Traduite de l'Arabe par E. BLOCHET
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
DE
TRADUCTION FRANÇAISE ACCOMPAGNÉE
DE NOTES HISTORIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
La mère d'al-'Adil se nommait Sitt as-Souda, et elle était connue sous le nom de la « fille du fakîh Nasr ». Al-'Adil naquit en l'an 617, et il monta sur le trône d'Egypte et de Damas, le jeudi, vingt-deuxième jour du mois de Redjeb de l'année 635, date correspondante au seizième jour du mois de Barmahat; on fit la khotba en son nom au Caire et à Misr le septième jour du mois de Chaban.
Il fut le septième sultan de la dynastie ayyoubide qui régna en Egypte.[1] Des courriers arrivèrent auprès de lui, de Damas, pour lui annoncer la mort de son père et son élévation au trône. L'émir Saïf ad-Din Kilidj rassembla les émirs dans sa maison et leur fit prêter serment à al-Malik al-'Adil. Ce prince diminua les droits perçus sur les transactions conclues dans les marchés (maks), et il fit de grands dons et de grandes largesses à tout le monde. — Cette année, le septième jour du mois de Chaban, on fit la khotba à Misr au nom d'al-'Adil, et on annonça publiquement la mort d'al-Malik al-Kamil ; le dix-septième jour du même mois, on frappa des monnaies au nom d'al-'Adil — le dix-huitième jour du mois de Ramadan, on grava des coins pour les dinars et les dirhems, à son nom. — Le vingt, on lut un rescrit du sultan sur les menbers, ordonnant la remise générale de tous les droits perçus sur les transactions opérées dans les marchés.[2] — Le vingt-sept de chewâl, arriva Mohyî ad-Din Youssouf ibn al-Djaûzi, en qualité d'ambassadeur du khalife de Bagdad, pour présenter à al-'Adil les compliments de condoléances de son maître à l'occasion de la mort de son père et ses félicitations pour son avènement au trône ; le khalife avait déjà envoyé les vêtements d'honneur et l'étendard à Damas ; al-Malik al-Djavâd monta à cheval revêtu de ces habits, après le 19 Ramadan. — Al-Malik al-'Adil distribua de l'argent aux troupes. — Le deuxième jour du mois de Dhou’lhiddjeh, Ibn al-Djaûzi lui fit prêter serment au khalife al-Mostansir. —Ce même mois, on apprit qu'al-Malik an Nasir et al-Malik al-Djavâd s'étaient prêtés mutuellement serment, qu'ils s'étaient alliés et qu'ils s'étaient soustraits à l'obéissance qu'ils devaient à al-Malik al-'Adil. Al-Malik al-Nasir se rendit à Ghaza, où il fit réciter la khotba en son nom ; mais, au bout de quelque temps, al-Nasir et al-Djavâd se brouillèrent, et al-Djavâd se montra tout disposé à se soumettre à al-'Adil. — Quand les troupes qui venaient de Damas approchèrent du Caire, al-Malik al-'Adil monta à cheval et se rendit à leur rencontre. Il les reçut avec honneur et leur envoya dans leurs campements de l'argent, des robes d'honneur et des chevaux. Ces troupes lui renouvelèrent leur serment de fidélité[3] de sorte qu'il se trouva complètement affermi sur le trône. Il distribua de l'argent aux soldats et il se montra si généreux à leur égard qu'il dépensa en peu de temps tous les trésors que son père avait mis bien du temps à amasser. Il se mit à éloigner de la cour les émirs de l'empire; il supprima les traitements des grands dignitaires et il les réserva pour ceux qui étaient ses créatures. Ces mesures lui aliénèrent les esprits des gens importants, d'autant plus qu'il se désintéressait de leurs conseils pour s'adonner à la boisson, au libertinage et à toutes les débauches.
Al-Moudjahid, prince de Homs, devint puissant après la mort d'al-Kâmil;[4] il alla faire une expédition du côté de Hamâh et y mit le siège. Les Halébins se préparèrent à la lutte et prirent à leur solde une armée de Kharezmiens et une armée de Turcomans; un certain nombre de soldats d'al-Malik… vinrent les rejoindre. Les Halébins les reçurent avec de grands honneurs, et ils envoyèrent demander au sultan Ghiyâth-ad-Din, souverain du pays de Roum, de leur envoyer un corps de renfort; ce prince leur envoya la meilleure partie de ses troupes. Cette armée entra en campagne et s'empara de Ma'arrat; elle alla ensuite assiéger Hamâh et elle attaqua le prince qui y régnait, Mothaffar-ad-Din, mais il leur résista et il leur livra plusieurs batailles.
Al-Malik al-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, fils d'al-Malik al-Kâmil, assiégeait Rahba[5] ; quand il reçut la nouvelle de la mort de son père, il leva le siège. Les Kharezmiens qui se trouvaient dans son armée voulaient à toute force s'emparer de cette ville,[6] aussi ils se révoltèrent contre ses ordres, et ils cherchèrent à se saisir de lui. Al-Malik al-Sâlih s'enfuit à Sindjar, où il se défendit pendant quelque temps, puis il abandonna ses trésors et ses bagages; les Kharezmiens les mirent au pillage et ils se rendirent maîtres de tout le Djézireh.[7] Le sultan du pays de Roum, Ghiyâth ad-Din, avait également envie de le faire prisonnier ; il envoya à al-Malik an-Nasir, prince d'Alep, un diplôme d'investiture pour ar-Rohâ et Saroudj qui appartenaient à al-Malik as-Sâlih ; il donna à titre de fief à al-Malik al-Mansour-Nasir ad-Din al-Ortoki, prince de Mar-dm, les villes de Sindjar et de Nisibin qui faisaient également partie des domaines d'al-Malik as-Sâlih; il donna de même, en fief, à al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs, la ville de 'Ana et d'autres places du Khabour. Il se proposa de s'emparer également d'Amid et de Soumaïsat, et il se mit en marche pour aller assiéger Sindjar. Al-Malik ar-Rahim-Badr ad-Din Loulou, prince de Maûsil, avait également le dessein de s'emparer d'al-Malik as-Sâlih, et il vint l'assiéger dans Sindjar au mois de Dhoû’lka’dah. Il voulait conduire ce prince à Bagdad dans une cage de fer, tant il le détestait à cause de son injustice, de sa violence et de son orgueil. Quand la ville[8] fut sur le point d'être prise, al-Malik al-Sâlih fit partir[9] le kadi Badr ad-Din Yousouf ibn al-Hasan-Nadzâri,[10] kadi de Sindjar; il lui fit couper la barbe et les cheveux et le fit descendre (par une corde) du haut du mur. Badr-ed-Din avait été un grand personnage du temps d'al-Malik al-Ashraf, qui lui avait donné la charge de kadi de Baalbek, à l'époque où il s'était emparé de Damas. Plus tard, al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub l'avait nommé kadi de Sindjar. Il vivait avec un grand luxe, il était très généreux et universellement connu; il possédait des mamlouks, des serviteurs et une suite qui vivait avec une pompe sans pareille. Il tenait le rang d'un des plus grands émirs et il eut des poésies composées en son honneur par les savants qui étaient venus chercher asile auprès de lui, ainsi que par les poètes qui célèbrent les vertus des personnes nobles (bouyoutat). Le kadi se rendit en secret auprès des Kharezmiens ; il les flatta et les attira dans le parti de son maître en leur faisant toutes les promesses possibles. Ils embrassèrent la cause d'al-Malik as-Sâlih après avoir été les alliés du prince de Mardîn et après avoir envahi les possessions d'al-Sâlih[11] ; ils s'étaient emparés de plusieurs districts, et ils avaient mis le siège devant Harrân, où se trouvait al-Malik al-Moughith-Fath ad-Din 'Omar, fils d'al-Malik as-Sâlih. Al-Moughith se sauva à la citadelle de Dja'abar ; les Kharezmiens se mirent à sa poursuite, ils pillèrent tout ce qu'il emportait avec lui, et ce prince dut s'enfuir devant eux avec seulement quelques personnes, vers Manbidj. Il demanda à sa tante, la mère du souverain d'Alep, al-Malik al-Nasir, de lui accorder sa protection, mais cette princesse ne voulut point le recevoir, de telle sorte qu'il s'en revint à Harrân. — Cette même année, al-Moughith reçut une lettre de son père, lui ordonnant de se joindre aux Kharezmiens et devenir le rejoindre avec eux pour repousser Badr ad-Din Loulou, prince de Maûsil. Al-Moughith se mit alors en marche avec les Kharezmiens ; le kadi Badr ad-Din leur avait assuré que les villes de Sindjar, de Harrân et de Rohâ leur seraient données en fief. Cette promesse leur causa beaucoup de joie, ils prêtèrent serment de fidélité à al-Malik as-Sâlih et se déclarèrent prêts à obéir à son fils al-Malik al-Moughith. Ils marchèrent avec lui vers Sindjar, dont l'armée de Maûsil s'éloigna immédiatement pour regagner son pays. Mais les Kharezmiens rejoignirent les troupes de Maûsil et leur livrèrent une terrible bataille. Badr ad-Din Loulou s'enfuit à peu près seul, monté sur un cheval extrêmement rapide, et les débris de son armée ne le rejoignirent que plus tard. Les Kharezmiens s'emparèrent de tout ce qu'il possédait, ce qui les rendit très riches. Cette victoire rétablit solidement les affaires d'al-Malik as-Sâlih et lui donna une grande puissance. Il envoya les Kharezmiens à Amid qui était investie par l'armée du sultan du pays de Roum et que défendait son fils al-Malik al-Mo'aththam Ghiyâth ad-Din Tourânshâh. Les Kharezmiens tombèrent sur l'armée du sultan de Roum et la forcèrent à lever le siège d'Amid. Après ces événements, al-Malik as-Sâlih sortit de Sindjar et se rendit à Hisn-Keïfa.
Al-Malik al-'Adil envoya alors du Caire un ambassadeur à Alep[12] pour demander aux habitants de se conduire à son égard, comme ils l'avaient fait à l'égard de son pore al-Malik al-Kâmil, c'est-à-dire de faire réciter la khotba en son nom sur les menbers d'Alep, et de faire frapper la monnaie à son chiffre, mais ils n'y voulurent point consentir. — Un ambassadeur du souverain du pays de Roum arriva alors à Alep. Ghaziat-Khatoun, fille d'al-Malik al-’Aziz, épousa le sultan Ghiyâth-ad-Dîn, et al-Malik an-Nasir, souverain d'Alep, épousa la sœur du sultan Ghiyâth-ad-Dîn. Ce fut le sahib Kamal ad-Din ibn al-'Adim qui dressa le contrat (de Ghaziat-Khatoun). Il partit ensuite en ambassade pour le pays de Roum et dressa le contrat de mariage d'al-Malik al-Nasir, souverain d'Alep, avec Malika-Khatoun, sœur du sultan Ghiyâth ad-Din ; le sultan Ghiyâth ad-Din envoya un ambassadeur à Alep et on fit la khotba dans cette ville à son nom.[13]
Al-Malik al-Djavâd partit de Damas, le premier jour du mois de Dhou’lhiddjeh pour aller faire la guerre à al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Karak. Les deux armées se rencontrèrent près de Nabotes; al-Malik an-Nasir fut battu à plate couture, le mercredi, quatorzième jour de ce même mois, et il s'enfuit à Karak. Al-Djavâd s'empara de tout ce qu'il possédait et s'en retourna à Damas. Il distribua six cent mille dinars et cinq mille vêtements d'honneur, abolit les droits sur les transactions opérées dans les marchés (maks), défendit de boire du vin et chassa les chanteuses.[14] Les troupes égyptiennes qui se trouvaient à Damas s'en retournèrent au Caire après ces événements, sous le commandement de l'émir 'Imad-ad-Dîn, fils du grand cheikh ; elles firent leur entrée dans cette ville, le vingt-sixième jour du mois de Dhou’lhiddjeh, avec les drapeaux d'an-Nasir.[15] Cela ne réjouit pas beaucoup al-Malik al-'Adil, car il craignait que la puissance d'al-Malik al-Djavâd ne prît une trop grande extension. — Cette année, les Tatars attaquèrent Bagdad ; le khalife envoya contre eux une armée ; la plupart des soldats (tatars) furent tués et le reste prit la fuite. — Cette année, mourut le kadi des kadis de Damas, Chams ad-Din Abou’l Barakat-Yahya ibn Hibat-Allah ibn al-Hasan ibn Sani ed-dauleh, le Chaféite, le cinquième jour du mois de Dhoû’lka’dah. — On rendit sa place, le sept du même mois au kadi des kadis, Chams ad-Din Ahmad ibn Khalil al-Khoûyyi. — On détermina les attributions des notaires (shouhoud).[16] Il y avait, à Damas, avant cette époque des scribes (varrak) qui écrivaient les actes et les autres pièces (officielles); quand ils s'étaient acquittés de leur tâche, ils se rendaient chez les assesseurs du kadi (‘oudoul) qui examinaient les pièces et authentifiaient celles qu'ils voulaient ; dans la suite, cette mesure fut imitée à Misr et au Caire. — Le shérif Chams ad-Din Mohammad ibn al-Hosaïn al-Armavi fut investi de la charge de kadi de l'armée[17] et de la surintendance[18] de l'empire en Egypte; le diplôme qui l'investissait de ces fonctions fut lu dans la grande mosquée de Misr en présence de l'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr et de Falak ad-Din al-Masirî. — On prohiba la circulation de la monnaie de cuivre (folous). — Cette année, al-Malik al-Mansour Nour ad-Din 'Omar ibn 'Ali ibn Rasoûl partit du Yémen, se dirigeant vers la Mecque. L'émir Asad ad-Din Djaghril brûla tous ses bagages et il sortit de la Mecque avec ses troupes, le septième jour du mois de Redjeb, deux jours avant l'arrivée du souverain du Yémen. Les deux armées se rencontrèrent entre la Mecque et Sirraïn[19] ; les Arabes qui composaient l'armée du shérif Râdjih prirent la fuite, et l'émir Schihâb ad-Din ibn 'Abdân, l'un des émirs du Yémen, fut fait prisonnier, l'émir Djaghril le fit enchaîner et l'envoya au Caire. Quant à lui, il se rendit à Médine, où il reçut la nouvelle de la mort du sultan al-Malik al-Kâmil. Il partit avec ses troupes pour le Caire et elles entrèrent par détachements séparés dans cette ville au milieu du mois de Chaban; l'armée du Yémen resta à la Mecque. Dieu sait le mieux (ce qui est le meilleur).
Al-Malik al-Djavâd fit arrêter Safi ad-Din ibn Marzouk et le força à lui verser quatre cent mille dinars ; il le fit ensuite enfermer dans la citadelle de Homs où il resta trois ans sans voir la lumière. Le prince donna le gouvernement[21] de Damas à un eunuque de sa femme qui se nommait al-Nâsih ; il traita les habitants d'une façon tyrannique et il leur extorqua de grandes sommes d'argent. Al-Djavâd fit arrêter Imad ad-Din Omar, fils du cheikh des cheikhs ; mais ensuite il eut peur du frère d’Imad-ad-Dîn, Fakhr ad-Din. Ce prince finit par s'ennuyer d'être souverain de Damas et il s'écria : « A quoi me sert de régner? J'aime mieux un faucon, un chien, que la royauté ! » Il sortit de la ville pour se rendre à la chasse, et il écrivit à al-Malik al-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, fils d'al-Malik al-Kâmil, pour le prier de lui donner en échange de Damas les deux villes de Hisn-Keïfa et de Sindjar. Al-Malik as-Sâlih fut enchanté de cette demande, et il se mit en marche pour Damas. — Cette année, un ambassadeur du sultan du pays de Roum se rendit au Caire pour présenter à al-Malik al-'Adil ses compliments de condoléance au sujet de la mort de son père. — Les troupes d'Alep levèrent le siège de Hamâh, après avoir réduit à la dernière extrémité al-Mothaffar, souverain de cette ville. Quand ils furent partis, il ruina la citadelle de Barîn qui était une place très fortifiée.
Cette année, les grands émirs furent indignés de voir le sultan al-Malik al-'Adil s'entourer de jeunes gens et de nullités à qui il distribuait de l'argent et des fiefs et dont il suivait tous les conseils, se retirant complètement au fond de son palais, où il se désintéressait des affaires de l'état en se livrant à tous les plaisirs. Al-Malik an-Nasir-Daoud, qui était prince de Karak, conçut le dessein de s'emparer de l'Egypte; il se rendit dans ce pays apportant de magnifiques présents, des jeunes esclaves joueuses de harpe et de luth, et des danseuses, ainsi que des coupes à boire précieuses. Al-Malik al-'Adil se rendit au devant de an-Nasir, le huitième jour du mois de chewâl[22] et lui témoigna de grands honneurs ; an-Nasir-Daoud lui offrit alors les jeunes esclaves, les coupes et les autres objets qu'il avait apportés à son intention. Le sultan ne voulut pas être en reste et il lui fit des présents aussi beaux que ceux qu'il avait reçus. Al-Malik al-Nasir se montra très empressé à faire sa cour à al-'Adil et resta dans son palais ; tantôt il remplissait auprès de lui les fonctions de chambellan, tantôt celles d'ostadar ou de davadar, de façon à pouvoir entrer chez le sultan en tout temps et à être à même d'employer toutes ses séductions pour obtenir de lui ce qu'il voudrait. Il pensait qu'il arriverait ainsi à détourner les émirs du parti d'al-'Adil et qu'il les amènerait à embrasser le sien. Quand il se fui rendu maître de l'esprit du sultan, il lui conseilla de se défier de l'émir Fakhr-ad-Din, fils du grand cheikh, en lui laissant entendre qu'il était dévoué corps et âme à al-Malik al-Mo'izz Modjîr ad-Din et qu'un certain nombre des émirs penchaient en faveur de ce prince; il lui persuada de faire arrêter Fakhr-ad-Dîn. Al-'Adil se laissa duper par an-Nasir-Daoud et il donna l'ordre d'arrêter l'émir; il le fit emprisonner dans le Château de la montagne. Il chassa ensuite d'Egypte son oncle al-Malik al-Mo'izz, ainsi que le frère d'al-Mo'izz, al-Malik al-Amdjad-Takî ad-Din 'Abbâs. Quand al-Nasir eut atteint le but qu'il se proposait, al-Malik al-'Adil[23] s'imagina que les émirs tendaient à se rallier au parti d'al-Malik al-Djavâd qui gouvernait à Damas au nom du sultan; il manda l'émir ‘Imad ad-Din Omar, fils du grand cheikh pour lui parler de cette affaire; quand ‘Imad-ad-Diu apprit qu'al-'Adil l'appelait auprès de lui, il craignit qu'il ne lui arrivât la même chose qu'à son frère. Il vint néanmoins trouver le sultan qui le chargea d'obtenir la soumission d'al-Malik al-Djavâd et de l'amener à Misr.[24] Il le fit partir du Caire pour lui amener de Damas al-Malik al-Djavâd. Quand l'envoyé du sultan d'Egypte fut arrivé, ce prince le combla d'honneurs; mais, dès que 'Imad ad-Din eut commencé à lui parler de se rendre auprès d'al-Malik al-'Adil, al-Djavâd l'amusa par ses promesses et il traîna en longueur de telle sorte que ‘Imad ad-Din comprit qu'il refusait de venir au Caire. L'émir convoqua immédiatement les gouverneurs, les intendants, les naïbs et les employés de la chancellerie de Damas et de la province qui en dépend, et il leur dit : « Le sultan al-Malik al-'Adil vient de destituer al-Djavâd de la vice-royauté de Damas. Ne lui remettez plus l'argent [des impôts] et n'écoutez plus les ordres qu'il vous donnera ! » Al-Malik al-Djavâd entra dans une rage indescriptible, il fit arrêter ‘Imad ad-Din et le fit enfermer dans la citadelle de Damas.
Al-Malik al-Djavâd et al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs,[25] conclurent une alliance étroite[26] ; l'émir ‘Imad-ad-Diu ibn Kilidj, naïb d'al-Djavâd à Damas, se mit de leur parti; les deux princes jugèrent qu'ils n'arriveraient à rien s'ils ne faisaient assassiner ‘Imad ad-Din, fils du grand cheikh ; dans cette intention, ils envoyèrent des gens aux officiers (navvab) Ismaïliens; ils leur donnèrent de l'argent et un village.[27] Les Ismaïliens envoyèrent deux fédavis[28] qui tuèrent l'ambassadeur d'al-Malik al-'Adil à la porte de la grande mosquée, le vingt-sixième jour du mois de Djoumada premier.[29] Les assassins prétendirent ensuite qu'ils s'étaient trompés et qu'ils voulaient tuer al-Malik al-Djavâd, qui avait une grande ressemblance avec l'émir. Quand al-Malik al-'Adil apprit cet événement, il en conçut un vif ressentiment contre al-Djavâd.
Le vingtième jour du mois de chewâl, on reçut la nouvelle que l'armée d'al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, sous le commandement de son fils al-Malik al-Moughith-Djalal ad-Din 'Omar, était arrivée à Djînin;[30] al-Malik al-'Adil et al-Malik an-Nasir assemblèrent les émirs et ils se jurèrent de combattre al-Malik as-Sâlih. Al-Malik al-Nasir-Daoud partit du Caire, le neuvième jour du mois de Dhoû’lka’dah pour aller livrer bataille à as-Sâlih, pendant qu'al-'Adil envoyait un certain nombre d'émirs et une partie de l'armée égyptienne pour s'emparer de Damas. Deux ambassadeurs vinrent trouver al-Malik al-Djavâd, lui apportant une lettre d'al-Malik al-'Adil qui lui offrait de lui donner la citadelle de Shaûbak ainsi que le pays qui en dépendait, la ville et le port d'Alexandrie, la province de Bohaïra, Kolyoûb et dix villages du canton de Djizeh, en Egypte, s'il voulait renoncer à ses fonctions de naïb-as-saltanah (vice-roi) de Damas et venir à la Citadelle de la Montagne pour l'aider de ses conseils dans le gouvernement de ses étals. Quand al Malik al-Djavâd eut reçu cette lettre, 'Imad ad-Din Kilidj, son naïb, lui dit qu'il craignait que lorsqu'il serait entré en Egypte, al-Malik al-'Adil ne le fit arrêter et que les enfants d’Imad-ad-Din, fils du grand cheikh, ne demandassent au sultan sa mort [pour venger celle de leur père]. Al-Djavâd refusa de livrer Damas et, en conséquence, al-Malik al-'Adil partit du Caire pour marcher contre Damas, le mardi dernier jour du mois de Dhou’lhiddjeh, et vint camper à Bilbis. Al-Djavâd fut épouvanté et comprit qu'il n'était pas en état de résister au sultan d'Egypte; aussi il envoya Kamal ad-Din Omar ibn Ahmed ibn Hibat-Allah ibn Talaha, prédicateur de la grande mosquée de Damas, à al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, prince de Hisn-Keïfa, du Diyâr-Bekr et d'autres parties des Provinces Orientales, pour lui offrir de lui livrer Damas en échange de Sandjar, de Rakka et de 'Ana. Ce fut un événement très opportun pour al-Malik as-Sâlih, qui y consentit et qui ajouta même la ville de Djoudaïda.[31] Il lui jura de tenir fidèlement sa parole et il donna le gouvernement des Provinces Orientales à son fils, al-Malik al-Mo’aththam Tourânshâh à qui il fixa Hisn-Keïfa comme capitale. Il mit des gouverneurs (naïb) à Amid et dans le Diyâr-Bekr et livra aux Kharezmiens qui étaient à son service les villes de Harrân, d'Édesse et toute la province du Djézireh. Il envoya ensuite demander à l'émir Badr ad-Din Loulou, prince de Maûsil, avec qui il avait fait la paix, un corps de secours que celui-ci lui envoya. Il partit alors pour Damas, pendant qu'al-Malik al-Djavâd supprimait le nom d'al-Malik al-'Adil dans la khotba, et y faisait substituer celui d'al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, fils du sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil; il fit également frapper les monnaies au chiffre de ce prince. Al-Sâlih fit son entrée à Damas au commencement du mois de Djoumada premier ; il était accompagné d'al-Malik al-Djavâd qui portait le ghashiah devant lui. Ce prince se repentait déjà de ce qu'il avait fait, et il voulut revenir sur ce qui avait été convenu, mais il n'y put réussir; il sortit de Damas, accompagné des malédictions des habitants pour le mal qu'il leur avait fait; al-Malik al-Sâlih lui envoya l'ordre de restituer aux gens les sommes qu'il leur avait extorquées, mais il refusa de le faire et s'en alla. Al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh, était également arrivé avec al-Sâlih, et al-Djavâd s'était rendu au devant de lui. Le jour de l'entrée d'al-Sâlih à Damas fut un jour mémorable.
Al-Malik al-Sâlih s'installa dans la citadelle de Damas, tandis qu'al-Djavâd se rendait dans les pays qui lui avaient été concédés. La durée de la vice-royauté d'al-Djavâd à Damas avait été de dix mois et seize jours; pendant ce temps, il avait dépensé tout l'argent qui se trouvait dans les trésors d'al-Malik al-Kâmil, et cette somme s'élevait à plus de six cent mille dinars, sans compter ni les étoffes et bien d'autres objets, ni les sommes qu'il extorqua aux marchands et aux fonctionnaires, ni l'argent qu'il prit à Safi ad-Din ibn Marzouk quand il le persécuta. Ces différentes sommes s'élevaient environ à cinq cent mille dinars.
Quand al-Malik as-Sâlih fut définitivement installé à Damas, al-Malik al-Mothaffar s'en retourna à Hamâh. Les Kharezmiens arrivèrent mettre le siège devant Homs, et al-Mothaffar resta quelque temps avec eux,[32] mais ils levèrent le siège sans avoir atteint aucun résultat et ils s'en retournèrent dans leur pays, en Orient.[33] Al-Malik as-Sâlih donna sa sœur, née de la même mère que lui, et dont le père était Faris ad-Din Kolaïb (?), mamlouk de son père, al-Malik al-Kâmil, au général des Kharezmiens, l'émir Hosâm ad-Din Bérékéh-Khân. — Sur ces entrefaites, al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh, envoya à plusieurs reprises des ambassadeurs à al-Malik al-Sâlih pour le pousser à aller attaquer Homs,[34] et les émirs égyptiens lui écrivirent pour l'engager à venir au Caire, lui promettant leur concours. Al-Sâlih partit alors de Damas, se dirigeant vers Bashît;[35] les Kharezmiens et le prince de Hamâh étaient alors occupés au siège de Homs. Shirkouh[36] envoya de grandes sommes d'argent qu'il fit distribuer aux Kharezmiens, ce qui les détermina à lever le siège et à s'en retourner en Orient ; le prince de Hamâh abandonna également le siège et partit pour ses étals.
Al-Malik al-Sâlih s'en retourna à Damas, ayant toujours le dessein d'aller s'emparer de l'Egypte ; il partit de Damas et se rendit à Djarba,[37] où il célébra la fête de la rupture du jeûne; l'armée se trouvait au dessous de Thaniyyat al-'Ukâb.[38] Al-Malik al-Sâlih ne savait s'il devait aller à Homs, ou au contraire se rendre en Egypte, aussi il resta au milieu de ses troupes [sans bouger] jusqu'au premier jour du mois de Ramadhan; il s'en retourna alors à Damas. Il ordonna à l'émir Hosâm ad-Din Abou 'Ali ibn Mohammad ibn Abi 'Ali,[39] son ostadar à Damas, de partir avec un détachement de l'armée pour Djînin ; il se mit en route et il demeura au-dessous de 'Akabat al-Koursi, sur les bords du lac de Tibériade, jusqu'à la un du mois de Ramadhan.
Quant on apprit [au Caire] qu'al-Malik as-Sâlih était parti pour marcher contre l'Egypte, dix-sept émirs égyptiens sortirent de la capitale; parmi eux, se trouvaient l'émir Nour ad-Din 'Ali ibn Fakhr ad-Din 'Othman, l'ostadar,[40] l'émir 'Alâ ad-Din ibn Schihâb ad-Din Ahmad, l'émir 'Izz ad-Din Aïbec al-Kourd al-'Adili, l'émir Izz ad-Din Balaban (sic) al-Modjahidi, l'émir Hosâm ad-Din Loulou al-Massoudi, l'émir Saïf ad-Din Bashtar al-Khvarizmi, l'émir Izz ad-Din Kadib Altan al-'Adili, l'émir Chams ad-Din Sonkor al-Donaïsiri[41] ; ces émirs emmenaient avec eux un grand nombre de leurs clients et de leurs soldats, ainsi que beaucoup d'officiers de la garde impériale (halkah) et de mamlouks du sultan.[42] Ils se mirent tous en marche dans l'intention de se rendre auprès d'al-Malik as-Sâlih à Damas. La cause de cette désertion était qu'al-Malik al-'Adil avait donné ordre à l'armée de partir pour le Sahel; il avait donné comme chef à ces troupes l'émir Rokn ad-Din al-Hidjâvi, et leur avait distribué de l'argent.[43] Quand les troupes firent étape à Bilbis, la discorde se mit dans leurs rangs; un certain nombre des émirs se révoltèrent contre al-'Adil et se décidèrent à passer au service d'al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub. Al-'Adil leur envoya l'émir Fakhr-ad-Din, fils du grand cheikh, et Bahâ ad-Din Malkîshoû pour les apaiser et les détourner de leur dessein, mais ils ne voulurent rien entendre. De plus, une partie de la garde impériale sortit du Caire avec une partie des troupes;[44] ils empêchèrent que l'on fermât la Porte de la Victoire, puis ils sortirent détachement par détachement. Al-Malik al-'Adil proposa aux émirs Kurdes qui étaient restés auprès de lui d'aller combattre ceux qui l'avaient trahi à Bilbis, avant que ces derniers eussent eux-mêmes pris l'offensive [contre les troupes qui lui étaient restées fidèles]. Les Kurdes livrèrent bataille aux Turcs à Bilbis; les Turcs furent battus et un de leurs émirs fut fait prisonnier; les autres prirent la fuite, poursuivis l'épée dans les reins jusqu'aux environs de Sankiyyah. Les troupes de la garde qui étaient sorties du Caire vinrent les rejoindre et ils marchèrent tous ensemble vers Tell al-'Adjoûl ; le trésor [que les insurgés avaient emporté et qui leur fut repris à Bilbis] fut renvoyé intact au Caire. Les rebelles finirent par envoyer demander pardon au sultan qui le leur accorda et leur jura une amnistie complète; toutefois, ils ne revinrent pas pour cela au Caire et ils continuèrent leur route vers al-Malik al-Sâlih. Quand ils eurent atteint Ghaza, al-Malik as-Sâlih ordonna à son ostadar de partir pour Khirbat al-Lousous; quant à lui, il sortit de Damas avec le reste de son armée, deux nuits restant dans le mois de Ramadhan, et il alla camper aux abords de cette localité. L'émir Nour ad-Din ibn Fakhr ad-Din arriva avec ses troupes, ce qui lui causa beaucoup de plaisir; les nouveaux venus affermirent encore sa résolution d'aller attaquer l'Egypte.[45] Il se remit en marche, et s'empara de Nabolos, d'al-Aghvar, de la province qui dépend de Jérusalem et des provinces du Sahel. Il envoya son fils, al-Malik al-Moughith Fath ad-Din Omar, à Damas, et il donna en fief aux émirs qui étaient venus d'Egypte pour se rallier à lui, la ville de Nabolos et les cantons qui en dépendaient pour qu'ils pussent vivre des revenus de ces localités. Al-Malik an-Nasir-Davoud partit d'Egypte et se rendit à Karak. Al-Malik al-'Adil et sa mère furent extrêmement troublés de la marche d'al-Malik al-Sâlih et ils en éprouvèrent une grande frayeur; cette nouvelle jeta toute l'Egypte dans le plus grand désarroi. Fakhr al-Kodât-Nadjm ad-Din ibn Nassafa[46] sortit de Karak, se rendant en ambassade de la part d'al-Nasir-Davoud auprès d'al-Malik al-Sâlih; il devait assurer ce prince de la part de son maître, que ce dernier l'aiderait et le soutiendrait dans ses revendications; il lui demandait, pour prix de ses services, la ville de Damas avec tout ce que son père avait possédé ; mais al-Sâlih ne voulut point souscrire à ces conditions. [Ce refus décida an-Nasir-Davoud] à retourner auprès d'al-Malik al-'Adil pour l'aider dans sa lutte contre son frère, al-Malik as-Sâlih; il vint loger dans le Palais du Vizirat au Caire.
Au mois de Dhou’lhiddjeh, le sahib Mohyî ad-Din ibn al-Djaûzi vint trouver al-Malik as-Sâlih, en qualité d'ambassadeur du khalife, pour l'amener à faire la paix avec son frère al-Malik al-'Adil. As-Sâlih célébra avec une grande pompe l'arrivée de l'ambassadeur, mais, au même moment, les émirs d'Egypte et d'autres personnages de ce pays lui écrivirent, à plusieurs reprises et dans un laps de temps très court, pour lui promettre leur concours, lui affirmant que tout le pays se soumettrait à lui et qu'il serait universellement reconnu pour sultan.
Cette même année, mourut al-Malik al-Mansour-Nasir ad-Din Ortok ibn Arslan, le turcoman, l'Ortokide, prince de Mardîn ; ce fut son fils qui le tua, étant ivre, et qui régna après lui sur Mardîn.[47] — Cette même année, une guerre éclata entre les Arabes des tribus de Djouddâm et de Tha'aliba,[48] dans la province orientale de l'Egypte (sharkiyya) ; un grand nombre d'entre eux périrent dans cette lutte; leur (sic) cheikh fut tué, il se nommait Samh ibn Nadjm. Le sultan al-Malik al-'Adil leur envoya l'émir Bahâ ad-Din ibn Malkishou pour rétablir la paix entre eux; le sultan se trouvait alors à Bilbis, étant parti du Château de la Montagne à la fin du mois de Dhou’lhiddjeh avec l'armée égyptienne.[49]
Au commencement de cette année, al-Malik al-'Adil était à Bilbis avec son armée, dans le dessein de passer en Syrie pour y aller combattre son frère al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub. Il séjourna quelque temps à Bilbis et ses émirs complotèrent de s'emparer de lui ; l'un d'eux donna un grand dîner auquel assista al-Malik al-'Adil. Le sultan comprit quelle était l'intention de ses émirs. Il se rendit aux cabinets comme pour satisfaire un besoin, il en sortit par derrière, sauta sur un cheval et s'en retourna au Château de la Montagne. Les émirs lui envoyèrent alors plusieurs personnes qui le prièrent de revenir ; il déclara qu'il n'était rentré au Caire que pour présider la fêle de la rupture du Canal et qu'il retournerait ensuite auprès d'eux. Quelques jours après, la nécessité le contraignit à quitter le Caire pour se rendre à 'Abbasa, le vingt-quatrième jour du mois de Moharram, et il fit arrêter plusieurs émirs.[50] — cette année, au milieu du mois de Safer, al-Malik an-Nasir-Daoud se rendit d’Abbasa à Karak, accompagné d'Ibn Kilidj et de plusieurs émirs égyptiens. Al-Malik al-'Adil entendit raconter que l'émir Fakhr ad-Din Yousouf, fils du grand cheikh avait entretenu une correspondance avec as-Sâlih; il le fit arrêter et le fit emprisonner. — Mohyî ad-Din Abou’l Mothaffar-Yousouf, fils du cheikh Djémal ad-Din Abou’l Faradj 'Abd-ar-Rahman ibn al-Djaûzi, s'employa de tous ses moyens à rétablir la paix entre les souverains ayyoubides aux conditions suivantes : Damas appartiendrait à al-Malik as-Sâlih, l'Egypte à al-'Adil et l'on restituerait à an-Nasir-Davoud les villes qui lui avaient été enlevées. L'ambassadeur demeurait auprès d'al-Malik as-Sâlih pendant que son fils, Sharaf-ad-Din, allait et venait de Nabolos au Caire; cela dura jusqu'au moment où les négociations furent sur le point d'aboutir; l'ambassadeur se rendit alors en personne au Caire avec Djémal ad-Din Yahya ibn Matrouh,[51] ministre de la guerre d'al-Malik al-Sâlih ; ils présentèrent leurs lettres de créance et demeurèrent à la cour d'al-Malik al-'Adil. Al-Malik al-Sâlih avait écrit à son oncle, al-Malik al-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ’îl, de venir le rejoindre à Nabolos, et il lui avait envoyé le médecin Sa’ad ad-Din al-Dimishki avec des pigeons voyageurs par lesquels il devait faire porter ses dépêches pour le tenir au courant des événements qui se produiraient. Il arriva alors une chose extraordinaire. Quand le médecin fut arrivé à la citadelle de Baalbek, al-Sâlih Ismâ’îl[52] se prit à réfléchir aux moyens qui pourraient le rendre maître de Damas et lui permettre de l'enlever à son neveu, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub; il envoya en secret des émissaires à son neveu, al-Malik al-'Adil, pour lui faire savoir qu'il s'était bien juré de s'emparer de Damas, tout en le reconnaissant pour son suzerain et en se tenant tout prêt à lui obéir ; il lui promettait que lorsqu'il se serait rendu maître de Damas, il ferait réciter la khotba en son nom sur les minbers de ses mosquées et ferait frapper la monnaie à son chiffre; il écrivit également à al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs, pour lui demander de lui fournir des secours; en même temps, al-Malik al-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ’îl faisait parvenir à al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub des lettres dans lesquelles il lui promettait de venir le rejoindre à Nasiriyya et il s'empressait de mobiliser son armée : le médecin Sa'd ad-Din ayant découvert ce qui se passait, écrivit à al-Malik al-Sâlih des dépêches qu'il fit porter par des pigeons pour lui apprendre cet événement, mais toutes les fois qu'il lâchait un de ces pigeons, l'oiseau rentrait dans son colombier, dans la citadelle de Baalbek,[53] et le gardien du colombier portait la dépêche à al-Malik al-Sâlih ’Imad ad-Din; ce prince falsifiait le texte qui avait été écrit par le médecin Sa'd ad-Din, lui faisant dire que son serviteur, al-Malik al-Sâlih ’Imad ad-Din, s'apprêtait avec le plus grand zèle à aller rejoindre l'armée impériale, et il avait l'audace de protester qu'il était tout prêt à lui obéir; il renvoyait ensuite cette dépêche remaniée, par un des pigeons qui avaient été apportés par le médecin, et, quand al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din la recevait, il s'imaginait qu'elle émanait de son envoyé et ces bonnes nouvelles le rassuraient. Al-Malik al-Sâlih ’Imad ad-Din continua d'envoyer ainsi de fausses dépêches, car toutes les fois que Sa'd ad-Din faisait partir un pigeon pour son maître, l'oiseau rentrait dans la citadelle de Baalbek; on le portait à al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, [qui agissait comme il vient d'être dit].[54] Il arriva en même temps une autre aventure non moins étrange. Al-Malik al-Mothaffar, prince de Maman, se décida à embrasser le parti d'al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub; il se montra tout prêt à l'aider et il fit réciter la khotba en son nom dans ses états. Les Halébins et al-Moudjahid, souverain de Homs, étaient ses ennemis déclarés et ils s'étaient concertés pour l'attaquer; al-Mothaffar, prince de Hamâh, apprit sur ces entrefaites que son oncle, al-Malik al-Sâlih 'Imad-ad-Din, prince de Baalbek, avait le projet d'aller attaquer Damas et qu'il avait fait alliance avec al-Malik al-Moudjahid, prince de Homs. L'armée de Damas se trouvait avec al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub à Nabolos; elle comptait cinq mille hommes et il n'y avait à Damas personne pour défendre la ville. Al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh, craignit que, dans ces conditions, Damas ne fût prise; aussi convint-il en secret avec l'émir Saïf ad-Din ibn Abou Ali que ce dernier ferait semblant d'être irrité contre lui et qu'il le quitterait en laissant croire aux notables de la ville qu'al-Malik al-Mothaffar avait l'intention de livrer Hamâh aux Francs, parce qu'il avait toutes sortes d'ennuis par suite de la fourberie des princes, ses voisins, qui avaient le dessein de s'emparer de sa ville; il espérait rétablir leurs affaires, grâce à cette ruse,[55] destinée à tromper le prince de Homs, et il comptait que l'émir Saïf ad-Din pourrait arriver à Damas avec l'armée elles principaux personnages et qu'ils y demeureraient pour la défendre jusqu'à ce qu'al-Malik as-Sâlih fût arrivé en Egypte ou qu'il s'en fût revenu à Damas.[56]
L'émir Saïf ad-Din simula donc une violente colère contre al-Malik al-Mothaffar; il prit avec lui une partie de l'armée elles plus grands personnages de Hamâh et il sortit de la ville. Il vint camper en dehors de Homs, près du lac de Kouds. Al-Malik al-Moudjahid ne fut pas dupe de la ruse d'al-Mothaffar ; il sortit de Homs, et il envoya dire à l'émir Saïf ad-Din qu'il désirait se rencontrer avec lui; l'émir vint le trouver tout seul et lui apprit qu'il se sentait une invincible répulsion pour al-Mothaffar à cause de l'amitié que ce prince avait pour les Francs et parce qu'il avait le dessein de leur livrer Hamâh; al-Malik al-Moudjahid lui témoigna la joie que lui causait son action, il le flatta et l'invita à accepter son hospitalité dans Homs. Quand Saïf ad-Din se fut rendu auprès de lui dans la forteresse, al-Moudjahid invita ses troupes à venir demeurer dans la ville; une partie des soldats entrèrent dans Homs, mais d'autres refusèrent de le faire. Quand al-Malik al-Moudjahid tint l'émir Saïf ad-Din en son pouvoir, il le fit arrêter et le fit enchaîner, ainsi que ceux de ses soldats qui étaient entrés dans la ville; les autres prirent la fuite. Al-Malik al-Moudjahid infligea à ceux dont il s'était saisi les châtiments les plus sévères et il confisqua tout ce qui leur appartenait. Saïf ad-Din resta dans les fers avec ses compagnons jusqu'à sa mort.[57]
Al-Malik al-Mothaffar fut désespéré de la perte des hommes de son armée [qui étaient tombés au pouvoir du prince de Homs]. Al-Malik al-Sâlih Ismâ’îl et al-Malik al-Moudjahid marchèrent sur Damas à la tête d'une armée considérable ; ils s'emparèrent de cette ville,[58] tout en reconnaissant la suzeraineté d'al-Malik al-'Adil, souverain de l'Egypte. Ils prirent Damas le vingt-septième jour du mois de Safer; ils s'emparèrent ensuite de la citadelle de Damas et ils firent emprisonner al-Malik al-Moughith, fils d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din. Al-Malik as-Sâlih apprit cet événement alors qu'il se trouvait à Nabolos;[59] il cacha cette nouvelle, mais il fit partir l'émir Hosâm ad-Din Mohammad ibn Abou 'Ali al-Hadbani, son ostadar, à la tête d'une division de l'armée, et il se mit en marche après lui, se dirigeant vers Damas. Quand Ibn Abou 'Ali arriva à al-Kisva, il apprit qu'Ismâ’îl et al-Malik al-Moudjahid s'étaient emparés de Damas; il s'en retourna alors auprès d'al-Malik al-Sâlih qui était venu camper à Baïsân et il lui apprit cette nouvelle; al-Sâlih se remit en marche avec lui et il arriva à al-Kosaîr dans le Ghaûr. Les troupes d'al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub apprirent la prise de Damas par des lettres que leur écrivit al-Malik al-Sâlih Ismâ’îl pour les attirer à son service. Ils ne voulurent plus servir plus longtemps leur souverain, et la situation désespérée dans laquelle il se trouvait les détermina à se rallier au parti d'al-Sâlih Ismâ’îl et ils désertèrent.[60] Il ne resta pas auprès d'al-Malik al-Sâlih cent personnes, tant émirs que soldats; les gens de sa maison et les membres de sa famille l'abandonnèrent aussi. Badr-ad-Din, kadi de Sindjar, le quitta également; il était un de ses familiers les plus intimes. Tous ces gens se rendirent à Damas, désespérant qu'après les événements qui venaient de se passer, al-Malik as-Sâlih pût jamais se relever. L'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali, ostadar de ce prince, lui resta fidèle, ainsi que Zaïn-ad-Din, son émir djandar, et Schihâb ad-Din ibn Sa'd ad-Din Koudjiba[61] (?); le père de cet émir, Sa'd ad-Din, était le 81s de la tante d'al-Malik al-Kâmil; l'émir Schihâb ad-Din al-Bavashiki resta aussi avec al-Sâlih avec environ quatre-vingt de ses mamlouks[62] ; le katib d'al-Sâlih, Bahâ ad-Din Zohaïr, resta également auprès de son maître. L'eunuque (tavashi) Schihâb ad-Din prit la fuite en emportant une grande quantité de bagages appartenant à al-Malik as-Sâlih, et emmenant quelques-uns des plus jeunes mamlouks et des pages de ce dernier; il se joignit à ceux qui se rendaient à Damas. Quand al-Malik as-Sâlih se vit ainsi abandonné de ses troupes, il perdit tout courage, et il fut persuadé que sa situation était irrémédiablement perdue; il partit durant la nuit.[63] Une troupe d'Arabes le rencontrèrent et voulurent le faire prisonnier, mais les gens qui se trouvaient avec lui leur résistèrent de telle sorte qu'il parvint à leur échapper et à se réfugier à Nabolos. Il campa en dehors de la ville.
Quand les troupes qui avaient trahi al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din arrivèrent à Damas, al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din fit arrêter ses deux frères, Modjîr ad-Din et Takî ad-Din et fit charger de chaînes les émirs égyptiens parmi lesquels se trouvaient Izz ad-Din Aïbec al-Kurdi, 'Izz ad-Din Kadib-Allah, Sonkor-ad-Donaïsiri et Balaban al-Moudjahidi. Nour ad-Din ibn Fakhr ad-Din Othman s'en alla à Bagdad.
Sur ces entrefaites, il arriva qu'al-Malik al-'Adil changea de sentiments à l'égard d'al-Malik an-Nasir Daoud ; ce prince quitta le sultan d'Egypte à Bilbis, en compagnie de l'émir Saïf ad-Din Ali ibn Kilidj et il se rendit à Karak, d'où il écrivit à al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub pour lui promettre son concours. Ensuite, il se rendit à Nabolos avec son armée, et il se saisit de la personne d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din; on dit également qu'il envoya des soldats qui s'emparèrent de ce prince à un moment où il se trouvait seul. Il le fit monter sur une mule, sans éperons ni cravache, durant la nuit du samedi, douzième jour du mois de Rabi premier, il l'envoya à Karak et il ne lui laissa qu'un seul mamlouk nommé Rokn ad-Din Baybars;[64] il envoya en même temps avec lui son épouse, Shadjar-ad-Dorr-Omm Khalil et il lui donna la citadelle pour séjour; il lui fournit tout ce qui lui était nécessaire de sorte qu'il n'avait à regretter que la perte de la souveraineté.[65] Bahâ ad-Din Zohaïr[66] et quelques-uns des mamlouks d'al-Malik as-Sâlih restèrent auprès d'al-Malik an-Nasir-Daoud, car ce prince les avait bien traités, et cela les détermina à entrer à son service. L'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali et Zaïn ad-Din qui était émir djandar d'as-Sâlih, lui demandèrent la permission de s'en aller à Damas; il leur permit de partir, mais dès qu'ils y furent arrivés, al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din les fit emprisonner, le dix-septième jour du mois de Rabi premier.
Al-Malik al-'Adil retourna au Caire après avoir envoyé Rokn ad-Din al-Hidjâvi à la tête d'une division pour garder le Sahel.[67] Quand il apprit que son frère avait été fait prisonnier, qu'on lui avait pris toutes ses richesses, qu'il était retenu captif à Karak et qu'il ne put douter de l'exactitude de ces faits, il en éprouva une vive joie, pensant qu'il serait désormais tranquille et il fit proclamer de pavoiser le Caire et Fostat. Ces deux villes furent ornées et il fit dresser de grandes tables dans l'Hippodrome Noir au-dessous de la Citadelle de la Montagne, il fit faire des pièces montées (kasr) en sucreries, il fit remplir des bassins de sucre et de citrons, et il fit servir un repas pour lequel il fallut faire rôtir 2,500 têtes de bétail, sans compter les autres services. On employa dans cette fête quinze cents pains de sucre. Le peuple fut convié à ce festin, où se rendirent les grands comme les petits.
Al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din apprit ce qui se passait au Caire dans sa prison de Karak. Il ne suffisait pas à al-Malik al-'Adil de savoir son frère emprisonné, aussi il envoya l'émir 'Alâ ad-Din ibn an-Nabolosi à al-Malik an-Nasir-Daoud pour le prier de lui envoyer son frère as-Sâlih dans une cage de fer sous bonne garde ; il lui offrait, pour le payer de ce service, une somme de quatre cent mille dinars et la ville de Damas, et il lui jurait qu'il lui garderait de ce service une reconnaissance infinie. Quand al-Malik au-Nasir-Daoud reçut cette lettre, il la montra à al-Malik as-Sâlih et il fit entrer auprès de lui le courrier qui l'avait apportée. Il écrivit ensuite à al-Malik al-'Adil une réponse conçue dans les termes suivants : « J'ai reçu la lettre du sultan, par laquelle il me demande que je lui envoie son frère dans une cage de fer. Tu me donneras quatre cent mille dinars misris et lu enlèveras Damas à ceux qui la possèdent actuellement pour me la donner : quant à ce qui est de l'or, je suis certain que tu en as beaucoup; en ce qui concerne Damas, quand tu l'auras conquise sur celui qui y règne et que lu me l'auras donnée, je te livrerai ton frère ! Telle est ma réponse. Salut ! »
Quand al-Malik al-'Adil reçut cette lettre, il ordonna de mettre l'armée sur pied de guerre pour aller faire une expédition en Syrie. Mohyî ad-Din ibn al-Djaûzi partit du Caire avec Djémal ad-Din ibn Malroùh, ambassadeur d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din qui s'était mis sous sa protection après que son maître eut été fait prisonnier et emprisonné à Karak. Al-Malik an-Nasir-Daoud écrivit une lettre en vers à son cousin al-Malik as-Sâlih qui était détenu chez lui à Karak…
Pendant ces querelles qui divisaient les princes ayyoubides, les Francs construisirent une citadelle à Jérusalem et, de la tour de David, ils firent une des tours de cette citadelle. La tour de David avait été respectée quand al-Malik al-Mo'aththam avait fait raser les murs de Jérusalem. Quand al-Malik an-Nasir-Daoud[68] apprit la construction de cette citadelle, il marcha contre Jérusalem et il la bombarda avec des mangonneaux, jusqu'au moment où il l'enleva d'assaut après vingt et un jours de siège, le neuf du mois de Djoumada premier, à la tête d'une partie de l'armée égyptienne. La tour de David ne fut prise que le quinze du même mois; al-Nasir accorda aux habitants la vie sauve, mais il s'empara de leurs biens. Il détruisit la tour de David, prit possession de Jérusalem, et en chassa les Francs, qui retournèrent dans leurs états. La prise de Jérusalem coïncida avec l'arrivée de Mohyî ad-Din ibn al-Djaûzi et de Djémal ad-Din ibn Matrouh; al-Djaûzi dit :
La Mosquée lointaine a cette coutume qui est devenue proverbiale dans tout l'univers :
Lorsque l’infidélité s'y est établie et l'a souillée de sa présence, Allah lui envoie un prince qui la venge de cette insulte (Nasir).
C’est un Nasir qui l’a vengée la première fois, et c'est un Nasir qui l'a vengée pour la seconde fois.[69]
Le Dimanche, quatorzième jour du mois de Rabi premier, il y eut une bataille entre les Francs et l'armée égyptienne qui occupait le Sahel; les Francs furent battus; les Musulmans capturèrent leur cavalerie, leurs comtes, quatre-vingt chevaliers[70] et deux cent cinquante fantassins qui furent conduits au Caire. Dans ce combat, les Francs perdirent dix-huit cent hommes tués, tandis que la perte des Musulmans ne fut que de dix hommes.[71]
Après ce combat, Ibn al-Djaûzi se rendit à Damas, et il chercha à rétablir la paix entre al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ’îl, al-Malik an-Nasir-Daoud et al-Malik al-'Adil, mais il n'y put arriver, aussi il s'en retourna au Caire au mois de Ramadhan. Al-Malik ibn Sonkor venait d'arriver arec le vêtement d'honneur destiné à al-Malik al-'Adil, à son fils, à sa mère, à ses émirs à et son secrétaire d'état aux affaires étrangères.[72] Ibn Matrouh arriva chez al-Malik al-Mothaffar à Hamâh, et ce prince l'envoya en ambassade dans les Provinces Orientales auprès des Kharezmiens, pour les inciter à venir au secours d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub; il lui donna, pour qu'il l'emportât avec lui, une lettre d'al-Malik an-Nasir-Daoud, dans laquelle ce prince disait[73] : « Je ne laisse al-Malik as-Sâlih enfermé à Karak que pour sa propre sécurité, dans la crainte des desseins que peuvent avoir sur lui son frère al-Malik al-'Adil, et son oncle, al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Dîn. Je le ferai sortir de Karak et je lui donnerai la souveraineté de l'empire. Marchez sur le pays d'Alep et de Homs! » Ibn Matrouh se rendit auprès des Kharezmiens, s'acquitta de la mission dont il avait été chargé, puis il s'en revint à Hamâh.
Sur ces entrefaites, al-Malik al-Moudjahid-Asad ad-Din Shirkouh ibn Nasir ad-Din Mohammad ibn Shirkouh, prince de Homs, mourut, le dix-neuvième jour du mois de Redjeb[74] ; il avait régné à Homs environ cinquante-six ans et il eut pour successeur son fils, al-Malik al-Mansour-Nasir ad-Din Ibrahim, qui contracta une alliance défensive avec al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din.
Al-Malik an-Nasir-Daoud conçut une violente colère contre al-'Adil parce que le sultan d'Egypte ne l'aidait pas à s'emparer de Damas et, de son côté, al-'Adil nourrissait contre lui un vif ressentiment parce qu'il n'avait pas voulu lui livrer son frère, Nadjm ad-Din Ayyoub; al-Malik an-Nasir en voulait aussi à al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din et il le menaçait de remettre en liberté al-as-Malik Sâlih Nadjm ad-Din, et de l'aider à conquérir le pays.
Al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh, ne faisait point faire la khotba au nom d'al-Malik al-'Adil, depuis qu'on avait cessé de la réciter au nom de son frère, al-Malik as-Sâlih Nadjm-ad-Din, et cela parce qu'il avait de l'inclination pour ce prince. Au commencement du mois de Ramadhan, al-Malik al-Mothaffar envoya le kadi Schihâb ad-Din Ibrahim ibn 'Abd-Allah ibn 'Abd al-Mo'nim ibn Abi-'l-Damm, kadi de Hamâh, en ambassade auprès d'al-Malik al-'Adil, au Caire ; il le chargea en secret d'une mission à Karak auprès d'al-Malik an-Nasir-Daoud, lui demandant de rendre la liberté à as-Sâlih Nadjm ad-Din et de l'aider à s'emparer[75] de l'empire. Le kadi s'acquitta de sa mission auprès d'al-Malik an-Nasir-Daoud, puis il continua sa roule vers l'Egypte ; al-Malik an-Nasir fit mettre as-Sâlih Nadjm ad-Din[76] en liberté, le vingt-septième jour du mois de Ramadhan et le pria de venir le trouver à Nabolos, où il résidait alors. Quand as-Sâlih fut arrivé près de cette ville, an-Nasir se rendit au devant de lui, lui témoigna les plus grands honneurs et fit dresser à son intention la tente de la souveraineté (dehliz-al-saltanah); les mamlouks et les officiers d'as-Sâlih qui étaient à la cour d'al-Malik an-Nasir vinrent reprendre leur service auprès de lui; parmi eux, se trouvaient l'émir Schihâb ad-Din ibn Koûdjiba, Schihâb ad-Din ibn al-'Arabaïn et le chef de sa chancellerie (katib) Bahâ ad-Din Zohaïr. Al-Malik an-Nasir ordonna au khâtib de Nabolos de faire la prière au nom d'al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din et de mentionner son nom comme souverain régnant, le jour de la rupture du jeûne. Les deux princes se rendirent à Jérusalem et ils se jurèrent mutuellement que l'Egypte appartiendrait à as-Sâlih, la Syrie avec les Provinces Orientales à an-Nasir, et que le premier donnerait deux cent mille dinars au second. La durée de l'emprisonnement d'al-Malik as-Sâlih avait été de sept mois et quelques jours ; ils se rendirent ensuite à Ghaza. Al-Malik al-'Adil apprit au Caire ce qui s'était passé, et cette nouvelle lui causa les plus vives inquiétudes. Il ordonna de faire sortir la tente impériale et les troupes, et il se mit en marche vers Bilbis au milieu du mois de Dhoû’lka’dah ; en même temps, il écrivit à al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ’îl de se mettre en campagne avec les troupes de Damas. Ce prince partit de Damas avec son armée et marcha sur al-Favâr.
