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Nonnos ,
Dionysiaques CHANT XXIX. Relu et corrigé Oeuvre numérisée en collaboration avec Marc Szwajcer
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NONNOS
DIONYSIAQUES. CHANT VINGT-NEUVIÈME. Dans le livre vingt-neuf, Mars s’éloigne du combat pour surveiller Vénus, dont il craint le retour auprès de son époux. Dès que Junon a vu les troupes indiennes dispersées, elle inspire au noble Dériade un courage invincible; ce redoutable chef montre pour le combat son ardeur qui dépasse les emportements de l’amour. Il fait entendre à la première ligne une voix furieuse, parcourt l’un après l’autre tous les rangs des noirs, tantôt par la douceur, tantôt par la menace, ramène à la mêlée la foule qui la fuit. Sa vaillance redouble; à l’appel de leur roi, les Indiens se reforment d’eux-mêmes et se précipitent en avant. Tantôt Morrhée par ses traits les met le désordre dans le bataillon entier des satyres, en faisant pleuvoir sur l’ennemi la plus épaisse nuée de flèches à l’aide de ses arcs tendus; tantôt il épouvante la tribu cornue des silènes en retournant en tous sens sa terrible lance. Puis, brandissant un rocher contre les agiles Curètes, il le lance vers Mélissée qui lui fait face, et le manque; il le manque, car une pierre ne peut venir à bout d’un corybante ? Hyménée à la riche chevelure combat en secouant ses flambeaux. Insaisissable et assis sur les reins d’une jument de Thessalie, il frappe les noirs ennemis de sa main de rose, et rayonne de magnificence. On eût dit, en l’apercevant au milieu des Indiens, voir l’étoile du matin resplendir au sein d’une informe obscurité; il jetait au loin la terreur; car, en faveur de sa beauté, Bacchus lui avait inspiré dans la lutte une force divine. A la vue de tant d’exploits, le dieu, ravi d’un tel auxiliaire pour sa cause, se prend à préférer la lance d’Hyménée à la foudre de Jupiter. Dès que celui-ci dirige un coursier et se précipite à la mêlée, Bacchus fouette l’encolure de son terrible attelage, rapproche son char du cheval, et ne quitte plus l’adolescent, tel que Phébus pour le jeune Atymne; il se tient sans cesse à ses côtés, veut paraitre à ses yeux tendre et vaillant la fois, et dans la bataille, tandis qu’il combat auprès de lui, il jouit de sa beauté même. Il ne regrette que sa naissance terrestre, car c’est un fils de Phlégyas (01) et non de Jupiter. Assidu près de lui comme un père qui veille sur son enfant, il tremble que quelque archer ne le frappe d’une flèche lancée de loin; il tend la main au-devant des coups pour préserver Hyménée, et, au milieu de ses exploits, il lui adresse ces paroles : « Lance tes traits, cher enfant; Mars ne peut s’en offenser. N’as-tu pas blessé de ta beauté Bacchus dont les flèches ont abattu les géants Frappe aussi de tes dards l’insensé Dériade, ce roi de nos ennemis, l’adversaire des dieux; et l’on dira : Hyménée a atteint à la fois de sa flèche le corps de Dériade et le cœur de Bacchus. » Il dit; et Hyménée, l’aimable archer, s’anime de plus en plus à la lutte. Bacchus à sou tour, enthousiaste et charmé, se précipite plus vivement sur les noirs ennemis, dont il fait trembler de fond en comble la noire génération. En le voyant dans le tourbillon de la bataille frapper de ses flèches infatigables les têtes indiennes, un guerrier parle ainsi à l’avare Mélanée (02): « Archer, où sont ton arc et tes flèches rapides ? Voilà que des femmes mollement vêtues nous accablent de leurs coups; décoche donc un trait à ce Bacchus éphémère, et ne te laisse pas égarer par le vain bruit de sa divinité. Il n’est jamais redoutable; il ment quand il se dit fils de Jupiter, et il n’a reçu d’un père terrestre qu’une vie passagère. C’est lui qu’il faut viser; si tu atteins ce but, tu recevras de notre roi, qui possède de si immenses richesses, des dons innombrables; quand il verra vaincu par tes traits, sur le bûcher suprême, le noble fils de Thyone. Une seule flèche finira le débat. Tends les mains vers l’Eau, supplie la Terre notre mère. Promets d’une bouche sincère à nos deux divinités des sacrifices après la victoire; jure que l’Hydaspe à la forme de taureau verra un taureau cornu s’approcher de son autel, et que la terre noirâtre recevra un agneau à la laine noire (03). » Il dit; il persuade l’archer Mélanée que passionnent les richesses, et dont elles égarent l’esprit. Celui-ci détache en silence son carquois, en ouvre le couvercle, y prend une longue flèche, l’ajuste à la corde accoutumée de l’arc que sa main arrondit en