PHILOSTRATE
VIE DES SOPHISTES
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
VIES DES SOPHISTES DE PHILOSTRATE EXTRAITS D'UNE TRADUCTION NOUVELLE De M. E.-J. Bourquin NOTICE PRÉLIMINAIREFlavius Philostrate, deuxième du nom, et petit-fils de Verus, ne doit être confondu ni avec le premier Philostrate, son père, ni avec le troisième, appelé ordinairement Philostrate le jeune, ou Philostrate de Lemnos. Celui-ci était le petit-neveu, et aussi, par sa mère, le petit-fils de notre auteur.[1] Suidas a fixé, non sans quelques erreurs,[2] la généalogie de cette famille de sophistes, parmi lesquels celui dont nous devons nous occuper fut, sans contredit, le plus remarquable. Le même Suidas a donné aussi, des œuvres de Flavius et de celles des deux autres, une liste un peu inexacte, mais qui a été heureusement corrigée par les patientes investigations de Kayser.[3] Que savons-nous de la vie du deuxième Philostrate? Assez peu de chose; mais nous pouvons néanmoins reconstituer, souvent d'après son propre témoignage, un certain nombre de faits essentiels de sa biographie. Né à Lemnos, berceau de toute sa famille, à une date qu'il est impossible de fixer,[4] il reçut, très probablement de son père, ces premiers éléments de l'instruction qu'on appelait la critique.[5] Encore adolescent, il suivit à Athènes les leçons du sophiste Proclus;[6] nous le voyons ensuite fréquenter l'école d'Antipater[7] et celle d'Hippodrome.[8] Enfin, il ouvre lui-même, dans Athènes, une école de sophistique, ce qui le fait désigner, par ses contemporains, sous le nom de Philostrate d'Athènes.[9] Quelle fut la durée, quel fut le succès de cet enseignement? Nous n'en savons rien. Toujours est-il que Philostrate ne tarde pas à se fixer à Rome. Admis, comme il le dit lui-même,[10] dans un cercle de philosophes et de géomètres qui formaient à l'impératrice Julia Domna comme une petite cour savante, il sut conquérir et conserver la faveur de cette princesse lettrée, qu'il paraît avoir accompagnée dans ses nombreux voyages. Il aurait ainsi visité, s'il faut l'en croire, la plus grande partie de l'univers.[11] Nous ne voyons pas que Philostrate, après l'épouvantable fratricide de Caracalla (en 212), se soit retiré de la cour; en effet, l'année suivante, en 913, il était encore au nombre des familiers du prince, au moment où celui-ci, contre toute attente, s'éprit d'un si bel enthousiasme pour Héliodore l'Arabe.[12] Sous les empereurs suivants, nous perdons un peu sa trace. Toutefois Suidas nous apprend qu'il continua d'enseigner à Rome, sous Alexandre Sévère, et même jusque sous Philippe, ce qui ne permet pas de supposer qu'il soit mort avant 244. Disons maintenant un mot de ceux de ses ouvrages que nous avons conservés. Ces ouvrages sont au nombre de sept: 1° La Vie d'Apollonius de Tyane, en huit livres. C'est à la demande de Julia Domna que fut composé cette espèce de roman,[13] qui a pour but de rétablir, en face du christianisme naissant, et par la glorification d'un pythagoricien thaumaturge, le prestige déjà bien diminué des vieilles croyances ; 2e Les Vies des sophistes, en deux livres, contenant : 1° une dédicace à Antonius Gordien ; 2° une introduction ; 3° cinquante-neuf biographies. Ce livre, où les sophistes sont répartis en trois classes, est un peu inexact et un peu incomplet dans ses deux premières parties,[14] mais infiniment précieux dans la troisième, qui est de beaucoup la plus longue, et qui nous fait connaître, mieux qu'aucun autre ouvrage, la vie intellectuelle au iie et au iiie siècles de notre ère. Les vies ont été publiées sous Alexandre Sévère et, probablement, vers l'année 230;[15] 3° L'Héroïque, dialogue où l'auteur semble se proposer d'offrir à son siècle un idéal de vertu dans la personne des anciens héros, et de rehausser la sophistique, en la faisant remonter jusqu'à Palamède. On est fondé à croire que Philostrate, en écrivant cet ouvrage, avait aussi pour but de se faire bien venir de Caracalla, qui prétendait prendre Achille pour son modèle;[16] 4° Les εἰκόνες,[17] ou tableaux, simple recueil d'exercices de rhétorique appliquée à la description de soixante-quatorze peintures dont était orné le portique de Naples. Cet ouvrage est d'un prix inestimable pour l'archéologie et pour l'histoire de l'art; 5° Soixante-quinze lettres, qui sont, pour la plupart, de véritables compositions d'école, plus travaillées encore et plus limées, s'il se peut, que les lettres même de Pline le Jeune ; 6° Néron, petit dialogue satirique à l'adresse de celui qui, bien que chanteur médiocre, se croyait le premier artiste du monde ; 7° Enfin, la Gymnastique, dont le but paraît avoir été[18] de remettre en honneur la pratique des exercices corporels, et de rendre ainsi leur lustre aux couronnes des grands jeux de la Grèce. Tourné vers le passé, profondément épris des merveilles de la Grèce antique, Philostrate, en présence d'un monde nouveau qu'il ne comprend pas ou qu'il ne veut pas voir, cherche, par tous les moyens possibles, à reconstituer les forces vives de la société païenne ; c'est là l'idée maîtresse de la plupart de ses œuvres. Dans cette espèce d'apostolat qui, d'ailleurs, ne pouvait réussir, il considère comme son principal moyen d'action la puissance de la parole; il met au premier rang l'éloquence, qui, après avoir été si longtemps la reine du monde, s'était réfugiée, au iie siècle de notre ère, dans les écoles de sophistique ; et, sans s'apercevoir que cette éloquence, ingénieuse au possible, mais réduite à s'exercer sur des matières fictives, n'a plus que les apparences de la vie, il a foi en elle, et semble la croire en état de régénérer le monde. Telle est, du moins, l'idée que je me fais de l'état d'esprit de Philostrate, en voyant avec quel enthousiasme il salue, dans les grands sophistes de son temps, ceux qu'il prend naïvement pour de nouveaux Démosthène. Le recueil des vies des sophistes est peut-être celle des œuvres de Philostrate qui mérite le mieux d'attirer notre attention, parce qu'il nous fait connaître des hommes dont, sans lui, nous saurions à peine les noms[19] et qui n'en ont pas moins exercé sur leur époque une sorte de royauté intellectuelle. Je parle des adeptes de la sophistique deuxième, c'est-à-dire des sophistes dont les quarante et une biographies se succèdent, depuis celle d'Eschine, exclusivement, jusqu'à celle d'Aspasius. Il est intéressant de constater, par le témoignage du biographe, la vogue prodigieuse dont ont joui ces orateurs d'école élevés pour charmer, en traitant des causes fictives, une société que les tours de force de la parole enthousiasmaient jusqu'au délire. On aime aussi à trouver, dans certaines biographies[20] (2), des détails pleins d'intérêt sur le régime des écoles, sur l'enseignement officiel et sur l'enseignement libre, sur les rapports des sophistes avec les princes, avec les villes, avec leurs confrères, avec leurs élèves, sur les séances d'apparat, etc. J'ai fait, de ces questions diverses, l'objet d'une étude assez détaillée, mais que je ne puis insérer ici, et qui excéderait même de beaucoup les dimensions d'une simple préface destinée à précéder le recueil des vies. Peut-être ce travail verra-t-il le jour. En attendant, je dois dire pourquoi j'ai traduit les βίοι σοφιστῶν , sur quels principes je me suis guidé dans ce travail, et de quels secours je me suis aidé pour le faire. J'ai traduit les vies, parce qu'un des princes de la critique française m'a dit que cette traduction comblerait une lacune. En effet, Belin de Ballu, dans son histoire critique de l'éloquence grecque, a bien inséré un certain nombre de morceaux empruntés aux βίοι σοφιστῶν , mais il s'en faut qu'il ait traduit tout l'ouvrage, et, de plus, la version qu'il en donne, bien que d'une rare élégance, laisse grandement à désirer pour l'exactitude. Je ne veux pas parler seulement de certaines fautes énormes qui la déparent, et qu'il faut imputer à l'imperfection des textes que l'éminent traducteur avait sous les yeux ; cette excuse, fort légitime d'ailleurs, ne peut être invoquée que pour un petit nombre d'endroits,[21] et il n'en reste pas moins vrai que Belin nous a donné plutôt une série de morceaux agréables, écrits d'après un texte ancien, qu'une reproduction un peu fidèle de ce texte lui-même. En un mot, il a pris avec Philostrate, comme il l'a fait avec Oppien de Syrie, des libertés que le système de son temps autorisait, mais que nous n'aimons plus autant aujourd'hui. J'ai donc cru qu'il y avait lieu : 1° de traduire pour la première fois tous les morceaux, et ils sont fort nombreux, auxquels Belin n'avait pas touché; 2° de reprendre et de modifier son travail sur les notices ou sur les portions de notices qu'il lui a plu de faire entrer dans son histoire. La traduction dont on va lire quelques extraits est donc, pour une portion très considérable, la première qui, en français du moins, ait été faite de cet ouvrage. Il ne m'appartient pas de décider si j'ai ou non réussi dans ce travail ; mais je crois devoir dire de quelles idées je me suis inspiré pour le faire. J'ai cru que mon premier devoir était de reproduire avec fidélité les pensées de l'auteur, et aussi, toutes les fois que la chose était possible, ses expressions et ses tournures. Je me suis fait une loi de respecter les façons de dire qui lui sont propres, les images brillantes qu'il affectionne, les constructions hardies dont il se plaît à user, les répétitions même qu'il emploie, non pas au hasard, mais par calcul, et parce qu'une négligence aimable lui paraît de bon goût. En un mot, j'ai fait tous mes efforts pour conserver à ce style, si travaillé sans en avoir l'air, la physionomie qui le distingue de tous les autres. Mais je n'ai pas été plus loin : je n'ai pas voulu suivre Philostrate jusque dans les témérités qu'il se permet quelquefois, en rompant avec audace les liens essentiels de la phrase ; je ne me suis pas asservi à reproduire ses tournures, quand elles sont en désaccord avec les règles de la syntaxe. On me pardonnera, je l'espère, de n'avoir pas fait passer dans la traduction ces anacoluthes, dont il faut dire, du reste, que l'auteur a usé moins souvent dans les vies des sophistes que dans ses autres ouvrages. Les notes assez nombreuses dont j'ai cru devoir accompagner mon travail sont de plusieurs sortes. Les unes sont relatives à la discussion du sens dans les passages les plus difficiles, et l'on verra que, dans cet ordre d'idées, j'ai mis largement à contribution les remarques de plusieurs doctes personnages qui se sont occupés de Philostrate.