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BION ET MOSCHUS,

TRADUITS PAR J. F. GRÉGOIRE ET F.-Z. COLLOMBET.

introduction Idylles de Bion Idylles de Moschus

 

 


 

IDYLLES DE MOSCHUS

I.

L'AMOUR FUGITIF.

Cypris appelait à haute voix l'Amour son fils. "(1) Si quelqu'un a vu l'Amour errer dans les chemins, ce fugitif m'appartient. Celui qui m'en donnera des nouvelles recevra une récompense. Pour prix, vous obtiendrez un baiser de Vénus, et si vous le ramenez, vous n'aurez pas seulement un simple baiser, mais quelque chose de plus. Cet enfant est reconnaissable à plusieurs traits ; vous le distingueriez entre vingt autres. Sa peau n'est pas blanche, elle ressemble au feu. Il a les yeux vifs et étincelants, l'esprit malin, le parler doux ; ce qu'il pense ne ressemble pas à ce qu'il dit. Sa voix a la douceur du miel. Se met-il en colère, il devient cruel et fourbe, ne disant rien de vrai. Cet enfant trompeur est cruel dans ses jeux. Sa tête est ornée d'une belle chevelure, mais l'impudence siège sur son front. Ses mains sont petites, mais elles lancent des traits au loin, des traits qui pénètrent jusqu'à l'Achéron et atteignent le roi des enfers. Son corps est nu, mais son âme est impénétrable. Ailé comme un oiseau, il voltige tantôt d'un côté, tantôt d'un autre vers les hommes et les femmes, et il se fixe au fond du cœur. Il porte un petit arc, et sur cet arc est posé une flèche qui, malgré sa petitesse, monte jusque dans les cieux ; à ses épaules est suspendu un petit carquois d'or rempli de flèches acérées dont souvent il me blesse moi-même. Tout ce qui lui appartient, tout en lui est redoutable ; mais bien ne l'est plus que son petit flambeau qui brûle même le soleil. Si vous parvenez le saisir, liez-le et amenez-le moi sans avoir pour lui la moindre pitié. Et si parfois vous le voyez pleurer, prenez garde qu'il ne vous trompe. S'il rit, resserrez ses liens ; s'il veut vous embrasser, fuyez : son baiser est dangereux, ses lèvres sont empoisonnées. Et s'il dit : "Prenez toutes ces armes, je vous les donne," n'y touchez pas : ce sont des présents perfides, car toutes ses armes sont trempées dans le feu."

 

II.

EUROPE (2).

