ALLER A LA TABLE DES MATIÈRESDE NONNOS
Nonnos ,
Dionysiaques CHANT XXXII. Relu et corrigé Oeuvre numérisée en collaboration avec Marc Szwajcer
|
NONNOS DIONYSIAQUES.
CHANT TRENTE-DEUXIÈME.Dans le trente-deuxième livre se trouvent les combats, l'union de Jupiter, son sommeil et la fureur de Bacchus.
Elle dit et détermine la déesse ; Vénus, si habile en intrigue, se laisse tromper; elle détache de son sein et livre le ceste amoureux qu'ambitionne Junon ; puis elle lui adresse ce peu de mots, en éloge de la séduisante écharpe : « Recevez cette ceinture qui va secourir vos tourments. Ce ceste modérateur des désirs attirera vers vous tout ensemble le Soleil, Jupiter, les airs, le chœur des astres, et même les flots inconstants de l'Océan infini. » Après ces paroles, elle s'enfonce dans le» roches assyriennes du Liban (01); Junon remonte au centre étoilé de l'Olympe, et s'occupe aussitôt de relever se» éclatante beauté. D'abord elle égalise en les repassant maintes fois les boucles mobiles de son errante chevelure , qu'elle arrête et fixe sur son front; puis elle empreint d'une huile odorante leurs anneaux entrelacés, et, quand elle agite ce parfum dans les airs et sur les ondes, une douce odeur se répand au loin et enivre la terre tout entière. Elle met ensuite sur sa tête un diadème aux mille couleurs, où brillent de nombreux lychnites, compagnons des amours; leur flamme mystérieuse se révèle, quand ils se meuvent, par d'étincelants reflets; elle porte aussi cette pierre qui anime les désirs des hommes, et emprunte son nom rayonnant à la lune que les désirs consument ; puis la pierre amoureuse du fer qui l'aime aussi et l'attire (02); et la pierre des Indes, qui fait aimer puisqu'elle naît des ondes, comme Vénus fille de l'écume (03). Et le brun hyacinthe (04), dont Phébus est toujours idolâtre; elle attache autour de ses cheveux la plante créée pour l'amour, que Cythérée chérit autant que la rose et l'anémone, et dont elle se pare quand elle se rend auprès du fils de Myrrha (05). Elle passe en ceinture autour de sa taille le ceste inaccoutumé ; elle a pris l'ancienne robe chargée de broderies qu'elle portait jeune fille, le jour où dans un hymen clandestin elle s'unit à son frère : robe nuptiale témoin de son antique virginité ; et elle a voulu ainsi rappeler à son époux leurs premières amours (06). Elle baigne son front, qu'elle cache sous un voile éblouissant, et attache les agrafes qui ferment sa tunique. Puis elle compose sa démarche, consulte son miroir (07), et s'élance au travers des airs comme l'oiseau ou la pensée. Elle approche du souverain des dieux. A sa vue, Jupiter s'anime d'une ardeur que redouble la ceinture provocatrice. Ses regards en la contemplant se font esclaves; il l'observe, et lui adresse ces questions : « Junon, que viens-tu faire sur le penchant oriental du monde ? Pourquoi y descends-tu aujourd'hui ? Quelle nécessité t'y appelle? Serait-ce encore pour armer ta colère contre le dieu de la vigne ? Et mets-tu donc tant de zèle à secourir les orgueilleux Indiens? » Il dit ; l'artificieuse Junon sourit au fond de son cœur, et trompe son époux passionné. « Père des dieux, dit-elle, c'est un autre dessein qui m'attire ; je ne viens pas pour la guerre des Indiens ou pour Bacchus leur exterminateur. J'ai bien d'autres soucis. Je me rends à la cour-brûlante du Soleil, voisin de l'Orient; car le volage Éros, épris auprès des domaines de Téthys de la beauté de Rhodope l'Océanide (08), me refuse son concours. Et voila qu'en l'absence d'Hyménée, le monde erre à l'aventure, et la vie ne sert à rien. Je descends pour rappeler Éros, et je monte aussitôt ici; car tu sais qu'où m'invoque sous le nom de Zygie (09), et que mes mains président encore à l'enfantement qui donne l'existence. » A ces paroles, l'ardent époux répond : « Épouse chérie, cesse la dispute. Laissons loin de nous mon noble Bacchus et la génération des Indiens, qu'il moissonne et déracine; que la couche nuptiale nous reçoive l'un et l'autre. Jamais désir d'une femme mortelle ou d'une déesse ne consuma mon cœur d'un si puissant attrait; j'aimais moins, sur la rive rapprochée de Lerne (10), Niobé, la fille de l'antique Phoronée; ou l'errante Io l'Inachienne, aux yeux de génisse, qui mit au monde, sur les bords du Nil, Epaphos et Céroësse (11), la mère des races. Oui, quand la fille d'Atlas, Taygète (12), vit naître de notre union le primitif Lacédémon, le protecteur des cités ; et même, lorsque, dans ma fureur pour Vénus, je fécondais les sillons de la terre et créais les centaures, j'éprouvai moins de transports que je n'en ressens maintenant pour toi. Serait-ce donc que toi-même, sous ton nom de Zygie et dans tes soins pour la génération, tu perces aussi ton époux de toutes les flèches de Cypris ? » Il dit, et entasse enroulés l'un sur l'autre des nuages d'or ; il en crée une enveloppe courbe et arrondie ; c'était une sorte de lit nuptial factice, pareil à ce cercle dont jadis la brillante Iris émailla