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d'alceste à andromaque - d'hécube aux suppliantes - d'électre aux bacchantes - fragments

 

 

 

 

Euripide

 

 

Les sources

 

BIOS EURIPIDOU - AULU-GELLE

TROIS ÉPIGRAMMES FUNÉRAIRES

 

 

 

 

 

BIOS EURIPIDOU

 

(La Vie d'Euripide)

 

 

 

 

 

    La Vie qu'on lira ci-dessous, et que l'on retrouve dans plusieurs manuscrits d'Euripide, est une sorte de « patchwork » littéraire qui regroupe des fragments biographiques issus de diverses sources. De fait, l'ensemble est dépourvu d'une véritable cohérence narrative. Certes, cette Vie est utile pour l'historien, mais force est de constater qu'à des éléments biographiques véridiques se sont mêlées des légendes et des allégations fort peu reluisantes sur le poète, en particulier sur sa misogynie maladive. Tout cela est le fruit de l'esprit malveillant des auteurs comiques athéniens, dont les propos ont été repris au pied de la lettre par Satyros, un érudit de l'époque hellénistique, pour donner un peu de piquant au récit. En revanche, tout ce qui a trait à l'œuvre d'Euripide paraît le plus fiable, et provient sans doute d'un commentaire dû à Philocore.

    Bref il faut lire ces quelques lignes avec une certaine précaution.

 

 

 

Euripide, le grand poète, était le fils de Mnésarchidès, boutiquier de son état, et de Cléito, une marchande des quatre saisons. Il était Athénien. Originaire de Salamine, il naquit pendant l'archontat de Calliadès, au cours de la soixante-quinzième Olympiade, l'année même de la bataille navale qui opposa les Perses et les Grecs.

 

Il s'exerça d'abord au pancrace et au pugilat, la raison en étant qu'un oracle avait prédit à son père qu'il serait couronné dans des compétitions gymniques. D'ailleurs, il semble avoir été victorieux  à Athènes.

 

Il s'adonna néanmoins à l'étude et se consacra pleinement à la tragédie, un genre dans lequel il introduisit maintes innovations : prologues, dissertations sur les choses de la nature,  digressions en tous genres composés avec un art consommé ; il est vrai qu'il avait suivi les leçons  d'Anaxagore, de Prodicos et de Protagoras ; on raconte aussi qu'il fut l'un des disciples de Socrate, qui avec Mnésilochos, aurait participé, dit-on, à l'écriture de ses pièces, s'il faut en croire Téléclidès :

Voilà Mnésilochos qui cuisine à nouveau

Un ouvrage conçu par le grand Euripide :

Et Socrate, bien sûr, apporte les fagots.

Selon d'autres, il faisait composer les parties chorales de ses drames par lophon ou Timocratès d'Argos. On rapporte aussi qu'il fut peintre, et que l'on montrait ses tableaux à Mégare. Il fut le porte-flambeau d'Apollon Zôstérios et il serait né, comme Hellanicos, le jour où les Grecs furent victorieux à Salamine. Il aurait concouru pour la première fois à vingt-six ans. Puis il quitta Athènes pour se rendre à Magnésie, où il fut gratifié du titre de proxène, et reçut l'atélie. De là, il partit en Macédoine, pour s'installer à la cour d'Archélaos, prince en l'honneur de qui il composa la tragédie qui porte son nom. Il aurait déployé auprès de lui une intense activité, et aurait participé à l'administration de son royaume.

 

D'aucuns prétendent qu'il avait une barbe fleurie, et que des taches émaillaient ses yeux. En premières noces, il épousa Mélito, puis, plus tard Ghœrilé. Il eut trois fils : Mnésarchidès, l'aîné, qui devint marchand, Mnésilochos, le second, qui fut acteur, enfin Euripide, le cadet, qui fit représenter quelques drames de son père. Ses débuts théâtraux se situent sous l'archontat de Pallias, dans la première année de la quatre-vingt-unième Olympiade. Sa première pièce s'intitulait  Les Filles de Pélias, pour laquelle il obtint le troisième prix.