[22] D'autres notes fournissent des éclaircissements historiques, géographiques ou chronologiques. Quelques-unes indiquent des rapprochements. Un très petit nombre enfin sont consacrées à l'appréciation de certains passages, dont la nature autorisait ou appelait un jugement critique de ma part. Voilà pour ce qui est des notes qui accompagnent la traduction. Je dois dire un mot maintenant de l'appendice dont elle est suivie. Gomme on le verra, ce travail a pour but de compléter, dans ce qu'elles ont d'insuffisant, certaines notices de Philostrate, et aussi de rectifier les erreurs qu'il a pu commettre. Il porte successivement sur la dédicace, sur l'introduction et sur la plupart des cinquante-neuf biographies. On y trouvera des détails puisés aux meilleures sources et qui, j'ose l'espérer, ne paraîtront pas trop dénués d'intérêt. Pour faire cette traduction, j'ai eu sous les yeux les trois textes suivants : 1° Kayser, édition spéciale des βίοι σοφιστῶν (1838); 2° Kayser, édition générale in-4° (editio altera, Turici, etc.); 3° Westermann, collection Didot, xxxiie volume. Ces trois textes sont généralement d'accord ; toutefois, ils présentent un certain nombre de variantes, dont quelques-unes ont de l'importance. Il m'est donc arrivé d'être obligé de faire un choix; dans ce cas, j'ai eu soin d'indiquer par une note la variante que j'adopte, et, la plupart du temps, les motifs de ma préférence. Le comité de rédaction de l’Annuaire ayant bien voulu me faire savoir qu'il était disposé à insérer quelques extraits de mon travail, j'ai cru devoir choisir les morceaux suivants : 1° L'introduction, parce qu'elle contient comme un abrégé de tout l'ouvrage de Philostrate, et qu'elle en marque, d'une manière assez précise, les principales divisions ; 2° La vie de Gorgias, parce que notre auteur considère celui-ci comme le père de la sophistique ancienne, et que, d'autre part, l'admiration outrée de Philostrate pour le rhéteur de Léontium est un fait curieux à étudier quand on a lu Platon ; 3° La vie d'Antiphon de Rhamnonte, parce qu'elle justifie, par ses inexactitudes, mon jugement sur le peu de soin qu'a pris Philostrate de se bien renseigner à propos des rhéteurs anciens ; 4° La vie de Critias, à cause de la remarquable appréciation littéraire qui la termine ; 5° La vie d'Alexandre Péloplaton, parce qu'on y trouve un récit assez complet d'une des grandes séances, ou, si l'on veut, d'une des joutes oratoires de la sophistique deuxième ; 6° Enfin, la vie d'Onomarque, à cause de la citation qu'elle contient, et qui montre combien on pouvait dire des sophistes de ce temps, mieux encore que de Sénèque : Dulcibus abundabant vitiis. Voici, du reste, la liste complète des soixante et une parties dont se compose l'ouvrage de Philostrate. Cette espèce de table des matières permettra de retrouver tout de suite la place de chacun des extraits dans l'œuvre totale. PLAN DU RECUEIL DE PHILOSTRATELIVRE PREMIER.DEDICACE A ANTONIUS GORDIANUS INTRODUCTION. Première série. — Sophistes philosophes ou pseudo-sophistes. 1. Eudoxe de Cnide. 2. Léon de Byzance. 3. Dias d'Éphèse. 4. Carnéade. 5. Philostrate d'Egypte. 6. Théomneste. 7. Dion de Pruse, ou Chrysostome. 8. Favorinus d'Arles. Deuxième série. — Sophistes anciens. 9. Gorgias de Léontium. 10. Protagoras d'Abdère. 11. Hippias d'Élis. 12. Prodicus de Céos. 13. Polus d'Agrigente. 14. Thrasymaque de Chalcédoine. 15. Antiphon de Rhamnonte. 16. Critias. 17. Isocrate. Troisième série. — Sophistes nouveaux. 18. Eschine. 19. Nicétès de Smyrne. 20. Isée d'Assyrie. 21. Scopélianus. 22. Denys de Milet. 23. Lollianus d'Éphèse. 24. Marcus de Byzance. 25. Polémon de Laodicée. 26. Secundus d'Athènes. LIVRE II.Suite des sophistes nouveaux. 1. Hérode d'Athènes. 2. Théodote. 3. Aristoclès de Pergame. 4. Antiochus d'Èges. 5. Alexandre de Séleucie. 6. Varus de Perge. 7. Hermogène de Tarse. 8. Philagre. 9. Aristide d'Adriani. 10. Adrien de Tyr. 11. Chrestos de Byzance. 12. Pollux de Naucratis. 13. Pausanias de Césarée. 14. Athénodore. 15. Ptolémée de Naucratis. 16. Évodianus de Smyrne. 17. Rufus de Périnthe. 18. Onomarque d'Andros. 19. Apollonius de Naucratis. Apollonius d'Athènes. Proclus de Naucratis. Phénix de Thessalie. 20. Damianus d'Éphèse. 21. Antipater d'Hiérapolis. Hermocrate de Phocée. Héraclide de Lycie. Hippodrome de Thessalie. 28. Varus de Laodicée. 29. Quirinus de Nicomédie. 30. Philiscus de Thessalie. 31. Élien de Rome. 32. Héliodore l'Arabe. 33. Aspasius de Ravenne. LIVRE PREMIERINTRODUCTION[23]Il faut voir dans la sophistique primitive la rhétorique appliquée à la philosophie : elle traite, en effet, dans ses dissertations, les mêmes matières que les philosophes ; seulement, voici la différence : avec leur système d'interrogations insidieuses, et leur manière de traiter les questions par une minutieuse analyse des détails,[24] les philosophes nous avouent, sur bien des points, qu'ils sont encore dans l'ignorance, et, ces points-là, le sophiste des anciens temps en parle comme de choses qu'il connaît. Aussi, les paroles qui lui servent de préambule sont : « Je sais », ou bien : « Je connais », ou bien encore : « Il y a longtemps que j'ai tiré au clair... » ou enfin : « Il n'y a rien de certain pour l'homme. » Or, cette façon d'entrer en matière annonce une noble fierté de langage, un esprit plein d'assurance, une vue claire de la vérité. Donc, la philosophie rappelle les procédés de la divination humaine, telle que l'ont constituée les Égyptiens, les Chaldéens et, avant eux, les Indiens; de cette divination, qui demande à l'examen d'une infinité d'astres la connaissance conjecturale du vrai, tandis que la sophistique rappelle le langage des devins et la voix des oracles. Écoutons, en effet, Apollon Pythien : « Pour moi, je sais le nombre des grains de sable et les dimensions de la mer. » ou bien : « Jupiter à la voix retentissante donne à Tritogénie des murailles de bois.[25] » ou bien encore : « Néron, Oreste, Alcméon, tous meurtriers de leurs mères.[26] » et tant d'autres oracles, où le dieu semble parler comme un sophiste. En se proposant les matières mêmes de la philosophie, la sophistique primitive les traitait sans restriction dans toute leur étendue ; elle dissertait, en effet, sur la bravoure; elle dissertait sur la justice, sur les héros, sur les dieux, sur la manière dont s'est formée, pour ainsi dire, la figure du monde. Après cette sophistique, il en vint une autre qu'il faut nommer la deuxième, plutôt que la nouvelle sophistique, car elle aussi appartient aux temps anciens. Celle-ci étudia[27] les types du pauvre, du riche, du puissant, du tyran, et traita les sujets particuliers[28] qui nous sont fournis par l'histoire. La sophistique primitive fut inaugurée en Thessalie par Gorgias de Léontium ; la seconde le fut par Eschine, fils d'Atromète, après que, son échec ayant mis fin, dans Athènes, à sa carrière politique, il eut fixé son existence en Carie et à Rhodes. Les disciples d'Eschine, pour traiter un sujet, se réglaient sur l'art, et ceux de Gorgias, sur leur bon plaisir.[29] Selon quelques-uns, c'est Périclès qui aurait ouvert le premier les sources de l'improvisation, et c'est là ce qui a fait considérer Périclès comme un si puissant orateur; selon d'autres, ce serait le Byzantin Python, à qui le seul Démosthène, parmi les Athéniens, se vante d'avoir pu tenir tête, tant son assurance était grande, tant sa faconde était intarissable ; il en est enfin qui attribuent à Eschine le premier usage de la parole improvisée. Il se serait servi de ce moyen pour charmer le roi de Carie, Mausole,[30] auprès duquel il s'était rendu, parti de Rhodes sur un navire. Pour moi, je crois que, dans ses ambassades et dans le compte rendu de ses ambassades, dans ses plaidoyers et dans ses harangues, Eschine a improvisé plus que personne au monde, et si, parmi ses discours, il nous a laissé seulement ceux qu'il a[31] écrits, c'est qu'il a craint de paraître trop au-dessous de Démosthène, qui prenait son temps pour composer. Mais, selon moi, c'est Gorgias qui a inauguré l'éloquence improvisée ; c'est lui, en effet, qui, se présentant au théâtre d'Athènes, eut l'audace de dire : « Proposez-moi un sujet » ; et, en se déclarant le premier capable d'aborder cette épreuve, il faisait bien voir qu'il savait tout, qu'il pouvait, en se livrant à l'inspiration du moment, parler sur n'importe quel sujet. Et voici, je crois, comment Gorgias eut l'idée de cette innovation : Prodicus de Céos avait composé un morceau qui n'est pas sans charme; en voici le sujet : la Vertu et la Mollesse viennent trouver Hercule, sous la forme de deux femmes, dont l'une est revêtue d'une foule d'ajustements trompeurs, et l'autre, d'un costume exempt de toute recherche. Ces deux femmes proposent à Hercule, encore jeune, l'une, la paresse et les délices, l'autre, la sueur et les fatigues. Ce morceau, dont il avait assez longuement développé la fin, Prodicus le colportait de ville en ville, et le débitait pour de l'argent, charmant ainsi les cités à la manière d'Orphée ou de Thamyris. Il se mit par là en grand honneur à Thèbes, et en plus grand encore à Lacédémone : on lui savait gré d'une leçon qu'on croyait profitable à la jeunesse. Mais Gorgias sourit de pitié, en voyant Prodicus rebattre ainsi mille et mille fois la même matière, et il se livra, pour parler, à l'inspiration du moment. Toutefois, il ne le fit pas sans exciter l'envie. Il y avait, à Athènes, un certain Chéréphon, non pas celui que la comédie appelait l'homme à la figure de buis, qui s'était tourné le sang à force de travailler; mais le Chéréphon dont je parle, c'est-à-dire un ami de l'invective, un railleur sans vergogne. Or, ce Chéréphon, voulant dauber sur les exercices de Gorgias, lui parla ainsi : « Dis-moi donc, ô Gorgias ! Pourquoi les fèves font-elles gonfler le ventre, et ne font-elles pas gonfler le feu? » Sans se laisser le moins du monde dérouter par une question pareille : « Ce point-là, répondit Gorgias, je te laisse le soin de le résoudre; mais ce que je sais depuis longtemps, c'est que la terre produit les férules pour les gens de ta sorte. » Effrayés de l'habileté des sophistes, les Athéniens les excluaient des tribunaux, sous prétexte qu'ils savaient faire triompher une mauvaise cause aux dépens de la bonne, et l'emporter ainsi contre toute justice. C'est pour cela qu'Eschine et Démosthène se reprochaient mutuellement d'user de la sophistique,[32] non pas qu'ils la crussent répréhensible, mais parce qu'ils la savaient suspecte aux yeux des juges. En effet, ils ne se faisaient pas faute, au milieu de leurs amis, de se faire applaudir pour des succès de cette nature. Ainsi, dans son entourage, s'il faut s'en rapporter à Eschine, Démosthène se vantait d'avoir fait tourner la sentence des juges au gré de sa fantaisie.[33] Et pour ce qui est d'Eschine, il n'aurait point, ce me semble, préconisé chez les Rhodiens un genre d'études absolument nouveau[34] pour ces peuples, si déjà lui-même, durant son séjour à Athènes, ne s'était adonné à des travaux de ce genre. Les anciens donnaient le nom de sophistes, non pas seulement à ceux des orateurs qui se distinguaient le plus par l'éclat de leur éloquence, mais encore à ceux des philosophes qui apportaient, dans l'expression de leurs pensées, une certaine facilité de parole, et c'est de ces derniers que nous devons parler avant tous les autres ; en effet, sans être des sophistes, ils ont passé pour tels, et ont été appelés de ce nom. BIOGRAPHIE NEUVIÈME DU PREMIER LIVRE. — GORGIAS, DE LÉONTIUM.