et embellit les airs, le jour où elle offrit une retraite naturelle à Jupiter et à son épouse aux nobles bras pour leur union que cacha la montagne. Telle était la forme de cette couche improvisée qui réunit le frère et la sœur. Pendant qu'ils se lient des douces chaînes du plus charmant amour, la terre ouvre les trésors embaumés de son sein et couronne le lit nuptial des fleurs les plus délicieuses. Les tiges mâles s'y entremêlent amoureusement aux plantes femelles leurs voisines, comme s'il y avait aussi parmi les fleurs de tendres époux (13). Le safran de Cilicie, le liseron naissent d'eux-mêmes, et leurs doubles rejets parent à la fois la couche de deux divinités. Le crocus devient touffu pour Jupiter, et le liseron pour Junon son épouse. Le narcisse éphémère se penche vers l'anémone, comme pour lui indiquer dans un silence intelligent les courtes amours de Jupiter. Aucun des dieux n'aperçut ce lit vaporeux, ni les nymphes voisines, ni Phaéton qui voit tout; le regard même de la Lune aux grands yeux ne put pénétrer cette union immortelle, tant la couche s'environnait d'épaisses nuées. Le sommeil, compagnon des amours, vint enfin appesantir les paupières du dieu; mais, pendant que le tendre Jupiter dormait enchanté, tenant en ses bras son épouse au milieu des fleurs sur cette couche invisible, Erinnys, errant sous mille formes, s'apprêtait sur les montagnes, et par les ordres de Juron, à combattre Bacchus. Elle agite bruyamment le fouet des vipères, et le fait claquer en face du dieu. Elle secoue la tête; sa chevelure serpentine ondule et fait entendre d'horribles sifflements ; des sources de venin inondent les promontoires déserts. Parfois elle emprunte la forme d'un hôte des forêts; lion furieux, elle épouvante, hérisse son épaisse crinière, et fond sar son ennemi, la gueule béante et ensanglantée. Puis, assombrissant sa robe nocturne, Mégère retourne à la lutte et déchaîne des fantômes de toutes les formes contre Bacchus. Pour lui jaillissent de sa tête venimeuse ou distillent de ses cheveux des gouttes empoisonnées, et toujours aux oreilles du dieu bourdonne le bruit du fouet infernal qui rend insensé. Hors de lui, et haletant sous le souffle de la Divinité, Bacchus s'enfuit dans la forêt solitaire et franchit rapidement les plus inaccessibles montagnes. Comme un taureau furieux, il aiguise ses cornes contre les roches, et jette de son gosier frénétique un horrible mugissement; pour le redire et répondre à ses cris de rage. Écho, d'une voix attristée, mugit aussi et cesse de répéter les derniers sons du chant des bergers. Diane le voit bondir incessamment dans les accès de son aveugle rage, et voudrait le guérir; mais elle a peur que la grondante Junon ne lance la foudre du haut des airs, et la déesse de la chasse cède à regret à sa marâtre; elle a cependant suivi comme une sorte de surveillant le dieu frénétique, et arrêté par ses menaces les bêtes fauves qui lui obéissent. Elle rappelle ses chiens investigateurs, et rattache par plus d'un nœud les courroies à leurs cols accouplés, de crainte qu'ils ne nuisent à l'insensé Bacchus. Alors, emporté par l'ardeur de cette chasse des montagnes, le dieu poursuit les biches rapides et les lionnes velues. Le courageux lion n'ose l'approcher. L'ourse stupéfaite se cache épouvantée dans le creux des rochers ; elle écoute de ses farouches oreilles les clameurs divines, et redoute la fureur menaçante de Bacchus. Il écrase de son thyrse impitoyable de longs reptiles appuyés sur des roches, où ils se léchaient de leurs langues inoffensives. Il ébranle les promontoires, fait fléchir sous sa corne à la longue pointe les rangées suppliantes des inflexibles mélèzes, déracine les chênes des fertiles campagnes, chasse les hamadryades, dévaste les collines, et met en fuite les nymphes naïades qui s'exilent des fleuves. Les Bassarides jettent des hurlements et se détachent du dieu du vin ; enfin les satyres effrayés se cachent dans la mer; ils ne l'approchent plus, glacés par l'excès de sa colère ; car, aux sons inaccoutumés de sa voix, aux jets d'une blanche écume qui témoigne de sa rage, ils tremblent qu'il ne se précipite sur eux. Dés lors la bataille n'est plus régulière, ni l'effroi des guerriers égal, ni la lutte pareille. L'infatigable Mars, vêtu d'airain, est revenu ranimer le combat; il a pris la ressemblance du chef Morrhée, qui, avant tout, fait son plaisir du déplaisant carnage ; insatiable du massacre, il le préfère aux festins ; mais sur son bouclier, à la place des anneaux de serpents qui forment les boucles de la Gorgone, il porte gravée l'image d'une Méduse à la belle chevelure (14). Il marche l'égal de Dériade et il a sa couleur ; car ce n'est pas sous l'apparence de l'effrayant visage, de la chevelure hérissée, et du signe distinctif de son bouclier, que le terrible Mars excite les troupes, s'élance sur l'ennemi, et rallie les premiers rangs. Intrépides en l'absence de Bacchus, les Indiens poussent d'unanimes clameurs. Alors