arrière, puis il le tend jusqu’à ce que la pointe du fer en touche les bords, et que le nerf meurtrier du bœuf vienne effleurer sa poitrine. La flèche vole droit au but; Jupiter la détourne de Bacchus, et la cuisse d’Hyménée aux belles couronnes est sillonnée par le trait ailé qui l’ensanglante. Cette flèche légère qui traverse et siffle dans les airs, pareille à un vent importun, n’a point échappé à Bacchus. Il adoucit la rapidité du coup, et écarte la visée mortelle de Mélanée. Vénus, par égard pour la tendresse du dieu son frère, retient la pointe de trait et la chasse, comme une mère éloigne la mouche vagabonde de son enfant qui dort encore, et agite sans bruit autour de lui l’extrémité de son voile. Hyménée s’approche de Bacchus; il lui montre la vive blessure de sa cuisse rougissante. Une larme s’échappe de sa charmante paupière, pour implorer la main secourable du Dieu qui chasse les maux. Il a besoin d’un médecin salutaire. Bacchus saisit la blanche main d’Hyménée, le fait monter sur son char, le tire à l’écart loin du tumulte de la bataille, et le dépose languissant et oppressé sur la terre ombragée, auprès d’un hêtre. Là, tel qu’Apollon gémissait sur Hyacinthe frappé d’un disque rapide et meurtrier, et reprochait au jaloux Zéphyre son souffle orageux, tel Bacchus déchire incessamment sa chevelure et pleure Hyménée de ses yeux qui ne savent pas pleurer. A la vue des larmes de l’adolescent, il s’emporte à la fois contre Mélanée et Mars; puis, essuyant tendrement la sueur d’hyménée, il laisse échapper tout bas ces paroles: « Un taureau m’a ravi Ampélos, et Mars veut m’ôter Hyménée. Il est donc dans ma destinée de n’échapper jamais à de tels chagrins, puisque je vais pleurer encore cet enfant qui va mourir. Ah! qui Mars m’enlève autant de guerriers que j’en compte sous mes ordres, pourvu qu’il en ménage un seul et me le laisse. Car enfin, si un Cabire succombe dans le combat, quelle douleur m’en revient-il? Bacchus ira-t-il jamais s’émouvoir pour la blessure des satyres? Ah! que Silène et sa chevelure parée de raisins périsse; que l’essaim des Bassarides disparaisse pourvu que je voie ce seul enfant hors d’atteinte! Oui, pardonne, Apollon! quels regrets pourrait m’arracher le trépas d’Aristée, quand il a déclaré le produit de son abeille supérieur aux belles gouttes de ma vendange? Hélas! quelle terrible haine s’est appesantie sur nous deux! Faut-il le dire? Junon a jeté un regard de jalousie sur Bacchus, comme sur cet enfant exterminateur de la race des noirs; irritée contre l’adolescent et contre son malheureux ami, elle a déguisé l’impétueux Mars sous l’apparence méconnaissable d’un Indien, et l’a excité à lancer un trait contre Hyménée, pour désespérer l’infortuné Bacchus. Mais, soit qu’il vibre un javelot, soit qu’il tende un arc homicide, j’attaquerai ce Mélanée menteur, et j’accomplirai la vengeance due à mon aimable Hyménée. Ah! cher Hyménée, si tu meurs, j’abandonne la bataille inachevée, je me retire de la lutte et ne brandis plus le thyrse. Oui, je laisse la vie à tous nos ennemis, un seul excepté, Mélanée ton récent assassin. Car enfin Dériade me fait la guerre, mais il ne t’a pas immolé. » « Pardonne aussi, Cythérée; après l’intrépide fils de Myrrha, le rude Mars a poursuivi un autre gracieux Adonis; il l’a poursuivi, a touché son corps de rose, et le sang des amours a coulé une fois encore d’une cuisse blessée sur la terre. Accorde cette faveur à Bacchus, qui brûle de tes feux; envoie-moi Phébus notre frère, habile dans l’art qui calme les douleurs: il guérira cet enfant. Mais non, je me tais. N’inquiète pas Phébus dans l’Olympe. Je l’irriterais en lui rappelant la blessure du charmant Hyacinthe (04). Envoie.moi, s’il te plait, Péon (05). Qu’il vienne, lui qui reste étranger à la tendresse et n’a pas connu les amours. Certes c’est là une bizarre blessure, dans la mêlée, un guerrier voit la pointe d’une pique rougir son ventre. Un autre souffre de sa main qu’a frappée le glaive. Celui-ci reçoit un trait dans les flancs, un autre dans l’oreille; mais ici, c’est mon cœur qui est blessé du coup fatal qui frappe Hyménée. » Il dit et se détourne, car il craint d’apercevoir même d’un regard oblique la blessure du bel adolescent. Cependant, en voyant les barbes de la flèche en dehors de la plaie, où la blancheur et la rougeur se confondent, il reprend une douce confiance; il la presse et retire délicatement de la cuisse sanglante la pointe du trait. Ensuite, il exprime çà et là sur la cuisse le jus de la fleur chère à Bacchus, puis il