Un jour Cypris envoya un songe flatteur à Europe ; c'était la troisième partie de la nuit, aux approches de l'aurore, quand un sommeil plus doux que le miel s'appesantit sur tes paupières, délasse les membres fatigués, enchaîne les yeux par un doux lien et que la foule des songes véridiques vient repaître l'esprit. Alors Europe (3), fille de Phénix et vierge encore, dormait dans la partie la plus élevée du palais. Elle crut voir en songe deux parties du monde se combattre à son sujet : c'était l'Asie et la terre située vis-à-vis. Elles avaient la forme de la femme ; l'une paraissait étrangère, l'autre semblait être indigène et réclamait Europe comme sa fille, disant qu'elle l'avait enfantée, qu'elle l'avait élevée soigneusement. Celle-là entraînait avec ses bras vigoureux la jeune princesse, qui ne faisait aucune résistance ; elle disait que les destins et Jupiter OEgiocbus lui avaient promis Europe. La jeune vierge s'élance de sa couche superbe, toute tremblante de crainte et le cœur ému. Ce songe lui parait véritable ; elle reste longtemps assise et en silence, car elle a encore ces deux femmes devant, les yeux. A la fin, elle élève la voix et dit : "Quel est celui des dieux qui m'a envoyé cette apparition ?  Au milieu des douceurs du sommeil, quels songes viennent de troubler mes esprits ? Quelle est cette étrangère que j'ai vue pendant que je dormais ? Combien était vif l'amour que mon cœur a éprouvé pour elle ! avec quelle tendresse elle m'a accueillie ! avec quelle bienveillance elle me regardait comme sa propre fille ! Puissent les immortels me rendre ce songe favorable !"
Après avoir ainsi parlé, elle se lève ; elle va chercher ses douces compagnes, jeunes comme elle, chères à son cœur et de noble origine ; ses compagnes, qui partageaient constamment ses jeux, soit qu'elle formât des danses légères, soit qu'elle baignât son beau corps dans les eaux da l'Anaurus, soit qu'au milieu des prés elle cueillit des lis odorants. Soudain elles apparaissent à sa voix, chacune tient en sa main une corbeille pour y déposer des fleurs ; elles vont dans les prés, sur les bords de la mer, ou elles se réunissaient d'ordinaire, invitées par la beauté des roses et par le bruit des flots. Quant à Europe, elle portait une corbeille d'or, admirable et merveilleux ouvrage de Vulcain : ce dieu en avait fait présent à Lybie (4) lorsqu'elle partagea la couche de Neptune. Lybie la céda ensuite à la belle Théléphaersa, qui était issue de son sang. Théléphaersa légua ce don précieux à la jeune Europe sa fille. Travaillé avec un art infini, l'or présentait plusieurs objets brillants. Io (5), fille d'Inachus, y était gravée sous la forme d'une génisse et ne conservait plus rien des traits de la femme. D'un pied rapide elle fendait les ondes salées et paraissait nager, les flots de la mer étaient d'un sombre azur. Deux hommes étaient là sur la rive escarpée et contemplaient cette génisse traversant les flots. Là aussi était Jupiter, qui de sa main divine la caressait doucement et la transformait en femme sur le rivage du Nil aux sept bouches. Les eaux du fleuve étaient figurées en argent, la génisse en airain et Jupiter en or. Le dehors de la corbeille présentait Mercure ; prés de lui était étendu Argus (6) aux yeux toujours ouverts : de son sang pourpré naissait un oiseau tout glorieux de ses couleurs variées et brillantes ; les plumes de sa queue, pompeusement déployées, ressemblaient aux voiles d'un vaisseau léger et couvraient le bord extérieur de la riche corbeille donnée à Europe.
Dés que les jeunes suivantes furent arrivées dans les prairies émaillées, elles se mirent à folâtrer chacune avec les fleurs qui lui plaisaient le plus. Celle-ci cueille le narcisse odorant, celle-là l'hyacinthe, l'autre la violette, une autre le serpolet, et la terre est jonchée des dépouilles éclatantes des prairies. Plusieurs se livrent de doux combats pour couper la chevelure parfumée du souci doré. Europe, environnée de ses compagnes, cueillait la rose vermeille et semblait Vénus au milieu des Grâces. Elle ne devait pas toutefois s'amuser longtemps encore à cueillir des fleurs ni conserver intacte la ceinture virginale, car à peine Jupiter l'eut-il aperçue que son cœur fut soudain blessé et vaincu par les traits rapides de Vénus, qui seule peut dompter le maître des dieux lui-même. Et en effet, voulant éviter la colère de la jalouse Junon et surprendre le jeune cœur de la belle Europe, il voila le dieu, changea de forme et se transforma en taureau. Il n'était point semblable au taureau que l'on nourrit dans les étables, ou qui trace un sillon en traînant la charrue recourbée, ou qui paît dans les prairies, ou qui, sous le joug, trame péniblement un lourd chariot : tout son corps était d'un jaune