[35]Léontium, en Sicile, vit naître Gorgias,[36] à qui nous devons faire remonter, comme à un père, l'art de la sophistique. Considérons Eschyle, avec tous les progrès qu'il fit faire à la tragédie : costumes, cothurne,[37] personnages des héros, messagers chargés d'apporter les nouvelles du dehors, ou celles de l'intérieur,[38] distinction de ce qui doit se passer sur la scène, ou derrière la scène, tout cela est dû à Eschyle. Eh bien, Gorgias n'a pas moins de titres à la reconnaissance de ses confrères! C'est lui, en effet, qui eut le premier, parmi les sophistes, l'impétuosité, la hardiesse du langage, le souffle oratoire, le talent de dire grandement les grandes choses ; il montra aussi comment on quitte, comment on aborde un point du discours,[39] toutes choses qui augmentent dans une si forte mesure la grâce et la majesté du style ; et il savait encore embellir et rehausser sa prose, en y ajustant des expressions poétiques. Quant à sa merveilleuse facilité pour l'improvisation, j'en ai parlé tout au début de cet ouvrage. Déjà d'un âge assez avancé lorsqu'il vint disserter à Athènes, il s'y fit admirer de la foule, et cela n'a rien d'étonnant; mais il sut aussi, je pense,[40] tenir suspendus à ses lèvres les juges les plus compétents : Critias, Alcibiade, alors dans leur jeunesse, Thucydide et Périclès, déjà vieux. Et dans maints endroits de ses ïambes, Agathon prend Gorgias pour modèle; je dis l'auteur tragique, celui-là même dont la comédie a prisé la sagesse et le beau langage.[41] Disons encore que Gorgias a joué un rôle éminent dans les assemblées solennelles de la Grèce : à Delphes, dans le temple d'Apollon, il prononça son oraison pythique du haut des marches de l'autel, où l'on plaça ensuite sa statue d'or. Mais, à Olympie, les paroles qu'il fit entendre portèrent sur les plus grands intérêts de la politique : voyant les divisions de la Grèce, il prit en main le rôle de conciliateur; il s'efforça de tourner tous les peuples contre les ennemis du dehors, et les conjura de se proposer, comme prix de la victoire, non les villes de leurs frères, mais la terre des barbares. Quant à l'oraison funèbre qu'il prononça dans Athènes, elle fut débitée en l'honneur des victimes de la guerre, dont les Athéniens faisaient, aux frais de l'État, les funérailles, et voulaient qu'on célébrât la mémoire. Ce morceau est composé avec un art sans égal ; en effet, l'auteur y excite les Athéniens contre les Mèdes et les Perses, et paraît animé du même esprit que dans son discours d'Olympie; toutefois, il ne parle plus de la concorde qui doit régner entre tous les Grecs ; c'est qu'il s'adresse aux Athéniens, très désireux de l'hégémonie, à laquelle ils ne peuvent parvenir sans user de mesures violentes ; mais il s'attache à exalter les trophées conquis sur les Mèdes, faisant voir que les trophées qu'on gagne en combattant les barbares réclament des chants de triomphe, et ceux qu'on gagne à combattre les Grecs, des chants funèbres. On dit que Gorgias, malgré les atteintes de la vieillesse, et parvenu à l'âge de cent huit ans, n'avait point perdu la vigueur de son corps, et qu'il mourut encore vert, en pleine possession de ses sens. BIOGRAPHIE QUINZIÈME DU PREMIER LIVRE. — ANTIPHON DE RHAMNONTE.[42]Je ne sais s'il faut appeler Antiphon de Rhamnonte un homme de bien, ou un homme pervers. On doit l'appeler un homme] de bien, si l'on s'arrête aux considérations suivantes : il a commandé l'armée fort souvent; fort souvent il a remporté la victoire ; il a augmenté de soixante galères[43] tout équipées la force navale d'Athènes ; il a paru l'homme du monde le plus en état de parier, et de comprendre une question donnée; à tous ces titres, il mérite mes éloges et ceux de tout le monde; mais on le trouvera sans doute un homme pervers, si l'on songe à ce que je vais dire : il a brisé le pouvoir populaire; il a asservi le peuple d'Athènes ; il a conspiré avec Lacédémone, furtivement au début, et ouvertement par la suite ; il a déchaîné contre la république athénienne toute une horde de quatre cents tyrans. Les uns disent qu'il a inventé, d'autres, qu'il a perfectionné la rhétorique ; on est encore partagé sur la question de savoir s'il s'est rendu habile uniquement par ses moyens personnels, ou s'il a dû quelque chose à son père. Il eut, en effet, pour père, Sophile,[44] qui enseigna la rhétorique à bien des fils de familles puissantes, et, en particulier, au fils de Clinias. Devenu maître en l'art de persuader, et surnommé Nestor parce que, sur n'importe quel sujet, il pouvait obtenir l'adhésion des auditeurs, il promit de faire des leçons d'un irrésistible effet contre la tristesse, défiant tout le monde de lui nommer un chagrin assez violent, pour qu'il ne pût le faire sortir de l'âme.[45] La comédie s'en prend à Antiphon comme à un homme d'une grande capacité en matière de procès, et vendant très cher, particulièrement aux accusés les plus en péril, des plaidoyers composés contre le droit. Ce qu'il en est de tout cela, je vais le dire : pour les autres sciences et les autres arts, les hommes estiment dans chaque spécialité ceux qui se distinguent le plus ; on admire les médecins les plus capables de préférence à ceux qui le sont moins ; dans la divination, dans les beaux-arts, on admire aussi celui qui a le plus de talent; l'art du charpentier, et tous les autres métiers donnent lieu à des jugements analogues. Pour la rhétorique, tout en la comblant d'éloges, on la tient en suspicion comme perfide, amie de l'argent, et inventée pour combattre le bon droit. Et ce n'est point particulièrement le vulgaire qui juge ainsi de la rhétorique; ce sont encore les hommes les plus éminents dans la classe des gens instruits. En effet, bien sévères dans leur façon de qualifier le talent, ils appellent de dangereux orateurs ceux qui peuvent concevoir, ceux qui peuvent traiter un sujet comme il faut. S'il en est comme je viens de le dire, on ne s'étonnera pas qu'Antiphon, lui aussi, ait été en butte aux traits de la comédie; car celle-ci s'attaque de préférence à tout ce qu'il y a de meilleur. Il mourut en Sicile, par ordre de Denys le Tyran, et c'est à Antiphon lui-même, plutôt qu'à Denys, que j'impute les raisons de cette mort. Il rabaissait, en effet, les tragédies de Denys, ces tragédies dont celui-ci était plus fier que de son pouvoir lui-même. Un jour que le tyran voulait se renseigner sur la qualité de .l'airain, et qu'il demandait aux assistants : « Quel est le continent, quelle est l'île qui produit l'airain le meilleur? » Antiphon, prenant la parole : « Le meilleur que je connaisse, dit-il, est celui d'Athènes, avec lequel[46] on a fait les statues d'Harmodius et d'Aristogiton. » Ces paroles le firent mettre à mort, comme suspect de comploter contre Denys, et de vouloir soulever contre lui les Siciliens. Antiphon eut tort à double titre : d'abord, il ne devait pas offenser un tyran auprès duquel il s'était fixé par son libre choix, plutôt que de se soumettre, dans son pays, au pouvoir démocratique; ensuite, il était contradictoire d'appeler les Siciliens à la liberté, et de vouloir asservir Athènes. Et même encore, en détournant Denys d'écrire des tragédies, il le détournait de se reposer, car des occupations de cette nature sont un repos, et les tyrans sont moins dangereux pour les peuples quand ils se délassent que quand ils sont appliqués : en effet, si un tyran prend, en quelque sorte, des vacances, il fera moins couler de sang, il commettra moins de violences et de rapines ; en un mot, un tyran qui s'amuse à composer des tragédies pourra être comparé à un médecin qui est tombé malade, et qui se soigne lui-même ; en effet, pour chercher l'action du drame, pour s'occuper des monologues, du rythme, des chœurs, de l'exacte reproduction des mœurs, il faut, presque partout, mettre en avant des idées vertueuses, et ce travail diminue l'inflexibilité, la violence des tyrans, comme les remèdes diminuent la force des maladies. Ne regardons point ce que je viens de dire comme un acte d'accusation contre Antiphon, mais comme un conseil donné à tous de ne pas provoquer les tyrans, de ne pas éveiller le courroux des naturels féroces. Les discours d'Antiphon sont, pour la plupart, des discours judiciaires, dans lesquels on trouve de la force, et tous les raffinements que l'art peut produire ; le talent d'un sophiste se montre dans beaucoup de ses œuvres, et, plus encore, dans sa dissertation sur la concorde : on y trouve des sentences éclatantes et philosophiques, une élocution majestueuse, toute fleurie de termes poétiques, un style enfin dont l'ampleur éveille en nous l'idée d'une plaine bien unie. BIOGRAPHIE SEIZIÈME DU PREMIER LIVRE. — CRITIAS.[47]Que le sophiste Critias ait détruit la démocratie athénienne, ce n'est point encore une raison suffisante pour l'appeler un homme pervers ; car elle n'avait besoin que d'elle-même pour courir à sa perte, cette démocratie assez égarée par l'orgueil pour ne plus obéir aux magistrats légalement institués ; mais, avoir été ouvertement du parti de Lacédémone ; s'être fait un jouet des choses les plus saintes ; avoir fait raser les murs par la main de Lysandre ; avoir interdit, à ceux des Athéniens qu'il chassait, le séjour de toute la Grèce, en menaçant des armes lacédémoniennes quiconque aurait accueilli un fugitif d'Athènes ; avoir surpassé par sa cruauté, par son amour du sang, les trente tyrans ; avoir enfin concerté avec les lacédémoniens ce projet inouï de réduire l'Attique dépeuplée à n'être plus qu'un lieu de parcours pour les troupeaux ; tout cela me parait dénoter le plus méchant de tous les hommes à qui leur méchanceté a fait un nom dans l'histoire. Si encore il s'était porté à tous ces excès sans avoir reçu d'instruction, on pourrait écouter ceux qui nous disent qu'il a été corrompu par son séjour en Thessalie, et par les hommes qu'il y a fréquentés, car les esprits sans instruction se laissent entraîner sans peine dans la voie où on les pousse ; mais il avait reçu une instruction excellente ; il avait traité un très grand nombre de matières philosophiques ; il remontait, par sa famille, à Dropis, qui, après Solon, avait gouverné les Athéniens ; à tous ces titres, il me paraît encourir, aux yeux de la plupart des gens, le reproche mérité d'avoir fait tout ce mal par suite d'un naturel pervers. Et, aussi bien, n'est-ce pas une chose étrange, qu'après avoir si souvent philosophé avec Socrate, fils de Sophronisque, estimé le plus sage et le plus juste des hommes de son temps, il n'ait pas pris les mœurs de celui-ci, et qu'au contraire, il ait été prendre celles des Thessaliens, qui ne connaissent que l'arrogance, l'abus du vin, et