achève de le guérir à l’aide de son lierre salutaire, et de le réconforter par la liqueur secourable du vin. De même que l’actif chevrier, quand il presse la crème épaissie pour l’encercler dans les moules des corbeilles et la dresser en forme arrondie sur l’éclisse, la remue pour en chasser le suc laiteux de la blanche liqueur, ainsi Bacchus, avec tout l’art de Phébus, presse et cicatrise la mortelle blessure. Grâce à la main du dieu qui guérit les douleurs, l’intrépide adolescent retourne au combat, dirige de nouveau vers un but lointain ses traite ailés, tend encore son arc, et blessé d’une flèche, c’est une flèche dont il blesse à son tour l’archer Mélanée. Il s’élance vaillamment; suivi de Bacchus, il ne cesse de frapper l’ennemi et ne s’écarte jamais du dieu. Telle que l’ombre de l’homme rampe inanimée, se montre incessamment à ira côtes, marche avec lui, le suit quand il avance, s’arrête quand il s’arrête, s’assoit quand il s’assoit, partage sa table, son repas, et imite le mouvement de ses mains; tel et aussi fidèle, l’enfant s’attache à Bacchus. Mais le dieu ne laisse pas languir sa propre colère; il transperce un guerrier de son thyrse par le milieu du corps, l’enlève tout droit, et montre cet Indien vacillant dans l’espace des airs à la jalouse Junon. Le divin Aristée combat ainsi sous son triple attribut : Agrée, il a fait à la chasse l’apprentissage de la guerre; Nomios, Il brandit une houlette dans la mêlée; enfin Écatébole (06) l’époux d’Autonoé, lance au loin les traits comme son père Apollon, et, comme lui encore, il porte au combat un arc glorieux. N’a-t-il pas toute la valeur de sa mère si célèbre par ses flèches, Cyrène, la guerrière, l’antique Hypséide (07)? Intrépide chasseur, il s’empare du plus furieux de ennemis, qu’il enchaîne tout vivant comme une bête fauve; puis, pour écraser ses adversaires, il soulève de sa main accoutumée à de tels fardeaux une plaire pareille à celle qui broie les produits entassés de l’onctueuse olive. Enfin il met en fuite les plus braves des Indiens au bruit de ce même airain qu’il a secoué de ses mains pour éloigner les darde furieux de l’abeille vagabonde. (08) Les deux fils de Cabiro de Lemnos, ces habitants de Samothrace dont le feu fait la force, se livrent à leur délire. Leurs prunelles dardent des étincelles sœurs de la rouge vapeur de Vulcain leur père; leur char est de diamant; leurs coursiers, qui battent et soulèvent la poussière de leurs ongles d’airain, exhalent de leurs gosiers un hennissement enflammé. Vulcain les a créés pour ses fils par un art inimitable, et leur a donné de respirer la flamme par leurs bouches menaçantes, tel que pour AEète (09), le redoutable prince de Colchos, il forma le couple des taureaux aux pieds d’airain, attelés par des harnais incandescents à un timon de feu. C’est Eurymédon (10) conduit le char; il dirige avec un mors brûlant la bouche embrasée des chevaux aux pieds de fer; Alcon (11) charge ses bras de traits flamboyants, et brandit la torche vouée dans sa patrie à Hécate; il tient dans sa main droite sa pique de Lemnos, ouvrage de l’enclume de son père: ses nobles flancs portent un glaive chargé d’éclairs; et si la moindre pierre qu’un guerrier balance au bout des doigts vient à effleurer la surface nourrie de feu de son poignard effilé de ce fer jaillissent aussitôt des étincelles spontanées. Les Telchines malfaisants s’avancent au combat, l’un armé d’un long sapin, l’autre de la tige tout entière d’un cornouiller (12) déraciné, tandis qu’un troisième, détachant la cime d’un pic, fond sur les Indiens, et brandit de ses bras furieux ce rocher javelot. Les corybantes de Dicté, rangés pour l’attaque, se précipitent à la mêlée, et secouent l’aigrette de leur casque à la haute cime; leurs glaives nus tombent à l’envi et en bonds cadencés sur leurs armures retentissantes. Ils imitent dans leur fureur guerrière, sous l’élan de leurs pas arrondis, le rythme de la danse des boucliers. La race des bergers montagnards succombe sous un fer curète, et, aux mugissements du grondant bouclier, plus d’un guerrier effrayé s’affaisse la tète en avant sur la poussière. Lénée arme sa main velue de la crête d’un rocher qu’il vient d’arracher aux plus hauts sommets de la montagne, et envoie à l’ennemi cette pointe raboteuse. Mais Morrhée poursuit impétueusement la phalange entière des silènes qu’il écrase de sa hache; à un seul cri de ce puissant adversaire, Astrée s’émeut, Maron s’enfuit, Lénée se sent défaillir. Ce sont les trois fils du velu Silène; ce même Silène, créé