 

On estime la totalité de ses tragédies à quatre-vingt-douze ; soixante-dix-huit sont conservées, dont trois apocryphes : Tennès, Rhadamanthe, Pirithoüs. II mourut, selon Philochore, à 70 ans bien sonnés, 75 de l'avis d'Ératosthène, et il fut enseveli en Macédoine. Un cénotaphe lui fut élevé afin de lui rendre hommage à Athènes, avec cette épitaphe composée par l'historien Thucydide, ou peut-être par Timothéos, le poète lyrique :

 

     Bien que ses ossements en Macédoine gisent,

     Le tombeau d'Euripide est le pays de Grèce.

     Sa patrie, cependant, est la Grèce suprême :

     Athènes. Vénérés par les Muses exquises,

     Il est aussi loué par les foules humaines.

 

   On raconte que Sophocle, à l'annonce de sa mort, se montra au public vêtu d'habits de deuil ; il fit entrer le chœur et les acteurs sans couronne dans le prélude du concours. Le peuple d'Athènes le pleura beaucoup. Voici quelles sont les circonstances de sa mort. En Macédoine, il est un village appelé village des Thraces : en effet, il n'était habité que par des Thraces. Un jour, une chienne molosse qui appartenait à Archélaos s'enfuit ; comme c'était leur habitude, les Thraces la tuèrent et la mangèrent. Furieux, le roi leur imposa une amende d'un talent. Incapables de verser un telle somme, ils prièrent Euripide d'intervenir en leur faveur auprès d'Archélaos. Peu après sa mission, le poète alla s'accorder quelque repos dans un bois près du bourg. Archélaos étant parti à chasse, soudain la meute, lâchée par les chasseurs, se retrouva nez à nez avec Euripide, qui fut bientôt massacré et dévoré. Or ces chiens n'étaient autres que les petits de la chienne tuée par les Thraces. D'où le dicton qui est couramment en usage en Macédoine : « une vengeance de chienne ».

 

Il s'était, dit-on, fait aménager à Salamine une grotte avec vue sur la mer, où il passait l'essentiel de son temps, car il ne pouvait souffrir la foule. Ce qui explique sans doute que nombre de ses images poétiques se rapportent à la mer.

 

Il était d'aspect chagrin, pensif et austère, peu enclin au rire et haïssant la gent féminine. Aristophane lui en fait ce reproche :

    Euripide est pour moi d'un abord rebutant.

On dit qu'ayant épousé la fille de Mnésilochos, Chœrilé, et ayant eu la révélation de ses infidélités, il écrivit par dépit la première version d'Hippolyte, où il stigmatise l'impudicité féminine ; après quoi il la répudia. À son second mari qui lui disait : « Avec moi, elle s'est calmée », il rétorqua : « Je te plains, crois-tu sérieusement qu'une femme se calme avec l'un et non avec l'autre ?  »

 

Il se remaria, mais s'aperçut bien vite que sa seconde épouse était encore plus dépravée que la précédente, si bien qu'il ne cessa plus de dénigrer les femmes. Celles-ci décidèrent un jour de l'assassiner en pénétrant dans la grotte où il écrivait. Par méchanceté notoire, on l'accusa d'avoir engagé Céphisophon pour collaborer à la réalisation de ses tragédies.

 

Hermippos raconte que Denys, tyran de Syracuse, envoya, à la mort du poète, un talent à ses héritiers en vue d'acquérir sa lyre, sa tablette à écrire et son poinçon. Dès qu'il les reçut, il s'empressa d'aller les déposer comme offrande au sanctuaire des Muses, non sans y avoir fait inscrire le nom d'Euripide à côté du sien.