Al-Malik as-Sâlih et al-Malik an-Nasir, craignant d'être attaqués à la fois par les troupes d'Egypte et par celles de Syrie, rétrogradèrent de Ghaza à Nabolos pour s'appuyer sur la forteresse de Karak.[77]
Pendant ce temps, al-Malik al-'Adil ne s'occupait que de futilités, et prodiguait toutes ses faveurs à des mignons, à des baladins et à des fêtards, si bien que l'on estime que les dépenses qu'il fit pour eux, de son argent particulier, s'élevèrent à six millions de dinars et vingt millions de dirhams.[78] Il donna à un esclave nègre, dont il avait fait son échanson (tashtdâr) et qu'on appelait Ibn Karsoun, un brevet d'émir de cinquante cavaliers. Cet individu emportait son brevet, se rendant dans la Citadelle en passant par la porte Bab al-Koullat, quand il fut rencontré par l'émir Rokn ad-Din al-Hidjâvi,[79] l'un des grands émirs à qui il montra son brevet. Rokn ad-Din le prit à la gorge, le gifla, et lui arracha son diplôme des mains. Une violente inimitié éclata entre les émirs et al-Malik al-'Adil et les émirs se détachèrent de lui. Cet état de choses dura jusqu'au moment où le sultan vint camper à Bilbis; l'émir Izz ad-Din Aïbec al-Asmar, commandant des émirs Ashrafis, se révolta, et il complota avec un certain nombre d'émirs et de mamlouks Ashrafis de déposer al-Malik al-'Adil et de l'emprisonner. D'autres personnes s'unirent à eux pour faire aboutir ce projet, parmi lesquelles Djauher al-Noûbi, Chams al-Khavass, eunuques d'al-Malik al-Kâmil, et d'autres mamlouks de ce prince tels que Masroûr al-Kamili et Kafur al-Faïzi. Ils montèrent à cheval au milieu de la nuit, cernèrent la tente (dehliz) d'al Malik al-'Adil, se précipitèrent à l'intérieur et s'emparèrent de lui ; ils le firent étroitement garder à vue dans sa tente, et personne ne fit un mouvement pour venir au secours du sultan, sauf les Kurdes qui tentèrent de le défendre, mais les Turcs et les eunuques tombèrent sur eux et les mirent en déroule. Les Kurdes s'enfuirent jusqu'au Caire. On prétend qu'Aïbec al-Asmar avait appris qu'al-Malik al-'Adil, s'enivrant un jour avec ses mignons et ses favoris, leur avait dit : « Dans peu de temps, vous boirez du sang d'Aïbec-el-Asmar, et de ceux qui sont mal intentionnés à mon égard, un tel et un tel », et il les nomma. Ce fut alors que les émirs se concertèrent pour le déposer et leur intention ne fit que se confirmer quand Ibn Karsoun eut demandé au sultan de lui livrer l'émir Shodja ad-Din ibn Barghash, vali de Koûs; quand il l'eut en son pouvoir, il lui fit subir les tourments les plus cruels et il s'ingénia à le torturer; il ne voulut admettre l'intercession d'aucun des émirs en faveur de ce malheureux. Le sultan al-Malik al-'Adil avait fait d'Ibn Karsoun son favori le plus intime, à ce point que c'était ce personnage qui résolvait les questions les plus importantes du gouvernement, ce qui déplaisait souverainement aux gens.
Al-Malik al-'Adil fut déposé le vendredi, neuvième jour du mois de chewâl, après un règne de deux ans, deux mois et dix-huit jours. Le premier jour de son lègue fut un jeudi, et le dernier, le jeudi[80] neuvième jour du mois de chewâl de l'an 637. Ce prince commit des prodigalités excessives; son père, al-Malik al-Kâmil, avait laissé environ six millions de dinars misris et vingt millions de dirhems qu'il gaspilla entièrement; on portait l'argent chez les émirs et chez ses favoris dans des hottes de portefaix. Son règne ne vit que des libéralités et la durée de sa souveraineté en Egypte fut une époque que la douceur de son caractère et sa grande bienfaisance rendirent fortunée.
Quand son frère al-Malik al-'Adil eut été arrêté, l'émir 'Izz ad-Din Aïbec al-Asmar fut d'avis de donner le trône à al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ’îl, prince de Damas. Mais les eunuques (khouddam) et les mamlouks Kâmilis voulaient pour souverain al-Malik as-Sâlih Nadjm-ad-Din, et comme ils formaient la majorité, personne n'osa leur résister et tout le monde tomba d'accord pour ratifier leur choix; on écrivit à al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din pour l'appeler au trône. Il reçut les lettres des émirs, au moment même où lui et al-Malik an-Nasir Daoud étaient arrivés au paroxysme de la peur, tremblant de se rencontrer avec les armées d'Egypte et de Syrie[82] à cause de la faiblesse de leurs troupes, aussi cette nouvelle leur causa un plaisir inouï; ils se mirent immédiatement en marche et se dirigèrent vers l'Egypte. Dès qu'ils eurent pénétré dans le Raml, ils furent rejoints à toutes les stations auxquelles ils s'arrêtèrent par des émirs égyptiens, et cela dura jusqu'à ce qu'ils vinrent camper à Bilbis le lundi, après que le vendredi précédent, 15 du mois, on eut fait au Caire et à Mise la khotba au nom d'al-Malik al-Sâlih-Ayyoub. Depuis le moment où les deux princes avaient quitté Ghaza, al-Malik al-Nasir-Daoud avait complètement changé de sentiments à l'égard d'al-Malik as-Sâlih et il ne parlait rien moins que de le tuer. al-Malik an-Nasir arriva à Bilbis exaspéré et hors de lui, il se rendit auprès d'al-Malik al-'Adil, et il lui dit : « Tu as vu ce que je t'avais conseillé au sujet de ton frère et tu ne m'as pas écouté ! » Le sultan détrôné lui répondit : « O Seigneur (Khônd) ! je m'en repends! » — « Prends courage, lui dit an-Nasir-Daoud, je vais te rendre la liberté à l’instant même ». Il partit, entra chez al-Malik as-Sâlih et resta debout; « Au nom d'Allah, lui dit as-Sâlih, assieds-toi ! — Non ! je ne m'assiérai point, lui répondit an-Nasir, que tu n'aies remis ton frère al-'Adil en liberté ! » — « Prends donc un siège ! » lui répéta as-Sâlih ; mais Daoud continua à pérorer et il ne cessa pas jusqu'au moment où il tomba de sommeil.
Al-Malik as-Sâlih se leva immédiatement et partit de nuit, ayant avec lui al-Malik al-'Adil dans une litière, il entra avec lui au Caire et prit possession de la Citadelle de la Montagne, le vendredi, vingt-troisième jour du mois de chewâl, sans aucune difficulté, il s'assit sur le trône de l'empire et fit emprisonner son frère al-'Adil dans une de ses maisons; il se fit prêter serment par les émirs et le Caire et Misr furent pavoises d'une façon splendide, ainsi que les hauteurs (zavâhir) et la Citadelle de la Montagne. Le peuple se réjouit beaucoup de son avènement à cause de ses qualités et de ses capacités. Al-Malik an-Nasir-Daoud alla loger dans le Palais du Vizirat au Caire, et al-Malik as-Sâlih ne monta pas à cheval le jour de la fête du fleuve[83] parce qu'il avait appris qu'il y avait du mécontentement dans l'armée.
Au mois de Dhou’lhiddjeh, al-Malik as-Sâlih fit venir son frère al-Malik al-'Adil et lui demanda de l'argent. Il fit ensuite ouvrir le Trésor Public et le Trésor Impérial, mais il n'y trouva qu'un dinar et mille et un dirhems ; on lui dit que son frère avait tout dépensé. Al-Malik as-Sâlih fit alors venir les kadis et les émirs qui s'étaient révoltés contre son frère et qui l'avaient fait arrêter, et il leur dit : « Pour quelle raison avez-vous porté la main sur votre sultan? » — « Parce que c'était un prodigue, lui répondirent-ils ». — « Ο kadis ! leur dit al-Malik as-Sâlih, un prodigue avait-il le droit de dépenser l'argent du Trésor Public des Musulmans? » Les assistants lui répondirent que non. « J'en jure par Allah! continua al-Malik as-Sâlih, si vous ne me rapportez point ce que vous avez pris dans le Trésor Public, je prendrai vos vies en échange! » Ils sortirent et ils lui rapportèrent sept cent quatre vingt cinq mille dinars et deux millions trois cent mille dirhems. Il les laissa[84] en liberté pendant quelques jours, puis il les fit arrêter les uns après les autres. Il manda auprès de lui le kadi Schihâb ad-Din Ibrahim ibn 'Abd-Allah ibn 'Abd al-Mo'nim ibn 'All ibn Mohammad, qui était connu sous le nom de Ibn Ali-'d-Damm. Ce magistrat se trouvait en Egypte, depuis qu'il y était venu, envoyé par al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh; le sultan le renvoya à Hamâh après l'avoir comblé de ses faveurs; il donna un vêtement d'honneur à Ibn al-Djauzi, ambassadeur du khalife et il le chargea d'une lettre pour la cour de Bagdad (al-divan al-'aziz) dans laquelle il se plaignait des procédés de cette cour à son égard. Les vêtements d'honneur envoyés par le khalife étant arrivés au Caire, al-Malik as-Sâlih s'en revêtit, on dressa un minber sur lequel il fit monter Ibn al-Djaûzi, qui lut le diplôme d'investiture (taklid) expédié au nom d'al-Malik as-Sâlih. Le sultan resta debout devant le minber jusqu'à ce qu'Ibn al-Djaûzi eut terminé sa lecture; le sahib Kamal ad-Din ibn al-'Adïm, ambassadeur d'Alep, obtint également son audience de congé.
Le sultan conçut des craintes au sujet d'al-Malik an-Nasir-Daoud, parce qu'on lui avait rapporté, à plusieurs reprises, que ce prince avait des entrevues secrètes avec les émirs; de plus, il avait demandé au sultan de lui donner la forteresse de Shaûbak, mais celui-ci ne voulut pas y consentir. Ce refus fâcha an-Nasir-Daoud contre al-Malik as-Sâlih : il sollicita la permission de s'en retourner à Karak et il sortit du Caire dans une violente colère. Il venait d'apprendre qu'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl était sorti de Damas, qu'il avait signé avec les Francs une convention aux termes de laquelle il leur cédait le Sahel (la Palestine) et que les Francs étaient arrivés à Nabolos.
Le sultan d'Egypte allégua qu'il n'avait juré de donner Jérusalem à al-Malik an-Nasir-Daoud que malgré lui et parce qu'il se trouvait alors en la puissance et sous la domination de ce prince. Quand al-Malik an-Nasir fut arrivé à Karak, il demanda au sultan les sommes d'argent qu'il s'était engagé à lui payer dans cette ville ; le sultan lui fît de belles promesses (djemala), mais remit de jour en jour à s'acquitter de ce paiement, sous prétexte qu'il équipait son armée pour aller s'emparer de Damas de concert avec al-Nasir Daoud qui y devait régner comme souverain indépendant. Pendant que le sultan se dégageait ainsi de la parole qu'il avait donnée à al-Malik an-Nasir, les émirs Ashrafis parlèrent de le détrôner; il craignit qu'ils ne missent leur projet à exécution et il s'abstint, durant un certain temps, de monter à cheval entouré d'une escorte d'honneur (maûkeb).
As-Sâlih éleva à la dignité de vizir le sahib Mou’în ad-Din al-Hasan, dis du cheikh et il le chargea entièrement de la direction des affaires de l'empire. Ce personnage se trouvait à la Birkat al-Hadjdj, le jeudi, onzième jour du mois de Dhoû’lka’dah, avant l'heure de midi; ce fut à ce moment qu'il commença à s'occuper du gouvernement et de la direction des affaires de l'empire.
Shadjar-ad-Dorr, épouse du sultan, mit au monde un fils qui reçut le nom de Khalil et le titre d'al-Malik al-Mansour. Quand al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din fut arrivé à 'Abbasa, le dimanche dix-septième jour du mois de Dhoû’lka’dah, il fit arrêter le lendemain, lundi, dix-huit, l'émir Rokn ad-Din al-Hidjâvi et il l'envoya au Caire.
Cette même année, le mardi, troisième jour du mois de Rabi second, 'Izz ad-Din 'Abd al-’Aziz ibn 'Abd as-Salam ibn Abou’l Kasim fut investi des fonctions de khâtib (prédicateur) de Damas ; ce fut al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl ibn al-Malik al-'Adil qui le nomma à ce poste, et Izz ad-Din fit la khotba au nom du sultan seldjoukide du pays de Roum.
Cette même année, fut tué 'Othman ibn 'Abd al-Hakk ibn Mohammad ibn Abou Bakr ibn Hammâma, émir des Bènou-Merin; il fut le premier des Mérinides qui arriva à la souveraineté; il s'empara du Rif du Maghreb, il força la population de ce pays à lui payer des contributions de guerre (mégharim) et il fut reconnu comme souverain par la plupart des tribus qui l'habitaient; sa puissance s'étendit jusqu'aux provinces du Maghreb, telles que Fez,[85] Tanger et Miknâsa[86] ; il força ces villes à lui payer un tribut (zaraïb). Othman eut pour successeur son frère, Mohammad ibn 'Abd-al-Hakk.
Cette même année, le shérif Sadja (sic) ibn Hashim ibn Kasim, émir de Médine, marcha sur la Mecque à la télé de mille cavaliers de l'armée égyptienne. Ibn Rasoûl, souverain du Yémen, envoya alors le shérif Râdjih avec une armée. Sadja s'enfuit de la Mecque et l'armée du Yémen s'en empara.
Cette année, le sultan al-Malik as-Sâlih s'occupa activement des affaires de son empire et de consolider les bases de son autorité et de rendre l'Egypte prospère. Il envoya Zaïn ad-Din ibn Abou-Zakarya à la tête d'une armée dans le Sa'id pour y combattre les Arabes. Il poursuivit ceux qui avaient tramé la conspiration qui avait abouti à l'arrestation de son frère, al-Malik al-'Adil, et il les fit emprisonner, il confisqua leurs richesses et il fit mettre à mort nombre d'entre eux ; beaucoup des Ashrafïs prirent la fuite. Le sultan fit arrêter l'émir Izz ad-Din Aïbec al-Asmar à Alexandrie,[87] et on proclama au Caire et dans les environs (zavâhir) de cette ville que quiconque cacherait un Ashrafi serait dépouillé de ses biens. Les portes du Caire furent toutes fermées durant trois jours, à l'exception de la porte Bâb-az-Zavila pour que l'on pût s'emparer des Ashrafie; ces mamlouks furent pris et jetés en prison. Il fit aussi arrêter Djauher al-Noubi, Chams al-Khavâss et Masrour, à Damiette; ces personnages étaient des eunuques (khouddâm) d'al-Malik al-Kâmil et ils étaient de ceux qui avaient contribué à renverser al-'Adil; il fit aussi arrêter Shab ed-dauleh-Kafur al-Faizî à al-Sharkiyya[88] et il le fit emprisonner dans la Citadelle de la Montagne; il fit de même arrêter un groupe de Turcs et de cavaliers (adjnâd) de la garde impériale (halka), ainsi que beaucoup des émirs d'al-Malik al-Kâmil. Toutes les fois qu'un de ces émirs était jeté en prison, le sultan donnait son apanage (khoubz) à un de ses propres mamlouks de façon à se les attacher et à pouvoir compter sur leur dévouement. Ces mesures raffermirent son autorité et l'établirent définitivement.
Le neuvième jour du mois de Rabi second, qui fut un samedi, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub devint père d'un garçon; sa mère était une femme de service[89] ; ce prince fut très content d'avoir un enfant mâle.
Le sultan ordonna de construire la forteresse de l'île, connue sous le nom d'île de Raûdah, en face de la ville de Misr-Fostat. On commença à creuser le sol pour en jeter les fondations, le mercredi, cinquième jour du mois de Chaban, et on commença la construction de cet édifice à la fin de la troisième heure du jeudi, treizième jour de ce même mois. Le dix du mois de Dhoû’lka’dah, on rasa les maisons, les châteaux (kasr) et les mosquées qui se trouvaient dans l'île de Raûdah et les habitants durent quitter les demeures qu'ils possédaient dans cette île. On y bâtit, à la place de ces édifices, des palais destinés au sultan et on entoura ces bâtiments de murs. On dépensa pour ces constructions des sommes incalculables. Quand elles furent terminées, le sultan quitta la Citadelle de la Montagne pour y aller demeurer avec sa maison, ses femmes et ses mamlouks. Ce prince était fou de bâtisses.
Cette même année, l'armée[90] qui avait fait tous ses préparatifs pour une expédition dans le Yémen s'en revint [au Caire] au mois de Ramadhan par suite de la peur qu'on éprouvait à cause des mamlouks Ashrafis et de leurs clients. Voici ce qui s'était passé : ces mamlouks avaient formé le dessein de sortir du Caire et d'aller attaquer l'armée qui était campée à la Birkat al-Djubb, mais leur projet échoua,[91] et le sultan envoya trois cents de ces mamlouks Ashrafis à la Mecque pour l'enlever aux Yéménites[92] il leur donna comme chefs Ahmad ibn al-Turkomani et Ibn Ertash.[93] Le sultan envoya ces troupes parce qu'il avait appris que le roi du Yémen avait fait partir une armée pour s'emparer de la Mecque ; les troupes égyptiennes se mirent en route à la fin du mois de Ramadhan et elles entrèrent dans la ville sainte au milieu du mois de Dhoû’lka’dah. Les Yéménites qui s'y trouvaient prirent la fuite.
Cette même année, le kadi de Sindjar, Badr-ad-Din, s'en revint du pays de Roum où il avait été envoyé en ambassade par al-Malik as-Sâlih 'Imad-ad-Din, prince de Damas. Ce personnage apprit qu'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din était devenu souverain de l'Egypte, au moment où il quittait le pays de Roum, dans le dessein de rentrer à Damas; [il renonça alors à ce projet] ; il se rendit à Masyaf qui était une des villes des Ismaïliens et il se mit à chercher les moyens de se rendre en Egypte.[94] Quand al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl apprit ces faits, il envoya à son ambassadeur l'ordre de s'en revenir auprès de lui, mais Badr ad-Din refusa de se rendre à la cour de Damas et il pria les Ismaïliens de lui donner asile;[95] ceux-ci le prirent sous leur protection, le garantirent des attaques d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, et le firent arriver sain et sauf à Hamâh; al-Malik al-Mothaffar, prince de cette ville, le combla de marques d'honneur et le logea dans son palais. Djémal ad-Din ibn Matrouh était déjà arrivé à Hamâh depuis quelque temps, de telle sorte que cette ville devint l'asile de toutes les personnes qui étaient attachées à al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub; de Hamâh, Badr ad-Din faisait parvenir à as-Sâlih, au Caire, les nouvelles de tout ce qui passait, soit en Syrie, soit dans les Provinces Orientales.
Cette année, al-Malik an-Nasir-Daoud désespéra qu'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub lui donnât jamais la ville de Damas; il abandonna alors le parti de ce prince et embrassa celui d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl et d'al-Malik al-Mansour, prince de Homs. Ces trois souverains firent un traité d'alliance offensive contre al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub.
Cette même année, les Kharezmiens firent une expédition contrôle pays qui dépend de la citadelle[96] de Dja'bar et de Bâlis; ils mirent cette contrée à feu et à sang et ils y massacrèrent un grand nombre des habitants ; ceux qui échappèrent à cette dévastation allèrent se réfugier à Alep et à Manbidj. — Badr ad-Din Loulou, prince de Maûsil, s'empara de Sindjar, et il en chassa al-Malik al-Djavâd-Yoûnis ibn Maudoud ibn al-'Adil ibn Nadjm ad-Din Ayyoub; ce prince se rendit en Syrie, et il finit par tomber entre les mains d'al-Malik an-Nasir-Daoud, qui le fit arrêter à[97] Ghaza, le dimanche dix-huitième jour du mois de Dhou’lhiddjeh, et qui l'envoya à Karak.[98] — Les Kharezmiens firent leur jonction avec le prince de Maûsil, ce qui monta les forces de leurs armées combinées à environ douze mille hommes et ils marchèrent sur Alep pour s'en emparer. L'armée d'Alep sortit pour leur livrer combat ; elle fut mise en déroute et perdit un très grand nombre d'hommes; les Kharezmiens s'emparèrent de tout ce que l'armée avait avec elle. La garnison d'Alep résista à leurs attaques, mais le territoire dépendant de cette ville fut dévasté ; les armées coalisées y commirent toutes sortes d'abominations, massacrant les habitants ou les réduisant en captivité, et ruinant les édifices. La population de Manbidj fut passée au fil de l'épée et un nombre incalculable de personnes périrent dans cette place; la ville fut saccagée, les soldats violèrent les femmes dans la mosquée 'Alâmiyya, ils massacrèrent les enfants; ils s'en retournèrent ensuite quand tous les environs d'Alep eurent été saccagés. Les Kharezmiens montraient bien aux gens[99] de quelles atrocités ils étaient capables (?)… [Al-Mansour, prince de Homs, ayant appris que l'armée d'Alep avait été anéantie par les Kharezmiens, partit avec ses troupes pour se rendre à Alep ; il arriva devant cette ville, le samedi, 23e jour de Rabi second. Le sultan et la population sortirent d'Alep pour se rendre au-devant du prince] de Homs avec les troupes d'Alep et les armées d'Alep et de Damas se trouvèrent réunies sous le commandement de ce prince ; il traversa l'Euphrate et se dirigea vers Saroûdj et Rohâ ; il tomba sur les Kharezmiens, les mit en déroute, s'empara de tout ce qu'ils possédaient et les força à s'enfuir jusqu'à 'Ana. — Cette année, al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din eut peur des projets d'al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub ; il écrivit aux Francs et conclut un traité avec eux, è la condition qu'ils lui porteraient aide et secours et qu'ils iraient avec lui faire la guerre au sultan d'Egypte. Il s'engageait à leur donner, en échange de ces services, les citadelles de Safad et de Shakif avec le pays qui en dépendait; il devait partager par moitié avec eux Saïda, Tibériade, ainsi que les territoires dépendants de ces villes, la montagne d’Amila et tout le reste du Sahel (sic).
Le prince de Damas s'était décidé à aller attaquer l'Egypte quand il avait appris qu'al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din avait fait emprisonner les mamlouks Ashrafis, les eunuques (khouddâm), les officiers de la garde impériale, plusieurs émirs et que le reste des émirs égyptiens avaient grand peur, craignant que le sultan n'attentât à leur vie. Le prince de Damas se prépara alors à la guerre et il envoya des ambassadeurs à al-Malik al-Mansour, prince de Homs, aux Halébins et aux Francs, pour leur demander des secours. Il permit aux Francs d'entrer à Damas et d'y acheter des armes; les Francs profitèrent de cette permission pour acheter une quantité considérable d'armes et d'engins de guerre à la population de Damas. Les Musulmans blâmèrent cette conduite, quelques religieux (ahl ad-Din) allèrent trouver les docteurs de la Loi et leur demandèrent un fetva. Le cheikh 'Izz-ad-Din ibn 'Abd-as-Salam rendit alors une décision juridique déclarant illicite la vente des armes aux Francs, et il interdit de faire la khotba dans la grande mosquée de Damas au nom d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl ; on faisait dans la khotba, à la place de la mention du nom de ce sultan, une prière qu'il avait composée et dans laquelle il disait : « Allah! Confirme cette multitude dans la voie droite dans laquelle tu as dirigé tes Saints et par laquelle tu les as glorifiés! Tu y abaisses tes ennemis et tu les soumets à ton obéissance et il n'est point possible quand on marche dans cette voie de s'écarter de tes préceptes ! »
Le peuple chantait cette prière à haute voix.
Al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl était alors absent de Damas, et on lui écrivit pour lui apprendre ce qui s'y passait. On reçut une lettre par laquelle il destituait de ses fonctions de khâtib, Ibn 'Abd-as-Salam.et dans laquelle il ordonnait qu'on l'emprisonnât, ainsi que le cheikh Abou 'Amrou ibn al-Hâdjib qui avait également blâmé la conduite du sultan. Ils furent tous les deux enfermés comme le sultan l'avait ordonné. Quand as-Salin revint à Damas, il leur rendit la liberté, mais il força Ibn 'Abd-as-Salam à rester aux arrêts dans sa maison et à continuer à rendre ses fetva, mais sans recevoir personne. Ibn 'Abd-as-Salam lui demanda la permission d'assister à la prière du vendredi, de recevoir son médecin et son barbier quand il aurait besoin de recourir à leur office et de pouvoir se rendre aux bains. Le prince de Damas fit droit à cette requête. Il donna la charge de khâtib de Damas, en remplacement d’Izz ad-Din ibn 'Abd-as-Salam, à 'Alam ad-Din Davoûd Ibn 'Omar ibn Yousouf, fils du khâtib de la « Maison des puits » (baït-al-abar).
Al-Malik as-Sâlih partit alors de Damas, avec ses troupes, l'armée de Homs, celle d'Alep et encore d'autres. Il marcha jusqu'à ce qu'il vint camper sur les bords du fleuve Nahr al-'Aoudja; il apprit alors qu'al-Malik an-Nasir-Daoud venait d'établir son campement à al-Balka ; il marcha contre lui, tomba sur son armée et la mit en déroute. Al-Malik an-Nasir-Daoud s'enfuit jusqu'à Karak et al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl s'empara de ses bagages ; il fit prisonniers nombre de ses soldats et il s'en revint ensuite à al-'Aoudja; cette victoire lui donna la suprématie dans le pays. Il envoya demander des secours aux Francs en leur promettant de leur donner en retour tout ce que leur avait enlevé le sultan Salah ad-Din Yousouf. Il partit ensuite d'al-'Aoudja et vint camper à Tell al-'Adjoul, où il resta durant quelques jours et, quand il vit qu'il ne pourrait envahir l'Egypte, il revint à Damas. Voici ce qui s'était passé : al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub avait appris qu'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl était sorti de Damas pour entreprendre une campagne contre l'Egypte et qu'il avait avec lui une division franque; il envoya son armée contre le prince de Damas. Cette armée rencontra l'armée de Damas et dès que les deux armées furent en présence, les troupes syriennes passèrent d'un seul bloc sous les drapeaux égyptiens. Les Syriens et les Égyptiens réunis attaquèrent les Francs,[100] les mirent en fuite et leur firent un nombre incalculable de prisonniers. C'est par ces captifs que le sultan fit bâtir la forteresse de l'île de Raûdah et les collèges Sâlibiyya au Caire.
Cette année, la paix fut conclue entre les Francs [et al-Malik as-Sâlih[101] Nadjm-ad-Dîn] ; ce prince remit en liberté les comtes, les chevaliers et les fantassins francs qui étaient détenus prisonniers en Egypte.
Au mois de Dhoû’lka’dah, il y eut un combat entre les émirs d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub qui tenaient garnison à Ghaza et les troupes d'al-Djavâd et d'an-Nasir; les troupes égyptiennes commandées par Kamal-ad-Dîn, fils du grand cheikh furent battues.[102]
Cette même année, la paix fut conclue entre al-Malik as-Sâlih et an-Nasir ; ce dernier quitta Ghaza après avoir fait emprisonner al-Djavâd.
Au mois de Dhoû’lka’dah, al-Djavâd partit pour 'Abbasa, il était accompagné du fils du prince de Home; al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din les traita fort bien, mais il ne voulut pas les laisser entrer au Caire; al-Djavâd s'en retourna et alla chercher un refuge auprès d'al-Malik an-Nasir qui le fit emprisonner.[103]
Cette année, le neuvième jour du mois de Moharram, le kadi 'Abd al-Mouhaïmin fut destitué de la charge de mohtésib du Caire et cette place fut donnée au kadi Sharaf ad-Din Mohammad, fils du fakîh 'Abbâs, khâtib de la Citadelle de la Montagne.
Le quatorzième jour de ce même mois, le sultan fit commencer la construction du pont (kantara) qui se trouve sur le grand Canal, dans le voisinage du Bostan al-Khashshab ; il est connu aujourd'hui sous le nom de Pont de la Digue et il se trouve en dehors de la ville de Misr. — Le seizième jour du même mois, le sultan donna l'ordre d'envoyer tout un matériel de guerre,[104] des navires de guerre et des brûlots dans la mer de Koulzoum pour entreprendre une expédition dans le Yémen; il fit partir plusieurs émirs et un détachement de l'armée dans ce but.[105] — Le vingt-cinquième jour de ce même mois, cinq personnes descendirent durant la nuit par les fenêtres de la Koubbat al-Zadjadj, au Mesched-el-Néfisi, et volèrent seize candélabres d'argent qui se trouvaient sur le tombeau. On les arrêta dans le Fayoum [et on les amena [au Caire], le quatrième jour du mois de Safer. L'un de ces individus avoua que c'était lui qui s'était introduit par les fenêtres de la Koubbat al-Zadjâdj et qui avait pris les candélabres ; il déchargea ainsi ses complices ; il fut pendu le dixième jour de ce même mois devant le Mesched ; son corps resta attaché si longtemps au gibet qu'il finit par ne plus y avoir que des os dépouillés de leur chair.
Le vingt-septième jour du mois de Rabi premier, al-Malik as-Sâlih nomma par mesure disciplinaire l'émir Badr ad-Din, gouverneur d'Alexandrie[106] ; ce personnage était auparavant gouverneur de Misr. — Au mois de Rabi second, le sultan institua au Palais de Justice des juges qui devaient siéger en son lieu et place; ils devaient tenir des séances pour réprimer les abus de pouvoir, ce tribunal se composa d'Iftikhar ad-Din Yakout al-Djamali,[107] de deux employés des finances et de deux assesseurs du kadi, ainsi que de plusieurs juristes, parmi lesquels l'on comptait le shérif Chams ad-Din al-Armavi, surintendant de l'empire, kadi de l'armée (kadi 'alâ al-'askar) et professeur au collège Nasiryya, à Misr, le kadi Fakhr ad-Din ibn as-Sakrî et le jurisconsulte Izz ad-Din 'Abbâs. Les gens accoururent de tous les côtés au Palais de Justice, ils exposèrent leurs réclamations et on examina s'il y avait lieu d'y faire droit et d'y donner suite. Le sultan fut ainsi débarrassé des gens qui venaient lui exposer leurs doléances et cet usage s'est continué au Caire.
Au mois de Dhou’lhiddjeh, le kadi Badr ad-Din al-Sindjari[108] arriva en Egypte par la route du Sahel.[109] Quand il fut arrivé auprès du sultan, celui-ci le combla des plus grande honneurs ; le kadi Sharaf-ad-Dia ibn 'Aïn ed-dauleh al-Iskandiri était à cette époque kadi de toute l'Egypte; le sultan lui enleva la juridiction de Misr et de la partie du Sud (al-voudjat-al-koubla) de l'Egypte, et il la donna au kadi Badr ad-Din al-Sindjari, laissant à Ibn 'Aïn ed-dauleh la charge de kadi du Caire et de la partie Nord de l'Egypte.
Cette année, dans le pays de Roum, un homme prétendit qu'il était prophète; il s'appelait Il-Baba, fils d'al-Turcoman; il réunit autour de lui des disciples qui poussèrent l'audace jusqu'à dire : « Il n'y a pas d'autre Dieu qu'Allah et Il-Baba est l'Envoyé d'Allah![110] » L'armée du sultan du pays de Roum marcha contre ces révoltés et elle leur livra un combat dans lequel périrent, dans les deux camps, quatre mille hommes ; Il-Baba fut tué ensuite et ainsi se termina cette insurrection.
Cette année, arriva à Mayyafarikîn un ambassadeur des Tatars qu'avait envoyé le Khakan, leur souverain ; il apportait des lettres adressées au prince de cette ville et aux souverains de l'Islam.
Voici quelle en était la suscription :
« De la part du vicaire du maître des Cieux, celui qui bouleverse la surface de la terre, le souverain de l'occident et de l'orient, le Kâkân.[111] »
L'ambassadeur dit à Schihâb-ad-Dîn, prince de Mayyafarikîn : « Le kâkân t'a nommé son silahdâr et il t'a ordonné de détruire les murailles de ta ville ». Le prince répondit : « Je ne suis qu'un des princes [ayyoubides], et la ville que je possède est bien peu de chose auprès du pays de Roum, de la Syrie et de l'Egypte ; va auprès des souverains de ces contrées et je réglerai ma conduite sur la leur. » — Le vendredi, onzième jour du mois de Dhoû’lka’dah, al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl ordonna que l'on et la khotba sur le menber de la mosquée de Damas, au nom du sultan Ghiyâth ad-Din Kaï-Khosrav ibn Kaï-Kobâd ibn Kaï-Khosrav, souverain du pays de Roum, et cet ordre fut exécuté. A cette occasion, on jeta des poignées de pièces d'or et d'argent au peuple, et ce fut un jour de grande réjouissance. Des ambassadeurs de Kaï-Khosrav assistèrent à ces fêtes, ainsi que les grands personnages de son empire ; on fit la khotba au nom de ce souverain dans les mosquées du pays [dépendant de Damas] ; al-Malik as-Sâlih combla l'ambassadeur de présents et il lui donna des vêtements d'honneur.[112]
Cette année, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din s'occupa de construire les collèges Sâlihis dans le quartier Baïn-al-kasraïn (entre les deux forteresses). — Les vivres devinrent chers en Egypte, et on en vint à vendre chaque ardeb de blé au prix de deux dinars et demi. — Djémal ad-Din ibn Matrouh vint par mer de Tarâbolos au Caire et al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh, envoya souvent des courriers (kassad) en Egypte. — Le dimanche, vingt-neuvième jour du mois de Rabi premier, le disque du soleil fut entièrement éclipsé, le ciel devint complètement noir et les étoiles apparurent; on fut obligé d'allumer les lampes en plein jour.[113]
Cette même année, le cheikh Izz ad-Din ibn 'Abd-as-Salam vint au Caire, après avoir été chassé de Damas par al-Malik as-Sâlih Ismâ'îl ; [114] al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din le reçut d'une façon très honorable et lui donna la charge de khâtib de la mosquée d’Amrou ibn al-'As à Misr; il lui confia la charge de kadi de Misr et du Sud de l'Egypte, le Jour d’Arafa, en remplacement du kadi-al-kodat Sharaf ad-Din ibn 'Aïn ed-dauleh, après avoir écrit à ce magistrat, le vendredi, dixième jour du mois de Rabi second, une lettre autographe dans laquelle il lui disait : « Comme le Caire est la capitale de l'empire, le séjour des généraux et des troupes, et que son gouverneur a la juridiction exclusive du Palais de Justice, nous avons ordonné que le kadi du Caire ne s'occupe que de cette ville et de ses dépendances et de rien autre chose ». Le sultan donna alors la charge de kadi-al-kodat de Misr et de la province qui en dépend, c'est-à-dire de la partie sud de l'Egypte, à Badr ad-Din Abou’l Mahâsin-Youssouf al-Sindjari, connu sous le nom de kadi de Sindjar. Quand Ibn 'Aïn ed-dauleh mourut, Badr ad-Din al-Sindjari devint kadi du Caire, et le sultan donna la charge de kadi de Misr et de la partie sud de l'Egypte à Ibn 'Abd-as-Salam.
Cette année, les gens recommencèrent à se rendre en foule chez Fakhr ad-Dîn-Yousouf, fis du cheikh des cheikhs, après que le sultan l'eut fait sortir de la prison dans laquelle il était détenu. Le sultan vit cela d'un mauvais œil, et il lui ordonna de ne pas sortir de son hôtel.
Le sultan apprit qu'al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Karak, avait contracté contre lui une alliance offensive avec al-Malik al-Sâlih Ismâ’îl, prince de Damas, al-Malik al-Mansour-Ibrahim, prince de Homs, et les Halébins; il envoya alors Kamal-ad-Dîn, fils du cheikh des cheikhs, avec une armée [en Syrie]. Al-Malik an-Nasir-Daoud sortit de Karak et alla livrer bataille à cet émir dans le pays de Jérusalem; il le fit prisonnier avec un grand nombre de ses soldais, puis il les relâcha au bout de quelque temps et ils s'en retournèrent au Caire. — On apprit aussi que le mercredi, douzième jour du mois de Safer, l'armée d'al-Malik an-Nasir-Daoud était allée attaquer l'émir 'Izz ad-Din Aïbec, seigneur de Sarkhad, qui venait de camper à al-Favâr. An-Nasir-Daoud battit Izz ad-Din et s'empara de ses bagages.
Ce prince avait avec lui l'émir Chams ad-Din Shirouya, connu sous le nom de Sab'-Mahâsin, Chams ad-Din Abou’l 'Alâ al-Kirdyani et Sharaf ad-Din ibn Sârim-ad-Dîn, seigneur de Tibnîn. Le commandement de l'armée d'al-Malik an-Nasir-Daoud était exercé par Saïf ad-Din ibn Kilidj.[115]
Celle année, les Kharezmiens partirent de Maûsil, après que Badr ad-Din Loulou eut fait la paix avec eux et leur eut donné la ville de Nisibin. Al-Malik al-Mothaffar-Ghazi, fils d'al-Malik al-'Adil, prince de Mayyafarikîn, fit alliance avec eux. Ils marchèrent ensuite sur Amid;[116] l'armée d'Alep commandée par al-Malik al-Mo'aththam Fakhr ad-Din Tourânshâh, fils du sultan Salah ad-Din, sortit pour leur livrer bataille, et les força à s'éloigner de cette ville. Les Kharezmiens allèrent alors ravager le pays de Mayyafarikîn ; ils livrèrent encore plusieurs combats aux troupes d'Alep. L'armée rentra alors à Alep et les Kharezmiens retournèrent piller la province (rasatik) de Maûsil.[117]
Cette année, au mois de Chaban, al-Malik al-Mothaffar, prince de Hamâh, fut atteint d'hémiplégie; il eut une attaque foudroyante au cours d'une réception (djalis) ; il resta durant plusieurs jours sans pouvoir faire aucun mouvement et sans être capable de proférer une seule parole.[118] Il sortit de cet état de torpeur, mais il resta paralysé du côté droit. Al-Malik al-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub lui envoya d'Egypte, un médecin connu sous le nom d'an-Nafis,[119] fils de Talîb, le Chrétien ; maie les remèdes que ce médecin donna au prince de Hamâh ne produisirent aucun effet et al-Mothaffar resta dans cet état durant deux ans et quelques mois jusqu'au moment de sa mort.
Cette même année, le quinzième jour du mois de Dhoû’lka’dah, l'émir Rokn ad-Din Altounbogha[120] al-Hidjâvi partit du Caire pour se rendre à Damas. Al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din l'avait envoyé au mois de Ramadhan auprès d'al-Malik an-Nasir-Daoud pour rétablir la paix entre ce prince et al-Malik al-Djavâd, à la condition qu'an-Nasir se reconnaîtrait comme le vassal du sultan d'Egypte.[121] Quand al-Hidjâvi fut arrivée à Ghaza, il abandonna le service d’al-Malik as-Sâlih et s'enfuit à Damas, emmenant avec lui une partie de l'armée ; quant à al-Malik al-Djavâd, il alla trouver les Francs et resta chez eux.
Cette même année, al-Malik al-Mansour vint du Yémen à la Mecque à la tête d'une armée considérable, au mois de Ramadhan. Les Égyptiens qui se trouvaient à la Mecque s'enfuirent après avoir incendié le palais du gouvernement de cette ville, de façon à anéantir les armements et les autres choses qui s'y trouvaient.[122]
Cette année, au mois de Rabi premier, on cessa de faire la khotba à Damas au nom du sultan du pays de Roum et on la récita au nom du sultan d'Egypte, al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub. Le vendredi, quatrième jour du mois de Djoumada premier, les Francs d’Akkâ arrivèrent à Nabolos, ils mirent le pays à feu et à sang et firent des prisonniers.[123] Ils s'emparèrent du menber sur lequel le khalib faisait la prière, et ils s'en allèrent le dimanche suivant après avoir fait des dégâts considérables. — Le samedi, dix-huitième jour du mois de Moharram, arriva au Caire, le shérif 'Alâ ad-Din ibn Hâshim, fils de l'émir Asindémur.[124] — Le dix du mois de Rabi second, le même personnage mourut. — Les Tatars arrivèrent à Arzan-ar-Roum et al-Malik al-Mothaffar-Ghazi livra bataille aux Kharezmiens.[125]
Cette année, mourut Safiyya-Khatoun, fille d'al-Malik al-'Adil Abou Bakr ibn Ayyoub, durant la nuit du vendredi onzième jour de Djoumada premier.[126] Son petit-Aïs, an-Nasir-Yousouf, fils d'al-Malik ath-Tahir Ghazi, régna seul, à Alep, après sa mort. L'émir Chams ad-Din Loulou', l’atabek, l'émir Djémal ad-Din Iqbal al-Khaloûni, et le grand vizir, Djémal ad-Din ibn al-Kiftî, prirent en main les rênes du gouvernement après la mort de la régente. L'émir Iqbal sortit d'Alep avec l'armée, il alla combattre les Kharezmiens, puis il s'en revint. — Cette année, mourut le khalife al-Mostansir Billah Abou Dja'far al-Mansour ibn ath-Thathir-bi-amr-Allah Abou-Nasr-Mohammad ibn an-Nasir-li-Din Allah Ahmad al-'Abbâsi, Commandeur des croyants, à l'aube du vendredi, dixième jour du mois de Djoumada second ; sa mort fut causée par une piqûre que lui fit un canif empoisonné. La durée de son khalifat fut de dix-sept ans, moins un mois; on dit aussi qu'il mourut le vingt-deux de ce même mois, et que la durée de son règne fut de quinze ans, onze mois et cinq jours. Il était âgé de cinquante et un ans, quatre mois et sept jours; ce fut un prince ferme et juste; sous son règne, de grandes constructions furent faites à Bagdad, et il y bâtit le collège Mostansiriyya; ce fut aussi sous son règne que les Tatars commencèrent leur campagne pour s'emparer de Bagdad ; il réunit une armée que l'on dit avoir été forte de plus de cent mille hommes. Il eut pour successeur, son fils, al-Mosta'sim Billah Abou Ahmad 'Abd-Allah. Les grands officiers du gouvernement prirent un grand empire sur lui et ils le poussèrent à ramasser de l'argent en diminuant dans de grandes proportions les effectifs de l'armée. Cette mesure fut exécutée et le khalife fit la paix avec les Tatars en leur payant une très forte contribution de guerre. — cette année, sur l'ordre de leur maître, plusieurs serviteurs du sahib Mou’în ad-Din, fils du grand cheikh, et vizir d'al-Malik as-Sâlih, élevèrent une construction sur le parvis d'une mosquée à Misr, et ils y placèrent le (ablkhanâh d’Imad ad-Din.[127] Le kadi-al-kodat 'Izz ad-Din ibn 'Abd as-Salam désapprouva cet acte, et il alla, lui et ses enfants, détruire cette construction et enlever les objets qui avaient été déposés sur le parvis de la mosquée ; ensuite il protesta qu'il se moquait du témoignage du vizir Mou’în ad-Din[128] et que, s'il le fallait, il se démettrait volontairement de sa place de kadi ; quand Izz ad-Din eut agi ainsi, le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub le destitua et il confia les fonctions de kadi de Misr à Sadr ad-Din Abou Mansour Mauhoub ibn Omar ibn Mauhoub ibn Ibrahim al-Djazari, le juriste (fakîh) chaféite, qui avait été assesseur (naïb) d'Ibn 'Abd-as-Salam; cela eut lieu le vingt troisième jour du mois de Dhoû’lka’dah. — cette même année, un pèlerinage arriva de Bagdad à la Mecque après que le pèlerinage de l’Irak eut été interrompu pendant sept années.
Cette année, les Tatars attaquèrent le pays de Roum, ils réduisirent le sultan Ghiyâth ad-Din ft se reconnaître comme leur vassal, et à leur payer un tribut. Ils prirent d'assaut Sivas[130] ainsi que Kaisariyya[131] et ils obligèrent le prince de cette ville à leur payer tous les ans quatre cent mille dinars. Pour leur échapper, Ghiyâth ad-Din s'enfuit à Constantinople, laissant le trône à son fils Rokn-ad-Dîn. Ce dernier était en bas âge et il ne tarda pas à être assassiné.
Cette année, il y eut un échange d'ambassades entre le sultan d'Egypte, al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, son oncle, al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, prince de Damas et al-Malik al-Mansour, prince de Homs. On y proposait les conditions suivantes : Damas et la province dépendante de cette ville appartiendraient à as-Sâlih Ismâ’îl, l'Egypte à as-Sâlih Ayyoub, les princes de Homs, de Hamâh et d'Alep garderaient ce qu'ils possédaient ; la prière se ferait désormais dans toute l'étendue de ces pays au nom d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub et la monnaie serait frappée à son chiffre; l'émir Hosâm ad-Din Abou 'Ali ibn Mohammad ibn Abou 'Ali ibn Bâshak (sic) al-Hadbani, connu sous le nom d'Ibn Abou 'Ali, serait tiré de sa prison de Baalbek, et al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl enlèverait la ville de Karak à an-Nasir Daoud. Quand ces conditions eurent été acceptées de part et d'autre, le khâtib Asil ad-Din al-As'ardi, imâm du sultan, partit du Caire, accompagné de quelques personnes et il se rendit à Damas où il fit la khotba au nom du sultan d'Egypte dans la grande mosquée. De là, il se rendit à Homs, où il fit la même chose. — Al-Malik al-Moughith, fils du sultan, fut remis en liberté ; il monta à cheval, puis on le fit rentrer à la citadelle pour y terminer les formalités du serment [que le prince de Damas et lui devaient se prêter d'observer rigoureusement les termes de la convention].[132] On élargit de même l'émir Hosâm-ad-Dîn, qui avait été traité très sévèrement durant sa captivité et que l'on avait enfermé dans un cachot obscur.[133] Quand il arriva à Damas, al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl lui donna une robe d'honneur ; cet émir se rendit ensuite en Egypte accompagné de l'ambassadeur d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, de l'ambassadeur du prince de Homs, le kadi 'Imad-ad-Dîn, fils de Kotb-ad-Din, kadi de Hamâh et de l'ambassadeur du prince d'Alep. Il se rendit auprès du sultan al-Malik as-Sâlih-Nadjm-ad-Din, mais l'accord ne put s'établir et la discorde recommença entre les princes ayyoubides.[134]
Al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Karak, fit alliance avec as-Sâlih Ismâ’îl, prince de Damas, pour aller combattre as-Sâlih Nadjm-ad-Din, sultan d'Egypte. L'ambassadeur d'Alep s'en retourna, mais l'ambassadeur du prince de Homs, Ibn Kotb ad-Din resta encore quelque temps au Caire.
Al-Malik an-Nasir-Daoud et al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl envoyèrent des ambassadeurs aux Francs et ils firent alliance avec eux, à cette condition que les Francs leur fourniraient des secours dans leur lutte contre al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din et des renforts, et qu'en retour les deux princes leur livreraient Jérusalem,[135] Tibériade et 'Ascalon.[136] Les Francs rebâtirent les citadelles et les fortifications de ces villes; ils prirent possession de la Koubbat-al-sakhra à Jérusalem, et ils posèrent sur la Roche des fioles de vin ; ils suspendirent des cloches dans la Mosquée Lointaine (al-Masdjid-al-Aksâ).[137] Al-Malik as-Sâlih sortit du Caire et vint camper à la Birkat al-Djubb; il resta quelque temps dans cet endroit et il écrivit aux Kharezmiens pour les prier de venir en Egypte pour combattre contre les Syriens.[138] Les Kharezmiens partirent des pays d'Orient pour se rendre à son appel.[139] — Le jour de la fête des Victimes, le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din destitua le kadi-al-kodât Sadr ad-Din Mauhoub al-Djazari et il donna la charge de kadi de Misr et de la partie sud de l'Egypte à Afdal ad-Din al-Khavandji. — Cette même année, Sârim ad-Din al-Massoudi s'enfuit de la Citadelle de la Montagne ; il se peignit le visage de telle façon qu'il devint aussi noir que celui d'un esclave [nègre] qui était chargé de pénétrer dans sa cellule pour lui apporter sa nourriture; il fut rattrapé à Bilbis et on le réintégra dans sa prison. — Cette même année, Schihâb ad-Din Raîhan, eunuque du khalife, construisit un caravansérail (ribâf) à al-Sharabi (sic) à la Mecque; il en construisit également un autre à 'Arafa.
Celle année, arriva à Damas une lettre de Badr ad-Din Loulou, prince de Maûsil, annonçant qu'il avait été imposé à la population de Syrie une contribution annuelle, destinée à subvenir aux frais de la guerre contre les Tatars ; elle était fixée à dix dirhems pour les riches, pour les gens d'une fortune moyenne à cinq dirhems et pour les pauvres à un dirhem. Ce fut le kadi Mohyî ad-Din ibn Zaki ad-Din qui lut au peuple la lettre du souverain de Maûsil, et on se bâta de ramasser l'argent.
Cette année, les Kharezmiens franchirent l'Euphrate; leurs généraux étaient les émirs Hosâm ad-Din Bérékéh-Khan, Khan-Birdî, Sârou-Khân et Koushloû-Khan ; ils étaient plus de dix mille combattants.[140] Une partie de cette armée marcha sur la contrée de Baalbek, une autre vers la Ghoûla de Damas ; ces divisions de l'armée kharezmienne mirent ces pays à feu et sang et elles emmenèrent les habitants en captivité. Les populations s'enfuirent devant les Kharezmiens, al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl[141] se retrancha dans Damas et rappela auprès de lui ses troupes qui étaient déjà arrivées à Ghaza.[142] Les Kharezmiens donnèrent l'assaut à Jérusalem et passèrent au fil de l'épée tous les Chrétiens qui s'y trouvaient; ils massacrèrent les hommes, emmenèrent en captivité les femmes et les enfants, ruinèrent toutes les constructions qui se trouvaient dans l'église de la Résurrection, violèrent les tombeaux des Chrétiens et brûlèrent les ossements qui s'y trouvaient.[143]
Ils marchèrent ensuite sur Ghaza et y mirent le siège ; au mois de Safer, ils envoyèrent des ambassadeurs à al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din pour lui apprendre leur arrivée. Ce prince leur ordonna de rester à Ghaza[144] en leur promettant de leur donner la Syrie, et il remit des vêtements d'honneur à leurs ambassadeurs. Il leur envoya des robes d'honneur, de l'argent et des chevaux; Djémal ad-Din Akoûsh-Nadjibi et Djémal ad-Din ibn Matrouh se rendirent en ambassade auprès des Kharezmiens. Le sultan fit partir du Caire une armée sous le commandement de l'émir Rokn ad-Din Baybars, l'un de ses mamlouks les plus intimes qui étaient restés avec lui alors qu'il avait été interné à Karak[145] ; cet émir se rendit à Ghaza. Un certain nombre de Kaïméris[146] s'étaient joints aux Kharezmiens et étaient venus avec eux des Provinces Orientales. Après ces événements, l'émir Hosâm ad-Din Abou 'Ali ibn Mohammad ibn Abou 'Ali al-Hadbani,[147] partit avec un corps d'armée pour aller tenir garnison à Nabolos. Al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl envoya de Damas une armée sous le commandement d'al-Malik al-Mansour, prince de Homs; ce prince partit avec ses troupes, sans bagages, pour 'Akkâ et il obligea (akhaza) les Francs à prendre part sous son commandement à la guerre avec les armées égyptiennes. Les troupes du prince de Homs marchèrent jusque dans les environs de Ghaza, où elles furent rejointes par les renforts envoyés par al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Karak, sous le commandement de Thabir ad-Din ibn Sonkor al-Halabi et d'al-Vaziri. Ces troupes rencontrèrent les Kharezmiens devant Ghaza ; les Francs élevèrent des croix au-dessus des troupes de Damas et au-dessus de la tête d'al-Malik al-Mansour, prince de Homs[148] ; leurs prêtres faisaient des signes de croix ayant devant eux des vases pleins de vin (sic) dans lesquels venaient puiser les chevaliers.[149] Les Francs se trouvaient à l'aile droite et, à l'aile gauche, il y avait les troupes de Karak; au centre se trouvait al-Malik al-Mansour, prince de Homs. Les Kharezmiens avancèrent avec les troupes égyptiennes et un terrible combat s'engagea entre les deux armées. Al-Malik al-Mansour fut défait, al-Vaziri prit la fuite et Tahir ad-Din ibn Sonkor al-Halabi fut fait prisonnier. Les Kharezmiens se précipitèrent au plus fort du combat (kharadja), cernèrent les Francs, et les sabrèrent jusqu'à ce qu'ils en fussent venus à bout, soit en les massacrant, soit en les faisant prisonniers. Il n'y eut que ceux qui parvinrent à s'enfuir du champ de bataille qui échappèrent à ce sort. Le nombre des Francs qui furent faits prisonniers dans cette bataille fut de huit cents; le nombre des tués, tant des Francs que des Syriens, s'éleva à plus de trente mille; les Kharezmiens s'emparèrent de sommes incalculables. Al-Malik al-Mansour se réfugia à Damas avec un très petit nombre de survivants.
La nouvelle de cet heureux combat parvint à al-Malik as-Sâlih Nadjm-ad-Dîn, le quinzième jour du mois de Djoumada premier. Il ordonna de pavoiser le Caire, Misr et les hauteurs qui environnent ces deux villes ainsi que les deux Citadelles, la Citadelle de la Montagne et la Citadelle de l'île de Raûdah. La population mit la plus grande ardeur à ces décorations et pendant plusieurs jours on frappa les tambours[150] à l'occasion de cette victoire. Quelques jours après, arrivèrent les prisonniers Francs avec les têtes de ceux qui avaient péri dans le combat, ainsi que Tahir ad-Din ibn Sonkor et nombre d'émirs et de grands personnages. On avait fait monter les Francs sur des chameaux et leurs chefs sur des chevaux; on leur fit traverser dans cet état la ville du Caire. Le jour de leur entrée fut un jour de grande fêle; on suspendit les têtes aux portes du Caire et les cachots furent remplis des prisonniers. L'émir Baybars et l'émir Ibn Abou 'Ali marchèrent avec leurs troupes sur 'Ascalon et l'assiégèrent, mais cette place put leur résister grâce à sa forte position. Alors, Ibn Abou 'Ali marcha sur Nabolos[151] et Rokn ad-Din Baybars demeura devant 'Ascalon [pour en continuer le siège]. Les lieutenants d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub s'emparèrent de Ghaza, des villes de la côte de la Méditerranée, de Jérusalem, d'Hébron, de Baït-Djibrîl et d'al-Aghvâr. Seules, Karak, al-Balka, Salt et 'Adjloûn restèrent en la possession d'al-Malik an-Nasir-Daoud.