sans union, conçu de lui-même, qui sortit sans germe du sein de la terre maternelle (13). La Bassaride élève en l’air la pique fleurie, son arme de combat. Et ce thyrse féminin abat les nombreuses têtes mâles de la race qui méconnaît Bacchus. La bacchante jette de grands cris; et les javelots de pampre s’agitent dans les mains des femmes qui portent le lierre. Eupétale entonne un chant en l’honneur de Bacchus et de Mars; elle lance un lierre aigu au feuillage chargé de grappes, qui va briser le fer et écraser la génération indienne sous la guirlande d’un arbuste. Terpsichore, amie du raisin, dissipe les nuées d’ennemis l’aide de son thyrse meurtrier; elle bondit dans la mêlée en agitant te double airain de ses bruyantes cymbales; Hercule avec son airain retentissant poursuivit les Stymphalides (14) de moins de roulements que Terpsichore n’en fait répéter à l’écho belliqueux pendant qu’elle chasse l’armée indienne devant sa danse. Trygie, aux genoux tardifs, reste en arrière hors des rangs; la peur engourdit sa marche; aucun des silènes n’est demeuré auprès d’elle; ils l’abandonnent seule, tremblante et privée d’appui. C’est vainement qu’elle tend les mains à Maron, le franc buveur; Maron se refuse à ses prières, car sa vieillesse ralentit les danses des corybantes, amis du vin, ainsi que des satyres, et il demande sans cesse aux dieux de voir succomber sous la pique de Dériade cette vieille femme qui n’est bonne à rien. Calicé se bat debout près de Bacchus, et toujours écumante; Oenoé (15) s’avance et tourne dans les accès d’une chancelante ivresse; accablée sous la grappe, ses genoux fléchissent, et, sur le front de la nymphe en délire, les tresses de ses cheveux ondulent sous le pampre. I.es cris et les gémissements redoublent lorsque, à l’envi Astréis poursuit Staphyle (16), Célène Calicé; et que Tanyclos épouvante la charmante Lycaste (17). Le dieu les secourt; il prodigue ses médicaments aux plaies des femmes qui viennent d’être blessées; il serre sous le lien d’une tige de vigne le pied de Rhodé, dont un fer martial vient de déchirer l’extrémité, et qui a perdu son enveloppe. A Eupétale, il étanche avec le vin le sang qui vient de couler; il arrête celui que répand Staphyle par des paroles enchantées, guérit avec le myrte la main entamée de Myrto (18), sauve Calicé en arrachant la flèche qui lui perce l’épaule, et en versant sur la plaie rougie la liqueur du pressoir. Il apaise la souffrance de Nysé (19) dont on vient de meurtrir le visage, en étendant çà et là sur sa joue le gypse le plus blanc; et les yeux du dieu qui ne pleurent jamais ont des larmes pour les frayeurs de Lycaste. Après avoir calmé par son art les douleurs des Bassarides, le dieu du thyrse se livre à la fougue ranimée du combat. La flûte fait retentir des accents belliqueux et réveille un autre essaim de valeureux guerriers. Frappés d’une double main sur les deux côtés de leur orbe, les boucliers des bruyants corybantes retentissent. Les cymbales résonnent; l’harmonieux roseau de Pan change de mode, et croître la guerre; la troupe ennemie en renvoie le Ion; les flèches qui volent dans les airs sifflent de toutes parts. La corde vibre, la pierre gronde; la trompette mugit. C’est alors qu’emportée par l’élan de cette fureur qui égare l’esprit, une Bassaride, Bellone inspirée, traverse les rangs indiens en ton honneur, divinité de la Lydie (20), et une flamme spontanée brille sur son front sans consumer sa chevelure. Dès qu’ils atteignent le point où l’Hydaspe impétueux a vu rougir ses ondes limpides sous les flots du divin breuvage, Bacchus, de sa gorge sonore pousse un long cri effrayant, pareil à la clameur qu’une semée de neuf mille hommes jette à la fois de tous les gosiers. Les Indiens se débandent et se retirent les uns vers les flots brunis, les autres dans les champs. Les troupes de Bacchus se partagent l’Hydaspe et la plaine, et elles immolent l’ennemi haletant sous une soif brillante, comme lorsque l’aurore a atteint le centre de la terre, et que le voyageur altéré tremble sous l’ardeur accablante du soleil de midi (21). Alors le dieu de la vigne provoque le roi des Indes par ces mots qui s’échappent menaçants de sa bonde furieuse: « Que crains-tu, souverain des Indiens? si tu descends d’un fleuve, j’ai moi-même mon origine dans les cieux. Et Bacchus l’emporte autant sur le fier Dériade que Jupiter sur l’Hydaspe. Je m’élève à mon gré jusqu’aux nues; et, si je le voulais, mes traits monteraient tout droit à la lune. T’enorgueillis-tu de ta forme cornue? Alors