Fluegel, tome III, p. 482-483, n° 6551); il se borne à dire que Taftazanï le cite dans son célèbre commentaire sur le Miftah. Djémal ad-Din ibn Wasil nous apprend dans le Mofarradj-al-kouroûb (ibid., folio 175 verso), que cet ouvrage était un traité de traditions musulmanes.
[138] Suivant Djémal ad-Din (Mofarradj, ibid., folio 175 v°), au mois de chewâl le roi d'Arménie Ibn Laon s'empara d'Antioche et traita bien la population de cette ville; le prince qui y régnait auparavant était un homme violent et injuste. Le roi d'Arménie rendit la liberté à un grand nombre de prisonniers musulmans qui y étaient détenus et les renvoya à Alep. Cela détermina le sultan al-Malik ath-Tahir à faire la paix avec lui. Djémal ad-Din dit que ce fut le sultan seldjoukide Izz ad-Din qui prit la forteresse de Loulouh aux Arméniens. Le fils de Laon donna Baghras aux chevaliers de l'ordre du Temple et installa son neveu comme gouverneur à Antioche; il retourna ensuite chez lui par crainte du seldjoukide Izz ad-Din Kaï-Kâous.
[139] Les géographes orientaux ne donnent pas beaucoup de renseignements sur cette localité. Yakout se borne à dire que c'est une citadelle voisine de Tarsous et qu'elle a été conquise par Mamoun (Mo’djam, tome IV, page 371) ; il y avait d'autres localités de ce nom, une près de Samavat et l'autre surnommée Lou'lou'ah la grande, qui était un quartier de Damas.
[140] Le patriarche Marc, fils de Zara, mourut le sixième jour du mois copte de Touba, date qui correspond à l'an 583 de l'hégire ; le nom de son successeur était Abou’l Madjid ibn Abou Ghâlib ibn Sourous et il prit le nom de Jean en arrivant au trône patriarcal ; il fut le 74e pontife de l'église d'Alexandrie depuis l'évangéliste saint Marc. L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie donne aux protecteurs d'Ibn Sourous le nom de fils d'al-Djabbab ; telle est du moins la leçon d'un des manuscrits de cet ouvrage; elle ne diffère de celle qui se lit dans le texte de Makrizi que par un seul point; ces deux personnages, l'un d'eux surtout, jouissaient d'une grande influence auprès du sultan d'Egypte ; ils se nommaient le kadi al-Murtadi et al-Râdi. Cet Ibn Sourous était séculier, mais il fut choisi de préférence à un moine parce qu'il n'avait jamais été marié.
L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie rapporte que lorsque le patriarche Jean fut mort, il se forma plusieurs partis qui prônaient chacun leur candidat. Les uns voulaient un nommé Paul, surnommé al-Boushi, d'autres David, fils de Jean, qui était originaire de Fouvvah, d'autres enfin, l'archidiacre de l'église al-Mo'allaka, nommé Abou’l Karim. Tels furent les premiers candidats. Mais dès que le vizir eut été instruit de la vacance qui venait de se produire, il donna la préférence à Sanî ed-dauleh Abou’l Fadaïl qui était son secrétaire. Les partisans du prêtre David tenaient extrêmement à voir passer leur candidat et ils mirent tout en œuvre pour arriver à ce résultat. Al-Malik al-Kâmil avait pour médecin un nommé Abou Shakir ibn Abou Soleïman qui demeurait avec lui à Fakous ; de son côté, al-Malik al-'Adil avait un secrétaire nommé Nisv ed-dauleh Abou 'l-Foutouh qui l'accompagnait dans ses voyages de Syrie en Egypte. Ces deux personnages jouissaient auprès de leurs maîtres respectifs de la plus grande influence et ils disposaient des meilleures places en faveur de leurs amis. Il serait trop long d'entrer ici dans le détail de cette interminable affaire, au cours de laquelle al-Malik al-Kâmil fut toujours du côté des adversaires du prêtre David, contre son père qui voulait avoir celui-ci comme patriarche dans l'espérance d'en tirer de l'argent autant qu'il en voudrait et peut-être d'affaiblir la communauté chrétienne en lui imposant un patriarche que beaucoup de gens, à tort ou à raison, considéraient comme un mauvais prêtre, en tout cas comme un ambitieux.
[141] Djémal ad-Din ibn Wasil raconte, dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 17C recto), que le sultan seldjoukide du pays de Roum, al-Malik al-Ghâlib 'Izz ad-Din Kaï-Kâous, envoya une ambassade au sultan d'Alep al-Malik ath-Tahir pour le prier de venir le retrouver à Marasch et de marcher ensuite contre le fils de Laon dans le but de lui reprendre la ville d'Antioche. Al· Malik ath-Tahir saisit avec empressement cette occasion d'abattre la puissance du roi d'Arménie et il fut convenu que le sultan Izz ad-Din envahirait ses états par Marasch pendant qu'al-Malik ath-Tahir l'attaquerait par Darbsak avec les troupes de Damas, de Hamâh et de Homs. Le sultan d'Alep réunit ses hommes d'armes, leur distribua de l'argent et fit porter son acquiescement à Izz ad-Din par Abd-er-Rahman-al-Mandji. En même temps, il envoyait des officiers à son oncle al-Malik al-'Adil, le sultan d'Egypte, pour lui demander ce qu'il convenait de faire dans cette occurrence. Le sultan lui conseilla de ne point unir ses troupes à celles du prince du pays de Roum, en lui montrant quels ennuis il se créerait en agissant de cette façon; il l'engageait en même temps à se tourner de préférence de son côté. Cette réponse jeta le sultan d'Alep dans une très grande perplexité, d'autant plus qu'al-Malik al-Ghâlib-Izz ad-Din Kaï-Kâous lui envoyait dépêches sur dépêches pour lui rappeler ses engagements et le presser de venir. Sur ces entrefaites, al-Malik ath-Tahir reçut une lettre du roi d'Arménie, Ibn Laon, dans laquelle ce dernier se disait son mamlouk et lui rappelait qu'il n'avait jamais agi d'une façon hostile envers lui et qu'il avait toujours résisté aux conseils de ses ennemis qui l'exhortaient à profiter de ses embarras pour lui en créer de plus grands encore. En même temps que cette lettre, le prince arménien lui envoyait des cadeaux très précieux. Cette démarche inspira à al-Malik ath-Tahir des sentiments moins malveillants envers Ibn Laon. Le sultan du pays de Roum ayant appris cela envoya à Alep son kadi de l'armée, qui était en même temps kadi de la ville d'Aksérâ, pour apprendre au sultan d'Alep qu'il se trouvait à Marasch, qu'il n'attendait plus que lui pour commencer les hostilités et que ses troupes avaient massacré un certain nombre d'Arméniens qui vivaient dans des villages dépendant d'Alep. Cette ambassade eut un résultat tout différent de celui qu'en attendait Izz ad-Din, et cette nouvelle irrita vivement al-Malik ath-Tahir qui se résolut à suivre les conseils de son oncle, le sultan d'Egypte. C'est alors qu'il lui envoya son ministre, le kadi Bahâ ad-Din ; il lui avait déjà envoyé quelque temps auparavant le substitut de ce magistrat, le kadi Nadjm ad-Din ibn al-Hadjdjâdj. Le sultan d'Egypte le reçut très bien et consentit à tout ce que lui demandait son neveu, à savoir de reconnaître son fils al-Malik al-'Aziz Mohammad comme l'héritier du trône d'Alep, de donner on mariage à ce jeune prince la fille de son fils, le sultan al-Malik al-Kâmil et de n'avoir tous les deux qu'une seule convention avec les Francs.
[142] On lit dans l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 320), que cette année, on fit un pont de bateaux depuis l'île (de Raudhah) jusqu'à Djizeh; il fut commencé par les meilleurs ouvriers du Caire, le nombre des bateaux dont il se composait était de cinquante-trois, il fut terminé le jeudi, neuvième jour du mois de Abib de l'an 933 des Martyrs ; les gens eurent le droit d'y passer sans qu'on leur demandât de rétribution; le sultan désigna des ouvriers pour le tenir en état, pour y faire les réparations nécessaires et pour ouvrir les portes aux vaisseaux qui montaient et qui descendaient le fleuve; on y avait en effet ménagé des ouvertures pour permettre la navigation sur le Nil; on pouvait se rendre à Djizeh ou en revenir à pied ou à cheval, ce qui causa un très vif plaisir aux habitants, et ils bénirent le sultan de l'avoir fait construire ; il y avait de chaque côté des garde-fous en bois pour empêcher les gens de tomber à l'eau.
[143] Djémal ad-Din ibn Wasil nous apprend dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 183 verso) que le père du cheikh Sadr ad-Din se nommait ‘Imad ad-Din et qu'il était venu en Syrie sous le règne d'al-Malik al-'Adil Nour ad-Din Mahmoud qui l'avait nommé supérieur du couvent des Sons à Damas ; il lui avait également confié la charge d'inspecteur de tous les monastères à Damas. Son fils Sadr ad-Din jouissait d'un grand crédit à la cour du sultan al-Malik al-'Adil.
[144] Djémal ad-Din ibn Wasil (ms. ar. 1702, folio 183 r°) est plus explicite que Makrizi ; il dit que les Francs venaient de Rome la grande (Roumiyya-al-koubrâ) ou régnait l'un de leurs plus puissants souverains, qui était connu sous le nom de Pape (bâbâ). Dès qu'al-Malik al-'Adil eut appris qu'ils étaient débarqués à 'Akkâ, il partit du Caire et vint à Ramlah, de Ramlah il se rendit à Ludd (Lydda); c'est alors que les Francs sortirent d’Akkâ et que le sultan d'Egypte marcha sur Nabolos, puis sur Baîsân. Les Francs se dirigèrent vers lui pour lui livrer bataille; l'armée d'al-Malik al-'Adil n'était pas, à cette époque, à effectifs complets et il avait grand peur d'être battu s'il rencontrait les Francs. Aussi il se déroba devant eux et gagna le défilé de Fik où il se trouvait en sûreté par suite de la proximité de Damas. Cette marche rétrograde à laquelle al-Malik al-'Adil avait été obligé de se résoudre, livra tout le pays qu'il abandonnait aux Francs qui le mirent à feu et à sang; ils y firent un butin immense et s'emparèrent d'un grand nombre de prisonniers ; toute la contrée qui s'étend entre Baîsân et Bâmâs fut ainsi ravagée; ils envoyèrent des escadrons de cavalerie dans tous les villages.
[145] L'historien des Patriarches d'Alexandrie raconte dans sa Chronique que cette année, le sultan se rendit on Syrie et vint camper à Baîsân avec toute son armée ; il resta fort longtemps devant cette ville. Un peu avant cette époque, un roi des pays qui sont situés de l'autre côté de la mer était arrivé (au secours des Francs) il s'appelait Melik-el-Hangar. On dit que les Francs (qui étaient sous le commandement de ce prince) étaient au nombre de 4.000 chevaliers et 100.000 fantassins. Ils vinrent attaquer l'armée de l'Islam à Baîsân; les chefs des Musulmans ne purent tenir devant eux et ils prirent la fuite ; les Francs les poursuivirent pendant quatre ou cinq jours, de telle sorte qu'Us les repoussèrent loin du Sahel; ils leur prirent leurs provisions et leurs armes, et ils en tuèrent ou firent prisonniers un nombre immense. Ils s'en revinrent ensuite et campèrent devant Tabarriyya pendant quelques jours, puis ils retournèrent devant 'Akkâ et ils restèrent préparant tout pour un siège. De là, ils allèrent à Tour, qui est une grande citadelle qui fut rebâtie par al-Malik al-'Adil et non loin d’Akkâ, ils l'attaquèrent durant dix jours et tuèrent le commandant de la place. Ils levèrent ensuite le siège sans cause apparente et s'en retournèrent à 'Akkâ avant la fête de la Sainte-Nativité. — A cette même époque le sultan d'Egypte ordonna que l'on fit une enquête sur les gens qui étaient détenus en prison; on fit comme il l'avait commandé.
[146] Abou-Bakr-al-Hamadhâni, cité par Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome III, page 933), rapporte que Fik est une ville de Syrie entre Damas et Tibériade que l'on nomme aussi Afik. Par le défilé de Fik, qui domine Tibériade, l'on descend dans le Ghaûr du Jourdain. Aboulféda nous apprend que Fik est distant d'une journée de Tyr (Géographie, tome II, partie ii, page 15).
[147] Il y a un très grand nombre de localités nommées Kasr en Syrie ; celle dont il est question dans le texte de Makrizi est vraisemblablement le Kasr Hadjdjâdj qui est un quartier très important en dehors de la porte Bâb-al-Djâbiyya à Damas; c'est dans cet endroit que Bakhtiyar ibn Mo'izz ed-dauleh ibn Boûyah fut assassiné par son cousin 'Aqad ed-dauleh (Yakout, Mo’djam, tome. IV, page 110). Il y a près de Damas d'autres endroits dans le nom desquels entre le mot kasr·, je citerai en particulier, le kasr Oumm-Hakim (ibid., page 108); le kasr banî 'Omar (ibid., page 110).
[148] Je n'ai pas trouvé de renseignements dans Yakout sur cette localité.
[149] Yakout nous apprend dans le Mo’djam-al-bouldân (tome II, page 236) que c'est un quartier situé à la « Petite Porte » à Damas, en dehors de la ville et dont était originaire le grammairien Schihâb ad-Din al-Fatyân ibn 'Ali ibn Fatyân-al-Asadi, que Yakout vit à Damas alors qu'il était arrivé aux limites de la plus extrême vieillesse.
[150] C'est une petite ville qui dépend de la province de Hauran (Yakout, Mo'djam, tome IV, page 815), elle est éloignée de deux étapes de Damas. Ce géographe affirme qu'on y montrait le tombeau de Sem, fils de Noé. Il y a une autre localité de ce nom à trois farsakhs de Samarcande.
[151] Quand al-Malik al-'Adil vint camper à Mardi-as-Safer, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (Histoire des ayyoubides, ms.ar. 1702, folio 183 v°), il envoya son fils à Malik al-Mo'aththam, à Nabolos, avec un détachement de son armée pour couvrir Jérusalem et en tenir les Francs écartés ; il envoya également un officier à l'atabek Schihâb ad-Din Thoghril, vice roi d'Alep, avec une robe d'honneur pour al-Malik al-'Aziz, fils d'al-Malik ath-Tahir.
[152] Ou peut-être al-Khouzistani; dans le premier cas, ce surnom indiquerait que le personnage en question était originaire du Khorasan, dans le second du Khouzistan ou Susiane, l'Ahvaz des géographes musulmans.
[153] Nom d'une puissante forteresse située au nord d'Alep, à deux jours de distance de cette ville.
[154] Le sultan al-Malik al-'Adil était né à Baalbek en l'an 531 de l'hégire, alors que son père était gouverneur de cette ville au nom de Zengui ; on dit aussi qu'il naquit en 538, ou même au commencement de 510. Il fut élevé à la cour de l’atabek Nour ad-Din Mahmoud. Son frère Salah-ad-Din, qui avait deux ans de plus que lui, l'aimait beaucoup. Ibn Khallikan rapporte sur ce prince une anecdote assez curieuse : al-"Adil racontait lui-même que lorsqu'il fut sur le point de partir pour l'Egypte avec Salah-ad-Din, il demanda à son père une sacoche dont il avait besoin pour mettre quelque argent. Nadjm ad-Din la lui remit en lui disant : « Abou Bakr, quand tu seras maître de l'Egypte, tu me la rendras pleine d'or ! » Quand Nadjm ad-Din vint en Egypte, il demanda sa sacoche pleine de dinars à son fils, mais ce dernier qui était d'une avarice sordide la remplit de dirhems noirs et mit sur le dessus quelques pièces d'or ; Nadjm-ad Dm ne fut pas dupe du stratagème ; il renversa la sacoche à terre et quand l'on vit rouler les pièces d'argent, il dit à son fils : « Eh bien ! Abou-Bakr, tu as déjà appris les ruses des Egyptiens ! » Il paraît que ce prince aimait beaucoup à faire la cuisine lui-même.
[155] Il y a ici quelques lignes que je passe, car on n'y trouve guère que les louanges ordinaires appliquées à tous les princes musulmans.
[156] Dhahabî nous apprend que ce prince portait les deux noms d'Abou’l Ma'ali et d'Abou’l Mothaffar (Abou'l Mahâsin, Egypte, ms. ar. 1779, folio 62 recto), et il dit qu'il naquit en 576. Cette assertion contredit celle d'Abou’l Mothaffar-al-Djouzi qui d'après Dhahabi donne la date de 573; de semblables divergences se produisent souvent et elles n'ont rien d'extraordinaire, quand on pense que les Musulmans n'avaient point d'état civil. Abou’l Mahâsin se montre plutôt disposé à accepter la seconde de ces dates parce que, dit-il, Ibn Djouzi fut le commensal d'al-Malik al-Mo’aththam 'Isa, frère d'al-Malik al-Kâmil.
[157] Yakout rapporte, dans le Mo'djam-al-bouldân (tome I, p. 755), que c'est une ville située sur le rivage de la mer, près de Damiette, où l'on faisait des turbans, qui étaient connus sous le nom de turbans de Boura (al-bounyya) ; on y péchait un poisson nommé boûri. Aboulféda parle également de ce poisson, avec lequel on faisait de la boutargue en Europe ; mais il affirme qu'il se trouve dans le lac de Koûâr dont l'eau est douce. Ce lac se trouve beaucoup plus bas dans la zone torride de l'Afrique, dans le second climat, bien à l'est du pays de Ghâna. Idrisi (trad. Jaubert, tome Ier, page 321) dit que Boura est à 15 milles de Fariskoûr.
[158] Deux localités situées en Egypte portent le nom d'Ashmoum : Ashmoum Tannâh qui est proche de Damiette et qui n'est autre que la ville de Dakahhyya dont il a été parlé plus haut ; l'autre, Ashmoùm-al-Djourisât, se trouve dans le canton de Manoufiyya (Yakout, Mo'djam-al-bouldân, tome Ier, p. 282). Cette dernière localité est nommée Ashmoum Djarish par Idrisi (trad. Jaubert, tome Ier, page 323) et ce géographe nous apprend qu'elle est distante de 15 milles de Shantoûf. Il y a en Egypte une ville dont le nom est peu différent, celle d'Ashmoun ou d'Ashmounaïn, au duel, comme prononçaient les Égyptiens; c'était, au dire de Yakout (ibid., page 383), une ville fort ancienne ou l'on voyait des ruines, située dans le Sa’id inférieur, à l'ouest du Nil. Il ne faut pas la confondre, comme l'on voit, avec Ashmoum. Les Musulmans prétendent qu'elle avait reçu son nom d’Ashmoun, fils de Misr, fils de Bîsar, fils de Cham, fils de Noé.
[159] Cette année fut signalée par un grand nombre d'événements mémorables : Djémal ad-Din ibn Wasil raconte dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 181 r°) que 'Imad ad-Dîn Zangui ibn Arslan-Shah, ayant repoussé l'armée de Badr ad-Din Loulou, retourna à la forteresse d'al-'Afar qui appartenait à ce prince, dans l'intention de s'emparer de la province de Maûsil. Le prince d'Arbèles, Mothaffar ad-Din, lui fournit des renforts. Quand Badr ad-Din Loulou apprit ces faits, il envoya un détachement de son armée vers Maûsil pour en éloigner 'Imad ad-Din. Ses troupes vinrent camper à quatre parasanges de Maûsil et se préparèrent à attaquer Imad ad-Din qui était renfermé dans la citadelle de 'Afar avec ses soldats. Les troupes de Badr ad-Din laissèrent leurs bagages et coururent à la rencontre d'Imad ad-Din ; elles le rencontrèrent à l'aube du dimanche, quatre jours restant du mois de Moharram. Après un sanglant combat, 'Imad ad-Din Zangui fut mis en déroute et se réfugia à Arbèles, pendant que l'armée de Badr ad-Din Loulou revenait à ses quartiers.
[160] Ou plutôt officier chargé de la surveillance des exécutions, ce qui n'était pas une sinécure à cette époque.
[161] C'était en effet une des manies du sultan seldjoukide Kaï-Kâous de se faire reconnaître comme suzerain par le plus grand nombre de petits princes qu'il en pouvait trouver. Il fallait être d'une vanité insensée pour faire les frais d'une pareille expédition uniquement pour voir son nom gravé sur des pièces d'or et d'argent.
[162] Nom d'une ville située entre Alep et Soumaïsat, près de l'Euphrate ; elle avait une forteresse bâtie au pied d'une montagne ; elle fut complètement détruite par un tremblement de terre en 340. Saïf ed-dauleh ibn Hamdan envoya un officier nommé Abou Faris, avec un corps de son armée, pour la réédifier, ce qui fut exécuté en 37 jours.
[163] Djémal ad-Din ibn Wasil raconte, dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 181 verso), que cette année, mourut Nour ad-Din Arslan-Shah ibn al-Malik al-Kahir 'Izz ad-Din Massoud qui était malade depuis fort longtemps ; l'atabek Badr ad-Din Loulou fît alors prêter serment par les troupes à son frère Nasir ad-Din Mahmoud, fils d'al-Malik al-Kahir qui à cette époque n'était âgé que de trois ans. Al-Malik al-Kahir ne laissait pas d'autre enfant. Ce fut le dernier atabek au nom duquel on fît la khotba. Nasir ad-Din ne tarda pas à mourir et Badr ad-Din Loulou s'empara du pouvoir. A la mort de Nour ad-Din, 'Imad ad-Dîn Zangui et Mothaffar-ad-Din, prince d'Arbèles, se disposèrent à entrer en campagne pour essayer de s'emparer de Maûsil. Ils commencèrent par envoyer quelques troupes pour ravager les environs de cette ville. Un peu auparavant, Badr ad-Din Loulou avait envoyé son fils auprès d'al-Malik al-Ashraf avec un corps de troupes assez important, pour que le prince ayyoubide, qui assiégeait alors la ville d'Alep, put disposer d'une partie de ses troupes et les envoyer à Damiette, alors attaquée par les Francs. Quand l'atabek Badr ad-Din Loulou eut connaissance du mouvement offensif de Mothaffar ad-Din et d’Imad-ad-Dîn, comme une partie de son armée se trouvait en Syrie, il écrivit au prince ayyoubide al-Malik al-Asbrat pour le prier de lui envoyer des secours. Ce souverain lui envoya un corps de troupes sous le commandement d'un de ses mamlouks qui se nommait Aïbec ; elles arrivèrent devant Maûsil le quatrième jour du mois de Redjeb de cette année 615. Badr ad-Din Loulou trouva que c'était bien peu de chose en comparaison des troupes qu'il avait envoyées en Syrie. Aïbec insista vivement pour traverser l'Euphrate et pour aller attaquer Arbèles; mais Badr ad-Din n'y voulut point consentir, et il lui donna l'ordre de s'en retourner ; l'émir refusa, campa en face de Maûsil, et força Badr ad-Din à en passer parce qu'il voulait, c'est-à-dire à traverser l'Euphrate et à marcher sur Arbèles. Aïbec et Badr ad-Din vinrent camper ensemble sur la rive orientale du fleuve à une parasange de Maûsil. Quand Mothaffar ad-Din et ‘Imad ad-Din apprirent cela, ils marchèrent contre Badr ad-Din. L'atabek de Maûsil et le général d'al-Malik al-Ashraf, Aïbec ne parvinrent pas à s'entendre et ce dissentiment fut cause que Mothaffar ad-Din et 'Imad ad-Din leur infligèrent une sanglante défaite. Badr ad-Din Loulou fut réduit à s'enfuir à Maûsil, Mothaffar ad-Din vint camper avec ses troupes derrière la forteresse de Savî (?), où il resta pendant trois jours ; mais l'atabek, loin de perdre la tête, réunit son armée et se disposa à marcher contre Mothaffar ad-Din, qui leva le camp et s'en retourna à Arbèles. La paix ne tarda pas à être conclue entre les belligérants. Je ne donnerai pas le récit de l'invasion des Mongols dans l'empire musulman d'après le récit du kadi Djémal ad-Din ibn Wasil, non qu'il ne soit fort important, mais seulement parce que ces extraits occuperaient une place réellement exagérée. Je compte d'ailleurs les publier en appendice, car ils complètent sur plus d'un point ce que l'on sait par Rashid ad-Din ou par le récit du vizir Alâ ad-Din Atâ-Malik al-Djouvaïni.
[164] On a vu sous la rubrique' de l'année précédente que ce prince avait été envoyé en cette qualité dans les provinces les plus lointaines de l'empire ayyoubide, uniquement pour l'éloigner de l'Egypte, où un parti assez important, dont l'émir ‘Imad ad-Din ibn al-Mashtoub était le chef, voulait lui donner la couronne.
[165] Les géographes orientaux ne donnent pas plus de détails sur cette localité que Makrizi lui-même.
[166] Il y a dans l'Islam plus d'une localité nommée Mansourah « la victorieuse », une dans l'Hindoustan qui reçut son nom de Mansour ibn Djoumhour, une dans le Khwarezm, une près de Kairouan qui fut restaurée par al-Mansour ibn al-Kâïm ibn al-Mahdî, en 337, et une autre dans le Yémen; ce fut Saïf-al-Islâm-Toughatikin ibn Ayyoub qui jeta les fondements de cette dernière. (Voir Aboulféda, tome II, partie I, page 146).
[167] Très gros bourg presque aussi considérable qu'une ville, distant de quatre farsakhs de Boura et de cinq farsakhs de Damiette; il dépendait du canton de Dakahhyya.
[168] Cette année, dit Djémal ad-Din ibn Wasil dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 199 recto), al-Malik al-Mansour-Mohammad, fils de Takî-ad-Dîn, ordonna aux habitants de sa capitale de prêter serment de fidélité à son fils al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din Mahmoud, qui était alors âgé de 17 ans, étant né en l'année 597. Quand cette cérémonie fut accomplie, al-Mansour envoya son fils auprès d'al-Malik al-Kâmil, à Damiette. Djémal ad-Din donne à l'eunuque qui accompagnait le jeune prince le nom de Shodja ad-Din Mourshid-al-Mansouri.
[169] Le manuscrit du Kitab-as-Soloûk, dont je me suis servi, porte 618, mais c'est là une erreur évidente du copiste.
[170] Ibn Alathyr raconte dans le Kâmil (Historiens orientaux des croisades, tome II, page 131) que Nour ad-Din fut malade durant tout le temps de son règne; il était d'une si faible constitution qu'il ne pouvait même monter achevai. Nasir ad-Din Mohammad avait trois ans à la mort de son frère. Loulou le fit monter à cheval et lui fit prêter serment par l'armée. La jeunesse du nouveau prince de Maûsil ne tarda pas à amener les plus graves conflits.
[171] Hadji Khalifa nous apprend qu'à son époque, Arzan était la capitale de tout le liva correspondant, et la résidence du pacha. La ville se divisait en deux parties, l'ancienne cité et la nouvelle; toutes les deux étaient entourées de murailles. La contrée qui avoisinait Arzan était riche, mais il n'y avait ni arbres ni fruits, et on était obligé d'y apporter le bois à brûler de deux journées de distance; on y brûlait surtout de la bouse de vache. Il y avait près de la porte de Taûriz une ancienne église dont une arcade s'écroula le jour de la naissance de Mohammad; on ne put jamais la réparer. Les Musulmans firent construire en face de cette église une mosquée qui avait les dimensions exactes de la mosquée de la Mecque.
[172] C'est la ville bien connue d'Ancyre ; les historiens arabes rapportent que c'est dans cette ville que l'empereur grec envoya des vêtements empoisonnés à Imr-al-Kaïs (Yakout, Mo’djam-al-bouldân, tome Ier, p. 391). Aboulféda nous apprend qu'il n'y avait dans ses environs ni vergers, ni eaux courantes (tome II, partie 11, page 136).
[173] Dans les inscriptions turques de l'Orkhon (Inscriptions de l'Orkhon déchiffrées par Vilh. Thomsen, dans Suomalais-Ugrilaisen seuran toimi-tuksia, tome V, page 139), le mot Tabgatch désigne la Chine et dérive probablement de l'ouigour tapqatch « illustre ». C'est le nom que, de tout temps, les Turcs ont appliqué à la Chine. Théophylacte Simocatta (VII, 7 et 9) mentionne la ville de Ταυγάστ et tous les détails qu'il fournit sur elle montrent que c'est bien de la Chine qu'il s'agit. La transcription Ταυγάστ (pour ταυγάτς) de Tabgatch recouvre, soit Tawgadj, soit Tawgatch et n'offre rien d'insolite. C'est ce même mot que les Musulmans ont emprunté aux Turcs et qu'ils ont transcrit Tamghadj. Ibn Sa’id, cité par Aboulféda (tome II, partie II, page 230) dit que Tamghadj est la Chine du Nord et que sa frontière occidentale est le Cachemire. Le Kânoûn cité par Aboulféda (tome II, partie II, page 123) donne à l'empereur (fâghfoùr) de Chine, le nom de Tamghâdj-Khan ; enfin, l'historien arabe Nasawi appelle la Chine Taûghadj, ce qui, comme on le voit, est identiquement la même forme que celle de Théophylacte (ibid., p. 123). Ces différents témoignages prouvent d'une façon certaine que le pays de Tamghadj n'est autre que la Chine du Nord.