rembruni, un cercle argenté brillait au milieu de son front ; ses yeux, d'un bleu naissant, étincelaient de désir ; deux cornes également recourbées s'élevaient sur sa tète et formaient un croissant pareil à celui de la lune. Ainsi transformé, Jupiter se rendit dans la prairie, et sa présence n'effraya pas les vierges timides ; toutes voulaient s'approcher et toucher cet aimable taureau ; la divine odeur qu'il exhalait au loin surpassait même les plus doux parfums de la prairie. II s'arrête devant la chaste Europe, lui lèche le cou et lui prodigue ses caresses. Elle de son côté le flattait, puis avec ses mains délicates essuyait l'écume de son mufle et lui donnait quelques baisers. Il mugit alors doucement : vous eussiez cru entendre les sons harmonieux d'une flûte mygdonienne ; fléchissant ensuite les genoux devant Europe, il la regardait en repliant sa tête et lui offrait son large dos. La princesse dit à ses jeunes compagnes, dont les cheveux flottaient en longues tresses : "Approchez, mes chères compagnes, asseyons-nous et folâtrons sur ce taureau, car ainsi couché il nous recevra toutes ensemble comme un navire. Il est d'un aspect doux et agréable, et ne ressemble en rien aux autres taureaux ; il est animé, aussi bien que l'homme, d'un esprit raisonnable, il ne lui manque que la parole." A ces mots, elle s'assied sur lui en riant. Ses compagnes se disposaient à l'imiter ; mais le taureau s'élance, emporte l'objet de ses désirs et arrive bientôt vers la mer. Europe se tournant vers ses chères compagnes, les appelle et leur tend les bras, mais elles ne peuvent l'atteindre. Lui, il se précipite dans la mer, s'éloigne avec la rapidité d'un dauphin et marche d'un pied sec sur les vastes flots. A son approche la mer devient calme, et tout autour les baleines bondissent devant le maître des dieux. Le dauphin, joyeux, plonge dans les profondeurs des vagues ; toutes les Néréides sortent de leurs grottes, et assises sur le dos des monstres marins, elles défilent en ordre. Neptune lui-même si bruyant sur les mers, aplanit les flots et guide son frère dans sa course à travers les plaines de l'Océan. Autour de lui se rassemblent les Tritons, habitants des vastes abîmes, qui, avec leurs conques recourbées, font au loin retentir le chant nuptial. Europe, assise sur le divin taureau, se tient d'une main à l'une de ses cornes majestueuses, de l'autre abaisse les plis ondoyants de sa robe de pourpre, en sorte que l'extrémité en est mouillée par l'onde blanchissante. Son large voile, enflé par les vents, se gonfle sur ses épaules comme une voile de navire et soulève doucement la jeune vierge. Elle était éloignée déjà des bords de la patrie ; les rivages battus des flots, les hautes montagnes eurent bientôt entièrement disparu ; elle ne découvrait en haut que l'immensité des cieux, en bas que l'immensité des mers ; promenant alors ses regards à l'entour, elle laisse échapper ces mots : "Où me portes-tu, divin taureau ? qui es-tu ? comment peux-tu fendre les flots avec tes pieds pesants et ne pas craindre la mer ? Les navires voguent légèrement sur l'onde ; mais-les taureaux craignent de s'exposer sur la plaine liquide. Quelle douce boisson, quelle nourriture peux-tu trouver ici ? serais-tu quelque divinité ? Mais alors pourquoi fais-tu des choses messéantes à un dieu ? Les dauphins ne marchent pas sur la terre, ni les taureaux sur les ondes ; toi, tu cours également sur la terre et sur les flots ; tes pieds te servent de rames. Peut-être si tu t'élevais dans l'air azuré, planerais-tu comme un oiseau léger ? Hélas ! infortunée que je suis ! j'ai abandonné le palais de mon père, j'ai suivi ce taureau, et par une étrange navigation, j'erre seule à travers les ondes. Mais, ô Neptune ! toi qui règnes sur les flots blanchissants, deviens-moi favorable ; j'espère connaître enfin celui qui dirige ma course, car ce n'est point sans le secours d'une divinité que je traverse ainsi ces routes humides."
Elle dit. Le taureau majestueux lui répond en ces termes : "Courage, jeune vierge, ne redoute pas les flots de la mer. Je suis Jupiter lui-même, bien que je semble être un taureau ; je puis prendre toutes les formes que je veux : l'amour dont je brûle pour toi m'a seul engagé à parcourir une aussi vaste étendue de mer sous une telle apparence. Crête bientôt va t'accueillir, elle qui éleva mon enfance ; nous y célébrerons ton hyménée  : tu auras de moi des fils fameux qui tous régneront sur les peuples."
Il achève, et tout se fait ainsi qu'il a dit. L'île de Crète apparaît déjà, et Jupiter a repris sa forme première ; il délie la ceinture de la chaste Europe, et les Heures préparent son lit nuptial. La jeune vierge, devenue épouse de Jupiter, lui donna des enfants et connut la maternité.