le pernicieux Mars fait résonner un cri pareil à celui de neuf mille hommes. Il a pour auxiliaire l'impétueuse Discorde; car il a donné à Dériade, pour le suivre dans la mêlée, Phobos et Dimos ; et, pendant que Bacchus s'égare dans le désert, Dériade, Morrhée, et Mars leur compagnon, ravagent à la fois son armée. Tel que, sous le poids des vagues de l'hiver, l'Océan mugit et se gonfle impraticable sous l'effort des tempêtes opposées ; il lave l'espace des airs sous les flots qu'il élève jusqu'à eux ; l'ouragan brise les cordages de la poupe sous l'irrésistible élan des vagues, tord la voile dans ses tourbillons impétueux, et en dépouille le mât qu'il fait plier; les vergues se courbent, et les nautoniers désolés ont jeté à la mer leur espérance : tel le Mars des Indes a porté le trouble dans l'armée bachique tout entière. Le fier Dériade reprend confiance en ses armes, lorsqu'il voit Bacchus en butte à l'inimitié de Junon, et il fond sur les bacchantes. Les phalanges se pressent à l'envi autour des rangs des Bassarides, et leur présentent une ceinture de fer. De nombreux fuyards succombent sous le glaive d'un seul vainqueur. Dites, Muses d'Homère, dites qui tombe et qui expire sous la lance de Dériade C'est OEbalios (15), Thyamis (16), Arménios (17), Opheltès (18), Criase l'Argéade (19), Télèbe (20), Anthée de Lyctos (21). Thronios (22), Drésos (23), Molyndée l'habile lancier (24), et le robuste Comare (25). Un bataillon de cadavres s'entasse sous la lance de Dériade. L'un est gisant sur la plaise, l'autre surnage au milieu des courants, et fait la guerre aux vagues du fleuve. Celui-ci, frappé sur le bord de la mer, est chassé par la fer jusque dans les flots; et le Nérée de l'Arabie ensevelit sous ses ondes la récente blessure. L'un fuit le trépas en s’échappantl d'un pas impétueux vers la montagne ; l'autre, dont une pique a traversé les reins, se retire dans l'asile de la forêt, et implore l'assistance du salutaire Bacchus, qui est absent. Le brillant Echélaos (26) n'a pas même une tombe ; frappé d'une pierre homicide lancée par le colossal Morrhée, le Cyprien dont la barbe trace à peine un cercle tout nouveau s'affaisse, semblable au palmier à la haute cime. Le tendre adolescent aux cheveux intacts roule secouant sa torche; il est atteint à la pointe de la hanche, là ou la nature, emboîtant les nerfs dans la cavité du cotyle (27), les a rattachés au buste par des liens entrelacés. Il meurt tenant encore allumé le brandon mystique qui consume de ses feux sa tête expirante, et met en cendres sous ce tison fumeux les boucles tordues de sa chevelure. Morrhée s'en enorgueillit, et lui crie ces injures : « Enfant, étranger à ta célèbre nourrice, jeune Echélaos, tu mens à ta cyprienne origine; tu n'es pas issu de Pygmalion, à qui Cypris accorda la longue durée de l'existence. Mars, l'époux de ta Cythérée, ne t'a pas sauvé. Ta déesse de Paphos ne t'a donné ni le cours nombreux des ans qui se renouvellent, ni son équipage qui ne boita jamais, pour te faire échapper sur son char, vainqueur de la mort, à ta destinée, puisque tu diriges toujours le pas tardif des mulets. Mais je me trompe : tu es bien de Chypre aussi, puisque Mars vient de trancher ta courte jeunesse, ainsi qu'il a traité le fils de Myrrha. » Il dit, et, brandissant sa lance, il fond sur les fantassins. Il immole Biblithos (28) aux pieds recourbés et Denthis (29); il fend la tête du danseur Erigbole (30), et met en fuite les Phrygiens devant les coups de sa pique qu'il allonge; il écrase Sébée (31) sous une pierre raboteuse; en poursuivant les phalanges thébaines, il égorge le compagnon d'Actéon, Eubotès (32), l'habitant de la plaine cadméide. Ceux qu'effrayent les grandes clameurs et la prodigieuse vigueur de Dériade tombent de fond en comble et en foule dans les filets des Parques; transfuges d'un côté, ils viennent de l'autre succomber d’eux-mêmes sous les coups et le fer exterminateur d'un seul guerrier. Là, s'affaissant l'un sur l'autre, ils sont couchés par rangées sous une poussière sanglante. C'est Crimisos (33), Ichnaléon (34), Thrasios (35), Thargèle (36), Iaon (37) ; Coilon (38) s'arrondit encore par surcroît sur ce monceau ensanglanté, que couronne enfin le cadavre de Cyès (39). Le carnage est immense; la terre altérée boit avidement le sang de ses ennemis que le fer égorge, et se plaît à recevoir la pluie étrangère de ce déluge martial. Le trouble règne dans l'armée de Bacchus; et pendant que l'infanterie plie de toutes parts, les cavaliers retirent en arrière leurs brides étincelantes de pierreries pour fuir le combat. L'un court à la montagne et se glisse dans les creux des rochers; l'autre s'arrête dans les taillis des hauteurs et se cache sous le feuillage. Celui-ci pénètre dans l'antre des lions; celui-là, dans le repaire des ourses invincibles ; un autre, évitant les pics les plus élevés, fait franchir aux pieds de son coursier les sommets de la colline ; une bacchante qui dans sa frayeur foule les