[174] Je donnerai en appendice la traduction de passages d'historiens orientaux concernant le pays de Sin.
[175] C'est ce que racontent tous les historiens, aussi bien occidentaux qu'orientaux, et les voyageurs comme Guillaume de Rubrouck, le frère Jean de Plan Carpin et Marco Polo. Les Mongols n'avaient pas de livre révélé, mais ils croyaient en l'existence d'un dieu éternel, créateur de l'univers, qu'ils nommaient Itoga (atzaïci en kalmouk signifie encore aujourd’hui créateur) d'après G. de Rubrouck, ou Nacigay d'après Marco Polo. Ils avaient encore d'autres divinités représentant les génies protecteurs des troupeaux, et ils les représentaient par des idoles de feutre ou de soie. Il est vraisemblable que primitivement ces poupées ou ces étoffes découpées représentaient les âmes des ancêtres défunts; c'est ainsi que devant les tentes kalmoukes, il y a toujours une corde tendue à laquelle on accroche des chiffons qui sont censés être les ancêtres, tout comme les Romains mettaient leurs statues au foyer. Comme chez les Turcs et les Chinois primitifs, les Mongols adoraient le ciel bleu, divinité bienfaisante, la terre noire, déesse redoutable, les quatre points cardinaux, le soleil, les astres et surtout les esprits des morts et le feu, ce qui rapproche singulièrement la religion de ces nomades de la Tartarie de celle de la Rome antique.
[176] En Mongol Tchinkkiz-Khâkân « le souverain des puissants ».
[177] Ce nom de ville est peut-être formé avec le mot turc garau « contrée » qu'on trouve dans Tabgadjgaru « la contrée de Chine » (Inscriptions de l'Orhhon, page 126). J'ignore la valeur du premier élément kâsh; peut-être est-ce le même qui forme le nom de la ville de Kesh, près de Samarkand. On peut aussi voir dans le dernier élément gar du nom de cette ville le mot iranien -gairi qui signifie une montagne. Les géographes musulmans ne donnent presque aucun renseignement sur cette ville qui est la capitale du Turkestan chinois, le Kânoûn cité par Aboulféda (tome II, partie II, page 230) nous apprend qu'elle était également connue sous le nom turc d'Oûrdoûkend « la ville du camp ». Idrisi (trad. Jaubert, tome Ier, page 188) la nomme Kashghara, il dit qu'il s'y faisait un grand commerce.
[178] Nom d'une des villes les plus célèbres de la Transoxiane ; son nom dérive du mot sanskrit vihara « monastère bouddhique », qui est devenu en mongol boukhar « temple d'idoles ». Les géographes musulmans se sont évertués à trouver à ce nom de ville une étymologie arabe et sont arrivés à des résultats absurdes. Ptolémée (cité par Yakout, tome I, page 517) lui donne comme coordonnées : L 37°, l. 41° ; il dit qu'elle est distante de 12 étapes de Merv, de 15 jours de Khwarezm, de 7 jours, soit 37 farsakhs, de Samarkand. M. Schefer a publié dans la Bibliothèque de l'Ecole des Langues orientales la recension persane de la description de Boukhara écrite par Mohammed Narshakhi.
[179] Sur ce nom et toutes les fables que l'on a débitées sur son origine, voir le Dictionnaire géographique de la Perse et des contrées adjacentes, par M. Barbier de Meynard. Paris, Imprimerie impériale, MDCCCLXI, page 63.
[180] Les hostilités ne tardèrent pas à recommencer entre Badr ad-Din Loulou et Mothaffar ad-Din ibn Zain-ad-Din, prince d'Arbèles. Ce dernier avait écrit à tous les princes ayyoubides pour les prier de lui concilier les bonnes grâces d'al-Malik al-Ashraf qui, à cotte époque, soutenait Badr ad-Din Loulou ; les princes de Mardîn et d'Amid s'empressèrent de faire ce qu'il leur demandait (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 201 recto). Al-Malik al-Ashraf, dit Djémal ad-Din (folio 202 r°), étant parti de Harrân vint à Dathir dont il s'empara, ainsi que du pays de Mardîn, parce que le prince de cette ville, al-Malik al-Mansour-Nasir ad-Din Ortok ibn Ilgazi, l'Ortokide, était du parti de Mothaffar-ad-Dîn, prince d'Arbèles; il s'empara de tout le pays qu'il divisa en fiefs pour ses officiers. Al-Malik al-Ashraf et le prince de Mardîn échangèrent à ce moment plusieurs ambassades; al-Malik as-Sâlih-Nour ad-Din Mohammad ibn Mohammad l'Ortokide alla trouver al-Ashraf et parvint à faire conclure la paix entre les deux belligérants. Le prince de Mardîn dut payer une contribution de guerre et céder dix villages à al-Ashraf. Le souverain ayyoubide se rendit ensuite à Nisibin dans l'intention de marcher sur Sindjar; ces succès alarmèrent beaucoup le prince qui régnait dans cette ville, car il voyait bien qu'il lui serait impossible de résister, à cet ennemi; aussi il lui dépêcha un ambassadeur pour lui demander de lui donner Rakka en échange de Sindjar. Al-Ashraf s'empressa d'accéder à cette demande.
[181] Les géographes musulmans prétendent que cette ville fut fondée par Alexandre ; on sait qu'il ne faut pas toujours attacher une grande importance à ces allégations, mais ce fait n'est pas impossible et phonétiquement, Samarkand se rattache très bien au nom de Μαράκανδα (cf. E. Blochet, L'ascension au ciel du prophète Mohammed dans la Revue de l'histoire des religions, 1899). Le conquérant macédonien l'entoura d'un mur dont le circuit était de douze farsakhs; cette enceinte était percée de douze portes distantes chacune d'un farsakh; ces portes étaient blindées et surmontées de tours. Cette première enceinte en comprenait une autre percée de quatre portes ; c'était la véritable ville, car dans tout le reste, on trouvait des jardins et des champs ; dans la ville centrale s'élevait la grande mosquée et la citadelle ; c'était là que demeurait le prince de la ville ; l'eau y était amenée dans des conduites de plomb (Yakout, Mo’djam-al-bouldân, tome III). Je ne crois pas utile de revenir sur la question des inscriptions himyarites qu'Ibn Haukal et Istakhri disent avoir vues sur l'une des portes de Samarkand (Aboulféda, tome II, partie II, page 219). Hadji-Khalifa donne aux quatre portes de la ville intérieure le nom de portes de Boukhara au nord, de Kesh au midi, de Tchin à l'Orient et du Naûbéhâr à l'ouest.
[182] Dictionnaire géographique de la Perse, par M. Barbier de Meynard; Paris, MDCCCLXI, pages 273, 597 et 441.
[183] Les auteurs musulmans donnent toujours aux Géorgiens le nom de Kurdes.
[184] C'est là nom d'une très vaste contrée de la Transoxiane à l'est du Khanat de Samarkand, sur la frontière du Turkestan chinois. Yakout rapporte dans le Mo'djam (tome III, page 878 sqq.) qu'il y avait dans cette province quarante mosquées dans lesquelles on faisait la grande prière du vendredi. La ville principale du Ferghana était Khokhand ; ce pays était très cultivé malgré le froid intense qui y règne en hiver. Aboulféda nous apprend (tome II, partie I, page 297) qu'il y avait un mois de marche pour se rendre du Ferghana dans le pays des Toukouz-Oughouz, à travers le pays des Karlouks. Ibn Haukal, cité par Aboulféda (ibid. tome II, partie II, page 228), dit que la ville principale de cette contrée est Sipidboulan. L'auteur du Heft-Iklim, cité par Hadji-Khalifa dans le Djihan-Numa, donne à ce pays comme frontières, à l'orient Kashgar, à l'ouest Samarkand, au sud le Badakhshan, au nord le Turkestan ; il ajoute que les villages y étaient très grands et que la vie y était fort chère. Il y a dans le Ferghana des mines d'or et d'argent, à Akhsikith, des mines d'argent dans les montagnes de Sourkh ; on y trouve également des sources de bitume, de naphte, des mines de fer et d'émeraudes. Le même auteur ajoute que Khosrav-Anoushirvân fit bâtir dans ce pays une ville qu'il nomma Erhoukhanah dont on a tiré dans la suite Ferghana ; en réalité, ce nom est formé de fargh- avec le suffixe géographique -an, ânah du persan; peut-être faut-il voir dans fargh- le mot grec πύργος, feu; on sait que ce pays a été, comme tout le Turkestan, un centre fort important du Mazdéisme.
[185] On prononçait également Tarmidh ou Tirmidh, mais Yakout (Mo'djam, tome I, page 843) donne la préférence à la seconde de ces formes. C'était une très grande ville sur le Djihoun; elle possédait une forteresse et un faubourg entouré par une puissante muraille. Le Kânoûn cité par Aboulféda (tome II, partie II, page 227) dit que ses rues et ses avenues étaient pavées da briques, et que les villages qui en dépendent tiraient leur eau de la rivière de Saghanyan. Hadji-Khalifa rapporte dans le Djihan-Numa que cette ville se trouve à une journée de Balkh.
[186] Le célèbre historien Ibn al-Furât prétend que ce nom signifie « pays des gens vils ». Cette étymologie est insensée, et Khwarezm, l'Uvarazmia du perse, le Hvairizem du zend, signifie la terre du soleil, de l'Orient. L'auteur du Heft-Iklim propose une étymologie aussi absurde et prétend que ce nom serait formé de deux mots du pays Khor « viande » et Zem « bois ». Cette contrée est bornée au sud par le Khorasan, à l'ouest par le Turkestan, à l'est par la Transoxiane et au nord par le pays de Derek. C'est l'une des contrées les plus froides de l'Asie.
[187] Pour toutes ces villes cf. Barbier de Meynard, Dictionnaire géographique de la Perse.
[188] Djémal ad-Din ibn Wasil dit, dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 205 r°), qu'al-Malik al-Nasir-Salah ad-Din Kilidj-Arslan était auprès de son oncle al-Malik al-Mo'aththam Sharaf ad-Din ’Isa, prince de Damas, qui était alors occupé à assiéger les forteresses des Francs dans le Sahel. Il venait de s'emparer de Kaïsariyya et l'avait détruite ; de là, il avait marché contre Athlith qu'il assiégeait. Le vizir du souverain de Hamâh était à cette époque Zaïn-ad-Ibn ibn Firandj (?). Ce fonctionnaire s'entendit avec plusieurs des principaux officiers et des dignitaires de l'Etat pour donner le trône à al-Malik an-Nasir. Ils écrivirent à ce prince pour lui faire connaître leur décision et pour le prier de venir prendre possession du gouvernement; mais quand son oncle al-Malik al-Mo'aththam eut été informé de ce qui se passait, il ne voulut pas le laisser partir si les membres du gouvernement ne s'engageaient pas à lui envoyer une somme d'argent qu'il fixa à 400.000 dirhems. Quand ils eurent accepté ces conditions, al-Malik al-Mo'aththam permit à son neveu de partir pour Hamâh. Il s'y rendit immédiatement et il eut une entrevue avec le vizir Zaïn ad-Din ainsi qu'avec les gens qui lui avaient écrit pour lui proposer le trône ; ils lui jurèrent fidélité et le conduisirent à la citadelle, où son frère était encore vivant, puis ils le firent monter à cheval avec les drapeaux impériaux et ils l’acclamèrent. Al-Malik al-Nasir venait d'atteindre sa dix-septième année quand il devint ainsi souverain de Hamâh, car il était né en l'an 600. Il conserva d'abord, comme vizir, Zaïn ad-Din ; puis au bout de quelque temps il lui donna un successeur et l'éloigna de la cour. Il manda auprès de lui un homme de Hamâh, nommé Schihâb-ad-Dîn, fils de Kotb ad-Din. Ce Kotb ad-Din était un homme très versé dans les sciences et dans la jurisprudence. Schihâb ad-Din avait étudié auprès de lui le droit, l'éthique et les belles lettres ; puis il s'était rendu dans l'Irak et avait étudié à Bagdad durant un certain temps ; il était ensuite venu à Hamâh où il avait suivi, au collège impérial Mansouri, les cours du Sheikh Saïf ad-Din al-Amidi. Il arriva ensuite que le sultan al-Malik al-Mansour le chargea d'une affaire dans laquelle il abusa de la confiance dont le souverain l'avait ainsi honoré ; aussi, al-Malik al-Mansour le fit emprisonner dans la grande mosquée de la citadelle. Schihâb-ed-Din avait un frère nommé ‘Imad ad-Din ibn Kotb ad-Din qui était très versé dans le droit, ce qui détermina le sultan al-Malik al-Mansour à lui donner la charge de kadi. Quand Schihâb ad-Din eut été enfermé dans la citadelle, al-Malik an-Nasir vint lui rendre visite et le traita d'une manière honorable; il vint le trouver à plusieurs reprises. Un jour Schihâb ad-Din ibn Kotb ad-Din dit au prince ayyoubide : « Il faut que je t'annonce une bonne nouvelle !» — « Et laquelle, dit al-Malik an-Nasir ? » — « C'est que tu monteras sur le trône après la mort de ton père et que ce ne sera pas ton frère qui lui succédera » — « Comment le sais-tu, lui demanda al-Nasir 'i » — « J'en ai entendu la prédiction en songe, répondit le prisonnier ; un homme m'est apparu qui m'a récité ce vers : Il n'y aura pas d'autre souverain parmi ses fils que Kilidj, celui que les femmes n'ont jamais dominé. » Al-Malik an-Nasir fut extrêmement joyeux de cette prédiction et il lui promit que lorsqu'il serait monté sur le trône, il le comblerait de ses bienfaits et qu'il lui conférerait la direction des affaires de son royaume. Quand il eut succédé à son père, il lui donna en effet un fief très important. Schihâb ad-Din quitta alors le turban des hommes de loi et prit le sharboush et l'uniforme des émirs. Ce personnage ne tarda pas à devenir l'égal du sultan al-Malik an-Nasir, et il reçut le titre d'atabek des armées, pendant que son frère 'Imad ad-Din était investi de la charge de kadi d'Hamâh. Postérieurement, en 622, al-Malik an-Nasir, se fâcha contre eux, il fit emprisonner Schihâb ad-Din et destitua 'Imad ad-Din, qui s'enfuit, laissant son frère captif dans la citadelle de Hamâh. Il resta dans la situation la plus affreuse jusqu'à l'époque où al-Malik al-Mothaffar monta sur le trône. Ce prince le remit en liberté et le traita avec égards.
[189] Djémal ad-Din dit (ms. ar. 1702, folio 206 r°) qu'al-Malik al-Mothaffar lui conseilla seulement de se rendre à Damas et de ne pas essayer d'aller à Hamâh ou son frère le ferait certainement emprisonner.
[190] Nom d'une montagne bien connue, dans le voisinage de la Mecque.
[191] On pourrait également comprendre : « Râdjih se décida à lui offrir de lui livrer la Mecque ». Akbâsh est un nom turc qui signifie « tête blanche ».
[192] Cette même année, le prince ayyoubide al-Malik al-Mothaffar Schihâb ad-Din Ghazi, fils du sultan d'Egypte al-Malik al-'Adil, s'empara d'Ikhlât avec Mayyafarikîn. Djémal ad-Din ibn Wasil rapporte, dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 206 v°), qu'al-Mothaffar possédait depuis le règne de son père les villes de Rohâ et de Saroûdj. Al-Ashraf, son frère, les lui prit et lui donna en échange Ikhlât et tout le pays qui en dépendait, ce qui formait un royaume considérable, aussi grand que l'Egypte.
[193] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie raconte (ms. arabe 302, page 340) qu'en l'année 937 des Martyrs, al-Malik al-Ashraf, souverain de Syrie, se rendit en Egypte en villégiature, et aussi pour rendre visite à son frère, le sultan al-Malik al-Kâmil ; ce dernier lui envoya des provisions et des cadeaux quand il se trouva dans le Rami ; al-Ashraf fit son entrée au Caire le jeudi, dixième jour du mois de Touba de cette année. La ville fut splendidement pavoisée et jamais l'on n'avait vu une telle décoration; ce fut l'un des jours les plus mémorables. Al-Malik al-Ashraf fit plusieurs excursions en Egypte, du Caire à al-Khâkâmyya, à Ashmoum, à Abiar, à Djazîrah Misr. Il arriva à al-Djazirahan moment de la crue du Nil. On avait préparé des illuminations avec des torches et des rameaux d'olivier; elles durèrent toute la nuit... Al-Malik al-Ashraf quitta les minarets (manathir) de Saïf-al-Islâm, qui sont au-dessus de la Piscine de l'Eléphant (birkat-al-fil), le samedi, onzième jour du mois de Tôt. Le sultan al-Malik al-Kâmil sortit pour lui faire ses adieux.
[194] Maramma dit le texte arabe; les navires qui l'accompagnaient sont nommés harraka qu'on traduit généralement par « brûlot » ; ils devaient correspondre à peu près aux croiseurs d'escorte.
[195] La chanteuse d'al-Ashraf joue ici sur le mot Moussa qui désigne le Prophète Moïse et qui était le nom du prince ayyoubide al-Malik al-Ashraf. C'était comparer le rôle de ce prince en Egypte à celui que joua Moïse lors de l'Exode et rabaisser singulièrement celui de son frère al-Malik al-Kâmil.
[196] Il y a ici un triple jeu de mots analogue au précédent : la chanteuse joue sur 'Isa qui est le nom de Jésus-Christ et qui était porté par l'ayyoubide al-Malik al-Mo'aththam, sur Moussa, nom de Moïse et d'al-Malik al-Ashraf, et sur Mohammad, nom du Prophète de l'Islam et du sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil. Quand la chanteuse semble dire que les prophètes Jésus et Moïse sont venus prêter secours au prophète Mohammed, il faut comprendre que les deux princes ayyoubides de Syrie étaient venus renforcer l'armée d'al-Malik al-Kâmil.
[197] Sur ces villes, voir M. Barbier de Meynard, Dictionnaire géographique de la Perse et des contrées adjacentes.
[198] Forteresse située entre Amid et Djazirat ibn 'Omar qui domine le Tigre.
[199] Les Arabes divisent ainsi qu'il suit la côte nord de l'Afrique : le Maghrib-al-aksa qui s'étend depuis les rives de l'Atlantique jusqu'aux environs de Tlemcen, le maghrib-al-awsath, de Tlemcen à Bougie, et l'Ifriqiya, de Bougie à Barka (Aboulféda, tome II, partie I, page 168). Yakout (Mo'djam, tome I, page 324) ajoute que l'Ifriqiya est une vaste province située en face de la Sicile et qu'elle se termine en face de l'Espagne et des deux îles (les Baléares) qui se trouvent au Nord.
[200] Cette année, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 213 v°) les Kurdes sortirent de leur pays et se dirigèrent vers la province d'Arran, ils attaquèrent la ville de Beilekân que les Mongols avaient déjà saccagée. Quelques habitants y étaient revenus après ce désastre et l'avaient reconstruite tant bien que mal. Les Kurdes n'y laissèrent pas pierre sur pierre. — Cette même année l'atabek de Maûsil, al-Malik an-Rahim-Badr ad-Din Loulou, alla attaquer la forteresse de Shoûs.qui appartenait à ‘Imad ad-Din Zangui ibn Nour ad-Din Arslan-Shah ibn 'Izz ad-Din Massoud ibn Kotb ad-Din Maudoud ibn Zangui ibn Aksonkor, lequel avait épousé la fille de Mothaffar ad-Din Kokboûrî ibn Zaïn ad-Din 'Ali-Koutchuk, prince d'Arbèles, dont la mère se nommait Rabi'a Khatoun, fille de Nadjm ad-Din Ayyoub et sœur d'al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din et d'al-Malik al-'Adil. Al-Malik al-Kahir 'Izz ad-Din Massoud ibn Arslan Shah était marié à la fille de l'autre Mothaffar ad-Din. Badr ad-Din Loulou s'empara de cette citadelle après un siège assez court; le fils d'al-Malik al-Kahir qui était le souverain nominal de Maûsil étant venu à mourir, Badr ad-Din Loulou se déclara souverain et prit le titre d'al-Malik al-Rahim (le roi miséricordieux); le khalife abbasside lui envoya les vêtements d'honneur de la souveraineté et les rois le reconnurent. — En l'année 612, dit Djémal ad-Din ibn Wasil dans le Mofarradj-al-kouroûb al-Malik-al-Massoud-Salah ad-Din Yousouf, fils du sultan d'Egypte al-Malik al-Kâmil, s'était emparé du Yémen et y avait fait arrêter Soleïman-Shâh ibn Sa'd ad-Din Shâhânshâh ibn al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din, qu'il avait vaincu quelque temps auparavant, et il l'avait envoyé en Egypte. Le prince de la Mecque était le shérif 'Abou 'Aziz Kattâda ibn Idris al-'Alavi al-Hosainï, dont l'autorité était reconnue depuis les frontières du Yémen jusqu'à Médine ; il était à cette époque âgé d'environ quatre-vingt-dix ans. Il possédait la citadelle de Yanbo et une nombreuse armée ; quand il fut devenu souverain de la Mecque, il montra une grande habileté pour les choses de l'état et en chassa tous les mauvais sujets, mais par la suite, il se livra à des actes condamnables et commit de nombreux abus, comme de faire dépouiller les pèlerins. En l'année 618, il réunit une armée assez considérable, partit de la Mecque et se rendit à Médine; il vint camper dans le vadi-el-sabba', où il tomba malade; il était accompagné de son fils al-Hasan ibn Kattâda. Le frère du shérif ayant appris sa maladie, en profita pour se faire déclarer prince de la Mecque. « J'ai appris, dit Hasan à son oncle, que tu as fait telle et telle chose. » — « Ce n'est point vrai, répondit celui-ci ». Hasan ordonna alors aux assistants de tuer son oncle, mais ils s'y refusèrent en disant : « Tu es un émir, et lui aussi est un émir, il ne convient pas à l'un de nous de tuer l'un ou l'autre de vous ». Hasan avait deux mamlouks qui auparavant avaient été les mamlouks de son père Kattâda; ils lui dirent : « Nous sommes tes esclaves, ordonne-nous ce que tu voudras ! » Il leur commanda de tuer son oncle, et les deux mamlouks l'étranglèrent avec son turban. Al-Hasan s'en retourna après ce tragique événement à la Mecque, et il se dirigea vers la maison de son père, accompagné seulement de quelques personnes ; il vit à la porte de la maison une troupe considérable de gens qui sur son ordre s'écartèrent et le laissèrent pénétrer dans l'intérieur ; quand le vieillard l'aperçut, il lui reprocha en termes véhéments l'assassinat dont il s'était rendu coupable. Hasan se jeta sur lui et l'étrangla. Il sortit de la maison, se rendit à la Mosquée-Sainte (al-haram-al-sharif) et après avoir fait assembler les notables, il leur tint ce langage : « La maladie dont mon père était atteint vient de s'aggraver, en conséquence, il vous ordonne de me prêter serment de fidélité et de me reconnaître comme votre émir ». Les gens firent ce qu'il désirait et ensuite il leur apprit la mort de son père. Hasan avait un frère dans la forteresse de Yanbo ; il lui envoya un message au nom de son père pour le mander auprès de lui ; quand le malheureux arriva, il le fit assassiner comme son père et son oncle. Le règne de Hasan marqua le commencement de la décadence de la dynastie de Kattâda. Kattâda avait un autre frère, nommé Râdjih, qui demeurait chez les Arabes en dehors de la Mecque et qui ne voyait pas les autres membres de sa famille. En l'année 618, le pèlerinage de T'Irak arriva à la Mecque commandé par un émir qui était un mamlouk du khalife an-Nasir-li-din-Allah, et qui se nommait Akbâsh; c'était un homme connu pour son intégrité. Râdjih, fils de Kattâda, lui offrit, ainsi qu'au khalife, une somme d'argent considérable s'il voulait l'aider à arracher la Mecque à son frère Hasan et à le reconnaître comme émir de cette ville. Akbâsh accepta ces propositions et tous les deux marchèrent sur la Mecque pour enchâsser Hasan ibn Kattâda. Hasan avait réuni une armée considérable d'Arabes et d'autres gens, il livra bataille à Akbâsh qui fut tué dans le combat. Sa tête fut promenée à la Mecque, plantée au bout d'une lance, et les pèlerins furent dispersés. Hasan leur envoya son turban comme signe de pardon et ses troupes les épargnèrent ; le shérif leur permit d'entrer à la Mecque et de s'acquitter des cérémonies religieuses, puis ils regagnèrent leur pays. Cette aventure causa un vif dépit au khalife al-Nasir-li-din-Allah, et il fut très dépité qu'al-Hasan eût tué l'émir du pèlerinage de l'Irak. Toutefois le khalife ne sut pas refuser au shérif le pardon qu'il lui envoya demander. A l'automne, al-Malik al-Massoud, fils d'al-Malik al-Kâmil, partit du Yémen pour la Mecque dans l'intention d'y faire le pèlerinage. Le jour de 'Arafa, on avait arboré sur la montagne les étendards du khalife. Al-Malik al-Massoud s'avança avec ses troupes, les fit abattre, et ordonna que l'on plantât à leur place les drapeaux de son père al-Malik al-Kâmil. Les sujets du khalife voulurent s'opposer à cette mesure qu'ils regardaient comme une profanation. Après s'être acquitté des obligations requises de chaque pèlerin, al-Malik al-Massoud mourut dans le Yémen. Le khalife fut vivement blessé des procédés d'al-Malik al-Massoud, et il envoya un ambassadeur à al-Malik al-Kâmil pour lui demander de désavouer son fils. Le sultan fit ce qu'il demandait. Au mois de Rabi premier de l'année 620, al-Malik al-Massoud partit pour la Mecque, il mit en fuite les troupes de Hasan ibn Kattâda et s'empara de la ville sainte.
[201] Nom d'une ville située près du désert de Syrie dépendante de la circonscription de Hamâh, dont elle est éloignée de deux jours de marche. Hadji-Khalifa ajoute, dans le Djihan Numa, qu'elle est un peu à l'est de l'Oronte et seulement à une journée d'Hamâh.
[202] Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar 1702, folio 214 verso) place cette expédition en l'année 619, au mois de Dhou’lhiddjeh.
[203] On lit dans le Mofarradj-al-kouroûb du kadi Djémal ad-Din ibn Wasil (ms. ar. 1702, folio 218 v°) : Quand al-Malik al-Ashraf apprit au Caire la façon dont son frère al-Malik al-Mo'aththam s'était conduit vis-à-vis d'al-Malik al-Nasir, il en fut très vivement blessé et dit à al-Malik al-Kâmil : « Est-ce que nous allons laisser al-Malik al-Mo'aththam assiéger Hamâh et s'en emparer pour qu'ensuite il ait encore envie de prendre tout le reste. Il faut lui dire ce que nous en pensons, lui défendre de continuer à agir ainsi et lui intimer l'ordre de lever le siège de Hamâh et de rentrer chez lui ». Il fut convenu entre les deux princes qu'al-Malik al-Ashraf écrirait à son naïb Hosâm ad-Din 'Ali de se rendre à Alep et d'y avoir une entrevue avec l'atabek Schihâb ad-Din Thoghril, de lui dire qu'al-Malik al-Ashraf avait écrit à al-Mo'aththam pour le prier de lever le siège de Hamâh, et qu'al-Malik al-Kâmil n'était pour rien dans tout ce qui s'était passé, pas plus qu'al-Ashraf. Après s'être rencontré avec l'atabek le hadjib Hosâm ad-Din 'Ali alla trouver al-Malik al-Mo'aththam en même temps que le sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil envoyait à ce prince l'émir Nasih ad-Din Abou’l Ma’li al-Fârisi, un des émirs d'Alep qui se trouvait alors au Caire et qui faisait partie de la maison militaire d'al-Ashraf. Les deux envoyés sommèrent al-Malik al-Mo'aththam de lever le siège de Hamâh. A cette même époque, al-Malik al-Mo'aththam échangea plusieurs ambassades avec le prince de Hamâh par l'entremise de 'Afif ad-Din 'Abd-Allah-al-Salmâni ibn Marâdjil, fils du frère du kadi Hudjdjat-ad-Din, kadi de Hamâh qui était depuis fort longtemps au service des princes de la dynastie ayyoubide. Ces ambassades aboutirent à la conclusion de la paix entre les deux souverains. Al-Malik al-Kâmil, sultan de l'Egypte, dit Djémal ad-Din (ibid., folio 219 r°), avait reconnu la souveraineté de Hamâh à son neveu al-Malik al-Mothaffar pendant que ce dernier résidait auprès de lui en Egypte; ce prince était, en effet, l'ainé de sa famille et son père lui avait conféré le titre d'héritier présomptif; al-Malik al-Kâmil avait d'autant plus d'affection pour lui qu'ai Malik al-Ashraf le détestait profondément. Al-Kâmil écrivit plusieurs fois à ce sujet à al-Ashraf et il fut convenu à la Un qu'al-Malik al-Mo'aththam recevrait la ville de Salamiyya. Alep, Ma'arrat al-No'man et Ba'rin restèrent au pouvoir d'al-Malik al-Nasir; al-Mothaffar envoya l'émir Hosâm ad-Din Abou 'Ali-Mohammad ibn 'Ali al-Hindabâni prendre possession de Salamiyya et il le chargea de mettre en état de défense la citadelle de cette ville. Al-Malik al-Kâmil essaya bien de faire donner d'autres villes au jeune prince, mais al-Ashraf s'y opposa formellement.