Le sultan reçut la nouvelle de la mort de son cousin, al-Malik al-Mothaffar 'Omar ibn Shâhânshâh ibn Ayyoub, prince de Hamâh, le samedi, huitième jour du mois de Djoumada premier; al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub en fut très touché; il reçut ensuite la nouvelle que son fils, al-Malik al-Moughith-Omar était mort dans la citadelle de Damas; sa douleur fut à son comble et sa haine contre son oncle, al-Malik as-Sâlih 'Ismâ’îl atteignit son paroxysme.[152] Le khâtib Zaïn ad-Din Abou’l Barakat 'Abd-ar-Rahman ibn Mauhoub arriva au Caire, neuf jours étant passés dans le mois de chewâl, venant de Hamâh ; il apportait le sabre d'al-Malik al-Mothaffar[153] et des présents de la part de son fils, al-Malik al-Mansour Nasir ad-Din Mohammad.
Le sahib Mou’în ad-Din al-Hasan, fils du cheikh des cheikhs, partit du Caire avec les troupes, emportant arec lui la tente impériale et les trésors[154] ; le sultan lui enjoignit de tenir le rang qu'il tenait lui-même, de s'asseoir à la place d'honneur à la table et de monter à cheval avec la pompe qui est usitée pour les souverains; l'eunuque Schihâb ad-Din Rashid, ostadar du sultan, devait le servir à table, et l'émir djandar et les chambellans devaient se tenir devant lui comme lorsqu'ils faisaient leur service auprès d'al-Malik al-Sâlih. Le sultan écrivit aux Kharezmiens de se mettre aux ordres de ce général.[155] Mou’în ad-Din se rendit avec l'armée du Caire à Ghaza. Les Kharezmiens et l'armée[156] se joignirent à lui et il marcha vers Baïsân, où il demeura pendant quelque temps,[157] puis il se dirigea sur Damas et l'investit. Al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl et al-Malik al-Mansour-Ibrahim, prince de Homs, s'y étaient fortement retranchés ; les Kharezmiens ravagèrent la province de Damas.[158] Al-Malik as-Sâlih Ismâ'îl envoya à Mou’în ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, un tapis pour faire la prière, une aiguière (abrik) et un bâton de pèlerin en lui faisant dire : « Il te siérait mieux de l'occuper de façon à te servir de ces objets que de faire la guerre aux rois ! » Quand le fils du cheikh des cheikhs eut reçu ces objets, il envoya à al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl une harpe (djoung), une flûte et une tunique de femme (ghalala) [159]· en soie, en lui disant : « Si le tapis, l'aiguière et le bâton sont les objets qui me conviennent, cette harpe, cette flûte et cette tunique de femme te conviennent encore bien davantage ! »[160] et il continua le siège de Damas.
Le khalife al-Mosta'sim envoya Mohyî ad-Din ibn al-Djaûzi à al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din avec un vêtement d'honneur, un turban noir, une tunique brodée d'or, deux vestes d'or, un sabre incrusté d'or, un collier d'or, deux drapeaux de soie, un cheval et un bouclier d'or. Le sultan revêtit ce vêtement d'honneur avec la pompe habituelle ; on parla beaucoup au Caire au sujet de la venue de cet ambassadeur et du retard [avec lequel son maître lui avait fait porter au sultan d'Egypte les objets qui lui reconnaissaient la souveraineté sur ce pays].
Cette même année,[161] l'émir des Bènou-Mârîn, Ibn Mohammad ibn 'Abd al-Hakk ibn Modjîr ibn Abou Bakr ibn Hammamat, fut tué dans un combat contre l'armée des Almohades. Il eut pour successeur son frère, Abou Yahya ibn 'Abd al-Hakk. —On reçut une lettre de Badr ad-Din Loulou, prince de Maûsil, demandant la contribution qui avait été fixée pour la guerre contre les Tatars. Ce fut le kadi Mohyî ad-Din ibn Zaki ad-Din qui lut cette lettre, suivant l'habitude.
Cette année, le khalife prit pour vizir son ostadar, Mouvayyad ad-Din Mohammad ibn al-'Alkami, le huitième jour du mois de Rabi premier, pour remplacer Nasir ad-Din Abou al-Azhar-Ahmad ibn Mohammad ibn 'Ali ibn an-Nafidh. — Les Tatars s'emparèrent de Shahrzoûr. — Le prix d'un ardeb de blé atteignit en Egypte le prix de quatre cent dirhems nokra.
Cette année, Mohyî-ad-Dîn, fils du cheikh des cheikhs, poussa activement la lutte contre la garnison de Damas et il pressa la ville d'attaques, jusqu'à ce que Kasr-Hadjdjâdj[162] eut été incendié, le second jour du mois de Moharram; il cribla la place de projectiles avec les mangonneaux, ce qui y tua beaucoup de monde; le troisième jour de ce même mois, al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl incendia plusieurs localités et détruisit les propriétés des gens.[163]
Cette lutte violente se prolongea jusqu'au commencement du mois de Rabi premier. Al-Malik al-Mansour, prince de Homs, sortit alors de Damas, et il se rendit auprès de Bérékéh Khân, général des Kharezmiens auquel il fit des ouvertures de paix ; puis il s'en revint à Damas. Le vizir de Damas, Amin ed-dauleh Kamal ad-Din ibn Abou’l Hasah al-Sâmirî écrivit au sahib Mou’în ad-Din, fils du cheikh des cheikhs et lui demanda un sauf conduit pour pouvoir se rendre auprès de lui. Le sahib lui envoya une tunique, une robe, un turban et un voile (mandîl)[164] ; Amin ed-dauleh s'habilla avec ces vêtements et, quelques jours après le commencement du mois de Djoumada premier, il sortit [de Damas] pendant la nuit[165] et ils eurent une conférence. Il rentra ensuite à Damas et il s'en revint la nuit suivante auprès de Mou’în ad-Din. Il fut alors convenu qu'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl livrerait Damas : à cette condition, il pourrait sortir de cette ville, lui et al-Malik al-Mansour, avec leurs biens; on ne molesterait aucun de leurs partisans et on ne toucherait à rien de ce qui leur appartenait; de plus, al-Malik as-Sâlih Ismâ'îl devait, en échange de Damas, recevoir les villes de Baalbek et de Bosra avec la province qui dépend de ces deux villes ainsi que toutes les villes du Savâd ; al-Malik al-Mansour devait avoir pour sa part Homs, Tadmor et Rahba. Amin ed-dauleh accepta ces conditions et le sahib Mou’în ad-Din lui jura qu'elles seraient observées ponctuellement. Al-Sâlih Ismâ'îl et al-Mansour sortirent alors de Damas et le sahib Mou’în ad-Din y fit son entrée, le huitième jour de Djoumada premier, il défendit aux Kharezmiens d'entrer dans Damas et il régla avec beaucoup d'habileté les affaires de cette ville. Il donna en fief le Sahel aux Kharezmiens et il écrivit des diplômes pour les confirmer dans la possession de leurs fiefs. Il s'installa dans la ville et l'eunuque (tavashi) Schihâb ad-Din Rashid prit possession de la citadelle ; on fit la khotba au nom d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din dans la citadelle, dans la grande mosquée de Damas et dans toute la province qui dépend de cette ville. L'émir Saïf ad-Din 'Ali ibn Kilidj livra également la forteresse d’Adjloûn aux troupes d'al-Malik as-Sâlih Ayyoub et il se rendit à Damas. Quand le sultan d'Egypte apprit ce qui s'était passé, il blâma le tavashi Schihâb ad-Din et les émirs d'avoir concédé la souveraineté de la ville de Baalbek à al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl.[166] Il dit : « Mou’în ad-Din avait juré (de donner cette ville) à Ismâ’îl mais vous, vous ne vous étiez engagés à rien! ». Il ordonna d'envoyer Rokn ad-Din al-Hidjâvi[167] et le vizir Amin ed-dauleh as-Sâmirî sous bonne escorte à la Citadelle de l'île de Raûdah. Il envoya ces deux personnages de Damas au Caire et ils furent emprisonnés dans la Citadelle de la Montagne. Sur ces entrefaites, le sahib Mou’în ad-Din tomba malade et il mourut à Damas, le vingt-deuxième jour du mois de Ramadhan. Le sultan écrivit alors à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali al-Hadbani qui se trouvait à Nabolos de se rendre à Damas et d'y prendre le commandement. Cet émir s'y rendit et il gouverna la place en qualité de naïb du sultan, le tavashi Rashid résidant dans la citadelle. — Le sultan rendit la liberté à l'émir Fakhr ad-Din Yousouf, fils du cheikh des cheikhs, qui avait été mis aux arrêts dans son hôtel ; il le fit revêtir d'un vêtement d'honneur, lui confia un émirat,[168] lui donna des charges importantes et le combla de toutes sortes de bienfaits ; il était le seul survivant des fils du cheikh des cheikhs.
Les Kharezmiens s'étaient imaginés que lorsque le sultan aurait vaincu son oncle, al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, il partagerait entre eux le pays conquis. Quand on les eût empêché d'entrer à Damas et qu'ils se furent rendus dans le Sahel et les autres parties de la Syrie,[169] ils changèrent de sentiments et ils furent unanimes à décider de se soustraire à l'obéissance du sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm-ad-Din. Ils marchèrent sur Dârya qu'ils livrèrent au pillage ; ils écrivirent à l'émir Rokn ad-Din Baybars qui se trouvait à Ghaza avec une excellente division de l'armée égyptienne; ils lui vantèrent les avantages qu'il y aurait pour lui à faire cause commune avec eux et à prendre une de leurs femmes pour épouse : l'émir embrassa le parti des Kharezmiens. Ils écrivirent ensuite à al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Karak,[170] qui fit également alliance avec eux, il vint les trouver, joignit son armée à la leur et épousa une de leurs femmes. Il retourna ensuite à Karak et il s'empara de tout ce qui avait été au pouvoir de l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali, soit Nabolos, Jérusalem, Hébron, Baït-Djibrîl et al-Aghvar.[171]
Al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl eut peur [qu'an-Nasir ne s'emparât de toute la Syrie[172]]; il écrivit aux Kharezmiens et se rendit auprès d'eux. Ils lui jurèrent d'être toujours prêts à le défendre, et ils allèrent assiéger Damas. L'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali défendit la place avec la plus grande énergie, mais les Kharezmiens, qui avaient avec eux al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, attaquèrent la ville avec la dernière vigueur, ils ravagèrent toute la province environnante et réduisirent Damas aux abois. Ils interceptèrent les convois de vivres, et la famine devint extrême dans la ville. Le ghiràra de froment atteignit mille et huit (lire 1500) dirhems d'argent pur (fidda).[173] La plus grande partie de la population mourut de faim ; une personne vendit une maison qui valait dix mille dirhems pour une somme de quinze cents dirhems avec laquelle elle acheta un ghirdra de blé, qui lui revint en réalité à dix mille dirhems.
Le pain se vendait un dirhem l'ocque (ôkiyya) et un quart, et chaque rotl de viande, sept dirhems. Les vivres ayant complètement manqué, les habitants mangèrent les chats, les chiens et les cadavres; un homme étant mort dans la prison, les autres prisonniers le mangèrent. Un nombre considérable de personnes moururent de faim et de maladie, et cette affreuse situation se prolongea durant trois mois. Durant ce temps, al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din employait toutes les ruses et tous les moyens [pour délivrer Damas], et il ne cessa pas de presser de ses instances le prince de Homs, al-Malik al-Mansour Ibrahim, tant qu'il ne l'eût attiré dans son parti. Il fit également alliance avec les Halébins pour combattre les Kharezmiens.
Al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub sortit alors du Caire avec l'armée égyptienne, et vint camper à al-'Abbasa, où il reçut les ambassadeurs du khalife,[174] al-Malik ibn Vadjh-as-Saba et Djémal ad-Din 'Abd-ar-Rahman ibn Mohyî ad-Din ibn al-Djaûzi, à la fin du mois de chewâl. Ces personnages lui apportaient, de la part de leur maître, le firman d'investiture et un vêtement d'honneur noir, un turban noir, une robe, un collier d'or et un cheval tout caparaçonné d'or. On dressa un minber et l'un des ambassadeurs du khalife, [Djémal ad-Din ibn] Mohyî ad-Din ibn al-Djaûzi y monta et lut le diplôme d'investiture (taklid) dans la tente (dahliz) impériale. Le sultan se tint debout devant l'ambassadeur jusqu'à ce qu'il eût terminé sa lecture, puis il monta à cheval revêtu du vêtement d'honneur (tashrif) que le khalife lui avait envoyé. Ce fut un jour de grande fête. Le khalife avait également envoyé un vêtement d'honneur pour le sahib Mou’în ad-Din, fils du grand cheikh, mais ce personnage venait justement de mourir; aussi le sultan ordonna que l'on remit ce vêtement à son frère, l'émir Fakhr ad-Din Yousouf, fils du grand cheikh, qui s'en revêtit.
Quand les Kharezmiens apprirent que le sultan était parti du Caire et qu'al-Malik al-Mansour, prince de Homs,[175] s'était mis en marche avec les troupes d'Alep, ils levèrent le siège de Damas pour marcher au devant d'al-Mansour. Leur départ causa la plus vive joie aux habitants de Damas et la place put être ravitaillée.
Cette année, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub envoya le kadi Nadjm ad-Din Mohammad ibn Salim al-Nabolosî, qui était connu sous le nom du fils du kadi de Nabolos, et qui jouissait d'une grande faveur auprès de lui, à son mamlouk, l'émir Rokn ad-Din Baybars. Le kadi mit tout en œuvre pour le circonvenir, il le flatta de toutes les manières de telle sorte qu'il réussit à lui faire abandonner le parti des Kharezmiens ; l'émir Rokn ad-Din se rendit en Egypte avec le fils du kadi de Nabolos, il fut enfermé dans la Citadelle de la Montagne ; c'est ainsi que se termina son escapade.[176]
Cette même année, les Kharezmiens remportèrent de nombreux succès en Syrie ; ils mirent le pays à feu et à sang, et ils s'y livrèrent à toutes les infamies. Ils rencontrèrent al-Malik al-Mansour à la tête des troupes d'Alep ; ils avaient été renforcés d'une troupe considérable d'Arabes et de turcomans [qui étaient venus porter] secours à al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub.[177]
Cette rencontre eut lieu sous les murs de Homs, le premier jour du mois de Moharram ou, suivant une autre version, le deux du même mois. Les deux armées se livrèrent un combat terrible et les Kharezmiens furent mis dans une déroute honteuse ; cette défaite ruina leur puissance et ils ne se relevèrent jamais de cet échec. Le général des Kharezmiens, Bérékéh-Khân fut tué dans ce combat, alors qu'il était complètement ivre, et un grand nombre d'entre eux furent faits prisonniers. Ceux qui purent s'échapper s'enfuirent chez les Tatars ; d'autres allèrent à al-Balka et prirent du service dans l'armée d'al-Malik an-Nasir-Dâvoûd, prince de Karak. Ce prince épousa une Kharezmienne et s'entoura de gens choisis parmi eux; leur arrivée lui donna une grande puissance. Un détachement des Kharezmiens fugitifs marcha sur Nabolos et s'en empara, une partie de leurs alliés, qui avaient également pris la fuite, se réfugièrent à Harrân. Aïbec al-Mo'aththami courut s'enfermer dans la citadelle de Sarkhad et s'y retrancha.
Al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl se rendit à Alep avec un certain nombre de Kharezmiens; al-Malik an-Nasir, souverain de cette ville, le reçut et le traita d'une manière honorable, mais il fit enfermer les Kharezmiens qu'il avait amenés avec lui.
La nouvelle de la défaite des Kharezmiens arriva au sultan al· Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub au mois de Moharram ; les villes du Caire et de Misr furent pavoisées, ainsi que les deux citadelles.[178]
L'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali al-Hadbani partit de Damas et alla s'emparer de Baalbek[179] sans coup férir, au mois de Redjeb. Il se saisit d'al-Malik al-Mansour-Nour ad-Din Mahmoud, fils d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, et du frère de ce prince, al-Malik as Sa’id 'Abd-al-Malik, et il les fit conduire en Egypte sous bonne garde.[180] Les deux princes furent emprisonnés, et la ville du Caire fut magnifiquement pavoisée à l'occasion de la prise de Baalbek, ainsi que Misr.
La prise de Baalbek fut extrêmement agréable au sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm-ad-Dîn, parce que son oncle, al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, l'avait reçue en échange de Damas et qu'il nourrissait une haine féroce contre lui.[181]
Le sultan d'Egypte, al-Malik al-Mansour, prince de Homs, et al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Karak, finirent par s'arranger et par conclure une alliance. Le sultan envoya demander à Alep qu'on lui livrât al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, mais on ne voulut point y consentir.
Le sultan mit en campagne une armée considérable, dont il donna le commandement à l'émir Fakhr ad-Din Yousouf, fils du cheikh des cheikhs et il l'envoya attaquer Karak. Ce général marcha vers Ghaza et il tomba sur les Kharezmiens, avec lesquels se trouvait al-Malik an-Nasir-Daoud, dans les environs de Sait; il les battit et les mit dans une déroute complète. Al-Malik an-Nasir-Daoud s'enfuit à Karak avec quelques soldats; la bataille de Sait eut lieu le vingt-septième jour du mois de Rabi premier. Après avoir incendié cette localité, l'émir continua sa marche, il s'empara de toutes les villes qui appartenaient à al-Malik an-Nasir Daoud et il y laissa des officiers pour les gouverner. IL vint mettre le siège devant Karak,[182] ravagea tout le pays environnant, et s'empara de Balka. An-Nasir-Daoud, réduit à l'impuissance, demanda un armistice ; Fakhr ad-Din lui envoya réclamer les Kharezmiens qui se trouvaient avec lui; an-Nasir les lui envoya et l'émir leva le siège de Karak, ayant à son service les Kharezmiens. Il alla ensuite assiéger Bosra, et il était sur le point de s'en emparer quand il fut atteint d'une maladie qui le mit à deux doigts de la mort; on le transporta au Caire dans une litière et l'armée resta devant la place jusqu'au moment où elle s'en empara,
Al-Malik al-Mansour, prince de Homs, se rendit à Damas dans l'intention de continuer son voyage sur le Caire et d'aller prendre du service[183] chez le sultan al-Malik as Sâlih, mais il tomba malade dans cette ville et il mourut au mois de Sa far. Le sultan en ressentit une vive douleur, car il attendait son arrivée. Le fils d'al-Mansour, al-Malik al-Ashraf-Mothaffar ad-Din Moussa, lui succéda sur le trône de Homs.[184]
Cette même année, al-Malik as-Sâlih Nadjra ad-Din prit possession de la ville de 'Adjloûn que lui avait léguée en mourant le prince qui y régnait, Saïf ad-Din ibn Kilidj. — Cette année, le sultan envoya le sahib Djémal ad-Din Abou 'l-Hosaïn-Yahya ibn 'Isa ibn Ibrahim ibn Matrouh à Damas, en qualité de vizir et d'émir. Il lui donna une charge d'émir de soixante-dix cavaliers à Damas; il retira à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali al-Hadbani la charge de gouverneur de Damas et il nomma à sa place l'émir Moudjahid ad-Din Ibrahim ; il laissa le tavashi Schihâb ad-Din Rashid dans la citadelle avec la charge qu'il exerçait auparavant. Quand Ibn Matrouh fit son entrée à Damas, l'émir Hosâm ad-Din quitta cette ville et se rendit au Caire. Le sultan, qui se trouvait alors dans la Citadelle de la Montagne, lui accorda une audience, et lui donna la charge de naïb as-saltanah en Egypte; il lui assigna pour demeure le Palais du Vizirat, au Caire.
Au mois de chewâl, le sultan partit de la Citadelle de la Montagne avec l'armée et il se dirigea sur Damas[185] ; il fit son entrée dans cette ville le dix-septième jour du mois de Dhoû’lka’dah ; ce fut l'occasion d'une fête splendide. Il répandit ses bienfaits sur la population de cette ville, donna des vêtements d'honneur aux notables, et il distribua en aumônes aux gens qui demeuraient dans les collèges et dans les couvents de Soufis (rubuth),[186] ainsi qu'aux anachorètes, une somme de quarante mille dirhems. Après avoir passé quinze jours à Damas, il s'en alla à Baalbek ; il régla les affaires de cette ville et distribua aux marnes personnages qu'à Damas vingt mille dirhems; de là, il alla à Bosra qui avait été remise à ses lieutenants par l'émir Schihâb ad-Din Ghazi, naïb d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl; il distribua en aumônes aux professeurs, aux étudiants, aux religieux (ahl-el-bouyouf) et aux anachorètes de Bosra vingt mille dirhems. Il envoya l'émir Nasir ad-Din al-Kaïmari et le sahib Djémal ad-Din ibn Matrouh à Salkhad,[187] où se trouvait l'émir 'Izz ad-Din Aïbec al-Mo'aththami, ils ne cessèrent de le poursuivre de leurs objurgations jusqu'à ce qu'il leur eût livré la place ; l'émir se rendit alors au Caire.
Le sultan, s'étant rendu à Jérusalem, y distribua en aumônes une somme de deux mille dinars égyptiens. Il ordonna de mesurer le mur d'enceinte de Jérusalem; il se trouva que ce mur avait six mille coudées hachémites de circuit. Le sultan ordonna d'employer pour la réfection des fortifications les finances de Jérusalem, notifiant que, si l'on avait besoin de sommes plus considérables, il enverrait du Caire ce qui serait nécessaire.[188]
L'émir Fakhr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, se rendit arec l'armée à Tibériade, il l'assiégea et l'enleva aux Francs. Il détruisit les citadelles que les Francs avaient restaurées, et il marcha ensuite sur 'Ascalon qu'il assiégea jusqu'à ce que les Francs qui en étaient maîtres la lui eussent rendue; il en fit raser les fortifications.
Cette même année, mourut al-Malik al-'Adil Abou Bakr, fils d'al-Malik al-Kâmil-Mohammad.[189] Il fut étranglé dans la Citadelle de la Montagne; suivant une autre version, il aurait été étranglé à une date antérieure; d'autres personnes prétendent au contraire qu'il ne fut mis à mort qu'en l'année 645. Voici quelle fut la cause de cet événement. Le prince était emprisonné dans la Tour al-'Afiyyah qui fait partie de la Citadelle de la Montagne. Quand le sultan projeta de se rendre en Syrie, il envoya un officier ordonner à son prisonnier de partir pour la citadelle de Shaûbak où il serait détenu. Al-'Adil s'y refusa absolument; le sultan envoya alors en secret quelqu'un (qui le tua) et le bruit de sa mort se répandit dans la ville. C'est ensuite que parut l'ordre du sultan. Le fils d'al-'Adil, al-Malik al-Moughith-Omar, se rendit à Shaûbak[190] où il fut emprisonné. Al-Malik al-'Adil fut enterré en dehors de la Porte de la Victoire, et personne n'osa pleurer le malheureux prince, ni marne prononcer son nom. Il laissait un fils, al-Malik al-Moughith-Omar; on le fit descendre au Caire chez ses tantes, puis on l'envoya à Shaûbak. Al-'Adil était âgé, au moment de sa mort, d'environ trente ans et il était resté emprisonné pendant près de huit années.
Cette même année, des discordes éclatèrent parmi les Francs.
Cette année, le sultan al-Malik as-Sâlih s'en revint de Damas au Caire après s'être emparé d'Ascalon[191] et l'avoir démantelée, au mois de Djoumada second ; il s'empara également de la citadelle de Barzin qui dépend de Hamâh, au mois de Ramadhan. Pendant qu'il était en marche pour revenir en Egypte et qu'il se trouvait dans la grande plaine de sable (al-raml), il fut atteint d'une maladie du larynx qui le mit à deux doigts de la mort;[192] il s'en guérit et il rentra à la Citadelle en bonne santé. Les deux villes et les deux citadelles furent pavoisées à cause de la joie que l'on ressentait de cet heureux événement. Le sultan écrivit à l'émir Fakhr-ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, de quitter le pays que les Francs occupaient dans le Sahel et de se rendre à Damas. Ce général se mit en marche avec ses troupes et gagna Damas. Il fit de grandes générosités aux émirs qui se trouvaient dans cette ville ainsi qu'à d'autres personnes, et il leur donna des vêtements d'honneur.
Le jeudi, vingt-deuxième jour du mois de Djoumada second, 'Ascalon fut enlevée d'assaut par les troupes impériales.
Cette année, les lieutenants (navvâb) d'al-Malik as-Sâlih prirent possession de la citadelle de Soubaibah.[193] — Le tavashi Shodja ad-Din Mourshid al-Mansoufi et l'émir Moudjahid ad-Din, émir djandar, vinrent de Hamâh à Alep pour chercher l'Altesse sérénissime 'Ismat ad-Dounia wa-'d-Din 'Aïcha Khatoun, fille d'al-Malik al-’Aziz Mohammad, fils d'al-Malik ath-Tahir-Ghazi, fils du sultan Salah ad-Din Yousouf ibn Ayyoub. Elle partit, accompagnée de sa mère, la princesse (al-sitr-atrafi') Fatima-Khatoun, fille d'al-Malik al-Kâmil-Mohammad, fils d'al-Malik al-'Adil Abou Bakr ibn Ayyoub, au mois de Ramadhan. La princesse partit en grande pompe[194] dans une litière drapée d'étoffes de soie brochée d'or; elle portait un diadème de pierres précieuses. Son époux, al-Malik al-Mansour, prince de Hamâh, se rendit au devant d'elle pour la recevoir. — Cette même année, les gens s'emparèrent du Bostan al-Kafoûri au Caire, et ils y construisirent des maisons. — L'émir Izz ad-Din Aïbec al-Mo'aththami fut arrêté à Damas, et conduit au Caire sous bonne garde. On l'emprisonna dans cette ville, dans la maison de Savab[195] ; son fils porta témoignage (rafa'a) que les sommes qu'il avait rapportées de Salkhad[196] étaient contenues dans quatre-vingts valises (khardj) qu'il avait déposées (entre ses mains). Lorsque l'émir apprit cette déposition de son fils, il tomba la face contre terre, et il s'écria : « Cela est la fin de tout pour moi dans ce monde ! » ; il ne prononça plus une seule parole jusqu'au moment de sa mort. — Cette même année, le sultan sortit de la Citadelle de la Montagne et il descendit dans son palais, à Ashmoum-Tannah. — Al-Malik al-'Adil Abou Bakr ibn Mohammad al-Kâmil fut étranglé le douzième jour de chewâl.[197]
Cette année, le sultan écrivit d'Ashmoum-Tannah à son lieutenant général (naïb) à Misr, l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali, de partir avec la garde impériale (al-halkat-al-sultaniyyah) et le dehliz réservé au sultan et de se rendre dans cet équipage à Damas. Il nomma à la place de Hosâm ad-Din, pour remplir les fonctions de naïb-as-saltanah, l'émir al-Djavâd-Djémal ad-Din Abou’l Fath-Moussa ibn Yaghmoûr ibn Djildek; Hosâm ad-Din se mit en marche et vint camper à la forteresse qu'avait bâtie le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din, et dont il avait fait la ville principale (madînat) [du pays de] al-Tanaîh[198] (?), au commencement du désert de sable (Raml), et qu'il avait appelée Salihiyya.
Il partit pour aller rejoindre le prince de Homs, al-Malik al-Ashraf, dans le même appareil que s'il eût été le sultan. Al-Ashraf avait reçu la nouvelle du départ des troupes d'Alep, sous le commandement de l'émir Chams ad-Din Loulou et d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, qui projetaient de s'emparer de Homs; l'émir Hosâm ad-Din ne put le rejoindre [à temps] et al-Ashraf dut rendre la place de Homs qui tomba entre les mains d'al-Malik an-Nasir, souverain d'Alep.[199] On donna Tell-Bachir à al-Malik al-Ashraf pour le dédommager de la perte de cette ville.
Quand le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din apprit cet événement, il revint d'Ashmoum Tannah au Caire et il repartit de cette ville pour aller prendre le commandement de[200] son armée qui se trouvait à Salihiyya, il se fit transporter dans une litière à cause de la maladie dont il était atteint ; il avait en effet un abcès au jarret qui s'aggrava et qui finit par déterminer une fistule, et de plus il souffrait d'une affection catarrhale (karh) de la poitrine. Son énergie seule le soutint et il ne se laissa pas abattre par ses souffrances. Il continua sa route sur Damas et descendit dans la citadelle; il envoya l'émir Fakhr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, avec les émirs et les troupes, parmi lesquels l'émir Ibn Abou 'Ali al-Hadbani, à Homs. Ces troupes assiégèrent la ville et on lança avec un seul mangonneau (sic) cent quarante ritls de pierres.[201] L'armée assiégeante avait en outre treize autres mangonneaux. L'émir imposa comme corvée aux gens de transporter ces mangonneaux de Damas à Homs, et il dut payer pour le transport de chaque pièce (‘oud) de ces engins des sommes qui varièrent de 20 à 1.000 dirhems, car l'hiver était alors très rigoureux. Le siège continua jusqu'à ce qu'arriva de Bagdad le cheikh Nadjm ad-Din al-Moubadaraï, envoyé par le khalife en qualité d'ambassadeur chargé de rétablir la paix entre les Halébins et le sultan d'Egypte.
La paix fut alors conclue et les troupes égyptiennes levèrent le siège de Homs, après avoir été bien près de s'en emparer; le cheikh Chams ad-Din al-Khosravshahî arriva d'Alep et il offrit au sultan al-Malik as-Sâlih, de la part d'al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Karak, de lui livrer cette place de Karak, à la condition qu'il donnât Shaûbak à an-Nasir. Le sultan accepta cette combinaison et des gens (du sultan) partirent pour aller prendre possession de Karak[202]·; mais an-Nasir-Daoud revint sur cet engagement quand il apprit que le sultan était tombé gravement malade.
Cette année, les Francs se mirent en campagne pour conquérir l'Egypte; le sultan al-Malik as-Sâlih partit alors de Damas dans une litière et se rendit à al-Ghaûr. Il renvoya l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali au Caire pour y exercer les fonctions de naïb-as-saltânah (vice-roi) et pour y gouverner en son nom ; en même temps, il fit venir du Caire auprès de lui l'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr pour lui confier la charge de gouverneur (naïb) de Damas. Il destitua le sahib Djémal ad-Din ibn Matrouh des fonctions qu'il exerçait à Damas, et il relira au tavashi Schihâb-ad-Din-Rashid le commandement de la citadelle de Damas; il confia les charges de ces deux personnages à l'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr. — Cette année, le Mesched-el-Hosaïni fut incendié au Caire, et le minaret oriental de la grande mosquée de Damas brûla. — Le kadi-al-kodat Afdal ad-Din al-Kharkhi[203] mourut au mois de Ramadan et son fils, le kadi-al-kodat Djémal ad-Din Yahya, fut investi de sa charge après lui.
Cette même année, mourut al-Malik al-Mothaffar-Schihâb ad-Din Ghazi, fils d'al-Malik al-'Adil Abou Bakr ibn Ayyoub, prince de Rohâ (Édesse); son fils, al-Malik al-Kâmil-Mohammad, régna après lui sur Rohâ et sur Mayyafarikîn. Cette année, al-Malik al-Mansour-Nour ad-Din Omar ibn 'Ali ibn Rasoûl, souverain (sahib) du Yémen, destitua l'émir Fakhr ad-Din ibn Salah (de la charge de gouverneur) de la Mecque et des dépendances de cette ville; il nomma à sa place Mohammad ibn Ahmad ibn al-Masib[204] à la condition que ce dernier lui payât une redevance dont il fixa le montant et qu'il lui envoyât chaque année cent chevaux en présent. Cet officier se rendit à la Mecque et l'émir Fakhr ad-Din en sortit. Voici comment al-Masib se conduisit : il rétablit les corvées et les taxes de douane (maks) à la Mecque, il s'empara des sommes envoyées en aumônes qui provenaient du Yémen et il fit main basse sur l'argent qui se trouvait à la Mecque et qui appartenait au sultan; il bâtit une forteresse à Nakhla, se fit prêter serment par les Hodaïl, et se refusa è payer la solde (nafaka) de l'armée (al-djound). Le shérif Abou Sa'd ibn 'Ali ibn Kattâda marcha contre lui, le fit prisonnier, et le fit enchaîner. Il confisqua tout l'argent qu'il possédait et dit à la population de la ville sainte : « Je n'ai agi comme je l'ai fait contre l'émir que parce que je savais de source certaine qu'il avait l'intention de s'enfuir dans l'Irak avec cet argent; quant à moi, je suis le mamlouk de notre maître, le sultan, et je garde comme un dépôt, l'argent, les chevaux et les équipements militaires jusqu'à ce qu'arrive l'ordre écrit (marsoum) du sultan (indiquant ce qu'il en faut faire) ». Quelques jours ne s'étaient pas écoulés que l'on reçut la nouvelle de la mort du sultan Nour ad-Din 'Omar ibn Rasoûl.
Cette année, le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub partit de Damas, malade, dans une litière, lorsqu'il apprit que les Francs s'étaient mis en campagne. Il vint camper à Ashmoum-Tannah, au mois de Moharram.[205] Il rassembla dans Damiette une grande quantité de vivres et d'armes, et il envoya l'ordre à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali,[206] son lieutenant au Caire, d'armer les navires qui se trouvaient dans les arsenaux de Misr. L'émir s'empressa de faire exécuter cet ordre et il les fit partir les uns après les autres. Le sultan écrivit également à l'émir Fakhr ad-Din, fils du grand cheikh, pour lui ordonner de venir camper sur les bords du lac de Damiette[207] avec les troupes égyptiennes, de façon à se trouver face à face avec l'armée franque quand elle débarquerait. Ce général se mit en marche avec son armée et s'en vint camper sur la rive du lac (bohaïra) en face de Damiette; il était séparé de cette ville par le Nil (qui coulait entre son camp et Damiette).
Le sultan ne pouvait plus faire un mouvement par suite de sa maladie, et l'on publia à Misr que si quelqu'un était le créancier du sultan, qu'il vint réclamer ce dont il était le légitime propriétaire; les gens vinrent alors prendre ce qui leur était dû.[208]
A la deuxième heure du vendredi,[209] neuf jours restant du mois de Safer, la flotte des Francs d'oulre-mei· arriva, et leur armée, qui était très nombreuse, débarqua. A la tête de cette armée, se trouvait le roi de France (Ré dé Frans), que l'on appelait le Français (al-Fransis). Son nom était Louis, fils de Louis. Ré dé Frans est une expression de la langue des Francs qui signifie « roi de France ».
Tous les Francs qui se trouvaient dans le Sahel s'étaient joints à ceux qui arrivaient d'outre-mer; leur flotte mouilla en vue de la côte, en face des Musulmans. Le roi des Francs envoya au sultan une lettre qui était ainsi conçue et qui débutait par les formules (kalimât) de leur impiété[210] : « Tu n'ignores point que je suis le Prince des nations qui observent la religion du Christ, comme je te reconnais pour le Prince des peuples qui suivent la religion de Mohammed. Je ne crains rien de loi, car les Musulmans qui habitent dans les îles de l'Andalousie nous payent tribut et nous offrent des présents. Et nous, nous les pourchassons comme des troupeaux de bœufs, nous tuons leurs hommes et nous condamnons leurs femmes au veuvage, nous réduisons en captivité leurs filles et leurs enfants et nous rendons leur pays vide[211] comme le désert. Mais je t'en ai assez dit sur ce sujet et je le donnerai pour finir un conseil : quand bien même tu me jurerais en toute sincérité de me reconnaître comme ton suzerain, quand tu te présenterais devant moi entouré de prêtres et de moines (chrétiens), tenant, en ma présence, un cierge à la main en signe de ton adoration de la Croix, cela ne m'empêcherait point de marcher contre toi et d'aller te combattre jusque dans les parties les plus reculées de Ion empire. Car, si je m'empare de tes états, quelle riche domaine n'aurai-je pas acquis? Si au contraire, tu conserves ton empire et que tu triomphes de moi, alors ta main auguste pourra s'étendre contre moi ; et maintenant, je t'ai averti, et je le préviens que l'armée qui est venue obéir à mes ordres couvre les montagnes et qu'elle remplit les vallées, que le nombre de ses soldais est comparable à celui des pierres des chemins, et que je l'ai envoyée contre toi avec les épées qui trancheront le conflit pendant entre nous deux ». Quand le sultan reçut cette lettre, il en ressentit une vive douleur et il s'écria en pleurant : « Certes, nous sommes à Allah et nous retournerons à lui ! » Il fit répondre au roi de France par le kadi Bahâ ad-Din Zohaïr ibn Mohammad, le katib-al-inshâ. Sa lettre était ainsi rédigée après le bismillah et l'invocation à « Notre Seigneur Mohammad, l'apôtre de Dieu, et sa famille ». « J'ai reçu ta lettre, celle dans laquelle tu me menaces du nombre infini de tes troupes et de la multitude de tes héros ; mais nous, nous sommes les maîtres des épées. L'une des ailes de notre armée n'a jamais été détruite que nous ne l'ayons renouvelée et personne ne nous a provoqué que nous ne l’ayons anéanti. Si tes yeux avaient va étinceler le tranchant de nos sabres ! s'ils avaient vu l'immensité de nos dévastations, l'immensité de nos conquêtes de vos places fortes, de vos villes de Palestine ! et s'ils voyaient les ruines que nous avons accumulées dans vos pays, dans les plus lointains comme dans les plus proches, tu te mordrais les doigts de dépit et de regret ; il est infaillible que ce jour dont le commencement est à nous et dont la fin est contre toi verra l'heure de ta perte. Et alors, tu regretteras amèrement d'avoir entrepris cette campagne, car ceux qui agissent injustement connaîtront comment leurs projets se retournent contre eux. Quand lu auras lu ma lettre, médite les premiers mots de la Sourate des Abeilles : Ce qu'a ordonné Allah arrivera ; ne vous démenez donc pas (pour précipiter les événements), et les derniers mots de la Sourate du Sad : Vous connaîtrez ce qu'il voulait vous dire après un certain temps[212] ! Nous nous fions aveuglement à la parole d'Allah, qu'il soit glorifié et exalté ! lui dont les paroles sont les plus véridiques, lui qui a dit : « Combien de fois ceux qui n'avaient avec eux que le petit nombre ont vaincu ceux qui avaient la multitude, par la permission d'Allah ! Allah est avec ceux qui attendent patiemment ». Les sages ont dit que l'agresseur se faisait jeter à terre; ton insolence causera la perte. Salut ! »
Le samedi, les Francs firent une descente sur la rive du Nil où se trouvait l'armée musulmane, et on y dressa pour le roi de France (al-Malik Ré dé Frans) une tente rouge. Les Musulmans engagèrent le combat avec les Francs, et ce jour là, l'émir Nadjm-ad-Dîn, fils du cheikh al-Islâm, fut tué. C'était un homme pieux, qu'al-Malik an-Nasir-Daoud avait mis au service d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din pour lui tenir compagnie lorsqu'il avait été emprisonné à Karak. Parmi les morts de cette journée, se trouva également l'émir Sârim ad-Din Uzbek al-Vizîri. Quand la nuit fut tombée, l'émir Fakhr-ad-Dîn, fils du cheikh des cheikhs, se replia avec ses troupes, et passa en toute hâte le pont (djisr)[213] pour se rendre sur la rive orientale sur laquelle était bâtie la ville de Damiette, abandonnant ainsi la rive occidentale [du Nil] aux Francs ; puis il se relira avec ses troupes vers Ashmoum-Tannah.
Quand les habitants de Damiette virent que l'armée battait en retraite, ils sortirent de la ville et marchèrent durant toute la nuit, le visage inondé de larmes et n'ayant rien à manger. Cette action de l'émir Fakhr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, est l’une des plus honteuses de toutes celles qu'on lui attribue, car, sous le règne d'al-Malik al-Kâmil, quand les Francs vinrent assiéger Damiette, il y avait dans cette ville bien moins d'approvisionnements et de munitions qu'il ne s'y en trouvait cette fois. Malgré cela, les Francs ne purent s'en emparer qu'après un siège d'une année, quand la population eut péri de faim et de maladie. Cette fois, il y avait à Damiette une garnison composée d'excellents soldats des Bènou-Kanâna, mais cela ne servit à rien. A l'aube du dimanche, vingt-troisième jour du mois de Safer, les Francs marchèrent sur Damiette et, quand ils y furent arrivés, ils trouvèrent les portes ouvertes sans un seul homme pour les défendre; ils craignirent que ce ne fût un stratagème et ils suspendirent leur marche jusqu'à ce qu'ils se fussent aperçus que la population de la ville avait pris la fuite et l'avait abandonnée. Ils entrèrent alors dans Damiette sans coup férir, et sans avoir eu à courir les hasards d'un assaut. Ils s'emparèrent de tout ce qu'ils trouvèrent à Damiette, engins de guerre et armes, en quantité considérable, équipements dont il y avait dans la ville une quantité innombrable, vivres, provisions de bouche, munitions, sommes d'argent, ustensiles divers et autres objets.
La nouvelle de la prise de Damiette arriva au Caire et à Misr et les habitants de ces deux villes furent saisis de la plus grande épouvante. On désespéra que la foi musulmane pût se maintenir en Egypte après la prise de Damiette par les Francs et après la fuite de l'armée de l'Islam. La position des Francs se trouvait singulièrement améliorée par ce qu'ils avaient pris en argent, en provisions, en armements, ainsi que par leur possession d'une citadelle puissante, qu'il était impossible de leur enlever par un coup de force, au moment précis où l'état du sultan al-Malik as-Sâlih devenait désespéré, au point qu'il ne pouvait plus faire un seul mouvement.
Quand les troupes de Fakhr ad-Din arrivèrent à Ashmoum-Tannâh, et avec elles les habitants de Damiette, le sultan se mit dans une colère terrible contre les Bènou-Kanâna (al-Kanâniyyin) et il donna l'ordre qu'on les pendît. Ces malheureux s'écrièrent :
« Quelle faute avons-nous commise? Quand toutes les troupes du sultan et ses émirs eurent pris la fuite et eurent incendié l'arsenal (zardkhânâf), que pouvions-nous faire, nous autres? » On les pendit malgré leurs protestations, parce qu'ils avaient abandonné la ville sans ordre, ce qui avait permis aux Francs de s'en emparer. Plus de cinquante émirs des Bènou-Kanâna furent ainsi pendus; parmi eux se trouvait l'émir Hashîm, qui avait un 01s d'une très belle figure. Il dit aux bourreaux : « Par Allah ! Pendez-moi avant mon fils !» ; mais le sultan leur cria : « Non! Pendez-le après son fils[214] ». Le fils fut d'abord pendu et le père ensuite. Le sultan avait demandé aux juristes de lui donner un fetva décidant du sort de ces émirs, et ils avaient répondu qu'il fallait les mettre à mort.
Le sultan était indigné, contre l'émir Fakhr-ad-Dîn, fils du cheikh des cheikhs; il lui demanda : « Est-ce que vous ne pouviez pas tenir une heure devant ces Francs? Il n'y a pas eu d'autre homme tué parmi vous que mon hôte, le cheikh Nadjm ad-Din. C'était pourtant bien le moment de montrer votre valeur et de faire votre devoir ! »
Tout le monde blâma vivement l'acte dont l'émir Fakhr ad-Din s'était rendu coupable. Le plus grand nombre des [émirs et d'autres personnes, craignant le caractère emporté du sultan, pensaient à l'assassiner; mais Fakhr ad-Din leur conseilla de prendre patience jusqu'à ce que l'on fût fixé sur l'état du sultan, qui était à toute extrémité. « S'il meurt, leur dit-il, vous en serez débarrassés sans violence ; si au contraire, il ne meurt pas, vous serez les maîtres de faire de lui ce qui vous conviendra. »
Quand ces événements que nous venons de raconter furent arrivés, le sultan ordonna de partir pour al-Mansoura; on le transporta à bord d'une frégate (harraka), et il vint descendre dans la forteresse (kasr) de Mansoura, sur le Nil, le Mardi cinq jours restant dans le mois de Safer, et tous les soldats s'empressèrent de remettre en état les baraquements pour séjourner à Mansoura. On y installa des marchés,[215] on remit en étal le mur qui se trouvait du côté de la terre ferme et on y dressa des palissades (sataïr). La flotte de Misr vint avec tout un approvisionnement de munitions et avec de l'infanterie. De tous les côtés arrivèrent des irréguliers (ghazavât) et des gens du peuple qui voulaient s'enrôler pour faire la guerre sainte et on reçut un renfort considérable d'Arabes ; ces troupes commencèrent à courir contre les Francs et à les harceler. De leur côté, les Francs avaient fortifié le mur d'enceinte de Damiette et l'avaient garni de soldats.
Le lundi, premier jour du mois de Rabi premier, trente-six prisonniers francs arrivèrent au Caire sous la conduite d'Arabes; parmi eux se trouvaient deux chevaliers. Le cinq, arrivèrent trente-sept prisonniers francs ; le sept, vingt-deux ; le seize, quarante-cinq; parmi ces derniers, trois chevaliers.
Quand la garnison de Damas apprit que les Francs s'étaient emparés de Damiette, elle entra en campagne et leur enleva la ville de Saïda, après l'avoir assiégée et leur avoir livré plusieurs combats. On reçut la nouvelle de cette victoire, le vingt-cinquième jour du mois de Rabi second, et le peuple en fut transporté de joie. A tout moment, des prisonniers francs arrivaient par petits paquets (kalilân) au Caire ; le dix-huitième jour du mois de Djoumada premier, il en vint cinquante.
Pendant ce temps, la maladie du sultan allait toujours en s'aggravant et ses forces diminuaient tellement que les médecins désespérèrent complètement de le sauver, car il était atteint à la fois de deux graves affections, une plaie fistulaire (al-djara-hat-al-nasouriyyah) sous le jarret et la phtisie.
Quant à al-Malik an-Nasir-Daoud, prince de Karak, lorsqu'il vit que les affaires prenaient une vilaine tournure pour lui, il laissa son fils, al-Malik al-Mo'aththam 'Isa, à Karak, prit avec lui ses joyaux et se rendit par le désert (al-barr) à Alep pour aller implorer la protection d'al-Malik an-Nasir-Yousouf, fils d'al-Malik al-’Aziz. Ce prince lui donna l'hospitalité dans son palais et le traita d'une façon très honorable. Pendant son séjour à Alep, al-Malik an-Nasir-Daoud envoya un de ses officiers au khalife abbasside al-Mo'tasim billah pour implorer sa protection et pour le prier de prendre ses joyaux en dépôt; le khalife consentit à prendre ces objets chez lui et il écrivit à an-Nasir pour le lui apprendre. An-Nasir voulait de cette façon mettre ses pierreries en sûreté chez le khalife pour pouvoir les lui redemander quand il en aurait besoin; leur valeur s'élevait à plus de 100.000 dinars. Les fils d'an-Nasir furent indignés contre leur père parce qu'il avait donné à al-Malik al-Mo'aththam le pas (kaddama) sur eux deux (en le nommant gouverneur de Karak); ils enfermèrent ce prince dans une prison et ils s'emparèrent de Karak. Al-Malik ath-Thâbir-Shâdî, qui était l'aîné, resta à Karak, et al-Malik al-Amdjad-Hasan se rendit auprès du sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub ; il arriva au camp de Mansoura le samedi, neuf jours étant passés du mois de Djoumada second. Ce prince apprit au sultan que lui et son frère ath-Tahir s'étaient rendus maîtres de Karak dans l'intention de le lui offrir, et il le pria de leur donner à tous les deux un apanage en Egypte. Le sultan al-Malik as-Sâlih le reçut à bras ouverts et lui donna une forte somme d'argent, puis il envoya le tavashi Badr ad-Din al-Savvâbi à Karak et à Shaûbak pour les gouverner en son nom. Cet officier prit possession des deux places fortes; il envoya tous les fils d'al-Malik an-Nasir-Daoud et ses frères, al-Malik al-Kahir et al-Malik al-Moughith, avec leurs femmes et toutes leurs familles au camp (d'al-Mansoura) ; le sultan leur conféra à tous de jolis apanages, et il détermina le traitement qu'ils devaient recevoir (ravatib). Il plaça les fils d'al-Malik an-Nasir sur la rive occidentale du fleuve en face d'al-Mansoura. Le lieutenant (naïb) d'al-Malik as-Sâlih prit possession de Karak, le lundi, douze jours restant du mois de Djoumada second. Le sultan éprouva une grande joie de la prise de Karak ; il donna l'ordre de pavoiser le Caire et Misr et de battre les tambours en signe de réjouissance dans les deux citadelles. Il envoya à Karak un million de dinars misris, des bijoux, des munitions, des armes et toutes sortes d'objets qui lui appartenaient en propre.[216]
Le treizième jour du mois de Redjeb, arrivèrent au Caire quarante-sept prisonniers francs et onze chevaliers de la même nationalité. Quelques jours plus tard, et près de Nastarâwa,[217] les Musulmans capturèrent un navire blindé[218] qui appartenait aux Francs et qui transportait des soldats.
Le sultan al-Malik al-Sâlih mourut durant la nuit du lundi, quinzième jour du mois de Chaban, à al-Mansoura, en pleine guerre contre les Francs, à l'âge de quarante-quatre ans, après avoir désigné son fils Tourânshâh comme son successeur. Il fit jurer fidélité à Tourânshâh par l'émir Fakr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, par Mohsin l'eunuque et par les personnes en qui il avait confiance.
Avant de mourir, il signa de sa main dix mille apostilles,[219] (’alamat) qui devaient leur servir à appliquer sur les documents officiels, de façon à cacher sa mort jusqu'au moment où son fils Tourânshâh serait arrivé de Hisn-Keïfa. Sa mère avait été esclave et se nommait Vard al-Manî. Il avait régné en Egypte dix ans moins cinquante jours. Un des médecins qui avaient soigné le sultan durant sa maladie lava lui-même son corps pour pouvoir cacher sa mort et, après l'avoir déposé dans un cercueil, on le transporta dans la forteresse de l'île de Raûdah. Sa mort fut ainsi dissimulée, mais cela ne dura que jusqu'au vingt-deuxième jour du mois de Ramadan; quelque temps après, on le transféra au mausolée (turbèh) qu'il s'était fait construire près des collèges al-Sâlihiyyèh, au Caire.
Ce fut ce prince qui établit en Egypte la milice des Mamlouks Bahris, et voici quelle en fut la cause. Nous avons raconté plus haut ce qui se passa durant la nuit où le trône lui échappa par suite de la défection des Kurdes et de ses autres troupes, alors qu'il ne resta plus avec lui que ses mamlouks. Le sultan se souvint de leur conduite et, quand il fut monté sur le trône d'Egypte, il acheta une grande quantité de mamlouks dont il fit la partie la plus importante de son armée : il fit emprisonner les émirs et distribua leurs titres d'émir à ces soldats ; il en fit ses gardes du corps (abtâl) et il leur confia la charge de surveiller la tente impériale (dehliz). Il leur donna le nom de Bahris parce qu'ils habitaient avec lui dans la forteresse de l'île de Raûdah, sur le Nil.[220]
Al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din fut un souverain vaillant et prévoyant, mais il était redouté à cause de son caractère violent et emporté, de la haute idée qu'il avait de son autorité, jointe à un orgueil excessif et à une grande suffisance.[221]
Ce prince n'eut jamais de rapports avec d'autres femmes qu'avec son épouse et ses concubines ; pendant son règne, le pays jouit de la tranquillité et de la sécurité, et l'on pouvait parcourir les chemins sans aucun danger. Mais al-Malik as-Sâlih était très orgueilleux et très hautain ; il poussa l'orgueil et le point d'honneur jusqu'à l'excès suivant: quand al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl eut emprisonné chez lui son fils, al-Malik al-Moughith 'Omar, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din ne voulut pas lui demander de lui rendre la liberté, de telle sorte que le jeune prince mourut dans sa prison.
Il aimait tellement à amasser de l'argent qu'il persécuta la mère de son frère, al-Malik al-'Adil, jusqu'à ce qu'il lui eût extorqué une somme considérable et des joyaux précieux. Il fit mettre à mort son frère al-Malik al-'Adil, et depuis le moment où il eut commis ce meurtre, ses affaires tournèrent mal et déclinèrent, car il tomba malade et les Francs vinrent l'attaquer. Il fit emprisonner tout un groupe (djami) d'émirs de son empire et il confisqua leurs richesses et leurs biens. Plus de cinq mille personnes moururent dans des prisons, sans compter toutes celles qu'il fit tuer, et les mamlouks Ashrafis qu'il fit noyer dans le Nil. En plus de cela, ce prince n'avait aucun penchant pour la science et il n'aimait point à lire les livres, mais il était passionné pour les constructions et il fit élever un grand nombre d'édifices ; il fit plus de bâtisses en Egypte que n'en avait jamais fait aucun des souverains ayyoubides qui le précédèrent sur le trône. C'est lui qui fit bâtir la citadelle de l'île de Raûdah, en face de la ville de Fostat ; il dépensa dans la construction de cette forteresse des sommes énormes et il détruisit une église qui appartenait aux Chrétiens Jacobites et qui se trouvait dans cet endroit. Il installa dans cette citadelle mille mamlouks turcs ou, suivant d'autres personnes, seulement huit cents, et il leur donna le nom de Bahris. Le fleuve, à cette époque, n'entourait pas complètement l'île de Raûdah ; il fit couler à fond des navires et jeter des quartiers de pierre dans l'espace qui se trouve entre Djïzah et l'île de Raûdah, de telle sorte que, en un an, l'eau entoura l'île. Il jeta un pont qui mit en communication Misr et l'île de Raûdah.[222] C'était sur ce pont que passaient les émirs et les autres gens lorsqu'ils se rendaient auprès de lui. Personne ne traversait ce pont à cheval par respect pour le sultan. Cette citadelle fut une des plus belles constructions qu'aient jamais élevées les souverains égyptiens. Al-Malik as-Sâlih bâtit également, sur les bords du Nil, des palais splendides dans le quartier de Loûk[223] et il les plaça près du cirque (maïdari) où il jouait à la paume, ce qui était un de ses divertissements favoris. Il éleva aussi un grand palais dans l'espace qui se trouve entre le Caire et Misr et il lui donna le nom de Kabsh ; il fut bâti sur la colline (djabal) qui se trouve dans les environs de la mosquée d'Ibn Touloun. Il bâtit aussi une forteresse près de 'Alakma[224] dans le canton de Tanâïh (?). Il fit élever autour de cette forteresse une ville qu'il nomma al-Sâlihiyya, dans laquelle il fit construire une grande mosquée et un marché (souk); il en fit ainsi un camp retranché (markaz) pour son armée, au commencement de la grande plaine de sable (Raml) qui s'étend entre l'Egypte et la Syrie.
Son fils aîné était al-Malik al-Moughith 'Omar, qui mourut en prison dans la citadelle de Damas; un autre fut al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh qui régna après lui sur l'Egypte.[225] Il eut aussi de sa femme Shadjar-ad-Dorr un fils auquel il donna le nom de Khalil et qui mourut tout jeune.
La maladie dont il était atteint et qui était causée par une fistule s'éternisa, ses plaies prirent une mauvaise apparence, et l'inflammation s'étendit à la cuisse droite, ce qui causa chez lui un grand amaigrissement et, quoiqu'il prit une quantité de remèdes, il fut atteint de consomption sans qu'on pût enrayer les progrès du mal. Cependant, il envoya à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali, qui se trouvait au Caire, une lettre dans laquelle il lui disait que son abcès se guérissait et qu'il avait cessé de suppurer. L'émir sera réjouit beaucoup de cette heureuse nouvelle, mais en réalité l'abcès n'avait fini[226] de suppurer que parce qu'il n'y avait plus rien et qu'il avait tout rongé. La maladie s'aggrava ensuite et le sultan mourut. On a prétendu qu'il n'avait désigné personne pour lui succéder, mais qu'il aurait dit à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou Άli : « Quand je serai mort, ne remets mon empire à aucune autre personne qu'au khalife al-Mosta'sim Billah, et qu'il le gouverne à sa guise! » Al-Malik as-Sâlih connaissait en effet la stupidité de son fils.
Quand le sultan fut mort, sa femme, Shadjar-ad-Dorr, fit venir l'émir Fakhr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs et le tavashi Djémal ad-Dîn-Mohsin. C'était ce dernier qui approchait de plus près le sultan, et il avait la haute main sur ses mamlouks et sur les gens de sa maison. Shadjar-ad-Dorr leur apprit que le sultan venait de rendre le dernier soupir et elle leur donna l'ordre de cacher sa mort par peur des Francs.