cimes des roches laisse de côté le séjour de la lionne en gésine : cet antre n'est plus son asile favori, et sa timidité se réfugie dans les retraites des biches peureuses. Car la bacchante a perdu ses anciens penchants; et, au lieu d'un cœur de lionne, elle ne porte plus que le cœur d'un cerf. L'un des plus rapides satyres se met à fuir épouvanté, et il précède les vents de ses pieds dépourvus de chaussure, tant il redoute les menaces de Dériade, l'ennemi des divinités. Le vieux Silène, errant dans les hauts lieux, tombe plus d'une fois en les parcourant, souille son visage de poussière, chancelle sur ses pieds qui glissent et sur ses genoux tardifs ; puis, sitôt qu'il relève son corps velu, il se dérobe aux combats en se cachant parmi les collines, abandonne au destin l'armée de Bacchus, jette le thyrse aux vents de la fuite, et échappe à grand-peine aux coups du belliqueux Morrhée. Érechthée s'arrête, recule à pas lents et tourne derrière lui les regards de son beau visage, car il craint la belliqueuse Minerve, fondatrice de sa cité. Aristée, blessé d'une flèche à l'épaule gauche, quitte malgré lui la furibonde mêlée. Mélissée, frappé sur sa poitrine dont les poils se hérissent, s'éloigne des rangs des belliqueux corybantes; un javelot de l'Érythrée a entamé la pointe de sa mamelle. Les sauvages et fougueux cyclopes, consternés eux-mêmes, se mettent à fuir de leurs pieds vigoureux ; et, avec eux, l'antique, l'inébranlable Phaunos quitte la bataille indienne. Pan de Parrhasie, devenu fuyard, entraîne le bataillon entier de la phalange aux belles cornes ; il rentre dans l'épaisseur de la forêt à pas silencieux, de peur que la mobile Echo, en le voyant s'enfuir au travers des montagnes, ne l'appelle pusillanime et ne le raille. Ainsi tous les capitaines abandonnent le combat ; mais Éaque y est demeuré seul, et il continue à se battre immobile, bien que l'invincible Bacchus soit absent. Il est demeuré seul, car les nymphes des rochers se cachent dans les grottes profondes des naïades : les unes s'établissent auprès de leurs compagne» de l'Hydaspe ; les autres, sous l'abri des courants de l'Indus voisin. Celles-ci rejoignent les naïades de l'Hésydros (40); celles-là vont se laver des récentes souillures du carnage dans le Gange; elles accourent en foule dans le séjour des ondes; la naïade aux pieds d'argent les reçoit sous les voûtes hospitalières et dans son palais virginal. D'autres se dérobent sous les tiges touffues des hamadryades, et se réfugient dans les flancs des chênes entr'ouverts. Les Bassarides, réunies en grand nombre auprès de la roche d'où les sources musellent, versent des torrents de larmes. Cette pluie de pleurs (41), qui vient inonder leur visage ami des gémissements, désole et trouble les fontaines les plus profondes qu'elle fait déborder, tant elles ressentent de douleur pour ce Dieu qui ne connaît pat ses propres maux (42) !
NOTES DU TRENTE-DEUXIÈME CHANT.
(01) Le Liban. — Ah ! il faut l'avoir vu de loin s'élever vers le ciel dans ses formes majestueuses, ou bien ouvrir devant les pas du voyageur ses profondes vallées et ses ombreuses retraites, pour le comprendre et pour l'aimer. L'habitant de Paris le croit une montagne moyenne tachetée de neige en hiver, avec quelques cèdres au front. Mais pour nous, dont il a charmé les jeunes regards, il est une verte et fertile barrière entre lé dernier flot de la Méditerranée et les premiers sables du désert. Il est la vaste forteresse qui garde l'Europe et l'Asie, il est la clef de l'Orient. Pour nous il est encore, comme il l'était alors pour Bacchus, la limite de la civilisation et l'observatoire olympien qui voit, d'un côté, dans la Grèce les arts, le génie, la liberté, et, de l'autre, l'ignorance et l'esclavage des peuplades abruties. (02) La sélénite et l'aimant. — Nous avons déjà vu dans la description du collier offert à Harmonie par Vénus dans le cinquième livre, et plus loin dans le palais hospitalier de Staphyle au dix-huitième, figurer la lichnite avec toutes ses allusions étymologiques. Après elle, vient la pierre de la lune, dont mes notes n'ont encore rien dit. C'est la sélénite antique, qui diffère de la sélénite moderne. La première était une sorte de pierre fine qui reproduisait (en miniature, sans doute) une image de la lune, et subissait les croissances et décroissances de l'astre des nuits dans toute la régularité de leurs phases, s'il faut en croire Pline. On lui attribuait aussi une influence amoureuse. Quant à l'aimant, il faut remarquer le vers technique et précis qui le désigne chez Nonnos; vers fort supérieur, selon moi, à la longue description que nous en a laissée un Orphée prétendu dans le poème sur la vertu des pierres; car je ne puis m'empêcher de croire que ces petits traités didactiques et descriptifs portent le nom d'Orphée uniquement parce que leur auteur aurait voulu indiquer rétrospectivement à l'époux infortuné les préservatifs , qui pouvaient sauver Eurydice de la fatale piqûre.