III.

ÉPITAPHE DE BION (7).

Soupirez tristement avec moi, sombres vallons, flots doriens ; et vous, fleuves, pleurez l'aimable Dion. Pleurez avec moi, plantes, et vous, bois épais ; vous, fleurs, expirez sur vos tiges languissantes. Maintenant, ô roses ! ô anémones ! parez-vous d'un rouge plus sombre. Maintenant, hyacinthe, murmure tes tristes lettres, et plus que jamais imprime sur tes feuilles: "Hélas ! hélas ! (8)" Un doux chantre est mort.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Rossignols, qui pleurez sous l'épais feuillage, annoncez aux ondes de la sicilienne Aréthuse (9) que le pasteur Dion n'est plus, qu'avec lui ont péri les chants mélodieux et la Muse dorienne.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Cygnes du Strymon (10), gémissez lamentablement sur vos ondes, et, d'une voix plaintive, chantez un air lugubre pareil ceux où Dion luttait d'harmonie avec vous. Dites aux filles d'OEagre (11), dites à toutes les Nymphes de la Thrace (12) : " L'Orphée dorien n'est plus !"
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Ce berger, cher aux troupeaux, ne chante plus assis sous ces chênes solitaires, mais, chez Pluton, il entonne un air funèbre. Nos coteaux sont muets, nos génisses errent en mugissant près des taureaux et refusent de paître.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Phébus lui-même, ô Bion ! a versé des larmes sur ta mort prématurées ; les Satyres en pleurs, les Pryapes (13) en deuil, les Faunes désolés regrettent tes doux chants ; les Nymphes des fontaines gémissent dans les bois, et leurs eaux se changent en larmes. Écho soupire au milieu des rochers : condamnée au silence, elle n'imitera plus les accents de ta voix mélodieuse. A ta mort, les arbres se sont dépouillés de leurs fruits, et toutes les fleurs se sont fanées. Nos brebis ne donnent plus de lait, nos ruches plus de nectar ; le miel a péri de douleur dans la cire ; aussi, puisque ton doux miel est perdu pour nous, qu'est-il besoin d'en recueillir un autre ?
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Le dauphin ne pleura jamais tant sur les rives de la mer ; jamais le rossignol ne soupira tant sur un arbre isolé ; jamais l'hirondelle ne gémit autant sur les hautes montagnes ; jamais Céyx, pleurant Alcyon, ne fut plus abattue par la douleur.
Commencez le chant funèbre, commencez Muses siciliennes.
Jamais Cerylus (14) ne chanta si languissamment sur les flots azurés ; jamais dans les vallées orientales, l'oiseau de Memnon volant autour de la tombe du fils de l'Aurore (15) ne gémit autant que l'on a gémi sur le trépas de Bion.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Les rossignols et toutes les hirondelles, qu'il charmait autrefois et dont il façonnait le ramage, perchés sur des branches d'arbres, confondent leurs gémissements que répètent les autres oiseaux. Vous aussi, colombes, manifestez votre deuil.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Et qui fera jamais résonner ta flûte, aimable berger ? qui donc approchera sa bouche de tes chalumeaux ? qui donc sera si téméraires ? car ils respirent encore tes lèvres et ton haleine. Écho même, sur ces chalumeaux, recueille avidement tes derniers sons (16). Je l'offre au dieu Pan, ta flûte harmonieuse ; peut-être n'osera-t-il en approcher ses lèvres, dans la crainte de ne mériter que le second prix après toi.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Galatée aussi regrette ces doux chants qui la charmaient jadis, assise auprès de toi sur le rivage de la mer, car tu chantais autrement que Polyphème. Lui, la belle Galatée le fuyait ; mais toi, elle te regardait avec plus de plaisir que le cristal des eaux. Et maintenant, oublieuse des ondes, elle s'assied sur les sables déserts et garde encore les troupeaux.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Avec toi, ô berger ! ont péri tous les présents des Muses, les amoureux baisers des vierges (17), et les lèvres des jeunes hommes. Les Amours éplorés se désolent autour de ta tombe. Vénus t'aime beaucoup plus encore que ce tendre baiser qu'elle donnait naguère au mourant Adonis (18). Voici pour toi, ô le plus harmonieux des fleuves ! un nouveau sujet de douleur ; pour toi, ô Mélès (19) ! encore un nouveau deuil. Autrefois tu perdis Homère, cette bouche des Muses ; tu pleuras, dit-on, de tes eaux gémissantes cet illustre fils, et la mer fut remplie de tes plaintes. Tu pleures maintenant un autre Fils, et tu te consumes en de noirs chagrins. Tous deux étaient chers aux fontaines ; l'un s'abreuvait aux sources de Pégare, l'autre puisait dans l'Aréthuse. Le premier célébra la noble fille de Tyndare, et l'illustre fils de Thétis, et l'atride Ménélas ; le second ne célébrait ni les combats, ni les larmes, mais Pan, mais les bergers ; il chantait en faisant paître ses troupeaux ; il faisait des pipeaux rustiques, trayait une douce génisse, vantait aux enfants le charme des baisers, nourrissait l'amour dans son sein, et plaisait à Vénus.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Toutes les villes célèbres, toutes les villes fameuses, ô Bion ! plaignent ta destinée. Ascra te pleure bien plus qu'elle n'a pleuré son Hésiode ; Hila de Béotie regrette moins son Pindare ; la puissante Lesbos déplora moins son Alcée ; la ville de Céos a répandu moins de larmes sur son poète ; le trépas d'Archiloque a moins attristé Paros ; Mitylène, oubliant Sappho, ne pleure que ta Muse. Tous ceux qui ont reçu des Muses le talent harmonieux des poésies bucoliques déplorent ton trépas. Sicélide, ornement de Samos, est dans le deuil ; Lycidas, dont l'aimable sourire inspirait la gaîté aux Lydoniens, fond maintenant en larmes ; Philétas, chez les Triopides, gémit sur les bords de l'Alente ; Théocrite s'afflige à Syracuse. Je retrace la douleur des Ausoniens, moi qui ne suis point étranger aux chants bucoliques que tu enseignas à tes chers nourrissons, héritiers de la Muse dorienne. Réservant les honneurs pour nous, à d'autres tu laissas tes richesses, à moi tu as légué le chant.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Hélas ! hélas ! quand les mauves, quand l'ache verdoyante ou l'anet fleuri et crépu ont péri dans nos jardins, ces plantes revivent ensuite, et renaissent une autre année ; mais nous, que nous soyons grands, vaillants ou sages, une fois morts, nous dormons oubliés dans le sein de la terre, un sommeil long, sans terme et qui n'a pas de réveil. Et toi aussi, enveloppé du silence, tu seras dans la tombe, tandis qu'il plaît aux Muses que la grenouille chante toujours ; certes, je ne lui porte pas envie, car ses chants n'ont rien d'harmonieux.
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Le poison est venu à ta bouche, ô Bion ! il a coulé dans tes veines. Comment a-t-il pu s'approcher de tes lèvres, et ne s'adoucir pas ? Quel homme assez féroce osa t'apprêter ce breuvage ou te le présenter pendant que tu parlais ? Il a donc pu échapper au charme de ta voix ?
Commencez le chant funèbre, commencez, Muses siciliennes.
Mais tes ennemis ont reçu tous le juste châtiment de leur crime ; moi, dans ce deuil funeste, je pleure et gémis sur ta cruelle destinée. Encore, si je pouvais, tel qu'Orphée autrefois, tel qu'Ulysse, tel qu'Alcide, descendre au Tartare, j'irais au palais de Pluton, pour voir si tu chantes chez les morts, et pour entendre ce que tu chantes. Chante du moins auprès de Proserpine quelque air sicilien, quelque doux poème bucolique. Sicilienne elle-même, elle a folâtré dans les vallons de l'Etna ; elle n'a point oublié les airs doriens. Tes vers ne resteront pas sans récompense ; et, comme autrefois elle rendit Eurydice aux doux accords d'Orphée, elle te rendra de même, cher Bion, aux coteaux de Sicile. Si mes chants, à moi, avaient quelque pouvoir, j'irais, oui j'irais chanter chez Pluton.

IV. 