viens t’opposer si tu le peux, aux cornes de Bacchus. » Il dit; les guerriers rugissent et grincent des dents ; auxiliaires de Bacchus, ils luttent entre eux de hauts faits. Pan, du Ménale, combat avec ses pieds de chèvre, déchire les flancs de Mélanée à la flèche aigue, et en disperse les entrailles de ses ongles acérés; c’est ainsi qu’il venge la blessure d’Hyménée, et soulage la douleur profonde de Bacchus, dont les yeux indifférents viennent de pleurer. Le dieu, dans sa rage, fond sur l’ennemi: tantôt de ses mains il touche aux nuages et à l’Olympe tantôt il allonge son vaste corps jusqu’aux astres et, fixant son pied sur la terre, il trappe le ciel de son front. Cependant l’astre du soir s’est levé durant la bataille, et a interrompu ces fêtes de l’extermination indienne. Par les ordres de Rhéa, un songe perfide, multiplicateur des fantômes, s’offre à Mars qui sommeille, et, sous une forme étrange et vaporeuse, lui crie ces mots: « Dors, Mars (22); Mars aux malheureux amours dors seul sous ton armure : voilà qu’une seconde fois Vulcain retient dans son lit la déesse de Paphos, qui jadis fut ta Vénus. Il a chassé de son palais Charis, sa jalouse compagne; il rappelle et force à se réunir à lui son ancienne épouse. Éros lui-même, pour favoriser Vulcain son père, a blessé Vénus de son arc; et Minerve, la vierge rusée, malgré son inexpérience des amours, a fait consentir à cette réconciliation le grand Jupiter, car elle veut éviter Vulcain, cette union illégitime et ces germes terrestres qu’elle n’a pas oubliés; elle a craint qu’après le sort du premier Érechthée, elle n’eût encore à nourrir de sa mamelle virile un fils de la Terre plus récent. » « Réveille-toi; va sur le plateau de la montagne de Thrace, et vois de là ta Cythérée habiter comme autrefois Lemnos; vois comme l’essaim des Amours qui l’accompagne a couronné de fleurs les portiques de Paphos et la terre de Chypre; écoute les chants des femmes de Byblos qui célèbrent cette flamme rallumée et cet hymen renouvelé. O Mars, on t’a privé de ta Cypris; le boiteux a couru plus vite que le rapide et homicide Mars: c’est à toi de chanter maintenant Vénus, réunie au brûlant Vulcain. Crois-moi, descends en Sicile, va solliciter les cyclopes dans leurs fournaises; ces industrieux collaborateurs de ton rival, émules de ses œuvres merveilleuses, inventeront eux-mêmes pour toi quelque nouvel artifice imité de tes anciens filets; ainsi, les serrant à ton tour sous tes lacs trompeurs, tu chargeras le séducteur de tes chaînes vengeresses et emprisonneras avec Vénus Vulcain l’estropié. Les dieux, habitants de l’Olympe, t’applaudiront d’avoir surpris et enchaîné l’usurpateur de ton lit. Réveille-toi donc, deviens astucieux aussi, lève-toi, songe à l’épouse qui t’est ravie. Que te font les maux de Dériade?... Mais taisons-nous: Phaéton ne pourrait-il pas nous entendre? » Elle dit et s’envole; aussitôt le bouillant dieu de la guerre ébranle son palais, et s’élance à la vue des premières lueurs de l’aurore matinale; il réveille Phobos et Dimos, veut qu’ils préparent son char rapide et meurtrier; et ils obéissent à leur père qui marche avec eux. Dimos effrayé passe les dents recourbées du mors à la bouche des coursiers, enchaîne sous le harnais leurs cous obéissants, et les attache au timon. Mars monte sur son siège. Phobos conduit le char de son père; il l’emporte du Liban à Paphos; il dirige sa course inconstante de Cythère à Chypre la Cérastide; dans son envieuse inquiétude, Mars considère sans cesse, sans cesse Lemnos, et plus que tout il surveille l’ardente forge; il guette tout autour d’un pied furtif et suspendu, pour apercevoir si Vénus n’est pas, comme jadis, debout auprès des fourneaux de Vulcain; car il redoute que la fumée ne gâte et ne brunisse son visage. Puis de Lemnos il s’élance vers le ciel pour redemander aux dieux, les armes à la main, sa compagne, et combattre à la fois Jupiter, Phaéton, Vulcain et Pallas. NOTES DU VINGT-NEUVIÈME CHANT. (1) Phlégyas. — Phlégyas, roi des Lapithes, à qui Apollon avait enlevé sa fille Coronis, mère d’Esculape, marcha sur le temple de Delphes et le réduisit en cendres. Apollon tua Phlégyas et le plaça aux enfers parmi les âmes impies. Nonnos est la seule autorité mythologique qui donne une si triste généalogie à Hyménée. Aurait-il donc peu de part aux faveurs de ce dieu qu’il traite si mal? Et si j’osais, comme il me l’a si souvent enseigné, jouer sur les étymologies, devrais-je croire que son nom de moine (Nonnos) le portait à calomnier une divinité qu’il