Immanem ante pedes hydrum moritura
puella. (03) La pierre indienne. — La pierre indienne, née de la mer, comme Vénus, semblerait être la topaze orientale, à qui une île de la mer indienne, suivant Strabon, et de la mer Rouge, selon Pline, a donné son nom. (04) L'hyacinthe. — L'hyacinthe est une espèce de rubis. Voici ce qu'en dit Pline : « C'est une pierre agréable au premier coup d'oeil , mais dont le charme disparaît avant de nous lasser. Loin d'éblouir les yeux, elle les émeut à peine, et se flétrit plus vite que la fleur dont elle porte le nom. » (Hist., liv. XXIV, ch. 97.) (05) La myrrhe. — Cythérée chérit la myrrhe à l'égal de la rose et de l'anémone, parce qu'elle porte le nom de la mère d'Adonis; mais Nonnos en a fait ici une plante, ποιήν, et ne tranche pas le problème de botanique et d'archéologie qui n'a pas encore été résolu. Théophraste dit que la myrrhe est une gomme résine qui s'échappe des blessures d'un arbuste dont on fend l'écorce, comme pour notre pin maritime : (Et odoro vulnere pinus scinditur. (Stace, Théb., liv. VI, v. 104.) Mais sa description ne paraît point l'avoir fait reconnaître encore, pas plus que celle de Pline. D'un autre côté , Virgile nous a tellement habitués à voir les parfums de la myrrhe sur les cheveux d'Énée : Vibratos calido ferro myrrhaque madentes, qu'on pourrait la croire, et bien plus à propos, un cosmétique de Vénus sa mère. En tout cas, ici c'est une herbe, et il me répugne de rencontrer dans la guirlande dont Cythérée pare son front la plante médicinale que nous dépeint ainsi Dioscoride : Μύρρις, οἱ δὲ μύρραν καλοῦσι, τῷ καλῷ καὶ τοῖς φύλλοις ἔοικε κωνείῳ). (Liv. 1V, § 116.) Or je me console médiocrement de la triste image de cette ciguë mêlée à la chevelure de Vénus, en donnant à la myrrhe de Dioscoride son nom français , le cerfeuil musqué. (06) La robe de Junon. — Le mot εἶμα (vers 38) a donné lieu à une équivoque qu'il était facile et convenable d'éviter. Je fais grâce au lecteur de la longue dissertation de d'Orville sur ces vers de Nonnos (in Char., p. 726). Au lieu de νύμφης au génitif, que Graëfe a conservé, lisons νύμφη, nominatif, et tous les raisonnements de d'Orville, plus ridicules que le passage dont ils sont issus, tombent à la fois; il me suffira de dire, sans m'expliquer davantage, qu'il est fait allusion ici à une coutume fort pratiquée dans les noces antiques, dont on retrouve quelques traces modernes dans certaines contrées de l'Orient Je n'ai osé, je l'avoue, ni supprimer l'image, ni l'offrir dans toute sa crudité, encore moins imiter les périphrases amphigouriques de Boitet : « Elle se lava la face d'eau musquée... Ces fleurs ne plaisaient pas moins à Junon, et en désirait les faveurs, encore qu'elles ne fussent pas légitimes ; mais comme elle considérait les amours incestueuses qu'elle avait pratiquées avec Jupiter, elle voulait lui en proposer la peinture. » (07) Le miroir. — Ce trait final de la toilette de Junon , commune à toutes les toilettes tant soit peu élégantes qui l'ont suivie , rappelle Ver-Vert.
Enfin, avant de paraître au parloir, (08) Rhodope. — Nous avons deux Rhodopes à rapprocher de cette Océanide dont Éros s'est épris. L'une, dans la Fable, est l'épouse d'Hœmus; elle osa se comparer à Junon, et devint avec son mari cette montagne de Thrace dont la chaîne forme le Balkan moderne, si disputé maintenant :
Nunc gelidos montes, mortalia corpora quondam. L'autre Rhodope est, dans l'histoire, la célèbre courtisane grecque, compagne d'Ésope, Cendrillon primitive, à qui la pantoufle trouvée sur le sable du Nil valut le coeur et le trône de Psammétique. On lui attribuait la construction d'une pyramide ; mais Hérodote réduit le fait à néant, et substitue à la pyramide une collection de broches de fer, propres à rôtir les boeufs : elle y consacra la dixième partie de sa fortune; puis elle envoya les broches pour perpétuer sa mémoire au temple de Delphes; a chose qu'il n'est arrivé à personne a d'imaginer ni d'offrir dans un temple , a ajoute le père de l'histoire τὸ μὴ τυγχάνει ἄλλῳ ἐξευρημένον καὶ ἀνακείμενον (Liv. I I, C. 135.) (09) Junon Zygie. — Zygie, mot à mot, déesse du joug. C'est un des surnoms de Junon, cui vincla jugalia curae. (Virgile, En., liv. IV, v. 59.) Junon, qui est aussi l'air personnifié, est favorableaux mariages, et conscius aether connubiis. (Id. Ioc. cit., v. 167). Cet attribut, qui se montre sous l'épithète dans les poésies de la décadence seulement, Musée l'a rappelé dans un vers que j'ai déjà cité (ch. IV, note 15). Et il me semble qu'il répète ainsi une leçon de Nonnos dont il était l'élève, si je ne me suis trompé dans l'Introduction. Les