MÉGARE, FEMME D'HERCULE. (20)

"Ma mère, pourquoi ton cœur affligé se consume-t-il en longs soupirs ? Les roses de tes joues sont effacées. Pourquoi t'abandonner si fort à la douleur ? Est-ce parce que ton illustre fils endure des maux innombrables sous un lâche, comme un lion sous un daim timide ? Hélas ! pourquoi les dieux immortels m'ont-ils couverte ainsi d'ignominie ? pourquoi mes parents m'ont-ils donné le jour sous un astre aussi funeste ? Épouse infortunée ! j'ai partagé la couche d'un héros accompli ; je l'aimais comme mes yeux (21), je l'honore et le respecte encore du fond de l'âme. Nul mortel ne fut plus malheureux que lui, et n'éprouva autant de peines, autant de maux. Le barbare, avec l'arc dont Phébus lui avait fait présent, et avec les traits cruels ou d'une Parque ou d'Érinnys, a tué ses enfants, a tranché leurs jours si chers. Furieux, il se baigne dans leur sang au milieu de son palais. Mère infortunée, j'ai vu de mes yeux ces enfants percés par la main de leur père, spectacle que l'on ne vit jamais ! pas même en songe. Malgré leurs cris touchants et réitérés, je n'ai pu secourir mes fils, ces malheureuses victimes d'une mort inévitable (22). Tel gémit un oiseau sur la perte de ses petits nouvellement éclos, qu'un serpent furieux dévore au milieu d'un épais buisson : cette mère inconsolable voltige autour de leur nid, en poussant des cris aigus et douloureux ; mais elle ne peut les secourir, car elle craint d'approcher du monstre cruel. Telle, mère infortunée, déplorant la mort de mes enfants, je courais d'un pas furieux et égaré dans le palais. Que n'ai-je été moi-même étendue mourant avec mes enfants, le cœur frappé d'une flèche empoisonnée, ô Diane, puissante reine des faibles femmes ! Alors, après nous avoir pleurés, nos parents, de leurs mains amies nous couvrant à l'envi d'offrandes funéraires, nous auraient placés sur un bûcher commun ; après avoir recueilli nos cendres dans la même urne d'or, ils les auraient inhumées en ces lieux qui nous ont vu naître. Maintenant, ils habitent Thèbes fertile en coursiers, cultivant la féconde glèbe des champs aoniens. Et moi, dans l'aride Tirynthe cité de Junon, le cœur déchiré par de vastes douleurs, malheureuse, je ne cesse de gémir et de verser des pleurs. Mes yeux voient rarement mon époux au milieu de ce palais, car il est de nombreux travaux qui le retiennent errant sur terre et sur mer, et son cœur de roche ou de bronze, affronte tous les dangers. Pour toi, pleurant la nuit et le jour, tu t'épuises comme l'eau répandue. Aucun de mes proches n'est là pour réjouir ma tristesse, car, éloignés des murs de ce palais, ils habitent tous au delà de l'Isthme fertile en pins ; je n'ai personne vers qui tourner mes yeux, femme infortunée, pour reposer mon faible cœur. J'aurais ma sœur Pyrrha, mais elle est elle-même accablée d'amertume, à cause d'Iphicle, ton fils, car tes enfants, qu'ils soient d'un mortel ou d'un dieu, sont les enfants les plus infortunés, ce me semble."
Ainsi parla Mégare ; de brûlantes larmes inondant son visage coulèrent de ses yeux sur son beau sein, au souvenir de ses fils et de ses parents. Alcmène arrosait aussi de pleurs ses joues d'albâtre (23). Elle pousse alors du fond de son cœur un long soupir, et adresse à Mégare ces sages paroles : "Mère infortunée, pourquoi ce triste souvenir s'offre-t-il à ton esprit ? pourquoi veux-tu nous émouvoir encore l'une et l'autre en redisant les affreux malheurs que nous ne pleurons pas aujourd'hui pour la première fois ? Ne nous suffit-il pas des maux qui nous surviennent chaque jour ? Certes il faudrait être bien ami de la douleur pour les calculer tous. Prends courage, n'est-ce pas un dieu qui nous soumet à un pareil destin ? car je vois, ma chère fille, que tu es comme moi victime d'une douleur profonde ; mais je te pardonne ton affliction, parce qu'on se rassasie même de joie. J'ai grandement pitié de ton état et je pleure de te voir partager les destins qui menacent nos têtes. J'en atteste Proserpine et la chaste Cérès (puissent les parjures être cruellement punis par ces déesses !) tu n'es pas moins chère à mon cœur que si je t'avais portée dans mon sein et que si tu étais dans ce palais mon unique fille : je ne pense pas que tu ignores mes sentiments. Ne m'accuse donc pas, ô mon sang ! de te négliger, parce que mes larmes sont plus abondantes que celles de Niobé à la belle chevelure. On ne peut blâmer une mère qui pleure un fils malheureux. Avant de le voir j'ai souffert dix mois en le portant dans mon sein : il m'a conduit presque aux portes redoutables de Pluton, si fortes ont été les douleurs que j'ai souffertes pour le mettre au jour. Maintenant, loin de moi, sur une terre étrangère, il affronte de nouveaux dangers, et j'ignore, infortunée ! si je le reverrai dans ces lieux vainqueur ou non. De plus, un songe plein d'horreur m'a effrayée pendant mon sommeil paisible ; je tremble que cette vision funeste ne menace mes enfants de quelque grand malheur : j'ai vu mon fils Hercule tenant des deux mains une bêche avec laquelle, comme un vil mercenaire il creusait, nu, sans manteau, sans tunique, un large fossé à l'extrémité d'une plaine verdoyante, pour servir de rempart à une vigne. Tout l'ouvrage une fois achevé, il plante la bêche dans l'endroit le plus haut et va reprendre ses vêtements. Mais tout à coup sur ce fossé profond brille un feu inextinguible, qui déroule ses tourbillons autour d'Hercule. Lui d'un pas précipité fuyait, voulant éviter celle flamme rapide, agitait sa bêche devant lui comme un bouclier et promenait de tous cotés ses regards pour se garantir de ces feux ennemis. J'ai cru voir le généreux Iphicle, jaloux de le secourir, glisser et tomber par terre avant d'arriver à lui ; sans pouvoir se relever, il restait immobile comme un faible vieillard que le poids importun des années a fait tomber, et qui s'agite vainement sur le sol jusqu'à ce qu'un passant, ému de pitié à la vue de ses blancs cheveux, lui tende la main. Tel gisait le belliqueux Iphicle. Et moi, voyant mes fils sans défense, je pleurais, jusqu'à ce qu'enfin le sommeil a fui mes paupières, et soudain la brillante aurore a paru. Voilà, ma chère, quel songe m'a troublée toute la nuit ; que les dieux, détournant ces malheurs de notre famille, les fassent retomber sur Eurystée. Puisse mon esprit pénétrer l'avenir et mes prédictions s'accorder avec le destin !"