ne connaissait pas? On pourrait, d’un autre côté, lire avec assez de ressemblance dans le texte grec Φρύξοιο la place de Φληγύαο, qui me paraît un mot torturé; puisque Pindare a dit au génitif Φληγύα, le dorique de φληγύον. (Pyth., od. III.) Dans ce cas-là, Hyménée serait le fils de Magnés, petit-fils de Phryxus; et ce Magnée passe en effet pour le père d’Hyménée. (Antonius Liberalis, c. CXXIII.) (2) Mélanée. — Mélanée, le Nègre, est très convenablement choisi pour le rôle que va lui faire jouer Nonnos, puisque c’est à la fois le nom d’un noir qui assistait aux noces de Persée, et d’un Grec tellement habile à tirer de l’arc qu’il passait pour fils d’Apollon. Je ne tiens pas compte d’un troisième Mélanée qui figure dans les Métamorphoses d’Ovide; car celui-là était un chien d’Actéon. (3) Sacrifices du taureau et de l’agneau. — Le sacrifice d’un taureau à l’Hydaspe cornu et d’un agneau noir à la terre des Nègres, offrandes appropriées à ces deux divinités des Indes, remplace les agneaux premiers-nés que Pandaros, dans l’Iliade, doit immoler à Apollon, si sa flèche atteint Ménélas. (Liv. VI, v.103.) (4) Hyacinthe. — Nonnos ressemble tout à fait ici à l’Achille de Philostrate, qui revenait sans cesse à chanter Hyacinthe sur sa lyre. « Achille célébrait, dit-il, ces contemporains antiques Hyacinthe, Narcisse, et quelque chose d’Adonis. Puis, comme les complaintes qui regrettaient Hylas et Abdère, l’un disparu en allant à la fontaine, l’autre mis en pièces par les juments de Diomède, étaient plus récentes, il les chantait aussi, mais en pleurant ». Οὐκ ἀδακρυτὶ ταῦτα ᾖδεν. (Philost., Hér. Achille.) (5) Péon. — Au reste, tout cet épisode, imité d’Homère, va nous amener le souvenir de Péon, l’émule d’Esculape, mais d’un Péon exempt des faiblesses humaines (ἄμμορος πότων), ou plutôt il va faire briller les talents de Bacchus dans l’art de guérir; privilège divin qu’Orphée lui attribue en ces termes: Παυσίπονος θνητοῖσι φανείς, ἄκος ἱερὸν ἄνθος. (Hym. XLIX, v. 6.) Et c’est une allégorie du vin qu’on versait sur les blessures pour les cicatriser. Péon, le médecin des dieux, l’emportait sur tous ses confrères par une profonde connaissance des simples. Hippolyte, la victime de Phèdre, en sut quelque chose; et l’amour de Diane n’eût pas suffi à le rappeler à la vie sans l’emploi de toutes les plantes de Péon. Pœonis medicatum herbis et amore Dianae. (Virgile, Én., 1. VII, V. 769.) (6) Écatébole. — Aristée a reçu de la lyre de Pindare les noms d’Agrée, chasseur, et de Nonnos, berger. « Les Heures, dit-il, le rendront immortel comme Jupiter et le chaste Apollon. Il sera le plus assidu surveillant des troupeaux, le charme et le bienfaiteur de ses amis; et cet Agrée et ce Nonnos, ils le nommeront Aristée. » (Pyth., IX, v. 114.) A ces deux attributs, Nonnos a annexé de son autorité propre Ecatébole, qui lance au loin, surnom du dieu de l’arc, père d’Aristée. (7) L’Hypséide. — Cyrène, dont Virgile fait en si beaux vers la fille du fleuve Pénée, n’en était que la petite-fille, suivant l’exacte généalogie que Pindare nous donne en très beaux vers aussi « Hypsée, qui dominait au loin, était le roi des belliqueux Lapithes, seconde génération de héros, depuis Océan. Dans les vallons renommés du Pinde, une naïade, fille de la Terre, Créose, toute joyeuse de s’unir à Pénée, le mit au monde; et Hypsée éleva à son tour son enfant, Cyrène aux beaux bras. » (Pyth. od. IX, v. 23.) J’ai beaucoup réfléchi sur le Pénée dans mes voyages, et j’ai toujours pensé qu’il y avait trois fleuves de ce nom en Orient, sans compter le Pénée, assez insignifiant, de Sicile. Le premier serait incontestablement le Pénée de Thessalie; le second, une petite rivière qui ne fait pas grand bruit en Élide; et le troisième, L’Araxe mugissant sous un pont qui l’outrage, ainsi que l’a dit si bien le fils de Racine. L’Araxe s’appelait Pénée, comme le Pénée s’appelait Araxe: l’un pour avoir déchiré (ἀράσσω) l’Osσα et l’Olympe en traversant Tempé; l’autre, les montagnes de l’Arménie pour se jeter dans la mer Caspienne. (8) Les abeilles et l’olive. — Avant d’en finir avec Aristée, on remarquera qu’en sa qualité d’instituteur des abeilles, il effraye l’ennemi avec l’airain dont les agriculteurs se servent pour éloigner les essaims, selon Varron (liv. III, ch. 46), ou les attirer, suivant Pline (liv. XΙ, ch. 24). Puis, à titre d’inventeur de l’huile, Aristée brandit contre les Indiens la lourde meule que j’ai vue en Provence écraser avec tant de profit la verte olive. (9) OEète. — OEète, roi de Colchos, fils du