conjectures tirées de cette expression, comme quelques autres du discours de Junon et de la réplique de Jupiter, me paraissent démontrer aussi l'antériorité du poème des Dionysiaques. (10) Niobé, fille de Phoronée. — Cette Niobé n'est point la Niobé changée en pierre du mont Sipyle, mais bien Niobé fille de Phoronée, roi du Péloponnèse, et première épouse mortelle de Jupiter, selon Apollodore. (Liv. II, ch. 1.) Elle en eut un fils, Argus, qui donna son nom à l'Argolide. (Pausanias, liv. II, ch. 22. ) (11)) Céroesse. — Céroesse, qui signifie corne, est sans doute un surnom d'Isis, qu'elle aura fait passer à sa fille; mais c'est aussi le nom grec d'Isis-Io, la vache féconde, mère primitive des générations : et Nonnos doit en savoir plus que beaucoup d'autres mythologues sur ces légendes égyptiennes qu'il aura pu recueillir sur place. Voici ce qu'en dit à son tour Hésychius de Milet dans son trop court traité sur Constantinople. : « Les auteurs ne s'accordent pas sur l'origine de Byzas ; mais nous qui voulons dire quelque chose de vraisemblable à ceux qui cherchent à connaître l'histoire, nous allons remonter à Io, la fille d'Inachus. Changée en génisse, et poursuivie « en tous lieux, sur mer et sur terre, par le taon de Junon, elle vint en Thrace et donna son nom au Bosphore. Puis , arrivée à l'endroit qu'on nomme Céras, là où le Cydaris et le Barbysès se confondent, elle y prédisait l'avenir, et y accoucha d'une fille auprès de l'autel de Sémite, nymphe indigène et divinité du pays. Elle nomma cette fille Céroesse; et de là vient le nom de Ceras, corne, que d'autres attribuent à la forme des lieux ou à l'abondance des fruits qu'on y voit, en souvenir de la corne de la chèvre Amalthée. Céroesse, élevée auprès de l'autel de Sénestre, surpassait toutes les filles de la Thrace en beauté. Neptune s'en éprit, et elle mit au inonde un fils qui fut nommé Byzas, parce qu'il avait pour nourrice Byzie, nymphe de la Thrace : or Byzie est encore une fontaine dont on boit les eaux. ». Je m'arrête; car il me semble que j'irais jusqu'a bout du traité, par égard pour le Cydaris et le Barbysès, dont j'ai parcouru si longtemps les rives, et qui réveillent chez moi tant de jeunes souvenirs; je laisse de côté toutes ces allégories prophétiques de l'union de Neptune, de la richesse du commerce, etc., et je m'en tiens à cette source où je m'abreuvais d'une eau si limpide sous les grands platanes du kiosque impérial, et qui était encore pour moi la nymphe Byzie retrouvée ou perdue. (12) Lacédémon. -- Lacédémon, fils de Taygète, l'une des sept Pléiades, et de Jupiter, est neveu d'Électre qui en a déjà parlé avec tendresse au troisième chant. Il épousa Sparte, fille de l'Eurotas. Les rois fondateurs des cités et civilisateurs passaient, dans l'âge d'argent, pour être les fils des dieux et les alliés des fleuves bienfaiteurs comme eux. La maladresse de Jupiter, qui croit plaire à Junon en énumérant ses nombreuses infidélités, est imitée d'Homère, comme le reste : elle n'est pu plus justifiable dans l'Iliade que dans les Dionysiaques, et ne serait comprise de nos jours que dies les Turcs, où un époux peut dire galamment à sou épouse qu'il la préfère à toutes ses odalisques...- « Combien ton mari a-t il de femmes ? » disait récemment en Afrique à une dame française une dame musulmane. Celle-ci répondit fièrement qu'il n'en avait qu'une.— « Eh bien ! répliqua la jeune épouse, c'est qu'il ne t'aime pas. Mon mari en a quatre, et je suis la favorite. » (13) Le crocos et le liseron. -- Le crocos, si choyé dans l'antiquité, a perdu beaucoup de sa renommée dans les temps modernes. Nonnos, à l'exemple d'Homère (Il., XIV, 348) l'a réservé pour doubler la couche de Jupiter. Il attribue le smilax à Junon , sans doute en raison de la circonstance , parce que le liseron aune à s'enlacer aux autres végétaux : et j'ai tout lieu de me féliciter d'avoir autrefois refusé de voir dans le smilax le lierre (Épisodes litt., t. II, p. 92.) ; car j'aurais encouru d'avance le démenti de Nonnos, lequel certes n'est pas donné à Junon, pour amollir son lit, la plante favorite du dieu qu'elle persécute. (14) Le bouclier de Morrhée. — Cette allusion un peu obscure s'éclaircira plus tard ; quant à moi, je n'attendrai pas les livres suivants pour l'expliquer. Morrhée portait sur son bouclier l'image de son épouse Chérobie, fille de Dériade; Mars, en prenant la forme de Morrhée, avait quitté son égide où était la tête de la Gorgone, pour prendre l'écu qui retraçait au chevaleresque Indien une Méduse aux belles tresses. Voilà ce que Grade n'avait pas compris, et ce qui résulte de deux rectifications essentielles dans