L'émir Fakhr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, était un homme intelligent qui avait des talents pour le gouvernement et qui était très capable de prendre en main les affaires de l'état. Il était de plus généreux et très populaire.[227] Ces deux personnages convinrent avec Shadjar-ad-Dorr de s'occuper du gouvernement jusqu'au moment où serait arrivé le nouveau sultan, al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh. Shadjar ad-Dorr fit ensuite venir les émirs qui se trouvaient dans le camp et leur dit : « Le sultan vient de décider (rasama) que vous lui prêtiez serment, à lui et à son fils, al-Malik al-Mo'aththam Ghiyâth ad-Din Tourânshâh, prince de Hisn-Keïfa, comme héritier du trône, que vous juriez de reconnaître l'émir Fakhr ad-Din Yousouf, fils du cheikh des cheikhs, en qualité de généralissime, d'atabek et de régent du royaume ». Tous les émirs s'écrièrent qu'ils y consentaient, parce qu'ils pensaient que le sultan était vivant; ils jurèrent tous et tous les soldats (adjnad) jurèrent de même, ainsi que les mamlouks du sultan (al-mamalik-al-sultaniyya).
La sultane écrivit à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali al-Hadbani[228] qui se trouvait au Caire, une lettre qu'elle lui donna comme émanant Çalâ lisàn) du sultan, pour lui ordonner de faire prêter serment aux personnages officiels (akabir ed-dauleh) du Caire ainsi qu'aux troupes (adjnad) qui y tenaient garnison. Le kadi 'l-kodat Badr ad-Din Yousouf ibn al-Hasan, connu sous le nom de kadi de Sindjar, et le kadi Bahâ ad-Din Zohaïr ibn Mohammad, chef de la chancellerie (katib-al-inshâ), se rendirent au Palais du Vizirat. Al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din avait disgracié ce dernier personnage pour certains actes qu'il lui reprochait.
Les deux kadis reçurent le serment mentionné plus haut des principaux personnages du Caire; cet événement se passa le jeudi, dix-huitième jour du mois de Chaban. Le kadi Bahâ ad-Din Zohaïr fut ensuite mandé du Caire au camp de Mansourah. L'émir Fakhr ad-Din Yousouf prit en main le gouvernement de l'empire et distribua le pays en fiefs ; il envoya (aux titulaires) les diplômes qui les leur conféraient et il rendit à Zohaïr le rang qu'il tenait avant la disgrâce que le sultan lui avait infligée.
On faisait partir les lettres du camp et elles portaient l'apostille du sultan al-Malik as-Sâlih-Nadjm-ad-Dîn; on a prétendu que ces apostilles étaient de la main d'un eunuque nommé Sama'il.[229] Les personnes qui les voyaient ne doutaient point que ce ne fût l'écriture du sultan. Cette ruse réussit même à tromper pendant un certain temps l'émir Hosâm-ad-Dîn, le naïb-as-saltana du Caire, jusqu'au moment où plusieurs de ses officiers l'eurent convaincu de l'altération de l'apostille que portaient ces lettres. Ce général chargea un de ses familiers qui se trouvait au camp d'al-Mansourah de s'enquérir des nouvelles du sultan et il acquit ainsi la conviction qu'il était mort. La crainte qu'il éprouvait de l'émir Fakhr ad-Din, fils du grand cheikh, redoubla aussitôt et il craignit qu'il ne s'emparât du trône, aussi il prit toutes ses précautions pour se bien garder. L'émir Fakhr ad-Din commença par mettre en liberté les gens qui étaient détenus[230] dans les prisons; il distribua de son propre chef de l'argent et des vêtements d'honneur[231] aux émirs qui étaient ses familiers, et il leva les droits (atlak) que le sucre et le coton devaient payer en Syrie (ou à Damas).
Depuis ce moment, les gens furent convaincus que le sultan était mort, mais personne n'osa faire la moindre allusion à ce sujet. Faris ad-Din Oughoutâï[232] qui était à cette époque le commandant des mamlouks Bahris, quitta le camp pour aller chercher al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh à Hisn-Keïfa et pour ramener en Egypte. L'émir Hosâm ad-Din fit partir également un courrier (kâsid) qu'il envoya de sa part au prince pour ce même motif.
Le lundi, vingt-deuxième jour du mois de Chaban, les khâtibs ordonnèrent que l'on fit la khotba, le vendredi suivant, au nom d'al-Malik al-Mo'aththam, après la prière récitée au nom de son père, et que l'on gravât son nom sur les monnaies après celui de son père. L'émir Hosâm ad-Din appréhendait que l'émir Fakhr ad-Din, fils du grand cheikh, ne mît sur le trône al-Malik al-Moughith 'Omar, fils d'al-Malik al-'Adil Abou Bakr, fila d'al-Malik al-Kâmil, et qu'il ne s'emparât ainsi du pouvoir. Il transféra alors ce prince, qui se trouvait au Caire chez les tantes de son père, les filles d'al-Malik al-'Adil Abou Bakr ibn Ayyoub, à la Citadelle de la Montagne[233] ; il installa auprès de lui, pour le surveiller étroitement, des gens qui ne devaient le remettre à personne.
L'émir Fakhr ad-Din continuait à expédier les lettres closes (moukatibat)[234] dans la suscription ('onvan) desquelles il prenait le titre de : « Fakhr ad-Din Yousouf, général ». L'émir Hosâm ad-Din lui riposta en faisant écrire dans la suscription des lettres closes qu'il expédiait le titre de : « le Mamlouk Abou 'Ali ». Pour l'apparence extérieure des choses, ces deux personnages agissaient de concert, tandis qu'en réalité, l'émir Fakhr ad-Din commençait à se rendre indépendant et à s'emparer de la souveraineté. Il fit ses intimes du sahib Djémal ad-Din ibn Matrouh et du kadi Bahâ ad-Din Zohaïr. Il montait à cheval en grande pompe, et tous les émirs venaient lui faire leur cour ; ils mettaient pied à terre quand il descendait de cheval et ils se rendaient aux dîners qu'il leur offrait.
Le courrier envoyé par l'émir Hosâm ad-Din étant arrivé à Hisn-Keïfa, al-Malik al-Mo'aththam comprit qu'il lui fallait partir en toute hâte,[235] que, s'il tardait, il perdrait la couronne et que l'émir Fakhr-ad-Dîn, fils du cheikh des cheikhs, s'emparerait de l'empire. Les exprès dépêchés par l'émir Fakhr ad-Din et par Shadjar-ad-Dorr arrivèrent ensuite auprès de lui; il partit alors de Hisn-Keïfa durant la nuit du samedi, onze jours étant passés du mois de Ramadhan, avec cinquante cavaliers de sa garde particulière.[236] Il dirigea sa marche vers la ville de 'Ana où il comptait traverser l'Euphrate. Badr ad-Din Loulou, prince de Maûsil, avait aposté une troupe armée pour s'emparer de lui, et les gens d'Alep avaient agi de même. Mais Allah le sauva de leurs mains et il traversa l'Euphrate à 'Ana sans encombre. Il s'engagea dans le désert (al-barriya) au risque d'y rester et il faillit mourir de soif. Pendant ce temps, Shadjar-ad-Dorr gouvernait l'empire de telle façon que rien n'était changé; la tente impériale était demeurée telle qu'elle se trouvait avant la mort du sultan et on dressait tous les jours la table, les émirs venaient pour remplir les offices de leurs charges, mais la sultane leur disait : « Le sultan est malade et il ne pourra recevoir personne aujourd'hui. »
Dès que les Francs eurent soupçonné que le sultan était mort, leur infanterie et leurs chevaliers sortirent de Damiette et s'en vinrent camper à Fariskour, leurs navires croisant sur le Nil et gardant le contact avec leur armée de terre. Ils quittèrent Fariskour, le jeudi, cinq jours restant du mois de Chaban ; le vendredi suivant, on reçut au Caire une lettre[237] venant du camp et dans laquelle on exhortait le peuple à la guerre sainte. Cette lettre commençait ainsi : « Précipitez-vous au combat, que vous soyez agiles ou que les ans aient appesanti vos pas ; levez-vous tous pour combattre dans le chemin d'Allah et sacrifiez vos richesses et vos vies! Ce sera un grand bonheur pour vous si vous écoutez nos exhortations ! ». Cette lettre était très éloquente et les exhortations qu'elle contenait étaient très pressantes; on la lut au peuple sur le minber de la grande mosquée du Caire. Quand on en eut terminé la lecture, les pleurs et les gémissements éclatèrent, et les lamentations firent place à des cris de rage; ce fut une scène impossible à décrire. Le Caire et Misr devinrent déserts par suite de la précipitation des habitants à partir pour l'armée. Un nombre considérable de gens vinrent de ces deux villes et de leurs environs pour prendre part à la guerre contre les Francs. La position redoutable des Francs qui venaient de s'emparer de Damiette, au moment même où le sultan rendait le dernier soupir, terrifiait le peuple et lui inspirait les craintes les plus vives.
Le mardi, premier jour du mois de Ramadan,[238] les Francs livrèrent bataille aux Musulmans; ce jour-là, entre autres personnes, 'Alâ ad-Din (al-'Alaï), l'émir medjlis obtint la couronne du martyre et beaucoup ('iddat) de Francs furent tués. Les Francs s'en vinrent camper à Shârimsâh.[239]
Le lundi, septième jour de ce même mois, les Francs vinrent camper à al-Barmoûn.[240] La terreur redoubla au Caire, et la situation devint très critique, car ils étaient tout près de l'armée musulmane. Le dimanche, treizième jour de ce mois, les Francs arrivèrent à l'extrémité de la rive de Damiette[241] et ils vinrent camper en face de Mansoura, séparés des Musulmans par le bras d'Ashmoum. Sur la rive occidentale, se tenaient les fils d'al-Malik an-Nasir Daoud, prince de Karak,[242] avec un corps de l'armée. Les Francs s'établirent solidement dans leur camp, ils s'entourèrent d'un fossé, construisirent un mur tout à l'entour et le palissadèrent.[243] Ils mirent leurs mangonneaux en batterie pour accabler le camp des Musulmans de projectiles, et leur escadre vint mouiller en face d'eux sur le Nil; quant à la flotte musulmane, elle resta embossée devant Mansoura. Le combat s'engagea entre les deux armées à la fois sur terre et sur le Nil. Le mercredi suivant, seizième jour de ce mois, six cavaliers passèrent au camp musulman et firent savoir que la situation des Francs devenait précaire. Le jour de la Fête de la rupture du jeûne, on fit prisonnier un grand comte (kond) des Francs qui était parent du roi de France (Ré dé Frans). La lutte continua et il ne se passa pas de jour que l'on ne tuât des Francs ou que l'on n'en fît quelques-uns prisonniers; ils souffrirent beaucoup des attaques de l'armée et de la flotte musulmanes qui leur faisaient de nombreux prisonniers et qui leur tuaient un grand nombre d'hommes. Quand ils avaient bien répandu la terreur parmi les Francs, les Musulmans se jetaient à l'eau et regagnaient à la nage la rive sur laquelle leur armée se trouvait campée. Ils s'ingéniaient à toutes les ruses possibles et imaginables (pour s'emparer des Francs), en voici un exemple : un homme creusa un melon, y introduisit sa tête et s'étant jeté à l'eau, il nagea jusqu'à ce qu'il fut tout près des Francs. Les Francs crurent que c'était un melon qui venait vers eux, et l'un d'eux se jeta dans le fleuve pour l'aller chercher; mais le musulman s'empara de lui et regagna à la nage, avec son prisonnier, le camp des Musulmans.
Le mercredi, septième jour du mois de chewâl, les Musulmans s'emparèrent d'un navire dans lequel se trouvaient environ cent hommes de pied Francs et un grand comte (kond). — Le vendredi, quinzième jour du même mois, les Francs montèrent à cheval (pour aller livrer bataille aux Musulmans) ; mais les Musulmans s'avancèrent contre eux sur la rive (barr) où ils se trouvaient, les attaquèrent vivement et leur tuèrent quarante chevaliers (faris) avec leurs montures.
Le vendredi, troisième jour (sic) du même mois, soixante-sept prisonniers Francs arrivèrent au Caire ; parmi eux, se trouvaient trois grands officiers (akâbir) de l'ordre du Temple. — Le jeudi, vingt-deuxième jour de ce mois, un grand transport (maramma) appartenant aux Francs fut incendié sur le Nil, et cela inspira une grande confiance aux Musulmans dans leur lutte contre les Francs.
Mais le mardi, cinquième jour du mois de Dhoû’lka’dah, la situation changea tout à coup de face. Ce jour-là, un traître Musulman indiqua aux Francs des passages guéables dans le bras d'Ashmoum. Les troupes ne craignaient aucune attaque, quand tout à coup les Francs se trouvèrent au milieu de leur camp. L'émir Fakhr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, était alors au bain; les clameurs des troupes arrivèrent jusqu'à lui et lui apprirent que les Francs avaient envahi le camp des Musulmans. Il sortit du bain dans le plus complet ahurissement, et il sauta sur son cheval sans penser à revêtir son armure (itidàd)[244] et sans prendre aucune précaution pour sa vie. Il prit le galop pour se rendre compte de la situation et il ordonna aux soldats de monter à cheval. Il n'avait avec lui que quelques mamlouks et quelques cavaliers (adjnâd) ; il fut rencontré par un escadron (tolb) de Francs de l'ordre du Temple, qui se précipitèrent sur lui. Ses hommes prirent la fuite et l'abandonnèrent; l'émir vendit chèrement sa vie, mais un coup de lance lui traversa le flanc et il fut criblé de coups de sabre. Qu'Allah lui fasse miséricorde!
Les Francs arrivèrent à Djadilah[245] au nombre de quatorze cents chevaliers sous le commandement du frère du Roi de France (el-Mélik Ré dé Frans). Quand l'émir Fakhr ad-Din eut été tué, les Francs se précipitèrent dans al-Mansoura; les troupes se dispersèrent et s'enfuirent dans toutes les directions ; ce fut une débâcle générale.
Le roi de France en personne allait arriver devant la porte du palais (kasr) du sultan, quand Allah, dans sa bonté, conjura le malheur qui menaçait les Musulmans en envoyant au devant des Francs la brigade (tâifah) de ces Turcs que l'on connaissait sous le nom de Bahrla et les Djamdars ; ces troupes étaient commandées par l'émir Baybars al-Bondokdâri,[246] celui qui arriva au trône après ces événements. Les cavaliers turcs se ruèrent sur les Francs, les ramenèrent, les dispersèrent et les chassèrent de devant la porte du palais ; quand les Francs eurent tourné bride, les Turcs mirent le sabre au poing, et saisirent leurs masses d'armes (dababis) ; ils tuèrent aux Francs dans cet engagement environ quinze cents de leurs hommes les plus connus et les plus vaillants. L'infanterie des Francs avait rétrogradé vers le pont (djiar), dans l'intention de le traverser, et si Allah ne leur avait point fait grâce, ils n'auraient pu le faire et tous auraient péri dans cet endroit.
Après cette bataille qui se livra dans les rues de Mansoura, les Francs s'enfuirent en désordre à Djadilah, où était leur campement ; la nuit seule put séparer les combattants. Les Francs entourèrent leur camp d'un mur et d'un fossé; une partie de leur armée alla camper sur la rive orientale du Nil, tandis que la plus grande partie de l'armée campait sur le bras de terre (djazira)[247] qui se prolonge jusqu'à Damiette. Cette bataille fut le commencement des victoires que les Musulmans remportèrent sur les Francs.
Au moment où les Francs avaient envahi le camp de Mansoura, on avait lâché des pigeons pour porter la nouvelle de cet événement au Caire ; cela jeta une grande panique parmi les habitants de cette ville. Des fuyards, tant civils que soldats, vinrent se réfugier au Caire et durant la nuit du mardi au mercredi, on laissa les portes de la ville ouvertes pour permettre à ces fuyards d'y entrer. A l'aube du mercredi, on reçut une dépêche[248] annonçant que les Musulmans avaient battu les Francs. Le Caire fut immédiatement pavoisé, et on battit les tambours à la Citadelle de la Montagne; la joie de la population tint du délire. Par ordre de la sultane Shadjar-ad-Dorr, l'armée resta sur ses lignes.
La durée du gouvernement de l'émir Fakhr ad-Din Yousouf, fils du cheikh des cheikhs, en Egypte, après la mort du sultan al-Malik as-Sâlih avait été de soixante-quinze jours. Le jour où il fut tué, ses mamlouks et plusieurs des émirs livrèrent son hôtel au pillage ; ils brisèrent ses coffres-forts, firent main basse sur ses richesses, prirent ses chevaux, puis ils incendièrent la maison.
Ce prince partit de Hisn-Keïfa pour Damas, onze jours du mois de Ramadhan étant passés; il vint camper à 'Ana avec cinquante cavaliers de sa garde particulière, le jeudi, quinzième jour de ce même mois de Ramadhan de l'année 647. Il en repartit le dimanche suivant et se dirigea vers Damas en prenant le chemin de Samâvat,[249] par le désert (al-barriya). Il campa à al-Kosair dans un dehliz que lui fit dresser l'émir Djémal ad-Din Moussa ibn Yaghmoûr, gouverneur (naïb) de Damas, le vendredi, deux nuits avant la fin du mois de Ramadhan.[250] Le lendemain, samedi, dernier jour du mois, il fit son entrée dans la ville et alla descendre dans la citadelle; ce fut une journée solennelle.[251] L'émir Djémal ad-Din se rendit au devant du prince et le reconnut pour son souverain ; les émirs lui prêtèrent serment de fidélité et, à partir de ce moment, il fui considéré comme le sultan. Il distribua des vêtements d'honneur aux émirs, et il leur fit de si grandes largesses en argent qu'il dépensa tout ce qui se trouvait dans la citadelle de Damas, c'est-à-dire trois cent mille dinars. Quand il eut épuisé ces trésors, il fit venir d'autre argent de Karak,[252] et il le distribua de même. Il remit en liberté les personnes qui se trouvaient détenues à Damas sur l’ordre de son père, al-Malik as-Sâlih.
Il reçut dans cette ville les ambassadeurs de Hamâh et d'Alep, qui lui présentèrent leurs compliments sur son heureuse arrivée.[253]
Quatre jours après le commencement du mois de chewâl, on reçut au camp (d'al-Mansoura) et au Caire des dépêches (batsîk) annonçant qu'al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh était arrivé à Damas et qu'il y avait été reconnu comme sultan. On battit le tambour dans le camp et au Caire.
Le mercredi, vingt-septième jour du même mois, le sultan Tourânshâh partit de Damas et prit la route de l'Egypte, après avoir gratifié d'un vêtement d'honneur l'émir Djémal ad-Din et l'avoir confirmé dans son poste de naïb-as-saltàna de Damas. Le kadi al-As'ad Sharaf ad-Din Hibat Allah ibn Sa'id al-Faizî, qui demeurait à Damas auprès de l'émir Djémal-ad-Din, partit avec le nouveau sultan, ainsi que le kadi Hibat Allah ibn Abou 'z-Zohr ibn Hosain al-katib al-Nasrâni (le Chrétien). Tourânshâh lui avait promis la charge de vizir en Egypte et cela l'avait déterminé à embrasser l'Islamisme ; il reçut au moment de sa conversion le titre de « le kadi Mou’în ad-Din ».
Le premier jour du mois de Dhoû’lka’dah, Tourânshâh envoya Mou’în ad-Din à la citadelle de Karak pour prendre possession des trésors qui s'y trouvaient renfermés. Le kadi s'acquitta de la mission que lui avait confiée le sultan et il vint le rejoindre ensuite dans la plaine de sable (Raml).
Durant ce temps, les dépêches (al-akhbar) se succédaient au Caire annonçant l'approche du sultan; le kadi des kadis, Badr ad-Din al-Sindjari, sortit de la ville pour se rendre au devant de lui. Il le rencontra à Ghaza et se mit en marche avec lui pour se rendre au Caire. L'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali, vice-roi d'Egypte, se rendit à Salihiyya,[254] où il rencontra le sultan, le samedi, quatorze jours restant du mois de Dhoû’lka’dah. Al-Malik al-Mo'aththam descendit dans le pavillon (kasr) que son père avait habité, et ce fut seulement à ce moment qu'on annonça officiellement la mort d'al-Malik as-Sâlih. Avant cela, personne n'en avait dit un seul mot, et les affaires restaient dans le même état, le dehliz d'al-Malik as-Sâlih et sa table étaient dressés comme à l'ordinaire, et les émirs venaient y prendre leur service comme durant sa vie. Shadjar-ad-Dorr tenait en main toutes les affaires de l'état et elle disait : « Le sultan est malade et il ne peut recevoir personne[255] ».
Rien ne fut changé à cette ligne de conduite jusqu'au moment où al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh fut arrivé à Salihiyya ; ce fut dans cette localité qu'il prit possession de l'empire d'Egypte ; il donna ce même jour à l'émir Hosâm[256] ad-Din ibn Abou 'Ali un vêtement d'honneur précieux, un ceinturon et un sabre qui valaient à eux deux trois mille dinars égyptiens.[257] Les poètes composèrent en l'honneur du sultan plusieurs poésies; on fit en sa présence plusieurs conférences dans lesquelles on discuta et l'on traita de toutes sortes de questions scientifiques. Ce prince était en effet versé dans les sciences ; il connaissait la controverse, la jurisprudence ainsi que la science des sources et des principes de la religion musulmane (ousoul). Son grand-père, al-Malik al-Kâmil, l'aimait beaucoup à cause du penchant qu'il montrait pour les sciences, et, dès sa plus grande jeunesse, il lui faisait résoudre d'emblée les problèmes les plus difficiles. Il lui ordonnait de faire des compositions écrites[258] et de passer les examens des jurisconsultes sur ces sciences, en sa présence.[259] Il suivit ces exercices jusqu'à ce que le sultan vit que la fréquentation des gens de science, tant des juristes que des poètes, ne corrigeait ni sa sottise, ni la légèreté de son caractère. Al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh partit de Salihiyya et vint camper à Telsâna (?), il campa ensuite à Manzala-Thalitha, et il arriva enfin à Mansoura, après avoir été rejoint par les mamlouks et par les émirs[260] ; il descendit dans le pavillon où habitait son père.[261] Il arriva dans cette localité le jeudi, neuf jours restant du mois de Dhoû’lka’dah de cette année.
La première chose qu'il fit, fut de prendre les jeunes mamlouks de l'émir Fakhr-ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, et la plus grande partie de ce que ce général avait laissé sans en payer le prix, ni rien donner en échange. La valeur de tout cela s'élevait à peu près à quinze mille dinars. Il s'éleva violemment contre la conduite de Fakhr ad-Din et s'écria : « Il a gaspillé (atlaka) le sucre, le coton[262] il a dépensé tout l'argent, il a mis les gens emprisonnés en liberté. Que m'a-t-il laissé? »
Le camp des Francs était ravitaillé par la voie du Nil au moyen de convois venant de Damiette. Les Musulmans construisirent un bon nombre (‘iddat) de navires qu'ils transportèrent démontés, par segments, à dos de chameau, jusqu'au lac de Mahalla dans lesquels ils les lancèrent, puis ils les garnirent de soldats. On se trouvait alors dans la période de crue (ziyada) du Nil. Quand les vaisseaux des Francs arrivèrent dans le lac de Mahalla, les navires musulmans qui se tenaient en embuscade coururent sur eux à l'improviste et les attaquèrent. Au même moment, l'escadre (ostoûl) musulmane arrivait du côté de Mansourah, de sorte que tous les navires francs furent capturés; ils étaient au nombre de cinquante-deux. Dans cet engagement, les Francs perdirent environ mille hommes tant tués que blessés; les Musulmans s'emparèrent de tous les approvisionnements et des muni-lions qu'ils trouvèrent à bord de leurs prises, et les prisonniers furent amenés au camp montés sur des chameaux.
Les Francs furent alors coupés de leurs communications avec Damiette et ils commencèrent à souffrir de la famine. Leur situation dans leur camp devint intenable; ils ne pouvaient ni y rester[263] ni en sortir, car les Musulmans les surveillaient étroitement et étaient tout prêts à les attaquer dès qu'ils feraient mine de quitter leur camp.
Le premier jour du mois de Dhou’lhiddjeh, les Francs capturèrent sept frégates (hararik) qui faisaient partie de l'escadre qui croirait sur le lac Mahalla, mais les équipages qui les montaient purent s'échapper. Le deuxième jour du mois de Dhou’lhiddjeh, le sultan envoya un rescrit (amr) à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali, lui ordonnant de se rendre au Caire, d'aller s'y établir, comme il en avait l'habitude, dans le palais du Vizirat et d'y remplir les fonctions de vice-roi (naïb-as-saltana).
Ce même jour, plusieurs juristes vinrent trouver le sultan. Parmi eux, se trouvaient le cheikh 'Izz ad-Din ibn 'Abd-as-Salam, Bahâ ad-Din ibn al-Homaîzî, le shérif Imad ad-Din, le kadi ‘Imad ad-Din al-Kasim-ibn Ibrahim-ibn Hibat Allah ibn Ismâ’îl ibn Mohammad al-Hoummouya, kadi de Misr, qui avait été investi de la charge de kadi après la mort de Djémal ad-Din Yahya, au mois de Djoumada premier, et Siradj ad-Din al-Armavi ; le sultan tint un conseil avec ces personnages et il discuta avec eux.
Le jour d’Arafa, un convoi chargé de vivres et destiné aux Francs arriva; l'escadre musulmane lui captura trente-deux bâtiments parmi lesquels se trouvaient neuf navires de guerre.[264] Cette défaite aggrava encore la famine dont souffraient les Francs, et ils se décidèrent à envoyer des parlementaires pour demander au sultan de conclure une trêve. Les parlementaires francs eurent une conférence avec l'émir Zaïn-ad-Dîn, fils de l'émir djandar et avec le kadi des kadis, Badr ad-Din al-Sindjari. Les plénipotentiaires musulmans demandèrent aux Francs de rendre la ville de Damiette et de prendre en échange Jérusalem ainsi que d'autres villes de Palestine (Sahel), mais ils se refusèrent à accéder à ces conditions.
Le vendredi, trois jours restant du mois de Dhou’lhiddjeh, les Francs incendièrent toutes les constructions de bois qui se trouvaient dans leur camp et ils détruisirent leurs navires dans l'intention de se replier sur Damiette. L'année se termina alors qu'ils se trouvaient encore dans leur campement.
Cette année, une division de Tatars s'avança sur Bagdad, sans que rien pût faire prévoir cette attaque; ils mirent le pays à feu et à sang, et les habitants s'enfuirent devant eux. — 'Ali ibn Katlada prit possession de la Mecque au mois de Dhoû’lka’dah ; le shérif Shihna, émir de Médine fut tué. Il eut pour successeur son fils 'Isa.
Cette même année, fut tué al-Malik al-Mansour-Nour ad-Din 'Omar ibn 'Ali ibn Rasoûl, souverain du Yémen. Après lui régna son fils, al-Malik al-Mansour-Chams ad-Din Yousouf. — Le souverain de Tunis, Abou-Zakarya-Yahya ibn 'Abd al-Wahid ibn Abou-Hafs, mourut au mois de Djoumada second de cette année; il était âgé de quarante-neuf ans. Après avoir levé l'étendard de la révolte, ce prince s'était emparé de la ville de Tunis, où il avait régné comme souverain indépendant, faisant réciter la khotba en son nom propre. A cette époque, l'autorité des rois Almohades de la dynastie d’Abd al-Mou'min ibn 'Ali était depuis longtemps en pleine décadence. Abou Zakarya régna sur l'Ifriqiya durant vingt-trois années, et son empire s'étendit jusqu'à Tilimsân, Sédjelmâsa et Sibta. Il fut reconnu comme souverain par le peuple de Séville, de Shatiba, de Malaga et de Grenade. Ce prince laissa après sa mort des sommes immenses. Il eut pour successeur son fils, Mohammad al-Mostansir ibn Abou Zakarya. Cet Abou-Zakarya fut le premier des souverains hafsides qui régna dans Tunis; avant lui, cette ville était gouvernée par des généraux des Béni 'Abd al-Mou'min. — Cette même année, le shérif Abou Sa'd ibn 'Ali ibn Kattâda fit arrêter à la Mecque l'émir Ahmad ibn Mohammad ibn al-Masib, le dernier jour du mois de chewâl, comme cela a été raconté dans le récit des événements de l'année précédente, et il prit en main le gouvernement de la Mecque.[265]
Durant la nuit du mardi au mercredi, troisième jour du mois de Moharram, toute l'armée des Francs abandonna ses campements et se dirigea sur Damiette; les Francs faisaient descendre leurs navires devant eux sur le Nil.[266] Les Musulmans partirent derrière les Francs et se mirent à leur poursuite après avoir traversé le fleuve et après avoir passé sur la rive[267] qu'ils occupaient.
Aux premières lueurs de l'aurore du mercredi, les Musulmans cernaient complètement les Francs; ils tombèrent sur eux à coups de sabre, leur tuèrent un grand nombre d'hommes et leur firent beaucoup de prisonniers. Ce fut à Fariskour que le combat fut le plus acharné; le nombre des morts s'éleva à dix mille, suivant ce que l'on raconte; d'autres personnes vont même jusqu'à parler de treize mille tués. Quant aux Francs qui furent faits prisonniers, tant chevaliers que piétaille, combattants, ouvriers, valets d'armée, ils furent au nombre d'environ cent mille. Les Musulmans firent en chevaux, en mulets et en argent un butin incalculable. Du côté des Musulmans, une centaine d'hommes seulement avait péri ; dans ce combat, la brigade des mamlouks bahris, et principalement l'émir Baybars al-Bondokdarï,[268] combattit avec le plus grand courage et montra une valeur à toute épreuve. Le roi de France, accompagné d'un certain nombre (‘iddat) de grands personnages de son royaume, se réfugia sur une colline et ils demandèrent à capituler. Le tavashi Djémal ad-Din Mohsin al-Sâlihi leur garantit qu'ils auraient la vie sauve ; sur l'engagement de cet officier, ils descendirent de la colline et on les mena à Mansoura. Le roi de France fut chargé de chaînes de fer et on l'interna dans l'hôtel où le kadi Fakhr ad-Din Ibrahim ibn Lokman, katib-al-inshâ, descendait quand il venait villégiaturer à Mansoura. L'eunuque Soubh al-Mo'aththami fut chargé de la garde du roi de France, dont le frère fut emprisonné dans la même habitation. On fixa une somme pour la dépense journalière du roi de France, et le sultan al-Malik al-Mo'aththam envoya à Saïf ad-Din Youssouf ibn al-Taradi, l'un des officiers qui étaient venus avec lui des Provinces de l'Orient, l'ordre de faire mettre à mort tous les prisonniers Francs. Chaque nuit, cet officier en faisait sortir de trois à quatre cents; il les faisait décapiter et leurs cadavres étaient jetés dans le fleuve. Cela dura jusqu'à ce qu'ils fussent tous exterminés.
Le sultan partit de Mansoura et vint camper à Fariskour, où fut dressé le dehliz impérial ; on y construisit une tour de bois où Tourânshâh se renfermait pour se livrer au plaisir ; il envoya à l'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr, naïb de Damas, une lettre qu'il écrivit de sa propre main, et qui était conçue dans les termes suivants :
Son fils Tourânshâh
Louange à Allah qui a éloigné de nous l'affliction ! La victoire ne vient pas d'un autre que d'Allah ! Qu'aujourd'hui les vrais croyants se réjouissent de la victoire dont Allah les a gratifiés! Pour ce qui est des faveurs dont t'a comblé ton Maître, proclame les, mais qu'on ne cherche pas à les énumérer, car cela est impossible! Nous annonçons à la cour auguste de l'émir Djémal (ad-Din), et plus encore à l'Islam tout entier, qu'Allah a bien voulu accorder aux Musulmans la faveur de triompher des ennemis de leur foi. L'infidèle se hâtait afin d'arriver à son but et le moment était proche où son hérésie allait dominer. Les vrais croyants désespéraient déjà du sort de l'empire, de celui de leurs familles et de leurs enfants. Oh ! ne désespérez jamais de l'Esprit d'Allah!
Le Lundi, premier jour de cette année fortunée, Allah accorda sa bénédiction toute entière à l'Islam ; nous avons ouvert nos trésors, nous avons distribué notre argent, nous avons réparti les armes, nous avons réuni les Arabes, les volontaires et une telle multitude qu'Allah seul en peut connaître le nombre. Ils étaient venus se ranger auprès de nous, pour lutter contre l'ennemi, des abîmes les plus profonds et des vallées les plus étroites.
Durant la nuit du mercredi, les Francs abandonnèrent leurs tentes, leurs richesses, leurs bagages, et se replièrent en désordre sur Damiette; nous nous mîmes à leur poursuite et nos sabres ne cessèrent pas de frapper toute la nuit, qui retentissait de leurs cris et de leurs lamentations. Quand se leva l'aurore du mercredi, nous leur avions tué trente mille hommes, sans compter ceux qui se jetèrent volontairement dans les flots; quant aux prisonniers, le fleuve s'est refermé sur eux[269] et ne les a point rendus. Le roi de France se réfugia à al-Miniyya et demanda à se rendre. Nous y avons consenti et nous l'avons fait prisonnier tout en le traitant d'une manière conforme à son rang. Nous nous sommes emparés de Damiette avec l'aide d'Allah, grâce à sa puissance, à sa gloire et à sa majesté ».
Il continuait longuement cette lettre.
En même temps que cette lettre, le sultan envoya le manteau du roi de France.[270] L'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr s'en revêtit; il était d'étoffe d'écarlate (askarlath) doublée en petit-gris. Le cheikh Nadjm ad-Din ibn Israïl a dit à ce sujet :
Le manteau du roi de France qui a servi de vêtement au prince des émirs,
Était blanc comme un feuillet de papier et ce sont nos sabres qui lui ont donné sa couleur de sang.[271]
Il a dit également :
Ο prince de tous les souverains de (ton) siècle! tu as remporté les victoires que la Divinité t'avait promises ;
Que notre maître continue à conquérir les places où se garde l'ennemi et qu'il fasse toujours revêtir à ses esclaves les vêtements des rois!
Al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh commença à éloigner de lui les grands personnages de l'empire. Il fit sortir al-Malik al Moughith Fath ad-Din Omar, fils d'al-Malik al-'Adil Abou Bakr, fils d'al-Malik al-Kâmil, de la Citadelle de la Montagne, et il le fit transférer à Shaûbak, où il fut emprisonné. Il expulsa de même d'Egypte, al-Malik as-Sa'id Fakhr ad-Din Hasan, fils d'al-Malik al-’Aziz 'Othman, fils d'al-Malik al-'Adil 'Abou-Bakr ibn Ayyoub. Quand ce prince fut arrivé à Damas, Ibn Yaghmoûr le fit arrêter et jeter en prison. Le vendredi, cinq jours étant passés du mois de Moharram, une lettre du sultan arriva au Caire; elle était adressée à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali, naïb-as-saltanah. Le sultan lui ordonnait de se rendre auprès de lui; il nommait en même temps pour le remplacer dans ses fonctions de naïb-as-saltanah, au Caire, l'émir Djémal ad-Din Akoûsh al-Nadjibi. Ibn Abou 'Ali se rendit au camp, mais dès son arrivée, il fut privé de toutes ses charges, après avoir été l'auxiliaire dévoué d'al-Malik as-Sâlih et son plus ferme appui.
Le sultan envoya un officier auprès de Shadjar-ad-Dorr pour la menacer et pour lui réclamer la fortune de son père, al-Malik as-Sâlih, ainsi que tous les joyaux qu'elle possédait. La sultane fut saisie d'une grande frayeur parce qu'elle voyait la folie et l'inconscience dont al-Malik al-Mo'aththam commençait à faire preuve. Elle écrivit aux mamlouks bahris pour leur rappeler ce qu'elle avait fait pour le sultan en se chargeant du gouvernement et en assumant le soin de toutes les affaires jusqu'au moment où il était arrivé en Egypte et où il avait pris possession du trône; elle leur apprenait quelle conduite il tenait envers elle, en essayant de l'effrayer et en lui réclamant des objets qu'elle n'avait pas en sa possession. Les mamlouks bahrin se montrèrent très émus des plaintes de la sultane et ils furent très irrités de la façon d'agir d'al-Malik al-Mo’aththam.
Le sultan avait promis à Faris ad-Din Oughoutaï, quand il était venu le trouver à Hisn-Keïfa, qu'il le ferait émir; mais il ne tint pas la promesse qu'il lui avait faite. Faris ad-Din Oughoutaï en conçut un violent ressentiment contre al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh, mais il cacha ses projets de vengeance. La lettre qu'envoya Shadjar-ad-Dorr remua même les mamlouks qui avaient l'intention de se tenir tranquilles. Comme pour aggraver encore ces dispositions, le sultan usait de toutes sortes de mauvais procédés envers les mamlouks de son père, ainsi qu'envers tous ceux qui avaient rempli des offices importants à sa cour, et il molesta les émirs et les officiers qui, sous le règne d'al-Malik al-Sâlih, avaient joui de la plus grande autorité.[272] Il éloigna les officiers et les serviteurs de son père, ne s'entourant que du groupe de ceux qui étaient venus avec lui des Provinces Orientales; il leur conféra les grandes charges de l'empire (al-walhâif-al-sultaniyyak) et il promut à des grades supérieurs (kaddama) des gens de rien. Il donna à l'eunuque Mesroûr, son domestique, la dignité d'ostadar du sultan; il nomma émir djandar un certain esclave, nommé Soubh, qui était un imbécile et un bellâtre, et il lui donna des sommes d'argent considérables ainsi que des fiefs d'un grand revenu; il ordonna que l'on fît pour lui un bâton de commandement en or. En même temps, il maltraitait les mamlouks et leur adressait toutes sortes de menaces; la nuit, quand il était bien ivre, il faisait rassembler devant lui tous les flambeaux qu'on pouvait trouver et il les frappait de son sabre, de façon à les faire tomber è terre, et il disait en faisant cela : « Voilà ce que je ferai aux mamlouks bahris ! », et il nommait chacun d'eux par son nom. Le plus grand nombre des mamlouks d'al-Malik as-Sâlih restaient cachés en proie à une colore indicible, et ils ne pensaient qu'à se révolter contre lui, car ils n'avaient jamais été traités d'une telle façon sous le règne de ce souverain. Par-dessus le marché, al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh donnait le pouvoir le plus absolu, le droit de commander et de défendra, à ses propres officiers (ashab), ceux qui étaient venus avec lui de Hisn-Keïfa.
Les Mamlouks bahris finirent par être écœurés des procédés du sultan et ils se résolurent à l'assassiner le lundi, vingt-sixième jour du mois de Moharram, jour auquel il devait offrir un repas aux émirs.
Le sultan vint, suivant son habitude, présider cette cérémonie. Un des mamlouks bahris, nommé Baybars al-Bondokdâri, celui qui devint par la suite souverain de l'Egypte, s'avança vers lui et lui porta un coup de sabre qui l'atteignit à la main et lui trancha les doigts. Tourânshâh s'enfuit et courut se réfugier dans sa tour de bois en criant : « Qui m'a blessé? » ; on lui répondit : « C'est un Assassin ![273] » — « Non ! s'écria le sultan, par Allah ! ce n'est pas un autre qu'un mamlouk bahri, mais je jure par Allah que je n'en laisserai pas un seul vivant! ». Il demanda un chirurgien, mais les Bahris se dirent les uns aux autres qu'il fallait l'achever, sans quoi il les ferait tous périr. Ils pénétrèrent alors dans la tour où le prince s'était réfugié, le sabre au poing, mais il se sauva jusqu'au haut de la tour et ferma la porte sur lui, le sang coulant toujours abondamment de sa main. Les Mamlouks mirent le feu à la tour et lancèrent des flèches contre le sultan qui se précipita lui-même en bas de la tour et qui se suspendit au manteau de Faris ad-Din Oughoutaï, en le suppliant de le sauver, mais celui-ci refusa d'en rien faire. Le sultan s'enfuit en courant vers le fleuve et il s'y précipita en disant : « Je ne veux plus de l'empire, laissez-moi seulement retourner à Hisn-Keïfa. Ο Musulmans! n'y a-t-il donc parmi vous personne qui me défendra et qui me sauvera? » Toute l'armée était là, qui voyait ce spectacle lamentable, mais pas un homme ne bougea et les flèches pleuvaient de tous côtés sur le sultan ; les Bahris se jetèrent dans le fleuve, le poursuivirent à la nage et le rattrapèrent; ils le percèrent et le lacérèrent de coups de sabre jusqu'au moment où il rendit le dernier soupir, criblé de blessures, brûlé et noyé. Les officiers de Tourânshâh prirent la fuite et allèrent se cacher, de telle sorte que son corps resta abandonné durant trois jours sur le bord du fleuve, complètement tuméfié, sans que personne eût le courage de lui donner la sépulture. A la fin, l'ambassadeur du khalife demanda la permission de le faire. On ramena le corps au Caire et on l'ensevelit.
Tourânshâh avait régné soixante et onze jours. On avait conseillé à son père de le mander auprès de lui et de le faire revenir d'Hisn-Keïfa au Caire, mais il avait refusé de venir ; l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali avait insisté de la façon la plus pressante pour qu'il revînt en Egypte et Tourânshâh dit à cette occasion que, lorsqu'il serait arrivé dans ce pays, il ferait tuer l'émir.[274] Les instigateurs du meurtre de Tourânshâh furent quatre mamlouks de son père. Quand al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub avait voulu faire assassiner son frère al-Malik al-'Adil, il avait dit à l'eunuque (tavashi) Mohsin : « Va-t-en trouver mon frère al-'Adil dans sa prison et prends avec toi des mamlouks qui l'étrangleront ». L'eunuque Mohsin fit cette proposition à plusieurs mamlouks qui refusèrent tous de prêter la main à ce crime, sauf quatre d'entre eux. Mohsin partit avec eux et ils étranglèrent al-Malik al-'Adil. Allah voulut que ce fussent ces quatre mêmes mamlouks qui tramassent le complot dont le résultat fut l'assassinat monstrueux d'al-Malik al-Mo'aththam. Après le meurtre de Tourânshâh, un homme vit en songe al-Malik as-Sâlih qui disait :
Ils lui ont fait subir la mort la plus odieuse qui se puisse imaginer. Que cela soit un exemple pour le monde!
On racontera dans la suite de cette histoire la lutte qui s'engagea entre les Egyptiens et les Syriens, au cours de laquelle périrent beaucoup des grands personnages de l'empire, tels qu'al-Mo'izz Aïbec et al-Malik an-Nasir-Yousouf.
L'assassinat de Tourânshâh marque la fin de la dynastie ayyoubide qui, avec huit souverains, avait régné sur l'Egypte pendant quatre-vingt une années.
Cette princesse était d'origine turque ; suivant d'autres, elle était plutôt arménienne. Al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub l'acheta et il se prit d'une telle passion pour elle qu'il ne pouvait s'en séparer, qu'il fût en voyage ou dans son palais. Il en eut un fils nommé Khalil, qui mourut en bas âge.
Shadjar-ad-Dorr fut la première des Mamlouks turcs qui régna sur l'Egypte. Voici quelle fut la cause de cet événement : quand al-Malik al-Mo'aththam Ghiyâth ad-Din Tourânshâh, fils d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, eut été assassiné, comme nous venons de le raconter, les émirs et les mamlouks bahris, ainsi que les grands personnages de l'état et les membres du conseil (ahl-al-mashvarat) se rassemblèrent dans le dehliz impérial; ils furent tous d'avis d'élever au trône d'Egypte Shadjar-ad-Dorr-Oumm Khalil, épouse du sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub et ils décidèrent que les formules du protocole impérial seraient écrites à son nom sur les pièces officielles (tavâki). L'assemblée convint aussi que l'émir Izz ad-Din Aïbec, le Turcoman, le Sâlihi, un des émirs bahris, serait le généralissime. Ils jurèrent d'observer ces dispositions le dixième jour du mois de Safer.
Izz ad-Din Roûmi partit du camp (de Mansoura) et il se rendit à la Citadelle de la Montagne; il annonça à Shadjar-ad-Dorr les résolutions qui avaient été prises à l'unanimité dans le conseil des émirs, et elle en fut très agréablement surprise.
Toutes les affaires de l'état passaient par ses mains et les actes officiels étaient expédiés de la Citadelle de la Montagne portant la signature (‘alâma) « La Mère de Khalil ». On faisait la khotba en son nom sur les chaires de Misr et du Caire, et son chiffre était gravé sur les monnaies ainsi qu'il suit : « La très chaste princesse, l'épouse d'al-Malik as-Sâlih, la reine des Musulmans, la mère d'al-Malik al-Mansour, l'amie (khalila) de l'Emir des Croyants ». Dans la khotba que l'on faisait en son nom, on disait : « Allah ! éternise le règne de l'Auguste Princesse,[275] l'Altesse Sérénissime, reine des Musulmans, la more de Khalil. » Quelques personnes disent qu'après la prière faite pour le khalife, on ajoutait : « Allah ! protège la Princesse, la servante d'al-Malik as-Sâlih, la reine des Musulmans, 'Ismat-ad-Dounia wa' ad-Din Oumm-Khalil, la très chaste épouse d'al-Malik as-Sâlih ! » On chargea l'émir Abou 'Ali d'aller conférer avec le roi de France (al-malik Ré dé Frans) de la reddition de Damiette. Ils eurent plusieurs entrevues et plusieurs conférences au cours desquelles ils discutèrent jusqu'à ce qu'ils eussent arrêté que les Francs rendraient Damiette et que le Roi de France serait libre de s'en retourner dans son pays quand il aurait acquitté la moitié de la somme qui avait été fixée pour sa rançon.
Le roi de France envoya alors aux Francs qui se trouvaient dans Damiette l'ordre de rendre cette ville aux Musulmans; mais ils refusèrent de le faire. Le Roi leur réitéra ses ordres ; enfin, les drapeaux de l'Islamisme furent de nouveau arborés sur la ville et le témoignage (shihâdat) de la vraie Foi fut proclamé dans ses mosquées. Les Francs avaient occupé Damiette durant onze mois et neuf jours. On rendit la liberté au roi de France quand il eut versé quatre cent mille dinars pour sa rançon; on relâcha en même temps son frère, son épouse et ceux de ses officiers (ashab) qui avaient survécu au désastre, ainsi que tous les prisonniers qui étaient détenus à Misr et au Caire, aussi bien ceux qui avaient été capturés dans cette campagne que ceux qui l'avaient été sous les règnes d'al-Malik al-'Adil, d'al-Malik al-Kâmil et d'al-Malik al-Sâlih. Cela faisait douze mille cent dix personnes. Tous ces gens se rendirent sur la rive occidentale du Nil ; ils s'embarquèrent le samedi, troisième jour du mois, et ils mirent le cap sur 'Akkâ.
Le sahib Djémal ad-Din ibn Matrouh a dit au sujet de cette expédition :
Dis au roi de France (al-Fransis), quand tu te présenteras devant lui, ces paroles véridiques qui proviennent d'un homme de bon conseil :
Qu'Allah te prodigue ses bienfaits pour te récompenser d'avoir fait tuer les adorateurs de Jésus, le Messie!
Tu t'en es allé en Egypte pour t’emparer de ce royaume; tu comptais bien n'y trouver que des flûtes et des trompettes;
Mais le Destin t'a conduit vers des multitudes telles que leur nombre te faisait paraître l'immensité trop étroite;
Et tous tes compagnons, tu les as précipités avec tes beaux plans dans les profondeurs de la tombe ;
Soixante-dix mille[276] ! et l’on ne verra plus un seul d'entre eux sinon tué, prisonnier ou blessé.
C'est évidemment Allah qui t'a inspiré un tel projet! Peut-être bien que Jésus rira de votre déconfiture ;
Si c'est le Pape qui vous a incités à faire cette expédition (car on est souvent trompé par un homme de bon conseil),
Choisissez-le comme devin, car il sera pour vous un meilleur conseiller que Shikk ou Satih.[277]
Dis-leur que s'ils songent à revenir pour tirer vengeance de cette défaite ou pour commettre encore quelque vilaine action,
La maison d'Ibn Lokman est toujours là, et les chaînes y sont demeurées avec l'eunuque Soubh.[278]
Quand le roi de France se fut ainsi tiré des mains des Musulmans, il conçut le dessein de se mettre en campagne pour aller attaquer la ville de Tunis, dans l'Ifriqiya. Comme cette ville était défendue par une puissante armée, il écrivit aux rois de la Chrétienté pour les appeler à la guerre et il envoya prier le pape, qui est le khalife du Messie, de les pousser à répondre à son invitation. Le pape écrivit aux souverains chrétiens pour leur ordonner de se mettre en campagne avec le roi de France, et il lui permit de puiser dans les trésors des églises et d'y prendre ce qu'il voudrait. Parmi les souverains qui vinrent se joindre à lui, on comptait le roi d'Angleterre, le roi d'Ecosse (Askoutiâ), le prince de Toulouse (Touzil), le prince de Barcelone (Barshaloûna) qui s'appelait le roi d'Aragon (ré d'Aragon), et plusieurs autres princes chrétiens.
Le sultan Abou 'Abd-Allah-Mohammad al-Mostansir-billah, fils de l'émir Abou Zakarya Yahya, fils du cheikh Abou Mohammad 'Abd al-Wahid, fils du cheikh Abou Hafs 'Omar, roi de Tunis, se prépara à soutenir l'attaque du roi de France, mais il lui envoya des ambassadeurs pour lui demander la paix et pour lui offrir quatre-vingt mille dinars. Le roi de France prit l'argent, mais il ne lui accorda point la paix que les ambassadeurs sollicitaient. Il arriva devant Tunis le dernier jour du mois de Dhoû’lka’dah de l'an 668, et il débarqua à Carthage (Kartadjana) sur les rives de la mer; il était à la tête de six mille chevaliers et de trente mille hommes de pied. Il resta là pendant six mois et les Musulmans combattirent contre lui avec la plus grande vaillance jusqu'au milieu du mois de Moharram de l'an 669 ; un nombre considérable d'hommes périt des deux côtés. Les Musulmans étaient sur le point de remporter la victoire, quand Allah leur accorda une grande joie. Un matin, le roi de France mourut; les Chrétiens firent immédiatement des ouvertures de paix et quittèrent le pays. Parmi les événements remarquables de cette guerre, il arriva qu'un homme de Tunis, nommé Ahmad ibn Ismâ’îl al-Riyyan dit :
Ο roi de France! cette terre-ci est une sœur de l'Egypte, prépare-toi à ce que le sort t’y réserve.
Tu y trouveras la tombe comme maison d'Ibn Lokman et ton eunuque, ce sera Mounkir et Nakir![279]
Cela fut un présage pour le roi de France qui ne tarda pas à mourir. Il était un homme intelligent, astucieux et rusé.
Quand les Musulmans eurent repris possession de Damiette, on répandit cette heureuse nouvelle au Caire, à Misr et dans tous les cantons de l'Egypte. On y battit les tambours (bashaïr) et la population fut transportée de joie. Les troupes s'en revinrent au Caire, le jeudi, neuvième jour du mois de Safer.
Le lundi suivant, treizième jour du même mois, Shadjar ad-Din conféra des vêtements d'honneur aux émirs, aux personnages importants du gouvernement et elle leur distribua de l'argent, ainsi qu'à toute l'armée.
La nouvelle de l'assassinat d'al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh et de l'élévation au trône de Shadjar-ad-Dorr fut apportée à Damas par le khâtib Asil ad-Din Mohammad ibn Ibrahim ibn 'Omar al-As'ardi, qui s'était rendu du Caire dans cette ville pour y recevoir le serment de fidélité des émirs. Mais parmi eux, l'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr, gouverneur de cette ville au nom d'al-Mo'aththam[280] et les émirs kaïméris refusèrent le serment et ne voulurent pas reconnaître l'autorité de Shadjar-ad-Dorr.
Al-Malik as-Sa'id Hasan, fils d'al-Malik al-’Aziz 'Othman, fils d'al-Malik al-'Adil Abou Bakr ibn Ayyoub, fit main basse sur tout l'argent qui se trouvait dans la ville de Ghaza; il s'en alla ensuite à la citadelle de Soubaïba et s'en empara.
Quand la nouvelle de cet événement arriva à la Citadelle de la Montagne, on cerna la maison que le prince habitait au Caire et l'on prit toutes les choses lui appartenant qui s'y trouvaient.
Le tavashi Badr ad-Din Loulou al-Savvabi al-Sâlihi,[281] gouverneur (naïb) de Karak et de Shaûbak ne voulut pas reconnaître le nouveau gouvernement; il se rendit à cheval à Shaûbak, fit sortir al-Malik al-Moughith 'Omar, fils d'al-Malik al-'Adil, de la prison dans laquelle ce prince était détenu, et il le proclama souverain de Karak et de Shaûbak, ainsi que de la province qui dépend de ces deux villes. Les habitants lui prêtèrent serment de fidélité, et Badr ad-Din resta auprès du prince comme régent à cause de son jeune âge.
Les émirs Kaïméris écrivirent de Damas à al-Malik al-Nasir-Salah ad-Din Yousouf, fils d'al-Malik al-’Aziz Mohammad, fils du prince d'Alep, al-Malik ath-Tahir-Ghazi, fils du sultan Salah ad-Din Yousouf ibn Ayyoub, souverain d'Alep, pour lui faire savoir qu'ils s'étaient refusés à prêter serment à Shadjar-ad-Dorr, et pour l'inviter à se rendre auprès d'eux pour prendre possession de Damas.
Ce prince partit immédiatement d'Alep à la télé de ses troupes, tout au commencement du mois de Rabi second ; il arriva devant Damas le samedi, huitième jour du même mois, campa devant la ville comme pour lui donner l'assaut jusqu'au lundi, dix de ce mois, et les émirs Kaïméris lui en ouvrirent alors les portes. L'émir Kaïméri qui fut la cheville ouvrière de toute cette affaire fut Nasir ad-Din Abou’l Ma'ali Hosain ibn 'Aziz ibn Abou’l Favaris al-Kaïméri al-Kurdi. Al-Malik an-Nasir fit son entrée dans Damas avec ses troupes sans coup férir ; il donna des vêtements d'honneur aux émirs Kaïméris, ainsi qu'à l'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr. Il fit arrêter un nombre considérable d'émirs et de mamlouks Sâlihis,[282] les fit jeter en prison et prit possession de la citadelle de Damas. A cette époque, c'était l'émir Moudjahid ad-Din Ibrahim, frère de Zaïn-ad-Dîn, l'émir djandar, qui commandait dans la citadelle, et ce fut lui qui la livra à al-Malik an-Nasir. Elle renfermait une somme de cent mille dinars et de quatre cent mille dirhems, sans compter tous les autres objets. Al-Malik an-Nasir distribua le tout aux princes ayyoubides (moulouk) et aux émirs ; il donna à Chams ad-Din Loulou dix mille dinars qu'il préleva sur son trésor particulier, ainsi qu'un vêtement d'honneur, un cheval et trois cents vêtements, puis il réduisit ce cadeau à la robe d'honneur et au cheval.[283]
La nouvelle qu'al-Malik an-Nasir était parti d'Alep arriva à la Citadelle de la Montagne, le sixième jour du mois de Rabi second. Les émirs, les mamlouks et d'autres notables insistèrent auprès de la sultane Shadjar-ad-Dorr et d’Izz ad-Din Aïbec pour qu'ils allassent prendre le commandement de l'armée; les officiers inspecteurs (nakîb) allèrent passer la revue des troupes et ils leur ordonnèrent de partir pour la Syrie.
Le mercredi, douzième jour du mois, on donna ordre à l'émir Abou 'Ali de partir à l'armée. — Le quatorzième jour, on apprit qu'al-Malik an-Nasir était campé devant Damas; cela décida le gouvernement à mettre l'armée en route.
Le vingt et un de ce même mois, la nouvelle arriva qu'al-Malik an-Nasir avait pris possession de Damas et que c'étaient les émirs Kaïméris qui la lui avaient livrée. — On emprisonna un nombre important des émirs égyptiens et il y eut une violente émeute au Caire. On arrêta le kadi Nadjm-ad-Din, fils du kadi de N aboi os, et beaucoup de gens que l'on supposait être les partisans d'al-Malik an-Nasir.