Soleil et de Perséis, était le père de Médée: O mihi si profugae genitor nunc ille supremos Amplexus, OEeta, dares! (Valérlus Flaccus, l. VIII, v 11.) (10) Eurymédon. —Eurymédon, que nous avons déjà vu figurer dans le dénombrement, et (11) Alcon son père, étaient tous les deux fils de Cabiro, et chefs de race. Le premier porte le même nom qu’un fils de Neptune et de Péribée. « Ce magnanime Eurymédon qui jadis régnait sur les géants orgueilleux », (Homère, Od., VII, 58.) Le second était-il l’aïeul de ce forgeron, ou plutôt de ce merveilleux orfèvre que Virgile et Ovide ont transporté en Sicile? Aut Alconis habes laudes. (Virg., Ecl. V.) (12) Le cornouiller. — Le cornouiller est l’arbre homérique et virgilien, dont le bois durci fournit les meilleurs javelots. Et bona bello cornus, a dit Virgile. On s’en servait même pour les épieux de la chasse. Salva cornus in venabulis nitet, incisuris nodata propter decorem. (Pline, liv. XVI, ch. 73) (13) Silène. —Silène est pris ici dans la plus haute acception de sa divinité; il est le physicien consommé, l’interprète de la nature primitive dans la sixième églogue de Virgile, et ici l’engendré de lui-même, né de la terre seule. C’est sans doute ce même Silène philosophe, dont parle Cicéron, qui fut auteur de la célèbre maxime mise en vers par Homère, ou plutôt par Théognis: Il n’est pas bon à l’homme de naître; une fois né, il n’a rien de mieux à faire que de mourir. (Tuscul., liv. I, c. 48.) (14) Les Stymphalides. — Voici ce que Pausanias raconte à ce sujet (liv. VIII, c. 22) : « Les déserts de l’Arabie renferment des oiseaux, nommés stymphalides, qui ne sont guère mieux apprivoisés que les lions et les léopards. Ils fondent sur le chasseur, le meurtrissent de leurs becs, et le tuent. Ils percent même les armures de fer ou d’airain. Mais, si on se couvre d’une écorce épaisse, les becs des stymphalides restent pris dans cette écorce, comme les petits oiseaux sur la glu. Ils ont la taille des grues et la forme des ibis; seulement leur bec n’est pas recourbé, mais beaucoup plus fort. Je ne sais pas s’il y a eu jamais en Arcadie ces mêmes oiseaux qui existent de mon temps en Arabie, s’ils ont la même apparence, et si la race des stymphalides se perpétue comme celle des aigles et des éperviers. Mais je les crois indigènes de l’Arabie, d’où une bande aura été jadis auprès du Stymphale, dont elles auront reçu le nom. Sans doute ce n’est pas celui qu’elles portaient en Arabie; mais c’est la gloire d’Hercule et l’honneur de la Grèce d’avoir transmis et perpétué cette dénomination actuelle de stymphalides chez les Barbares et chez les Arabes du désert. » A cette description de Pausanias, embellie de certains traits fournis apparemment par des voyageurs effrayés, ne serait-on pas tenté de reconnaître l’autruche, plutôt que la grue? (15) OEnoé. —OEnoé doit être le même personnage qu’OEnanthe, bourgeon de vigne, que nous avons déjà vu parmi les Bassarides du quatorzième livre; et je dis à ce propos que οἴναρα, en grec, signifie les feuilles de la vigne; οἰνάς; ou οἴνη, la vigne elle-même, et οἰνάτη, le premier bourgeon. Or cette explication grammaticale et viticole ne saurait paraître déplacée ni pédante à la suite d’un poème sur Bacchus. (16) Staphylé. — Staphylé, la grappe, est une Bassaride nouvelle, qui n’a figuré ni dans le dénombrement, ni dans l’épisode de Lycurgue. (17) Les attitudes des Bassarides. — On aura remarqué ces diverses attitudes des Bassarides, toutes prises dans la signification de leurs noms. Calicé, la coupe, toujours debout près de Bacchus qui guérit sa blessure en y versant du vin; Rhodé, la rose, dont le fer a blessé la tige, et qui perd son enveloppe, etc.; voilà la recherche spirituelle et l’affectation de l’école littéraire d’Alexandrie: l’image est gracieuse au premier abord, et plaît un moment; mais, généralisée et trop longtemps suivie, elle finit par lasser. Et que dire de cette Trygie, la Vendange, que Boitet nous dépeint ainsi? « Trygie demeura derrière les régiments des Indiens (premier contresens), et n’osa pas se présenter au combat; car, outre sa vieillesse, elle estoit grandement couarde : les silènes la laissèrent au camp, où elle s’efforça de débaucher Maran à l’ivrognerie (deuxième contresens). Mais il ne voulut pas priver l’armée de la présence de sa personne (il n’y a rien de cela dans le texte grec). Les satyres avaient souvente fois supplié les dieux que ceste vieille fust tuée en quelque occasion, d’autant qu’elle apportait de la confusion. » Je le demande, est-ce là