la tyrannie exercée au sein de l'ivresse? Mais les Thessaliens eux-mêmes, après tout, n'étaient pas indifférents à la science. En Thessalie, grandes et petites cités, pleines d'admiration pour le Léontin Gorgias, s'étudiaient à le prendre pour modèle ; et, sans doute, elles en auraient fait autant pour Critias, si peu que celui-ci eût bien voulu faire montre de sa sagesse à leurs yeux. Mais il n'y songeait guère : il aimait mieux aggraver le poids de leurs oligarchies[48] par ses entretiens avec les puissants du pays, par ses attaques contre toutes les démocraties, par ses diatribes contre les Athéniens, qu'il représentait comme les plus égarés de tous les hommes ; et, en résumé, si l'on considère tout cela, on jugera que Critias a plutôt corrompu les Thessaliens, qu'eux-mêmes ne l'ont corrompu. Il mourut sous les coups de Thrasybule et des siens, qui rappelèrent le peuple exilé ; quelques-uns lui font honneur de cette mort, parce qu'il périt enseveli sous les ruines de la tyrannie ; mais je dois le déclarer bien haut : on ne peut faire honneur à personne de la mort qu'il subit pour la défense d'un bien usurpé. Et c'est ainsi que je m'explique le peu de goût témoigné par les Grecs pour le talent et pour les œuvres de Critias. Si, en effet, notre langage n'est pas d'accord avec nos actes, nous paraîtrons, comme les flûtes, rendre des sons qui ne viennent pas de nous. Voici maintenant ce que nous dirons de la manière de Critias : Il est riche en maximes brièvement exprimées,[49] très capable d'atteindre à une certaine majesté de style qui n'est point la majesté du dithyrambe, et qui n'emprunte point son lustre aux expressions poétiques, mais qui, fondée sur l'emploi des termes les plus propres, est toujours naturelle ; je vois aussi que cet auteur sait être concis autant qu'il le faut ; qu'il ne perd ni ses moyens ni sa force en prenant les sentiments que le rôle de défenseur exige; enfin, qu'il sait, dans l'emploi des termes attiques, se préserver de tout excès et de toute affection maladroite[50] (en effet, dès que l'on parle d'atticisme, il faut regarder comme barbare tout ce qui s'écarte de la mesure). Mais, chez lui, les termes attiques étincellent comme des rayons de lumière dans le discours. Passer, sans transition, d'un point à un autre, c'est la coquetterie de Critias ; être original dans l'invention, original aussi dans l'élocution, c'est le point de mire de Critias. Le souffle qui emporte son discours est un peu faible, peut-être, mais il est doux et régulier comme l'haleine du zéphyr. BIOGRAPHIE CINQUIÈME DU LIVRE II. — ALEXANDRE DE SÉLEUCIE, DIT PÉLOPLATON.[51]Alexandre, qu'on a généralement surnommé Péloplaton, eut pour pays natal Séleucie, qui est une ville assez connue de la Cilicie. Son père, qui porta le même nom que lui, était un orateur judiciaire fort capable; quant à sa mère, ainsi que l'attestent ses portraits, elle était d'une beauté extraordinaire, et ressemblait à l'Hélène d'Eumèle. Eumèle, en effet, avait peint une Hélène qui fut jugée digne d'être placée sur le forum romain. On dit qu'aimée de plusieurs, et manifestement recherchée par Apollonius de Tyane, cette femme dédaigna l'amour de tous les autres pour se donner à ce dernier, par le désir et l'espoir d'une progéniture distinguée, si elle s'unissait à un homme qui, plus que tous les autres mortels, participait à la nature divine. J'ai clairement indiqué, dans la vie d'Apollonius,[52] toutes les raisons qui doivent nous faire refuser notre créance à ce conte. Pour Alexandre, il avait dans sa personne je ne sais quoi de divin, et une distinction pleine de grâce; sa barbe était frisée, et d'une juste mesure dans sa longueur; ses yeux étaient grands et doux ; son nez, bien fait, et ses dents, d'une blancheur éclatante; enfin, chez lui, par leur longueur et par leur beauté,[53] les doigts semblaient faits exprès pour soutenir la voix. Il avait aussi de la fortune, dont il savait user pour se procurer des voluptés innocentes. Arrivé à l'âge d'homme, il se rendit, pour le compte de Séleucie, en ambassade auprès d'Antonin, et, dans cette circonstance, on lui reprocha certaines pratiques dont il usait pour se rajeunir ; comme l'empereur paraissait n'accorder à sa présence qu'une attention médiocre, Alexandre s'écria, en élevant la voix : « Je te prie, César, de t'apercevoir que je suis là! » Alors l'empereur, piqué de cette apostrophe un peu trop vive : « Oui, répondit-il, je m'aperçois que tu es là, et je te connais : tu es l'homme qui prend un soin minutieux de sa chevelure, qui polit ses dents, qui lime ses ongles, et qui exhale en tous temps les parfums. » Alexandre passa la plus grande partie de sa vie à enseigner, soit dans Antioche, soit à Rome, soit à Tarse, soit enfin dans l'Égypte tout entière, car il se rendit jusque dans le pays des gymnosophistes. Quant au séjour qu'il eût dans Athènes, il ne fut pas long; mais il mérite d'être signalé. Il se rendait en Pannonie[54] à l'appel de Marc-Aurèle, qui faisait la guerre en ce pays, et qui l'avait nommé son secrétaire pour ses rapports avec la Grèce. Arrivé à Athènes (et c'était une roule passablement longue déjà, pour un homme qui venait du fond de l'Orient) : « Allons, dit-il, plions les genoux en cet endroit. » A ces mots, il fit annoncer qu'il improviserait devant les Athéniens, épris d'un vif désir de l'entendre. Puis, apprenant qu'Hérode, en ce moment à Marathon, attire et retient la jeunesse autour de sa personne, il lui écrit une lettre dans laquelle il convoque les Grecs[55] : « Les Grecs viendront, répond Hérode, et tu me verras venir avec eux. » L'auditoire se réunit au théâtre du Céramique appelé Agrippeum. Comme le jour s'écoulait, et qu'Hérode n'arrivait pas, les Athéniens commençaient à être mécontents d'une attente qui fatiguait l'assemblée, et ils croyaient à une mystification, en sorte qu'Alexandre fut contraint d'entamer la dissertation[56] avant même qu'Hérode ne fût arrivé. Cette dissertation avait pour sujet l'éloge d'Athènes, et les excuses de l'orateur pour n'avoir pas, jusque-là, rendu visite aux Athéniens ; ce morceau était d'une longueur raisonnable, car il ressemblait à l'abrégé d'un discours panathénaïque.[57] La bonne mine d'Alexandre fit tant d'effet sur les Athéniens qu'on entendit, avant même qu'il n'eût ouvert la bouche, un murmure flatteur, et des éloges sur sa prestance. Quant à la déclamation dont le choix prévalut au sein de l'assemblée,[58] en voici le sujet : Un orateur engage les Scythes à reprendre leur vie errante, parce que le séjour d'une ville les rend malades. Après une méditation d'un instant, Alexandre se leva de sa chaire en bondissant avec une physionomie rayonnante, comme s'il était pour l'auditoire un messager de bonheur, en raison des belles choses qu'il allait dire. Déjà son développement était assez avancé, lorsqu'on vit venir Hérode, la tête ombragée d'un chapeau d'Arcadie; c'était, il est vrai, à Athènes, sa coiffure habituelle pendant l'été ; mais peut-être aussi tenait-il à bien faire voir à l'orateur qu'il revenait de voyage. S'emparant de cette circonstance, Alexandre, en des termes pleins de grandeur et d'éclat, salua la présence d'Hérode, et le laissa maître de décider s'il voulait entendre la suite de la déclamation commencée, ou bien en indiquer une autre. Levant les yeux sur l'amphithéâtre où siégeaient les auditeurs, Hérode dit qu'il fallait prendre les désirs de ceux-ci pour règle, et tous furent d'accord pour demander à entendre la suite de la déclamation des Scythes ; et, en effet, l'orateur, comme l'atteste l'œuvre qui nous reste de lui, traitait ce sujet de la plus brillante manière. Voici encore une preuve qu'il donna d'une puissance oratoire vraiment merveilleuse : Toutes les idées qu'il avait brillamment exposées avant l'arrivée d'Hérode, il les reprit, en présence de ce personnage, avec des expressions et des rythmes si nouveaux, que les auditeurs, tout en les entendant pour la seconde fois, ne s'aperçurent pas qu'il se répétait.[59] En effet, avant l'arrivée d'Hérode, on avait surtout admiré ce passage : « L'eau elle-même devient malade quand elle reste immobile. » Reprenant cette idée sous une autre forme quand Hérode est là, l'orateur nous dit : « Et, parmi les eaux également, celles qui courent s'ont les meilleures. » — Citons encore ces mots de la déclamation des Scythes par Alexandre : « L'Ister était-il gelé, je m'élançais vers le midi ; la glace était-elle fondue, je remontais vers le nord ; ma santé était bonne alors, et je n'étais pas, comme aujourd'hui, cloué dans mon lit. Quel mal, en effet, peut-il advenir à l'homme qui règle sa vie sur les saisons? » Et à la fin du discours, quand il reproche aux villes d'être un séjour où l'on étouffe, voici quels sont ses derniers mots : « Ouvrez donc les portes, je veux respirer. » Courant alors au-devant d'Hérode, et le prenant dans ses bras : « Allons, dit-il, à ton tour de m'offrir un festin ! — Que pourrais-je refuser, répond l'autre, à celui qui vient de me traiter si magnifiquement? » Une fois la séance terminée, Hérode appela les plus avancés d'entre ses élèves et leur demanda : « Que pensez-vous du sophiste qui vient de parler? » Alors Sceptos de Corinthe : « J'ai bien trouvé la boue ; quant au Platon, je le cherche encore.[60] — Garde-toi bien, dit Hérode en le reprenant, de répéter à qui que ce soit ce que tu viens de dire, si tu ne veux te faire tort, et passer pour un appréciateur ignorant ; avoue plutôt, avec moi, que nous venons d'entendre un Scopélianus qui ne s'enivre pas.[61] » Si Hérode caractérisait ainsi Alexandre, c'est qu'il avait bien vu avec quel talent celui-ci savait mettre un style mesuré au service des pensées hardies qui conviennent à la sophistique. Et quand lui-même déclama devant Alexandre, il prit soin de hausser le ton de son style, sachant que ce sophiste aimait avant tout le relief des expressions; il introduisit aussi dans son discours des rythmes plus variés que ceux de la flûte et de la lyre, parce qu'Alexandre lui avait paru lui-même faire grand cas de cette sorte d'agréments. La déclamation traitée en cette circonstance avait pour sujet : les blessés en Sicile. Ces malheureux, au moment du départ des Athéniens, leur demandent de périr par leurs mains. C'est au cours du développement de ce sujet qu'Hérode, les yeux baignés de larmes, fit entendre cette supplication demeurée célèbre : « Oui, Nicias, oui, mon père, puisses-tu revoir Athènes, après avoir exaucé notre prière! » En entendant ce passage, Alexandre, dit-on, s'écria : « O Hérode, nous ne sommes que ta monnaie, nous autres sophistes, tous tant que nous sommes ! » Ravi de cet éloge, et s'abandonnant dès lors à la générosité de sa nature, Hérode fit don au sophiste de dix porteurs, de dix chevaux, de dix échansons, de dix scribes,[62] de vingt talents d'or et d'une grande quantité d'argenterie, sans compter deux petits enfants de Collytos,[63] qui balbutiaient encore ; car il avait entendu dire que son admirateur avait un goût particulier pour les tendres voix de l'enfance. Tels sont les faits qui signalèrent à Athènes le séjour d'Alexandre. Mais puisque j'ai mis sous les yeux du lecteur des passages d'autres sophistes, je crois devoir faire connaître Alexandre par un plus grand nombre d'extraits, car il n'a pas encore obtenu chez les Grecs la pleine renommée qu'il mérite. Les passages suivants de ses dissertations montrent quelle gravité, quel charme il apportait dans ces sortes d'exercices : « Marsyas aimait Olympe,[64] et Olympe aimait à jouer de la flûte »; et ailleurs : « Voici la terre d'Arabie : une infinité d'arbres, des plaines bien ombragées, aucun point sans végétation, un sol qui disparaît sous les plantes, qui disparaît sous les fleurs. En Arabie, il ne faut pas dédaigner une feuille, il ne faut pas rejeter même un brin de paille, tant le suc de la terre y a de puissance » ; et ailleurs encore : « Un homme pauvre de l'Ionie ; or, l'Ionie, c'est une portion de la Grèce qui a élu domicile au milieu des barbares.