L'émir Izz ad-Din Aïbec épousa la sultane Shadjar-ad-Dorr le vingt-neuvième jour du mois de Rabi second. Cette princesse abdiqua volontairement et elle descendit du trône après avoir régné durant quatre-vingt jours.
Le mardi, quatrième jour du mois de Bouna de l'année 934 des Martyrs, les Francs arrivèrent en vue de Damiette arec une armée extrêmement considérable ; ils débarquèrent sur la rire (barr) du lac (de Damiette),[284] et ils y dressèrent leur campement. Ils s'avancèrent jusqu'à la Tour de la Chaîne (bourdj-al-silsila), ils dressèrent leurs mandjaniks contre elle et l'attaquèrent; ils traversèrent le fleuve sur leurs grandes chaloupes (shakhâtir) et leurs bateaux incendiaires (hararik) pourvus de leur matériel de guerre et ils arrivèrent ainsi jusqu'au bras nommé al-bahr-al-halou, de telle sorte qu'ils se trouvèrent au sud de la chaîne. Il fut dès lors impossible de ravitailler Damiette par eau, et l'on ne put plus transporter de vivres que par terre, à dos de chameau; la population fut réduite à la dernière extrémité, on évacua Damirtan, al-Mahalla, Shonhoûr, Sakha, ainsi que la plupart des localités qui se trouvaient sur le rivage du fleuve (al-bilâd-al-bahriyya); la population de l'Egypte (Misr) se réfugia au Caire.
Les troupes qui se trouvaient en Syrie arrivèrent devant Damiette, et un grand nombre de combattants partirent de Misr et du Caire pour aller lutter contre les Francs ; il y en avait parmi eux qui étaient soldés et équipés par le sultan ; d'autres l'étaient par les notables des deux villes; un troisième groupe s'était équipé à ses frais. Les nouvelles circulaient, tantôt augmentant, tantôt diminuant la gravité du péril; les habitants installèrent dans leurs maisons des moulins à farine, ils firent des provisions de blé et de farine, de pain et de riz ainsi.que de toutes les autres choses qui sont utiles pendant un siège.
Al-Malik al-Kâmil partit lui-même pour se rendre sur la frontière maritime [al-thoghr] et il se fixa à Shârimsah. Les Francs installèrent une batterie de huit mandjaniks devant Damiette et la Tour de la Chaîne qui se trouve en face de la ville. Les pierres que ces machines lançaient portaient jusqu'au milieu de Damiette. Les Francs ne cessaient de faire pleuvoir des projectiles avec leurs mandjaniks ni le jour ni la nuit, de telle sorte qu'il y eut un très grand nombre de gens qui furent tués ou blessés.
Le vendredi, vingt-huitième jour du mois de Bouna, les Francs s'embarquèrent sur une flotte qui comptait de soixante-dix à quatre-vingts navires qu'ils avaient recouverts d'un blindage et autour du pont desquels ils avaient construit une muraille de bois (satarou); ils s'avancèrent ainsi très près de la ville et ils l'attaquèrent avec la plus grande violence. Ce fut un jour terrible (pour les Musulmans); ils revinrent ensuite à leur campement et leurs mandjaniks continuèrent à faire pleuvoir des projectiles jusqu'au dimanche, septième jour du mois d'Abib. Ils munirent quatre navires de guerre (botsa) de tourelles ; trois d'entre eux cinglèrent vers la Tour de la Chaîne et le dernier vers Damiette; un combat très vif s'engagea. Les Francs s'approchèrent de la tour et dressèrent leurs échelles pour l'escalader ; ils étaient sur le point de s'en emparer, mais, comme ils se portèrent tous du même côté de la tourelle (construite sur le navire) et qu'ils étaient bardés de fer, le mât du navire se brisa en deux[285] et tous ceux qui étaient sur les échelles tombèrent à l'eau revêtus de leurs cuirasses et de leur fourniment, de telle sorte qu'ils se noyèrent tous. Cela causa une vive joie aux Musulmans et les deux villes furent pavoisées, les survivants revinrent à leur campement et les mandjaniks continuèrent leur tir. Quelques jours plus tard, on reçut la nouvelle que l'un des fils du sultan était entré dans la province d’Akkâ et qu'il s'y était emparé d'un château fort (bourdj) nommé Dahouk, dans lequel se trouvait une garnison de trente personnes ; en signe de réjouissance, on battit les tambours au Caire. On forgea au Caire et à Misr une grande chaîne pour renforcer le câble en acier (til) de la chaîne de Damiette; elle pesait 130 kintar suivant la métrologie de Misr. Pendant ce temps, les Francs continuèrent à lancer des flèches et à faire jouer leurs mandjaniks. Un jour, une troupe de Francs montèrent à cheval et allèrent faire une incursion dans le canton de Dendjâviyya[286] ils y prirent du blé et de la paille, puis ils s'en revinrent après avoir massacré tous les gens qu'ils avaient rencontrés sur leur chemin. Le sultan envoya mettre le feu dans les localités voisines de l'endroit auquel ils étaient arrivés ; les combats ne cessèrent pas un seul instant tant sur le fleuve que sur terre. Il y avait en face des Francs sur la rive occidentale un gros corps d'Arabes qui pouvait compter trois mille cavaliers qui étaient commandés par deux émirs des plus considérables parmi les Arabes; mille chevaliers Francs partirent pour aller les attaquer. Ils avaient à marcher pendant un jour pour les atteindre, aussi ils firent grande diligence; ils tombèrent sur les Arabes; ceux-ci prirent la fuite, poursuivis par les Francs qui en tuèrent un nombre considérable et qui leur firent des prisonniers. Un grand nombre des chevaux des Arabes tombèrent entre les mains des Francs, qui montèrent sur ces animaux et se dirigèrent vers les tentes des Arabes dont ils s'emparèrent ainsi que de tout ce qu'ils y trouvèrent, tant de leurs provisions que de leurs chameaux ; après cela ils revinrent à leur camp. Parmi les Arabes qui avaient ainsi pris la fuite, il y en avait qui étaient du Fayoum, d'autres du Sa'id ; ils continuèrent leur course, pillèrent ce qui restait dans la Province Occidentale (al-Gharbiyya) et se dispersèrent dans leurs pays.
Sur ces entrefaites, al-Malik al-Mo'aththam, sultan de Syrie, fit raser la citadelle de al-Thour, que les Francs avaient assiégée et il ordonna de transporter tout ce qui s'y trouvait à Jérusalem. Les affaires demeurèrent dans cet étal; tous les deux ou trois jours, les Francs tentaient une attaque contre la ville et l'accablaient du tir de mandjaniks énormes et effrayants ; les pierres qu'ils lançaient pesaient trois cent cinquante ritls suivant la mesure usitée à Misr ; ils projetaient également de très grandes flèches de toutes les sortes. Ils imaginèrent de construire des navires appelés maremmes, se composant de deux navires de guerre (botsa) que l'on accouplait et que l'on reliait solidement l'un à l'autre à l'aide de poutres de bois clouées de telle façon qu'ils ne formaient plus qu'un seul bâtiment; ils y plantèrent quatre mâts sur chacun desquels ils fixèrent une vigie (lill. une tour, bourdj) de bois, ils entourèrent ces navires d'une ceinture (de bois) qui ressemblait aux murailles d'une ville, et ils y pratiquèrent des sabords (shararif); ils placèrent sur un de ces navires une grande passerelle mobile (que l'on pouvait relever ou abaisser) avec des câbles et des poulies. Ils s'avancèrent avec cet engin vers la Tour de la Chaîne le vendredi, premier jour épagomène (nisi) de l'année 934. Il y avait sur cette tour trois cents combattants musulmans; les Francs firent tomber leur passerelle mobile (askàla) sur la tour, et ils y pénétrèrent par ce moyen ; ils s'emparèrent ainsi de l'étage supérieur et ils tuèrent tous ceux qui s'y trouvaient ; les Musulmans qui étaient à l'étage du milieu demandèrent à grands cris à capituler et les Francs les firent tous prisonniers. Le pont (de bateaux djisr qui reliait la Tour de la Chaîne à la terre) ayant été rompu auparavant, aucun des Musulmans ne se sauva, à l'exception de ceux qui se jetèrent dans le fleuve et qui gagnèrent la rive à la nage. Les Francs arborèrent leurs étendards sur la tour et ils y hissèrent des croix ; ils murèrent la porte qui donnait du côté de Damiette et ils ouvrirent celle qui se trouvait du côté de la rive (barr) sur laquelle ils avaient établi leur campement ; ils lancèrent un pont de bateaux (djisr) qui fit communiquer la tour avec la terre et ils s'emparèrent de tout ce qui s'y trouvait, armes, naphte et provisions, le tout en quantité très considérable
Après cela, en 935, on apprit la mort du sultan al-Malik al-'Adil Abou-Bakr ibn Ayyoub qui était le suzerain (al-sultàn-alkab'ir wa al-Malik al-mo''aththam) des ayyoubides; il régnait depuis le Yémen jusqu'à Khilât, et il laissa un royaume à chacun de ses fils, la souveraineté de l'Egypte à al-Malik al-Kâmil, qui était l'héritier présomptif (c'est ce prince qui conquit le Yémen et qui y installa pour le gouverner son fils, qui prit le titre d'al-Malik al-Massoud), la Syrie à al-Malik al-Mo'aththam, les Provinces Orientales et Khilât à al-Malik al-Ashraf, Rohâ à Schihâb ad-Din Ghazi, la citadelle de Dja'bar à al-Malik al-Hâfith, la citadelle de Bosra et la province qui en dépendait à al-Malik as-Sâlih, les citadelles de Tiboïn et de Hoûnain, de Shakif (ms. Shanif) et de Baniyas à al-Malik al-’Aziz. On prêta serment à al-Kâmil comme sultan de tout l'empire; on fit la khotba au nom d'al-Malik al-Kâmil et on frappa la monnaie à son chiffre, pendant que ce prince se trouvait sar le front, devant les Francs, à Damiette.
En l’année 935, les Musulmans décidèrent d'aller attaquer les Francs et de les anéantir. Un corps d'armée, comprenant quatre mille cavaliers et un nombre égal de fantassins, se mit en marche tandis qu'une escadre de cinquante ou soixante croiseurs (shavani) et navires incendiaires (hararik) appareillait sur le fleuve. Les cavaliers s'avançaient par le Sud ; ils atteignirent le fossé des Francs mais ils s'aperçurent qu'il était impossible de le forcer, car derrière ce fossé se trouvaient les retranchements des combattants ; aussi les cavaliers musulmans ne purent rien faire; l'infanterie s'avançait le long du fleuve à l'est du campement des Francs. Ceux-ci la laissèrent s'emparer du front (atraf) de leur camp et rétrogradèrent devant eux. Les Musulmans, enhardis par leur faiblesse et leur petit nombre, s'avancèrent jusqu'au milieu de leur campement; mais tout à coup, les Francs fondirent sur eux du côté du Sud, leur coupant la retraite, et ils en tuèrent le plus grand nombre. Aucun Musulman ne put se sauver, à l'exception de ceux qui se jetèrent dans le fleuve, et encore ceux qui agirent ainsi se noyèrent-ils tous, comme ce fut le cas des fantassins Syriens, qui ne savaient pas nager; ceux qui savaient nager furent tellement pressés qu'ils n'eurent pas le temps de retirer leurs équipements et qu'ils se noyèrent. Quand les Musulmans qui se trouvaient à bord de l'escadre virent cette catastrophe, ils ne firent aucune manœuvre et restèrent en panne. Ce désastre, qui fut immense, eut lieu le mardi, onzième jour du mois de Bâbèh. Le sultan ordonna fi l'armée qui avait fait cette expédition de battre en retraite et de se replier sur la rive de Damiette ; en même temps, il fit tous ses efforts pour rassembler de nouvelles troupes. Le vendredi, vingt-neuvième jour du mois de Babôh, les Francs marchèrent contre l'armée des Musulmans qui avait passé sur la rive occidentale et dont l'effectif s'élevait à environ 1.000 cavaliers, qui formaient toute la garde du corps (halka) d'al-Malik al-Kâmil, avec des Arabes qui étaient venus se joindre à cette garde et quelques moufrédis. Les Francs leur infligèrent une sanglante défaite, les acculèrent au fleuve et s'emparèrent de leurs chevaux et de leurs armes; ils tuèrent un grand nombre de ces vaillants cavaliers et il n'y en eut que très peu qui parvinrent à se sauver, ceux qui se jetèrent à l'eau et qui étaient bons nageurs. Cette défaite augmenta la terreur des habitants de l'Egypte et on craignait tellement les Francs que l'on n'osa plus rien entreprendre contre eux et les choses en restèrent là. L'hiver survint et les Francs hivernèrent dans le pays (où ils s'étaient installés). Dans les premiers jours du mois de Kïhak, une violente tempête éclata et un ouragan terrible s'abattit sur la contrée, les eaux du lac (bohaïra) [de Damiette], gonflées par les flots de la Méditerranée (que le vent y refoulait), débordèrent et submergèrent le camp des Musulmans depuis Damiette jusqu'à al-'Adiliyya, un village qui fut bâti sur la rive de Damiette en face de Boûra, après que les Francs se furent emparés de cette dernière localité. Un nombre considérable de Musulmans périrent dans ce désastre, ils y perdirent également beaucoup de bêtes de somme et des quantités incalculables d'argent, d'armes et de choses diverses. Le Nil était débordé, la pluie et la grêle tombaient sans interruption et un vent violent soufflait, capable d'ébranler les montagnes; il était d'une telle force que jamais l'on n'en avait vu un pareil. Une maremme franque vint se mettre à la côte, les Francs l'avaient formée de six grands navires de guerre, sur lesquels ils avaient construit des passerelles, des tourelles et toutes sortes d'ouvrages de défense que je ne saurais décrire. La mer la jeta sur la rive occupée par les Musulmans ; seize hommes se trouvaient à bord, quatorze d'entre eux combattirent avec acharnement et se firent tuer, les deux autres sautèrent à l'eau et purent regagner la rive opposée; le roi les fit arrêter et ordonna qu'on les pendît pour n'avoir pas combattu jusqu'au bout comme le reste de l'équipage. Les Musulmans furent très fiers d'avoir capturé cette maremme, mais ils s'aperçurent qu'ils ne pouvaient la manœuvrer. Craignant, d'autre part, que les Francs ne tombassent sur eux en très grand nombre pour la leur enlever, ils l'incendièrent. C'était un navire merveilleux que l'on ne peut décrire. Les Francs avaient sur la Méditerranée des navires qui venaient d’Akkâ et d'autres villes de la côte et, depuis qu'ils étaient venus camper devant Damiette, ces navires n'avaient jamais cessé d'aller et de venir entre l'Egypte et la Palestine ; tous ceux qui se trouvaient en mer fi cette époque furent désemparés et furent jetés à la côte; les Musulmans en prirent ainsi quelques-uns à Ghaza, à al-'Arish et sur d'autres points de la côte.
Les Francs avaient creusé (à partir de la Méditerranée) le lit d'un des bras du Nil, connu sous le nom de Canal du Safran (khatlidj-az-za’faran) pour y faire passer leurs navires, parce que le sultan avait fait semer d'obstacles celui qui passait entre les deux tours pour les empêcher d'y passer avec leurs navires[287] d'un fort tonnage. Quand les pluies vinrent à tomber et que le Nil (al-bahr-al-kabîr) monta, le canal qu'ils avaient ainsi creusé se remplit d'eau ; ils avaient pris soin de faire aboutir (karrabou min) leur canal dans le grand bras du fleuve (al-bahr); ils hâlèrent leurs navires avec des cabestans et les mirent à flot dans le Nil (al-bahr); ils réunirent ainsi sur le fleuve plusieurs vaisseaux, et les choses restèrent en cet état durant quelque temps.
Le sultan fit alors couler des navires à l'aplomb de l'ouverture du canal par laquelle les vaisseaux francs montaient[288] (dans le Nil), et il fit couler ces navires sur trois rangs (parallèles). On leur avait fixé des mais verticaux auxquels on avait cloué, en travers, d'autres mais. Le samedi gras, les Francs mirent à la voile, ils avaient embarqué sur leurs navires tous leurs engins de guerre, leur campement, leurs équipements et leurs armes ; le vent leur était favorable; on était alors au huitième jour du mois d'Amshir. Les Musulmans étaient tous sur le rivage, tant fantassins que cavaliers, persuadés que lorsqu'ils arriveraient sur ces mâts (des navires sabordés), ils seraient forcés de s'arrêter. Mais, quand ils arrivèrent sur ces mâts, Allah les rendit aussi fragiles pour eux que des brios d'herbe, ils les brisèrent tous et leurs navires continuèrent leur roule remontant le Nil jusqu'à l'endroit où ils voulaient se rendre, c'est-à-dire au point où le fleuve se rétrécit (madik). Les Musulmans furent stupéfaits de cette aventure et ce fut un jour cruel pour eux. Les Francs et les Musulmans restèrent prêts à combattre le samedi, le dimanche et le lundi, revêtus de leurs armures et attendant les uns et les autres le moment d'engager la lutte. Dans la nuit du mardi, onzième jour du mois d'Amshir, au milieu de tous ces embarras et de ces difficultés, une querelle éclata entre le sultan et un de ses grands émirs, nommé Ibn al-Mashtoûb; cette dispute fut la cause que les Musulmans se débandèrent au milieu de la nuit, abandonnant leurs tentes, leurs équipements et leurs armes. Au malin, les Francs furent stupéfaits, et ils furent persuadés qu'il y avait là quelque ruse de la part des Musulmans : ils estimaient en effet qu'ils ne paieraient pas trop cher la conquête d'une portion de la rive orientale, et de rien de plus, de la mort du plus grand nombre d'entre eux, et le hasard voulait qu'ils s'en rendissent maîtres avec un butin immense dont on ne pouvait supputer la valeur. Ils débarquèrent immédiatement sur la rive orientale ce même mardi, s'emparèrent du campement des Musulmans avec tout ce qui s'y trouvait, des tours (abradj), des mandjaniks, des équipements et du train, le tout d'une valeur incalculable; ils massacrèrent tous ceux qu'ils y trouvèrent et qui étaient restés dans le camp. Ces gens ne pensaient pas que les Francs remonteraient le Nil aussi rapidement, et ils restèrent dans le camp avec l'intention d'enlever une partie de leurs bagages; ils étaient à peu près trois mille. Les Francs investirent Damiette de toutes parts, dressèrent leurs mandjaniks contre elle et l'attaquèrent avec la plus grande violence. Quant au sultan, il fit arborer son étendard à Ashmoum; les grands émirs qui le virent vinrent se ranger autour de lui; quant aux moufrédis et aux tavashis, ils s'enfuirent de tous côtés, et le plus grand nombre d'entre eux gagna le Caire. La stupeur et la crainte paralysèrent tous les habitants; on répandit des bruits tendant à rendre les Chrétiens suspects et plusieurs personnes se livrèrent à des voies de faits contre eux. Au milieu de ces troubles, les Musulmans s'assemblèrent et ils décidèrent de mettre un impôt sur les propriétés à Mise et au Caire, et de prendre deux mois de ce qu'elles rapportaient pour aider le sultan ; on fit ainsi à Misr, mais on ne tira à peu près rien de ces mesures qui furent complètement illusoires. On revint à la charge et on Qt subir aux Musulmans un impôt progressif, ils étaient pour cela divisés d'après leur fortune en deux catégories et on faisait payer à partir de cinq dirhems par personne, et plus; mais cela ne fournil pas encore l'argent dont on avait besoin et on n'obtint rien de bon par ce procédé.
Deux ou trois jours après la déroute dont nous venons de parler, al-Malik al-Mo’aththam, sultan de Syrie, arriva à Ashmoum, auprès de son frère, al-Malik al-Kâmil. Les deux souverains furent d'un avis identique et ils firent arrêter Ibn al-Mashloûb, qui était le plus grand de tous les émirs et qui, comme on l'a vu, était la cause première de ce désastre; ils le firent charger de chaînes, puis ils l'envoyèrent à la forteresse de Karak pour y être enfermé. On dit qu'ensuite cet émir alla vivre dans les Provinces Orientales. Cette aventure fit beaucoup de bruit, puis l'agitation se calma. Les gens disaient que tous les Chrétiens qui se trouvaient dans Damiette avaient été massacrés; d'autres prétendaient qu'il n'y avait que les prisonniers à qui on avait fait subir ce traitement parce qu'on les avait trouvés en train de percer (les murs de leur prison) dans le but d'aller rejoindre leurs camarades. Quant aux habitants de Mounya ibn Selsébil[289] ils attaquèrent les Chrétiens et en tuèrent un certain nombre. A mesure que le temps s'avançait, la situation des Égyptiens devenait de plus en plus critique et les difficultés ne cessaient de s'accroître. On décida de mettre une (nouvelle) taxe sur les biens-fonds des habitants de Misr et du Caire et de percevoir deux mois de leurs revenus; les notables de Misr déterminèrent un impôt auquel les habitants furent astreints suivant leurs ressources, et ils envoyèrent l'argent qui fut ainsi ramassé pour aider le sultan et les Musulmans. On recueillit ainsi au moyen de ces deux taxes à peu près trois mille dinars. Quand le sultan de Syrie, al-Malik al-Mo’aththam, fut venu trouver son frère, ils furent d'avis de retourner sur la rive occidentale, parce que la Croix des Francs s'y trouvait arborée, et ils préparèrent dans ce but leurs troupes. Le sultan al-Malik al-Kâmil ordonna de construire un mur depuis Misr jusqu'au Caire pour entourer ces deux villes; on se mit à cette construction avec la plus grande diligence; on commença ce mur à Misr, en partant d'auprès du Palais de la Royauté (dar-al-moulk), et au Caire, à partir d'el-Loulouah ; on en exécuta les fondations en pierres de taille, et le reste fut formé de terre. Ce furent des Maghrébins qui furent employé à ce travail.[290] Le mardi, dix-huitième jour du mois de Dhou’lhiddjeh de l'année 615, on exigea le tribut annuel (havali ou djavali), pour l'année 616, auquel les Juifs (dimma) étaient obligés. On changea d'avis et on abandonna le plan qui consistait à construire ce mur en terre ; on démolit la partie que les Maghrébins avaient élevée et on se mit à la rebâtir en briques. Ensuite, arriva l'ordre de faire payer l'impôt foncier à tous les habitants de Misr et du Caire, et on y mit la plus grande diligence.
Voici les événements qui se produisirent quand l'armée passa sur la rive occidentale. Les troupes arrivèrent près du campement des Francs le dimanche, septième jour du mois de Barméhat ; Allah fit alors souffler un vent terrible, une pluie violente se mit à tomber et le fleuve (al-bahr) déferla sur ses rives, les vagues arrivèrent jusqu'à eux, de telle sorte que s'ils ne s'étaient pas empressés de rebrousser chemin, ils auraient été noyés ; ils rétrogradèrent sans avoir atteint le but qu'ils s'étaient proposé et ils s'en revinrent à la rive orientale ; ils campèrent à Fariskour et dans les environs de cette localité. Cette année, l'hiver fut très rude et on n'en avait jamais vu un si dur en Egypte; depuis le huitième jour jusqu'au quinzième jour du mois de Barméhat, il y eut une violente tempête accompagnée de pluies et d'un froid extrêmement vif, tel qu'on n'en avait jamais ressenti un pareil.
Il se passa au cours de cette année une série d'événements étranges et extraordinaires. Le sultan envoya l'ordre de faire partir, de gré ou de force, la moitié de la population de Misr et du Caire pour aller combattre les Francs; la plupart de ces gens partirent; mais les gens de condition, auxquels cela ne convenait pas, se rachetèrent en payant une somme en or variable suivant les moyens de chacun. Quant aux Chrétiens qui se trouvaient au Caire, on les imposa ainsi que les gens qui avaient des ressources suffisantes, qu'ils eussent des revenus ou un métier qui leur permît de gagner leur vie; mais on ne leur demanda que ce qui était raisonnable, et on n'exigea pas de la population du Caire plus qu'elle ne pouvait donner; à la fin, on imposa les fonctionnaires (kouttab) qui y demeuraient. A Misr, le gouverneur, suivant en cela les conseils des gens de loi, fit comparaître par devant lui les prêtres des églises qui appartenaient aux Copies et aux Melkites, et il leur dit : « Partez (avec les Musulmans) »; puis il ajouta pour leur faire peur : « Partez pour la guerre, sortez avec les Musulmans, mais vous ne serez pas arrivés avec eux à la porte de la ville qu'ils vous massacreront et personne, dans les circonstances que nous traversons, ne pourra rien leur dire ». En disant cela, il entendait désigner spécialement les Melkites auxquels les Musulmans reprochaient d'aimer les Francs, de suivre leurs coutumes, de porter les cheveux comme eux, de ne pas pratiquer la circoncision et autres choses semblables. Il leur fit ainsi une très grande peur, et l'un d'eux se hâta de dire : « Nous possédons une somme de mille dinars ». — « C'est très bien, leur fut-il répondu, allez et apportez cette somme ». On dit ensuite aux prêtres copies qui étaient présents : « Ces gens-là sont des gueux à côté de vous, vous en valez vingt-quatre comme eux; mais nous mettrons que vous n'en valez que dix ; aussi vous nous donnerez dix mille dinars ! » A la fin, on leur imposa trois mille dinars. On mit les scellés (ghoulikat salabatoun) dans l'église al-Mo'allakah, dans l'église des Melkites et également dans la synagogue des Juifs; ces derniers avaient versé cinq cents dinars la première fois, alors qu'on n'avait rien demandé aux Chrétiens, et, cette fois, on leur en demanda six cents. Les gens furent roués de coups et on envoya chez eux des soldats qui les brutalisèrent et qui leur firent toutes sortes d'avanies. C'étaient les prêtres (des Chrétiens) qui tiraient au sort le nom de ceux qui devaient payer et qui répartissaient sur leurs ouailles la somme qui avait été fixée par les Musulmans. On se trouvait alors en carême et on eut à subir toutes sortes de vexations et des misères sans nombre. Quant aux Melkites, ils recueillirent parmi leurs coreligionnaires la contribution qui leur avait été imposée, mais il leur manqua quelque chose pour parfaire cette somme ; aussi ils furent obligés de prendre quelques vases d'argent qui leur appartenaient et d'aller les mettre en gage chez un musulman nommé Nasr, le juriste. Celui-ci leur prêta sur ces objets deux cents dinars, et ils lui firent une reconnaissance de deux cent cinquante dinars. Ils portèrent les sommes qu'ils se procurèrent ainsi (aux agents du fisc). Quant aux prêtres copies, ils pressèrent vivement leurs ouailles de leur donner de l'argent, et personne ne crut possible de se dispenser de payer sa quote-part ; tout au moins, il n'y en eut qu'un très petit nombre. Ils ramassèrent ainsi une somme de onze cents dinars; chacun dénonçait son voisin comme plus riche que lui et tous ceux qui voulaient se dispenser de payer une contribution entrèrent dans l'affaire et se chargèrent de collecter la taxe. Ils eurent des entretiens avec le vali, et (d'après ce qu'il leur dit) ils allèrent frapper fi toutes les portes, de telle sorte qu'ils ramassèrent douze cents dinars. Pour parfaire la somme de 3.000 dinars, ils exigèrent une contribution de toutes les églises, chacune devant payer d'après les ressources qu'elle possédait; ils envoyèrent des gens dans les monastères situés en dehors de la ville (berraniyya), tels que les couvents de Tamoûh, de Sham'[291] et d'autres, et ils leur firent payer une contribution. Ils montèrent ensuite au Caire et ils prièrent les habitants de leur donner quelque chose ; mais ceux-ci refusèrent et les quêteurs durent s'en retourner les mains vides… Ils ne cessèrent leurs démarches que lorsqu'ils eurent atteint la somme qui leur avait été axée. Ils ne vendirent aucun de leurs vases sacrés ni un de leurs champs, et ils ne mirent rien en gage, mais ce fut une époque terrible, car la plupart des églises furent fermées durant de longs jours par suite de cette obligation de payer un tribut. Dix mille hommes, tant du Caire que de Misr, avaient pris du service, c'étaient pour la majorité des Maghrébins; ils saccagèrent toutes les églises qu'ils trouvèrent sur leur chemin jusqu'à ce qu'ils eussent rejoint l'armée du sultan. Il avait été décidé que l'attaque aurait lieu le jour des Rameaux; ce jour-là, ils attaquèrent les Francs, mais la plupart de ces hommes qui avaient pillé les églises furent tués. Ceux qui échappèrent à ce massacre se sauvèrent et une partie d'entre eux arrivèrent au Caire et à Misr; les vaisseaux en étaient pleins. Ensuite, on renouvela l'attaque, mais elle ne réussit pas mieux, parce que les Francs avaient entouré leur camp d'un fossé qui s'étendait sur les deux rives du fleuve, et parce qu'ils avaient jeté deux ponts de bateaux (djisr) sur le Nil; ils avaient bâti des tours sur les bords du fossé et ils l'avaient protégé par un rempart semblable aux murailles d'une ville. Derrière ce mur, ils avaient posté des archers et d'autres combattants, de telle sorte qu'il était impossible d'en approcher. Les Musulmans se décidèrent alors à barrer le bras oriental du Nil (bahr-alshark) à la hauteur de Zafita[292] de manière à faire passer toute l'eau dans le bras occidental (bahr-al-gharb). Pour cela, ils prirent des navires et du matériel de guerre (qu'ils coulèrent à fond). Ce barrage fut terminé avec une peine inouïe et au prix de grandes dépenses, le vendredi, quinzième jour du mois de Pashonsh de l'année 935; on y avait cependant laissé libre un chenal (tarik).[293] Les navires ne purent plus remonter dans ce bras. Mais ce barrage fut rompu durant la nuit et toute la dépense qu'on avait faite fut ainsi perdue. On a dit que ce travail avait coûté dix-sept mille dinars.
Jérusalem fut détruite au mois de Barmoûda de cette année, après qu'on en eut fait sortir les habitants. Les seuls monuments qui subsistèrent furent l'église de la Résurrection, la tour de David, la mosquée de la Sakhra et la grande mosquée qui est connue sous le nom d'al-Masdjid-al-Aksa ; tout le reste fut détruit, l'enceinte fortifiée, les maisons et les caravansérails. Cette destruction répandit une peur immense dans la population et elle porta le trouble dans toute la Syrie ; de plus, les vivres devinrent très chers dans ce pays. Quant à l'Egypte, le blé y fut à bon compte pendant tout ce temps.
Les Francs construisirent ensuite de grandes maremmes et de grandes tours, et ils assaillirent Damiette pendant sept jours, à la fuis par terre et par le fleuve sans interruption du 10 au 20 du mois d'Abib. Les Musulmans ripostèrent à leurs attaques, et ne cessèrent de combattre jour et nuit. A la fin, les Francs retirèrent leurs machines de guerre (âlat) de devant Damiette et les Musulmans s'en retournèrent à leur campement, de telle sorte que les choses restèrent dans l'état où elles se trouvaient avant cette attaque.
Avant ces événements, les Chrétiens s'étaient mis à construire l'église de Saint Marc, qui était en dehors des murs d'Alexandrie, et qui était nommée al-Kamsaba (?). Un ordre du sultan arriva, enjoignant de la raser. Les Chrétiens offrirent, pour qu'on la laissât en étal, une somme de 2.000 dinars, mais il n'y voulut pas consentir, car elle dominait le port, et il craignait que les Francs ne s'en emparassent, qu'ils n'y missent des engins de guerre et ne commandassent ainsi le port militaire. Cette église fut complètement rasée; cela eut lieu au commencement du mois d'Abib…
Le jeudi, sixième jour épagomène (nisi), car on était dans une année intercalaire (kabîs), les Francs revinrent attaquer les Musulmans par le fleuve et par terre, et ceux-ci furent mis en fuite. Les Francs pensaient que l'eau qui se trouvait dans le fossé des Musulmans était de l'eau douce; mais quand ils y furent arrivés du côté des dunes de sables (al-raml), c'est-à-dire à un endroit éloigné de la mer (al-bahr), ils goûtèrent cette eau et s'aperçurent qu'elle était salée; ils s'en retournèrent alors par le chemin qu'ils avaient suivi pour venir, et sans avoir subi d'échec. Quand les Musulmans les virent battre en retraite, ils se mirent à leur poursuite dans l'espoir de les vaincre; ils leur infligèrent une sanglante défaite et ils firent prisonniers environ quatre cents de leurs chevaliers, parmi lesquels se trouvaient un certain nombre de comtes et d'officiers généraux. Quant à leur infanterie et à la piétaille (atrâf), elle perdit dans ce combat environ un millier d'hommes Les Musulmans envoyèrent des dépêches (batâik) par des estafettes et par des pigeons, la ville du Caire fut pavoisée, ainsi que Misr et cette victoire causa aux Musulmans une joie indicible. »
Année 936 des Martyrs.
« On transféra la plupart des prisonniers qui avaient été faite dans cette bataille au Caire et on leur fit traverser la ville d'un bout à l'autre : on garda leurs chefs à l'armée (du sultan) pour discuter à nouveau avec eux les propositions de la paix, et les négociations faillirent aboutir, à la condition que les Francs prendraient possession de la ville de Jérusalem après l'avoir relevée de ses ruines ainsi que de tout ce qui leur avait appartenu et qui leur avait été enlevé par al-Malik an-Nasir… On reçut ensuite des nouvelles annonçant que les Francs avaient reçu des renforts et que tout espoir de paix était évanoui. Le sultan envoya alors l'ordre de faire partir de Misr et du Caire tous les soldats qu'on y pourrait trouver pour aller lutter contre les Francs; on sonna les cloches dans ce but, et la plupart des gens sortirent de la ville; on ferma ensuite les portes des deux villes.
[L'auteur de l'Histoire des Patriarches raconte ici qu'on leva de nouvelles contributions sur les Chrétiens pour subvenir aux frais de la guerre; le gouverneur du Caire les faisait suspendre à la porte de leurs maisons et les obligeait à travailler dans les moulins comme des bêles de somme pour leur tirer de l'argent. Il leur extorqua ainsi 1.300 dinars. Le gouverneur de Misr, encouragé par les agissements de son collègue du Caire, exigea 1.000 dinars des Chrétiens qui habitaient dans la ville soumise à sa juridiction ; ce fut, à ce que dit le même auteur, une époque épouvantable.]
« Le sultan marcha contre les Francs et vint camper sur le glacis (kitf) de leur fossé du côté de la rive occidentale du fleuve. Al-Malik al-Faïz en fit autant du côté de la rive orientale, de telle sorte que les Francs furent étroitement pressés sur les deux rives du Nil. Le sultan envoya dans les deux villes (Misr et le Caire) pour demander toutes les jarres et tous les pots de terre que Ton pourrait trouver pour les remplir de sable et combler ainsi le fossé. On cria cet ordre dans les rues de Misr, de telle sorte que des milliers et des milliers de jarres, de cruches et de pots se trouvèrent ainsi réunis sur le bord du Nil; on en transporta le plus grand nombre au camp de l'armée musulmane.
Cependant, les négociations pour la paix furent reprises et les Francs parurent disposés à se montrer de bonne composition, de telle façon que les deux princes (le sultan et al-Malik al-Faïz) se retirèrent des glacis de leurs fossés, à la fois, sur les deux rives où ils campaient. Ensuite, les Francs revinrent sur leurs engagements, s'empressèrent de remettre leur fossé en état, de fortifier leurs tours et ils refusèrent alors de faire la paix. Ce procédé mit le sultan dans une violente colère, et il envoya son frère, al-Malik al-Faïz, en Orient pour y chercher des renforts. L'armée des Francs se divisa en deux corps : l'un attaquait Damiette nuit et jour, pendant que l'autre gardait l'escarpe du fossé qui faisait face à l'armée musulmane. La situation se prolongea ainsi durant quelque temps. On reçut à plusieurs reprises des nouvelles apprenant que la garnison de ce port de guerre (Damiette) était très affaiblie et que la plupart de ceux qui la composaient étaient morts.
Le sultan choisit 700 combattants et leur distribua de l'argent; il leur ordonna de tenter, en un seul groupe, une attaque brusque de la ville pendant la nuit et d'essayer ainsi d'y pénétrer. Ces hommes firent ce qui leur avait été commandé, mais la plupart d'entre eux furent tués et il n'y en eut que très peu qui échappèrent, qui purent traverser les lignes ennemies et pénétrer dans la ville. Mais une ou deux nuits ne s'étaient pas écoulées après leur entrée dans cette ville que les Francs s'emparaient de Damiette pendant la nuit du lundi au mardi, huitième jour du mois de Hator de l'année 936 des Martyrs, date correspondante au 25 Chaban de l'année 616 de l'hégire. Ce fut une nuit remarquable et un jour mémorable. Les Musulmans ne s'aperçurent de cette victoire que lorsqu'ils virent les étendards des Francs et les croix arborés sur les tours et au sémaphore (markab). A ce moment, ils comprirent que la ville était tombée en la possession des Francs. Les princes musulmans levèrent alors leur camp précipitamment, abandonnant les marchands et les valets d'armée dans le campement. Tous ne pensèrent qu'à se sauver et ils s'enfuirent en laissant leur argent et leurs marchandises; cette fois encore une quantité incalculable d'objets furent perdus. Le sultan vint camper en face de Talkha, à la tête du bras (bahr) d'Ashmoum, du côté du sud ; al-Malik al-Mo’aththam, souverain de Syrie, s'en retourna dans ses états et vint camper à Ghaza. On donne plusieurs versions de la prise de Damiette. Il y a des gens qui disent qu'elle ne fut prise que par la trahison de sa garnison et que ce fut son extrême détresse qui la porta à agir ainsi ; d'autres disent qu'elle fut emportée d'assaut. On rapporte que les Francs y trouvèrent des quantités énormes d'or et d'argent, du naphte et des munitions de guerre en nombre incalculable; quant aux armes et aux équipements des rois, des émirs et des soldats (ils en trouvèrent également un nombre énorme), car c'était là, c'est-à-dire à Damiette, que les Musulmans avaient déposé ce qu'ils avaient de plus précieux, parce que c'était une ville très forte et qu'on la croyait inexpugnable. On a dit que les Francs trouvèrent dans cette place 6.000, suivant d'autres 11.000 hommes, et qu'ils les réduisirent tous en captivité, à l'exception de ceux qui appartenaient à la religion chrétienne. Quant aux Musulmans, ils prétendent qu’il ne restait plus dans la ville que 600 personnes, mais cela n'est pas la vérité. Les gens dont on peut croire les assertions affirment que les portes de Damiette s'étaient fermées sur 46.000 personnes, en ne tenant compte ni des femmes, ni des enfants. Les Francs s'installèrent dans Damiette comme chez eux, et ils y établirent leurs coutumes.
Après qu'al-Malik al-Mo'aththam fut parti, le sultan envoya quérir le sahib Safi ad-Din 'Abd-Allah ibn 'Ali qui avait été le vizir de son père et il l'investit du gouvernement de ses états. Ce personnage envoya des sbires chez les fonctionnaires, aussi bien musulmans que chrétiens et juifs, qui leur firent endurer toutes sortes de mauvais traitements et qui les forcèrent à leur verser de l'argent; les prisons furent remplies de ces gens, et il y en eut qui, pour échapper à ces violences, apostasièrent.
Pour se procurer de l'argent, le sultan d'Egypte recourut à des expédients de tout genre et les Chrétiens furent encore frappés d'une lourde contribution.
Année 937 des Martyrs.
Cette année, on reçut des nouvelles annonçant qu'un souverain d'Orient que l'on appelait le « Roi de Chine », malik as-Sin, qui avait à son service une quantité de Turks du pays de Khita (kitâ) et du Kiptchak, avait vaincu le Kharezmchah, roi de Perse, et qu'il s'était emparé de Khwarezm, de Boukhara, de Maragha et d'un nombre considérables de villes en Perse; il avait réduit les habitants de ce pays en esclavage et il pénétra jusqu'en Géorgie (le pays des Kurdes); il mit les Géorgiens en déroute et il arriva dans le pays d'Irbil. Toutes ces contrées avaient été épouvantées de sa marche, car l'on disait que son armée comptait des milliers et des milliers d'hommes ; l'effectif de ses troupes était de 100.000 hommes ou même plus. Le sultan al-Malik al-Ashraf ibn al-Malik al-'Adil, prince de Khilât, de Mayyafarikîn, de Harrân, de Sindjar et des contrées qui dépendaient de ces villes, se dirigea vers le pays de Maûsil et marcha contre l'ennemi avec le prince d'Irbil. Le roi de Chine était arrivé à Shahrzoûr; il ne vint pas à leur rencontre, mais il s'en retourna sur ses pas sans avoir livré combat. Al-Malik al-Ashraf s'en revint alors à Harrân et son frère, al-Malik al-Mo'aththam, prince de Syrie, vint le trouver dans cette ville. Ils réunirent leurs armées et se mirent en marche pour se rendre en Egypte, dans l'intention de porter secours à leur frère, al-Malik al-Kâmil, contre ses ennemis, les Francs qui s'étaient emparés de Damiette.
Les Francs venaient justement de recevoir également d’es renforts venant des pays d'outre-mer ; ils rassemblèrent leurs troupes, et les préparèrent pour la lutte ; ils faisaient des sorties à la fois sur terre et sur le fleuve, gagnant à chaque fois un peu de terrain jusqu'à ce qu'ils parvinssent de cette façon en face du camp des Musulmans, à la tête du bras d'Ashmoum (eux arrivant) du côté du nord, le fleuve seul séparant les deux armées.
Leur sortie de Damiette jeta le trouble dans tout le pays et le sultan ordonna aux Musulmans de se mettre en marche pour aller les combattre. Les gouverneurs de provinces réunirent des troupes et ils déterminèrent pour chaque localité (souk) le nombre d'hommes qu'elle devait fournir; ils leur donnèrent de l'argent et les envoyèrent (au sultan).
Sur ces entrefaites, le sultan al-Malik al-Kâmil envoya l'émir Hosâm ad-Din Younis, gouverneur d'Alexandrie, à Misr et au Caire pour en ramener toutes les troupes qui s'y trouvaient; il envoya de même dans chaque département un émir pour en faire autant. Tous les gens partirent ainsi, ou du moins le plus grand nombre, de telle sorte qu'il ne resta que les vieillards infirmes et les enfants qui n'avaient pas atteint l'âge de raison; dans la journée du dimanche, dix-huitième jour du mois de Djoumada second de l'année 618, correspondant au quinzième jour du mois de Masori, les deux villes furent fermées et, le lendemain malin lundi, elles restèrent également fermées, de telle façon que pendant ces deux jours les habitants n'eurent rien à boire ni à manger… Après ces événements, arrivèrent al-Malik al-Mo'aththam, sultan de Syrie, al-Malik al-Ashraf, sultan des Provinces Orientales, ainsi que les princes ayyoubides (moulouk) leurs vassaux, tels que le prince de Homs et le prince de Hamâh, avec des troupes de cavalerie et d'infanterie; ils traversèrent le Nil (‘adou) à Ashmoum, et coupèrent les Francs de leur ligne d'opérations, en pénétrant entre eux et Damiette; cela se passait sur terre. La flotte musulmane appareilla (kata'a) de l'embouchure par laquelle le bras de Mahalla se jette dans la mer (foumm bahr al-Mahalla al-bahrï) [où elle se trouvait à l'ancre], et vint s'embosser entre l'escadre des Francs et le port de Damiette, de telle sorte que les Francs ne purent plus recevoir de vivres ni par terre, ni par le fleuve, qu'aucune nouvelle de Damiette ne parvenait jusqu'à eux et qu'ils ne pouvaient pas davantage faire connaître leur situation à la garnison de cette ville. Cette situation se prolongea durant quelque temps, les forces des Musulmans s'accroissant de jour en four, tandis que celles des Francs diminuaient. Les vivres vinrent à manquer à ces dernières, et ils comprirent qu'ils étaient perdus. Ils se décidèrent durant la nuit du jeudi au vendredi (ce dernier étant le quatrième jour embolismique nisi) à allumer des feux et à abandonner une partie de leur campement dont ils n'avaient plus besoin;[294] ils comptaient ensuite décamper et fondre sur l'armée qui se trouvait entre eux et Damiette, pensant qu'elle ne pourrait leur résister et qu'ils parviendraient ainsi à rentrer dans la ville; ils auraient ensuite défendu l'enceinte fortifiée de la ville et, dans ces conditions, ils n'auraient plus rien eu à craindre. Le sultan apprit leur plan la nuit même pendant laquelle ils comptaient le mettre à exécution; il monta immédiatement à cheval et les troupes se mirent en marche. On se trouvait alors au moment de la crue (zamân) du Nil, et les Francs n'avaient aucune connaissance des conditions climatiques du pays. Le sultan ordonna d'ouvrir les écluses des canaux qui se trouvaient sur leur chemin et d'éventrer et de faire sauter les digues de tous les côtés. Les Francs parvinrent jusqu'à Barmoûn au prix de peines inouïes et ils se virent assaillis par un déluge sans trouver de chemin pour s'échapper; ils se rassemblèrent dans un seul endroit, et un violent combat s'engagea qui dura le reste de la nuit, toute la journée du vendredi et la nuit du samedi jusqu'à l'aube. Les estafettes se succédaient rapidement auprès du sultan qui tenait conseil avec ses officiers, et qui leur fit connaître sa décision en ces termes : « Cette troupe de Francs périra certainement, mais ce ne sera pas sans causer la mort d'un nombre égal de Musulmans; de plus, cela ne nous rendra pas définitivement maîtres de Damiette, car il y a dans cette place 90.000 combattants, en plus de ceux qui ont fait cette sortie; ils ont entouré Damiette de sept fossés et il est impossible de reconnaître (nazara) la ville, à plus forte raison de l'assiéger.[295] Ces gens ne vont pas renoncer volontairement à défendre leurs positions, de sorte que (pour les enlever) il faudra faire tuer le double de Musulmans. » L'avis du sultan et de ses conseillers fui de conclure la paix. Après un échange de plénipotentiaires, il fut convenu que les Francs livreraient Damiette, qu'ils remettraient en liberté tous les prisonniers qui s'y trouvaient depuis les temps les plus anciens, et que la paix serait signée pour une durée de huit ans.
Le roi des Francs, la reine et les généraux se rendirent au camp du sultan et ils y demeurèrent jusqu'au moment où Damiette fut rendue aux Musulmans ; les Francs prirent également des otages dans la crainte que le sultan et ses officiers ne revinssent sur leur parole; c'étaient al-Malik as-Sâlih,[296] fils du sultan, son frère Kotb ad-Din; Chams ad-Din,[297] fils de sa sœur, et plusieurs des plus grands émirs, et ils les détinrent dans un navire mouillé sur la Méditerranée (et tout prêt à appareiller). Le sultan combla le roi et ceux qui l'accompagnaient de marques d'estime, telles qu'il n'en avait jamais témoigné de pareilles à d'autres personnes. Il leur fit donner (kama) tout ce dont ils avaient besoin et il les traita avec de très grands honneurs. Il ordonna que l'on portât à leur camp, du pain, des grenades et des pastèques, le tout sans compter.
[Le même auteur raconte sous la rubrique de l'année 938 des Martyrs que, sur ces entrefaites, arrivèrent quarante-cinq navires que l'Empereur envoyait pour porter des renforts aux Francs. Quand le commandant de cette escadre apprit que la paix venait d'être conclue et que les rois étaient les otages (rahâyin) des Musulmans, il vira de bord et regagna la haute mer.]
Le sultan s'occupa ensuite de rapatrier les Francs ; il y en eut parmi eux qui demandèrent à revenir par mer; le sultan leur fournit des vivres et toutes les provisions (ikamat) dont ils avaient besoin pour ce voyage; il fit partir avec eux, pour les embarquer, son frère, le seigneur de Dja'abar ; il y en eut d'autres pour qui l'on fit des ponts de bateaux (djisr) [qui réunirent la rive orientale à la rive occidentale du Nil], de telle sorte qu'ils pussent passer sur la rive occidentale et gagner Damiette... Damiette fut remise aux Musulmans dans la première décade du mois de Tôt (938). Le sultan s'y rendit avec ses troupes et il y demeura jusqu'à ce que le reste des Francs l'eussent évacuée ; il prit alors congé des souverains francs au moment où ils mirent à la voile et il s'en retourna à Ashmoum, qu'il habita jusqu'au moment où ses frères partirent avec l'armée de Syrie et des Provinces Orientales. Il s'en retourna alors au Caire, où il fît son entrée le vendredi, huitième jour du mois de Ramadan de l'année 618. Son entrée au Caire fut un jour de fête comme on n'en avait pas vu; les deux villes furent pavoisées, et, de mémoire d'homme, on n'avait jamais vu pareille splendeur.
Le sultan conçut une très vire amitié pour le seigneur d’Akkâ, ils se donnèrent mutuellement des cadeaux, et cela fit faire toutes sortes de suppositions. Des gens disaient que le prince d’Akkâ était un traître et que c'était lui qui avait conduit les Francs à ce désastre. D'autres disaient que tout cela s'était passé contre son gré, mais que ce fut le légat [du pape] (al-Lakât) qui donna le conseil de sortir de Damiette, et que le prince d’Akkâ n'avait pu s'y opposer dans la crainte de passer pour un traître. Il avait dit dans cette circonstance : « Il ne faut pas que nous sortions de notre ville, avant d'avoir reçu nos renforts, c'est-à-dire ceux que l'Empereur nous enverra. En vérité, si nous restions derrière nos fossés durant mille ans, nous n'aurions rien à redouter, quand bien même nous serions attaqués par des armées aussi nombreuses que les grains de sable du désert. Quant à cette armée (musulmane) dont on nous parle (pour nous effrayer), nous n'avons rien à craindre d'elle, car tous ceux qui la composent ont l'esprit occupé de choses qui les distraient de leurs devoirs militaires, et, en même temps, ils ont un ennemi à combattre; le plus qu'ils pourront faire sera de nous assiéger pendant un mois, deux mois, trois mois, mais ils ne pourront venir à bout de notre résistance et chacun d'eux s'en retournera alors chez lui. Pendant ce temps, nous nous fortifierons, nous dresserons nos plans avec certitude, tandis que notre ennemi sera obligé de reculer et s'affaiblira de plus en plus. Quand nous aurons conquis l'Egypte en vingt années, nous aurons encore mené rapidement les choses ! »
Ces paroles ne furent pas écoutées et le légal lui dit : « Tu es un traître! » Le souverain d’Akkâ répliqua : « Je sortirai avec toi et Dieu fera ce qu'il voudra! » Ils sortirent de Damiette et arrivèrent à Shârimsah. Le seigneur d’Akkâ dit : « Je crois qu'il serait sage que nous en restions ici pour cette année, que nous creusions un fossé autour de nous et que nous ensemencions la terre qui s'étend d'ici jusqu'à Damiette ; notre flotte gardera le contact avec nous et un oiseau ne pourra même pas voler entre nous et Damiette. Quand les troupes du sultan seront affaiblies et que nous aurons reçu nos renforts, l'Egypte sera à nos pieds en deux jours sans pouvoir faire la moindre résistance. »
Le légat lui dit : « Tu es un traître ; nous ne nous emparerons jamais de l'Egypte, si ce n'est maintenant! »
Les Francs se remirent alors en marche et arrivèrent jusqu'en face de l'embouchure par laquelle le bras d'al-Mahalla se détache du Nil (foumm bahr al-Mahalla) ; cette embouchure se trouve en face de Barmoûn et c'est par elle que sortit l'escadre musulmane. Le prince d’Akkâ dit au légat : « Ce bras du Nil est tout ce qu'il y a de plus dangereux pour nous. Donne-moi ce grand navire qui t'appartient pour que nous l'embossions à l'embouchure de ce bras du Nil. Nous mettrons en même temps dix galères pour empêcher les navires ennemis de déboucher par là. De cette façon, nous conjurerons le péril qu'il présente pour nous ». Le légat dit : « Par la vérité de ma religion, je n'arborerai pas ces croix qui flottent à la tête de ce mât autre part que sur le mur du Caire! » Le souverain d’Akkâ lui répondit : « Eh bien! partons, et nous verrons comment cette aventure se terminera ! » S'il n'avait pas agi de cette façon, les Francs l'auraient massacré.
Le sultan se rendit ensuite à Abiar où il demeura durant tout l'été; après cela, il alla à Damiette et il ordonna de faire une digue (djisr) sur la rive du lac de la Bohaïra[298] depuis Boura jusqu'à la Méditerranée pour empêcher les eaux de la mer de se précipiter dans le lac.
[1] Quand mourut le sultan al-Malik al-Kâmil, dit Djémal ad-Din (Mofarradj, ms. ar. 1702, fol. 313 v°), l'armée égyptienne se trouvait à Damas avec tous les généraux, les grands personnages de l'état et les notables; parmi eux, étaient les fils du cheikh des cheikhs, Sadr ad-Din, l'émir Saïf ad-Din Kilidj et son frère, 'Imad-ad-Din, qui étaient tous les deux émirs d'Alep; ils étaient venus prendre du service auprès d'al-Malik al-Kâmil après la mort du sultan al-Malik al-’Aziz. Al-Malik an-Nasir-Daoud, fils d'al-Malik al-Mo'aththam, était également à Damas dans sa demeure connue sous le nom de « maison de Shama », qui avait été bâtie par le cheikh Madjd ad-Din al-Bâdaraï; postérieurement à cette date, elle devint un collège pour les Chaféites. Al-Malik an-Nasir espérait qu'al-Kâmil lui donnerait la ville de Damas, comme cela avait été convenu entre lui et le sultan d'Egypte. Quand al-Kâmil fut mort, les membres du gouvernement furent tous d'avis de faire prêter serment à al-Malik al-'Adil Saïf ad-Din Abou Bakr, fils d'al-Malik al-Kâmil, et de laisser comme gouverneur à Damas le cousin de ce prince, al-Malik al-Djavâd ibn Maudoud, parce qu'il n'était pas possible de confier le commandement de Damas à un homme qui n'appartiendrait pas à la famille souveraine, et que de plus, ils ne voulaient pas donner ce poste à al-Nasir dont ils redoutaient l'ambition. Les émirs envoyèrent à al-Malik an-Nasir-Daoud l'ordre de partir de Damas; la population avait une grande sympathie pour lui ; aussi, quand il fut monté à cheval pour sortir de la ville, les gens se portèrent à sa rencontre, et l'appelant par son nom, le supplièrent de rester; mais il partit pour se rendre dans ses états. La plus grande partie de l'armée s'en retourna ensuite en Egypte, à l'exception de quelques officiers qui restèrent auprès d'al-Malik al-Djavâd; parmi eux, se trouvaient l'émir ‘Imad-ad-Dîn, fils du cheikh des cheikhs, et l'émir 'Izz ad-Din ibn Kilidj.
L'armée égyptienne, dit Djémal ad-Din (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 311 r°) retourna au Caire sous le commandement des émirs Fakhr-ad-Din, Mou’în ad-Din et Kamal-ad-Dîn, tous les trois fils du cheikh des cheikhs et de Saïf ad-Din Kilidj ; tous les dignitaires de l'état quittèrent également Damas, à l'exception de ceux qui étaient restés dans cette ville avec al-Malik al-Djavâd. Quant à al-'Adil, à peine fut-il installé en Egypte, qu'il commença par faire ouvrir le trésor; il distribua de grandes sommes d'argent, de telle sorte qu'il gaspilla en peu de temps tout ce qu'al-Malik al-Kâmil avait économisé. De plus, il se livra à tous les plaisirs imaginables, et il éloigna de la cour les gens sensés dont s'entourait son père.
[2] Temporairement, ou comme don de joyeux avènement.
[3] Qu'ils avaient déjà prêté à Damas.
[4] Djémal ad-Din ibn Wasil dit dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 315 v°) que ce souverain ne prit même pas la peine de cacher la joie que lui causa la mort d'al-Malik al-Kâmil.