 

La rumeur courait selon laquelle il adorait vivre avec des étrangers parce que ceux-ci l'appréciaient, alors que les Athéniens le haïssaient. Un jeune homme fruste et jaloux lui dit un jour que son haleine était infecte : « Parle avec respect, lui répondit-il, d'une bouche plus parfumée que le miel et plus mélodieuse que le chant des Sirènes. »

 

Les sarcasmes contre les femmes dont regorgent ses pièces s'expliquent par le fait suivant. Il avait un jeune esclave, né dans sa propre maison, qui se nommait Céphisophon. Un jour, il le surprit dans les bras de sa femme. Il tenta d'abord de lui faire entendre raison, mais comme c'était en vain, il abandonna sa femme à Céphisophon qui la désirait ardemment. Aristophane parle de la chose en ces termes :

Céphisophon, le pire homme qui soit, c'est toi

Qui partageais la vie timorée d'Euripide,

Et qui collaborais, semble-t-il, à ses chants.

Des femmes, fatiguées des critiques dirigées contre elles dans ses pièces, le prirent à parti aux Thesmophories, dans l'intention de le faire périr. Toutefois, elles l'épargnèrent, au nom du respect des Muses, mais aussi parce que le poète leur avait promis de mettre fin à ses sarcasmes. Ce qui est certain, c'est qu'il déclare à leur sujet dans Mélanippe :

Le blâme masculin à l'encontre des femmes

Est infondé : ce n'est que pure médisance.

Elles valent bien mieux que nous, je le proclame !

Philémon était si friand de lui qu'il n'hésita à pas à écrire ceci :

Si les morts possédaient un sentiment valide,

Comme on le dit, alors je n'hésiterais pas :

J'irais me pendre afin d'aller voir Euripide.

Euripide, fils de Mnésarchidès, était Athénien. Les poètes de l'ancienne comédie le ridiculisent en lui donnant pour mère une marchande de légumes. Il fut d'abord peintre, dit-on ; mais, ayant suivi l'enseignement du physicien Archélaos et d'Anaxagore, il s'orienta vers la tragédie. C'est à partir de ce moment que son humeur changea et qu'il révéla des sentiments plus élevés que le commun, ne cherchant pas vraiment à acquérir la gloire en tant qu'auteur dramatique, ce qui lui fit bien du tort, alors qu'au contraire Sophocle, lui, tirait bénéfice de cette attitude.

 

Les poètes comiques, envieux, le harcelèrent de leurs critiques. Par dédain, il se rendit en Macédoine, auprès du roi Archélaos, et c'est là que, revenant à une heure tardive, il fut déchiré par la meute de chiens du roi.

 

Il débuta au théâtre durant la soixante quinzième Olympiade, sous l'archontat de Gallias. Ayant adopté un ton moyen, il se montra supérieur par le style, portant à un haut degré de perfection l'art d'argumenter dans les deux sens. Il est inimitable dans les parties chantées, surpassant presque tous les poètes lyriques ; en revanche, son dialogue est verbeux et vulgaire ; ses prologues sont ennuyeux, mais son art est sans égal dans l'ordonnancement des discours ; son vocabulaire est riche, et ses réfutations sont habiles. L'ensemble de ses drames s'élevait à quatre-vingt-douze, et on en a conservé soixante-sept, les trois pièces contestées ne faisant pas partie du lot. Ses drames satyriques sont au nombre de huit, dont un contesté. Il remporta cinq victoires.

 

 

 

 

AULU-GELLE

 

 

 

 

    Pour concocter sa biographie d'Euripide, que l'on trouve au livre XV de ses fameuses Nuits attiques, Aulu-Gelle avait sous les yeux la Vie d'Euripide, peut-être même les commentaires de Philocore, ainsi que d'autres sources que nous ne connaissons guère, d'où son intérêt.

    Comparé à la Vie, le style de cette notice est nettement plus soigné, avec cette affectation hautaine si caractéristique de cet esthète.