[204] C'était, comme on vient de le voir, le contraire de ce qu'avait fait l'année précédente, le prince ayyoubide al Malik al-Massoud et cette mesure avait été prise comme réparation de l'offense faite au khalife.
[205] Cette année, dit Djémal ad-Din ibn Wasil, dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar 1702, folio 219 v°), al-Malik al-Ashraf partit du Caire pour regagner ses états ; le sultan al-Malik al Kâmil le chargea de porter à Alep les robes d'honneur impériales, les étendards et le diplôme conférant le titre de sultan à al-Malik al-'Aziz Ghiyâth ad-Din Mohammad, fils d'al-Malik ath-Tahir-Ghazi, fils du sultan Salah ad-Din Yousouf ibn Ayyoub. Quand al-Malik al-Ashraf arriva à Damas, son frère al Malik al-Mo’aththam se rendit au-devant de lui et le fit descendre dans la forteresse. Il y demeura pendant trois jours, puis il se rendit à Alep ou il arriva au mois de chewâl de cette même année; le sultan al-Malik al-’Aziz, qui avait alors vingt ans, sortit de la ville ; al-Ashraf vint camper au sud et à l'est du Makâm près d'un village qui se nomme Karbitâ (?) Al Malik al-'Aziz et les dignitaires de son gouvernement, les émirs et les chefs de la police se rendirent au campement d'al-Malik al Ashraf et lui présentèrent leurs hommages ; le jour même al-Ashraf remit à al-'Aziz les vêtements d'honneur que lui envoyait al-Malik al-Kâmil.
[206] Le prince de Sâmaraï dit Djémal ad-Din (ibid., folio 220 recto), qui dépend d'Ikhlât vint se soumettre au sultan al-Malik al-Mothaffar-Schihâb-ad Dm-Ghazi ibn al-Malik al-'Adil, souverain d'Ikhlât. Le prince de Sâmaraï avait laissé dans cette ville un émir pour y gouverner durant son absence; cet émir réunit une armée considérable et marcha vers le pays des Kurdes dans lequel il pilla plusieurs villages, après quoi il s'en revint. Le prince de Douvin, qui était l'un des meilleurs généraux des Kurdes, réunit une armée et vint mettre le siège devant Sâmaraï; il ravagea tout le pays qui en dépendait et le mit à feu et à sang. Quand le prince de Sâmaraï apprit cette expédition des Kurdes, il revint immédiatement dans sa capitale, et il y arriva le jour même que les Kurdes en levaient le siège. Il prit le commandement de son armée et se mit à leur poursuite ; il leur livra un violent combat, dans lequel il leur tua beaucoup de monde, et il leur enleva tout ce qu'ils lui avaient pris. Il s'en revint après cela dans ses états. Le prince de Douvin réunit alors de nouveau une armée considérable de Kurdes et marcha sur Sâmaraï dans l'intention de l'assiéger. Le prince de Sâmaraï, ayant appris quelles étaient ses intentions, s'empressa de mettre cette ville en état de défense ; il y amassa toutes les provisions dont il pouvait avoir besoin. Sur ces entrefaites, il apprit que les Kurdes se trouvaient empêtrés dans une vallée étroite, il se mit immédiatement en route avec ses troupes, qu'il divisa en deux corps dont il plaça l'un en haut de la vallée et l'autre en bas. Les soldats du prince de Sâmaraï tombèrent sur les Kurdes et les sabrèrent ; un nombre considérable des envahisseurs périrent et un nombre aussi grand restèrent prisonniers. Parmi ces derniers, se trouvait le prince de Douvin avec beaucoup d'officiers inférieurs. Dans cette expédition, le prince de Sâmaraï avait sous ses ordres une partie de l'armée d'al-Malik al-Mothaffar Schihâb ad-Din Ghazi, fils d'al-Malik al-'Adil. Quand le roi des Kurdes apprit ces événements, il envoya au prince de Sâmaraï un ambassadeur pour traiter des conditions de la paix. — Cette même année, on transféra le cercueil qui contenait les restes du sultan al-Malik ath-Tahir-Ghazi, du caveau dans lequel il avait été déposé dans la citadelle d'Alep, et on le plaça dans l'édifice qu'il avait élevé pour le recevoir dans le collège bâti par l'atabek.
[207] Sur ces trois villes, voir le Dictionnaire géographique de la Perse et des contrées adjacentes, par M. Barbier de Meynard.
[208] Yakout nous avertit, dans le Mo’djam-al-bouldân (tome I, page 186), qu'il faut prononcer Irbil et non Arbil, car Arbil n'est pas une forme arabe. Cette raison n'est pas des meilleures qui se puissent trouver, car le nom de cette ville est bien antérieur à l'époque arabe ; on le trouve, en effet, dans les inscriptions assyriennes sous la forme Arba'-ilu « les quatre dieux». Cette ville, qui est l'ancienne Arbèles, possédait à l'époque de Yakout une puissante forteresse; elle est bâtie dans une très vaste plaine et sa citadelle était protégée par un fossé très profond. La forteresse était bâtie sur l'un des côtés et non au centre de la ville et elle coupait le mur d'enceinte de la ville en deux parties; elle s'élevait sur une haute colline. On trouvait dans cette citadelle des boutiques et des logements pour les habitants, ainsi qu'une grande mosquée. D'après Yakout, elle était identique comme construction à la citadelle d'Alep, quoique cette dernière fût encore plus grande. Arbèles est bâtie entre les deux Zâb, et on la fait dépendre administrativement de Maûsil dont elle est éloignée par deux jours de marche. Ce fut l'émir Mothaffar ad-Din Koukbouri ibn Zaïn ad-Din Ali Kutchuk qui fit construire le mur d'enceinte et les marchés de cette ville. La plus grande partie de sa population était composée de Kurdes. Les caravanes mettaient sept jours pour se rendre d'Arbèles à Bagdad. Kazwini ajoute, dans le Athar-al-bilâd (éd. Wüstenfeld, page 193), que la mosquée de la citadelle portait le nom de Mosquée de Keff ; il y avait dans cette mosquée une pierre sur laquelle on voyait distinctement l'empreinte de la main d'un homme, d'où le nom de la mosquée; les gens d'Arbèles en donnaient différentes explications que cet auteur ne rapporte pas. Il y avait à Arbèles toute une canalisation souterraine pour amener l'eau chez, les habitants (Aboulféda, tome II, partie II, page 161). Hadji Khalifa raconte, dans le Djihan Numa, que Arbèles (Irbil) fut autrefois la capitale du pays de Scherhzour.
[209] Cette année, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (ibid.), al-Malik al Mothaffar-Schihâb ad-Din Ghazi se brouilla avec al-Malik al-Ashraf à propos de la ville de Khilât. Al-Mothaffar envoya des ambassadeurs à Mothaffar ad-Din Kokboûrî ibn Zaïn ad-Din 'Ah-Kutchuk, prince d'Arbèles, pour lui demander de faire alliance avec lui et pour le prier d'aller attaquer l'atabek Badr ad-Din Loulou, prince de Maûsil, qui était du parti d'al-Malik al-Ashraf. Mothaffar ad-Din était hostile à Badr ad-Din Loulou parce que ce dernier avait mis fin à la puissance de la dynastie des atabeks et qu'il s'était emparé de la couronne au détriment des enfants d'al-Malik al-Kâhir qui étaient ses neveux et qui descendaient de Rabi'a Khatoun, sœur de Salah-ad-Din. Mothaffar ad-Din acquiesça à cette demande et il équipa une armée pour aller faire le siège de Maûsil. Al-Malik al-Mo'aththam écrivit également à son frère al-Malik al-Mothaffar-Schihâb ad-Din pour lui montrer les avantages qu'il y aurait pour lui à secouer la tyrannie d'al-Malik al-Ashraf ; al-Mo'aththam promit à Kokboûrî et à son frère de partir de Damas avec son armée et d'aller envahir les provinces orientales pour les arracher à al-Ashraf. Al-Malik al-Mothaffar consentit à ce que lui demandait son frère al-Malik al-Mo'aththam et il se révolta dans Khilat contre son frère al-Ashraf. Des que ce dernier eut appris cette coalition, il lui envoya des gens pour le ramener à lui et pour lui montrer combien sa conduite était coupable, mais al-Mothaffar ne voulut rien entendre. Al-Malik al-Mo'aththam, al-Malik al-Mothaffar-Schihâb-ad-Dîn, prince de Khilât et Mothaffar ad-Din, prince d'Arbèles, se préparèrent alors à la guerre contre al-Ashraf ; al-Malik al-Mo'aththam partit de Damas avec son armée et s'en vint camper dans une localité nommée al-'Atika. Pendant ce temps, al-Malik al-Ashraf envoyait un ambassadeur à son frère le sultan d'Egypte al-Malik al-Kâmil, pour l'informer de ce qui se passait. Le sultan envoya immédiatement menacer son frère al-Malik al-Mo'aththam d'intervenir dans le conflit en faveur d'al-Ashraf. Cela détermina al-Mo'aththam à rentrer à Damas. Mothaffar-ad-Dîn, prince d'Arbèles, réunit son armée, marcha sur Maûsil et vint l'assiéger le mardi 13e jour du mois de Djoumada second de cette année, pensant qu'al-Malik al-Ashraf ne pourrait aller attaquer Ikhlât et que ses deux frères, al-Malik al-Mothaffar et al-Malik al-Mo'aththam, marcheraient contre lui. Mothaffar-ad-Din, prince d'Arbèles, resta dix jours devant Maûsil; mais il vit que tous ses efforts ne le rendraient pas maître de cette place; aussi il leva le siège, sept nuits manquant du mois de Djoumada second, car il venait d'apprendre qu'al-Malik al-Ashraf s'était emparé de la ville de Khilât. Ce prince avait mandé auprès de lui l'armée d'Alep, et il avait reçu un renfort considérable de cette ville, dans laquelle se trouvaient Saïf ad-Din ibn Kilidj 'Alam ad-Din Kaïsar et Hosain ad-Din Bouldak. Il marcha avec cette armée contre Ikhlât, pendant que d'autres troupes le suivaient, ainsi que l'armée de Maûsil. Quand il fut tout près d'Ikhlât, son frère al-Malik al-Mothaffar-Schihâb ad-Din vit que sa propre situation était désespérée et il comprit qu'il ne pourrait résister à l'agresseur, car il avait dispersé son armée dans les différentes places de ses états pour les défendre, comptant que Mothaffar-ad-Din, prince d'Arbèles, lui enverrait des secours pendant qu'al-Malik al-Mo'aththam attaquerait les possessions d'al-Malik al-Ashraf. Ces événements ne s'étant pas réalisés, al-Ashraf mit le siège devant Ikhlât ; la population de cette ville se sentait portée vers lui à cause de sa justice et de l'honnêteté de ses mœurs, qui contrastait vivement avec la dépravation de son frère al-Malik al-Mothaffar-Schihâb-ad-Din. Aussi la ville lui fut rendue, le lundi douzième jour du mois de Djoumada de cette même année 621. Al-Malik al-Mothaffar-Schihâb ad-Din se réfugia dans la citadelle; mais, quand la nuit fut venue, il descendit auprès de son frère et lui demanda pardon de sa conduite. Al-Malik al-Ashraf le lui accorda facilement et lui laissa la ville de Mayyafarikîn. Al-Malik al-Ashraf partit d'Ikhlât avec l'armée d'Alep, au mois de Ramadan de cette année, et il se rendit à Sindjar ou il passa l'hiver.
Cette même année, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (ibid., folio 223 v°), mon père reçut une lettre du sultan al-Malik al-Mo'aththam (qu'Allah lui fasse miséricorde I) pour lui demander de se rendre auprès de lui. Cette lettre lui fut apportée par 'Afif ad-Din ibn Marâhil-al-Salmanî qui était venu plusieurs fois à Hamâh pour apporter des lettres d'al-Malik al-Mo'aththam à al Malik al-Nasir, souverain de Hamâh ; nous partîmes alors de Hamâh dans les derniers jours du mois de Chaban et nous fûmes reçu de la façon la plus gracieuse par al-Malik al-Mo'aththam. Ce prince aima toute sa vie la société des gens de science, et il prenait plaisir à discuter avec eux sur des points de détail. Mon père lui demanda la permission d'aller demeurer à Jérusalem, mais il n'y voulut point consentir ».
[210] Makrizi consacre à la vie de ce khalife quelques lignes dans lesquelles on ne trouve que ce qui est raconté avec bien plus de détails dans Ibn Khallikan, et dont je supprime la traduction.
[211] Nom d'une très grosse bourgade en Egypte, proche de Damiette ; cette bourgade est, en réalité, composée de deux villages séparés par le Nil, c'est pourquoi on trouve quelquefois son nom au duel, Damiratân « les deux Damîra » (Yakout, Mo’djam-al-bouldân, tome II, page 602). Parmi les gens célèbres originaires de cette localité, Yakout cite Abou Tourâb 'Abd-al-Wahhâb ibn Khalaf ibn 'Amrou ibn Yazid ibn Khalaf al-Damîri, connu sous le nom de al-Khouff, qui y mourut en l'année 270; le vizir Safi ad-Din 'Abd-Allah ibn 'Ali ibn Shakir, qui fut vizir d'al-Malik al-'Adil et d'al-Malik al-Kâmil et qui mourut en 622 ; Abou Ghassan-Malik ibn Yahya ibn Malik al-Damîri, qui suivit les leçons de traditions de Yazid ibn Haroun et qui eut pour élève Abou’l Hosain-Mohammad ibn 'Ali ibn Djafar ibn Khallad ibn Yazid al-Tamîmi-al-Djaûhari; le kadi Abou’l Abbâs Mohammad ibn Ismâ’îl ibn al-Mohallab-al-Damîri, élève de Djîroun ibn 'Isa-al-Balavi.
[212] Djémal ad-Din ibn Wasil raconte, dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 225 v°), que le Shirvânshah Rashid, prince du Derbend, était un homme de mauvaises mœurs qui traitait ses sujets d'une façon tyrannique, abusant de leurs femmes et de leurs enfants ; le peuple en était indigné et une partie de l'armée complota avec son fils pour le renverser. Ces soldats le chassèrent du pays et mirent sur le trône son fils qui traita avec bonté l'armée et ses sujets. Le Shirvanshâh se rendit alors dans le pays des Kurdes et leur demanda aide ; il les pria de lui donner une armée avec laquelle il pût reconquérir son royaume et en chasser son fils. Les Kurdes lui fournirent des troupes nombreuses et il se mit en marche avec elles ; il arriva ainsi jusqu'à la ville de Shirvan. Quand son fils apprit cette marche, il se mit à la tête de ses troupes et s'avança contre lui avec une armée qui comptait environ un millier de cavaliers ; il rencontra son père avec son armée de Kurdes, qui était forte d'à peu près 3.000 cavaliers. Ils se livrèrent un combat furieux dans lequel les Kurdes furent mis en fuite après avoir perdu beaucoup de monde et en laissant de nombreux prisonniers aux mains du fils du Shirvânshah. Ce prince garda ainsi la couronne et il rendit à ses sujets tout ce que son père leur avait pris. Cette même année, une troupe de Kurdes partit de Tiflis dans l'intention d'aller attaquer l'Azerbaïdjan, qui appartenait à Mothaffar ad-Din Uzbek ibn Ilpehlivân; ils vinrent camper derrière un défilé dans les montagnes, défilé tellement étroit que les cavaliers n'y pouvaient passer qu'un à un ; se trouvant réduits à la dernière extrémité, ils demandèrent aux Musulmans à capituler. Une partie de l'armée musulmane marcha vers eux et les attaqua. Beaucoup de Kurdes périrent dans cet engagement et un grand nombre d'entre eux restèrent prisonniers. Cette défaite irrita vivement l'orgueil du roi des Kurdes, qui équipa une nouvelle expédition pour aller attaquer l'Azerbaïdjan, dans l'intention de l'enlever aux Musulmans.
[213] Djémal ad-Din ibn Wasil raconte, dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 239 r°), que, lorsque le Kharezmchah Djélal ad-Din partit de Tiflis pour se rendre dans le Kirmân, il laissa à Tiflis une armée commandée par son vizir Sharaf-al-Moulk. Les vivres étant venus à manquer à ses soldats, ils se rendirent à Arzan-ar-Roum, qu'ils livrèrent au pillage. Ils emmenèrent les femmes en captivité et s'emparèrent d'un butin immense ; puis ils se mirent en marche pour regagner Tiflis et passèrent non loin d'Ikhlât. A cette époque, le gouverneur d'Ikhlât au nom du sultan al-Malik al-Ashraf était le hadjib Hosâm ad-Din 'Ali, l'un des principaux familiers de ce prince. Quand cet officier eut appris la marche des Kharezmiens, il rassembla des troupes et alla les attaquer ; il les battit complètement et leur reprit la plus grande partie de leur butin. Quand le vizir de Djélal ad-Din eut appris cela, il eut peur de ce qui pouvait arriver et il en avertit son souverain qui revint immédiatement à Tiflis.
[214] Al-Malik al-Mo'aththam, souverain de Damas, dit Djémal ad-Din (ibid., folio 259 r°), avait comme on l'a vu plus haut, écrit à Mothaffar ad-Din ibn Zaïn ad-Din pour le prier de se joindre à lui et de venir faire le siège de Maûsil. Ce prince partit au mois de Djoumada premier et vint camper à al-Zâb. Le prince de Maûsil, Badr ad-Din Loulou, avait envoyé une députation au sultan al-Malik al-Ashraf pour lui demander secours et pour le prier de venir en personne à Maûsil ; al-Malik al-Ashraf se trouvait à cette époque à Rakka ; il partit de cette ville pour Harrân et de Harrân pour Damar (ou Dahar). Il saccagea la ville de Mayyafarikîn et marcha vers Damas, ou il rejoignit son frère al-Malik al-Mo'aththam; al-Malik al-Mothaffar ne remporta aucun avantage devant Maûsil, et, voyant qu'il ne pourrait jamais venir à bout de la résistance de cette ville, il leva le siège et s'en retourna à Arbèles, après avoir mis à feu et à sang plusieurs des cantons dépendant de Maûsil.
[215] Voici comment le kadi Djémal ad-Din ibn Wasil raconte, dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 235 verso), le siège de Homs par al-Malik al-Mo'aththam, ce qui lui arriva, ainsi qu'à Mothaffar ad-Din ibn Zaïn ad-Din Kokboûrî ibn 'Ali-Kutchuk, prince d'Arbèles, au Kharezmchah Djalal-ad-Din, l'alliance que ces princes conclurent, l'attaque de Maûsil par Mothaffar ad-Din, celle d'Ikhlât (Khilât) par le Kharezmchah Djélal ad-Din, celle de Homs et de Hamâh par al-Malik al-Mo'aththam :
Le prince de Homs, de Hamâh, les habitants d'Alep et le prince de Maûsil étaient les alliés d'al-Malik al-Ashraf ; al-Malik al-Mo'aththam n'avait dans son parti, en fait de princes de sa famille, qu'al-Malik al-Amdjad-Madjd ad-Din Bahram shâh ibn 'Izz ad-Din Farroukshâh, prince de Baalbek, al-Malik al-'Aziz et al-Malik as-Sâlih, fils d'al-Malik al-'Adil, sultan d'Egypte et al-Malik as-Sâlih-Imad ad-Din Ismâ’îl, prince de Bosra et de la province qui en dépendait. Al-Malik al-Mo'aththam était d'autant plus décidé à attaquer al-Malik al-Kâmil, son frère, qu'il savait que ce prince avait peur de son armée, et qu'il n'oserait pas se risquer à sortir du Caire. C'est pourquoi al-Malik al-Mo'aththam conçut le projet d'aller attaquer Homs et Hamâh. Il commença par Homs ; il envoya tout d'abord de Damas un détachement d'Arabes qui ravagèrent les environs de cette localité et qui mirent tout à feu et à sang. En même temps, arriva un émir envoyé par al-Malik al-Ashraf, qui se nommait Mâni ibn Hodaïfa, émir de la tribu de Fadil, à la tête d'un fort détachement d'Arabes qui devaient renforcer l'armée d'al-Malik al-Moudjahid-Asad ad-Din Shirkouh, prince de Homs. Al-Malik al-Mo'aththam partit de Damas avec son armée et quand il arriva devant Homs, l'émir Mâni recula avec les Arabes d'Alep jusqu'à Kinnisrin ; ils laissèrent leurs impedimenta à Mardj-Dâbik et se dirigèrent, armés à la légère, du côté de Homs, pour porter secours à la garnison de cette ville. Les Arabes de Mani' et les Arabes de Damas se livrèrent plusieurs combats ; l'atabek Schihâb ad-Din envoya également d'Alep des troupes pour renforcer l'armée du prince de Homs. L'arrivée de ces troupes coïncida avec celle d'al-Malik al-Mo'aththam. Après un vif combat, les gens d'Alep parvinrent à entrer dans Homs; à ce moment, al-Malik al-Ashraf campait à Rakka; il reçut dans cette localité la nouvelle que le sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, fils de Kaï-Khosrav, fils de Kilidj-Arslan, souverain seldjoukide du pays de Roum, marchait contre la ville d'Amid, où régnait al-Malik al-Massoud ibn al-Malik as-Sâlih-Mahmoud ibn Mohammad ibn Kara-Arslan ibn Sokmân ibn Ortok, et que ce sultan venait de s'emparer de Hisn-Mansour et d'al-Kahtin. Al-Malik al-Ashraf envoya alors un corps de secours au prince d'Alep; ces troupes rencontrèrent l'armée du sultan Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, fils de Kaï-Khosrav, fils de Kilidj-Arslan, mais elles furent battues. Le sultan al-Malik al-Ashraf rétrograda alors jusqu'à Harrân, pendant que le reste des troupes d'Alep se rendait à Kinnisrin pour renforcer l'armée d'al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs. Al-Malik al-Mo'aththam avait fait saccager les villages qui dépendaient de cette ville et brûler les moissons ; ces ravages s'étendirent jusqu'à Salamiyya qui appartenait à al-Malik al-Mothaffar, fils d'al-Malik al-Mansour, qui se trouvait à cette époque au Caire auprès de son oncle al-Malik al-Kâmil. Al-Malik al-Mo’aththam continua le siège de Homs durant quelque temps, mais sans pouvoir s'en emparer. Aussi, il finit par abandonner ces opérations et s'en retourna à Damas au mois de Ramadan de 623. Al-Malik al-Ashraf partit avec une toute petite escorte et alla rejoindre son frère al-Mo'aththam qui montra la plus vive joie de son arrivée. La ville de Damas fut pavoisée, les musiques militaires donnèrent des concerts et on éleva des arcs de triomphe ; mais les sentiments intimes d'al-Malik al-Mo'aththam étaient bien différents et il ne songeait qu'à jouer quelque mauvais tour à son frère. Pendant ce temps, le sultan al-Malik Mo'aththam échangeait des ambassades avec le sultan Djalal-ad-Dîn, fils du Khwarezm-shah, Alâ-ad-Din. Un envoyé de ce sultan arriva portant un vêtement d'honneur de grand prix, destiné à al-Malik al-Mo'aththam ; le souverain ayyoubide s'en revêtit et monta à cheval pour se montrer au peuple ; il conçut alors le projet de demander en mariage l'une des filles du sultan Djélal ad-Din ; les deux princes s'envoyèrent plusieurs ambassades à ce sujet. A la fin du mois de Ramadan, al-Malik al-Mo'aththam sortit accompagné de son frère al-Malik al-Ashraf, dans l'intention de se livrer au plaisir de la chasse ; ils furent rejoints en route par deux ambassadeurs qu'on leur envoyait d'Alep et qui étaient le kadi Zaïn ad-Din ibn al Oustad, substitut (naïb) du kadi Bahâ ad-Din ibn Shaddâd et Mothaffar ad-Din ibn Djourdik; ces envoyés venaient prier les deux princes de s'engager de nouveau par serment envers leur souverain, le sultan d'Alep, al-Malik al-’Aziz, et envers l'atabek Schihâb ad-Din Thoghril. Les ambassadeurs s'aperçurent alors qu'al-Malik al-Ashraf était dans la dépendance complète d'al-Malik al-Mo’aththam. — On trouvera dans l'Alep du sahib Kamal ad-Din ibn al-'Adîm le récit de ces événements dans une rédaction presque identique à celle de Djémal ad-Din ibn Wasil, ce qui me dispensera d'y insister plus longtemps.
[216] Ou Hoummouya.
[217] C'est au mois de Djoumada second, d'après Djamil ad-Din ibn Wasil (ms. ar. 1702, folio 215 recto) que le sultan al-Malik al-Ashraf quitta Damas pour s'en retourner dans ses états ; dès qu'il fut délivré de la contrainte morale que son frère al-Malik al-Mo'aththam avait fait peser sur lui, il revint sur tous les engagements qu'il avait pris envers ce prince. Al-Malik al-Mo'aththam envoya les Arabes contre Homs et Hamâh qu'ils mirent au pillage. Cette même année, al-Malik an-Nasir-Daoud, fils d'al-Malik al-Mo'aththam quitta Arbèles pour retourner auprès de son père; il était accompagné du cheikh Chams ad-Din 'Abd-al-Hamid-al-Khosravshâh qui avait été le disciple de l’imam le plus savant de son époque, le célèbre Fakhr ad-Din ibn al-Khatib-al-Râzî. Al-Malik an-Nasir-Daoud étudia sous sa direction.
[218] Le nom manque dans le manuscrit, ou plutôt il a été omis par le copiste; il faut restituer le nom de la ville de Homs.
[219] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. arabe 302, page 345 et 346) raconte que cette année arriva au Caire un ambassadeur envoyé par le Kharezmchah, mais que l'on ne put savoir de quelle mission il était chargé : « L'ambassadeur du khalife, commandeur des Croyants, Abou Nasr-ath-Tahir-bi-amr-Allah, qui avait succédé à son père al-Nasir, arriva également cette année pour notifier cet événement au sultan, il apportait un magnifique vêtement d'honneur noir avec des broderies d'or, une selle également dorée pour le cheval de parade du sultan ; le sultan et ses fils revêtirent ces habits et se coiffèrent des turbans; les généraux et les grands émirs revêtirent aussi des habits (envoyés par le khalife), mais moins beaux. Ensuite arrivèrent un ambassadeur du sultan du pays de Roum, prince de Koniyya et d'Aksérai, un ambassadeur du roi des Kurdes; on reçut également plusieurs envoyés venant de tous les côtés qui effrayèrent les gens en racontant que le Kharezmchah avait battu l'armée des Kurdes et qu'il s'était emparé de Tiflis.
[220] Djémal ad-Din (ms. arabe 1702, folio 245 v°) dit que le sultan d'Egypte offrit à l'empereur, qu'il appelle Verderik, la ville de Jérusalem avec d'autres places du Sahel; aussitôt al-Mo'aththam écrivit à al-Ashraf, lui prodigua toutes sortes de belles paroles et lui proposa une alliance, mais al-Ashraf lui répondit par une lettre de sottises. — Il ajoute [ibid., folio 246) « Le sultan Djalal-ad-Din, fils du Kharezmchah, avait épousé la fille du sultan Thoghril; cette personne avait déjà été mariée à Mothaffar-ad Dm-Uzbek, fils d'Il-pehlevân, et elle prenait une si grande part aux affaires de l'état que son mari n'avait aucune autorité. Elle envoya le gouverneur (vâli) de Djouï à l'émir Hosâm ad-Din 'Ali, lieutenant d'al Malik al-Ashraf à Ikhlât, pour lui offrir de le rendre maître de tout le pays. L'émir se mit en route avec l'armée d'Ikhlât et s'empara des villes de Djouï et de Salmâs; la population de Nakhtchévan lui écrivit également pour lui offrir de se soumettre à lui ; il n'eut que la peine de se rendre dans cette ville pour s'en rendre maître. Après cela, il s'en retourna à Ikhlât, mais le sultan Djélal ad-Din ne tarda pas à reconquérir ces villes. Quant à la fille de Thoghril, elle se fixa à Ikhlât, où elle vécut entourée de la considération générale.