Quant au prince de Hamâh, al-Malik al-Mothaffar, il campait avec son armée à ar-Rastan, attendant l'arrivée d'al-Malik al-Kâmil pour aller faire avec lui le siège de Homs; la nouvelle de la mort du sultan d'Egypte l'attrista vivement; il retourna immédiatement à Hamâh et il fit célébrer un service funèbre dans la grande mosquée de cette ville. Al-Malik al-Moudjahid envoya alors ses généraux s'emparer de Salamiyya, qui appartenait au prince de Hamâh; ils coupèrent les canaux qui amènent l'eau dans cette ville.
[5] Comme nous l'apprend Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 315 v°), cette ville appartenait au prince de Homs, al-Malik al-Moudjahid.
[6] Ou, eurent envie de s'emparer de cette ville pour leur propre compte.
[7] En 955 des Martyrs = 637 H., l'eau du Nil, dit l'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 308, page 384), arriva à l'étiage de 16 coudées et 8 doigts; la plupart des digues étaient rompues; on prenait grand soin de leur entretien sous le règne d'al-Malik al-Kâmil, mais quand ce sultan fut mort, on ne s'en occupa plus. Les gouverneurs et les préfets ne furent plus occupés que de leurs ambitions et ils ne songèrent pas à réparer les digues, de telle sorte que la plupart se rompirent. Parmi ces digues, il y avait celle de Djizeh ; c'était une digue immense qui retenait les eaux des districts de Behnasa. Quand elle céda, l'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr, inspecteur des bureaux, alla la visiter; il y resta un certain temps et il y dépensa des sommes considérables, tant en argent qu'en matériel, mais il lui fut impossible d'aveugler la voie d'eau. — Cette même année, le pays fut mis au pillage par les Arabes qui s'étaient insurgés dans le Sa'id; ils pillèrent les habitants et capturèrent les paysans dans plusieurs villages. Les vivres devinrent chers ; le prix de l'ardeb de blé monta à un dinar, et l'orge se vendit presque aussi cher; jamais l'on n'avait encore vu l'orge être presqu'au même prix que le froment. Toutes les denrées devinrent chères, le prix de l'or baissa; un dinar se changeait contre douze dirhems nokra et un quart ou un huitième, ou contre 35 dirhems varak et un quart. Ce fait tenait à plusieurs causes ; l'une consistait en ce que le sultan avait distribué des sommes d'argent aux émirs et aux troupes; cela fit monter le prix des denrées, parce que les gens possédaient beaucoup d'argent, surtout les soldats, qui pouvaient payer une grande jarre de vin vieux quatre dirhems nokra.
[8] Le texte de Makrizi porte ici « quand il fut sur le point de s'emparer de Damas (sic) » ; il y a dans ce passage une faute évidente, et il faut lire Sindjar, comme on le voit aisément par ce qui précède.
[9] Le manuscrit porte ba'ada, mais il faut lire ba'atha avec le th à 3 points.
[10] Djémal ad-Din ibn Wasil donne à ce personnage, dans le Mofarradj-al-kouroûb (fol. 318 r°), le nom de Badr ad-Din Youssouf ibn al-Hasan al-Zarzarâi ; il avait joué un rôle du temps d'al-Malik al-Ashraf et, après la mort de ce prince, il était venu prendre du service chez al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub. Quand al-Malik al-Ashraf était devenu souverain de Damas, il l'avait nommé kadi de Baalbek, c'était un homme très généreux, qui avait autour de lui un grand nombre de clients et de mamlouks, comme les plus grands émirs.
La situation était particulièrement délicate, car très peu de temps auparavant, les Kharezmiens avaient fait alliance avec le prince de Mardîn pour venir attaquer les états d'al-Malik as-Sâlih ; ils étaient même venus assiéger la ville de Harrân, dans laquelle al-Malik as-Sâlih avait laissé son fils al-Malik al-Moughith Fath ad-Din 'Omar. Al-Moughith, voyant qu'il ne pourrait résister aux Kharezmiens, s'enfuit en se cachant ; ceux-ci se mirent à sa poursuite, et lui prirent tout ce qu'il possédait, de sorte qu'il arriva à Manbidj avec quelques soldats. Il demanda du secours à sa tante, la régente d'Alep, qui lui conseilla de ne pas venir à Alep, dans la crainte, que le sultan du pays de Roum ne demandât qu'il lui fût livré. Il s'en retourna alors à Harrân. Ce fut dans cette ville qu'il trouva une lettre de son père lui ordonnant de s'unir aux Kharezmiens et de marcher en toute hâte sur Sindjar pour débloquer cette place. Il alla immédiatement se joindre à eux, ainsi que le kadi Badr-ad-Din. Pour se les attacher, le kadi de Sindjar leur promit qu'on leur donnerait en fief les villes de Harrân et de Rohâ ainsi que d'autres localités ; ces promesses les enthousiasmèrent, de sorte qu'ils prêtèrent serment de fidélité à al-Malik as-Sâlih-Nadjra ad-Din Ayyoub, et qu'ils furent enchantés d'être commandés par son fils al-Malik al-Moughith-Fath ad-Din 'Omar. Quand les Kharezmiens furent arrivés près de Sindjar, le prince de Maûsil, Badr ad-Din Loulou leva précipitamment le siège, laissant ses bagages tomber aux mains des Kharezmiens. Al-Malik as-Sâlih Ayyoub avait un autre fils, al-Malik al-Mo'aththam Ghiyâth ad-Din Tourânshâh, qui se trouvait dans Amid, avec l'émir Hosâm ad-Din Abou 'Ali ibn Mohammad ibn Abou 'Ali-al-Hadbani, ostaddar d'al-Malik as-Sâlih. Ce personnage avait d'abord été au service d'al-Malik al-Mothaffar, prince de llamàh.et, après l'avoir quitté, il s'était attaché au service d'al-Malik as-Sâlih (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 318 v°). Le sultan du pays de Roum envoya une armée pour faire la conquête d'Amid. Après s'être emparées de plusieurs citadelles, ces troupes vinrent mettre le siège devant Amid où se trouvait al-Malik al-Mo’aththam Tourânshâh ; mais les Kharezmiens marchèrent sur cette ville et mirent en fuite les troupes du paye de Roum.
[11] Le texte porte al-sahib (sic).
[12] Djémal ad-Din ibn 'Wasil raconte le même fait dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 315 v°). Les Halébins avaient eu assez à se plaindre d'al-Malik al-Kâmil pour ne pas tenir beaucoup à l'alliance de son fils et de son petit-fils.
La régente réunit alors al-Malik al-Mo'aththam, fils de Salah-ad-Dîn, ses autres frères, ses proches et les émirs qui prêtèrent serment à al-Malik al-'Aziz et à elle-même en qualité de régente du royaume durant la minorité de son fils. En même temps, on réunit des provisions et des munitions pour le cas où l'on aurait à soutenir un siège ; on enrôla des Kharezmiens et des Turcomans de l'émir Kanghar dans l'armée d'Alep. La régente envoya ensuite le sahib Kamal ad-Din ibn al-'Adim en ambassade auprès du sultan seldjoukide du pays de Roum Ghiyâth ad-Din Kaï-Khosrav ; on pourra lire la relation que cet homme d'état a faite de son ambassade dans la Revue de l'Orient Latin.
[13] C'était, comme on a déjà eu l'occasion de le remarquer plus haut, une véritable manie chez les souverains seldjoukides du pays de Roum, de se faire reconnaître comme suzerains par le plus grand nombre de princes possible.
[14] Ce terme désigne non seulement les chanteuses, mais toute une classe d'artistes de mœurs faciles que l'on trouve dans tout l'Orient.
[15] Ceux qui avaient été pris par al-Malik al-Djavâd à la bataille de Nabolos et qu'il envoyait à al-'Adil, en apparence pour faire acte de vassalité, mais en réalité, pour lui montrer qu'il avait des troupes solides et qu'il était en état de se défendre ; cela explique le dépit du sultan d'Egypte.
[16] Shâhid signifie souvent inspecteur des finances, mais ce sens ne convient pas ici ; les 'adel exerçaient sous le contrôle du kadi l'authentification des conventions et des contrats conclus par le public. C'était donc des charges officielles de notaires qui étaient créées à Damas.
[17] On a vu plus haut que ce personnage, qui était l'un des familiers d'al-Malik al-Kâmil, avait été accrédité par ce sultan auprès de l'empereur Frédéric II, quand ce dernier était venu prendre possession de Jérusalem.
[18] Le texte de Makrizi dit simplement : « il fut investi de la charge appelée. nakàbat-al-ashraf ». Nakabat est le nom de la fonction du nakib; ce dernier mot signifie littéralement « surintendant » ou « chargé d'affaires d'une société ». Quant à ashraf, c'est la dignité du moshraf qui signifie également « surintendant », mais plus spécialement « surintendant du trésor »; ce n'est pas ce sens qui convient ici, et il est possible qu'il faille prendre ashraf dans le sens de ashraf-al-mamalik, c'est-a-dire la « surintendance du royaume ». Le grand officier de la couronne qui était investi de ces importantes fonctions avait rang immédiatement après le vizir (Quatremère, Histoire des sultans mamlouks de l’Egypte, tome I, partie I, page 10). Toutefois il n'est pas impossible qu'il faille traduire nakabat-al-ashraf par « la surintendance sur tous les Alides résidant en Egypte ». Dans ce cas, el-Armavi, qui était un alide, aurait rempli des fonctions représentatives assez analogues à celles des maréchaux de la noblesse dans l'empire russe.
[19] D'après Yakout (Mo’djam-al-bouldân, tome III, p. 89), c'est le nom d'une petite ville qui se trouve à quatre ou cinq jours de marche de la Mecque sur le bord de la mer près de Djoudda; il existe une autre localité du même nom qui dépend de la province de Sana'â. Parmi les personnages connus, originaires de la première, on cite Abou-Haroun-Moussa ibn Mohammad ibn Kathir-al-Sirraïni, qui suivit les leçons de 'Abd-al-Malik ibn Ibrahim-al-Djouddi, et qui fut le professeur de Tabarâni.
[20] Voici quel était, au commencement de l'année 636 de l'hégire, la division de l'empire ayyoubide :
Al-Malik al-'Adil Saïf ad-Din Abou Bakr régnait en Egypte; al-Malik an-Nasir Daoud, à Karak; al-Malik al-Djavâd, à Damas ; al-Malik al-Moudjahid était prince de Noms; al-Malik al-Mouthaffar, était prince de Hamâh, ou il était assiégé par les troupes d'Alep, sous le commandement d'al-Malik al-Mo'aththam, fils de Salah ad-Din ; enfin, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub était à Sindjar.
[21] Akàma, c. à. d. « il lui donna la charge de kàim-makâm ».
[22] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 390) dit que Misr, le Caire et la Forteresse de la Montagne furent brillamment pavoisées à l'occasion de l'arrivée d'al-Malik an-Nasir et que ce prince intercéda auprès du sultan en faveur des émirs et des troupes de la garde impériale. Il envoya l'un de ses officiers auprès d'eux pour les ramener dans le devoir et mettre fin aux regrettables incidents qui avaient signalé le commencement du règne d'al-'Adil.
[23] On peut également comprendre que ce fut al-Nasir qui fit croire au sultan d'Egypte qu'al-Djavâd avait des partisans dans l'armée égyptienne.
[24] Djémal ad-Din raconte dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 320 v°) que le sultan d'Egypte, furieux de voir al-Malik al-Djavâd se conduire à Damas comme un vrai souverain, fit venir les quatre fils du grand cheikh, Modjîr-ad-Dîn, 'Imad ad-Din, Kamal ad-Din et Mou’în ad-Din et qu'il leur exprima sa colère. L'émir 'Imad ad-Din demanda nettement à al-Malik al-Djavâd de renoncer à la vice-royauté de Damas, en le menaçant de l'intervention immédiate de l'armée égyptienne s'il s'y refusait; il lui promit au nom de son souverain un dédommagement sérieux en Egypte.
[25] Le manuscrit de Makrizi porte à tort ici « prince de Damas ». C'est une erreur évidente.
[26] Le texte dit qu'ils se promirent d'être » comme une seule main ».
[27] La lecture de ce mot (kariat) est très douteuse dans le manuscrit.
[28] Ce mot désigne les gens que les Ismaïliens employaient pour ces sortes de besognes; il est difficile de dire exactement à quel stade de la hiérarchie religieuse de la secte ils appartenaient.
[29] Abou 'l-Mahâsin prétend, dans son Egypte, que c'était par suite de l'influence d’Imad-ad-Dîn, fils du cheikh des cheikhs, que Damas avait été donnée à al-Malik al-Djavâd, et que ce fut la cause de la colère d'al-'Adil contre l'émir. C'est alors que cet émir aurait offert au sultan de lui amener al-Djavâd (ms. ar. 1779, folio 86 recto). L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 388) dit que ‘Imad ad-Din fut assassiné en plein palais royal à Damas, et que ce crime fut le résultat des intrigues du prince de Homs. Il fut, parait-il, le premier ambassadeur des ayyoubides qui fut assassiné en service.
[30] Ecrit sans points diacritiques.
[31] Nom d'une citadelle située entre Nisibe et Mossoul, dépendante de Hisn-Keïfa (Yakout, Mo’djam-al-bouldân, tome II, page 42).
[32] Djémal ad-Din ibn Wasil raconte dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 322 verso), que le prince de Homs leur paya une forte contribution de guerre; cela détermina al-Malik al-Mothaffar à renoncer à continuer le siège de Homs.
[33] Dans les fiefs qu'ils tenaient de la libéralité d'al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 322 v°).
[34] Djémal ad-Din raconte dans le même passage du Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 322 v°) que le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub envoya également demander à son oncle, al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, de conclure une alliance avec lui. Ce prince y consentit volontiers et se rendit à Damas pour s'entendre avec son neveu, puis il s'en retourna à Baalbek. Quand al-Malik al-'Adil apprit que son frère s'était emparé de Damas, il en fut extrêmement inquiet ainsi que la sultane sa mère et ses courtisans, d'autant plus qu'ils se rendaient parfaitement compte qu'il avait un grand nombre de partisans dans l'armée égyptienne et que, dans ces conditions, il n'avait qu'à marcher sur le Caire pour s'en emparer. Sur ces entrefaites, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub reçut à Damas, un ambassadeur que lui envoyait son cousin al-Malik an-Nasir-Daoud, fils d'al-Malik al-Mo'aththam. C'était l'émir Fakhr ad-Din Nasr-Allah ibn Bazaka, qui était chargé de lui offrir l'alliance de son maître contre al-Malik al-'Adil ; il lui demandait, au cas où il s'emparerait de l'Egypte, de lui céder Damas ainsi que tout le pays qui avait appartenu à son père. Al-Malik as-Sâlih le lui promit.
[35] Nom d'un village de Palestine qui se trouve en face de Ramla.
[36] Al-Malik al-Moudjahid-Asad ad-Din Shirkouh, prince de Homs.
[37] Peut-être la localité que Yakout connaît sous le nom de Djarbi (Mo'djam, tome II, page 48); Makrizi écrit al-harba.
[38] C'est, dit Yakout (Mo'djam, tome II, page 939), un col qui domine la Ghouta de Damas, par lequel on passe quand on se rend de Homs à Damas. C'est le Prophète qui donna à ce défilé le nom d'al-Ukâb. Djémal ad-Din ibn Wasil rapporte dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 323 v°) qu'al-Sâlih arriva dans cet endroit dans la première décade de Ramadan ; le texte du Souloûk est ici très corrompu et à peu près inintelligible.
[39] Cet émir, suivant Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 323 r°), avait été l'atabek du prince ayyoubide al-Malik al-Mo'aththam Ghiyâth ad-Din Tourânshâh; al-Malik as-Sâlih s'étant rendu maître de Damas, le pria de venir auprès de lui pour prendre soin des affaires de son gouvernement. Cet émir était, parait-il, un homme fort instruit et dont Djémal ad-Din, qui avait été en relation avec lui, avait conservé un bon souvenir. Parmi les fonctionnaires qui entouraient à cette époque al-Malik as-Sâlih, Djémal ad-Din ibn Wasil cite, dans le même passage du Mofarradj-al-kouroûb, le chef de la chancellerie (Katib-al-inshâ) Bahâ ad-Din Zohaïr, qui était très versé dans l'art épistolaire et qui tournait excellemment les vers, et le ministre de la guerre (nazir-al-djaïsh), Djémal ad-Din Yahya ibn Matrouh, homme également très instruit, qui comme poète rivalisait avec le Katib-al-inshâ Bahâ-ad-Din. Il ne faut pas oublier que l'auteur du Mofarradj était à cette époque avec l'armée d'al-Malik as-Sâlih (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 325 v°, ligne 9).
[40] Fakhr ad-Din Othman avait été l'ostaddar du sultan d'Egypte, al-Malik al-Kâmil (Djémal ad-Din, Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 323 v°) ; beaucoup de ces noms sont complètement estropiés.
[41] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 389) raconte qu'une partie de l'armée reçut l'ordre de se rendre à Bilbis et de s'y fixer. Plusieurs émirs partirent ainsi, accompagnés d'environ 3.000 cavaliers; parmi eux, il y avait un grand émir nommé Nour ad-Din ibn Fakhr ad-Din Othman ; il arriva qu'il eut une dispute avec le gouverneur de Bilbis ; ce dernier écrivit au sultan pour accuser l'émir d'avoir entretenu une correspondance avec al-Malik as-Sâlih et d'avoir reçu des envoyés de ce prince. Le sultan se défia dès lors de lui, et lui envoya l'ordre de se rendre à Rashid (Rosette) et d'y tenir garnison sans y voir personne (c'est-à-dire qu'il le mit aux arrêts). Cette ville faisait partie du fief militaire (khoubz) de cet émir ; il pensa qu'on ne l'envoyait là que comme disgrâce et il craignit que le sultan ne voulût le faire arrêter et jeter en prison ; il différa son départ, écrivit aux grands personnages de l'état et obtint que le sultan rapportât son édit. Malgré cela, des deux côtés, chacun garda ses soupçons. Plusieurs émirs étaient d'accord avec Nour ad-Din : c'étaient Izz ad-Din Aïbec-el-Kurdi, 'Izz ad-Din Aïbec, le djamdar, plus connu sous le nom de Kadîb-Altân, Saïf ad-Din al-Donaïsiri, Santar-al-Khârezmi et son frère, Alâ ad-Din ibn Schihâb ad-Din Ahmad, Nour ad-Din ibn al-Akta', Izz ad-Din Balaban-al-Modjâhidi, Rokn ad-Din 'Omar-al-Faïzi, Aïtikin al-'Azizi, 'Alam ad-Din Sandjar-al-Yamani. Ces émirs campaient tous ensemble et ils étaient tous d'un avis unanime; cela finit par devenir de notoriété publique. Le sultan leur envoya alors l'émir Fakhr ad-Din ibn al-Cheikh pour les calmer et pour les rassurer. Il leur écrivit une lettre autographe dans laquelle il leur disait qu'il n'y avait dans sa conduite rien qui put justifier leur défiance, et il ajoutait qu'il était tout disposé à s'engager par serment sur ce qu'ils voudraient. Cette démarche rassura les émirs ; ils écrivirent une formule de serment et la confièrent à l'émir Fakhr-ad-Din, fils du cheikh, qui retourna au Caire pour y recevoir le serment par lequel le sultan s'engagerait à respecter ce qui y était stipulé, comme l'avaient fait les émirs, qui promettaient de lui obéir, à la condition que l'on ne touchât pas à leur situation. Le sultan jura et la formule de serment fut rapportée aux émirs par l'émir Shodja ad-Din ibn Abi-Zakaria. Il arriva ensuite que l'un des émirs dont il vient d'être question, qui était resté au Caire et qui était gouverneur de Behnesa, Balaban-al-Modjahidi, quitta le Caire sans permission (destour) et s'en alla trouver ses camarades auprès desquels il se fixa; cela ranima les soupçons du sultan et le serment qui avait été prêté ne servit à rien. Fakhr ad-Din ibn al-Shaïkh partit pour se rendre à l'armée, accompagné de l'émir Bahâ ad-Din ibn Malkishou qui avait été gouverneur du Caire pendant un certain temps et qui fut ensuite investi des mêmes fonctions à Damas. Ils eurent une entrevue avec les émirs et ils leur parlèrent de la situation, leur disant que le départ de Balaban-al-Modjahidi sans permission était contraire à toute discipline. « Cela vous enchante, leur dirent-ils, tandis que c'est là une violation manifeste de la foi jurée. » Cette scène se passait le mercredi, vingt et unième jour du mois de Ramadan de l'année 636, date correspondante au 2 de Pashonsh. Ce même jour, une troupe de soldats turcs de la garde impériale (halka) complotèrent de sortir du Caire et de marcher contre les émirs [qui étaient à Bilbis] ; ils étaient environ deux mille cavaliers ; ils s'assemblèrent, s'équipèrent et partirent du Caire. Les émirs avaient des espions qui les tenaient au courant de ce qui se passait; l'un d'eux sauta à cheval, partit à bride abattue, et vint leur apprendre que la garde était sortie pour les faire prisonniers, sous le commandement de l'émir Faris ad-Din Khotlouba ; ce général et l'émir Sârim ad-Din al-Massoudi étaient en effet partis pour ramener à leurs devoirs les émirs; ceux-ci les firent prisonniers et les mirent sous bonne garde. Un autre de leurs espions arriva ventre à terre à leur campement de Bilbis et leur annonça (de nouveau) que la garde s'était mise en marche pour les faire prisonniers. Les émirs se levèrent, allèrent s'équiper et montèrent à cheval.
Quand Rokn ad-Din al-Hidjâvi et les Kurdes qui formaient le second corps de mille hommes de la garde impériale (?) apprirent ce qui était arrivé, ils prirent leurs armes, revêtirent leur équipement de guerre et tombèrent sur les émirs ; ceux-ci lâchèrent pied devant les partisans du sultan et ils reculèrent pas à pas jusqu'au crépuscule ; ils arrivèrent ainsi tout près de al-'Abbasa. La nuit sépara les combattants et les troupes du sultan s'en retournèrent à leur campement. Les émirs persistèrent dans leurs desseins, mais il n'y eut qu'un petit nombre de leurs partisans qui demeurèrent avec eux, parce que la plupart d'entre eux étaient retournés se soumettre au sultan pour ne pas perdre leurs maisons et leurs fiefs. Il arriva dans ce combat qu'un émir (de l'armée des émirs insurgés) nommé Ibn al-Akta fut fait prisonnier ; les émirs Fakhr ad-Din ibn al-Shaïkh et Rokn ad-Din al-Hidjâvi, ainsi que ceux qui se trouvaient avec eux, le traitèrent avec bonté et déclarèrent qu'il avait été fait prisonnier au moment même où il venait se soumettre au sultan. Le sultan fit venir cet émir au Caire, le gratifia d'un vêtement d'honneur et lui laissa son fief. Les émirs révoltés avaient avec eux les deux émirs (de l'armée du sultan) prisonniers ; ils furent tous d'avis de les remettre en liberté et d'envoyer cinq des plus notables d'entre eux au sultan pour lui demander une amnistie et lui faire jurer qu'il n'entreprendrait rien contre eux, et qu'on leur rendrait tous leurs apanages; ils disaient qu'ils n'avaient agi comme ils l'avaient fait que par crainte pour leurs personnes et non pour autre chose. Les deux émirs (de l'armée du sultan qui avaient été ainsi remis en liberté) et les cinq envoyés des émirs (révoltés) arrivèrent au Caire et ils parièrent au sultan de l'objet pour lequel ils venaient le trouver. Le sultan leur accorda ce qu'ils lui demandaient, il donna à ces cinq personnages des vêtements d'honneur et leur fit des cadeaux ; il les fit ensuite partir, les faisant accompagner par un de ses officiers nommé Bayân (?). Ils partirent du Caire, arrivèrent à Daroûm, mais ils ne trouvèrent pas ceux qu'ils cherchaient… l'officier et les cinq émirs revinrent sans avoir rien fait. Durant cette période, le pays était dans un trouble extrême et les gens étaient terrorisés par la crainte des émirs... Cette partie de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie est très obscure, les sujets sont mal indiqués et l'on ne sait si le compilateur comprenait le sens historique de ce qu'il copiait.
[42] « Al-mamàlik-al-sultâniyya » ; la traduction donnée dans le texte n'est qu'approximative et il vaut mieux traduire les « mamlouks sultaniens », car ces officiers n'étaient pas les mamlouks particuliers de tel ou tel sultan, mais bien les officiers de la maison militaire, dont le nombre était fixé invariablement par le protocole. L'auteur du traité d'administration intitulé Divan-el-inshâ, ms. arabe 4439, nous apprend que ces officiers se répartissaient en six classes : 1° les khassékis qui restaient auprès du sultan même lorsqu'il se retirait dans ses appartements privés pour y prendre du repos ; 2° les djamdârs; 3° les silahdars qui portaient les armes du sultan; 4° les saki, échansons. qui servaient le sultan à table; 5° les mamâlik-al-khidmat, ou mamlouks du service, qui n'avaient point, comme les précédents, d'emploi qui leur fût propre, mais qui, soit en voyage, soit dans le palais, se tenaient prêts à faire tout ce qui rentrait dans le service du sultan ; 6° les kitabiyyêh, ainsi nommés de Kitab, « livre », parce qu'ils recevaient par séries une instruction qui variait suivant leur âge, certains d'entre eux n'étant pas encore sortis de l'enfance. On les habituait au service du sultan, de façon à ce qu'au bout d'un certain temps, ils pussent passer dans la cinquième catégorie (même ms., fol. 123 verso). Cette organisation des Mamlouks, telle qu'elle se trouve donnée dans l'Inshâ, est celle de l'époque des sultans Mamlouks.
[43] C'est-à-dire que les émirs dont on vient de lire les noms plus haut, faisaient partie de l'armée envoyée en Palestine par le sultan d'Egypte, al-Malik al-'Adil, et qu'ils furent exaspérés de voir mettre l'émir Rokn ad-Din à leur tête.
[44] Ou peut-être « avec la milice », le mot arabe tâïfèh paraissant avoir quelquefois ce sens.
[45] Quand al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub partit de Damas pour aller faire la conquête de l'Egypte, il avait sous ses ordres environ 6.000 cavaliers ; parmi ses officiers, il y avait son fils aine, al-Malik al-Moughith-Fath ad-Din 'Omar; il avait ordonné à son second fils, al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh, de rester à Hisn-Keïfa et il avait laissé son troisième Ali al-Malik al-Kâhir, dans la citadelle de Damas avec son vizir San-ad-Din ibn Tadj ad-Din ibn Mahâdjar. Il y avait également ses deux oncles, al-Malik al-Mo'izz Modjîr ad-Din Yakoub, et al-Malik al-Amdjad-Takî ad-Din 'Abbâs, tous les deux fils d'al-Malik al-'Adil; al-Malik as-Sa'ïd et son frère al-Malik al-Amdjad-Takî ad-Din Bahram shâh, prince de Ba'lbak. Parmi les émirs, il y avait 'Izz ad-Din Aïbec al-Mo'aththami, prince de Sarkhad. Al-Malik as-Sâlih vint camper à Khirbatal-Lousous, ou il célébra la fête de la rupture du jeune avec les émirs égyptiens qui avaient trahi le sultan d'Egypte. Al-Malik as-Sâlih fut empêché d'aller à Nabolos parce qu'il apprit que son fils, al-Malik al-Kâhir, était mort à Damas. Il ordonna alors à ses troupes de partir; l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou-Ali se mit en marche avec une partie de l'armée, accompagné d'al-Malik al-Moughith. Al-Malik al-Sâlih partit ensuite et se dirigea vers Nabolos, après qu'il eut appris qu'al-Malik al-Nasir-Daoud s'était rendu en Egypte. Il vint habiter le palais d'al-Malik al-Mo'aththam et il demeura dans cette ville jusqu'à la fin de l'année (Mofarradj, folio 323 v°).
[46] Dans un passage antérieur de la chronique de Makrizi, ce personnage est nommé Ibn Saddaka.
[47] Ce prince se nommait Nadjm ad-Din Ghazi; il eut pour successeur, en 658, son fils Kara-Arslan-Mothaffar
[48] Ce nom est douteux.
[49] L'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie raconte (ms. ar. 302, page 391) que deux tribus arabes, l'une celle des Djouddâm, l'autre celle des Tha'aliba demeuraient toutes les deux dans la province orientale (sharkiyya) de l'Egypte, et que depuis longtemps elles étaient en lutte continuelle. A cette époque, elles se livrèrent plusieurs combats dans lesquels un certain nombre d'Arabes furent tués des deux côtés. Les Tha'aliba avaient embrassé le parti du sultan d'Egypte, tandis que les Djouddâm étaient du côté du sultan de Syrie : les Tha'aliba demandèrent secours aux Sounbas qui vinrent des pays de l'Ouest (où ils campaient) tandis que les Djouddâm appelaient à leur aide les tribus de Mazata et de Zanâta, qui vinrent de la province de Bohaïra. Ce fut une époque de terreurs et de violences et les chemins furent coupés. Le sultan envoya plusieurs émirs avec des troupes pour rétablir la paix entre ces tribus arabes, et elles conclurent une trêve après que bien des gens eurent été tués des deux côtés.
[50] Quand le sultan rentra au Caire, il apprit que l'armée se révoltait contre lui; il partit immédiatement et fit arrêter trois émirs : Fakhr-ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, qui était le plus important des officiers généraux; Fath ad-Din Soleïman, fils de Akhi-Schihâb ad-Din Ahmar, l'un des courtisans les plus intimes du sultan et qu'Allah avait gratifié de très grands biens; Zaïn ad-Din Ghâr. Il fit enfermer Fakhr-ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, dans l'une des tours de la citadelle, celle même dans laquelle le prince d'Amid avait été détenu; quant aux deux autres, il les fit jeter dans le cachot qui se trouvait dans la citadelle (Histoire des Patriarches d'Alexandrie, ms. ar. 302, page 393).
[51] Synonyme de nâzir-al-djaïsh, appliqué plus haut au même personnage.
[52] Il n'y a point de sujets indiqués dans le texte, de telle sorte que l'on pourrait traduire : « Quand al-Malik al-Sâlih Ismâ’îl fut arrivé à Baalbek... » mais il n'y a pas à douter qu'il s'agit ici de l'arrivée de Sa'd ad-Din à Baalbek.
[53] Où résidait, comme on vient de le voir, ‘Imad ad-Din Ismâ’îl, qui cherchait à dépouiller de ses états le véritable destinataire de la dépêche, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub.
[54] Makrizi a abrégé de façon à le rendre, comme on le voit, difficilement compréhensible, ce passage qu'il a probablement copié dans l’Histoire des ayyoubides d'Ibn Wasil ou dans Aboulféda. Je ne crois pas inutile de donner en note la traduction du fragment d'Ibn Wasil dans lequel se trouve raconté le stratagème de ‘Imad ad-Din Ismail. Djémal ad-Din ibn Wasil raconte dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 326 r°), que le fils du prince de Baalbek, al-Malik al-Sâlih Ismâ’îl, al-Malik al-Mansour-Nour ad-Din Mahmoud se trouvait à cette époque à Nabolos auprès de son cousin, al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, en qualité de représentant de son père. Al-Sâlih Ismâ’îl correspondait en secret avec le sultan d'Egypte, al-Malik al-'Adil, et il lui disait qu'il avait l'intention bien arrêtée d'enlever Damas et que, lorsqu'il serait arrivé à ce résultat, il se contenterait de la gouverner comme vice-roi au nom du sultan d'Egypte. Il promettait d'y faire réciter la khotba à son nom et d'y faire frapper la monnaie à son chiffre. Il envoya également plusieurs ambassades au prince de Homs, al-Malik al-Moudjahid, pour lui faire part de son dessein et pour déterminer les conditions auxquelles ce souverain lui prêterait son concours pour enlever Damas à Nadjm ad-Din Ayyoub. Ce fut quand Nadjm ad-Din Ayyoub apprit que al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ’îl s'apprêtait à venir le trouver qu'il lui envoya le médecin Sa’ad ad-Din auquel il remit des pigeons pour le tenir au courant jour par jour des événements qui allaient se produire. Il arriva alors, dit Djémal ad-Din (ibid.) une aventure extraordinaire, telle qu'on n'en voit jamais. Quand le médecin Sa'd ad-Din arriva à Baalbek, al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ’îl le fit loger chez lui; en même temps, il remplaça les pigeons qui étaient dans la cage de Sa’ad ad-Din par les pigeons du colombier de la citadelle, sans que le médecin s'aperçût de cette substitution. Ensuite, le prince de Baalbek rassembla ses troupes et se prépara à aller s'emparer de Damas. Dès que Sa'd ad-Din eut été averti du dessein de Imad ad-Din Ismâ’îl, il écrivit à son souverain, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, une dépêche sur une feuille de papier pelure, pour lui faire connaître qu’Imad ad-Din Ismâ’îl le trompait indignement et qu'il faisait tous ses efforts pour aller s'emparer de Damas ; il attacha la dépêche à l'aile d'un des pigeons. On a vu que le prince de Baalbek avait remplacé les pigeons que Nadjm ad-Din Ayyoub avait confiés à Sa'd ad-Din par les siens propres, de telle sorte que le pigeon à l'aile duquel le médecin avait attaché sa dépêche s'en retourna immédiatement au colombier de la citadelle. Le gardien du colombier (al-barradj) la détacha et la porta à al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl qui vit que son dessein avait été éventé par Sa'd ad-Din. Il fit alors écrire une dépêche qu'il signa du nom de Sa’ad ad-Din et l'attacha à l'aile de l'un des pigeons qu'il avait pris dans la cage que le médecin avait apportée avec lui; il fit écrire dans cette lettre que « le serviteur (al-maûla) ‘Imad ad-Din 'Ismâ’îl se préparait à aller rejoindre incessamment l'armée victorieuse à Nabolos ». Le pigeon arriva au camp d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub qui prit connaissance de cette dépêche et qui, ne soupçonnant pas la fraude, fut enchanté et attendit l'arrivée de son oncle, le souverain de Baalbek. Cela permit à ‘Imad ad-Din Ismâ’îl de compléter la mobilisation de son armée; quand il eut terminé, il écrivit à son fils, al-Malik al-Mansour, de venir le rejoindre; Nadjm ad-Din le laissa partir, se figurant que c'était pour le laisser à Baalbek pendant le temps qu'il serait auprès de lui; toutefois, il envoya son fils, al-Malik al-Moughith-Fath ad-Din 'Omar, à Damas pour résider dans la citadelle. — On trouve cette même histoire racontée par Aboulféda, ms. ar. 150S, fol. 305 recto, Bataïk, singulier bitaka, papier pour dépêches, n'est point le grec πιττάκιον, comme le croyait Fluegel et comme Lane l'a répété après lui, mais bien le turc oriental bitek « écrit », cf. bitekitchi « celui qui écrit les actes officiels »·; ce mot se retrouve en mongol sous la forme bitchik « écriture, livre, lettre », cf. bitchimal « écrit », et en mandchou sous la forme de pitkheï; il est à présumer, comme je l'ai déjà dit dans un autre travail, que ces mots se rattachent au sanskrit pitaka » corbeille dans laquelle on met les livres ».
[55] Litt. : « Il poursuivait la paix » kasada-al-soulh.
[56] Al-Malik al-Mothaffar avait imaginé cette ruse parce que, pour aller de Hamâh, sa capitale, à Damas, il fallait passer par les terres du prince de Homs, ce qu'on ne pouvait faire, sans le tromper sur le but réel de l'expédition.
[57] Parmi les personnes qui furent ainsi arrêtées, Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 328 r°) cite le médecin Mouvaffik ad-Din Mohammad ibn Abou’l Khaïr qui était connu pour son habileté, et le médecin Zain ad-Din Sa'd Allah ibn Sa'd Allah ibn Wasil, cousin de l'historien Ibn Wasil. Mouvaffik ad-Din mourut dans sa prison des coups qu'il reçut; quant à Zaïn-ad-Dîn, il eut la chance que le prince de Masyâf, souverain des Ismaïliens, intercéda en sa faveur; il fut remis en liberté après quelque temps. Parmi les officiers qui furent emprisonnés, Djémal ad-Din (ibid.) nomme l'émir Badr ad-Din Mohammad ibn Abou 'Ali-al-Hadbani, père de l'émir Hosâm-ad-Dîn, l’ostaddar du sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub et oncle de l'émir Saïf ad-Din ibn Abou 'Ali-al-Hadbani, et l'émir ‘Alâ-ad-Dîn. Cet échec privait le prince de Hamâh d'une grande partie de son armée et le forçait à rester simple spectateur des événements qui allaient se produire.
[58] Djémal ad-Din ibn Wasil (ms. ar. 1702, folio 328 r°) raconte que Imad ad-Din Ismâ’îl passa par le Défilé de Fer (Akaba-démir) et le prince de Homs par Thaniyyat al-'Ukab, au mois de Safer de cette année. La ville étant à peine défendue, ne put résister longtemps (ms. ar. 1702, folio 328 v°); un détachement de troupes de l'armée d'al-Malik as-Sâlih escalada le mur du khan d'Ibn al-Mokaddam qui se trouve tout prés de la porte du Paradis (Bâb-al-Farâdîs), les assaillants brisèrent la serrure de la porte, et des traîtres qui se trouvaient dans la ville les aidèrent à y entrer; c'est ainsi que Damas succomba. Les deux princes rassurèrent les habitants qui craignaient un massacre général et leur dirent d'acclamer le sultan d'Egypte, al-Malik al-'Adil, dont ils n'étaient que les lieutenants. Al-Malik as-Sâlih alla demeurer dans sa maison située dans la rue Darb al-Sha’ârin, et al-Malik al-Moudjahid alla loger près de la grande mosquée, dans un hôtel qui lui appartenait. Al-Malik al-Moughith-Fath ad-Din 'Omar se retrancha dans la citadelle avec une poignée d'hommes, mais au bout de trois jours d'attaques incessantes, il se vit obligé de se rendre à discrétion. Le malheureux prince mourut chargé de chaînes dans un cachot de l'une des tours de la forteresse.
[59] D'après Djémal ad-Din (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 329 r°), al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub fit partir son ostadar dès qu'il apprit que les deux princes marchaient sur Damas, et l'émir apprit en route la prise de cette ville ; c'est bien d'ailleurs ainsi que l'entend Makrizi, mais il s'explique si mal, qu'on risque de comprendre tout le contraire.
[60] De plus, la plus grande partie des soldats d'al-Malik as-Sâlih avaient leurs familles à Damas et ils craignaient, en restant auprès de ce prince, d'attirer sur elles des représailles de la part d'al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ’îl et d'al-Malik al-Moudjahid (Djémal-ad-Dîn, Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 329 r°). Tous les princes qui se trouvaient avec lui lui envoyèrent, pour la forme, demander la permission de le quitter pour se rendre à Damas; et, à peine l'eurent-ils obtenue, qu'ils se mirent en marche. C'étaient al-Malik al-Mo'izz Modjîr ad-Din Yakoub, al-Malik al-Amdjad-Takî ad-Din 'Abbâs, tous les deux fils du sultan al-Malik al-'Adil, al-Malik al-Mothaffar, al-Malik as-Sa'îd, tous les deux fils du prince de Baalbek, al-Malik al-Amdjad et al-Malik al-Mothaffar, fils du prince de Homs.
[61] Kamini (?), dans le Mofarradj, fol. 329 v°.
[62] Soixante-dix, suivant Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 329 v°).
[63] Quand toutes ses troupes furent parties, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din resta dans son camp jusqu'à la tombée de la nuit (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 329 v°) et il défendit d'allumer les flambeaux et les torchères, puis il partit avec les rares mamlouks qui lui étaient restés fidèles dans cette catastrophe. Plusieurs personnes lui conseillèrent de se rendre à Shakif, et de s'y retrancher, mais il n'y voulut point consentir, car il craignait d'être attaqué par al-Sâlih Ismâ’îl ; d'autres, de se réfugier dans la Mésopotamie où il possédait la citadelle à peu près inexpugnable d'Hisn-Keïfa et la forteresse d'al-Hitham dans lesquelles il était invraisemblable que le nouveau prince de Damas songeât à le pourchasser. Mais il préféra se rendre à Nabolos et y demander asile à son cousin al-Malik al-Nasir. Djémal ad-Din raconte qu'au lever du soleil, les quelques mamlouks qui composaient l'escorte du prince furent eux-mêmes étonnés de se voir en si petit nombre.
[64] Celui qui devait plus tard devenir sultan d'Egypte, comme le fut avant lui l'émir 'Izz ad-Din Aïbec qui était demeuré avec Nadjm ad-Din Ayyoub après que toute son armée eut fait défection.
[65] Djémal ad-Din dit mémo que an-Nasir-Daoud envoya ses deux fils auprès d'al-Malik as-Sâlih pour être à sa disposition (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 331 v°) ; Daoud logea al-Sâlih non dans les cachots de la citadelle, mais bien dans son palais, qui était inclus dans l'enceinte de la forteresse et il l'assura qu'il n'agissait ainsi que pour le soustraire aux intrigues de ses ennemis.
[66] Ce personnage était katib-al-inshâ, c'est-à-dire chef de la chancellerie et des bureaux diplomatiques (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 331 v°).
[67] D'après Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 332 r°) le sultan d'Egypte, al-Malik al-‘Adil, fils d'al-Malik al-Kâmil, montra la joie la plus vive du malheur qui venait de frapper son frère, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub; on battit les tambours et les deux villes du Caire et de Misr furent pavoisées comme au lendemain des plus grandes victoires; on plaça au-dessous de la citadelle d'énormes cuviers que l'on remplit de sirops (djoulab) à l'intention de la multitude. En même temps, le sultan envoya a son cousin, al-Malik an-Nasir-Daoud, l'émir 'Alâ ad-Din ibn al-Nabolosi comme ambassadeur chargé de lui demander de lui envoyer sous bonne garde son frère, al-Malik as-Sâlih Nadjm-ad-Din. Mais le prince de Karak se refusa à une pareille félonie. Dans le même passage de sa chronique, Djémal ad-Din donne sur l'ambassadeur d'al-Malik al-'Adil quelques renseignements biographiques que je ne crois pas utile de recueillir ici. Comme l'indique son nom, sa famille était originaire de la petite ville de Nabolos et il était le cousin de Chams-ad-Din, kadi de cette ville. Le texte porte djoullab ; d'après le Mohit cité par Dozy, ce mot désigne de l'eau dans laquelle on a fait tremper des raisins secs ; ce sens est beaucoup trop restreint ; la forme djoullab est une erreur et il faut lire djonlab, transcription du persan goul-âb, litt. eau de rose.
[68] On se rappelle que Jérusalem avait été cédée aux Francs par le sultan d'Egypte al-Malik al-Kâmil, père du sultan al-Malik al-'Adil, en l'année 620; les Francs n'y devaient faire aucune fortification et ils étaient tenus de laisser la ville dans l'état de délabrement où elle se trouvait quand ils la reçurent. On comprend que les princes ayyoubides ne tenaient pas à voir se relever les fortifications d'une place aussi importante, tombée, par suite des circonstances les plus malencontreuses, aux mains de leurs ennemis. Au milieu de l'anarchie qui désolait l'empire des ayyoubides depuis la mort d'al-Malik al-Kâmil, les Francs espéraient que la reconstruction de l'enceinte fortifiée passerait inaperçue ou, tout au moins, que les princes de la famille de Saladin, tout entiers à leurs discordes, ne trouveraient ni le temps ni les moyens matériels de s'opposer à leurs desseins.
[69] Il y a dans ces trois vers, ou plutôt dans les deux derniers, un jeu de mots sur le mot Nasir employé comme adjectif et comme nom propre. Le premier Nasir dont il est question dans le troisième vers est al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din Yousouf, le fondateur de la dynastie ayyoubide, le second, al-Malik-an-Nasir-Daoud. Les poètes arabes recherchent ce procédé qui nous semble puéril, avec beaucoup de soin, et on en a déjà vu un exemple, au cours de cette traduction.
[70] Akhaza bi-maûkabihim wa.aknâdihim (man. aknârihim). On peut voir dans le Supp. de Dozy les références du mot maûkab qui signifie « troupe de cavalerie » par opposition à l'infanterie; et encore, faut-il comprendre ici « cavalerie d'élite », comme maûkab le signifie dans plusieurs passages des historiens de l'Egypte.
[71] Voici comment l'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 395 et sqq.) raconte ces événements : Quand la trêve fut expirée, les Francs évacuèrent Jérusalem, de telle sorte qu'il ne resta plus dans cette ville qu'un seul chevalier et soixante-dix fantassins qui s'établirent dans la tour de David. Le sultan envoya alors à Ghaza deux mille cavaliers sous le commandement de plusieurs émirs, pour garder le pays. Les Francs s'étaient rendus à 'Ascalon et ils y avaient installé leur campement dans l'intention de relever cette ville de ses ruines. Ils montèrent à cheval et, après s'être rassemblés, ils se dirigèrent vers Karitâ (?) où ils se rencontrèrent avec l'armée musulmane qui était en garnison à Ghaza; ils eurent l'avantage depuis l'aube jusqu'à midi ; mais les Musulmans se ressaisirent alors que les Francs furent exténués, et ils reprirent l'offensive; ils en firent prisonniers un certain nombre ; les Francs leur avaient également tué du monde et leur avaient aussi fait des prisonniers, parmi lesquels se trouvaient des émirs et des officiers supérieurs. Quant au sultan, il partit avec le reste de ses troupes et s'en revint au Caire; il en sortit quelque temps après pour se rendre à la chasse, après avoir ordonné de se saisir de la personne des émirs qui l'avaient trahi et de mettre au pillage leurs maisons, ainsi que tout ce qui leur appartenait...
Les combats qui eurent lieu cette année entre les Francs et les Musulmans se terminèrent par la défaite des Francs; cela eut pour cause que ces Francs venaient des contrées de l'Occident, qu'ils ignoraient la topographie du pays et aussi qu'ils n'étaient pas au courant de la tactique que les Musulmans employaient dans les combats. Les Francs (qui venaient des pays occidentaux) se divisèrent en plusieurs corps et s'enfoncèrent dans l'intérieur du pays; les Francs qui étaient établis dans le Sahel et qui voulaient posséder le pays à eux seuls, les laissèrent se débrouiller, préférant, suivant leur habitude, s'allier avec leurs ennemis contre les gens de leur religion. Tout d'abord, les Musulmans reculèrent devant eux, les attirant à leur suite dans l'espoir d'un succès facile ; ils se dispersèrent ensuite et les Arabes entourèrent les Francs de tous côtés; on leur fit prisonniers un grand comte et environ quinze chevaliers et plus de cinq cents fantassins ; leurs pertes en morts s'éleva au double de ce nombre. Du côté des Musulmans, il n'y eut de tué qu'Ibn Khallikan et quelques gens sans importance.
Les prisonniers furent amenés au Caire et le jour où ils y entrèrent fut un jour de fête ; on fit monter le comte et les chevaliers sur des mulets, et les fantassins sur des chameaux. Il y avait avec eux un prêtre que l'on fit également monter sur une mule. Le sultan traita le comte avec égards; j4 ne le fit pas enchaîner, mais, au contraire, il lui assigna une tour comme lieu de sa détention, et il lui fit donner tout ce dont il avait besoin. Quant au prêtre et aux chevaliers, il leur fit mettre des fers aux pieds et il les fit attacher avec des chaînes de fer; les fantassins furent également enchaînés et on leur fit exécuter des travaux dans la Citadelle (de la Montagne).
Al-Malik an-Nasir, prince de Karak, marcha après cette défaite (des Francs) sur Jérusalem et s'en empara; il fit massacrer tous les Francs qui s'y trouvaient, et on fit une grande khotba pour rendre grâces à Allah.
[72] Mohyî ad-Din et Djémal ad-Din ibn Matrouh se rendirent à Damas pour chercher à arranger les affaires si déplorablement compliquées des Ayyoubides. Mohyî ad-Din alla loger dans la maison d'al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ’îl, située dans la rue Darb-al-Sha’arin et Djémal ad-Din descendit dans le collège d’Izz ad-Din Aïbec al-Mo'aththami, prince de Sarkhad. Al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din venait tous les jours rendre visite à l'ambassadeur du khalife abbasside et ce dernier cherchait à rétablir la paix entre lui, al-Malik an-Nasir-Daoud et le sultan d'Egypte, al-Malik al-'Adil ; mais il n'y avait pas moyen d'arriver à ce résultat, car al-Malik an-Nasir-Daoud ne voulait pas démordre de sa prétention d'être souverain de Damas. Quand les deux ambassadeurs virent qu'il n'y avait rien à faire, Djémal ad-Din s'en alla trouver al-Mothaffar, prince de Hamâh.qui lui assigna comme demeure la maison de Zaïn ad-Din ibn Kiryâs, qui se trouve sur la rive de l'Oronte (al-'Asl) et qui était connue à l'époque à laquelle écrivait le kadi Djémal ad-Din ibn 'Wasil, sous le nom de maison de l'émir Moubariz ad-Din al-Malaki-al-Mansouri. Djémal ad-Din resta durant quelques jours à Hamâh, puis il s'en alla trouver le chef des Kharezmiens, Bérékéh-Khan, dans l'espoir de l'intéresser au sort d'al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub. Après s'être acquitté de cette ambassade (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 333 v°), Djémal ad-Din ibn Matrouh s'en revint à Hamâh.
[73] D'après Djémal ad-Din (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 334 r°) il y eut plusieurs des officiers et des amis d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub qui vinrent à Hamâh; en plus de Djémal ad-Din ibn Matrouh, cet auteur cite les noms du kadi de Sindjar, Badr ad-Din, du kadi Izz ad-Din, fils du kadi Nadjm ad-Din ibn Abou 'Asroûn, d'Asil ad-Din al-As'ardi, imâm d'al-Malik as-Sâlih. Le prince de Hamâh avait continué à faire réciter la khotba au nom d'al-Sâlih Ayyoub, après qu'il eut été interné à Karak, mais au bout d'un certain temps, il donna l'ordre qu'on cessât d'agir ainsi; il envoya le kadi Schihâb ad-Din Ibrahim ibn 'Abd-Allah ibn Abou’l Damm à al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl et à al-Malik al-'Adil, d'une façon officielle, et il lui fit porter en secret une lettre à al-Malik al-Nasir-Daoud pour lui conseiller de mettre al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub en liberté et de l'aider à attaquer l'Egypte. Le kadi Schihâb ad-Din se rendit tout d'abord à Damas et s'acquitta de sa mission officielle auprès d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl; de là, il se rendit à Nabolos, où il remit en secret à al-Malik an-Nasir-Daoud la lettre dont il était chargé. Ce prince s'engagea par serment à rendre la liberté à al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub et à l'aider à entreprendre une campagne contre l'Egypte. De Nabolos, le kadi se rendit en Egypte.
Quand Badr-ad-Din, kadi de Sindjar, eut quitté le service d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub (Djémal ad-Din ibn Wasil, ms. ar. 1702, folio 333 v°) il se rendit à Damas avec les troupes qui avaient abandonné son maître, et il parut plusieurs fois à la cour d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, qui le connaissait depuis longtemps. Quand al-Malik al-Ashraf était mort, on a vu qu'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl avait envoyé son fils, al-Malik al-Mansour, à Sindjar dont il s'empara. Quand al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub fut arrivé à la souveraineté, il vint assiéger Sindjar où Badr ad-Din remplissait les fonctions de kadi. Ce personnage intervint entre al-Malik al-Mansour, fils d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, et son cousin, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, et les négociations se terminèrent de telle façon que ce dernier devint maître de Sindjar. Al-Mansour s'en retourna auprès de son père. Al-Malik as-Sâlih Ayyoub combla le kadi Badr ad-Din de faveurs et d'honneurs et, quelque temps après, il l'envoya en ambassade au sultan du pays de Roum, Ghiyâth ad-Din Kai-Khosrav, fils de Kai-Kobâd, pour arriver à résoudre les questions qui les divisaient. Badr ad-Din était très attaché à son maître, aussi après la déplorable aventure de Kisva où al-Sâlih Ayyoub fut abandonné par ses troupes, il se rendit dans le pays de Roum et il supplia le sultan seldjoukide de venir au secours de son souverain ; n'ayant pas obtenu grand chose de ce côté, le kadi s'en retournait quand il apprit qu'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub était sorti de la citadelle de Karak, et qu'il avait conclu un accord avec son cousin, al-Malik al-Nasir-Daoud. Ne pouvant se rendre à Damas par crainte d'al-Malik as-Sâlih Imad ad-Din, il alla demander aide aux Ismaïliens. Le prince de la secte des Ismaïliens était alors un persan nommé Tadj ad-Din qui était venu de la célèbre forteresse d'Alamout.
Le kadi Djémal ad-Din ibn Wasil était, d'après ce qu'il raconte lui-même, très lié avec le prince des Ismaïliens, Tadj ad-Din (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 334 r°).
[74] Ce prince était rentré dans sa capitale après qu'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl se fut emparé de Damas; ses états comprenaient en plus de Homs, les villes de Rahbah, Tadmor, Salamiyya, et la forteresse de Shouïnaïmis.
[75] Cette année, l’Atabek de Maûsil, Badr ad-Din Loulou, profitant des discussions des princes ayyoubides, alla attaquer la ville de Sindjar, qui appartenait à al-Malik al-Djavâd-Mothaffar ad-Din Younis ibn Maudoud et s’en empara sans aucune difficulté. Al-Malik al-Djavâd en était alors absent. Il ne lui resta plus que les deux villes de 'Ana et de Rakka qu'il céda au khalife contre le paiement d'une forte indemnité (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 334 v·).
[76] Djémal ad-Din ibn Wasil tenait de la bouche même du Katib-al-inshâ Bahâ ad-Din Zohaïr le récit de la mise en liberté d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub ; « Le sultan al-Malik an-Nasir me dit, raconte Bahâ ad-Din : Va trouver ton maître et amènes le moi ! » Ces paroles me transportèrent de joie et je partis immédiatement [pour Karak]; quand j'arrivai chez lui, je me prosternai à terre et il se livra à une joie extravagante quand je lui eus appris la bonne nouvelle dont j'étais porteur. Il partit pour Nabolos, accompagné par moi ».
[77] En restant à Ghaza et en laissant les armées d'Egypte et de Damas opérer leur concentration, les deux souverains risquaient de se faire livrer une bataille entre Ghaza et les derniers contreforts des montagnes de Palestine, et de se faire jeter à la mer en cas de défaite. La marche rétrograde de Ghaza à Naplouse avait l'avantage d'empêcher la jonction des années égyptienne et syrienne, et de forcer l'armée d'al-Malik al-’Adil à s'enfoncer au milieu de forces hostiles jusqu'au centre de la Syrie.
[78] Le texte porte la leçon exagérée 6 milliards (sitta alf alf alf) de dinars et 20 millions de dirhems; il faut évidemment lire sitta alf alf dinar; on va voir, en effet, quelques lignes plus bas, qu'al-Malik al-Kâmil avait laissé 6 millions de dinars et 20 millions de dirhems; ce sont ces sommes qu'al-'Adil gaspilla avec ses favoris.
[79] Pour l'intelligence de cette phrase, il faut savoir que la forteresse du Caire se divisait en deux parties absolument distinctes : l'une ou se trouvaient les palais du sultan, l'autre bâtie sur la « montagne » (al-djabal), dans l'enceinte de laquelle étaient les casernes de la garnison. Comme l'a remarqué M. Casanova dans son Histoire et description de la forteresse du Caire, les historiens égyptiens ne distinguent pas suffisamment ces deux parties de la Citadelle, complètement séparées et qui communiquaient par la porte Bab al-Koullat, dont il est question dans ce passage de Makrizi (voir la planche IX du travail de M. Casanova). Il faut donc comprendre qu'Ibn Karsoun, qui venait d'extorquer son brevet au sultan, traversait la porte Bab al-Koullat pour se rendre dans le quartier militaire, la seconde partie de la forteresse, pour s'y faire reconnaître comme émir, quand il rencontra l'émir al-Hidjâvi, soit que celui-ci fut de service dans l'intérieur du quartier militaire, soit qu'il se rendit par la porte Bab al-Koullat dans la cité impériale. Pour comprendre l'indignation du général d'al-Malik al-'Adil, il convient de savoir que je grade qui était conféré à Ibn Karsoun était fort élevé : en effet, un émir qui commandait à 50 cavaliers avait sous ses ordres un nombre très considérable de fantassins; c'est ainsi que l'émir de 100 cavaliers commandait à 1.000 hommes (Divan-al-Inshâ, man. arabe 4439, folio 122 verso et sqq.) ; en somme, les cavaliers (faris) ou mamlouks formaient les cadres du corps qui était commandé par l'émir qui les avait sous ses ordres. Il y avait à l'époque des sultans Mamlouks des émirs commandants de 5, 10, 20, 40, 70, 80, 100 cavaliers; l'émir commandant de 50 cavaliers ne paraît pas dans le Divan-al-Inshâ ; il est possible que ce grade n'a existé qu'à l'époque des ayyoubides et qu'il a été remplacé par celui de commandant de 70 cavaliers à l'époque des Mamlouks. En tout cas, on voit que le grade d'ibn Karsoun lui faisait franchir d'un seul coup et sans titres, presque toute la hiérarchie militaire de l'époque des ayyoubides. On trouvera dans le Corpus de M. Max Van Berchem, pages 281 et 513 et sqq., des détails sur ces commandements de 5, 10, 20 cavaliers, etc.