les vers 268 et 269. (15) Oebalios. — Les guerriers succombant sous le fer de Morrhée étant désignés par le nom de leurs pays respectifs, je me suis servi de cette donnée pour rétablir les noms propres que le manuscrit avait défigurés; Ainsi, pour Oibialos, je lis Oebalios, un concitoyen de ce vieillard des bords du Galèse, que, sans nous dire son nom, Virgile a immortalisé : Namque sub Oebaliae memini, etc. (Géorg., liv. IV, v. 125.) (16) Thyamis. — Habitant des rives du fleuve Thyamis en spire, maintenant le Calamas. (17) Arménios. — De la ville d'Arménie, en Thessalie, citée dans le dénombrement homérique. (Il, II, 734.) (18) Opheltés. -- Habitant des monts d'Ophelte ou de l'Apésante du Péloponnèse. Opheltios est le nom d'un Grec tué par Hector. (Il., XI, 302.) (19) Criase. -- Criase l'Argéade , d'une peuplade de Macédoine qu'Arrien a nommée. (20) Télèbe. — Est de la ville de Télèbe. Pausanias fait des Téléboens un peuple de l'Acarnanie. (Liv. Vlll, ch. 53.) Ils sont cités dans une inscription qu'a vue à Thèbes Hérodote, et qu'il fait remonter au temps de Laïus, arrière-petit-fils de Cadmus. Voici ce qu'en a dit Molière :
Figurez-vous donc que Télèbe, (21) Anthée. — Est de Lyctos, ville de Crète, que nous avons déjà vue au treizième livre. (22) Thronios. — De Thronion, ville de la Locride ; Homère la place sur les bords du fleuve Boagrios, qui porte encore le nom de Boagrio. (23) Drésos. — Le nom d'Arétos, que Graëfe avait laissé subsister ici, contrariait la prosodie. Je n'ai pas pu conserver ce καὶ Ἄρητος, quand déjà Nonnos (ch. XVI, v. 250 et 265) et Homère, en nommant bien des fois Arétos dans ses deux poèmes, en ont toujours fait longue la première voyelle (Il., XVII , 494-517 , Od., III , 440). J'ai mieux aimé lire Drésos, de Dresia, ville de Phrygie. dans le dénombrement nonnique, et dans les Bassariques de Dionysos. Drésos est aussi le nom d'un noble Troyen qui tombe avec Ophelte sous les coups d'Euryale. (Iliade, VI, 20.) (24) Molyndée. — Molyndée, et non Molynée, de Molyndion, ville de Lycie, suivant Étienne de Byzance. (25) Comaros. — Le Comarcos de Graëfe devient ici Comaros, de Cornare, le plus petit des ports voisins du golfe d'Ambracie (ainsi le nomme Strabon. (Liv. IX, p. 324.) La roche nommée Monolitho y brise aujourd'hui des ondes désertes qui ont vu les héros de Souli. (26) Échélaos. — Échélaos, selon Nonnos, était fils ou descendant de Pygmalion le Cyprien, à qui Vénus accorda une longue existence. Et bien qu'il ne fût qu'un humble conducteur de mulets, Échélaos portait un nom bien digne d'un capitaine, Maître du peuple (ἔχω, λαόν). (27) Le Cotyle. -- Ici Nonnos a pris à tâche de copier la description anatomique de la blessure d'Énée dans le cinquième livre de l'Iliade. Et voici comment Pope a paraphrasé ce terme d'ostéologie :
Where to the hip the inserted thigh unites, (28) Biblithos. Mêmes remarques sur cette seconde phalange de fantassins. immolée par Morrhée. Biblithos vient de Biblis, la ville de Carie, où est la fontaine homonyme de la malheureuse soeur de Caunos, qu'on appelle Larme de Byblis. (29) Denthis. — De la tribu des Denthiades chez les Troyens. Athénée a vanté leur vin d'où vient peut-être le cépage (expression bordelaise) des vignes de Ténédos ; et ces vignes, je ne l'ai point oublié, fournirent, en 1816, une ample provision de leur nectar pour l'usage de l'ambassade envoyée par le roi de France dans ces contrées ennemies de la liqueur de Bacchus. Leur produit est encore renommé dans cette région septentrionale de l'Archipel. (30) Érigbolios.—D'Érigbole, petit village qu'on m'a montré en face de Nicomédie, au fond du golfe sous le nom turc de Baskelé. (31) Sébée. — De Séba, ville de Cappadoce. (32) Eubotés. -- Le bon bouvier, digne serviteur d'Aristée, le demi-dieu de l'agriculture. (33) Crimisos. --- De Crimisa, en Calabre. (34) Ichnaléon. — Le guerrier aux traces de lion; ne serait-ce pas plutôt Icmalios, un homonyme de l'orfèvre-ébéniste d'Ithaque, qui fabriqua pour Pénélope un siége d'ivoire et d'argent? (Odyssée, XIX, 57.) (35) Thrasios. — Du même nom que ce Thrasios de Péonie tombé sous les coups d'Achille, ou plutôt ce Cyprien , devin de profession , μάντις τὴν ἐπιστήμη; Busiris le sacrifia le premier pour avoir dit que la disette cesserait en Égypte chaque année où l'on aurait immolé un étranger à Jupiter. ( Apollodore, liv. II). (36) Thargèle. — Tire son nom des fêtes Thargélies, instituées en l'honneur de Diane et d'Apollon; ces fêtes dont nos populations méridionales ont conservé quelque souvenir dans les usages du dimanche des Rameaux, puisque les enfants y promènent encore, comme à Athènes, des