[221] A cette époque, dit Djémal ad-Din ibn Wasil, dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 244 recto), le prince d'Amid était al-Malik al-Massoud ibn al-Malik as-Sâlih l'Ortokide. Ce prince était l'allié d'al-Malik al-Mo’aththam, souverain de Damas, de Mothaffar ad-Din ibn Zain-ad-Din, prince d'Arbèles et du Kharezmchah, Djalal ad-Din ibn 'Alâ-ad-Dîn. Le sultan seldjoukide 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd ibn Kilidj-Arslan avait peur de Djélal-ad-Dîn, et il fit alliance avec le sultan al-Malik al-Ashraf. Ce prince le pria d'aller attaquer Amid. Kaï-Kobâd marcha sur Malatiyya et envoya de là une armée vers Amid; ses troupes s'emparèrent d'Hisn-Mansour et d'autres places. Quand le prince d'Amid sut ce qui arrivait, il écrivit à al-Malik al-Ashraf pour lui proposer de faire alliance avec lui ; al-Ashraf y consentit et il pria Kaï-Kobâd de rendre au prince d'Amid ce qu'il lui avait pris, en lui faisant connaître qu'il avait contracté une alliance avec ce prince : « Je ne suis pas le vassal d'al-Malik al-Ashraf, répondit Kaï-Kobâd, qui ordonne un jour ce qu'il défend le lendemain ». Le sultan al-Malik al-Ashraf envoya alors une armée au secours du prince d'Amid, pendant que ce dernier, de son côté, mobilisait ses troupes. Les deux armées marchèrent contre celle du sultan du pays de Roum, qui assiégeait al-Kahtin, dépendance des états du prince d'Amid; il y eut une bataille, au cours de laquelle le prince d'Amid et ses alliés furent complètement battus, et laissèrent aux mains des troupes du pays de Roum un nombre de prisonniers très considérable. Le sultan Alâ ad-Din Kaï-Kobâd s'empara également d'al-Kahtin.
[222] Ce nom est incomplet de la fin, il manque un second élément qui a été oublié par le copiste, soit boghâ soit tâsh.
[223] Comme l'indique leur nom d''adilis, ces officiers avaient, anciennement, été attachés à la personne du sultan al-Malik al-'Adil.
[224] Comme on l'a vu plus haut, ce personnage était mort tout récemment et ses deux fils avaient été emprisonnés par les ordres du sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil.
[225] Le kadi de Hamâh-Djémal ad-Din ibn Wasil dit, dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 246 r°), que ce prince mourut de dysenterie (dousitâr) ; c'était d'ailleurs presque toujours de cette façon que mouraient les souverains à cette époque quand ils n'étaient pas assassinés. Il était, âgé de 47 années musulmanes et il avait régné à Damas neuf ans et quelques mois. Son royaume comprenait la province qui s'étend entre Homs et al-'Arish, nommée 'Arish Misr par Djémal ad-Din. Son armée se composait d'environ 4.000 cavaliers, et aucun de ses frères ne pouvait mettre une pareille force en campagne. Il n'y avait parmi les princes ayyoubides que le sultan d'Egypte, al-Malik-al-Kâmil, qui disposât d'armées plus nombreuses; ce souverain pouvait en effet mettre en ligne 12.000 cavaliers. Al-Malik al-Mo'aththam était un homme très simple, qui ne se montrait pas volontiers entouré de la pompe de la souveraineté. « Je l'ai vu, dit l'auteur du Mofarradj (ibid., folio 246 verso), à Jérusalem en l'année 623; les hommes, les femmes et les enfants se pressaient autour de lui dans la Mosquée al-Aksit implorant sa charité, et il n'en repoussait aucun. Sa conduite était passée en proverbe, et quand un homme agissait sans aucune cérémonie, on disait de lui qu'il était un Mo'aththami. Il étudia les belles lettres avec le cheikh Tadj ad-Din Abou’l Yaman-Zaid ibn al Hasan-al-Kindî, et la jurisprudence sous la direction du cheikh Djémal ad-Din al-Khidrî. C'était avec ces deux savants qu'il passait la plus grande partie de son temps. Il lut avec Tadj ad-Din la grammaire de Sibawaiyyih ; j'ai même vu un exemplaire de ce livre qui portait des annotations de la main d'al-Malik al-Mo'aththam, en six endroits, autant que je puis me le rappeler. Dans l'un d'eux on lisait ceci : J'ai terminé à plusieurs reprises la lecture de ce livre, alors que je demeurais dans la ville d'Arsouf; et dans un autre : J'ai terminé à plusieurs reprises la lecture de ce livre alors que j'étais à Nabolos. Tous les princes de la dynastie ayyoubide suivaient le rite des Chaféites, et il était le seul qui fût de la secte de l'imam Abou-Hanifah; j'ai entendu dire que le sultan al-Malik al-'Adil lui avait fait des remontrances à ce sujet. Il était tellement attaché à cette secte qu'il destitua le prédicateur (khâtib) de la Mosquée al-Aksa, parce qu'il était shaféite, et qu'il le remplaça par un hanéfite nommé Schihâb ad-Din. » — « Quand al-Malik al-Mo'aththam vint à Jérusalem en l'année 623, dit encore Djémal ad-Din (ibid., folio 247 v°), il s'assit en dehors du Dôme de la Roche (koubbat-al-sakhra); il fit venir plusieurs jurisconsultes, parmi lesquels se trouvait mon père, et il lui posa des questions sur le droit et la grammaire ; il avait auprès de lui, quand il voyageait, des, savants qui ne le quittaient jamais. » L'un deux était Fakhr-al-Koudât-Nasr-Allah ibn Barakat-al-Misri, homme très versé dans la littérature, la poésie et l'art épistolaire ; un autre était Sharaf ad-Din Abou 'l-Mahâsin ibn Onaïn-al-Dimishkî, qui était secrétaire à la chancellerie. L'un des familiers d'al-Malik al-Mo'aththam était également (ibid., folio 248 recto) Djémal ad-Din ibn Shaït, secrétaire à la chancellerie (Kâtib-al-insha). — Al-Malik al-Mo'aththam avait eu quatre fils, dont l'un mourut en bas âge; les trois autres étaient: le sultan al-Malik al-Nasir Abou’l Mothaffar-Daoud, qui porta d'abord le surnom d'al-Malik al-Hakim; il naquit en l'année 603; à la mort de son père, il était par conséquent âgé de 21 ans. Sa mère était une turque ; elle mourut après lui en l'année 672, à plus de 90 ans ; le second était al-Malik al-Moughith-Schihâb ad-Din 'Abd al-'Aziz, dont la mère était également une turque ; il mourut en 649, laissant un certain nombre d'enfants. Le troisième était al-Malik al-Kahir-Bahâ ad-Din 'Abd-al-Malik, dont la mère était une femme du pays de Roum : à l'époque où écrivait le kadi de Hamâh, Djémal-ad-Din, ce prince était au service du sultan mamlouk bahrite al-Malik ath-Tahir-Rokn ad-Din Baybars-al-Bondokdâri. Al-Malik al-Mo’aththam laissa également un certain nombre de filles, dont l'une épousa le sultan Djélal ad-Din, fils du Kharezmchah 'Alâ ad-Din ; mais cette personne resta dans sa famille. Elle mourut peu de temps après son père et elle fut enterrée sur le mont Kâsioun, dans le collège al-Hanaflyyah qu'elle avait bâti.
[226] On trouve cet ouvrage cité, mais sans plus de détails que n'en donne Makrizi par Hadji-Khalifa, dans son Dictionnaire bibliographique (tome III, page 632, notice 7698). L'Histoire de Bagdad (Tarikh Bagdad), d'Abou-Bakr-Ahmad ibn 'Ali ibn Thâbit al-Khalib al-Baghdadi, mort en l'année 463 de l'hégire, soit en 1071 de J.-C, se trouve en fragments à la Bibliothèque Nationale Dans son Dictionnaire bibliographique (tome II, page 119, notice 2179), Hadji-Khalifa donne quelques renseignements intéressants sur ce dernier ouvrage et sur son auteur. Il nous apprend en particulier que l'auteur fut le premier qui songea à écrire une histoire de Bagdad; elle comprenait quatorze volumes, et il légua son manuscrit autographe au célèbre collège al-Mostansarriyya, à Bagdad. Cette chronique fut continuée par l’itnâm Abou Sa'd 'Abd-al-Karim ibn Mohammad al-Sam'ani, qui était connu par sa science des généalogies et qui mourut au cours de la cinq cent soixante-deuxième année de l'hégire; cette continuation ne se composait pas de moins de 15 volumes; ce nouvel ouvrage fut à son tour continué par un nommé 'Imad ad-Din Abou 'Abd-Allah-Mohammad ibn Mohammad ibn Hamid, qui fut vizir et qui mourut en 597 de l'hégire; ce continuateur donna à son travail, qui comprenait trois volumes, le titre de al-Sail-'alâ-al-Zail. Un nommé Abou 'Abd-Allah-Mohammad ibn Sa’id, connu sous le nom de Ibn al-Dobaithi al-Wâsitî († 637), continua à son tour l'œuvre de Sam'ani. Ibn al-Kati'i ajouta un nouveau supplément à celui d'al-Dobaithi ; le hâfith Chams ad-Din Mohammad ibn Ahmad-ad-Dahabî († 748), abrégea le supplément d'al-Dobaithi et le réduisit de moitié. Le Tarikh Bagdad fut continué directement par le hâfith Mohibb ad-Din Mohammad ibn Mahmoud-al-Bagdadi, surnommé Ibn al-Nadjdjâr († 643); cette continuation comprenait, paraît-il, trente volumes, et Hadji-Khalifa en vit un, le dix-septième, qui contenait les biographies des personnages dont le nom commençait par un 'Aïn. Ce travail fut continué successivement par Takî ad-Din Mohammad ibn Rafi' († en 774), et par Abou Bakr-al-Maristani. Le Tarikh-Bagdad avait été abrégé par Abou’l Yaman-Massoud ibn Mohammad-al-Bokhari († 461).
[227] Djémal ad-Din dit, dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 250 r°), qu'al-Malik al-Nasir-Daoud garda comme ostaddar l'émir 'Izz ad-Din Aïbec al-Mo'aththamï, qui possédait Sarkhad en fief ; son oncle, al-Malik al-'Aziz Othman, prince de Baniâs, resta auprès de lui; de même firent al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ’îl, qui possédait Bosra et le Savad, et al-Malik al-Moughith Schihâb ad-Din Mahmoud ibn al-Malik al-Moughith ibn al-Malik al-'Adil.
[228] Cette année, dit l'auteur de Y Histoire des Patriarches d'Alexandrie (année 912 des Martyrs), la crue du Nil fut insuffisante, de telle sorte que les denrées furent chères ; un ardeb de blé se vendit jusqu'à vingt dirhems, un ardeb d'orge treize dirhems, de fèves, dix dirhems, et le tout à l'avenant.
« Le sultan ayant conçu de vives craintes de la conduite des émirs, en fit arrêter un certain nombre; il fit arrêter les enfants du sahib Ibn Shokr-al-Hakim ainsi que ses domestiques; il les fit torturer et les força à lui donner de l'argent. Ce fut un temps désastreux, parce que le sultan al-Malik al-Kâmil exigeait que les gens lui payassent l'arriéré des impôts, que l'on fit rentrer dans les caisses du trésor les taxes en retard et que l'on dressât de nouveaux rôles. Il demeurait alors dans la citadelle de la Montagne au Caire, ayant avec lui son fils, le souverain du Yémen ; toutes les troupes vinrent camper durant quelques jours en dehors du Caire après être sorties de leurs casernes dans les derniers jours de l'année précédente ; elles se mirent en grande tenue et chaque émir passa son corps en revue. Le sultan donna l'ordre que pas un homme ne se rendit dans le Rif et que tout le monde restât au Caire, que ce fût un officier ou un simple soldat. » — L'auteur de l’Histoire des patriarches d'Alexandrie rapporte sous la rubrique de l'année 942 des Martyrs (ms. ar. 302) qu'il y eut à cette date en Egypte une crise monétaire extrêmement grave et que le change de l'or monta à un taux extraordinaire ; il fallait donner 44,5 dirhems pour un dinar d'or. Pour remédier à cette fâcheuse situation, le sultan fit ouvrir un atelier de frappe dans la Citadelle et un autre à Misr; il y en avait déjà un au Caire. On frappa dans l'atelier du château de la Montagne des dirhems ronds; pendant ce temps, les pièces d'or vinrent à manquer complètement et on ne put en trouver qu'avec un change extraordinaire; il fallut donner 60 dirhems pour un dinar, ou tout au moins 47. Quand la frappe des nouveaux dirhems fut achevée et qu'ils eurent été mis en circulation, le change baissa d'une façon sensible ; le sultan le fixa à 37 des nouveaux dirhems pour un dinar et 42 des anciens dirhems pour un dinar. La population souffrit extrêmement de cette pénurie d'or, mais cela n'empêcha pas le sultan d'y amasser une somme respectable; peut-être même n'avait-il pas été étranger à cette manœuvre de bourse. Peu de temps après, le sultan prohiba sous peine de mort la circulation des anciens dirhems, tous ceux qui en possédaient durent les porter au change et ils reçurent un dinar contre 45 de ces pièces ; il leur fallut ensuite échanger leurs dinars contre les dirhems nouvellement frappés, au change de 35 dirhems pour un dinar, de telle sorte qu'ils perdaient considérablement. En réalité, toutes ces mesures n'avaient qu'un but, faire rentrer l'or dans les caisses du sultan et elles portèrent un grave préjudice au commerce de l'Egypte. Il paraît que l'on frappait chaque jour 100.000 dirhems dans les ateliers établis par le sultan et que cela représentait une somme de 500 dinars. Le sultan fit également frapper des monnaies de cuivre; cette émission fut mieux vue que celle des nouveaux dirhems d'argent, car elle n'avait pas fait entièrement disparaître l'ancienne monnaie qui était tombée à la moitié et même au quart de sa valeur.
[229] En fait, le sultan d'Egypte qui ne cherchait qu'une occasion de s'emparer de Damas, dut être enchanté de ce qu'il considérait comme un motif suffisant d'intervention.
[230] Ou plutôt la Bohaïra.
[231] C'est une erreur. Gengis Khan fut inhumé dans le désert. Ce fut Ogodaï Khan qui lui succéda sur le trône de Chine. Les renseignements donnés par Makrizi sont ici fort inexacts.
[232] L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. arabe 302, page 352) raconte que l'empereur arriva d'Occident à Chypre ; il se rendit de Chypre à Akkâ, et ses ambassadeurs vinrent trouver le sultan (al-Malik al-Kâmil); c'étaient deux chevaliers dont l'un était prince de Saida et l'autre le comte Thomas (Tamas), gouverneur d’Akkâ au nom du roi des Francs; ils apportaient des présents splendides. Le sultan les reçut avec de grands honneurs; toute l'armée prit les armes le jour de leur arrivée. Le sultan leur envoya à plusieurs reprises des plénipotentiaires et ils en firent de même. Cet empereur était un savant homme, très généreux, très abordable et de bonnes mœurs. Le sultan lui envoya des cadeaux comprenant des juments, des mules, des chameaux, des étoiles et les autres choses que les rois ont coutume de s'offrir. Après cela, le sultan partit d'au-dessus de Nabolos et retourna à Madjal-Yabâ ou il campa; de là il se transporta à un endroit proche d’Ascalon, ou il fut rejoint par son frère al-Malik al-Ashraf, sultan des Provinces Orientales, le jour de la fête des Sacrifices de l'année 625 de l'hégire. Pendant ce temps, l'empereur ne cessa d'envoyer des plénipotentiaires et le sultan (qu'Allah le favorise de son aide) en fit autant. Il fit venir de Misr un éléphant qu'al-Malik al-Massoud, souverain du Yémen et du Hedjaz, avait amené avec plusieurs autres ; c'était le seul qui restait, et tous les autres étaient morts; il l'envoya à l'empereur. L'empereur quitta 'Akkâ et vint camper à Jaffa; il rebâtit cette ville, après en avoir fait autant à Kaïsariyya. Cette année, le Nil monta à 17 coudées et 20 doigts. Les denrées furent à très bas prix en Egypte, mais elles furent au contraire très chères en Syrie, de telle sorte que l'armée en souffrit beaucoup; elles furent à un si haut prix que les soldats vendirent leurs chevaux et leurs équipements pour pouvoir s'en procurer. Le sultan partit et vint camper à Tell al-'Adjoul, ayant avec lui al-Malik al-Ashraf; al-Malik al-Nasir, fils d'al-Malik al-Mo'aththam, prince de Damas, partit pour aller prendre possession de ses états qui s'étendaient depuis le Ghour jusqu'à Ghaza, de telle sorte que le sultan ne possédait plus en Syrie que Ghaza et Daroûm; al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs, vint trouver le sultan dans cet endroit et y resta quelque temps. L'empereur, qui était à Jaffa, et le sultan ne cessaient de s'envoyer mutuellement des parlementaires. Sur ces entrefaites, al-Malik al-Ashraf et le prince de Homs partirent, tandis qu'un grand nombre de soldats de l'armée de Damas vinrent prendre du service dans l'armée du sultan qui les reçut le mieux qu'il put et leur fit beaucoup de cadeaux. Parmi les derniers qui vinrent le trouver était 'Izz ad-Din Aïtimour, un des meilleurs émirs, qui occupait la charge d'ostadar. Le sultan lui fit de tels présents qu'il est impossible de les décrire... — On reçut la nouvelle de la mort d'al-Malik al-Massoud, prince du Yémen et du Hedjaz; il mourut à la Mecque ; il s'était mis en route pour venir du Yémen en Egypte.
[233] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. arabe 302, p. 318) nous apprend qu'après une assez longue stagnation, l'eau du Nil se décida à monter ; on ouvrit l'écluse du canal d'Abou’l Manadja le mardi, quatrième jour du mois de Tôt; le mercredi, cinq de ce même mois, le Nilomètre indiquant que la crue était suffisante, on ouvrit l'écluse du premier canal (al-khalidj-al-hadî), le jeudi six. — Al-Malik al-Mo'aththam, souverain de Syrie, fit alliance avec al-Malik al-Ashraf, souverain des Provinces Orientales, frère du sultan al-Malik-al-Kâmil (qu'Allah le favorise de son aide), et les dissentiments qui les séparaient cessèrent alors ; notre seigneur, le sultan al-Malik al-Kâmil, revint avec son armée d’Abbasa au Caire. Cette même année, on apprit que le khalifat avait passé à l'imam al-Mostansir Abou Dja'fur al-Mansour; on fit la prière à son nom et on frappa la monnaie à son chiffre; il était le fils de l'imam at-Tahir Abou Nasr-Mohammad qui venait de mourir. — A cette époque, al-Malik al-Massoud, sultan du Yémen, se prépara à retourner dans son royaume; il envoya la plus grande partie de ses bagages par mer, et il avait primitivement l'intention de partir par le même chemin; il changea ensuite d'avis, donna l'ordre à sa smala d'aller camper à l'Etang et résolut de s'en retourner chez lui par terre. Le sultan prit l'habitude d'aller souvent aux minarets de l'Etang (manâthir-al-birkat), que l'on connaît mieux sous le nom de minarets de Saïf-al-Islâm ; il ordonna aux gens qui habitaient dans cette localité de l'illuminer pendant les nuits qu'il y passait, et de lancer des barques et des canots sur l'étang.
[234] Yakout nous apprend, dans le Mo’djam-al-bouldân (tome IV, page 126), que c'est une localité dans le Ghaûr, qui dépendait administrativement de la province du Jourdain et qu'on y cultivait la canne à sucre
[235] Depuis le commencement de l'année hoûkâr, dit Rashid ad-Din (Djami-at-tavarikh, ms. supp, persan 209, folio 179 v° et sq.), date correspondante au mois de Rabi premier de l'année 626, jusqu'à la fin de l'année du cheval (moûrin), date correspondante au mois de Djoumada premier de l'année 631 de l'hégire, l'Irak et l'Azerbaïdjan furent gouvernés par le sultan Djélal ad-Din ; au commencement de l'année 625, ce prince partit d'Ispahan et se rendit à Tabriz (Tauris) dans l'intention d'aller faire la guerre aux Kurdes. Comme le sultan du pays de Roum, les rois de Syrie, d'Arménie et des autres contrées avoisinantes craignaient qu'il ne s'emparât de leurs états ; ils s'unirent tous ensemble pour le repousser; ils réunirent leurs troupes aux Kurdes, aux Arméniens, aux Alans, aux Soûns, aux Lezguiens, aux Abkhazes, aux Kiptchaks, aux Soûns. Le sultan vint camper à Mendour dans le voisinage de leur armée, et le grand nombre des cavaliers de l'ennemi l'inquiéta vivement; il tint conseil de guerre à ce sujet avec son vizir Youldoûzdji et avec les grands personnages de son gouvernement; Youldoûzdji lui dit : « Comme le nombre de nos soldats n'est pas de un contre cent des leurs, je suis d'avis de sortir de Mendour, de leur enlever l'eau et le bois; nous attendrons qu'ils soient épuisés par la faim et la soif, et que leurs chevaux ne soient plus bons à rien, alors nous leur livrerons combat comme il nous plaira. » Ce discours mit le sultan dans une violente colère et il jeta une écritoire à la tête du vizir en lui disant : « Ces gens-là sont un troupeau de moutons, est-ce qu'un lion s'effraierait à cause d'une multitude de moutons? » Djélal ad-Din ajouta : « Si dangereuse que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons, il faut nous en remettre à la volonté de Dieu et leur livrer combat ». Le lendemain les troupes se rangèrent en bataille et le sultan au milieu de ses soldats sembla à l'armée ennemie une montagne qui s'élèverait au centre d'un hippodrome. Djélal ad-Din monta sur une éminence pour examiner cette armée, et il aperçut les étendards des troupes du Kiptchak, dont l'effectif atteignait 20.000 hommes; il envoya Koushkiz auprès d'eux avec une miche de pain et un peu de sel pour leur rappeler les liens qui jadis les avaient unis à lui ; immédiatement les Kiptchaks tournèrent bride et quittèrent le champ de bataille. La division Kurde s'étant avancée, le sultan leur envoya un officier pour leur dire : « Voilà que vous êtes venus et vous êtes fatigués! qu'aujourd'hui en guise de combat les jeunes gens des deux armées luttent ensemble ; pour nous, nous les regarderons faire ». Les Kurdes approuvèrent ces paroles et ce jour là jusqu'à la nuit tombante, les jeunes gens combattirent ensemble; à la fin un des plus vaillants soldats des Géorgiens se présenta devant le sultan et fondit sur lui.
Cet homme avait trois fils; ils se présentèrent tous les trois pour combattre le sultan qui les tua tous. Un autre cavalier d'une taille prodigieuse et d'un aspect terrifiant entra dans la lice; comme le cheval du sultan était fatigué, il faillit remporter la victoire. En un clin d'œil, Djélal ad-Din sauta à bas de sa monture jeta son ennemi à terre d'un seul coup de lance, et le tua. Quand le sultan vit comment les choses avaient tourné, il chargea les ennemis avec toutes ses troupes et les mit dans une déroute complète. Le sultan marcha sur Khilât, la population ferma les portes de la ville et refusa d'écouter ses propositions; il resta deux mois occupé à faire le siège de la place. Les habitants réduits à la famine se rendirent à discrétion; le sultan ordonna de réunir toutes ses troupes en un seul corps, et elles entrèrent ainsi dans la ville. Quant à lui, il descendit dans le palais de Malik Ashraf. Le frère de ce prince, Modjîr ad-Din et son mamlouk Izz ad-Din Aïbec se réfugièrent dans la citadelle sans avoir de provisions ; un peu plus tard, Modjîr ad-Din en descendit, et le sultan le reçut avec distinction. Izz ad-Din Aïbec descendit un peu après lui. Djalal ad-Din fit verser la fortune de Malik Ashraf dans son propre trésor. Quand le sultan eut défait les Kurdes et qu'il se fut emparé de Khilât, le bruit de ses exploits et de sa vaillance se répandit en tous lieux. Les rois d'Egypte et de Syrie, pour obéir à l'ordre des khalifes de Madinat-as-Salam (Bagdad), envoyèrent des ambassadeurs avec des présents et des cadeaux. La puissance de Djélal ad-Din s'accrut encore; et, de Khilât, il marcha sur Khartapirt; mais à cette époque il avait l'esprit atteint. Sur ces entrefaites, le prince d'Arzan-ar-Roum (Rokn ad-Din Djihânshâh), qui avait aidé l'armée de Djélal-ad-Dîn, à l'époque du siège de Khilât, en lui fournissant des vivres et du fourrage, reçut de grandes distinctions ; il exposa au sultan que l'empereur du pays de Roum, Alâ-ad-Din, avait fait alliance contre lui avec les princes d'Alep et de Damas, et qu'ils ne cessaient de mettre leurs armées en état de l'attaquer. Ce prince ajouta que les confédérés le menaçaient continuellement en lui disant que s'il n'avait pas fourni des vivres au sultan pendant qu'il se trouvait devant Khilât, il n'aurait pu en continuer le siège. Quand Djalal ad-Din eut entendu ces paroles, il monta immédiatement à cheval, quoiqu'il fût très faible. Lorsqu'il arriva dans la plaine de Moush, un corps de six mille hommes, qui allait rejoindre les confédérés, se trouva sur son passage ; il fondit sur eux [avec ses troupes] et les massacra tous. Quelques jours après, les deux armées [kharezmienne et syrienne] se trouvèrent en présence, et le sultan du pays de Roum, Malik Ashraf, et les autres rois se trouvèrent réunis avec un matériel de guerre considérable ; ils formèrent leur ligne de bataille sur le haut d'une colline ; les artificiers (naffatan) et les arbalétriers se tenaient en avant, protégés par des boucliers en cuir de bœuf ; les cavaliers et les fantassins étaient rangés derrière eux. Quand le moment du combat fut arrivé, le sultan voulut sortir de la litière dans laquelle il se faisait transporter et il monta à cheval; mais il était tellement malade qu'il ne pouvait même pas tenir ses rênes, de telle sorte que son cheval fit un faux pas. Son entourage lui dit qu'il fallait qu'il se reposât un instant et cela fit que l'étendard particulier du sultan disparut du champ de bataille. Les troupes de l'aile droite et de l'aile gauche s'imaginèrent que le sultan avait pris la fuite, et elles se débandèrent ; quant aux ennemis, ils crurent que c'était là une ruse de Djélal ad-Din et qu'il voulait ainsi les faire tomber dans un piège ; les crieurs proclamèrent dans les rangs de leurs troupes qu'aucun soldat ne bougeât de son poste. Le sultan du pays de Roum, 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, était saisi d'une telle frayeur qu'il ne pouvait tenir en place et qu'il allait s'enfuir. Malik Ashraf ordonna qu'on lui liât les mains et les pieds avec des lanières de cuir. Quand son armée se fut ainsi dispersée de tous côtés, le Kharezmchah se réfugia à grand peine dans Khilât, il rappela les personnes qu'il avait désignées pour la garder et partit pour Khoûï ; il renvoya le frère de Malik Ashraf, Modjîr ad-Din, après l'avoir traité avec la plus grande distinction, et il permit à Takî ad-Din de partir sur l'intercession du khalife; quant à Hosâm ad-Din Kalméri, il prit la fuite ; le Kharezmchah n'en laissa pas moins partir l'épouse de ce dernier personnage, qui était la fille de Malik Ashraf, après l'avoir traitée avec tous les égards dus à son sexe. 'Izz-ad-Din· Aïbec resta enfermé et enchaîné dans la citadelle de Dezzamâr.
Sur ces entrefaites, on reçut la nouvelle que Djourmâghoun Noyân avait traversé l'Oxus (Amoûyah) à la tête d'une armée considérable et qu'il marchait contre le sultan. Ce prince laissa le vizir Chams ad-Din Youldoûzdji pour garder la forteresse de Gïrân et lui confia ses femmes ; quant à lui, il se rendit à Tabriz. Bien qu'il fût en guerre avec le khalife, les rois et les sultans des pays de Roum et de Syrie, il envoya à chacun d'eux un ambassadeur pour les avertir de l'arrivée des Mongols ; on lisait dans la lettre qu'il leur fit remettre à cette occasion : « Les Tatars sont en nombre immense, et cette fois ils sont bien plus nombreux qu'ils ne l'ont jamais été ; les armées du pays où je suis ont pris la fuite devant eux ; si vous voulez me fournir des secours et des renforts, moi qui suis comme un rempart entre vous et eux; je me dresserai et vous n'aurez point la peine de combattre contre ces envahisseurs ; donnez pour votre salut, celui de vos enfants et de tous les musulmans ; envoyez tous des renforts à mon armée de telle sorte que, lorsque les Mongols apprendront que nous sommes alliés, la peur entre dans leur âme et que le courage de nos soldats soit raffermi ; si vous ne voulez pas agir ainsi, vous verrez bien ce qui vous arrivera 1 »
Pendant la nuit, la corniche du palais dans lequel il était descendu s'effondra; le sultan n'en tira aucun présage, et le lendemain il se mit en marche vers Moughân. Au bout de cinq jours, les têtes de colonnes mongoles s'étant présentées, le sultan abandonna ses bagages et se retira dans les montagnes de Kabân. Comme les Mongols ne rencontrèrent personne dans l'endroit où se trouvaient ses bagages, ils tournèrent bride. Le Kharezmchah resta durant tout l'hiver de l'année 628 en Arménie ; on dit au vizir Sharaf-al-Malik que le temps depuis lequel le sultan était disparu et le manque de nouvelles autorisaient à choisir dans son harem et dans son trésor. Quand le sultan fut revenu à Gîrân, le vizir saisi de la plus vive crainte, descendit de la forteresse et demanda au sultan de lui faire grâce de la vie ; il lui envoya Koutarkhân pour l'implorer et pour lui demander de le laisser en liberté. Le Kharezmchah répondit qu'il avait élevé Youldoûzdji aux plus hautes dignités et que cet homme avait une singulière manière de le récompenser de ses bienfaits. Il le fit garder en prison par le commandant (koutouval) de la forteresse et s'empara de tous ses bagages; le vizir mourut dans cette détention.