IV.

Lorsque les Zéphirs souillent légèrement sur la mer azurée, mon esprit, tout timide qu'il est, se laisse tenter, la terre me déplaît, et le calme des flots a bien plus d'attraits pour moi ; mais quand mugit l'onde blanchissante, quand le dos de la mer se couvre d'écume, quand les vagues mutinées se remuent, je porte mes regards vers la terre et vers les arbres et je m'éloigne de la mer. Alors la terre me semble un séjour plus sûr, les forêts épaisses m'enchantent, car les vents y font résonner les pins élevés. Le pêcheur mène assurément une vie pénible, sa maison c'est une frêle barque, son travail est sur mer, le poisson n'est souvent pour lui qu'une proie trompeuse. Quant à moi, je goûte les douceurs du sommeil sous un platane touffu, et j'aime une fontaine voisine dont le murmure flatte l'oreille sans l'effrayer.  

 

Autre traduction

Texte numérisé par Marc Szwajcer


La mer bleue, que ride une brise légère, sollicite mon âme craintive : alors la terre cesse de me plaire, et le calme m’invite à naviguer. Mais quand retentit l’abyme blanchissant, quand l’onde amère se courbe en écumant, et que les grandes vagues entrent en fureur, je tourne mes regards vers la terre et les arbres, et je fuis la mer, et la terre me sourit, et j’aime la forêt épaisse, lors même que les pins gémissent sous les coups répétés du vent. Ah! la triste vie que mène le pêcheur ! un navire est la maison qu’il habite; la mer, le champ qu’il sillonne; le poisson, la proie fugitive qu’il poursuit. Pour moi, puissé-je goûter le doux sommeil sous le platane au feuillage épais, et entendre le murmure flatteur de la source prochaine, dont le bruit charme l’homme des champs et ne le trouble pas!
 

V.

Pan aimait Écho, sa voisine ; Écho brûlait pour un Satyre léger ; le Satyre ne respirait que pour Lyda ; autant Écho aimait Pan, autant le Satyre aimait Lyda et Lyda le Satyre. C'est ainsi que le capricieux Amour les consumait de ses feux. Autant ils haïssaient l'objet qui les aimait, autant, par une juste vengeance, ils étaient odieux à celui qu'ils adoraient. Tels sont les enseignements que je donne aux cœurs insensibles : aimez qui vous aime, afin que si vous aimez jamais, l'on vous paie de retour.

VI. 

Lorsque l'Alphée, au delà de Pise, est entré dans la mer, il se dirige vers Aréthuse, roulant ses ondes couvertes de branches d'olivier, et pour dons nuptiaux lui porte de belles feuilles, des fleurs et de la poussière sacrée. Il traverse rapidement les flots profonds et roule sous la vaste mer sans y mêler son onde : la mer ne le sent pas passer. Cet enfant redoutable, fécond en malices, savant en astuce, Cupidon, par ses enchantements, a pu même instruire un fleuve à plonger.

ÉPIGRAMME.

L'AMOUR LABOUREUR.

Déposant son flambeau et son arc, le cruel Amour s'arme d'un aiguillon redoutable aux bœufs et charge son dos de tout l'attirail d'un laboureur. Il met ensuite sous le joug des taureaux patients à l'ouvrage, trace des sillons et y sème le grain fécond de Cérès. Puis, levant les yeux vers le ciel, il parle en ces termes à Jupiter : "Fertilise ces champs, de peur que je ne te soumette au joug, taureau d'Europe."

FIN DE MOSCHUS.

NOTES SUR LES IDYLLES DE MOSCHUS.

IDYLLE I.