[65] » Antiochus[66] tournait ce genre de style en ridicule, et professait du mépris pour Alexandre, qu'il accusait de trop se complaire dans la recherche des expressions élégantes; aussi, étant venu à Antioche, il entra ainsi en matière devant son auditoire : « Allons, Ioniennes, Lydiennes, Marsyas, sornettes,[67] indiquez-moi des sujets. » Les passages que j'ai cités ont fait valoir, je pense, les talents d'Alexandre dans la déclamation ; mais, pour les mieux mettre en lumière, il faut faire appel à d'autres sujets encore. Ainsi, il avait à faire parler Périclès, excitant ses concitoyens à la guerre, même après l'oracle par lequel Apollon Pythien déclarait qu'invoqué ou non, il porterait secours aux Lacédémoniens. Voici comment il réfuta d'avance l'objection qu'on pouvait tirer de l'oracle : « Apollon Pythien, dit-il, promet de secourir les Lacédémoniens ; vaine promesse ; il en sera comme lorsqu'il leur annonçait la prise de Tégée. » Une autre fois, il mettait en scène un orateur conseillant à Darius de jeter un pont sur l'Ister : « Que lister de Scythie coule sous tes pieds, et, si son cours paisible livre passage à ton armée, rends-lui hommage en buvant de ses eaux. » Et, quand il eut à faire parler Artabaze dissuadant Xerxès d'une seconde expédition contre les Grecs, voici en quels termes concis il s'exprima : « Tu vois, prince, comment tu n'as qu'à rester tranquille pour faire le bonheur des Mèdes et des Perses. Quant à la Grèce, elle ne t'offre qu'une terre étroite, une mer resserrée, des hommes qui ont fait le sacrifice de leur vie, des dieux doux. » Enfin, lorsqu'il engageait des gens tombés malades dans la plaine à émigrer sur les hauteurs, il se livra à ces considérations sur la nature : « Il me semble que l'architecte de l'univers a relégué en bas les plaines comme étant une portion moins noble de la matière, et qu'au contraire, il a élevé les montagnes en raison de leur excellence. Ce sont elles que le soleil salue les premières, et qu'il quitte aussi les dernières. Qui n'aimerait un endroit où les jours sont plus longs qu'ailleurs[68]? » Alexandre avait eu pour maîtres Favorinus et Denys ; mais il quitta Denys avec une instruction très incomplète encore, parce qu'il fut rappelé par son père malade; déjà sur le point de mourir ; c'est donc de Favorinus qu'il put se dire véritablement l'élève, et il puisa chez lui principalement la grâce de son langage. Les uns font mourir Alexandre dans la Gaule, et encore en possession de la charge de secrétaire ; les autres, en Italie, et alors qu'il n'exerçait plus cet emploi. Selon quelques-uns, il avait soixante ans; selon d'autres, un âge moins avancé;[69] enfin, il avait laissé, selon ceux-ci, un fils; selon ceux-là, une fille, sur le compte desquels je n'ai rien trouvé qui fût digne d'être rapporté. BIOGRAPHIE DIX-HUITIÈME DU LIVRE II. — ONOMARQUE D'ANDROS.[70]Sans être admiré, Onomarque, le sophiste d'Andros, a pourtant joui d'une certaine considération. Il faut dire que son enseignement[71] fut contemporain de celui d'Adrien et de celui de Chrestos à Athènes, et que, tout voisin de l'Asie, il gagna, comme on gagne une ophtalmie, le mal de la manière ionienne,[72] qui avait les plus fervents adeptes, à Ephèse particulièrement; aussi, certaines personnes, injustes pour ce personnage, ont-elles cru à tort qu'il n'avait jamais dû entendre Hérode ; sans doute, et pour la cause que j'ai dite, il est tombé dans certaines fautes de style ; mais Hérode se retrouve dans l'allure de ses pensées qu'embellit je ne sais quelle suavité mystérieuse. On[73] ne croira pas que je veuille plaisanter, si je juge Onomarque d'après le morceau suivant : l’Amant de la statue. Voici ce passage : « O beauté vivante, enfermée dans un corps sans vie, quel est le génie qui t'a formée? Est-ce quelque Persuasion, quelque Grâce, ou ne serait-ce pas l'amour lui-même, le père de la beauté? Quel signe te manque, parmi ceux qui annoncent l'existence réelle? Expression de la physionomie, fleur d'un teint brillant, aiguillon du regard, sourire plein de charme, rougeur des joues, marques visibles de ton intelligence ! Tu as aussi une voix, toujours sur le point de se faire entendre. Peut-être même que tu parles, mais ce n'est pas quand je suis là, ô trop ingrate, trop jalouse beauté, infidèle au plus fidèle amant ! Non, tu ne m'as jamais accordé la faveur d'une parole; aussi, je lancerai sur ta tête cette malédiction, la plus redoutable de toutes pour ceux qui sont beaux : Je te souhaite de vieillir[74] ! » Il mourut à Athènes, selon les uns, et, selon d'autres, dans sa patrie, alors qu'il grisonnait déjà, et qu'il allait entrer dans la vieillesse. On dit que son extérieur était rustique, et rappelait la rudesse du Byzantin Marcus. PARTIE DE L'APPENDICE RELATIVE A L'INTRODUCTION MISE PAR PHILOSTRATE EN TÊTE DE SES CINQUANTE-NEUF BIOGRAPHIES.Dans l'introduction placée en tète des biographies, l'auteur divise, d'une manière fort nette, les sophistes en deux grandes catégories : l'une, qui comprend les sophistes anciens, et qui commence avec Gorgias; l'autre, qui commence avec Eschine, et qui renferme les représentants de la nouvelle, ou plutôt de la deuxième sophistique ; une troisième série, indiquée à la fin, dans une phrase jetée comme une sorte de transition, comprendra les philosophes que leur beau langage a fait ranger au nombre des sophistes. Voilà bien le plan de tout l'ouvrage, et, en apparence, rien n'est plus régulier, rien n'est plus satisfaisant que cette division qui place, pour ainsi dire, dans trois cases bien distinctes : 1° les philosophes improprement appelés sophistes ; 2° les sophistes primitifs ; 3° les sophistes nouveaux, Mais, pour peu qu'on aille au fond des choses, on est beaucoup moins satisfait, et l'on se demande, après avoir lu les biographies, si la classification établie par l'auteur a bien sa raison d'être. Philostrate, avant toute chose, et dans l'introduction même, aurait dû définir ce qu'il entend par le mot sophiste ; faute de l'avoir fait, il s'expose à l'accusation d'avoir distribué ce titre un peu au hasard. Disons-le en toute franchise : l'ouvrage de Philostrate est infiniment précieux pour nous, mais seulement à partir de la dix-neuvième biographie, c'est-à-dire, à partir du moment où il aborde l'histoire de son temps, ou, du moins, celle d'une époque très-voisine de la sienne. Mais il ne paraît pas, à beaucoup près, avoir connu aussi bien les époques antérieures. 1° Sa liste des pseudo-sophistes, ou, comme il le dit, des philosophes à qui leur beau langage a fait donner le nom de sophistes, est limitée à huit personnages. Pourquoi cela? En vertu de quelle raison, ou de quel caprice? Combien d'autres philosophes, à côté de ceux que l'auteur nous cite, n'ont-ils pas su se faire valoir par le talent de la parole? 2° Dans la catégorie des sophistes primitifs, qui sont au nombre de neuf, pourquoi retrouve-t-on encore, à côté d'orateurs et de professeurs de rhétorique, des hommes qui ont philosophé comme Gorgias, Protagoras, Prodicus, Hippias? Pourquoi, en revanche, n'y voit-on pas figurer les deux fondateurs de la rhétorique, Corax et Tisias, ni Céphalus, qui passe pour avoir inventé les exordes et les péroraisons, ni Licymnius, ni Alcidamas, ni Polycrates, ni Anaximène, ni tant d'autres, qui ont mérité, et qui ont porté le nom de sophistes? Pourquoi, d'autre part, plusieurs des notices de cette série et de la précédente sont-elles si sèches, si incomplètes et si vagues ? Pourquoi les plus intéressantes d'entre elles renferment-elles des erreurs plus ou moins graves, et qu'il eût été bien peu difficile d'éviter? 3° Enfin, pourquoi, entre Eschine, mort en 314 (d'autres disent 312) avant Jésus-Christ, et Nicétès, qui florissait au temps de Vespasien, trouvons-nous, dans l'histoire des sophistes, une lacune de quatre cents ans? Car, si Philostrate mentionne comme par grâce, et pour en dire du mal, Ariobarzane, Xénophon et Pythagore,[75] il ne peut avoir la prétention de nous faire croire que, durant quatre siècles, la sophistique n'ait pas eu d'autres représentants. Et dans le fait, comme le dit fort judicieusement H. de Valois (édition spéciale de Kayser, 1838, page xxi), il aurait dû signaler : 1° l'école de Rhodes, avec Arta-mène, Aristoclès, Philagre[76] et Molon, que Cicéron a compté au nombre de ses maîtres ; 2° l'école asiatique, fondée par Hégésias et illustrée par Magus, Ménippe de Stratonice, Eschyle de Milet. J'en passe, et des meilleurs, dont les noms se rencontrent, soit chez Strabon, soit chez Dion Chrysostome. En résumé, la ligne de démarcation entre les sophistes philosophes et les autres sophistes n'est pas suffisamment marquée ; la liste des sophistes primitifs est fort incomplète; de plus, il y a, dans l'ouvrage, comme une solution de continuité entre la biographie d'Eschine, le père de la sophistique deuxième, et celle de Nicétès, qui vivait quatre siècles plus tard, Enfin, et c'est là mon principal grief, on trouve bien dans Philostrate les caractères qui distinguent les unes des autres les trois catégories de sophistes, mais non pas ceux qui distinguent un sophiste de tout autre homme. Ces critiques faites, et je devais les faire à propos de l'Introduction, qui est comme un abrégé de l'ouvrage lui-même, je me ferai un devoir et un plaisir de reconnaître que le tableau de la sophistique deuxième, donné par Philostrate, nous fait connaître, et nous fait connaître à peu près seul, tout un grand côté de la vie sociale du monde romain, aux premiers siècles de notre ère. Rien n'est plus curieux, rien n'est plus intéressant que de voir de quel éclat ont resplendi alors certaines figures presque oubliées aujourd'hui. Les Scopélianus, les Polémon, les Hérode, les Adrien, bien d'autres encore, ont été, avec un talent fort contestable peut-être, comme les rois intellectuels de leur époque; ils ont charmé, ravi, enthousiasmé leur siècle; ils ont été les idoles d'une des sociétés les plus polies, les plus raffinées de l'univers ; ils ont eu l'oreille des princes, les hommages de tous les amis des lettres, et les applaudissements de la foule.