Le sultan marcha ensuite vers le Diyâr-Bekr ; quand l'armée mongole revint auprès de Djoûrmaghoun, ce général demanda aux officiers pourquoi ils avaient rétrogradé et pour quelle raison ils n'avaient pas fait tout ce qui était en leur pouvoir pour s'emparer du sultan. Il leur cita le proverbe qui dit : « Quand un ennemi est affaibli, comment un homme raisonnable lui laisse-rait-il du répit? ». Il envoya plusieurs émirs avec une armée considérable pour poursuivre le sultan ; ce dernier avait fait partir Koutar-khân par la route de Barak pour qu'il reconnût l'importance de l'armée mongole. Quand il arriva à Tabriz, on lui apprit qu'on avait reçu de l'Irak la nouvelle que l'armée mongole s'était divisée et qu'on n'avait pas vu un seul Tatar dans le pays. Koutar-khân, n'ayant pas pris de plus amples informations, s'en revint, et le sultan montra une grande joie de la retraite des Mongols. Le Kharezmchah et ses soldats se livrèrent au plaisir de la table et fêtèrent cette bonne nouvelle par des festins et de la musique; ils passèrent ainsi deux ou trois jours dans les réjouissances. Au milieu d'une nuit, l'armée mongole tomba sur eux à l'improviste. Le sultan était tellement ivre qu'il était profondément endormi. Oûr-Khan ayant appris l'arrivée des Mongols, se précipita sur les coussins où Djélal ad-Din était étendu, mais il eut beau crier à tue-tête, le sultan ne put se réveiller; on lui jeta de l'eau au visage de telle façon qu'il reprit ses esprits. Quand il eut considéré la situation, il se décida à fuir; il ordonna à Oûr-Khân de ne pas changer son étendard de place et de résister aux Mongols le plus longtemps qu'il le pourrait; puis il s'enfuit. Oûr-Khân tint ferme durant un certain temps, puis il prit la fuite à son tour; les Mongols s'imaginèrent qu'il était le sultan et se mirent à sa poursuite; mais quand ils virent qu'ils s'étaient trompés, ils tournèrent bride, massacrant en route tous ceux qu'ils rencontraient. Le sultan s'enfuit tout seul, aussi vite qu'il le put. On donne plusieurs versions de la manière dont il termina sa vie; quelques-uns disent qu'il s'endormit durant la nuit sous un arbre dans les montagnes et qu'une troupe de Kurdes l'y ayant trouvé le tua pour s'emparer de son cheval et de ses vêtements ; ils se revêtirent de ses habits et de ses armes et se rendirent ainsi accoutrés à la ville. Un des familiers de Djélal ad-Din reconnut les armes de son maître; on arrêta les Kurdes, et après une enquête, le prince d'Amid les fit mettre à mort. Il fit transporter le corps du sultan dans cette ville et on l'y enterra; puis il fit élever une coupole sur son tombeau. D'autres personnes racontent que le sultan donna lui-même, de bonne volonté, ses armes et ses vêtements aux Kurdes, et qu'il prit les leurs on échange, puis, qu'il parcourut les pays sous l'habit d'un sofi. Dans les deux cas, il perdit toujours la couronne.
Quant au sultan Ghyas-ad-Dîn, en l'année 624, son frère lui avait confié le commandement de l'aile gauche de son armée, quand ils livrèrent bataille aux Mongols à la porte d'Ispahan ; il déserta de parti délibéré et se dirigea vers le Khouzistan en prenant la route du Lounstân. Le khalife al-Nasir lui envoya un diplôme et un acte officiel par lequel il le reconnaissait comme sultan. Il partit de cette contrée, et quand le sultan Djalal ad-Din se fut retiré en Arménie et dans le pays des Kurdes (sic) il se rendit à Alamout; le prince Ismaïlien 'Alâ ad-Din le reçut avec les plus grands honneurs et lui témoigna toutes sortes de prévenances. Après quelque temps, il s'en retourna dans le Khouzistan et envoya un ambassadeur, dans le Kirmân, à Borak-Hâdjib, pour l'informer de ce qui venait de se passer; un traité d'alliance fut conclu entre eux, et on décida que Borak se rendrait au devant du sultan jusqu'à la plaine d'Eberkouh. Le sultan se mit en marche vers le Kirmân avec sa mère, et Borak vint au devant de lui à l'endroit qui avait été désigné, avec 4.000 cavaliers.
Pendant ce même laps de temps, le gouverneur mongol du Khorasan était Djin-Timour de la tribu de Kara-Khitaï.
[236] Makrizi a copié ce renseignement dans le Mofarradj-al-kouroûb, de Dja-mal ad-Din ibn Wasil. Cet auteur raconte (ma. ar. 1702, fol. 120 v°) que cette histoire lui fut racontée par le kadi Chams ad-Din lui-même, qui accompagnait l'empereur dans sa visite des lieux saints.
[237] C'est-à-dire les « vassaux ».
[238] Djémal ad-Din ibn Wasil (ms. ar. 1702, folio 121 r°) dit que l'empereur Frédéric resta en relations constantes avec le sultan al-Malik al-Kâmil jusqu'à sa mort. Quand le dis du sultan, al-Malik al-'Adil Saïf ad-Din Abou-Bakr, fut monté sur le trône, l'empereur lui témoigna beaucoup d'affection et lui envoya une ambassade. Quand al-Malik al-'Adil eut été emprisonné et que son frère al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub se fut emparé de la couronne, les bonnes relations continuèrent entre l'empereur et le gouvernement égyptien. Le sultan al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub envoya en ambassade à l'empereur le cheikh Siradj ad-Din al-Armavi qui, à l'époque où écrivait Djémal ad-Din, était kadi dans le pays de Roum. Le cheikh Siradj ad-Din resta quelque temps auprès de l'empereur qui le traita fort bien. Il composa pour lui un livre sur la logique (mantik). Quand le roi de France, l'un des plus grands souverains des Francs, voulut attaquer l'Egypte, en 617, l'empereur lui envoya quelqu'un pour le détourner de ce dessein et lui montrer le danger qu'il courait; mais le roi de France ne voulut rien entendre. « Sire Berd (?) qui était grand maréchal du palais (mihmandar) de Manfred, fils de l'empereur, dit Djémal ad-Din (dans le Mofarradj.-ms.at. 1702, fol. 121 v°), m'a fait le récit suivant: « L'empereur m'envoya on secret en ambassade au sultan al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub pour lui faire savoir que le roi de France avait l'intention d'attaquer l'Egypte. Il le prévenait de cette éventualité pour qu'il se tînt sur ses gardes. Je me rendis au Caire et j'en revins habillé en marchand; j'eus mes entrevues avec le sultan dans le secret le plus complet, de peur que les Francs ne vinssent à apprendre que l'empereur avertissait les Musulmans de leurs desseins». Quand saint Louis fut revenu en France, l'empereur lui envoya un officier pour lui rappeler le conseil qu'il lui avait donné et pour lui montrer ce qu'il avait perdu à ne pas le suivre. L'empereur, roi des Francs, mourut en 618, un an après al-Malik as-Sâlih; son fils (aîné) étant mort, ce fut le cadet, Manfred, qui lui succéda. Tous ces princes étaient hais du pape, le khalife des Francs, à cause de leur amitié pour les Musulmans. Il y eut entre Manfred et le pape une guerre qui se termina par la victoire de Manfred. Le kadi des kadis de la ville de Hamâh (Djémal-ad-Dîn), auteur de cette chronique (ms. ar. 1702, fol. 121 v°), raconte ce qui suit : « Je fus envoyé en qualité d'ambassadeur à Manfred par le sultan auguste, al-Malik ath-Tahir-Rokn ad-Din Baybars, au mois de Ramadan 659. Je restai durant un certain temps auprès de ce souverain qui me combla d'honneurs, dans une des villes de la Pouille, qui se trouve dans une grande péninsule voisine de l'Espagne, qu'on appelle Barletta. Je demeurai quelque temps à Barletta. Je trouvai que ce prince était un homme d'un esprit très distingué qui aimait les sciences exactes; il savait par cœur dix des livres du traité d'Euclide sur la géométrie. Non loin de la ville où je résidais, il y avait une autre ville nommée Lutchara [Lucera], dont la population était tout entière musulmane et était originaire de l'île de Sicile. On y observait la fête du vendredi et les autres coutumes de l'Islamisme; il en était ainsi depuis l'époque du père de Manfred, l'empereur Frédéric. Ce souverain avait fait construire un collège dans cette ville, et l'on y enseignait les sciences astrologiques; la plupart de ses courtisans, et de ceux qui s'occupaient des affaires de ses états étaient des Musulmans; on faisait dans son camp l'appel à la prière et la prière comme dans un pays musulman. Quand nous revînmes de ce pays, nous apprîmes que le souverain de Rome la Grande, le Pape, s'était décidé à lui faire la guerre, ainsi que le frère du roi de France. Entre Rome et la ville où nous nous trouvions alors, il y avait cinq jours de marche. Voici quelle était la cause de cette guerre : le pape avait excommunié Manfred à cause de son amitié pour les Musulmans et de la faveur qu'il témoignait à leur religion; il avait de même excommunié son frère et leur père l'empereur. Les Francs disent que le Pape de Rome est le khalife du Messie Jésus-Christ (sur lui soit le salut !) et qu'il est son représentant sur cette terre ; c'est lui qui donne l'investiture à leurs rois, et ils ne peuvent rien décider sur leur religion; il n'y a que lui qui ait ce pouvoir. Le pape est un moine, et, quand il meurt, c'est également un moine qui lui succède. On m'a raconté, pendant que j'étais dans le pays des Francs une anecdote très curieuse. L'empire appartenait avant Frédéric à son père ; quand celui-ci mourut, Frédéric était encore jeune et même presque enfant; plusieurs des rois Francs aspiraient à la dignité impériale et chacun d'eux comptait que le Pape de Rome le désignerait pour l'Empire. Frédéric était un homme rusé et qui ne se faisait pas grand scrupule de violer un serment ; il était Allemand ; les Allemands sont l'une des races des Francs. Il alla trouver, l'un après l'autre, chacun des rois des Francs qui aspiraient à la dignité impériale et il leur dit : « Moi, je ne prétends nullement à l'Empire, car je sais bien que je n'y ai aucun droit. Quand nous nous serons réunis autour du trône (du pape), dis lui : J'ai décidé de voter pour Frédéric et je me réjouirai si la couronne lui échoit, car il est le fils de feu l'empereur. Quant à moi, je ne désire rien de plus que de te voir arriver à l'Empire et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour cela ». Frédéric tint ce langage à chacun d'eux sans que les autres en sussent rien ; aussi tous les princes francs le crurent et ils ajoutèrent une foi entière à ses paroles. Quand ils se furent réunis chez le Pape dans la ville de Rome la Grande, Frédéric se trouva avec eux; il était venu avec une troupe considérable de chevaliers allemands; il arriva dans cet équipage près de la grande église dans laquelle devait se tenir la diète. Quand les rois eurent pris place, le pape leur demanda : « Qui voulez-vous comme empereur et quel est le plus digne parmi vous de porter la couronne ». En même temps, il plaçait la couronne impériale devant eux. Tous répondirent : « Je juge que c'est Frédéric, et nous ne voulons pas le conseiller là-dessus, car il est le fils de l'empereur, et il est plus digne que la diète entende son avis sur cette question ! » Frédéric se leva et dit : « Je suis le fils de l'empereur, et c'est moi qui suis le plus digne de l'Empire et de la couronne. La diète tout entière doit me choisir et se rallier à moi ; quant au pape, il ne doit pas choisir un autre candidat que celui dont la diète a fait choix. » En même temps, il plaça la couronne sur sa tête et les électeurs le revêtirent des vêtements et des insignes impériaux. Frédéric sortit immédiatement, la couronne en chef et monta à cheval, entouré de tous ses Allemands… Quand le Pape et le frère du roi de France, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb-fi-akhbar-molouk-bani-Ayyoub (ms. ar. 1702, folio 123 v°), attaquèrent Manfred, fils de l'empereur, ils le battirent et le firent prisonnier. Le Pape ordonna qu'on regorgeât, ce qui fut exécuté. Après lui régna son frère, cet événement eut lieu en l'année 663. »
Djémal ad-Din raconte encore (ibid., fol. 122 v°) que l'empereur Frédéric, se trouvant à 'Akkâ, demanda à l'émir Fakhr ad-Din des renseignements sur le khalife. L'émir lui répondit : « Le khalife est le fils de l'oncle de notre Prophète, Mohammad (qu'Allah prie sur lui et lui donne le salut!); il a reçu le Khalifat de son père, et son père l'a reçu de son père, de telle sorte que le Khalifat est resté sans aucune solution de continuité dans la famille du Prophète, sans en sortir un seul instant « L'Empereur répliqua : « Voilà qui est très bien et très supérieur à ce qui existe chez ces imbéciles, j'entends les Francs, qui prennent comme chef spirituel un homme quelconque, qui n'a aucune parenté avec le Messie et qui en font un khalife pour le représenter ; cet homme n'a aucun droit à occuper un pareil rang, tandis que votre khalife, fils de l'oncle de votre Prophète, y a tous les droits. »
[239] Le nom exact de ce personnage est Abou’l 'Alâ-Ahmad ibn 'Abd-Allah ibn Soleïman al-Ma'rri al-Tanoukhî ; il mourut en l'année 449 de l'hégire (1057-1058 J.-C). Makrizi donne à l'ouvrage qu'il lui attribue le titre inintelligible de Kitab al-Atabek-wa-'l-Masoûd. Hadji-Khalifa nous apprend dans son Dictionnaire bibliographique (tome V, p. 57, n° 9926) que cet ouvrage se composait de douze cent cahiers, ce qui, comme on le voit, coïncide bien avec ce que raconte Makrizi. Parmi ses autres ouvrages, Hadji-Khalifa cite le Adab-al-'osfourain, (tome I, p. 219, n° 33i), traité de philologie; le Is'af-al-sadik (ibid., p. 284, n° 672); un traité intitulé Amâli qui comprenait cent cahiers et qui ne fut jamais terminé (ibid., p. 430, n° 1196); le Tadj-al-horrat (ibid., tome II, p. 92, n° 2016), ouvrage ne comprenant que quatre cahiers et contenant un traité analogue au Castoiement des Dames; le Djâmi'-al-avzân-al-khamsah, traité de métrologie qui comprenait soixante fascicules, chacun de dix feuillets (ibid., p. 507, n° 3878); le al-hakîr-al-nafi', petit traité de grammaire (ibid., tome III, p. 4567); le hamâsat-ar-râh, petit traité de cinq cahiers dans lequel cet auteur blâme sévèrement l'usage du vin (ibid., p. 116, n' 4610); le al-riyâsh-al-mostafâ, commentaire de cet ouvrage par l'auteur lui-même (ibid.. n° 4610) ; le khâtab-al-khaïl; dialogues entre des chevaux, de dix feuillets (ibid., p. 159, n° 4729); la Khotbât-al-fasih qui comprenait dix cahiers, commentaire sur l'Ouvrage intitulé al-fasih (ibid., p. 160, n° 4733); un Divan ou recueil de poésies (ibid., p. 256, n° 5248); la Risalat-as-sahil-wa'l-sâdjih (ibid., p. 416, n° 6208) ; les Rasâil, ouvrage divisé en trois sections, la première comprenant les traités (risâlah) de grande étendue qui forment presque des livres, comme par exemple, la Risâlat-al-za'farân; la seconde, les risâlah moins étendues, comme la Risâlat-al-ighriah; la troisième enfin, les lettres ordinaires. Cet ouvrage était considérable, puisqu'au dire d'Hadji-Khalifa, il ne comprenait pas moins de huit cent cahiers. Le même auteur publia sur le même sujet le Khâdimat-ar-rasaïl (ibid., p. 459, n° 6135) : les Rasail-al-mo'avvinat ; le Zadjr-al-nâih, qui comprenait quarante cahiers, sur ce que doit connaître l'orateur (ibid., p. 510, n° 6845) ; les Sadja'at-al-ashar, rangées suivant l'ordre alphabétique (ibid., p. 581, n° 7042) ; le Sadj-al-fakih, comprenant trente cahiers de dix pages (ibid., p. 582, n° 7047) ; le Sikt-az-zand, qui est le même que le Divan de ce même auteur et qui comprenait plus de trois mille vers ; il en composa un commentaire auquel il donna le nom de Dhou-al-sikt. Cet ouvrage fut en outre commenté par le grammairien 'Abd-Allah ibn Mohammad al-Bithoûsi qui mourut en l'année 521 (1127-28 hég.); par Abou Zakariyâ-Yahya ibn 'Ali-al-Tabrizi qui mourut en 502 hég. (1108-09 J.-C); par le grammairien Kasim ibn Hosain-al-Khwarezmi, qui était connu sous le titre de Sadr-al-afâdil, et qui fut assassiné en 617 (1220-21 J.-C.) ; par Abou Rishâd-Ahmad ibn Mohammad al-Akhsikatî, qui mourut en 528 (1133-36 J.-C.) et qui donna à son commentaire le titre de al-Zawâid; par l’imâm Fakhr ad-Din Mohammad ibn 'Omar-ar-Radi qui mourut en 606 (1209-10 J.-C); par le kadi Sharaf ad-Din Hibat-Allah ibn 'Abd-al-Rahim-Bârizi qui mourut en 738 (1137-38 J.-C.), et qui donna à son commentaire le titre de 'Omdat-fi-sharh-al-Zand (ibid., p. 601, n° 7187). Les autres ouvrages de cet auteur prolixe sont le Saïf-al-khâtib, traité en quarante cahiers sur l'art oratoire (ibid., p. 641, n° 7317) ; le Sharaf-al-salaf, de vingt cahiers de dix feuillets (ibid., tome IV, p. 41, n° 7553); le Thahar-al-'adadi, traité de grammaire (ibid., p. 177); le al-Fosoûl-wa'-l-ghduài, dans lequel il indiquait le commencement et la fin des versets des sourates (ibid., p. 443, n° 9108) ; cet ouvrage se composait de cent cahiers. Parmi les ouvrages coraniques du même auteur, Hadji-Khalifa indique le Sâdir et le Iklid-al-ghâyât ; le Kadi-al-hakk (ibid., p. 486, n° 9334); il cite enfin un commentaire de la célèbre grammaire de Sibouwayyih que al-Ma'rrî ne termina point et qui comptait malgré cela cinquante cahiers (ibid., p. 101, n° 10205); le Kitab al-iththat-wa-l-Zohd qui comprenait cent vingt cahiers (ibid., p. 117, n° 10313); le Kitab-al-kaïf, ouvrage composé à l'imitation du Kalila et Dimna, qui ne fut jamais terminé et qui comprenait soixante cahiers (ibid., p. 132, n° 10381); le Lozoum ma la yalzam, en vers, composé de cent vingt cahiers, avec son commentaire, le Rahat-al-lozoûm (ibid., p. 309, n° 11091); le Mabhadj-al-asrâr (ibid., p. 366, n° 11338); le Molki-al-sabil (ibid., tome VI, p. 115, n° 12888) ; le al-Mavâ'ith-al-saniyya (ibid., p. 232, n° 13345); le Nathm-al-souvar, ou ordre des sourates du Coran (ibid., p. 360, n° 13873).
[240] Ou peut-être : il adressa à son oncle de violents reproches
[241] Faire un prêche.
[242] Le kadi Djémal ad-Din ibn Wasil dit dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 121 recto) que ce fut sur l'ordre d'al-Malik al-Nasir que ce personnage agit ainsi ; il était très connu pour son éloquence et il avait une grande influence sur le peuple.
[243] Litt. : sur 'alâ.
[244] Nom d'une localité non loin de Homs (Yakout, Mo’djam-al-bouldân, tome VI, page 742) ; le manuscrit de Makrizi porte la leçon Baru, qui provient d'une faute du copiste.
[245] Ou de la tente.
[246] D'après le récit du kadi Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 255 verso), ce fut durant la nuit de la dernière décade de Redjeb que al-Nasir se rendit auprès d'al-Kâmil. A la conclusion de la paix, l'émir Izz ad-Din Aïbec al-Mo'aththami garda la ville de Sarkhad; al-Malik as-Sâlih, al-Malik al-'Aziz, fils d'al-Malik al-'Adil, et leur neveu, al-Malik al-Moughith gardèrent ce qui était alors en leur possession. Les villes cédées à al-Malik-an-Nasir furent primitivement, d'après le même auteur, Karak et Shaûbak, Sait, Balka, al-Aghvâr, Nabolos, la province de Jérusalem et Baït Djibril. Ce ne fut qu'aux termes d'une convention postérieure qu'an-Nasir-Daoud renonça à Shaûbak.
[247] « J'étais ce jour-là, dit Djémal ad-Din Ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 256 recto), auprès de la Porte de la Citadelle ; l'armée égyptienne pénétra dans la ville par toutes les portes et l'occupa militairement. J'avais à côté de moi un homme originaire de Damas; quand il aperçut ce spectacle, il se mit à pleurer à chaudes larmes ». Le sultan al-Malik al-Kâmil confia le gouvernement de Damas à l'émir 'Izz ad-Din ibn Malkishoû.
[248] Parce qu'il avait donné Damas à al-Malik al-Ashraf en échange de ces villes. Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 256 recto) ajoute les villes de Djamlin et al-Mouvazzar. Al-Malik al-Ashraf conserva en Orient les villes de Nisibin, Sindjar, al-Khabour et Khilât ; à cette époque, la ville de Mayyafarikîn appartenait à son frère al-Malik al-Mothaffar-Schihâb ad-Din Ghazi, et la citadelle de Dja'bar à son autre frère, al-Malik al-Hâfith-Arslan-Shah. Djémal ad-Din raconte qu'avant la prise de Damas, al-Malik al Kâmil avait envoyé un officier nommé Nour ad-Din al-Kurdjî, qui avait été au service d'al-Malik al-Mo'aththam, à la tête d'un détachement pour faire le siège de la forteresse de Karak, dans laquelle se trouvait la mère d'al-Malik an-Nasir. Cette princesse fit sortir une partie des gens de Karak, qui tombèrent sur les troupes d'al-Kâmil et les mirent dans une complète déroute. Nour ad-Din al-Kurdji et un autre émir égyptien tombèrent entre leurs mains ; ils furent emprisonnés dans Karak et ils y moururent.
[249] C'était le sultan al-Malik al-Kâmil qui l'avait envoyé faire cette expédition.
[250] Astakhdama bihâ; on pourrait également traduire « il y enrôla un corps de troupes d'environ 2.000 cavaliers » ; mais, dans ce cas, on attendrait plutôt fïhd; d'ailleurs le verbe khadama à la 10e forme signifie surtout « attacher quelqu'un par un emploi quelconque à son service, ou à celui d'un autre ». Si le texte portait astakhdama fïha binafsihi, le sens d'enrôlement ne serait pas douteux.
[251] Celui qui, quelques semaines auparavant, avait rendu Hamâh à al-Mothaffar-Takî ad-Din.
[252] Nom d'une localité située entre Homs et le rivage de la Méditerranée, qui se trouve également sous la forme Bârin (Yakout, Mo'djam al-bouldân, tome I, page 672); à l'article Bârîn, le même géographe (ibid., page 466) nous apprend que c'est une ville située entre Alep et Hamâh du côté de l'Ouest. Hadji Khalifa rapporte, dans le Djihan-numa, qu'on y voyait des ruines d'édifices anciens et qu'une citadelle qui y avait été bâtie par les Francs était détruite de son temps.
[253] Le manuscrit porte Khila, ce qui est une faute évidente.
[254] En temps de paix intérieure, le sultan du Caire, en tant que suzerain de tous les princes de la dynastie ayyoubide, avait le droit de disposer des troupes des principautés que ses parents tenaient de lui à titre de fief, pour la défense de l'Islamisme.
[255] Ce prince était tombé gravement malade dans le Yémen et c'est en revenant en Egypte qu'il succomba à la Mecque.
[256] Sur le règne éphémère de cet enfant, voir l’Histoire des sultans Mamlouks de l'Egypte, par Et. Quatremère, tome I, partie I, page 1 et sqq.
[257] Litt. à se revêtir de vêtements blancs; prendre des habits blancs signifie ici renoncer complètement au monde, parce que les linceuls dont on se sert pour ensevelir les morts sont d'étoffe blanche. Dozy (Supplément aux Dictionnaires arabes, tome I, p. 131, col. 2) a tort de dire que, dans toutes les occasions, cette expression signifie se condamner soi-même à mort, puisqu'al-Malik al-Kâmil n'a pas mis fin à ses jours, et qu'il n'est mort que beaucoup plus tard, d'une manière tout à fait naturelle. Par contre, il est certain que l'expression « vouer quelqu'un au blanc » signifie le condamnera mort (Sylvestre de Sacy, Chrestomathie arabe, tome I, p. 52).
[258] C'est-à-dire qu'il le reconnaissait comme son suzerain et qu'il n'avait aucune intention de se révolter contre son autorité.
[259] Djémal ad-Din ibn Wasil raconte dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 263 verso) que ce prince fut assassiné par un mamlouk dont il avait fait son ami le plus intime. Il fut inhumé dans le collège que son père avait fait construire, et qui se trouvait à l'orient de Damas, en dehors de la ville. Djémal ad-Din ibn Wasil dit que ce prince était un honnête homme, intelligent, lettré, qui cultivait la poésie et les belles-lettres quand les soucis du gouvernement lui en laissaient le temps. Il fut le meilleur poète de tous les princes ayyoubides qui, presque tous, se piquaient de tourner un vers aussi bien que n'importe quel professionnel. Il donna une large hospitalité à plusieurs nommes de lettres, parmi lesquels le cheikh Sharaf ad-Din 'Abd al-’Aziz ibn Mohammad ibn 'Abd-al-Mohsin, qui était un célèbre poète, au cheikh Mouhaddib ad-Din Abou Sa'ad al-Nahvi, qui s'occupait de grammaire. Parmi les princes ayyoubides qui cultivèrent la poésie avec succès, le kadi de Hamâh cite le sultan al-Malik an-Nasir-Daoud, al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din 'Omar, Tadj-al-Moulouk-Bouri ibn Ayyoub, al-Malik-al-Mansour ibn al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din, prince de Hamâh.
[260] Je n'ai pas trouvé de renseignements sur cette localité dans les géographes orientaux que j'ai consultés.
[261] Zabadâni, dit Yakout (Mo'djam al-bouldân, tome II, page 913) est un vaste canton situé entre Damas et Baalbek, d'où sort le fleuve de Damas. Aboulféda (Géographie, tome II, partie II, pages 32 et 33) nous apprend que c'est une ville ouverte située sur les rives de la Barada à dix-huit milles de Baalbek et de Damas ; le sol en est très fertile.
[262] Ou Malatiyyâ. Yakout prétend dans le Mo'djam (tome IV, page 634) qu'elle fut construite par Alexandre. Toutefois, un auteur cité par Yakout, et nommé Khalifa ibn Khayyât, raconte qu'en l'année 140 de l'hégire, le khalife Abou Djafar al-Mansour envoya l’imâm Ibn Mohammad ibn 'Ali ibn 'Abd-Allah ibn 'Abbâs pour rebâtir complètement cette ville, ce qui dura, parait-il, une année entière. Aboulféda (Géographie, tome II, partie II, page 138), dit qu'il y avait beaucoup de cultures dans cette ville et qu'il était permis à tout le monde de cueillir les fruits des arbres. Elle est à trois journées au sud de Sivas, et à une grande journée de Zabatra à une demi-lieue de l'Euphrate ; l'hiver y est aussi rude qu'à Sivas ou qu'à Erzeroum. Hadji-Khalifa consacre dans son Djihan numa une notice très importante à cette localité, et j'en extrais les renseignements suivants : du temps de ce géographe, les murailles de la ville tombaient en ruines; le commerce de Malatiyya était très important et il se faisait en grande partie par l'Euphrate. Il y a, près de Malatiyya, une rivière nommée Daîr-Masih, sur les bords de laquelle, depuis sa source jusqu'à la ville, on compte quinze villages dans lesquels les habitants de Malatiyya allaient passer quatre ou cinq mois de l'année, ne venant à la ville dans la journée que pour leurs affaires. La nuit venue, il ne restait à Malatiyya qu'une dizaine de gardiens. On y montrait la maison où naquit le célèbre Battal-Qhâzi; en 1036 de l'hégire, le célèbre pacha Mélik-Ahmed la fit couvrir d'un dôme en pierre de taille.