(1) Les anciens faisaient chercher de cette manière ce qu'on leur avait dérobé. Un crieur public déclarait ce qui avait été perdu et promettait un prix à celui qui en donnerait des nouvelles ou qui le rendrait ; il entrait même dans les maisons pour y fouiller, et de peur qu'on ne pût le soupçonner d'y porter la chose volée, dans le dessein de nuire à ceux chez qui il entrait, ce crieur public était nu, autant que la bienséance et la pudeur le pouvaient permettre. Il portait aussi une espèce de bassin dont il se servait, à ce qu'on prétend, pour se boucher les yeux lorsqu'il entrait dans cette partie de la maison que les femmes habitaient, eis to gunaikeion. D'autres veulent que ce bassin lui servit à mettre la récompense promise à celui qui découvrait où était la chose perdue, et ce dernier sentiment est appuyé du passage de Pétrone (Satyr. 97), où cette coutume des anciens est marquée tout au long : "Intrat stabulum praeco cum servo publico, aliaque sane modica frequentia, facemque fumosam magis quam lucidam quassans, haec proclamavit : puer in balneo paulo ante aberravit, annorum circa 16, crispus, mollis, formosus, nomine Giton ; si quis cum reddere, aut communitrare voluerit, accipiet nummos mille. Nec longe a praecone Ascyltos stabat amictus discolaria veste, atque in lame argentea indicium et fidem proferebat."
Apulée, dans le 6e livre de ses Milésiaques, a marqué la même coutume d'une manière qui a assez de rapport à celle dont Moschus l'a marquée dans cette idylle.
Vous n'aurez pas seulement, etc. Ovide aussi a dit (Amorum, 1, 4) : 
Oscula jam sumet, jam non tantum oscula sumet.
Il existe plusieurs imitations de l'Amour fugitif ; la plus jolie est celle de Méléagre (livre 7 de l'Anthologie) ; on parle encore de l'Amore fugitivo de Tasse : ces imitations et quelques autres se trouvent dans les Observatzioni sopra l'Aminta du savant Ménage, qui a lui-même fait une épigramme à ce sujet.
Ange Politien a traduit l'Amour fugitif en beaux vers latins ; mais il n'est pas vrai, comme le disent quelques acteurs, qu'il ait traduit tout Moschus ; du moins on ne trouve dans ses oeuvres que la version de l'Amour fugitif et celle de l'Amour laboureur. Le père Sanadon (Carminum, p, 197) a traduit aussi cette pièce ; M. Didot l'a rendue en vers français.

IDYLLE II.

(2) Morceau plein de grâces, renfermant des tableaux charmants et qui serait digne des plus beaux siècles de la littérature grecque si l'exposition ou l'introduction n'était trop longue. (Schoell, Hist. de la litt. grecque prof., tome 3, p. 176.)

(3) Les anciens avaient différentes manières de diviser la terre : l'une de ces divisions n'établissait que deux parties du globe, la septentrionale et la méridionale ; celle-ci fut appelée Asie, du nom d'une nymphe, fille de l'Océan et de Thétis. On voit dans cette idylle d'où vient le nom d'Europe donné à la partie septentrionale.

(4) Lybie, fille d'Épaphus et de Calliopée. Neptune l'aima, elle devint mère d'Agénor et de Bélus et donna son nom à la Lybie.

(5) Io s'était jetée dans la mer afin d'échapper au taon que Junon avait envoyé pour la persécuter ; après avoir erré dans diverses contrées, elle s'arrêta sur les bords du Nil, où Jupiter lui rendit sa première forme.

(6) Argus fut métamorphosé en paon après que Mercure lui eut coupé la tête ; suivant d'autres, Junon prit ses yeux et les répandit sur la queue de cet oiseau consacré à cette déesse.
On peut lire dans Ovide (Métam., 2) le récit de l'enlèvement d'Europe. (Voyez le même sujet grandement traité dans Horace, ode 3, 17.)
Girodet a traduit cette pièce de Moschus en vers français. Scipion Allut l'a traduite en prose dans ses Mélanges.

IDYLLE III.

(7) Le poète nous fait voir la nature entière plongée dans le deuil par la mort de Bion. Ce poème est de la plus grande élégance, mais surchargé d'images ; on peut lui reprocher ce que Valcknaer appelait elegantissimam luxuriem.

(8) Ceci est une fable assez comme ; Ovide l'exprime en deux vers dans ses Métamorphoses, 10, 215 : 
Ipso suos gemitus foliis inscribit, et ai ai 
Hos habet inscriptum, funestaque littera ducta est
.

(9) II n'est pas de fontaine au monde si célèbre que cette fontaine de Sicile, soit pour la beauté, soit pour l'abondance de ses eaux et de ses poissons, auxquels on n'osait toucher et qui étaient sacrés aux hommes, dit Diodore (livre 5) ; mais elle est fameuse surtout par l'amour d'Alphée. Elle est dans la pointe de l'île d'Ortygie, qu'un pont joint à la ville de Syracuse, dit Strabon (livre 6).

(10) Le Strymon, fleuve de Thrace.

(11) Moschus appelle les Muses filles d'OEagre sans doute à cause d'OEagre, qui épousa Calliope, de laquelle il eut Orphée, comme nous l'apprend Apollonius de Rhodes (Argonaut., 1, v. 23) : "Rappelons d'abord Orphée, que jadis Calliope, unie au Thracien OEagre envola, dit-on, près de la grotte Pimpléida."

(12) II y a dans le grec aux nymphes bistoniennes. La Thrace a été nommée Bistonie de Biston, l'un de ses rois, qui donna aussi son nom à une ville et à un marais. Les poètes appellent souvent les Thraces Bistoniens. (Apollonius, Argonaut., 2, v. 706 ; Ovide, Epist. 16, v. 344 ; Ex Ponto, 2, 9, v. 54 ; 4, 5, v. 35 ; Sidon. Apollin., Paneg.)