[80] Il semble qu'il y ait incompatibilité entre les deux dates que Makrizi indique dans ce passage, mais il faut comprendre ainsi qu'il suit : al-Malik al-'Adil fut déclaré indigne du trône le vendredi matin, mais il avait été déposé dans la nuit du jeudi au vendredi.
[81] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 401), raconte que lorsque le sultan al-Malik as-Sâlih monta sur le trône, il prit comme vizir Mou’în ad-Din, fils du cheikh ; le kadi était Sharaf ad-Din ibn 'Aïn ed-dauleh al-Iskandirâni, et le gouverneur du Caire, Badr ad-Din Younis qui, avant cela, était émir djandar; le gouverneur de Misr était 'Izz ad-Din Mohammad, fils de la femme (sic) de Schihâb ad-Din Ahmad ; le patriarche des Chrétiens était Anbâ Kirillos, connu sous le nom d'Ibn Laklak.
[82] L'armée de Damas, commandée par al-Malik al-Sâlih Ismail et celle d'Egypte sous le commandement du sultan. On a vu que les deux princes avaient rétrogradé de Ghaza à Naplouse pour aller prendre un point d'appui sur la forteresse de Karak.
[83] 'aïd-el-bahr, je ne pense pas qu'il faille lire 'aïd-el-azhâ « fête du sacrifice ».
[84] Mahala, litt : il leur laissa un répit ; al-Malik as-Sâlih ne voulut pas les faire arrêter en bloc, de peur de provoquer du mécontentement contre son autorité qui n'était pas encore suffisamment reconnue et il aima mieux temporiser que de brusquer les choses.
[85] On trouvera dans Léon l'Africain et dans le Kartas une description très complète de cette ville, beaucoup plus importante que celle de Yakout et des autres géographes musulmans; le texte porte Faris wa Tazi, ce qui est une faute évidente.
[86] M. Houdas a inséré une monographie intéressante de cette ville dans le Journal Asiatique de l'année 1885.
[87] D'après Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. 1702, folio 339 r°) le sultan prit cette décision, surtout parce qu'il apprit que les émirs Ashrafis avaient l'intention de se révolter contre lui; on se rappelle qu'au moment de la déposition d'al-Malik al-'Adil, leur chef, l'émir 'Izz ad-Din Aïbec-al-Asmar, avait essayé de faire donner le trône au prince de Damas, al-Malik as-Sâlih ‘Imad ad-Din Ismâ’îl, l'ennemi juré d'al-Malik as-Sâlih Ayyoub.
L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie raconte (ms. ar. 302, page 412) sous la rubrique de l'année 958 des Martyrs, que le sultan fit arrêter l'un de ses émirs qui se nommait Ibn Fallah et qui était l'un des Ashrafis; le sultan l'avait comblé de ses bienfaits et l'émir ne lui en avait témoigné aucune reconnaissance ; il fit également arrêter deux grands émirs kurdes, Bahâ ad-Din ibn Malklshoû et Nasir ad-Din ibn Bartash; il les envoya tous les trois à la forteresse de Soudour, sous bonne escorte, après avoir fait confisquer tous leurs biens; il fit également emprisonner un grand émir turc, qui avait été l'un des mamlouks de son père et qui se nommait Sand-jar-al-Yamani; on dit qu'il le bannit d'Egypte ainsi que plusieurs cavaliers de la garde, connus ou non.
C'est cette année que la Régente d'Alep annexa la citadelle de Dja'bar aux possessions de son fils, al-Malik al-’Aziz (Voir l’Alep de Kamal-al-Din, dans la Revue de l'Orient Latin). On trouvera dans le même recueil des détails sur la lutte que l'armée d'Alep soutint cette année contre les Kharezmiens. L'historien Djémal ad-Din ibn Wasil raconte ces événements d'après le récit de Kanifil-ad-Dîn, ce qui me dispense d'insister plus longtemps ici sur ces événements que j'ai déjà fait connaître dans ma traduction de l'Alep.
[88] Bitsharkiyya, ou dans la province orientale de l'Egypte; Yakout (Mo'djam, tome III, pape 279) se borne à dire que c'est un canton au sud de Misr.
[89] Mahsana, ce mot qui, dans la langue ordinaire, signifie « nourrice » a plus généralement le sens de femme qui a la charge d'un enfant; on voit que l'on peut entendre ici domestique ou gouvernante.
[90] D'après l'auteur de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 405) l'armée que le sultan ordonna, en l'année 957 des Martyrs, d'équiper pour envoyer dans le Yémen comptait 1000 cavaliers, parmi lesquels se trouvaient un grand nombre des principaux émirs et des plus considérés; ils emmenèrent avec eux des chameaux et des dromadaires, chargés d'outrés et de vases pour contenir de l'eau; le sultan fit également partir une escadre d'environ quarante navires de guerre; ils avaient été construits dans l'arsenal de Misr et on les avait transportés démontés à dos (de bêtes de sommes) jusqu'à la mer de Kolzoum; on les avait alors remontés et lancés; on envoya du Caire des gens pour les mettre en état de tenir la mer. On envoya de Misr et du Caire les gens qui firent cette opération et ceux qui formèrent leurs équipages ; les prisons et les maisons d'asile de ces deux villes étaient remplies de matelots, on leur donna une haute paye et l'on gratifia les émirs qui les commandaient de vêtements d'honneur splendides; le sultan leur donna de vifs encouragements et leur fit des générosités.
L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie fait mention sous la rubrique de l'année 958 des Martyrs, d'une expédition dans le Yémen qui se confond avec la précédente (ms. ar. 302, page 415).
Le sultan fit les préparatifs pour envoyer une armée dans le Yémen, elle comptait deux mille cavaliers, parmi lesquels se trouvaient plusieurs émirs et officiers généraux, tels que Sârim ad-Din al-Massoudi, les al-Ashraf, 'Alam ad-Din Shamâïl et d'autres. Le sultan donna une somme de trente dinars à chaque tavashi et à tous les émirs, dix dinars pour chaque tavashi (qu'ils avaient sous leurs ordres), de telle sorte que ceux qui avaient avec eux 50 tavashis reçurent 500 dinars, en plus de ce que chaque tavashi avait reçu pour son compte. Les troupes se préparèrent à partir, elles achetèrent des chevaux, des bœufs, des buffles, du petit bétail, des chameaux, des dromadaires, des outres pour porter de l'eau et tous les engins dont on a besoin pour une expédition dans le Hedjaz et dans l'Yémen. Cela fit monter le prix des chevaux, des chameaux et de tout le reste... L’ardeb de blé monta à 70 dirhems, le pain à un quart et un huitième (trois huitièmes) de dirhem le rotl... Sur ces entrefaites, on reçut des nouvelles apprenant que Fakhr ad-Din ibn Rasoûl, souverain du Yémen, avait marché contre la Mecque et s'en était emparé par la trahison de l'armée qui était chargée de la défendre. On cessa alors les préparatifs de l'expédition du Yémen et le prix des denrées baissa.
Cette année fut d'ailleurs remarquable pour la cherté des denrées (page 414) : l’ardeb de blé atteignit 75 dirhems, l’ardeb d'orge 42 dirhems, un poulet se vendait un dirhem nokra, la viande de boucherie, un dirhem et demi et un huitième, le rotl; le sucre trois dirhems le rotl, la cire un dirhem l'ocque, le miel trois dirhems le rotl, l'huile de bonne qualité trois dirhems le rotl; toutes les denrées étaient à l'avenant, mais, quand on eut cessé les armements destinés au Yémen, le blé ne valut plus que 40 dirhems l’ardeb, huit rotl de pain se vendirent un dirhem et une charge de farine 65 dirhems.
[91] Il arriva ensuite, dit l'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (p. 408), qu'une troupe des Turks, nommés les Ashrafis (mamlouks d'al-Malik al-Ashraf), avait comploté d'aller attaquer les Kurdes que l'on avait désignés pour l'expédition du Yémen, de s'emparer de ce qui leur appartenait et de les tuer. Ces Turks avaient le projet de partir (du Caire) la nuit, car les Kurdes étaient tous campés à la Birkat-al-Djubb. Les Kurdes eurent vent de ce complot, ils envoyèrent quelqu'un au sultan pour lui apprendre ce se qui tramait; le sultan leur ordonna de rentrer au Caire, ils y arrivèrent pendant la nuit et, le lendemain matin, les portes de la ville se trouvèrent fermées sans que personne en sût la cause ; c'était pour s'emparer des Ashrafis; on les fit prisonniers dans tous les endroits (où on les trouva); pour s'échapper, ils s'habillèrent en femmes, mais on découvrit ce stratagème et on les arrêta ; d'autres se blottirent dans des sacs d'oignons, de carottes et d'autres légumes, mais ces ruses ne leur servirent à rien, car il y avait à chaque porte un émir avec ses soldats et son état-major. Le Caire resta dans cet état pendant, plusieurs jours; le premier et le second jour furent les plus agites, cela se passa dans la septième semaine du Carême, à la fin du mois de Barmahat. Cette affaire se termina par l'emprisonnement de tous ceux que l'on put arrêter, des émirs grands et petits, des cavaliers et de la plupart des mamlouks turcs; le sultan fit également emprisonner Badr ad-Din Younis à qui il avait donné la place de gouverneur du Caire et deux grands officiers du palais, Mesroûr et Djauher-el-Noûbi. Ces troubles forcèrent le sultan à renoncer à envoyer dans le Yémen toutes les troupes qui avaient été rassemblées dans ce but, et on ne fit partir que trois ou quatre cent cavaliers turcs.
[92] Pour les punir de leur insubordination et les éloigner du Caire où ils étaient toujours prêts à fomenter une insurrection contre lui.
[93] Le manuscrit de Makrizi porte la leçon Ibn Ibn Tâsh qui est assurément erronée; on sait que le mot tâsh, qui, en turc oriental, signifie « pierre » · et « compagnon », entre très souvent dans la composition des noms propres comme second élément, mais il n'est jamais employé seul. C'est ainsi qu'on trouve Altountâsh « pierre d'or », Timourtasch « pierre de fer ». Le mot, mongol Er « homme » est celui qui me paraît le moins éloigné de Ibn qui se lit dans le manuscrit de Makrizi ; cette restitution n'est que conjecturale, car je n'ai jamais rencontré ce nom au cours de mes études sur l'onomastique des Mongols ; peut-être faut-il lire Bartash.
[94] C'est, comme on l'a vu plus haut en note, ce que raconte Djémal ad-Din ibn Wasil.
[95] En ce sens que, pour ne pas passer sur les terres de son maître, le souverain de Damas, qui l'aurait assurément fait arrêter, il était obligé de traverser celles des Ismaïliens, ce qui ne pouvait se faire sans l'agrément de ces terribles sicaires.
[96] Bilad kala'at Dja'bar wé Bâlis.
[97] On pourrait également comprendre « qui le fit arrêter à l'aube du dimanche...», en lisant bi-ghourrat au lieu de bi-Ghaza, mais cette interprétation est contredite par le récit d'Ibn Wasil.
[98] On a vu qu'al-Malik al-Djavâd, après que Badr ad-Din Loulou, prince de Maûsil, lui eut enlevé la ville de Sindjar, vendit au khalife, 'Anâ et Rakka, et alla se joindre aux Kharezmiens ; il prit part à toutes les guerres qu'ils soutinrent contre les armées d'Alep (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1703, folio 34 v°). Après leur écrasement, il traversa le désert (al-barriyya) et se rendit à Ghaza, d'où il envoya quelqu'un auprès d'al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, souverain de l'Egypte, pour lui demander la permission de venir résider au Caire. Mais le sultan n'y voulut point consentir, craignant qu'il ne cherchât à soulever l'armée contre lui. Le prince ayyoubide resta donc quelque temps à Ghaza, sans trop savoir que faire, puis il se rendit à 'Akkâ, où il demanda l'hospitalité aux Francs. Quand son oncle al-Malik ag-Sâlih Ismâ'îl apprit cela, il écrivit aux Francs et il leur demanda de le lui livrer. Ils firent droit à sa requête, et al-Malik as-Sâlih fit mettre al-Djavâd en prison dès qu'il le tint en sa possession. Ce fut la fin des aventures de ce prince turbulent et brouillon.
[99] Il y a certainement ici une lacune dans le texte de Makrizi que je complète à l'aide d'Ibn al-'Adîm et d'Aboulféda.
[100] Les dictionnaires donnent savvala li comme signifiant : « faciliter à quelqu'un l'accomplissement d'une mauvaise action », mais ce sens ne convient pas ici, car les Égyptiens étant les ennemis jurés des Francs, les Syriens n'avaient pas besoin de les séduire pour les amener à les combattre, tandis que l'on comprend fort bien que les Syriens, furieux de voir la compromission de leur prince avec les Francs, aient fait cause commune avec les Égyptiens pour combattre les Francs. L'historien des Patriarches d'Alexandrie, plus complet que Makrizi et qu'Ibn Wasil,(ms. ar. 302. page 404) dit qu'en 957 des Martyrs, soit 637 de l'hégire, les Francs avaient fait une expédition contre Nabolos et le Ghaûr et qu'ils étaient venus assiéger Ghaza, qu'ils avaient pris Jérusalem, et qu'ils s'étaient mis avec ardeur à reconstruire 'Ascalon ; cela s'était fait, disait-on, d'accord avec al-Malik as-Sâlih Ghazi, prince de Damas, oncle du sultan, qui leur avait donné des otages pour leur prouver qu'il était entièrement d'accord avec eux et qu'il était tout prêt à les soutenir. Le sultan d'Egypte avait alors fait partir un corps d'environ 4.000 cavaliers pour marcher contre Ghaza; ils firent des incursions jusqu'à Nabolos. Peut-être faut-il rattacher sala ila, à la racine sila dont une forme dérivée, tasâila, signifie « se réunir » en parlant des troupes. Il est possible qu'il faille lire... taifatoûn taifatoûn et traduire « l'armée syrienne passa, division par division, dans les rangs égyptiens. »
[101] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie (ms. ar.302, page 406) dit que les Francs avaient envoyé à plusieurs reprises des ambassadeurs au sultan pour lui demander la paix, à la condition qu'ils garderaient les villes qu'al-Malik an-Nasir, fils d'al-Malik al-Mo'aththam, leur avait données, et qui étaient alors en leur possession, qu'ils remettraient en liberté les prisonniers qu'ils avaient fait dans la dernière campagne et que les Musulmans leur rendraient les leurs. Le vizir Kamal-ad-Din, fils du cheikh, se rendit auprès des Francs à plusieurs reprises pour discuter ces conditions. La paix fut réglée ainsi et les Francs et le sultan s'engagèrent par serment à la respecter. Il rendit alors la liberté au Comte et aux chevaliers qui avaient été faits prisonniers en même temps que lui, et il leur remit à tous des vêtements d'honneur; ils traversèrent tout le Caire, montés sur des chevaux, puis ils s'en retournèrent chez eux au mois de Barmahat de cette même année (637). On reçut la nouvelle que le kadi de Nabolos avait pris possession des prisonniers musulmans rendus par les Francs et qu'il leur avait également remis des vêtements d'honneur. Les villes dont les Francs se rendirent maîtres de nouveau furent : Jérusalem, Bethléem, Ascalon et la province qui en dépend, Balt-Djibrîl et sa province, Medjdel-Yabâ la province et la montagne qui en dépendent; Safad, Kaûkab, Toûr Tibnîn, Hoûnain, la province de Ghaza sauf la ville de Ghaza elle-même, Tibériade et ses dépendances, les deux Shakif, et en somme tout le Sahel. Les Francs ne cédèrent que Nabolos, Khalil (Hébron), Ghaza, et rien d'autre.
[102] Le texte de cette phrase est fortement altéré.
[103] Le fait qui est indiqué dans cette phrase est évidemment le même que celui qui est indiqué dans la précédente. al-Malik al-Djavâd n'a pas été emprisonné, relâché et emprisonné de nouveau dans un espace de temps aussi restreint.
[104] zardkhânah, qu'on traduit généralement par arsenal; dans ce passage, ce mot désigne tout ce qui sert à l'équipement et à l'entretien des vaisseaux d'une escadre.
[105] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar.302, page 413) raconte, sous la rubrique de l'année 958 des Martyrs qui, dans son récit correspond à la présente année de l'hégire, qu'on apprit la révolte des troupes qui se trouvaient à Koûs ; cette armée était composée de Turks et elle était commandée par un général qui s'appelait Thoghril-al-Hidjâfî ?-al-Zahid; les soldats le proclamèrent sultan et arrêtèrent le gouverneur de Koûs ; ils s'emparèrent des dîmes, des contributions (djavàli) et des impôts, mais cette insurrection échoua, parce que pas un seul des Arabes n'embrassa leur parti, par crainte du sultan d'Egypte. Ce dernier envoya contre eux par la rive orientale [du Nil] (barr-el-shark), une armée d'environ 2000 cavaliers, commandée par Rokn ad-Din al-Hidjâvi, et par la rive occidentale (barr-el-gharb), les al-Ashraf; en réunissant leurs troupes, ils arrivèrent à un total de plus de deux mille cavaliers. Ils marchèrent jusqu'à Ménia-béni-Khosaïb; ils furent rejoints par un très grand ascète du Sa'id, qui était favorisé de révélations miraculeuses (kérâmàt), et qui était très considéré par le sultan, le vizir et tous les Musulmans ; il était allé au Caire pour demander au sultan le pardon de ces gens égarés et pour apaiser cette sédition sans répandre le sang. Cet ascète habitait Damamin dans le Sa'id et il se nommait le cheikh Mofarradj; il vint dans un canot en quatre jours, il eut une entrevue avec le sultan et il obtint leur pardon, puis il s'en retourna en toute hâte dans son canot. L'armée était déjà arrivée aux environs d'Akhmim, on proclama l'aman aux insurgés, qui se soumirent et se rendirent à l'émir Rokn ad-Din al-Hidjâvi. Tous revinrent au Caire, mais lorsqu'ils arrivèrent, ils ne furent pas reçus par le sultan. Au bout de quelques jours, le sultan ordonna d'arrêter plusieurs d'entre eux qui furent désignés pour cela; on dit qu'ils purent échapper ou qu'ils furent retenus prisonniers dans certaines villes. Quant aux autres, on leur ordonna de se rendre dans le Rif pour y demeurer, à la condition qu'aucun d'eux ne posséderait de cheval, et qu'ils ne porteraient point d'armes, mais qu'ils ne se livreraient qu'à l'agriculture ou au commerce.
[106] Valla bi-akhaz el-Iskenderiyyèh.
[107] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie (ms. ar. 302, page 406), dit que, cette année le sultan fit construire le Palais de Justice.
[108] Djémal ad-Din ibn Wasil raconte dans le Mofarradj (ms. ar. 1703, folio 34 V°) que le kadi de toute l'Egypte était alors Sharaf ad-Din, plus connu sous le nom d'Ibn 'Aïn ed-dauleh al-Iskendiri. Al-Malik as-Sâlih lui enleva la charge de kadi de Misr et de la province méridionale qu'il confia au kadi Badr ad-Din Youssouf ibn al-Hasan-al-Zarzari, connu sous l'appellation de kadi de Sindjar, et que l'on a vu remplir plus d'une mission délicate et dangereuse au cours de ces dernières années. Sharaf ad-Din resta kadi du Caire et de la province maritime. Sharaf ad-Din était un homme très savant en droit, et fort versé en littérature.
[109] Sara… ‘Alâ el-Sahel ilâ Misr.
[110] Copie de la formule musulmane bien connue sous le nom de tauhid et de shéhadah, qui dit : « Il n'y a pas d'autre Dieu qu'Allah et Mohammad est l'Envoyé d'Allah. »
Les historiens musulmans ne donnent malheureusement pas assez de détails sur ce turcoman pour que l'on sache quelle était au juste sa doctrine. Il est à présumer cependant qu'elle se rattachait aux théories hétérodoxes des Karmathes et des fatimides et en général, à celles des sectes alides qui ont pris naissance en Perse. Dans Il-Baba, le mot Il qui s'écrit également il, signifie « grand ». Rien ne le différencie dans l'écriture de l'article arabe al; c'est ce mot que l'on trouve dans Il-Pehlevân, « le grand chevalier », Il-Bars « la grande panthère » etc. Néanmoins, il est possible qu'il faille lire al-Baba.
[111] J'ai déjà eu l'occasion de montrer l'importance de ces quelques mots, au point de vue philologique et grammatical, dans un article publié dans la Revue archéologique de 1898 sous le titre « Les Inscriptions turques de l'Orkhon. » Cette lettre dont nous ne connaissons que la suscription était évidemment écrite en mongol, comme celles qu'Arghoun et Oldjaïtou adressèrent à Philippe le Bel. Le protocole est celui que l'on trouve dans les lettres citées par Rashid ed-Din et adressées par Houlagou aux princes musulmans pour les inviter à se soumettre à lui.
[112] L'auteur de l’Histoire des Patriarches d'Alexandrie rapporte (ms ar. 302, page 413) sous la rubrique de l'année 958 des Martyrs que, cette année, l'ambassadeur de l'empereur (al-anbérour) arriva à Alexandrie ; il apportait une forte somme d'argent, de très beaux objets fabriqués et des présents de grande valeur. On dit que le vaisseau sur lequel il avait pris passage était monté par 900 matelots et qu'il se nommait « la moitié du monde » (nisf-ad-dounya). On retarda sa venue au Caire et après quelque temps on lui permit de venir ; on le fit voyager par terre et par les chemins les plus longs, on lui fit faire le tour par le Fayoum et il arriva ainsi jusqu'aux Pyramides ; il arriva au Caire par Djizeh ; il était accompagné d'une suite d'environ cent personnes. Le jour où il entra au Caire fut un jour de grande fête, les deux villes furent pavoisées, toute l'armée se tint sous les armes pour rendre les honneurs et la population sortit tout entière pour le recevoir. L'ambassadeur et son collègue, car ils étaient deux, étaient montés sur des chevaux nubiens qui appartenaient à notre maître le sultan (qu'Allah le gratifie de son aide); on leur assigna pour demeure une maison appartenant au sultan et qui se trouvait dans le quartier (khatt) de la Dâr-ad-dibadj, connue sous le nom de résidence du sahib Ibn Shakir. Le plus élevé en dignité de ces deux personnages, qui suivant ce que l'on disait portait un vêtement de laine, fut logé dans la maison principale, tandis que son subordonné eut pour logis la maison située à la porte de la darb-el-cheikh, connue sous le nom de résidence d’Izz-ad-Din, fils du sahib. On leur envoya, en présents (ravàtib) et en cadeaux plus qu'on ne l'avait jamais fait pour personne. Les deux ambassadeurs demeurèrent pendant quelques jours sans avoir d'audience du sultan. Il les manda au bout de ce temps et il leur envoya des chevaux de Nubie, ainsi qu'à leur suite, mais ils ne s'en servirent pas, car ils vinrent par le fleuve. Le jour où ils montèrent à la Citadelle de la Montagne fut absolument semblable à celui de leur arrivée au Caire. Ils restèrent dans le pays à cause de l'hiver, en qualité d'hôtes du sultan qui les traita avec toutes sortes de prévenances; ils passaient leur temps à la chasse et à s'exercer à tirer l'arbalète,
[113] En l'année 639, dit Rashid ad-Din dans la Djâmi-ath-tavarikh, au cours de l'histoire de Kouyouk-Khan (ms. supp, persan 209, fol. 228 r°), Seyyid-Tadj ad-Din Salâbah fut nommé gouverneur d'Arbèles; la même année, Bérékèh-Khan, fils de Daûlatshâh, l'un des émirs du sultan Djélal ad-Din qui restaient des fuyards de l'armée du Khwarezm, demanda en mariage la fille d'al-Malik al-'Adil, mère du sultan d'Alep. On traita son ambassadeur d'une façon humiliante; Bérékèh-Khan leva une armée et marcha sur Alep; les troupes d'Alep sortirent et livrèrent bataille aux Kharezmiens qui les mirent dans une déroute complète, et leur firent de nombreux prisonniers. Après cet événement, le sultan d'Alep et le prince de Noms firent alliance et marchèrent contre les Kharezmiens, mais ceux-ci ne furent battus nulle part. La même année, une troupe de Kharezmiens qui se trouvaient dans le Kirmân vinrent se joindre aux autres à 'Ana; le fils de Bérékèh-Khan, qui se nommait Mohammed, se rendit à Bagdad et il se mit au service du khalife. En l'année 640, ils furent complètement battus par les Halébins.
[114] On a vu que l'année précédente, le souverain de Damas lui avait retiré ses fonctions de prédicateur de la grande Mosquée de cette ville, et qu'il lui avait défendu de sortir de chez lui.
[115] Le texte de Makrizi ajoute ici « et plusieurs ayyoubides de l'armée égyptienne », je pense que ces derniers mots appartiennent à une phrase dont le commencement a été omis par le copiste.
[116] La leçon donnée par le manuscrit de Makrizi est peu compréhensible.
[117] Sur ces événements, voir l’Alep de Kamal ad-Din (Revue de l'Orient Latin, tome VI, page 13 et sqq.).
[118] L'historien Djémal ad-Din ibn Wasil raconte dans le Mofarradj (ms. ar. 1703, folio 37 r°) qu'il eut une attaque subite pendant qu'il tenait une séance dans la citadelle. L'émir ostaddar, Saïf ad-Din Thoghril, prit la régence; il prenait dans tous les cas les avis du cheikh Sharaf ad-Din 'Abd al-’Aziz ibn Mohammad ibn 'Abd-al-Mohsin-al-Ansari; le vizir était Bahâ ad-Din ibn Tadj ad-Din ; l'eunuque ((acâshi) Shodja ad-Din Mourschid-al-Mansouri prenait également part au gouvernement de la principauté. D'après Ibn Wasil, le prince de Hamâh resta dans le coma durant un certain temps, et ce ne fut qu'au bout de quelques jours qu'il rouvrit les yeux.
[119] La lecture du nom de ce médecin est douteuse dans le manuscrit de Makrizi.
[120] Le manuscrit de Makrizi porte ici la leçon Altounbâ, mais je n'hésite pas à lire Altounbogha, car la première forme n'a pas de sens, tandis que la seconde, qui signifie «le taureau d'or », est un nom bien connu dans l'onomastique des Turks orientaux et des Mongols. On pourrait également songer à lire Altoûntâsh en admettant que le sh final soit tombé.
[121] Dans cette phrase et la suivante, tous les sujets sont indiqués uniquement par des pronoms, de telle sorte qu'il est très difficile de savoir au juste de qui il est question.
[122] Cette année, les deux villes de Shakif-Arnoûn et de Safad furent livrées aux Francs (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ras. ar. 1703, folio 35 v°). Ces deux forteresses avaient été conquises par le sultan Salah ad-Din Youssouf ibn Ayyoub. Voici comment cet événement eut lieu : al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ’îl avait très peur que son neveu, al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, souverain de l'Egypte, ne lui enlevât Damas; cela le détermina à envoyer demander aux Francs de lui porter secours au cas où le sultan d'Egypte viendrait l'attaquer. Les Francs n'y voulurent point consentir à moins que le prince de Damas ne leur livrât les deux villes de Shakif-Arnoûn et de Safad, cette dernière d'ailleurs étant démantelée. Al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ'îl fut obligé d'en passer parla. Cette mesure souleva contre lui autant d'indignation que la cession de Jérusalem à l'empereur d'Allemagne, Frédéric II, en avait jadis soulevé contre al-Malik al-Kâmil. Le cheikh 'Abd al-'Aziz ibn 'Abd-as-Salam, l'un des docteurs shaféites les plus distingués de son époque qui, au dire de Djémal ad-Din, était l'homme de son temps qui connaissait le mieux la science de l'exégèse musulmane, et qui était prédicateur (khâtib) de la grande mosquée de Damas, blâma hautement cette cession; il fut soutenu dans les énergiques protestations qu'il formula par le cheikh Djémal ad-Din Abou 'Amrou ibn al-Hâdjib-al-Malaki qui s'était attiré une réputation universelle par ses travaux sur la grammaire arabe, sur l'art de lire le Coran et sur les sources (ousoûl) de la théologie musulmane. Al-Sâlih Ismâ’îl se mit dans une violente colère contre ces deux savants qui jugèrent prudent de quitter Damas. Le cheikh Djémal ad-Din se rendit à Karak, où il fut reçu avec les plus grands honneurs par le prince de cette ville, al-Malik an-Nasir-Daoud ; après avoir séjourné durant quelque temps dans cette ville, il se rendit en Egypte, où il termina ses Jours. Quant à Izz ad-Din ibn 'Abd-as-Salam, il se rendit directement en Egypte, où al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub lui témoigna les plus grandes faveurs.
[123] L'historien des Patriarches d'Alexandrie dit dans sa Chronique, sous la rubrique de l'année 959 des Martyrs (ms. ar. 302, pages 422 et sqq.), que cette année, les denrées furent encore chères en Egypte, le blé se vendit 70 dirhems l’ardeb, et l'orge 40 dirhems. — On reçut (page 428) la nouvelle que les Francs étaient sortis de Jaffa et qu'ils étaient venus à Nabolos où ils avaient massacré tous les Musulmans et les Chrétiens qu'ils y trouvèrent; ils avaient également démoli la mosquée, brûlé les arbres et saccagé les maisons. On raconte que lorsqu'ils eurent cerné les habitants, ils les rassemblèrent et avertirent ceux qui étaient Chrétiens de se séparer des Musulmans s'ils voulaient avoir la vie sauve. Les Chrétiens se mirent à part, mais quand les Francs eurent massacré les Musulmans, ils se ruèrent sur les Chrétiens et les massacrèrent à leur tour. Quant aux Musulmans, ils en tuèrent une partie et réduisirent les autres en esclavage ; le massacre fut général, et il s'étendit aux femmes, aux enfants, aux petits et aux grands. Les Francs restèrent à Nabolos durant trois jours, puis ils s'en retournèrent chez eux avec leurs prisonniers et leur butin. Ce fut une épouvantable aventure. Le sultan ordonna d'envoyer une armée en Syrie; un corps d'environ 2000 cavaliers se mit en route, sous le commandement d'un mamlouk, qui se nommait Chams ad-Din Sirasonkor, et qui était ostad-el-dar ; ils arrivèrent à Ghaza et se réunirent à l'armée qui se trouvait déjà dans cette ville avec al-Malik an-Nasir. Cette armée, qui était considérable, se mit en marche et vint camper à un endroit nommé al-'Aoudjâ, en face de Jaffa; les Musulmans investirent Jaffa et les Francs se préparèrent à soutenir le siège; les troupes restèrent durant quelques jours devant cette place, puis le sultan envoya à Sirasonkor l'ordre de ramener son armée en Egypte. Ce général plia son camp et se mit en marche. Quand al-Malik an-Nasir vit cela, il prit tout ce qu'il put de ses bagages, et mit le feu au reste, puis il s'en retourna à Karak ; quant à l'armée qui résidait ordinairement en Palestine, à savoir, les al-Ashraf, Sârim ad-Din al-Massoudi, Shamâïl et les troupes de la garde commandées par Raïhan-al-Sahibi, elle rentra à Ghaza.
Le sultan envoya (page 437) à ses émirs qui se trouvaient à Ghaza l'ordre de revenir au Caire, c'étaient les émirs al-Ashraf, fils de Taghlib, pour s'occuper de ses affaires. Pendant le temps que demanda leur retour, les Francs étaient arrivés à al-Varida sur leurs vaisseaux ; ils pillèrent cette localité et y firent des prisonniers. Ils vinrent ensuite à Katiya, les al-Ashraf y arrivèrent pendant que les Francs s'y rendaient et sans connaître cette circonstance ; les Francs débarquèrent vers le milieu de la nuit et pénétrèrent dans le marché qu'ils mirent au saccage et où ils firent prisonniers tous les Musulmans qu'ils trouvèrent; ils les chargèrent de chaînes. Quand les al-Ashraf apprirent cela, ils montèrent à cheval quoiqu'ils ne fussent qu'en petit nombre parce que leurs soldats (ashàb) s'étaient dispersés; ils combattirent depuis le milieu de la nuit jusqu'au matin et battirent les Francs auxquels ils tuèrent une vingtaine d'hommes et auxquels ils firent trois prisonniers. Ils rendirent la liberté aux Musulmans qui se trouvaient en la possession des Francs.
Il n'y a pas à douter, d'après ces passages, qu’al-Ashraf ne désigne un groupe d'officiers qu'il faut soigneusement distinguer des Ashrafis, auxquels l'auteur donne le nom d'al-Ashrafiyyah. Al-Ashraf se construisant, avec le verbe et les pronoms au pluriel est certainement un collectif; dans d'autres passages de cette histoire, on est exposé à prendre al-Ashraf pour le nom d'un seul individu.
[124] Le manuscrit de Makrizi porte ibn amir Saïd-m-r-ad-divan et plus bas Saïd mur. Asindémur est un nom connu dans l'onomastique turque et le mot ad-divan est le reste du titre de ce personnage; il y a dans ce passage un ou plusieurs mots omis.
[125] Voir sur les aventures des Kharezmiens l’Alep de Kamal ad-Din (Revue de l'Orient latin, année 1898).
[126] Voir l’Alep de Kamal ad-Din (Revue de l’Orient latin, année 1898, page 17).
[127] Imad ad-Din était le frère de Mou’în ad-Din. Par tablkhdnâh, les historiens musulmans de l'Egypte entendent la collection d'instruments de musique à vent et à percussion, que les émirs faisaient jouer en leur présence quand ils sortaient ou à des heures fixes dans la journée. C'était pour loger ces ustensiles que cette construction avait été élevée. Sur ces fanfares, on peut voir une excellente monographie d'Etienne Quatremère dans son Histoire des sultans mamlouks de l'Egypte, tome I, partie I, page 173.
[128] Cette phrase est fort obscure et il est possible que Makrizi ait omis, en la copiant dans un historien de l'époque des ayyoubides, quelques détails qui la rendraient plus claire.
En 639, le sultan d'Egypte nomma Ibn 'Abd-as-Salam, prédicateur d'une mosquée à Misr et kadi de Misr, pour le dédommager d'avoir perdu à Damas sa situation de prédicateur et de kadi; on a vu que le sultan de Damas l'avait chassé de sa capitale pour le punir d'avoir défendu qu'on fit la khotba en son nom. Je ne pense pas qu'Ibn 'Abd-as-Salam ait voulu faire allusion à des manœuvres dirigées contre lui, à Damas, par Mou’în ad-Din et qu'il ait cherché à faire croire qu'il avait quitté volontairement les fonctions de kadi de Damas, quand tout le monde savait pertinemment qu'il en avait été révoqué ; voici d'ailleurs le texte de cette phrase : tsoumma ashhada 'alâ nafsihi annahou kad askata shihàdata al-vitir... va annahou kad 'azala nafsahou min al-kadd...; je comprends ici la particule kad comme indiquant l'expectative (Lane, An arabic-english dictionary, page 2190, col. 3) très prochaine et je suppose que le vizir avait fait élever la bâtisse dont il est question ici dans les dépendances de la mosquée dont Ibn 'Abd-as-Salam était le prédicateur, sans lui en demander la permission. Par « qu'il se moquait du témoignage de Mo'ïn ad-Din » je comprends qu'il se moquait de ce que Mou’în ad-Din irait raconter au sultan d'Egypte, au sujet de cet incident.
[129] Voici quelle était, au commencement de cette année, la division de l'empire ayyoubide : al-Malik as-Sâlih Ayyoub régnait en Egypte, son cousin al-Malik an-Nasir-Daoud à Karak, son oncle al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl à Damas; al-Malik al-Mansour à Homs, al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din Yousouf à Alep ; ces quatre derniers souverains avaient conclu une alliance contre le sultan d'Egypte. Il n'avait pour allié que le prince de Hamâh, al-Malik al-Mothaffar, qui, comme on l'a vu plus haut, venait d'être atteint d'hémiplégie (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 42 r°).
Cette année (ibid., folio 42 v°) le prince de Hamâh envoya le kadi Schihâb ad-Din Abou Ishak-Ibrahim ibn 'Abd-Allah ibn Abd-al-Mo'nim comme ambassadeur au khalife abbaside, al-Mosta'sim Billah, pour le féliciter de son avènement au trône et pour lui présenter ses compliments de condoléance à l'occasion de la mort de son père. Il lui fit emporter de riches étoffes de satin (atlas) pour recouvrir le tombeau du khalife défunt et il lui remit une somme de mille dinars pour distribuer en aumônes en mémoire du khalife. Il lui confia en même temps des lettres pour al-Malik as-Sa'ïd Nadjm ad-Din Ghazi, fils d'al-Malik al-Mansour-Ortok, prince de Mardîn, pour le sultan al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din Yousouf, souverain d'Alep, et pour al-Malik ar-Rahim-Badr ad-Din Loulou', atabek de Maûsil. « Le souverain de Hamâh, dit Djémal ad-Din (Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 44 v°), m'ordonna de partir avec son ambassadeur. Nous quittâmes Hamâh au commencement du mois de Moharram et nous nous rendîmes à Alep, où nous restâmes quelques jours. De là, nous allâmes à Harrân et à Donaïsir. Nous étions en chemin, entre Donaïsir et Ra'as 'Aïn quand nous apprîmes la marche en avant des Tartares et leur campagne contre le pays de Roum. Nous remontâmes alors vers Mardîn, où nous restâmes un jour; on nous y confirma la nouvelle de la marche des Tartares. Nous nous dirigeâmes ensuite vers Nisibin; nous trouvâmes cette ville au pouvoir des Kharezmiens qui y étaient installés et qui déclaraient reconnaître l'autorité du sultan d'Egypte, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub. De là, nous nous rendîmes à Maûsil, où nous allâmes loger dans un couvent (khânikàh) situé sur les bords du Tigre ; nous trouvâmes à Maûsil, Mohyî ad-Din ibn al-Djaûzi, l'ambassadeur du khalife, qui se préparait à se rendre dans le pays de Roum auprès du sultan Ghiyâth ad-Din Kaï-Khosrav. A cette époque, l'atabek Badr ad-Din Loulou s'était soumis aux Tartares et il était l'ennemi du prince de Mardîn, al-Malik as-Sa'ïd. Le kadi Schihâb ad-Din chercha à réconcilier les deux princes, comme notre souverain l'en avait chargé. De Maûsil, nous partîmes pour Bagdad par le Tigre dans un bateau (rakvat) que nous avait donné l'atabek Badr ad-Din Loulou et qui était hâlé par des animaux de trait qui cheminaient le long du rivage. Quand nous arrivâmes à Tékrit, la cour de Bagdad (al-divan-al-'aziz) fut informée de notre venue par un message qui fut porté par un pigeon voyageur. De Tékrit, nous allâmes à al-Marzaka, où nous séjournâmes jusqu'à ce qu'un fonctionnaire envoyé par l'administration khalifienne (al-divan-al-'aziz) nous y fut venu rejoindre ; nous partîmes pour Bagdad en sa compagnie à cheval, et quand nous fûmes arrivés dans cette ville, on nous ordonna de descendre dans la Djâmi 'al-sultân et d'y séjourner jusqu'à ce que la garde d'honneur (al-maûkeb) fut sortie pour nous recevoir... Le kadi Schihâb ad-Din s'acquitta de la mission qui lui avait été confiée et nous primes le chemin du retour après être restés à Bagdad durant deux mois; quand nous fûmes arrivés à Maûsil, nous allâmes rendre visite à Badr ad-Din Loulou qui nous apprit que les Tartares avaient envahi l'empire du sultan du pays de Roum et qu'ils avaient battu le sultan Ghiyâth ad-Din qui était allé se réfugier dans une de ses forteresses. De là, nous allâmes à Nisibin où nous trouvâmes l'émir Bérékéh-Khân, chef des Kharezmiens, nous lui proposâmes d'aider le sultan al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub et d'entrer avec ses Kharezmiens au service du sultan d'Egypte. Ce général y consentit; nous conversâmes avec lui par l'intermédiaire d'un interprète. De là, nous revînmes à Hamâh. »
[130] L'ancienne Sébaste, nom d'une grande ville avec une petite forteresse à peu près à ½ farsakh de l'Halys, à soixante milles de Kaisariyya. (Aboulféda, Géographie, tome II, partie II, page 139). Hadji-Khalifa nous apprend dans le Djihan Numa que c'est le sultan seldjoukide Kaï-Kobâd qui fit entourer cette ville d'une enceinte fortifiée. Elle fut saccagée par Tamerlan et l'auteur de ce traité de géographie fait remarquer que la date de cette destruction est représentée par la somme des valeurs numériques des lettres du mot kharâb « ruine » (kh = 600, ra = 200, alif = 1, ba = 2). Cette ville est située sur une éminence; l'eau du Kizil Irmak qui passe au fond d'un vallon n'est pas potable, car elle est saumâtre ; quoique le climat de Sivas soit extrêmement froid, on y cultivait le coton. Sous la domination osmanlie, le gouvernement de Sivas est borné à l'est par ceux d'Arzan-ar-Roum et de Diyâr-Békir, au sud par celui de Marasch et le Karaman, à l'occident, par le Karaman et l'Anatolie, au nord par la mer Noire. Il est subdivisé en sept sandjâks ou livas; ceux de Sivas, Amassia, Bouzok, Djânik, Djiyouroum, Diyourki et 'Arabgir.
[131] Ville située à quatre marches d'Aksérai (Aboulféda, Géographie, tome II, partie II, page 137). D'après Hadji-Khalifa cette ville était fortifiée et située au nord de la montagne nommée Erdgiz-Dagi; les environs étaient très riches et très peuplés. Cette ville était surtout connue par le maroquin jaune qu'on y fabriquait. La forteresse est bâtie en pierres noires. Le climat de cette ville est aussi froid que celui d'Erzeroum ou de Sivas ; les villages qui sont au pied de l'Erdgiz-Dagi sont presque constamment couverts de neige, de telle sorte qu'on les aperçoit de très loin. Cette ville est distante de Hadji-Bektash de quatre jours. Il y a à Kaisariyya une mosquée dont on attribue la fondation à Abou Mohammad BaHal. Les montagnes qui sont dans les environs sont remplies de serpents, mais il y avait dans la ville un talisman qui, parait-il, les empêchait d'en descendre. Les fortifications de Kaisariyya ont été rebâties, comme celles de Sivas, par le sultan seldjoukide 'Alâ ad-Din Kaï-Kobâd. La rivière qui y passe porte le nom de Kourahmaz; les environs regorgent d'animaux féroces, ours, loups, sangliers, etc.
[132] Al-Malik al-Moughith-Fath ad-Din 'Omar s'engageait par serment, plus au nom de son père, al-Malik as-Sâlih Ayyoub, qu'en son nom propre.
[133] Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 44 v°) raconte que cet émir avait été primitivement emprisonné dans la citadelle de Damas, mais que, lorsqu'on apprit qu'al-Malik as-Sâlih Ayyoub était devenu souverain de l'Egypte, on l'avait transféré dans un cachot de la forteresse de Baalbek qui était tellement obscur qu'on ne pouvait y distinguer entre la nuit et le jour; on l'y laissait tout le temps sans lui donner une nourriture suffisante.
[134] L'émir Djalal ad-Din al-Khilâti raconta ce qui suit à Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1703, folio 45 r". Ce passage a été copié par Abou 'l-Mahâsin dans son Egypte, ms. ar. 1780, folio 140 r°) : « J'étais au Caire envoyé en qualité d'ambassadeur par mon maître al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ'îl; toutes les conditions de la paix avaient été arrêtées et il ne manquait plus que le serment du sultan d'Egypte, quand je reçus une lettre de mon souverain dans laquelle était roulée une lettre qu'al-Malik as-Çalih-Ayyoub avait envoyée aux Kharezmiens pour les pousser à se mettre de nouveau en campagne; il leur disait qu'il n'avait entamé des négociations avec le prince de Damas que pour obtenir la mise en liberté de son fils, al-Malik al-Moughith, mais qu'il n'en restait pas moins l'ennemi irréconciliable d'al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ’îl et qu'il avait bien l'intention d'aller l'attaquer pour lui enlever Damas. Je me rendis immédiatement chez le vizir Mou’în ad-Din, fils du cheikh des cheikhs, et je lui montrai cette lettre en le priant de me dire ce qu'elle signifiait. Cet aveu d'as-Sâlih Ayyoub fut la cause qu'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl fit emprisonner à nouveau al-Malik al-Moughith, qu'il fit cesser de réciter la prière au nom du sultan d'Egypte et qu'il rappela à Damas l'armée qui était allée faire le siège d'Adjloûn. En même temps, il envoya un ambassadeur à al-Malik an-Nasir pour lui proposer une alliance offensive contre le sultan d'Egypte. Cette fraude détermina également les Halébins et le prince de Homs à abandonner le parti d'al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub. » Le sultan d'Egypte se vengea en faisant emprisonner l'ambassadeur, Djélal ad-Din al-Ikhlâti.
[135] Avec cette aggravation, à laquelle al-Malik al-Kâmil n'avait jamais voulu consentir, que le al-Haram-al-Sharif et tous les endroits sacrés leur appartiendraient exclusivement. (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj, ms. ar. Π03, folio 46 r°).
[136] Djémal ad-Din (Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 46 r°) ajoute la citadelle de Kaûkab.
[137] Les Francs réunirent immédiatement leur armée et al-Malik as-Sâlih envoya une armée à Ghaza, pendant qu'al-Malik al-Mansour se rendait en personne à 'Akkâ, où il se réunit avec les Francs ; ils convinrent de marcher immédiatement sur l'Egypte. « Je partis à la fin de cette année, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 46 r°) pour me rendre en Egypte. J'entrai à Jérusalem et j'y vis les moines et les prêtres Francs tout autour de la Roche-Sainte (sakhra) ; ils y avaient déposé des fioles de vin pour la Messe ; je pénétrai dans la mosquée el-Aksa, on y avait suspendu une cloche et on avait cessé dans le al-Haram-al-sharif de faire l'appel à la prière et d'y pratiquer les offices (musulmans) tandis qu'on y accomplissait toutes les cérémonies de l'impiété. Al-Malik an-Nasir-Daoud arriva à Jérusalem le même jour que moi, et il alla loger à l'occident de Jérusalem. Je n'allai point lui rendre visite dans la crainte qu'il ne me détournât de me rendre en Egypte. Quand j'arrivai à Ghaza, j'y trouvai une partie de l'armée d'al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ’îl qui y était campée et je rencontrai à 'Abbasa un détachement de l'armée égyptienne; tous les deux étaient sur le pied de guerre et n'attendaient que l'ordre de marche. Je vis la tente impériale (dehliz) dressée à la Birkat-al-Djubb ainsi que les troupes qui étaient prêtes à envahir la Syrie. J'entrai au Caire au mois de Moharram et j'allai rendre visite à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali... Le sultan al-Malik as-Sâlih résidait alors dans ses palais dans la citadelle de l'île (de Raûdah) ». Il est bon de remarquer que Djémal ad-Din dit dans le récit de son voyage que les Francs avaient déposé des burettes pleines de vin sur la Sakhra pour célébrer le sacrifice de la Messe; le texte de Makrizi, traduit littéralement, signifie « ils versèrent du vin (dans des bouteilles), sur la Roche ».
[138] Il faut comprendre : « de se mettre en marche vers l'Egypte en combattant les Syriens », ce que firent en effet les Kharezmiens et ce qui empêcha la confédération des ayyoubides de Syrie d'attaquer l'Egypte.
[139] On a vu plus haut que les Kharezmiens avaient été des alliés assez fidèles pour al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub quand il se trouvait en Mésopotamie, menant une vie qui frisait la bohème, n'ayant aucun espoir d'arriver au trône.
[140] Djémal ad-Din raconte dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1703, folio 46 v°) que plusieurs des émirs Kaïméris se joignirent aux Kharezmiens. Il cite parmi eux les deux émirs Nasir ad-Din et Zya ad-Din.
[141] Al-Malik an-Nasir-Daoud s'enfuit en toute hâte à Karak où il se retrancha (Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 47 r°).
[142] On a vu en effet que, très peu de temps avant l'invasion des Kharezmiens en Syrie, après la rupture des négociations entamées entre le sultan d'Egypte et les princes ayyoubides de Syrie, le souverain de Damas, al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl, avait fait alliance avec le prince de Karak, al-Nasir-Daoud, pour aller attaquer l'empire égyptien ; c'est dans ce but qu'il avait envoyé son armée à Ghaza.
[143] Djémal ad-Din dit même dans le Mofarradj (ms. ar. 1703, folio 47 r°) qu'ils violèrent le tombeau du Christ.
[144] Quoique les Kharezmiens lui aient rendu un grand service en disloquant par leur arrivée la coalition syrienne, Nadjm ad-Din Ayyoub se souciait peu d'avoir chez lui ces Turks turbulents, dont la conduite et les exigences lui avaient anciennement causé de graves ennuis.
[145] C'est ce général qui devint sultan d'Egypte quelques années plus tard et qui régna de 658 à 676. On trouvera l'histoire de son règne dans l’Histoire des Sultans Mamlouks de Quatremère.
[146] Sur ce corps de mamlouks qui, en 648, proclamèrent sultan de Damas, al-Malik an-Nasir-Yousouf, prince d'Alep, voir les Historiens Orientaux des Croisades, tome I, pages 130, 768.
[147] Quand cet officier vint en Egypte, le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub lui donna un apanage militaire (khoubz) qui avait appartenu à l'émir Asad ad-Din Djaghrîl-al-Kâmili et il lui assigna comme demeure la Dàr-al-moulk au Caire. C'était l'un des hommes de confiance du sultan d'Egypte. L'émir Asad ad-Din était l'un des émirs kâmilis qu'as-Sâlih Ayyoub avait fait emprisonner après les avoir dépouillée de leurs fiefs. (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 47 r°).
[148] Au point de vue des Musulmans, c'était une infamie sans nom pour le prince de Homs et pour les troupes de Damas, de tolérer une pareille démonstration de la part des Chrétiens, mais Makrizi oublie que les ennemis d'al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din-Ayyoub avaient beaucoup plus besoin des Francs que les Francs n'avaient besoin d'eux, et, dans ces conditions, les Musulmans étaient bien forcés d'en passer par où les Francs voulaient.
[149] Cette phrase est sans doute corrompue et il faut vraisemblablement comprendre des vases pleins d'eau (bénite) dont ils aspergeaient les chevaliers.
[150] darabat al-bashâir ; cette expression se retrouve fréquemment dans les historiens de l'Egypte.
[151] Sur l'ordre formel du sultan d'Egypte (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 48 r°).
[152] On a vu que ce prince avait été emprisonné pendant plusieurs années sur l'ordre d'Ismâ'îl, sultan de Damas. Le prince de Mayyafarikîn mourut également en 643 (Djémal ad-Din, Mofarradj, ms. ar. 1703, fol. 50 r°); il se nommait al-Malik al-Mothaffar-Schihâb ad-Din Ghazi, fils du sultan d'Egypte, al-Malik al-'Adil. Le sultan d'Egypte, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, assista au service funèbre qui fut célébré dans la mosquée al-Azhar. Ce prince eut pour successeur son fils, al-Malik al-Kâmil-Nasir ad-Din Mohammad, qui régna jusqu'au moment ou les Tartares le massacrèrent.
[153] Le prince de Hamâh qui venait de mourir dans cette ville.
[154] Toute cette partie du texte est incorrecte et fautive.
[155] On a vu, qu'après la prise de Jérusalem, les Kharezmiens avaient demandé à al-Malik as-Sâlih de leur donner des ordres et qu'il les avait priés de rester ou ils se trouvaient, jusqu'à ce qu'il eût vu ce qu'il pourrait faire d'eux; leur situation restait la mémo après qu'ils eurent anéanti l'armée coalisée des Francs, d'Ismâ’îl de Damas et de Daoud de Karak, car le sultan ne tenait pas davantage à les introduire en Egypte ; cette fois, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub n'avait plus d'obstacle qui l'arrêtât jusqu'à Damas, puisque ses lieutenants avaient reconquis, non seulement le Sahel, mais encore Jérusalem, en brisant en trois tronçons la coalition syrienne. D'ailleurs, il fallait bien occuper les Kharezmiens, qui, malgré leur attachement pour le sultan d'Egypte, auraient fini par ravager ses possessions ; ces troupes, comme les Mongols leurs proches parents, ne pouvaient pas vivre sans pillage.
[156] La garnison égyptienne qui se trouvait dans Ghaza.
[157] Pour régler quelques affaires de cette localité (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1703, folio 48 r°).
[158] Djémal ad-Din ibn Wasil ajoute dans le Mofarradj (ms. ar. 1703, folio 48 v°) qu'al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ’îl envoya son vizir Amin ed-dauleh à Bagdad pour implorer la médiation du khalife abbasside, al-Mota'sim billah, entre lui et son neveu, le sultan d'Egypte ; l'ambassadeur s'en revint au bout de quelque temps sans avoir rien pu obtenir.
[159] Cette sorte de vêtement était presque toujours fait d'étoffe jaune ; au Maghreb, ghoulaïla, diminutif de ghalala, désigne un vêtement de femme, très ouvert sur la poitrine et qui ne va qu'à mi-jambes. La ghalala qui fut envoyée par le fils du cheikh au prince de Damas était vraisemblablement une de ces robes de soie transparente brochée d'or que les danseuses portent dans les peintures des manuscrits.
[160] Quoique le sultan al-Malik as-Sâlih ait confié à Mou’în ad-Din le commandement d'une armée, ce personnage n'appartenait pas officiellement à l'armée et il est douteux qu'il ait jamais été inscrit sur ses registres. Il avait embrassé la vie religieuse et on a vu plus haut qu'il était supérieur d'un monastère au Caire, ou plutôt, car il n'y a pas de monastères dans l'Islam, d'une maison de derviches et d'étudiants. Un seul des fils du Cheikh des Cheikhs avait renoncé à la vie religieuse pour se consacrer à la carrière des armes, c'était l'émir Fakhr ad-Din qui compromit sa réputation à la Mansoura. C'était pour rappeler à Mou’în ad-Din qu'il avait embrassé la vie monastique que le sultan de Damas lui avait envoyé ces trois objets ; en lui envoyant des instruments de musique et une robe de femme, Mou’în ad-Din voulait lui faire comprendre que des habits de courtisane lui convenaient mieux que ceux d'un roi, ce qui était une allusion assez transparente aux mœurs efféminées et dissolues d'al-Malik as-Sâlih Ismâ’îl.