[263] C'était l'année précédente que le Kharezmchah était venu mettre le siège devant la ville de Khilât (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 265 verso, et Rashid-ed-Din, Djâmi el-tavarikh, ms. Supp. persan 209, fol. 180 verso et sqq.), et il s'était entêté à l'investir malgré la résistance désespérée des habitants qui savaient qu'ils n'avaient à attendre de lui aucun quartier. L'hiver arriva, et la neige se mit à tomber, mais le Kharezmchah s'obstina à continuer le siège, quoiqu'une partie de ses troupes se fût dispersée dans la campagne pour y chercher des vivres et un refuge contre le froid extrême qui régnait alors. Khilât est en effet située à une altitude considérable et les hivers s'y font cruellement sentir. Rien ne put décourager le sultan Djélal ad-Din qui se rendait très bien compte qu'avec de la patience il réduirait Khilât à la dernière extrémité. Il fit mettre en batterie plusieurs mangonneaux (mandjanik) qui ne cessèrent de lancer des grosses pierres jusqu'à ce qu'une brèche eût été pratiquée dans le mur d'enceinte de la place ; mais, toutes les fois qu'une partie du mur s'écroulait, les gens de la ville le réparaient immédiatement, sans jamais se lasser de cette lutte. Cela dura ainsi jusqu'aux derniers jours du mois de Djoumada premier de l'année 627. Le sultan ordonna l'assaut pour le dimanche vingt-septième jour de ce même mois. Un des émirs lui ouvrit la porte qu'il était chargé de défendre et le sultan pénétra ainsi dans Khilât avec son armée. Il ordonna à ses troupes de passer toute la population au fil de l'épée et de massacrer tous les gens que l'on trouverait. Djémal ad-Din dit que les troupes du sultan furent aussi sauvages que les Mongols. La population de la ville était d'ailleurs bien diminuée, car beaucoup des habitants s'étaient enfuis quand ils avaient su que Djélal ad-Din avait l'intention de venir assiéger la ville ; beaucoup d'autres étaient morts pendant le siège, d'autres enfin s'étaient réfugiés dans la citadelle avec les généraux. La famine n'avait pas tardé à se faire sentir dans Khilât, et les habitants avaient été réduits à se nourrir de mulets, d'ânes, de chiens et de chats.
[264] Al-Malik al-'Adil et al-Malik al-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub étaient tous les deux les fils du sultan al-Malik al-Kâmil, mais de mères différentes.
[265] Le manuscrit porte Kaï ; Kâû est le nom d'un village dans le Saïd de l'Egypte, sur le bord oriental du Nil, au dessous d'Akhmim. Il y a dans les environs un autre village nommé Faû. C'est près de cette localité que le Nil se divise en deux branches dont l'une se dirige vers Bardanish, puis revient se jeter dans le Nil près d'un village nommé Boutldj. (Yakout, Mo'djam-al-bouldân, tome III, page 22) ; cette phrase de Makrizi est obscure.
[266] Voici, d'après Djémal ad-Din (Mofarradj al-kouroûb, ms. ar. 1702, fol. 266 r°) quelles furent les causes de la défaite du sultan Djélal ad-Din Mankkoûbirti. Le prince d'Arzan ar-Roum était le cousin du sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd ibn Kaï-Khosrav ibn Kilidj-Arslan, sultan du pays de Roum ; il avait accepté la suzeraineté de Djélal ad-Din Mankkoûbirti et il avait assisté avec lui au siège d'Ikhlât. Il était en froid avec son cousin, le sultan seldjoukide ‘Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, qui avait grand peur que le Kharezmchah ne cherchât à s'emparer de ses états pour en donner une partie au prince d'Arzan ar-Roum. Le sultan seldjoukide envoya demander du secours au sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil, et à al-Malik al-Ashraf. Le sultan al-Malik al-Ashraf réunit l'armée de Syrie et du Djazira et partit en personne pour se rendre à Sivas, où il fit sa jonction avec le sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd ; ils marchèrent ensemble contre Ikhlât. A ce moment, Djélal ad-Din Mankkoûbirti n'était pas encore arrivé à se rendre maître des forts qui entouraient Ikhlât. Les troupes syriennes se réunirent avec l'armée de Damas et celles de Homs qui étaient sous le commandement d'al-Malik al-Mansour-Ibrahim, à qui son père, al-Malik al-Moudjahid-Asad ad-Din Shirkouh, en avait confié la conduite. Il y avait également une partie de l'armée d'Alep, l'armée de Mésopotamie et les troupes du pays de Roum; l'armée d'Alep avait pour chef l'émir 'Uz ad-Din ibn Mahallà. Dès que le Kharezmchah, Djélal-ad-Din, eut appris la jonction des armées d'al-Malik al-Ashraf et de 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, il partit à marches forcées pour les rencontrer. Les armées ennemies prirent contact dans les environs d'Arzangân ; l'armée d'al-Malik al-Ashraf comptait plus de 8.000 cavaliers fort bien entraînés; le sultan Kaï-Kobâd avait avec lui 20.000 cavaliers; mais, malgré leur nombre, ils ne valaient pas la cavalerie d'al-Malik al-Ashraf. Djémal ad-Din dit que cette bataille se livra le 29 Ramadhan.
On vient de voir que le prince d'Arzan ar-Roum, cousin du sultan seldjoukide 'Alâ-ad-Din, se trouvait dans l'armée du Kharezmchah Djélal ad-Din Mankkoûbirti : il fut fait prisonnier dans cette bataille. 'Alâ ad-Din le fit emprisonner et le maintint dans les fers jusqu'à sa mort; après la bataille, il marcha vers Arzan ar-Roum et s'en empara.
Après la déroute d'Arzangân, le Kharezmchah s'en retourna dans l'Azerbaïdjan et s'arrêta dans la ville de Khoûï ; il échangea des ambassades avec al-Malik al-Ashraf et le sultan seldjoukide du pays de Roum. Ces souverains firent la paix à la condition de rester dans le statu quo. Al-Malik al-Ashraf s'en retourna alors à Sindjar; puis de là à Damas.
Cette même année, le prince ayyoubide al-Malik al-Mothaffar-Schihâb ad-Din Ghazi, fils du sultan al-Malik al-'Adil, et prince de Mayyafarikîn, profita des troubles qui résultaient de la guerre entre al-Malik al-Ashraf et le sultan Djélal ad-Din pour s'emparer de la ville d'Arzan (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 267 verso).
Djémal ad-Din raconte (ms. ar. 1702, folio 267 v°) quelques faits intéressants qui se sont passés à cette époque et qu'on ne lit pas dans Makrizi; je ne crois pas inutile de les faire connaître, au moins en partie.
Les Francs de la Citadelle des Kurdes (Hisn-al-Akrad) vinrent, à la tête d’un fort détachement de chevaliers et de gens d'armes, faire une expédition contre Hamâh au mois de Ramadan 627. Le sultan al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din Mahmoud ibn al-Malik al-Mansour sortit de Hamâh, rencontra les Francs à Afnoûn, localité située entre Hamâh et Ba'rîn, et les mit dans une complète déroute ; il leur tua beaucoup de monde, leur fit de nombreux prisonniers et rentra en triomphe dans sa capitale.
Cette même année, parut un émir turcoman, nommé Chams ad-Din Sévendj, qui réunit une troupe et qui se fit bandit de grand chemin, interceptant les routes depuis Irbil jusqu'à Hamadhan. Il poussa même l'audace jusqu'à attaquer une citadelle très forte qui appartenait à al-Malik al-Mo'aththam Mothaffar ad-Din Kokboûrî ibn Zaïn ad-Din 'Ali, prince d’Irbil; il s'en empara et tua, près de la citadelle, un des grands émirs de Mothaffar ad-Din, nommé Izz ad-Din al-Homaidi. Mothaffar ad-Din tenta de reprendre cette citadelle, mais il dut y renoncer et, à la fin, il fit la paix avec le chef turcoman en la lui laissant. A cette époque, l'armée du Kharezmchah Djélal ad-Din ibn 'Alâ ad-Din, faisait le siège d'une citadelle très forte de l’Azerbaïdjan, nommée Roûîndiz (écrit zvndz, sans aucun point). La place finit par se rendre au Kharezmchah, lequel envoya des vêtements d'honneur aux officiers qui l'avaient défendue contre lui. Quand l'envoyé de Djélal ad-Din fut monté à la forteresse, il distribua des vêtements et de l'argent à certains de ces officiers, et il ne donna rien aux autres. Ceux-ci, très mécontents, résolurent de s'emparer de la forteresse, et ils écrivirent à l'émir turcoman Chams ad-Din Sévendj pour lui offrir de la lui livrer. L'émir se mit en marche avec ses troupes et il prit possession de la forteresse sans aucune difficulté. Chams ad-Din Sévendj ne sut pas se contenter de la possession de cette place forte et il voulut étendre ses conquêtes, mais il trouva la mort dans une nouvelle expédition, et son frère hérita de ses domaines. Ce dernier alla attaquer Tavriz (Tabriz) qu'il mit au pillage et dont il rapporta un butin considérable. Les Tatars l'en chassèrent et s'emparèrent de la forteresse.
[267] C'est-à-dire le niveau initial de la crue.
[268] Voir l’Alep, du sahib Kamal ad-Din ibn al-'Adim, dans la Revue de l'Orient Latin, sous la rubrique de cette année.
[269] Je ne crois pas qu'il faille prendre, dans ce passage de Makrizi, la quatrième forme de kâma, dans un sens liturgique, qu'elle a quelquefois, quand elle est employée absolument, à savoir dans celui de « prononcer l’ikâma », c'est-à-dire l'appel à la prière qui a lieu immédiatement après l’izân (Dozy, Supplément, tome II, page 424).
[270] Litt. « il (le khalife) le distinguait par des augmentations (de titres) considérables » c'est-à-dire qu'il lui donnait de nouveaux titres honorifiques, comme celui de sultan très parfait, d'ami du Commandeur des Croyants.
[271] Cette année, le sultan d'Alep, al-Malik al-’Aziz enleva la propriété de la ville de Tell-Bachir à son atabek, Schihâb ad-Din Thoghril (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, fol. 276 verso). Depuis le règne du sultan Salah ad-Din Yousouf, la ville de Tell-Bachir avait appartenu à l'émir Badr ad-Din Dilderim ibn Yarouk et, après la mort de ce dernier, elle était passée en la possession de son fils. Quand le sultan seldjoukide al-Malik al-Ohalib 'Izz ad-Din Kaï-Kâous ibn Kaï-Khosrav fit son expédition contre la Syrie avec al-Malik al-Afdal ibn al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din, après la mort du sultan al-Malik ath-Tahir, souverain d'Alep, il enleva Tell-Bachir au fils de Badr ad-Din Dilderim.
Quand Kaï-Kâous se fut enfui devant le sultan al-Malik al-Ashraf, Tell-Bachir tomba au pouvoir de ce dernier. Il la confia à l'atabek Schihâb ad-Din Thoghril qui était régent (atabek) du royaume du sultan al-Malik al-'Aziz ; c'était dans cette place que l'atabek avait déposé ses trésors. Cette année, le sultan d'Alep, al-Malik al-’Aziz, sortit de sa capitale pour se livrer au plaisir de la chasse et pour tirer de l'arbalète ; il se dirigea du côté de 'Amk et plusieurs de ses officiers l'engagèrent à marcher du côté de Tell-Bachir et à s'en emparer, en laissant à l'atabek la propriété du canton (roustâk) qui en dépendait. L'atabek en fut averti ; il envoya à l'officier qui commandait la forteresse en son nom l'ordre de laisser al-Malik al-’Aziz y pénétrer et de la lui livrer. Le sultan al-Malik al-'Aziz se dirigea vers A'zaz qui appartenait à la mère de son frère, al-Malik as-Sâlih-Salah ad-Din Ahmad ibn al-Malik ath-Tahir, et aux Bani-Altounbogha. L'atabek avait donné cette ville à la place de Bahnasâ, après la mort du sultan seldjoukide Izz ad-Din Kat-Kaous, à leur père Altounbogha. Le sultan al-Malik al-’Aziz monta à la citadelle de A'zaz et il y mit un officier pour y gouverner en son nom ; de là, il marcha sur Tell-Bachir, où il mit également un gouverneur. L'atabek avait pris la précaution d'en faire retirer ce qui lui appartenait; mais le sultan envoya ses soldats qui le lui reprirent. Cela s'élevait d'ailleurs, contre ses prévisions, à très peu de chose.
[272] Djémal ad-Din dit, dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 277 recto), que le sultan d'Egypte était parti du Caire, avec son frère al-Malik al-Ashraf pour aller enlever la ville d'Amid et tout le pays qui en dépendait à al-Malik al-Massoud ibn al-Malik as-Sâlih-Mahmoud-ibn-Mohammad ibn Kara-Arslan ibn Sokmân ibn Ortok. C'était le grand-père de ce prince, Nour ad-Din Mohammad, qui était devenu seigneur d'Amid. Al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din Yousouf la lui avait donnée après l'avoir enlevée à Ibn Baïsan. Après Nour ad-Din-Mohammad, cette ville appartint à son fils, al-Malik as-Sâlih-Mahmoud, qui la laissa à son fils al-Malik al-Massoud. Ce dernier se conduisit très mal envers ses sujets. Il avait auprès de lui une femme nommée al-Azah, que Djémal ad-Din ibn Wasil dit avoir vue au Caire alors qu'elle était vieille; elle lui servait d'entremetteuse et choisissait les femmes de ses sujets pour qu'il put satisfaire sur elles ses goûts libidineux ; elle prenait même les femmes des grands personnages et des membres du gouvernement. Le sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil, ayant appris ces faits, en fut indigné et il s'allia avec son frère al-Malik al-Ashraf pour aller attaquer Amid et l'enlever à al-Malik al-Massoud. Quand les deux souverains se furent mis en campagne, le sultan al-Malik al-Ashraf prit les devants, et marcha sur Damas ; quant à al-Malik al-Kâmil, il laissa ses bagages sur ses derrières, et il se dirigea avec une escorte de cavalerie sur Shaûbak dans l'intention de poursuivre sa route sur Karak, et de là de se rendre à Damas.
[273] D'après le kadi de Hamâh, le représentant du sultan d'Egypte à ce mariage fut Kamal ad-Din, fils du grand cheikh, celui d'al-Malik an-Nasir fut l'eunuque (tavâshi) Aziz ed-dauleh Raïhan, qui gouvernait Karak au nom d'al-Malik an-Nasir. Très peu de temps après la signature du contrat, al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din, prince de Hamâh, arriva à al-Ladjoun (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 278 r°) rejoindre son oncle, le sultan al-Malik al-Kâmil.
[274] Ladjoun, dit Yakout dans le Mo'djam al-bouldân (tome IV, page 351), est une ville située dans le pays du Jourdain, elle est distante de Tibériade de vingt milles, de quarante de Ramla. On voyait dans cette ville une grosse pierre au-dessus de laquelle était bâtie une coupole; l'opinion des gens de Ladjoun était que c'était là l'oratoire d'Ibrahim. Il y avait une source au-dessous de cette pierre; la légende locale racontait que le patriarche s'arrêta dans cette localité en se rendant en Egypte et que sa caravane souffrait extrêmement de la soif. Ibrahim frappa la pierre de son bâton et il en fit ainsi jaillir une source d'eau vive, de sorte que ses gens purent se désaltérer. Hadji-Khalifa rapporte la même histoire, dans le Djihan-Numa.
[275] Le texte de cette phrase est très corrompu dans le manuscrit de Makrizi.
[276] Je lis ashâb; le texte de la phrase est ou me paraît tronqué; elle commence par kadama 'alaïhâ; le pronom hâ ne se rapporte à rien et kadama 'alâsignifie généralement « avoir l'audace de » ; peut-être faut-il lire kadama 'alaïhi : Bahâ ad-Din... osa écrire au sultan pour l'inviter à entrer en campagne.
[277] Ou pour demander l’aman (bil-aman).
[278] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 357), raconte qu'en 947 des Martyrs (= 629 H.), la crue du Nil ayant été insuffisante, les vivres manquèrent en Egypte et qu'ils atteignirent des prix exagérés; huit ritl de pain valaient en effet un dirhem. Le sultan établit alors une taxe officielle et décida qu'on ne vendrait pas le blé plus de 20 dirhems l’ardeb. Il fixa le taux du marché et celui des moulins ; il arriva alors que les gens ne voulurent plus ni vendre, ni porter leur farine au marché, et que la population souffrit beaucoup de cet état de choses. On fut réduit à employer du blé de qualité très inférieure et même très avarié, de telle sorte que le pain que l'on en faisait était difficilement mangeable. Le sultan rapporta alors son ordonnance : le blé se vendit jusqu'à 60 dirhems, mais le prix ne tarda pas à tomber à 40 dirhems, ce qui était encore énorme. Toutes les denrées atteignirent en même temps des prix exorbitants. Pour éviter de pareilles calamités dans l'avenir, autant que cela était possible, le sultan ordonna de faire curer tous les canaux; cette opération coûta fort cher et, pour trouver l'argent nécessaire, on mit Une taxe sur les propriétés foncières, variable suivant leur valeur.
[279] Ce n'était pas par affection pour son fils qu'al-Malik al-Kâmil lui avait donné la citadelle d'Hisn-Keïfa, mais uniquement pour l'éloigner du Caire. On a vu plus haut qu'as-Sâlih, dont l'ambition était démesurée, avait profité de l'absence de son père pour essayer de s'emparer du trône ; c'était pour éviter le retour de pareilles tentatives que le sultan l'avait emmené dans sa campagne contre les Mongols et qu'il lui avait donné Hisn-Keïfa avec l'obligation de s'y fixer.
Djémal ad-Din ibn Wasil dit, dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 283 v°), que le sultan laissa avec son fils l'émir Chams ad-Din Savâb qui était gouverneur (hâkim) des Provinces Orientales, l'un des principaux officiers qui avaient été au service du sultan al-Malik al-'Adil. Al-Malik al-Ashraf resta à Damas et al-Kâmil demeura toute cette année en Egypte. Quant à al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din Daoud, il se rendit dans sa ville de Karak. Le kadi Djémal ad-Din raconte qu'il sortit pour aller recevoir ce prince et qu'il le rejoignit dans une localité nommée al-'Alfandân. Daoud le traita avec beaucoup d'honneurs et il lui confia les mêmes charges qu'avait exercées son père; il on fit son confident et il l'admit à toutes les réceptions qu'il donnait. Il paraît que Daoud se livrait à l'étude des sciences mathématiques (nazariyyèh), sous la direction du cheikh Chams ad-Din Khosrevshâhi. Au mois de chewâl de cette même année, al-Malik an-Nasir-Daoud quitta Karak pour se rendre en Egypte, accompagné du cheikh Chams ad-Din Khosrevshâhi et de Fakhr ad-Din Fakhr-al-Koudât ibn Bourifa. Le sultan al-Malik al-Kâmil lui assigna comme demeure le Palais du Vizirat. Al-Nasir-Daoud demeura au Caire jusqu'à la fin de cette année.
Cette même année, mourut le cheikh Saïf ad-Din 'Ali al-Amidi, qui était un imam célèbre pour sa connaissance des sources de la théologie et du droit et pour sa science profonde de la logique ainsi que de bien d'autres branches des connaissances humaines. Djémal ad-Din raconte, d'après les paroles mêmes de ce personnage, qu'il s'était rendu à Baghdâd sous le khalifat d'al-Mostandjid-billah, alors qu'il était âgé de 15·ans; le vizir du Commandeur des Croyants était alors Aoun ad-Din ibn Hobaïrah. Il y étudia le droit et la théologie shaféite et il embrassa les doctrines de cette secte ; avant cette époque il appartenait au rite hanbalite. Il se rendit ensuite en Egypte où il séjourna longtemps, puis il alla à Hamâh, à une date postérieure à l'année 600. Le sultan al-Malik al-Mansour fit bâtir à son intention un collège dans Hamâh, et Saïf ad-Din y composa un grand nombre d'ouvrages sur les sources du droit et de la théologie.
C'est cette année que le sultan d'Alep, al-Malik al-’Aziz, fils d'al-Malik ath-Tahir, s'empara de la ville de Schaïzar, qui était alors en la possession de l'émir Schihâb ad-Din Yousouf ibn 'Izz ad-Din Massoud ibn Sabik ad-Din Othman ibn ad-Dâya. On peut voir sur cet événement ce que raconte Kamal ad-Dîn ibn al-'Adim dans son Alep.
[280] On vient de voir, sous la rubrique de l'année 626, que le sultan al-Malik al-Kâmil avait donné cette ville en fief à Kilidj-Arslan après lui avoir enlevé Hamâh et l'avoir assez durement traité. Cela explique pourquoi le sultan d'Egypte fit emprisonner al-Mothaffar, dès qu'il eut l'imprudence de se rendre au Caire.
[281] Voici comment Djémal ad-Din ibn Wasil raconte cet événement (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 287 r°). Le sultan al-Malik al-Kâmil avait précédemment donné à al-Malik al-Mothaffar l'ordre de livrer la forteresse de Ba'rîn et ses dépendances à son frère al-Malik an-Nasir-Kilidj-Arslan. Al-Malik al-Mothaffar dut s'exécuter quoique cela fût loin de lui faire plaisir. Cette année al-Mothaffar écrivit à al-Malik al-Kâmil pour lui demander la permission d'aller attaquer Ba'rîn et de l'enlever à son propre frère, Kilidj-Arslan ; il lui donnait comme raisons qu'il craignait que les Francs ne vinssent à s'en emparer, ce qui aurait été un grand danger pour les Musulmans; en effet, Ba'rîn n'est pas très éloignée de la Forteresse des Kurdes et de Safithâ, où tes Francs avaient une garnison. Le sultan d'Egypte lui donna la permission qu'il sollicitait. Al-Malik an-Nasir ne put résister et il dut céder Ba'rîn; mais al-Mothaffar ne voulut pas s'en contenter, et il demanda à son frère de demeurer auprès de lui et de lui abandonner tout ce qu'il possédait en fief. Cette fois, le prince vaincu refusa catégoriquement et se rendit en Egypte auprès de son oncle al-Malik al-Kâmil pour le faire juge de ce différend. Al-Kâmil lui offrit de lui donner un fief (khubz) de 200 cavaliers et de lui restituer tout ce que son père avait possédé en Egypte; mais an-Nasir ne voulut pas accepter cette transaction et il traita grossièrement l'envoyé de son oncle qui était venu lui proposer cet arrangement. Al-Malik al-Kâmil, furieux de voir ses avances aussi mal accueillies, fit arrêter al-Malik an-Nasir et le fit garder à vue dans le Château de la Montagne, où il mourut en 635, quelques jours avant la mort d'al-Malik al-Kâmil.
[282] Je ne crois pas inutile de donner ici la liste des directeurs de la Chancellerie égyptienne (gahib divân-al-Inshà), sous le règne des Fatimides, des ayyoubides, des Mamlouks Bahris et des Mamlouks Tcherkesses. Je l'emprunte au célèbre traité d'administration égyptienne qui porte le titre de Divan-al-Inshâ (ms. ar. 4439, folio 14 et suivants). Je ferai remarquer que, pour indiquer qu'un personnage a été directeur de cet important service au nom du prince, les écrivains musulmans disent qu'il a écrit pour lui; de même un sultan, chargeant quelqu'un de la direction de la Chancellerie, le chargeait d’écrire pour lui (le verbe kataba à la Xe forme).
1° Fatimides. |
Directeurs de la Chancellerie. |
Al-’Aziz ibn al-Mo'izz (975) |
Abou Mansour ibn Shouras, chrétien. |
Al-Hakim (996) |
Le même, puis le kadi Abou 'l-Tahir-al-Nahraki. |
Al-Tahir (1020) |
Le même. |
d'al-Mostansir à al-'Adid (1035 à 1160). |
Le kadi Vâli ad-Din ibn Khairân; Vâli ed-dauleh Moussa ibn al-Hasan ; Abou Sa'id al-'Amidi (ou Όmaïdi); le cheikh Abou 'l-Hasan-'Ali ibn Ousâma al-Halabi, et son fils, Abou'l Makârim, puis le cheikh Amin ad-Din Tadj-al-Riyâsah Abou’l Kasim 'Ali ibn Soleïman ibn Monâdjdjid (?) connu sous le nom d'Ibn al-Sirafi ; le kadi Kafi-al-Koufât-Mahmoud, fils du kadi Mouvaffik ad-Din Asad ibn Kâdoûs ; Ibn Abi-'l-Damm al-Yahoûdi ; le kadi Mouvaffik ad-Din ibn Djélal-ad-Dîn. |
Al-'Adid (1160) |
Le même, et le kadi Djélal ad-Din Mahmoud-al-Ansarï. |
2° Ayyoubides. |
|
Salah ad-Din (1171) |
Le kadi al-Fâdil 'Abd-ar-Rahim-itm-al-Baîsâni. |
Al-Malik al-'Aziz (1193) |
Le même. |
Al-Malik al-Mansour (1198) |
Le même. |
Al-Malik al-’Adil (1200) |
Le même. |
Al-Malik al-Kâmil (1218) |
Amin ad-Din Soleïman, connu sous le nom de katib-al-derdj ; le cheikh Amin ad-Din 'Abd-al-Mohsin-al-Halabi (sic). |
Al-Malik al-'Adil (1238) |
Le même. |
Al-Malik as-Sâlih-Ayyoub(1240) et les autres ayyoubides jusqu'à la chute de la dynastie (1250) |
Le même, puis le sahib Bahâ ad-Din Zohaïr (destitué); le sahib Fakhr ad-Din Ibrahim ibn Lokman al-As'ardi. |
3° Les Mamlouks Bahris. |
|
Al-Malik al-Mo'izz Aïbec (1250) |
Le même. |
Al-Malik al-Mansour (1257) |
Le même |
Al-Malik al-Mothaffar-Koutouz (1259). |
Le même. |
Al-Malik al-Tahir-Baybars (1260) |
Le même. |
Al-Malik al-Sa'id Bérékèh (1277) |
Le même. |
Al-Malik al-'Adil Soulamish (1279). |
Le même. |
Al-Malik al-Mansour Kalâvoun (1279). |
Le même, puis, après son élévation au vizirat, le kadi Fath ad-Din ibn 'Abd-ath-Tahir·. |
Al-Malik al-Achraf Khalil (1290) |
Le même, puis le kadi Tadj ad-Din ibn al-Athir, puis le kadi Sharaf ad-Din 'Abd-al-Wahhab ibn Fadl-Allah. |
Al-Malik al-Nasir-Mohammad (1293), (premier règne) |
Le même. |
Al-Malik al-'Adil Kitoubougha (1294). |
Le même. |
Al-Malik al-Mansour Latchin (1296). |
Le même. |
Al-Malik al-Mo'izz Aïbec (1250) |
Le même. |
Al-Malik al-Mansour (1257) |
Le même. |
Al-Malik al-Mothaffar-Koutouz (1259). |
Le même. |
Al-Malik al-Tahir-Baybars (1260) |
Le même. |
Al-Malik al-Sa'id Bérékèh (1277) |
Le même. |
Al-Malik al-'Adil Soulamish (1279). |
Le même. |
Al-Malik al-Mansour Kalâvoun (1279). |
Le même, puis, après son élévation au vizirat, le kadi Fath ad-Din ibn 'Abd-ath-Tahir. |
Al-Malik al-Ashraf-Khalil (1290) |
Le même, puis le kadi Tadj ad-Din ibn al-Athir, puis le kadi Sharaf ad-Din 'Abd-al-Wahhab ibn Fadl-Allah. |
Al-Malik al-Nasir-Mohammad (1293), (premier règne) |
Le même. |
Al-Malik al-'Adil Kitoubougha(1294). |
Le même. |
Al-Malik al-Mansour Latchin (1296). |
Le même. |
Al-Sâlih Ismâ’îl (1342) |
Le kadi Badr ad-Din Mohammad ibn Mohyî ad-Din ibn Fadl-Allah. |
Al-Kâmil-Chaban (1344) |
Le même. |
Al-Mothaffar-Hadji (1346) |
Le même. |
Al-Nasir-Hasan (1347) (premier règne). Le même. |
|
Al-Malik as-Sâlih Sâlih (1351). ; |
Le même. |
Al-Nasir-Hasan (1354) (deuxième règne) |
Le même. |
Al-Mansour-Mohammad (1361) |
Le même. |
Al-Ashraf Cha'bân (1363) |
Le même, puis son fils le kadi Badr-ad-Din-Mohammad, |
Al-Mansour 'Ali (1377) |
Le même. |
Al-Sâlih Hadji (1381) |
Le même. |
4° Les Mamlouks Tcherkesses. |
|
Al-Tahir Barkoûk (1382) |
Le kadi Avbad ad-Din ibn al-Turkomâni, puis le kadi Badr ad-Din Mohammad (à nouveau). |
Al-Mansour-Hadji (1389) (second règne) |
Le même. |
Al-Tahir Barkoûk (1389) (second règne) |
Le kadi 'Alâ ad-Din al-Karakl, puis le kadi Badr ad-Din (à nouveau), puis le kadi Badr ad-Din Mahmoud-al-Goulistani, puis le kadi Fath ad-Din Fath-Allah. |
Al-Nasir-Féredj (1399) |
Le même' (destitué), le kadi Sa'ad-Din ibn 'Arab, puis le kadi Fath-ad-Dro (à nouveau), puis le kadi Fakhr ad-Din ibn al-Mourawak (?), puis le kadi Fath ad-Din (à nouveau). |
Al-Mansour 'Abd al-'Aziz (1405) |
Le même. |
Al-Nasir Féredj (1405) (second règne). |
Le même. |
Al-Mostéa 'in-billah Abou 'l-Fadl(1412). |
Le même. |
Al-Mouvayyad Sheikh (1412) |
Le kadi Nasir ad-Din ibn al-Bazari al-Hamavi (ou al-Hoummouï) puis, son fils, le kadi Kamal ad-Din. |
Al-Mothaffar-Ahmad (1421) |
Le même, puis le kadi Alam ad-Din. |
Al-Tahir-Tajar (1421) |
Le même. |
Al-Sâlih-Mohammad (1421) |
Le même. |
Al-Ashraf-Barsbây (1422).., |
Le même, puis Djémal ad-Din al-Karaki, puis le kadi Chams ad-Din al-Haravi, puis le kadi Nadjm ad-Din ibn Hadji, puis le kadi Badr ad-Din ibn Mouzahhar, puis son fils, le kadi Badr ad-Din, puis, le seyyid, le shérif Schihâb ad-Din al-Hasani, puis le kadi Schihâb ad-Din' ibn al-Saffâh al-Halabi, puis le sahib Karim ad-Din ibn Kâtib-al-Minâh, puis le kadi Kamal ad-Din ibn al-Bazari, puis le kadi Mohibb ad-Din ibn al-Ashkar, puis le kadi Salah ad-Din fils du sahib Nasr-Allah, puis son père (sic, vâlidouhou), le sahib Badr ad-Din ibn Nasr-Allak. |
Djémal ad-Din Youssouf (1438) |
Le même. |
Al-Tahir-Tchakmak (1438) |
Le même, puis le kadi Kamal ad-Din ibn al-Bazari (à nouveau), puis le kadi Mohibb ad-Din ibn al-Ashkar (à nouveau). |
Al-Mansour 'Othman (1453) |
Le même. |
Al-Ashraf-Yinaï (1453) |
Le même, puis le kadi Mohibb ad-Din ibn al-Shihna, puis le kadi Mohibb ad-Din ibn al-Ashkar (à nouveau). |
[283] C'était, comme on l'a vu plus haut sous la rubrique de l'année 627, cette princesse qui avait averti le sultan des intrigues d'al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, alors qu'il se trouvait à Rakka.