branches d'olivier et de laurier chargées de gâteaux et de fruits. (37) Iaon. — Sera un voisin de Ion, le fleuve d'Arcadie ; ou bien plutôt un de ces Iaoniens ou Ioniens primitifs qui venaient en foule aux fêtes de Délos, et qu'Homère vante dans l'hymne à Apollon (v. 152). (38) Coilon. — Quant à Coilon et à Cyès, ils doivent évidemment leurs désignations à leur position sur le monceau des cadavres; (39) Cyès. - Cyès (de κ´θω) s'y arrondit et Coilon s'y creuse (de κοῖλος). Après tous ces guerriers obscurs vient la grande figure d'Éaque qui soutient seul l'effort de l'ennemi, Éaque qu'ont vanté Platon et Isocrate « : Fils « de Jupiter, et chef de la race des Teucrides, il fut si supérieur à ses contemporains que, pendant une sécheresse qui accablait la Grèce et décimait ses habitants, la calamité étant venue à son comble, les magistrats des villes se rendirent en suppliants auprès de lui, persuadés que, par la noblesse de son sang et par sa piété, il obtiendrait du dieu le remède de tant de maux; et, dans leur reconnaissance, ils bâtirent à Égine un temple, au nom de tous les Grecs, sur le lieu même où Éaque avait fait sa prière. » (Isocrate, Évagoras.) Voilà l'antique origine de ce temple de Jupiter Panhellénien dont mes regards ne pouvaient quitter les décombres et quelques colonnes mutilées debout encore sur un sol désert, lorsque je traversai pour la première fois les belles ondes du golfe d'Athènes. (40) L'Hésydros. - L'Hésydros, que Pline a nominé (liv. VI, c, 21), est un des cinq fleuves qui constituent le Pendjab, sans doute sous le nom de Biah, si ce n'est sous celui de Sutledjé. (41) Les larmes des Bassarides. — Nonnos nous a dit bien souvent que Bacchus ne pleure jamais : neque enim lacrymare deorum est, comme l'affirme Ovide (Fastes, liv. IV, v. 521) ; il a donc voulu faire entendre ici que, la frénésie empêchant Bacchus de ressentir les justes motifs qu'il avait de s'affliger, ses nourrices filles du fleuve Lamos, fontaines originelles, pleurent sur lui et à sa place de toutes leurs larmes et de toutes leurs ondes. Parmi les désordres que cause dans les bois et les montagnes cette frénésie du dieu montagnard, on vient de le voir écraser même les serpents, dont la race lui est consacrée. Cela me rappelle un pacha de Damas bien autrement insensé, dont mon ami, le voyageur anglais Bankes, m'a raconté le trait suivant. Pour amuser son fils, âgé de quinze ans , ce pacha avait appelé devant lui un jongleur qui faisait danser des couleuvres : un de ces reptiles s'avança en sifflant sur le jeune homme , et fut à l'instant rappelé par son maître. Le pacha prend aussitôt sa carabine, ajuste le jongleur, le manque, et lui fait sur-le-champ couper la tète devant sa tente. L'adolescent , pacha futur sans doute, indifférent et immobile , n'essaya pas même par un geste de sauver la victime. -- Bankes, témoin de la scène, et plus irrité de l'apathie du fils que de la barbarie du père, l'a léguée à mon journal oriental, puisqu'il n'a jamais voulu tenir ou publier le sien. (42) Imitations de ce chant et du précédent. — On l'a reconnu déjà, la fin du trente et unième chant et le début du trente-deuxième développent, non pas sans doute une paraphrase, mais une imitation continuelle, au plus près, du magnifique épisode qui se mêle si heureusement aux combats troyens dans le quatorzième livre de l'Iliade. Ici, mieux qu'ailleurs, on peut se rendre compte des procédés de Nonnos; il a sans doute rapetissé la grande scène, retranché au discours, un peu digressif, il est vrai , du Sommeil pou ajouter beaucoup, et beaucoup trop, aux harangues de Junon ; il ne peut y avoir un grand mérite à répliquer le tableau original, ou plutôt à le contrefaire; et pourtant, bien qu'il ait jeté au travers de la divine simplicité d'Homère quelques jeu de mots trop familiers à sa muse, Nonnos, on en conviendra , a côtoyé parfois assez heureusement son modèle en y joignant quelques traits propres à son sujet. On pourra plus spécialement remarquer ici l'élégante et harmonieuse facture du vers, comme cette perfection de la prosodie qui contraste avec les négligences rythmiques de l'hexamètre primitif. — Faudrait-il donc croire avec Athénée (liv. XI V, c. 8) qu'Homère chantant lui-même ses vers, et les destinant à être chantés, le avait laissés tout exprès sans tête, acéphales, ou sans ventre, lagares, ou même sans queue, meioures, à la merci des rhapsodes, lesquels, pour la commodité du chant, allongeaient à leur tour, abrégeaient ou supprimaient les syllabes? En tout cas, ces mutilations ou ces élisions musicale devinrent inutiles dès que la poésie héroïque s'écrivit et ne se chanta plus.
|