 

 

 

La mère du poète Euripide, nous rapporte Théopompe, gagnait sa vie en vendant des légumes. Lorsqu'il naquit, les mages chaldéens prédirent à son père qu'à son adolescence, il sortirait victorieux de quelques compétitions : telle était, selon eux, sa destinée suprême ! Le père, qui avait cru qu'il triompherait en tant qu'athlète, l'engagea à fortifier son corps par maints exercices, et le mena à Olympie pour combattre au pugilat avec d'autres jeunes athlètes. La première fois, l'incertitude de son âge ne le fit pas admettre dans la lice ; plus tard, il participa aux jeux d'Éleusis et à ceux de Thésée, et il obtint la couronne. Mais très vite, il passa de l'entraînement physique à la gymnastique de l'esprit. Il suivit les leçons d'Anaxagore pour la physique, de Prodicos pour la rhétorique, et de Socrate pour la philosophie. À l’âge de dix-huit ans, il s'essaya à la tragédie.

 

Dans l'île de Salamine, il existe une sinistre caverne, que j'ai moi-même visitée ; c'est là, de l'opinion de Philocore, qu'Euripide composait ses drames.

 

Il tenait, dit-on, les femmes dans une extrême aversion : cette haine était-elle naturelle, ou bien la conséquence d'un double mariage qu'il avait contracté à une époque où la loi athénienne permettait à l'homme de se marier avec deux femmes à la fois ? Fut-il échaudé par cette expérience ? Aristophane fait allusion à cet implacable dégoût des femmes dans les vers suivants, extraits de la première version de ses Thesmophories :

      Femmes, je vous enjoins à châtier cet homme

      Pour les motifs suivants : il vous voit en rustaudes,

      Lui qui broute pourtant des herbes bien rustiques.

Voici maintenant des vers d'Alexandre l'Étolien évoquant le même personnage :

      Ce  disciple d'Anaxagore, le vieux sage,

      A tout d'un pisse-froid car il ne rie jamais ;

      Même le vin ne peut dérider son visage :

      Toutefois, ses écrits ont la saveur du miel,

      Et sa voix est pareille à celle des sirènes.

Il s'était retiré à la cour d'Archélaos, roi de Macédoine, qui l'avait admis dans le cercle de ses intimes. Une nuit, alors qu'il revenait d'un festin où ce prince l'avait convié, il fut déchiré par des chiens qu'un rival avait lâchés sur lui, et il mourut de ses blessures.

 

Les Macédoniens honoraient avec tant de ferveur ses cendres et sa mémoire, qu'ils s'écriaient souvent : « Puisse ta tombe, Euripide, ne jamais disparaître ! ».  Il est exact que l'illustre poète avait été enseveli dans la terre de Macédoine ; et lorsque les ambassadeurs d'Athènes vinrent solliciter la permission de ramener les restes du poète dans sa patrie, les Macédoniens furent tous unanimes pour les leur refuser.

 

Nuits attiques, XV, 20

 

 

 

 

TROIS ÉPIGRAMMES FUNÉRAIRES

 

 

 

 

    Outre l'épigramme déjà cité par la Vie (cf. plus haut),  l'Anthologie Palatine renferme trois autres épigrammes funéraires consacrées à Euripide, très élogieuses, révélant par là même la popularité dont bénéficiait le poète à l'époque hellénistique.

 

 

 

 

 

Anonyme, A.P.VII, 44

 

Victime d'un affreux destin, tu as péri,

Poète, dévoré par des chiens en furie,

Toi, le fin rossignol de l'espace scénique,

Toi qui as su mêler vertu et chant tragique.

Mais tu t'es abrité sous la tombe à Pella.

            De fait, grand Euripide,

Tu restes aux côtés des divines Piérides.

 

 

Anonyme, A.P. VII, 46

 

Ce cénotaphe n'a pas pour visée suprême

De prolonger ta gloire, ô divin Euripide,

Car c'est toi et toi seul qui fait durer la sienne.

L'intérêt de ce pauvre monument réside

            Dans ta gloire immortelle.

 

 

Archimélos, A.P.VII, 50

 

N'essaie pas de marcher sur la voie d'Euripide :

            Sa route est difficile !

Bien sûr, en apparence, elle est belle et limpide.

Mais peu à peu, on y découvre des épines.

Essaie de t'approcher de Médée inouïe,

Et tu t'écrouleras dans le funeste oubli.

            Non, laisse les couronnes...