[284] Ou peut-être « célébrait en grande pompe l'anniversaire de la naissance de Mahomet ».
[285] L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie raconte (ms. ar. 302, page 359) qu'en 948 des Martyrs (= 630 H.), on coupa la digue du bras d'Abou’l Manadja et de tous les autres grands bras du Nil ; les travaux exécutés dans les canaux à la fin de l'année précédente, amenèrent une crue suffisante du Nil. Il se trouva que la monnaie de billon avait été très falsifiée, et que, dans le Sa'id, on avait frappé des pièces en dehors des ateliers du gouvernement (daraba kharîdj-ed-dâr). Le change du billon était de 16 sous pour un dirhem noir. Le sultan ordonna de ne plus faire les transactions qu'avec les pièces de billon frappées par son ordre (al-foloûs-al-stdtâniyya) ; le dinar arriva alors à valoir 45 dirhems comptés en sous (dirhem foloûs); ensuite, le change monta encore, et, le 26 du mois d'Abib, il atteignit 80 dirhems comptés en sous pour un dinar ; quant aux dirhems noirs, dix se changeaient contre 18 dirhems comptés en sous; le dirhem misrî valait 30 sous; les dirhems d'argent (nokra) valaient six dirhems et quart comptés en sous. Les gens finirent par ne plus avoir entre les mains que de la monnaie de billon, car l'administration ne voulait pas la recevoir pour le paiement des impôts. On cessa alors de frapper de la monnaie de billon. Malgré cela, à la fin de l'année, la situation ne s'était guère améliorée, car un dinar valait 90 dirhems comptés en sous, et un dirhem d'argent (nokra) s'échangeait contré sept dirhems noirs.
Ce passage de l’Histoire des Patriarches contient des expressions techniques sur lesquelles il n'est pas inutile de donner quelques éclaircissements. L'expression dirhem foloûs, litt. « dirhem de fels » n'est point suffisamment interprétée par les écrivains arabes qui l'emploient. On trouve dans un passage du Khitât (Sauvaire, Matériaux pour servir à l'histoire de la numismatique, page 120) l'indication qu'un mamlouk recevait une solde de 10 dirhems de fels; il faut probablement comprendre que cette somme lui était comptée en monnaie de billon, de telle sorte que les pièces de cuivre qui lui étaient données représentaient bien une valeur nominale de 10 dirhems, mais que leur valeur intrinsèque était toute différente. Les pièces de cuivre furent frappées en Egypte pour la première fois sous le règne d'al-Kâmil, et les pièces d'argent dans lesquelles l'alliage l'emportait sur le fin étaient assimilées à de la monnaie de billon (ibid., page 113); par contre, celles dans lesquelles le métal précieux dominait sur l'alliage, le rapport étant indifférent, étaient considérées comme de bons (sahih) dirhems (ibid., p. 193). Les pièces d'argent qui avaient été mises en circulation par Saladin en 583 contenaient 50 % d'argent et 50 % de cuivre ; elles portaient le nom de dirhems naséris (ibid., page 237). Les pièces frappées par Saladin et les bons dirhems des dynasties antérieures, Ikhshidites, Toulounides, fatimides, qui avaient régné sur l'Egypte, dirhems qui, par suite de cette circonstance étaient appelés dirhems misris, étaient connus sous le nom de dirhems varak. Cette monnaie d'argent eut cours légal en Egypte jusqu'au règne d'al-Kâmil. C'est à l'occasion de cette émission, en 583 de l'hégire, que Saladin démonétisa les dirhems noirs, dont il est question dans le texte de l'Histoire des Patriarches, et qui malgré cette ordonnance, continuèrent à circuler en Egypte, puisque l'on en rencontre la mention à la fin du règne d'al-Kâmil. Le dirhem noir était frappé avec de l'argent noir, c'est-à-dire dont l'alliage domine sur le fin. 1.000 dirhems noirs valaient 500 dirhems blancs, c'est-à-dire, d'après le Kâmoûs, de bon aloi, et le dirhem noir ne valait que 1/3 de dirhem naséri. On voit par là que ces pièces contenaient au maximum 1/6 de fin contre 5/6 d'alliage. Ces dirhems noirs étaient évidemment comparables aux monnaies ghitrifiyyèh de Boukhara, qui étaient frappées avec un alliage de fer, de cuivre et d'autres métaux sans valeur (ibid., p. 126, 127, 191). Si l'on en croit ce que dit Soyouti, dans le Husn el-mohadhara (ibid., p. 243), le dirhem nokra, loin d'être' de l'argent pur, comme semblerait l'indiquer son nom, aurait contenu 9/10 de cuivre (sic), contre seulement 1/10 d'argent. Le type des meilleures monnaies d'argent égyptiennes furent les dirhems frappés par al-Kâmil en 622, au titre de 2/3 de fin contre 1/3 d'alliage, et par Baybars en 658, au titre de 70 % de fin contre 30 % d'alliage.
L'expression de « pièces khâridj-ed-dâr », litt. : « en dehors de l'hôtel (des monnaies) » présente également des difficultés et elle n'a pas été suffisamment expliquée par les auteurs musulmans. Par ce passage de l'historien des Patriarches, on voit clairement que les pièces khàridj-ed-dàr dont il parle avaient été frappées dans le Sa'id, c'est-à-dire en dehors des ateliers officiels. Un auteur, nommé Shihab ad-Din Abou Djafar-Ahmad ibn Yousouf-el-Fehri-el-Leïli, mort à Tunis, en 691 H. (Sauvaire, ibid., p. 141 et sqq.)donne à de telles pièces le nom de dirhems bahradj. D'autres historiens disent que le dirhem bahradj est aussi la monnaie importée des pays étrangers, et les pièces dont le coin a été détruit et qu'on ne frappe plus. Un écrivain tardif, Sadik-Mohammed-el-Sakizi († 1069 hég.) donne le nom de bahradj à des pièces d'argent défectueuses que le trésor et le commerce refusaient. Il est probable que les deux termes de khâridj-ed-dâr et bahradj sont rigoureusement synonymes.
[286] Ce fut cette année que mourut le célèbre atabek d'Alep, Schihâb ad-Din Thoghril, sur lequel on pourra voir l’Alep de Kamal ad-Din. Djémal ad-Din (ms. ar. 1702, folio 290 r°) dit que le plan de campagne fut arrêté entre al-Malik al-Kâmil et al-Malik al-Ashraf. Dès qu'al-Kâmil eut quitté l'Egypte, al-Malik an-Nasir-Daoud s'en retourna à Karak, ou il s'occupa de différentes affaires qui étaient restées en suspens durant son absence. Le même historien raconte ce qui suit : « J'arrivai à Damas après le voyage d'al-Nasir, venant de Karak, et j'y assistai le jour même de mon arrivée à l'entrée des troupes égyptiennes, qui étaient magnifiquement équipées et dans un ordre parfait. Toute la population de Damas se porta à leur rencontre. Le sultan partit ensuite avec l'armée pour aller attaquer le pays de Roum, et il alla camper au nord de Salamiyya près de la forteresse de Soumaïmis. Je me trouvais alors à Salamiyya, avec al-Malik an-Nasir-Daoud, à qui je demandai la permission de m'en retourner chez moi ; il m'autorisa à le faire et je quittai le campement... L'armée était venue camper à Salamiyya au mois de Ramadhan. Quant à moi, je me rendis à Hamâh. Le sultan al-Malik al-Kâmil alla ensuite camper à Manbidj qui appartenait au prince d'Alep, al-Malik al-’Aziz, avec la permission de ce prince. Ce fut dans cette ville qu'il fut rejoint par les troupes d'Alep et par de nombreux approvisionnements et des trains de munitions envoyés par al-'Aziz ; il fut également rejoint par al-Malik al-Mo'aththam Fakhr ad-Din Tourânshâh, fils d'al-Malik al-Nasir-Salah ad-Din. De là, al-Kâmil alla camper du côté de Tell-Bachir, où il fut rejoint par al-Malik az-Zahir-Modjîr ad-Din Daoud, fils d'al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din, prince de Birah, par al-Malik al-Mofadhdhal-Moussa, fils de Salah ad-Din, prince de Soumaïsat, par al-Malik as-Sâlih-Salah ad-Din Ahmad, fils d'al-Malik ath-Tahir, prince d'Aïn-Tâb, par al-Malik al-Mothaffar Schihâb ad-Din Ghazi, prince de Mayyafarikîn, et par le frère de celui-ci, al-Malik al-Hâfith-Arslan-Shâh, seigneur de la forteresse de Dja'bar. Parmi les princes qui exerçaient des commandements dans l'armée d'al-Malik al-Kâmil se trouvaient encore, al-Malik al-Ashraf, fils d'al-Malik al-'Adil, son frère al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ’îl, al-Malik al-Mothaffar, souverain de Hamâh, al-Malik al-Moudjahid-Asad-ad-Din, prince de Homs, et le prince de Karak, al-Malik an-Nasir-Daoud, fils d'al-Malik al-Mo'aththam, fils d'al-Malik al-'Adil. »
[287] Voir Aboulféda, Géographie, tome II, partie II, page 156.
[288] Nom d'un fleuve bien connu qui coule entre Bahasnâ et Hisn-Mansour ; (Yakout, Mo'djam, tome IV, page 834); il se nomme aujourd'hui Gôk Sou.
[289] C'est-à-dire de la gorge dans laquelle coule le Fleuve bleu, et dans laquelle, à peu de distance du point où s'étaient retranchées les troupes du sultan Seldjoukide, dans la direction de l'Ouest, se trouve la localité de Pawrelii, sur la route de Malatiyya à 'Aintâb.
[290] La politique des souverains du Caire fut toujours d'absorber la Syrie et la Mésopotamie, de même que celle des souverains de Damas était de s'emparer de l'Egypte ; cette rivalité est toute l'histoire des ayyoubides. L'unité de cet empire, moins la Mésopotamie, ne devait être réalisée que par les Mamlouks de la dynastie bahrite.
[291] Au moment où al-Malik al-Kâmil songeait à rétrograder (Djémal ad-Din, Mofarradj, ms. ar. 1702, fol. 291 r·), le prince de Khartapirt vint le trouver dans son camp et lui offrit ses services pour le cas où il voudrait envahir le pays de Roum de ce côté ; le sultan d'Egypte traversa l'Euphrate au pont Djisr el-'Adill; cette opération fut très longue par suite du grand nombre de ses troupes ; il vint camper à Souwaldâ ; il envoya immédiatement au prince de Hamâh, al-Malik al-Mothaffar, l'ordre de venir le renforcer, dans l'intention de marcher sur Khartapirt. Le prince de Hamâh se mit en marche avec 3,500 cavaliers, parmi lesquels se trouvaient l'émir Chams ad-Din Savâb al-'Adili, lieutenant d'al-Malik al-Kâmil, gouverneur des Provinces Orientales, et Fakhr ad-Din al-Banyasi. Ces troupes allèrent jusqu'à Arkanin (sans point), puis à al-Saharmân (idem), au petit lac (sic, voir note suiv.), et elles arrivèrent à Khartapirt sans bagages, ni objets de campement. Le lendemain, à l'aube, parut l'armée du pays de Roum, forte de 14.000 cavaliers, commandée par l'émir al-Kaïmari ; les deux armées se livrèrent un combat furieux depuis les premières' lueurs du jour jusqu'au crépuscule et les troupes d'al-Malik al-Kâmil finirent par être complètement battues. Le sultan al-Malik al-Mothaffar entra dans la forteresse de Khartapirt accompagné du prince de cette ville ainsi que des émirs Chams ad-Din Savâb et Fakhr ad-Din-al-Bânyâsi ; le reste de leurs troupes se réfugia sur l'esplanade (ratai); mais l'armée du pays de Roum les y attaqua et les mit une seconde fois en déroute. Un grand nombre des survivants furent faits prisonniers. Après ces événements, le sultan du pays de Roum, 'Alâ ad-Din arriva en personne avec le reste de son armée et entreprit le siège de la forteresse de Khartapirt. Il fit mettre en batterie 19 mangonneaux qui tirèrent pendant vingt-quatre jours; les assiégés souffrirent cruellement de la soif, car il y avait plus de 12.000 personnes entassées dans la forteresse. Quand la position fut devenue intenable, al-Malik al-Mothaffar se résolut à capituler; il envoya au sultan 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, l'émir Bahâ ad-Din Mankouviresh, l'un des émirs promus par al-Malik al-Kâmil, pour entamer les négociations au sujet de la reddition de la forteresse. Le sultan seldjoukide lui accorda ce qu'il demandait et il comprit le prince de Khartapirt dans la capitulation. Al-Malik al-Mothaffar et le prince de Khartapirt descendirent de la forteresse pour se rendre auprès du sultan seldjoukide. Ce prince alla à leur rencontre et les reçut d'une façon très distinguée. Ce fut le Dimanche, sept jours restant du mois de Dhoû’lka’dah, que le souverain ayyoubide se rendit. Deux jours plus tard, il quitta le camp d’Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, et se rendit auprès d'al-Malik al-Kâmil qui faisait alors le siège de Souvaïda.
L'historien de l'église d'Alexandrie raconte dans sa chronique (ms. ar. 302, pages 361 sqq.) que le sultan al-Malik al-Kâmil avait envoyé son neveu al-Malik al-Mothaffar ibn Takî-ad-Din, prince de Hamâh, pour porter secours au prince de Khartapirt, et qu'il avait fait partir en même temps que son neveu plusieurs des principaux émirs, tels qu'al-Banyâsï et Savâb-al-Khâdim. Ces personnages arrivèrent devant Khartapirt avant l'armée du sultan du pays de Roum (al-Roûmi), et ils campèrent devant cette place. Les troupes du sultan de Roum étant survenues, ils leur livrèrent une bataille acharnée, et leur causèrent beaucoup de mal; mais, à la fin, l'armée égyptienne fut écrasée sous le nombre, car elle ne comptait guère que 3.000 cavaliers ; elle fut vaincue et se retira dans la ville de Khartapirt. Le prince de Hamâh et ses émirs se réfugièrent dans la citadelle; quant aux soldats, aux valets et au reste, il y en eut un certain nombre qui furent faits prisonniers, d'autres réussirent à s'échapper, et d'autres furent tués; les survivants se réfugièrent dans Khartapirt avec le prince de cette ville. Il leur avait promis qu'ils trouveraient dans la forteresse tous les objets dont ils pourraient avoir besoin, mais ils n'y trouvèrent absolument rien; il y a des gens qui disent que ce fut une ruse de sa part. Les troupes égyptiennes souffrirent beaucoup à Khartapirt et elles supportèrent leurs souffrances pendant vingt jours. Quand les Égyptiens furent certains qu'ils étaient condamnés à périr, ils envoyèrent au sultan du pays de Roum un émir nommé Bahâ ad-Din ibn Malkîshou (sic), qui avait été gouverneur du Caire, pour lui demander de leur accorder une capitulation ; ils offraient de rendre la citadelle. Le sultan du pays de Roum y consentit, mais seulement pour leurs personnes (et non pour leurs biens). Les troupes égyptiennes sortirent dans un triste état; le sultan ne donna de vêtement d'honneur qu'à al-Malik al-Mothaffar et à Savâb-al-Khâdim ; il leur donna à chacun un cheval pour qu'ils pussent rejoindre l'armée du sultan. Il y avait sur leur chemin un monastère appelé le monastère de Bar-Saûma ; les moines, qui étaient des Syriens, sortirent à leur rencontre avec des vivres et des douceurs; ils les conduisirent sur les mules du couvent jusqu'à l'armée. Ces moines avaient bien mérité les louanges de tous les Musulmans.
[292] Cette ville, dont le nom moderne est Kharpout, consistait en une forteresse située sur une montagne et dominant le lac de Gueultchek (le petit lac dont parle Ibn Wasil). Khartapirt était appelée également Hisn-Riyad.
[293] Ce fut plus spécialement contre al-Malik an-Nasir-Daoud qu'al-Kâmil se fâcha (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 292 r°). On ne sait trop pour quelle cause ; suivant ce que raconta plus tard un des fils de ce prince, ce fut parce que Daoud aurait pris parti contre lui pour les princes ayyoubides.
[294] Samâ', ce mot qui a plusieurs significations en arabe, en particulier ceux de « chant, concert, réunion où l'on fait de la musique », désigne spécialement les réunions des Soufis et des derviches, au cours desquelles on fait de la musique et des lectures pieuses; la plus grande partie de ces réunions se passe en danses très compliquées.
[295] Karmâl; dans la terminologie des mystiques, ce mot désigne tout particulièrement les personnes qui récitent des vers pieux, ou métaphysiques, tels que les poésies d'Omar ibn el-Faridh, qui, à cette époque, jouissaient de la plus grande popularité auprès des mystiques, en Egypte.
[296] Anbadâriyya.
[297] Ce tour de magie rappelle ceux des derviches qui font pousser le dotera et les pratiques des djoguis de l'Inde. Ce passage de Makrizi est intéressant, parce qu'il montre que les pratiques de l'occultisme ne datent pas d'hier et confirme les assertions que l'on rencontre dans les livres du soufisme.
L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie raconte qu'au commencement de l'année 949 des martyrs = 630 H., l’ardeb de blé valait 20 dirhems comptés en sous, l’ardeb d'orge 10 dirhems. Le dinar se changeait contre 120 dirhems comptés en sous, et le dirhem noiera valait neuf dirhems comptés en sous. Cela causait le plus grand dommage à la population, car l'administration ne voulait recevoir que de l'or ou des dirhems noirs (sic), de telle sorte qu'au bout de peu de temps, les gens n'eurent plus dans les mains que du billon. La famine ne tarda pas à se faire sentir : le ritl de pain monta à trois dirhems nokra, la paille d'orge à deux dirhems nokra, la paille de blé à quatre (le manuscrit porte quarante, ce qui est probablement une faute du copiste) dirhems nokra la charge. Le dimanche, dernier jour du mois de Kaïhak, date correspondante au 12· jour du mois de Rabi 1er de l'année 630, le sultan interdit l'usage des pièces de billon dans les transactions et défendit d'en frapper de nouvelles. Cet ordre fut promulgué le surlendemain mardi. Les gens qui en possédaient les apportèrent au marché des chasseurs et, pour un ritl, on leur donna deux dirhems et demi ou deux dirhems et un quart. Cela réduisit les fortunes des gens au quart de leur valeur.
On apprit que le sultan s'était emparé d'Amid et des 72 forteresses qui en dépendaient; on reçut également la nouvelle de la prise de Hisn-Keïfa, et l'on apprit que le sultan avait nommé pour être son lieutenant dans cette ville, ainsi que dans les provinces d'Orient, Harrân, Saroûdj et leurs dépendances, son fils al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, héritier présomptif du trône d'Egypte.
[298] Pendant la période qui s'étend de l'année du mouton (kounin yil) qui commença au mois de Djoumada Ier de l'an 632 de l'hégire, jusqu'à la fin de l'année du bœuf (hoûkâr yil), qui se termine en Chaban 638 (Rashid ad-Din, Djâmi 'at-tavàrikh, ms. suppl. persan 209, folio 188 recto), le prince du Kirmân fut Rokn ad-Din Koutlough-Sultân, fils de Borak ; en l'année …, son père Borak-Hâdjib l'avait envoyé à la cour du Khân (Ougétaï, fils de Tchinkkiz-Khâkân), il apprit en route la nouvelle de la mort de son père, et, quand il arriva à la cour, le Khân, comme il avait l'habitude de le faire quand il recevait un prince, le traita avec beaucoup d'honneurs et lui fit de nombreux cadeaux (souyoûrghamishi), et il donna l'ordre qu'on le nommât Koutlouk-Sultan ; il lui remit un rescrit (yarligh) lui conférant la royauté du Kirmân. Son frère Kotb ad-Din, qui avait pris en main les affaires de l'état après la mort de leur père, s'empressa également de se rendre auprès du Khân ; il y resta quelque temps attaché au service de Mahmoud Yalvâdj.
[299] C'est cette année que mourut le célèbre kadi Bahâ ad-Din ibn Shaddâd. On trouvera dans le tome III du Recueil des Historiens orientaux des croisades la traduction de la biographie de ce personnage écrite en arabe par Ibn Khallikan. Après la dislocation de l'armée qui devait faire la conquête du pays de Roum, al-Malik al-Mothaffar s'en revint à Hamâh, le 25 de Rabi I (Djémal-ad-Din, ms. ar. 1702, folio 294 v°). Cette année, il devint père d'un fils qui reçut le nom de al-Malik-an-Nasir ad-Din Abou’l Ma'li; cet enfant naquit à la cinquième heure du jeudi, deux nuits restant du mois de Rabi' premier, deux jours après que son père fut rentré à Hamâh. Quand le sultan al-Malik al-Kâmil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 296 r°) fut revenu en Egypte et que l'hiver fut terminé, le sultan seldjoukide 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd ibn Kaï-Khosrav ibn Kilidj-Arslan prépara une expédition pour attaquer les Provinces Orientales ; il vint assiéger Édesse.
[300] Le nom de cet émir a été défiguré par le copiste; il se peut qu'il faille lire Thoghril; djaghril est composé du turc djaghri-îl.
[301] Cette année, la crue du Nil.fut suffisante (Histoire des Patriarches d'Alexandrie, ms. ar. 302, page 362), de telle sorte que tout le pays fut inondé et que toute crainte de famine fut écartée.
Quand le sultan al-Malik al-Kâmil (année 950 des Martyrs), se disposa à se rendre dans les Provinces Orientales, il distribua de fortes sommes d'argent à ses troupes, à tel point qu'il faisait porter des sacs de dirhems à la maison de ses émirs ; chaque émir recevait ainsi une somme qui variait suivant les personnes qu'il avait sous ses ordres ; à un émir commandant de cent cavaliers, il donnait 3.000 dinars (le ms. porte 100.000), 20 dinars pour chaque cavalier, et mille pour l'émir; tous reçurent ainsi, d'après leur rang dans l'armée ; il y en eut qui reçurent davantage, par exemple les cavaliers de la garde du sultan (halka) et d'autres encore. Le sultan partit du Caire le onzième jour du mois de Pashons, quelques jours après son frère al-Malik al-Ashraf-Moussa. Il nomma son lieutenant en Egypte, son plus jeune fils, al-Malik al-'Adil; le lundi vingtième jour de ce même mois, le jeune prince se rendit à la parade, précédé d'officiers portant des épées et des drapeaux.
[302] Djémal ad-Din ibn Wasil raconte dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 296 verso) qu'al-Malik an-Nasir se fit accompagner dans ce voyage par Fakhr-al-Koudât-Nasr-Allah ibn Baraka (plus haut Bourafa), par le cheikh Chams ad-Din al-Khosravshâhi ainsi que par plusieurs de ses mamlouks les plus dévoués. Le prince ayyoubide envoya au khalife des présents composés de ce qu'il avait de plus précieux; il espérait être reçu par le Commandeur des Croyants comme Mothaffar ad-Din Kokboûrî ibn Zaïn ad-Din Ali-Koutchek l'avait été quand il s'était rendu à la cour de Bagdad. Al-Malik an-Nasir raconte ainsi qu'il suit l'entrevue secrète qui lui fut accordée par le khalife (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 298 v°) : « Quand la nuit fut à demi écoulée, j'entrai par la porte du secret (bab-el-sirr) dans la salle du trône (ivan); il y avait un rideau baissé; je baisai la terre devant ce rideau et le khalife m'ordonna de m'asseoir, ce que je fis immédiatement. Le khalife se mit alors à me parler derrière le rideau et à s'entretenir amicalement avec moi. Il ordonna ensuite aux officiers d'élever le rideau, je me levai et je me prosternai une seconde fois, je me relevai ensuite et j'allai baiser sa main; il m'ordonna de m'asseoir devant lui, il me parla sur toutes les sciences et sur les règles de la poésie durant tout le reste de la nuit ». Al-Malik an-Nasir alla visiter le collège al-Mostansiriyya qui avait été bâti par le khalife sur les bords du Tigre; il y fut reçu par les juristes et les savants. Al-Mostansir-billah se tint à une fenêtre (roushan) et il écouta la conversation du prince ayyoubide avec les docteurs de Bagdad.
Le khalife al-Mostansir-billah (Djémal ad-Din ibn Wasil, ms. arabe 1702, folio 299 r°) donna à al-Malik an-Nasir-Daoud un splendide vêtement d'honneur composé d'un turban d'étoffe noire ornée de galons d'or, et d'une robe noire brodée d'or; il donna également des robes d'honneur à ses compagnons de voyage et à ses mamlouks. Il envoya avec lui un officier qui était de ses courtisans les plus intimes, au sultan al-Malik al-Kâmil pour intercéder en faveur d'al-Malik an-Nasir. An-Nasir arriva à Damas avec l'ambassadeur du khalife, pendant qu'al-Malik al-Kâmil s'y trouvait chez son frère al-Malik al-Ashraf. Al-Kâmil et al-Ashraf sortirent de la ville pour les aller recevoir; le sultan d'Egypte traita bien son neveu et il consentit à lui pardonner comme le khalife le lui demandait. Al-Malik an-Nasir alla loger dans le palais que son père al-Malik al-Mo'aththam lui avait laissé et qui avait appartenu avant cela à al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din Omar ibn Shâhânshâh ibn Ayyoub.
Le kadi Djémal ad-Din ibn Wasil raconte qu'il vint de Hamâh à Damas, et qu'il reconduisit al-Malik an-Nasir jusqu'à Karak; il resta auprès de ce prince jusqu'au commencement de l'année 634 et il s'en retourna ensuite à Hamâh; l'ambassadeur du khalife se rendit également à Karak dans la compagnie d'al-Malik an-Nasir-Daoud.
[303] Ce prince avait en effet épousé l'une des filles du sultan al-Kâmil.
[304] Djémal ad-Din raconte dans le Mofarradj qu'il fut accompagné dans cette expédition par son frère al-Ashraf.
[305] On a vu plus haut que le sultan seldjoukide de Roum, 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd, s'en était emparé ainsi que de Harrân, en 632.
[306] En se rendant en Egypte, où ils devaient être détenus durant leur captivité.
[307] Ville située à deux farsakhs de Mardîn, également nommée Koutch-Hisār.
[308] Le sultan al-Malik al-Kâmil lui avait donné, en l'année 630, la forteresse d'Hisn-Keïfa, pour l'empêcher de revenir en Egypte et d'y intriguer. C'était pour l'éloigner encore plus du Caire qu'il lui donnait le gouvernement du pays que les auteurs de cette époque nomment « les Provinces Orientales ». Cela ne l'empêcha pas d'ailleurs de s'emparer du trône d'Egypte, aux dépens de son frère al-Malik al-'Adil, l'héritier légitime de la couronne.