[77] Il faut savoir gré à Philostrate d'avoir constaté, dans ses intéressantes notices, le prodigieux succès de tous ces beaux parleurs, et de nous avoir fait connaître par là, si je puis ainsi parler, le goût et le tempérament intellectuel de son époque. Ajoutons encore que c'est à lui surtout qu'il faut s'adresser, si l'on veut connaître le régime des écoles, et le système d'éducation de ces temps. PARTIE DE L'APPENDICE RELATIVE A GORGIAS.Fils de Charmantis, Gorgias naquit à Léontium, probablement en 496 avant Jésus-Christ, et mourut à l'âge de cent huit ans, selon l'opinion générale, et de cent neuf, d'après Quintilien, c'est-à-dire en l'année 388, ou en l'année 387. Il reçut, pour la philosophie, les leçons d'Empédocle, et paraît avoir composé, d'après la doctrine du maître, le traité qu'on lui attribue : περὶ φύσεως. — Aristote nous dit qu'allant plus loin que Mélissus et Zénon, Gorgias entreprit de prouver, non plus simplement qu'il n'y a rien, οὐδὲν εἶναι, mais que la question de savoir s'il y a ou non quelque chose ne peut être posée : ὅτι οὔκ ἐστιν οὔτε εἶναι, οὔτε μὴ εἶναι. Pour la rhétorique, Gorgias fut très vraisemblablement l'élève de Corax. On ne sait pas au juste à quelle époque Gorgias a visité la Grèce et la Thessalie, ni combien de temps il a employé à ces pérégrinations; mais on sait tout au moins en quelle année il vint à Athènes comme ambassadeur des Léontins. C'est en l'année 427, et à ce moment Périclès était mort depuis deux ans, ce qui ne permet pas de croire, avec Philostrate, que ce grand homme ait pu suivre les leçons de Gorgias. Quoi qu'il en soit, l'éloquence de Gorgias exerça sur les Athéniens, et sur les Thessaliens, une séduction irrésistible. Ses séances de déclamation étaient considérées comme des fêtes. L'attrait de la nouveauté fut pour quelque chose dans cet enthousiasme. On n'était pus encore habitué à ce style imagé, qui introduisait dans la prose toutes les grâces, mais aussi toutes les hardiesses, et parfois les témérités de la poésie. A ces qualités, ou, si l'on veut, à ces défauts, qui caractérisent la méthode sicilienne, Gorgias joignait aussi, et c'est ce qui explique son succès, une habileté de mise en scène extraordinaire. C'était, en quelque sorte, un prestidigitateur de la parole. Il est douteux que Gorgias ait composé une Tecnhn, ou traité de rhétorique; mais on ne peut guère lui refuser la paternité d'un petit ouvrage intitulé : peri kairou, et il est probable qu'il avait écrit aussi un recueil de lieux communs. Les grandes compositions de Gorgias, dont l'authenticité n'a pas été révoquée en doute, sont au nombre de quatre : 1° l'oraison olympique; 2° l'oraison pythique; 3° l'oraison funèbre ; 4° l'éloge d'Élis, dont Aristote nous a conservé les trois premiers mots. De tout cela, il ne reste qu'un fragment d'une certaine importance, (vingt-sept lignes), de l'oraison funèbre. On Je trouvera, ainsi que quelques autres débris, au deuxième Volume des orateurs attiques de la collection Didot. Quant à l'apologie de Palamède et à l'éloge d'Hélène, ces deux déclamations ne sont certainement pas de Gorgias ; on paraît fondé à les attribuer, la seconde surtout, au rhéteur Polycrates.[78]
PARTIE DE L'APPENDICE RELATIVE A ANTIPHON DE RHAMNONTE. Plusieurs personnages du nom d'Antiphon sont cités, et souvent confondus, par les historiens : 1° Antiphon de Rhamnonte, l'orateur, qui est le seul dont nous devions nous occuper ici. Il paraît avoir joué un rôle politique assez considérable, et il fut mis à mort en 411 après avoir contribué, pour une large part, à l'établissement du pouvoir oligarchique des quatre cents. Nous donnerons plus loin la liste de ses œuvres. 2° Un autre Antiphon, mis à mort par l'ordre des Trente. 3° Un troisième Antiphon, agent de Philippe, et condamné, sur le réquisitoire de Démosthène, par l'Aréopage, pour avoir voulu incendier les chantiers d'Athènes. (Plutarque, Vie de Démosthène, ch. xvii. Démosth. περὶ στεφ., 132-134.) 4° Antiphon, poète tragique et sophiste, surnommé ὀνειροκρίτης et τετρασκόπος. C'est ce dernier, et non, comme le dit Philostrate, Antiphon de Rhamnonte, qui fut mis à mort par l'ordre de Denys. Notre Antiphon, un peu plus jeune que Gorgias, paraît avoir eu des relations politiques et des rapports d'amitié avec Thucydide. Il subit, comme ce dernier, et dans une large mesure, l'influence des sophistes de son temps. Antiphon avait composé, sous le titre de ῥητορικὴ τέχνη, ou de ῥητορικαί τέχναι, un traité de rhétorique où se trouvaient, à titre de modèles, un grand nombre de τετραλογίαι (accusation, apologie; nouvelle accusation, nouvelle apologie). On y voyait aussi toute une provision d'exordes, προοίμια, et peut-être aussi, du moins Suidas l'affirme, de péroraisons, ἐπίλογοι. Selon Plutarque, il restait d'Antiphon soixante discours; mais Cecilius n'en reconnaissait que vingt-cinq comme authentiques. Citons, en particulier : λόγοι φονικοὶ, λόγοι δημηγορικοὶ, περὶ ὁμονοίας, περὶ ἀληθείας. On trouvera plus de cent fragments, plus ou moins considérables, dans le deuxième volume des orateurs attiques de la collection Didot. Je dois dire que le περὶ ἀληθείας, dont il reste de précieux débris, paraît plutôt être l'œuvre du τερατοσκόπος, que celle de l'orateur de Rhamnonte.[79] PARTIE DE L'APPENDICE RELATIVE A CRITIASOn peut fixer à l'année 455, ou à l'année 454, la naissance de Critias, fils de Callseschros. L'origine de sa famille,[80] qui remontait jusqu'à Codrus, et la grande fortune de son père, lui assuraient un rang distingué parmi ces jeunes Eupatrides qui alliaient, à une suprême élégance et au goût des lettres, la soif des voluptés et le mépris des choses saintes. Les leçons des sophistes achevèrent de détruire, dans l'esprit du jeune homme, tout respect pour la loi morale, et, si la fréquentation de Socrate, dont il fut le disciple, profita infiniment à son esprit, on ne voit pas qu'elle ait exercé sur son cœur une action bien salutaire. Critias débuta mal dans la vie : si sa complicité dans la mutilation des Hermès n'a pas été prouvée, il ne parait pas douteux qu'il ait secondé Alcibiade dans la profanation des mystères de Cérès. C'est donc par un sacrilège qu'il inaugura sa sinistre carrière. Son premier acte politique, si l'on en croit Lycurgue, (discours contre Léocrate), aurait été une accusation intentée, non pas à un vivant, mais à un mort : Critias aurait demandé qu'on instruisît le procès de Phrynicus, et que, s'il était condamné, on exhumât ses restes, pour les transporter hors du sol de l'Attique. Le fait ne paraît pas constant. Hais ce qui est plus certain, c'est que Critias, au mois de mai 407, provoqua, on ne sait dans quel intérêt, le rappel d'Alcibiade. Lui-même, quelques mois plus tard, est frappé d'une sentence d'exil, et tout porte à croire que cette condamnation se rattache à la nouvelle disgrâce d'Alcibiade (janvier 406). Critias, banni d'Athènes, se retire en Thessalie, et c'est là que, durant plusieurs années, il amasse, contre son pays, des trésors de haine. Pour se distraire, en attendant l'heure de la vengeance, il s'amuse à exciter les πενέστας (serfs de Thessalie) contre les riches et contre les nobles. Xénophon, qui affirme le fait, au livre IIe de ses Helléniques, (ch. iii, § 36), est ici, on le voit, en contradiction avec Philostrate. Au mois d'avril 404, Critias rentrait à Athènes, rappelé par Lysandre, et il n'y rentrait que pour se faire, contre sa patrie, le complice des étrangers. J'irai même plus loin : il rentrait, sous l'égide des étrangers, pour exercer sur sa patrie, à l'ombre de leurs armes, les plus atroces vengeances. On sait le reste. La lugubre histoire des trente tyrans est dans toutes les mémoires, et personne n'ignore que Critias fut l'âme de ce gouvernement sanguinaire. Le meurtre de plus de quinze cents innocents, la condamnation de Théramène qui, un jour, osa parler de clémence, le bannissement de tous les citoyens, à l'exception de trois mille affidés de la tyrannie, sont les faits les plus saillants de cette Terreur de huit mois, pendant lesquels la violence des prescripteurs ne cessa de s'accroître. Enfin, Thrasybule se montre, s'empare de Phylé avec une poignée d'hommes, et voit grossir sa petite armée de jour en jour ; il se saisit du Pirée, puis se retranche à Munychie, et y attend l'assaut des Trente. Critias est tué dans le combat, et sa mort amène la fin de la tyrannie. Nous osons croire, d'après cette rapide esquisse de la vie de Critias, que Philostrate n'a pas fait, de son caractère, un portrait trop noir, pas plus qu'il n'a exagéré son talent outre mesure. Critias, sans doute, n'a pas été un homme de génie ; mais il a été, par excellence, un homme de goût, un esprit délicat, un raffiné de lettres. Comme orateur, il ne semble pas s'être élevé au-dessus d'une éloquence moyenne. Cicéron, dans le Brutus (vii, 29), dit qu'on peut juger de son style, ainsi que de celui d'Alcibiade et de Théramène, par les écrits de Thucydide, leur contemporain, et que ces orateurs « grandes erant verbis, crebri sententiis, compressione rerum breves, » etc. Je crois que Cicéron fait trop d'honneur à Critias en le rapprochant de Thucydide, et qu'il aurait pu se borner à le mettre au niveau d'Andocide, et un peu au-dessous de Lysias.