(13) Je crois cet endroit assez singulier, et il ne me souvient pas d'avoir jamais vu ce mot au pluriel dans les anciens. Priape était un dieu champêtre que les anciens croyaient présider à la garde des jardins ; Il était fils de Bacchus et de Vénus et le principal de ces dieux sans pudeur que révéraient les Gentils ; on l'honorait particulièrement à Lampsaque. Strabon (livre 3) dit qu'il n'a été mis au nombre des dieux que par les modernes. Théocrite, dans sa 1ère idylle, fait venir ce même dieu avec d'autres divinités champêtres pour consoler Daphnis.

(14) Cerylus est le mâle de l'alcyon, suivant quelques auteurs, Suidas entre autres ; c'est un oiseau différent de l'alcyon, suivant Aristote (Hist. animal., 8, 3).

(15) Voyez les Métamorphoses, 13, v. 576-622.

(16) Longepierre traduit ainsi : 
Sur ces doux chalumeaux, Écho, flattant sa peine, 
Recueille avidement les restes de tes chants.
Puis il dit en note : "C'est ainsi que j'entends ces mots en donakessi, non pas comme ont traduit les
interprères, in arundinetis, ce sens que j'ai suivi est bien plus beau et convient fort bien aux mots :  cependant si quelqu'un s'accomodait mieux à l'autre, il n'aurait qu'à lire : 
L'ingénieuse Écho, pour adoucir sa peine, 
Repasse tes doux chants au milieu des roseaux 

(17) Des bouches de corail les attraits amoureux.
C'est ainsi que j'ai traduit le grec, cheilea paidôn, (les lèvres des belles personnes) ; l'expression grecque est divine. Gambara ne l'a pas entendue, puisqu'il a traduit : 
Et quis erit posthac qui dulcia cantet amantum 
Oscula, sicaniis tantum celebrata puellis ?

(18) Moschus fait allusion à ce que dit Bion dans la pompe funèbre d'Adonis (v. 12 et 49). Le seul mot prôon du grec fait sentir que Moschus a eu en vue cette pensée de Bion : "Le baiser qu'elle donna naguère à Adonis mourant."  Naguère, c'est-à-dire dans la description que vous en avez faite naguère. Ce n'est pas le seul endroit de Bion auquel Moschus ait voulu faire allusion dans cette pièce.

(19) Mélés, fleuve de l'Ionie que quelques-uns ont fait père d'Homère, qui s'appelait, selon eux, Mélégisène. II paraît par ce vers que Moschus a cru, ainsi que plusieurs autres, qu'Homère était de Smyrne.

IDYLLE IV.

(20) Quelques critiques ont cru pouvoir donner ce fragment soit à Pisandre, soif à Panyasis. C'est un dialogue entre la mère d'Hercule et son épouse ; la scène est à Tirynthe, et l'époque où le dialogue est censé avoir lien tombe dans une de ces absences forcées que fait Hercule pour exécuter les commandements d'Eurysthée. Les deux femmes plaignent leur propre sort et celui d'un fils et d'un époux chéris. Ce fragment renferme moins d'images et d'ornements que le petit nombre d'ouvrages de Moschus qui nous a été conservé ; il est au contraire d'une simplicité qui rappelle l'ancienne épopée.

(21) Ces expressions "Je l'aimais comme mes yeux" sont fréquentes chez les auteurs anciens. (Voyez Callimaque, Hymne à Diane, v. 211 ; Eschyle, les Sept Chefs devant Thèbes, v. 481 ; Catulle, Epigr. 78.)

(22) Voilà le bel original de l'admirable comparaison du 4e livre des Géorgiques de Virgile : Qualis populea, etc. Plusieurs des anciens avaient touché cette pensée avant Moschus. Ainsi Sophocle dans un choeur de son Ajax, parlant de la douleur d'Ériboée, mère de ce héros, dit qu'elle sera plus vive que celle du rossignol ; et Euripide, dans ses Phéniciennes, fait dire à Antigone : 
Tel gémit sur un arbre un oiseau malheureux, 
Infortunée et solitaire mère,
Qui, pleurant ses petits, par ses cris douloureux
S'accorde aux vains regrets de ma douleur amère.

Vient Homère enfin, qui leur a servi à tous d'original lorsqu'il fait parler Ulysse de ce fatal serpent qui présageait la ruine de Troie après neuf années.
Mais Moschus a mis la pensée dans tout son jour, ainsi que Virgile, qui l'a suivi. On connaît assez la belle traduction de Delille dans laquelle il a imité avec talent la comparaison de Virgile.

(23) Cet endroit peut être entendu de deux manières, et c'est la diversité des sens du mot mêlôn, qui en fait la difficulté. On peut donc entendre des larmes plus douces, plus abondantes que des pommes, et c'est là le sens qui semble convenir le mieux au mot. J'avoue que cette expression paraît extraordinaire à notre goût, mais elle ne le semblait pas aux anciens. Ainsi Théocrite, dans sa 14ème idylle, v. 38 a joint les pommes aux larmes : 
Tênô ta sta dakrua, mala reonti.
On peut entendre aussi par te mot mélôn ( les joues) : "Des pleurs humides coulent de vos joues dans votre sein." Pollux dit que les joues ont été ainsi nommées parce que c'est dans cette partie du visage, siège de la rougeur, que brille surtout la fleur de l'âge. Elles pourraient aussi avoir été ainsi nommées à cause de leur rondeur et de leur élévation, qui leur donne quelque air d'une pomme.

FIN DES NOTES SUR LES IDYLLES DE BION ET MOSCHUS.