[161] C'est en 642, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1703, folio 48 v°) que mourut le prince de Hamâh, al-Malik al-Mothaffar Takî ad-Din Mahmoud, fils d'al-Malik al-Mansour-Mohammad, fils d'al-Malik al-Mothaffar-Takî ad-Din Omar ibn Shâhânshâh ibn Ayyoub, le samedi, huit jours étant passés dans le mois de Djoumada premier, après un règne de 15 ans, 7 mois et 10 jours ; il était resté paralysé pendant environ 2 ans, 9 mois et quelques jours; ce ne fut pas l'attaque d'hémiplégie qui l'avait frappé, qui l'emporta, mais bien un accès de fièvre. Il avait environ 43 ans, étant né en 599. Il eut pour successeur, son fils, Nasir ad-Din al-Malik al-Mansour-Abou 'l-Ma'alî-Mohammad, qui était alors âgé de 10 ans, 1 mois et 13 jours; l'émir Saïf ad-Din Thoghril, l’ostaddar de son père, prit la régence en s'inspirant des conseils de l'émir Sharaf ad-Din 'Abd al-’Aziz ibn Mohammad ibn 'Abd-al-Mohsin-al-Ansari et de l'eunuque (tavashi) Shodja 'ad-Din Mourschid al-Mansouri. Le vizir était Bahâ ad-Din ibn Tadj-ad-Dîn. On envoya le kadi Schihâb ad-Din Ibrahim ibn 'Abd-Allah ibn 'Abd al-Mo'nim ibn Abou’l Damm, kadi de Maniai), en ambassade au khalife abbasside, pour lui apprendre la mort d'al-Mothaffar ; le kadi emportait la cotte de mailles et le sabre du défunt. Quand il arriva à al-Ma'arrat, il fut atteint de dysenterie et il dut s'en revenir à Hamâh ; il mourut le jour même de son retour (Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 50 r°). On donna sa charge à Mohyî ad-Din Abou Ya'li Hamza ibn Mohammad, fils du kadi Amin ad-Din Abou 'l-Kasim, et on envoya en ambassade à Bagdad, le cheikh Tadj ad-Din Ahmad ibn Mohammad ibn Nasr-Allah. On envoya au Caire le prédicateur (khâtib) Zaïn ad-Din Abou’l Barakat 'Abd-as-Rahman ibn Mauhoub, en ambassade auprès du sultan al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub ; il emportait avec lui un des sabres d'al-Mothaffar, pour le remettre au sultan ; ce personnage partit de Hamâh, neuf jours étant passés du mois de chewâl. Il partit par le désert (al-barriyya) qui s'étend à l'Orient de Damas, avant que le sahib Μo’in ad-Din, fils du grand cheikh, ne fut arrivé avec l'armée d'Egypte. Il rencontra cet officier général à Balsan; quand il arriva au Caire, le sultan le reçut d'une façon très honorable (Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 50 v°).
[162] C'est, dit Yakout (Mo'djam-al-bouldân, tome IV, page 110) un grand faubourg situé en dehors de la porte Bab-al-Djâbiyya, à Damas, qui tire son nom de Hadjdjâdj ibn 'Abd-al-Malik ibn Marvân, d'après ce que raconte un hâfith nommé Abou’l Kasim.
[163] Le texte porte nahàba amvdlahou aî-nâs, ce qui signifierait que les gens de Damas pillèrent les propriétés de leur sultan ; je corrige en amvâl; il faut sans doute comprendre que le sultan de Damas détruisit des habitations de ses sujets qui se trouvaient dans la zone de servitude militaire de sa capitale et qui gênaient les opérations.
[164] Ce mot désigne soit un voile, soit la pièce d'étoffe qu'on roule autour de la tête pour en former le turban; étant donné que Mou’în ad-Din envoie en même temps un turban et un mandil au vizir de Damas, il vaut mieux traduire mandîl par voile; d'ailleurs ce mot, d'après Dozy, signifiait spécialement à Damas, un voile en étoffe de coton.
[165] Le sahib Mou’în ad-Din lui avait envoyé ces objets pour qu'il fut reconnu en arrivant aux avant-postes et qu'on ne le prit pas pour un belligérant.
[166] Al-Malik al-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub avait, comme on l'a vu plus haut, la haine la plus violente et d'ailleurs la plus justifiée contre le prince de Damas. On a va qu'Ismâ’îl avait fait enfermer dans la forteresse de Damas, le fils du sultan d'Egypte, al-Malik al-Moughith-Fath ad-Din 'Omar et que le malheureux prince mourut dans son cachot.
[167] On a vu, qu'en 638, le sultan d'Egypte envoya cet officier général en Syrie, et qu'à peine arrivé à Ghaza, il s'enfuit à Damas avec une partie de l'armée que lui avait confiée son maître et qu'il se mit au service du souverain de Damas.
[168] Ammara-hou.
[169] Qui leur avaient été concédées, comme on vient de le voir.
[170] Pendant ce temps, l'émir Hosâm ad-Din Abou 'Ali ibn Mohammad ibn Abou Ali resta à Damas pour gouverner cette ville au nom du sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub (Djémal-ad-Din, Mofarradj-al-kouroûb, ms. 1703, folio 51 r°) ; il était assisté dans ses fonctions par le tavashi Schihâb ad-Din Rashid-al-Kabîr, qui résidait dans la forteresse.
[171] C'étaient, comme on l'a vu plus haut, les villes dont les officiers d'as-Sâlih Ayyoub s'étaient emparés après la défaite des troupes de la coalition franco-syrienne.
[172] Khâfâ, peut-être à comprendre dans le sens de zanna (Lane, page 822), « il songea à tirer parti de la situation nouvelle qui était créée par la révolte des Kharezmiens contre le sultan d'Egypte ».
[173] 1600 dirhems suivant Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1703, folio 52 r°) qui fait remarquer que jamais le prix de cette mesure de blé n'avait atteint un pareil prix. Les graines de sésame (?) se vendaient au poids et trouvaient des acheteurs. Il est difficile de douter de l'exactitude de ce que racontent Djémal ad-Din et Makrizi d'après lui, car Djémal ad-Din ibn Wasil tenait ces faits de l'émir Hosâm ad-Din lui-même, qui commandait la place de Damas; le texte de Souloûk est évidemment corrompu dans ce passage.
[174] Le sultan d'Egypte avait envoyé le kadi 'Izz ad-Din ibn 'Abd al-'Aziz, fils du kadi Nadjm ad-Din Abou 'l-Barakat-'Abd-ar-Rahman ibn Abou 'Asroûn au khalife pour solliciter de lui cette faveur. Le Commandeur des croyants remit le diplôme d'investiture à Izz ad-Din et il le fit accompagner, suivant l'usage, par un de ses officiers. Quand les deux ambassadeurs arrivèrent à Jérusalem, Izz ad-Din tomba malade et mourut dans cette ville. L'envoyé du khalife continua sa route seul.
[175] Le manuscrit porte Hamâh.
[176] Littéralement « et ce fut la fin de son temps, ou de son affaire ». De nombreux exemples de cette expression prouvent qu'il ne faut pas comprendre qu'il y resta enfermé jusqu'à sa mort; d'ailleurs, on sait que c'est cet officier général qui devint plus tard sultan d'Egypte sous le nom d'al-Malik ath-Tahir. Ces mots signifient seulement que l'histoire dont on vient de parler est terminée.
[177] Cette phrase est obscure et il est possible qu'il y manque quelque chose.
[178] La Citadelle de la Montagne et celle de l'île de Raûdah.
[179] Comme on l'a vu plus haut, après la prise de Damas, cette ville avait été concédée par le commandant de l'armée égyptienne à al-Malik as-Sâlih Ismaïl.
[180] Djémal ad-Din ibn Wasil dit dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 347 v°) que l'émir Hosâm ad-Din retourna à Damas avec les deux fils d'al-Malik as-Sâlih ’Imad ad-Din Ismâ’îl et qu'il les fit emprisonner dans cette ville. Ce ne fut que plus tard qu'il les envoya au sultan d'Egypte, ainsi qu'Amin ed-dauleh, vizir d’Imad ad-Din Ismâ’îl et que l’ostaddar, Nasir-ad-Din, qui furent emprisonnés en Egypte.
[181] Al-Sâlih Ismâ’îl perdait ainsi sa dernière possession, ce qui réjouissait le sultan d'Egypte, d'autant plus que le sultan d'Egypte avait été furieux que ses généraux aient donné Baalbek à son oncle et qu'il leur avait violemment reproché de l'avoir fait.
[182] Djémal ad-Din ibn Wasil dit dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 317 v°) que l'émir Fakhr ad-Din s'empara de tout ce qu'al-Malik an-Nasir-Daoud possédait en Syrie, autrement dit de Jérusalem, Nabolos, Baït-Djibrîl, Salt et de Balka.
[183] Intama signifie s'attacher à quelqu'un, prendre du service chez lui.
[184] Comme ce prince était encore en bas âge, le vizir Moukhlis ad-Din Ibrahim ibn Ismâ’îl ibn Karnâs prit la régence; c'était l'un des personnages notables de Maniait, il avait été mis en prison sous le règne d'al-Malik al-Moudjahid-Asad ad-Din avec toute sa famille en même temps que l'émir Saïf ad-Din ibn Abou 'Ali. Quand al-Malik al-Moudjahid-Asad ad-Din mourut, son successeur, al-Malik al-Mansour-Ibrahim, le fit sortir de prison et lui donna une charge à sa cour. Ce fut ce personnage qui conseilla à al-Malik al-Ashraf d'embrasser le parti du sultan d'Egypte. Djémal ad-Din (Mofarradj, man. ar. 1703, fol. 56 v°).
[185] Quand les troupes égyptiennes se furent emparées de Baalbek, dit Dja-mal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 350 r°), le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub écrivit à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou Ali pour lui ordonner de venir le rejoindre, pendant qu'il envoyait en qualité de gouverneur à Damas, pour le représenter dans cette ville, le sahib Djémal ad-Din Yahya ibn Matrouh. Le tavashi Rashid ad-Din al-Kabîr resta dans la citadelle investi des fonctions qu'il y remplissait auparavant. Hosâm ad-Din étant revenu au Caire, le sultan al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din le nomma vice-roi de toute l'Egypte et lui assigna comme demeure le Palais du Vizirat. Le sultan d'Egypte, s'étant rendu à Damas, y reçut la visite du prince de Hamâh, le sultan al-Malik al-Mansour, qui était alors âgé de 12 ans, et celle du prince de Homs, al-Malik al-Ashraf. Ces deux souverains furent très honorablement reçus par al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub.
[186] Par ces termes, Makrizi entend les professeurs et les étudiants des medrécehs attenant aux mosquées, les Soufis et en général, les gens qui vivent de la vie contemplative dans les couvents et ceux qui vivent isolés les uns des autres dans une demeure quelconque, se livrant aux austérités des règles ésotérique et exotérique du Mysticisme.
[187] Le manuscrit de Makrizi porte dans cet endroit la leçon Salkhad qui ne se trouve pas dans Yakout; celui-ci ne connaît que la forme Sarkhad.
[188] Le texte de cette phrase est très altéré, et le copiste a complètement défiguré le mot shoghl qui ne se rencontre pas dans la littérature arabe avec le sens de finances, mais seulement son pluriel ashghâl, « les finances, le Trésor », « les sommes provenant du rendement des impôts et qui sont déposées dans le trésor ». Shoghl signifiant également main-d'œuvre, on pourrait traduire à la rigueur : « il ordonna d'employer.... les ouvriers de Jérusalem, et s'il en fallait plus, il en enverrait du Caire. » La phrase précédente dans laquelle je lis « coudées hachémites », par suite d'une correction, me paraît également très altérée.
[189] Ce prince avait régné en Egypte avant al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, de 635 à 637; ses prodigalités l'avaient fait déposer après un règne mouvementé.
[190] Makrizi mentionne encore cet événement une phrase plus loin; al-Moughith était emprisonné dans la forteresse avec son père ; c'est pourquoi Makrizi dit qu'après la mort d'al-'Adil, on le fit descendre anzala de la forteresse de la Montagne dans la ville, où ses tantes lui donnèrent l'hospitalité jusqu'au jour ou il fut transféré à la forteresse de Shaûbak.
[191] Djémal ad-Din ibn Wasil ne place la campagne contre 'Ascalon qu'après le retour d'al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub en Egypte (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 351 r0). On a vu plus haut que le prince de Damas, al-Malik as-Sâlih 'Imad ad-Din Ismâ'îl, avait livré Tabariyya et 'Ascalon aux Francs; ces · deux places étaient démantelées, mais les Francs rebâtirent leurs citadelles et les fortifièrent.
[192] L'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali, vice-roi d'Egypte, raconta ce qui suit à l'historien Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 350 v°) : « Quand le sultan me fit ses adieux au moment de se mettre en route pour la Syrie, il me dit : « Je m'en vais à Damas, mais j'ai un pressentiment que je mourrai au cours de ce voyage; alors mon frère al-'Adil, qui est emprisonné dans la Citadelle, s'emparera de tout mon empire et j'ai bien peur que vous n'ayez à souffrir de son gouvernement! » Quand l'émir apprit la maladie du sultan, il en fut très inquiet, mais il ne tarda pas à recevoir des nouvelles qui le rassurèrent.
[193] Cette forteresse appartenait, suivant ce que rapporte Djémal ad-Din-Abou 'l-Mahâsin-Youssouf ibn Taghribirdi (Egypte, ms. ar. 1779, folio 99 recto), à al-Malik al-Sa'id, fils d'al-Malik al-'Aziz. Aboulféda nous apprend dans sa Géographie (tome II, partie ii, page 28) que Soubalba est la citadelle de la ville bien connue de Bâniâs. Le nom de cette ville est fortement corrompu dans le manuscrit.
[194] Ou avec une suite nombreuse.
[195] Cette année, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 351 r°), al-Malik al-Ashraf, fils d'al-Malik al-Mansour, prince de Moins, livra la citadelle de Shoumalmis au sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, sur le conseil de son vizir Moukhlis ad-Din Ibrahim ibn Karbâs. En agissant ainsi, le vizir, d'après ce que dit Djémal-ad-Din, poursuivait un double but : il espérait gagner par ce moyen les bonnes grâces du sultan d'Egypte, mais le véritable mobile de cet acte bizarre était qu'il voulait ruiner la famille ayyoubide qui régnait à Homs. Il avait eu, en effet, beaucoup à souffrir, ainsi que les siens, d'Asad ad-Din Shirkouh, grand-père d'al-Malik al-Ashraf. Moukhlis ad-Din et le sultan d'Egypte eurent, au sujet de cette affaire, une correspondance assez longue, ce qui s'explique par la très grande importance qu'avait la forteresse de Shoumaimis au point de vue stratégique. Le prince d'Alep, al-Malik an-Nasir et son ministre, l'émir Chams ad-Din Loulou al-Amini, furent extrêmement dépités de cet événement et ils craignirent que cela n'ouvrit le chemin d'Alep au sultan d'Egypte; c'est alors que les Halébins conçurent le projet d'une expédition contre Homs.
[196] Sur la forme de ce nom, voir plus haut. On vient de voir que cet émir avait rendu la ville de Garkhad aux officiers du sultan d'Egypte.
[197] Voici ce que Djémal ad-Din ibn Wasil raconte au sujet de la mort d'al-Malik al-'Adil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 351 v°) : Quand le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub apprit l'expédition que les Halébins voulaient entreprendre contre Homs, il se décida à faire une expédition en Syrie, et il donna l'ordre de conduire son frère, al-Malik al-'Adil, à Shaûbak et de le détenir dans la citadelle de cette ville. Il avait en effet extrêmement peur que ce prince ne réussit à s'enfuir en Syrie et, qu'après sa mort, il ne s'emparât des pays sur lesquels il régnait. On dressa une tente pour al-Malik al-'Adil, en dehors de la ville, et le sultan avait désigné les gens qui devaient l'accompagner à Shaûbak. On ordonna au prince de partir, mais il ne voulut jamais y consentir ; le lendemain, on le trouva mort dans la Citadelle de la Montagne. Le malheureux prince fut enseveli dans le tombeau de Chams ed-dauleh, fils de Salah ad-Din, en dehors de la Porte de la Victoire. Il y avait près de huit années qu'il était en prison. La mort d'al-’Adil a déjà été mentionnée par Makrizi, sous la rubrique de l'année 644. D'après Ibn Wasil, ce prince avait environ trente ans et avait d'abord été détenu à Bilbis.
[198] La lecture du nom de cette localité est douteuse, car on ne la trouve que deux fois dans le Soloûk de Makrizi, et sans points diacritiques ; or, comme toutes les lettres qui composent ce mot, sauf l’élif, sont susceptibles d'en porter, le nombre des lectures est presque indéfini. Je suppose que cette localité est celle qui porte aujourd'hui le nom de Bourg el Tinèh, et qui est située sur l'ancienne branche pélusiaque du Nil, à six kilomètres environ des ruines de la ville de Péluse, tout près du rivage de la Méditerranée. Le pays qui s'étend de Port-Saïd jusqu'à Péluse et qui est limité à l'ouest par le canal de Suez s'appelle aujourd'hui Plaine de Tinèh, ce qui concorde avec ce que Makrizi dit plus loin, quand il parle du canton (ard) de Tanâih (?). C'est dans ce sens que j'ai traduit l'expression fort peu claire de Makrizi; mais il est également possible de traduire : il en avait fait une ville à....
[199] Le siège de Homs avait duré deux mois (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 353 r°).
[200] L'émir Hosâm ad-Din se trouvait alors à Salahiyya avec la garde impériale (halka). Quand al-Malik as-Sâlih reçut la nouvelle de la prise de Homs, il envoya un exprès à cet émir, qui arriva à franc-étrier au Caire, accompagné seulement de quelques cavaliers d'escorte et ils concertèrent le plan de cette campagne.
[201] Parmi ces machines, il y avait des mangonneaux dit magrébins dont le tir était beaucoup plus meurtrier que celui des mangonneaux ordinaires (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 354 r°). C'est l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'All lui-même qui raconta à l'historien Djémal ad-Din qu'une de ces machines avait lancé 140 ritls de pierre dans une seule journée. Djémal ad-Din ajoute qu'on mit également en batterie une pièce de siège nommée karâbokhâ et douze autres engins nommés mandjanihs diaboliques (al-mandjanika-al-shaïtaniyya). On a assez peu de renseignements sur ces machines; karâ-bokhâ est composé de deux mots mongols et signifie · le taureau noir ». Le prince d'Alep, al-Malik an-Nasir, sortit d'Alep vers le 15 du mois de Ramadhan et s'en alla camper près de Kafrtab.
[202] Le sultan rentra directement en Egypte, car il était très malade et devait se faire transporter dans une litière ; quand il fut éloigné de deux jours de Damas, il envoya à l'émir Hosâm ad-Din l'ordre de marcher sur Karak, d'en prendre possession et de remettre Shaûbak à al-Nasir. L'émir raconta ce qui suit au kadi Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 354 v°) : « Quand j'eus reçu l'ordre du sultan, je me mis en marche bien à contre cœur, car je savais combien al-Malik an-Nasir était versatile et qu'il ne pouvait rester sur une opinion. J'avais peur qu'il ne me fit emprisonner ». L'émir fit part de ses craintes au sultan qui envoya alors un autre officier nommé Tadj ad-Din ibn Mahadjir à Karak; ce dernier se rendit à Karak, et eut une entrevue avec al-Malik an-Nasir-Daoud qu'il mit en demeure de s'exécuter; mais ce prince, qui venait d'apprendre le débarquement des Francs en Egypte, refusa d'en rien faire.
[203] Cette forme est des plus douteuses, on pourrait également lire Kharidji.
[204] La lecture de ce nom propre n'est pas sûre.
[205] Le lundi, 3 jours passés du mois de Safer, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 355 v°). Il vint camper à Ashmoum-Tannah pour faire face aux Francs quand ils débarqueraient.
[206] Dans la première décade du mois de Moharram, dit Djémal ad-Din (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 355 v°), l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali arriva au Caire et il y fit son entrée le mardi, trois jours restant de ce mois; il descendit au Palais du Vizirat. L'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr se rendit à Damas pour y remplir les fonctions de gouverneur au nom du sultan; il partit avant l'arrivée d'Hosâm-ad-Din, et les deux officiers généraux se rencontrèrent dans le Raml. Le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub venait d'enlever à Schihâb ad-Din Rashid le commandement de la forteresse de Damas ; il envoya le kadi al-As'ad Sharaf ad-Din al-Faizî pour remplir dans cette ville les fonctions de vizir.
[207] Djémal ad-Din ibn Wasil dit « sur le lac de Damiette » ald bohaïra Dimidt et Makrizi « à Djizah de Damiette » alâ Djizah Dimiât ; mais il y a probablement là une faute du copiste du Souloûk; ce copiste aura cru reconnaître dans le mot bohaïra le mot Djîzah qui lui était très familier et qui graphiquement n'en diffère que très peu. En tout cas, l'autorité du manuscrit d'Ibn Wasil ne permet pas de douter de l'exactitude de la leçon alâ bohaïra et c'est d'après elle que j'ai corrigé le texte du Souloûk.
[208] Parce qu'on était persuadé de l'imminence de la mort du sultan.
[209] Le jeudi, suivant Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 356 recto).
[210] Par ces mots, Makrizi entend les formules d'invocation à Dieu, à Jésus-Christ et au Saint-Esprit qui étaient inscrites en tête des lettres des rois chrétiens, de même que les sultans musulmans employaient le bismillah et la tevhid.
[211] Le texte porte littéralement « nous vidons d'eux le pays ».
[212] Il est curieux de retrouver un passage presque identique à la fin de la lettre qu'Houlagou-Khân, frère de l'empereur des Mongols, Mankkou Kâ'ân, écrivit au prince de Damas, al-Malik an-Nasir-Salah ad-Din Yousouf : « Et lorsque vous aurez achevé notre lettre, lisez le commencement de la Sourate des Abeilles et la fin de la Sourate du Sad. Nous avons répandu les diamants de nos paroles. A vous d'y répondre, et salut à celui qui suit la voie du salut ! » Histoire des Mongols depuis Tchinguiz-Khan jusqu'à Timour-bey par C. D'Ohsson, tome III, page 298, Amsterdam, 1852.
[213] Djisr signifie souvent un pont de bateaux, par opposition à kantara qui désigne plus spécialement un pont en pierres formé d'arches.
[214] Par suite d'une erreur évidente, le texte porte « pendez-le avant son fils ! »
[215] Souk : par ce terme, il faut souvent entendre des rues étroites et sinueuses, bordées de boutiques et de maisons de chaque côté ; ces sortes de marchés, qui s'établissaient près des cantonnements, portent chez les auteurs persans du xive et du xve siècle le nom de ourdou bazar.
[216] A partir de ce moment, la forteresse de Karak servit aux sultans d'Egypte à déposer leur trésor de guerre et elle devint une propriété de la couronne; plus d'une fois, les sultans mamlouks allèrent s'y retirer quand il leur devint impossible de résister à leurs émirs.
[217] Yakout (Mo'djam-al-bouldân, tome IV, page 780) donne à ce nom de localité la forme de Nastarou et dit que c'est une île entre Damiette et Alexandrie, où l'on trouve un poisson dont la pêche est affermée pour 50.000 dinars. On n'y trouve pas d'eau et les habitants ne boivent que celle qu'on apporte en bateau. Quand ils manquent d'eau, ils sonnent de la trompette pour en avertir les gens du rivage.
[218] Le terme dont se sert Makrizi, et qui est dérivé de la racine sataha, signifie exactement « dont le pont était blindé », il n'indique pas que la coque du bâtiment ait été protégée par un revêtement. Rien ne permet de déterminer en quelle matière était fait ce blindage, s'il se composait de lames de plomb ou d'un soufflage en bois. L'existence de ces navires protégés par un revêtement métallique contre le choc des projectiles qu'on faisait tomber du haut des mâts sur leur pont, soit contre les jets de naphte et de feux grégeois, est prouvé par un passage du traité de Constantin Porphyrogénète intitulé : De ceremoniis aulae Byzantinae (livre II, dans Migne, Patrologie grecque, tome CXII, colonne 1219). On voit que ces blindages étaient sérieux. Les flancs des navires n'étaient guère protégés que par des revêtements en cuir de bœuf très suffisants pour empêcher que le feu grégeois n'enflammât les bordâmes des bâtiments. La protection la plus efficace devait se trouver sur le pont, de façon à le préserver du choc des masses qu'on y projetait. C'est le contraire, ou au moins presque le contraire, aujourd'hui où les gros projectiles frappent par les travers et les petits de haut en bas, et c'est, ce qui explique la différence des blindages qui sont considérables dans le sens vertical et relativement faibles sur les ponts.
[219] Ces apostilles étaient formées d'un morceau de papier que l'on fixait sur les diplômes et sur les rescrits comme les grands sceaux des monarchies européennes ou celui de la République française.
[220] Ceci n'est compréhensible qu'à la condition de savoir que les Égyptiens appellent généralement le Nil « la mer », bahr, ou bahr-al-Nil « la mer du Nil ». C'est de bahr qu'est formé l'adjectif ethnique bahri. Ces mamlouks arrivèrent au trône avec Izz ad-Din Aïbec et ils furent à leur tour renversés en 1381 de notre ère, après le règne d'al-Hadjdji-Sâlih ibn Chaban, par le célèbre al-Malik ath-Tahir-Barkouk. Ce prince appartenait à une autre milice mamlouk, celles des Bordjites ou Circassiens, sur laquelle je reviendrai à loisir dans la suite de cette histoire.
[221] Je passe ici quelques lignes qui n'ont pas grande importance et dans lesquelles Makrizi ne fait guère que décrire la crainte qu'il inspirait à ses sujets et à ses émirs.
[222] Al-Malik al-Sâlih trouvait que la Citadelle de la Montagne n'offrait pas une sécurité assez complète dans le cas d'une insurrection militaire qui était toujours possible en Egypte, tandis qu'avec ces précautions, et entouré de sa garde de mamlouks turcs, il était bien difficile qu'on vint le chercher dans sa forteresse de l'île de Raûdah. Ce sultan avait tant de fois été la victime de coups de main militaires que l'on comprend qu'il ait pris toutes ces précautions, quand il devint souverain de l'Egypte, pour éviter le retour d'événements aussi fâcheux pour lui.
[223] Ce nom est né d'une étymologie populaire inexacte. Bablouk était le nom arabe, ou plutôt mi-arabe, mi-copte de ce qu'on appela plus tard en Occident la « Babiloine du Caire ». Les Musulmans virent dans bâb le mot arabe bien connu qui signifie « porte » et ils décomposèrent ce nom en Bâb-Louk, la porte de Loûk. Yakout nous apprend dans le Mo'djam (tome I, page 450) que cette localité, qu'il nomme Babilyoûn, était le quartier appelé Karâfa. Quant aux étymologies insoutenables qu'il en propose, le miens est de ne pas les mentionner.
[224] C'est, dit Yakout dans le Mo'djam-al-bouldân (tome III, p. 710), une petite ville située dans l'extrême est de l'Egypte au-dessous de Bilbis ; il y a dans cette localité des marchés et un bazar; elle était habitée par des Arabes.
[225] Dans le texte de Makrizi, il y a ici un membre de phrase dont la traduction littérale est « qui mourut également pendant sa vie » ; cela est impossible, car Tourânshâh fut assassiné par ses émirs après quelques semaines de règne.
[226] D'après Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 358 v°), le sultan éprouva un mieux subit, suivi d'une recrudescence du mal, qui l'enleva. Il écrivit même à l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali pour lui annoncer cette bonne nouvelle et pour lui faire connaître qu'il était revenu à la santé, mais qu'il ne pouvait ni monter à cheval, ni jouer au polo. Il avait à ce moment comme médecin, Rashid, connu sous le nom de Abou-Khalifa, médecin de son père, al-Malik al-Kâmil ; il écrivit à Hosâm ad-Din pour le prier de lui envoyer le médecin Mouvafik ad-Din Abou’l Fadl-al-Hamavi, puis il lui envoya une nouvelle lettre à la suite de laquelle l'émir fit partir un autre praticien, Fath ad-Din ibn Abou’l Havafir, qui n'arriva que quelques jours avant la mort du sultan.
[227] Quoique sa fuite devant les Francs, quelques jours auparavant, eût gravement compromis sa réputation militaire.
[228] L'émir était persuadé que le sultan al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub était vivant ; la sultane Shadjar-ad-Dorr avait si habilement contrefait son écriture qu'il n'y vit rien (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 363 verso). Djémal ad-Din raconte dans le même endroit de sa chronique qu'il était convaincu pour son compte que le sultan était mort, car le jour de la prestation du serment à son fils, le fils d'un de ses médecins lui avait représenté son état comme absolument désespéré. D'après l'auteur du Mofarradj, l'apostille (‘alâma) de Nadjm ad-Din Ayyoub était ainsi conçue : « Ayyoub ibn Mohammad ibn Abou-Bakr ibn Ayyoub ».
[229] Ceci est en contradiction avec un passage antérieur dans lequel Makrizi raconte qu'avant de mourir, le sultan avait signé un nombre suffisant d'apostilles pour que l'on pût continuer à expédier les actes en son nom jusqu'au moment de l'arrivée de son fils, al-Malik al-Mo'aththam Ghiyâth ad-Din Tourânshâh.
[230] Parmi ces gens, Djémal ad-Din ibn Wasil cite (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 363 r°) Mohyî ad-Din ibn al-Djardi et Saïf ad-Din ibn 'Adlân.
[231] Cette traduction est conjecturale.
[232] Ce nom propre est mongol, et il est à rapprocher de oughoughta, adverbe qui signifie « entièrement, complètement ». Oughoughtaï est l'adjectif correspondant à cet adverbe, il signifie « qui complète une série, qui termine quelque chose ». Ces sortes de noms sont très fréquents dans l'onomastique des Mongols. Oughoutâi dérive de oughoughtaï par la chute régulière du second gh. Aktaï pourrait, à la rigueur, être un adjectif dérivé par la suffixation du mongol -taï au turc ak « blanc », mais cela est peu probable. En tout cas, il ne faut pas confondre le nom de Oughoutâi avec celui de l'empereur Ougédeï qui a une toute autre origine et un sens absolument différent.
[233] Ce prince avait quatorze ans (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 363 v°). Cet historien dit de même que l'émir Hosâm ad-Din, ayant appris d'un de ses officiers que l'émir Fakhr ad-Din était tout disposé à s'emparer de la couronne, prit immédiatement ses précautions pour faire enfermer al-Moughith. Il craignait évidemment que Fakhr ad-Din ne se servit du jeune prince ayyoubide comme d'un instrument pour arriver au but de son ambition, qu'il le proclamât sultan en se réservant la régence et qu'au bout de quelques semaines, il l'envoyât à Karak en gardant le pouvoir. Ce n'est pas autrement qu'agit al-Mo'izz Aïbec. C'est alors qu'il le fit enfermer dans la Citadelle où il se rendit lui-même pour bien recommander au gouverneur d'exercer sur le prince une surveillance des plus étroites et de ne le laisser sortir sous aucun prétexte.
[234] Par « lettres closes » moukdtibât, il faut entendre les documents officiels confidentiels, s'adressant à des personnes déterminées, que l'on adressait fermés, avec une suscription portant le nom de l'officier qui les expédiait au nom du sultan. Ceux qui devaient avoir une notoriété générale étaient écrits sur de grandes feuilles de papier que l'on ne pliait pas; ce sont ces derniers documents auxquels, entre autres noms, les Persans donnent ceux de firman et au xiv« siècle de yarligh ; ils correspondent aux mandements de la monarchie française.
[235] Makrizi aurait dû dire plus haut, quand il a fait mention du courrier qu'Hosâm ad-Din fit partir pour Hisn, que ce général l'envoyait à Tourânshâh pour le prévenir des menées de Fakhr ad-Din et que le courrier avait l'ordre d'arriver coûte que coûte auprès du prince ayyoubide avant celui de Fakhr ad-Din, de façon à lui faire comprendre qu'il n'avait pas un moment à perdre s'il voulait garder la couronne. Peut-être Hosâm ad-Din avait-il peur que Fakhr ad-Din ne conseillât à Tourânshâh de prendre son temps.
[236] Il avait avec lui, dit Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 364 r°), son secrétaire, un Chrétien qui se nommait Nashoû, fils de Haschisch-al-Nasrâni-al-Misri. Il laissait à Hisn-Keïfa son fils, al-Malik al-Mouahhid 'Abd-Allah, qui était alors âgé d'environ dix ans, avec des officiera pour gouverner la place en son absence.
[237] Cette lettre était envoyée par l'émir Fakhr ad-Din Yousouf (Djémal ad-Din, Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 364 v°) ; elle avait été rédigée par le katib-al-inshâ (chef du bureau diplomatique) Bahâ ad-Din Zohaïr.
[238] Cette bataille est racontée par Djémal ad-Din ibn Wasil (ms. ar. 1702, folio 364 v°).
[239] Shârimsâh, dit Yakout, est un village qui a presque l'importance d'une ville; il est éloigné de Boura de quatre farsakhs, de cinq de la ville de Damiette. Il dépend du canton de Dakhaliyya (Mo’djam-al-bouldân, t. III, page 232).
[240] Ou al-Baramoun; la ville qui porte aujourd'hui ce nom, et Kasr al-Baramoun sont tous les deux situés sur la branche de Damiette, à peu près aux doux tiers de la distance qui sépare Shârimsâh de Mansourah.
[241] Le sens de cette phrase offre quelque difficulté dans Makrizi et dans Djémal ad-Din ibn Wasil qui, au lieu du mot barr, emploie celui de djazira « presqu'île, terre » ('ala taraf djazira Dimiàt). Mansourah formait à cette époque la limite de la terre de Damiette. Quant à la branche de Damiette, elle se prolonge beaucoup plus bas encore. Peut être, dans ce passage, conviendrait-il de traduire « à l'extrémité de la terre de Damiette », barr signifiant, en même temps que rive, « le territoire qui se trouve en dehors d'une ville, sa banlieue, et par extension, le pays qui en dépend administrativement ». Dans ce sens barr est à peu de chose près synonyme de djazira.
[242] Ils se nommaient : al-Malik al-Amdjad, al-Malik ath-Tahir, al-Malik al-Mo'aththam et al-Malik al-Avhad (Djémal ad-Din ibn Wasil Mofarradj-al-kouroûb-fi-akhbâr-moulouk-Bani-Ayyoub, ms. ar. 1702, folio 365 r°); il y avait encore huit autres fils du prince de Karak dont les noms ne sont pas donnés par l'historien arabe. Dans ce corps de l'armée musulmane se trouvaient également le frère d'al-Malik an-Nasir-Daoud, al-Malik al-Kâhir et al-Malik al-Moughith.
[243] Sataroû-hou bis-sataïr.
[244] Ou peut-être : sans prendre le temps de le seller et de le brider.
[245] C'est évidemment le village que les cartes d'Egypte nomment Guédilah et qui se trouve à peu près à trois kilomètres de Mansoura dans le Nord-est et à un peu moins d'un kilomètre de la rive du bras de Damiette. Yakout ne fait pas mention de cette localité dans le Mo'djam-al-bouldân (tome II, page 42), il connaît une station de ce nom sur le chemin du pèlerinage qui se rend à Bassora; c'est aussi le nom d'une sous-tribu arabe. On voit que les renseignements de Yakout ne correspondent en rien à la position que doit avoir la ville dont parle Makrizi.
[246] On a vu qu'à la fin du règne d'al-Malik as-Sâlih, cet officier avait été jeté en prison pour avoir trahi le sultan en s'alliant contre lui aux Kharezmiens.
[247] On a déjà trouvé un peu plus haut cette expression de djazira appliqué à la terre barr qui s'étend depuis Mansoura jusqu'à l'embouchure de la branche du Nil qui coule près de ces deux villes. En somme, ce terme de djazira « presqu'île » s'explique par la configuration du terrain. La bande de terre qui s'étend entre Damiette et Mansoura, et où court aujourd'hui la ligne ferrée Damiette-Mansoura-Semennoud-Tanta, est limitée à l'est, par le Nil et le lac Menzaléh, et à l'ouest par les étangs et les bas-fonds qui s'étendent entre la branche de Rosette et celle de Damiette. Cela explique assez bien pourquoi les Égyptiens nomment cette langue de terre qui, en quelques endroits est fort étroite, la presqu'île djazira de Damiette. Cette expression de djazira est d'ailleurs suffisamment expliquée par un passage du Mofarradj, dans lequel on lit : al-djazira allati hya barr Dimiât, d'où il s'ensuit que les deux expressions barr Dimiât et djazira Dimiât sont rigoureusement synonymes (folio 357 recto).
[248] En arabe batâka ou batlàka; ce mot est probablement d'origine étrangère et on a pensé au grec πιττάκιον, πιτάκιον, πιτάκη (Du Cange, Glossarium ad scriptores mediae et infimae graecitatis... Lyon, 1688, tome II, col. 1175), lettre missive; cette étymologie est possible; mais il se peut également que ce mot soit d'origine turque et qu'il se rattache au turc oriental bitek, « écriture, lettre », dont on retrouve des équivalents en mongol et en mandchou, et qui est probablement lui-même un emprunt au sanscrit pitaka.
[249] Hadji Khalifa nous apprend dans le Djihan-Numa qu'à son époque Samavât était un kadilik situé entre Koufâ et la Syrie, dans un vallon nommé le « vallon céleste » (vâdi-as-samà). Le canton de Samavât est élevé et il ne consiste guère qu'en une plaine déserte où il n'y a aucune pierre. Il est habité par des Arabes de la tribu de Kalb, et on y trouve plusieurs villages dans lesquels ils habitent. Ils reconnaissaient très vaguement l'autorité des officiers osmanlis (Cf. Yakout, Mo'djam-al-bouldân, tome III, page 131).
[250] Le lundi, suivant Djémal ad-Din ibn Wasil, dans le Mofarradj (ms. ar. 1702, folio 365 r°).
[251] La ville fut brillamment pavoisée (ibid.).
[252] On a vu plus haut qu'après la fuite d'al-Malik an-Nasir-Daoud, le père de Tourânshâh, le sultan d'Egypte, al-Malik as-Sâlih-Nadjm ad-Din Ayyoub, avait déposé à Karak toutes les sommes et tous les objets précieux dont il n'avait pas immédiatement besoin.
[253] L'ambassadeur du prince de Hamâh était le prédicateur (khâtib) Zaïn ad-Din ibn Marhoub. Le jeune sultan remit, avant de partir de Damas, un vêtement d'honneur à l'émir Djémal ad-Din ibn Yaghmoûr et il le confirma dans sa charge ; il distribua également des vêtements d'honneur aux émirs kaïméris et il leur fit de grandes largesses; après quoi, il partit, accompagné du kadi al-As'ad Sharaï ad-Din al-Faizî, que le sultan al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub avait nommé inspecteur de la chancellerie (naïb fi-divan) à Damas. Djémal ad-Din ibn Wasil ajoute ce détail curieux que lorsqu'al-Malik al-Mo'aththam fut entré dans le Raml, son secrétaire, le Chrétien an-Nashoû ibn Haschisch-al-Nasrani, se convertit à l'Islamisme et reçut le nom de Mou’în ad-Din (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 365 v·).
[254] Accompagné du kadi Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 367 r°).
[255] Il est à remarquer que cette ruse réussit presque toujours en Egypte, et cependant elle servit si souvent qu'elle aurait dû être éventée de bonne heure.
[256] Makrizi, dans cet endroit, donne par erreur à ce général le nom de Djémal-ad-Dîn; le Mofarradj-al-kouroûb de Djémal ad-Din ibn Wasil (ms. ar. 1702, folio 307 verso) rétablit la véritable forme Hosâm-ad-Din.
[257] Djémal ad-Din ibn Wasil dit dans le Mofarradj-al-kouroûb (ms. ar. 1702, folio 367 r°) que le sultan al-Malik al-Mo'aththam envoya à cet émir un magnifique cheval avec une selle garnie d'or et une somme de 3.000 dinars.
[258] 'Ard; ce mot peut également signifier « leçon que l'on apprend par cœur et que l'on récite devant celui qui l'a donnée ».
[259] Fi madjlisihi, il faut comprendre ici presque « sous sa présidence », al-Malik al-Kâmil se réservant évidemment le droit dans ces interrogatoires de récompenser ou de tancer son petit-fils suivant qu'il avait bien ou mal répondu. On a vu plus haut que le sultan al-Malik al-Kâmil aimait beaucoup ces réunions (madjlis), dans lesquelles il s'entretenait avec des savants jusqu'à une heure avancée de la nuit. C'est, probablement au cours de ces réunions qu'on interrogeait le futur sultan d'Egypte, al-Mo'aththam Tourânshâh.
[260] Peut-être conviendrait-il de traduire : où les émirs et les mamlouks (de son père) vinrent le rejoindre ».
[261] Celui-là même dont les Francs avaient failli s'emparer après la mort de l'émir Fakhr ad-Din, fils du cheikh des cheikhs et dont ils avaient été chassés par la charge furieuse des mamlouks turcs sous le commandement de l'émir Baybars al-Bondokdâri.
[262] Ceci fait allusion à un événement, d'ailleurs très obscur, qui est raconté au folio 108 recto.
[263] Parce qu'ils manquaient de vivres et d'approvisionnements.
[264] Le sultan al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh récompensa les équipages de la flotte engagés dans le combat qui s'était terminé par la défaite des Francs. Il donna, le deuxième jour du mois de Dhou’lhiddjeh, à l'émir Hosâm ad-Din l'ordre de se rendre au Caire et d'aller tenir dans cette ville, au Palais du Vizirat, une séance où il siégerait en qualité de naïb du sultan. A cette occasion, le kadi Djémal ad-Din reçut un vêtement d'honneur ainsi que plusieurs juristes qui étaient venus présenter leurs hommages à l'émir. Djémal al-din ibn Wasil raconte dans le Mofarradj-al-Kouroûb (ms. ar. 1702, folio 368 r°), qu'il se rendit au Caire avec l'émir Hosâm ad-Din ce même jour d'Arafa où l'escadre musulmane enleva un convoi de ravitaillement aux francs. Djémal ad-Din (ibid., folio 368 v°) réduit à sept le nombre des vaisseaux de ligne des Francs qui furent capturés.
[265] La ville de Nisibin, dit le kadi Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 368 r°), était divisée entre Badr ad-Din Loulou, atabek de Maûsil, et al-Malik as-Sa'ïd, prince de Mardîn ; les deux souverains y avaient chacun mis un gouverneur (wâli). Cet arrangement bizarre ne dura pas longtemps, et les deux gouverneurs ne purent s'entendre. Badr ad-Din Loulou marcha sur Nisibin et s'en empara presque sans coup férir. De là, il se dirigea sur Donaïsir, qui appartenait également à al-Malik as-Sa'ïd, et il la conquit; il marcha ensuite sur Ra'as Aïn, où se trouvait un corps d'armée appartenant au prince de Mardîn. Ces troupes avaient été envoyées par lui comme renfort, au sultan d'Alep, al-Malik an-Nasir, contre l'armée du sultan d'Egypte, al-Malik as-Sâlih Nadjm ad-Din Ayyoub, à l'époque où celui-ci était venu assiéger la ville de Homs. Quand la paix eut été conclue entre tous les princes ayyoubides, ces troupes se mirent en marche pour regagner Mardîn et s'arrêtèrent à l'étape de Ra'as 'Aïn ; c'est alors que Badr ad-Din Loulou les attaqua, il les mit en déroute, s'empara de leurs chevaux, fit prisonnier leur général et il s'en revint ensuite à Donaïsir dont il fit transporter toutes les récoltes à Nisibin et qu'il fit saccager ensuite. Il ne laissa debout que la grande mosquée. Le prince de Mardîn envoya un ambassadeur au sultan d'Alep, al-Malik an-Nasir, pour implorer son aide contre al-Malik ar-Rahim Badr Din Loulou'.
Ce prince fit immédiatement partir d'Alep une armée sous le commandement de son grand-oncle, al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh, fils du sultan Salah ad-Din Yousouf. Ces troupes se mirent en marche vers Mardîn et vinrent camper à Harzam, où elles furent rejointes par le prince de Mardîn, al-Malik as-Sa'ïd. Elles continuèrent leur chemin pour aller attaquer Badr ad-Din Loulou qui était campé à Nisibin, dont il venait de réédifier la citadelle. Au moment où le conflit était inévitable, un ambassadeur du khalife arriva pour rétablir la paix entre les belligérants, à la condition que l'atabek de Maûsil donnât la ville de Dara à al-Malik as-Sa'ïd. Quoique le prince de Maûsil eût tout d'abord accepté cette combinaison, on ne put arriver à s'entendre et les belligérants durent en appeler au sort des armes. Le combat s'engagea devant Nisibin. Badr ad-Din Loulou fut battu, et les troupes d'Alep et d'al-Malik al-Sa'ïd lui infligèrent une sanglante défaite ; sa tente tomba entre les mains des coalisés ainsi que son trésor. L'armée ayyoubide entra dans Nisibin et s'empara de la citadelle par capitulation. Les deux princes coalisés y mirent des gouverneurs, puis ils allèrent faire le siège de Dara pendant trois mois; ils s'emparèrent de cette ville et la saccagèrent. Après cette victoire, un détachement de l'armée d'Alep alla s'emparer de Karkisiyya. Ce fut la fin de la campagne ; les troupes d'al-Malik an-Nasir rentrèrent à Alep et al-Malik as-Sa'id s'en retourna à Nisibin.
[266] Probablement pour empêcher que l'escadre musulmane qui croisait sur le lac Mahalla, ne vint les attaquer à l'improviste au cours de cette marche de Mansoura à Damiette.
[267] C'est cette rive barr que Makrizi appelle « la rive de Damiette » et Ibn Wasil « la presqu'île djazira de Damiette ».
[268] Commandant de la milice des mamlouks bahris; c'était déjà lui qui, à la Mansoura, avait repoussé les Francs qui étaient sur le point de s'emparer du camp musulman.
[269] Peut être faut-il traduire : autant parler de la mer, ou, mais le fleuve seul pourrait dire leur nombre, en lisant fa-hadatha 'anhoum al-bahr.
[270] Le sultan al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh écrivit également au prince d'Alep pour lui apprendre le triomphe des Musulmans et la capture du roi des Francs; al-Malik an-Nasir-Daoud fit immédiatement pavoiser et illuminer Alep (Djémal ad-Din ibn Wasil Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 374 v°).
[271] Ces vers, tels qu'ils sont rapportés par Makrizi, offrent des variantes notables avec la version qu'en donne le Collier de perles de Badr ad-Din 'Aïnî (Historiens orientaux des croisades, tome II, page 212). Dans le Livre d'Heures de saint Louis, copié et peint après son premier retour d'Orient (Bibl. nat., ms. latin 10525), les rois portent en effet un manteau de couleur ronge-brun par dessus une robe bleue (folio 22 et 38 recto) ; le texte arabe dit d'écarlate rouge, askarlath ahmar.
[272] Litt. : qui avaient été les maîtres de dénouer et de nouer.
[273] Un ismaïlien ou bathénien, dont le principal métier était d'assassiner pour un peu d'argent les gens dont on voulait se débarrasser.
[274] On a vu plus haut que l'un des premiers soins de Tourânshâh, en arrivant en Egypte, avait été d'enlever à l'émir Hosâm ad-Din la charge de gouverneur du Caire.
[275] Le texte arabe dit : « le rideau élevé et le voile qui défend (la vue) ». C'est une allusion bien nette au rideau derrière lequel vivent les femmes musulmanes pour se mettre à l'abri des regards indiscrets. La régente et les princesses d'Alep portaient le premier de ces titres al-sitr-al-rafi. Le second al-hidjâb-al-mani fut sans doute ajouté pour Shadjar-ad-Dorr comme suzeraine de tous les ayyoubides ; il est possible cependant que ce second titre fût porté par toutes les princesses ayyoubides, mais je ne crois pas qu'on en ait d'exemple dans les textes.
[276] 50.000 dit le Collier de Perles de Badr ad-Din 'Aïni (Historiens orientaux des Croisades, t. II, p. 214).
[277] Il y a dans ces deux vers une ironie sanglante à l'adresse du pape, Shikk est en effet un démon, et Satih le nom d'un devin célèbre.
[278] C'est dans la maison d'Ibn Lokman que saint Louis avait été emprisonné et c'est l'eunuque Soubh qui avait été chargé de sa garde.
[279] Les anges de la mort dans la théologie de l'Islam. Il a été question plus haut de la maison d'Ibn Lokman et de l'eunuque Soubh.
[280] On a vu que le sultan al-Malik al-Mo'aththam avait beaucoup d'estime pour ce général et qu'il lui avait envoyé en présent le manteau d'écarlate de saint Louis. C'est lui qui avait reconnu le premier son autorité, quand il était arrivé d'Hisn-Keïfa, et la prise de possession de Damas avait immédiatement valu au sultan l'adhésion de l'Egypte. C'était en définitive à Djémal ad-Din qu'al-Mo'aththam devait d'avoir été élevé au trône.
[281] C'est cette année qu'al-Malik al-Moughith-Fath ad-Din 'Omar, fils d'al-Malik al-'Adil, fils d'al-Malik al-Kâmil, devint souverain de Karak et de Shaûbak. Quand l'émir Hosâm ad-Din Mohammad ibn Abou 'Alt eut appris que l'émir Fakhr ad-Din Yousouf, fils du cheikh des cheikhs, avait remis en liberté al-Malik al-Moughith-Fath ad-Din 'Omar, et que ce prince demeurait au Caire chez ses tantes et ses grand-tantes, les filles d'al-Malik al-'Adil, il le fit enfermer dans la Citadelle de la Montagne. Quand al-Malik al-Mo'aththam Tourânshâh arriva à la Mansoura, il ordonna que l'on transférât ce prince à Shaûbak et qu'on l'y mit en prison, parce qu'il craignait qu'il n'essayât de s'emparer de l'empire. Quand le sultan al-Malik al-Mo'aththam eut été assassiné, l'émir Badr ad-Din al-Savvabi al-Sâlihi, que le sultan d'Egypte, al-Malik al-Sâlih, avait nommé gouverneur de Karak, le mit en liberté et lui livra les deux villes. Al-Malik al-Moughith s'y installa et le prit comme vizir (Djémal ad-Din ibn Wasil, Mofarradj-al-kouroûb, ms. ar. 1702, folio 374 recto et verso).
[282] Parmi les émirs qui furent arrêtés, au Caire, après la prise de Damas, Djémal ad-Din ibn Wasil (Mofarradj, ms. ar. 1702, folio 375 r°) cite Saïf ad-Din al-Kaïméri qui fut enfermé dans la Citadelle de la Montagne, et l'émir 'Izz-ad-Din al-Kaïméri. L'émeute gronda si violemment dans les rues du Caire que l'émir Hosâm ad-Din ibn Abou 'Ali finit par avoir peur pour lui-même; plu sieurs chambellans, voyant l'inquiétude de ce général, vinrent le trouver et l'assurèrent des bons sentiments de l'émir Izz ad-Din Aïbec à son égard.
Cela le rassura. Cette année, on destitua Badr ad-Din, plus connu sous le nom de kadi de Sindjar, de sa charge de kadi du Caire qui fut confiée à 'Imad ad-Din ibn Kotb ad-Din al-Hoummouya, qui était kadi à Misr; la charge de kadi de Misr fut donnée à Sadr ad-Din Djazari, qui était substitut du kadi 'Izz ad-Din ibn 'Abd-as-Salam, à l'époque où ce magistrat était kadi de Misr. Au bout de trois mois, on rendit la charge de kadi du Caire à Badr-ad-Din, connu sous le nom de jeudi de Sindjar, et celle de kadi de Misr à ‘Imad ad-Din ibn Kotb-ad-Din. Quelques jours plus tard, le kadi ‘Imad ad-Din était de nouveau destitué, et on nomma alors Badr ad-Din kadi de toute l'Egypte.
[283] La traduction de ce membre de phrase est douteuse; cependant, je ne crois pas qu'il faille comprendre que l'émir retourna au prince ayyoubide le présent que ce dernier lui avait fait, à l'exception (illa) du vêtement d'honneur et du cheval; sans compter que l'on n'a aucun exemple d'un tel refus, fa dans la langue du Souloûk n'indique pas forcément un changement du sujet.
[284] Le manuscrit porte « la rive d'al-Djizeh ».
[285] Le sens de ce passage est douteux, le texte dit fa-ankasama-al-sari; or sari, en plus du sens habituel de « mât », a également celui de « lest »; on peut donc comprendre « le mât se cassa par la moitié », la tourelle (bourdj) dont il est parlé dans le texte, étant fixée à mi-hauteur de ce mât, comme les hunes des navires cuirassés aujourd'hui en service, et les échelles étant appliquées, d'un côté aux murailles de la Tour de la Chaîne et de l'autre au plancher de ces tourelles. Mais on peut également comprendre que, du fait que tous les hommes revêtus de lourdes armures, se portèrent sur le même bord, le lest se divisa en deux parties inégales, qu'il coula d'un côté, que le navire donna de la bande et chavira. Toutefois, cette seconde interprétation me paraît moins satisfaisante que la première.
[286] Ilâ ba'adi al-Dendjâviyya dit le teste; il faut peut-être comprendre, comme semble l'indiquer ba'adi dans cette phrase : « dans l'un des hameaux qui dépendent du canton de Dendjâviyya». Yakout nous apprend, dans le Mo’djam-al-bouldân (tome II, page 615), que Dendjouya (sic), que l'on peut d'ailleurs lire Dendjâviyya est un gros bourg: voisin de Damiette et que le canton qui en dépend administrativement porte le nom de Dendjâviyya.
[287] Ou par crainte qu'ils ne le traversassent avec...
[288] Par laquelle ils débouchaient dans le Nil, venant de la haute mer par le canal que les Francs avaient creusé.
[289] Il y a en Egypte plusieurs localités nommées Mounya, savoir: Mounya-al-Asbagh qui se trouve à l'est de Misr et qui est ainsi nommée de al-Asbagh ibn 'Abd al-'Aziz ibn Marvân, frère de 'Omar ibn al-’Aziz; Mounya-Abou al-Khosaib, qui est une localité assez importante et très peuplée sur les bords du Nil, dans le Saïd inférieur; Mounya-Boulâk, à Alexandrie; Mounya-al-Zadjâdj, également à Alexandrie, où l'on montrait le tombeau de 'Otba ibn Abou-Sofiân ibn Harb qui avait été gouverneur de l'Egypte et qui mourut en 74; Mounya-Zifta et Mounya-Ghamr qui sont tout à fait dans le Nord et près de l'embouchure du bras de Damiette; Mounya-Shinshinâ, également dans le Nord; Mounya-al-Shiradj, qui est une ville assez considérable où l'on trouve des marchés (souk) et qui est à une distance d'environ un farsakh du Caire dans la direction d'Alexandrie; Mounya-al-Kâsid, dans le Sa'id, au sud de Fostat, distante de Misr de deux journées de chemin (Yakout, Mo’djam-al-bouldân, tome IV, p. 675).
[290] Il y a ici un membre de phrase obscur, je pense que le texte en est corrompu, et je soupçonne al-Maghariba d'avoir un sens technique que j'ignore.
[291] Yakout (Mo’djam, tome II, p. 674) connaît le premier de ces monastères sous le nom de Deïr Tamvaïh; Tamvaïh étant un village situé à l'occident du Nil, à Misr, en face du lieu dit, Holvan ; le monastère de Tamvaïh dominait le fleuve, il était au dire du géographe musulman construit dans une localité très salubre et fort agréable. Le couvent de Sham (ibid., page 673) était fort ancien et situé dans les environs de Djizah ; il était distant de Fostat de trois farsakhs et bâti sur les bords du Nil ; c'était dans ce couvent que se trouvait le siège (koursi) du Patriarche des Chrétiens.
[292] Dans le Mo'djam, tome II, page 936, Yakout cite une localité nommée Ziftâ, Mounya Ziftâ, et Zoufaïta, qui est une petite ville voisine de Fostât.
[293] Probablement pour laisser passer les petits bateaux, et aussi pour éviter une trop forte pression de l'eau sur ce barrage.
[294] Cette façon bizarre de parler veut évidemment dire que les Francs incendièrent leurs gros objets de campement qui les auraient embarrassés dans leur mouvement de retraite.
[295] Cette phrase est construite de telle façon qu'on pourrait également la traduire « il est impossible de voir ces fossés et à plus forte raison d'y descendre (pour faire les travaux d'approche) ».
[296] Le prince qui devait régner en Egypte après al-Kâmil et mourir au milieu d'une guerre contre les Francs, dans ces mêmes parages.
[297] En marge du manuscrit, ce nom est changé en celui de Chams-al-Mouloûk.
[298] Le manuscrit porte formellement la rive de Djizeh (barr-al-Djizèh).