[81] En prose, Critias avait composé des προοίμια δημηγορικὰ, loués par Hermogène ; un livre appelé πολιτεῖα, qu'il ne faut pas confondre avec les πολιτεῖαι ἔμμετροι, dont nous parlerons plus bas, et qui paraît avoir été une esquisse légère des mœurs des différents peuples; enfin, mais le fait est douteux, un livre intitulé bioi. Je ne mentionne pas quelques autres ouvrages, dont nous connaissons à peine les titres, cités par Galenus. Des poésies de Critias, il reste cent dix-neuf vers ou fragments de vers appartenant à des œuvres diverses, et dont il n'est pas toujours facile de déterminer l'origine exacte. C'est bien peu, mais ce peu est de nature à nous faire regretter la disparition du reste. Pourquoi Hérode-Atticus, qui fit tant d'efforts pour remettre en honneur le nom de Critias, ne nous a-t-il pas laissé une édition de ses œuvres? Des trois tragédies que Pabricius attribue à Critias[82] (Atalante, Pirithoüs, Sisyphe), il n'y a, paraît-il, que la dernière qui soit certainement de lui. Nous avons, de cette tragédie, quarante-deux vers pleins de maximes impies, probablement en rapport avec le rôle du personnage qui les débitait, mais trop conformes à ce que nous savons des sentiments de l'auteur. Les πολιτεῖαι ἔμμετροι, dont il nous reste aussi quelques débris, ont dû être une sorte de revue des principales villes considérées au point de vue des agréments de leur séjour, et des ressources qu'elles offraient pour la volupté. Les fragments que nous en avons conservés nous font voir, dans le poète, un appréciateur délicat des plaisirs, et un ennemi de la débauche grossière. L'épigramme, en dix vers, à la louange d'Anacréon, qui avait eu la plus tendre affection pour le grand-père de Critias, parait avoir fait partie d'un livre consacré à la gloire de plusieurs poètes, et c'est peut-être à ce livre que Philostrate fait allusion dans sa dédicace, lorsqu'il dit que Critias a mentionné, par exception, l'origine d'Homère, parce qu'Homère était le fils d'un fleuve. Critias avait écrit aussi, contre Alcibiade, une élégie satirique dont dix vers nous ont été conservés. PARTIE DE L'APPENDICE OU IL EST QUESTION d'ALEXANDRE DE SÉLEUCIE.Alexandre, sous son maître Favorinus, s'était essayé à la philosophie, mais sans y réussir ; de là le surnom de Péloplaton (Platon de boue) qui lui fut donné. Telle est l'explication de Brucker, et elle me parait fort plausible. En effet, Alexandre, tel que nous le dépeint Philostrate, a plutôt les allures d'un acteur en voyage que celles d'un austère philosophe. En tout cas, nous devons le considérer, avec sa parole si ornée, si prompte et si sûre, comme un des types les plus curieux que l'histoire de ces temps puisse nous offrir, et comme un de ceux qui ont promené avec le plus d'éclat, d'un bout du monde à l'autre, la muse un peu fardée de la sophistique deuxième. On cite quelque part des lettres d'Alexandre. (Voir Kayser, éd. spéc. de 1838, p. 323.) [1] Son père s'appelait Nervien, et était fils d'une sœur du deuxième Philostrate. Ayant épousé une fille de celui-ci, sa cousine germaine, il en eut Philostrate le jeune. [2] La principale erreur de Suidas se rapporte au troisième Philostrate. Voici ce qu'il en dit : ………… Φιλόστρατος Νεβριανοῦ ἀδελφόπαιδος Φιλοστράτου τοῦ δευτέρου..... ἀκουστής τε καὶ γαμβρὸς γεγονὼς τοῦ δευτέρου Φιλοστράτου, etc. Comment Philostrate le jeune aurait-il été le gendre du deuxième Philostrate, que lui-même cite comme son grand-père maternel? Voir le prooimion du livre des εἰκόνες du troisième Philostrate, ligne 5e, editio altera, de Kayser : ἐσπούσασταί τις γραφικῆς ἔργων ἔκφρασις τὠμῷ ὁμονύμιω καὶ μητροπάτορι, etc. [3] Suidas donne quatre livres, au lieu de deux seulement, aux βίοι σοφιστῶν, ainsi qu'aux εἰκόνες du deuxième Philostrate. Il lui enlève à tort la paternité du ν'ερων et du γυμναστικόν, pour attribuer ces deux ouvrages au premier Philostrate, etc. Voir dans la grande édition (éd. altéra, Turici) de Kayser, à la page II de la praefatio, tout le passage de Suidas, cité en note, et la discussion du savant éditeur, à propos de ce passage. [4] Je pencherais pour une date assez voisine de l'année 170 de notre ère ; mais c'est là une simple conjecture, fondée sur ce que notre auteur, d'après Suidas, est mort déjà vieux sous Philippe l'Arabe. [5] La critique, préliminaire obligé de toute éducation libérale, comprenait alors l'étude de la langue et l'appréciation des modèles littéraires. [6] Voir la Biographie de Proclus, liv. II, b. xxi, § 1. [7] Voir la Biographie d'Antipater, liv. II, b. xxiv, § 1. [8] Voir la Biographie d'Hippodrome, liv. II, b. xxvii, § 3. [9] C'est ainsi qu'il est désigné, pendant tout le siècle qui a suivi sa mort. Voir Kayser, loco citato, p. II. [10] Vie d'Apollonius de Tyane, liv. I, ch. 3. [11] Ib., liv. VIII, ch. 31, à la fin. [12] Biographie d'Héliodore l'Arabe, liv. II, b. xxxii. Kayser, éd. spéc. (1838), p. 388, donne une note d'Olearius qui, d'après Spartien, et Hérodien, liv. IV, croit pouvoir assigner cette date à l'aventure d'Héliodore. [13] Μεταφράψαι τε προσέταξε τὰς διατριβὰς ταύτας καὶ τῆς ἀπαγγελίας αὐτῶν ἐπιμεληθῆναι. Il s'agit des Mémoires de Damis sur Apollonius de Tyane. (Ap. de Tyane, liv. I, ch. iii, éd. Didot.) La Vie d'Apollonius ne fut certainement pas terminée avant l'année 217, date de la mort de Julia Domna. Sans cela Philostrate, qui avait entrepris ce travail à la demande de cette princesse, n'aurait pas manqué de la lui dédier. Voir, pour cette œuvre si importante, la belle traduction de M. Chassang. [14] J'entends ici, par les deux premières parties : 1° les huit biographies consacrées aux pseudo-sophistes, ou sophistes-philosophes ; 2° les neuf biographies suivantes, consacrées aux sophistes anciens. [15] Cette date, approximative, il est vrai, ressort de la dédicace adressée au proconsul Antonius Gordien, qui fut chargé, à ce titre, du gouvernement de l'Afrique en 229, ou en 230 plus probablement. (Voir Kayser, éd. altera, Turici, p. 1 du Proœmium vitarum.) Le savant éditeur, pour préciser cette date de l'envoi de Gordien en Afrique, invoque Jul. Capitolinus. (Gordien, (ch. ii;) Maximinus, (ch. iv); Hérodien, (liv. VII, ch. v.) [16] Pour ce détail, Kayser renvoie à Hérodien, IV, 8, à Dion Cassius, 77-16. [17] Philostrate le jeune a fait paraître sous le même titre un recueil analogue, que nous avons mentionné plus haut. [18] Cela me paraît ressortir de cette phrase (16-4): τούτοις ἑπόμενοι σοφίαν τὴν γυμναστικὴν ἐνδειξόμεθα καὶ ἀθλητὰς ἐπιρρώσομεν καὶ ἀναβήσει τὰ στάδια ὑπὸ τοῦ εὖ γυμνάζειν. [19] J'excepte, bien entendu, ceux des sophistes dont nous possédons les œuvres, Hermogène, Aristide, Élien, etc. [20] Voir surtout, pour l'enseignement et le régime des écoles, les Biographies de Théodote, d'Adrien, de Proclus ; pour les séances d'apparat, les Biographies d'Alexandre et de Philagre ; pour le grand rôle des sophistes dans la hiérarchie sociale de leur temps, les Biographies de Scopélianus, de Polémon, d'Hérode, d'Adrien, de Damianus. [21] Par exemple, pour la Biographie de Polémon, au § 27, et pour celle d'Hippodrome, au § 3. [22] Entre autres, Olearius, Bonfinius, Jacobsius, Valesius, et, pardessus tout, Kayser, qui, en réunissant les notes de ces divers critiques, y a joint des remarques presque toujours judicieuses. [23] Voir en fin de texte la Partie de l’Appendice correspondante. [24] Kayser (éd. spéciale, 1838, p. 153), dit, à propos de ce passage : τὰ σμικρὰ τῶν ζητουμένων προβιβάζοντες; sunt, qui pedetentim progrediuntur in confirmandis minutis quaestionum particulis. — Il doit y avoir là, selon moi, une allusion à la méthode de Socrate, qui, faisant avouer successivement à son adversaire une foule de choses, à première vue indifférentes, l'amenait à se contredire, ou à reconnaître son erreur. [25] Ces deux oracles sont dans Hérodote. (I, 47; VII, 141.) [26] On trouve ce vers dans Suétone (Néron, 39). [27] Notons bien cette évolution de la sophistique. Comme la philosophie avec Socrate, elle semble restreindre son vol, et ne plus embrasser aussi complètement le champ des connaissances humaines. [28] Τάς ἐς ὄνομα ὑποθέσεις. — Kayser (éd. spéciale, 1838, p. 155) : « Dicuntur eae nonnunquam simpliciter ὑποθέσεις, causae finitae, atque a opponuntur θέσεσι, causis infinitis ». — Quintilien, Inst. or., liv. III, ch. v, p. 129 (éd. Halm), s'occupe minutieusement de la distinction de ces deux catégories de causes. Je ne citerai que ce qui a directement rapport au sujet qui nous occupe : 1° sur les quaestiones infinitae : « Infinitae sunt, quae remotis personis et temporibus et locis ceterisque similibus in utramque partem tractantur, quod Graeci qesin dicunt, etc. » 2° Sur les quaestiones finitae : « Finitae autem sunt ex complexu rerum, personarum, temporum, ceterorumque hae ὑποθέσεις a Graecis dicuntur, causae a nostris ». Enfin, un peu plus bas : « Hae autem, quas infinitas voco, et generales appellantur : quod si est verum, finitae speciales erunt ». — Si je pouvais me servir ici de deux termes philosophiques, je dirais que les qeseiV sont des sujets abstraits, et les ὑποθέσεις, des sujets concrets. [29] Philostrate aurait dû expliquer comment et en quoi les sophistes nouveaux ont substitué des règles à la fantaisie qui, selon lui, avait seule guidé leurs devanciers. — Voici le texte : μετεχειρίζοντο τὰς ὑποθέσεις οἱ μὲν ἀπ' Αἰσχίνου κατὰ τέχνην, οἱ ἀπὸ Γοργίου κατὰ τὸ δόξαν. Je crois mon interprétation exacte. Toutefois, je dois dire que Kayser paraît entendre autrement. Voici, en effet, ce qu'il dit, page 155 de son édition spéciale (1838) : Ait. Philost. Aeschinem qui sequerentur, in artificio orationis, qui Gorgiam, in qualibet sententia probanda elaborasse. [30] Je laisse à Philostrate toute la responsabilité de cet anachronisme. — Artémise éleva à son mari un magnifique tombeau en 355, aliter, 353 av. J.-C. — Eschine, qui s'exila en 330 pour se rendre d'abord à Éphèse, puis à Rhodes, n'a pu partir de ce pays pour aller en Carie du vivant de Mausole. [31] Telle est, je crois, la pensée un peu subtile de Philostrate. Du reste, voici le texte : καταλιπεῖν δὲ μόνους τοὺς ξυγγεγραμμένους τῶν λόγων, ἵνα Δημοσθένους φροντισμάτων μὴ πολλῷ λείποιτο. — S'il y avait μόνον, l'idée serait très claire; mais il y a μόνους, et il faut bien entendre, il me semble : de ses nombreux discours, Eschine n'a osé en laisser par écrit que quelques-uns, ou, pour suivre le texte de plus près, ne nous a laissé que ceux qu'il prit la peine d'écrire, parce qu'il craignait, pour le reste, la comparaison qu'on pourrait faire de ses œuvres avec les compositions si travaillées dé Démosthène. Suis-je dans le vrai? J'avoue que cette interprétation subtile ne me plaît guère, et que j'aimerais mieux entendre tout simplement : il a pris soin seulement de nous laisser par écrit quelques discours, pour montrer que, dans ce genre de travail, il ne le cédait guère à Démosthène ; mais ce sens si naturel ne peut guère s'accorder avec le μόνους ξυγγεγραμμένους. [32] On trouvera dans Kayser (éd. spéciale, 1838, p. 159) l'indication des passages dans lesquels les deux orateurs rivaux s'adressent des reproches de cette nature. [33] Voir Eschine, discours contre Timarque, § 175. — Eschine ne dit pas en propres termes ce que lui fait dire ici Philostrate; voici le sens de ses paroles : Prenez garde, ô juges, que ce sophiste ne fasse de vous un objet de risée, et que, de retour chez lui, au milieu de son entourage de petits jeunes gens, il ne se vante de vous avoir fait prendre le change au gré de sa fantaisie. — (Ce qui précède n'est pas une traduction, mais un résumé.) [34] ἃ μήπω ἐγίγνωσκον. Texte de Westermann. Kayser, dans sa grande édition (editio altera, Turici), adopte aussi cette leçon; mais dans son édition spéciale (1838), il avait écrit ἐγίγνωσκεν. [35] Voir plus loin l'extrait de l'appendice correspondant. [36] De Favorinus à Gorgias (mort vers 377 av. J.