[309] Voici comment l'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie raconte les détails de cette importante campagne (ms. ar. 302, page 372) :
Le sultan ayant appris qu'une partie de l'armée du sultan du pays de Roum avait attaqué les frontières des Provinces Orientales, partit avec toute son armée pour la Syrie. Ses adversaires arrivèrent devant Amid et l'assiégèrent pendant une semaine sans pouvoir s'en emparer. Ils levèrent alors le siège après avoir incendié les récoltes et mis le feu aux bourgs (qui en dépendaient). De là, ils vinrent à Souvaïda; ils s'emparèrent de cette localité par la trahison de la garnison qui s'y trouvait et qui la leur livra. Ils marchèrent ensuite contre ar-Rohâ (Édesse) ; ils la prirent d'assaut et massacrèrent la plus grande partie des gens qui s'y trouvaient ; les autres furent faits prisonniers et emmenés en captivité. C'étaient, pour la plupart, des Chrétiens syriens ou arméniens. Ils assiégèrent la forteresse pendant plusieurs jours, et un des officiers du sultan (d'Egypte) nommé Koûnadj (?) la leur rendit. Quelques personnes disent qu'il traita avec eux et qu'il leur livra ar-Rohâ parce qu'il y avait dans cette place une grande quantité d'argent, des armes et des étoffes pour une valeur dé plus de 100.000 dinars. Les troupes du pays de Roum s'emparèrent de la ville et emmenèrent en même temps l'officier qui la leur avait livrée. De là, elles marchèrent sur Harrân, dont elles s'emparèrent ainsi que de la citadelle de cette ville, qui se rendit. Le sultan al-Malik al-Kâmil traversa alors l'Euphrate ; les ennemis laissèrent dans chacune des citadelles dont ils s'étaient emparés des troupes pour les garder, et ils· se mirent en marche pour rentrer dans leur pays après avoir mis toute la contrée à feu et à sang, et après avoir fait un nombre incalculable de prisonniers. Le sultan envoya une armée à Donaïsir et dans le pays de Mardîn, parce que le prince de ce pays était un allié du sultan du pays de Roum (al-Roumi) ; les troupes d'al-Kâmil dévastèrent la contrée, firent un grand nombre de prisonniers et s'emparèrent d'un butin dont on ne saurait fixer la valeur, à tel point qu'une jolie femme se vendait 50 dirhems nokra, un bon mulet 30 dirhems et un mouton un dirhem; les troupes égyptiennes amenèrent leurs prisonniers à Misr et au Caire. Le sultan arriva ensuite devant Harrân; il investit la citadelle et l'assiégea durant quelques jours; comme elle ne voulait pas capituler, il fit mettre des mandjanik magrébins en batterie, et l'enleva d'assaut; il fit prisonniers tous ceux qui s'y trouvaient, au nombre de plus de 700; il les envoya au Caire chargés de chaînes et de fers.
Il marcha ensuite sur ar-Rohâ et vint mettre le siège devant la citadelle qui était plus forte et mieux défendue que celle de Harrân ; il ne put la réduire avec le tir des mangonneaux maghrébins parce que, lorsqu'un jour ces machines avaient fait brèche dans le mur de contrescarpe, les assiégés bouchaient cette brèche.
Néanmoins, Édesse fut également prise d'assaut; tous ceux qui y étaient furent faits prisonniers et envoyés au Caire; ils étaient environ un millier d'hommes
[310] Râfa'a ; la troisième forme de rafa'a signifie généralement « citer devant une juridiction qui peut prononcer une peine » ; il est possible que cette forme signifie ici « prononcer l'interdit contre un ecclésiastique » ; le sens de cette partie est très obscur, car les sujets ne sont indiqués que par les pronoms.
[311] Tous ces gens avaient reçu des pots de vin et des cadeaux du prêtre Dàoûd, et s'ils ne lui en gardaient, comme il est fort probable, qu'une reconnaissance très modérée, ils ne voulaient pas qu'on leur enlevât, en le révoquant, une source de revenus qui était peut-être plus importante que leur maigre traitement; d'ailleurs, comme on le voit par le récit de l'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie, pour s'entendre avec les sultans ayyoubides, le mieux était de commencer par mettre la main à la poche, et Ibn Laklak le savait mieux que personne.
[312] Sur toute cette période, jusqu'en l'an 640 de l'hégire, on consultera avec fruit la chronique d'Alep écrite par Kamal ad-Din ibn al-'Adim, qui est une des sources de l'histoire de cette période ; cette partie de l’Alep a été traduite dans la Revue de l'Orient latin. Contrairement à Makrizi et à l'historien d'Alep, qui cependant devait être bien renseigné, puisqu'à cette époque il appartenait à l'administration, Djémal ad-Din ibn Wasil donne au kadi d'Alep le nom de Kamal ad-Din (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, fol. 300 verso).
[313] Ou « fut chargé de les départager en cas d'avis contraire ».
[314] On peut voir dans l’Alep du sahib Kamal ad-Din ibn al-'Adim (Revue de l'Orient latin), sous la rubrique de cette année et des années suivantes quelques détails curieux sur cette princesse d'un esprit remarquable, qui gouverna Alep et la principauté avec un tact politique dont les souverains avaient perdu la tradition depuis l'époque de Salah ad-Din. Les femmes jouèrent, chez les ayyoubides, un rôle plus considérable et autrement important que celui des princesses dans la plupart des familles régnantes musulmanes, et il est certain que Safiyya fut le type le plus achevé de la « femme d'état », que des deuils successifs obligent à prendre en main les rênes du pouvoir. Elle fut bien supérieure à Shadjarr-ad-Dorr, dont on verra les aventures dans la suite de cette histoire, aussi bien par son irréprochable conduite, à laquelle tous les historiens ont rendu un juste hommage, que par ses talents politiques.
[315] Il y avait déjà longtemps, comme le dit très bien Djémal ad-Din ibn Wasil dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 301 v°), que les princes ayyoubides de Syrie s'étaient brouillés avec le sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil, dont ils redoutaient de plus en plus l'ambition. On a vu un peu plus haut, que ce fut leur hostilité qui fit échouer l'expédition qu'al-Malik al-Kâmil avait entreprise contre le pays de Roum. La façon dédaigneuse dont ce prince traita le nouveau souverain d'Alep et les membres de son gouvernement lui aliénèrent encore davantage les esprits. AΙ-Malik al-Ashraf écrivit à sa sœur, la régente d'Alep, pour lui proposer une alliance offensive contre l'Egypte et défensive avec le sultan du pays de Roum, 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd. Le récit de Djémal-ad-Din, en cet endroit, suit de très près celui de Kamal ad-Din dans son Alep; cette circonstance me dispensera d'insister plus longuement sur ces événements. Le prince de Homs, al-Malik al-Moudjahid-Asad ad-Din Shirkouh était, parait-il, un des plus enragés contre al-Malik al-Kâmil (Mofarradj, man. ar. 1702, folio 302 v°).
[316] C'était un vêtement d'honneur, envoyé jadis par le sultan d'Egypte à al-Malik al-'Aziz que la régente faisait ainsi porter à al-Malik al-Kâmil. Aujourd'hui encore, les insignes des ordres conférés par un souverain doivent lui être renvoyés, à lui ou à son successeur, au décès du titulaire.
[317] Je ne sais trop comment traduire le mot markoûb, qui est employé ici par Makrizi. Dozy dit, dans le Supplément aux Dictionnaires arabes, que ce mot désignait en Egypte des bottes ou des souliers en maroquin rouge, mais je doute que ce sens convienne dans ce passage. Il ne serait pas impossible qu'il faille le traduire par selle ou plutôt par équipement du cheval de guerre, comprenant la selle, le tapis, les buffleteries, et tous les caparaçons.
[318] Pour répondre à l'alliance que les ayyoubides avaient conclue contre lui, al-Kâmil s'allia avec le prince de Karak. Voici comment Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 302 v°) raconte cet important événement : « Quand les princes ayyoubides furent décidés à entreprendre la guerre contre al-Malik al-Kâmil, al-Malik al-Ashraf écrivit à son neveu, al-Malik an-Nasir-Daoud, pour lui demander d'entrer dans la coalition comme l'avaient fait les princes de Homs, de Hamâh et les Halébins; il lui promettait de lui laisser le trône de Damas après sa mort, et de lui donner en mariage sa fille unique ». On ne sait trop quel parti aurait pris le versatile prince de Karak, car l'ambassadeur envoyé par al-Malik al-Ashraf arriva presqu'en même temps que celui que fit partir le sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil, le kadi al-Ashraf ibn al-kadi al-Fadil Abd-ar-Rahim al-Baïsâni, dès qu'il eut vent des projets du souverain de Damas; l'ambassadeur d'al-Kâmil, rappela à al-Malik an-Nasir qu'il n'avait jamais eu qu'à se plaindre d'al-Malik al-Ashraf et que, dans ces conditions, il ne convenait pas qu'il fit alliance avec lui ; al-Kâmil oublia vraisemblablement de rappeler à son neveu que leurs relations n'avaient pas toujours été empreintes d'une bien grande cordialité. Quoiqu'il en soit, l'alliance fut rapidement conclue, car al-Nasir-Daoud fut poussé par sa mère à entrer dans le parti d'al-Kâmil. Djémal ad-Din dit (ibid., folio 303 r°) qu'après al-Malik al-'Adil Saïf ad-Din Abou Bakr (voir le texte page suiv.), ce fut al-Malik al-Djavâd-Mothaffar ad-Din Yoûnis ibn Maudoud ibn al-Malik al-'Adil ibn Ayyoub, qui porta le ghâshiah devant le prince de Karak, al-Malik an-Nasir-Daoud. Dès qu'al-Malik al-Ashraf eut été informé de la brillante réception qui avait été faite à an-Nasir-Daoud, il envoya le kadi de Damas, le kadi Chams ad-Din al-Khouyyi (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 303 v°), au sultan seldjoukide du pays de Roum, Ghiyâth ad-Din-Kaï-Khosrav. Le prince de Home, al-Malik al-Moudjahid-Asad-ad-Din, envoya au sultan seldjoukide un ambassadeur ainsi que le prince de Hamâh ; l'ambassadeur de Hamâh se nommait Sharaf-ad-Din 'Abd al-'Aziz ibn Mohammad, les Halébins lui en envoyèrent également un, et, quand ils eurent conclu une alliance offensive et défensive avec le sultan seldjoukide, ils députèrent une ambassade à al-Malik al-Kâmil pour lui apprendre ce fait.
[319] L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. arabe 302, page 372) rapporte que le sultan al-Malik al-Kâmil était rentré de son expédition en Syrie au Caire, le 22 du mois de Kaïhak 953 des Martyrs ; il se rendit ensuite à Damiette le 20 de Amshir, et il y resta pendant quelque temps. De là, il alla à Alexandrie où il demeura également durant un certain temps ; il avait l'intention d'y faire un long séjour. Cette même année, l'ambassadeur du khalife arriva de Bagdad : c'était un des plus grands juristes de cette ville ; il se rendit à Damiette où il eut une entrevue avec le sultan pour l'amener à faire la paix avec le sultan du pays de Roum, avec lequel il était en état d'hostilités. Le sultan al-Malik al-Kâmil fit partir avec lui un plénipotentiaire, et tous les deux se rendirent à Kâïsariyya qui est la capitale du pays de Roum pour les Musulmans (sic). Leur arrivée coïncida justement avec la mort du sultan du pays de Roum; aussi ne purent-ils avoir d'entrevue avec lui. Son fils étant monté sur le trône, remit en liberté les soldats de l'armée égyptienne et syrienne, que 'Alâ ad-Din avait faits prisonniers et qui se trouvaient dans ses états. Le sultan d'Egypte relâcha également les prisonniers qu'il avait faits dans sa campagne contre le sultan du pays de Roum et qui étaient détenus en Egypte.
[320] En donnant à al-Malik al-Nasir-Daoud l'investiture pour la ville de Damas, al-Malik al-Kâmil, souverain de l'Egypte, agissant comme prince suzerain de tous les ayyoubides, proclamait la déchéance d'al-Malik al-Ashraf qui avait été l'âme de la coalition formée contre lui dans le but de le renverser
[321] Le sens est certain d'après Aboulféda (Hist. orient., t. I, p. 112), mais la phrase de Makrizi est tellement concise qu'elle semble dire tout le contraire; traduite à la lettre, elle signifie : « il renouvela son contrat sur (‘alâ) son divorce d'avec 'Achoura ». Il faut comprendre ici ‘Alâ comme signifiant « par dessus, sans tenir compte de, par annulation de ».
[322] Ou plutôt dans le ventre (bâtin) ; il est assez curieux que presque tous les princes musulmans moururent de maladies d'entrailles ou de dérangements d'estomac; sans parler des princes ayyoubides dont il a été question dans le cours de cette histoire, on en pourrait citer un grand nombre d'exemples. On sait que le célèbre Abou 'Ali-al-Hosain ibn 'Ali ibn Sina, plus connu en Occident sous le nom d'Avicenne, dut le crédit dont il jouissait auprès de l'émir Chams ad-Din à ce qu'il le guérit pour un certain temps d'une maladie d'entrailles. C'est d'une semblable maladie que mourut le sultan d'Egypte al-Malik ath-Tahir-Baybars, à moins qu'il n'ait été empoisonné.
Cette même année, les Templiers, qui étaient établis à Baghrâs et qui avaient relevé cette petite ville de ses ruines, tentèrent un coup de main sur les territoires des Musulmans (voir l’Alep, de Kamal ad-Din).
[323] On a vu plus haut (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 305 r°) que le sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil, avait ordonné à son fils al-Malik as-Sâlih de se rendre dans les Provinces de l'Orient. Ce prince était parti avec toute sa famille et toute sa maison. Al-Malik al-Kâmil avait envoyé avec lui, pour prendre soin des affaires de son royaume, l'eunuque (tawâshi) Chams ad-Din Savâb al-'Adili qui ne laissa aucun pouvoir à al-Malik as-Sâlih, de telle sorte que ce prince ne semblait guère être que le lieutenant (naïb) de son père dans ces contrées. L'émir Chams ad-Din Savab étant venu à mourir, al-Malik al-Kâmil donna à son fils la ville d'Hisn-Keïfa avec tout ce qui en dépendait. C'est ainsi qu'al-Malik as-Sâlih devint maître d'Amid, de Harrân, de Rakka, de Saroûdj et de Ra'as 'Aïn. On sait comment le sultan Djalal ad-Din ibn 'Alâ ad-Din Kharezmchah mourut dans le pays de Mayyafarikîn, après que son armée eut été mise en déroute par les Tartares, près d'Amid. Les débris de ces troupes se réunirent et allèrent attaquer l'empire de Roum; le sultan seldjoukide 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd ibn Kaï-Khosrav ibn Kilidj-Arslan les prit à son service de façon à augmenter l'effectif de son armée. Les Kharezmiens étaient au nombre de plus de 12.000 cavaliers ; parmi leurs chefs, étaient Hosâm ad-Din Bérékèh-Khan, Koushloû-Khân, Berdi-Khan, Sâroû-Khan et Kîz-Khân. Ils restèrent au service du sultan ‘Alâ ad-Din jusqu'au moment de sa mort. Son fils et successeur, Ghiyâth ad-Din Kaï-Khosrav, fit arrêter leur principal chef, Bérékèh-Khân. Cela détermina les Kharezmiens à quitter le service du sultan du pays de Roum ; ils partirent, pillant tout sur leur passage, et ils traversèrent l'Euphrate; le sultan al-Malik as-Sâlih chercha à les attirer dans son parti ; il écrivit à son père, le sultan d'Egypte al-Malik al-Kâmil, pour lui demander la permission de les prendre à leur service. Al-Kâmil le lui permit; Bérékèh-Khân s'échappa ensuite du pays de Roum et vint rejoindre ses anciens compagnons d'armes.
[324] Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1702, fol. 306 r°) cite parmi les médecins qui soignèrent al-Malik al-Ashraf durant sa maladie, Sa'd ad-Din al-Dimishki, qui était réputé pour un très habile praticien, et Mouvaffik ad-Din Ibrahim, un des médecins d'al-Malik al-'Adil.
[325] On a vu plus haut, d'après le récit de Djémal ad-Din ibn Wasil, que le sultan de Damas, al-Malik al-Ashraf, avait offert à al-Malik an-Nasir-Daoud, seigneur de Karak, la main de sa fille et le trône de Damas, s'il voulait embrasser son parti, mais que ce prince s'était au contraire rangé du côté d'al-Malik al-Kâmil; al-Malik al-Ashraf (ms. ar. 1702, folio 308 v°), déçu de ce côté, offrit le trône à son frère al-Malik as-Sâlih qui, depuis l'époque de la mort de son père al-Malik al-'Adil, ne possédait que la ville de Bosra, sans rien d'autre.
[326] Le prince de Hamâh, al-Malik al-Mothaffar (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 309 r·) envoya le cheikh Abou Salim, fils du kadi Kamal ad-Din Mothaffar, fils d'al-Takafi, qui était l'un des plus habiles juristes de Hamâh, en ambassade à al-Malik al-Kâmil pour lui faire savoir qu'il ne cesserait jamais de se considérer comme son mamlouk et que, s'il s'était allié à al-Malik al-Ashraf, c'était uniquement dans la crainte de ne pouvoir se défendre contre ce prince allié aux Halébins, au prince de Homs et au sultan du pays de Roum, Ghiyâth-ad-Din. Al-Malik al-Kâmil reçut l'ambassadeur du prince de Hamâh de la façon la plus flatteuse, et il lui promit de donner à son maître la ville de Salamiyya. C'est alors que les Halébins envoyèrent le sahib Kamal ad-Din ibn al-'Adim, accompagné d'Alâ ad-Din Taïboghâ, au sultan al-Malik al-Mothaffar et à al-Malik-al-Moudjahid. On peut lire dans l’Alep le récit que fait Kamal ad-Din de cette mission, aussi je crois inutile de traduire ce que raconte sur ces événements le kadi Djémal ad-Din ibn Wasil dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 309 r°).
[327] D'après Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 309 v°), ce fut al-Malik an-Nasir-Daoud, fils d'al-Malik al-Mothaffar, qui offrit au général qui commandait à 'Adjloûn une forte somme d'argent s'il voulait lui rendre la place. Quand al-Malik al-Kâmil fut arrivé près de Damas, l'émir Izz ad-Din Aïbec al-Mo'aththami, seigneur de la petite ville de Sarkhad, y entra pour porter secours à al-Malik as-Sâlih ; en même temps, des renforts furent envoyés à Damas, de Homs et d'Alep sous le commandement de Nâsih ad-Din al-Fârisi. Al-Malik an-Nasir-Daoud attaqua Damas du côté d’Akiba et de la porte Bâb-ath-Toûma; il arriva presque au mur de la place et il faillit s'emparer de Damas; mais al-Malik al-Kâmil, bien loin de le soutenir, lui donna ordre de rétrograder. Le lendemain, al-Sâlih fit une sortie et incendia 'Akiba où se trouvait une quantité considérable d'approvisionnements. Sur ces entrefaites, al-Moudjahid-Asad ad-Din envoya à Damas un corps de secours de 50 (sic) hommes, qui fut complètement écrasé par le sultan al-Malik al-Kâmil; tous ces gens furent pendus. Pendant qu'il était occupé au siège de Damas, le sultan envoya à al-Malik al-Mothaffar un diplôme qui lui conférait la propriété de la ville de Salamiyya. Djémal ad-Din raconte que le sultan entra avec son neveu Daoud dans la ville (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 310 v°) et que ce dernier alla demeurer dans sa maison, qui était connue sous le nom de maison de Shama, et qui se trouvait à l'intérieur de Damas. Al-Malik al-Kâmil envoya ensuite son armée faire le siège de Homs, sous le commandement du prince d’Itamâh.
[328] Le sujet n'est pas indiqué dans le texte.
[329] Hadji-Khalifa nous apprend, que, à son époque, 'Adjloûn était une grande subdivision gouvernée par un pacha. Cette localité tirait son nom d'une forteresse située sur la montagne de Ghaûr en face de Baïsân, à l'occident du Jourdain. Elle avait été bâtie par un officier de Salah ad-Din Youssouf ibn Ayyoub, nommé Izz ad-Din Ousâma. Aboulféda nous apprend qu'il y avait un bourg qui en dépendait et qui se nommait Ba'oûtha.
[330] Ou al-'Okalba, la forme pouvant être lue comme un diminutif.
[331] Il y a deux localités qui portent le nom de Savâd, la première, celle dont il est question dans le texte de Makrizi, se trouve dans les environs de la Balkâ et elle a reçu ce nom à cause de la couleur noire des pierres qu'on y trouve. La seconde est un canton dans T'Irak.
[332] La tente impériale.
[333] Astakhdama bihi ashéran lil-khalifa ; on pourrait traduire « il lui apportait de l'argent pour lever une armée au compte du khalife ».
[334] Il y avait longtemps qu'al-Malik al-Kâmil en avait envie; l'entrée des Halébins dans la coalition des ayyoubides de Syrie et du sultan seldjoukide du pays de Roum, fournissait à ce prince un prétexte pour commencer les hostilités.
[335] L'un des eunuques qui se trouvèrent auprès d'al-Kâmil à ses derniers moments rapporte que ce prince lui demanda un bassin pour vomir. Au même moment, al-Malik al-Nasir-Daoud se présenta à la porte et demanda à entrer pour voir son oncle, mais al-Kâmil lui fit répondre, indigné de son audace, qu'il attendit sa mort (Abou’l Mahâsin, Egypte, ms. ar. 1779, folio 64 recto).
Djémal ad-Din ibn Wasil, rapporté par Abou 'l-Mahâsin, raconte dans le Mofarradj-al-kouroûb-fl-akhbâr-Béni-Ayyoub (Nodjoùm-al-zahira-ft-akhbdr-mouloùk-Misr-wa'-l-Kàhira, ms. ar. 1779, folio 64 recto) qu'on fit subir cette médication à al-Malik al-Kâmil d'après les prescriptions du célèbre Mohammad ibn Zakariyâ-al-Razi qui dit, dans son traité de médecine intitulé « la médecine en une heure » que cette indisposition se traite en versant de l'eau extrêmement chaude sur la tête, ce qui coupe immédiatement la maladie. Le médecin d'al-Kâmil dit à Djémal ad-Din ibn Wasil que ce traitement eut pour résultat de faire descendre l'inflammation du cerveau à l'entrée de l'estomac qui se dilata en provoquant une très forte fièvre. On ne sait trop au juste de quoi mourut al-Kâmil. Ibn Wasil raconte, d'après les dires du médecin Radi ad-Din, que le sultan fut atteint d'une violente angine et qu'il vomit une grande quantité de sang mélangé à du pus: une partie de ce pus pénétra dans le poumon et y détermina une inflammation qui emporta le sultan.
[336] Ibn Khallikan, cité par Abou’l Mahâsin (Egypte, ms. 1779, folio 63 verso), raconte que l'inhumation dans la citadelle ne fut que provisoire et qu'on bâtit à al-Kâmil un tombeau (turbèh) tout près de la grande mosquée. Ce tombeau communiquait avec la mosquée par une porte grillée (shabâk).
[337] Ibn Khallikan (cité par Abou’l Mahâsin, Egypte, ms. ar. 1779, folio 63 verso), qui était à Damas à l'époque de la mort d'al-Kâmil, raconte qu'on cacha avec soin le décès du sultan jusqu'à la prière du soir du vendredi, mais que tout le monde s'en doutait. A ce moment, l'un des prédicateurs monta sur le minber et dit : « Implorez la miséricorde d'Allah pour l'âme du sultan al-Malik al-Kâmil, sultan d'Egypte. »
[338] Ibn Khallikan (cité par Abou’l Mahâsin dans son Egypte ms. arabe 1779, folio 63 verso), dit que, dans une khotba faite à la Mecque, al-Malik al-Kâmil reçut les titres suivants : « sultan de la Mecque et de ses adorateurs, du Yémen et de sa capitale Zébid, de l'Egypte et de son Sa'id, de la Syrie et de ses vaillants guerriers, du Djézireh et de ses enfants, le sultan des deux Kiblas (la Mecque et Jérusalem), le souverain des deux étendards, le serviteur des deux nobles sanctuaires, al-Malik al-Kâmil Abou’l Ma'âli Nasir ad-Din Mohammad, l'ami du Commandeur des Croyants. » Ce passage est intéressant, parce qu'on y voit déjà poindre la titulature des sultans de la dynastie d'Os man, de même que les inscriptions des Seldjoukides de Roum présentent des formes qui sont l'origine de toutes celles qui furent usitées dans le protocole des souverains postérieurs, ayyoubides, Mongols, Timourides, etc. De plus, l'expression « souverain des deux étendards » rappelle celle de souverain de la haute et de la basse Egypte, du protocole des Pharaons.
[339] Dhahabi donne aux savants qui conférèrent à al-Malik al-Kamil son diplôme de licence (idjaza) les noms d'Abd-Allah ibn Berri, Abou 'Abd-Allah ibn Sadaka-al-Harrâni, 'Abd-ar-Rahman ibn al-Kharki.
[340] En lisant gharibiyya; avec 'arabiyya, il faudrait comprendre « un recueil en arabe » ; mais ce sens n'est point satisfaisant.
[341] Et aussi quand il les avait invités à venir passer la soirée avec lui et que la discussion s'était prolongée jusqu'à une heure tardive, de telle sorte qu'il n'eût pas été prudent pour eux de regagner leur domicile.
[342] C'est-à-dire les gens les plus distingués, le mot imâm étant pris ici dans son sens étymologique de « celui qui marche devant », et non dans son sens dérivé d' « officiant ».
[343] Ce détail rappelle la police des sultans mongols, qui était si bien faite qu'on pouvait suspendre des objets d'or aux branches d'un arbre sans que personne s'exposât à les voler. Al-Kâmil avait quelquefois des façons originales de rendre la justice, ou plutôt de redresser les torts (Abou'l Mahâsin, Egypte, ms. ar. 1779, folio 64 recto). Un jour, l'écuyer de son ostaddar (grand-maître du Palais) vint se plaindre au sultan de n'avoir pas touché ses gages depuis six mois. Le sultan fit descendre l’ostaddar de son cheval, lui fit revêtir les habits de l'écuyer, fit mettre à l'écuyer les vêtements de l’ostaddar et ordonna à ce dernier de servir son écuyer comme si celui-ci eut été son maître. Cela dura jusqu'à ce que l'écuyer eût demandé grâce pour l’ostaddar à al-Malik al-Kâmil.
[344] Litt. une chose.
[345] Quand il fut devenu aveugle, en s'occupant des détails matériels dont le vizir ne pouvait plus se charger.
[346] Siyâset, qu'il faut peut-être traduire par « extrêmement sévère ».
[347] Cette phrase est fort obscure et je ne la traduis que d'après ce qui précède.
[348] L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 380) raconte que, lorsque la nouvelle de la mort du sultan arriva au Caire, les gens se hâtèrent de ramasser des vivres dans la crainte de mourir de faim et de subir un siège. Le prix de l’ardeb (de froment) s'éleva à 30 dirhems, celui de l'orge à 18 dirhems, ainsi que celui des fèves. On interdit absolument la vente des céréales, sauf aux minotiers qui en vendirent, d'après ce qu'avait été leur récolte; la population fut plongée dans la misère la plus profonde, car on ne pouvait se procurer ni blé ni pain. La foule assiégeait les boutiques, de telle sorte qu'on n'en pouvait approcher; de plus, il y avait des gendarmes (djandâr) pour garder les magasins des boulangers; on n'y vendait pas plus d'un pain à la fois, et encore le pesait-on strictement. Cette situation se prolongea pendant une semaine; au bout de ce temps, on laissa les gens acheter des céréales autant qu'ils voulurent. Après la mort du sultan, les gens ne voulurent plus employer la monnaie de billon dans les transactions commerciales, dans les deux villes (le Caire et Misr) ; il y eut deux computs différents, soit avec les monnaies d'argent, soit avec les monnaies de billon. On en vint à ce qu’un dirhem varak s'échangeait contre deux dirhems comptés en sous, et le dirhem notera contre six dirhems comptés en sous. On frappa de coups de trique ceux qui agissaient ainsi et on les promena ignominieusement dans les rues, ce qui les empêcha de recommencer leur trafic. Le mot varak, vark signifie étymologiquement feuille, d'où feuille de papier, puis feuille de métal mince comme une feuille de papier. Ce mot est, non le pehlvi varg, comme le dit Dozy (Suppl., II, p. 797) d'après de Kremer, mais une forme beaucoup plus ancienne empruntée aux langues iraniennes, soit à la fin de l'époque achéménide, soit au commencement de la période arsacide. On comparera le zend vareka « feuille », qui se lit dans le Lexique Zend-Pehlevi.
L'auteur de l'Histoire des Patriarches ajoute, toujours sous la rubrique de l'année 954 des Martyrs, qu'on s'occupa activement de terminer le gros œuvre ('amal) du mur qui entoure les deux villes du côté du fleuve (/bahr/) et du canal (khalidj) ; on réquisitionna pour en creuser les fondements, les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs; on prit même les prêtres chrétiens qui se trouvaient dans les églises du Caire et de Misr.