traduire? Encadrer une longue série de bévues dans un style trivial ou burlesque, est-ce donc reproduire un poète qui pèche bien plutôt, comme son siècle, par l’enflure et par l’affectation de la dignité? (18) Myrto. — Myrto n’est Bassaride que pour guérir de sa blessure par l’effet du myrte, son homonyme, et donner ainsi au poète le prétexte d’un jeu de mots. Ailleurs, Myrto est une Amazone, mère du cocher d’OEnomaos, Myrtile, ou une des femmes d’Hercule. Toujours est-il qu’elle a laissé son nom à la mer que j’ai traversée dans une frêle barque pour aborder au cap Sunium, sans frémir, quoi qu’en ait dit le peureux Horace: Myrtoum pavidus nauta secet mare. (Ode I, v. 14) (19) Nysé. — C’est Nysa, la nourrice de Bacchus par excellence, qui lui donne, avec son lait, la moitié de son nom; et si Nonnos couvre ici les joues de Nysa du plâtre des initiations, c’est sans doute une allusion au rôle qu’elle jouait en Égypte dans la fête Dionysiaque, instituée par Ptolémée Philadelphe. Athénée nous en fait une splendide description: « La statue de Nysa, dit-il, était vêtue d’une tunique jaune brochée d’or, et d’un manteau de Laconie : elle se levait artificiellement, sans être mue par personne; elle versait le lait d’une coupe, puis se rasseyait. Elle avait dans sa main gauche un thyrse enroulé de bandelettes, et sa tête, à l’ombre d’un feuillage touffu, était chargée de lierre et de raisins. » (Athénée, liv. V, § 6.) (20) La divinité lydienne. — Cette divinité de Lydie et de Phrygie à la fois, c’est Cybèle, Estia, la déesse du feu, Vesta à Rome. La flamme qui voltige sur la tête de la Bacchante emportée par son délire dans les rangs ennemis, rappelle les beaux vers de Virgile: Ecce levis summo de vertice visus Iuli Fundere lumen apex. (En., l. II, v. 683.) Et peut-être ce dernier prodige introduit dans les murs fumants de Troie la Phrygienne quand elle succombe, est-il un dernier souvenir du culte de la mère des dieux, protectrice de la Phrygie et de la Libye tout ensemble? (21) Les chaleurs du Midi. — Ces ardentes chaleurs des climats méridionaux ont inspiré le poète évêque, disciple de Nonnos, et l’on croirait retrouver quelque chose de ses hymnes enthousiastes dans cette confidence d’une de ses lettres familières: « Ah! qu’il est doux de vivre et de respirer à l’ombre des forêts! — (Synésius, il ne faut pas l’oublier, avait à supporter dans sa patrie le soleil de l’Afrique). Si un arbre nous déplaît, de passer à l’autre, et d’aller ainsi d’ombrage en ombrage! Qu’il est doux de descendre au bord du ruisseau qui les arrose! Quel charmant zéphyre agite insensiblement le feuillage! Quelle variété dans le chant des oiseaux, dans les nuances des fleurs, dans les plantes de la prairie! Tout embaume: et c’est autant le don de l’art de cultiver que le bienfait de la nature. (Synésius, Epit. 114.) Je reviens, à propos de cet épisode du sommeil de Mars, sur les procédés poétiques de Nonnos, car ils s’y sont manifestés d’une façon toute spéciale. Le Panopolitain a élaboré le rythme de ses vers avec un tel art qu’il a constamment évité de les terminer par la lettre nu, l’n final, comme s’il avait trouvé dans cette désinence sourde quelque chose de contraire à l’harmonie. Ses successeurs et ses disciples, moins réservés, prirent le soin minutieux, quand ils admirent la lettre nu au bout d’un hexamètre, de commencer par une voyelle l’hexamètre suivant, comme on peut le voir chez Musée, Christodore, Tryphiodore et Coluthus. Or la connaissance que je crois avoir acquise de la sévérité de Nonnos envers le mètre et la forme m’a soutenu dans mes attaques réitérées contre les hiatus et les autres imperfections du texte. (22) Le sommeil de Mars. — On reconnaît ici l’apostrophe de Pallas à Mars dans le cinquième livre de l’Iliade; paroles courtes et énergiques, comme il convient à deux guerriers dans le feu de l’action. Louis Racine les a traduites dans ses Réflexions sur la poésie. Les voici sous une interprétation plus récente O fléau des humains, Mars, ô terrible Mars! Monstre abreuvé de sang! destructeur des remparts! Ne laisserons-nous point et Pergame et Mycène D’un mutuel carnage ensanglanter l’arène? Que le seul Jupiter décide des combats! Cédons, retirons-nous, et ne l’offensons pas. (Bignan.) Dans les Dionysiaques, Hespéros, qui réveille Mars par les ordres de Rhéa, est moins laconique; s’il alarme si longuement la jalousie du dieu de la guerre, c’est qu’en sa qualité d’astre du soir, il a longtemps protégé ses amours.
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