-C), nous avons à remonter plus de cinq siècles. Pourquoi cela? Parce que Philostrate n'a pas considéré comme des sophistes authentiques les philosophes dont il s'est occupé jusqu'ici, et dont il a tenu, sans doute, à épuiser la série. Le voilà maintenant qui entre à pleines voiles dans son sujet véritable, en abordant la biographie de celui qu'il appelle « le père de la sophistique ». [37] J'avais d'abord pris ce mot : okribanti, dans son acception ordinaire : le plancher de la scène; mais, après mûre réflexion, je me rends aux raisons données par Kayser (édit. spéciale, 1838, p. 195), et je crois avec lui que Philostrate a voulu parler du cothurne. Cf. Themistius, XXVI, § 34; B. Photius, et Hesychius (sub verbo ὀκριβ.) et surtout Philostrate lui-même, Vie d'Apoll. de Tyane, liv. VI, ch. ii, § 10 (Didot) ; liv. V, ch. 9, § 2 (id.). Dans ces deux derniers passages, le sens de cothurne, pour ὀκρίβας, ne peut faire doute un seul instant. Cependant, Kayser lui-même, dans sa grande édition (éd. altéra, Turici), dit, à la p. 279, ὀκρίβαντι : logeum dicit. [38] Je suis ici l'interprétation de Westermann, qui me paraît plus plausible que celle de Valesius, mais j'avoue que je ne suis pas absolument sûr de la différence à faire entre ἀγγέλους et ἐξαγγέλους. [39] Ἀποστάσεων καὶ προβολῶν. Dans la langue technique des rhéteurs, ἀπόστασις marque l'abandon d'un point que l'on quitte pour passer à un autre ; προσβολή désigne l'action d'aborder une partie du développement. — Voir là-dessus les nombreux passages cités par Kayser (éd. spéciale, 1838, p. 196). [40] οἶμαι, placé comme il l'est dans cette phrase, marque plutôt une affirmation adoucie qu'un doute. Cependant, il est difficile d'admettre que Gorgias soit venu à Athènes assez tôt pour être entendu par Périclès. [41] Kayser renvoie au vers 49 des Thesmophories d'Aristophane, où l'on trouve : ὁ καλλιεπὴς Ἀγάθων. La même épithète revient encore au vers 60. [42] Voir plus loin l'extrait de l'appendice correspondant. [43] Cette assertion de Philostrate n'est confirmée par aucun document sérieux. [44] Πατέρα γὰρ εἶναι δὴ αὐτῷ Σώφιλον, etc. Il faut sous-entendre φασί, avec cet infinitif, et avec ceux qui le précèdent. Cela fait deux phrases de suite sans un verbe à un mode personnel. [45] Il y a ici, selon Jacobs, une reproduction légèrement altérée du premier vers de l’Oreste d'Euripide : οὐκ ἔστιν῎οὐδὲν δεινὸν εἰπεῖν ἔπος. [46] Οὗ γεγόνασιν Ἁρμοδίου καὶ Ἀριστογείτονος εἰκόνες. Οὗ pourrait être adverbe de lieu, et représenter Ἀθήνῃσιν, qui précède; mais je crois plutôt qu'il y a ellipse de la préposition, et que où signifie : duquel, avec lequel. [47] Voir plus loin l'extrait de l'appendice correspondant. [48] Xénophon, Hellén., II, 3, 36, dit, au contraire, que Critias, pendant son exil en Thessalie, excitait : τοὺς πενέστας, les serfs, contre les riches et les nobles. (Kayser, éd. spéciale, 1838, p. 223 et 226.) [49] Je rends ainsi, en intervertissant les termes, δογματίας, brevis sententiis (voir Westermann et Kayser, éd. spéciale, 1838, p. 227) et πολυγνώμων, creber sententiis. [50] ἐκφύλως, m. à m. d'une manière exotique. L'édition spéciale de Kayser, 1838, portait : ἐκφαύλως, qui ne se retrouve plus, ni dans la grande édition de Zurich, ni dans le texte de Westermann. [51] Péloplaton signifie Platon de boue. — Alexandre eut pour maîtres Denys et Favorinus. — Voir plus loin l'extrait de l'appendice correspondant. [52] Je pense que le passage auquel fait allusion Philostrate est le xiiie chap. du Ier liv. de la Vie d'Apollonius de Tyane. On y voit, en effet, que ce philosophe, allant au-delà du précepte de Pythagore, qui prescrit à l'homme de n'avoir commerce qu'avec sa femme légitime, prend, dès sa jeunesse, la résolution de ne point se marier, et de rester étranger aux choses de l'amour : μητ' ἂν γῆμαι μήτ' ἂν εἰς ὁμιλίαν ἀφικέσθαι ποτ' ἀφροδισίων, etc. [53] τῇ τοῦ λόγου ἡνίᾳ ἐπιπρέποντες, m. à m., convenables pour la bride du discours. Mais, est-ce pour tenir la bride, ou pour lui obéir? Je crois le premier sens préférable. [54] Ἐς τὰ Παιονικὰ ἔθνη. Ici, comme dans la Biographie d'Hérode (liv. II, biographie I", § 26 et 30), il s'agit de la Pannonie, et non de la Péonie. [55] Αἰτῶν τοὺς Ἕλληνας, demandant les Grecs, c'est-à-dire les convoquant à une séance, et, peut-être même, les provoquant à une sorte de tournoi d'éloquence. Alexandre espère bien qu'Hérode lui fera l'honneur de venir l'entendre, et peut-être, de déclamer après loi; mais il n'ose adresser une invitation directe, ni, encore bien moins, un défi, à un tel personnage. [56] Une ἐπίδειξις, ou séance de déclamation, se composait habituellement de deux parties bien distinctes, la διάλεξις (mot à mot, entretien), qui servait, pour ainsi dire, d'entrée en matière, ou, si l'on veut, d'ouverture, et la déclamation proprement dite, μελέτη, que j'appellerai la pièce de résistance. La διάλεξις, aux temps anciens, était toujours, ou presque toujours, une dissertation philosophique, mais les sophistes du iie et du iiie siècle en avaient fait une sorte d'exorde insinuant pour se concilier, par des éloges, la bienveillance de l'auditoire, avant d'aborder la grande épreuve de la déclamation proprement dite. M. Ch. Oraux, dans la Revue de philologie (I, p. 63, note), compare avec beaucoup de raison les διαλέξεις aux préludes de nos musiciens. Il est impossible de mieux dire ; toutefois nous ferons observer que, dans les exercices de l'École, sinon dans les séances d'apparat, la διάλεξις conservait fort souvent son caractère ancien. Voir, pour les séances solennelles où la dissertation n'était qu'une sorte de prélude, la Biographie de Philagre (liv. II, biographie VIIIe, § 2 et 3) ; voir aussi dans la Biographie de Marcus (liv. I, biographie XXIVe, § 2) ; dans la Biographie de Proclus (liv. II, biographie XXIII, § 3) ; dans la Biographie d'Hippodrome (liv. II, biographie XXVII, § 10), des passages d'où l'on peut inférer, comme je viens de le dire, que la dissertation philosophique était encore, même au temps de la sophistique deuxième, en grand honneur dans les écoles. [57] Le troisième jour des petites Panathénées, on célébrait, dans un concours de poésie, la mémoire d'Harmodius, d'Aristogiton et de Thrasybule. Est-ce à cet usage que fait allusion Philostrate, ou bien s'agit-il simplement de discours composés à la gloire d'Athènes? [58] Ainsi l'auditoire avait le privilège de choisir un sujet de déclamation. Quelle terrible épreuve pour un sophiste qui n'eût pas été armé de toutes pièces ! [59] Ce tour de force provoque au plus haut point l'admiration de Philostrate. Mais pourquoi les deux éditions de la phrase sur les eaux, qu'il s'empresse de citer, sont-elles si peu remarquables? Il n'y a pas grand mérite à exprimer, sous deux formes différentes, une idée vulgaire. — Voir dans la Biographie d'Hippodrome (liv. II, biographie XXVII) un fait de même nature. [60] Sanglante raillerie tirée du surnom d'Alexandre πηλός, boue, et Πλάτων, Platon, d'où l'on a fait : πηλοπλάτων. [61] Σκοπελιανὸν νήφοντα, un Scopélianus sobre. Il ne faut pas prendre ces mots à la lettre : ils renferment simplement une allusion à la fougue intempérante de Scopélianus. [62] Σημείων γραφέας, Olearius (Œlenschlager) estime qu'il s'agissait ici de sténographes, tacugrajoi, cette conjecture me paraît fort plausible. [63] Collytos, bourg de l'Attique, au nord d'Athènes, et où les enfants étaient, dit-on, d'une rare précocité. Tertullien (De anima, 20) affirme le fait en ces termes: « Thebis hebetes et brutos nasci relatum est; Athenis sapiendi dicendique acutissimos ; ubi penes Colytum (sic) pueri mense citius eloquuntur, praecoce lingua. » [64] Cet Olympe était l'élève de Marsyas, qui avait pour lui la plus tendre affection. [65] De ces trois extraits, le deuxième se recommande par une concision que le traducteur doit renoncer à reproduire. [66] Antiochus d'Eges, en Cilicie, dont la biographie est la quatrième du deuxième livre. [67] Tout le sel de la raillerie d'Antiochus disparaît dans la traduction. Voici le texte : Ἰωνίαι, Λυδίαι, μαρσύαι, μωρίαι, δότε προβλήματα. Je crois que μωρίαι résume toute l'énumération, en indiquant le caractère général des sujets traités par Alexandre. Peut-être aurais-je pu accuser plus fortement cette intention de l'auteur, en mettant, et autres sornettes pareilles; mais j'ai craint d'être long! [68] Une certaine concision, et surtout, une rare euphonie, me Punissent constituer, dans le texte tout au moins, le principal mente de» extraits qu'on vient de lire. [69] J'adopte ici la leçon de Westermann : οἱ δὲ καὶ οὔπω, bien préférable à οἱ δὲ καὶ ὀκτώ, qui se trouve dans Kayser, et qui, grammaticalement, ne fait pas suite à ἐξηκοντούτην. [70] Élève d'Hérode, probablement. [71] Cette concurrence paraît rappelée ici pour expliquer ce qui vient d'être dit sur le peu d'éclat de la réputation d'Onomarque. [72] Le mal de cette méthode, que Philostrate n'a pas toujours si sévèrement traitée, est la surabondance, la mollesse, l'emphase parfois, et, presque toujours, l'abus des formes poétiques. [73] Ἔξεστι δ' αὐτὸν θεωρεῖν ἐπὶ τοῦ εἰκόνος ἐρῶντος, εἰ μὴ μειρακιεύεσθαι δόξω. Je crois avoir saisi la pensée qui se cache, plutôt qu'elle ne se montre, dans cette tournure si peu naturelle. [74] Ce joli petit morceau, tel que nous l'offre le texte, est ciselé de main de maître. Mais il devrait avoir la forme d'une ode, et porter la signature d'Anacréon. Si Onomarque traitait habituellement de tels sujets, il prenait un chemin bien détourné pour conduire ses élèves à la pratique de la haute éloquence. [75] Au début de la Biographie de Nicétès, liv. I, biographie XIXe. [76] Il ne faut pas confondre ce sophiste, ni le précédent, avec leurs homonymes, dont Philostrate a écrit la vie (liv. II, biographies IIIe et VIIIe.) [77] Voir, sur le grand rôle de la sophistique deuxième, quelques pages excellentes de M. Gaston Boissier. (Revue des Deux-Mondes du 15 mars 1879 : les Origines du Roman grec, à partir de la p. 310.) [78] Voir sur Gorgias : — Platon (Gorgias); — Kayser, éd. spéciale des Vies des Soph., 1838, p. 192-195; — Léonard Spengel, συναγωγὴ τεχνῶν, p. 63-84; --Ch. Benoît, Essai historique sur les premiers manuels d'invention oratoire, etc. (1846), p. 17-39. On trouvera, dans ce dernier ouvrage, de nombreux détails, et de nombreux jugements, tant sur Gorgias que sur les sophistes de son école et de son temps. [79] Voir, pour Antiphon, Kayser, éd. spéciale, 1838, p. 215-218; Spengel, συναγωγὴ τεχνῶν, p. 105-118. — Ch. Benoît, Essai historique sur les premiers manuels d'invention oratoire, etc. (1846), de la page 17 à la page 39. [80] Puisqu'il est question de la famille de Critias, il n'est peut-être pas hors de propos de rappeler qu'il était cousin germain de la mère de Platon. [81] C'est l'opinion de M. Lallier, qui a si profondément creusé tontes les questions relatives à Critias. [82] Voir Platon (Timée ; Critias); Kayser, éd. spéc, 1838, p. 220-224 ; Spengel, συναγωγὴ τεχνῶν, p. 120-122 ; Ch. Benoît, Essai historique sur les premiers manuels d'invention oratoire (1846), de la page 17 à la page 39; et surtout la belle thèse de M. Lallier, de Critae tyranni vita ac scriptis (1875). J'ai fait, je l'avoue, de très larges emprunts à cet excellent travail.
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